Assassins Le capitalisme, ses Etats, sa bourgeoisie, ne sont rien d’autres que des assassins. Des dizaines de milliers de personnes viennent de mourir de par la faute de ce système inhumain.
Mardi, à 16h53, heure locale, un séisme de magnitude 7 sur l'échelle de Richter a ravagé Haïti. La capitale Port-au-Prince, bidonville tentaculaire comptant près de deux millions d’habitants, a été purement et simplement rasée. Le bilan est terrible. Et il s’alourdit encore d’heure en heure. Quatre jours après la catastrophe, en ce vendredi 15 janvier, la Croix-Rouge dénombre déjà de 40 000 à 50 000 morts et «une quantité énorme de blessés graves». D’après cette association caritative française, au moins trois millions de personnes ont été touchées directement par le tremblement de terre . En quelques secondes, 200 000 familles ont perdu leur «maison», souvent faites de bric et de broc. Les grands bâtiments se sont aussi effondrés comme des châteaux de cartes. Les routes, déjà délabrées, l’aéroport, les vieilles lignes de chemin de fer,… rien n’a résisté.
La raison de ce carnage est révoltante. Haïti est l’un des pays les plus pauvres du monde, 75 % des habitants y survivent avec moins de 2 dollars par jour et 56 % avec moins de 1 dollar ! Sur ce bout d’île frappé du sceau de la misère, rien, évidemment, n’a été construit pour faire face aux tremblements de terre. Pourtant, Haïti est une zone sismique connue. Tous ceux qui prétendent aujourd’hui que cette secousse a été d’une violence exceptionnelle et imprévisible mentent. Le professeur Eric Calais, lors d'un cours de géologie donné dans ce pays en 2002, affirmait ainsi que l'île est traversée par « des failles capables de magnitudes 7.5 à 8 » . Les autorités politiques d'Haïti étaient elles aussi officiellement informées de ce risque comme le prouve cet extrait tiré du site du Bureau des Mines et de l’Energie (qui dépend du ministère des travaux publics) : « chacun des siècles passés a été marqué par au moins un séisme majeur en Hispaniola (Nom espagnol de cette île séparée aujourd’hui en deux pays, Haïti et la République Dominicaine, NDLR) : destruction de Port au Prince en 1751 et 1771, destruction de Cap Haïtien en 1842, séismes de 1887 et 1904 dans le nord du pays avec dégâts majeurs à Port de Paix et Cap Haïtien, séisme de 1946 dans le nord-est de la République Dominicaine accompagné d’un tsunami dans la région de Nagua. Il y a eu des séismes majeurs en Haïti, il y aura donc des séismes majeurs dans le futur à l’échelle de quelques dizaines ou de la centaine d’années : c’est une évidence scientifique. » (souligné par nous). Et alors, face à cette «évidence scientifique», quelles ont été les mesures prises ? Aucune ! En mars 2008 encore, un groupe de géologues avait alerté sur un risque majeur de séisme de grande amplitude dans les deux ans à venir et certains scientifiques avaient même tenu une série de réunions en mai de la même année à ce sujet avec le gouvernement haïtien . Ni l’Etat haïtien, ni tous les Etats qui aujourd’hui versent des larmes de crocodiles et lancent des appels à la « solidarité internationale », Etats-Unis et France en tête, n’ont pris la moindre mesure préventive pour éviter ce drame prévisible. Les bâtiments construits dans ce pays sont si fragiles qu’ils n’ont d’ailleurs même pas besoin d’un séisme pour s’effondrer : « en 2008, déjà, une école de Pétionville avait enseveli, sans aucune raison géologique, près de 90 enfants » .
Maintenant qu’il est trop tard, Obama et Sarkozy peuvent bien annoncer une «grande conférence internationale» pour «la reconstruction et le développement», les Etats chinois, anglais,,allemand ou espagnol peuvent bien envoyer tous leurs colis et leurs ONG, ils n’en resteront pas moins des criminels aux mains couvertes de sang.
Si Haïti est aujourd’hui si pauvre, si sa population est dénuée de tout, si les infrastructures sont inexistantes, c’est que depuis plus de 200 ans, la bourgeoisie locale et les grandes bourgeoisies espagnole, française et américaine se disputent les ressources et le contrôle de ce petit bout de terre. A travers son quotidien The Guardian, la bourgeoisie britannique ne manque d’ailleurs pas d’épingler la responsabilité criante de ses rivaux impérialistes : « Cette noble "communauté internationale" que l’on voit aujourd’hui se bousculer pour apporter son “aide humanitaire” à Haïti est en grande partie responsable des maux terribles qu’elle s’efforce aujourd’hui d’atténuer. Depuis le jour où, en 1915, les Etats-Unis ont envahi et occupé le pays, tous les efforts […] ont été violemment et délibérément sabotés par le gouvernement américain et ses alliés. Le propre gouvernement d’Aristide […] en a été la dernière victime, renversé en 2004 par un coup d’Etat bénéficiant d’un soutien international, au cours duquel plusieurs milliers de personne ont perdu la vie […] A vrai dire, depuis le putsch de 2004, c’est la communauté internationale qui gouverne Haïti. Ces pays qui se précipitent maintenant à son chevet ont pourtant systématiquement voté, ces cinq dernières années, contre toute extension du mandat de la mission de l’ONU au-delà de sa vocation principalement militaire. Les projets qui prévoyaient d’utiliser une fraction de cet “investissement” afin de réduire la misère ou favoriser le développement de l’agriculture se sont trouvés bloqués, conformément aux tendances à long terme qui continuent de présider à la distribution de “l’aide” internationale. »
Et il ne s’agit là que d’une toute petite partie de la vérité. Les Etats-Unis et la France se battent pour le contrôle de cette île à coup de putsch, de manœuvres et de corruption de la bourgeoisie locale depuis des décennies, favorisant ainsi le développement de la misère, de la violence et de milices armées terrorisant en permanence hommes, femmes et enfants !
Le cirque médiatique actuel autour de la « solidarité internationale » est donc insupportable et répugnant. C’est à l’Etat qui fera la plus grande publicité autour de «ses» ONG, autour de «ses» colis. C’est à celui qui fera la plus belle image des vies que « ses » sauveteurs auront extirpé des gravats. Pire encore, sur les décombres et les cadavres, la France et les Etats-Unis continuent de se livrer une guerre d’influence sans merci. Au nom de l’humanitaire, ils envoient sur zone leur flotte militaire et essayent de prendre le contrôle des opérations prétextant la « nécessité d’une coordination des secours par un chef d’orchestre ».
Comme à chaque catastrophe, toutes les déclarations d’aide sur le long terme, toutes les promesses de reconstruction et de développement, resteront sans lendemain. Depuis dix ans, suite à des tremblements de terre, il y a eu :
15 000 morts en Turquie, en 1999.
14 000 morts en Inde, en 2001.
26 200 morts en Iran, en 2003.
210 000 morts en Indonésie en 2004 (le séisme sous-marin avait engendré un gigantesque Tsunami qui avait fait des victimes jusque sur les côtes africaines).
88 000 morts au Pakistan, en 2005.
70 000 morts en Chine, en 2008.
Chaque fois, la « communauté internationale » s’est émue et a envoyé de misérable secours ; mais jamais de véritables investissements n’ont été réalisés pour améliorer durablement la situation, en construisant des bâtiments antisismiques par exemple. L’aide humanitaire, le soutien réel aux victimes, la prévention ne sont pas des activités rentables pour le capitalisme. L’aide humanitaire, quand elle existe, ne sert qu’à dresser un rideau de fumée idéologique pour faire croire que ce système d’exploitation peut être humain, quand elle ne constitue pas directement un alibi pour justifier l’envoi de forces militaires et gagner de l’influence dans une région du monde.
Un seul fait révèle toute l’hypocrisie bourgeoise de l’humanitaire et de la solidarité internationale des Etats : le ministre français de l’immigration, Eric Besson, vient de décréter qu’il suspendait « momentanément » les reconduites de personnes en situation irrégulière vers Haïti ! Tout est dit.
L’horreur qui frappe la population vivant en Haïti ne peut que soulever un immense sentiment de tristesse. La classe ouvrière va, comme lors de chaque hécatombe, réagir en répondant présent aux différents appels aux dons. Elle montrera une nouvelle fois par-là que son cœur bat pour l’humanité, que sa solidarité ne connaît pas les frontières.
Mais surtout, une telle horreur doit nourrir sa colère et sa combativité. Les véritables responsables des 50 000 morts ou davantage en Haïti ne sont pas la nature ou la fatalité mais le capitalisme et ses Etats, qui sont autant de charognards impérialistes.
Pawel, (15 janvier 2010)
Sur le site de Libération (quotidien français), https://www.liberation.fr/monde/0101613901-pres-de-50-000-morts-en-haiti... [2]
Sur le blog « sciences » de Libération (https://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/01/s%C3%A9isme-en-ha%C3%A... [3]).
Voir article en espagnol Científicos alertaron en 2008 sobre peligro de terremoto en Haití sur le site Yahoomexico (Assiociated Press du 15/01/2010)
Sur le site de Courrier International (https://www.courrierinternational.com/article/2010/01/14/requiem-pour-po... [5]).
Sur le site de PressEurop (https://www.presseurop.eu/fr/content/article/169931-bien-plus-quune-cata... [6]).
Nous publions ci-dessous une lettre du Noyau de discussion internationaliste de l’Équateur, qui est un témoignage de solidarité avec les travailleurs de « Luz y Fuerza del Centro » du Mexique. Cette lettre fait suite à deux autres messages de solidarité envoyés par deux groupes du Pérou (voir : https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html [8])
Chers camarades,
Un peu plus d’un mois s’est passé depuis que, dans la nuit du 10 octobre, la bourgeoisie mexicaine, grâce à son bras armé que sont ses forces de sécurité de l’État capitaliste et avec l’aide de ses agents au sein du mouvement prolétarien, déguisés en syndicats de toutes couleurs, a commis une de ces actions qui lui sont propres : malmener, piétiner et affaiblir la force de ce mouvement à coups de bâton, avec parfois des charges à cheval sabre au clair, usant de la ruse dans les négociations et les allers et retours des « fervents » et si « sacrifiés » dirigeants syndicaux, qui cachent cacher leurs intentions réelles avec des mensonges par tonnes : pour défendre les intérêts de leurs maîtres.
Le prolétariat a vécu des événements comme celui du 10 octobre au Mexique depuis toujours, depuis qu’il a commencé à se lever contre l’avidité du profit, contre l’extraction de valeur de la part de la bourgeoisie ; rappelons-nous le « Dimanche sanglant » du 9 janvier 1905 dans les rues de Saint-Petersbourg, dans la Russie tsariste, qui fut le signe avant coureur de l’Octobre rouge de 1917 ; en Equateur aussi, au siècle dernier, le 15 Novembre 1922, des centaines d’ouvriers qui protestaient pour obtenir des améliorations de leurs conditions de vie furent abattus à coups de sabre et jetés au fleuve Guayas qui débouche sur le port de Guayaquil ; et plus près de notre époque, en 1979, le massacre des travailleurs agricoles du sucre de l’entreprise sucrière Aztra, dans la province du Cañar, où plus de deux cents ouvriers furent jetés dans des canaux où ils furent mitraillés par les force de l’ordre : c’est d’ailleurs ainsi que la « démocratie » a débuté, une autre manière de domination de la bourgeoisie.
Si on regarde attentivement l’histoire de la lutte de classe et si on note tous les combats que la classe a menés depuis des siècles, la liste serait aussi grande qu’est grande la nécessité pour l’humanité d’atteindre des jours meilleurs. Mais cela ne servirait à rien si on ne faisait que se souvenir et se lamenter de tels événements ; on ne pourrait pas en tirer grand-chose. En agissant ainsi, on ne ferait pas mieux que les syndicalistes, les partis de gauche du capital ou ces gauchistes de toute engeance qui aiment tant les commémorations pompeuses de telle ou telle date significative des luttes de la classe ouvrière. Ces agents idéologiques ou institutionnels du capital ne connaissent en rien l’essence du marxisme, ils ne sont en rien intéressés à tirer des leçons de ces luttes ; pour eux, le marxisme ce n’est que des phrases vides, des slogans bons à être répétés dans les discours, pour eux le marxisme n’est qu’un ornement idéologique. Nous, par contre, nous devons faire ressortir les malheurs, nous devons regarder les faits en face, sans fard, nus, pour ainsi comprendre et assimiler ce qu’ils nous laissent comme enseignement. Nous devons être courageux face à l’adversité et puiser avec ténacité dans la réflexion, favoriser le débat et l’éclaircissement avec ceux qui luttent, avec les camarades qui se sont affrontés aux expéditions punitives, avec ceux qui ont perdu leur poste de travail, avec les travailleurs d’autres lieux, d’autres entreprises, d’autres villes et d’autres pays.
Frères prolétariens, vous n’êtes pas seuls. Ici aussi [en Equateur], au mois de septembre, nous avons vécu des moments de protestation similaires au niveau national pour les mêmes raisons : défense des salaires, des postes de travail, d’une vie digne, des indemnisations justes, etc.; mais ces syndicalistes, transfuges de profession, ont adroitement amené les travailleurs vers les chemins du parlement, des lois, des avocats, etc..; les problèmes sont les mêmes ; il faut sauter par-dessus le mur que la bourgeoisie a construit devant nous : le syndicat, les partis de la gauche du capital et les gauchistes, le parlement, les gouvernements, les nations.
Camarades, permettez-nous de vous dire que nous sommes de tout cœur avec vous, pleinement solidaires. Nous voulons approfondir la réflexion sur tous les éléments théoriques et pratiques que nous a légués la lutte de la classe ouvrière dans le monde entier. Nous pensons que, de cette manière, en comprenant votre souffrance à la lumière de la lutte de classe, nous pourrons transmettre les enseignements tirés à nos camarades prolétariens de cette partie de la planète. Nous sommes loin de vous, camarades, mais nous voulons vous dire de ne pas vous décourager. Le futur vous appartient, même si le chemin est plein d’embûches, mais, ensemble et solidaires, au feu de la lutte de classe, nous en sortirons victorieux et c’est l’humanité tout entière qui en sortira victorieuse. En reprenant le Manifeste communiste élaboré par Marx et Engels à la demande des leurs camarades de la Ligue des communistes en novembre 1847, « Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que leurs buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l'ordre social passé. Que les classes dirigeantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste ! Les prolétaires n'y ont rien à perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. »
En ce sens, nous sommes convaincus que seul le débat, la réflexion et l’éclaircissement feront en sorte de concentrer la force suffisante pour faire effondrer les murs que les forces de la bourgeoisie érigent devant nous pour ainsi pouvoir construire nous, pour l’humanité toute entière, une société humaine, le communisme.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
NDIE (Núcleo de Discusión Internacionalista de Ecuador, noyau de discussion internationaliste de l’Equateur)
Guayaquil, Novembre 2009
Le Groupe Révolution Prolétarienne (GPR) d'Autriche nous demande de publier la nécrologie de leur camarade Robert, décédé le 7 décembre dernier. Le CCI a appris avec la plus grande consternation le décès soudain de Robert. Nous voulons ici exprimer à ses proches, et en particulier à sa compagne, notre plus profonde solidarité.
Avec le décès de Robert, le CCI perd également un ami proche de longue date. Grâce à son ouverture, sa volonté de clarification politique et sa grande patience, il a joué un rôle important dans l’apparition d'un pôle de camarades qui, à la fin des années 1980 dans la zone de langue allemande, se sont rapprochés des positions de la Gauche Communiste. Particulièrement en Suisse, où une section du CCI naquit ultérieurement de ce processus.
Robert n'a pas emprunté la même voie. Cependant Robert, et les autres camarades du GPR, sont restés vis-à-vis du CCI de tout proches compagnons et amis politiques dans lesquels nous avons la plus pleine confiance.
L’une des plus grandes qualités de Robert était sa conduite solidaire et son attitude conséquente contre tout esprit de concurrence entre les différentes organisations de la Gauche Communiste.
Le CCI regrette Robert.
Notre camarade Ro a tragiquement quitté la vie dans la nuit du 6 au 7 décembre 2009. Il était l‘un des membres fondateurs du groupe, qui s’appelait alors en 1983 Groupe des Communistes Internationalistes (Gruppe Internationalistische Kommunisten / GIK) et qui poursuivait la tradition politique et théorique du Groupe Autonome Politique Communiste (Autonome Gruppe Kommunistische Politik / AGKP) qui a pris fin par son autodissolution. Ses membres fondateurs convergeaient sur le fait que l’acquis politique et théorique de l’AGKP avait été de s’extraire du chaos de l’extrême gauche capitaliste du mouvement de 68 finissant et de s’être doté de positions politiques communistes de gauche. Le matériel théorique-politique de la Gauche Communiste apparaissait aux membres fondateurs comme la seule orientation politique possible pour qui veut se placer sur le terrain de classe politique du prolétariat, concourir à en faire progresser la cause et le développement de son autonomie politique et organisationnelle comme condition de ses futurs triomphes. Seul le courant de la gauche communiste a réussi à résister politiquement à l’horrible contre-révolution qui s’est exprimée par le contrôle politique presque complet sur la classe ouvrière par la social-démocratie, le stalinisme, le maoïsme et le courant principal du trotskisme, pour nous transmettre les enseignements politiques tirés de cette contre-révolution gigantesque. Ro et ses camarades de combat se sentaient investis de la responsabilité de veiller à défendre face à la classe ouvrière en Autriche la théorie révolutionnaire défendue en première place contre la contre-révolution stalinienne par les Communistes de Gauche et à offrir, à la mesure de leurs moyens, aux travailleuses et aux travailleurs la possibilité de renouer avec leur tradition révolutionnaire.
Comme nous provenions tous du cercle de sympathisants de l’AGKP, il nous incombait la tâche de nous approprier de façon critique et sur la base d’un examen approfondi l’ensemble du matériel théorique de l’AGKP et, pour autant qu’il nous ait semblé insuffisant, de le développer par l'étude des leçons tirées par la Gauche Communiste, afin de mettre le groupe sur des bases politiques aussi solides que possible. Comme dans les années quatre-vingts des attaques massives contre la classe ouvrière eurent lieu avec la restructuration de l'industrie (mot d’ordre VÖST), le groupe s'est trouvé confronté à la tâche de soutenir par une intervention politique au moyen de tracts, etc. les luttes des travailleuses et des travailleurs bourgeonnant çà et là. Le difficile travail théorique, les discussions avec le milieu révolutionnaire, les positions politiques graduellement mûries pour leur formulation dans une plate-forme propulsèrent le camarade Ro au premier rang. Le GIK, qui suite à un changement de nom ultérieur s’appelle aujourd'hui Groupe Prolétarien Révolution, est redevable à la méticulosité de Ro pour s’interroger, s'informer, analyser et à sa recherche rigoureuse de la clarté, du fait qu’il possède une plate-forme cohérente (que nous nommons lignes directrices) reposant clairement sur les acquis du marxisme et des expériences historiques de la lutte des classes et de son analyse. Ro laisse derrière lui dans un état de solidité théorique le GPR qu'il a marqué de façon prépondérante par son infatigable engagement et dont il a élaboré de manière décisive les outils politiques. La perte que représente la mort de Ro est immense. Le groupe perd l’un de ses camarades les plus passionnés, qui, par son jugement politique éprouvé, sa perspicacité politique, son expérience politique, ses analyses et l’examen infatigables des événements politiques ont enrichi le groupe et son travail politique. Nous espérions tous son retour une fois surmontée la maladie et nous nous réjouissions du recouvrement de sa présence intellectuelle. Nous regrettons la perte du camarade Ro lourde de conséquences pour notre pratique politique.
Nous sollicitons les groupes du milieu révolutionnaire de la classe ouvrière pour partager avec nous le deuil du départ du camarade Ro et pour nous soutenir solidairement dans la poursuite de notre travail politique en vue de l’émancipation, sans doute encore lointaine, de la classe ouvrière de l’ exploitation économique et du joug politique de la bourgeoisie. Nous les en remercions.
GPR.
Pour faire suite à notre précédent article [13] sur les journées de discussion que le CCI a organisées à Lille en octobre dernier, nous abordons maintenant la première session de ce week-end consacré à Darwin et à la nature humaine, en publiant l'introduction et le compte-rendu synthétique de la discussion qui l'a suivie.
Nous rappelons que ces deux textes ont été produits par des participants à la réunion, ce qui nous donne l'occasion de saluer leur contribution et leur engagement actif dans la réussite de ces rencontres. Hormis certains détails, nous sommes globalement en accord avec ces textes et quoiqu'il en soit, ce qui importe avant tout est leur capacité à refléter la richesse d'une discussion qui a permis à chaque participant, qu'il soit intervenu ou non, d'y trouver matière à réfléchir et à approfondir sa conception de la nature humaine. Car ce qui peut apparaître dans un premier temps comme étant une question scientifique éloignée des besoins de la lutte de classe, est en fait un élément essentiel pour fonder la nécessité et la possibilité d'une société communiste. C'est en effet en comprenant mieux la nature humaine, l'existence d'instincts sociaux et leur rôle dans le développement de la civilisation, que l'on peut mieux définir en quoi le capitalisme constitue intrinsèquement une entrave au progrès de l'espèce humaine et le communisme le cadre indispensable de son émancipation.
CCI
L’année 2009 a été l’année Darwin : anniversaire de sa naissance il y a 200 ans en 1809, et anniversaire de son livre le plus connu De l’origine des espèces écrit il y a 150 ans en 1859. Beaucoup de revues et magazines ont mis à l’honneur Darwin et sa théorie très connue de la sélection naturelle.) La bourgeoisie s’est intéressée très tôt à cette théorie mais s’est empressée de la dénaturer. Qui n’a pas eu un cours ou lu un article ou vu une émission sur la théorie de la sélection naturelle qui réduise celle-ci au fait que la sélection naturelle serait “la sélection des individus les plus forts”. Il ne reste plus qu’à savoir pourquoi la bourgeoisie et ses savants s’échinent tellement à détourner cette théorie. Il est clair que la réponse principale tient dans le fait que la didactique darwinienne pose directement la question de la nature humaine et se trouve être un enjeu de taille pour l’assise idéologique de la société capitaliste naissante.
Mais alors qu’est-ce que cette conception de la science et du monde apporte-t-elle vraiment ? Comment la bourgeoisie tente-t-elle de détruire les réels apports de Darwin ? Et enfin comment résoudre cette question de la nature humaine ?
La théorie de la sélection naturelle
Darwin, fils de médecin, arrêta ses études de médecine pour suivre une carrière de naturaliste. Il fit un voyage exploratoire de 5 ans autour du monde durant lequel il observa de nombreuses espèces animales et végétales : il remarqua de nombreuses ressemblances entre différentes espèces vivantes ou fossiles. Il étudia grâce à de nombreuses enquêtes auprès des éleveurs et des horticulteurs les modalités de création de nouvelles espèces. De ces observations, il en déduisit que si les éleveurs ou horticulteurs réussissaient à faire varier des espèces et à utiliser ces variations pour créer de nouvelles espèces c’est que ces espèces renfermaient naturellement en elles la capacité de varier : c’est la variabilité. Donc les espèces naturelles peuvent également varier mais alors comment et pourquoi cela se produit-il ? Comment ? Par la sélection naturelle (non exercée par l’homme) qui sélectionne les individus les plus aptes à survivre dans un environnement donné. Pourquoi ? C’est là que la loi de Malthus entre en jeu : après avoir lu les travaux de Malthus, Darwin comprend qu’appliqués aux espèces animales et végétales, ils permettaient de combler certains manques pour ancrer sa théorie dans la réalité de l’évolution. Pourquoi cette sélection ? Tout simplement parce qu’il naît plus d’individus pour chaque espèce qu’il ne peut en survivre.
La fin du “fixisme” et de la théologie scientifique
Résoudre ces questions et expliquer le mécanisme de l’évolution permet à la science de sortir du joug du fixisme qui veut que chaque espèce ait été créée par Dieu et qu’elles aient toujours existé à l’identique de ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est ce que montre très bien Pannekoek dans sa brochure Marxisme et Darwinisme : des scientifiques tels que Lamarck avaient déjà élaboré des théories transformistes pour comprendre la variabilité des espèces animales et végétales, seulement ne pouvant prouver ni expliquer le mécanisme qui fait que les espèces animales et végétales naissent à partir d’espèces anciennes ces théories étaient restées à l’état d’hypothèse et Dieu restait le créateur de cette variabilité. Un des apports majeurs de Darwin est d’avoir démontré que les espèces d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue évolution qui s’est faite au moyen de la sélection naturelle dans le cadre de la lutte pour l’existence : il introduit donc dans les sciences du XIXe siècle, gouvernées par les classifications, le principe de l’évolution et détruit non sans heurt le joug de la religion.
Darwinisme et marxisme
Qu’est-ce que cela apporte aux marxistes et au mouvement ouvrier ? Pannekoek, révolutionnaire du début du XXe siècle, montre à quel point les deux théories et méthodes sont liées : « Il apparaît donc que le marxisme et le darwinisme ne sont pas deux théories indépendantes qui s’appliqueraient chacune à leur domaine spécifique, sans aucun point commun entre elles. En réalité, le même principe sous-tend les deux théories. » Un siècle plus tard, Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International écrit en parlant des théories de Marx, Darwin et Freud : « La combinaison de ces multiples perspectives dans l’élaboration d’une théorie générale du devenir de la civilisation constitue, en effet, l’une des tâches scientifiques du matérialisme aujourd’hui. » Engels avait d’ailleurs écrit à Marx : « Ce Darwin, que je suis en train d'étudier, est tout à fait sensationnel. On n'avait jamais fait une tentative d'une telle envergure pour démontrer qu'il y a un développement historique dans la nature. » ( Lettre d’Engels à Marx, 11 décembre 1859). L’apport de Darwin est en fait le même que celui de Marx, c’est celui d’un raisonnement dialectique introduisant l’évolution dans la méthode d’analyse et permettant ainsi de comprendre la monde sous un jour nouveau : celui d’un monde en constante évolution. Tout comme chaque espèce n’est pas éternelle mais se transforme, le capitalisme non plus n’est pas une fin en soit.
De ce fait se pose alors cette question fondamentale : si l’espèce humaine est le fruit d’une évolution, est-elle soumise au principe de la sélection naturelle ? Darwin mettra onze ans pour aborder cette question dans son œuvre méconnue et pourtant majeure : La filiation de l’homme. Pendant ce temps, les savants de la bourgeoisie victorienne soumis à l’idéologie puissante d’un capitalisme fleurissant ont su voir l’intérêt qu’ils pouvaient tirer à combler ce vide “à leur manière”.
Malheureusement cette mystification est encore très présente aujourd’hui et joue de tout son poids dans les rangs de la classe ouvrière.
Le darwinisme dénaturé
Le principal inspirateur du « darwinisme social » est Spencer (1823-1903) qui appliqua alors la théorie de la sélection naturelle à l’homme telle quelle, en proposant une relecture au passage. Il a traduit “lutte pour l’existence” (qui est d’ailleurs la seule force considérée pour expliquer la naissance de nouvelles espèces) par “concurrence interindividuelle généralisée”, selon l’expression de P. Tort et “sélection naturelle” par “survie des plus aptes”. Il étayera sa théorie d’exemples tirés du monde animal très critiqués par Pannekoek : « Ce n’est pas aux prédateurs, qui vivent de façon séparée et qui sont les animaux modèles des darwinistes bourgeois, que l’homme doit être comparé, mais à ceux qui vivent socialement. » Ainsi le système capitaliste naissant est à l’image de la nature et les moins adaptés doivent être éliminés sans égards et sans secours. Il est clair que Darwin est encore lu aujourd’hui à travers les lunettes de Spencer, lunettes en faveur de l’esprit de concurrence qui régnait chez les acteurs et les soutiens de l’industrie anglaise de l’époque victorienne. Processus fort bien démontré par Pannekoek qui décrit très clairement l’erreur faite par ces penseurs : « Ils ont déduit des lois qui gouvernent le monde animal, où la théorie darwinienne s’applique, ce qui est en conformité avec cette théorie, et dès lors l’ordre naturel qui doit durer toujours. »
Une frange de la bourgeoisie est allée plus loin dans le détournement de l’œuvre de Darwin avec Galton le penseur précurseur du racisme scientifique. L’eugénisme était hostile à la reproduction des pauvres, des handicapés physiques et mentaux, pensée comme un obstacle à l’augmentation numérique des hommes supérieurs. Alors que Spencer prône un libéralisme total (aucune intervention pour venir en aide aux pauvres et aux désœuvrés), Galton prône une intervention cœrcitive et limitative des naissances. On sait par la suite comment le nazisme poussera cette théorie à l’extrême et s’en servira de cautionnement scientifique.
Le démenti de Darwin
Darwin a répondu lui-même à ces lectures dévoyées de son œuvre et à son extrapolation erronée.
Darwin a démenti Galton bien avant que celui-ci ne dénature sa pensée en affichant un anti-racisme engagé dès ses premiers textes : « À mesure que l’homme avance en civilisation, et que les petites tribus se réunissent en communautés plus larges, la plus simple raison devrait aviser chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois ce point atteint, seule une barrière artificielle peut empêcher ses sympathies de s’étendre aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. Il est vrai que si ces hommes sont séparés de lui par de grandes différences d’apparence ou d’habitudes, l’expérience malheureusement nous montre combien le temps est long pour que nous les regardions comme nos semblables. » Il n’est pas nécessaire d’en dire plus.
Contre Spencer, il écrit : « L’aide que nous nous sentons poussés à apporter à ceux qui sont privés de secours est pour l’essentiel une conséquence inhérente de l’instinct de sympathie, qui fut acquis originellement comme une partie des instincts sociaux, mais a été ensuite, de la manière dont nous l’avons antérieurement indiqué, rendu plus délicat et étendu plus largement. » Darwin rappelle ce qui a manqué à la lecture de Spencer : la nature sélectionne également des instincts et chez l’homme comme pour l’ensemble des animaux sociaux a sélectionné les instincts sociaux et c’est bien ce qui pose problème à la bourgeoisie car cela ne rentre pas dans son cadre d’analyse et sa doctrine.
D’autres lectures de Darwin
Même si certains révolutionnaires sont tombés dans le piège de vouloir contrer ces théories en utilisant la même démarche que ces penseurs bourgeois, c’est-à-dire en voulant démontrer que c’est le communisme qui est le système social naturel à l’humanité, d’autres ont très bien compris son œuvre, comme Pannekoek déjà cité. Fervent défenseur des apports de Darwin, il montre l’importance de la question de la sociabilité de l’homme très présente dans la deuxième œuvre de Darwin : La Filiation de l’Homme qui détruit point par point les théories du darwinisme social. Pannekoek s’appuyant sur Kautsky écrit : « Quand un certain nombre d’animaux vivent en groupe, en troupeau ou en bande, ils mènent en commun la lutte pour l’existence contre le monde extérieur ; à l’intérieur la lutte pour l’existence cesse. […] C’est grâce à cette force unie que les herbivores sans défense peuvent contrer les prédateurs. » C’est du fait de cette nuance très importante qu’il est impossible d’appliquer la théorie de la sélection naturelle de manière schématique : elle relève plus d’une dialectique de la nature que d’une loi immuable. Certains spécialistes aujourd’hui, comme Patrick Tort, vont plus loin et parlent d’un “effet réversif de la sélection naturelle” qui peut se résumer par cette simple phrase : la sélection naturelle sélectionne des instincts sociaux excluant des comportements éliminatoires. La sélection naturelle par la voie des instincts sociaux a sélectionné la civilisation, qui s’oppose à la sélection naturelle. Selon P. Tort, Darwin réconcilie donc nature et culture. Je ne détaille pas plus nous aurons l’occasion d’y revenir dans le débat.
Alors au regard de ces lectures de Darwin, qu’en est-il de la nature humaine ?
Au regard des différents ouvrages cités jusqu’à maintenant, on peut se demander s’il y a une nature humaine, une faculté propre à l’homme et à lui seul. N’est-il pas vain d’entamer une telle entreprise ?
Une vision bourgeoise à combattre
Quand on pose cette question, on pose en fait une question relativement compliquée. La bourgeoisie nous enfonce dans la tête depuis notre plus jeune âge que l’homme est par nature violent, guerrier, individualiste, opportuniste pour justifier idéologiquement ses échecs et les horreurs que son système a engendrés ainsi que pour inhiber la confiance de la classe ouvrière dans le fait qu’elle est capable de s’unir pour lutter contre ce système d’exploitation de l’homme par l’homme. Mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et vouloir démontrer à tout prix que l’homme est par nature solidaire, altruiste, bon et pacifique car cette démarche n’est pas scientifique mais doctrinale et ne permet pas de comprendre l’homme. Cette démarche mène inéluctablement à une mauvaise compréhension du monde et de la nature dans son ensemble. Il est nécessaire de détruire cette pensée dans les rangs de la classe ouvrière car elle est un obstacle réel aux luttes prolétariennes en sapant la confiance de la classe ouvrière en elle-même et banalisant les pensées “no future” : puisque l’homme est naturellement mauvais, il ne s’en sortira jamais et devra supporter ce système éternellement.
La fin de ce concept
En ce qui me concerne, je pense qu’il n’y a pas de nature humaine. L’homme n’est rien par nature, ni bon ni mauvais. L’homme s’explique par le matérialisme historique et la théorie de l’évolution des espèces. P. Tort écrit page 154 de son livre L’effet Darwin : « Entre les facultés humaines et les ébauches animales dont elles dérivent par le jeu des avantages sélectifs, il ne peut y avoir, suivant la formule consacrée, qu’une différence de degré et non de nature. » L’homme est un animal comme les autres : il diffère de la girafe comme celle-ci diffère du singe. À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme car on le prive de ses origines. Il n’y pas de rupture entre nature et culture mais bien une dialectique : la morale, le langage ne sont que le résultat de la sélection naturelle qui a sélectionné les instincts sociaux qui ont amené l’homme a développé le langage, la morale base des civilisations. L’homme n’est pas par nature solidaire, simplement dans sa lutte pour l’existence la protection des plus faibles et l’entraide fut un avantage et donc sélectionné. Il ne s’agit pas de trouver en quoi l’homme est unique mais en quoi dans son origine animale il développe des différences qui le mènent à cette condition d’homme contemporain.
Les différences humaines
L’homme se distingue par l’ampleur de ses facultés qui se trouvent développées de manière beaucoup plus importantes que chez les animaux sociaux. A quoi cela tient-il ? Est-ce comme le dit Pannekoek le fait que l’homme fortement démuni dans ses facultés physiques a développé des instincts sociaux beaucoup plus complexes pour être mieux armé et ainsi des outils, prolongement des organes animaux remplissant cette fonction, absents chez l’homme ? Est-ce la nécessité d’un langage élaboré pour communiquer dans des groupes comptant de plus en plus de membres fonction nécessaire pour faire face aux éventuels prédateurs et qui aurait conduit l’homme à un niveau de cognition très élevé menant à une conscience très élaborée de lui-même et des autres ?
Développer la question qui je pense favorisera le débat : comment comprendre que des études récentes démontrent que la sélection naturelle a favorisé au sein de l’espèce humaine le développement de comportements d’entraide et d’altruisme, alors qu’on assiste aujourd’hui à un développement puissant de comportements individualistes ? A la sélection naturelle ne superpose-t-il pas une sélection sociétale ?
La discussion qui a suivi la présentation a abordé les sujets suivants :
1) L’apport de la théorie de Darwin
2) Darwinisme et marxisme
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
4) Qu’est ce que la sélection naturelle ?
5) Peut-on parler d’une nature humaine ?
6) Concurrence et altruisme
7) Intérêt de la discussion
1) L’apport de la théorie de Darwin
De nombreuses interventions ont souligné le caractère novateur, pour son époque, de cette théorie. En effet, elle est révolutionnaire (même si avant Darwin d’autres scientifiques avaient commencé à appréhender la question) parce qu’elle remet totalement en cause les croyances, les principes donnés jusque-là comme intangibles et imposés à l’ensemble de la société comme une vérité indiscutable.
Quelles étaient ces vérités ? Le monde vivant, plantes, animaux, est fixe, ne se transforme pas. Il est le produit de la volonté d’un créateur. La théorie de l’évolution va donc constituer une rupture totale et complète avec les théories fixistes, créationnistes, téléologiques dominantes à l’époque. Elle met en évidence qu’il existe un mécanisme, celui de la sélection naturelle, pour expliquer comment des espèces nouvelles peuvent être issues d’autres espèces. Avec la théorie de Darwin, une première explication scientifique du monde qui nous entoure est exposée : Le monde évolue sous l’action conjuguée de plusieurs facteurs.
2) Darwinisme et marxisme
Cette théorie est du point de vue de la méthode proche du marxisme parce que l’une comme l’autre, en ayant une démarche scientifique fondée sur aucun a priori, aucun préjugé, emploie une méthode matérialiste. Peut-on en conclure que Darwin est marxiste et que le darwinisme est une conception prolétarienne ?
La théorie de Darwin n’est pas dirigée contre la bourgeoisie. Elle n’a pas de but politique car son dessein n’est pas de chercher à établir des frontières de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie. Lorsque Darwin expose sa théorie, la bourgeoisie applaudit des deux mains parce qu’elle comprend qu’elle peut s’en servir contre les anciennes classes. Ainsi la classe montante va s’approprier cette théorie, comme d’autres théories scientifiques à l’époque, et va s’en servir pour saper les bases idéologiques de l’ancien régime. Ces bases politiques étant assises sur la notion de “droit divin” n’ont aucun fondement, le pouvoir qui en découle n’a donc aucune légitimité.
La discussion a par ailleurs réaffirmé qu’il n’y a pas de science bourgeoise ou prolétarienne. Il y a une classe sociale, le prolétariat, qui se nourrit des travaux des scientifiques afin d’enrichir sa compréhension du monde pour pouvoir se donner les moyens de le transformer.
3) L’interprétation de la théorie de Darwin par la bourgeoisie
Comme toutes les classes exploiteuses qui l’ont précédée, la bourgeoisie, pour maintenir sa domination, s’est forgée sa propre idéologie. Ce fut le deuxième aspect développé par la discussion. La bourgeoisie a dévoyé l’interprétation faite par Darwin de l’évolution et l’a réduit à l’échelle de la seule compétition entre les individus. La compétition pour la bourgeoisie est liée de manière intime et nécessaire à la nature humaine. Ainsi elle brouille les consciences et fait de l’homme, un être violent, guerrier, un assoiffé de pouvoir, etc,…
La conception de l’évolution sera utilisée sur le plan politique, en la vidant totalement de son contenu, par les défenseurs du « darwinisme social ». Selon cette théorie, la sélection est l’état naturel des relations sociales et le moteur de l’évolution humaine. Ainsi on justifie la hiérarchisation de la société et l’on peut aller jusqu’à prôner l’élimination des plus faibles.
Pour le marxisme, il n’y a aucune cause naturelle, mais des causes matérielles que l’on trouve au sein des rapports de production. Ce sont ces rapports qui conditionnent les rapports sociaux et qui engendrent des rapports de concurrence. En ce sens ces formes ne sont pas immuables comme voudrait nous le faire croire la bourgeoisie, elles peuvent être dépassées seulement par l’instauration d’une société communiste.
4) Qu’est-ce que la sélection naturelle ?
L’évolution ne s’est pas opérée grâce à l’usage et à l’utilisation intense de certains organes. Ainsi la girafe n’a pas développé un long cou parce qu’elle devait chercher de la nourriture sur les plus hautes branches. Son cou s’est développé par sélection, en éliminant dans la population des girafes celles dont le cou n’était pas adapté, et conservant et étendant à l’ensemble de la population des girafes le trait, le caractère d’un long cou nécessaire à la survie de l’espèce. L’évolution ne se fonde donc pas seulement sur le hasard, elle se manifeste aussi par une sélection des caractères favorables qui s’étendent au groupe entier.
La transmission se fait via les individus, les parents transmettent à leurs enfants, leurs particularités, mais en même temps ces enfants ne sont pas “une copie conforme de leurs parents”, ils divergent de leurs ascendants. Sans cette variation, il serait totalement impossible qu’il puisse y avoir un processus évolutif par lequel, grâce à des divergences grandissantes, une nouvelle espèce apparaîtrait.
La théorie de Darwin de la descendance modifiée par la sélection naturelle fait de l’homme non pas un être à part, mais un être qui se rattache au monde animal. Bon nombre de capacités considérées comme propres à l’homme ont été démontrées chez les animaux. La fabrication d’outils, la notion du beau, des formes de compassion sont quelques exemples parmi d’autres du lien qui unit l’homme aux animaux.
5) Peut-on parler de l’existence d’une nature humaine ?
Peut-on défendre la pertinence d’une classification du monde vivant ? La discussion a montré qu’il y avait des nuances ou des divergences sur ces questions.
a) Le premier point de vue a défendu l’idée selon laquelle il n’y a pas de nature humaine. Cela n’implique pas qu’il n’y a pas de différences entre les hommes et les animaux. Il n’y a qu’une différence de degré, et dire qu’il y a une nature humaine, c’est rechercher une faculté qui serait propre à l’homme et à lui seul. Comme l’expose Patrick Tort dans son livre, L’effet Darwin : « À vouloir chercher le propre de l’homme, on adopte une démarche vouée à l’échec dans la compréhension de l’homme, car on le prive de ses origines. »
b) Une deuxième intervention a insisté sur l’idée selon laquelle les espèces, les classifications, sont une réalité en tant que concept mais n’ont pas de réalité scientifique. Il y un caractère arbitraire dans les notions de race et d’espèce dont il faut se débarrasser. Ainsi catégoriser divers groupes humains sur la base de la race, c’est scientifiquement aberrant. Les progrès de la génétique aujourd’hui conduisent à rejeter toute classification raciale et doivent servir à pourfendre tout le contenu inégalitaire contenu dans les théories racistes.
c) Un troisième point de vue s’est exprimé au cours de la discussion et a défendu l’existence d’une nature humaine. L’homme s’est extrait du monde animal et s’en est distingué. Au cours de son évolution, il a développé des facultés propres. Ainsi il a eu la capacité de développer des outils d’une très haute technicité, il a eu la capacité d’exprimer et de communiquer sa pensée aux moyens de signes vocaux ou graphiques ou bien encore la capacité de prendre conscience de sa propre existence. Il a effectué au cours de son évolution un pas qualitatif très important qui ne fait pas de lui l’être suprême mais l’être qui a une responsabilité sur ce qui l’entoure.
d) Autre insistance présente dans la discussion : l’une des bases essentielles contenue dans la théorie de la transformation, c’est l’idée qu’il y a un processus continu qui s’oppose donc à toute idée de rupture. Ainsi l’homme et l’animal ont des caractères communs. Le processus a donc été continu, il n’y a pas eu de rupture entre le point de départ constitué par l’apparition de la cellule et le stade actuel celui de l’homme.
e) La notion d’espèce a une réalité. L’espèce se définit par l’ensemble des individus, animaux ou végétaux semblables par leur aspect, leur habitat, féconds entre eux mais stériles avec tout autre individu d’une autre espèce. La science tient des principes jusqu’au moment ou la réalité décrite jusque là est remise en cause par de nouvelles découvertes. Les notions d’espèce et de race ne sont évidemment pas des critères absolus, leurs frontières peuvent avoir un certain flou ; elles ont un sens pratique et efficient pour définir un état, une chose.
6) Concurrence et altruisme
Pour essayer de comprendre la question, il faut la poser en n’omettant pas de faire le lien entre la biologie évolutive (analyse du monde vivant et de son évolution) et l’étude de la dimension sociale de l’homme (l’anthropologie). En effet la sélection naturelle ne se limite pas à sélectionner des variations organiques. Elle sélectionne aussi des instincts individuels et collectifs qui sont fondamentaux pour expliquer le processus qui conduit à la civilisation.
Ainsi l’évolution se caractérise par le passage d’un “état de nature” régi essentiellement par la loi de la sélection naturelle à un état “civilisé” dans lequel se développent des conduites s’opposant aux lois de la sélection naturelle. La disposition de caractère qui pousse à s’intéresser aux autres, à se montrer généreux et désintéressé est l’essence même de l’homme. Mais elle n’est pas seulement innée, elle est aussi le produit de la structure sociale, des règles qu’il se donne et qui conduisent à respecter les autres hommes. Au vu de toutes les expériences scientifiques qui ont été menées (tests sur de jeunes enfants, études sur des peuplades), il est démontré qu’il existe à la base, des sentiments altruistes, des comportements sociaux chez l’homme.
7) Intérêt de la discussion
Le débat avait au XIXe siècle une fonction essentielle, celle de lutter contre toutes les interprétations religieuses du monde. Il y avait une véritable guerre entre les tenants d’une vision idéaliste du monde et les tenants d’une vision matérialiste. Aujourd’hui avec la crise du capitalisme, la bourgeoisie a besoin de lancer des campagnes idéologiques notamment sur la théorie de Darwin. Marx et les marxistes ont à l’époque répondu à toutes ces questions, il faut donc recentrer le débat par rapport à cette question.
Conclusion : Du débat, il est bien ressorti que la théorie de Darwin était novatrice. Elle pose pour principe, un principe dynamique, un principe d’évolution du vivant en montrant quel est le moteur de cette évolution. La question de la nature humaine (existante ou pas) est une question importante, elle doit nous permettre de mieux appréhender quels seront les enjeux qui détermineront les rapports entre l’individu et la société communiste. La discussion n’a malheureusement pas suffisamment abordé les questions des instincts sociaux et de la morale.
Le 14 décembre 2009, des milliers d’ouvriers des entreprises de Tekel [1] de douzaines de villes en Turquie ont quitté leurs maisons et leurs familles pour monter sur Ankara. Ces ouvriers ont fait ce voyage pour lutter contre les horribles conditions auxquelles les contraint l’ordre capitaliste. Cette lutte exemplaire qui dure depuis près de deux mois à présent est portée par l’idée d’une grève permettant à tous les ouvriers d’y participer. Ce faisant, les ouvriers de Tekel ont commencé à mettre en œuvre et à être porteur d’un mouvement pour l’ensemble de la classe ouvrière dans tout le pays. Ce dont nous essayons de rendre compte ici est l’histoire de ce qui s’est passé dans cette lutte. On ne doit pas oublier que ce compte-rendu ne concerne pas les seuls ouvriers de Tekel mais les ouvriers du monde entier. Nous remercions chaleureusement les ouvriers de Tekel pour avoir rendu possible l’écriture de cet article en poussant les luttes de notre classe en avant et en nous expliquant ce qui s’y passait.
Nous pensons qu’il faut d’abord expliquer pourquoi les ouvriers de Tekel se sont lancés dans cette lutte. Les ouvriers de Tekel sont entrés en lutte contre la « politique du 4-C » de l’Etat turc. Ce dernier a placé des milliers d’ouvriers en plus de ceux de Tekel sous les conditions de travail du « 4-C ». Ces conditions sont celles qui attendent déjà des centaines de milliers d‘ouvriers, ceux du secteur du sucre en étant les prochaines victimes. A côté de cela, de nombreux secteurs de la classe ouvrière ont fait l’expérience d’attaques similaires sous d’autres appellations et de telles attaques attendent ceux qui n’en ont pas encore été frappées. Qu’est donc que ce « 4-C » ? Il s’agit de fait d’une pratique de « protection » mise en avant par l’Etat turc lorsque le nombre d’ouvriers qui ont perdu leur travail à cause des privatisations a augmenté. Cela implique d’abord, avec une sérieuse baisse de salaire, que les ouvriers du secteur public soient mutés dans différents autres endroits et secteurs de l’Etat dans les pires conditions. La pire d’entre elles introduite par le « 4-C » est qu’elle donne à l’Etat-patron un pouvoir absolu sur les ouvriers. Ainsi, le salaire, qui est fixé par l’Etat et qui est déjà massivement réduit, est simplement un prix maximum. Il peut être réduit arbitrairement par les dirigeants des entreprises d’Etat. De plus, les heures de travail sont complètement déréglementées et les directeurs d’usine ont arbitrairement le droit de faire travailler les ouvriers aussi longtemps qu’ils veulent, jusqu’à « la fin de la tâche qui leur est assignée ». En retour, les ouvriers ne touchent rien pour ce travail supplémentaire. Avec cette politique, les patrons ont le pouvoir de virer les ouvriers arbitrairement, sans qu’il y ait une quelconque compensation salariale. La période où les ouvriers peuvent travailler varie de trois à dix mois par an, rien ne leur étant payé durant les mois où ils ne travaillent pas, la durée de travail étant une fois encore arbitrairement décidée par les patrons. Malgré cela, il est interdit aux salariés de trouver un deuxième travail pendant les périodes où ils ne travaillent pas ou pendant leurs vacances. Les remboursements de sécurité sociale n’existent plus pour eux et toute assurance médicale leur est supprimée. Les privatisations, tout comme la politique du « 4-C », ont commencé depuis longtemps. Dans les entreprises de Tekel, seuls les départements de l’alcool et de la cigarette étaient privatisés, et ce processus a conduit les usines de tabac à fermer. Nous pensons qu’il est clair que le problème n’est pas seulement celui des privatisations. Il est évident qu’aussi bien le capital privé, qui prend le travail des ouvriers, que l’Etat, qui est le capital d’Etat, veulent surexploiter les ouvriers en les soumettant aux pires conditions d’exploitation et qu’ils joignent leurs forces dans cette attaque. En ce sens, on peut dire que le combat des ouvriers de Tekel est né des intérêts de classe de tous et est l’expression de la lutte contre l’ordre capitaliste tout entier.
Il faut encore expliquer la situation du mouvement de la classe ouvrière en Turquie dans la période où les ouvriers de Tekel ont déclenché leur lutte. Le 25 novembre 2009, une journée de grève était organisée par le KESK, le DISK et le Kamu-Sen [2]. La semaine où les ouvriers de Tekel se sont rendus à Ankara, deux autres luttes ouvrières étaient en cours. La première était des manifestations de pompiers qui devaient perdre leur emploi début 2010, la seconde était une journée de grève des cheminots contre le licenciement de certains collègues pour leur participation à la grève du 25 novembre. La police anti-émeutes, devant la montée des luttes, attaqua brutalement les pompiers et les cheminots. Les ouvriers de Tekel ne furent pas traités de façon différente. Jusqu'à 50 cheminots ont perdu leur emploi pour avoir participé à la grève. Plusieurs ouvriers ont été arrêtés et placés en garde à vue. Les pompiers allaient mettre du temps avant de se remettre de ces attaques, et malheureusement les cheminots n’ont pas entrepris de faire un retour si loin sur le terrain de la lutte de classe. Ce qui a poussé ceux de Tekel aux avant-postes de la lutte en décembre est le fait qu’ils se sont organisés pour se défendre contre les mesures répressives de l’Etat et qu’ils ont su garder leur lutte vivante et active.
Comment la lutte de Tekel commença-t-elle ? Il y avait déjà une forte minorité qui voulait se battre, dès le 5 décembre, lors d’une cérémonie présidée par Tayyip Erdogan [3]. Les ouvriers de Tekel, avec leurs familles, apostrophèrent à l’improviste Erdogan pour lui demander ce qui allait leur arriver. Ils interrompirent son discours en disant : « Les ouvriers de Tekel attendent que vous leur donniez de bonnes nouvelles par rapport à nos revendications » Erdogan répondit : « Il y a malheureusement une espèce d’individus qui s’est répandue en Turquie. Ce sont des fainéants qui veulent gagner de l’argent sans faire aucun travail, en se prélassant. L’ère où l’on gagnait de l’argent en se la coulant douce est terminée (…) Ils pensent que l’Etat est une vache à lait inépuisable et que quiconque n'en profite pas n’est qu’un porc. Voici comment ils posent le problème. Nous ne tolérerons plus cette mentalité et ce genre de situation. Si vous n’êtes pas d’accord pour accepter les règles du 4-C, vous êtes libres de créer vos propres entreprises. Nous avons dit cela aussi. Nous avons eu un accord avec vos syndicats. Je leur avais parlé et je leur avais dit : ‘Vous avez du temps. Mais faîtes ce qui est nécessaire pour faire adopter notre point de vue.’ Comme nous avons eu leur accord, eh bien là, le processus de négociation s'est terminé et nous avons laissé passer encore un ou deux ans. Mais certains sont encore ici pour dire des choses comme nous voulons garder notre travail et continuer comme avant, nous voulons garder les mêmes droits. Non, nous avons déjà négocié ces choses-là. 10 000 ouvriers de Tekel nous coûtent quarante milliards par mois. » [4] Erdogan n’avait pas idée des ennuis qu’il allait s’attirer. Les ouvriers, qui, pour la plupart avaient soutenu le gouvernement auparavant, étaient à présent en colère. La question de comment lancer une lutte était discutée sur les lieux de travail. Un ouvrier d’Adiyaman [5] explique le processus dans un article qu’il a écrit, publié par un journal gauchiste : « Ce processus a stimulé les collègues ouvriers (…) Ils ont commencé à voir le vrai visage du Parti de la Justice et du Développement (AKP) à cause des mots d’insultes prononcées par le Premier ministre. La première chose qu’ils firent a été de cesser d’être membre du parti. Dans les discussions qui démarraient sur les lieux de travail, nous avons décidé de protéger notre travail tous ensemble. » [6] Le syndicat [7] avec lequel Erdogan disait avoir passé un accord, et qui n’avait fait aucune action sérieuse pour les défendre, appela à un rassemblement à Ankara. En conséquence, les ouvriers prirent la route vers la capitale.
Les forces d’Etat avaient préparé une attaque sournoise contre les ouvriers dès le début. La police anti-émeutes arrêta les bus qui transportaient les ouvriers, déclarant qu’elle ne pouvait laisser passer les ouvriers des villes kurdes où les usines Tekel sont concentrées, mais que ceux des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, du Centre anatolien et de la mer Noire pouvaient passer. Cela avait pour but de dresser les ouvriers kurdes et les autres les uns contre les autres, et donc de diviser le mouvement sur des bases ethniques. Cette manœuvre déchira en réalité deux masques de l’Etat : celui de l’unité et de l’harmonie et celui de la réforme kurde [8]. Mais les ouvriers de Tekel ne sont pas tombés dans ce piège de la police. Les ouvriers de Tokat en tête [9], ceux venant d’en-dehors des villes kurdes protestèrent contre cette position de la police, et insistèrent avec détermination pour que tous entrent dans la ville ensemble et que pas un ne reste derrière. La police ne sachant pas quelle position le gouvernement risquait finalement d’adopter, finit par permettre aux ouvriers d’entrer en ville. Cet incident a fait en sorte que des ouvriers de différentes villes, différentes régions et ethnies tissent des liens profonds sur un terrain de classe. Suite à cet évènement, les ouvriers des régions de l’Ouest, de la Méditerranée, de l’Anatolie centrale et de la mer Noire devaient exprimer le sentiment que la force et l’inspiration transmises par la résistance, la détermination et la conscience des ouvriers kurdes avaient largement contribué à leur participation à la lutte, et aussi qu’ils avaient beaucoup appris des ces ouvriers. Les ouvriers de Tekel avaient remporté leur première victoire en entrant dans la ville.
Le 15 décembre, les ouvriers de Tekel ont démarré leur manifestation de protestation en face du quartier général du Parti de la Justice et du Développement à Ankara. L’un d’entre eux présent ce jour-là explique : « Nous avons marché sur le quartier général du Parti de la Justice et du Développement. Nous avons allumé un feu le soir et attendu en face de l’immeuble jusqu’à 22 h. Quand il se mit à faire trop froid, nous sommes allés au gymnase Atatürk. Nous étions 5000. Nous avons sorti nos tapis et des cartons pour y passer la nuit. Au matin, la police nous a repoussés vers le parc Abdi Ipekçi et nous a encerclés. Certains de nos camarades ont marché à nouveau vers le bâtiment du parti. Alors que nous attendions dans le parc, nous voulions aller à la rencontre de nos camarades et ceux qui étaient face à l’immeuble désiraient nous rejoindre : la police nous attaqua avec des tirs de gaz lacrymogène. Nous avions marché quatre heures. Nous avons passé la nuit dans le parc, sous la pluie. » [10] L’attaque la plus brutale de la police eut lieu le 17 décembre. Celle-ci, agissant évidemment sur ordre et peut-être afin de cacher le fait qu’elle n’avait pas pu empêcher les ouvriers kurdes d’entrer en ville, attaqua les ouvriers à l’intérieur du parc avec une grande violence et une véritable haine. Le but était de disperser les ouvriers. Cette fois-ci encore, il y avait quelque chose que les forces de l’ordre n’avaient pas prévu : la capacité des ouvriers à s’auto-organiser. Ces derniers, dispersés par la police, s’organisèrent sans l’aide d’aucun bureaucrate syndical et se réunirent dans une manifestation massive face au siège du Türk-Is [11] l’après-midi. Le même jour, n’ayant pas d’endroit où rester, ils occupèrent deux étages du bâtiment. Les jours suivant le 17 décembre, des manifestations eurent lieu dans la petite rue en face du siège du syndicat Türk-Is, au centre d’Ankara.
La lutte entre les ouvriers de Tekel et les syndicats du Türk-Is a marqué les jours suivant cette date jusqu’au Nouvel An. De fait, même au début de la grève, les ouvriers n’avaient pas confiance dans les dirigeants syndicaux. De chaque ville, ils avaient envoyé dans toutes les négociations deux ouvriers avec les syndicalistes. Le but était de faire en sorte que tous soient informés de ce qui se passait réellement. A la fois Tek Gida-Is et Türk-Is, ainsi que le gouvernement, attendaient que les grévistes renoncent au bout de quelques jours face à la fois au froid glacial de l’hiver d’Ankara, à la répression policière et aux difficultés matérielles. Évidemment, les portes de l’immeuble du Türk-Is furent immédiatement fermées un court moment pour empêcher les ouvriers d’y pénétrer. Contre cela, ces derniers réclamèrent avec succès que les femmes puissent se reposer dans l’immeuble et utiliser ses toilettes. Les ouvriers n’avaient pas l’intention de repartir. Un sérieux soutien leur fut apporté par la classe ouvrière d’Ankara et surtout par des étudiants des couches prolétariennes devant les difficultés matérielles. Une partie peut-être réduite mais néanmoins significative de la classe ouvrière d’Ankara se mobilisa pour accueillir les ouvriers chez eux. Au lieu de renoncer et de repartir, les ouvriers de Tekel se rassemblèrent chaque jour dans la petite rue en face de l’immeuble du Türk-Is, et commencèrent à discuter de comment faire avancer leur lutte. Il ne fallut pas longtemps pour réaliser que la seule solution pour dépasser leur isolement était d’étendre leur lutte au reste de la classe ouvrière.
Dans ce contexte, les ouvriers combatifs de toutes les villes qui avaient vu que le Tek Gida-Is et le Türk-Is ne faisaient rien pour eux essayèrent d’établir un comité de grève avec pour but principal de transmettre leurs revendications aux syndicats. Parmi ces revendications se trouvait la mise sur pied d’une grande tente pour les grévistes afin de célébrer collectivement le Nouvel An, ainsi que l'organisation d’une manifestation devant l’immeuble du Türk-Is. L’exécutif des syndicats s’opposa à cette initiative. Leur argument était qu’après tout, quel besoin avaient-ils des syndicats si les ouvriers se portaient en avant et prenaient le contrôle de leur lutte dans leurs propres mains ?! Cette attitude contenait derrière une menace à peine voilée : les ouvriers qui étaient déjà seuls craignaient d’être encore plus isolés si les syndicats leur retiraient leur soutien. Le comité de grève fut donc supprimé. A présent se posait la question de la volonté des ouvriers de conserver le contrôle de la lutte. Rapidement, ils s’efforcèrent de former des liens avec les ouvriers des usines du sucre qui se heurtaient déjà aux mêmes conditions du 4-C et allèrent vers les ouvriers des environs et dans les universités où ils étaient invités à expliquer leur lutte. En même temps, ils continuaient leur lutte contre la direction du Türk-Is qui n’était en aucune façon derrière eux. Le jour où le comité exécutif du syndicat se réunit, les ouvriers forcèrent les portes du quartier général syndical. La police anti-émeute fut mobilisée pour protéger le président du syndicat Mustafa Kumlu face aux ouvriers. Ceux-ci criaient des mots d’ordre comme : « Nous liquiderons qui nous trahit », « Le Türk-Is à son devoir, vers la grève générale », « Kumlu, démission ». Kumlu n’osa pas se montrer jusqu’à ce qu’il ait annoncé une série d’actions, y compris lancer des appels à la grève et accepter les manifestations hebdomadaires face au bâtiment du syndicat. Il avait peur pour sa vie. Même après cette déclaration de Kumlu, les ouvriers ne le croyaient toujours pas. Un ouvrier de Tekel venant de Diyarbakir [12] déclara dans une interview : « Nous ne suivrons aucune décision prise par la direction syndicale pour arrêter la grève et nous faire repartir. Et si une décision d’arrêter la grève sans rien gagner est prise comme l’an dernier, nous pensons à saccager l’immeuble du Türk-Is et à y mettre le feu » [13]. Il exprimait le sentiment de nombreux autres ouvriers de Tekel. Le Türk-Is revint sur son plan d’action lorsque la première grève d’une heure connut un taux de participation de 30% pour tous les syndicats. Les leaders syndicaux furent tout autant terrifiés que le gouvernement lui-même à l’idée de voir la lutte se généraliser. Après la chaleureuse manifestation du Nouvel An devant l’immeuble du Türk-Is, un vote à bulletins secrets fut organisé parmi les ouvriers pour décider s’ils continuaient ou retournaient chez eux. 99% votèrent pour la poursuite de la grève. Dans le même temps, un nouveau plan d’action, suggéré par le syndicat, commença à être mis en discussion : après le 15 janvier, il devait y avoir un sit-in de trois jours, suivi par une grève de la faim de trois jours et un jeûne complet de trois jours. Une manifestation avec une participation massive devait également avoir lieu, comme l’administration du Türk-Is le promettait. Les ouvriers pensaient au départ qu’une grève de la faim était une bonne idée. Étant déjà isolés, ils ne voulaient pas être oubliés et ignorés et pensaient qu’une grève de la faim pouvait éviter cela. Ils pensaient être embourbés face au Türk-Is et ressentaient le besoin de faire quelque chose. Une grève de la faim pouvait agir comme intimidation aussi pour le syndicat, pensaient-ils.
Un des textes les plus significatifs écrits par les ouvriers de Tekel a été publié ces jours-là. Il s’agit d’une lettre écrite par un ouvrier de Batman [14] aux ouvriers des usines de sucre : « A nos sœurs et frères ouvriers honorables et travailleurs de l’usine de sucre. Aujourd’hui, la lutte remarquable que les ouvriers de Tekel ont développée est une chance historique pour ceux dont les droits ont été retirés. Pour ne pas rater cette chance, votre participation dans notre lutte nous rendrait plus heureux et plus fort. Mes amis, j’aimerais spécialement indiquer que depuis longtemps les syndicalistes vous promettent l’espoir qu’ils « vont s’occuper de cette affaire ». Cependant, comme nous sommes passés par ce même processus, nous savons bien que ce sont de gens aisés qui n’y ont aucun intérêt vital à défendre. Au contraire, vous êtes ceux auxquels les droits seront enlevés et dont le droit au travail sera retiré. Si vous ne prenez pas part à la lutte aujourd’hui, demain sera trop tard pour vous. Cette lutte ne sera victorieuse que si vous êtes dedans et nous n’avons aucun doute ou manque de confiance en nous-mêmes pour nous en occuper. Parce que nous sommes sûrs que si les ouvriers sont unis et agissent comme un seul corps, il n’y a rien qu’ils ne puissent réussir. Avec ces sentiments, je vous salue avec ma plus profonde confiance et mon plus profond respect au nom de tous les ouvriers de Tekel. » [15] Cette lettre n’appelait pas seulement les ouvriers du sucre à rejoindre la lutte ; elle exprimait aussi très clairement ce qui s’était passé pour ces ouvriers de Tekel. En même temps, elle exprimait la conscience partagée par nombre d’entre eux qu’ils ne se battaient pas que pour eux-mêmes mais pour la classe ouvrière tout entière.
Le 15 janvier, d’autres ouvriers de Tekel vinrent à Ankara pour participer au sit-in mentionné précédemment. A présent, ils étaient presque 10 000 sur la place Sakarya. Certains membres de leurs familles étaient venus avec eux. Les ouvriers avaient pris des jours de congés maladie et des vacances pour venir à Ankara et la plupart d’entre eux devaient revenir plusieurs fois pour renouveler leurs permis de vacances. Presque tous les ouvriers de Tekel étaient présents [16]. Une manifestation avec une large participation fut planifiée pour le samedi 16 janvier. Les forces de l’ordre craignaient cette manifestation car elle pouvait faire naître la généralisation et l’extension massive de la lutte. La possibilité que des ouvriers arrivent le samedi pour la manifestation en passant la nuit et tout le dimanche avec les ouvriers de Tekel pouvait conduire à la construction de liens forts et massifs. Aussi, la police insista pour que la manifestation démarre le dimanche, et le Türk-Is, dans une manœuvre typique, affaiblit un peu plus la manifestation en faisant en sorte que les ouvriers des villes kurdes ne viennent pas. Il avait été aussi calculé que passer deux nuits dans l’hiver glacé d’Ankara, sans bouger en sit-in dans la rue, briserait la résistance et la force des ouvriers. On vit lors de la manifestation du 17 janvier que ce calcul était une sérieuse erreur.
Celle-ci commença dans le calme. Les ouvriers qui se rassemblaient à Ankara et plusieurs groupes politiques commencèrent à 10 h à marcher de la gare vers la place Sihhiye. Dans la manifestation, sous le regard de dizaines de milliers d’ouvriers, d’abord un ouvrier de Tekel, puis un pompier et un ouvrier du sucre prirent la parole sur une estrade. L’explosion de colère n’eut lieu qu’après lorsque Mustafa Kumlu s’installa après les ouvriers à la tribune. Kumlu, qui ne s’est jamais préoccupé de la lutte ni des conditions de vie des ouvriers de Tekel fit un discours complètement modéré, conciliateur et vide. Le Türk-Is avait fait un effort particulier pour garder les ouvriers à distance de l’estrade et avait mis au devant des ouvriers métallurgistes, qui n’étaient pas du tout au courant de ce qui se passait face à celle-ci. Mais ceux de Tekel, leur demandant de les laisser passer, s’arrangèrent pour venir directement devant la tribune. Tout au long du discours de Kumlu, ils firent de leur mieux pour l’interrompre avec leurs mots d’ordre. La dernière offense à l’égard des ouvriers fut l’annonce qu’après Kumlu, ce serait Alisan, un chanteur de pop qui n’avait rien à voir avec le mouvement, qui allait donner un concert. Les ouvriers investirent l’estrade, commençant à crier leurs mots d’ordre et malgré le fait que les chefs syndicaux baissaient la sono, les ouvriers qui étaient venus à la manifestation reprirent le micro. Pour cette fois, le syndicat perdit complètement le contrôle. C’était les ouvriers qui l’avaient. Les chefs syndicaux, se ruant sur l’estrade, commencèrent à faire des discours radicaux d’un côté et à essayer de l’autre d’en chasser les ouvriers. Comme cela ne marchait pas, ils essayèrent de les provoquer les uns contre les autres et s’en prirent aux étudiants et aux ouvriers qui venaient les soutenir. Les syndicalistes tentèrent encore de diviser les ouvriers qui étaient à Ankara depuis le début de la lutte de ceux qui étaient arrivés récemment, et ils essayèrent de cibler ceux qui venaient offrir leur aide. A la fin, les chefs syndicaux tentèrent de faire descendre ceux qui occupaient l’estrade, et convainquirent l’ensemble de retourner rapidement devant l’immeuble du Türk-Is. Le fait que les discours concernant les grèves de la faim et les jeûnes complets étaient mis en avant pour faire tomber les mots d’ordre sur la grève générale est, selon nous, intéressant. En aucun cas retourner vers l’immeuble du Türk-Is n’était assez pour éteindre la colère des ouvriers. Des mots d’ordre comme « Grève générale, résistance générale », « Türk-Is ne doit pas abuser de notre patience » et « Nous liquiderons qui nous trahit » étaient à présent criés devant le bâtiment. Quelques heures plus tard, un groupe d’environ 150 ouvriers se mit à casser la barricade dressée par les bureaucrates devant les portes du bâtiment et l’occupèrent. Les ouvriers de Tekel qui cherchaient Mustafa Kumlu dans l’immeuble commencèrent à crier « Ennemi des ouvriers, larbin de l’AKP » lorsqu’ils atteignirent la porte de Kumlu. Après la manifestation du 17 janvier, les efforts pour mettre en place un autre comité de grève resurgirent parmi les ouvriers. Ce comité était constitué d’ouvriers qui ne pensaient pas qu’une grève de la faim était une façon adaptée pour faire avancer la lutte et qu’il fallait au contraire étendre celle-ci. L’effort pour le former était connu de tous les ouvriers et soutenu par une très grande majorité. Ceux qui ne le soutenaient pas activement, n’étaient pas non plus contre. Parmi les tâches assignées au comité, plutôt que de transmettre leurs revendications aux syndicats, l’objectif fut de mettre en œuvre la communication et l’auto-organisation dans les rangs ouvriers. Comme le précédent comité de grève, celui-ci était entièrement composé d’ouvriers et complètement indépendant des syndicats. La même détermination d’auto-organisation permit que des centaines d’ouvriers de Tekel puissent se joindre à la manifestation des employés du secteur de la santé qui était en grève le 19 janvier. Le même jour, alors qu’il avait été permis à seulement une centaine d’ouvriers de participer à une grève de la faim de trois jours, 3000 ouvriers les rejoignirent, malgré le sentiment général parmi les ouvriers que cette grève de la faim n’était pas le moyen le plus approprié pour faire avancer la lutte. La raison qu’ils invoquaient était qu’ils ne voulaient pas laisser leurs camarades faire cette grève de la faim seuls, qu’ils voulaient, par solidarité, s’engager avec eux et partager ce qu’ils allaient traverser.
Bien que les ouvriers de Tekel aient fait des réunions régulières entre eux selon les villes d’où ils venaient, une assemblée générale avec tous les ouvriers participants n’avait pas été possible. Cela étant dit, depuis le 17 décembre, la rue face à l’immeuble du Türk-Is avait pris le caractère d’une assemblée générale informelle mais régulière. La place Sakkarya, ces jours-là, était pleine de centaines d’ouvriers de différentes villes, discutant comment développer la lutte, comment l’étendre, quoi faire. Une autre caractéristique importante de la lutte fut comment les ouvriers des différentes régions ethniques réussirent à s’unir contre l’ordre capitaliste malgré les provocations du régime. Le mot d’ordre « Ouvriers kurdes et turcs tous ensemble », lancé dès les premiers jours de la lutte, l’a exprimé très clairement. Dans la lutte de Tekel, de nombreux ouvriers de la région de la mer Noire dansèrent le Semame, et de nombreux kurdes firent la danse d’Horon pour la première fois de leur vie. [17] Un autre aspect significatif de l’approche des ouvriers de Tekel a été l’importance qu’ils donnèrent à l’extension de la lutte et à la solidarité ouvrière, et cela non pas sur la base étroite du nationalisme mais sur celle incluant le soutien mutuel et la solidarité des ouvriers du monde entier. Aussi, les ouvriers de Tekel évitèrent que des factions de la classe dominante dans l’opposition se servent de la lutte pour leurs propres buts car ils n’avaient aucune confiance en elles. Ils furent attentifs à comment le Parti Républicain du Peuple [18] (CHP, Cumhuriyet Halk Partisi) attaquait les ouvriers qui étaient licenciés de Kent AS [19], comment le Parti du Mouvement Nationaliste [20] (MHP, Milliyetçi Hareket Partisi) a joué son rôle dans l’aggravation de la politique étatique et anti-ouvrière. Un ouvrier a exprimé cette conscience très clairement : « Nous avons compris ce que nous sommes tous. Ceux qui ont voté pour la loi de privatisation nous disent aujourd’hui comment ils comprennent notre situation. Jusqu’ici, j’ai toujours voté pour le Parti du Mouvement Nationaliste. Ce n’est que dans cette lutte que j’ai rencontré des révolutionnaires. Je suis dans cette lutte parce que je suis un ouvrier. Les révolutionnaires sont toujours avec nous. Le Parti du Mouvement Nationaliste et le Parti Républicain du Peuple font cinq minutes de discours ici et puis s’en vont. Ils y en avaient parmi nous qui les chérissaient lorsqu’ils sont venus ici. A présent, la situation n’est plus la même. » [21] L’exemple le plus frappant de cette conscience s’est vu lorsque les ouvriers de Tekel ont empêché de parler des fascistes de l’Alperen Ocakları [22], la même organisation qui avait attaqué les ouvriers de Kent AS qui manifestaient dans le Parc Abdi Ipekçi parce qu’ils étaient Kurdes. La lutte de ceux de Tekel a également constitué un important soutien aux pompiers qui avaient été brutalement attaqués après leur première manifestation en leur redonnant le moral pour reprendre la lutte. De façon générale, les ouvriers de Tekel ont donné l’espoir non seulement aux pompiers mais à tous les secteurs de la classe ouvrière en Turquie qui veulent entrer en lutte. Ils ont fait en sorte de permettre à tous les ouvriers de participer à la grève. C’est pourquoi aujourd’hui, ils se tiennent fièrement à l’avant-garde de la classe ouvrière en Turquie. Ils ont permis aux ouvriers de Turquie de sortir du sommeil où ils étaient depuis des années en les faisant rejoindre les luttes ouvrières du monde entier. Ils représentent les graines de la grève de masse, comme celles qu’on a vu secouer le monde ces dernières années de l’Egypte à la Grèce, du Bangladesh à l’Espagne, de l’Angleterre à la Chine.
Cette lutte exemplaire (honorable ?) est toujours en cours, et nous pensons qu’il n’est pas encore temps d’en tirer toutes les leçons. Avec l’idée d’une grève de la faim et d’un jeûne total poussée en avant d’un côté, et de l’autre celle d’un comité de grève mis en œuvre par les ouvriers qui ne trouvent pas adaptée la grève de la faim pour la lutte et veulent au contraire l’étendre, avec les bureaucrates du Türk-Is qui font partie de l’Etat d’un côté et de l’autre les ouvriers qui veulent une grève générale, il est difficile de prévoir ce qui attend cette lutte, où elle ira, quels résultats elle obtiendra. Ceci étant dit, nous devons mettre l’accent sur le fait que, quelle qu’en soit l’issue, l’attitude remarquable des ouvriers de Tekel laissera des leçons inestimables pour toute la classe ouvrière.
Gerdûn (20 janvier 2010)
1. Tekel est la compagnie qui a eu le monopole d’Etat de toutes les entreprises de production d’alcool et de tabac.
2. Respectivement, la Confédération de Gauche des Syndicats des Ouvriers du Secteur Public, la Confédération des Syndicats Ouvriers Révolutionnaires, et la plus importante, la Confédération des Syndicats des Employés du Public, connu pour ses sympathies pro-fascistes.
3. Premier ministre, également dirigeant du Parti de la Justice et du Développement ou AKP (AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi).
4. https://www.cnnturk.com/2009/turkiye/12/05/erdogana.tekel.iscilerinden.p... [17]
5. Ville du Kurdistan turc.
6. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [18]
7. Tek Gıda-İş, Syndicat des Ouvriers de l’Alimentaire, de l’Alcool et du Tabac, membre de la centrale syndicale Türk-İş.
8. La "réforme kurde" est une tentative de l'Etat turc de trouver une solution au problème posé par la guérilla kurde dans l'Est du pays, en assouplissant les lois anti-kurde (par exemple en levant les interdictions contre l'utilisation de la langue kurde). Cette "réforme" a récemment pris du plomb dans l'aile avec l'interdiction en décembre 2009 du parti kurde DTP (voir aussi l'article sur notre site en anglais: https://en.internationalism.org/icconline/2009/10/turkey [19]).
9. Région connue traditionnellement pour son nationalisme et son soutien au parti au pouvoir.
10. https://www.evrensel.net/haber.php?haber_id=63999 [18]
11. Confédération des syndicats turcs, la plus ancienne et la plus grande confédération de syndicats en Turquie qui a une histoire tout à fait infâme, ayant été formée sous l’influence des Etats-Unis dans les années 1950 d’après le modèle de l’AFL-CIO, et saboteur depuis des luttes ouvrières.
12. Connue pour être la capitale non-officielle du Kurdistan, Diyarbakır est une métropole du Kurdistan turc.
13. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [20]
14. Ville du Kurdistan turc.
15. https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2009/tekel-isc... [21]
16. Environ 9000 sur les 10 000 de l’entreprise.
17. Le Şemame est une danse kurde très connue, et le Horon une autre également très connue de la région de la mer Noire de Turquie.
18. Le parti nationaliste de gauche, kémaliste, sécuritaire, membre de l’Internationale socialiste, extrêmement chauvin.
19. Les ouvriers de la municipalité d’İzmir, une métropole de la côte de la mer Egée. Ces ouvriers ont été licenciés par le Parti Républicain du Peuple qui contrôlait la municipalité où ils travaillaient et ensuite brutalement attaquées par la police alors qu’ils manifestaient contre le dirigeant du parti.
20. Le principal parti fasciste.
21. https://www.kizilbayrak.net/sinif-hareketi/haber/arsiv/2009/12/30/select... [20]
22. Gang meurtrier lié au Grand Parti d'Union (BBP, Büyük Birlik Partisi), une scission fasciste radicale du Parti du Mouvement Nationaliste.
Le 2 février dernier, un élève de 14 ans est passé à tabac par une bande d’adolescents dans la cour du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine. Blessé à coups de couteau, il sera hospitalisé d’urgence. Immédiatement, les 180 enseignants de cet établissement scolaire de la région parisienne, à la fois choqués et ulcérés, arrêtent les cours et exercent leur « droit de retrait » 1.
Depuis lors, ces enseignants continuent de manifester leur colère. Ils refusent de reprendre le travail malgré les pressions qui s’exercent sur eux de toutes parts. Le Recteur et l’Inspecteur d’Académie ne cessent de répéter en chœur aux médias qu’ils ont à faire à des « irresponsables », qu’il est parfaitement « inacceptable » que des enseignants laissent leurs élèves désœuvrés. Les plus hautes sphères de l’Etat menacent elles aussi d’abattre leur foudre sur cette poignée de travailleurs. Le gouvernement considère ainsi que ces enseignants n’exercent pas un « droit de retrait » face à un danger mais un « droit de grève ». Les journées de fermeture de l’établissement ne seront donc pas payées. Les salaires, déjà maigres, vont être probablement largement amputés ! Pour autant, jusqu’à maintenant, ces 180 enseignants ne se sont pas laissés impressionner. Ils semblent déterminés à « se faire entendre ». Leurs conditions de travail sont devenues totalement insupportables et intolérables. Il faut dire que sur cet immense complexe scolaire de 36 hectares et 1500 élèves, il n’y a que 11 surveillants ! Ces 11 salariés doivent gérer les entrées et les sorties des élèves, s’occuper de la cour, des permanences (de plus en plus surchargées puisqu’il n’y a presque plus d’enseignants remplaçants), calmer les élèves dissipés exclus des cours, surveiller la cantine, gérer les absences et les retards, prévenir les familles, accompagner les malades à l’infirmerie et souvent les réconforter… Sans tout ce travail éducatif, absolument nécessaire, l’ambiance générale d’un établissement se dégrade très vite, les incidents se multiplient et les enseignants sont confrontés à des classes de plus en plus ingérables. C’est pourquoi les enseignants de Vitry réclament 11 surveillants supplémentaires, soit le minimum pour que l’établissement fonctionne correctement.
Pour que leur revendication soit satisfaite, ils ont multiplié les « actions ». Ils ont ainsi d’abord envoyé une délégation au rectorat de l’Académie de Créteil puis, devant le mutisme de la hiérarchie, ils ont réalisé une série de manifestations devant ces bâtiments. Le Recteur ne voulant toujours rien entendre, ils ont ensuite décidé d’en appeler directement au ministre de l’Education Nationale, Luc Chatel, en se mobilisant devant le ministère… sans plus de résultat. Plus exactement, ce Monsieur a consenti à « faire un geste » en proposant 3 postes supplémentaires de surveillants et 6 postes de médiateurs de la vie scolaire. Les professeurs ont légitimement rejeté cette « offre » car, comme ils l’expliquent eux-mêmes, «Les médiateurs ne sont pas formés, ils disposent d’un statut précaire [CDD de six mois renouvelable, ndlr] et ne font que vingt heures par semaine au lieu de trente-cinq comme les surveillants. » 2 Ils réclament aujourd’hui un débat public et télévisé avec le ministre.
Où mènent toutes ces actions ? Elles révèlent sans aucun doute la détermination de ces enseignants. Leur colère est légitime et fondée. Mais en cherchant ainsi à « se faire entendre » de l’Inspecteur, du Recteur, du Ministre, en cherchant l’appui des parlementaires et des élus, que peuvent bien gagner ces travailleurs ? Est-ce là réellement la meilleure façon de mener la lutte, d’endiguer la dégradation continuelle de nos conditions de vie et de travail ? Ne s’agit-il pas là, au contraire, d’une impasse ?
L’isolement, la lutte chacun « dans son coin » est toujours un piège pour les travailleurs. Aussi courageux et nombreux soient-ils, des salariés d’une seule boîte (ou d’un seul établissement scolaire) ne font pas le poids face à un patron (ou à un recteur) car celui-ci a toujours caché l'État derrière lui ou ouvertement à ses côtés !
Même quand c’est un secteur tout entier qui entre en grève, cela ne suffit généralement pas. Une lutte circonscrite à une branche d’industrie ou d’activité par exemple est, elle-aussi, condamnée à la défaite. Rappelons-nous du printemps 2003 ! Il y a 7 ans, contre la réforme des retraites de Fillon (déjà), tous les enseignants de France, du primaire et du secondaire, se dressaient comme un seul homme et descendaient dans la rue. Et pourtant, cette lutte a échoué car elle est restée circonscrite au seul secteur de l’Education Nationale. Elle n’est pas parvenue à entraîner derrière elle les autres parties de la classe ouvrière et n’a donc pas fait trembler la bourgeoisie et son Etat. A l’époque, la colère était pourtant très grande. En particulier dans l’Académie de Créteil, la mobilisation avait été extrêmement forte ; des collèges et des lycées avaient été fermés pendant des mois !
Seule l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière peut inquiéter la bourgeoisie. La preuve en positif cette fois-ci. En 2006, les étudiants sont parvenus à faire reculer le gouvernement qui a été contraint de retirer son Contrat Première Embauche, ce "Contrat Poubelle Embauche" comme le rebaptisèrent à l’époque les jeunes générations. Pourquoi ce recul ? Parce que peu à peu, au fil des semaines, une partie de plus en plus grande de la classe ouvrière se reconnaissait dans le combat des étudiants. De manifestation en manifestation, il y a avait de plus en plus de salariés de tous les secteurs, de chômeurs, de retraités… qui comprenaient que la précarité des jeunes c’était la précarité de tous !
Les enseignants de Vitry doivent tirer les leçons de cet échec de 2003 et de cette victoire de 2006. Il manque des surveillants dans ce lycée ? C’est la même chose dans tous les établissements scolaires ! Le gouvernement embauche de moins en moins, multiplie les contrats précaires (des surveillants comme des enseignants contractuels d’ailleurs) à l’Education Nationale 3 ? C’est la même chose dans tous les ministères et dans toutes les entreprises du privé ! Tous les travailleurs vivent la même réalité, dans les hôpitaux, les administrations, les usines. Ils subissent eux-aussi de plein fouet les réductions d’effectifs et les plans de licenciements. Alors, oui, il faut se battre, non pas pour « ses » postes ou « son » établissement, mais pour des embauches et contre la précarité, partout, à Vitry comme ailleurs.
Des enseignants en lutte sur le terrain pourraient nous répondre qu’en rendant ainsi public et médiatique leur lutte, ils mettent la pression sur le ministre et ont ainsi des chances d’avoir au bout du compte leurs 11 postes de surveillants. Il est vrai que nous ne savons pas encore quel est le plan de l’Etat. En fait, il doit y avoir une bonne raison pour que les médias aux ordres de la bourgeoise parlent effectivement autant de cette mobilisation des enseignants. Quand une lutte l’embarrasse, la bourgeoisie n’hésite pas à la cacher, à exercer un total black-out. Qui a ainsi entendu parler des grandes luttes qui ont lieu en Turquie en ce moment ? Personne ou presque. Si la bourgeoisie braque ses projecteurs médiatiques sur ce lycée de Vitry, c’est qu’elle a certainement une idée en tête. Il y a deux raisons. Soit elle ne va pas donner les 11 postes pour montrer aux yeux de tous les ouvriers que « la lutte ne paie pas », soit elle va satisfaire un peu leurs revendications localement pour mieux supprimer en catimini des milliers de postes dans les autres écoles.
Pour rompre leur isolement, pour lutter contre la dégradation des conditions de vie et de travail qui frappe toute la classe ouvrière et tous les secteurs, ces 180 enseignants doivent utiliser leur colère et leur combativité pour essayer d’entraîner à leurs côtés les autres exploités. Il faut aller, tous ensemble, dans les établissements scolaires voisins et expliquer aux collègues que cette lutte est aussi « leur » lutte. Les écoles toutes proches ne manquent pas. Il y a les collèges Gustave-Monod, Jean-Perrin, Lakanal, Danielle-Casanova, François- Rabelais ; les lycées privés Jean-Macé et Jean-Jacques-Rousseau. Mais pour ne pas rester enfermés dans le seul secteur de l’Education Nationale, comme en 2003, il faut aussi aller à la rencontre des travailleurs des autres branches, les hôpitaux ou les grandes administrations voisines, les entreprises… Dans le même département, il y a deux magasins Ikéa dont les salariés sont aussi en lutte. Aller les rencontrer, discuter, mettre en avant des revendications communes (et nous ne parlons pas là de simple rencontre entre délégués syndicaux, mais bien de délégations massives), voilà ce qui peut faire « tâche d’huile ». Il y a aussi, sur la même commune, l’usine Sanofi qui est touchée par un vaste plan de restructuration et dont le personnel manifestait il y a deux mois encore.
Essayer d'étendre ainsi la lutte, géographiquement, de proche en proche, signifie tenter de briser le corporatisme imposé par les syndicats. Toutes les actions de ces derniers, ou presque, enferment les travailleurs dans « leur » boîte, « leur » corporation. Par exemple, les syndicats d’enseignants ont appelé le 11 février une quarantaine d’établissements de la seule académie de Créteil à une journée de grève et ont organisé un rassemblement devant l’Assemblée nationale afin « d’interpeller et de faire pression sur les parlementaires ». Cette manifestation a rassemblé entre 1500 et 2000 personnes (enseignants, parents et élèves). Pour éviter ce type d’actions totalement stériles et démoralisantes, il faut pouvoir discuter collectivement de comment lutter au sein d’Assemblées Générales souveraines, organisées réellement par les travailleurs eux-même (contrairement à toutes ces AG bidons où les syndicats, qui président, ont déjà tout organisé et planifié à l’avance et où il ne reste plus qu’à choisir qui va faire les banderoles). C’est en de tels lieux, lors de tels débats ouverts entre travailleurs en colère que la décision d’aller tous ensemble au lycée, à l’hôpital, à l’usine la plus proche prend tout son sens et toute sa valeur. C’est en de tels moments de lutte qu’une véritable dynamique de classe peut être enclenchée.
Il ne s’agit pas là d’une recette miracle. Nous en avons bien conscience. Oser contredire les délégués syndicaux, même se confronter à leurs manoeuvres et essayer d’entraîner derrière soi les autres exploités à lutter, tout ça n’est pas chose facile. Pour mille tentatives, peut-être une seule sera efficace. Mais il s’agit là de la seule voie à emprunter, la seule qui permet de construire collectivement un rapport de force favorable à la classe ouvrière.
Plus encore, même si mener une telle lutte ne paye pas toujours comme elle l'a été en 2006, même si elle n’apporte rien sur le plan matériel, elle remonte le moral. Rien n’est plus vivifiant que d’essayer d’étendre la lutte de proche en proche, en allant massivement à la boîte, à l’usine, à l’administration d’à-côté. Il faut faire vivre la solidarité ouvrière, l’entraide, la lutte collective.
Ce n’est qu’en se battant tous ensemble et tous unis qu’on parviendra à résister efficacement aux attaques incessantes et de plus en plus brutales du capital !
PW (14 février)
1 Une loi de décembre 1982 a reconnu un droit d’alerte et de retrait au bénéfice du salarié « qui a un motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle il se trouve présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. » Ce droit de suspendre son activité professionnelle a été étendu depuis 1995 aux agents de la fonction publique dans l’exercice de leurs fonctions.
2 Site de Libération du 9 février (https://www.liberation.fr/societe/0101618167-vitry-les-profs-avancent-le... [24]).
3 Cette année, le nombre d’enseignants non titulaires employés par l’Education nationale a augmenté de 28% par rapport à l’année précédente dans le seul rectorat de Créteil
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru sur le site Internet du CCI en anglais depuis le 5 février. Il révèle que la colère et la combativité continuent d’animer le prolétariat en Grèce depuis un an comme le montre l’importante lutte de janvier-février 2009.
Cet article a aussi parfaitement anticipé ce qui se déroulerait le 10 février : une journée de grève suivie massivement par une classe ouvrière qui ne veut plus subir les violentes attaques de l’Etat et des syndicats manœuvrant pour diviser les ouvriers et stériliser le mécontentement grandissant. Comme nous l’écrivons dans la dernière partie de ce texte, les « attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent aux ouvriers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes ». Mais, pour y faire face, les syndicats se mobilisent. Ils ont programmé dès janvier 2010 « un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février. Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l'Etat grec à genoux ».
Il y a un an, il y a eu trois semaines de luttes massives dans les rues de Grèce après l'assassinat par la police d'un jeune anarchiste, Alexandros Grigoropoulos. Mais le mouvement dans la rue, dans les écoles et les universités a eu de grandes difficultés à se coordonner avec les luttes sur les lieux de travail. Il n'y a eu qu'une seule grève, celle des enseignants du primaire qui, pendant une matinée, avait soutenu le mouvement. Même si ce fut une période de troubles sociaux massifs, incluant une grève générale, les liaisons n’ont finalement pas pu se faire.
Toutefois, en Grèce, les actions de travailleurs se sont poursuivies au-delà de la fin du mouvement de protestation jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, le ministre du Travail, Andreas Lomberdos, a été contraint d’adresser une mise en garde à la bourgeoisie internationale. Il a affirmé que les mesures nécessaires dans les trois prochains mois, pour sortir de l’eau la dette nationale dans la crise qui menace de jeter la Grèce hors de la zone euro, pourraient entraîner une effusion de sang. « Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour empêcher cela » a-t-il ajouté. Plus récemment, le mois dernier, le Premier ministre grec, dans un discours devant le Parlement, a déclaré que la crise de la dette nationale est « la première crise de souveraineté nationale depuis 1974 ». Le nouveau gouvernement socialiste parle de réunir tous les partis bourgeois et tente de constituer un gouvernement d’unité nationale d’urgence qui serait en mesure de suspendre des articles de la Constitution garantissant le droit de réunion publique, de manifestation et de grève !
Même avant que le gouvernement ait tenté de mettre en œuvre ses «réformes» (autrement dit, les attaques contre la classe ouvrière) pour réduire le déficit budgétaire de 12,7% à 2,8%, il y a eu une grande vague de luttes ouvrières. Lors de ces deux derniers mois, les dockers ont été en grève ainsi que les travailleurs de Telecom, les éboueurs, les médecins, les infirmières, les enseignants des écoles maternelles et primaires, les chauffeurs de taxi, les ouvriers de la sidérurgie et les employés municipaux ! A priori, toutes ces luttes semblent éclater chaque fois pour des raisons distinctes mais en réalité elles sont toutes des réponses aux attaques que l'Etat et le capital sont contraints de porter pour essayer de faire payer la crise aux travailleurs.
Avant que le programme d'austérité ait été mis en avant (et approuvé par l'Union Européenne), le Premier Ministre Papandreou avait averti qu'il serait « douloureux ». Et le 29 janvier, avant que le moindre détail en ait été annoncé, il y a eu, en réponse à l'actuel « programme de stabilité », une manifestation de colère de la part des pompiers et d’autres travailleurs du secteur public à Athènes.
Le plan gouvernemental sur trois ans prévoyait un gel total des salaires pour les travailleurs du secteur public et une réduction de 10% des quotas. On estime que cela équivaut à une diminution de salaire allant de 5 à 15%. Les fonctionnaires partant à la retraite ne seront pas remplacés, mais il y a aussi la perspective de l’augmentation de l'âge du départ à la retraite qui est présentée comme un moyen pour l'Etat d'économiser sur les charges de retraite.
Le fait que l'Etat est maintenant contraint de porter des attaques encore plus sévères contre une classe ouvrière déjà combative révèle la profondeur de la crise qui affecte la Grèce. Le ministre Lomberdos l’a précisé très clairement quand il a dit que ces mesures « ne peuvent être appliquées que de façon violente ». Cependant, ces attaques portées contre tous les secteurs ouvriers au même moment donnent à ces derniers une réelle possibilité de mener une lutte commune pour des revendications communes.
Si on examine attentivement ce que font les syndicats en Grèce, on peut voir que leurs actions ont pour objectif de maintenir les luttes divisées. Les 4 et 5 février, il y a eu une grève officielle de 48 heures des douaniers et des agents des impôts qui ont fermé les ports et les points de passage frontaliers, pendant que certains agriculteurs maintenaient leur blocus. L’Indépendant (5/2/10) a titré « Les grèves mettent la Grèce sur les genoux » et décrit l'action comme la « première manifestation d'une éruption attendue de grèves tapageuses ».
Cette « éruption attendue » de la grève comprend un projet de grève du secteur public et une marche sur le parlement pour protester contre les attaques contre les retraites par le syndicat ADEDY, le 10 février, une grève appelée par le PAME, le syndicat stalinien, le 11 février, et une grève du secteur privé appelée par le GSEE, le syndicat le plus important, ce qui représente 2 millions de travailleurs, le 24 février.
Divisée de cette manière, la classe ouvrière ne va pas mettre l'Etat grec « à genoux ». Le Financial Times du 5 février estimait que jusqu'à présent « les syndicats ont réagi modérément aux plans d'austérité du gouvernement, ce qui reflète un état d'esprit de disposition à faire des sacrifices pour surmonter la crise économique», mais identifie tout de même « une réaction violente des syndicats contre les programme d'austérité du gouvernement ». En réalité, les syndicats n'ont pas soudainement négligé leur soutien au gouvernement socialiste mais, avec la montée de la colère exprimée par la classe ouvrière, ils savent que s'ils ne mettent pas en scène quelques actions il y a la possibilité que les travailleurs commencent à démasquer la comédie syndicale. Pour le moment les syndicats ont affiché leur visage radical, rompu le dialogue sur les plans d'avenir pour les retraites et prévu des grèves d’une à deux journées à des dates différentes. Les syndicats se sont montrés vraiment désireux que les travailleurs fassent des sacrifices mais maintenant ils doivent tenir compte de la réaction de la classe ouvrière.
Pour les travailleurs, concernant le développement futur de leurs luttes, il est nécessaire qu’ils se méfient non seulement des syndicats mais aussi d'autres ‘faux amis’. Le KKE (parti communiste grec), par exemple, qui possède une certaine influence dans la classe ouvrière, qualifiait il y a un an les manifestants d' agents secrets de « mystérieuses forces étrangères » et de « provocateurs ». Maintenant, ils disent que « les travailleurs et les agriculteurs ont le droit de recourir à tous les moyens de lutte pour défendre leurs droits ». Les autres forces de gauche, comme les trotskistes, sont aussi là pour dévoyer la colère des travailleurs, en focalisant l’attention contre les fascistes ou d’autres forces de droite, ou contre l'influence de l'impérialisme américain - tout et n’importe quoi pour que les travailleurs ne prennent pas leurs luttes dans leurs propres mains et ne les dirigent contre le plus haut représentant du capital, l’Etat. Avec des grèves dans le pays voisin, la Turquie, qui se passent en même temps que les grèves en Grèce1, les syndicats et leurs alliés seront particulièrement attentifs à ce que tous les problèmes que rencontrent les ouvriers soient dépeints comme étant spécifiquement grecs et non comme l’expression de la crise internationale et irrémédiable du capitalisme.
Ce qui est caractéristique de la situation en Grèce, c'est la prolifération de divers groupes armés qui bombardent des bâtiments publics, mais qui ne font qu’ajouter un peu plus de violence au spectacle habituel, tout en favorisant davantage de répression de la part de l'Etat. Ces groupes, aux noms exotiques comme la Conjuration des Cellules du Feu, le Groupe de Guérilla des Terroristes ou de la Fraction nihiliste, n’offrent strictement rien comme perspective à la classe ouvrière. Les ouvriers ne peuvent construire leur solidarité de classe, prendre conscience de leur force et développer leur confiance en eux qu’à partir de leurs propres luttes, en développant leurs propres formes d'organisation, non en restant assis à la maison à regarder à la télévision des bombes placées par des gauchistes radicaux. Le bruit qui court à propos d’un meeting de masse de travailleurs discutant de la façon d'organiser leur propre lutte effraie plus la classe dirigeante que des milliers de bombes.
DD (5 février)
1 Lire notre article « Turquie : Solidarité avec la résistance des ouvriers de Tekel contre le gouvernement et les syndicats ! [27] »Nous publions ci-dessous un tract de la section du CCI en Espagne, largement diffusé lors des manifestations syndicales organisées le 23 février dans les principales villes du pays.
Au milieu d’un des hivers les plus rigoureux dont on se souvienne, ce sont les annonces du trio « Gouvernement-Patronat-Syndicats » pendant la première semaine de février qui nous ont glacé le sang : recul de l’âge de la retraite, coupes budgétaires, nouvelle réforme du travail, etc.
La semaine suivante, comme s’il s’agissait d’une douche écossaise, ces mêmes acteurs ont occupé la scène pour nous « tranquilliser », Zapatero disant que la réforme des retraites était « négociable », que les coupes budgétaires « ne toucheraient pas la protection sociale » et les syndicats comme le patronat se sont déclarés « satisfaits » de cette réforme du travail.
Quelle est la réalité ? Est-ce qu’on peut penser « qu’il n’y a pas encore le feu au lac » ? Ou, au contraire, devons-nous ressentir une grande inquiétude vis-à-vis de ce qui nous attend ?
Pour comprendre ce qui se passe, nous devons analyser la situation économique mondiale et ses perspectives d’évolution. Et celles-ci sont très négatives, contrairement aux insistants messages selon lesquels « on est en train de sortir de la crise ». Les taux de croissance sont en fait rachitiques : …le plus élevé est celui de la France… 0,6% ! (le journal Le Monde annonçant que « la reprise sera plus faible que prévu »).
En réalité, on est entré dans une nouvelle étape de la crise, suite et conséquence de l’étape précédente, caractérisée par une crise des déficits. En 2008, les Etats ont injecté dans le trou noir des banques des sommes pharamineuses, en poursuivant par des plans de sauvetage des industries clés, telles que l’automobile et le bâtiment, en Espagne. Ceci a conduit à un endettement colossal des Etats. Et à la tête de cet hyper-endettement se trouvent les Etats-Unis eux-mêmes, suivis par la Grande-Bretagne. En Europe, l’Irlande, l’Islande, le Portugal, l’Italie et, surtout, la Grèce et l’Espagne. Ces États, frappés par un déficit insupportable, sont au bord de la banqueroute.
Dans la zone euro, construite sur la base du pacte de stabilité qui interdit des déficits dépassant 3% du PIB, la crise est très grave, menaçant l’euro et tout le système qui le soutient.
Tout cela oblige à prendre des mesures dans les pays où le déficit est plus élevé : la Grèce et l’Espagne.
Et quelles mesures va prendre la bourgeoisie ? Dans le capitalisme, les seules mesures que le système peut envisager sont celles qui consistent à attaquer à fond les ouvriers et la majorité de la population travailleuse.
S’attendre à autre chose, s’attendre à ce que « les riches payent » ou que « les charges soient réparties équitablement », c’est croire aux contes de fées, croire que l’État est « neutre », qu’il « appartient à tous ». L’Etat, son gouvernement et les institutions qui le composent (partis d’opposition, syndicats, patronat, église, etc.) sont tous avec le capital, ils le défendent par tous les moyens, légaux et illégaux, de gré ou de force.
C’est ainsi que les « socialistes » grecs arrivés au pouvoir en octobre 2009 avec la promesse « d’augmenter la consommation des travailleurs pour sortir de la crise » ont fait exactement le contraire : ils ont baissé le salaire des fonctionnaires, ont annulé le treizième mois, réduit les retraites, augmenté la TVA...
Mais ces mesures en Grèce ne sont pas quelque chose d’isolé et de particulier. Dans un pays où « ça va mieux », comme la France, le gouvernement a lancé la proposition d’un nouveau coup de hache dans les retraites.
Zapatero s’égosille à dire que « L’Espagne, ce n’est pas la Grèce ». En effet, l’Espagne ne se trouve pas dans la même situation que la Grèce, pour la simple raison que, dans le pays ibérique, la situation est bien pire. Pourquoi, ? parce que l’Espagne est la quatrième économie de la zone euro, par la profondeur insondable de la spéculation immobilière, à cause d’un chômage débridé, par l’ampleur démesurée du déficit de l’Etat. Ainsi, les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir.
Si, déjà, les souffrances au cours de ces deux dernières années ont été cruelles (il n’y a qu’à aller demander aux plus de quatre millions de chômeurs, aux milliers de familles qui ont perdu leur maison ou aux ouvriers qui doivent supporter des retards de salaire ou d’allocations de plus de 3 mois !), si, déjà, les mesures annoncées signifient un coup bien plus dur, ce qui va nous arriver demain sera bien pire.
Les syndicats ont accepté la réforme du travail ; ils ne se sont pas opposés aux coupes budgétaires et viennent de signer avec le patronat un gel de salaires, un accord qui comporte une clause de possibilité de décrochage qui permet au patron de jeter par-dessus bord ces accords « en cas de crise »…Tout cela est pour eux acceptable, mais, par contre, ils se sont mis à pousser des cris d’orfraie face à la retraite à 67 ans. Ils ont convoqué des manifestations pour ce 23 février.
Pourquoi cela ? Ce qu’ils cherchent, c’est à nous limiter et à nous enfermer dans une seule question, celle de la retraite, où le gouvernement aura beau jeu de faire semblant de reculer maintenant pour nous attaquer de plus belle un peu plus tard, dans quelques mois en utilisant le mécanisme plus discret du pacte de Tolède1 où, comme cela a été fait jusqu’à maintenant, on peut changer l’âge de la retraite, baisser les pensions, etc., sans publicité et en nous plaçant devant les faits accomplis.
Ils veulent ainsi nous dévoyer vers une « lutte » offrant un paquet cadeau aux syndicats pour qu’ils puissent redorer leur blason, pour nous faire momentanément ressentir l’illusion d’avoir gagné quelque chose... et nous réveiller après avec le cauchemar réel qu’on nous a fait avaler toutes les autres attaques avec la perspective d’autres supplémentaires.
Les plans que les syndicats ont considérés comme étant acceptables annoncent des coups très durs ! Le coup de massue des coupes budgétaires, nous le ressentirons à travers la baisse des emplois, les réajustements salariaux et de personnel dans les administrations publiques, dans le service détérioré des hôpitaux, celui des écoles, des transports... Le fer rouge de la réforme du travail, nous le ressentirons dans la généralisation des indemnités pour cause de licenciement qui vont être ramenées à 33 jours… et la voie est ouverte vers les 20 jours !2. Nous le ressentirons dans le fait que « la transformation des embauches à temps partiel en CDI » permet aux entreprises de nous faire travailler une journée complète avec le salaire d’une journée à temps partiel...
Et il y a un événement qu’on a fait passer comme une lettre à la poste, sans que personne ne rechigne : le décret-loi contre les contrôleurs aériens. D’abord, le gouvernement a lancé une campagne passablement dégueulasse de lynchage médiatique en présentant les contrôleurs comme des « privilégiés », qui vivraient comme des rois à ne rien foutre alors que leur travail est un des plus risqués et où la tension nerveuse est plus forte. À la suite de cette campagne, le décret-loi est un précédent dangereux qu’on utilisera sans le moindre doute contre d’autres secteurs.
Peut-on lutter en nous laissant entraîner derrière les syndicats ? Définitivement, non ! Leurs « mobilisations » ce n’est que se foutre de notre gueule ou une sinistre plaisanterie, si on veut être un peu plus délicat. Ils font la même chose depuis 40 ans : ils signent des deux mains tout ce que le gouvernement et le patronat leur demande de signer et, après, de temps à autre, ils organisent une « journée de lutte » décaféinée, qui ne sert qu’à semer le découragement et la division chez les ouvriers.
Une des raisons du fait que les gens ne réagissent pas, c’est justement du fait de l’action des syndicats. Ils se proclament « représentants des travailleurs », mais avec leurs accords avec le patronat et le gouvernement, avec leurs coups bas, leurs appels-bidon à se mobiliser, ils découragent et rendent désabusés et sceptiques beaucoup d’ouvriers.
Une autre cause qui rend difficile la lutte ouvrière est l’idéologie même que cette société sécrète, une idéologie faite d’individualisme, d’atomisation, de concurrence, de chacun pour soi et de guerre de tous contre tous. Ces virus pénètrent dans nos têtes et dans nos cœurs, en nous refermant sur nous-mêmes, en rendant difficiles la solidarité et la camaraderie qui sont le seul acier pour forger nos armes.
Cet individualisme est fomenté par les méthodes syndicales qui nous font suivre de façon passive et individuelle leurs appels, au lieu de nous rassembler, de nous réunir, de discuter et décider ensemble. Cette atomisation est développée par l’idéologie de l’attentisme électoraliste, avec l’espoir que grâce au vote isolé et individuel puisse apparaître le leader charismatique qui promet des « solutions » et qui ne fait autre chose que mener des attaques encore plus dures. Les partis du capitalisme, autant ceux de gauche que ceux de droite, lorsqu’ils sont dans l’opposition disent ce qu’ils ne feront jamais et, quand ils sont au gouvernement, font ce qu’ils n’avaient jamais dit.
C’est pour tout cela que la lutte des ouvriers doit être organisée, contrôlée et dirigée par les ouvriers eux-mêmes. C’est ainsi que se sont déroulées les luttes qui, dans les années 1970-76, se sont résolument opposées aux attaques du gouvernement franquiste à l’époque où les travailleurs n’avaient « personne qui les défendait ». Et il en a été de même tout au long de l’histoire : les grandes luttes des travailleurs dans le monde ont été organisées par eux-mêmes dans des assemblées et, lors des situations révolutionnaires, en conseils ouvriers.
La Première Internationale affirmait que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Le Manifeste communiste mettait en avant que le mouvement ouvrier ne peut être que le mouvement indépendant de la grande majorité au bénéfice de la grande majorité.
Les ouvriers qui prennent conscience de ces nécessités doivent se réunir, s’organiser, encourager les autres, impulser une lutte autonome de classe. Lors des manifestations convoquées par les syndicats, au lieu de suivre leurs consignes avec passivité, nous devons en profiter pour nouer des contacts, pour convoquer des assemblées générales où l’on puisse discuter de ce qui nous intéresse, de comment organiser notre défense.
La lutte ne passe pas par les convocations syndicales, mais par le fait que chaque fois qu’une lutte surgit, aussi petite soit-elle, on aille à la recherche de la solidarité et de l’extension de cette lutte aux autres travailleurs. Nous sommes tous touchés ! Ce serait une illusion de croire que, dans son secteur, dans son entreprise, dans sa corporation, on pourrait être à l’abri en nous protégeant de tout ce qui nous tombe dessus. Ce n’est qu’en brisant les prisons du secteur, de l’entreprise, de la région, de la race… que nous pourrons vraiment nous défendre. La solidarité et l’unité, voilà notre force.
Les travailleurs en Grèce ont commencé à protester contre les attaques qui leur tombent dessus. La solidarité avec eux pour résister aux mesures du « socialiste » Papandreou est une solidarité avec nous-mêmes, nous travailleurs en Espagne, parce que si le pouvoir arrive à imposer les mesures brutales prévues en Grèce, il se sentira encore plus fort et arrogant pour les imposer en Espagne. La solidarité internationale est notre force.
Peut-on vraiment croire que les sacrifices d’aujourd’hui vont permettre de faire un pas vers la prospérité demain ? Il suffit de regarder ce qui s’est passé depuis 40 ans : depuis 1967 le capitalisme s’enfonce de manière récurrente dans des crises de plus en plus graves dont les issues, toujours momentanées, ont signifié des sacrifices supplémentaires pour les travailleurs. Pour quel résultat ? Il y a 25 ans, plus de 90% des travailleurs étaient en CDI et aujourd’hui plus de 40% sont dans des emplois précaires. Pour les jeunes d’aujourd’hui, un travail en CDI leur paraît une chose sortie d’un musée ; il y a 25 ans, tous les travailleurs avaient une pension plus ou moins décente ; aujourd’hui, il est de plus en plus évident que les jeunes n’auront jamais de pension de retraite ; il y a 25 ans presque toutes les familles avaient un logement décent ; aujourd’hui, il y a de plus en plus de familles sans toit ou qui doivent s’entasser à plusieurs générations dans un même logement déjà exigu. Et cela n’arrive pas seulement à Haïti ou en Afrique, cela arrive à Londres, Madrid ou New York, au cœur même du monde dit « prospère » !
Le capitalisme n’a pas de solution à sa crise mortelle, ses mesures d’austérité ne débouchent que sur des mesures d’austérité supplémentaires. L’austérité ne produit que plus d’austérité, les sacrifices d’aujourd’hui ne font que préparer ceux de demain.
En 2007, Zapatero avait dit « qu’il n’y avait pas de crise » ; en 2008, il a dit qu’il fallait supporter le chômage et les mesures de réajustement, parce qu’en 2009 on commencerait à voir des « bourgeons verts ». Aujourd’hui, en 2010, il y a bien plus de chômage et, en plus, on annonce un programme d’attaques sans précédent.
Il n’y a que la lutte, le développement de l’unité et de la solidarité en tant que travailleurs qui pourront nous ouvrir la voie vers une solution. Une solution qui sera celle que nous rechercherons à nous tous. Pour la simple raison que nous savons ce en quoi consistent les « solutions » des gouvernants et de ceux qui aspirent à le devenir : des promesses et des « sorties de crise » dans les discours et les campagnes électorales ; de la misère, du chômage et des coups bas dans la vie de tous les jours.
Accion proletaria, section du CCI en Espagne (19 février 2010)
1 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol peut se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !) avec tout ce que cela signifie d’aléatoire.
2 Actuellement, cette indemnisation est : 45 jours payés par année travaillée.
Nos lecteurs auront remarqué que notre site subit depuis plusieurs jours des pannes et des périodes de non disponibilité. Ceci est dû au fait que l'augmentation du traffic sur nos sites depuis plusieurs mois a fini par dépasser la capacité de notre serveur.
Nous sommes donc en train de transférer l'ensemble de nos sites sur un nouveau serveur ayant une capacité supérieure et de meilleures performances. Le travail de reconstruction des sites est toujours en cours, et nous contraindra de temps à autre à des arrêts pour en assurer la maintenance. Nous nous en excusons d'avance, et nous remercions les camarades pour leur patience !
Au cours des mois de janvier et février, le CCI a tenu, en France et en Allemagne, une série de Réunions Publiques (RP) sur le thème « Suicides au travail : Une seule réponse, la solidarité de la classe ouvrière ». Nous appelions à venir débattre avec le court texte suivant :
« Ces derniers mois, un “fait divers” a été très largement relayé par tous les médias : la vague de suicides au travail, qui a touché notamment des salariés de France Telecom. La souffrance sur les lieux de production qui pousse certains travailleurs à ces actes individuels de désespoir n’est pas un phénomène nouveau. Il est apparu à la fin des années 1980, au moment même où la bourgeoisie déchaînait sa campagne sur la “faillite du communisme” et la “fin de la lutte de classe”.
Comment comprendre cette nouvelle manifestation de la décomposition du capitalisme ?
Face à la dégradation des conditions d’exploitation et au poison du “chacun pour soi”, comment réagir ?
Nous invitons tous nos lecteurs à venir débattre de ces questions à nos prochaines réunions publiques. »1
L’article ci-dessous se propose de faire un court résumé des discussions qui ont eu lieu à Lyon, Marseille et Grenoble, discussions durant lesquelles de nombreux participants ont témoigné de leurs propres conditions de travail et de la souffrance grandissante éprouvée par leurs collègues ou leurs proches.
Lors de ces réunions, la « souffrance au travail » a été présente non seulement comme un sujet théorique mais aussi et surtout comme une expérience réelle et vécue durement.
Deux questions centrales ont animé les discussions :
L’approfondissement de la crise économique va-t-il développer le chacun pour soi ou au contraire entraîner une plus grande unité et le développement de la solidarité ? Ainsi, pour une jeune étudiante, « Ce qui me fait peur, c’est le chacun pour soi dans la société avec l’augmentation de la crise économique. Il y a aussi l’augmentation de la concurrence. Malgré tout, je ne suis pas pessimiste car je pense qu’il faut changer cette société mais c’est comme un gouffre devant nous ».
Que faire, comment résister a cette pression croissante, qui conduit même certains d’entres nous au pire, à se suicider sur leur lieu de travail ?
Les exemples de harcèlements sur les lieux de travail, donnés souvent avec beaucoup d’émotions, n’ont pas manqué. « Dans ma boite, il y a déjà eu plusieurs plans de restructuration. Nous subissons le harcèlement quotidiennement, beaucoup d’entre nous sont déprimés et pour le moment il n’y a pas de solidarité entre collègues. Actuellement, les gens sont comme paralysés mais je pense qu’avec le développement de la crise cela va forcer les gens à réagir ? » Il s’agit là d’un témoignage d’une jeune femme qui travaille depuis plusieurs années dans ce que l’on appelle le secteur de la « haute–technologie », soi-disant repaire de l’élite privilégiée des ingénieurs. En réalité, ces ouvriers aussi sont touchés par la crise ; ils subissent surtout une pression et des charges de travail insoutenables. Il n’est donc pas étonnant de voir la même idée de l’impact grandissant de la crise économique reprise par un jeune lycéen, futur prolétaire : « Je discute avec mes copains au lycée mais, pour le moment, ils ne sentent pas la crise. Pour eux, il y a encore un certain confort mais quand la misère va s’approfondir, eux-mêmes réagiront. »
Il a été aussi donné l’exemple des responsables de service qui subissent une pression terrible par leur patron et qui doivent la répercuter sur « leur » équipe, « Dans les entreprises publiques et malgré la différence qui existe entre les employés et les cadres, parfois des discussions s’instaurent entre nous, tellement il est manifeste qu’ils subissent aussi d’énormes pressions de la direction, ce qui se transforme souvent en dépression nerveuse. C’est l’exemple des suicides à France Télécom qui nous a fait comprendre cette réalité », c’est le témoignage d’une personne qui a su exprimer comment se développent des débuts de solidarité dans son service. Un des participants, qui a des copains à France Télécom, a ainsi expliqué la réalité « de la nouvelle méthode de management « Time to move » qui doit conduire tout le monde à bouger au bout de trois ans. Le chef a une prime de 3000 euros a chaque fois qu’il fait bouger quelqu’un. »
Est-il possible de revenir à des méthodes de management plus humaines ? Voilà ce que nous dit une étudiante d’une école de commerce : « Dans mon école, on nous parle de faire évoluer le management vers une ‘intelligence émotionnelle’, ce qui devrait permettre de recentrer l’humain, prendre en compte les capacités de chacun. » La réponse de la plupart des participants a été claire. Avec le développement de la crise économique, nous allons vers des méthodes de plus en plus brutales et nous savons tous que « les cellules psychologiques » mises en place par l’employeur sont comme un pansement sur une jambe de bois. Cette étudiante aimerait échapper quand elle travaillera au « métro, boulot, dodo » mais, là aussi, pas d’échappatoire et une autre jeune participante lui a répondu « Bien sûr, nous aurions tous envie de partir à la campagne élever des chèvres et lire Marx toute la journée mais il n’y a aucun moyen d’échapper individuellement au système capitaliste ; la population subit la société ».
Au cours de ces réunions, nous avons pu remarquer la présence de personnes avec de hauts niveaux d’études (médecins, ingénieurs) dont le discours ne déparerait pas avec celui d’ouvriers travaillant dans une usine ou dans certaines administrations. Car en réduisant leur niveau de vie et en subissant une dégradation de leurs conditions de travail, on assiste, à une vitesse accélérée, à la prolétarisation de ceux qui, il y a encore quelques années, pensaient être une « élite » n’appartenant en rien à la « classe ouvrière ».
Les participants ont affirmé clairement que seule la solidarité dans la lutte peut nous aider à sortir de l’isolement insupportable de chaque travailleur. Quelques pistes concrètes pour résister collectivement aux harcèlements et à la pression du capital ont été abordées : ne pas hésiter à réagir publiquement à des attitudes intolérables qu’elles soient adressées à nous ou à un autre collègue ; parler avec ses camarades de travail de ce qui nous arrive ; ne pas rester isolé dans son coin à subir seul les attaques…
La société capitaliste ne sait développer que la concurrence et le chacun pour soi, il faut y répondre par la solidarité, la confiance qui doit se développer entres ceux qui,, malgré de fausses apparences de diversité, subissent les mêmes détériorations de leurs conditions de travail.
Au cours de ces débats, le CCI a donné l’exemple de luttes d'ouvriers qui, au 19ème siècle, partaient spontanément devant l’attitude de harcèlement ou d’humiliations envers un de leur camarade. Depuis les années 2000, nous avons aussi vu des exemples de solidarité lors de certaines luttes, au moment du mouvement contre le CPE en 2006, à Vigo (en Espagne) en 2006 et aujourd’hui en ce début 2010, en Egypte, en Angleterre (lire à ces sujets nos différents articles sur les luttes à travers le monde de ces dernières années sur notre site Web). C’est bien dans ce sens qu’il faut aller.. Un intervenant a souligné qu’il a été particulièrement impressionné par les AG qui ont eu lieu à Caterpillar où tous les ouvriers étaient présents.
A l’intervention d’une personne syndicaliste qui a affirmé que « par rapport au manque de solidarité, les syndicats ont un grand rôle à jouer. Ils interviennent dans l’entreprise pour créer le lien social, c’est comme cela que l’on peut obtenir quelque chose. », les participants ont répondu en insistant sur le fait que ce sont les ouvriers eux-mêmes qui doivent prendre confiance et réagir spontanément avec les autres personnes dans l’atelier, le bureau, l’école, l’hôpital etc., qu’ils n’avaient pas besoin de soi-disant spécialistes de la lutte. Une autre jeune femme est intervenue pour dire : «Même si le ‘droit du travail ‘a été mis en place surtout après la Deuxième Guerre mondialel pour remettre la classe ouvrière au travail, ne devons-nous pas chercher à le conserver ? » Là aussi, ce sont les autres participants qui lui ont répondu. C’est une illusion de croire cela alors que la bourgeoisie et ses gouvernements travaillent depuis longtemps à vider le contenu des droits de celui qui travaille. Les prud’hommes, de plus en plus réduits à la portion congrue, ne sont pas les lieux les plus appropriés de défense de la classe ouvrière qui doit développer sa lutte unitairement et au grand jour (même si ponctuellement un travailleur peut tout à fait avoir recours aux prud’hommes). C’est aussi une question que se posait un jeune travailleur : « j’aime mon boulot mais il y a des aspects qui me dégoûtent comme la mise sous pression permanente.. Contrairement à ce que me dit ma grand mère qui me décrit une certaine humanité entre les travailleurs lorsqu’elle était en activité, aujourd’hui on voudrait surtout que l’on pense comme l’entreprise ».
Nous avons aussi dans la discussion montré que si une personne se suicide au travail, cela a un sens particulier, cela n’a pas la même signification que de se suicider chez soi. Elle exprime de la façon la plus radicale son refus des conditions de travail imposées. Le fait de « passer à l’acte » de plus en plus sur le lieu de travail est à lier à la détérioration de l’ensemble de la société. Pour un participant « Même si nous ne pouvons pas tirer une leçon particulière lorsque les gens se suicident au travail cela marque le déboussolement général de cette société ».
Pour conclure ces débats, comme à notre habitude, nous avons demandé aux camarades s’ils veulaient intervenir une dernière fois pour donner leur avis sur la réunion. La sérénité du débat et parfois son aspect émotionnel a été salué par les participants. Surtout, la nécessité d’aller dans le sens d’une réponse unie et solidaire était très largement partagée. La force de la classe ouvrière réside dans sa capacité à mener des luttes de plus en plus massives, en prenant peu à peu conscience de ce qu'elle est capable collectivement de construire : un monde sans exploitation, sans concurrence, sans harcèlement… le communisme !
CCI (12 février)
1 Nous avons développé notre analyse de ce « phénomène de société », comme disent les journalistes, dans un long article publié dans notre journal du mois de février. Cet article est disponible sur notre site web.
Nous avons reçu sur notre site en espagnol le 3 mars 2010, un commentaire relatif à la situation des habitants des quartiers ouvriers et populaires de l’agglomération de Concepción, à la suite du séisme de fin février. Contrairement à la propagande des médias à l’échelle internationale qui ont dénigré le comportement des populations locales en les désignant comme les auteurs de « scandaleux pillages », ce texte restitue la réalité des faits en mettant en avant l’esprit authentiquement prolétarien de solidarité et d’entraide qui a animé les ouvriers dans la redistribution des biens, tout en l’opposant à l’action prédatrice des gangs armés contre lesquels la population ouvrière a tenté de prendre en charge et d’organiser sa propre défense.
(De la part d’un camarade anonyme)
Il serait souhaitable que dans la mesure où vous [le CCI] avez ce moyen de diffusion [notre site Internet], vous rendiez compte de ce qui est en train de se passer à Concepción et ses environs1, ainsi que dans d’autres régions du Chili qui viennent d’être lourdement touchées par le séisme. On sait que dès les premiers instants, les gens ont mis en pratique le bon sens le plus évident en se rendant aux magasins de denrées alimentaires pour y prendre tout ce dont ils avaient besoin. Ceci est si logique, si rationnel, si nécessaire et inévitable qu’il apparaît comme quelque peu absurde d’en faire la critique. Les gens ont créé une organisation spontanée (surtout à Concepción) pour distribuer le lait, les couches pour bébé et l’eau, en fonction des besoins de chacun, en tenant compte, entre autre, du nombre d’enfants par famille. Le besoin de prendre les produits disponibles apparaissait si évidente, et si puissante la détermination du peuple à mettre en pratique son droit à survivre, que même les policiers finirent par aider les gens à sortir les vivres du supermarché Leader à Concepción, par exemple. Et quand on a essayé d’empêcher que les gens fassent la seule chose raisonnable, les installations en question furent simplement incendiées, pour la simple et logique raison qui fait que si des tonnes de denrées alimentaires vont finir par pourrir au lieu d’être logiquement consommées, il vaut mieux que ces aliments soient brûlés, évitant ainsi le danger des foyers supplémentaires d’infection. Ces « pillages » ont permis à des milliers de personnes de subsister pendant quelque temps, dans le noir, sans eau potable et sans le moindre espoir qu’un quelconque secours arrive.
Or, au bout de quelques heures, la situation a changé du tout au tout. Sur toute l’agglomération du Grand Concepción des bandes bien armées et roulant dans des véhicules de bonne qualité, ont commencé à mettre à sac non seulement les petits commerces, mais aussi les logements particulières et des pâtées de maison entiers. Leur objectif est de s’accaparer le peu de biens que les gens auraient pu récupérer dans les supermarchés, ainsi que les outils domestiques, l’argent ou tout ce que ces bandes peuvent trouver. Dans certaines zones de Concepción, ces bandes ont saccagé les maisons, elles y ont mis le feu, prenant la fuite aussitôt après. Les habitants, qui se sont trouvés au début sans la moindre défense, ont commencé à s’organiser pour pourvoir se défendre, en faisant des rondes de surveillance, en levant des barricades pour protéger les accès aux quartiers, et dans quelques quartiers en mettant en commun les vivres pour assurer l’alimentation de tous les habitants.
Avec ce bref rappel des faits survenus ces jours derniers, je ne prétends pas « compléter » les informations fournies par d’autres moyens. Je ne voudrais qu’attirer l’attention sur tout ce que cette situation critique contient d’un point de vue anticapitaliste. L’élan spontané des gens pour s’approprier de tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, leur tendance au dialogue, au partage, à chercher des accords et à agir ensemble, a été présent depuis le début de cette catastrophe. Nous avons tous pu voir dans notre entourage cette tendance communautaire naturelle sous différentes formes. Au milieu de l’horreur vécu par des milliers de travailleurs et leurs familles, cet élan pour la vie en commun a surgi comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres, nous rappelant qu’il n’est jamais trop tard pour redevenir nous mêmes.
Face à cette tendance organique, naturelle, communiste, qui a animé le peuple pendant ces heures d’épouvante, l’État a blêmi et s’est montré pour ce qu’il est : un monstre froid et impuissant. De même, l’interruption brutale du cycle démentiel de production et de consommation, a laissé le patronat à la merci des événements, à attendre, tapi, que l’ordre soit rétabli. C’est ainsi que la situation a ouvert une vraie brèche dans la société, par laquelle pourraient sourdre les sources d’un monde nouveau qui est déjà dans les cœurs des gens du commun. Il devenait donc urgent et nécessaire de rétablir à tout prix le vieil ordre de la rapine, de l’abus et de l’accaparement. Mais ça a été fait non pas à partir des hautes sphères, mais à partir du sol même de la société de classe : ceux qui se sont chargés de remettre les choses à leur place, autrement dit, d’imposer par la force les rapports de terreur qui permettent l’existence de l’appropriation privée capitaliste, ont été les mafias des narcotrafiquants enkystées dans les quartiers populaires, des arrivistes entre les plus arrivistes, des enfants de la classe ouvrière alliés avec des bourgeois au prix de l’empoisonnement de leurs frères, du commerce sexuel de leurs sœurs, de l’avidité consommatrice de leurs propres enfants. Des maffieux, autrement dit des capitalistes à l’état pur, des prédateurs du peuple, bien calés dans leurs 4x4 et armés de fusils, disposés à intimider et à dépouiller leurs propres voisins ou les habitants d’autres quartiers pour essayer de monopoliser le marché noir et obtenir de l’argent facile, autrement dit : du pouvoir. Le fait que ces individus sont des alliés naturels de l’État et de la classe patronale, est démontré par le fait que leurs méfaits indignes sont utilisées par les media pour faire pénétrer la panique dans les têtes d’une population déjà démoralisée, justifiant ainsi la militarisation du pays. Quel autre scénario pourrait être plus propice à nos maîtres politiques et patronaux, qui ne voient dans cette crise catastrophique rien d’autre qu’une bonne occasion de faire de juteuses affaires et des profits redoublés en pressant une force de travail dominée par la peur et le désespoir ?
De la part des adversaires de cet ordre social, c’est un non-sens que de chanter de louanges aux pillages sans préciser le contenu social de telles actions. Ce n’est pas du tout la même chose une masse de gens plus ou moins organisée, mais du moins avec un objectif commun, qui prend et distribue des produits de première nécessité pour survivre... et des bandes armées qui dévalisent la population pour s’enrichir. Le séisme de samedi 27 n’a pas seulement frappé très durement la classe ouvrière et a détruit les infrastructures existantes. Mais il a aussi sérieusement bouleversé les rapports sociaux dans ce pays. En quelques heures, la lutte de classe a surgi avec toute sa force devant nos yeux, trop habitués peut-être aux images de la télévision pour pouvoir bien saisir l’essentiel des événements. La lutte de classe est ici, dans nos quartiers devenus des ruines dans la pénombre, crépitant et crissant sous nos pas, sur le sol même de la société, où s’affrontent dans un choc mortel deux types d’êtres humains qui se retrouvent enfin face à face : d’un coté, les femmes et les hommes à l’esprit collectif qui se cherchent pour s’entraider et partager ; de l’autre les antisociaux qui les pillent et leur tirent dessus pour ainsi commencer leur propre accumulation primitive de capital. Ici, c’est nous, les êtres invisibles et anonymes de toujours, pris dans nos vies d’exploités, de nos voisins et de nos parents, mais disposés à établir des liens avec tous ceux qui partagent la même dépossession. Là bas, c’est eux, peu nombreux mais disposés à nous dépouiller par la force le peu ou le presque rien que nous pouvons nous partager. D’un coté le prolétariat, de l’autre, le capital. C’est aussi simple. Dans beaucoup de quartiers de ce territoire dévasté, à ces heures-ci du petit matin, les gens commencent à organiser leur défense face à ces hordes armées. À cette heure a commencé à prendre une forme matérielle la conscience de classe de ceux qui se sont vus obligés, brutalement et en un clin d’œil, à comprendre que leurs vies les appartiennent et que personne ne leur viendra en aide.
Message reçu le 3 mars 2010.
1 Le séisme a eu lieu le 27 février 2010 en pleine nuit, avec une magnitude de 8,8. Il provoqua la mort de près de 500 personnes, mais le tsunami qui l’a suivi en rajouta encore plus de morts. Il a touché beaucoup de villes chiliennes, dont la capitale, Santiago. Mais c’est dans la deuxième agglomération du pays, celle de Concepción (900 000 hab. pour l’agglomération), que les morts et les dégâts ont été les plus graves [NdT].
C’est avec la plus grande tristesse que nous devons informer nos lecteurs du décès de notre camarade Jerry Grevin (qui publiait également sous les initiales JG) aux Etats-Unis. Il a été pris d’une attaque cardiaque dans l’après-midi du jeudi 11 février et est décédé immédiatement. Pour tous les camarades, cela constitue un choc terrible et spécialement pour nos camarades américains qui travaillait avec lui quotidiennement.
De nombreux camarades ont connu Jerry depuis plus de trente ans et connaissaient son engagement et son dévouement à la cause du communisme qui commencèrent dans sa jeunesse avec sa participation très active au mouvement contre la guerre du Vietnam, avant de rejoindre le CCI dans les années 1970. Dans le CCI, le camarade a été au cœur de la vie de la section américaine, y compris pendant la difficile période que notre organisation a traversée dans les années 1990, et il a constitué une force dynamique et enthousiaste dans le récent développement de nos contacts aux Etats-Unis. Tous les camarades qui connaissaient Jerry se souviennent de sa joie de vivre et de son sens de l’humour devant les difficultés qu’amène inévitablement la vie. La perte du camarade Jerry n’est pas seulement une perte pour la section américaine, c’est une perte terrible pour tout le CCI et pour notre classe.
Nous publierons prochainement dans notre presse un texte plus long en hommage au camarade. Nous voulons en même temps faire part de notre solidarité aux camarades de Jerry, à sa famille et à ses amis, et de notre détermination à continuer le travail révolutionnaire dans lequel il croyait si passionnément.
Nous publions ci-dessous de larges extraits de la traduction d'un article [33] réalisé par Internationalism, section du CCI aux États-Unis, et diffusé sur notre site en anglais le 18 avril.
Le 4 mars 2010, après des mois de restrictions budgétaires draconiennes et de congés imposés dans le système d'enseignement supérieur à travers les États-Unis, diverses organisations, y compris un certain nombre d'organisations gauchistes, mais aussi anarchistes, ont appelé à une journée nationale d’action. Le slogan adopté était « sauvez l'éducation », une façon trompeuse de définir les questions en jeu, car il est utilisé pour maintenir le mouvement étudiant dans l'illusion du réformisme démocratique et aussi pour caractériser les coupes dans l'éducation publique comme « spécifiques » à ce secteur, comme si c'était le seul soumis à des attaques. C'est pourquoi il y a souvent une mauvaise définition de la question, comme si l’éducation était victime d’une émasculation politique. En fait, la crise de l'éducation est une conséquence directe de l'aggravation de la crise généralisée du capitalisme et la lutte des étudiants doit être comprise dans ce contexte. Le positionnement correct du mouvement étudiant dans un conflit de classe plus large est essentiel pour comprendre le dynamisme de la lutte alors que les contradictions du capitalisme s’exacerbent. Il est également important de comprendre les faiblesses, les limites, mais aussi les potentialités du mouvement étudiant, si l’on veut que ce potentiel se concrétise au maximum.
Personne ne sera surpris d’apprendre que la Californie est le théâtre des actions les plus nombreuses, les plus populaires et les plus préparées du mouvement étudiant. La Californie est le siège de trois systèmes d'enseignement supérieur : University of California (UC), California State University (CSU) et California Community College (CCC), le CCC étant le plus grand système d'enseignement supérieur au monde. Ces trois systèmes englobent respectivement 160 000, 433 000 et 3 000 000 d’étudiants, soit environ 10% de l’ensemble de la population de la Californie. La grave crise financière de l'État, avec un déficit de 20 milliards de dollars, a entraîné des restrictions que le gouvernement tente désespérément de conjurer en ne remboursant pas ses prêts. La situation en Californie est si grave que les grands dirigeants financiers, comme le directeur de la banque JP Morgan Chase, ont caractérisé la situation budgétaire de la Californie comme étant pire que celle de la Grèce. Cette situation a conduit « L'État du Soleil Brillant » à faire subir aux trois systèmes d'enseignement supérieur des réductions drastiques de plus en plus importantes. Pour l'année scolaire 2009-2010, il y a eu une réduction budgétaire totale de 1,7 milliard de dollars répartie de façon à peu près égale entre les trois systèmes, chacun d’entre eux devant trouver sa propre façon de s'y adapter. UC et la CSU ont augmenté leurs frais de scolarité de 30% et ont institué des réductions de salaires et de congés pour leurs employés, tandis que les campus du CCC ont réduit leur nombre de classes, au point que les étudiants ne peuvent pas s'inscrire dans les classes nécessaires au transfert ou à l'obtention d’un diplôme.
Cette situation est particulièrement toxique lorsqu'elle se combine avec la dette qui pèse souvent sur les diplômés de ces systèmes d'enseignement supérieur. La California Postsecondary Education Commission, une institution fédérale, a déclaré en 2007 que « la hausse des frais de scolarité et le coût élevé de la vie mettent la pression sur les familles à faible revenu et sur celles à revenu moyen, ce qui pousse les élèves et les parents à contracter des dettes importantes. » Il est à noter que ceci a été écrit en 2007, avant la crise financière, alors que depuis l’économie dégringole en spirale. Au moment du rapport, les dettes moyennes pour les diplômés des systèmes d'enseignement supérieur de Californie étaient de 12 459 $ pour une scolarité sur quatre années et de 9 214 $ pour une scolarité sur deux années. Ce n'est toutefois pas la fin de l'histoire, dans la mesure où, souvent, ces prêts sont encore aggravés par les prêts des parents des étudiants du premier cycle (PLUS), qui sont souscrits pour payer l'éducation de leurs enfants et qui se montaient respectivement en moyenne à 12 066 $ et 12 742 $. Cela permet de mieux percevoir le poids de la dette pour une multitude d'élèves dans le système éducatif de Californie.
C'est dans ce cadre que la nature de classe des attaques à l’encontre de l'éducation commence à prendre forme. La hausse du coût de l'éducation, qui se manifeste dans les fractions les plus vulnérables de la population étudiante comme le fardeau d’une dette croissante et les restrictions budgétaires aggravées par cette hausse forment le cadre des agressions généralisées et directes à l’encontre du niveau de vie de la classe ouvrière. Pour beaucoup, l’éducation fonctionnait comme un moyen de parvenir à une meilleure situation matérielle et le système public d'éducation en Californie fut jadis l'un des plus accessibles. Le mécanisme de la dette étudiante est utilisé pour incorporer la population étudiante dans l'appareil d'État et pour dissuader de prendre des mesures radicales. À bien des égards, les prêts aux étudiants d'aujourd'hui relèguent la condition d'étudiant à une forme moderne d'esclavage de la dette et cette condition tend à encourager la docilité. Alors que la crise du capitalisme s'approfondit, c'est la classe ouvrière qui est invitée à supporter le poids de ces mesures d'austérité pour résister à la tempête de la crise capitaliste. Cette opération se trouve répétée dans l’ensemble de l'économie. Comme la réalité de la crise assombrit les lunettes habituellement teintés de rose des économistes, même des plus optimistes, de la bourgeoisie, la classe ouvrière est de nouveau appelée à subir la force de la récession à travers des licenciements, des mises en congés, des réductions de salaire, et des suppressions de salaire social, comme l’illustre l’assaut actuel sur l'éducation publique.
Cette situation ne se limite pas aux États-Unis. Les mesures d'austérité sont annoncées dans tout le monde industrialisé. L'attaque de l'éducation en Californie est en lien direct avec les attaques portées contre la classe ouvrière à l'échelle mondiale..
Le mouvement étudiant de Californie se comprend mieux non pas comme une entité en soi mais comme une constellation de mouvements. Bien qu'il existe de nombreuses idées présentes dans le mouvement étudiant, la plupart des étudiants organisateurs sont inévitablement inexpérimentés et souvent leurs actions font le jeu des syndicats. Avec les restrictions budgétaires qui affectent directement les travailleurs, sur chaque campus séparément, les syndicats sont dans une position de force pour maintenir une influence solidement établie. Les étudiants sont mobilisés par les syndicats, souvent par groupes sur le campus, pour promouvoir une soi-disant solidarité « ouvrier-étudiant » et sont ensuite canalisés dans des actions visant à promouvoir le jeu syndical - d'où le slogan populaire dans les manifestations d'étudiants « Nous avons le pouvoir / Quel pouvoir? / Le pouvoir du syndicat ! » Au-delà de manifestations symboliques et inoffensives sur les campus isolés, les syndicats et leurs alliés dans la population étudiante font aussi la promotion de l'idéologie électoraliste qui invite les élèves à écrire à leurs députés à Sacramento et à faire pression pour une suppression des restrictions budgétaires. Ces demandes qui sont souvent formulées à partir d’une conception mystifiée de l'université et à travers la promotion de l'appareil syndical, empêchent la prise de conscience de la nature de classe de la crise elle-même. Les étudiants ignorent aussi bien le fait que l'État de Californie est tout simplement incapable de fournir le moindre financement dans le contexte d'un déficit massif et que le rétablissement des budgets des différents systèmes d'enseignement supérieur nécessiterait de l'État des réductions dans d'autres secteurs prétendument au service de la population : il n’y a rien à espérer du cadre étroit du chauvinisme syndical. Semblant se détacher de ce cadre, il y a un camp constitué de leaders étudiants qui appellent à une responsabilisation des syndicats, mais à travers l'utilisation d'une rhétorique très idéologiquement raciste qui vise en réalité à remplacer la classe par la race. Lors d'une récente réunion de défenseurs de cette idée,, l'un d'eux a parlé de « recadrer le débat afin de comprendre que l'idéologie anti-noir a créé du capital ». L'accent est celui d’une rhétorique "anti-noir", mais développée dans le cadre d’une hiérarchie des opprimés, elle est présentée comme une forme d'analyse de la crise de l'éducation, comme une « crise raciale ». Ce cadre est incroyablement réactionnaire et il aggrave les divisions au sein du mouvement étudiant selon des critères raciaux. Ce groupe est numériquement marginal, mais il est influent, dans sa capacité à exploiter les divisions encouragées par la classe dirigeante depuis plus d'un siècle.
Il y a cependant des étudiants qui s’en libèrent et reconnaissent cette dichotomie comme deux manifestations bourgeoises qui se disputent les restes d'un système malade... Ces étudiants fonctionnent en suivant une ligne de valeurs largement communiste-libertaire et leur faveur va à une variété de tactiques souvent décriées par les syndicats et leurs partisans comme étant trop "incendiaires". Les tactiques de lutte populaire qu’ils préconisent sont l’occupation de bâtiments et diverses formes de protestations conflictuelles comme le blocage des autoroutes. Un slogan adopté dans ce camp est « tout occuper, ne rien demander », et ils sont fortement influencés par le situationnisme. Ils s'inspirent également dans une certaine mesure des luttes étudiantes grecques dans ce qu’ils décrivent comme leur assaut contre la « marchandisation de la vie » (bien que, si l'on considère que les étudiants grecs se sont également décrits comme appartenant à la «génération 400 euros », nous ne pouvons que nous demander quel accès aux «marchandises» les étudiants de Californie ont vraiment !) Théoriquement, ce regroupement est le plus susceptible d’avoir compris la crise de l'éducation comme faisant partie de la crise permanente du capitalisme. La base de leur slogan est que le capital ne peut pas se permettre la moindre concession, la moindre réforme, et qu’il reste donc à prendre en charge ce qui existe et à le réorienter pour une utilisation par tous. Ce groupe, bien que très habile à faire sa publicité, est encore une très petite fraction au sein du mouvement étudiant.
Ces divisions sont profondes et sont un gros handicap pour la dynamique portée par le mouvement étudiant. Une forme populaire d'organisation apparue sur les campus est constituée par des assemblées générales à la composition variée. Dépendant souvent entièrement de qui les a réunies, elles sont dominées par l'un des camps présentés ci-dessus et il devient très difficile d’aller de l’avant en présentant une opinion dissidente. C'est encore dû à l'inexpérience des nombreux étudiants qui se sont impliqués dans ce mouvement, ce qui permet aux bureaucrates syndicaux les plus expérimentés et à leurs partisans de transformer ces espaces en des plates-formes pour leurs organisations.
Toutefois, de nombreux étudiants sont de plus en plus conscients de la présence d’éléments opportunistes au sein du mouvement. Comme les contradictions de la démocratie capitaliste sont progressivement démasquées par l'arrogance de ses représentants et par leur incapacité à faire la moindre concession, une grande partie de la discussion au sein des assemblées générales les plus libres s’est orientée vers les idées concernant la solidarité étudiants-travailleurs par-delà les syndicats et la législation. Une certaine ambivalence existe toujours sur la question des grèves et sur celle d’un engagement plus militant dans la classe ouvrière, mais il y a une augmentation notable de la radicalisation de la population étudiante depuis le 4 mars.
Il y a un intérêt accru pour toucher non seulement les travailleurs mais aussi les élèves et leurs enseignants des lycées et collèges. Le succès arraché avec le rassemblement du 4 mars à Oakland où plus de 1000 étudiants sont sortis de leurs écoles et ont participé à un rassemblement - de nombreux orateurs n’avaient encore jamais parlé devant un public, mais de façon vraiment encore enfantine, ils gueulaient dans des porte-voix des slogans contre la casse du système d'éducation public. Il y a beaucoup d'énergie potentielle au sein du mouvement étudiant en Californie parce que, malgré les efforts de ceux qui cherchent à masquer la nature de classe de la crise, il y a un nombre croissant d’étudiants qui rejette l'ensemble de ce discours et cherche d'autres explications. Il y a une compréhension croissante que le problème auquel sont confrontés les étudiants n'est pas un problème de mauvaise gestion, mais de profonde crise du système de production qui affecte le monde entier.
AS (5 avril)
La classe dirigeante, confrontée à une crise économique insondable, attaque de plus en plus brutalement les exploités.
Tous les partis politiques capitalistes conviennent que la seule façon de faire face au fardeau de la dette du Royaume-Uni est de procéder à des coupes sans précédent dans les services publics. Dans leurs efforts pour extraire la dernière goutte de profit de la force de travail des ouvriers, les patrons ont partout recours à l'intimidation. Cela est d'autant plus évident lorsque les travailleurs montrent qu’ils sont disposés à résister à l'attaque sur leurs conditions de vie et de travail.
Face à la menace d'une grève du rail à l'échelle nationale contre le projet de supprimer les emplois de 1500 travailleurs d'entretien des voies ferrées, Network Rail s’est mis d’accord avec les tribunaux pour déclarer que le scrutin en faveur de la grève était illégal. Aujourd’hui, ceci devient de plus en plus une réplique classique aux prochaines grèves nationales, surtout quand elles surviennent dans les secteurs économiques clé. La grève de British Airways (BA), prévue initialement à Noël, a elle aussi été retardée après que la Cour suprême eut trouvé des irrégularités dans la procédure de vote. Etant donné que de telles irrégularités peuvent être découvertes dans pratiquement n'importe quel vote de grève, l'utilisation des injonctions pour interdire la grève érode progressivement toute possibilité d'action de grève légale -en particulier parce qu'un autre facteur est pris en compte dans la décision du tribunal : l'impact ‘négatif’ pour "l'intérêt public" de la grève des chemins de fer.
Le bulletin de vote a été initialement rendu obligatoire par les lois ‘antisyndicales’ introduites dans les années 1980 sous le dernier gouvernement conservateur. Leur but essentiel était d'empêcher les travailleurs de prendre la décision de faire grève dans les réunions massives, où la solidarité de classe est la plus forte, de faire du vote de la grève un choix purement individuel, comme le vote aux élections, et d'amener des retards interminables qui peuvent saper la volonté de combattre des ouvriers. Tout comme les règles qui interdisent les piquets de grève et les grèves de solidarité, ces lois rendent déjà pratiquement impossible à toute forme efficace d’action de classe d’être dans la légalité. Mais loin d'être ‘antisyndical’, l’objectif de cette législation a toujours été de renforcer la capacité de la machine syndicale à contrôler les actions non-officielles et l'auto-organisation des travailleurs au niveau de l'atelier et de la rue. Maintenant, des restrictions légales similaires sont imposées même à des grèves syndicales officielles au niveau national. Face à la crise, la très démocratique classe dirigeante ne fait même plus semblant de prétendre que les syndicats sont indépendants. Ils se voient de plus en plus attribuer le même rôle que celui des syndicats des régimes staliniens ou fascistes comme étant ouvertement chargés de faire respecter l’ordre et la discipline au travail. L'acceptation par le syndicat RMT de ce cadre juridique s’est manifestée dans le fait qu’il a immédiatement annulé la grève.
A BA, la majorité du personnel de cabine (hôtesses de l’air et stewards) est entrée dans une deuxième semaine de grève pour s’opposer au harcèlement moral et à l’intransigeance de la direction. BA a dépouillé de leurs « avantages voyage » 2000 membres du personnel de cabine en grève, « avantages » dont ils ont énormément besoin pour travailler, et a supprimé près de quinze jours de paye au personnel des vols long-courrier afin de les pousser à ne pas s’engager dans la grève. BA a aussi imposé un règlement disciplinaire qui empêche le personnel de cabine de communiquer avec les autres travailleurs ou avec les passagers, d'organiser des forums de discussion sur Internet ou même de faire une plaisanterie sous peine de licenciement ou de suspension. La plus grande crainte de BA est que le personnel de cabine étende la lutte à d'autres secteurs tels que celui des bagagistes ou des pilotes. Il a ainsi encouragé de façon inédite les actions pour briser la grève, surtout parmi les pilotes qui se sont vus « offrir » une formation comme personnel de cabine temporaire.
BA a aussi essayé de supprimer certains « privilèges » pour les cadres syndicaux, tels que des bureaux pour les délégués syndicaux et des congés pour activités syndicales. Cela a permis au syndicat Unite de présenter la lutte comme étant contre des tactiques ‘antisyndicales’. Les travailleurs de BA sont appelés à défendre leur droit démocratique de s'organiser en syndicats. Bob Crow, le leader de l'aile gauche du RMT, va dans le même sens après l'injonction : «Ce jugement ... tord les lois antisyndicales encore davantage en faveur des patrons" (The Guardian, 2 avril). Pour le RMT, la décision du tribunal était «une attaque contre l’ensemble du mouvement syndical» (ibid.). L'appel à défendre les syndicats contre cette attaque se trouve répétée à longueur de colonnes dans la presse de gauche.
En apparence, les luttes actuelles semblent être un exemple de syndicats combatifs menant la lutte contre des patrons intransigeants. Le syndicat Unite, avec sa filiale personnel de cabine BASSA, a tenté de susciter le soutien du syndicat US Teamsters et il a levé un trésor de guerre de 700.000 £, en imposant un prélèvement de 2% aux membres de Unite pour soutenir cette grève. Mais en y regardant mieux, on s’aperçoit que BASSA a déjà dit très clairement, alors qu’on le consultait, qu'il était prêt à accepter des réductions de salaires « afin de sauver des emplois ». Le directeur général de BA depuis 2005, Willie Walsh (personnalité irlandaise du monde des affaires surnommé « Willie le sabreur » - NDT), a déclaré tout net qu’il était en guerre et serait inflexible avec le personnel de cabine avec pour objectif de faire payer la récession actuelle aux travailleurs de BA. La réponse des syndicats de BA a été de concéder immédiatement une réduction des salaires. Ainsi, on a vu l'image écœurante de piquets de grève portant des pancartes syndicales officielles disant « nous avons accepté une réduction des salaires ».
Il ne fait aucun doute qu'il existe une réelle volonté chez les travailleurs de l'équipage de cabine de lutter contre ces attaques : lors d'une réunion massive, plus de 80% d'entre eux ont voté pour la grève. Toutefois, à moins que les travailleurs soient en mesure de dépasser les limites de la présente action et d’étendre la grève à d'autres travailleurs de BA et au-delà, il y a un réel danger qu’ils soient broyés dans une grève de longue haleine stérile similaire à celle récente chez les travailleurs des postes. Après que le Communication Workers Union (CWU - syndicat des postiers) ait épuisé les postiers dans une série de grèves qui étaient strictement divisées région par région et catégorie par catégorie, et isolées dans le secteur postal, l'accord final convenu entre le CWU et Royal Mail donne plus de raisons de douter que les syndicats offrent véritablement aux travailleurs les moyens de défense contre les attaques des patrons.
Les postiers recevront une augmentation de salaire de 6,9% sur trois ans, un versement totalisant 1400 £ lorsque toutes les modifications adoptées auront été apportées, et une semaine de 39 heures de travail. Tous les postiers savent qu’avec l'inflation (qui est appelée à s’aggraver encore plus), il s'agit clairement d'une diminution de salaire sur trois ans. En échange, le CWU a accepté le plan de modernisation à grande échelle mis en avant par Royal Mail, qui verra le nombre de postiers travaillant à plein temps réduit de 75%, les autres travaillant à temps partiel. L'introduction de nouvelles machines de tri qui a été au cœur du différend a entraîné d'importantes réductions d'emplois. La réponse du CWU a été de faire l’éloge du règlement en disant qu'il s'agissait d'une « bonne affaire pour ses membres, en particulier dans le climat financier actuel » Un représentant du CWU a également poursuivi en disant que « de nombreux travailleurs, en particulier dans le secteur public, sont confrontés à des gel des salaires, à des licenciements et même, dans le cas des membres de Unite à la British Airways, à la perspective de réductions de salaires. Nous pensons que l'opération envisagée pour nos membres de Royal Mail est comparativement très avantageuse » (BBC News, 23/3/10).
Compte tenu du fait que les grèves légales sont de plus en plus impossibles, les travailleurs seront de plus en plus confrontés à des campagnes pour qu’ils entrent dans l’enceinte des tribunaux sur le terrain procédurier, afin de rétablir le « droit démocratique de grève » à travers les syndicats. Ces campagnes rendront certainement difficile pour les travailleurs de prendre conscience du rôle véritable et de la nature des syndicats. En fait, la tendance pour les syndicats à devenir des rouages de l'Etat capitaliste remonte à loin et est irréversible. C'est cette réalité fondamentale qui, maintes et maintes fois, conduit les syndicats à diviser les luttes des travailleurs et à la fin à vendre des négociations pourries. Étouffer la lutte de classe et imposer l'austérité est devenu la tâche principale des syndicats dans la période du capitalisme d'Etat. Mais le grand avantage de la démocratie comme forme de domination de la bourgeoisie, c'est qu'il peut permettre un certain degré d'indépendance de l'appareil syndical, ce qui est vital pour entretenir l'illusion chez les travailleurs qu'il s'agit de leur propre organisation. Dans les régimes staliniens et fascistes, les travailleurs ont peu d'illusions sur les syndicats officiels et sont souvent contraints de prendre la lutte directement dans leurs propres mains. Un exemple excellent est donné par les assemblées de masse et les comités de grève révocables, qui sont apparus spontanément en Pologne pendant la grève de masse de 1980. En détruisant l’illusion que les travailleurs peuvent utiliser les syndicats existants pour organiser une résistance efficace, la bourgeoisie court le risque que les travailleurs des pays démocratiques en viennent à la conclusion que la seule façon d'avancer est de prendre les choses en mains, de défier la loi et les syndicats, et de s’auto-organiser pour mener et généraliser la lutte.
Melmoth / Amos, le 3 avril
Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position sur les événements en Grèce de Proles and Poor’s Credit Rating Agency (Agence de Notation de Crédit pour les prolos et les Pauvres), un groupe se revendiquant du « Communisme Libertaire »1.
Ce texte rédigé le 14 mars a conservé toute son actualité. Tout ce qu'il contient s'est même amplifié. Aujourd'hui, la crise et les attaques frappent encore plus fort. La colère légitime est même en train d'exploser. En tirant des leçons de la lutte de janvier-février-mars 2010, en tentant de repérer les pièges tendus par la bourgeoisie, l'analyse de ce groupe communiste libertaire nous semble constituer une source d'information et de réflexion.
Nous partageons en effet l'essentiel de cette prise de position en particulier :
sa dénonciation du rôle de « saboteur de la lutte » du Parti Communiste et des syndicats GSEE et ADEDY,
la nécessité pour les ouvriers de développer une lutte autonome qui demeure entre leurs mains
la réaffirmation, avec leurs propres mots, que la classe ouvrière n'a pas de patrie, qu'elle mène un seul et même combat dans tous les pays et qu'il faut rejeter toute division nationale comme un piège mortel,
et la perspective historique d'un affrontement contre le capital et son plus haut représentant, l'État.
Néanmoins, nous devons signaler deux points de désaccords qui appartiennent au débat :
Les camarades du Proles and Poor’s Credit Rating Agency, s'ils décrivent parfaitement les actes de sabotage de la lutte de certains syndicats, semblent penser que les ouvriers peuvent construire d'autres syndicats, véritablement révolutionnaires. Pour le CCI, ce sont tous les syndicats, petits ou grands, « réformistes » ou « radicaux », qui constituent une entrave à la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-même.
Une certaine attirance pour les attaques des vitrines de banques ou des commerces, pour les affrontements violents avec les forces de l'ordre bourgeois, transparaît de ce texte. Il est évident que ces actes, comme la violence des luttes en Grèce en général, témoignent du niveau de colère du prolétariat face aux attaques ignobles du capital. Il est aussi tout à fait évident que le développement des combats ouvriers signifiera dans l'avenir un affrontement de plus en plus direct, et parfois violent, avec l'Etat et son bras armé. Cela dit, de nombreux affrontements avec les « flics » (comme le disent ces camarades dans leur texte) et des actions de caillassages ou autres incendies de « symboles » (les banques, les commerces, …), sous leur apparente radicalité, sont souvent contre-productifs pour la lutte ouvrière2. D'ailleurs, la bourgeoisie, régulièrement, n'hésite pas à embaucher de faux-casseurs pour pourrir un mouvement en le faisant déraper dans la violence, qui plus est, en la médiatisant jusqu'à l'overdose pour faire peur et décourager la majorité des ouvriers à rejoindre la lutte3.
Dans un climat de terrorisme financier qui a été orchestrée depuis quelques mois par les médias, l'état d'urgence a été déclaré en Grèce, dans un effort du capital international et de l'État grec pour transformer le pays en un laboratoire d'un nouveau choc politique. La « dette publique » colossale et la « faillite imminente du pays » sont les expressions utilisées pour essayer de terroriser et discipliner le prolétariat et légitimer la diminution des salaires (direct et indirect) et donc mettre un frein à ses attentes et à ses exigences d’une façon exemplairement néolibérale pour respecter des proportions internationales.
Les mobilisations ont été plutôt tièdes à ce jour et elles ne correspondent certainement pas à la situation critique et à la férocité de ces mesures. Il existe un sentiment généralisé d'impuissance et de paralysie, mais aussi de colère qui ne peut trouver un débouché adéquat. Certes, il y a un mécontentement réel par rapport à la politique de choc que le gouvernement de PASOK met en place (réductions de salaires, réductions sur les allocations, augmentation des impôts directs et indirects, augmentation de l'âge de la retraite, intensification des contrôles de police, etc.). On peut relever ce mécontentement dans les conversations quotidiennes sur les lieux de travail ; toutefois, face à la dictature de l'économie et à l'omnipotence des « marchés », c’est un silence fragile qui prévaut. Le mantra « unité nationale » est une des armes favorites du gouvernement...
Les confédérations syndicales, la GSEE (l'organisation cadre des syndicats du secteur privé) et ADEDY, sont entièrement contrôlées par le gouvernement socialiste et font de leur mieux pour éviter une véritable résistance face à l'offensive actuelle. Le 10 février, il y a eu la première grève appelée par ADEDY avec une participation relativement faible des grévistes du secteur public. Nous allons essayer de donner ci-dessous une description de la manifestation à Athènes du 24 février lors de la première grève générale contre les mesures d'austérité qui a été appelée par la GSEE et ADEDY. Selon les estimations, il y a eu 2 millions à 2,5 millions de grévistes. Dans certains secteurs (ports, chantiers navals, raffineries de pétrole, industrie de la construction, banques et entreprises de service public), la participation variait entre 70% et 100%. Dans le secteur public (éducation, santé, services publics et ministères, bureaux de poste) la participation était plus faible et se situait entre 20% et 50%.
Cette manifestation a présenté deux caractéristiques principales. La première a été la participation notable de nombreux immigrants non seulement « sous le commandement » des organisations de gauche, mais aussi dispersés dans le corps de la manif. La deuxième caractéristique a été le combat de rue qui a eu lieu entre la police anti-émeute et des manifestants qui ne provenaient pas nécessairement du milieu anti-autoritaire-anarchiste. Dans de nombreux cas, ça a été un combat rapproché, car le gouvernement socialiste avait ordonné à la police anti-émeute d'utiliser moins de gaz lacrymogènes. Il y a eu des bris de devantures de banques, des pillages de commerces (librairies, grands magasins, supermarchés et cafés) et, bien que non généralisé, ils ont certainement donné un ton très différent de ce à quoi on pourrait habituellement s’attendre de la part de grèves et manifestations organisées par les deux syndicats GSEE-ADEDY. Un incident à la fin de la manif peut peut-être mieux exprimer ce changement de climat : comme les manifestants descendaient vers l’avenue Panepistimiou et Kolonaki, un quartier chic en plein cœur d'Athènes, ils ont vu qu’à l’intérieur de « Zonar’s », un café bourgeois traditionnel et très cher, des clients tirés à quatre épingles entrain de boire du champagne (!) et jouissant de leurs coûteuses boissons aromatisées. La foule en colère a envahi le café, brisé les vitres et, très vite, les pâtisseries ont été réparties entre eux à un prix beaucoup plus abordable !
Ces caractéristiques, à notre avis, montrent l'impact considérable de la révolte de décembre 2008 sur la manière de protester. Une approbation générale des actes de violence contre les flics et les institutions capitalistes comme les banques et les magasins était évidente lors de la manifestation. En fait, il y a eu de nombreux cas où les manifestants ont attaqué les flics pour les empêcher d'arrêter les « fauteurs de trouble ».
Enfin, il convient de mentionner un mouvement spectaculaire de la part du Parti Communiste (en fait, son front ouvrier appelés PAME) à la veille de la grève : ils ont squatté le bâtiment de la Bourse, tôt le matin, avec une bannière surréaliste et plutôt incompréhensible disant en anglais « La crise paie la ploutocratie ». Leur objectif était, d’après ce qu’ils disaient, de « montrer aux inspecteurs de la Commission européenne, à la Banque Centrale Européenne et au FMI où est l'argent » - comme s'ils ne le savaient pas.
Le 3 mars, le gouvernement socialiste a annoncé les nouvelles mesures pour le « salut de la nation », incluant une réduction de 30% des 13e et 14e mois de salaires des travailleurs du secteur public, une baisse de 12% des subventions salariales, une augmentation de la taxe sur l'essence, l'alcool et le tabac, ainsi qu’une réduction des dépenses de l'éducation et de la santé. Une fois de plus, l'initiative de la grève du 5 mars. ADEDY et GSEE ont suivi avec un arrêt de travail de 3 heures, tandis que d'autres syndicats (ceux des enseignants du primaire et du secondaire, et des transports publics) appelaient à une grève d’une journée. La manifestation de PAME a rassemblé autour de 10 000 personnes et s'est terminée avant que l'autre n’ait commencé. Les anti-autoritaires et les jeunes avaient une présence plus visible et l'atmosphère était tendue dès le début à la place Syntagma, près du Parlement, où le Parti Socialiste allait voter en faveur de nouvelles mesures.
Après un certain temps, le leader de la GSEE, Panagopoulos, a fait l'erreur d'essayer de parler à la foule avec pour seul résultat de voir quelques yaourts atterrir sur lui, puis un peu d'eau et de café et, enfin, des coups de poing. Il a été chassé et battu jusqu’à l'entrée du Parlement, puis protégé par la police anti-émeute. Bientôt une foule en colère se réunissait juste au pied de l'immeuble. Les gardes folkloriques du Parlement ont dû partir immédiatement et certains combats ont commencé opposant la population prise de rage et les escadrons anti-émeutes. Lorsque Glezos, un vieux membre de SYRIZ, âgé de 88 ans, un symbole de la résistance nationale contre l'occupation nazie, a tenté d'empêcher la police anti-émeute d'arrêter un jeune homme, il a été battu et aspergé au visage et alors les combats avec la police se sont généralisés. Environ trois cents personnes ou plus lançaient des pierres sur la police (surtout des anti-autoritaires, mais pas seulement eux) et les autres sont restés un certain temps, criant et proférant des jurons jusqu'à ce que la police anti-émeute ait fait une attaque massive pour essayer de disperser la foule. Un incident rafraîchissant s'est produit lorsque certaines personnes se sont emparées des micros de la Confédération et ont scandé des slogans contre l'esclavage salarié et les flics qui pouvaient être entendus sur toute la place dans les nuages de gaz lacrymogène. La manifestation a alors commencé à marcher vers le ministère du Travail, ce qui a été critiqué par de nombreux manifestants comme étant un effort de la part des syndicalistes pour relâcher la tension à proximité du Parlement. Cependant, les esprits étaient encore très échauffés et quand la manifestation eut atteint le bâtiment du Conseil d'État, des manifestants ont attaqué la brigade anti-émeute qui le gardait. Bientôt une foule énorme a commencé à jeter sur eux des pierres et divers objets, les chassant à l'intérieur du bâtiment. L'un d'eux, cependant, n'a pas réussi à entrer et a été capturé et presque lynché par la population en colère. L'incident, qui montre à la fois une acceptation de l'escalade de la violence, même de la part de gens qui habituellement réagissent différemment et une haine croissante contre la police, en particulier en ce moment, a duré un certain temps parce que les escadrons de soutien anti-émeute n'ont pas pu s'approcher à proximité à cause de l'intervention des travailleurs licenciés de la compagnie Olympic Airways. Ces travailleurs, peu de temps après les nouvelles mesures, ont annoncées, l'occupation de la Comptabilité Générale de l'État dans l'avenue Panepistimiou et ils ont bloqué le trafic jusqu'au 12 mars avec des voitures et des poubelles.
La conjoncture actuelle constitue un terrain idéal pour les activités du PC puisque la propagande du gouvernement lui-même et des grands médias sur l'imposition présumée de mesures sévères de la part de l'Union Européenne, des marchés internationaux et des spéculateurs, semble confirmer sa rhétorique sur « la sortie de la zone Euro » et la « résistance aux monopoles et au grand capital », qu'il ne cesse de répéter avec une dévotion toute religieuse depuis les années 1980. En tant que l'un des principaux représentants politiques de la classe ouvrière (en tant que classe du mode de production et de communication capitaliste) à l'intérieur de l'État grec et de ses institutions, le PC revendique la création d'une économie nationaliste 'populaire' dans laquelle la classe ouvrière apprécierait les mérites d'un capitalisme social-démocrate au parfum de stalinisme. En fait, les actions du PC assurent l'enfermement des luttes sociales dans les limites des institutions capitalistes et, qui plus est, dans les plus fétichisées d'entre elles, les élections et le Parlement, puisque, pour le PC, voter pour le parti et s'organiser en son sein constitue le point culminant de la lutte des classes.
La caractéristique la plus marquante de l'activisme du PC reste la séparation complète de la mobilisation de son organe syndical (PAME) du reste des prolétaires qui luttent. Les manifestations organisées par le PAME et le PC ne se font jamais avec les manifestations appelées par les autres syndicats ouvriers et les organisations étudiantes. Bien que nous ne soyons pas en mesure de savoir exactement ce qui se passe dans les appareils du PC comme du PAME en raison de leur mode d'organisation totalement secret, l'expérience que nous avons de notre participation dans les assemblées syndicales montre qu'ils exercent un contrôle total sur leur base. Nous sommes certains que les actions sont décidées par la direction du parti sans la moindre participation aux décisions de la base.
Il faut admettre que le niveau d'activité de la classe est faible : il n'y a pas plus de grèves de longue durée organisées simultanément dans de nombreux secteurs que de manifestations massives et combatives au quotidien. Dans ce contexte, les activités du PAME (occupations de bâtiments publics comme le Ministère de l'Économie et la bourse, des manifestations et des rassemblements massifs qui ne sont plus habituels pour le PC depuis au moins le milieu des années 2000) semblent impressionnantes, surtout quand ils réussissent les premiers à appeler à une grève ou à une manifestation obligeant GSEE et ADEDY à les suivre. Il est possible que derrière cette stratégie se trouve un plan pour diviser GSEE et ADEDY et créer une troisième confédération syndicale « indépendante ». Bien sûr, cela va sans dire que si la situation devient incontrôlable en allant au-delà de quelques grèves de 24 heures sur une base hebdomadaire, c'est-à-dire que, si les grèves de longue durée sort accompagnée d'une présence permanente du prolétariat et de l'activité militante dans la rues, le PC aura à nouveau à assumer le rôle de la police en sapant les grèves qu'il ne contrôle pas, en appelant ses membres à sortir dans la rue et en essayant de réprimer violemment toute activité radicale. Après tout, c'est sa pratique habituelle depuis la chute de la dictature, et ils ont fait exactement de même au cours de la rébellion de décembre 2008.
Le 5 mars, GSEE et ADEDY ont appelé à une autre grève de 24 heures le jeudi 11 mars, en réponse à un climat de mécontentement général encore passif devant les mesures d'austérité annoncées, en essayant de conserver un grain de légitimité. Il n'existe pas de chiffres précis disponibles pour connaître le niveau de participation à la grève, mais nous pouvons dire avec certitude qu'il a été plus élevé que le précédent (GSEE fait valoir que la participation à la grève a atteint 90%). Cela a également été prouvé par le nombre de manifestants qui était presque le double de celui de la manifestation du 24 février. Selon nos estimations, environ 100 000 personnes ont participé à deux manifestations du PAME et de GSEE-ADEDY (PAME , conformément à sa pratique habituelle, a organisé une manifestation distincte), même si les médias estiment ce nombre à environ 25 000. La composition de la foule était également légèrement différente, car il y avait plus d'étudiants universitaires, quelques élèves du secondaire et plus de jeunes travailleurs, tandis que les immigrants étaient cette fois absents. En outre, un grand nombre de manifestants dispersés dans la manifestation, venant de la quasi-totalité du milieu anti-autoritaire a participé à la manifestation de GSEE-ADEDY.
Une autre caractéristique distinctive de la manifestation a été la tactique différente de la police beaucoup plus offensive. Plus de cinq mille flics ont tenté d'empêcher une escalade de la violence prolétarienne en suivant de près la manifestation sur ses deux côtés. Leur objectif a été atteint dans une certaine mesure, car relativement moins de gens ne venant pas du milieu anarchiste-anti-autoritaire ont soutenu les combats de rues ou participé activement dans des affrontements avec la police. En outre, il convient de noter que cette fois la direction des confédérations syndicales n'ont pas simplement coopéré ouvertement avec la police mais ont donné des ordres spécifiques aux escadrons anti-émeutes pour arrêter les manifestants sur l'avenue Patision afin de prendre la tête de la manifestation et éviter d'éventuels conflits avec la base et une répétition des événements de vendredi dernier, où ils ont été accueillis par les huées qu'ils méritaient.
La composition de ces dernières manifestations est différente de celles de 2008 décembre, comme on pouvait s'y attendre. Les élèves du secondaire ne se sont pas du tout montrés, du moins d'une façon reconnaissable, à l'exception de quelques unes dans la dernière manifestation, mais les étudiants étaient présents dans les deux dernières manifestations étant donné qu'il y avait de plus en plus d'appels à des assemblées générales. En général, mis à part les étudiants, les précaires et le « lumpen », les éléments marginaux de la classe qui constituent la présence dominante dans les émeutes n'étaient naturellement pas présents, puisque la question, du moins pour le moment, est le terrorisme financier imposée par les mesures d'austérité qui menacent les travailleurs qui ont des emplois plus stables et plus à perdre. Aussi, ce qui demande quelque explication c'est plutôt l'inertie qu'a montré cette partie du prolétariat puisque ses mobilisations n'ont pas constitué jusqu'à présent un mouvement, ni n'ont été à la hauteur de la situation critique actuelle. Les grèves ont été appelées par les dirigeants des confédérations syndicales. Même là où les syndicats du premier degré ont appelé à une grève, aucune assemblées extraordinaires massive ne l'a précédée, ce qui signifie que la base n'a rien organisé. L'influence destructrice et paralysante des syndicalistes socialistes et le contrôle qu'ils ont encore sur les syndicats est encore le principal obstacle ce qui peut être illustré par l'exemple suivant. Les employés de l'Imprimerie Nationale occupaient le 5 mars le local parce que les nouvelles mesures prévoyaient une réduction de 30% supplémentaires du revenu des employés du Ministère de l'Intérieur. L'occupation était cependant fermée à toute personne qui « n'était pas employée au Ministère », et des camarades qui ont essayé de leur rendre visite nous ont dit qu'ils ont été effectivement expulsés. Les cadres du syndicat socialiste qui contrôlent le syndicat ont décidé à la hâte de mettre fin à l'occupation, sans même poser la question à l'assemblée avec l'argument que le gouvernement avait 'promis' de supprimer la réglementation particulière, une décision qui a été accueillie avec colère, mais qui n'a pas été annulée. L'occupation de la Comptabilité Générale de l'État par les travailleurs mis à pied d'Olympic Airways a eu la même triste conclusion. Ils sont pour la plupart des techniciens qui n'ont pas été payés depuis maintenant 3 mois après la privatisation d'Olympic Airways, ou bien des ouvriers licenciés à qui on avait promis d'être transférés sur d'autres lieux de travail. Le premier jour de l'occupation, ils ont gardé un cadre dirigeant en otage pendant plusieurs heures et le soir même, ils ont battu et chassé une escouade anti-émeute. Bien qu'ils aient été ouverts à la discussion et qu'ils semblaient déterminés à maintenir le blocus aussi longtemps que nécessaire, puisque, d'après leurs propres mots, ils n'avaient « rien à perdre », ils n'ont laissé entrer personne dans le bâtiment occupé. Après une occupation de 10 jours, leurs représentants socialiste (et de droite) ont décidé d'accepter la « promesse » du gouvernement de former un comité spécial pour examiner la question ! Dans ce cas, les syndicalistes socialistes ont agi comme courroie transmission des menaces du gouvernement contre les travailleurs et de celles du ministère public de les faire arrêter.
Comme nous l'avions déjà noté l'an dernier par rapport à l'incapacité de la rébellion de décembre 2008 de s'étendre aux lieux de travail, le manque de formes autonomes d'organisation et de nouveaux contenus de la lutte au-delà des exigences syndicaliste semblent peser lourdement sur les épaules des prolétaires dans une ère de terrorisme de la dette publique. Qui plus est, les limites de cette rébellion avec son caractère minoritaire sont encore plus évidentes aujourd'hui, et bientôt ceux qui en étaient restés en dehors découvriront probablement qu'il leur faudra en commencer une nouvelle pour se sortir de ce pétrin.
Proles and Poor's Credit Rating Agency, alias TPTG (le 14 mars)
1 Ce texte est disponible en anglais sur notre site [35] depuis le 5 avril 2010. Notre section en Grande-Bretagne a d'ailleurs déjà publié une prise de position de ce groupe lors des mouvements en Grèce de décembre 2008 dans le n°328 de World Revolution.
2 Ce que démontre tragiquement l’incendie de la banque Marfin à la suite de d’un jet de cocktail Molotov qui a tué trois de nos frères de classe, lors de la manifestation du 5 mai, alors que la direction avait interdit à ses employés de participer à la grève générale sous peine de licenciement et les avait enfermés dans des locaux non sécurisés. Voir le témoignage d’un employé de la banque sur le lien web en anglais. Ce texte a été également traduit en français sur le forum de la CNT-AIT [36].
3 Sur ces deux points, le syndicalisme et la violence prolétarienne, pour mieux connaître la position du CCI, nous conseillons la lecture de notre brochure "Les syndicats contre la classe ouvrière [37]"' ou notre article "Dans quel camps sont les syndicats ? [38]" et notre texte "Terreur, terrorisme et violence de classe [39]".
« Guayana (1) est une poudrière » : cette phrase est souvent répétée par les représentants de la bourgeoisie, dirigeants de partis politiques et syndicaux, qu’ils soient membres de l’opposition ou favorables au gouvernement Chavez ; c’est ainsi que les uns comme les autres parlent des luttes et mobilisations que mène la classe ouvrière à Ciudad Guayana (connue aussi comme la « Zone du fer »), exprimant le profond mécontentement vécu par la classe ouvrière vénézuélienne à cause des attaques répétées contre ses conditions de vie.
La région de Ciudad Guayana est une de plus grandes concentrations ouvrières du pays, avec plus de cent mille ouvriers qui travaillent dans les « Entreprises de base » (2qui produisent et traitent le fer, l’acier et l’aluminium ; il faut y ajouter un nombre important de travailleurs de PME sous-traitantes de ces grandes entreprises.
L’ensemble de la bourgeoisie vénézuélienne sait bien que Guayana est une zone à surveiller de près. Depuis les années 1960, le prolétariat guyanais a souvent montré sa combativité ; une des luttes les plus significatives eut lieu à la fin des années 1960, quand les travailleurs de l'aciérie SIDOR (Sidérurgies de l'Orénoque, une des plus importantes d'Amérique latine à cette époque) s’affrontèrent à l'État et à la principale centrale syndicale, la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV). A cette occasion, les travailleurs du fer, très en colère, parcoururent les six cent kilomètres qui séparent Guayana de Caracas pour protester face au siège de la CTV, dont les installations furent incendiées par les grévistes.
Le gouvernement de Chavez lui-même a fait directement l’expérience de cette combativité ouvrière en mai 2001, quand les mêmes travailleurs de SIDOR ont fait grève pendant 21 jours (3) pour affronter les patrons qui se refusaient à discuter les nouvelles conventions collectives. Cette situation a obligé le syndicat de l'aciérie SUTISS (4) et la CTV à unir leurs efforts pour que le conflit ne s’étende pas à d’autres entreprises de la région. L’impact du conflit fut tel que Chavez lui-même, pour montrer la face « ouvrière » de son gouvernement, n’eût d’autre recours que de se féliciter du succès de la grève.
A partir de 2002, tant à Guayana qu’au niveau national, le prolétariat a été infiltré progressivement par les réseaux de la bipolarisation politicienne du pays, grâce en partie à l'action des syndicats contrôlés par la CTV qui s'opposaient à Chavez, ainsi que par les syndicats qui soutenaient le projet chaviste (parmi eux les tendances trotskistes) et qui commençaient à se renforcer. La bourgeoisie a ainsi imposé une paix sociale, en amenant le prolétariat sur un terrain complètement étranger à celui de ses intérêts, en créant la division dans ses rangs et en affaiblissant la solidarité ouvrière.
Mais à partir de 2007, en même temps que les travailleurs du secteur pétrolier, le prolétariat de Guayana reprend les luttes, montrant les tentatives du prolétariat vénézuélien de retrouver son identité de classe à travers les luttes menées sur le terrain de ses propres revendications. Devant l'essor des luttes ouvrières, le gouvernement Chavez, appuyé par les syndicats, décrète à grands renforts de propagande la nationalisation de SIDOR en mars 2008. Le piège de la nationalisation, bien qu'il ait amoindri les mobilisations ouvrières pendant quelques mois, n'a toutefois pas mis un frein au mécontentement des travailleurs : ils maintiennent la pression lors de la signature des conventions collectives. Les travailleurs précarisés des entreprises de sous-traitance de l'aciérie se sont mobilisés pour rejoindre les rangs des travailleurs en CDI en lutte, mettant en avant des expressions de solidarité entre travailleurs fixes et précaires. Ces expressions de solidarité ont été immédiatement attaquées et fragilisées par le gouvernement et les syndicats. Des retraités de SIDOR, ainsi que des travailleurs des entreprises de l'aluminium, des mines de fer et du secteur électrique se sont ainsi mobilisés à plusieurs reprises en 2008, pour exiger la satisfaction de revendications et le paiement de salaires non versés (5).
Mais c’est en 2009 que les luttes manifestèrent le plus de virulence :
– en juillet, les travailleurs du secteur de l’aluminium ont lancé des mobilisations qui se sont prolongées pendant une semaine ; ils exigeaient le paiement de primes particulières de compensation, un important solde habituellement attribué aux travailleurs en milieu d'année. Le gouvernement a proposé de fractionner le paiement en plusieurs fois, provoquant la colère des travailleurs qui se sont mobilisés en assiégeant les bureaux de la CVG (Corporation vénézuélienne de Guayana), obligeant le gouvernement à payer ces intérêts en deux fois seulement ;
– quelques jours après cette mobilisation, le décès d'un travailleur de SIDOR lors d’un accident de travail a provoqué une grève de 24 heures dans les aciéries. Les travailleurs ont exigé des investissements majeurs de l’entreprise parce que l'accident était dû à un défaut de maintenance des installations ;
– ce même mois, les travailleurs de SIDOR se sont mobilisés dans la rue à Ciudad Guayana pour exiger le paiement de primes d’intéressement aux profits de l'entreprise, prime que reçoivent les travailleurs vers le milieu d'année et que l'entreprise n’avait pas répercutée sur les feuilles de paie ;
– en août, a commencé une grève à Ferrominera Orinoco (entreprise d’extraction de minerai de fer) qui s’est étendue durant seize jours à Ciudad Piar. La lutte s’est fortement implantée dans la colline San Isidro, où les travailleurs sont restés fermes sur leurs revendications de primes rétroactives et de renforcement de la sécurité, avantages contractuels concédés dans une convention collective récemment signée. Pendant seize jours, le gouvernement et la direction de l'entreprise ont maintenu un « black out » sur la grève. Un mois après furent incarcérés le secrétaire général du syndicat de Ferrominera et dix travailleurs ;
– en octobre, furent arrêtés plusieurs travailleurs et dirigeants syndicaux de la CVG, alors qu’ils manifestaient devant le ministère les Entreprises de base de Rodolfo Sanz, exigeant l'approvisionnement en bleus de travail et d’autres revendications contractuelles ;
– en décembre, les travailleurs de SIDOR ont lancé une grève de huit heures pour protester contre le retard du paiement des primes de fin d'année. Les travailleurs des Entreprises de base Carbonorca, Bauxilum et Alcasa ont aussi revendiqué contre le retard dans le paiement du salaire et des primes ;
– les coopérateurs de Ferrominera Orinoco et de Bauxilum ont manifesté toute l’année 2009, ainsi que les travailleurs précaires de Matesi, entreprise nationalisée par l'État vers le milieu de 2009.
Face à ces mobilisations ouvrières, qui ne purent être calmées ni par les bureaucrates du gouvernement ni par les syndicats, Chavez a dû jouer lui-même le pompier social : en mars 2009, depuis Ciudad Piar, il a fustigé les travailleurs des Entreprises de base en les accusant de vouloir « s’enrichir » et « d'être privilégiés », essayant de les discréditer aux yeux des autres travailleurs et aux habitants de la région, dans l'intention de les démoraliser comme il l'avait fait avec les pétroliers en 2002 (6). Mais cette menace n'a pas arrêté les manifestations, il a donc dû retourner à Guayana deux mois plus tard, cette fois « en faisant l'éloge » des travailleurs, tentant de les gagner au soutien du « Plan Guyane socialiste », qui prétend sortir de la crise les entreprises de la région.
La crise du capitalisme, contre laquelle Chavez a dit que le Venezuela était « blindé », a mis l'État dans une situation difficile, parce que la baisse des prix des matières premières qui a été observée à partir de 2008 a limité les recettes et a montré une réalité qu'on essayait de dissimuler : les Entreprises de base sont pratiquement en faillite, elles sont une lourde charge pour l'État à cause de la baisse de productivité provoquée par l'obsolescence et le manque d’entretien des infrastructures industrielles. Comme il fallait s’y attendre, ce sont les travailleurs qui héritent des pires conséquences de cette situation à cause du refus de l'État de revoir les conventions collectives qui régissent des salaires et les primes, à cause du retard dans le paiement des salaires y compris les menaces de licenciements. Tout comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial, le gouvernement utilise la crise pour attaquer les conditions de vie des ouvriers et précariser leur force de travail. Enfin a été instauré depuis fin 2009 le rationnement dans les services d'électricité, afin de limiter la production de fer et d’aluminium, poussant une partie du personnel à prendre des congés forcés à cause des mesures de mise au chômage technique et créant une situation d’angoisse et d’insécurité parmi les ouvriers. Pressé par les mobilisations ouvrières, l'État a été forcé de renégocier quelques conventions collectives, mais le retard dans l'accomplissement des paiements est fréquent, ce qui est à son tour une source permanente de mécontentement dans la classe ouvrière.
On observe que la crise mondiale du capitalisme et ses effets au Venezuela sont devenus un facteur qui accélère les luttes ouvrières, puisqu'il réduit les recettes de l'État et par conséquent la marge de manœuvre de la bourgeoisie nationale, qui essaie inéluctablement de faire porter le poids de la crise sur le dos des prolétaires. Les syndicats des entreprises de Guayana, dans leur majorité pro-gouvernementaux, perdent rapidement leur crédibilité parmi les travailleurs. Les tentatives de retourner les masses de la région contre ces travailleurs (à travers les Conseils communaux) ont été un échec, ces masses étant dans leur majorité constituées par des familles d’ouvriers dont la survie dépend précisément de ceux qui, pour la plupart, travaillent précisément dans les Entreprises de base. A cause de la forte concentration ouvrière et de la résistance des prolétaires, il n’est pas facile pour la bourgeoisie de recourir au chômage massif, celui-ci pouvant provoquer une explosion ouvrière et des révoltes populaires.
Cette situation a provoqué une sorte d'impasse dans la région, où la bourgeoisie est incapable d’appliquer ses plans selon son bon vouloir et où le prolétariat n'a pas pour l’instant la force de s’imposer à l'État. C'est pourquoi Guayana est une « cocotte-minute » qui peut éclater à tout moment.
Guayana a été un laboratoire pour le chavisme, dans son intention de précariser la force de travail dans toute la région, vieille aspiration de la bourgeoisie vénézuélienne. Après avoir progressivement rogné sur les conditions de travail des travailleurs du secteur pétrolier, la bourgeoisie doit le faire à présent avec les travailleurs de la « Zone du fer » qui, selon elle, font partie « de l'aristocratie ouvrière » héritée des gouvernements sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens qui précédèrent celui de Chavez.
Au cours des années 90, on a voulu faire d'ALCASA (usine productrice d'aluminium) la première grande entreprise cogérée, qui servirait de modèle pour le reste des entreprises du pays. Le but réellement poursuivi était de précariser les conditions de travail des travailleurs de l'aluminium, en leur faisant accepter les prétendues « valeurs du socialisme », c'est-à-dire travailler plus et gagner moins ; quelque chose s’apparentant à « l’émulation socialiste » promue par les bourgeoisies des pays de l'ex-bloc « socialiste », dont le principal chantre à Cuba fût Che Guevara (7). Mais les ouvriers d'ALCASA n'ont pas avalé cette histoire, n'ont pas accepté la détérioration de leurs conditions de vie et la perte des acquis sociaux : la cogestion dans l'aluminium a tout simplement été un échec.
Le gouvernement tente de faire quelque chose de semblable avec le plan « Guayana socialiste », qui se base fondamentalement sur « le contrôle ouvrier de la production » par le biais des prétendus Conseils de travailleurs (8). Face à la crise des Entreprises de base, le chavisme emprunte le mot d’ordre trotskiste de « contrôle ouvrier », qui convient ponctuellement très bien à la bourgeoisie parce qu'il fait accepter aux travailleurs la dégradation de leurs conditions de travail pour tenter de sauver les entreprises. C’est ainsi que le Plan propose l'abolition « de la recherche d'une maximisation du profit individuel au niveau personnel… ». Ceux qui mènent ce processus sont le PSUV et les syndicats d’entreprises, qui tous adhèrent au projet chaviste.
Les syndicats trotskistes, à présent dissidents du chavisme, dénoncent ce Plan qui ne serait pas un « authentique contrôle ouvrier », l'État étant encore le patron. Ils contribuent en ce sens à tromper les travailleurs en continuant à défendre les intérêts du capital national, en leur proposant de sauver les entreprises à travers un « véritable » contrôle ouvrier des industries, c'est-à-dire par une véritable auto-exploitation des ouvriers eux-mêmes, dans laquelle les bureaucrates de l'État seraient remplacés par des ouvriers (de préférence bien évidemment de tendance trotskiste).
Mais les travailleurs n’avalent pas non plus facilement ces contes de fée : après qu’ait été promulgué le Plan en juin dernier, ils ont poursuivi les luttes et les mobilisations pour des revendications salariales. Cette situation a forcé l'État à signer quelques conventions collectives, et les syndicats pro-gouvernementaux ont tenté de dévoyer le mécontentement ouvrier vers une lutte contre la bureaucratie, qui selon eux « empêche la participation ouvrière ». Ils ont même soutenu des actions promues par des syndicats dissidents pour ne pas se décrédibiliser ! Ce contexte a été propice à des tendances syndicales « antichavistes », comme celle des trotskistes de CCURA (9), qui se présentent devant les ouvriers comme des syndicats non alignés derrière le gouvernement ou l'opposition. Leur action, et celle du syndicalisme tant chaviste que contrôlé par l'opposition, contribue à créer une situation de confusion, de division et d’absence de perspectives au sein de l'important bastion prolétarien de Guayana : il s’avère évident qu’ils font ensemble du bon boulot dans l’intérêt du capital national.
Devant l’obstination des ouvriers à continuer de lutter pour la défense de leurs propres intérêts, le gouvernement a continué à criminaliser les luttes, à incarcérer temporairement les travailleurs, à les menacer de licenciements, quand il ne recourt pas à la répression ouverte. Ces actions de l'État, accompagnées par l'action syndicale, ont fait que les manifestations ont diminué début 2010. On vit cependant en Guayana une situation tendue, de calme précaire, qui peut à tout moment exploser.
Les attaques de la bourgeoisie vénézuélienne contre le travail poussent le prolétariat de Guayana à se poser la question sur son terrain de classe, montrant qu’il n'est pas disposé à être passivement sacrifié sur l’autel du projet bourgeois « du Socialisme du xxie siècle ». Il semble que le prolétariat retrouve sa combativité avec l'accélération de la crise économique.
Le prolétariat de Guayana, ainsi que l'ensemble de la classe ouvrière, n'a pas d’autre choix : soit il continue sa lutte contre les attaques du capital (étatique ou privé), ou celui-ci s’impose avec la précarisation du travail et la paupérisation des travailleurs et de leurs familles. L'action des syndicats (ces faux amis, authentiques défenseurs du capital national), le corporatisme, le coopérativisme, le contrôle ouvrier et la cogestion, qui enferme les ouvriers dans « leur » entreprise, est un obstacle à la lutte, la déviant en dehors du terrain ouvrier. La riposte à ces obstacles que sèment la bourgeoisie, la lutte ouvrière elle-même, donne les moyens pour leur résister : assemblées générales où s’expriment tous les ouvriers, extension des luttes et recherche de la solidarité de classe non seulement dans les entreprises de Guayana mais au niveau national, et aussi international.
En Guayana sont réunies les conditions pour que soit développée et fortifiée la solidarité entre les travailleurs et la population, puisque la majorité des habitants ont des parents qui travaillent dans les entreprises de la région. Si malgré le harcèlement du gouvernement, des partis et des syndicats de toutes tendances, le prolétariat de Guayana parvient à se maintenir sur le pied de guerre en montrant sa force et en s’exprimant comme une classe unie, il sera un exemple pour les prolétaires du reste du pays. Ses luttes seront ainsi reliées et intégrées à celles qu’entame le prolétariat mondial en Grèce, en Espagne, en France et autres pays.
La tâche des minorités les plus politisées de la classe est d'intervenir de toutes leurs forces dans le processus de luttes entamé par le prolétariat en Guayana et dans tout le pays. Leur tâche est de dénoncer et de démonter les pièges et obstacles placés par la bourgeoisie sur le chemin du développement de la conscience de la classe ouvrière, en soulignant que le prolétariat guayanais et vénézuélien n'est pas seul dans cette lutte, qu’il fait partie du mouvement encore naissant qu’entame le prolétariat au niveau mondial.
Internacionalismo (6 mars 2010)
1 L’agglomération de Ciudad-Guayana est située dans l’état de Bolivar au Venezuela, avec une population proche du million d’habitants dont une grande partie est formée de familles ouvrières.
2 Il s’agit de grandes industries de base regroupées dans la CVG, un conglomérat d’État.
3 A cette époque, la participation du capital étatique dans l’aciérie était minoritaire, la majorité étant entre les mains du capital privé du consortium argentin Tchint.
4 Syndicat unique des travailleurs de l’industrie sidérurgique et similaires (SUTISS) alors contrôlé par le parti de centre-gauche la Cause R.
5 Voir l’article « L’Etat de Chavez attaque les travailleurs du fer [41] ».
6 Chavez ne put cacher alors sa colère contre les travailleurs : « Nous allons en profiter pour nettoyer les entreprises de la CVG. S’ils menacent de s’arrêter, qu’ils le fassent, je verrai alors ce que moi j’ai à faire ! J’ai déjà connu la grève de Pdvsa… celui qui fait grève dans une entreprise d’Etat s’en prend directement au chef de l’Etat » (Correo del Caroní, 07-03-2009).
7 Ce n’est pas par hasard si une des Missions du gouvernement se nomme « Che Guevara ». Comme elle le prêche sur son site internet, elle offre « un programme intégral de formation et de qualification dans des métiers productifs, destiné à impulser la transformation du modèle économique capitaliste en modèle socialiste ».
8 Organes institutionnalisés par le chavisme dans la classe ouvrière, soi-disant « inspirés » par le modèle des soviets russes !
9 Voir l’article “Venezuela – Courrier des lecteurs: Les travailleurs entrent en lutte, les syndicats la sabotent”, Internacionalismo no 58, avril 2010.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par un ouvrier de Turquie qui a participé aux luttes de Tekel et qui a sympathisé avec la section du CCI dans ce pays. Nous adressons nos plus chaleureux remerciements à ce travailleur.
Les grèves de Tekel sont très peu connues au niveau international car un véritable black-out médiatique est orchestré par la bourgeoisie. La classe dominante préfère évidemment braquer ses projecteurs sur toutes les expressions de nationalisme (qu'elle-même engendre d'ailleurs le plus souvent) et passer sous un silence de plomb les manifestations de solidarité ouvrière entre travailleurs de différentes origines ethniques, culturelles, religieuses… Nous demandons donc à tous nos lecteurs de faire circuler autour d'eux toutes les informations disponibles sur cette lutte.
Nous devons aller partout où nous pouvons pour raconter aux gens la lutte de Tekel dans ses moindres détails. Pour cela, nous devons former un comité et nous unir à la classe. Notre tâche est plus difficile qu'il n'y paraît ! D'une part, nous avons affaire au capital, d'autre part, à la fois au gouvernement et aux leaders syndicaux. Nous devons tous lutter de la meilleure façon possible. Même si notre situation économique n'est pas bonne, même si nous sommes physiquement fatigués, si nous voulons la victoire, nous devons lutter, lutter, lutter !
Bien que j'aie été loin de ma famille pendant 83 jours, je ne suis resté à la maison que pendant une semaine. Je suis allé à Istanbul pour parler aux gens de la résistance de Tekel, sans même pouvoir voir ma femme et mes enfants. Nous avons eu de nombreuses réunions du comité informel des travailleurs de Tekel, notamment à Diyarbakir, Izmir, Hatay, et j'ai participé à de nombreuses réunions avec des camarades de la commission informelle à Istanbul. Nous avons eu des réunions à l'Université Mimar Sinan, une dans l'école hôtelière de Sirinevler, une dans le bâtiment du syndicat de l'Industrie, nous avons eu des discussions avec des pilotes et d'autres travailleurs de l'aéronautique du mouvement dissident Rainbow de Hava-Is (un syndicat), et nous avons rencontré des salariés de la magistrature. Nous avons également rencontré le président du Parti de la Paix et de la Démocratie d'Istanbul et lui avons demandé que les travailleurs de Tekel puissent parler à l'occasion du jour férié Newroz. Les réunions ont toutes été très chaleureuses. Notre requête auprès du PDP a été acceptée et ils m'ont demandé de participer aux manifestations de Newroz comme orateur. Comme je devais retourner à Adiyaman, j'ai suggéré qu'un camarade ouvrier d'Istanbul parle à ma place. Pendant que j'étais à Istanbul, j'ai rendu visite aux pompiers en lutte, aux ouvriers de Sinter Metal, aux travailleurs municipaux d'Esenyurt, aux grévistes du journal Sabah et de ATV, le dernier jour, aux travailleurs en lutte du Service des Eaux et des Égouts d'Istanbul (ISKI). Nous avons parlé avec ces ouvriers pendant une demi-journée sur comment nous pouvions faire grandir la lutte et nous leur avons aussi donné des informations sur la lutte de Tekel. Les ouvriers de ISKI m'ont d'abord dit qu'ils ont commencé leur lutte avec le courage qu'ils avaient acquis grâce aux travailleurs de Tekel. Pendant la semaine que j'ai passée à Istanbul, partout où j'allais, à la manifestation ou en allant visiter des lieux de lutte, j'entendais : « Nous avons eu du courage grâce à Tekel », ce qui me rendait des plus heureux. Le temps que j'ai passé à Istanbul a été très enrichissant pour moi aussi. Il y a eu aussi bien sûr des mauvaises choses : un de mes proches est malheureusement décédé mais j'ai décidé de ne pas partir et de rester toute la semaine comme prévu.
Pour parler des choses plus noires de cette période, 24 élèves, frères et sœurs de classe, ont été expulsés de leur lycée (Mehemetcik High School) pour avoir soutenu la lutte de Tekel. A Ankara aussi, une de nos sœurs de classe du Conseil de la Recherche Scientifique et Technologique de Turquie (TUBITAK), Aynur Camalan, a été abattue. Lorsque le capital nous attaque de cette façon, nous, ouvriers, sans aucune pitié, nous devons nous unir contre lui. Aussi, avons-nous fait deux annonces dans la presse à Adiyaman et avons montré que nos amis ne sont pas seuls. Nous nous sommes aussi préparés pour la manifestation du 1er avril. Ce que les leaders syndicaux voulaient, c'était aller à Ankara avec 50 personnes de chaque ville, avec un total de mille. En tant que comité informel, nous avons augmenté ce nombre de 50 à 180 seulement à Adiyaman, et je suis moi-même venu à Ankara avec dix autres ouvriers le 31 mars. Malgré toutes les déclarations des syndicats pour limiter le nombre à 50, nous avons réussi à aider 180 travailleurs à venir (c'est nous et non les syndicats qui avons couvert les frais), car nous savions comment les syndicats voulaient manipuler, comme il le faisaient auparavant. Nous avons eu des réunions avec de nombreuses organisations massives, des associations et des syndicats. Nous avons rendu visite à Aynur Camalan, l'ouvrière de TUBITAK, qui avait perdu son emploi.
Le 1er avril, nous nous sommes réunis dans Kizilay [le centre d'Ankara, la capitale de la Turquie, NDT], mais nous avons dû faire beaucoup d'efforts pour arriver jusqu'à la rue en face de Turk-Is, parce que 15 000 policiers gardaient le bâtiment. Que faisaient tous ces policiers devant nous et devant le syndicat ? Maintenant, nous devons demander à ceux qui se dressent contre nous, même quand nous parlons des dirigeants syndicaux, même lorsque nous disons que les syndicats devraient être remis en question : s'il y a une puissante barricade de 15 000 policiers entre nous et le syndicat, pourquoi les syndicats existent-ils ? Si vous me dites qu'il est tout à fait naturel que la police protège le syndicat et les dirigeants syndicaux, cela ne veut-il pas dire que le syndicat et les syndicalistes protègent le gouvernement et le capital ? Est-ce que les syndicats n'existent pas que pour maintenir les travailleurs sous contrôle pour le compte de capital ?
Le 1er avril, malgré tout, 35 à 40 d'entre nous ont réussi à franchir la barricade, un par un, pour se retrouver dans la rue en face de Turk-Is. Notre but était d'avoir une certaine majorité et de manœuvrer pour que nos autres amis nous rejoignent, mais nous avons échoué, malheureusement, notre majorité ne pouvait pas négocier avec 15 000 policiers. Le syndicat avait précédemment déclaré que seulement 1 000 d'entre nous devaient venir à Ankara. Avec le comité informel, nous avons réussi à augmenter ce nombre à 2 300. 15 000 policiers bloquaient la route à 2 300 personnes ! Nous nous sommes réunis dans la rue Sakarya. Nous étions prêts à y passer au moins la nuit, avec tous ceux qui étaient venus nous encourager. Dans la journée, nous avons été attaqués à deux reprises par la police avec des gaz au poivre et des matraques. Notre but était bien sûr de passer la nuit dans la rue en face du QG de Turk-Is, mais lorsque nous nous sommes heurtés à la police, nous sommes restés dans la rue Sakarya. Mais pendant la nuit, les syndicalistes ont silencieusement et sournoisement appelé nos camarades ouvriers à quitter la région. Nous nous sommes retrouvés une minorité. Les syndicalistes m'ont aussi demandé à deux reprises de quitter la zone, mais nous n'avons pas tenu compte de l'appel des dirigeants syndicaux et une certaine minorité d'entre nous est restée. Lorsque les sympathisants sont partis autour de 23h, nous avons dû nous aussi partir.
Il devait y avoir un communiqué de presse le 2 avril. Quand nous avons été sur le point d'entrer dans la rue Sakarya à environ 9h du matin, nous avons été attaqués par la police, qui a de nouveau utilisé des gaz au poivre et des matraques. Une heure plus tard, une centaine d'entre nous ont réussi à franchir la barricade et à faire un sit-in. La police n'arrêtait pas de nous menacer. Nous avons continué à résister. La police a finalement dû ouvrir la barricade et nous avons réussi à nous unir avec l'autre groupe qui était resté en dehors. Nous avons commencé à marcher vers Turk-Is, mais les dirigeants syndicaux ont fait leur annonce à la presse à 100 mètres du QG de Turk-Is. Sans tenir compte de notre insistance, les dirigeants syndicaux ne sont pas descendus dans la rue en face de Turk-Is. Le syndicat et la police se sont retrouvés main dans la main, et ainsi certains d'entre nous n'ont finalement pas pu aller là où nous voulions aller. Il y avait un point intéressant parmi les choses que les syndicalistes avaient dites. Ils avaient dit que nous reviendrions le 3 juin et resterions en face de Turk-Is pendant trois nuits. Il est intéressant de savoir comment nous parviendrons à y rester pendant 3 nuits, alors que nous n'avons même pas pu y rester une seule nuit. La police devait d'abord protéger les syndicalistes contre nous et les aider à s'échapper et alors nous nous sommes retrouvés seuls avec la police. Malgré les menaces et les pressions de la police, nous ne nous sommes pas dispersés et nous avons à nouveau été attaqués avec du gaz au poivre et des matraques et avons dû finalement nous disperser. Dans l'après-midi, nous avons eu une couronne noire faite par certains fleuristes pour condamner Turk-Is et le gouvernement, que nous avons laissé en face de l'immeuble de Turk-Is.
Chers frères et sœurs de classe, ce que nous avons comme question est : s'il y a 15 000 policiers qui forment une barricade entre le syndicat et les ouvriers, pourquoi les syndicats existent-ils ? Je déclare à tous mes frères et sœurs de classe, que si nous voulons la victoire, nous devons lutter ensemble. Nous, ouvriers de Tekel, avons allumé une étincelle et nous allons tous ensemble en faire une énorme boule de feu. Dans ce sens, pour exprimer mon respect pour vous tous, je tiens à terminer mon texte avec un poème 1:
La vapeur du thé s'envole alors que nos vies sont encore fraîches
Les vêtements forment une chaîne aussi longue que les routes, et il n'y a que le chagrin qui revient
Un Bol de riz, ils disent que notre nourriture a atterri sur nos maisons
Les désirs deviennent des routes, des routes, d'où vient le travail
La faim est pour nous, le froid est pour nous, la pauvreté est pour nous
Ils ont appelé le destin, vivre avec lui c'est pour nous
Nous qui nourrissent, nous qui avons faim, nous qui sommes nus à nouveau
Nous n'avons pas écrit ce destin, c'est nous qui allons le briser à nouveau
Nous, travailleurs de Tekel, disons que même si notre tête touche le sol, nous laisserons toujours un avenir honorable pour nos enfants.
Un travailleur de Tekel de Adiyaman
1 NDLR : il est toujours difficile de traduire un poème. Nous espérons ne pas trop avoir altéré ni le sens ni sa "musique".
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par l’organe du CCI en Italie, Rivoluzione Internazionale, en décembre 2009.
Avec la publication de Gomorra1 et sa diffusion au niveau international, Roberto Saviano est devenu le symbole de la lutte contre la Camorra et, plus généralement, contre la mafia, recevant des soutiens chaleureux non seulement d’une bonne partie des médias italiens et internationaux, mais aussi de beaucoup de gens qui, dégoûtés d’une classe politique de plus en plus clairement tricheuse et hypocrite, ont trouvé chez Saviano celui qui fait une dénonciation du crime organisé et, surtout, de ses multiples liens avec le monde politique et patronal. Saviano est aujourd’hui bien plus qu’un « littéraire », il est devenu une référence surtout pour beaucoup de jeunes qui ressentent le besoin de réagir face à toute cette pourriture, en particulier ceux qui subissent directement la dégradation économique et sociale croissante dans les régions méridionales de l’Italie.
Plus récemment, Saviano est aussi intervenu sur des questions plus générales dénonçant les exactions du régime iranien qui tue les manifestants, le régime castriste qui élimine un écrivain gênant et homosexuel, ou le régime stalinien et son goulag, et bien d’autres encore2 jusqu’à devenir le promoteur de l’Appel3 au Président du Conseil italien [Berlusconi, NDT] pour que soit retirée la loi sur le « processo breve »4, un appel qui a réuni cinq cent mille signatures.
Les faits dénoncés par Saviano dans ses écrits et ses interventions sont certainement vrais, comme le tableau qu'il dresse de la corruption, de la criminalité et de l'oppression. Il est vrai aussi que, du point de vue personnel, il est en train de payer très cher toutes ces dénonciations, surtout celles du livre Gomorra, qui l'obligent à mener une vie pire que celle d’un prisonnier. C’est pour cela que nous respectons la personne de Saviano parce que nous le considérons honnête, même si nous pensons qu’il se trompe sur la thérapie qu’il suggère pour combattre cette pourriture ambiante des affaires louches.
Pour Saviano, la mafia est fondamentalement un virulent parasite qui, à partir du sud de l’Italie, envahit et s’empare de l’Etat démocratique par la corruption des politiciens et des hommes d’affaire, en réussissant ainsi à s’infiltrer et à avoir un pouvoir tel qu’elle conditionne le sort de régions entières et même des politiques nationales. Ceci aurait été possible grâce, d’une part, au fait que la classe politique et l'État auraient sous-estimé la dangerosité de cet agent pathogène : « Tandis que la politique se désintéressait de la mafia, la mafia, elle, s’est intéressée à la politique en la cooptant systématiquement »5 et, d’une autre part, grâce à l’omerta complice des populations méridionales qui joueraient un rôle de spectateurs passifs par « peur » ou « auto-préservation », « sans croire ni exiger qu’un changement puisse surgir de leur propre territoire. (…) L’omerta n’est pas tant le fait de se taire, mais surtout de ne pas vouloir savoir. Ne pas savoir, ne pas connaître, ne pas comprendre, ne pas prendre position, ne pas prendre part. Voilà la nouvelle omerta »6.
A partir d’une telle vision, il est normal que la réponse appropriée, pour vaincre ce mal et redonner de la dignité à la nation et aux populations méridionales, soit la dénonciation, la mobilisation de la population pour qu’elle collabore avec l’État et les forces de l’ordre pour signaler et dénoncer les mafieux et leurs sales affaires : « La dénonciation du tueur pourrait être le seul moyen de racheter l’humanité des personnes toujours plus à l’aise dans la déshumanisation à laquelle elles sont contraintes et dans laquelle elles semblent s'être installées confortablement »7. Selon Saviano, en effet, « …nous devrons tous nous rendre compte du fait que ni les médias ni la magistrature ne seront en mesure de provoquer à elles seules le moindre changement jusqu’à ce que ce changement soit exigé et soutenu par la majorité des citoyens »8.
Beaucoup de gens ont sans doute découvert avec le livre Gomorra des faits effroyables et inimaginables. En tout cas, la grande majorité ne sait pas (parce que ça ne figure pas sur les livres d’histoire) que les États, dont l’État italien, ont très souvent utilisé la mafia autant sur le plan intérieur qu’international pour toutes sortes de sales boulots qu’ils ne peuvent pas faire en leur nom propre mais qui étaient déterminants pour redresser dans le sens souhaité des choix politiques et stratégiques de la plus haute importance pour la bourgeoisie. Voici juste quelques exemples :
Avec l’entrée en guerre des États-Unis en 1941, ce pays reconnaît l’importance stratégique de la mafia. Sur le plan interne, l'État américain devait éviter la création d’un front intérieur [pro-Mussolini] au sein de l’immigration d’origine italienne aux États-Unis. Par ailleurs, la mafia, qui contrôlait, entre autre, le syndicat des dockers et des routiers, secteur clé pour l’approvisionnement d’armes, est devenue un interlocuteur irremplaçable de l'État américain. La flotte américaine demanda à Washington l’autorisation de négocier avec la mafia et avec son capo Lucky Luciano qui se trouvait en prison, une autorisation que Roosevelt s’empressa de donner9. En outre, la mafia engagera ses syndicats dans l’effort de guerre en contrôlant d'une main de fer les travailleurs.
En 1943, le débarquement des troupes américaines en Sicile est réalisé grâce à une entente avec la mafia locale qui prépare le terrain en suivant les indications du capo mafieux italo-américain Luciano. Celui-ci, qui était condamné aux États-Unis à 50 ans de prison, sera mis en liberté grâce à cette collaboration et partira pour Naples où il organisera la contrebande de cigarettes et de drogue. Deux autres tireront profit de cette « aide » : le boss sicilien local Don Calogero Vizzini – qui sera “élu” maire de Villalba - et Vito Genovese, bras droit de Lucky Luciano, qui deviendra d’abord l’homme de confiance de C. Poletti (gouverneur militaire américain de toute l’Italie occupée) et ensuite, une fois rentré aux États-Unis, le principal chef mafieux de l’après guerre.
Le premier mai 1947, la bande de Salvatore Giuliano tire sur une foule désarmée d’ouvriers, paysans, femmes et enfants, à Portella della Ginestra, près de Palerme, pour ainsi en finir avec les luttes contre les grands propriétaires terriens et freiner l’avancée du Parti Communiste Italien (PCI) dans la région, ce qui n’est pas apprécié par le gouvernement ni par son allié, les États-Unis. Giuliano sera tué en 1950 par son lieutenant Pisciotta, lequel, à son tour, sera empoisonné en prison après avoir fait ses premières déclarations sur les liens entre Giuliano, la mafia et le ministre de l’Intérieur, Scelba, de la nouvelle et démocratique République italienne.
En 1948 les États-Unis veulent que ce soit la Démocratie Chrétienne (DC), sa fidèle alliée, qui gagne les élections pour ainsi contrôler ce bastion stratégique fondamental qu’est l’Italie contre le bloc russe. Tandis que les États-Unis financent avec 227 millions de dollars le gouvernement italien, la mafia, surtout Cosa Nostra, s’engage activement dans la campagne en finançant la DC et en donnant « des consignes » de vote.
Les années suivantes, Gladio et la Loge P2, des structures parallèles contrôlées par l’OTAN et la CIA avec la complicité des services secrets italiens, maintiennent le lien avec la mafia à différents niveaux. Ce système est à l’origine des nombreux attentats qui, des années 1960 aux années 1990, ont rythmé les étapes les plus délicates de la politique italienne autant en ce qui concerne les affrontements sociaux10 que par rapport aux choix différents au sein de la bourgeoisie italienne sur les alliances impérialistes.
Rien que ces quelques éléments11 peuvent nous faire comprendre que la mafia n’est ni un produit typiquement italien ou méridional, ni un corps étranger au système démocratique, mais, au contraire, elle en est une partie intégrante et fonctionnelle, en Italie mais aussi aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Russie et plus généralement dans tous les pays de l’Europe de l’Est. Il faut en outre comprendre que le pouvoir que la mafia a réussi à développer, en Italie par exemple, n’est pas seulement le résultat de la puissance économique basée sur les affaires illicites et la quantité considérable de politiciens et de patrons facilement corruptibles d’Italie, mais c’est surtout le résultat des choix impérialistes bien précis et de l’importante immunité de ceux qui en bénéficient (excepté quelques arrestations juste pour sauver la face de la démocratie et de la légalité) pour les précieux services rendus et qui continueront à être rendus à la classe dominante.
Pour revenir à Saviano, sa vision peut se résumer à ceci : il y a les « bons » et les « méchants », les honnêtes et les malhonnêtes et il y a un État qui, même en fonctionnant mal, assure malgré tout une vie civilisée et démocratique. Il y a donc, à ses yeux, une partie pourrie de la société qui ne peut être éliminée qu’en s’appuyant et en soutenant cet État démocratique et une masse amorphe et abrutie dont le seul objectif est de ne pas avoir davantage de problèmes que ceux qu’elle a déjà.
Nous retrouvons cette même façon de voir dans l’intervention de Saviano dans l’émission Che tempo che fa du 11 novembre 2009 où, à propos de l’oppression subie en Iran, au Chili ou dans l’ancienne URSS, etc., il faisait implicitement ressortir une différence radicale entre ces États totalitaires et oppresseurs et les États démocratiques où l’on ne meurt pas et où l'on n’est pas mis à l’écart à cause de ses idées.
Saviano y a raconté, avec une juste indignation, l’histoire de deux jeunes filles tuées par l’État iranien simplement pour être descendues dans la rue pour manifester leur volonté de vivre dans une société plus libre. Mais où est la différence entre ces homicides d’État et celui de Carlo Giuliani lors du G8 à Gênes en 2001 ou les nombreux massacres d’ouvriers commis par l’État démocratique italien, cet État né de la Résistance et dont la constitution prétend que l’Italie est une République basée sur le travail, lors des manifestations et des grèves ?12 Quelle est donc la différence entre les atrocités de l’État soviétique (stalinien et non pas communiste comme le prétend Saviano) et l’extermination des 250 000 vies humaines lors du bombardement de Dresde en février 1945 ou le génocide de 200 000 personnes et l’horrible agonie infligée à des centaines de milliers de gens à cause des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki le 6 et le 9 août 1945 ?
Et pourquoi « notre » État démocratique envoie-t-il ses soldats au combat en Afghanistan et en Iran, là où se retrouvent les intérêts des grandes puissances même si cela signifie mort et misère pour des milliers de personnes, comme ce fut le cas en Serbie et au Kosovo où les avions italiens se sont trouvés en première ligne pour les bombardements ?
L’erreur de fond de l’argumentation de Saviano est de considérer les choses à partir de l’individu ou d’une somme d’individus en dehors du contexte économique, social et politique dans lequel ils vivent, dans une époque historique déterminée. Le contexte où l’on vit est celui de la société capitaliste qui est fondée sur l’exploitation et la domination d’une classe sur la très grande majorité de l’humanité. Le moteur économique de cette société est le profit et la concurrence sans pitié dans chaque pays entre capitalistes individuels et, surtout, entre nations. L'État, ses lois et ses forces de l’ordre sont les instruments que chaque bourgeoise nationale se donne pour maintenir sa domination sur la société et défendre les intérêts économiques, politiques et militaires de sa nation dans la concurrence internationale. Dans une telle société, la vie des hommes ne peut pas être le centre des préoccupations ; il ne peut pas y avoir de l’espace pour les besoins de l’humanité, et quand nous parlons des besoins nous voulons parler autant des besoins économiques que de ceux dont parle justement Saviano : “la liberté,… la justic, la dignité de l’homme et j’ajoute aussi le droit au bonheur »13.
Les abus, l’oppression, la violence physique et morale, la corruption, l’absence d’éthique et de moralité, la tricherie criminelle ne sont pas l’apanage de tel ou tel individu ou clique au pouvoir, mais ils font partie intégrante de la nature-même de ce système capitaliste.
Si, aujourd’hui, la Campanie se retrouve empoisonnée par des tonnes de déchets toxiques venant des entreprises du Nord et enfouis par la Camorra, ce n’est pas à cause d’une dose particulière d’immoralité chez les responsables de ces entreprises, mais parce que celles-ci sont contraintes d’obéir à la loi du profit du capitalisme et donc d'utiliser la méthode la moins chère pour éliminer les déchets toxiques. Si l’appareil politique italien a utilisé pendant des décennies la mafia, les bombes et le mensonge, ce n’est pas parce que les politiciens d’alors étaient du genre fripouille, mais parce que cela correspondait aux intérêts de l’État, un État qui serait disposé à revenir pleinement à ces pratiques si c’était nécessaire.
Régime totalitaire ou démocratique, le fondement et la substance sont les mêmes. La démocratie n’est que l’instrument le mieux adapté pour faire accepter cet état des choses, grâce à l’illusion que si les citoyens demandent aux gouvernants une société meilleure, ils seront écoutés.
Ainsi, les appels à dénoncer les tueurs, à demander avec plus de force à l’État d’éliminer la mafia et la corruption, les appels aux chefs de l’État à « la défense du droit » ne marchent jamais, mais au contraire, sont devenus un moyen pour entretenir l’illusion selon laquelle il serait possible de vivre mieux dans ce système.
Le seul moyen de se libérer de toute cette pourriture, c’est de se débarrasser du capitalisme. Cela ne pourra pas être réalisé par la masse indifférenciée des citoyens, mais au contraire par la classe sociale dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux de la classe dominante et qui, elle, n’a vraiment rien à perdre : le prolétariat.
Eva (10/12/2009)
2 Lors de l’émission TV-RAI3 Che tempo che fa du 11 novembre 2009.
3https://www.repubblica.it/speciale/2009/firma-lappello-di-saviano/index.html [43]
4C'est-à-dire des « procédures courtes », un de ces tripatouillages juridiques à la sauce Berlusconi.
5“La camorra alla conquista dei partiti in Campania” (La Camorra à la conquête des partis dans la région de Naples), la Repubblica, 24 octobre.
6 “Il filmato-shock sconvolge il mondo, i vicoli restano indifferenti” [Le film-choc bouleverse le monde, les restaurateurs et leurs clients restent indifférents], la Repubblica, 1er novembre, en référence au film de l’assassinat d’un mafieux à Naples qui a circulé sur Internet.
7“In cinque minuti la banalità dell'inferno, ora sogno la ribellione del quartiere”, la Repubblica, 30 octobre.
8“Siamo tutti casalesi”, L’Espresso, 7 octobre, écrit à la suite de la tuerie d’immigrants perpétrée par la Camorra à Castel Volturno, province de Naples.
9Pour plus d’éléments, voir notre article « [44]Comment est organisée la bourgeoisie: « Le mensonge de l’Etat “démocratique”, II partie. L’exemple des rouages secrets de l’Etat italien [44] », Revue Internationale n.77 (III-1994).
10L’attentat meurtrier (16 morts et une centaine de blessés) qui a eu lieu en 1989 à Milan, sur la place Fontana (piazza Fontana) est un produit de cette collusion.
11On peut trouver à ce sujet des documents sur Internet, par exemple : la storia dell'eroina [45], In Sicilia si gioca la Storia d'Italia (Mafia CIA Vaticano)
12Outre le massacre déjà cité de Portella delle Ginestre, on peut se référer à « L'automne chaud 1969 en Italie, un moment de la reprise historique de la lutte de classe (I). », dans la Revue Internationale nº 140, janvier 2010.
13« Ecco perché non possiamo tacere » (Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous taire). Réponse au ministre Bondi, la Repubblica, 23 novembre 2009.
Nous publions ci-dessous la traduction d'une prise de position commune de trois groupes révolutionnaires sur la répression sanglante qui a frappé des mineurs grévistes au Pérou : el Grupo de Lucha Proletaria, l'Organización Anarco Punk et le Courant Communiste International.
Le 4 avril, dans le cadre des mobilisations menées par la Fédération Nationale des Mineurs Artisanaux du Pérou, les mineurs artisanaux des alentours de Chala et d'Arequipa coupent la route Panaméricaine et s’affrontent à la police, laquelle, armée jusqu’aux dents, se préparait à les déloger. Le résultat de ces affrontements a été officiellement de 6 mineurs tués (des sources syndicales parlent de 14 morts) et plus de 20 blessés. La répression fut brutale et sans discernement, touchant même le chauffeur d’une moto-taxi qui ne participait pas du tout à la protestation.
La première chose, et la plus importante face à ces événements, c’est d’exprimer sa solidarité envers ces travailleurs. Il y a eu dans différents lieux, des actes de solidarité qui ont débordé l’emprise syndicale. C’est ainsi qu’on peut exprimer la volonté de défendre nos vies et l’indignation pleinement justifiée contre la sauvagerie de la répression et l’hypocrisie démocratique avec laquelle elle est exercée.
Et, en même temps, cette hypocrisie démocratique avec laquelle la répression a été déchaînée doit nous pousser à analyser et à tirer des leçons des pièges idéologiques que ce conflit a mis en relief.
La région de Madre de Dios et celle aussi de la côte d’Arequipa ou la zone d’Ica, ont connu ces dernières années l’arrivée de familles entières qui survivent dans des taudis misérables, dont tous les membres, hommes, femmes et enfants, sont obligés de réaliser un travail épuisant à la recherche de minerais. C’est eux qui souffrent des maladies, eux qui crèvent dans les multiples accidents, qui subissent les maffias multiples qui les « protègent », eux dont la « récompense » est juste de quoi mal vivre, tandis que les profits des affaires minières s’accumulent entre les mains des capitalistes locaux, ou russes ou brésiliens, propriétaires des dragues gigantesques installées sur les rivières (qui, en plus, produisent une forte contamination). Ce sont de grands magnats qui exploitent ce qu’on appelle « l’industrie minière informelle ou artisanale ».
Et ces travailleurs ne sont pas seulement les victimes des balles de la police mais aussi de la manipulation et des tromperies de l’action combinée des syndicats, du patronat et du gouvernement, des médias et des autres institutions bourgeoises, qui les ont entraînés à lutter pour la défense d’intérêts qui ne sont pas les leurs : la dérogation du décret « DU 012-2010 » approuvé par le gouvernement pour réguler l’industrie minière informelle.
Les mineurs sont tombés dans le piège de la lutte d’intérêts entre deux secteurs de la bourgeoisie : « l’industrie minière formelle » et « l'industrie minière informelle ou artisanale ». L’exacerbation de la crise économique mondiale a des effets partout dans le monde, le Pérou évidemment y inclus, et dans tous les secteurs économiques, dont l’industrie minière qui est la principale activité économique du pays. C'est pourquoi cette lutte d’intérêts est de plus en plus acharnée. Une série d’exploitations, de recherches et de projets miniers ont dû être abandonnés sans rémission, face aux effets négatifs de la crise capitaliste. Et c’est maintenant, alors que la bourgeoisie gouvernementale a recruté les meilleurs lobbyistes dans l’Assemblée nationale pour y mener la guerre pour ses intérêts : « réguler l’activité minière informelle » qui est un concurrent face à la grande industrie minière, en mettant en avant, entre autres arguments, que les mineurs informels « ne payent pas d’impôts », « qu’ils engendrent trop de contamination », « qu’ils exploitent les enfants ». En fait, la cause de ce conflit sanglant c’est le marché, mais il n’y a que le sang ouvrier qui se répand.
L’intérêt de l'État péruvien pour réguler l’industrie minière informelle n’a rien à voir avec la lutte contre la pollution de l’environnement, ni avec l’élimination de l’exploitation des enfants – comme il le prétend dans ses discours hypocrites – mais avec quelque chose de plus prosaïque : recueillir des impôts d’une activité qui n’en payait pas jusqu’à maintenant. L’intérêt des patrons de l’industrie minière formelle, qui ose, avec un cynisme rare, brandir ces arguments écologiques ou de « défense des enfants » (eux qui contaminent sans vergogne et exploitent "leurs" travailleurs en se moquant de savoir si leurs enfants vivent dans la misère ou crèvent de faim), est également inavouable : il s’agit d’éliminer ou du moins réduire des concurrents pour essayer d’accroître leur part de marché.
De l’autre côté, l’intérêt de la dite « industrie minière informelle » est que tout reste en l’état actuel.
Que le décret « DU 012-2010 » soit appliqué ou abrogé, que les mineurs soient exploités par un patron « formel » ou « informel », ne va pas apporter la moindre amélioration. Rappelons-nous l’affaire de la Minera Yanacocha à Cajamarca [gigantesque mine d’or, une affaire tout ce qu'il y a de plus légal, NDT] où les maladies et la mort ont proliféré dans des conditions d’exploitation terribles !
L’affaire du décret, de son vote favorable ou de son rejet, est une bagarre entre capitalistes. Dans cette bagarre, les travailleurs n’ont rien à gagner et tout à perdre.
Nous, travailleurs, que nous soyons des mineurs ou de n’importe quel autre secteur, au Pérou ou ailleurs dans le monde, nous ne pouvons pas y laisser notre peau pour défendre des intérêts qui ne sont pas les nôtres, mais ceux de nos exploiteurs.
De même, nous ne pouvons pas accepter le terrain de division qui depuis le début du conflit a été choisi par les syndicats. Ils ont tout fait pour que les mineurs « informels » luttent seuls et isolés, tandis qu’ils fomentaient la passivité et l’idée de « ne pas se mêler » chez les mineurs de l’industrie « formelle », sans oublier le lynchage médiatique qu’a dû subir le « secteur informel » et qui l’a séparé encore plus du reste de la classe et de la population en général. Nous avons déjà dénoncé l’amalgame abject répandu par les médias, les politiciens et autres, qui ont présenté les familles minières comme des « barbares destructeurs de l’environnement », « des gens sans-cœur qui exploitent leurs propres enfants », tout cela pour occulter que ce sont les capitalistes et les mafias du « secteur informel » qui contaminent et polluent, que ce sont eux qui imposent des salaires si bas qu'ils obligent ces familles à employer leurs enfants pour gagner de quoi survivre.
Ce terrain de division et d’isolement a empêché d’aller plus loin dans les actions solidaires et indignées des autres travailleurs face au massacre perpétré sur l’asphalte de la route Panaméricaine.
Même si aucun journal ni la télévision ne parlent plus de ces morts, qui sont les nôtres, le moment est arrivé, pour leur rendre le meilleur hommage, de tirer les leçons de ces événements tragiques, de comprendre les pièges qui ont été tendus et qu’on va continuer à tendre tant que nous, les prolétaires, nous ne serons pas capables de nous défendre avec les seules et véritables armes de notre combat : l’unité, la solidarité et la lutte commune contre toute exploitation, au-delà de toutes les divisons en secteur, branche ou nation, face à des patrons privés ou d’État, d’ici ou étrangers, « formels » ou « informels ».
Pour l’organisation et la lutte autonomes de la classe ouvrière mondiale !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Grupo de Lucha Proletaria ; Organización Anarco Punk ; Courant Communiste International (avril 2010).
Durant toute une journée, les médias ont été euphoriques : la France va organiser la Coupe d'Europe de football en 2016 (nommée Euro 2016) !
Et alors ? Pourquoi se réjouir ? Il suffit d'écouter Nicolas Sarkozy pour le comprendre. Juste avant que l'UEFA ne révèle officiellement son choix, le président français est venu plaider pour son pays. Il a affirmé à la tribune : "Nous, nous pensons en France que le sport, c'est une réponse à la crise. C'est justement parce qu'il y a une crise, qu'il y a des problèmes, qu'il faut mobiliser tout un pays vers l'organisation de grands événements […] C'est une décision pour nous stratégique qui engage tout le pays face à la crise […] c'est un engagement de tout un peuple. […] Il n'y a pas la gauche et la droite, il n'y a pas le Sud et le Nord, il n'y a pas l'Est et l'Ouest, il y a tout un pays mobilisé pour avoir cet événement ! […] Si vous nous donnez l'Euro 2016, vous nous ferez plaisir".
Traduction : la crise frappe fort et la bourgeoisie française compte sur le foot pour distraire les ouvriers, leur faire oublier quelque temps la dureté de leur quotidien. Voilà pourquoi avoir obtenu « l'Euro 2016 » a fait "plaisir" à Sarkozy et consorts.
Du temps de l’empire romain, César calmait déjà le peuple en lui offrant "du pain et des jeux". Il ne reste plus aux Césars modernes que les jeux.
Françoise (le 4 juin)
Nous publions ci-dessous la traduction d’une prise de position publiée par Internationalism US, organe du CCI aux États-Unis.
Vers 10 heures, le mardi 20 avril 2010, une explosion a ébranlé la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon à environ 50 milles au large de la côte de la Louisiane. L'installation a finalement coulé le jeudi 22 avril, causant le pire déversement de l'histoire en laissant s'échapper chaque jour des millions de litres de pétrole et de gaz méthane. A l'heure où nous écrivons, cela fait presque un mois que cela dure et continuera pour un temps encore indéterminé. Les dommages incalculables pour l'environnement sont le cadet des soucis de la bourgeoisie, qui nous convie au spectacle quotidien d'un jeu véritablement répugnant qui consiste, pour les différentes parties - BP Oil, Halliburton, Transocean, la Garde Côtière, le gouvernement fédéral – à se renvoyer la responsabilité pour essayer de sauver ce qui reste de leur réputation déchirée en lambeaux. Cette nappe de pétrole s'ajoute à la longue liste des catastrophes écologiques causées par l'aveuglement du capitalisme et par la dévastation insupportable de la planète alors que le capitalisme recherche indéfiniment les moyens les moins coûteux de maintenir un avantage compétitif dans le sillage de son autre catastrophe, la pire crise économique de son histoire. Cette catastrophe nous rappelle également ce que nous réserve l'avenir par rapport à la sécurité des ouvriers sur leur travail. L'explosion de la plate-forme a tué onze ouvriers et survient après la récente explosion de la mine de charbon en Virginie Occidentale qui a tué 24 ouvriers.
Lorsque nous jetons un regard sur ce qu'implique l'enfer capitaliste d'aujourd'hui - pertes de vies humaines, mutilation écologique, cupidité du commerce, accentuation de la fièvre des guerres commerciales - il est impossible de ne pas arriver à la conclusion que le capitalisme vit de terribles convulsions qui signent sa faillite historique. Au niveau de l'impact sur l'environnement et de la vie des populations locales, les dommages sont incommensurables. L'agence de « prévention des désastres » mise en place par l'État capitaliste sous la forme du Service de Gestion des Minerais a été reconnue comme étant une structure totalement corrompue et parfaitement inapte. Alors que sa fonction aurait dû être de s'assurer que les opérations de forage étaient sans danger pour l'environnement et que l'équipement utilisé était sans danger pour les vies humaines, elle recevait de substantielles royalties de la part des compagnies pétrolières, une pratique mise consciemment en place afin de permettre de bas coûts de production prioritaires par rapport aux considérations d'environnement et de vies humaines. En fait, le gouvernement fédéral engraisse ses coffres avec les royalties des compagnie pétrolières et achète le pétrole à bas prix, pendant que les compagnies chargent le fardeau économique sur les épaules de leurs ouvriers en réduisant les coûts et en faisant de plus en plus abstraction des mesures les plus élémentaires de sécurité. Ceci rappelle inévitablement une de ces autres émanations catastrophiques du capitalisme : la dévastation provoquée par l'ouragan Catherina et sa FEMA (Agence Fédérale des situations d'urgence ndt), elle aussi pourrie jusqu'à la moelle. La faillite totale de telles structures mises en place par l'État capitaliste est si évidente que le président Obama a décidé de diviser en deux organismes le MMS. L'un d'entre eux rassemblera maintenant les fonds tandis que l'autre dirigera les opérations. Voila comment le capitalisme essaye de sauver la face et de faire le ménage. Hier comme aujourd'hui, et demain, il ment comme un arracheur de dents par rapport à sa propre responsabilité et aux promesses du genre "plus jamais ça".
Les autres escrocs sans vergogne, tels le géant du pétrole BP lui-même, mais aussi les sous-traitants comme Transocean et Halliburton, nous nourrissent quotidiennement d'un jeu véritablement répugnant qui consiste à se blâmer mutuellement par rapport au désastre. BP est tellement confiant dans la force de sa stature économique qu'il a même plaidé en faveur d'une augmentation de la responsabilité habituelle du gouvernement fédéral imposée dans ces cas-ci. Alors que la sanction maximum appliquée est de 75 millions de dollars, BP a plaidé pour 89 millions. Il n'a cependant pas dit que ses revenus pour le premier trimestre de 2010 se situaient dans les milliards. La responsabilité supplémentaire que BP s'est attribuée à lui-même est comparable à une augmentation de notre facture de TV d'environ 5 dollars par mois pendant seulement deux ou trois mois de l'année. Halliburton, pour sa part, se moque des « sévères » pénalités que l'État capitaliste lui infligera parce qu'elle sait que son assurance lui payera environ trois fois autant que ce qu'elle aura perdu. Et que dire sur le nettoyage de l'environnement ? Eh bien, la Garde Côtière utilise des barrières flottantes de protection ! C'est comme si on utilisait des Kleenex pour essayer d'éponger l'eau d'une maison inondée ! Ces opérations sont, elles aussi, tellement insatisfaisantes que les riverains de la Nouvelle-Orléans prévoient que la nappe de pétrole se répandra sur le rivage au cours de la prochaine saison des ouragans, ce qui causera encore plus de dévastation à un secteur déjà appauvri et souillé. Quant au ' »espect des vies humaines », l'explosion de la plate-forme pétrolière a constitué une nuit de terreur pour les hommes travaillant à l'installation, et elle a provoqué une attente anxieuse de la part de leurs familles. Pendant les opérations de sauvetage exécutées sous la surveillance de la Garde Côtière, plusieurs travailleurs du pétrole embauchés par la compagnie suisse Transocean (qui était propriétaire de l'installation) ont été pris à bord d'un bateau de sauvetage, qui est resté environ 12 heures à regarder la plate-forme brûler, avant de retourner sue le rivage, ce qui a pris encore 12 heures supplémentaires. Un des ouvriers a dit « Ils nous ont gardé là jusqu'à 11h30 le lendemain matin, nous laissant regarder nos copains en train de brûler. Nous avons compté qu'il y avait plus de 25 bateaux. Il n'y avait aucune raison pour nous garder là. » Ils ont été attirés de côté pour subir des entrevues enregistrées sur bande avant d'avoir la permission de voir leurs familles et ils n'ont pu entrer en contact avec leurs familles ni par radio ni par téléphone. Ce dernier désastre se produisant à la suite de le récente explosion dans la mine de charbon de la Virginie Occidentale, il est évident que les autorités ont voulu interroger les ouvriers du pétrole avant qu'ils puissent parler avec n'importe qui pour empêcher que ne naisse le moindre soupçon par rapport à la vérité de « l'accident ».
Tout ceci est suffisant pour accuser ce système moribond, décadent, en pleine décomposition dans lequel nous vivons. Mais l'histoire ne finit pas là. La quantité de pétrole qui se déverse dans le Golfe du Mexique se révèle être au moins 10 fois supérieure aux évaluations officielles. Selon les experts, la nappe de BP est déjà bien plus importante que celle causée par l'accident du Exxon Valdez en Alaska en 1989, où au moins 250 000 barils de pétrole avaient été répandus, et dont on peut encore trouver des restes aujourd'hui, 21 ans après. Les évaluations scientifiques, plus précises que les mensonges colportés par BP dans ses tentatives de limiter sa responsabilité et de redorer son image de géant du pétrole « responsable en termes d'environnement », estiment que la quantité de pétrole et de gaz qui se déverse se situe entre 56 000 et 100 000 barils par jour. Et BP ose continuer à proclamer qu'il ne se répand que la quantité de 5 000 barils par jour!
Il est assez évident que BP a une longue histoire de violations des règles élémentaires de sécurité derrière elle, mais elle a aussi de nombreux complices, les États-Unis étant leur plus puissant. L'une des plus grandes raffineries des États-Unis a explosé en mars 2005 entraînant 15 décès, blessant 180 personnes et contraignant des milliers de riverains à rester abrités dans leurs maisons. L'accident est arrivé comme le point culminant d'une série d'accidents moins sérieux à la raffinerie, et les problèmes mécaniques n'ont pas été abordés par la direction. L'entretien et la sécurité de l'usine avaient été abandonnés pour des raisons économique, la responsabilité se reposant finalement sur l'exécutif de Londres. Il y a eu plusieurs enquêtes sur le désastre, et la compagnie a finalement plaidé coupable pour délit de violation du Clean Air Act,. Elle a été condamnée à 50 millions de dollars d'amende et soumise à trois années "d'épreuve". Le 30 octobre 2009, la Sécurité au Travail des États-Unis et l'Administration des Risques (OSHA) ont frappé BP d'une amende supplémentaire de 87 millions de dollars - la plus grosse amende de l'histoire d'OSHA - pour n'avoir pas supprimé les risques en matière de sécurité indiqués dans l'explosion de 2005. Les inspecteurs ont trouvé 270 violations à la sécurité qui avaient été précédemment citées mais non précisées et 439 nouvelles violations. Le cynisme capitaliste n'ayant pas de limite, BP fait évidemment appel !
La liste de violations par BP est certainement sans fin, et la liste de conflits entre BP et le gouvernement des États-Unis est d'une longueur impressionnante. On doit alors se demander pourquoi un escroc environnemental tel que BP est autorisé par les États-Unis à avoir 40% de son marché dans ce pays. En fait, en permettant que les sauvegardes de l'environnement et de sécurité soient très molles, les États-Unis sont le principal complice des désastres causés par BP. Il est certainement économiquement très "convenable" que les États-Unis puissent acheter leur propre pétrole à une compagnie qui le produit à bas prix. Les États-Unis lui permettent de sous-traiter des parties de son travail - comme BP l'a fait dans ce cas-ci avec Transocean et Halliburton - et BP opère dans les eaux territoriales américaines. Son record en matière de méfaits, de réduction des coûts, d'utilisation d'équipement usagés ou fonctionnant mal et son mépris pour la sécurité des ouvriers permettent à BP de produire à des coûts effectivement très bas ! L'inconvénient est néanmoins sérieux : c'est que les États-Unis sont technologiquement désavantagés en ce qui concerne la modernisation de leur propre appareil d'extraction et de production de pétrole dans le contexte d'un besoin accru de sources d'énergie aux meilleurs prix disponibles, c'est à dire le pétrole. C'est ce qui se trouve au cœur de la présente réforme de la loi sur l'énergie proposée par l'administration Obama. Dans le contexte de la crise économique, les États-Unis doivent désespérément gagner un avantage concurrentiel sur le marché mondial. Les conflits ont aussi impliqué les États-Unis et la Grande-Bretagne par rapport au pipeline de Bakou-Tbilisi-Ceyhan, par exemple, une épine dans le pied américain, alors qu'ils essayent de gagner le contrôle de ressources dont les pays européens et la Chine ont besoin. C'est pourquoi nous serions dans l'erreur de croire que les actions des agences américaines qui visaient à pénaliser les pires comportements de BP sont le fruit du souci de l'État par rapport à la sécurité de l'environnement et des vies humaines. Au contraire, les États-Unis utilisent ces désastres environnementaux pour faire reluire leur image de champion de la protection de l'environnement et pour affirmer leur autorité dans un domaine d'industrie qui est essentiel à leur compétitivité sur le marché mondial, transformant véritablement de tels désastres en des armes pour mener leurs propres guerres commerciales contre d'autres pays, dans le cas de BP, contre la Grande-Bretagne.
Face à cette dernière catastrophe environnementale, l'État capitaliste essaye frénétiquement de projeter une image d'intégrité et d'efficacité, mais il ne peut pas empêcher que cette image soit… polluée - aucun jeu de mot - par ses actions très contradictoires. À titre d'exemple, une cour d'appels fédérale a récemment rejeté l'approbation du gouvernement fédéral du forage exploratoire que Shell prévoit dans les mers des Tchouktches et de Beaufort au large de la côte d'Alaska. La cour a exigé que le « Minerals Management Service » fédéral, l'agence même qui se trouvait sous le feu, réponde à son obligation de prendre en compte la menace potentielle pour la faune et le risque de désastre avant son approbation du projet de Shell dans l'Océan Arctique.
Chris Krenz, chef du projet arctique pour Oceana, un des plaignants et appartenant à une organisation à but non lucratif des océans, a dit « Les compagnies ont ponctionné le pétrole facile au large de nos côtes. Maintenant, ils repoussent les limites et augmentent les risques en se dirigeant vers les eaux profondes du golfe et le lointain et impitoyable Arctique ». Il a dit que BP n'était pas prête de s'occuper de la tragédie d'une nappe dans le golfe et que « Shell aura encore bien moins de ressources pour faire face à un accident dans l'Arctique. » Néanmoins, la cour d'appel fédérale, une émanation de l'État capitaliste, est disposée à ce que se fasse un forage en eau plus profonde à la recherche du pétrole domestique, bien que les composantes clé de la sécurité ne soient évidemment pas présentes. Alors que se déverse le pétrole dans le Golfe du Mexique, les opérations de Shell sont programmées pour démarrer cet été ! C'est vraiment beaucoup pour un État capitaliste qui promet de "s'assurer que les désastres ne se reproduiront plus jamais" !
Les États-Unis, comme tous autres États capitalistes, savent parfaitement que la dépendance à l'égard du pétrole ne sera pas éliminée de sitôt dans les conditions capitalistes actuelles, et d'autant moins à l'heure de sa crise économique la plus aiguë. Le pétrole est la seule source d'énergie qui peut leur donner un avantage concurrentiel, indépendamment du coût environnemental ou humain. Mais ils ne peuvent pas prendre de tels risques à visage découvert devant la classe ouvrière. C'est la raison pour laquelle la réponse immédiate par l'administration d'Obama a été de mettre un moratoire sur l'interdiction du forage en mer qu'il avait juste promis le mois d'avant. Pendant sa campagne présidentielle, Obama a fait croire à l'électorat qu'il était en grande partie opposé à augmenter le nucléaire, pétrole, gaz naturel et approvisionnements en énergie de charbon qui actionnent l'économie des États-Unis. Il a également promis des investissements dans des sources renouvelables d'énergie et une expansion des technologies 'green' Mais aussitôt élu, il a 'convenu' que les États-Unis ne pouvaient mener une telle réforme de leur économie sans perdre de compétitivité sur l'arène mondiale.
Le capitalisme ne sera jamais le « green ». Sa négligence pour l'homme et la nature éclate chaque jour un peu plus avec force. Cet événement expose une nouvelle fois la faillite et l'irrationalité du capitalisme aux yeux de la classe ouvrière. Il stimule aussi la réflexion sur le futur du capitalisme et de l'humanité. Il est grand temps que nous détruisons le capitalisme, avant qu'il nous détruise.
Ana, 22 mai 2010
C’est bien au passé qu’appartiennent ces images d’Epinal où le surpoids apparaissait comme un signe de santé et de prospérité. L’embonpoint était alors l’expression corporelle de « l’abondance de nourriture ». Les États-Unis, un pays avec une grande quantité de personnes « fortes », apparaissaient devant nos yeux comme un symptôme des pays développés.
Aujourd’hui, l’obésité apparaît pour ce qu’elle est : une épidémie ! Des prétendus "spécialistes" nous expliquent que cette obésité est causée par l’analphabétisme, par des problèmes génétiques, par la sédentarisation et le "confort", ou parce que les gens sont mal informés, etc. Il n’en est rien : l’obésité, autant que la famine, est une maladie étroitement liée à l’avancée implacable de la misère dans le monde.
Pendant les années 1980, on a pu voir ces images dramatiques de la famine en Afrique, celles des enfants squelettiques avec des ventes gonflés. Les années 1980 sont aussi connues comme ceux de « la décennie perdue pour l’Amérique Latine ». Les années 1990 ont connu l’implosion du bloc de l’Est et la fin des « miracles économiques » dans les pays en voie de développement. Le nouveau millénaire nous a apporté, depuis 2008, la pire crise de l’histoire du capitalisme. Plus de 40 ans de crise mondiale ont apporté du chômage et des conditions de vie de plus en plus mauvaises pour des millions de travailleurs dans le monde, autant dans les pays développés que dans les pays dits « émergents ». Ces quatre décennies d’attaques contre les salaires, de misère sans fin, ont provoqué une augmentation des prix des aliments. La faim plane sur beaucoup de régions de la planète mais, à côté d’elle, il est apparu un autre phénomène lié à la nutrition déficiente et de mauvaise qualité qui menace la population : l’obésité. La faim et l’obésité sont les deux faces d’une même réalité de misère.
La crise mondiale du capitalisme est accompagnée de changements drastiques dans l’alimentation des travailleurs. Les attaques sans répit aux conditions de vie et de travail des travailleurs (salaires, pensions de retraites en baisse avec plus d’annuités pour en « jouir », moins de services…) se répercutent sur tout ce qui est nécessaire pour survivre, en particulier sur les dépenses d’alimentation. C’est pour cela que sont apparues ces dernières années toutes sortes de chaînes de restauration rapide et bon marché. Il fallait que les populations pauvres puissent se nourrir pour pas cher. Et le « pas cher » est devenu de plus en plus mauvais. On ne peut pas savoir les conséquences qu'auront tant d’années de consommation d’une nourriture industrialisée (dont le seul critère est le profit) sur la santé humaine.
La nourriture industrialisée bon marché est saturée de graisses et de sucres et elle ne contient que très peu d’éléments vraiment nutritifs, et ceci sans parler des agents cancérigènes contenus dans les conservateurs. Après deux générations soumises à ces pratiques alimentaires forcées, il y a de plus en plus d’enfants et d’adultes obèses. Ces 30 dernières années, les prix des nourritures caloriques ont baissé et leur consommation augmentée (sodas, sucreries diverses, gâteaux). La crise du capitalisme nous contraint à vivre à la limite de la santé, à la limite de ce qui est nécessaire pour la reproduction de la force de travail. L’obésité n’est pas un « choix », elle n’est pas non plus due à « pas de chance » ou le résultat des « mauvaises habitudes »… elle est une conséquence directe de la pauvreté, de l’impossibilité pour les masses ouvrières d’accéder à une alimentation de qualité. Les travailleurs sont obligés de mal manger parce qu’avec leur salaire, ils n’arriveront jamais à acheter des fruits et des légumes frais, à acheter des produits organiques ou des protéines de qualité, parce que les rythmes de travail ne laissent pratiquement aucun temps libre pour faire un minimum d’exercice. Beaucoup de postes de travail ne prévoient même pas le temps pour manger et les employés doivent consommer leur nourriture pendant les temps de transport, autrement dit, avec du stress et le plus rapidement possible. Pour beaucoup d’ouvriers, leurs sources caloriques ont pour seule origine les sodas sucrés sans le moindre élément nutritif. Et le phénomène des dernières décennies a été l’augmentation sans limites de la nourriture « poubelle »1, celle des « fast food », un mélange de graisse recyclée et des farines raffinées : ça "remplit l’estomac" mais sa consommation quotidienne accélère l’obésité et, par conséquent, le risque de subir d’autres maladies (hypertension artérielle, diabètes, ostéoporose, cancer du colon, etc.). L’alimentation à laquelle la crise condamne la majorité de la population mondiale est en train d’entraîner, à côté de la famine, de nouveaux fléaux sur les classes opprimées.
L’OMS, la FAO et l’OPS (Organisation Panaméricaine de la Santé) ont commencé à mettre en marche des plans contre le « syndrome métabolique », ce qui est l’euphémisme utilisé par la bourgeoisie pour nommer l’obésité. Selon la FAO, l’année dernière, il y avait 53 millions d’affamés en Amérique Latine et les Caraïbes, autrement dit des personnes qui mangent n’importe quoi, de très mauvaise qualité et dans des conditions d’hygiène douteuses. D’après l’OMS, il y a 300 millions de personnes dans le monde qui souffrent d’obésité. Au Mexique (qui a pris aux États-Unis la peu enviable première place au podium de l’obésité), pendant les 5 prochaines années, la charge financière pour s’occuper des obèses et des maladies qui en résultent sera supérieure à 100 milliards de pesos, autrement dit bien plus que ce ronflant « programme de lutte contre la pauvreté » qu’on nous a promis ! On est là dans une contradiction insurmontable. C’est un cercle vicieux qui montre l’impasse dans lequel se trouve une société basée sur l’exploitation, un exemple supplémentaire de sa décadence.
Des pays comme le Guatemala, la Bolivie et l'Équateur, affichent des indices très élevés de dénutrition enfantine (enfants de moins de 5 ans). Le Pérou a un taux de dénutrition de 35%, sauf pour la capitale. Au Mexique, ce même indice est de 77% ! 70% des adultes de plus 20 ans y sont en surpoids. Les plans des organismes gouvernementaux et les « non gouvernementaux » essayeront d’éviter par tous les moyens des dépenses gigantesques dans la santé. La préoccupation de la bourgeoisie n’est pas la santé des personnes. Voilà les deux choses qui la préoccupent :
La diminution réelle des capacités productives de la population à exploiter. Les enfants d’aujourd’hui constituent la force de travail de demain et, à leur majorité, ils auront des problèmes de santé. Ceci n’est pas une bonne chose pour la productivité et la compétitivité. Le capitalisme possédera une force de travail avec des problèmes énormes de surpoids.
Les grosses dépenses médicales entraînées par les soins d’une population obèse vont encore alourdir les coûts de santé publique dans un système de plus en plus incapable de les financer. Déjà, l’infrastructure sanitaire du capitalisme est au bord de l’asphyxie, son efficacité est limitée, et une épidémie d’obésité ne ferait, sans jeu de mots, que devenir un poids énorme.
La bourgeoisie ne peut pas humaniser la vie, elle ne peut pas améliorer les conditions d’existence des ses exploités. Toute la déshumanisation de ce système, les angoisses et les dépressions qu’il provoque, l’atomisation des individus, les guerres, la famine et maintenant l’obésité…, sont autant de raisons pour pousser à sa destruction. Maintenant les propagandistes du capital appellent à « améliorer les habitudes alimentaires », à « réduire son poids » pour faire de la prévention, à éliminer la "mal-bouffe" des écoles... Pas un mot sur l’augmentation salariale ! Rien pour améliorer les conditions matérielles des opprimés ! Ils discourent sur les habitudes, les recettes de saison ou les maux congénitaux... Mais ils cachent la véritable cause de la dégradation alimentaire de l’humanité : la crise d’un système qui ne vit que pour le profit.
Marsan, 8 avril 2010
1 En France, le terme équivalent le plus répandu serait "la mal-bouffe".
Face à l’attaque inouïe que le gouvernement socialiste espagnol a lancé contre les travailleurs, nos camarades du CCI en Espagne ont élaboré un tract, traduit ci-dessous, pour le distribuer le plus largement possible dans la mesure de nos forces.
Comme les lecteurs le constateront, la bourgeoisie espagnole orchestre là-bas les mêmes attaques, les mêmes pièges idéologiques, les mêmes tentatives de divisions public-privé, les mêmes manifestations-balades stériles qu'en France.
Nous encourageons nos camarades en Espagne ou d’ailleurs, qui sont d’accord avec nos positions, à diffuser ce tract autour d'eux (disponible ici [50] au format pdf ).
Mercredi 12 mai, le gouvernement espagnol de Zapatero a annoncé le « réajustement » le plus dur de l’histoire de la démocratie. Mais ce n’était pas une surprise. En février, lorsque le même Zapatero annonça les premiers grands coups (baisse des pensions de retraite, reforme du code du travail etc.), nous avions dit : « les mesures annoncées maintenant, qui sont déjà une attaque en profondeur contre nos conditions de vie, ne constituent que le premier chapitre d’une longue chaîne d’attaques qui vont accabler nos vies avec son cortège de terribles fléaux : la misère, le chômage, le stress, l’épuisement, l’angoisse vis-à-vis de l’avenir...»1. Par ailleurs, même un journal aussi pro-gouvernemental qu’El País reconnaît sans ambages qu’on peut s’attendre encore à de nouvelles mesures de réajustement.
Zapatero et consorts disaient que « la reprise arrive », en claironnant la proximité du « bout du tunnel ». La réalité est qu’on est entré dans une nouvelle étape supérieure et bien plus grave de la crise mondiale du capitalisme, celle qui se caractérise par l’insolvabilité des États. Il n’est pas facile de savoir à quel rythme cela va empirer, les capitalistes eux-mêmes ni leurs serviables gouvernements ne le savent pas ! Mais tout le monde sait que ces mesures entraîneront de nouvelles chutes et récessions, de nouvelles baisses de la production…
Ces mesures sont imposées par la nécessité d’éviter l’effondrement de l’Euro, ce qui entraînerait des dangers énormes de déstabilisation pour toute l’économie mondiale. Et, en même temps, c’est le seul moyen qu’ont les États pour pouvoir continuer à s’endetter, continuer à demander « aux marchés » des sommes pharamineuses qu’il faudra rembourser plus tard.
Le capitalisme – malade d’une crise incurable – essaye de fuir sans relâche ses propres contradictions par une course folle vers toujours plus d'endettement.
Les gouvernements, tels des bateaux ivres, naviguent à vue sans savoir où ils vont. Mais, par contre, pour faire avancer leurs bateaux, leurs coups tombent toujours sur les mêmes dos, ceux des rameurs : les travailleurs et la majorité travailleuse de la population ! Voilà la seule chose qu’ils savent et qu’ils peuvent faire.
Les Plans d’austérité prolifèrent dans tous les pays : l’Islande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande... Le nouveau gouvernement anglais a comme priorité absolue celle d’imposer des coupes de 70 milliards de livres. En France, en Italie et en Allemagne, de durs réajustements, comme ils disent, sont aussi annoncés.
Tous les travailleurs sont attaqués, nous devons tous nous unir par-dessus toutes ces divisions de secteur, d’entreprise, de nationalité (de la région ou de la nation).
Les gouvernements, les oppositions diverses, le patronat et les syndicats, s’efforcent, tous, de semer dans nos rangs le poison de la division. Ils ne savent pas très bien quoi faire face à la crise, mais, par contre, ils ont une large et infâme expérience pour mener des manœuvres de division en tout genre.
En Grèce, la propagande de tous les partis et des syndicats montre de son doigt accusateur carrément les ouvriers allemands parce qu’ils « ne veulent pas les aider ». Et, en contrepartie, en Allemagne, la campagne est centrée sur le rejet que doivent avoir les ouvriers allemands, qui ne doivent pas payer avec leurs efforts les « excès » des travailleurs grecs !
Ici, en Espagne, on nous dit que Zapatero s’est mis à genoux devant l’Union Européenne, qu’il n’a pas eu le courage de défendre une « position nationale ». Rajoy [chef de l’opposition de droite, NDT] demande des élections anticipées et qu’on vote pour lui, parce que, lui, « a la solution », une solution nationale et espagnole, sans doute dans la bouche d’un Rajoy, une solution pour une Espagne « une, grande et libre » [slogan franquiste, NDT].
Ces « sorties nationales de la crise » ne sont pas seulement une vulgaire mystification, elles sont surtout un moyen pour diviser les travailleurs, de les empêcher de voir que la seule sortie possible de la crise est l’unité et la solidarité internationales de tous les travailleurs, le développement des luttes qui s’orientent vers leur unification internationale.
Mais les manœuvres de divisions ne portent pas seulement aussi loin dans le futur. Zapatero a ainsi annoncé que ces mesures « seraient limitées » aux fonctionnaires publics, aux pensions et aux bénéficiaires du chèque-bébé, en donnant l’impression que les travailleurs du secteur privé ou les chômeurs ne seraient pas touchés par ces mesures. Pour renforcer la manœuvre, les syndicats limitent leurs mobilisations aux fonctionnaires et Rajoy, quant à lui, rejette le gel des pensions et les coupes salariales aux fonctionnaires. De leur côté, les deux quotidiens principaux d’Espagne, qui sont à couteaux tirés la plupart du temps, sont de concert pour sortir chacun son « sondage » coïncidant avec l’autre, avec des titres proclamant que « plus de 50% des citoyens sont favorables à la réduction salariale des fonctionnaires ».
Autrement dit, ils veulent laisser les travailleurs de la fonction publique seuls et bien isolés, en les présentant comme boucs émissaires pour ainsi leur assener un bon coup et, par la suite, continuer avec les autres secteurs : les travailleurs du privé, les chômeurs, les étudiants, etc. Ils veulent que chaque ouvrier, individuellement, se réfugie derrière l’idée suicidaire qui consiste à se dire : « tout ceci ne m’est pas destiné, ne me concerne pas ».
Mensonge ! Est-ce que les syndicats n’ont pas déjà établi avec le patronat des accords pour réajuster les salaires et permettre aux patrons d’utiliser sans limites cette loi de la jungle concrétisée dans la possibilité du « décrochage salarial », par rapport aux conventions collectives qu’eux-mêmes ont signées ? Est-ce qu'il n’y aura pas, par hasard, pour tout le monde, des hausses de la TVA ? Est-ce qu’il n’y a pas déjà des quantités d’ouvriers affectés par les retards de payement de leur salaire ? Est-ce qu’on n’est pas en train de préparer une énième nouvelle reforme du code du Travail ? Est-ce qu’on oublie que des coupes énormes vont avoir lieu dans les communes et les régions ? Est-ce qu’on n’a pas entendu qu’on va réduire les préretraites ? Il suffit de lire ce qu’El País est quelque part forcé de reconnaître dans son édition de dimanche 16 mai : « les réajustements de salaire vont s’étendre au secteur privé ».
Nous ne devons pas tomber dans ce piège ! L’attaque est globale et frontale ! Salaires, pensions, allocations chômage, précarité, santé, éducation, conditions de travail, …tout est menacé par cet Attila des plans d’austérité !
Alors que les travailleurs doivent se serrer la ceinture, alors que la misère et la pauvreté se répandent telles une plaie sur beaucoup de quartiers de New York, Londres, Paris, Madrid ou Athènes, qui ressemblent de plus en plus à ceux du Tiers monde, nous voyons que le salaire annuel des dirigeants des entreprises de l’IBEX [équivalent du CAC 40, NDT] atteint un million d’euros (300 fois le salaire minimum) et les banquiers partent à la retraite avec des revenus de plus de 85 millions d'euros.
Cela fait que Monsieur Cayo Lara d’IU [chef de file de la Izquierda Unida, Gauche Unie, coalition autour du Parti Communiste Espagnol, NDT] nous propose « pourquoi ne pas mettre en place des mesures pour que les profits bancaires se consacrent à ouvrir une issue sociale à la crise ? » (Interview dans El País, 16 mai 2010).
Certes, il est intolérable que les grands chefs économiques et politiques du capitalisme s’enrichissent de cette manière insolente alors que partout prolifèrent pauvreté et souffrance. Mais ça, c’est la loi du capitalisme ! Sous le capitalisme, il ne peut pas y avoir « d'issue sociale où les charges seraient reparties équitablement ». Au fur et à mesure que la crise avance, la tendance, déjà dénoncée par Marx il y a un siècle et demi, ne fait que s’intensifier : d’un côté l’accumulation des richesses pharaoniques entre les mains d’une minorité de plus en plus petite, de l’autre une pauvreté de plus en plus grande qui n’arrête pas de se répandre. Sous le capitalisme la misère de la grande majorité est la condition de la richesse de la petite minorité.
Sous le capitalisme, les « issues sociales » sont impossibles comme l’est aussi la « protection des plus défavorisés » ou le « bien-être pour la majorité ». Où on en est la promesse démagogique de Zapatero selon laquelle « on ne toucherait pas aux acquis sociaux » ? Le capitalisme tend toujours vers l’appauvrissement de la grande majorité. Tout ceci n’a pas de solution sous le capitalisme. La seule solution est de le détruire.
La « riposte proportionnée » annoncée par les Commissions ouvrières (CO) et l’Union générale des travailleurs (UGT), les deux syndicats majoritaires, est celle de manifester le 20 mai et une grève pour le 2 juin limitée exclusivement aux fonctionnaires. Ceci a provoqué une indignation justifiée chez beaucoup de travailleurs qui considèrent ces « actions » comme une arnaque pour les diviser.
Ce n’est pas un hasard si Zapatero, qui a reçu de suite les leaders syndicaux avant même de recevoir ses amis du patronat, s’est empressé de « respecter les protestations des syndicats » ! Les leaders « socialistes » n’arrêtent pas de « saluer » le comportement responsable des syndicats !
Cet enthousiasme suspect, ces entretiens privés, font que beaucoup de travailleurs pensent à juste titre que le capitalisme ne planifie pas seulement ses attaques, mais qu’il planifie aussi un succédané de riposte, une espèce d’occupation préventive du terrain social de la part des syndicats, pour gâcher notre lutte, nous affaiblir, nous diviser, nous amener dans l’impasse.
Rappelons-nous cette singerie du 23 février lorsque les syndicats ont monté des manifestations « contre les réductions des pensions de retraite »… et maintenant que le sieur Zapatero annonce un gel brutal des pensions en se foutant, sur la forme et sur le fond, du Pacte de Tolède2, les syndicats limitent leur action « aux fonctionnaires » !
Face à cette occupation du terrain, face à toute cette planification préventive de la part de l’État capitaliste, que pouvons-nous faire, nous, les travailleurs ?
Il est clair que nous avons besoin d’une lutte qui se déroule en dehors de ces terrains piégés où on nous oblige à jouer un match où l’arbitre siffle contre nous et où certains qui s’habillent avec « notre maillot » ne pensent qu’à mettre des buts contre notre camp.
Les luttes doivent surgir des lieux de travail eux-mêmes, par la décision et le contrôle des assemblées générales de tous, et ouvertes à tous les travailleurs quel que soit leur secteur ou leur entreprise, etc. Les luttes, pour qu’elles montent en force, doivent s’étendre, occuper la rue avec des manifestations et autres rassemblements.
Les fonctionnaires doivent rejeter la prison de l’isolement que les syndicats leur ont concoctée. Aux endroits où ils disposeront d’un minimum de forces, ils devraient organiser des assemblées ouvertes aux travailleurs des autres secteurs, aux étudiants, à ceux qui préparent des concours qui viennent d’être affectés par la sévère réduction de l’Offre publique d’emploi3. Les travailleurs des autres secteurs doivent laisser de côté le préjugé qui ne sert qu’au capitalisme, sur le « fonctionnaire paresseux et privilégié » et prendre conscience du fait que l’attaque qui vient d’être lancée est une attaque contre tous.
Il faut que tous ceux qui ont conscience de l’escroquerie syndicale, ceux qui comprennent la nécessité impérieuse de lutter, se regroupent pour impulser des propositions d’action. Nous ne pouvons pas nous lamenter ni rester passifs. Ne laissons pas les manifestations syndicales entre les mains de ceux qui les convoquent, utilisons-les pour y établir des contacts avec d’autres travailleurs, pour impulser des réunions pour y discuter sur comment lutter. Ne laissons pas nous imposer une parodie de lutte, faisons tout pour développer une lutte véritable.
La société capitaliste mondiale va vers des convulsions de plus en plus graves, vers une misère insondable, vers le chômage et la barbarie. La situation est grave et pourtant les travailleurs sont pour l'heure encore loin de posséder une force sociale internationale pour opposer une issue révolutionnaire qui puisse un jour en finir avec tant de souffrance sans fin. Mais, déjà, ici et maintenant, il faut que nous luttions avec le peu de forces dont nous disposons. Conscience, solidarité, unité : voilà nos leviers.
Tract rédigé et diffusé par Action Proletaria, section du Courant Communiste International en Espagne (16 mai 2010 ).
1 Voir, “En Espagne, le capital et son État nous attaquent sur tous les fronts [51]” (mars 2003)
2 Le pacte de Tolède de 1995 signé par le gouvernement d’alors (socialiste) avec les syndicats et l’opposition, voulait renforcer les retraites par répartition. Premier résultat : le calcul moyen a été allongé progressivement de 8 à 15 années de cotisations supplémentaires. Au-delà des « avantages » de ce pacte, on y établit que le gouvernement espagnol pouvait dorénavant se permettre de réduire le montant des pensions, grâce à l'indexation des pensions sur les prix plutôt que sur les salaires. Par ailleurs, les fonds de pensions privés complémentaires ont été renforcés (passant en 15 ans de 2% à presque 30% !), avec tout ce que cela signifie d’aléatoire. Eh bien, même les « avantages » (l’indexation des retraites et l’âge de départ) de ce pacte signé pour soi-disant sécuriser le système deviennent du « papier mouillé » comme on dit en Espagne !
3 Lire en espagnol : « Una miserable Oferta Pública de Empleo que profundiza el desempleo [52] ».
Un certain nombre d'ouvriers combatifs des dernières luttes en Turquie, incluant les ouvriers de National Tobacco and Alcohol Monopoly (TEKEL), ceux du Service des Eaux et des Égouts d'Istanbul (ISKI), les pompiers, les ouvriers de Sinter Metal, le personnel de la municipalité d'Esenyurt, les ouvriers du bâtiment Marmaray, les éboueurs, le personnel du Conseil de Turquie pour la Recherche Scientifique et Technologique (TUBITAK) et les travailleurs de ATV-Sabah News Corporation, se sont rassemblés et ont établi un groupe ouvrier appelé la Plate-forme des Ouvriers en Lutte. Un groupe d'ouvriers de TEKEL a travaillé à la création d'un comité afin d'essayer de tirer les leçons de la lutte dans laquelle ils ont été impliqués et la Plate-forme des Ouvriers en Lutte est une étape importante dans cet effort pour créer des liens avec les autres travailleurs, en particulier ceux qui luttent contre les termes et les conditions que le 4-C1 a récemment introduit, qui est essentiellement une attaque généralisée contre tous les travailleurs du secteur public, avec la réduction des salaires, l'autorisation de transfert des ouvriers, l'obligation de faire des heures supplémentaires non rémunérées, le droit pour la direction de mise à pied temporaire de travailleurs, et la permission de licenciements arbitraires.
Les ouvriers de cette plateforme lancent un appel pour obtenir de l'argent pour apporter une aide à cette lutte. Nous tenons à souligner qu'ils ne demandent pas de l'argent pour se nourrir pendant une grève. Bien que ce type de solidarité puisse être important, très souvent, il n'arrive jamais aux grévistes effectivement en lutte, et même quand c'est le cas, il ne peut guère soulager les souffrances des dizaines de milliers de familles touchées par une grande grève. Ce qu'ils attendent est que l'argent leur permettre d'organiser les activités nécessaires à la lutte. La Turquie est un très grand pays (voyager à travers la Turquie c'est comme voyager de Londres à Varsovie), et TEKEL, par exemple, est une entreprise avec des travailleurs dans tout le pays. Voyager pour aller à des réunions coûte de l'argent, tout comme le fait d'organiser des choses comme la distribution de tracts, l'affichage, et les réunions publiques. L'argent est quelque chose dont les ouvriers manquent après une longue lutte dans l'un des pays les plus pauvres d'Europe.
Ne soyez pas découragé si vous ne pouvez pas vous permettre beaucoup. Rappelez-vous que la Turquie est l'un des pays les plus pauvres en Europe, et que même un peu d'argent peut faire beaucoup, par exemple le prix d'un paquet de cigarettes et une bière en Europe peuvent être suffisants pour envoyer un salarié à une réunion dans une autre ville.
1 Nom administratif de la dernière réforme du régime des fonctionnaires.
Nous venons de recevoir deux documents de nos camarades de la Liga por la Emancipación de la Clase Obrera, du Costa Rica, un groupe qui participe activement au débat et à la collaboration internationale entre groupes prolétariens.
Le premier document est une prise de position sur la répression qui s’abat à la fois sur les ouvriers, les étudiants et tous les laissés-pour-compte de la part d’un Etat qui se vente d’être « le plus démocratique » et de constituer une « exception » dans cette région centre-américaine si agitée. En réalité, comme nos camarades le démontrent, au Costa Rica, la dictature capitaliste s’exerce avec autant de brutalité que dans d’autres pays de plus « mauvaise réputation ».
Le deuxième document représente les Positions de Base de la LECO qui nous semblent concrétiser un effort de réflexion et de synthèse qui pourrait servir à d’autres groupes et collectifs internationalistes de par le monde. De la Déclaration de nos camarades le passage suivant est à souligner : « À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour développer un débat internationaliste. »
CCI 26-5-10
Pendant ces dernières semaines, nous avons constaté que le gouvernement du Costa Rica a utilisé la répression pour intimider toutes les manifestations ouvrières qui se sont déroulées. Ceci fait partie d’une dynamique générale propre au capitalisme qui, poussé par la crise endémique qui le ronge, cherche à faire porter le poids de la crise sur le dos des travailleurs. Son but est d'empêcher la classe ouvrière de prendre confiance en elle-même et de la maintenir désunie.
La répression et les menaces sont les instruments majeurs de la démocratie, qui est comme une décoration avec laquelle la bourgeoisie essaye d'enrober ses massacres. Le gouvernement annonce qu’il ne tolérera pas le moindre incident du genre « blocage des routes », ni, comme ceux qui nous gouvernent le déclarent toujours, que la paix soit altérée. A travers ce discours, il se prépare à réprimer n’importe quelle lutte qui essaye de s'opposer aux plans de « réajustement » du pouvoir face à la crise. C’est la seule dynamique qu’ils connaissent, que ce soit le gouvernement précédent d’Arias ou l’actuel de Chinchilla ou n’importe quel autre fraction susceptible de parvenir au pouvoir. Voilà la seule dynamique qui prévaut actuellement dans tous les pays de la planète.
On a vu la provocation de la police quand elle a pénétré dans les campus universitaires et qu'elle a fini par charger les étudiants. On a vu les arrestations par milliers lors des manifestations à Puerto Limón [Port principal du Costa Rica sur l’Atlantique]. Et enfin, les étudiants et d’autres manifestants ont été frappés avec brutalité au cours de la marche de protestation qui s’est déroulée le jour de la passation de pouvoir entre l’ancien et le nouveau président de la République.
Ces événements sont la face cachée de la démocratie. Le capitalisme a utilisé le discours démocratique pour, dans des périodes de « tranquillité », organiser des défilés et des fêtes, et, au moment des conflits, réprimer brutalement.
La brutalité de la police dans ce pays est bien connue, le discours sur le pays « de la paix »1 ne sert qu’à alimenter le nationalisme et les discours de la bourgeoisie et de ses laquais. La répression se vit quotidiennement au Costa Rica, répression qui s'exerce sur les vendeurs à la sauvette comme sur les travailleurs précaires, sur les exploités comme sur les laissés-pour-compte.
Le discours officiel est celui de renforcer la police contre le trafic de drogue, contre le terrorisme. Mais ce n’est qu’un prétexte pour une militarisation de la société comme le fait le reste de la bourgeoisie au niveau mondial.
Le prolétariat doit rejeter cette militarisation, cette répression dont le but principal est celui de diviser et d’utiliser tous les moyens pour que la classe ouvrière n’arrive pas à prendre conscience et agisse en conséquence. La classe ouvrière commence à perdre sa confiance en la démocratie, elle commence à s’éveiller en voyant son vrai visage, celui de la guerre, la misère et la répression. La situation du capitalisme ne fera qu’empirer et il n’y a que les méthodes de guerre dont dispose la bourgeoisie pour essayer de freiner sa chute au niveau mondial.
Liga por la Emancipación de la Clase Obrera
Mai 2010
emancipació[email protected] [53]
https://internacionalismo-leco.blogspot.com/ [54]
La Ligue pour l’émancipation de la classe ouvrière est un groupe marxiste qui se revendique de l’internationalisme prolétarien.
Nous considérons la classe ouvrière comme la seule capable de faire la révolution et de guider l’ensemble des exploités. La classe ouvrière est composée essentiellement de ceux qui vivent de leur salaire et des chômeurs, de tous ceux qui subissent dans leur chair les calamités de l’exploitation.
Nous considérons que le capitalisme, de la même manière que les systèmes d’exploitation qui l’ont précédé, a vécu une période d’ascendance et une période de décadence. La décadence a obligé le prolétariat à mettre en avant une nouvelle tactique, face à une nouvelle réalité historique où les méthodes de lutte du passé ont été dépassées.
Nous nous réclamons des apports de la Gauche communiste qui est restée fidèle à l’internationalisme prolétarien au milieu d’une période de persécution et, surtout, de détournement de la lutte communiste.
Nous considérons que le prolétariat ne doit défendre aucun drapeau national, nous pensons qu’il n’y a rien de progressiste dans aucune lutte nationale dans la période historique actuelle.
Nous considérons que les syndicats ne sont plus des outils de la lutte prolétarienne depuis que le capitalisme est entré en décadence.
De la même manière que pour les syndicats, la lutte parlementaire est depuis l’entrée en décadence du capitalisme, un terrain totalement contrôlé par la bourgeoisie où aucun intérêt prolétarien ne peut y être défendu, même pas une participation critique.
Nous ne croyons pas du tout dans les « Etats ouvriers » comme les appellent les trotskistes. Nous considérons que des pays comme Cuba, la Chine etc. sont et ont toujours été aussi capitalistes que le reste, que le patron soit l’État ne change rien au rapport d’exploitation.
Nous pensons que les conseils ouvriers sont les organes de lutte et d’organisation de la classe, mais en attendant que ce soit la classe elle-même qui puisse les instaurer, celle-ci s’organise en assemblées ouvertes de travailleurs, qui puissent intégrer des travailleurs d’autres branches, des étudiants, des chômeurs. C’est ainsi que la classe ouvrière a pu agir lors de certaines luttes, ces derniers temps de reprise de la lutte de classe.
À l’origine, la LECO défendait des positions trotskistes, mais nous avons commencé à nous opposer à la position pro-parlementaire et pro-syndicale du trotskisme, à son activisme et, en général, au programme défendu par la prétendue « Quatrième Internationale » que nous avons considéré comme un programme social-démocrate. Nous sommes arrivés à prendre contact avec des camarades d’autres pays, comme ceux du CCI, avec des positions similaires aux nôtres, de sorte que nous avons pu ainsi clarifier nos positions. À l’heure actuelle, la LECO est une organisation sœur des différents regroupements du milieu prolétarien internationaliste au niveau mondial, avec lesquels nous menons des débats, et avec lesquels nous sommes arrivés à défendre des prises de position communes. Ceci parce que nous pensons qu’il est d'une importance vitale aujourd’hui d’élargir ce milieu pour un débat internationaliste, parce que la classe ouvrière a commencé à reprendre ses forces et parce que des éléments et des groupes surgissent dans différents lieux qui se donnent pour tâche de se rapproprier la théorie et le combat révolutionnaires. Nous pensons que, malgré les positions différentes qu’on peut avoir par rapport à d’autres regroupements prolétariens et internationalistes, on peut toujours mener des débats qui vont dans le sens du développement de la conscience au sein de notre classe.
1 Des discours qui font sans doute référence au fait que le Costa Rica se vante d'être le seul pays au monde à ne pas avoir officiellement d’armée (NdT)
Vendredi 5 février a eu lieu la deuxième réunion publique du CCI dans la ville de Quito, sur le sujet : « Qu’est-ce le marxisme ? » C’est un sujet qui préoccupe les camarades qui réfléchissent sur la perspective que le capitalisme peut nous offrir et sur la question de savoir s’il existe une alternative révolutionnaire :
- Est-ce que la théorie marxiste permet de mener une critique et une réflexion pour mettre en avant une perspective révolutionnaire ?
- Est-ce une arme de combat ?
- Les principes défendus par le marxisme, sur la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, sur la perspective du communisme, sur l’internationalisme, etc., peuvent-ils être les bases pour le développement d’un processus révolutionnaire et pour intervenir en son sein ?
La bourgeoisie est consciente du fait que le marxisme suscite l’intérêt de ces minorités, expression de l’effort de la classe ouvrière pour comprendre la situation et organiser sa lutte ; ainsi, elle fait tout son possible pour qu’on parle de Marx et de ses œuvres comme d’un sujet sans lien avec la lutte de la classe ouvrière, comme l’œuvre d’un « économiste » dans le meilleur des cas et, dans le pire, comme celle d’un visionnaire doctrinaire.
Le public présent à la réunion a été l’expression de l’intérêt que celle-ci suscitait. Y sont venus des camarades qui connaissent bien nos positions et d’autres qui les entendaient pour la première fois. Il y avait des sympathisants du milieu anarchiste et aussi des militants de la cause indigéniste en Équateur. Sur notre invitation expresse, une délégation du Noyau Prolétarien au Pérou (NPP) est aussi venue ; et, enfin, quelques éléments du groupe qui nous avait envoyé sur notre site Web le texte « La réforme n’est pas la révolution », les Comunistas Integrales (communistes intégraux).
Le débat fut très animé et fraternel. Pratiquement tous les présents sont intervenus pour présenter leurs positions et soutenir ou réfuter ce qui était affirmé dans d’autres interventions. Les réunions de débat au sein de notre classe ne doivent surtout pas être comme ces conférences universitaires ou leurs prétendus « colloques » auxquels on nous a habitués, où un conférencier ne fait qu’un monologue pendant toute la réunion, et à la fin on permet qu’on pose quelques questions qui servent d’excuses pour finir le monologue. Il n’y a pas là de débat qui vaille, mais la répétition jusqu’à la nausée des positions d’un intellectuel ou d’un parti politique. Pour qu’une véritable discussion puisse avoir lieu, il faut que la confrontation de positions, l’argumentation, la réflexion, avec la participation active des présents, puisse se développer.
Les communistes intégraux, au début de la réunion, ont exprimé certains préjugés sur le supposé dogmatisme et l’étroitesse d’esprit de beaucoup de groupes qui se revendiquent du « marxisme »[1] [55]; mais la réunion a fini par les gagner au débat et ces camarades ont écouté et argumenté et, à la suite de la rencontre, ils ont continué avec les autres à discuter dans une ambiance fraternelle lors d’un repas avec beaucoup de présents.
La délégation du NPP, tel qu’eux-mêmes l’ont dit, a eu autant d’impact sur la réunion qu’ils ont été « impactés » par elle. La présence de camarades d’un autre pays, venus expressément débattre avec les minorités qui surgissent en Équateur, leur volonté d’argumenter et de transmettre leur propre expérience, démontraient dans la pratique de ce que veut dire débat international, et regroupement des minorités que la classe fait naître.
La discussion a fait ressortir plusieurs sujets :
Les camarades qui étaient intervenus dans les questions indigénistes ont, d’emblée, proposé qu’il fallait aborder les questions en partant de la situation en Équateur, qu’il fallait être plus concrets : « Nous sommes venus à la recherche de perspectives…Il vaut mieux voir les choses depuis l’Équateur pour pouvoir ainsi parler du marxisme : quelles sont les luttes qui se déroulent et se sont déroulées en Équateur ?»
Cette proposition a déchaîné un véritable flot d’interventions en défense de l’internationalisme comme un principe de base du prolétariat. Personne ne niait la nécessité d’être concrets et d’analyser la lutte de classe en Équateur, mais on a insisté sur la nécessité de l’aborder à partir d’une analyse internationale du rapport des forces entre les classes.
Il a été dit qu’une des plus grandes erreurs des années passées avait consisté à considérer la situation en Amérique latine avec un prisme régional, ce qui avait conduit à « l’anti-impérialisme » et à la guérilla, etc., alors que les minorités qui surgissent à l’heure actuelle le font en tant qu’expression de la classe ouvrière, en se basant sur une vision internationaliste.
Ce sont ces camarades eux-mêmes qui ont nié défendre le nationalisme, mais ils ont insisté sur leurs préoccupations concernant la question de quoi faire dans l’immédiat, montrant ainsi qu’ils cherchaient à prendre vraiment une position sur le terrain prolétarien, défendant l’internationalisme, sans renoncer à débattre sur ses convictions : « Je ne défends pas le nationalisme, c’est partout qu’il y a de la souffrance. Mais nous voudrions que les choses soient vues à partir de nous-mêmes, non pas à partir d’une putain de critique, mais à partir de la pratique concrète ».
Il s’est faite alors une critique de l’immédiatisme qui, sous l’apparence d’être « concret et efficace », conduit en réalité vers des choix politiques de la bourgeoisie, parce que ce qui est pratique et concret dans le totalitarisme étatique, c’est l’occupation de tout le terrain par les forces de la bourgeoisie. Une réflexion et une intervention internationalistes n’excluent pas du tout les pratiques concrètes d’être partie prenante dans les luttes et dans la dénonciation des manœuvres de la bourgeoisie, mais elles partent d’une analyse du rapport de force entre les classes et de la perspective.
Les conclusions ont mis également en avant la défense de l’internationalisme : « On a mis en avant le caractère international et révolutionnaire du prolétariat, sujet de la lutte révolutionnaire et porteur de la conscience de classe nécessaire à la révolution ». Les camarades qui avaient posé la question « nationale » n’avaient jamais entendu parler du marxisme et de l’internationalisme qu’à travers les voix de leurs plus grands ennemis : les staliniens, les maoïstes et les gauchistes de tout poil. Aussi, à la fin, ceux-là et tous les autres participants ont exprimé leur volonté passionnée de mieux connaître les positions et la méthode de la Gauche communiste.
Il y a eu des interventions avec des points de vue divers qui ont posé la question sur quelle position prendre face à la lutte des indigènes, ou celle des femmes : quelques unes des femmes présentes à la réunion avaient participé auparavant à des mouvements féministes ; d’un autre coté, les interventions des Communistes Intégraux avaient tendance à considérer comme prolétariens toute couche ou secteur social, et même des individus isolés qui manifesteraient leur opposition au capitalisme.
Mais tel que le Manifeste Communiste le dit et beaucoup d’interventions ont repris, de toutes les classes et couches qui s’opposent au capitalisme, seul le prolétariat est révolutionnaire, et ceci non pas par le caprice d’un tel ou tel autre, ni à cause d’une quelconque vision messianique de notre classe, mais par son rôle bien concret dans le processus de production ; il a été dit que d’autres secteurs tels que les petits propriétaires peuvent être aussi opprimés par les grands capitaux, mais leur lutte contre ceux-ci n’est que l’expression de la concurrence capitaliste ; ou les paysans qui résistent pour ne pas devenir des prolétaires, ou les indigènes qui vivent dans des communautés marginalisées..., leurs luttes ne se posent pas en termes de confrontation et de dépassement du capitalisme, mais d’une tentative de s’en isoler, quand ce n’est pas de s’y intégrer pleinement.
Lors de cette réunion, plusieurs personnes ont donc défendu la position comme quoi seul le prolétariat, qui est une classe résultant du développement historique (une classe qui concrétise le travail associé et la nature sociale de l’humanité et dont l’exploitation est la négation de toute humanité, qui transforme les être humains en marchandise), en revendiquant ses nécessités humaines, nie les rapports marchands, par conséquent, il nie l’appropriation du travail d’autrui et la propriété privée des moyens de production pour ouvrir la voie à leur appropriation collective sociale. Seule la lutte du prolétariat porte en elle une alternative au mode de production capitaliste.
Pour toutes ces mêmes raisons, on a affirmé que la lutte ouvrière englobe également la lutte contre toute forme d’oppression et d’aliénation. Dans ce sens, la lutte partielle contre l’oppression des femmes ou contre l’aliénation religieuse, ne met pas en question la cause matérielle, réelle, de ces aliénations ; c’est une lutte idéologique, sur le terrain de la conscience personnelle ; tandis que la lutte révolutionnaire du prolétariat affronte les causes, dans la pratique, de ces oppressions.
« Cette propriété privée matérielle, immédiatement sensible, est l'expression matérielle sensible de la vie humaine aliénée. Son mouvement - la production et la consommation - est la révélation sensible du mouvement de toute la production passée, c'est-à-dire qu'il est la réalisation ou la réalité de l'homme. La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi générale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliénation religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle - sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspects. »
«...or celle-ci [l'émancipation universelle de l'homme] y est incluse parce que tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport ». (K. Marx, Manuscrits de 1844, économie politique et philosophie)
Beaucoup de camarades ont exprimé simplement et avec clarté comment ils comprenaient ces questions aussi compliquées en apparence. En fait, on pourrait affirmer que ce fut là l’un des points forts de la réunion : la majorité des participants ont exprimé leur confiance dans le prolétariat et dans sa nature révolutionnaire.
Nous ne pouvons pas ne pas citer quelques-unes des interventions [2] [56], telles que celle-ci : « J’ai fini par m’identifier avec le prolétariat, ainsi que les gens de ma famille, même ceux qui font des études, ils sont tous des salariés. Je n’ai que ma ’main-d’œuvre’ pour gagner ma vie. Le marxisme n’exclut pas, il exprime la totalité de la transformation, les enfants des indiens deviennent des salariés quand ils viennent en ville et même dans la campagne il y a des salariés. Des prolétaires, il y en a partout dans le monde, ils sortent de leur communauté et se prolétarisent et ils n’ont rien d’autre. Je suis ici pour la transformation du tout, non pas pour des revendications partielles, mais pour changer le monde. C’est pour ça que je suis ici. ».
D’autres interventions ont insisté sur ces questions :
« C’est à partir du moment où nous nous reconnaissons en tant qu’exploités que nous pouvons lutter. Ce débat et la souffrance que nous endurons, voilà ce qui nous amène à nous reconnaître et à lutter en tant qu’être conscients. Je défends le marxisme, parce que c’est la critique de l’expérience.»;
« Les stratégies basées sur les ethnies sont faites pour nous nier, ce sont de fausses identités ».
Le NPP contribua en apportant sa propre expérience : « Nous n’avons pas pu défendre ici nos positions, nous avons besoin de plus de temps pour les exposer. Nous sommes une même classe qui lutte. Nous avons été trompés par le maoïsme, par Mariátegui. Il y a des entraves comme la race, l’indien, la femme. Nous voulons réaliser un travail pour changer le système et pour cela nous devons voir la réalité en face. Il faut rompre avec tous les groupes qui ont trahi.»
Les conclusions sont aussi allées dans ce même sens :
« La discussion conclut qu’il est nécessaire de regarder les choses d’un point de vue propre à la classe ouvrière, qui reprenne l’expérience de sa trajectoire historique des luttes, qui analyse la réalité pour aller dans le sens du changement que nous voulons. Nous et quelques autres camarades appelons ce point de vue « marxisme », d’autres préfèrent l’appeler « théorie révolutionnaire. » [3] [57]
Les préventions des Comunistas Integrales (CI) face au prétendu dogmatisme sous lequel se présentait la réunion (et en général les positions du CCI) ont entraîné que celle-ci a débuté avec une intervention liminaire des CI qui consistait dans la lecture d’un article du numéro 2 de leur publication Cuadernos de la negación [4] [58] (éditée en Argentine): « ¿Comunismo? ¿Anarquía? » (Communisme ? Anarchie ?)
Les parties de la critique qui ont été reprises par la suite dans la discussion ont été celles qui font référence aux différents « ismes » qui ont fait du marxisme une idéologie « de gauche », alors qu’il est une arme de la lutte révolutionnaire, et à la question du communisme « intégral ».
En fait, cette intervention provoqua une certaine perplexité chez les présents à la réunion. Alors qu’elle se présentait formellement comme une critique radicale, une espèce de déclaration qui devrait servir pour bien séparer le terrain de la réunion et le terrain où se situaient les Communistes Intégraux, en réalité cette déclaration dirigeait ses tirs contre des positions qui non seulement n’ont jamais été celles du CCI mais qui, évidemment, n’ont pas été du tout mises en avant dans la présentation, et au contraire y ont été combattues expressément : « Le marxisme n’est pas une simple analyse économique, ce à quoi le ‘marxisme universitaire’ et la majorité des auteurs bourgeois essayent de le réduire... Le marxisme n’est pas non plus une doctrine qui a réponse à tout. Il ne prétend pas pontifier sur tout du ciel et de la terre. C’est ça que veulent nous ‘vendre’ les régimes staliniens des Staline, Mao, Castro, etc., qui imposent un ‘marxisme’ au nom duquel ils dictent tout ce qu’on doit faire depuis le lever jusqu’au coucher, pour mieux nous soumettre avec leur main de fer à leur régime d’exploitation... Le marxisme n’a rien à voir avec ces idéologies de capitalisme d’État, avec ce nationalisme, ce contrôle et cette manipulation des masses défendus par ces organisations de gauche et d’extrême gauche qui exhibent jusqu’à la nausée leur étiquette ‘marxiste’ sans avoir vraiment lu la moindre ligne de Marx ».[5] [59]
Ce n’était donc pas contre le CCI, ni contre cette réunion publique qu’il fallait tirer et blesser à mort. Il ne nous reste qu’à dire la fameuse expression : « les morts que vous tuez jouissent d’une bonne santé ».[6] [60]
On s’est aussi référé au communisme comme combat permanent dans la pratique, comme « mouvement réel », ce qui signifie aussi combat « intégral » contre tous les aspects de l’exploitation.
Face à cela, la discussion a mis en avant que le communisme en tant que combat permanent dans la pratique est considéré, notamment par certaines tendances du milieu anarchiste, comme s’il s’agissait d’une attitude personnelle qui part de la vie de chacun et qui se pose en tant que recherche d’une vie quotidienne libérée qui irait du rejet de l’exploitation (et par conséquent du travail salarié) jusqu’à la « libération » de l’aliénation dans les relations sociales, en passant par une lutte quotidienne faite de sabotages de banques ou de firmes commerciales, etc.
Il y a eu pas mal d’interventions qui ont argumenté sur le fait que le marxisme se conçoit aussi comme un mouvement réel et permanent, mais dans un sens différent. Dès que Marx et Engels ont adhéré au combat du prolétariat, ils ont posé clairement cette question. Ils ont mis en avant lors de certaines participations au mouvement ouvrier que, de fait, leur évolution de la démocratie radicale jusqu’à la lutte de la classe ouvrière vers le communisme ne fut pas du tout un geste romantique ou idéaliste, mais quelque chose de profondément matérialiste, le résultat de la compréhension du fait que seule la lutte de la classe ouvrière pouvait mettre en avant une perspective communiste.
«Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. Du reste, la masse d'ouvriers qui ne sont qu'ouvriers — force de travail massive, coupée du capital ou de toute espèce de satisfaction même bornée — suppose le marché mondial ; comme le suppose aussi du coup, du fait de la concurrence, la perte de ce travail en tant que source assurée d'existence, et non plus à titre temporaire. Le prolétariat ne peut donc exister qu'à l'échelle de l'histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l'action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu'en tant qu'existence "historique universelle" » [7] [61] (Souligné par nous)
Ces camarades ont dit qu’ils comprenaient et partageaient la nature historique et mondiale de la lutte révolutionnaire. Certes, cette lutte doit se concrétiser dans des combats politiques, des grèves, des manifestations, dans des discussions et dans la réflexion, mais si on perd de vue cette unité entre lutte immédiate et lutte historique, les deux finissent par être opposées, tombant d’un coté dans le « réformisme » pour lequel « le mouvement est tout, le but n’est rien » ou, de l’autre coté, dans l’utopisme, pour lequel le communisme n’est qu’une chimère.
L’autre question qui se dégage de ce qui est dit précédemment et qui a été aussi discutée dans cette réunion, c’est que la lutte révolutionnaire est collective, une lutte de classe ; et qu’il est vrai que dans la lutte du prolétariat pour ses besoins immédiats, c’est toujours en germe que se trouve la perspective révolutionnaire, parce que c’est une lutte associée, collective et solidaire. Par contre, si on conçoit cela pour chaque prolétaire pris individuellement, sur le terrain où chacun est une victime de la pression de l’idéologie bourgeoise, sur le terrain de la concurrence, alors cette lutte pour les besoins immédiats, pour « se débrouiller », ne conduit pas à la lutte révolutionnaire, mais souvent à l’idée de « se chercher son petit nid » au sein du capitalisme. Aussi, tout le long du débat, on a mis en avant que le fait de se vouer à la lutte pour le communisme ne signifie pas du tout faire un sacrifice, mais, au contraire, essayer de mener la vie la plus humaine possible, en combattant contre l’aliénation ; mais cela ne signifie pas du tout que l’on puisse mener une vie facile dans le capitalisme, et le meilleur exemple c’est Marx lui-même [8] [62].
Par rapport au communisme « intégral », il faut dire que le marxisme n’a jamais tourné le dos à aucun problème humain. Ainsi que la présentation l’a dit : « Le marxisme ne se limite pas du tout, ni à la politique, ni à l’économie. Marx fit sienne la sentence du dramaturge romain Térence, esclave affranchi : ’rien de ce qui est humain m’est étranger’. Et cela, non pas pour établir des lois, des doctrines ou des règlements pour enchaîner les exploités, mais pour les inciter à la réflexion, à la recherche, à trouver leurs critères propres, autant collectifs qu’individuels ».[9] [63]
Mais le marxisme, ainsi que différentes interventions l’ont mis en avant, ne part pas des besoins, ou des problèmes concrets tels qu’ils se posent au sein de la vie aliénée du capitalisme, parce que dans ce cadre, ils sont complètement déformés, mais il part de la critique radicale du capitalisme, de la lutte révolutionnaire, pour comprendre dans ce cadre les besoins humains.
Une autre question qui a été posée par une intervention des Communistes Intégraux, étant donnée la présence d’éléments anarchistes, a été celle du marxisme-anarchisme. Le sujet a été largement traité : il a été affirmé que le prolétariat n’est pas nécessairement marxiste par nature et que, dans l’histoire du mouvement ouvrier, l’anarchisme a exprimé à différentes occasions le choix politique de larges secteurs de la classe ouvrière.
On a surtout mentionné l’exemple de la 1ère Internationale, où le courant proudhonien représentait une tradition historique dans le mouvement ouvrier, reliée à ses origines. Il a été dit aussi que face à la Première Guerre mondiale, malgré le fait que des minorités telles que Kropotkine et ceux qui signèrent le Manifeste des 16 aient soutenu la guerre, de même que certains courants anarcho-syndicalistes comme la CGT (qui se sont ainsi joints à l’ignominie de la trahison de la social-démocratie), une majorité de groupes anarchistes dénoncèrent la nature impérialiste de cette guerre et se sont impliqués dans la lutte révolutionnaire, tels que la CNT espagnole ou la FORA argentine, etc.
De fait, aussi bien en Allemagne qu’en Russie ou en Hongrie, des fractions anarchistes se sont jointes à la formation du parti révolutionnaire et la CNT elle-même participa à la Troisième Internationale.
On a conclu en disant que la différence essentielle entre l’anarchisme internationaliste [10] [64] et le marxisme n’est pas dans leur nature de classe, mais dans la méthode pour analyser et intervenir dans la réalité. Sur ces différences de méthode, nous, qui défendons le marxisme, considérons que celui-ci se construit sur une analyse matérialiste historique, dialectique, qui envisage les conditions de la révolution en fonction de l’évolution des contradictions du capitalisme et les conditions subjectives de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière, tandis que l’anarchisme considère que la révolution est possible toujours et en toute circonstance et qu’il suffit de la volonté d’action [11] [65].
Sur ce point, le NPP a fait aussi une contribution remarquable : « Nous luttons tous pour le communisme, cependant, oui, le programme, qui est historique, est fondamental. Le capitalisme est toujours, dans son essence, le même depuis qu’il a surgi, mais il y a eu des étapes différentes et une condition pour en finir c’est sa décadence. Je vous invite à étudier, à comprendre, et examiner le programme. Nous, au Pérou, soumettons tout à la critique, nous nous méfions de tout, nous étudions à partir de l’histoire. Il faut débattre, il faut lutter en tant que classe pour le communisme. »
S’il y a déjà quelque chose à bien remarquer de cette réunion riche en débats, c’est justement cela : la volonté de discuter, d’y participer. Il y a eu, comme quelqu’un l’a dit, « une véritable déferlante de participations et de réflexions enthousiasmantes et profondes ». Personne ne voulait partir et arrêter la discussion. On a invité les présents à une journée de discussion pour le lendemain et la plupart d’entre nous sommes allés manger ensemble dans une ambiance fraternelle de partage et de débat. Certains camarades qui n’on pas pu rester, ont voulu exprimer qu’ils se sont sentis à l’aise dans la discussion, et qu’ils reviendraient. Personne ne s’est senti gêné pour exprimer ses préoccupations telles qu’elles se présentaient et c’est ainsi, de la manière la plus simple souvent, que des sujets très profonds ont pu être traités. Cette humilité, animée en même temps de courage et de volonté d’aller au cœur des questions, ce qui est le propre du prolétariat, a créé un moment enthousiasmant de vie collective. C’est ainsi que le NPP l’a exprimé : « Nous sommes impressionnés et nous porterons ce débat à nos camarades. Il faut renforcer les liens entre les minorités pour la révolution. C’est en tant que prolétaires que nous sommes venus du Pérou.»
On a essayé de refléter cet état d’esprit dans des conclusions de la réunion qui sont tout juste une ébauche de ce qui s’est réellement passé, mais du moins elles ont servi à ce que tous les participants s’y sentent représentés :
- « Il est à remarquer à quel point le débat est un instrument du prolétariat sur son chemin vers la clarification, le développement et le renforcement de sa conscience de classe nécessaire pour l’assaut révolutionnaire et le triomphe de la perspective communiste »,
- « Il est à souligner le fait que cette réunion a été fortement marquée par un intérêt spécifiquement prolétarien : celui de réfléchir sur la réalité en vue d’une transformation sociale qui, pour tous les présents, apparaît comme une nécessité évidente »,
- « Nous affirmons le besoin pour nous, prolétaires, du débat, de la clarification et de l’approfondissement, lesquels ne peuvent être que le résultat d’une action collective, le besoin du développement d’un milieu de discussion réellement collectif, fraternel, honnête et engagé pour la transformation de la société. Autrement dit, notre réflexion a comme point de départ la conviction militante de la lutte ».
Sans le moindre doute, cette réunion a répondu à toutes ces attentes.
CCI, 8 mars 2010
[1] [66] Ceci est quelque part compréhensible si l’on considère que les groupes staliniens et trotskistes et leur satellites gauchistes se plaisent à se nommer « marxistes », alors qu’en vérité ils défendent, avec un style d’opposition « radical », des alternatives à l’intérieur de l’État bourgeois. En ceci, ils représentent tout ce contre quoi Marx et les courants qui sont restés fidèles à ses apports ont toujours lutté.
[2] [67] Ce compte-rendu a été fait à partir des notes prises lors de cette réunion publique. Il se peut donc qu’il y ait des imprécisions.
[3] [68] Cette déclaration finale correspond aux concordances auxquelles on est arrivés à la suite du débat sur marxisme et anarchisme dont nous parlons plus loin.
[4] [69] Cahiers de la Négation. On peut trouver cette revue sur le Web, https://negacion.entodaspartes.net/ [70]
[5] [71] Il s’agit d’une citation tirée d’une présentation écrite pour être lue. Certains camarades nous ont demandé qu’on la publie en tant qu’article ; mais pour qu’elle soit compréhensible il faudrait l’adapter ; pour le moment, nous espérons que ces extraits pourront faire l’affaire…
[6] [72] Cette phrase a été attribuée à la pièce Don Juan Tenorio de l’auteur romantique espagnol Zorrilla. En fait, elle ne figure pas comme telle dans l’original. Il y a toute une polémique savante pour savoir s’il s’agit d’une « interprétation » de l’œuvre ou si ça appartient à une autre.
[7] [73] L’idéologie allemande (1845-46). https://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450000.htm [74]
[8] [75] Marx a subi pendant toute sa vie une situation économiquement précaire, de bannissement et parfois même de grande misère.
[9] [76] Voir note 2.
[10] [77] Nous employons ce terme générique pour nous référer aux courants et aux groupes anarchistes qui sont restés fidèles au prolétariat ; il y a aussi et il y a eu des groupes anarchistes qui n’ont jamais été une expression ouvrière.
[11] [78] Tout le long de la discussion, les Comunistas Integrales ont mis en avant le fait que pour eux la question de la période de transition du capitalisme au communisme était une divergence importante. Pour eux, le développement des forces productives que le capitalisme a atteint permettrait, juste après la révolution, l’existence d’une société d’abondance sans qu’une période de transition soit nécessaire. Cette réunion n’était pas le lieu pour discuter de ces questions, et, par conséquent, ce compte-rendu non plus. Pour connaître notre position sur la période de transition, voit la Revue Internationale nº 11, https://fr.internationalism.org/node/1813 [79]
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de Communist Internationalist, organe de presse du CCI en Inde.
Deux cent cinquante mille travailleurs du jute, dans la région de Calcutta, sont entrés en grève début décembre 2009 pour obtenir de meilleurs salaires, le même statut à durée indéterminée que celui du plus grand nombre de travailleurs sous contrat, des prestations de retraite et d'autres questions liées à leurs conditions de vie et de travail. Avant tout, ils se sont mis en grève pour obtenir leurs arriérés de salaire, pour contraindre les patrons à leur octroyer une assurance-santé, des fonds de prévoyance et pour supprimer des amputations qui avaient été prélevées sur leurs salaires avec l'accord du gouvernement. Le 12 février 2010, après deux mois de grève, la cabale des syndicats a ordonné aux travailleurs de retourner au travail sans qu'ils aient pu obtenir des concessions du patronat. De plus, ce recul a ouvert la voie à d'autres attaques contre la classe ouvrière.
Cette grève des travailleurs du jute n'est pas la première. Ces derniers se sont souvent mis en grève. Il y a eu des grèves importantes en 2002, en 2004, une grève de 63 jours en 2007 et 18 jours de grève en 2008. La plupart des efforts des travailleurs pour résister aux attaques ou obtenir quelques concessions ont été déjouées par les patrons et les syndicats.
Les origines de ces efforts désespérés des travailleurs du jute de se battre encore et encore se trouvent dans leurs dures conditions de travail et dans les efforts des syndicats staliniens et des autres syndicats et partis pour utiliser la violence et la répression contre les travailleurs. La plupart des usines de jute sont ainsi confrontées à des troubles sociaux récurrents.
Les travailleurs du jute ont des salaires extrêmement bas. Même les travailleurs en contrat à durée indéterminée obtiennent seulement autour de 7000 roupies (150 $) par mois. Dans chaque usine, plus d'un tiers des travailleurs sont temporaires ou contractuels et reçoivent moins de la moitié du salaire des travailleurs en contrat à durée indéterminée, soit environ 100 roupies (2.2 $) par jour. De plus, ces travailleurs sous contrat sont payés uniquement les jours où ils travaillent. La plupart de ces travailleurs temporaires ont passé toute leur vie active dans la même usine, sans jamais obtenir un contrat à durée indéterminée, puisque cela ne convient pas aux patrons. Souvent, les travailleurs, permanents et temporaires, ne reçoivent pas le paiement intégral de leur salaire et de leurs primes tous les mois. Lorsque les retards de salaires et d'indemnités s'accumulent ceux-ci ne sont parfois pas payés pendant des années. Même les déductions légales du salaire des travailleurs que les patrons font pour l'assurance maladie et les fonds de prévoyance ne sont parfois pas déposées auprès des autorités compétentes. Même lorsque les conventions collectives ont été signées, celles-ci ne sont pas honorées par les patrons. Les employeurs ont purement et simplement recours au lock-out et au non-paiement des salaires pour contraindre les ouvriers à être plus productifs. Les patrons ont pu agir ainsi en toute impunité en raison de la collusion avec le gouvernement du Front de Gauche, les syndicats staliniens et les autres syndicats. Le gouvernement, qui est partie prenante de la plupart des accords, refuse d'appliquer sa propre législation du travail.
Cela a donné naissance à une colère profonde des ouvriers du jute à l'égard des syndicats qui, à plusieurs reprises, s’est traduite par des grèves. L'une des expressions les plus radicales de cette colère a été la lutte des travailleurs du jute aux usines de Victoria et de Kanoria à Calcutta au début des années 1990. A cette époque, les ouvriers en grève ont attaqué et détruit les bureaux des syndicats de gauche comme de droite et agressé leurs dirigeants syndicaux. Les travailleurs de Kanoria ont boycotté tous les syndicats existants et occupé l'usine pendant plusieurs jours.
Mais le Bengale occidental a longtemps été aussi une jungle gauchiste qui n'a pas seulement été gérée pendant 30 ans par des hyènes staliniennes mais qui a de nombreux partis gauchistes, groupes, ONG et « intellectuels » d'opposition. Les efforts des travailleurs des usines Victoria et Kanoria pour défier les syndicats ont été rapidement dévoyés par ces gauchistes d'opposition et diverses autres personnes qui ont démobilisé les travailleurs avec des slogans mystificateurs. Cela a été une tragédie permanente pour les travailleurs du jute au Bengale Occidental et cela souligne la nécessité du développement d’un courant prolétarien au milieu des luttes ouvrières.
Une vingtaine de fédérations syndicales ont été contraintes d'appeler à la grève actuelle le 14 décembre 2009 sous la pression grandissante des travailleurs du jute après l'échec de cinq cycles de négociations tripartites impliquant les dirigeants de la section du Bengale occidental du Parti Communiste d'Inde (Marxiste) [CPI(M)], leaders du Front de Gauche actuellement au gouvernement. Les travailleurs en grève, non seulement exigeaient de meilleurs salaires, mais surtout les arriérés de salaires et le dépôt des cotisations déduites de leur salaire depuis longtemps. En moyenne, les arriérés dus à un travailleur vont jusqu'à 37 000 roupies ce qui équivaut à six mois de salaire. Une telle retenue à la source est purement du vol. En outre, en raison du non enregistrement des cotisations, les travailleurs se voient souvent refuser les soins de santé et les prestations de retraite.
Comme la grève se poursuivait, l'Etat du Bengale et le gouvernement central ont été soumis à la pression des employeurs pour qu'ils interviennent. D'après Business Standard, les groupes d'affaires ont craint que la grève puisse entraîner un regain de combativité dans d'autres secteurs ouvriers qui avaient été touchés par la dégradation de l'économie de l'Inde. En outre, les patrons perdaient de l'argent. Selon Business Standard, du 16 février 2010, la grève de 61 jours a eu un coût total de 22 milliards de roupies (475 millions de $ US).
Le gouvernement à New Delhi, le gouvernement de l'Etat dirigé par le CPI(M), les autres partis politiques et les syndicats ont collaboré pour saper la grève.
Comme dans un spectacle, tous les partis politiques ont joué à soutenir les travailleurs en grève tout en conseillant en même temps aux syndicats de les contrôler de sorte que les travailleurs restent dans des limites revendicatives 'raisonnables'. Le Premier Ministre du Bengale occidental, Buddadeb Battacharjee, dont le parti contrôle le plus important syndicat des travailleurs du jute, le syndicat Bengal Chatkal Mazdoor (BCMU), a conseillé à Gobinda Guha, leader du BCMU, ne pas reprendre l'ensemble des revendications des travailleurs. Guha lui-même déclaré à la presse: « Le Premier Ministre a écouté nos revendications lorsque nous l'avons rencontré et a dit qu'il serait difficile de tout obtenir ... »
Le parti politique qui a conseillé à ses syndicats d'agir en tant que briseurs de grève contre les ouvriers grévistes était le Trinamul Congress (TMC), bien qu'il se soit pendant longtemps revendiqué comme l'adversaire de la politique libérale du CPI(M). Le TMC a proclamé qu'il ne souscrivait pas aux méthodes « d'interruptions du travail ». Son leader, Mamata Banerjee, essaie déjà de recruter des briseurs de grève pour son parti en sollicitant de l'argent des grandes entreprises.
Le rôle des syndicats devient évident lorsqu'une lutte ouvrière se généralise. On les voit empêcher les contacts entre travailleurs de différentes usines, falsifier leurs revendications, faire usage du mensonge et de la calomnie pour faire retourner les ouvriers au travail.
La grève actuelle, malgré la colère bouillonnante des travailleurs, a été contrôlée dès le début par les syndicats. En outre, les syndicats ont réussi à maintenir les travailleurs du jute isolés des autres travailleurs de Calcutta et à les amener à être passifs en leur promettant qu'eux, les syndicats, allaient négocier pour que leurs revendications soient satisfaites.
En réalité, les accords conclus entre les patrons, les syndicats et le gouvernement ont été une totale capitulation sous tous les aspects. Non seulement les travailleurs ont obtenu une augmentation de salaire dérisoire, mais même sur leurs arriérés de salaires impayés, il leur a été proposé un rattrapage sous la forme de versements échelonnés sur plusieurs mois. Enfin, une partie de leur salaire actuel, consistant en une prime de "vie chère", ne sera pas versée sur leur salaire mensuel, mais seulement sur une base trimestrielle.
En outre, les syndicats ont convenu d'appliquer une clause de non-grève pour les trois prochaines années. M. Guha, le leader de BCMU, a déclaré aux médias : « Il n'y aura pas de grève dans les trois prochaines années. » Cette garantie donne aux employeurs les mains libres pour porter de nouvelles attaques sur les emplois, les salaires et les conditions de vie des travailleurs du jute.
Cette trahison des syndicats a laissé les travailleurs, qui n'avaient rien obtenu pendant cette période de grève, emplis de frustration et de colère.
Quelques jours après la fin de la grève, cette colère a explosé chez les travailleurs qui ont violemment attaqué les syndicats et les patrons.
Le jeudi 4 mars, l'une des usines de jute Jagaddal Jute Mill dans le district North 24 - Parganas a commencé une nouvelle offensive contre les travailleurs. Elle a essayé de transférer le travail accompli par les travailleurs permanents vers des travailleurs contractuels. Les travailleurs ont résisté spontanément, en ignorant les dirigeants syndicaux locaux et ont mis en échec la tentative des patrons. Pour intimider et écraser les travailleurs et introduire plus de coups de canif dans les contrats de travail, le lendemain matin, alors que les travailleurs arrivaient pour le poste du matin à 6h, la direction a fermé les grilles devant les travailleurs et a déclaré la suspension du travail.
Cela a provoqué une onde de choc et de colère parmi les milliers de travailleurs employés par Jagaddal Jute Mill qui étaient restés sans salaire tout au long de la période de grève qui venait de prendre fin. Sans attendre les syndicats et sans rien leur demander, les travailleurs ont décidé de partir en manifestation pour protester contre cette attaque par les patrons. Ils ont exigé que la suspension soit immédiatement retirée et que les travailleurs soient autorisés à se rendre au travail.
Pendant cette période, un travailleur de 56 ans, Biswanath Sahu, est mort d’une crise cardiaque à la suite du choc moral reçu. Cela a naturellement rendu les travailleurs furieux au point qu'ils s'en sont pris à un directeur. Mais la colère principale des travailleurs a été à l'encontre des syndicats. Ils étaient convaincus que les deux syndicats de l'usine, CITU et INTUC, étaient de connivence avec les patrons dans cette dernière attaque à leur encontre et dans la fermeture de l'usine. Les ouvriers en colère ont saccagé les bureaux de CITU et d’INTUC. Ils ont attaqué la maison de M. Singh Barma, leader du syndicat INTUC. Le leader du syndicat CITU, M. Omprakash Rajvar, a été frappé pour avoir défendu la direction. Plus tard, les dirigeants syndicaux et le directeur du personnel n'ont été sauvés de la colère des travailleurs que grâce à l'arrivée d'un important contingent de policiers qui a violemment réprimé les ouvriers à coups de matraques.
Bien que nous croyions que cette violence n'a pas fait avancer la lutte de la classe ouvrière, il ne fait aucun doute que la violence de masse qui s'est manifestée à Jagaddal Jute Mill a exprimé la colère des travailleurs contre les patrons et les trahisons des syndicats.
L'industrie du jute a déjà été en difficulté et maintenant, comme tous les autres secteurs, elle ne peut échapper à l'impact de l'intensification de la crise mondiale. Les propriétaires d'usines sont déterminés, non seulement à maintenir leurs profits, mais à les accroître constamment et ils ne peuvent y parvenir que par une exploitation intensifiée et des attaques sur les conditions de vie et de travail des ouvriers. Les travailleurs du jute ont une très longue tradition de lutte. Ils ont souvent mené des luttes combatives et héroïques. Mais comme le montrent leur grève récente et les nombreuses grèves précédentes, les travailleurs du jute ne peuvent se défendre et faire avancer leurs luttes qu'en s'unissant à d'autres travailleurs appartenant à d'autres secteurs et industries. En outre, leur méfiance à l'égard des syndicats ne peut pas se limiter à la passivité ou prendre la forme d'une violence anarchique. Ils doivent développer une conscience claire du rôle perfide des syndicats et essayer de prendre leurs luttes hors du contrôle des syndicats et dans leurs propres mains. C'est la seule façon d'aller de l'avant.
Nero (2 mai 2010)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Depuis la débâcle des élections présidentielles de 2000, qui ont vu l'entrée en fonction de la souvent incompétente et maladroitement belliqueuse administration Bush, Internationalism a régulièrement souligné la difficulté croissante de la classe capitaliste américaine à manipuler son appareil électoral afin de parvenir à un résultat politique optimal pour servir les intérêts de l'ensemble du capital national.
Toutefois, avec l'élection de Barack Obama en 2008, la bourgeoisie américaine semblait enfin avoir rejeté les années Bush loin derrière elle. La nouvelle administration était censée relancer la confiance dans le processus démocratique et électoral, redonner vie à la réputation des États-Unis dans l'arène mondiale et adopter une politique et une législation qui permettent de résoudre les problèmes urgents auxquels est confronté le capital national, que l'administration Bush avait soit ignorés, soit bâclés.
Pourtant, même avant la victoire électorale d'Obama, un nouveau mouvement politique a commencé à émerger, déterminé à faire dérailler son élection et à entraver ou à démolir son administration s'il prenait le pouvoir. Ce mouvement a évolué aujourd'hui sous la forme d'un parti politique soi-disant "alternatif'' : le dénommé "Tea Party". Dans cet article, nous traiterons successivement de l'apparition de ce phénomène au cours de la campagne présidentielle puis au cours de la première année de l'administration Obama et, enfin, nous tenterons de tirer quelques conclusions préliminaires sur l'importance de ce mouvement dans la vie de la bourgeoisie américaine.
A l'origine, émanant de la frange la plus à droite du spectre politique américain (comme les groupes blancs de milices racistes, les activistes anti-impôts hyper-liberaux, les diverses composantes du fondamentalisme chrétien, les activistes anti-immigration et diverses variantes d'autres mouvements d'extrême droite), des rumeurs calomnieuses – qui se sont propagées via les radios de droite et Internet - commencent à circuler pendant la campagne présidentielle, selon lesquelles Obama était en réalité un agent des musulmans, envoyé pour prendre le contrôle du gouvernement fédéral et entraîner subrepticement la capitulation de l'Amérique devant les terroristes. D'autres rumeurs tout aussi ridicules affirmaient que l'élection d'Obama en tant que président était illégitime car en réalité il serait né en Indonésie, violant l'exigence de la Constitution selon laquelle le président doit être un citoyen américain 'de naissance'. Ces proclamations bizarres de la frange d'extrême droite commencent à exercer un sérieux poids dans la campagne électorale de 2008, dans la mesure où le Parti Républicain encourage tacitement ces rumeurs avec la pleine coopération de médias à scandale. Malgré l'évidence qu'Obama était né à Hawaï et les nombreuses déclarations visant à réaffirmer sa foi chrétienne, les sondages d'opinion effectués dans le mois précédant l'élection ont toujours montré qu'un pourcentage significatif de l'électorat croyait qu'Obama était vraiment musulman ou une personne née à l'étranger et donc inéligible à la présidence.
Comme la campagne électorale de 2008, qui s'était échauffée au cours de l'été, retombait, le candidat de la droite républicaine, John McCain, et sa colistière Sarah Palin, gouverneur ultra-libéral de l'Alaska – une débutante souvent politiquement peu fiable – ont redonné vie à ces proclamations, ce qui a immédiatement orienté la campagne électorale vers une succession de coups bas polémiques. A partir de l'été jusqu'à l'élection en novembre, la ligne officielle républicaine a attaqué Obama en tant que 'socialiste' et 'marxiste' qui, pendant ses activités quotidiennes 'd'activiste communautaire' dans les zones urbaines de Chicago, s'était associé à des terroristes de la Nouvelle Gauche. Juste au moment où le système bancaire américain s'effondrait dans le sillage de la débâcle du marché immobilier et des 'subprimes', la campagne présidentielle était définie par le Parti Républicain comme une tentative de Barack Obama de se faire le promoteur d'un 'gouvernement fortement socialiste'!
Cependant, Obama a toujours bénéficié du soutien d'une fraction déterminée très importante de la classe dirigeante américaine, qui avait reconnu l'impérieuse nécessité d'une rupture avec l'ère Bush. Cette fraction a été aidée dans ses efforts pour gagner de nombreux éléments plus incertains par le quasi-effondrement du système bancaire américain, à peine quelques semaines avant l'élection. Cela a changé le débat dans la campagne, donnant à Obama l'élan ultime pour remporter l'élection. Ce canard boiteux, l'administration Bush, avait orchestré un renflouement massif de Wall Street et des banques par le gouvernement fédéral, qui avait prévenu un résultat catastrophique sur le court terme. Cependant, ce renflouement s'était avéré extrêmement impopulaire auprès du grand public et un thème 'Wall Street contre Main Street' est apparu dans la campagne présidentielle, ce qui a donné un avantage certain au démocrate Obama (en dépit, d'ailleurs, de son soutien ouvert au renflouement). Face à la prise de conscience qu'une crise économique aux proportions incalculables les attendait, de nombreux citoyens - qui, autrement, auraient pu soutenir McCain et Palin pour des motifs culturels et sociaux – se sont pincés le nez et ont décidé de voter pour le démocrate et pour qu'il soit bientôt le premier président 'Afro-Américain'.
Pendant que les fractions dominantes de la bourgeoisie célébraient la victoire d'Obama en novembre et son intention déclarée de résoudre de nombreux problèmes urgents auxquels était confronté l'Etat américain (comme par exemple le système de soins et de santé qui a des coûts élevés pour de moins bons résultats par rapport aux autre pays industrialisés), la droite complotait son prochain renversement. Quelques semaines après son investiture est apparu un nouveau défi pour Obama et les démocrates, né sur le fumier idéologique des arguments mensongers de la propagande anti-Obama déversés pendant la campagne présidentielle : le dénommé 'Tea Party'.
Le Tea Party se vante de son appel 'populaire' pour s'opposer ouvertement au renflouement de Wall Street et punir les banquiers avides tout en luttant en même temps contre la croissance du gouvernement fédéral, qui crée des dépenses à des fins électoralistes et augmente les impôts, et de s'opposer au « socialisme » et au « marxisme » de la nouvelle administration Obama. Sous l'impulsion des radios de droite et de la 'blogosphère' Internet, et même avec la légitimité accordée par les politiciens républicains, y compris Sarah Palin, le Tea Party s'est transformé au cours de la dernière année en une force politique sérieuse de la politique américaine.
Il a été dit que son idéologie a joué un rôle majeur dans la victoire des républicains dans la course sénatoriale au Massachusetts en février 2010, qui a vu le siège occupé depuis longtemps par Edward 'Ted' Kennedy passer dans des mains républicaines, ce qui a coûté aux démocrates la majorité au Sénat américain. De même, les candidats de la droite républicaine ont récupéré ses thèmes idéologiques dans la perspective des élections au Congrès en 2010. Quelques candidats inspirés par le Tea Party ont lancé des défis préliminaires pour déloger des républicains bien établis, y compris le candidat aux présidentielles de 2008, John McCain.
Cependant, le mouvement Tea Party est des plus célèbres aujourd'hui pour le rôle de premier plan qu'il a joué dans la politique et le cirque médiatique autour des efforts d'Obama sur la « réforme » des soins de santé, qui a dominé la politique intérieure américaine pendant des mois. Le Tea Party a été à l'initiative des manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays, pour protester contre ce qu'il considère comme une 'prise de contrôle par le gouvernement' des soins de santé énoncés dans le plan d'Obama pour contraindre tout le monde à acheter une assurance de santé privée, ayant un but lucratif pour les compagnies d'assurance et un coût global, qui, selon eux, aggravera la dette nationale. Ces manifestations sont souvent couvertes de slogans provocateurs dénonçant « l’Obamanisme » et attisant la peur de la législation qui serait censée créer des « panneaux de la mort », qui permettraient aux bureaucrates du gouvernement de décider quand il faut « tirer la chasse d'eau » sur des personnes âgées et sur des malades en phase terminale. Face à la pression de la base de l'aile droite du parti maintenant dominé par l'idéologie Tea Party, les congressistes et les sénateurs républicains ont repris de nombreux slogans du Tea Party, qui désignent la législation de la « réforme » des soins de santé comme 'la perte de la liberté' en Amérique.
Maintenant que la législation sur la santé a été adoptée, les républicains s'engagent à la faire abroger à la première occasion, tandis que la base activiste du Tea Party adresse des menaces de mort aux membres démocrates du Congrès, fracasse les fenêtres du bureau du Parti Démocrate et fait le vœu de « résister » à une législation qu'elle appelle une « atteinte à la liberté » par « tous les moyens nécessaires ». Pendant ce temps, les dirigeants démocrates protestent contre le « déclin du sens civique » dans la politique, condamnent leurs collègues républicains pour n'avoir pas suffisamment dénoncé la rhétorique dangereuse de la droite, et expriment leurs craintes pour leur propre sécurité. La politique intérieure américaine a pris, ces jours-ci, un virage particulièrement brutal et hideux, retournant aux pires moments des années 1960-70. Bien que ne s'attendant pas ouvertement à la réapparition du fascisme dans un avenir proche, un député démocrate a prédit un virage dangereux dans la politique américaine, et il pense que les démocrates devraient essayer de faire passer la « réforme » sur l'immigration de la même manière qu'ils ont fait la législation sur les soins de santé1.
Ainsi, quelle signification devraient donner la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires à l'évolution tourmentée du Tea Party et de son idéologie particulièrement éclectique et souvent contradictoire ?
Une analyse beaucoup plus approfondie est nécessaire pour bien comprendre l'évolution de la politique américaine, dans quelle mesure la décomposition a infesté la vie politique de la bourgeoisie et les effets complexes des campagnes idéologiques bourgeoises sur le mécontentement et la résistance de la classe ouvrière. Toutefois, il est possible d'offrir une analyse préliminaire du phénomène Tea Party d'une perspective politique prolétarienne et d'en tirer certaines implications par rapport à la lutte ouvrière contre le capital.
Le Tea Party reflète une décomposition bien réelle de l'idéologie bourgeoise confrontée à une incapacité croissante de cette classe à gérer ses propres affaires politiques. Confronté sur sa droite au Tea Party et à l'infiltration dans ses rangs de nombreux activistes de ce parti, le Parti Républicain est de plus en plus l'expression d'une idéologie d'extrême-droite qui cherche à ôter toute sa force au gouvernement fédéral en ramenant le pouvoir au niveau de chaque Etat. Cette idéologie est fermement opposée à la politique économique keynésienne pour répondre à la crise, y compris à l'extension des prestations de chômage pour les travailleurs licenciés.
Bien que cette idéologie ait une longue histoire dans la vie de la bourgeoisie américaine qui remonte à la guerre de Sécession et au débat sur l'esclavage (ou même plus loin puisque l'accent sur 'les droits des Etats' remonte à la fondation de la République), aujourd'hui elle est totalement incompatible avec le rôle des Etats-Unis en tant que seule superpuissance impérialiste restante et les besoins de l'Etat national pour mettre en œuvre une politique visant à gérer l'approfondissement toujours croissant de la crise économique2. Bien que cette idéologie ait pu auparavant être déployée de façon stratégique par des éléments du Parti Républicain pour atteindre des objectifs politiques immédiats, sans intention de les mener jusqu'à leur conclusion, cette idéologie de droite assume de façon croissante son caractère propre et autonome, malgré les besoins pratiques immédiats de l'Etat national.
Dans une certaine mesure, la politique intérieure américaine est de plus « idéologisée » de telle sorte qu'elle a une incidence négative sur la capacité de l'Etat à gérer efficacement les intérêts du capital national. Cela reflète à la fois la difficulté, qui va en s'approfondissant, de l'Etat américain sur la scène internationale et l'aggravation de la décomposition sociale qui se révèle dans le « chacun pour soi » de la vie sociale et politique et l'épanouissement des idéologies rétrogrades illustré par la droite chrétienne et le mouvement Tea Party3.
Malgré la réalité d'un Tea Party comme force politique et son infiltration dans les rangs du Parti Républicain, la bourgeoisie américaine - à travers son appareil médiatique - est parfaitement capable d'exploiter ce mouvement de plusieurs façons pour désamorcer le mécontentement de la classe ouvrière par rapport à la crise économique. Tout d'abord, les images permanentes des médias montrant des rassemblements de supporters enragés du Tea Party qui arborent fièrement des T-shirts et des pancartes agrémentés de phrases hautes en couleur, comme «le Marxisme est une Obamanation » et « je n'ai pas voté pour le socialisme », sont dans la simple continuité de la longue campagne idéologique contre le marxisme, le communisme et le mouvement ouvrier qui ont été identifiés une fois pour toutes avec le totalitarisme stalinien. Aujourd'hui, la campagne identifie le marxisme avec la politique keynésienne capitaliste d'Etat d’Obama. L'objectif est ici d'associer la politique prolétarienne avec le capitalisme d'Etat et les cadeaux d'entreprises pour détourner la classe ouvrière de son propre terrain de classe et vers une attaque simpliste contre « l'Etat » au nom d'une mythique « liberté » primordiale américaine, faisant référence à la proclamation d’Indépendance de 1776.
Deuxièmement, et de façon complémentaire par rapport à l'objectif premier, la campagne médiatique autour du Tea Party cherche à attiser la peur chez ceux qui rejettent cette idéologie, mais qui restent en colère et préoccupés par la crise économique. Le but ici est d'enrôler ces travailleurs autour d'une défense de l'Etat fédéral, d'une politique autour du capitalisme d'Etat, d'une idéologie démocratique et d'une défense de l'administration Obama, soi-disant menacée par une tendance de plus en plus agressive, raciste et tout à fait irrationnelle et proto-fasciste au sein du Tea Party.
Bref, que celui-ci soit présenté comme une grande menace ou une force positive pour la liberté, les travailleurs vont être appelés à prendre parti dans une lutte de plus en plus acharnée entre des factions de la bourgeoisie qui, en termes historiques, sont également anti-ouvrières et réactionnaires. Il s'agit d'un piège dangereux qui ne peut être désamorcé par les travailleurs que s'ils développent leurs luttes4.
Avec son individualisme fervent, son opposition au bien-être social et aux immigrés, l'idéologie du Tea Party constitue essentiellement un rejet de la solidarité sociale, qui est le sang de la vie de la classe ouvrière qui combat sur son propre terrain de classe, pour la défense de ses propres conditions de vie et de travail5. Cela seul peut fournir l'antidote nécessaire à tous les poisons idéologiques émanant de ce système social à l'agonie.
Henk (10 avril)
1 House Democratic Majority Whip, James Clyburn (Democrat, South Carolina) on 'Hardball With Chris Matthews' MSNBC. 24 mars 2009.
2 Bien que l'on pourrait faire valoir que l'argumentation républicaine au sujet de la dette nationale reflète une prise de conscience croissante bien réelle au sein de la bourgeoisie que la tactique keynésienne, si elle peut apporter un soulagement à court terme, ne fait que creuser un tombeau encore plus profond pour l'économie nationale sur le long terme.
3 Il faut faire attention de ne pas exagérer ce phénomène. Malgré le fait que pas un seul républicain n'a voté pour la législation, l'Etat a encore été capable de faire passer la 'réforme' des soins de santé par d'autres procédures parlementaires, en évitant la perspective d'une obstruction républicaine au Sénat. En outre, malgré l'opposition du sénateur républicain Jim Bunning, particulièrement rétif, du Kentucky, l'État a trouvé un moyen de faire passer une série d'extensions 'miraculeuses' de dernière minute de prestations chômage (chargées évidemment sur la carte nationale de crédit !).
4 Ironie du sort, malgré le vitriol qu'ils ont déversé sur le 'socialisme' et la 'prise en charge des soins de santé par le gouvernement', de nombreux partisans du Tea Party ont bénéficié d'une couverture par l'assurance-maladie, ce qui a conduit à la vision bizarre de manifestants arborant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire « Gouvernement, bas les pattes de mon assurance-maladie ! »
5 En conséquence, une grande partie de la campagne médiatique concernant le Tea Party est d'identifier la solidarité sociale, la compassion et l'empathie pour les autres avec l'État, comme si seul un Etat fort pouvait garantir ces valeurs contre la menace émanant d'une droite de plus en plus belliqueuse et sociopathe.
Dans le premier article [27] que nous avons publié sur la lutte de Tekel, nous avons donné un compte-rendu de son évolution jusqu'au 20 janvier. Dans cet article, nous allons continuer à partir de là où nous nous sommes arrêtés, et essayer de rendre compte de ce qui s'est passé à partir de l'établissement du camp des travailleurs de Tekel dans le centre d'Ankara, jusqu'au 2 mars, lorsque les travailleurs ont quitté Ankara. Ce qui constitue un épisode historique important pour l'ensemble de la classe ouvrière. Nous remercions très chaleureusement les travailleurs de Tekel pour avoir rendu possible la rédaction de cet article en nous expliquant ce qu'ils ont vécu, leurs expériences et leurs pensées et avoir permis à ces expériences d'éclairer à la fois la route du futur développement de la lutte de Tekel et de celui des luttes à venir de notre classe.
Nous avions conclu notre premier article en mettant en évidence les efforts des travailleurs pour former un comité. Du début de la lutte jusqu’au 20 janvier, il y avait eu quatre ou cinq tentatives pour former un comité, et il y a eu autant de tentatives dans le processus qui a suivi. D’un autre côté, il n'était pas possible pour ces comités de commencer à fonctionner. À l'heure actuelle, il existe un groupe d'ouvriers combatifs de chaque ville, régulièrement en contact entre eux et discutant sans cesse sur la façon de faire aller la lutte de l'avant. Cependant, ce groupe n'a pas encore réussi à devenir un comité officiel reconnu par tous les travailleurs.
Un des premiers problèmes que nous pouvons mettre en évidence pour tenter d'expliquer les raisons de cette situation est le manque de communication entre les travailleurs. Certes, ces derniers sont toujours ensemble et ils discutent en permanence, mais d’un autre côté ils n'ont pas été en mesure d'établir un organe, comme une assemblée générale, qui leur permettrait de se réunir et de discuter tous ensemble de manière organisée. Comme nous allons essayer de l'expliquer plus loin dans l'article, le fait que les travailleurs de chaque ville aient dressé chacun leurs propres tentes et aient passé la plupart de leur temps à l'intérieur de ces tentes a également contribué à ce problème. On pourrait dire que cette séparation physique a bloqué la communication. Un problème général plus important a été que la majorité des travailleurs n'ont pas voulu mettre en place une alternative aux appareils syndicaux ou ont hésité à le faire. Beaucoup de syndicalistes ont été respectés pour la seule raison qu'ils étaient des syndicalistes. Leurs discours ont été préférés à ceux des ouvriers les plus combatifs et les plus déterminés. Cela a conduit à un très grave problème qui a consisté dans le fait que les ouvriers n'ont pas réussi à mettre en oeuvre leurs propres décisions. La dépendance psychologique des travailleurs à l'égard des responsables syndicaux a empêché l'émergence de comités de travailleurs en dehors des syndicats.
Ce qu'un camarade ouvrier d'Adıyaman nous a dit confirme cette observation : « Si les questions avaient été discutées dans les tentes, et que chaque tente avait envoyé quelques personnes, le comité se serait formé de lui-même. Dans une telle situation, personne n'aurait pu s'y opposer. Cela aurait été impossible. Nous avons essayé de mettre cette question en avant, mais sans grand succès: peu de personnes croyaient qu'il était nécessaire de s'unir. Le manque de communication a été un gros problème, par exemple, il aurait dû y avoir une tente pour centraliser les communications dès que les tentes ont été dressées. Si nous avions fait cela, le comité se serait lui aussi créé. »
En général, les ouvriers expriment ouvertement leur manque de confiance envers les syndicats, mais leurs hésitations empêchent qu'une alternative au syndicalisme se construise. Bien que cela semble être une situation contradictoire, cela montre en fait que le syndicat a toujours une influence sérieuse sur les travailleurs. Les travailleurs, même s'ils n'ont pas confiance dans les syndicats, continuent à s'accrocher à eux et à penser qu'ils peuvent faire entendre leur voix en leur sein.
Quant aux responsables syndicaux, ils sont, évidemment, très troublés par la mention même du mot comité. Ils sont bien conscients du fait que si un comité se mettait en place, ils perdraient tout contrôle, et la masse des ouvriers ne serait plus entre leurs mains. Pourtant, ce n'est pas une question réglée pour les ouvriers. Les tentatives pour former le comité se poursuivent, malgré les problèmes que cela pose aux travailleurs et malgré que cela soit très inquiétant pour les dirigeants syndicaux.
Si nous revenons à la façon avec laquelle les événements se sont déroulés, le 14 janvier, presque tous les travailleurs de Tekel et leur famille de presque toutes les villes ayant une usine Tekel se sont réunis à Ankara pour un sit-in d'une durée de trois jours. Les travailleurs ont allumé des feux pour se réchauffer au cours des nuits. Le troisième jour, il y a eu de fortes pluies. Les travailleurs ont dû tendre des bâches de nylon au-dessus des rues dans lesquelles ils dormaient. C'est ainsi qu'a vu le jour la ville des tentes ouvrières au centre d’Ankara. La mise en place des tentes s'est faite de façon très spontanée, comme dans beaucoup d'autres aspects de la lutte. En fait, les travailleurs avaient demandé une tente de lutte pour être installés devant le siège de Türk-Is, ce qui a été l'une des revendications qui se sont développées avec les efforts initiaux pour former un comité, mais le syndicat avait fait obstacle à cette initiative. Les tentes ont été finalement mises en place, mais parce que les conditions météorologiques les ont rendues nécessaires. Une fois les tentes montées, le syndicat a donné son appui. La raison pour laquelle les tentes ont été séparées en fonction des villes d'où provenaient les ouvriers était que ces derniers voulaient empêcher des policiers en civil ou des provocateurs de s'infiltrer dans les tentes, et de se prémunir contre une dispersion possible en permettant à chacun de contrôler les entrées. À cause du froid, il a été amené des feuilles de nylon supplémentaires. Parce que les feux qu'ils avaient allumés à l'extérieur produisaient beaucoup de suie et de fumée, les ouvriers ont dû apporter des poêles. Finalement, il y a eu une vivante, respirante ville de tentes au milieu d'Ankara.
Le 17 janvier, après le sit-in, il y avait eu une manifestation massive des travailleurs de Tekel avec beaucoup de personnes de différentes villes qui étaient venues pour les soutenir. Les ouvriers de Tekel, conscients qu'ils ne pouvaient gagner que par une extension de la lutte, ont poussé la Confédération syndicale Türk-Is à déclarer une grève générale. Les ouvriers, à la suite du discours de Mustafa Kumlu, le président de Türk-Is, qui n'avait même pas mentionné la grève générale, ont d'abord occupé la tribune où les syndicalistes s'adressaient à plus de cent mille manifestants, puis ils ont occupé le siège de Türk-Is. Cela a amené Mustafa Turkel, le président de Tek-Gida Is, le syndicat de Tekel, de prendre ses distances par rapport à Kumlu et à se plaindre de la façon avec laquelle il était isolé au sein de Türk-Is, et de ce que les autres syndicats au sein de la confédération, ainsi que les autres confédérations, n'avaient pas apporté le moindre soutien.
D'après le calendrier, une grève de la faim de trois jours devait faire suite à cette manifestation. Après ces trois jours de grève de la faim, une grève de la faim illimitée devait commencer. Malgré le fait qu'ils pensaient que la grève de la faim était le dernier des chemins à prendre, les grévistes disaient que dans cette situation, leurs cadavres auraient plus de valeur que leur vie, que la rémunération que leur famille recevrait s'ils mouraient serait plus élevée que le salaire auquel ils étaient condamnés. Ceci n'était pas une idée extrême développée par une seule personne. Il s'agissait de la seule réponse possible pour quiconque se souciait de ce que les ouvriers en grève de la faim obtiendraient pour les travailleurs. D'autre part, alors que ce que les travailleurs disaient là-dessus était une réalité, cet argument n'a pas réussi à réfuter l'idée que la grève de la faim n'était pas la meilleure façon d'agir. Le 19 janvier, une grève de la faim avec un nombre de participants limité à 140 a commencé.
Dans les jours suivants, Türk-Is et les confédérations syndicales gauchistes, la KESK et la DISK, ont annoncé leur plan d'action conjoint. La décision de commencer à travailler une heure plus tard le 22 a été prise, et un plan pour organiser les démonstrations quotidiennes de soutien et les manifestations a été mis en avant. Le 21, Türk-Is, la KESK, la DISK ainsi que les confédérations plus à droite Kamu-Sen, MEMUR-Sen et Hak-Is se sont réunies et ont annoncé que si le gouvernement ne résolvait pas la question le 26, ils utiliseraient 'le pouvoir issu de la production' et annonceraient la date de la grève de solidarité qu'ils organiseraient. Le Premier ministre Erdogan a invité Kumlu, le président de Türk-Is, à une réunion le jour même. Après la réunion, le gouvernement a mandaté Mehmet Simsek, ministre des Finances, pour trouver une solution nouvelle. Simsek n'était autre que l'homme qui avait dit: «Si notre gouvernement a commis une erreur, c'est d'avoir été trop compatissant envers nos ouvriers qui vont perdre leur emploi en raison de la privatisation». Il déclare maintenant qu'il souhaiterait rencontrer à nouveau la délégation de Türk-Is une fois qu'il aurait trouvé la nouvelle solution. Ce processus devait prendre cinq journées. Face à cette situation incertaine et tenant compte des suggestions des médecins, les travailleurs ont mis fin à la grève de la faim qui durait depuis trois jours. Le 26, arriva la réponse négative du gouvernement. La série de négociations devait se poursuivre jusqu'au 1er février. Ce fut, à bien des égards, une politique de blocage. En fin de compte, le gouvernement n'a pas remplacé le 4-C1, mais lui a apporté certains aménagements. Le temps maximal du travail, qui avait été précédemment porté à 11 mois, serait maintenant mieux payé, l'indemnité d'ancienneté était donnée ainsi que le droit à 22 journées de vacances. Les travailleurs ont répondu en disant « Nous ne voulons pas d'un 4-C maquillé. »
Comme les négociations n'ont pas apporté de résultat, la grève de la faim a repris le 2 février. Les six confédérations syndicales, Türk-Is, Hak-Is, DISK, MEMUR-Sen, Kamu-Sen et KESK, se sont réunies à nouveau, et ont déclaré «une action générale dans laquelle ils utiliseraient leur pouvoir issu de la production ». Cette décision n'a bien sûr pas été prise en raison de l'initiative des syndicats eux-mêmes, mais en raison de la pression venant des travailleurs. Les travailleurs ont montré à quel point ils étaient déterminés à s'engager dans une grève générale lors de la manifestation du 17 janvier, en occupant à la fois la tribune et le siège du Türk-Is. Ils ont aussi tenté d'abattre les portes de l'immeuble. Les travailleurs ont réclamé pendant trois heures la démission de Kumlu, et Mustafa Turkel a été contraint de faire un discours très critique à l'égard de Türk-Is, appelant les autres syndicats à prendre une décision en faveur d'une action générale. La décision des syndicats était donc très clairement le résultat de la pression provenant de la base. Les syndicats avaient fait de leur mieux pour retarder les travailleurs avec les négociations. Maintenant, les confédérations devaient finalement déclarer la grève générale.
Faisant suite à cette décision, Erdogan, après avoir dit que les manifestations des travailleurs avaient « dépassé leur objectif », a déclaré: «Eh bien, excusez-nous. Nous avons fait le maximum de ce qui devait être fait. Cela s'est transformé en une campagne ouverte contre le gouvernement, plutôt que de demander plus de droits. Nous sommes dépositaires. Nous sommes les dépositaires de l'argent des orphelins nouveau-nés» et il a ajouté que les salaires des travailleurs de Tekel avaient été payés, que l'indemnité d'ancienneté était désormais sur leur compte en banque, et que s'ils reprenaient le travail dans le mois, ils pourraient commencer à travailler conformément à la législation du 'personnel temporaire', en d'autres termes sous le régime du 4-C. Le délai d'application du travail dans les conditions du 4-C était donc raccourci. Il s'agissait d'une menace de chômage à peine voilée à l'encontre des travailleurs. Cela ne voulait pas dire qu'Erdogan hésitait à faire des menaces ouvertes. Après avoir déclaré que la manifestation ouvrière en face de Türk-Is était illégale et après l'avoir définie comme une occupation, il a déclaré: «Nous allons faire preuve de patience jusqu'à la fin du mois. Par la suite, nous prendrons toutes les mesures légales. (...) Parce que cet événement est devenu un abus manifeste de la part de groupes idéologiques et d'extrémistes. Regardez leurs bannières. Regardez leurs slogans. Ils utilisent un ton effronté et impudent, prenant pour cible moi-même et mon parti. Les travailleurs sont manipulés ». Le gouverneur d'Ankara, Kemal Onal a décidé de sauter dans le train en marche à la suite de ces déclarations. Il a proféré lui-même une menace : juste avant l'action de solidarité générale organisée au nom des travailleurs de Tekel, il a déclaré qu'elle était illégale pour les travailleurs et les fonctionnaires travaillant dans les entreprises. Des plaintes devaient être portées contre tous ceux qui y participeraient.
D'un autre côté, le fait que les syndicats aient déclaré une grève générale ne signifie pas qu'ils n'avaient pas l’intention d'aller dans un sens opposé à celui de la grève générale et de construire une barrière contre elle. Beaucoup de syndicats pro-gouvernementaux au sein de la confédération Türk-Is étaient opposés à la décision de grève générale. Les confédérations MEMUR-Sen et Hak-Is ont décidé à la dernière minute de ne pas y participer. Quant à Türk-Is dans son ensemble, il n'a décidé que de participer aux manifestations d'Ankara décidées par les responsables syndicaux. Il s'en est suivi que la base qui voulait participer était bloquée, et que les travailleurs de différents secteurs et villes n'ont pas pu se réunir. Il y avait peut-être 30 à 40 000 manifestants ce jour-là, mais ce nombre aurait pu être bien au-dessus de 100 000. Les syndicats ont tenté de limiter le nombre. La participation à la grève des autres syndicats n'était pas, elle non plus, au niveau souhaité. Bien qu'il ne faille pas la généraliser par rapport à l'ensemble de la classe, la participation des ouvriers de Tekel était d'environ 90%, soit environ 9 000 sur les 10 857 employés. Ce même jour, il y a eu des manifestations en soutien aux travailleurs de Tekel dans d'autres villes.
Ce n'était pas une véritable grève générale. Elle était trop limitée, trop insuffisante. La puissance de la grève générale vient de la menace d'arrêter la vie elle-même en utilisant la puissance de production qu’ont les travailleurs. Or, le 4 février, il n'était pas vraiment possible, pour quelqu'un qui n'avait pas été averti par les syndicats, de se rendre compte qu'il y avait effectivement une grève qui se déroulait. Cela avait été au moins partiellement reconnu, même par certains présidents de la confédération. Sami Evren, le président de la KESK, a déclaré : «Le mouvement commencé par les travailleurs de Tekel s'est transformé en une manifestation de grande solidarité dans toute la Turquie. Il était socialisé. Tel est le succès du mouvement, mais le fait d'utiliser le pouvoir provenant de la production a conduit aussi à des échecs dans certains endroits. Il y a eu ici des insuffisances et cela doit être reconnu. » Le président du DISK, Suleyman Celebi, a également proclamé : « Il y a eu des actions de débrayage dans 81 villes. Il est vrai que ces actions à Istanbul et Ankara ont été en dessous de ce qu'on attendait, mais on ne peut pas dire que cela ait affecte le succès général de l'action de solidarité ».
Le même jour, le gouvernement prenait des contre-mesures. La nouvelle loi sur l'emploi du « personnel temporaire », le 4-C, était publiée au Journal Officiel. Le nombre des employés concernés par le 4-C était annoncé : 36 215 pour l'année 2010. Tekel était incluse dans la loi. Cette loi non seulement abolit le droit des travailleurs à se faire payer par l'assurance chômage pendant huit mois, mais elle vise aussi à faire travailler les ouvriers pour un salaire très bas sous la menace du chômage. Le 16 février, Tek Gida-Is portait plainte contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C. Si la loi était annulée, les travailleurs de Tekel seraient en mesure d'obtenir leurs indemnités de chômage pendant huit mois, soit le double du salaire minimum, et le 4-C pourrait être appliqué à la fin de cette période. La majorité des ouvriers qui, jusqu'au 4 février, poussait à la grève générale, était maintenant dans l'attente de la décision des tribunaux.
Ce qui a poussé les ouvriers à continuer la lutte jusqu'au 4 février a été la tentative de pousser les confédérations à déclarer la grève générale, afin d'élargir la lutte. Le fait que ces attentes ne se soient pas concrétisées, qu'il n'y aurait pas de véritable grève générale, a changé le cours de la lutte. Maintenant, l'accent était mis sur la période d'un mois imposée pour la mise en application du 4-C. Lorsque la mise en avant du caractère légal prend le dessus, cela signifie en général que la lutte s'affaiblit. L'exemple de Tekel n'a pas fait exception. Le rôle des syndicats, à la fois par rapport à l'affaiblissement de la lutte et à la focalisation sur le processus légal, ne peut pas être sous-estimé. Pour le dire crûment, les travailleurs étaient devenus un problème pour eux. Ils pensaient que le meilleur moyen était de les renvoyer chez eux, de mettre sur les rails la procédure juridique et c'est ce à quoi ils ont travaillé. De toutes façons, ce processus d'attente signifiait aussi pour les travailleurs une prise de risque. Après tout, ils étaient menacés par le chômage et poussés vers l'acceptation du 4-C, mais il y avait aussi une limite fixée pour tout cela. Ils perdraient la possibilité de l'application du 4-C dans le délai d'un mois. Quant aux syndicalistes, alors que la plupart ne pouvaient pas défendre ouvertement le 4-C, ils disaient des choses comme «Nous ne pouvons ni vous dire de l'appliquer, ni de ne pas l'appliquer ». Il a même couru le bruit que certains syndicalistes auraient dit «La mise en application du 4-C est la chose la plus logique à faire ». Bien sûr, ils ne pouvaient pas oser dire ces choses lorsque les ouvriers combatifs se trouvaient à proximité, car ils savaient que cela se serait traduit par une vigilante argumentation à leur encontre, ce qui les aurait finalement obligés à fuir.
La question qui a dominé les jours suivants a été celle de l'indemnité d'ancienneté des travailleurs déposée sur leur compte bancaire, et la question de savoir si les travailleurs allaient ou non l'utiliser. Erdogan a déclaré : «Les travailleurs ont obtenu leur compensation, ceux qui sont restés ici ne sont pas des travailleurs». Toutefois, les ouvriers en lutte avaient décidé de ne pas retirer leur rémunération puisque faire cela signifierait d'une certaine façon accepter le 4-C. Cependant, parce que certains avaient des dettes, il y a eu des déductions automatiques sur leur compte bancaire qui donnaient l'impression que les travailleurs utilisaient leur compensation, ce qui était une ruse de la part du gouvernement pour discréditer les travailleurs. Il s'est passé la chose suivante : le gouvernement, par l'intermédiaire du Ministère des Finances, a donné l'ordre à l'administration de la Vakif Bank General d'ouvrir un nouveau compte au nom des travailleurs. La banque, sans en informer les travailleurs, a retiré 25 TL (TL: Livre Turque, ndt) à chaque travailleur, et transféré l'équivalent sur ce compte, ce qui donnait à croire que les travailleurs avaient utilisé leur indemnité. Après cela, les syndicats ont déposé une nouvelle action en justice par rapport à cette question.
Les travailleurs ont commencé une grève de la faim de trois jours, le 2 février. La grève de la faim était finie le 5 février. Toutefois, le jour où la grève de la faim se finissait, 100 ouvriers de Tekel lançaient une grève de la faim illimitée. Le président de Tek Gida-Is, Mustafa Turkel, annonçait que la grève de la faim illimitée était terminée le 11 février. Il a également appelé les 16 travailleurs qui poursuivaient la grève de la faim malgré la décision des syndicats à l'arrêter. Ensuite, il a réitéré son appel directement auprès de ces travailleurs, mais il a reçu comme réponse de la part d'un gréviste déterminé qu'ils allaient poursuivre leur grève de la faim de par leur propre volonté. Ce même ouvrier combatif a été appelé à l'extérieur par un autre travailleur qui affirmait qu'il voulait lui parler. Lorsque le gréviste de la faim est sorti il lui a été demandé d'arrêter sa grève et il a été attaqué. Le travailleur qui l'agressait était une personne connue pour avoir défendu les syndicats contre d'autres camarades ouvriers et était considéré comme un élément déséquilibré. Depuis, nous n'avons pas eu d'information détaillée sur cet événement, nous n'avons aucune prétention de pouvoir connaître les liens possibles de l'attaquant. Il est possible qu'il s'agisse d'une initiative de la direction syndicale pour pousser ce travailleur à cette attaque contre le camarade qui faisait la grève de la faim. Cependant, indépendamment du fait de savoir s'il a été recruté par la direction syndicale pour réduire au silence ce gréviste de la faim dissident, ou qu'il ait agi ainsi pour faire de la lèche auprès des syndicalistes, le syndicat en est responsable directement ou indirectement. Car si n’importe quel ouvrier peut attaquer un camarade en grève de la faim dans le but de faire de la lèche auprès des syndicats, la raison en est que la bureaucratie syndicale a des intérêts séparés et opposés à ceux des ouvriers, et cela signifierait qu'il aurait tenté de se faire bien voir auprès des syndicalistes en servant leurs intérêts. Cet exemple montre ouvertement, alors que la question principale pour les travailleurs en lutte est celle de savoir comment nous pouvons gagner la lutte, que les syndicats poursuivent des intérêts bureaucratiques et agendas politiques totalement étrangers. Cette situation, loin d'être surprenante, est importante dans le sens où elle constitue un exemple frappant de la nature contre-révolutionnaire des syndicats aujourd'hui.
En tout cas, à la suite de cet événement, les négociations avec M. Erdogan se poursuivent. Etant donné qu'un compromis n'a pas été réalisé à la suite de ces négociations, Hak-Is a cessé d'agir conjointement avec les autres confédérations. Le 12 février, Türk-Is, Kamu-Sen, KESK et DISK se sont réunis à nouveau. Lors de cette réunion, il a été décidé de poursuivre les négociations avec le gouvernement, d'intenter un procès pour obtenir que le 4-C soit annulé et que les organisations locales des confédérations viennent à Ankara et restent avec les travailleurs de Tekel en face de Türk-Is pendant la nuit du 20 février. Le 16, les confédérations ont annoncé leur plan d'action commun : le 18 février, des banderoles disant : «La lutte des travailleurs de Tekel est notre lutte» et «Non au travail dangereux et non réglementé » devaient être placées dans tous les bureaux des syndicats des quatre confédérations. Le 19 février, il devait y avoir d'autres sit-in et des communiqués de presse dans toutes les villes et le 20, une manifestation de solidarité à Ankara. Ceux qui venaient de l'extérieur de la ville devaient se réunir sur la place Kolej, marcher vers la place Sakarya et rester toute la nuit avec les travailleurs de Tekel.
Les ouvriers de Tekel venant d'Adana ont lancé l'appel suivant pour la manifestation du 20 février, soulignant l'importance de l'extension de la lutte : «Nous voulons que tous ceux qui sont contre cet ordre mauvais en Turquie soutiennent notre mouvement. Ce n'est plus seulement par rapport à nous. Cela concerne la majorité, les opprimés. Nous espérons fermement que nous allons gagner. Nous avons allumé un feu, et la population doit poursuivre à partir de ce que nous avons fait. C'est notre avenir, l'avenir de nos enfants que nous défendons, l'avenir de la classe ouvrière en Turquie. Nous avons montré la direction, c'est à eux de finir. Nous ne devons pas sortir d'ici sans avoir ce que nous méritons, mais la population doit se réveiller et nous soutenir, avec leur famille, leurs enfants, avec tout le monde ».
Le 11 février, Tek-Gida-Is a déclaré la fin de la grève de la faim, mais 16 travailleurs ont continué. Le 12 février, un travailleur a été hospitalisé, et cinq travailleurs de plus ont rejoint la grève de la faim à la suite de cet évènement. Ces travailleurs ont terminé leur grève de la faim en déclarant qu'ils avaient «fini la grève de la faim de par leur propre volonté, et n'hésiteraient pas à recommencer si ils le jugeaient nécessaire».
La manifestation de solidarité a eu lieu le 20 février, avec la participation des syndicats, des partis politiques et des organisations de masse. Les travailleurs de l'entreprise de logistique Balnak qui avaient perdu leur emploi à peu près à la même époque où commençait la lutte de Tekel étaient également présents. Comme prévu, tous se sont réunis sur la place Kolej le matin et ont marché jusqu'à la place Sakarya, pleine de manifestants. C'était devenu un véritable carnaval, et les manifestants ont complètement changé l’aspect de la place. D'un autre côté, les travailleurs étaient en général encore dans leur tente quand les manifestants se sont trouvés sur la place. Il y a toujours eu de la circulation entre ces deux endroits très proches, mais la séparation est restée. Plus tard dans la nuit, les gens étaient fatigués, et les rues étaient pleines de manifestants qui dormaient dans des cartons. Le lendemain, un rassemblement a eu lieu et la manifestation s'est terminée avec un communiqué de presse. Ensuite, ceux qui étaient venus de l'extérieur de la ville ont commencé à rentrer chez eux. Cette manifestation a été importante dans la mesure où elle a donné un coup de pouce au moral des travailleurs de Tekel, et où elle a exprimé la solidarité de classe. Toutefois, à cause de la décision des syndicats de n'envoyer que des fonctionnaires, le nombre des travailleurs venant d'autres secteurs a été faible, mais la plupart des travailleurs de Tekel qui n'étaient pas à ce moment à Ankara se sont rassemblés dans la ville. Malgré tous ces aspects négatifs, le fait d'avoir été soutenu a beaucoup compté pour les travailleurs. Les ouvriers dans les tentes auxquels nous avons rendu visite dans la nuit avaient en général un sentiment positif par rapport à la manifestation et disaient qu'elle leur avait donné le moral.
Le 23 février, les quatre confédérations se sont à nouveau rassemblées. Elles ont pris la décision d'organiser une autre action générale le 26 mai dans le cas où le gouvernement ne ferait aucune concession. Planifier une action générale trois mois plus tard n'était rien moins que se moquer ouvertement des ouvriers. La décision était déjà sur Internet avant d'être annoncée. Ceux qui l'avaient lue informaient les autres, ceux qui ne pouvaient pas croire ce qu'ils avaient entendu allaient vérifier eux-mêmes. Personne ne voulait croire cette nouvelle. Les représentants des différentes branches n'avaient pas été informés de la décision, disaient que la nouvelle était fausse, et ils réagissaient vivement à l'égard de ceux qui les questionnaient à ce sujet. Après l'annonce, les travailleurs se sont réunis et ont commencé à crier des slogans contre Türk-Is et Kumlu. A ce moment critique, Turkel a montré ouvertement son vrai visage. Il a crié aux ouvriers: «Si vous continuez à crier, Kumlu démissionnera, je démissionnerai ensuite ». Cela ne posait pas vraiment beaucoup de problèmes aux ouvriers.
Mustafa Turkel, le président de Tek Gida-Is, démissionna de son poste de secrétaire général qu'il occupait au sein de la confédération de Türk-Is le 24 février. Il a annoncé qu'il allait donner toutes les explications nécessaires sur les raisons de sa démission le 2 mars. C’était aussi la dernière date possible pour que les travailleurs appliquent le 4-C, selon le gouvernement, et aussi la date où le gouvernement avait menacé les ouvriers de détruire la ville de tentes. Turkel n'a pas vu la nécessité d'expliquer aux travailleurs pourquoi il avait démissionné. En ne donnant aucune explication, il sapait ouvertement la lutte des ouvriers de Tekel qui durait depuis plus de deux mois. Pourquoi quelqu'un qui a démissionné refuse-t-il d'expliquer pourquoi il a démissionné ? Qu'est-ce que cela signifie, disparaître dans une ambiance où le gouvernement menaçait les travailleurs à la fois de les mettre au chômage et de les attaquer ? Serait-il exagéré de dire qu'il attendait le 2 mars pour partir, pour que les eaux soient à nouveau claires ?
Cette situation d'incertitude a naturellement conduit à des confusions par rapport à la démission de Turkel. Il pourrait avoir démissionné parce que les travailleurs avaient demandé la démission de Kumlu, mais aussi parce qu'il n'avait pas de soutien au sein de Türk-Is. Les travailleurs envisageaient les deux possibilités. Un travailleur de Tekel de Adıyaman a évalué la situation comme suit: « Cela peut être interprété de deux manières. Si cela se produit comme la presse l'a présenté, si le président de Tek-Gida-Is a démissionné en réaction contre les travailleurs, je pense que c'est erroné. Il ne peut pas se payer un tel luxe. Personne n'a le droit de saboter ce processus. Nous avons lutté pendant 71 jours. Il y aura certainement ceux, parmi les 12 mille travailleurs, qui ne pourront pas contrôler leurs nerfs et qui réagiront. D'autre part, Turkel a démissionné de son poste de Secrétaire général de Türk-Is, non pas de sa position en tant que président de Tek-Gida-Is. Je pense que cette démission peut aussi être une réaction contre les décisions prises hier par les confédérations. Si tel est le cas, s'il s'agit d'une réaction contre Türk-Is ou les autres confédérations disant : 'vous nous laissez seuls', alors nous embrasserons notre président de tout notre cœur. Je ne veux pas croire qu'il a démissionné par réaction contre les travailleurs, comme cela a été présenté dans la presse. Je tiens à penser qu'il s'est agi d'une réaction contre la bureaucratie de Türk-Is. Je ne pense pas que les réactions affichées à son encontre par quelques camarades représentent le sentiment général. Il n'aurait pas démissionné à cause du slogan 'Turkel démission' crié par quelques-uns. Il pourrait y avoir d'autres raisons. Dès le début, nous avons réagi par rapport à Kumlu, pour sa relation étroite avec le gouvernement et son manque de sincérité. Mais nous croyons en Turkel depuis le début. Nous devrions attendre l'explication du président. » Un travailleur Tekel d'Istanbul a évalué la situation comme ceci: « Nous sommes une famille. Il peut y avoir des débats entre nous. S'il a démissionné à cause des réactions des travailleurs, il n'a pas fait le bon choix. S'il l'a fait en réaction à la bureaucratie de Türk-Is, il a eu raison. S'il l'a fait à cause de la réaction des travailleurs, ce n'était rien qu'un prétexte pour s'enfuir. Il n'a pas le droit de quitter les travailleurs et de prendre la fuite. Mais qu'il reste ou qu'il parte, la lutte va se poursuivre. En fait, il nous a menacé pendant chacun des 71 jours, comme un mari menace sa femme. Mais nous sommes restés patients, indivisibles. Maintenant, une telle réaction contre les travailleurs est, d'après moi, une excuse pour s'enfuir, si bien sûr il a démissionné à cause de cela. On n'a pas le droit de dire 'je ne jouerai plus', comme un gamin. En tant que travailleurs, tout ce que nous voulons c'est qu'ils accomplissent leur devoir syndical et non pas qu'ils nous grondent. Il était tout naturel pour nous de réagir contre les décisions des confédérations, et je pense vraiment que cela incluait tous les travailleurs, que cette réaction a été commune à tous les travailleurs. Les réunions ouvrières devaient avoir lieu dans la matinée. Pourtant, il a été dit que Turkel avait une réunion urgente, et que les réunions des travailleurs devaient être reportées l'après-midi. Un peu plus tard sa démission a été annoncée. Où Turkel est-il allé? A qui a-t-il parlé? Qu'est-ce qui s'est passé à cette réunion? Nous ne le savons pas. » Turkel avait déjà dit qu'il était opposé à la réaction des travailleurs à l'encontre de Kumlu, et qu'il démissionnerait au cas où l'incident se renouvellerait. Les syndicalistes pensaient que la démission de Turkel avait été causée par la réaction des travailleurs. À la suite de cela, Mustafa Akyurek, le Secrétaire Général pour l'Education de Tek Gida-Is, a dit que les déclarations selon lesquelles la décision de démissionner de Turkel était due à son désaccord avec la bureaucratie de Türk-Is étaient fausses, et que cette décision était motivée par les réactions des ouvriers.
Le 23 février, treize travailleurs sont morts dans une mine de Balikesir à cause d'un coup de grisou. C'était le troisième meurtre sur un lieu de travail qui avait eu lieu en raison de l'insécurité des conditions de travail depuis 2006. Avant la mort de ces 13 ouvriers, dix-sept avaient été tués dans une explosion précédente, et trois dans la première. Les travailleurs de Tekel qui en ont entendu parler ont ressenti une grande douleur. Leurs frères de classe défunts avaient déjà été soumis à l'insécurité des conditions de travail. Maintenant, c'était eux que le gouvernement tentait de soumettre aux mêmes conditions. Il était impossible de ne pas ressentir cette colère et cette douleur de classe. Un ouvrier d'Adiyaman explique ce qui s'est passé de la façon suivante: « Pour ce qui est de ressentir ce que les défunts étaient pour nous, pour ce qui est de faire preuve de solidarité, il y avait une participation de 100%. Tout le monde la ressentait cette douleur. Nous avons préparé des bannières, des rubans noirs, nous avons fait un communiqué de presse. C'était très important pour la solidarité de classe ». Les mineurs ont été commémorés lors de la désormais régulière et quotidienne manifestation nocturne à la torche et il y a eu une minute de silence en l'honneur des mineurs décédés. La proclamation « longue vie à la solidarité de classe » est devenue le slogan de la journée.
Le lendemain matin, le 25, les travailleurs se sont encore réveillés avec une autre mauvaise nouvelle. Un camarade de Tekel, Hamdullah Uysal, avait été tué à Ankara dans un accident de la circulation.
Hamdullah Uysal, né à Amasya, avait travaillé en tant qu'ouvrier de Tekel à Samsun. Il avait 39 ans et avait deux enfants, l'un d'entre eux handicapé. Il avait participé à la grève de la faim. Les ouvriers de Tekel avaient subi d'autres pertes pendant la lutte, certains avaient des mères ou des pères et d’autres des enfants qui sont décédés, mais c'était la première fois qu'un travailleur de Tekel décédait pendant la lutte. Hamdullah Uysal était un ouvrier combatif qui s'était impliqué dans la lutte depuis le début. Il était allé à Ankara dès le début de la lutte et il n'était retourné que deux fois dans sa ville natale. Les ouvriers le considéraient comme un martyr de la guerre de classe. La façon dont l'accident s'était produit avait aussi entraîné la colère de classe des travailleurs. Uysal avait été touché par une jeep conduite par un conducteur ivre à 5h30 du matin en allant à la prière matinale. Il y avait de la colère contre cette personne et la classe qu'elle représentait. Les travailleurs faisaient référence au meurtrier comme 'un type riche avec une jeep'.
Parce que les ouvriers voyaient Uysal comme un martyr de la lutte et parce qu'ils estimaient que la ville de tentes en face de Türk-Is était comme leur maison à eux tous, ils ont voulu faire ses funérailles dans la ville de tentes, y faire une cérémonie, puis envoyer Uysal chez lui. Ils ont parlé à la femme de Uysal, qui a déclaré : «La rue en face de l'immeuble de Türk-Is était comme sa maison, la tente en face de Türk-Is était sa maison, il aurait voulu cela. Faisons la cérémonie devant Türk-Is et puis envoyons-le chez lui ».
Ainsi, 400 à 500 travailleurs se sont rendus à l'institut médico-légal à Kecioren, où le corps de Uysal avait été déposé. En fait, tout le monde voulait y aller, mais les ouvriers ont décidé de limiter le nombre afin de ne pas laisser les tentes inoccupées, car le gouvernement n'arrêtait pas de cracher ses menaces de détruire les tentes. Les travailleurs craignaient que le gouvernement puisse attaquer et détruire les tentes aussitôt qu'ils auraient quitté la place Sakarya. Ainsi, certains ont dû rester et attendre en face de Türk-Is que le corps y soit transporté.
Les travailleurs de Tekel qui sont allés à l'institut médico-légal ont tenté de prendre le corps. Ils ont dû attendre pendant des heures, et se sont entendus dire que le frère et l'oncle de Uysal viendraient chercher son corps. En fin de compte, un parent de Uysal qui était lui-même un travailleur de Tekel est venu, mais le corps ne lui a pas été donné, à lui non plus. Finalement, un 'oncle' est apparu, qui prétendait être le mari de la tante d'Uysal. L'institut a déclaré que le corps devait lui être donné. Les ouvriers qui savaient que les corps ne sont remis qu'à la plus proche famille n'ont pas gobé cette histoire 'd'oncle'. En fait, ils soupçonnaient que 'l'oncle' pouvait être un flic en civil. Leurs soupçons ont été confirmés lorsque cet 'oncle' a dû finalement admettre qu'il était bien un policier infiltré. Aussi, les travailleurs ont commencé à insister pour récupérer le corps. La police ne le leur permettait toujours pas. Ils ont attendu pendant des heures et ils ont aussi tenté l'impossible pour appeler la famille d'Uysal, mais en vain. Enfin la famille d'Hamdullah Uysal est arrivée, et aussitôt la police d'Ankara et le gouverneur les a mis sous pression. La police d'Ankara qui les a arrêtés sur la route a tenté de contraindre la famille de signer un document reconnaissant que le corps serait transporté à la maison d'Uysal sans qu'il y ait une cérémonie à Ankara. La pression a continué à se faire ressentir à l'institut. Enfin, la famille a dû céder et accepter de conduire le corps à la maison sans cérémonie à Ankara.
Pendant ce temps, les travailleurs qui attendaient devant l'institut médico-légal se sont entendus dire qu'on leur donnerait le corps. Aussi, les travailleurs sont entrés dans l'ambulance qui transportait le corps de Uysal. Toutefois, un groupe qui s'était rendu compte que l'ambulance prenait une direction différente de celle qui était prévue a immédiatement bloqué la route. La police est alors arrivée pour se mettre entre les travailleurs qui étaient restés à l'arrière et ceux qui essayaient d'arrêter l'ambulance. Les travailleurs qui étaient restés à l'arrière ont essayé de venir en aide à ceux qui étaient devant l'ambulance, mais la police les a attaqués avec des gaz lacrymogènes et les a dispersés, puis elle a formé une seconde barricade. La police a alors attaqué le petit groupe qui bloquait la route à l'ambulance et les expulsa tous. Ils ne voulaient pas lâcher ces ouvriers. Le plus grand groupe de travailleurs a cependant réussi à se rassembler de nouveau et a commencé à essayer de s'unir avec leurs camarades, mais sans succès, et la police a fini par réussir à s'emparer de l'ambulance en attaquant férocement les travailleurs.
Pendant ce temps, les ouvriers qui attendaient en face de Türk-Is ont essayé d'aller à Mithat Pasha Street et de déposer des fleurs là où il était mort, mais la police les en a empêchés. Elle a aussi dispersé les travailleurs qui s'étaient réunis sur la place Sakarya pour aider leurs camarades à l'institut médico-légal. En face de la barricade de la police, dans la rue Mithat Pacha, les travailleurs criaient «Vous avez peur de nos morts». Des slogans tels que «Tayyip l'assassin» et «L'assassin AKP doit répondre devant les travailleurs » ont également été criés. Malgré tous les efforts de la police, un groupe de travailleurs a réussi à déposer des fleurs à l’endroit où Hamdullah Uysal avait été tué.
Les travailleurs de retour de l'institut médico-légal sont allés directement à Mithat Pasha Street. La police a formé encore une autre barricade afin d'empêcher les travailleurs de traverser massivement la rue. Les travailleurs sont cependant parvenus à franchir le barrage et ont commencé un sit-in dans la rue. Les travailleurs qui étaient en face de Türk-Is ont aussi commencé à venir. Ils ont tous ensemble participé à un long sit-in de 20 à 25 minutes, criant des slogans à la mémoire de Hamdullah Uysal. La police a encerclé les travailleurs au cours de cette manifestation. Finalement, les travailleurs sont retournés dans leurs tentes.
Le syndicat n'a jamais, pendant tout ce temps, pris position au côté des travailleurs. Il était absent lorsque la police a attaqué les travailleurs qui étaient en face de l'institut médico-légal. Lorsque les travailleurs en face de Türk-Is ont voulu aller aider leurs camarades, les syndicalistes ont seulement essayé de les calmer et de les faire rentrer dans leur tente.
La mort de Hamdullah Uysal a montré une fois de plus à quel point les forces de l'ordre avaient peur des travailleurs. La police et le gouverneur avaient fait de leur mieux pour empêcher les ouvriers de faire leurs adieux à leur camarade décédé, mais leurs efforts ont été vains. Les ouvriers réussissant à percer le barrage de police et faisant un sit-in dans la rue où Uysal était mort, bloquant tout le trafic dans la rue, même pendant seulement 20 à 25 minutes, fut peut-être le plus bel hommage des ouvriers de Tekel à leur camarade décédé.
La mort de Uysal a bouleversé les ouvriers de Tekel, mais elle a également aidé ceux qui étaient encore dans leur ville de résidence à comprendre la gravité de ce qui se passait. Une des choses que Hamdullah Uysal nous a laissé a été son appel à l'extension de la lutte au reste de la classe: «Ici, tout ce qui est gagné par la classe ouvrière sera une boussole pour les mouvements de la classe ouvrière de demain et d'après-demain. Joignez-vous à notre lutte, sauvez votre avenir. »
Le lendemain, 25 travailleurs de Tekel se sont rendus au siège de l'AKP à Ankara. Ils sont entrés dans le bâtiment avec l'intention d'y accrocher une bannière avec une photo de Hamdullah. Les forces de sécurité privées ainsi que la police ont attaqué les ouvriers dans le bâtiment. Cela a cependant poussé le groupe de travailleurs rassemblés à l'extérieur à aller à l'intérieur, mais eux aussi ont été attaqués et beaucoup de travailleurs ont été blessés. 19 travailleurs ont été placés en détention. Les slogans « AKP assassin, Tayip assassin » ont fusé et les travailleurs ont expliqué comment le gouvernement était responsable de la mort de Hamdullah Uysal. Ceux qui étaient restés à l'arrière ont bloqué les véhicules de police qui venaient d'embarquer des ouvriers en criant :
« Tekel est partout, la lutte est partout », « La répression ne peut pas nous décourager ». Malheureusement, ils n'ont pas réussi à empêcher leurs collègues d'être embarqués.
Apprenant la nouvelle que certains travailleurs avaient été placés en garde à vue, un groupe d'ouvrières de la tente d'Izmir est allé au quartier général de la police. Les ouvriers avaient été placés en garde à vue sous le prétexte qu'ils avaient été repérés dans l'immeuble. Un autre groupe de travailleurs qui était en face de Türk-Is a fait pression sur les syndicats pour qu'ils envoient leurs avocats. L'événement avait eu lieu en l'absence de toute initiative syndicale, mais sous la pression ouvrière, ils ont fini par aller au QG de la police avec leurs avocats. Le lendemain, les travailleurs ont attendu devant le palais de justice de 10h à 21h jusqu'à ce que leurs camarades soient libérés. Les travailleurs sont restés en garde à vue pendant environ 40 heures. 15 travailleurs ont été libérés dans l'après-midi. Quatre autres, qui avaient été accusés de «dégradation de biens publics et de désobéissance à un officier de police », ont eu un procès et ont été libérés le soir même. Ils sont retournés dans la ville de tentes avec leurs camarades et des sympathisants qui les avaient attendus.
Le 1er mars, le tribunal a tranché en faveur de la poursuite intentée contre le délai d'un mois pour l'application du 4-C pour les travailleurs de Tekel. Les ouvriers ont célébré la décision. Trois à quatre jours auparavant, les ouvriers combatifs avaient essayé de mettre en garde les autres en leur expliquant qu'il ne s'agissait pas d'une victoire, mais leur mise en garde ne fut pas écoutée. Ce faux sentiment de victoire devait saboter, dès le jour suivant, l'unité ouvrière.
Le 2 mars, Mustafa Turkel annonçait que les manifestations d'Ankara étaient terminées, il appelait au démontage des tentes et annonçait un retour fixé au 1er avril. Cela a divisé les ouvriers entre ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat de mettre fin à la lutte et ceux qui ne s’y opposaient pas. Ceux qui s'opposaient à ce démontage ont scandé des slogans comme « Les tentes sont notre honneur. Nous ne vous laisserons pas toucher à notre honneur». Les autres répondaient en criant «Turkel est notre honneur ». Ceux qui s'opposaient à la décision du syndicat et ceux qui la soutenaient étaient maintenant opposés les uns aux autres. Quelques tentes avaient été démontées avant même que le discours de Turkel ne soit terminé. Il n'a été laissé aucun temps aux ouvriers pour qu'ils puissent avoir une discussion générale. Aussi, les travailleurs qui s'opposaient à la décision du syndicat ont discuté entre eux et ont décidé d'agir autour d'une autre stratégie. Le syndicat cherchait l’opposition entre les travailleurs qui refusaient la décision et ceux qui lui étaient favorables et à isoler ceux qui s’opposaient à lui, en essayant de les pousser hors du processus. Le syndicat avait l'intention de mettre les ouvriers fauteurs de trouble en dehors de la manifestation du 1er avril, de les isoler des autres travailleurs et de prendre le reste des travailleurs complètement sous son contrôle. Toutefois, les ouvriers combatifs ne sont pas tombés dans le piège du syndicat et, afin d'éviter d'être repoussés par leurs camarades, ils ont arrêté de s'opposer à la décision du syndicat. Ceux qui s'opposaient à la décision de démonter les tentes étaient majoritaires dans les tentes de Adiyaman, Izmir, Istanbul et Diyarbakir. Ils ont accepté la décision après en avoir discuté entre eux.
En fait, les syndicats avaient prévu bien à l'avance de faire démonter les tentes : ils avaient fait une propagande dans ce sens pendant environ 20 jours. Les représentants syndicaux avaient fait des discours dans les tentes pour tenter de convaincre les gens de les démonter. Le jour où les travailleurs attendaient devant le palais de justice pour leurs camarades placés en garde à vue, les syndicats avaient fait des réunions de section, et avaient avancé l'idée de démonter les tentes. Tout ce travail a été payant pour eux : lorsque la décision a finalement été annoncée, elle a été soutenue par la majorité. Un des camarades ouvriers à qui nous avions parlé avant que les tentes ne soient démontées, quand on lui a demandé s'il s'attendait à une attaque de la police, nous avait répondu qu'il n'y aurait pas besoin d'une attaque, puisque les syndicats avaient de toutes façons tout pris en charge. Cela montre en soi à quel point les syndicats et le gouvernement ont ouvertement coopéré. Mais malheureusement, les syndicats ont semblé pour beaucoup de gens être du côté des travailleurs. C'était pour ainsi dire une attaque sournoise. Parmi les ouvriers heureux et tristes à la suite du démontage de la ville de tentes, certains étaient en colère. L'un d'entre eux à qui nous avons parlé a résumé la situation en disant que tout commence avec le syndicat qui embrouille les choses et tout finit de même.
La lutte de Tekel a été comme un long cri qui a mis un terme au silence de la classe ouvrière en Turquie depuis le début des années 90. La lutte a également mis en avant une méthode de lutte entièrement nouvelle. La formation d'une ville de tentes, avec des ouvriers en lutte y vivant les 24 heures de la journée a été quelque chose de complètement nouveau. Comme nous l'avons souligné au début de l'article, cela avait des aspects positifs. Cela a permis aux ouvriers de développer l'auto-organisation entre eux. Mais cela a aussi eu des effets négatifs. Après un certain temps, les tentes ont conduit à un certain alanguissement. Cette langueur a emprisonné dans les tentes la plupart des travailleurs. Le problème du manque de communication des ouvriers entre eux s'est manifesté. De toute façon, avec ses aspects positifs et négatifs, les tentes ont été une expression de la lutte, et en sont aussi devenues le symbole.
La fin de la ville de tentes ne veut pas dire, pour les ouvriers militants, l'arrêt de la lutte. Un groupe, composé de quelques ouvriers de chaque ville, a décidé de rester en contact et de coordonner la poursuite de la lutte dans les villes au cours du mois suivant. Organiser le retour à Ankara le 1er avril, maintenir la question au chaud et rendre visite aux travailleurs d'autres luttes a constitué la stratégie des ouvriers combatifs depuis la fin de la ville de tentes. Alors que le démontage des tentes semblait être la défaite de la lutte, le fait que les ouvriers combatifs de Tekel aient commencé à travailler à une unification des luttes actuelles et à l'extension de la lutte au reste de la classe peut conduire à des développements très importants non seulement pour les ouvriers de Tekel mais aussi pour toutes les luttes de classe en Turquie en général.
Sude (31 mai)
1Sur la loi du 4-C, voir notre article précédent [27].
Depuis l’implosion de l’URSS, la guerre est revenue au premier plan dans cette partie du monde. Qu’il s’agisse de la situation en Tchétchénie, du déchaînement du militarisme entre la Géorgie et la Russie en 2008, ou de la tendance larvée dans plusieurs régions du Caucase à déraper vers le chaos, tous ces drames posent à la classe ouvrière et aux minorités politiques qui se réclament de son combat, la question de leur réaction envers la guerre impérialiste et les campagnes nationalistes permanentes.
Dans un forum en Ukraine en juillet 2009 dans lequel intervenait le CCI, une partie des discussions a abordé ce que la classe devrait faire en de telles circonstances. Différentes positions qui prétendent représenter les intérêts de la classe ouvrière, aux contenus très différents et parfois complètement antagoniques, y ont été développées. Nous laissons momentanément de coté (pour la traiter ultérieurement) la défense par de nombreux courants trotskistes et certains groupes anarchistes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui prétend permettre de lutter contre l’impérialisme. Nous allons examiner les propositions faites au prolétariat contre les abominations de la guerre consistant à solliciter son soutien en faveur des actions pour la paix. Ainsi, lors du forum, partant du constat qu’« aucun conflit récent, que les autorités ont essayé de résoudre par la force, n'a jamais été réglé ; ni en Afghanistan, ni en Yougoslavie, en Irak ou en Tchétchénie », les participants, à l’exception de notre organisation qui s’est exprimée contre, ont majoritairement soutenu l’initiative du Moscow Helsinki Group for Northern Caucasus pour la création d’un ‘Centre Civil International pour le Rétablissement de la Paix’ à Grozny en Tchétchénie, « une structure spéciale, engagée dans l’investigation sur les causes du conflit »i pour élaborer des techniques internationales pour résoudre les ‘conflits gelés mais non réglés’.
Naturellement, l’aspiration à la paix existe au sein du prolétariat, d’autant plus que c’est la classe ouvrière qui paie toujours le prix le plus élevé de la guerre dans ses conditions d’existence et dans son sang. Comme classe dépourvue de toute propriété et de tout moyen de production dans la société capitaliste, le prolétariat ne dispose dans sa lutte que des armes de sa conscience et de son organisation. Dans son combat contre l’exploitation et contre la barbarie guerrière, il est pour lui vital de penser et d’agir de façon autonome pour défendre ses intérêts de classe spécifiques : la condition sine qua non pour s’affirmer contre l’Etat capitaliste comme force révolutionnaire agissant pour la défense de ses propres intérêts et comme classe porteuse de la perspective d’une nouvelle société, c’est d’accéder à une conscience claire des buts finaux de sa lutte et des moyens pour les atteindre : dans cette perspective, lui est-il possible d’intégrer à sa lutte les initiatives pacifistes et de leur apporter son soutien ? Lui est-il possible de faire progresser sa cause en prenant pour alliés ceux qui prétendent agir pour la paix ?
Suivons la logique des buts que poursuit la proposition pacifiste et examinons ce que peut en retirer la classe ouvrière dans son combat.
La paix, quelle paix ? Cette paix n’est absolument pas émancipatrice, c’est celle de la « normalisation » par la terreur imposée par la clique Kadyrov-Poutine. Elle s’établit sur les cadavres des 200 000 à 300 000 victimes des bombardements intensifs de Grozny en 1999-2000 et livre la population à l’arbitraire et aux rivalités meurtrières des clans mafieux des « Kadyrovtsy » et des forces du ministère de l’intérieur. La déstabilisation qu’a provoquée ce « conflit, longtemps circonscrit à la République même, [qui] a fini par développer des métastases dans les républiques voisine [et] semble se déplacer vers des républiques voisines, russe, l’Ingouchie et le Daghestan, »ii ne fait que préparer d’autres convulsions. La « normalisation » a conduit à une recrudescence de la violence dans toutes les républiques du Caucase, y compris là où il n’y a jamais eu historiquement de troubles antirusses par le passé. Depuis l'été 2009, les attentats, les embuscades et les fusillades se multiplient partout et sont devenus quotidiensiii à tel point que certains voient l’imminence d’une troisième guerre de Tchétchénie. Cette « paix » n’est rien d’autre que la paix des cimetières et ressemble plutôt à un état de guerre permanent !
Améliorer le sort des populations sur place ? La seule ‘amélioration’ possible dans le cadre de tout état national, pour les populations et les ouvriers, du fait de la crise économique et de la guerre au niveau international comme au niveau local se traduit par l’exploitation féroce, des sacrifices toujours plus grands imposés par la classe dominante pour la défense des intérêts du capital national, leur prise en otage par les différentes cliques bourgeoises dans leurs affrontements sanglants. De plus « en dépit d’une reconstruction de façade, la Tchétchénie est toujours en ruines, mise en coupe réglée par le clan Kadyrov, et le conflit (…) a engendré une génération de desperados qui n’ont rien connu d’autre que la guerre, des vagues de réfugiés et la diffusion d’un islam radical. (…) les infrastructures sont détruites, une génération entière de Tchétchènes n’a pas connu autre chose que le chaos et n’a pas été scolarisée. »ivUne partie de ces jeunes sans perspective condamnés au chômage continue à rejoindre les maquis de « boeviki » dans les montagnes. Le capital ne sera pas plus mesure ici qu’ailleurs d’apporter une solution au problème social à l’intérieur de ses seules frontières nationales !
Servir de ‘think tank’ pour la paix ? En quoi ce rôle revendiqué par le Centre se différencie-t-il de celui des organismes internationaux, tels l’ONU et autres ONG, avec l’effet que l’on sait ? L’histoire des 80 dernières années nous montre à quel point la Société des Nations, puis l’Organisation des Nations Unies ont non seulement été impuissantes à rétablir la « paix » où que ce soit, mais n’ont servi que de couverture idéologique aux nations instigatrices des guerres pour ensanglanter le monde. Peut-on s’imaginer qu’à jouer les bons offices à la manière de ces repaires de brigands impérialistes, sous le seul prétexte d’agir ‘local’ parce qu’« il n'est pas réaliste de traiter de Bruxelles ou de New York les problèmes des zones de conflit dans la région du Caucase du nord »v il puisse parvenir à un autre résultat ? C’est se condamner par avance à n’être que la marionnette aux mains d’intérêts qui ne sont pas ceux du prolétariat et à opérer contre les intérêts de ce dernier.
Permettre un arbitrage entre les protagonistes de la guerre ? Dans ce monde de gangsters bourgeois qui s’entredéchirent, où seule règne la loi du plus fort, il ne résulte que de la loi du vainqueur, du diktat du grand parrain qui impose ses conditions à tous les autres maffieux. Faire miroiter aux autorités de Grozny que la création du Centre est « une opportunité unique de montrer au monde qu’elles entreprennent tous les efforts pour mettre un terme au conflit, et qu’elles agissent pour le développement pacifique de la région » vi, constitue une belle proposition d’allégeance, et leur offre à bon compte la respectabilité dont elles ont bien besoin pour couvrir leurs crimes perpétrés au nom de la ‘paix’ et de la lutte contre le terrorisme !
Agir conjointement avec les autorités et les organisations publiques ? « Soumis aux présidents d’Ingouchie, de Tchétchénie et du Daghestan », le projet de Centre propose de s’acoquiner avec les sanguinaires cliques de Poutine, les bandes criminelles de Kadyrov et du soudard Beck-Evkurov, installées pour garantir par tous les moyens l’emprise impérialiste de la Russie sur le Caucase. Il racole en faveur d’une clique hystériquement belliciste qui défend que « la Russie doit se doter d’une stratégie militaire pour résister aux Etats-Unis et aux autres puissances occidentales, qui impulsent le désordre dans le Caucase du nord pour détruire la Russie » qui « devrait attaquer la Géorgie et l’Ukraine afin d’éradiquer pour de bon cette affliction qui touche la Russie » !vii Il n’y a aucun terrain commun possible entre la classe ouvrière et cette racaille nationaliste !
Décidément, le prolétariat n’a vraiment rien à gagner à soutenir ce type d’initiative pacifiste, mais tout à y perdre : non seulement elle condamne les ouvriers à l’impuissance mais elle ne fait que les pousser à pactiser avec l’Etat capitaliste, les amener poings et pieds liés à se soumettre au nationalisme de ses exploiteurs et à les faire entrer dans le jeu impérialiste de la bourgeoisie !
D’ailleurs, dans tous les moments cruciaux de la guerre impérialiste, le prolétariat a été confronté à la mystification pacifiste pour récupérer la crainte et l'aversion des ouvriers face à la guerre afin d’empoisonner leur conscience et les amener à soutenir un camp bourgeois contre un autre. Ainsi, par exemple, les gigantesques manifestations pacifistes de l’été 1914 à Paris n’ont-elles servi qu’à illusionner et démoraliser le prolétariat face au danger de guerre pour lui faire accepter son sacrifice dans les tranchées comme une fatalité. L’expérience du mouvement ouvrier montre que le pacifisme constitue le meilleur complice du bourrage de crâne belliciste. Il fait partie, comme chaque fois que la bourgeoisie a eu besoin de faire accepter aux prolétaires sa logique meurtrière, d'un partage du travail entre différentes fractions du capital.
La lutte pour la paix sans lutter pour la destruction du capitalisme a toujours constitué une tromperie maintes fois dénoncée par les révolutionnaires. La lutte contre l’impérialisme ne passe que par la lutte contre le système capitaliste dont il est indissociable. La classe ouvrière, lors de la Première Guerre mondiale, a fait la preuve d’une telle aptitude en Russie en 1917, en Allemagne en 1918 : en développant sa perspective révolutionnaire et ses organes de luttes, les conseils ouvriers, elle s’est affirmée comme la seule force capable de mettre un terme aux carnages guerriers perpétrés par la bourgeoisie et à offrir une perspective à la société humaine.viii Mais elle n’a pu faire aboutir son combat, non pas en le menant avec les "pacifistes" mais malgré et contre eux. A partir du moment où il devint clair que seule la lutte révolutionnaire permettait d'arrêter la boucherie impérialiste, les prolétaires de Russie et d'Allemagne se sont trouvés confrontés non seulement aux "faucons" de la bourgeoisie mais aussi et surtout aux pacifistes de tout poil (socialistes-révolutionnaires, sociaux-patriotes, etc.) qui, armes à la main, ont défendu le monde capitaliste au nom de ce qui leur est le plus cher : rendre inoffensive pour le capital la révolte des exploités contre la guerre.
Les seuls alliés sur lesquels la classe ouvrière peut compter dans son opposition à la guerre ce sont sur ses frères et sœurs de classe de chaque côté des frontières nationales, culturelles et religieuses, et la seule communauté d’intérêt c’est celle qu’elle partage avec eux, dans la lutte contre l’exploitation et pour la création d’une société véritablement humaine, débarrassée du profit capitaliste et de la guerre. C’est ce qu’a proclamé par exemple le KRAS (Confédération révolutionnaire des anarcho-syndicalistes) dans sa prise de position internationaliste lors de la guerre en Géorgie : « Ces combats n'apporteront rien aux travailleurs, qu'ils soient Géorgiens, Ossètes, Abkhazes ou Russes, rien d'autre que du sang et des larmes, d'incalculables désastres et privations. (…) Nous ne devons pas tomber sous l'influence de la démagogie nationaliste qui nous demande l'unité avec « notre » gouvernement et déploie le drapeau de la « défense de la patrie ». L'ennemi principal des gens simples n'est pas le frère ou la sœur de l'autre côté de la frontière ou d'une autre nationalité. L'ennemi, c'est les dirigeants, les patrons de tout poil, les présidents et ministres, les hommes d'affaire et les généraux, tous ceux qui provoquent les guerres pour sauvegarder leur pouvoir et leurs richesses. Nous appelons les travailleurs en Russie, Ossétie, Abkhazie et Géorgie à rejeter le joug du nationalisme et du patriotisme pour retourner leur colère contre les dirigeants et les riches, de quelque côté de la frontière qu'ils se trouvent. »ix Cette position correspond aux intérêts immédiats comme historiques de la classe ouvrière.
Cependant, tout en disant partager cette position internationaliste, certains participants au forum ont été perméables à des arguments dénigrant celle-ci comme « dogmatique » et « superficielle ». Cédant aux arguments qu’il faut « oser s’impliquer sur le terrain » et de « faire des choses pratiques pour changer les choses, d’agir même petitement, pour la paix » ils ont appuyé la proposition de création de Centre pour la paix. Considérant la position internationaliste « valable en principe », celle-ci, selon eux, « n’est pas formellement applicable à la Tchétchénie » et ne voient pas de contradiction à appuyer l’initiative du Centre, même si « elle ne peut fournir de réponse définitive sur le fond ». En s’engageant dans cette logique, les camarades se rendent-ils compte qu’ils répudient complètement leur dénonciation des Etats capitalistes et du nationalisme pour se retrouver à cautionner et à préconiser la collaboration avec ceux qu’ils condamnent (et donc à leur prêter main forte) ? Contrairement à ce que pensent ces camarades, cette initiative pacifiste ne forme pas pour le prolétariat une voie possible complémentaire à la lutte des classes ‘en attendant mieux’ ni ne créent ou préparent une dynamique pour sa lutte, mais le détourne de la lutte des classes et des buts du mouvement ouvrier. En répandant la mystification de l’existence au sein du monde bourgeois « d’une solution pour la paix », le pacifisme ne trompe pas seulement les ouvriers otages directs de la guerre sur place, mais également les prolétaires de tous les autres pays sur la signification des guerres, sur leurs responsabilités et les moyens de s’y opposer vraiment.
L’un des principaux arguments qui a permis d’emporter leur adhésion affirme que « se revendiquer de l’unité de la classe ouvrière n’a aucun sens alors qu’il n’y a pas de classe ouvrière en Tchétchéniex, comme partout ailleurs dans le Caucase ». Poser ainsi cette question sous l’angle uniquement national pose un important problème de méthode pour aborder le combat de la classe ouvrière et la perspective qu’elle renferme. C’est négliger, que pour la classe exploitée, par définition internationale du fait des conditions universelles qui lui sont imposées par le capitalisme au niveau mondial, la dimension de son combat (ainsi que toutes les questions qui s’y rattachent) est d’abord internationale. Si effectivement le drame de la Tchétchénie n’a pu avoir lieu qu’en raison de la faiblesse du prolétariat, incapable d’opposer un frein à la barbarie capitaliste, les révolutionnaires doivent avoir la lucidité de reconnaître qu’il n’existe pas de solution locale ou immédiate au drame de la guerre impérialiste. Le problème de la guerre se pose à la classe ouvrière d’un point de vue international, non pas local et d’un point de vue historique, non pas immédiat. Les révolutionnaires ont la responsabilité d’indiquer à leur classe la direction dans laquelle elle doit engager sa lutte. Pour cela, ils doivent s’appuyer sur la classe ouvrière au plan mondial, en particulier sur ses fractions les plus fortes et les plus expérimentées dans les grands pays d’Europe et d’Amérique, pour préparer à l’échelle internationale le développement politique de sa force et de son action afin qu’elle impose, par l’essor de sa lutte, la seule alternative viable aux guerres impérialistes, le renversement du système capitaliste par la révolution prolétarienne et l’instauration du Communisme au plan mondial.xi
Il est très important pour les internationalistes de tous les pays compte tenu de la prolifération des conflits militaires et de la domination de l’idéologie impérialiste pro-russe, que s’élève une voix internationaliste en ex-URSS. Dans la situation présente, ce n'est pas le succès immédiat qui importe. Il s'agit plutôt de parvenir à rester fermement à contre-courant de l’opinion publique et y compris, le cas échéant, de l'atmosphère empoisonnée régnant au sein de sa propre classe, pour être capable de s’opposer à la guerre et surtout de se lier aux réactions de classe du prolétariat. Séparée de la lutte des classes, la lutte contre la guerre ne peut que s’enliser dans un mouvement interclassiste, impuissant. Depuis 2008, l’aggravation sans précédent de la crise économique ne peut que provoquer la riposte du prolétariat et, à terme, des luttes massives, en Russie comme au niveau international. La lutte internationale de la classe ouvrière face à la crise de l'économie mondiale a le potentiel de devenir un mouvement apte, par un processus de politisation croissante, à intégrer la question de la lutte contre la guerre à la lutte des classes : c’est le même système qui l’exploite, la condamne à la misère et qui provoque les guerres et perpètre les massacres qui ensanglantent le monde et qui doit être détruit.
Svetlana
i International peacemaking centre to be set up in Northern Caucasus, May 23, 2009, "Caucasian Knot",
ii www.vie-publique.fr/eclairage [81]
iii Depuis la tenue du forum, « Entre juin et août (2009), 436 personnes ont été tuées, contre 150 pendant les mêmes mois en 2008. Et le nombre d’attentats a bondi de 265 à 452. (…) Des hauts fonctionnaires sont mitraillés à l’arme automatique, pris pour cible par des snipers (…) ou attaqués avec des véhicules bourrés d’explosifs. (…). Et les attentats- suicide sont de retour en Tchétchénie après une pause de plusieurs années. » https://www.nytimes.com/2009/08/30/world/europe/30chechnya.html?pagewanted=1&_r=3&hp [82]
iv www.vie-publique.fr/eclairage [81]
v Peacekeeping Center is proposed to establish in the North Caucasus, May 23, 2009, “Islamic News”.
vi Idem
vii Dixit Kadyrov [83] en décembre 2009.
viii Voir notre article, К 90-летию революции в Германии [84].
ix Prise de position du KRAS : NON À LA NOUVELLE GUERRE CAUCASIENNE ! Été 2008
x C’est faire peu de cas des ouvriers employés dans l’industrie du pétrole et du bâtiment !
xi Voir l’article Почему пролетариат есть коммунистический класс [85].
La traduction publiée ci-dessous est aussi disponible sur notre site en espagnol [87].
Nous saluons évidemment cette lette qui est une expression vivante de ce qu’est la solidarité ouvrière !
Bonjour camarades !
Nous vous écrivons ce texte depuis le district 43 de La Poste de Madrid. Nous sommes en tant que facteurs toute la journée dans la rue ; en tant que travailleurs, comme n’importe qui d'entre nous, nous habitons à des kilomètres de notre lieu de travail [ce sont d’ailleurs les patrons qui ont imposé les délocalisations, en obligeant les travailleurs à faire des déplacements de plus en plus éloignés et éreintants], ; c'est nous qui souffrons et payons, en tant que secteur public, le festin auquel le gouvernement a invité les banques ; nous sommes en train d’être privatisés, nous sommes aussi des travailleurs parfois en CDI, mais surtout précaires et à contrat discontinu, et, comme vous, travailleurs du métro, nous ne sommes même plus des fonctionnaires. Nous voulons vous envoyer notre soutien le plus déterminé, nous voulons que vous sachiez que nous sommes nous aussi obligés d’aller au boulot en bus en empruntant de plus longs trajets1, mais nous avons retrouvé le sourire aux lèvres pour la simple raison que vous avez démontré qu’on peut arriver à se défendre, qu’il n’y a pas de raison pour que nous soyons toujours et sans fin des victimes écrasées par cette pourriture de monde, vous nous avez rendu un peu de notre dignité perdue depuis si longtemps.
Nous voulons que vous sachiez que nous, qui parlons tous les jours avec des centaines de personnes à cause de nos postes de travail, savons parfaitement que l’image de votre mouvement n’est pas celle que donnent les médias : il y a des gens mécontents, mais il y en a aussi beaucoup que votre mouvement a rempli d’espoir, il y a des discussions partout dans les bus, dans les rues, dans les bars, il n’y a pas du tout une seul et unique réaction de condamnation unanime de votre grève.
Nous sommes avec vous, parce que vous nous donnez de l’espoir. Dans notre district, pendant notre travail, on peut entendre des commentaires : « C’est toujours les mêmes qui paient », auxquels d’autres répondent : « ça, c'est une lutte qui a des c... » ; il y en a qui disent : « Voilà ce que c’est qu’une véritable grève et non pas ces arrêts de travail bidon d’une journée ». Vous êtes en train de nous montrer la voie.
Nous apprenons avec vous. Des leçons comme, par exemple : les grèves se décident à main levée par les travailleurs, on ne décide pas à notre place, nous en avons plus que marre de nos syndicats, marre et plus que marre des mille et une fois où ils nous ont vendus et trahis.
Ainsi, nous finirons notre lettre en vous disant que nos cœurs battent plus vite depuis lundi, que nous sommes là pour faire front avec vous, que nous défendons votre grève partout où nous allons.
Ne vous laissez pas intimider, nous savons bien qu’Aguirre ou Zapatero, la COPE ou Prisa2, ont des intérêts à l’opposé des nôtres, on sait qu’ils ont l’habitude de nous attaquer. Ils savent ce qu’ils veulent, ils savent que des milliers de travailleurs ont le regard posé sur vous, parce vous êtes l’AVENIR et non pas le futur grisâtre qu’ils veulent nous vendre.
Si vous avez besoin de nous, sachez que nous sommes là ; en attendant nous continuerons à vous défendre face à tous ceux qui oseront vous dénigrer.
FACTEURS ET FACTRICES DU DISTRICT 43
1er JUILLET 2010.
1 Ces postiers font peut-être ici référence au fait que pendant la grève, le gouvernement a mis en place un service de bus alternatif pour transporter les gens dans des conditions que le pouvoir a exploitées jusqu’à plus soif contre les grévistes du métro.
2 La COPE est la radio de droite et Prisa l’entreprise de communication de gauche (El País, …)
Les deux traductions ci-dessous ont d’abord été publiées sur notre site en langue espagnole [88].
Ils font écho à notre article « Espagne : Solidarité avec les travailleurs du métro de Madrid [89] » publié dans Révolution internationale nº 415 de septembre 2010.
Présentation du CCI
Nous publions ci-dessous un commentaire écrit par les camarades du CREE (Colectivo Revolucionario Espartaquista Estudiantil) sur la grève du métro de Madrid de la fin juin, une grève déclenchée en riposte aux réductions salariales généralisées et imposées par les différentes administrations gouvernementales quelle que soit leur couleur politique, et dans ce cas concret par celle de la région de Madrid.
Nous voulons, en premier lieu, saluer ce texte parce qu’il met au centre de la lutte l’activité des travailleurs eux-mêmes, leur effort pour la prendre en charge, pour avoir confiance en leur propres forces, en essayant de dépasser la forme de « lutte » syndicale, qu’elle soit radicale ou pas, parce qu’elle restera toujours emberlificotée dans les filets de la légalité bourgeoise.
Cette prise de position du CREE sur la grève du métro doit servir, à notre avis, à ce que d’autres camarades et d’autres collectifs prolétariens puissent aussi débattre sur cette question, sur la préparation de nouvelles luttes, pour la recherche de la confiance dans nos propres forces ; voilà un débat que nous devons tous encourager. Et dans ce sens, nous voudrions déjà faire deux remarques concernant le texte du CREE qui pourront servir à stimuler cette discussion :
1) La force d’une lutte n’est pas basée nécessairement sur une radicalité de la grève définie en tant que blocage de la production ou des services, mais dans la recherche d’une unité qui doit se forger avec l’extension et la solidarité, dans le développement d’un rapport de forces face à l’État bourgeois. Dans la période actuelle, avec l'accumulation de stocks invendables, l’arrêt de la production dans telle ou telle usine ne signifie pas forcément une menace pour la bourgeoisie, surtout, si elle n’est pas accompagnée de la solidarité et de l’unité de la classe telles qu'elles étaient conçues dans les expériences passées. Lors des grèves dans les services, comme on a pu le constater lors de celle du métro madrilène, le blocage total du service s’est retourné contre les travailleurs, dans la mesure où cette lutte est restée isolée. Lors de cette grève, le fait d’aller contre le service minimum exprimait la volonté et la tentative de briser le carcan dans lequel la loi de l’Etat et des syndicats essaye d’enfermer et d’isoler les luttes. Mais dans la recherche d’une lutte efficace, une lutte qui possède la force d’imposer les revendications, le fait de rester figés dans le mot d’ordre de ne pas respecter le service minimum, le mot d’ordre de grève totale mais dans l’isolement, n’a pas été la force de la lutte mais sa faiblesse ; cela a prêté le flanc au fait que la propagande de la bourgeoisie a réussi à opposer les intérêts des autres travailleurs et de la population à ceux des ouvriers du métro de telle sorte que ceux-ci sont restés isolés.
2) Une autre précision que nous voudrions apporter concerne ce que les camarades du CREE appellent le Front unique prolétarien. Même si nous comprenons qu’avec cette expression, les camarades du CREE appellent à l’unité de la classe ouvrière, à notre avis, le concept de « front unique » fait référence à une unité qui se construit sur la base d’organisations et dans le cas qui nous occupe, des syndicats ; autrement dit, on fait référence à l’unité syndicale. Mais l’unité de la classe ouvrière est le produit de sa solidarité, de sa nature de classe, du fait qu’en son sein il n’existe pas d’intérêts divergents ; tandis que l’unité syndicale est le produit des magouilles et des arrangements pour la distributions de privilèges et des « places », etc., souvent avec l’objectif de tromper la classe ouvrière et d'empêcher précisément que celle-ci construise sa véritable unité dans des assemblées générales ouvertes et avec les organes issus de ces assemblées et révocables à tout moment.
CCI - 16 août 2010
Les caisses de l’État grec ont reçu il y a quelques mois un apport non négligeable de milliards d’euros de la part du FMI et une aide de la BCE pour pallier à la crise de la dette que ce pays a cumulé pendant la période de prospérité économique. Ce n’était évidemment pas le pays le plus puissant, ni le plus riche, même pas le plus intéressant médiatiquement de tous les pays qui composent l’Union Européenne ; mais il était au bord de la banqueroute et il fallait le sauver coûte que coûte pour empêcher que l’Euro ne se trouve plongé dans un coma profond. A partir de ce moment-là, tel un château de cartes construit avec des mains tremblantes, d’autres pays ont commencé à chuter. L’alarme a sonné pour la Hongrie : le feu y a été éteint paraît-il. L’État espagnol, quant à lui, est depuis des mois le point de mire des spéculateurs, qui ont déjà fait un assaut contre lui. L’Italie ne parvient pas à renverser sa situation d’hyper-endettement. Nous nous trouvons dans cette nouvelle période de la crise, marquée par l’endettement des Etats, pressés par l’urgence du paiement des crédits qui arrivent à échéance. L’État capitaliste est en manque de ressources, et c’est maintenant la classe ouvrière (avec cette rengaine suivant laquelle « nous sommes tous fautifs ») qui va servir de caution au remboursement des dettes. Les différentes politiques d’austérité qui parcourent la planète du Nord au Sud ne fonctionnent qu’avec cette logique.
24 juin, en France, des dizaines de milliers de personnes ont parcouru les rues pour protester contre les réformes imposées par l’administration Sarkozy, incluses dans un plan d’austérité si particulier qu’il ne dit pas son nom. 25 juin en Italie : des centaines de milliers de personnes se mobilisent contre les réductions des budgets publics, le gel salarial et la réforme des retraites. 29 juin, en Grèce : énième grève générale qui débute le même jour où commencent les discussions au parlement sur la nécessité d’imposer de nouvelles mesures qui puissent permettre au pays de respecter les conditions imposées au moment de l’octroi des crédits quelques mois auparavant par le FMI. Ce même jour, lors d’une assemblée générale, les travailleurs du métro de Madrid décident d’appeler à une grève totale où l’on n’accepte pas le service minimum imposé par la région de Madrid.
En balançant par-dessus bord une convention collective qui va jusqu’en 2012 et donc sa propre légalité, le pouvoir exécutif régional madrilène, décide d’imposer une réduction salariale de 5% aux travailleurs du métro, en s’alignant sur les mesures imposées aux salaires de tous les fonctionnaires par le gouvernement central de Zapatero (voilà donc enfin trouvée la « différence » que certains proclament entre la « gauche » et la droite). Au delà de la réduction salariale imposée, les luttes ont surgi comme réponse justement, à la rupture unilatérale de ce qui avait été signé lors de la convention collective, ce qui voulait dire rupture de la négociation traditionnelle sur les conditions de travail, en fomentant ainsi une négociation au cas par cas. À la suite de cela, une grève fut donc décidée pour protester. La région décida alors d’exiger 50% de service minimum. Et les travailleurs, dans une action courageuse que l'on n’a pas vu depuis longtemps, décidèrent en assemblée de ne pas respecter ledit service minimum. Les 29 et 30 juin, dans Madrid aucun métro n’a circulé, malgré le fait que le ministère de l’Intérieur ait mis des milliers de policiers à la disposition de la région. Les piquets de grève réussirent à mener à bien avec succès leur action malgré les pressions du patronat et de la région de Madrid.
Dans la mesure où aujourd’hui il nous est très difficile de comprendre ce qui se passe, si ce n’est par le biais des moyens de (des)information, beaucoup de gens sur tout le territoire espagnol ont ressenti comme une agression ce qui n’était qu’une action de légitime défense de la classe ouvrière face à un nouveau « decretazo »1 qui sapait ses conquêtes historiques. Les mass media, s'en sont donnés à cœur joie dans une protestation unanime contre ce prétendu « acte de vilénie » de ces « travailleurs privilégiés » du métro, en n’hésitant pas à criminaliser toutes leurs revendications et en y mettant tous les moyens à leur disposition. En premier lieu, ces média ont ignoré le besoin d’approfondir les causes du conflit social pour ainsi donner aux lecteurs une vision un peu plus complète et moins simpliste de la situation réelle. Les problèmes des usagers du métro à la recherche de nouveaux moyens de transports pour se déplacer étaient bien plus importants que les assemblées ouvrières. Les voix des usagers mécontents étaient bien plus importantes que celles des travailleurs mécontents qui voyaient comment leurs droits étaient bafoués. Pas question de traiter d'une convention collective dont laquelle se moquait la présidente de la région, mais d’une « simple » réduction de salaire face à laquelle ces malotrus de travailleurs du métro de Madrid trépignaient comme des enfants gâtés en réclamant le maintien de leurs « privilèges ». Pour charger la mule, les media n’ont pas hésité à identifier les travailleurs d’une entreprise privée avec les fonctionnaires publics. Ils ont répété jusqu’à la nausée qu’ils étaient des fonctionnaires auxquels il fallait appliquer la même mesure qu’aux autres, et que, par conséquent, leur lutte était injustifiée. Ils se moquaient d’utiliser là un mensonge patent, il s’agissait surtout d’éviter que l’exemple ne s’étende. Voilà comment agissent les messagers des la Société de la (des)Information.
En deuxième lieu, ils n’ont pas hésité à fabriquer l'image d’une grève totalement incontrôlée, en utilisant l’adjectif « sauvage ». Il aurait suffi que quelqu’un d’une rédaction se soit renseigné un tant soit peu pour savoir que « sauvage » veut dire toute grève appelée par les travailleurs sans compter avec (et presque toujours contre) les syndicats. Une grève n’est pas sauvage parce qu’elle n'a pas tenu compte du service minimum imposé. Une grève n’est pas une grève s’il y a du service minimum, ce n’est qu’une pantomime.
La campagne hystérique de harcèlement et de criminalisation menée aussi bien par les media que par les différentes organisations et partis politiques bourgeois réussit à créer un malaise chez les ouvriers en grève, qui ont fini par se soumettre à la pression exercée par les appareils du gouvernement et des média. C’est ainsi qu’on comprend que les mobilisations ultérieures aient respecté un service minimum parfaitement abusif. Oui, le patronat a accepté de s’asseoir à la table du dialogue le 10 juillet. Mais, au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas le moindre accord et il y a toujours la menace de 2000 mises à pied disciplinaires pour non-respect du service minimum les 29 et 30 juin. La réduction de 5% est passée à 1,5%, mais les travailleurs restent sanctionnés et la Convention collective est passée à la trappe.
La grève des travailleurs du métro de Madrid est un exemple. C'est un exemple pour tous les travailleurs d’Espagne. La conscience de l’union et la solidarité de classe a été plus forte que les estampilles des syndicats, qui ont été contraints de créer sous leur sigle des organes de lutte collectifs, même si ceux-ci sont antagoniques aux nôtres. On a récupéré la méthode par excellence de l’organisation ouvrière : les assemblées générales, le germe des futurs conseils ouvriers, là où les ouvriers s’expriment et prennent des décisions, des organes de la véritable démocratie ouvrière. De plus, on y a confronté de manière directe ce que veut dire l’amputation du droit de grève, passant outre le service minimum, ce qui a été l’expression légitime de la nature de la grève : la condition requise pour qu’une revendication aboutisse est celle d’arriver à ce que le blocage de ton activité ait une répercussion suffisante.
On doit tenir compte cependant du fait que la solidarité de la classe ouvrière, condition sine qua non pour faire aboutir les revendications ouvrières et ainsi affronter l’isolement que les forces bourgeoises essayent toujours d’imposer, a été faible et insuffisante, même si elle a existé de façon minoritaire. Et ceci non pas seulement à cause du bombardement idéologique auquel on nous a soumis, mais aussi parce que la propagande a été négligée de la part des travailleurs du métro madrilène, de sorte que l’activité des piquets d’information n’est pratiquement pas sortie des sous-sols. La nécessité impérative de sortir dans la rue et de combattre les calomnies qui y circulaient a été encore plus à l’ordre du jour que jamais, mais elle a été délaissée et à cause de cela, on n’a pas pu obtenir le véritable soutien des autres branches de travailleurs. Si on avait réussi à se lancer dans cette activité de propagande, peut-être qu’aujourd’hui on pourrait parler d’une table de négociations favorable aux travailleurs et même de quelque chose de plus grand encore.
Et c’est justement pour cela, parce que le soutien n’a pas pu être obtenu et qu’il n’y a pas eu de grèves de solidarité, que les ouvriers du métro n’ont pas tardé à se sentir coupables, presque comme s'ils étaient de véritables bandits, se soumettant très tôt à la grève avec un service minimum imposé, ce qui n’a servi qu’à étouffer leurs revendications. La mobilisation s’est, dès lors, affaiblie et on n’a rien pu faire pour retrouver les revendications initiales de respect de la convention collective. Le mot d'ordre « Nous allons faire exploser Madrid » a fait un "flop", mais il ne faut pas perdre courage. Madrid n’est qu’un premier pas dans la récupération des meilleures traditions de la lutte ouvrière dans cette nouvelle période de montée de la combativité prolétarienne. Le Front unique prolétarien que le CREE défend a trouvé une concrétisation dans cette lutte sans qu’il fût nécessaire d’en faire la propagande. Ceci nous encourage à continuer à travailler parce que nous sommes sur la bonne voie. Nous envoyons d’ici notre soutien aux travailleurs madrilènes du métro, qui nous ont donné une première leçon importante de la façon dont la classe ouvrière pourra un jour s’affronter à l’ordre social bourgeois qui nous est imposé.
1 Le CREE fait ici référence au décret du gouvernement Zapatero sur les mesures d’austérité mises en pratique en mai 2010. Le fait d’utiliser le terme dérivé plus populaire « decretazo » veut dire quelque chose comme recevoir un coup de décret derrière la tête.
De spectaculaires nouvelles ont été relayées dans la presse : le rapprochement avec le gouvernement Yanoukovitch et la signature d’un accord permettant la présence de bases militaires russes à long terme en Ukraine ; la signature d’un contrat avec Ankara pour la construction d’une centrale atomique russe à Akkuyu au sud de la Turquie ; la visite « fraternelle » de Medvedev en mai en Syrie et les rumeurs que l’élimination du gouvernement de Bakiev au Kirghizistan serait complètement en faveur de Moscou. Cette succession d’événements a produit la forte impression que l’impérialisme russe gagne de plus en plus du terrain. Est-ce bien vrai?
Sans doute, la situation des années 1990 est-elle révolue. La Russie avait connu alors un affaiblissement énorme. Elle avait perdu tous ses anciens états satellites, et, à l'intérieur, sous Eltsine, s’était ouverte une ère de fonctionnement ouvertement mafieux après 1989. L'État russe était soumis à l’urgence de replacer les affaires intérieures et extérieures sous le contrôle de son appareil. L’arrivée au gouvernement de la fraction bourgeoise autour de Poutine en 2000 était significative de l’effort de restaurer les forces de l'État en Russie et au profit de sa politique impérialiste.
Mais est-ce que pour autant les succès remportés par la Russie autorisent à parler d’une marche en avant victorieuse de l’impérialisme russe ? Certainement pas ! En réalité, la Russie se trouve aujourd'hui dans une lutte désespérée contre l’instabilité dans la région de l’ex-bloc de l’Est. La perte de contrôle et l’instabilité constituent une tendance générale dont surtout les USA, premier gendarme du monde, souffrent le plus fortement. Il n’est pas possible à la Russie, qui aspire à maintenir son rôle de leader dans la région, de durablement profiter de l’affaiblissement des USA parce qu’elle elle ne peut pas non plus échapper à cette dynamique internationale du « chacun-pour-soi ».
A première vue, le renversement du gouvernement au Kirghizistan en avril 2010 peut sembler un point marqué par la Russie dans le jeu impérialiste : la clique gouvernementale de Bakiev ayant rompu la promesse faite à la Russie de fermer la base militaire américaine installée dans le pays, on peut facilement penser que la nouvelle clique gouvernementale d’Otunbaïeva s’installe au pouvoir avec le soutien officieux de la Russie pour prendre sa revanche sur Bakiev qui a manqué à sa parole. Mais la situation au Kirghizistan se présente de façon beaucoup plus complexe. Il n’est pas possible de la réduire à une lutte entre fractions bourgeoises interposées inféodées à la Russie et aux USA, comme on l’a classiquement connu dans nombre de pays du Tiers-monde lors de la guerre froide. Et il est faux de s’imaginer qu’avec le renversement du gouvernement Bakiev la mise est remportée par l’impérialisme russe pour un bon bout de temps, et que la situation va se calmer.
Ce qui se manifeste au contraire au Kirghizistan, c’est une extension du chaos et des luttes entre cliques nationales. L’impérialisme russe est loin de sortir « grand vainqueur » de la situation. Avec les tensions au Sud du pays, dans la région de Djalalabad et Och, une instabilité ouverte se développe aux portes de la Russie dans un pays-frontière avec la Chine - un impérialisme de plus en plus agressif. Le Kirghizistan constitue déjà une importante voie d'accès des produits chinois sur le marché de la CEI. Mais même si la Russie et la Chine sont fondamentalement d’implacables rivaux impérialistes pour gagner de l’influence au Kirghizistan, ils ont dans cette région un souci commun : la crainte que des conflits incontrôlables entre cliques régionales qui se manifestent par des pogromes ethniques, comme actuellement au Kirghizistan, s’étendent aussi à d'autres républiques voisines multiethniques. Et sans doute, même les USA ne vont pas accepter que leur présence militaire au Kirghizistan soit remise en question! Finalement le Kirghizistan forme un pays de plus en plus difficile à gouverner du fait de l’absence d’une bourgeoisie nationale unie. Et il forme maintenant exactement un exemple du danger de perte de contrôle que craignent les grandes puissances impérialistes. Les événements sanglants de juin a Och ont montré clairement la situation délicate de l’impérialisme russe : appelé à l’aide militairement par le gouvernement de Otunbaïeva pour juguler le chaos, la Russie hésite et ne veut pas s’enliser dans un second Afghanistan. Indépendamment de la question des cliques locales au pouvoir, il est pour la Russie, fortement ébranlée par la crise économique, difficile, du fait des coûts financiers énormes à engager que cela suppose, d’intervenir pour maintenir son influence. Mais cette politique indispensable aux intérêts du gendarme impérialiste régional se prépare à être sabotée aussi par les autres rivaux régionaux de la Russie : ce n’est pas par hasard si un petit requin impérialiste régional comme le gouvernement de Loukachenko en Biélorussie a immédiatement essayé de pousser les feux par l’asile offert à Bakiev déchu.
Sans aucun doute, les élections de février 2010 en Ukraine ont mis au pouvoir une fraction de la bourgeoisie plus ouverte envers la Russie. En avril, l’Ukraine a contracté un accord significatif avec la Russie garantissant jusque 2042 la présence militaire russe à Sébastopol et de massives remises économiques pour les livraisons de gaz russe à l’Ukraine jusque 2019. En juin, l’Ukraine a pris la décision de stopper les plans d’entrée dans l’OTAN, portés surtout par l’ex-gouvernement de Youchtchenko. Les relations avec l’Ukraine sont loin de permettre à la Russie de pavoiser et montrent le dilemme qui se présente à la Russie.
Même si l’Ukraine est fortement ébranlée par la crise économique et a besoin d’assouplissements financiers immédiats, l'État ukrainien ne se réfugie ni définitivement dans les bras puissants du grand frère – ni sans contreparties offertes par la Russie. La Russie doit rémunérer le bon-vouloir temporaire du gouvernement de Yanoukovitch à coups de milliards de réductions négociées du prix du gaz, ceci seulement pour maintenir sa présence militaire dans le port de Sébastopol. Mais les véritables ambitions et nécessités impérialistes de la Russie envers l’Ukraine sont beaucoup plus importantes que ce qui vient d’être fixé avec le nouveau gouvernement. Du point de vue géographique, l’Ukraine représente un lieu de passage pour l’exportation du gaz russe vers l’occident, dont l’économie russe dépend énormément. Pour éviter cette dépendance vis-à-vis de l’Ukraine (et même de la Biélorussie) la Russie est obligée d’entreprendre des projets de contournement très onéreux comme le pipeline Northstream.
Pour la Russie, une relation stable à long terme avec l’Ukraine est une nécessite, pas seulement sur le terrain économique du transport du gaz, mais surtout sur le terrain géostratégique pour sa protection militaire. Mais l’Ukraine, avec sa bourgeoisie très divisée, ne forme pas du tout un partenaire stable et le gouvernement de Yanoukovitch n’offre aucune garantie à long terme. Si la fraction autour de Timochenko reconquiert le gouvernement, de nouvelles frictions ne se feront pas attendre. Pour la bourgeoisie ukrainienne, fondamentalement mue par ses intérêts nationaux propres, l’orientation de sa politique présente n’a rien à voir avec une profonde histoire d’amour avec la Russie. Ce sont la faiblesse de l'Union européenne, qui fait que le rapprochement avec celle-ci n’est aujourd’hui pas encore une option pour la bourgeoisie ukrainienne, l’urgence économique et la chasse à l’énergie la moins chère, qui la poussent à ce cours typique de l’impérialisme d’aujourd’hui : caricaturalement immédiatiste, instable et dominé par le chacun pour soi.
Même si, lors de la guerre contre la Géorgie en 2008, l’impérialisme russe a gagné du terrain et contrôle de nouvelles zones géographiques, comme l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, et si leur enlisement en Irak et en Afghanistan n’a pas permis aux États-Unis d’intervenir en faveur de leur « amie », la Géorgie, la situation de la Russie ne s’est nullement consolidée dans le Caucase. La Russie n’a pas pu vraiment mettre à profit l'affaiblissement américain. Cette guerre a fondamentalement été le signe d’une nouvelle étape dans les confrontations impérialistes, parce que, pour la première fois depuis l’effondrement des blocs en 1989, les vieux rivaux USA et Russie s’affrontaient à nouveau directement.
Mais cette guerre a aussi montré clairement qu’il est complètement faux de penser dans la situation actuelle de l’impérialisme qu’une guerre produise automatiquement un vainqueur et un vaincu. Finalement cette guerre n’a produit que des perdants. Non seulement du côté de la classe ouvrière (qui est dans chaque confrontation impérialiste le perdant de tous les côtés !) mais aussi parmi les impérialismes impliqués. La Géorgie est affaiblie ; les États-Unis ont perdu de leur influence dans la région et massivement de leur prestige de « big brother » sur qui on peut compter ; la Russie est confrontée à une aggravation du chaos impossible à maîtriser dans le Caucase.
Outre la nécessité de défendre ses intérêts économiques et stratégiques immédiats, l’agressivité de l’impérialisme russe possède aussi une dimension historique. Fondée sur une extension territoriale permanente depuis les premiers temps du tsarisme, la Russie est aujourd'hui rejetée dans ses limites territoriales du 18ème siècle – ravalée à une situation d’affaiblissement historique que la bourgeoisie ne peut pas accepter.
Dans beaucoup de régions du Caucase, territoires officiels de la Fédération de Russie, comme le Daghestan ou l’Ingouchie, les forces armées de l’impérialisme russe jouent plus le rôle d’une force d’occupation que d’un appareil d'État à l’autorité bien enracinée. Mais la situation dans cette région se présente encore une fois d’une façon plus complexe : la police et l’armée russe agissent de façon extrêmement brutale, mais finalement impuissante contre les multiples clans locaux qui s’affrontent.
Les attentats en mai dernier à Moscou, non loin du siège des services secrets et à Stavropol montrent clairement que des actes terroristes provoquent directement l’autorité de l’appareil d'État russe. Les efforts actuels d’augmenter les prérogatives des services secrets russes (le FSB) ne sont pas un signe de la force mais de la peur de la bourgeoisie. La situation dans le Caucase du Nord où la Russie se trouve en état de guerre quasi-ouverte sur son propre territoire national – c'est-à-dire face à une situation de perte de contrôle risquant en permanence de s’étendre et de servir d’exemple pour entrainer d’autres cliques locales dans la contestation – recèle une dynamique d’affaiblissement pour la Russie. Une telle situation forme une spécificité de la Russie, que les autres grands rivaux impérialistes comme les USA, l’Allemagne ne connaissent pas ou bien à un moindre degré, comme la Chine. Même si l’impérialisme russe s’efforce de surmonter la crise historique qu’il a connu avec l’effondrement de l’organisation stalinienne du capitalisme d'État, le développement des forces centrifuges dans sa zone d’influence historique demeure et s’aggrave toujours plus.
Toute la situation dans la zone d`influence de la Russie forme un exemple typique de l’impasse et de l’irrationalité du capitalisme. Même en se militarisant toujours davantage, la bourgeoisie n’est plus en mesure de contrôler son propre monde.
Mario (29. 6. 2010)
Depuis de nombreuses décennies deux gangs rivaux de la classe capitaliste sont occupés à répandre le sang de la population exploitée de Jammu et du Cachemire, au nom de « l'unité nationale», d'une part et de la «libération» du Cachemire, d'autre part. Aussi, cela fait longtemps que cette «vallée des roses» s'est transformée en vallée de la mort, de la dévastation, de la misère et du chaos. Des centaines et des milliers de personnes ont été violemment déracinées et contraintes de fuir le Cachemire soit par le biais d'un processus de nettoyage ethnique à l'encontre des hindous du Cachemire soit en terrorisant la population musulmane en recherche de subsistance. Les séparatistes et l'Etat Indien ont toujours essayé de nier l'existence même de la classe ouvrière et d'étouffer ses luttes avec la mystification selon laquelle il n'y aurait qu'une seule lutte au Cachemire, celle qui oppose ces deux gangs sanglants.
Et pourtant, le fait est que la classe ouvrière au Cachemire a tenté résolument de s'affirmer, en particulier au cours des deux dernières années, et qu'elle a mené un certain nombre de grèves et de luttes importantes.
Le cycle actuel des luttes des ouvriers au Cachemire peut être vu comme une suite logique de leur combat en 2008. En mars 2008, la JKSRTC (Corporation d'Etat des Transports Routiers de Jammu et du Cachemire) déclarait qu'elle faisait des pertes parce qu'elle avait trop d'ouvriers. Le gouvernement déclarait son intention de réduire le nombre des salariés et annonçait un VRS (Projet de Retraite Volontaire). Mais il n'y a pas eu beaucoup de volontaires pour le VRS en dépit des tactiques coercitives. Le gouvernement a déclaré qu'il ne pouvait pas payer les années de COLA [Indemnité de Vie Chère] et d'autres arriérés de salaires. Face à ces attaques sur leurs emplois et au refus des patrons de payer leurs arriérés de salaires, les travailleurs ont essayé de développer leurs luttes. Sentant la colère des travailleurs, les syndicats de transport ont essayé de stériliser leur mécontentement en le canalisant dans une lutte rituelle: une marche de deux heures jusqu'aux bureaux du gouvernement, etc La direction et les syndicats ont alors réussi à mettre le couvercle sur ce mécontentement, d'abord en faisant la «promesse» d'examiner les revendications des travailleurs et ensuite en faisant semblant donner crédit à ces promesses.
Un an plus tard, la menace du VRS devenait plus urgente. En même temps, rien n'était sorti des promesses de la direction. Au lieu de cela les travailleurs n'ont pas été payés pendant des mois. Leurs arriérés de salaires s'accumulaient. La situation économique s'était aussi aggravée avec une inflation sur les produits alimentaires qui restait supérieur à 16%. Cela a provoqué une nouvelle vague de colère et de combativité chez les travailleurs du transport. Vers le milieu 2009, il y a eu un certain nombre de grèves et de manifestations courtes de la part des travailleurs de la JKSRTC. Mais les ouvriers de la SRTC n'ont pas réussi à unifier leur mouvement et à le transformer en une grève plus importante. Ils se sont trouvés isolés des autres secteurs des salariés de l'Etat. Une fois de plus, les syndicats ont réussi à affaiblir les travailleurs et à diluer leur colère au moyen de rituels stériles et théâtraux. Par exemple, au lieu d'encourager une grève combative, les syndicats ont demandé aux salariés d'amener leurs enfants aux manifestations avec des pancartes: « payez le salaire de mon papa! ». Cela peut paraître touchant pour un petit bourgeois sentimental, mais elle n'avait aucun impact sur les patrons. De façon similaires d'autres agitations futiles ont été utilisées par les syndicats pour affaiblir la détermination des ouvriers et stopper l'élan vers une grève plus importante.
Mais les salariés de la SRTC n'ont pas été les seuls à tenter de résister aux attaques des patrons. Bien que l'agitation des travailleurs de la SRTC ait exprimé une plus grande volonté de se battre, d'autres secteurs des salariés de l'Etat ont fait face aux mêmes attaques. Tous les salariés du gouvernement ont remboursé les années accumulées que le gouvernement ne payait pas. Pour eux, l'agitation récurrente des ouvriers du transports a agi comme une impulsion et un point de ralliement.
Depuis Janvier 2010, les salariés du gouvernement de Jammu et du Cachemire ont essayé d'unifier leur lutte autour de revendications communes: le paiement des arriérés de salaires, de meilleurs salaires et la régularisation des travailleurs permanents et temporaires de l'Etat. Ces luttes ont été rejointes par les salariés permanents et temporaires ainsi que par les enseignants. Bien que les syndicats aient réussi à conserver le contrôle, cela a été une expression de la force de la mobilisation des salariés et de leur détermination à combattre au point que les syndicats ont dû appeler à une ou deux journées de grève en janvier 2010. Quatre cent cinquante mille salariés d'Etat se sont impliqués dans ces luttes. Bien que les syndicats aient tout tenté, ils n'ont pas été vraiment en mesure d'arrêter l'élan vers des luttes plus combatives.
Ceci est apparu clairement lorsque les salariés du gouvernement d'Etat ont à nouveau commencé à pousser à la grève. La grève des 450 000 salariés a commencé le 3 avril 2010. Les revendications des salariés étaient toujours les mêmes: de meilleurs salaires, le paiement des arriérés de salaires qui s'élevait maintenant à près de 4300 millions de roupies et la régularisation des salariés permanents et temporaire. Depuis le 3 avril les transports publics a été arrêtés, les salles de classe des écoles gérée par l'Etat ont été verrouillées et toutes les administrations ont été fermées. Même les bureaux du gouvernement du district ont été fermés et l'administration a été paralysée.
Face à cette grève déterminée menée par tous ses salariés, l'Etat a commencé à montrer son vrai visage: le visage hideux de la répression.
L'Etat a visé en premier lieu ce qu'il pensait être les secteurs les plus vulnérables des salariés. Le gouvernement a mis en garde les permanents et les contractuels que dans le cas où ils continueraient leur grève, ils perdraient leur droit à être régularisés. Les journaliers auraient à subir les mêmes conséquences s'ils prenaient part à la grève. Mais les menaces n'ont pas pu briser la grève.
Pour accélérer la répression, le 5 avril 2010, le gouvernement de Jammu & Kashmir a invoqué le Essential Services Maintenance Act (ESMA) (je suppose équivalent du service minimum, ndt) contre les employés de l'Etat en grève. Le ministre des Finances a déclaré que le gouvernement a été contraint par les employés à invoquer l'ESMA et que les employés en grève subiraient un an d'emprisonnement. Un autre ministre a accusé les employés de « prendre la société en otage ».
Mais le gouvernement de J&C n'est pas le premier ni le seul à invoquer cette loi draconienne contre les salariés en grève et à user de la menace et du chantage pour briser les grèves. Ces derniers mois le gouvernement central et différents gouvernements des Etats ont montré un égal empressement à recourir à la répression contre les actions de grève par différents secteurs de la classe ouvrière dans différentes parties du pays. Ils ont tous été également impitoyables dans la répression des actions de grève. Tout cela pour montrer la peur qu'a la bourgeoisies de la classe ouvrière et de ses luttes.
Le gouvernement de J&C n'est pas resté les bras croisés après avoir invoqué l'ESMA. Il a continué à semer la divisions parmi les salariés et à faire subir une nouvelle répression aux salariés en grève. Les processions et les manifestations des salariés en grève ont été dispersées par la police. Le 10 avril, treize salariés en grève ont été arrêtés. Lorsque les salariés ont essayé de marcher vers le centre-ville de Srinagar pour s'opposer à l'arrestation de leurs camarades, la police a tenté de briser la marche en chargeant à la matraque. Cela s'est traduit par des affrontements entre les grévistes et la police. Malgré cela de nombreux salariés ont réussi à atteindre Lal Chowk, où encore plus de salariés ont été arrêtés.
Étant donné la réputation de Lal Chowk, à Srinagar, en tant que site ayant connu un certain nombre de coups de feu entre l'Etat indien et les gangs séparatistes, les affrontements entre la police et les travailleurs en grève y étaient évidemment exceptionnels. Cette contre-attaque des travailleurs de l'Etat était comme une affirmation que, parmi toutes ces guerres de gangs de différentes factions de la bourgeoisie, les salariés ont été en mesure de préserver leur identité de classe et sont capables de se battre pour leurs intérêts de classe.
Alors que les employés tentaient de renforcer leur grève et de résister à la répression du gouvernement de l'État, les syndicats étaient occupés à diviser les salariés. C'est ce qu'ils firent sous l'apparence de contribuer à la grève. Il y a de nombreux syndicats parmi les différents secteurs des salariés de l'Etat: les syndicats du personnel du secrétariat, de la JCC, des «Comités d'Action des Salariés » [EJAC], le syndicat des ouvriers du transport, etc. Alors que les salariés étaient déjà en grève depuis plusieurs jours, chacun de ces syndicats ont commencé à présenter leurs plans d'action distincts, travaillant ainsi à diviser les salariés et à affaiblir l'élan de leur lutte. JCC a déclaré une nouvelle grève de 7 jours. Un autre a déclaré un autre programme. Au milieu de tous ces efforts de division et de répression de l'Etat, les salariés ont été en mesure de maintenir leur grève pendant 12 jours.
À la fin des 12 jours, l'un des syndicats, EJAC, s'est déclaré satisfait par sa conversation avec le Premier Ministre et par les promesses du gouvernement. Il a ordonné aux salariés de retourner au travail. Ainsi, après 12 journées de grève, les salariés devaient une nouvelle fois se contenter des promesses des patrons et retourner au travail sans aucun gain matériel.
La grève d'avril de 450 000 salariés de l'Etat de J & K a été une lutte majeure des ouvriers dans l'État depuis de nombreuses années. Située au milieu de l'extension mondiale de la combativité ouvrière, elle a été un produit de l'accumulation de la colère chez différents secteurs de salariés de l'État au fil des ans. Sa route a été tracée par la répétition de courtes grèves et luttes de la part des travailleurs du transport, les employés de banque et d'autres secteurs. Face aux idéologies totalitaires et violents de l'Etat indien et des séparatistes, la grève a été une affirmation puissante de l'identité de classe de l'unité de la classe ouvrière. En dépit de ses faiblesses majeures, cette grève a montré une perspective différente de celle montrée par la bourgeoisie. Alors que toutes les factions de la bourgeoisie au Cachemire représentent une perspective de haine diabolique, de divisions violentes, de meurtres au quotidien, de terreur et de barbarie, la classe ouvrière a pour le moins montré que des travailleurs de religions et de régions différentes peuvent combattre ensemble, dans la solidarité , pour des intérêts de classe communs.
Le recul que la grève a subi tend à montrer que, la prochaine fois que les ouvriers de l'Etat de J & C entreront en lutte, ils devront rejeter à la fois les idéologies séparatistes et d'unité par la répression, comme ils viennent de le faire. En outre, ils auront à déjouer les manoeuvres des syndicats et réaliser que les syndicats ne sont pas leurs amis. Les salariés auront à prendre leur lutte en mains et les mener par eux-mêmes. C'est la seule façon de mener une lutte efficace.
Mais pour eux, mettre un terme à une vie de pauvreté, de terreur, de violence et de peur, ils devront développer leur lutte dans un combat pour la destruction du capitalisme et de son cadre national et pour le communisme et la communauté humaine.
Akbar (10 mai 2010)
Nous publions ci-dessous une brève chronologie des différents événements et étapes du mouvement de lutte contre la réforme des retraites qui se développe en France depuis des mois.
Nous compléterons ce listing au fur et à mesure des nouvelles.
Ce mouvement est déjà riche en enseignements pour le prolétariat mondial. Face aux mensonges propagandistes de l'Etat, des médias français et de la presse internationale, les témoignages et les différentes informations sur la lutte doivent impérativement circuler, être diffusés le plus largement possible, ici comme dans tous les pays. Nous encourageons donc tous nos lecteurs à compléter la chronologie ci-dessous (forcément très parcellaire et incomplète) en utilisant notre forum de discussion (nous nous efforcerons, dans la mesure de nos forces, de traduire ces textes dans les principales langues).
L'intersyndicale (qui regroupe presque la totalité des syndicats français, des plus ouvertement 'collaborationnistes' avec le gouvernement aux prétendus 'radicaux') appelle à une première Journée d'Action.
800 0001 manifestants descendent dans la rue. L'atmosphère est plutôt atone, la résignation domine. Il faut dire que la réforme des retraites est préparée depuis de longs mois, et même de longues années. Les politiques, les médias, les "spécialistes" en tous genres n'ont eu en effet de cesse de répéter que cette réforme était indispensable, incontournable, qu'il en allait de la survie même du "régime par répartition" et de "l'équilibre budgétaire national". D'ailleurs le mot d'ordre des syndicats n'est pas "retrait de l'attaque sur les retraites" mais "aménagement de la réforme". Ils appellent à se battre pour "plus de négociations" Etat-Syndicats et pour une réforme "plus juste, plus humaine".
Bref, tous, Etat, Patrons, Syndicats, affirment que ce sacrifice est "une nécessité salutaire". Face à ce rouleau compresseur, le mécontentement est grand, mais les têtes basses.
Rebelote. On prend les mêmes et on recommence. L'intersyndicale appelle à une seconde Journée d'Action selon les mêmes modalités et mots d'ordre.
Il y a une très légère hausse des participants (1 million) mais l'atmosphère est toujours marquée par le manque d'espoir.
Les syndicats pensent porter l'estocade, le coup de grâce… au mouvement. Une troisième Journée d'Action est programmée. Compte tenu de l'ambiance relativement morose des deux précédentes, cette journée de veille de vacances doit être une sorte de "manifestation enterrement". La mécanique est bien huilée : une Journée d'Action de même ampleur que les précédentes signifierait que "l'affaire est pliée". Avec les deux mois de congés d'été qui suivent, le but est de faire perdre toute miette d'espoir sur un quelconque possible développement de la lutte. Les syndicats avaient même déjà, certainement, préparés leur discours : "Nous avons essayé, mais la combativité n'est pas suffisamment présente dans les rangs ouvriers". Découragement garanti !
Cette technique a déjà été éprouvée maintes fois par le passé, souvent avec réussite. Mais… patatras… le jour-dit, le 24 juin, 2 millions de travailleurs, de chômeurs, de précaires descendent dans la rue !
Au-delà de la massivité, l'ambiance, elle aussi, change : la colère, le ras-le-bol sont grandissants. Depuis l'accélération de la crise en 2008, la pauvreté et l'injustice ne cessent de croître. Cette réforme des retraites devient le symbole de cette dégradation brutale des conditions de vie.
La Journée d'Action du 24 juin a regonflé le moral du prolétariat. L'idée qu'une lutte d'ampleur est possible gagne du terrain. Les syndicats sentent évidemment eux aussi le vent tourner, ils savent que la question "Comment lutter ?" trotte dans les têtes. Ils décident donc d'occuper immédiatement le terrain et les esprits, il n'est pas question pour eux que les prolétaires se mettent à penser et à agir par eux-mêmes, en dehors de leur contrôle. Ils annoncent donc dés le lendemain du 24 juin une nouvelle Journée d'Action pour la rentrée (le 7 septembre).
Pour être bien sûrs d'endiguer la "réflexion autonome", ils vont jusqu'à faire passer des avions au-dessus des plages tirant des banderoles publicitaires appelant à la manifestation du 7 septembre !
Mais un autre événement, un fait-divers, vient durant l'été alimenter la colère ouvrière : « l’affaire Woerth » (il s'agit d'une connivence entre les hommes politiques actuellement au pouvoir et l'une des plus riches héritières du capital français, Madame Betancourt, patronne de l'Oréal, sur fond de fraudes fiscales et d'arrangements illégaux en tous genres). Or, Eric Woerth n'est autre que le ministre chargé de la réforme des retraites. Le sentiment d'injustice est total : la classe ouvrière doit se serrer la ceinture pendant que les riches et les puissants mènent "leurs petites affaires".
Cette Journée d'Action s'annonce d'emblée comme très suivie. Pourtant, c'est la première fois qu'une manifestation est organisée si tôt dans l'année scolaire. Avant même le 7 septembre, devant l'ampleur de la grogne dans les rangs des prolétaires, les syndicats promettent d'organiser sans attendre une nouvelle manifestation un samedi pour que "tout le monde puisse participer".
Le 7 septembre : 2,7 millions de manifestants. La coupure de l'été n'y aura donc rien fait, la rentrée s'annonce chaude et part sur les mêmes bases qu'elle a fini. Des appels à la grève reconductible commencent à fleurir.
Face à l'ampleur de la grogne et à la massivité de la mobilisation, l'intersyndicale réagit immédiatement :elle annule, mine de rien, la manifestation du samedi, écarte la possibilité d'une grève reconductible et annonce dans la foulée une nouvelle Journée d'Action pour dans… 15 jours (le 23 septembre) ! Il s'agit de casser la dynamique, de temporiser. Ce "sens de la responsabilité" de l'intersyndicale sera d'ailleurs salué par les plus hauts représentants de l'Etat français.
3 millions de manifestants dans les rues ! Le mouvement enfle donc encore. Pour la première fois, les cortèges hésitent à se disperser. Plus exactement, dans de nombreuses villes, quelques dizaines de personnes par-ci, quelques centaines par-là, restent discuter à la fin de la manifestation. Des tracts d'interprofessionnelles commencent à appeler à la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes2. Dans quelques villes, la CNT AIT organise des Assemblées Populaires pour "libérer la parole" (le CCI se joindra ensuite à cette excellente initiative). A partir de ce moment, ces assemblées de rue auront un succès certain, parvenant à regrouper chaque semaine plusieurs dizaines de participants, notamment à Toulouse3.
Cette volonté de s'auto-organiser exprimée par des minorités révèlent que l'ensemble de la classe commence à se poser des questions sur la stratégie syndicale, sans oser tirer encore toutes les conséquences de leurs doutes et questionnements.
Première manifestation organisée un samedi. Il n'y a pas d'évolution réelle du nombre de participants. Seulement, au sein de ces 3 millions de manifestants, se retrouvent côte à côte, avec les "coutumiers du pavé", des familles et des travailleurs du privé ne pouvant habituellement se mettre en grève.
Plusieurs tentatives d'organiser des Assemblées de rue en fin de manifestation échouent :
A Paris, un tract est distribué par l'interprofessionnelle Turbin (du nom de son mail, [email protected] [92]) appelant à se rassembler sous ses banderoles ("La meilleure retraite, c'est l'attaque" et "Prenons nos luttes en main"), sous un kiosque, au point d'arrivée du cortège. Preuve que cette information a bien circulé, au point de rendez-vous seront effectivement présents des dizaines… de policiers (avec une caméra !). Faute d'endroit adapté pour mener une discussion, l'assemblée ne peut se tenir. Le cortège de l'interprofessionnelle décide alors de continuer la manifestation. Une cinquantaine de personnes repartent et agrègent sous leurs banderoles, en une heure, près de 300 personnes.
A Tours, le comité "Pour l'Extension des luttes" appelle par tracts à "garder la rue".
A Lyon, quelques dizaines de manifestants expriment le souhait de ne pas se quitter immédiatement, de rester là pour discuter, en assemblée de rue, et réfléchir collectivement à comment poursuivre et développer le mouvement. Ce sont les sonos de la CGT (principal syndicat français) qui seront finalement fatales à cette initiative, le bruit assourdissant empêchant tout réel débat.
Ces tentatives avortées révèlent à la fois l'effort de notre classe à prendre SES luttes en main et les difficultés encore présentes dans la période actuelle (principalement le manque de confiance en eux-mêmes qui inhibe les exploités).
Par contre, à Toulouse, les assemblées populaires continuent à se tenir. L'initiative prend même de l'ampleur puisque la CNT-AIT et le CCI, à la fin de la manifestation, plantent une banderole sur le lieu d'arrivée, sur laquelle on peut lire « SALARIES, CHÔMEURS, ETUDIANTS, RETRAITES, PRENONS NOS LUTTES EN MAINS ! », et organisent dessous une assemblée de rue. Ce débat regroupe quelques dizaines de personnes.
Cette nouvelle Journée d'Action rassemble 3,5 millions de personnes en lutte ! Record battu !
Plus important encore, l'atmosphère est relativement effervescente. Les Assemblées Générales interprofessionnelles commencent à se multiplier, on peut en compter plusieurs dizaines dans toute la France. Elles regroupent chaque fois entre 100 et 200 participants. La politique de l'intersyndicale y est de plus en plus ouvertement critiquée, de nombreux tracts de ces interprofessionnelle affirment même qu'elle nous mène volontairement à la défaite4. Preuve de cette dynamique, à Toulouse, en plus des Assemblées Populaires organisées par la CNT AIT (et, dans une moindre mesure, le CCI), un appel est lancé pour organiser une assemblée de rue tous les jours devant la Bourse du Travail à 18 heures [elle continue à se réunir encore aujourd’hui, 20 octobre] et à lancer des appels par tracts.
La grève reconductible est finalement décidée par la majorité des syndicats. Compte tenu de ce marathon (le mouvement a commencé il y a 7 mois !) et des nombreux jours de grève posés par les travailleurs lors des Journées d'Action à répétition, cette grève reconductible arrive très tard. Les salaires des ouvriers sont déjà largement amputés. C'est en tout cas le calcul que font les syndicats. Et pourtant, ce mouvement, lui aussi, sera relativement bien suivi.
Chez les cheminots et les enseignants de la région parisienne, de nombreuses AG syndicales sont organisées. La division et le sabotage confinent d'ailleurs ici au ridicule. A la SNCF, les AG syndicales sont organisées par catégories (les roulants d'un côté, les contrôleurs de l'autre, les administratifs dans un autre coin encore) ; dans certains hôpitaux, chaque étage à sa propre AG ! De plus, elles ne sont absolument pas souveraines. Par exemple, Gare de l'Est, à Paris, alors que la reconduction de la grève doit être votée jeudi 14 au matin, les permanents syndicaux la vote entre eux la vielle, le mercredi. Cette stratégie a un double effet :
elle vide de son intérêt l'AG, les personnels ne s'y rendent donc pas puisque tout est déjà décidée ;
elle permet aux médias de présenter les votes de la reconduction de la grève comme le fruit d'une extrême minorité, ceci dans le but de rendre le mouvement impopulaire.
D'ailleurs, les syndicats tirent là sur leur plus grosse ficelle : paralyser les transports (à partir du 12 octobre, de nombreux trains ne circulent plus et le blocage des raffineries fait planer la menace de la pénurie d'essence) pour créer des tensions au sein de la classe ouvrière et dresser ceux qui veulent (doivent) aller travailler contre les grévistes.
Second samedi de manifestation. Une nouvelle fois, près de 3 millions de personnes se retrouvent à battre le pavé.
Le fait nouveau vient du côté de la jeunesse : les lycéens, entrés à leur tour dans la lutte quelques jours plus tôt, pointent le bout de leur nez au sein des cortèges.
Le lundi suivant, près de 1000 établissements sont bloqués et de nombreuses manifestations lycéennes spontanées voient le jour. L'UNL, principal syndicat lycéen (et non étudiant), qui a lancé ce mouvement, avoue lui-même être dépassé par l'ampleur de la mobilisation.
L'Etat exploite la présence de quelques jeunes casseurs dans les rangs lycéens pour réprimer très violemment certains "bloqueurs" et jeunes manifestants (un enfant de 17 ans a failli perdre un œil à la suite d'un tir de Flash-Ball à Montreuil, en banlieue parisienne). Les forces de l'ordre attisent d'ailleurs elles-mêmes la colère par de véritables "provocations policières". Le but est clair : faire dégénérer le mouvement en le faisant plonger dans la violence aveugle et l'affrontement stérile aux flics. Par-là même, l'Etat cherche à tout prix à rendre la lutte impopulaire, à faire peur aux jeunes, à leurs parents et à toute la classe ouvrière.
Les étudiants, qui avaient été au cœur du mouvement victorieux contre le CPE en 2006, semblent commencer à rentrer dans la danse. Quelques facultés (à Paris, Toulouse et Rennes notamment) annoncent leur blocage, mais cela demeure pour l'instant relativement minoritaire.
La menace du blocage des raffineries, qui planait depuis le 12 octobre, est effectivement mise à exécution. En général, sans même de décision en AG, les troupes de la CGT paralysent les sites, sous l'ordre de leur syndicat. Très vite, l'essence manque dans de très nombreuses stations (entre 1000 et 2000 selon les estimations).
La mobilisation croît aussi à la SNCF, de plus en plus de trains sont annulés.
Malgré cette paralysie des transports, le mouvement ne devient pas impopulaire. Même les médias, habituellement si doués pour passer à l'antenne des micro-trottoirs bidons où les "usagers" crient toute leur haine d'être coincés sans train dans une gare, doivent avouer cette fois que ces mêmes "usagers" sont solidaires du mouvement, qu'ils prennent leur "mal en patience" et qu'ils soutiennent pleinement les grévistes car "ils se battent pour tout le monde". Certaines AG syndicales et quelques interprofessionnelles décident même de soutenir les bloqueurs des raffineries (qui subissent de nombreux assauts, parfois brutaux, de la police pour "libérer les raffineries", "rétablir l'ordre" et "stopper les voyous" (dixit le Président de la République, Nicolas Sarkozy) en allant physiquement épauler les piquets.
Résultat, malgré la pénurie d'essence et le manque de trains, malgré les intimidations et la répression, 3,5 millions de manifestants sont encore et toujours dans la rue le 19 octobre. Cela montre la profondeur de la colère qui gronde dans les rangs ouvriers !
Face à l'ampleur de cette nouvelle mobilisation, l'Etat resserre encore un peu plus l'étau de la matraque et du Flash-Ball. En particulier, à Lyon, un déploiement massif de flics attend l'arrivée du cortège de manifestants. Véritable défi, ces agents attisent volontairement la haine chez les jeunes. Une poignée cède à cette provocation. La répression s'abat alors dans un déchaînement de violence, les flics tapant sur tout ce qui bouge : jeunes à "l'allure de casseurs" (des jeunes beurres à casquette quoi), ou jeunes tout court, mais aussi sur des têtes grises (le cortège de Sud aurait fait les frais de ce matraquage en règle). L'Etat a certainement senti qu'il avait été trop loin ce coup ci car certains ministres lancent des "appels au calme" (dirigés à leurs propres troupes en réalité). La manifestation parisienne s'est déroulée ensuite "sans heurts", comme l'a fortement souligné la presse).
Pour résumer, le mouvement se développe comme une lame de fond depuis 7 mois. La colère est immense. Les revendications contre la réforme des retraites tendent à passer au second plan : les médias reconnaissent que le mouvement se "politisent". C'est toute la misère, la précarité, l'exploitation, etc. qui sont ouvertement rejetées. La solidarité entre les différents secteurs, aussi, s'accroît. Mais, pour l'instant, la classe ouvrière ne parvient pas à prendre réellement en mains SES luttes. Elle le souhaite de plus en plus, elle s'y essaye de-ci de-là par des tentatives minoritaires, elle se méfie de façon croissante de l'intersyndicale, mais elle ne parvient pas encore réellement à s'organiser collectivement à travers des Assemblées Générales autonomes et souveraines, et donc en dehors des syndicats. C'est pourtant de telles AG qui avaient constituées le cœur du mouvement contre le CPE en 2006 et qui lui avaient donné sa force. La classe ouvrière semble encore manqué de confiance en elle. Le déroulement à venir de la lutte va nous dire si elle va parvenir à dépasser cette difficulté cette fois-ci. Ce sera sinon pour la prochaine fois ! Le présent est riche de promesses pour l'avenir des luttes.
A suivre…
CCI
1 Tous les chiffres de participation sont ceux donnés par l'intersyndicale. Entre les chiffres syndicaux et ceux de la police, il y a parfois un écart de 1 à 10 ! Les médias parlent d'ailleurs de "guerre des chiffres". Cette gué-guerre permet de faire croire à une opposition radicale entre les syndicats et l'Etat (alors qu'ils ne font que jouer d'un instrument différent au sein du même orchestre et au service de la même partition) et brouille les pistes. Personne ne sait vraiment combien de personnes participent aux manifestations. Nous avons toujours retenu les chiffres de l'intersyndicale, qui sont certainement tout de même les plus proches de la réalité, car cela permet de dégager les tendances, savoir si cela diminue ou augmente.
2 Des exemples de ces tracts sont publiés sur notre forum, sous le fil "Prenons nos luttes en main".
3 Voici, par exemple, l'un de ces appels à ces Assemblées populaires : "Cette rentrée est marquée par les manifestations massives attisées par la réforme des retraites. C’est par centaines de milliers que nous participons à ces rassemblements organisés par les syndicats. Combien y vont sans fatalisme ? Combien ne rentrent pas chez eux frustrés ? Les expériences passées ont amplement montré que ces journées d’action à répétition ne sont rien d’autre que de stériles promenades. Si nous ne réagissons pas, si nous ne prenons pas la parole pour décider ensemble de comment faire pour mener et développer notre lutte, l’ensemble des attaques contre nos conditions de vie - dont celle sur les retraites - nous seront imposées, et d’autres suivront. C’est pour cela que nous invitons à venir débattre pour briser l’atomisation à laquelle nous sommes contraints. Que se passe t-il lorsque ceux, forcés au silence et à l’isolement, s’assemblent et se mettent à parler ? Faut-il encore attendre le « bon contexte » ou une permission pour cela ? Retrouvons-nous le lundi 11 octobre à 13h sur les marches extérieures de l’Arche pour débattre, ensemble et maintenant, des façons de mener et de développer une réponse. Enrayons la dispersion ! Profitons de ce moment pour créer un réel lieu de discussion fraternel, ouvert à tous !."
4 Lire notamment le tract "ADRESSE A TOUS LES TRAVAILLEURS" signé "Des travailleurs et précaires de l’AG interpro de la Gare de l’Est". Ce tract affirme par exemple : "Laisser les Chérèque (CFDT), Thibault (CGT) et Cie décider à notre place, c’est se préparer à de nouvelles défaites" et "La forme que le mouvement prendra est notre affaire. C’est à nous tous de le construire sur nos lieux de travail avec des comités de grève, dans nos quartiers au travers d’Assemblées Générales souveraines. Ils doivent réunir le plus largement possible la population travailleuse, coordonnés à l’échelon nationale avec des délégués élus et révocable. C’est à nous de décider des moyens d’actions, des revendications… Et à personne d’autre."
Nos lecteurs réguliers et ceux qui connaissent nos positions seront certainement surpris de ce titre "Comment lutter ? Par une Résistance Populaire autonome". "Résistance populaire" ne fait en effet pas partie du vocabulaire utilisé par le CCI .
Mais au-delà de ces différences de terminologie, le texte publié ci-dessous, réalisé par la CNT AIT Toulouse (cntaittoulouse.lautre.net), défend clairement la prise en mains de la lutte par les ouvriers eux-mêmes et son développement massif à travers des AG souveraines ouvertes à tous, des assemblées de rue, des comités de grèves ou de lutte. Nous le soutenons donc pleinement.
Qui n’a pas constaté l’inefficacité des actions des syndicats- réformistes ? Depuis vingt ou trente ans, combien de « Journées nationales » ? Combien de promenades syndicales en centre ville ? Et pour quel résultat ? Pour des reculs qui succèdent aux reculs ! Si les syndicats-réformistes, année après année, nous envoient droit dans le mur, ce n’est pas un hasard ; c’est qu’en vérité ils ont une mission bien précise à remplir : « le maintien de la paix sociale ».
La raison en est simple : ils sont inféodés au Pouvoir, leurs staffs en sont même un rouage : comités d’entreprise, conseils d’administration, cogestion de l’assurance maladie, des caisses de retraites, des prud’hommes, de diverses mutuelles, fortes subventions directes reçues aux titres les plus divers (formation syndicale, congrès...) sans oublier l’argent de la corruption (celui des caisses noires de l’UIMM par exemple) etc.
Parallèlement, ils entretiennent l’illusion qu’ils nous défendent. Surtout ils ont la prétention de représenter l’ensemble des salariés, des chômeurs, de parler en leur nom, en notre nom à tous... alors qu’ils ne syndiquent plus aujourd’hui qu’un pourcentage ridicule de salariés. Une majorité écrasante se trouve en dehors de ces organisations. C’est la même chose pour les partis politiques. Toutes ces organisations nous abasourdissent d’innombrables doléances, de compassion sur la misère humaine et d’appels fictifs à l’unité. Elles jouent la bonhomie en façade mais transforment les luttes en champ clos de leurs rivalités. Leurs militants ne sont là que pour récupérer les luttes, les stériliser ou les détruire quand ils ne parviennent pas à les contrôler. Une fois le constat établi, la conclusion s’impose : il est nécessaire d’agir indépendamment d’elles !
Pour établir une convergence massive et efficace des luttes, dotons-nous d’outils de lutte mis en pratique à maintes reprises au cours de l’Histoire du mouvement ouvrier. Créons des comités d’action reposant sur ces principes : Les décisions se prennent en assemblées générales sous la forme de comités (comités d’usine, d’étudiants, de quartier, d’usagers...). Ces comités doivent pratiquer la démocratie directe : chacun d’entre nous (qu’il soit syndiqué de base ou non-syndiqué) est en mesure de donner son avis sur la conduite de la lutte, qui n’est certainement pas le monopole de qui que ce soit (fonctionnaires syndicaux ou autres professionnels, etc.). Contrairement à tous ces bureaucrates, nous pensons que ces assemblées doivent être un moment où nous devons nous laisser le temps de débattre pour arriver à prendre des décisions, décisions qui doivent être l’expression propre et consciente des personnes en lutte et non des décisions imposées par cette minorité rodée à la manipulation qui sait user de méthodes éprouvées (jouer sur les émotions, empêcher toute réelle discussion par une série de propositions et contre propositions dérisoires, monopoliser la parole, faire un empilement de revendications corporatistes, etc). Nous ne l’emporterons pas boîte par boîte, quartier par quartier, etc. Le Pouvoir sait donner à l’un pour reprendre à l’autre et ainsi user de la division. Ce que le Pouvoir concède en hausse salariale est repris aux consommateurs par l’inflation. Ce qu’il octroie aux travailleurs, il le récupère sur les usagers. D’autre part, n’oublions pas que les patrons compensent la hausse salariale en intensifiant la productivité (augmentation de la charge de travail pour rester compétitif).
Pour nous, il est clair que le cadre revendicatif doit se penser en fonction de la période actuelle : l’attaque est globale, la résistance doit l’être aussi. Sans nier les aspects catégoriels, les revendications doivent être unifiantes pour éviter la mise en opposition entre les salariés, les consommateurs, voire les usagers. Cela implique de défendre comme revendication essentielle la satisfaction des besoins fondamentaux pour tous (nourriture, logement, électricité, santé, culture, transports, etc...).
Pour que notre lutte soit victorieuse, employons des moyens efficaces, toujours adaptés à l’état du rapport de force. Nous avons par exemple à notre disposition : les barrages filtrants, les piquets volants sur les axes routiers, aux abords des grandes entreprises, des zones industrielles ; dans les quartiers populaires, aux entrées des grandes surfaces... Pour sensibiliser partout où c’est possible le plus grand nombre d’entre nous, organisons des cortèges tintamarres un peu partout et déployons des banderoles sur des lieux visibles, multiplions les interventions publiques, les tables de presse ; tout ce qui peut à court et moyen terme favoriser l’agitation et permettre la multiplication des comités d’action et des assemblées populaires autonomes, qui peuvent se lier en fonction des zones géographiques : quartiers, villes, villages... Attirons l’attention par des rassemblements visant les lieux stratégiques : Pôle Emploi, CAF, DDTE, palais de Justice, mairies, locaux de partis politiques, siège des médias, quartier résidentiel des élus... Ainsi, d’une part, nous occuperons le territoire pour favoriser la mobilisation de la population et amplifier la lutte, au-delà de tous les corporatismes qui divisent ; et d’autre part, nous maintiendrons la pression. Il faut chercher en effet à accentuer le rapport de force à notre avantage, ce qui doit s’inscrire dans la durée, en veillant toujours à ne pas épuiser notre énergie. Il faut affaiblir le plus possible l’ennemi. Bien sûr, d’autres moyens existent et ils seront à étudier le moment venu. A ce propos, l’Histoire du mouvement ouvrier est riche à plus d’un titre.
La crise du capitalisme va servir sans nul doute de prétexte à l’État pour accentuer son oppression envers nous. Face à la logique du Pouvoir, il est temps de s’insoumettre et de s’opposer à ses nombreuses violences et attaques. Nous ne nous apitoyons pas sur notre sort individuel mais luttons collectivement par l’action directe qui « est la lutte de classes vécue au jour le jour, c’est l’assaut permanent contre le capitalisme. » (Emile Pouget). La « Résistance Populaire Autonome » en est la concrétisation sur le plan pratique car elle n’est rien d’autre que le mouvement de masse qui rend coup pour coup à l’ennemi.
CNT AIT Toulouse
Les assemblées générales (AG) constituent le poumon de la lutte. C'est là que les ouvriers (travailleurs du privé et du public, chômeurs, retraités, étudiants précaires, lycéens-enfants de familles ouvrières…) peuvent véritablement s'approprier LEURS luttes, décider collectivement. C'est le véritable lieu de la démocratie ouvrière.
En étant non catégorielle et non corporatiste, en étant ouverte à tous les autres exploités, l'AG permet de solidariser les différents secteurs de notre classe, elle est le lieu où peut se construire la vie de la lutte et sa massification.
C'est pourquoi les syndicats concentrent tous leurs efforts pour… les saboter ! Le texte ci-dessous, réalisé par la CNT AIT du Gers (sia32.lautre.net), explique succinctement ce que doit être une AG réellement autonome et aux mains des grévistes et détaille les différents pièges classiques qui la guète.
On appellera assemblée générale la réunion ponctuelle, démocratique et décisionnelle de travailleurs, groupés hic et nunc selon un critère, qui peut être varié (appartenance à un syndicat, à une confédération, à un mouvement social). À aucun moment ces travailleurs ne peuvent être des délégués : le principe de l'AG est le vote par tête.
Il existe plusieurs types d'AG :
L'assemblée générale syndicale
L'assemblée générale intersyndicale
L'assemblée générale des travailleurs en grève
Par ailleurs, elle peut être professionnelle, ou interprofessionnelle.
L'AG est démocratique, et garantit donc un tour de parole, équitablement réparti dans le temps et les thèmes de discussion. Ce tour de parole est garanti par un mandat, celui du modérateur.
Cette parole doit aussi être cohérente avec un ordre du jour, fixé au début de la réunion; et qui ne comprend pas de points divers décisionnels.
L'AG est décisionnelle, et ces prises de décision s'opèrent par un vote à main levée, sans qu'il y ait retour sur décision, conformément à l'ordre du jour.
L'AG est pérenne, donne lieu à compte-rendu, effectué par un secrétaire désigné en début de séance, qui a charge de noter et diffuser les débats et décisions de l'AG. Elle prévoit la date et le lieu de la prochaine AG.
Monopolisation du débat : l'AG n'est pas démocratique. Le cas classique est le délégué syndical qui s'attribue d'autorité le rôle de modérateur, participe aux débats en répondant ou donnant systématiquement son avis. Une variante est un participant dans la salle qui monopolise la parole ou intervient trop souvent.
Manipulation du débat : l'ordre du jour n'est pas respecté. Lorsque le débat s'oriente précisément vers une action directe, ou un mouvement de grève reconductible, l'ordre du jour est violé et mélangé, afin de brouiller la clarté des débats, et de faire perdre le fil conducteur d'une AG, qui est de répondre à la question "Que faire, et comment?"
Non-démocratie de l'AG : le vote n'est pas respecté. Violant l'ordre du jour, on représente au vote plusieurs fois une décision déjà prise, jusqu'à épuisement des suffragants. Souvent, la manipulation intervient en fin de réunion, pour détruire sa cohérence et son offensivité.
Neutralisation de l'AG : l'AG, aussi riche soit-elle, n'a pas de suite. Souvent, l'AG de travailleurs grévistes est organisée pour faire chambre d'écho à la colère des travailleurs, et neutraliser leur révolte en transformant leur volonté d'action directe par un temps de parole stérile.
Soyons vigilants ! En AG, nous avons tous les outils en main pour savoir si elle est monopolisée, manipulée, neutralisée. Dans tous les cas, dénonçons les manquements aux conditions précédentes, car ils ont inévitablement pour but de bafouer notre présence, notre propos ou notre décision, bref, notre raison de faire grève!
"L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes"
SIA 32 (Membre de la CNT AIT).
Nous publions ci-dessous le court témoignage d’un camarade du sud de la France qui a assisté à une interpellation policière musclée d’un jeune lors de la manifestation du 12 octobre et, surtout, à la réaction spontanée et solidaire de manifestants qui se sont interposés à cette interpellation violente.
Manif 12 octobre 2010, à Toulouse. Vers le milieu de la manifestation, boulevard d’Arcole, à l’angle d’une ruelle menant vers Saint-Sernin. Une jeune fille est en train de tagger un slogan sur le mur, au passage de la manif. Un jeune homme s’approche d’elle, peut-être pour l’aider.
A ce moment-là, comme des éclairs sortant du cortège, 4 ou 5 jeunes individus, du genre petits malfrats, coiffure gominée et mal rasés, qui se précipitent sur le jeune homme et le mettent à terre en le frappant.
L’un essaie de lui tordre les bras, l’autre lui tient les jambes, un troisième lui tient la tête collée au sol avec le genou. Un autre donne l’impression de téléphoner. La jeune fille appelle au secours. Après un instant de flottement, des personnes sortent du cortège de la manif pour leur venir en aide. Cette réaction immédiate n’a été guidée que par le choc provoqué par une telle violence brutale.
Une soixantaine de personnes est sortie de la manif, en criant : « Arrêtez !», « Laissez-le ! » et ont entouré le groupe. Tous les présents ont vite compris que les individus en question appartenaient à la police, ne serait-ce qu'en voyant les menottes qu’ils essayent de mettre au gars par terre et, surtout au moment où l’un de ces individus, debout, a brandi sa plaque, menaçant,.
La soixantaine de personnes ont entouré le groupe de ceux qui paraissaient être des policiers, mais qui, abstraction faite de la carte et des menottes, auraient pu être des provocateurs.
Les gens ont exigé que le jeune qui était par terre soit libéré. « D’accord, ils ont fait un graffiti, c’est des choses des jeunes, mais ce n’est pas si grave ». Des gens disaient des vrais-faux policiers : « Vous êtes des provocateurs », « Ce sont des flics de la BAC », « Oui, mais des provocateurs ». « Laissez-le partir ». Refus de la part de ceux qui se sont donc identifiés (un seul) comme appartenant à la police.
Le ton monte. Les gens n’acceptent pas que ce soit la victime d’une agression violente et menée à plusieurs qui soit embarquée. Les policiers veulent menotter et amener le jeune homme à terre. Les gens les en empêchent. Les policiers essayent même de le trainer par terre vers la ruelle qui va vers Saint-Sernin. Deux d'entre eux qui sont debout sortent une espèce de matraque fine, menacent tout le monde et frappent. Le ton monte encore d’un cran, les cris, les accrochages se multiplient. Il est clair, maintenant, qu’on ne laissera pas ces individus amener le jeune homme. Face à la fermeté de la foule, les policiers déguisés en provocateurs sont obligés de se replier vers la direction de Saint-Sernin sans amener personne.
Cet événement soudain et rapide en marge de la manifestation contre la loi sur les retraites a montré le sens de la solidarité des personnes qui luttent contre les conséquences d’un monde régi par des lois de plus en plus inhumaines et qui n’ont pas pu supporter que des jeunes gens soient traités de la sorte par les suppôts déguisés de cette inhumanité, parce qu’ils étaient en train d’écrire un graffiti sur un mur.
12 octobre 2010
[Aux dernières nouvelles, la police s’est présentée tôt le matin du 13 octobre pour mettre la main sur ces jeunes dans un squat. Ils seraient accusés d’appel à rébellion ou quelque chose de ce genre…]
Lyon, mardi 19 octobre, nouvelle manifestation contre la réforme des retraites. Ce sont plus de 45 000 personnes qui sont présentes, dont des milliers de lycéens. Ceux-ci se regroupent dès le matin devant les lycées pour rejoindre en cortège la manif unitaire. Les flics omniprésents interviennent dès le début à divers endroits du centre ville contre les « débordements » qu'ils ont largement aidé à provoquer de par leur présence agressive.
Sur la place Bellecour, en plein cœur de Lyon, alors qu'une grosse partie de la manifestation est arrivée et arrive encore, les forces de l'ordre sont de plus en plus présentes. Quelques dizaines de jeunes leurs font ostensiblement face. Elles réagissent immédiatement et violemment, au milieu des milliers de manifestants : tirs de gaz lacrymogènes systématiques, charges flash-balls à la main ! Toutes les forces répressives sont mobilisées : flics en civil, éléments du GIPN… Ils utilisent des marqueurs orange pour marquer les manifestants. Des hélicoptères policiers survolent la place pour prendre des photos, signaler et orienter les flics au sol. Des navettes fluviales sont aussi postées sur le Rhône. Bref, tous les efforts sont déployés pour mater brutalement la jeunesse et, du même coup, saboter la fin de la manifestation !
Les affrontements vont durer jusque dans la soirée et pas seulement avec les jeunes : de nombreux manifestants répondent eux-mêmes à cette provocation policière et empêchent de manière physique des interpellations plus que musclées.
La question se pose immédiatement : pourquoi un tel niveau de répression, une telle disproportion de moyens policiers face à une situation somme toute assez classique ? A qui profite le crime?
A l'évidence, le pouvoir n'a pas "pété un câble" ! Avec le déchaînement de cette violence provoquée délibérément, il veut faire passer un message clair :
Faire peur à nombre de jeunes qui voudraient s'impliquer dans la lutte mais ne veulent pas subir une telle répression.
Faire peur à leurs parents, manifestants ou non, les dissuader de participer à de prochaines manifestations face à un tel niveau de répression policière.
Provoquer les lycéens et étudiants déjà en lutte et cristalliser leur mécontentement sur le seul terrain de la répression et de l'affrontement physique. Et ainsi tenter de faire oublier toutes les leçons de la lutte contre le CPE en 2006 où, justement, les jeunes avaient refusé de répondre à la provocation policière.
Dénaturer tout le questionnement en cours dans ce mouvement social contre la réforme des retraites et cristalliser sur l' « irresponsabilité » du seul Sarkozy en essayant de faire oublier le fond de notre colère face à la crise que nous impose le capitalisme.
Mais un tel déferlement de violence aboutit surtout à empêcher des centaines d'ouvriers et manifestants qui restent présents toujours plus nombreux Place Bellecour, à la fin des manifs, pour se retrouver, débattre, envisager la suite de la lutte et se demander collectivement comment lutter.
Jusqu'à ce jour, ce sont les multiples sonos syndicales hurlantes qui contribuaient à empêcher que se tiennent de véritables débats collectifs ou de véritables AG massives que l'ensemble des syndicats ont ouvertement refusé depuis le début du mouvement. Ce sont aujourd'hui des dizaines d'interpellations, de blessés chez les jeunes.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : cette répression, cette violence de l'Etat est directement adressée à l'ensemble de la classe ouvrière ! L'ORDRE DOIT REGNER ! Voilà le message de l'Etat !
- Nous devons y répondre mais pas sur le terrain de cette confrontation que nous imposent les flics :
- Nous devons d'abord affirmer notre solidarité entière aux lycéens ou étudiants réprimés et tabassés !
- Nous devons ensuite réfléchir au pourquoi de cette violence et en discuter directement dans toutes les AG qui se tiennent, à Lyon comme ailleurs!
Un témoin direct de ces évènements à Lyon, le 20 octobre.
Le 17 février 2010, le secrétaire à la Défense Robert Gates a approuvé, dans une note adressée au chef du Commandement Central David Petraeus, le nouveau positionnement de la mission américaine en Irak. Il a souligné que « l'Opération Iraqi Freedom », le nom militaire américain pour l'invasion de 2003 et l'occupation de ce pays pendant sept ans, « a pris fin et nos forces opèrent dans le cadre d'une nouvelle mission. » Six mois plus tard, le 19 août, les dernières brigades américaines de 'combat' avaient franchi la frontière irakienne pour entrer au Koweït, et douze jours après, c'est à dire plus de sept ans après que le président Bush ait fait une annonce similaire, le président Obama annonçait « la fin de notre mission de combat en Irak ».
Lors de la guerre du Golfe en 1991, la principale préoccupation de la bourgeoisie américaine était de renforcer son contrôle sur un bloc impérialiste dont les membres de second plan avaient perdu leur raison d'adhérer à la seigneurie américaine, après l'effondrement du bloc de l'Est et la diminution de la menace posée par la Russie. Avant cela, il lui était très facile d'impliquer, non seulement les pays de l'OTAN dans l'intervention militaire, mais aussi même l'URSS en train de s'effondrer, par le biais des sanctions de l'ONU. La décennie suivante a vu le renforcement de la tendance au «chacun pour soi» au niveau des tensions impérialistes, avec des puissances de deuxième et de troisième catégorie de plus en plus enhardis à défendre leurs propres intérêts (l'ex-Yougoslavie, le Moyen-Orient, l'Afrique). L'objectif des États-Unis en 1991 était donc d'établir un contrôle militaire de zones d'une importante stratégique en Asie et au Moyen-Orient qui pourraient être utilisées pour exercer une pression sur ses concurrents, petits et grands.
Les attentats du 11 septembre ont été l'occasion de lancer la 'guerre contre le terrorisme' et de justifier la première incursion en Afghanistan en 2001, mais l'élan n'a pas duré longtemps. En 2003, les Etats-Unis ont été incapables de mobiliser leur ancienne coalition pour la seconde mobilisation en Irak. La France et l'Allemagne, en particulier, bien que ne pouvant créer leur propre bloc impérialiste, se sont montrées réticentes pour suivre les Etats-Unis, voyant la 'guerre contre le terrorisme' précisément pour ce qu'elle était : une tentative des Etats-Unis de renforcer leur position en tant que superpuissance mondiale.
En 2007, il y a eu un changement notable dans la stratégie américaine en Irak, face à plusieurs difficultés. La première a été une contre-insurrection sanglante qui a finalement vu la mort de 4400 soldats américains, 36 000 blessés et plus de 100 000 civils irakiens (bien que certaines estimations avancent le chiffre de plus d’un demi-million, bien au-dessus des 'dizaines de milliers' mentionnés dans les principaux médias). La guerre en Irak devenait un véritable bourbier et le plus grand des désastres sur le plan des relations publiques, compte tenu de la non-existence «d'armes de destruction massive» utilisées pour justifier l'invasion. Le fantôme du Vietnam hantait les couloirs de Washington. Il y avait aussi le coût croissant de la guerre : même Obama admet qu'il a coûté plus d’un billion de dollars1, et qu'il a massivement contribué au déficit budgétaire et nui à la capacité de l'économie américaine de faire face à la crise économique. Le réveil des talibans en Afghanistan, expulsés par les forces américaines en 2001 mais non vaincus, et l'extension des attaques terroristes en Europe et en Asie soutenues par des éléments basés dans des régions frontalières d'Afghanistan et du Pakistan a été un autre souci.
Lorsque Kerry, qui s'était focalisé sur le ré-assemblage du vieux bloc impérialiste, s'est montré inéligible, l'Amérique a affirmé sa suprématie sur la région. La bourgeoisie a adopté cette stratégie, et le débat a commencé à se centrer sur le nombre de soldats nécessaires à un tel objectif. Rumsfeld se cramponnait à son projet d'une militarisation plus dégraissée, plus automatisée. Les démocrates, alliés avec certains éléments de la droite pour soutenir le 'pic', un déploiement temporaire de troupes supplémentaires en Irak pour maintenir l'ordre, défendre la jeune 'démocratie' et assurer le transfert des responsabilités militaires aux forces irakiennes. Ce fut la politique de Bush dans ses dernières années, et c'est maintenant celle d'Obama en Afghanistan.
La stratégie globale adoptée par la bourgeoisie américaine est demeurée essentiellement la même. Alors que l'administration Obama pourrait mettre davantage l'accent sur la diplomatie, il y a surtout une continuité de l'administration précédente. Comme l'a dit Obama dans son discours du 31 août, «... l'un des enseignements de nos efforts en Irak est que l'influence américaine dans le monde entier n'est pas fonction de la seule force militaire. Nous devons utiliser tous les éléments de notre puissance, y compris notre diplomatie, notre force économique, et le pouvoir de l'exemple de l'Amérique, pour garantir nos intérêts et soutenir nos alliés... Les Etats-Unis d'Amérique ont l'intention de maintenir et de renforcer notre leadership dans ce jeune siècle ... »
Est-ce que le retrait des forces américaines d'Irak signifie que le monde est maintenant un endroit plus sûr ? Loin de là ! Secrétaire à la Défense, Bob Gates, a été encore plus explicite qu'Obama : « Même avec la fin officielle de la mission de combat, l'armée américaine continuera à soutenir l'armée et la police irakiennes, à aider à développer la marine et la force aérienne de l'Irak, et à l'aider dans ses opérations de lutte contre le terrorisme. »
L''administration affirme publiquement qu'elle est largement satisfaite de l'état du gouvernement et de la société civile en Irak. Toutefois, l'Irak détient aujourd'hui le record pour le nombre de fois où un Etat-nation moderne ne réussit pas à avoir un gouvernement efficace. Bien que l'Irak semble suffisamment fort pour que les Etats-Unis l'occupent moins, ces derniers doivent encore renforcer l'Etat irakien en formant plus de militaires et de police. Les Etats-Unis laissent en Irak une armée de cinquante mille soldats 'non combattants', pour au moins un an. Ces forces lui permettront une domination sans rivaux sur le gouvernement irakien : aucune autre puissance n'a une telle force si près des centres du pouvoir irakien et si nécessaire pour que ce dernier continue d'exister. Il y a des similitudes avec l'approche américaine en Corée du Sud après la Seconde Guerre mondiale, où 40 000 soldats étaient stationnés pour maintenir une présence dans la région. Le fait d'avoir des bases militaires dans l'Irak moderne, même à une échelle beaucoup plus réduite, assurera aux États-Unis une certaine pression sur l'Iran et sur d'autres puissances régionales.
Il faut faire attention à ne pas avoir une vision trop superficielle de l'ascendance de l'administration. En réalité, il est fort possible que l'Irak se désintègre lorsque les États-Unis partiront, avec toutes les différentes parties qui contribueront à l'éclatement du pays, notamment les nationalistes kurdes, ou, tout simplement, qu'il se désintégrera dans la guerre civile. De même, la situation en Afghanistan est absolument catastrophique et montre tous les signes qu'elle va empirer, avec la désintégration du Pakistan et de la propagation de la guerre là-bas aussi.
Malgré ses déboires, la bourgeoisie américaine a au moins intégré le fait qu'elle existe dans un monde de tous contre tous, et elle a tiré des leçons précieuses sur la façon de faire la guerre et de mener une occupation aujourd'hui. Le retrait des troupes d'Irak ne signifie pas la fin de la guerre. D'une part, les troupes américaines auront une présence permanente dans le pays, et les Etats-Unis, la Turquie, Israël, la Russie, l'Iran, et l'Allemagne vont continuer à jouer leurs jeux d'influence impérialiste dans la région tout comme avant. D'autre part, les Etats-Unis seront désormais plus en mesure de concentrer leurs efforts sur l'Afghanistan, et ils auront libéré une certaine capacité pour intervenir ailleurs dans le monde. La fin de la guerre en Irak, entre les mains de l'impérialisme, est véritablement la continuation d'une guerre qui fait déjà rage, et le commencement de la guerre ailleurs. La conséquence logique de l'impérialisme, c'est la destruction de l'humanité. Face à cela, le défenseur de l'humanité, c'est le prolétariat, le porteur du communisme.
RW (10 novembre)
1 Soit mille milliards de dollars !
La première partie [95] de cette chronologie détaillait les événements qui se sont déroulés entre le 23 mars et le 19 octobre. Elle s'achevait provisoirement par ces quelques phrases :
"Le mouvement se développe comme une lame de fond depuis 7 mois. La colère est immense. Les revendications contre la réforme des retraites tendent à passer au second plan : les médias reconnaissent que le mouvement se "politisent". C'est toute la misère, la précarité, l'exploitation, etc. qui sont ouvertement rejetées. La solidarité entre les différents secteurs, aussi, s'accroît. Mais, pour l'instant, la classe ouvrière ne parvient pas à prendre réellement en mains SES luttes. Elle le souhaite de plus en plus, elle s'y essaye de-ci de-là par des tentatives minoritaires, elle se méfie de façon croissante de l'intersyndicale, mais elle ne parvient pas encore réellement à s'organiser collectivement à travers des Assemblées Générales autonomes et souveraines, et donc en dehors des syndicats. C'est pourtant de telles AG qui avaient constituées le cœur du mouvement contre le CPE en 2006 et qui lui avaient donné sa force. La classe ouvrière semble encore manqué de confiance en elle. Le déroulement à venir de la lutte va nous dire si elle va parvenir à dépasser cette difficulté cette fois-ci. Ce sera sinon pour la prochaine fois ! Le présent est riche de promesses pour l'avenir des luttes."
Alors, comment à finalement évolué le mouvement ?
La question du blocage des raffineries occupe, à partir de la mi-octobre, tous les esprits.
Les médias et les politiques braquent leurs projecteurs sur la pénurie d'essence, sur la "galère des automobilistes" et le bras de fer entre les bloqueurs et les forces de l'ordre. Dans toutes les AG (syndicales ou non), les débats ne tournent plus que presque exclusivement autour de "comment aider les travailleurs des raffineries ?", "comment exprimer notre solidarité ?", "que pouvons-nous bloquer à notre tour ?"… Et dans les faits, quelques dizaines de travailleurs de tous secteurs, de chômeurs, de précaires, de retraités se rendent effectivement chaque jour devant les portes des 12 raffineries paralysées, pour "faire nombre" face aux CRS, apporter des paniers-repas aux grévistes, un peu d'argent et de chaleur morale.
Cet élan de solidarité est un élément important, il révèle une nouvelle fois la nature profonde de la classe ouvrière.
Néanmoins, malgré la détermination et les bonnes intentions des grévistes et de leurs soutiens, de façon plus générale, ces blocages participent non au développement du mouvement de lutte mais à sa décrue. Pourquoi ?
Ces blocages ont été initiés et sont contrôlés entièrement, de bout en bout, par la CGT (principal syndicat français). Il n'y a pratiquement aucune AG permettant aux travailleurs des raffineries de discuter collectivement. Et quand une assemblée a tout de même lieu, elle n'est pas ouverte aux autres travailleurs ; ces "étrangers" venus participer aux piquets ne sont pas invités à venir discuter et encore moins participer aux décisions. L'entrée leur est même interdite ! La CGT veut bien de la solidarité… platonique… point barre ! En fait, sous couvert d'une action "forte et radicale", la CGT organise l'isolement des travailleurs très combatifs de ce secteur de la raffinerie.
Les piquets restent d'ailleurs "fixes" et non pas "volants" : il serait pourtant bien plus efficace pour entraîner un maximum de travailleurs dans la lutte d'organiser des "piquets volants", allant d'entreprises en entreprises, pour créer des débats, des AG spontanées… C'est exactement ce genre d'extension dont les syndicats ne veulent pas !
A la veille des vacances de la Toussaint, les principaux syndicats lycéens et étudiants (l’UNL, la Fidl et l’Unef), appellent à manifester. Il faut dire que la colère de la jeunesse est de plus en plus forte. Et ils sont effectivement plusieurs milliers à descendre dans la rue ce jour-là.
Le texte de loi sur les retraites franchit toutes les étapes de la "démocratie", du sénat à l'assemblée.
Nouvelle journée de mobilisation appelée par l'intersyndicale. 1,2 millions de participants, prêt de trois fois moins que la manifestation précédente du 19 octobre. La décrue est brutale et la résignation commence à regagner du terrain.
De plus, cette journée d'action se déroule en plein milieu des vacances scolaires. Les lycéens qui avaient commencé à se joindre au mouvement (et qui ont été partout violemment réprimés1) sont donc très largement absents.
Jusqu'à lors, les syndicats avaient tout fait pour, soit réduire le nombre des AG, soit les fermer aux autres secteurs. Mais maintenant que le mouvement commence son reflux, ils tentent d'organiser des "rencontres nationales" des différentes Interprofessionnelles de l'hexagone. L'appel de ces "Syndicalistes unitaires" ose même affirmer :
"La lutte contre la réforme des retraites arrive à un moment décisif. Alors que le gouvernement et les médias nous annoncent la fin de la mobilisation, des actions de blocage et de solidarité sont menées dans tout le pays, dans un cadre interprofessionnel, souvent organisées à partir d’Assemblées Générales interpros. Cependant, au-delà de cette structuration au niveau local, il n’y a pas ou très peu de communication entre les AG Interprofessionnelles, de façon à se coordonner à une échelle plus large. Or, si nous voulons donner un coup d’arrêt à la politique gouvernementale, il faudra se structurer davantage et coordonner nos actions. Il s’agit pour les travailleurs, chômeurs, jeunes et retraités mobilisés de se doter d’un outil pour organiser leur propre lutte au-delà de l’échelle locale. C’est pourquoi l’Assemblée générale de Tours, réunie le 28 octobre 2010, se propose d’organiser et d’accueillir une rencontre interprofessionnelle de mandatés des Assemblées Générales qui se tiennent dans tout le pays."2
Il s'agit là d'une mascarade. Ceux-là même qui n'ont eu de cesse de nous diviser, appellent maintenant, après la bataille, à "structurer davantage et coordonner nos actions". Eux qui nous ont dépossédé intentionnellement de NOTRE lutte, appellent maintenant les travailleurs, après la bataille, à "organiser leur propre lutte". Des participants d'interpro non-syndicales (telle que celle de la Gare de l'Est – Paris) et des militants du CCI se sont rendus à cette "rencontre nationale". Tous soulignent la manipulation syndicale, le verrouillage des débats et l'impossibilité de mettre en question le bilan de l'action de l'intersyndicale. Le NPA et Alternative Libertaire (deux groupes gauchistes, l'un 'trotskiste', l'autre 'anarchiste'), semblent très actifs au sein de cette coordination nationale.
Nouvelle journée de mobilisation : 1,2 million de manifestants battent une nouvelle fois le pavé. Cela fait maintenant huit mois que ce type de manifestations se succèdent les unes aux autres. Pourtant, plus personne ne croit plus à la possibilité d'un quelconque retrait, même partiel, de l'attaque. Preuve en est de la profondeur de la colère ! Les travailleurs ne luttent pas contre cette attaque mais pour exprimer leur raz le bol généralisé face à leur paupérisation.
La loi est votée et promulguée. L'intersyndicale appelle immédiatement à une nouvelle mobilisation le… 23 novembre ! Et encore, pour être bien sûre d'enterrer définitivement ce mouvement, l'intersyndicale propose une journée d' "actions multiformes". Concrètement, aucune consigne nationale n'est donnée. Chaque département, chaque section syndicale, chaque secteur fait le «type d'actions » qu'il lui plaît.
Quelques milliers de personnes seulement manifestent. A Paris, les syndicats orchestrent une "action symbolique" : faire le tour plusieurs fois du Palais Brongniard, siège de la Bourse avec le slogan « Encerclons le Capital ». Le but est atteint : c'est un fiasco décourageant. Cette journée est même rebaptisée "la manifestation pour rien". Dans ces conditions, la présence de 10 000 manifestants à Toulouse dénote que la colère gronde toujours. Ce qui est prometteur pour l'avenir et les luttes futures. La classe ouvrière ne sort pas abattue, rincée, épuisée de ce long mouvement. Au contraire, l'état d'esprit dominant semble être "on va voir ce qu'on va voir la prochaine fois".
Ce mouvement contre la réforme des retraites, avec ses manifestations massives, est donc terminé. Mais le processus de réflexion, lui, ne fait que commencer.
Cette lutte est en apparence une défaite, le gouvernement n'a pas reculé. Mais en fait, il est un pas en avant supplémentaire pour notre classe. Les minorités qui ont émergé et qui ont essayé de se regrouper, de discuter en AG Interpro ou en assemblée populaire de rue, ces minorités qui ont essayé de prendre en main leurs luttes en se méfiant comme de la peste des syndicats, révèlent le questionnement qui mûrit en profondeur dans toutes les têtes ouvrières.
Cette réflexion va continuer de faire son chemin et elle portera, à terme, ses fruits.
Il ne s'agit pas là d'un appel à attendre, les bras croisés, que le fruit mûr tombe de l'arbre. Tous ceux qui ont conscience que l'avenir va être fait d'attaques ignobles du capital, d'une paupérisation croissante et de luttes nécessaires, doivent œuvrer à préparer les futurs combats. Nous devons continuer à débattre, à discuter, à tirer les leçons de ce mouvement et à les diffuser le plus largement possible. Ceux qui ont commencé à tisser des liens de confiance et de fraternité dans ce mouvement, au sein des cortèges et des AG, doivent essayer de continuer de se voir (en Cercles de discussion, Comités de lutte, Assemblées Populaires ou "lieux de parole"…) car des questions restent entières :
Quelle est la place du "blocage économique" dans la lutte de classe ?
Quelle est la différence entre la violence de l'Etat et celle des travailleurs en lutte ?
Comment faire face à la répression ?
Comment prendre en main nos luttes ? Comment nous organiser ?
Qu'est-ce qu'une AG syndicale et une AG souveraine ?
Etc., etc.,…
CCI (le 6 décembre)
Une partie de ceux qui se réunissaient au sein de l'AG "Gare de l'Est – Ile de France"3 continuent de se voir et essayent de tirer un bilan général du mouvement. Ils ont par exemple produit et distribué ainsi le texte ci-dessous :
Des travailleurs et précaires de l'AG interpro Gare de l'Est et IDF
Depuis le début septembre, nous avons été des millions à manifester et des milliers à entrer grève reconductible dans certains secteurs (raffineries, transports, éducation, lycées, facs...) ou à participer à des blocages.
Aujourd'hui, ils nous annoncent tous que la lutte est terminée. Nous aurions « gagné la bataille de l’opinion ». Tout serait joué et, résignés, on n'aurait plus qu'à attendre 2012. Comme si, maintenant, la seule issue serait les élections. Il n’est pas question d’attendre 2012, pour « l’alternance ». Aujourd’hui, ce sont les partis de gauches qui mènent les attaques, en Grèce comme en Espagne, contre les travailleurs. Il n’y a rien de bon à attendre des prochaines élections.
Nous devons nous préparer dès maintenant à faire face aux prochaines attaques et à celles qui se poursuivent comme les milliers de licenciements et les suppressions de postes L’attaque sur les retraites est l’arbre qui cache la forêt. Aussi demander le retrait ne pouvait être que l’exigence minimale. Cela n’aurait pu suffire. Depuis le début de la crise, c’est ce gouvernement au service du patronat qui mène détruit nos conditions de vie et de travail alors qu’il verse des milliards aux banques et au privé.
Pendant que des centaines de milliers de vieux travailleurs survivent avec moins de 700 euros par mois, et des centaines de milliers de jeunes vivotent avec le RSA, quand ils l’ont, faute de travail. Pour des millions d’entre nous, le problème crucial, c’est déjà de pouvoir manger, se loger et se soigner. Avec l’aggravation de la crise, ce qui guette la majorité d’entre nous, c’est la paupérisation.
Parler dans ces conditions de « pérennité des retraites » comme le fait l’intersyndicale alors que le capitalisme en pleine putréfaction remet en cause toutes nos conditions de vie et de travail, c’est nous désarmer face à la bourgeoisie.
C’est à l’échelle internationale que les capitalistes mènent les attaques contre les classes ouvrières. C’est donc les trusts financiers et industriels (BNP, AXA, Renault…) qui nous pillent et veulent nous écraser. En Grèce, il n’y a presque plus remboursement des frais médicaux. En Angleterre ce sont plus de 500.000 licenciements de fonctionnaires. En Espagne c’est la casse des contrats de travail.
Comme nous, les travailleurs de Grèce d’Espagne, d’Angleterre, du Portugal sont confrontés aux mêmes attaques et luttent pour se défendre, même si nous n’avons pas toujours pas fait reculer nos gouvernements et patronat respectifs.
Pour autant, nous sommes encore des centaines de milliers à ne pas accepter cette issue et à garder en nous une profonde colère, une révolte intacte. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi notre combativité et notre mobilisation n'ont pas pu faire plier les patrons et leur Etat ?
Il aurait fallu, dès le départ, s’appuyer sur les secteurs en grève, ne pas limiter le mouvement à la seule revendication sur les retraites alors que les licenciements, les suppressions de postes, la casse des services publics, les bas salaires continuent dans le même temps. C'est cela qui aurait pu permettre d’entrainer d’autres travailleurs dans la lutte et d’étendre le mouvement gréviste et de l’unifier.
Seule une grève de masse qui s’organise à l’échelle locale et se coordonne nationalement, au travers de comités de grève, d’assemblées générales interprofessionnelles, de comités de lutte, pour que nous décidions nous-mêmes des revendications et des moyens d’action tout en contrôlant le mouvement, peut avoir une chance de gagner.
A aucun moment, l'intersyndicale n’a tenté de mener cette politique. Bien au contraire elle appelé à deux nouvelles journée d’action le 28 octobre et 6 novembre, alors que les secteurs en grève reconductible s’essoufflaient. Limiter le mouvement de grève reconductible à quelques secteurs et aux seules retraites ne pouvait qu’entraver le mouvement gréviste. Voilà pourquoi, nous n’avons pas été en mesure de faire reculer le gouvernement.
Nous ne pouvions rien attendre d’autre de la part d’un Chérèque (CFDT) qui défendait les 42 annuités, ou encore d’un Thibault (CGT) qui n’a jamais revendiqué le retrait de la loi ? Et ce n’est certainement pas le faux radicalisme d’un Mailly (FO), serrant la main d’Aubry en manif, alors que le PS vient de voter les 42 annuités qui ouvre une autre voie. Quant à Solidaires/Sud-Rail, il ne proposait que de suivre la CGT. Aucun d’entre eux ne voulait l’organisation indépendante des travailleurs pour que nous nous défendions et passions à l’offensive.
Aussi se sont-ils mis à la tête des luttes et ont enfourché le cheval de la grève reconductible pour éviter de se faire déborder. Ils ne voulaient pas faire reculer ce gouvernement. Tout au long du mouvement l’intersyndical cherchait seulement à apparaître comme un interlocuteur responsable auprès du gouvernement et du patronat afin de « faire entendre le point de vue des organisations syndicales dans la perspective de définir un ensemble de mesures justes et efficaces pour assurer la pérennité du système de retraites par répartition. » dans le cadre « d’un large débat public et une véritable concertation en amont ».
Mais quel dialogue peut avoir l’intersyndicale avec ce gouvernement qui matraque les infirmiers anesthésistes, les lycéens, déloge les travailleurs des raffineries et expulse les Roms et les travailleurs sans papiers, si ce n’est de négocier des reculs comme en 2003, 2007 et 2009. Cela fait des années qu’ils ont fait le choix de collaborer avec le patronat et leur Etat pour gérer la crise.
Empêcher la misère généralisée dans laquelle les classes dirigeantes veulent nous plonger, dépend de notre capacité à mener une lutte de classe pour nous accaparer les richesses produites et les moyens de production afin de subvenir aux besoins de toute la population au lieux de ceux d’une petite minorité.
Nous ne devrons pas hésiter à remettre en cause la propriété privée industrielle, financière et la grande propriété foncière. Pour nous engager dans cette voie, nous ne devons avoir confiance que dans notre propre force. Et certainement pas dans les partis de la gauche (PS, PCF, PG…) qui n’ont jamais remis en cause la propriété privée et dont les homologues mènent actuellement l’offensive contre les travailleurs en Espagne et en Grèce.
Dans cette lutte, les travailleurs doivent défendre les intérêts de tous les exploités y compris les petits paysans, marins pêcheurs, petits artisans, petits commerçants, qui sont jetés dans la misère avec la crise du capitalisme. Que nous soyons salariés, chômeurs, précaires, travailleurs avec ou sans papiers, syndiqués ou non et ce cela quelque soit notre nationalité, nous sommes tous dans le même bateau.
1 Lire par exemple le témoignage [96] d'un de nos lecteurs qui a vécu de l'intérieur les charges et les coups des CRS à Lyon.
2 www.syndicalistesunitaires.org/Appel-a-une-rencontre [97]
3 Pour les contacter : [email protected] [98]
Partout aux Etats-Unis ces derniers mois, il y a eu un certain nombre de grèves importantes. Le refus de la classe ouvrière d'accepter l'austérité s'exprime dans sa volonté croissante de lutte. Bien que ces luttes soient restées largement sous le contrôle des syndicats et aient, pour la plupart, abouti à une défaite, les révolutionnaires doivent saluer ces signes de combativité croissante dans la classe et les suivre de près. Avec la crise de la dette publique et les luttes contre l'austérité en Europe, les luttes majeures en Inde, en Afrique du Sud, en Amérique latine et en Chine, les grèves récentes aux Etats-Unis font partie d'une dynamique internationale, qui a commencé autour de 2003, où la classe ouvrière renoue avec la solidarité et la confiance en soi. Cette dynamique a été interrompue par la crise financière mondiale en 2008 (malgré des luttes impressionnantes en Grèce, en Grande-Bretagne, et dans d'autres pays), mais depuis le début de l'année, la classe ouvrière retrouve le chemin de la lutte de classes, et montre qu'elle n'acceptera plus l'austérité sans combattre.
Depuis le printemps dernier, les ouvriers ont fait grève à Philadelphie, à Minneapolis, dans les Etats de l’Illinois, de Washington et de New York, à l'échelle nationale dans l'industrie aéronautique, et, au moment où nous mettons sous presse, un mouvement de grève sauvage des dockers s'étend dans les villes portuaires de la côte Est. C'est de façon significative que ces luttes ont repris un grand nombre des questions centrales des grèves d'avant 2008 : la couverture santé, les allocations, les retraites, les licenciements, et la perspective générale de l'avenir que le capitalisme a à offrir. En 2003, par exemple, le mouvement de grève des ouvriers de l'épicerie, dans le sud de la Californie, se préoccupait principalement de la création de nouveaux volets de prestations de santé et de retraite pour les nouvelles recrues, et en 2005 la grève dans les transports de la ville de New York sur l'avenir d'un régime de retraite pour les nouveaux employés a exprimé une avancée majeure dans le développement de la solidarité intergénérationnelle dans la classe ouvrière sur ces mêmes questions.
Avec le début de la crise, les ouvriers se sont d'abord trouvés quelque peu paralysés, comme des chevreuils éblouis par des phares, avec la menace très réelle de chômage et de fermeture de l'usine. La décision de faire grève et d'affronter les patrons n'a pas été prise à la légère - personne ne peut se permettre d'être mis à pied dans un pays comptant plus de 10% de chômage officiel et plus de 16% de chômage réel1 - la plupart des ouvriers se sont retirés de la lutte de classe, en exprimant parfois l'espoir que la prochaine génération pourrait regagner le terrain perdu lorsque le moment sera plus favorable à la lutte.
Un autre facteur qui a retardé la réponse de la classe ouvrière aux attaques liées à la récente crise financière a sans aucun doute été la mystification démocratique et le formidable espoir que les gens ont ressenti avec la promesse de « changement » de l'administration Obama nouvellement élue. Le soir des élections, les électeurs ravis étaient dans la rue et célébraient l'événement en frappant sur des casseroles et des poêles. Au lieu de cela, ce que nous avons vu, depuis près de deux ans de présidence Obama, ce n'est nullement une baisse réelle du chômage, mais une économie réelle qui continue à stagner malgré des injections massives de crédits de l'Etat, une « réforme » du système de santé qui commence déjà par augmenter les cotisations des soins de santé des ouvriers et le retour de l'augmentation spectaculaire du coût de la vie, tandis que les employeurs continuent de profiter de la crise pour attaquer les salaires, les retraites, les allocations et poursuivre la réduction générale des effectifs. En général, les syndicats avaient placé leurs espoirs dans le nouveau régime Obama, misant sur le passage du désormais abandonné Employee Free Choice Act (La Loi sur le Libre Choix des Employés, note du traducteur), vendant la réforme du système de santé et promettant toutes sortes d'autres réformes, de la part de la nouvelle administration, qui seraient favorables aux ouvriers. Le mécontentement actuel des ouvriers ne peut plus être totalement canalisé vers les réformes gouvernementales et le cirque électoral : les ouvriers sont de plus en plus prêts à lutter pour défendre leur avenir.
Les premiers signes d'une lutte à une échelle massive se sont fait sentir au printemps, dans le secteur de l'éducation en Californie. Lorsque, avec la faillite de l'Etat, les frais de scolarité ont augmenté de 30% et que le personnel a été confronté à de graves attaques sur les conditions de vie et de travail, les étudiants ont occupé les universités, bloqué les routes et tenté de créer des assemblées et d'obtenir le soutien des enseignants, du personnel et d'autres parties de la classe ouvrière californienne2.
Mais ce n'était qu'un début. Peu de temps après, les infirmiers à Philadelphie se sont mis en grève contre les provocations des employeurs qui supprimaient les allocations de scolarité et instauraient une « gag clause » (clause limitative des libertés et des droits, note du traducteur) contre le fait de pouvoir critiquer l'administration de leur hôpital, et se sont attirés une grande sympathie de la part d’autres ouvriers dans toute la région. Début Juin, 12 000 infirmiers de 6 hôpitaux de Minneapolis-Saint Paul se sont engagés dans un arrêt de travail d'une journée et ont voté pour l'autorisation d'une grève illimitée, ce qui aurait été la plus grande grève des infirmiers de l'histoire des Etats-Unis. Là, les infirmiers se sont principalement battus pour la restauration des niveaux de dotation en personnel et pour que les ratios spécifiques infirmier-patients soient inscrits dans leur contrat de travail, alors que les hôpitaux cherchaient à institutionnaliser les bas niveaux de dotation de postes qu'ils avaient obtenu depuis le début de la récession de 2008. Après l'autorisation de grève, comme le contrat de travail arrivait à échéance, le syndicat des infirmiers (Minnesota Nurses Association) a accepté un arbitrage non contraignant du gouvernement fédéral et une période de réflexion de 10 jours, au cours de laquelle ils ont annoncé, plus d'une semaine à l'avance, leur plan pour une grève d'une journée, le 10 juin. Malgré la réelle combativité des infirmiers et leur volonté de défendre leurs conditions de travail, le syndicat a eu les mains libres pour mener la lutte, et immédiatement après cette grève d'une journée, il a annoncé un accord de principe qui abandonnait la revendication centrale sur la question des ratios obligatoires infirmier-patients, acceptait l'offre de salaires des hôpitaux, et n'apportait aucune modification aux plans de santé et d’allocations. Les gauchistes et les syndicalistes n'ont cessé dans tout le pays de saluer ceci comme une victoire majeure de la classe, mais la propre page Facebook des infirmiers a révélé une réelle insatisfaction devant l'abandon de la revendication centrale sans réelle contrepartie.3
Un mois plus tard, plus de 15 000 ouvriers de la construction de deux syndicats différents sont entrés en lutte, dans la région de Chicago, pour une augmentation de salaire nécessaire pour couvrir les coûts des dépenses de santé, compenser le chômage endémique et la diminution des heures de travail dans l'une des industries les plus durement touchées par la récession. Pour le seul mois de juillet, l'industrie de la construction de l'Illinois a perdu 14 900 emplois.4 Pendant la grève, une déclaration du président de la section syndicale 150 de l'International Union of Operating Engineers (IUOE)5, James Sweeney, signale que les membres de cette dernière ont vu leurs heures de travail réduites de 40%, et que sur 8500 membres, 1000 dépendent des banques alimentaires et 1200 ont perdu leur couverture santé.6 Au bout de 19 jours, les ouvriers ont mis fin à la grève, acceptant l'augmentation de salaire la plus basse en 10 ans sans compensation ni de la hausse du coût de la couverture santé, ni du chômage, ni de la diminution des heures de travail. Pourtant, malgré la mainmise des syndicats, de nombreux ouvriers d'autres métiers ont respecté les piquets de grève et ont lancé un projet de grève en solidarité. Fait intéressant, le Département des Transports de l'Illinois a menacé l'association des entrepreneurs de la construction de refuser de prolonger les délais pour les projets d'Etat, et a indiqué qu'il pouvait invoquer une clause d'interdiction de se mettre en grève contre les luttes futures. De même à Chicago, début septembre, les ouvriers de l'hôtel Hyatt ont organisé une grève d'une journée (tout comme l'avait fait le syndicat des infirmiers) pour protester contre les licenciements et ont demandé des concessions dans leur contrat de travail à venir.
L'été a également vu 700 ouvriers dans le Delaware entrer en grève pour la première fois contre Delmarva Power et Conectiv Energy contre des coupes dans les pensions de retraite et la suppression de la « couverture santé de retraite » pour les nouvelles recrues, retournant travailler après un vote sans majorité claire sur le contrat de travail et des appels répétés à un recomptage des voix. Les enseignants sont entrés en grève à Danville (Illinois), pour la réintégration des personnes licenciées au cours des dernières compressions budgétaires d'urgence et contre un contrat de travail incluant un gel de salaire et l'institution de primes fondées sur la performance des étudiants, et à Bellevue (Etat de Washington), pour les salaires et contre les programmes scolaires communs. A Bellevue aussi, les ouvriers de Coca-Cola ont organisé une grève d'une semaine concernant un nouveau contrat de travail les obligeant à payer 25% de toutes les cotisations santé, par opposition à leur précédent tarif forfaitaire ; mais ils sont retournés travailler après que la société eut annulé leur assurance maladie et que le syndicat eut déposé un recours collectif, insistant sur le fait qu'il valait mieux retourner au travail. A Bellevue se trouve aussi l'une des usines Boeing en grève cet été (des usines à St. Louis dans le Missouri et à Long Beach en Californie ont également fait grève), où les ouvriers sont retournés au travail après 57 journées sans aucune modification du contrat de travail proposé par la compagnie à l'exception d'une augmentation de 1$ de l'heure pour certains parmi les plus mal payés.
La plus longue grève de cet été (et peut-être celle qui a reçu le plus de sympathie du reste de la classe) a eu lieu à l'usine de compote de pommes Mott's à Williamson (Etat de New York) où la société a décrété, bien qu’elle eût fait des profits records, que le salaire qu'elle versait à ses 300 employés était non conforme aux normes de l'industrie et a exigé des réductions de salaire de 1,50 $ de l'heure dans le nouveau contrat de travail. La grève a attiré l'attention dans le pays en raison de l’attaque particulièrement sauvage et inutile de la part de l'entreprise et après une guerre d'usure de 16 semaines, isolante et démoralisante, le syndicat a « gagné » un contrat de travail qui maintenait les niveaux de salaire et de retraite pour les seuls employés en poste, mais qui supprimait les retraites à pensions déterminées pour toutes les nouvelles embauches, réduisait les paiements correspondants à la « couverture santé de retraite » et obligeait les ouvriers à payer 20% des cotisations santé et la moitié de toute augmentation au-delà des premiers 10%. Malgré le cri de « victoire » du syndicat, même les syndicalistes pur jus se sont demandés si la grève avait vraiment été un succès.7
Plus récemment, dans les derniers jours de septembre, les dockers à Camden (New Jersey) et à Philadelphie se sont engagés dans une grève non officielle de deux jours contre Del Monte qui avait transféré 200 emplois dans un port non syndiqué à Gloucester (New Jersey), grève qui a été rejointe par des dockers, depuis le New Jersey jusqu’à Brooklyn, qui ont refusé de franchir le piquet de grève officieux. Dès le début de la grève, la New York Shipping Association a obtenu une injonction d'un juge fédéral de Newark déclarant la grève illégale et, le deuxième jour de l'action, l'ILA8 a désavoué toute association avec les grévistes, appelant les délégués syndicaux à renvoyer les piquets de grève au travail, et promettant qu'elle avait convaincu les associations de transport maritime et les patrons d'industrie de la rencontrer une semaine plus tard pour « discuter » des postes supprimés.
Bien que tous ces mouvements de grève soient restés, soit essentiellement, soit complètement, dans le carcan syndical et, en tant que tels, aient été défaits (en général accompagnés d'une déclaration de « victoire » de la part du syndicat), le retour de la classe sur le chemin de la lutte contribue au regain de la nécessaire confiance et au réapprentissage des leçons des luttes passées. Cela mettra en relief, de façon saisissante, le rôle des syndicats. Etant donné que les « victoires » qu'ils sont capables de gagner par des grèves d'une journée avec préavis, des guerres d’usure isolées, l'arbitrage du gouvernement fédéral, des recours collectifs, et le reste des règles du jeu syndicales, se révèlent être des défaites, la classe ouvrière à travers ses luttes devra réapprendre les leçons de l'auto-organisation et de l'extension que la classe dirigeante s'est tellement efforcée de lui faire l'oublier. Ces luttes sont une expression du même mouvement international de la classe ouvrière qui a amené des grèves en Grande-Bretagne, en Espagne, en Turquie et en Grèce face aux mesures d'austérité étatiques, une grève à l'échelle nationale en Inde, des grèves sauvages dans les usines d'automobiles en Chine et des mouvements de grève importants en Amérique latine. Le retour à la lutte et le rétablissement de la solidarité, la préoccupation de l'avenir et la volonté de faire grève pour le défendre sont une expression du retour de la classe ouvrière internationale à sa lutte historique et devrait partout être salué comme tel par les révolutionnaires.
JJ, 10/10/10.
(Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis, n° 156, octobre 2010/janvier 2011)
1 Voir Internationalism n° 154, “Against Mass Unemployment, The United Struggle Of The Whole Working Class”, https://en.internationalism.org/inter/154/lead [99]
2 Voir Internationalism n° 154 et 155, “Students in California Fight Back Austerity Attacks” (https://en.internationalism.org/inter/154/california-students [33]) and “Lessons of the California Students Movement” (https://en.internationalism.org/inter/155/california-students [100]).
3 Lerner, Maura. “Deal Was ‘a Win for Both Sides.” Minneapolis Star-Tribune. 2 juillet 2010.
4 Knowles, Francine. “State Loses Jobs but Gains in Manufacturing.” The Chicago Sun-Times. 20 août 2010.
5 La section syndicale 150 de l’IUOE syndique des ouvriers de la construction des Etats de l’Illinois, de l’Indiana et de l’Iowa, NDT.
6 Citation du blog du Chicago Union News.
7 Voir Elk, Mike. “Was the Mott’s ‘Victory’ Really a Victory?” Huffington Post. 14 septembre 2010.
8 L’International Longshoreman’s Association (ILA) est un syndicat de dockers de voies navigables intérieures et de la côte atlantique des Etats-Unis et du Canada, NDT.
Le 22 novembre, le journal Daily Mail a publié sur son site Web un article "analysant" la réaction des lycéens et étudiants face à l'augmentation des frais de scolarité. Ce journal "accuse" nommément notre organisation d'être l'un des acteurs principaux des actions de blocage et d'occupation.
Nos camarades vivant en Angleterre ont évidemment immédiatement réagi. Nous publions ci-dessous la traduction de l'article du Daily Mail et la réponse de Worl Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
"Des étudiants combatifs ont uni leurs forces à des communistes français pour bloquer les entrées d'établissements secondaires anglais, exhortant les élèves ayant à peine 15 ans à se mettre en grève par rapport aux frais universitaires de scolarité.
Les partisans de l'utilisation de la 'force légitime' pour tenter d'arrêter la hausse des frais ont été rejoints par des membres du Courant Communiste International (CCI) pour mobiliser des enfants encore en âge scolaire.
Les activistes veulent diffuser des tracts dans les établissements scolaires de tout le pays, lors de la dernière journée d'action, prévue pour mercredi.
Plus de 20 000 jeunes se sont inscrits pour participer à une 'grève nationale’ le mercredi. La majorité sont des élèves ou, tout au plus, des étudiants en formation continue.
Le groupe de campagne Education Activist Network a tenu une réunion de planification de la contestation, samedi, à Birkbeck College, Londres.
Celle-ci a vu la participation d'au moins un membre du CCI.
Le CCI a une longue tradition d'action directe datant de la contestation étudiante de 1968 qui a paralysé la France.
Le chef de file de l’EAN est Mark Bergfeld, 23 ans, qui a soutenu l'utilisation de la 'force légitime' pour faire tomber le gouvernement et qui a appelé à 'dresser des barricades dans les écoles'.
M. Bergfeld, qui fréquente l'Université d'Essex, a déclaré lors de la réunion de samedi: ‘Ce que vous pouvez faire, c'est, entre aujourd'hui et le 24, donner des tracts à l'extérieur des écoles pour qu'ils sachent ce que nous faisons. Ainsi, ils pourront vous rejoindre ce jour-là.’
Étaient également présents des employés de la mairie et du Service de Santé, des enseignants et des professeurs d'université."
Notre première réaction à cet article dans le Daily Mail fut celle d'une hilarité générale. La seconde pensée fut « pas de publicité est une mauvaise publicité ». Mais la troisième fut : « Qu'est-ce qu'il y a derrière cela ? »
La théorie du complot du journalisme bourgeois, qui ne peut jamais envisager un véritable mouvement de révolte qui viendrait de la base mais qui doit toujours remonter à quelque Moriarty1 diaboliquement rusé, qui tisse sa toile dans l'ombre, a une longue histoire, remontant certainement à l'époque de Marx et de la Première Internationale. La presse capitaliste avait l'habitude de critiquer l'Association Internationale des Travailleurs parce qu'elle attisait tout acte de résistance à l'ordre bourgeois, de la plus petite grève locale à la puissante Commune de Paris, en 1871. L'Internationale avait une certaine influence à cette époque, bien sûr, mais ce n'était rien comparé à la version très exagérée, évoquée par les serviteurs de la classe dirigeante.
Nous sommes un groupe minuscule. Nous participons à la lutte de classe du mieux que nos forces le permettent et, oui !, nous avons été actifs dans un certain nombre de discussions, de réunions et de manifestations qui font partie du mouvement actuel des étudiants contre les frais de scolarité et l'abolition des paiements EMA. Nous étions en effet présents à la réunion de EAN citée plus haut. Nous sommes fiers d'être une organisation internationale (ce qui est évidemment différent d'en être une uniquement française) et on peut en effet faire remonter nos origines à l'énorme vague de grèves qui a secoué la France en mai 1968.
Mais nous n'avons pas la prétention d'être les organisateurs du mouvement actuel - nous ne pensons même pas que c'est notre rôle. Il n'y a toutefois guère de raisons de polémiquer avec le Daily Mail, parce qu'il se moque de savoir si, oui ou non, ses écrivaillons croient qu'ils ont vraiment découvert la puissance secrète derrière la rébellion actuelle de la jeunesse ouvrière au Royaume-Uni.
La véritable raison de cet article et d'autres similaires est ailleurs. Et il y a bien eu un certain nombre d'articles du même genre récemment : des groupes anarchistes, comme Solidarity Federation et Anarchist Federation ont été identifiés comme les organisateurs de l'occupation et du saccage du siège du Parti Conservateur, en novembre 2010, et après l'événement lui-même, un article particulièrement pernicieux a été publié dans le Daily Telegraph qui désigne un intervenant sur le forum Internet de Libcom, en le nommant, ainsi que son père, et en insinuant, sans aucune preuve, qu'il était directement responsable des dommages causés à Millbank.
Des 'exposés' de ce type visent à discréditer les révolutionnaires et les organisations révolutionnaires, à les faire paraître aussi sinistres et peu attractives que possible, et, finalement, à créer une atmosphère où elles peuvent être directement attaquées par les forces de l'ordre. Après tout, nous préconiserions 'la force légitime' et nous serions même prêts à attirer d'innocents écoliers dans nos projets diaboliques. Et bien sûr, nous serions des étrangers, alors pourquoi devrions-nous même être tolérés ici ?
Le 'kettling' (l'encerclement, ndt) de la manifestation étudiante du 24 novembre à Londres a été une démonstration de force flagrante visant à intimider un mouvement que la bourgeoisie n'est pas encore certaine de pouvoir contenir, notamment parce qu'il n'obéit pas aux règles habituelles de l'engagement que les syndicats et la gauche doivent normalement imposer. Les insinuations contre les anarchistes et les communistes sont une autre expression du même genre de réaction de la classe dirigeante. Elles correspondent à son besoin de bloquer un processus émergent de politisation chez les jeunes, une politisation qui menace d'aller bien au-delà de la fausse opposition offerte par la gauche capitaliste.
Il n'est pas ici nécessaire d'envisager un complot : ce genre de réaction est presque aussi «spontané » pour la classe dirigeante qu'une manifestation organisée sur Facebook. Mais il y a aussi de la conscience dans cela : nos dirigeants apprennent de ce qui s'est passé avant et de ce qui se passe ailleurs. Ils ont en face d'eux les images de la Grèce et de la France, par exemple, où, dans les récents mouvements contre l'austérité, nous avons vu des minorités petites, mais bien visibles, posant des questions très politiques : l'auto-organisation et l'extension des luttes, l'avenir que la société capitaliste nous réserve. Les étudiants en Grande-Bretagne soulèvent également la question de l'avenir et la classe dirigeante préfererait éviter qu'ils soient encouragés à se concevoir comme partie d'un mouvement allant dans la direction de la révolution.
World Revolution (27 novembre 2010)
1 Moriarty est l'ennemi juré de Sherlock Holmes, grand criminel prêt à tous les complots et coups fourrés.
Toute une série de manifestations de haut en bas du pays: grèves des universitaires, dans la formation continue, étudiants des écoles supérieures et des lycées, occupations pour une longue liste d'universités, de nombreuses réunions pour discuter de la voie à suivre ... la révolte des étudiants et élèves contre la hausse des frais de scolarité et l'abolition des paiements EMA est toujours en marche. Les étudiants et ceux qui les soutiennent sont venus aux manifestations de bonne humeur, fabriquant leurs propres bannières et leurs propres slogans, certains d'entre eux rejoignant pour la première fois le mouvement de protestation, beaucoup d'entre eux trouvant de nouvelles façons d'organiser les manifestations. Les grèves, manifestations et occupations ont été tout sauf ces sages événements que les syndicats et les 'officiels' de la gauche ont habituellement pour mission d'organiser. Les débrayages spontanés, l'investissement du siège du parti conservateur à Millbank, le défi face aux barrages de police, ou leur contournement inventif, l'invasion des mairies et autres lieux publics, ne sont que quelques expressions de cette attitude ouvertement rebelle. Et le dégoût devant la condamnation des manifestants à Millbank par Porter Aaron, le président du NUS (Syndicat National des Etudiants) s'est tellement répandu qu'il a dû présenter ses plus plates excuses.
Cet élan de résistance à peine contrôlée a inquiété nos gouvernants. Un signe clair de cette inquiétude est le niveau de la répression policière utilisée contre les manifestations. Le 24 novembre à Londres, des milliers de manifestants ont été encerclés par la police quelques minutes après leur départ de Trafalgar Square, et malgré quelques tentatives réussies pour percer les lignes de police, les forces de l'ordre ont bloqué des milliers d'entre eux pendant des heures dans le froid. A un certain moment la police montée est passée directement à travers la foule. A Manchester, à Lewisham Town Hall et ailleurs, nous avons des témoignages de déploiements similaires de la force policière brutale. Après Millbank, les journaux ont tenu leur partition habituelle en affichant des photos de présumés 'casseurs', faisant courir des histoires effrayantes sur les groupes révolutionnaires qui prennent pour cible les jeunes de la nation avec leur propagande maléfique. Tout cela montre la vraie nature de la 'démocratie' sous laquelle nous vivons.
La révolte étudiante au Royaume-Uni est la meilleure réponse à l'idée que la classe ouvrière dans ce pays reste passive devant le torrent d'attaques lancées par le nouveau gouvernement (en continuité avec le précédent gouvernement) sur tous les aspects de notre niveau de vie: emplois, salaires, santé, chômage, prestations d'invalidité ainsi que l'éducation. Elle est un avertissement pour les dirigeants que toute une nouvelle génération de la classe exploitée n'accepte pas leur logique de sacrifices et d'austérité. En cela, les étudiants font écho aux luttes massives qui ont secoué la Grèce, la France et l'Italie, et qui menacent d'exploser en Irlande, au Portugal et dans de nombreux autres pays.
Mais la classe capitaliste, face à la pire crise économique de son histoire, ne se contente pas de pratiquer la politique de l'autruche devant nos exigences. S'ils font ces attaques, ce n'est pas par idéologie, mais c'est la logique matérielle même de leur système moribond qui les y oblige. Et pour les contraindre à faire même les concessions les plus temporaires, nous devons réaliser leur plus grande crainte: une classe ouvrière qui est organisée, unie et consciente de ce pourquoi elle se bat.
Ceci n'est pas une utopie. C'est déjà en train de prendre forme devant nous. La capacité d'auto-organisation peut être vue dans les initiatives des manifestants dans les rues, et l'insistance par rapport à la prise de décision collective dans les occupations et dans les réunions, dans le rejet de la manipulation par les candidats à la bureaucratie, quelle que soit leur prétention d'appartenir à la 'gauche'. La tendance à l'unification de la classe ouvrière peut être perçue quand les enseignants , les parents, les retraités, les travailleurs d'autres secteurs ou les chômeurs participent aux assemblées générales dans les bâtiments universitaires occupés ou rejoignent les manifestations d'étudiants, lorsque les étudiants vont à la rencontre des piquets de grève des travailleurs du métro. La conscience par rapport aux objectifs du mouvement peut être vue à la fois dans la formulation d'exigences claires pour aujourd'hui et dans la prise de conscience croissante que cette société ne peut pas nous offrir un avenir humain.
Mais nous devons également discuter de la façon avec laquelle nous devons poursuivre ces efforts, car ils ne sont qu'un début. A notre avis qui, nous le pensons, est basé sur l'expérience des luttes passées et présentes de la classe ouvrière, il y a des mesures concrètes qui peuvent être prises dès maintenant, même si leur forme exacte peut varier d'un endroit à l'autre :
David Cameron ne cesse de nous répéter que nous sommes tous dans le même bateau. Et il est certainement dans le même bateau que celui de sa classe et de son Etat et de ses partis, y compris le parti travailliste, tout autant que les libéraux-démocrates et les conservateurs. Tous sont dans la même embarcation pour sauver le système capitaliste, à nos frais. Mais nous, nous sommes liés à tous ceux qui sont exploités et opprimés par ce système, dans tous les pays du monde. Aujourd'hui, nous sommes unis pour nous défendre contre encore plus d'exploitation. Demain nous serons unis pour mettre un terme à l'exploitation.
(2 décembre 2010)
Tract diffusé dans les récentes luttes et manifestations par "World Revolution", organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Le tract ci-dessous a été distribué lors de la grande assemblée tenue au King's College le lundi 15 novembre, sous l'égide de l'aile gauche des syndicats (Education Activists Network). Nous saluerions tous commentaires, toutes critiques, et surtout, proposition de distribution ou d'amélioration et de mise jour, dans la semaine qui précède le Jour de l'Action. Un camarade de la section du CCI de Toulouse, qui a été très actif dans le mouvement pour les comités de lutte et les assemblées, a pu prendre la parole lors de la réunion, et en dépit d'une attaque frontale de la part de la stratégie syndicale française, a été largement applaudi. Nous allons essayer de rassembler plus d'éléments sur cette réunion.
Pendant longtemps, il a semblé que la classe ouvrière en Grande-Bretagne était réduite au silence devant la brutalité des attaques lancées par le nouveau gouvernement : contrainte des personnes handicapées de retourner au travail, obligation pour les chômeurs de travailler pour rien, augmentation de l'âge de la retraite, coupes budgétaires féroces dans le secteur de l'éducation, des centaines de milliers d'emplois supprimés dans le secteur public, le triplement des frais de scolarité universitaire et l'abolition des EMA (indemnités pour frais de scolarité ) pour les étudiants de 16 à 18 ans ..., la liste est interminable. Les luttes ouvrières qui ont eu lieu récemment à British Airways, les employés du métro, chez les pompiers, ont toutes été maintenues dans un strict isolement.
Mais nous sommes une classe internationale et la crise de ce système est également internationale. En Grèce, en Espagne, et plus récemment France, il y a eu des luttes massives contre les nouvelles mesures d'austérité. En France, la réaction contre la 'réforme' de la retraite ont provoqué un mécontentement croissant dans la société mais surtout parmi les jeunes.
L'énorme manifestation à Londres du 10 novembre a montré que le même potentiel de résistance existe au Royaume-Uni. La taille de la manifestation, la participation des étudiants et des travailleurs de l'éducation, le refus de se limiter à une sage marche d'un point à un autre, tout cela exprime le sentiment qui va grandissant que nous ne pouvons accepter la logique d'agression de l'Etat contre nos conditions de vie. L'occupation temporaire du siège des conservateurs n'était pas le résultat d'un complot ourdi par une poignée d'anarchistes, mais le produit d'une colère beaucoup plus large, et la grande majorité des étudiants et des travailleurs qui ont soutenu la manifestation ont refusé de s'associer à la condamnation de cette action par la direction du NUS et par les médias.
Beaucoup l'ont dit : cette manifestation n'est qu'un début. Déjà une deuxième journée d'action et de manifestation est organisée pour le 24 novembre. Pour l'instant, ces actions sont organisées par des organismes 'officiels' comme le NUS qui ont déjà montré qu'ils font partie des forces de l'ordre. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas participer massivement aux manifestations. Au contraire, se rassembler en grand nombre possible est la meilleure base pour la création de nouvelles formes d'organisation qui peuvent exprimer les besoins réels de la lutte.
Avant de telles manifestations ou journées d'action, comment pouvons-nous aller de l'avant ? Nous avons besoin d'appeler des réunions et des assemblées générales dans les universités, les collèges et les écoles, ouvertes à tous les étudiants et travailleurs, à la fois pour renforcer le soutien aux manifestations et pour discuter de leurs objectifs.
L'initiative prise par quelques camarades pour former des 'blocs d'étudiants et travailleurs radicaux' dans les manifestations doit être soutenue, mais, dans la mesure du possible, ils devraient se réunir à l'avance pour discuter exactement sur comment ils entendent exprimer leur indépendance par rapport aux organisateurs officiels.
Nous avons besoin d'apprendre des expériences récentes en Grèce, où les occupations (y compris l'occupation du siège des syndicats), ont été utilisées pour créer un espace où les assemblées générales pouvaient avoir lieu. Et quelle a été l'expérience en France ? Nous avons vu une importante minorité d'étudiants et de travailleurs dans de nombreuses villes tenir des assemblées de rue non seulement à la fin des manifestations, mais sur une base régulière, alors que le mouvement allait de l'avant.
Nous devons aussi être clairs qu'à l'avenir, les forces de l'ordre ne se contenteront plus d'une approche toute en douceur, comme celle du 10 novembre. Ils seront équipés en conséquence et chercheront à nous provoquer dans des affrontements prématurés qui leur donneront un prétexte pour déployer leur force. Cela a été une tactique courante en France. L'organisation de l'auto-défense et de la solidarité contre les forces de répression a besoin d'être créée grâce la discussion et aux décisions collectives.
La lutte ne doit pas se faire seulement dans le secteur de l'éducation. La classe ouvrière tout entière est soumise aux attaques et la résistance doit être étendue de façon consciente, à la fois dans les secteurs publics et privés Contrôler nos propres luttes est le seul moyen de les étendre.
Courant Communiste International, 15/11/2010.
Dans l'article 'Le capitalisme mondial au tournant de la crise (1), dans 'Le prolétaire'n°497 de juil-oct 2010', il y avait déjà des données intéressantes qui semblent aller dans le sens du cadre d’analyse présenté dans le livre que nous commentons ci-dessous. On y constate aussi que, bien que la Chine soit «le premier producteur mondial d'électroménager, de composants électroniques, de matériaux de construction, le deuxième producteur dans la chimie (…) une caractéristique peu connue mais très importante de l'économie chinoise actuelle [est]: la domination du capital étranger sur les secteurs les plus dynamiques et les plus productifs de l'industrie».
Il arrive assez peu qu'un petit livre d'à peine 180 pages puisse donner autant d'informations et d'analyses qui permettent d'avoir un cadre clair sur un sujet aussi vaste que l'émergence économique de la Chine actuelle. Et pourtant, c'est bien le cas avec le livre de Bruno Astarian 'Luttes de classes dans la Chine des réformes (1878-2009)'.(2)
En fait comme le signale l'auteur lui-même l'essentiel du matériel du livre avait été élaboré avant la crise financière. Selon lui: «Il n'y a pas de pays, et dans chaque pays une classe capitaliste et son prolétariat, mais il existe un capital et un prolétariat mondiaux, segmentés en pays par des États, comme ils le sont en entreprises par des capitalistes».
«D'un point de vue temporel, ce texte vient trop tard où trop tôt : trop tard parce qu'il a été rattrapé par la crise mondiale... et trop tôt parce qu'il est certain que l'approfondissement de cette crise imposera de corriger et d'approfondir la réflexion...»
D'un point de vue théorique le livre pose de nombreuses interrogations, qui vont du capitalisme d'État à la révolution mondiale, en passant par le développement endogène du capital national à notre époque... et en analysant le fait que beaucoup de médias en Occident proclament que la Chine sera la prochaine puissance mondiale. C'est d’abord à ce questionnement qu'essaie de répondre ce livre.
D’emblée, il faut saluer le travail de recherche de l'auteur et son courage d'aller à l'encontre des idées reçues, comme celle qui affirme que la Chine monte inexorablement vers l'hégémonie mondiale. Il essaie de contrer ces affirmations souvent gratuites par une argumentation, chiffres à l'appui, sans pour autant alourdir le texte et en comprimant toutes ces informations dans 160 pages bien synthétisées en 6 chapitres clairs et lisibles.
Dans les chapitres 1 à 3, il analyse essentiellement la composition du capital chinois au sein du pays et sa place sur l’échiquier mondial entre les autres requins impérialistes.
En parcourant les différentes étapes depuis les réformes, l'auteur constate que les entreprises privées, qui se sont développées après les réformes de 1978, se sont trouvées étouffées par le manque de crédit et la reprise en main des autorités locales: «Ces quelques éléments n'augurent pas bien d'un développement 'endogène' d'un capitalisme chinois appelé à dominer le monde – voire le seul territoire chinois … L'hypothèse … d'un développement autocentré d'un petit capitalisme chinois en grand capitalisme national puis international est bloqué par la saturation du monde en capital. … Comment faire le recentrage de l'économie chinoise sur son marché intérieur … si la faiblesse des salaires urbains et celles des revenus agricoles est le principe même de la survie du capitalisme chinois dans la concurrence internationale» (p.21)
En ce qui concerne le fameux transfert technologique si 'redouté' par les médias occidentaux et le Japon, l'auteur constate que «depuis l'adhésion à l'OMC, la Chine a dû accepter que les investissements étrangers puissent se faire sans co-entreprise, de sorte que «la plupart des investissements étrangers basés sur la technologie se situent maintenant dans des entreprises entièrement contrôlées par l'étranger» (R & D, but mostly D, China Economic Quarterly, 2003, IV). Autant pour les transferts de technologie»(p.31). Il s'avère donc que là aussi les informations qu'on reçoit par la presse bourgeoise sont pour le moins exagérées: «Les médias placent la recherche chinoise en haut du tableau des pays scientifiques … Mais si on tient compte de la valeur qualitative de la recherche, la Chine tombe à la dixième place (Les Echos, 24 février 2009) (p.32).. Sur le vaste marché dont se vantent les médias il voit la aussi qu'il «est déjà proche de la saturation» (p.33). En fait: «Pour ne pas mourir, il va falloir se développer. Pour se développer, il va falloir investir. Pour investir, il va falloir du crédit. Or les entreprises privés n'en obtiennent pas, ou peu, des banques chinoises».(p.34)
Est-il donc étonnant que la seule compagnie qui fleurisse (Huawei, télécommunications, avec un personnel de 34.000 personnes dans le monde) «ne publie pas de comptes et est comme par hasard lié à l'armée (qui se soucie peu de la rentabilité de l'affaire) et a pu bénéficier en 2004 d'un crédit de 10 milliards de dollars de la China Development Bank (banque publique)». (p.36). Hors depuis l'entrée en décadence du capitalisme, les pays qui ont davantage dû investir dans leur secteur militaire au détriment des autres secteurs, ont toujours été les régimes impérialistes en position de faiblesse.
Il en arrive à la conclusion que bien qu'il y ait des essais de la part de l'État et du PCC de se mettre en valeur, ils sont tout à fait pris dans les étaux d'une contradiction insoluble :
Après avoir recherché comment est organisé le capitalisme endogène il en arrive à la conclusion que : «Les aides et protections dont bénéficient les entreprises chinoises publiques et privées semblent plus importantes et nécessaires qu'ailleurs.(...) Contrairement à l'image d'un capitalisme chinois triomphant, cet état de fait n'exprime-t-il pas plutôt une faiblesse? En plus l'auteur constate que «la crise actuelle accentue … le protectionnisme régional. La fragmentation du territoire et de l'économie entraine un surinvestissement systématique» et il en donne un exemple, cité du livre de Christian Milelli (3): «Dans le Delta de la Rivière des Perles (région de Canton/Shenzhen), on trouve cinq aéroports, sans aucune connexion entre eux, dans un rayon de 90 kilomètres» (32) (p.38). Pour lui, en se basant sur des données de Jean-Louis Rocca '4) , il est donc évident que : «le capitalisme chinois réformé … requiert cependant tant de protections et d'aides qu'on est en droit de parler d'un 'capitalisme peu conquérant', vivant de rentes et de monopoles locaux» (33) Il mentionne une autre auteur (Marie-Claire Bergère)(5) qui avait aussi souligné les effets peu prometteurs des réformes et de la vision à long terme, qui est court-circuitée par la corruption et des politiques à court terme : «l'amélioration de la rentabilité des entreprises de l'État après leur réforme est en partie due à la privatisation des logements et de la dānwèi [système] «qui garantissait à ses membres un travail, mais aussi leur logement, leur santé, la maternité, l'éducation des enfants, les retraites... Ces avantages pouvaient représenter jusqu'à 120% du salaire versé en argent» !!!! (p.11) … à peu près 250 milliards de dollars» (p.35). «Cet argent était censé être placé dans un fonds spécial de réserve. Il l'a rarement été, et est donc parti avec les dépenses courantes». On peut donc se demander où reste donc la marge de manœuvre du capital national chinois ? Et très logiquement l'auteur conclut : «Cette image est évidemment contradictoire avec le sentiment général en Occident que la Chine est la prochaine grande puissance du monde»
Il fait aussi le constat très juste que le battage sur la puissance de la Chine sert plutôt à faire du chantage envers le prolétariat occidental et japonais : «En revanche, on ne peut refuser à tous ces entrepreneurs privés et publics le compliment que leur adressent leurs collègues du monde entier en investissant en Chine : ils sont absolument féroces avec leurs prolétaires».(p.39)
Pour le reste il y a deux chapitres: sur les paysans et le système 'hừkŏu' (permis de résidence, attaché à un lieu précis), «document administratif qui permet à l'État chinois un fichage policier nécessaire pour que la dictature du PCC dispose d'un quadrillage policier». (p.48)
A travers des chiffres sur la productivité de la paysannerie apparaît une fois de plus comment cette situation est une preuve accablante des contradictions du capitalisme et de son incapacité d'intégrer l'ensemble de la population paysanne dans la modernisation de l'agriculture capitaliste. Tout au plus le capital chinois peut utiliser cette masse de paysans sous-productifs comme un chantage contre la classe ouvrière dans son ensemble, au moyen de salaires extrêmement bas pour les ouvriers migrants. «Si l'agriculture chinoise élevait sa productivité au niveau de la moyenne mondiale … cela libérerait pratiquement 300 millions de candidats à la prolétarisation !!!» (p.53) «Pour porter la surface moyenne des exploitations à un hectare, ce qui est très peu, mais le double de la situation actuelle), il faudrait expulser environ 150 millions de paysans, ce qui est énorme» (p.59). Sans être exhaustif, l'auteur se limite à citer plusieurs révoltes selon leurs raisons: à cause d'impôts excessifs, de confiscations de terres, des tarifs de bus, de la politique de l'enfant unique (qui est exécutée souvent de façon féroce), révoltes auxquelles participent chaque fois plusieurs milliers de paysans (p.61). Là il faut sans doute se référer à d'autres œuvres qui donnent des informations plus amples.
L’auteur nous donne des informations intéressantes sur ce sujet peu connu depuis les réformes de 1978. Il distingue d'abord les deux fractions du prolétariat chinois: le 'vieux' prolétariat des vieilles industries étatisées et les míngōng, les ouvriers et ouvrières surexploités venant de l'exode rural (pour l'essentiel des sans-papiers de l'intérieur), qui travaillent surtout dans des nouvelles industries, privées pour la plupart. Selon l'agence Xinhua le 16 juin 2007, il y en aurait 120 millions dans les grandes villes et 80 millions dans les petites, donc presque un tiers de la population active totale d'environ 750 millions (p.64). L'auteur fournit des données importantes à propos de cette surexploitation: durée hebdomadaire de 98 heures avec un jour de repos par mois(!), calcul scandaleux des salaires avec des heures non payées, considérées comme volontaires (!), systèmes d'amendes (!) pour baisser les salaires, frais de séjour pour des logements insalubres et une bouffe épouvantable, retard dans le payement des salaires pour empêcher que les travailleurs s'en aillent, etc... (pp. 68-71). Pourtant les ouvriers réagissent souvent et en dépit de la grave répression, forcent de temps en temps les patrons escrocs à reculer, obtiennent des hausses de salaires presque annuelles (+ 2,8 en 2004; +6,5% en 2005; + 11% en 2006) jusqu'en 2008, où le gouvernement a ordonné le gel des salaires minimaux (p.73). Mais ces travailleurs migrants doivent lutter durement pour chaque amélioration minimale, comme pour la scolarisation de à peu près 20 millions de leurs enfants qui se retrouvent en ville.
Les 'vieux' travailleurs du secteur public se sont battus surtout contre le démantèlement du système de dānwèi, l'unité du travail (qui garantissait emploi à vie, logement, scolarisation des enfants, etc..). Si pendant la première période de réformes le nombre de salariés a augmenté considérablement jusqu'en 1995, après il baisse de 113 à 64 millions en 2006 (!) (...) Du point de vue des travailleurs, cette évolution a été d'une rapidité, d'une brutalité et d'une profondeur difficilement imaginable en Occident. Elle a donné lieu à d'importants conflits sociaux» (pp. 83-84)
Ce sont précisément ces luttes contre la loi de 1995, qui met officiellement fin à l'emploi à vie, qui ont débouché sur «une nouvelle loi sur le contrat de travail en 2008, qui est plus favorable aux travailleurs que le précédent texte (de 1995), et dont les représentants de l'Union Européenne et des États-Unis ont essayé d'infléchir la rédaction» (!!!!) (p.85). Et encore, comme toujours, faut-il se méfier de son application réelle. Une autre donnée importante est: «qu'il ne semble pas avoir eu de concurrence massive entre les migrants et les licenciés des entreprises publiques»(p. 90).
Il est curieux que l'auteur ne mentionne aucune lutte avant et autour de la répression de Tian An Men, qu'on peut retrouver dans un excellent livre publié à Hong Kong en 1990, mais apparemment retiré sous pression de Beijing (2). En fait il n'y réfère qu'indirectement quand il traite de la répression «des 'syndicats libres', florissants en 1989, en citant Han Dongfeng, qui mentionne que la 'Beijing Workers Autonomous Federation'(…) fondée par les étudiants, n'avait pas d'adhérents ouvriers, car ceux-ci se méfiaient» (6) (p.132). En conséquence l'auteur ne mentionne que les luttes depuis 1997: Quand le gouvernement a décidé «de 'lâcher les petites pour maintenir les grandes entreprises'. Il y a eu alors une importante vague de luttes, parfois insurrectionnelles (... ) Certaines luttes cherchèrent à s'organiser durablement en fondant un syndicat à la base. Ce sont celles qui furent le plus durement réprimées (…) ces luttes importantes mais numériquement faibles par rapport aux millions d'ouvriers concernés par les restructurations ne parvinrent jamais à ébranler le pouvoir (…) Combiné à la répression, un semblant de prise en charge du chômage, l'apparition d'emplois dans le privé et les multiples combines de survie ont permis … de faire refluer la vague des luttes en défense de la dānwèi (pp. 10-101).
Cependant il y a eu d'importantes luttes insurrectionnelles: en février 1997, 20.000 mineurs licenciés à Yang-jiazhang (Liaoning), bloquant la ville plusieurs jours; en juillet 1997 de véritables émeutes éclatent dans le Henan et le Shandong; au même moment à Mianyang (Sichuan), 100.000 personnes se rassemblent; entre 1997 et 1998, de nombreuses révoltes dans le Heilongjiang et en 1988 à Pun Ngai à cause du retard de huit mois des salaires, etc... Beaucoup de ces conflits se terminent par des offres de mise à la retraite qui ne sont pas tenues (p.102).
Mais ensuite il y a eu des conflits beaucoup plus durs parce que les autorités ou les entreprises ne se tiennent presque jamais aux accords conclus: de 2000 à 2002, les travailleurs du pétrole du Nord-Est contre la restructuration et des dizaines de milliers de licenciements, une lutte qui dure plusieurs années; à Daqing (Heilongjiang) contre 80.000 licenciements allant jusqu'à des manifestations de 50.000 personnes et des blocages de trains vers la Russie et des manifestations de solidarité d'autres travailleurs du pétrole; à Fashun en 2001, quand 300.000 travailleurs du charbon, du ciment, etc. furent transformés en 'xiagang'(…) 10.000 d'entre eux tentèrent des barrages réguliers de routes et de voies ferrées pendant plusieurs semaines; en mars 2002 au complexe métallurgique Liaoyang Tiejehin où le non-respect des promesses et les mensonges provoquent des grèves et manifestations de solidarité allant jusqu'à 30 ou 80.000 personnes (...) suivies par une répression systématique» (pp.104-106).
«Aiqing Zheng signale que pour la seule année 1994, il y a eu 12.000 'conflits collectifs' du travail dans les entreprises publiques. Dans 2.500 cas, les ouvriers ont occupé les locaux, détruit des machines, pris en otage des dirigeants du parti ou de l'entreprise (7) . En 2002 la province de Anhui promulgua un règlement pour protéger les patrons, car plusieurs d'entre eux avaient récemment été assassinés» (p.107)
Un rapport du CLB (8) confirme que les luttes des travailleurs licenciés des entreprises de l'Etat et celles des travailleurs migrants sont «de plus en plus souvent rejointes par la lutte des salariés des entreprises d'Etat restructurées ou privatisées. Parfois aussi les travailleurs (cfr supra) payent durement leurs illusions de créer un syndicat, «même en pensant à se faire enregistrer à la FSC (Confédération Syndicale Unique) comme en 2004 à Xianyang (Shaanxi), où les meneurs sont arrêtés. Depuis 2005 on a aussi connu des grèves pour des augmentations de salaires, dans la Changha Lead-Zinc Mine et dans le textile: Feyia Textile Company à Huabei (Anhui) et Heze Textile Factory (Shandong), des entreprises d'Etat. Preuve que la 'vielle' classe ouvrière développe aussi des luttes plus offensives» (p.109-110).
L'auteur fournit encore quelques exemples de luttes de la 'nouvelle' classe ouvrière, qui démontrent que même en absence d'expérience historique, la colère des ouvriers provoque des luttes assez impressionnantes: «en 2004 à Dongguan, chez Stella International et chez Xing Ang Shoe Factory, dans les usines Xing Lai et Xing Peng les travailleurs, avec l'implication très active des femmes, ont obtenu une augmentation de leurs salaires, un conflit relaté par le CL qui déplore que dans les usines Xing Xiong et Xing Ang, ils n'aient pas eu de représentants, comme dans le autres deux usines, car cela aurait permis d'éviter les violences: 'Ces travailleurs non-organisés sont plus dangereux' car ils sont plus enclins aux débordements» [sic]; «en 2005 chez Uniden (Shenzhen) qui emploie 16.000 ouvrières à la fabrication de téléphones pour Wal-Mart [multinationale US très anti-syndicale], à cause de la non-tenue des promesses lors de la première grève, les ouvrières ont tenu une AG permanente (...) avec comité de grève élu de 29 membres, avec dix ouvrières arrêtées après la grève et condamnées à trois ans et demi de prison, mais amnistiées après une campagne internationale (!); été 2005 à Dalian avec une vague de grèves dans plusieurs usines ; en novembre 2007 chez Alco Holding à Dongguan contre l'augmentation des prix de la cantine; en janvier 2008 chez Maersk encore à Dongguan (au port de Machong) contre les amendes et chicaneries des gardes de l'usine. Selon Han Dongfen (6) il y a chaque jour au moins une grève de plus de 1.000 grévistes dans le Delta de la Rivière des Perles (source Radio Free Asia)» (pp. 112-118).
«Depuis la crise, le gouvernement estime qu'il y avait 20 millions de migrants au chômage depuis 2008 sur lee 200 millions de migrants en tout» (p.120). D'autres sources parlent de 30 millions et des nouveaux projets gouvernementaux de construction de villes intermédiaires (pour des millions de migrants) pour les occuper et en même temps pour empêcher qu'ils restent en ville ou qu'ils retournent à la campagne où ils causeraient des problèmes sociaux. Mais ce n'est qu'un déplacement temporaire du problème de l’impossibilité de les intégrer de façon durable dans la classe ouvrière.
Le livre traite aussi des luttes de la nouvelle classe ouvrière jusqu'à la crise de 2008 et s’arrête au moment du gel des salaires minimaux. Comme l'auteur le dit, il n'est pas toujours facile d'interpréter les sources qui utilisent souvent la notion d'«incidents de masse», qui «recouvrent les grèves, les manifestations, les émeutes, aussi bien en milieu urbain qu'à la campagne. C'est un indicateur très flou, qui donne une idée générale de la montée des luttes depuis quinze ans: 1993: 8.700; 1994: 12.000; 1998: 25.000; 1999: 32.000; 2000: 40.000; 2002: 50.000; 2003: 58.000; 2004: 74.000; 2005: 87.000; 2006: 90.000; 2007 (estim.) 116.000; 2008 (estim.): 127.000; 2009 (1er trim): 58.000» (p. 123). Donc une montée impressionnante.
Beaucoup d'éléments sont aussi fournis sur les moyens de luttes et «le relatif succès de la police à empêcher les ouvriers de sortir de l'usine pour chercher la solidarité de la population extérieure, le succès du gouvernement à acheter la paix sociale, le recours à la violence en l’absence de toute médiation sociale (…) En l'absence de données plus précises (…) on ne peut que conclure très provisoirement que le contexte de la lutte pousse plutôt les travailleurs à chercher à sortir des solidarités qu'à s'enfermer (…) une tendance (…) positive du point de vue d'un processus révolutionnaire éventuel» (p.125-126).
Pour notre part, nous exprimerons certaines réserves quand l’auteur traite de la question syndicale. Pour lui il «ne s'agit pas de savoir s’il faut être pour ou contre les syndicats libres. Les syndicats sont un rouage normal de la lutte des classes (..), mais il sont défavorables à la révolution (..) mais peut être, dans certaines circonstances, un instrument efficace de marchandage de la force de travail. En fait si on voit ce qu'a fait le syndicat 'libre' Solidarnosc à partir de 1980 pour saboter les luttes autonomes du prolétariat en Pologne, on ne comprend pas en se référent à l'histoire (mille fois confirmée) et aux luttes en Chine même, en quoi cela serait différent en Chine.
L'auteur conclut à juste titre que la crise réduit en miettes toutes les illusions: «il n'y a pas de place dans le monde pour une Chine dont la consommation ouvrière 'monte en gamme'. Sa place est celle de pourvoyeuse de plus-value absolue, d'ouvriers misérables, etc (…) il n'y a pas de place pour un nouveau club de sociétés multinationales qui domineraient le monde. Celui que constitue l'axe États-Unis-Union Européenne-Japon occupe déjà tout le terrain» (p.163).
Pour le futur des luttes, il souligne que chez le prolétariat chinois, «vivant dans un extrême précarité, en n’ayant pas d'illusion sur l'autogestion … il est probable que l'absence … de tradition ouvrière chez les travailleurs migrants est aussi un facteur favorable à un dépassement non économique de la crise … en plus de la place importante des femmes … qui ne reculent pas devant les nécessités de la lutte» (p. 167)
Et il finit par se poser quelques questions légitimes qui découlent de son analyse: «Le prolétariat chinois est-il le mieux placé pour comprendre que la liberté démocratique est la meilleure forme d'oppression? La réponse est non, bien sûr (…) La revendication d'un régime démocratique, y compris de la part du prolétariat, peut ainsi servir de vecteur important de la contre-révolution. Autrement dit, avec la crise qui s'approfondit, la révolte mondiale du prolétariat viendra peut-être de Chine, mais la révolution communiste viendra d'ailleurs, et sans doute d'une zone d'accumulation hautement développée» (p.170-171).
Espérons que ces commentaires inciteront de nombreux lecteurs à lire ce livre qui donne des éléments très valables de clarification dans les débats entre ceux qui réfléchissent au futur de la lutte des classes et aux questions qui se posent pour son internationalisation.
Dans Le prolétaire on constate que bien que «le prolétariat chinois est le plus nombreux du monde (…) la Chine n'a pas la possibilité comme l'ont eue les 'fabriques du monde' britanniques et américaines, d'anesthésier leurs prolétaires en leur concédant des hauts salaires et des conditions de vie supérieures à celles des ouvriers des autres pays, puisque c'est sur leur surexploitation forcenée que se fonde sa croissance (…) et les autorités chinoises … ont affirmé qu'une croissance inférieure à 6% mettait en péril la paix sociale. Mais cette croissance accélérée débouche inévitablement sur la surproduction … Cette surproduction frappera inévitablement la Chine, avec une force bien plus grande qu'en 2008. Et comme partout ce seront les prolétaires qui en feront les frais...» (9 ibidem)
Même si dans un premier temps beaucoup d'ouvriers combattifs gardent encore des illusions dans les 'syndicats libres', le fait qu'ils lancent des appels comme «Nous appelons tous les ouvriers à maintenir un haut degré d'unité et à ne pas laisser les capitalistes nous diviser» (10) révèle une base nécessaire pour dépasser aussi cette mystification comme le reste de leur frères et sœurs de classe dans le monde entier, condition pour pouvoir établir une vraie autonomie de classe, ouvrant la perspective d’une libération pour l'humanité entière.
JZ / 4.12.2010
(1) ISBN 962-7145-11-4: China, A moment of truth, Hong Kong Trade Union Education Centre, 1990.
(2) Bruno Astarian, Luttes de classes dans la Chine des réformes (1978-2009).: édité chez Acratie, septembre 2009. ISBN: 978-2-909899-34-3
(3) Christian Milielli, L'investissement direct japonnais en Chine, in Yunnan Shi et Françoise Hay (sous la dir.) : La Chine, forces et faiblesses d'une économie en expansion, p. 381)
'4) Jean-Louis Rocca, La condition chinoise
(5) Marie-Claire Bergère: Capitalismes et capitalistes en Chine, ed. Perrin, Paris 2007, p. 214.
(6) Han Dongfeng, Chinese Labour Struggles, New left Review, juillet-août 2005.
(7) Aiqing Zheng, Libertés et droits fondamentaux des travailleurs en Chine, L'Harmattan 2007, p. 171 sq.
(8) Communiqué du China Labour Bulletin, du 1er novembre 2004.
(9 ibidem) Le Prolétaire'n°n°497 de juil-oct 2010
(10) Cité de businessweek.com, dans RI n°415, Une vague de grèves parcourt la Chine, septembre 2010.
La librairie Gondolkodo Antikvàrium à Budapest a initié une série de débats publics sur les perspectives de la lutte de classe et a invité le CCI, le 5 novembre, à animer une discussion sur le thème "Crise économique mondiale et perspective de la lutte de classe".
Notre exposé introductif avait pour axes principaux la mise en évidence de :
l'extrême gravité de la crise dans tous les pays du monde signant la faillite irrémédiable du mode de production capitaliste
la dégradation inexorable des conditions d'existence du prolétariat et sa paupérisation croissante sur tous les continents;
le développement lent, heurté, mais incontestable des luttes ouvrières à l'échelle internationale;
les causes principales des difficultés actuelles du prolétariat à hisser ses combats à la hauteur des enjeux de la situation historique actuelle, et notamment ses difficultés à retrouver son identité de classe et à affirmer sa propre perspective révolutionnaire (suite aux campagnes de la bourgeoisie consécutives à l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens);
le rôle de sabotage des luttes des syndicats en Europe comme dans tous les pays;
le surgissement de minorités de la classe ouvrière à la recherche d'une perspective révolutionnaire face à l'impasse de plus en plus évidente du capitalisme.
C’est la première fois que nous avons pu participer à une telle rencontre en Hongrie et pour la plupart des personnes présentes, c’était aussi la première fois qu’ils rencontraient le CCI. La réunion a donc, presque inévitablement, pris un aspect « question/réponse », les participants cherchant à situer et à comprendre les idées et les analyses du CCI et plus largement de la gauche communiste. De notre côté, nous avons beaucoup apprécié la possibilité qui nous a été offerte de mieux comprendre les débats en cours dans le milieu révolutionnaire en Hongrie, et la façon dont les questions politiques sont posées.
La discussion s'est polarisée essentiellement sur la perspective révolutionnaire de la lutte de classe, et notamment autour des questions suivantes :
La révolution prolétarienne va poser le problème de l'affrontement violent avec la bourgeoisie. Le CCI développe-t-il une intervention en direction des soldats afin de les convaincre (comme le préconisait Engels) et de les agréger à la lutte révolutionnaire du prolétariat ?
Notre réponse a mis essentiellement en évidence les arguments suivants:
Il est évident que le renversement du capitalisme ne sera pas possible sans une décomposition des forces de répression. Mais ce processus ultime ne peut intervenir que dans une période où le rapport de forces entre la bourgeoise et le prolétariat mondial sera en faveur de la classe révolutionnaire, lorsque cette dernière sera suffisamment forte pour arracher le pouvoir à la bourgeoisie et ouvrir à toute la société la perspective du communisme. Dans une telle situation, les militaires, et même des membres de la police, seront amenées à choisir le camp le plus fort. Nous avons rappelé comment Trotsky, en 1917, est allé convaincre les cosaques, démoralisés, de ne pas se retourner contre la révolution. Nous avons également rappelé que, aujourd'hui, les soldats, dans les principales armées du monde, ne sont pas des ouvriers en uniforme embrigadés dans la guerre (comme c'était le cas lors de la première guerre mondiale), mais des engagés volontaires dans des armées de métier. De ce fait, les forces de répression ont pour objectif de maintenir l'ordre social capitaliste. Même si les soldats et les policiers sont salariés, ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière, ils mettent leur force de travail au service du capital contre la classe ouvrière. Les organisations révolutionnaires n'ont donc pas pour vocation aujourd'hui de "convaincre" les forces de répression, mais de développer leur intervention afin de permettre au prolétariat d'affirmer sa propre perspective contre toute la classe dominante, contre l'État bourgeois et contre ses forces de répression dont la seule fonction est le maintien de l'ordre capitaliste.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème très grave : le capitalisme est en train de détruire l'environnement. Il y a une certaine urgence pour sauver la planète. Mais la classe ouvrière ne se mobilise pas autour de cette question. Elle est réformiste et veut seulement améliorer sa condition dans le système capitaliste. Elle n'a pas une conscience révolutionnaire. Aurons-nous le temps de construire le communisme avant que la planète ne soit détruite par la catastrophe écologique ?
A cette intervention, le CCI a répondu que la destruction de notre écosystème est effectivement un vrai problème pour le devenir de l'espèce humaine, et que le temps ne joue pas en faveur du prolétariat. Mais nous ne pouvons pas aller plus vite que la musique puisque la lutte du prolétariat se joue à l'échelle historique. La bourgeoisie elle-même est très inquiète. Elle a conscience du problème mais est incapable d'y remédier.
Le prolétariat (comme l'ensemble de, la population) est aussi très préoccupé, mais la question écologique (tout comme la question de la guerre) n'est pas un facteur de mobilisation des luttes ouvrières. Le prolétariat aujourd’hui se mobilise essentiellement à partir des questions économiques, des attaques immédiates de ses conditions matérielles d'existence. Ce n'est qu'en développant ses luttes contre la misère et l'exploitation qu'elle pourra développer sa conscience et englober dans sa lutte révolutionnaire toutes les autres questions (la guerre, l'écologie et tous les autres fléaux engendrés par le mode de production capitaliste).
D'autres participants sont intervenus pour critiquer certains aspects de notre analyse. L'un d'entre eux a affirmé qu'il n'était pas convaincu par la conception du CCI concernant la maturation actuelle de la conscience de classe. Il a donné comme argument que même s'il y a aujourd'hui des grèves, les masses prolétariennes sont passives et ne sont pas révolutionnaires.
Un autre intervenant a également affirmé que l'analyse du CCI de la conscience de classe n'est pas matérialiste car elle n'est pas basée sur les buts finaux du mouvement prolétarien : mettre la production au service de la société.
A ces objections, nous avons rappelé que notre exposé a souligné l'existence de luttes ouvrières significatives dans de nombreux pays du monde. Face aux attaques capitalistes, les masses ouvrières ne sont donc pas passives. En témoigne aujourd'hui encore la mobilisation du prolétariat en France contre la réforme du système des retraites où ce sont plus de 3 millions de prolétaires (salariés de tous les secteurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens) qui sont descendus massivement dans la rue dans les manifestations. Nous avons également rappelé que les révolutionnaires doivent avoir une vision historique et faire preuve de patience. Un mouvement révolutionnaire international ne peut pas surgir du jour au lendemain du fait de l'immensité de la tâche du prolétariat. Nous pensons également qu’il faut se garder de toute vision idéaliste suivant laquelle la conscience révolutionnaire du prolétariat serait introduite subitement, ex nihilo, c'est-à-dire indépendamment d'une maturation des conditions matérielles et subjectives dans lesquelles vivent les masses prolétariennes. La conscience révolutionnaire des masses se forme dans un processus historique nécessairement lent et heurté qui ne peut se développer qu'à partir des luttes de plus en plus massives face aux attaques économiques du capital.
Face à l'argument suivant lequel le but du prolétariat serait la socialisation de la production, nous avons surtout mis en évidence qu'il fallait rompre avec la logique de la loi du profit. Il ne s’agit pas seulement de la question de l’appropriation sociale ou privée, mais surtout du but de la production et de sa distribution : production pour la satisfaction des besoins humains de tous au lieu de l’accumulation de valeurs d’échange, de l’argent (avec son corollaire : la misère et la paupérisation pour un nombre croissant de prolétaires).
D' autres participants ont posé les questions suivantes : quel est le but de la production communiste ? Comment concevez-vous l'organisation de cette production ?
Faute de temps, notre réponse n'a pu être que très succincte (car elle se réfère aux questions économiques posées par l'analyse du CCI de la période de transition du capitalisme vers le communisme). Nous avons simplement affirmé que le but de la production dans la société communiste est la satisfaction des besoins de toute l'humanité. Une production qui mettra fin au règne de la marchandise et du profit. Cette production de biens de consommation (et leur distribution) devra nécessairement être centralisée à l'échelle mondiale.
Un autre participant est intervenu pour affirmer que le mouvement de Mai 68 en France était un mouvement révolutionnaire car c'était un mouvement massif impliquant toute la classe ouvrière et les étudiants. Les usines et les universités étaient occupées, les manifestations étaient massives, les grévistes se sont affrontés aux forces de répression, etc.
Dans notre réponse, nous avons affirmé que Mai 68 en France, fut, certes, la plus grande grève de l'Histoire qui a ouvert une nouvelle période historique dans la lutte de classe. Mais ce n'était pas un mouvement révolutionnaire. Il n'y avait pas de conseils ouvriers et la question de la prise du pouvoir était loin d'être posée.
Enfin, un intervenant nous a posé la question suivante : comment se fait-il que, malgré votre critique du syndicalisme, le CCI ait noué des relations avec un groupe anarcho-syndicaliste comme la CNT en France ?
A cette question, tout à fait pertinente, nous avons apporté la réponse suivante.
Pour le CCI, le critère essentiel de l'appartenance au camp prolétarien est aujourd'hui la question de l'internationalisme. C'est la raison pour laquelle nous nous gardons de tout ostracisme, de toute attitude sectaire à l'égard de groupes qui ne partagent pas nos positions sur la question de l’anarcho-syndicalisme. Nos liens récents avec la CNT ne concernent que le groupe CNT-AIT de Toulouse (et non pas la CNT Vignolles) du fait de sa position clairement internationaliste et également de son attitude fraternelle à l'égard du CCI. Nous avons également rappelé que dans d'autres pays (tel la Russie par exemple), le CCI entretient également des rapports fraternels (au-delà des divergences) avec des groupes se réclamant du courant anarcho-syndicaliste.
Cette première réunion publique animée par le CCI à Budapest et organisé par la librairie G., fut très riche et animée. Malgré un certain scepticisme dans le débat sur les potentialités révolutionnaires du prolétariat, les participants qui ont pris la parole ont manifesté leur conviction que le capitalisme doit céder la place à un autre système social : le communisme. Toutes les interventions ont convergé dans le même sens : face à la gravité de la situation mondiale, l'avenir de la société humaine est plus que jamais entre les mains de la classe ouvrière.
Le débat s'est déroulé dans un climat très sérieux et fraternel où chacun a pu exprimer son point de vue, ses divergences, ses questionnements et préoccupations. C’est d’autant plus significatif dans un pays où la classe ouvrière a encore d'énormes difficultés à engager la lutte contre les attaques du capital, et qui est encore très fortement marqué par le poids de l'idéologie nationaliste et par les conséquences de l'effondrement des régimes staliniens, notamment par la subsistance d'idéologies réactionnaires (xénophobie à l'égard des minorités ethniques, exactions de groupuscules d'extrêmes droite…).
Nous tenons ici à remercier chaleureusement la librairie Gondolkodo Antikvàrium d'avoir pris l'initiative d'inviter le CCI à animer cette réunion publique.
Nous tenons également à remercier les organisateurs de cette réunion pour les traductions en deux langues qui ont permis à tous les participants de suivre l'exposé du CCI et à nous-mêmes de participer activement au débat.
Le fait que notre organisation ait pu, grâce à cette invitation, exposer publiquement ses analyses dans la capitale hongroise est, à notre avis, une nouvelle manifestation d’une maturation en profondeur de la conscience de classe. Cette maturation s'exprime aujourd'hui par l'existence de minorités et éléments politisés à travers le monde qui cherchent à nouer des liens pour rompre l'isolement et clarifier à la fois leurs divergences et leurs points d’accord.
CCI (8 novembre)
Le premier samedi après l'annonce de la révision gouvernementale des dépenses publiques, le 23 octobre, se sont déroulées un certain nombre de manifestations contre les coupes budgétaires, partout dans le pays, appelées par divers syndicats. Le nombre de participants, variant de 300 à Cardiff à 15 000 à Belfast ou 25 000 à Edimbourg, montre que les ouvriers en Grande-Bretagne sont profondément en colère, tout comme le sont les ouvriers en France.
Cependant, les manifestations syndicales ne fournissent pas un cadre viable pour lutter contre les coupes dans les emplois, les salaires et les services, bien au contraire. C'est pourquoi nous avons soutenu l'appel « à tous les anarchistes et ouvriers militants à se joindre à nous pour former un « Bloc Ouvrier Radical »1 dans la manifestation, non pour prier les bureaucrates syndicaux de prendre des mesures, mais pour faire valoir que nous luttons contre les coupes budgétaires en nous fondant sur les principes de solidarité, d'action directe, et de contrôle de nos propres luttes ». Ceci émane de la SF-IWA2 de Londres Sud (voir le site libcom.org).
Le problème avec l'approche des syndicats et de leurs partisans, c'est qu'ils polarisent la question sur les « coupes des conservateurs », accusés de creuser le déficit par le renflouement des banquiers, par la spéculation financière, alors que tout ceci ne constitue que les symptômes de la crise du capitalisme. Les coupes budgétaires ne seraient liées qu'à un certain choix politique opéré par un « gouvernement de millionnaires » (tract du SP) alors que « Le gouvernement aurait pu taxer les riches » (Karen Reissman, militante du domaine de la santé et membre du SWP3, lors du rassemblement à Manchester). Ces menteurs professionnels savent parfaitement qu'en réalité, jusqu'il y a 6 mois, le gouvernement travailliste, incluant des députés parrainés par des syndicats, imposait les mêmes coupes et les mêmes sacrifices. Les tracts distribués à la manif de Londres pouvaient même nous le rappeler - mais uniquement dans le but d'essayer de nous attirer à nouveau dans la version alternative des mêmes vieilles politiques derrière les syndicats ou quelque bloc électoral alternatif (par exemple, la TUSC4).
Après tous les discours radicaux sur l’action commune au TUC5 cette année, la campagne sur les coupes budgétaires s’est focalisée sur une manifestation prévue à la fin du mois de mars de l'année prochaine. Aussi, le message que nous entendons est « Nous devons bombarder le TUC et les dirigeants syndicaux de demandes pour agir maintenant » (d'après le NSSN6), « Poussons les dirigeants syndicaux à appeler à des grèves locales et nationales » (Socialist Worker7 en ligne). En premier lieu, si nous devons faire tous ces "bombardements", ces demandes et ces pressions en direction du TUC et des dirigeants syndicaux, cela soulève vraiment la question de savoir pourquoi nous avons besoin d'eux ; après tout, de très nombreux ouvriers se sont mis en lutte sans le moindre soutien d'un quelconque syndicat en Chine et au Bangladesh, et les ouvriers de Vestas sur l'île de Wight ont occupé l'usine sans appartenir au préalable à un syndicat.
La réalité est que les syndicats ne sont pas seulement inutiles pour l'organisation des luttes ; ce n'est pas simplement une question de « léthargie » de leur part comme le prétend le tract de la SF-IWA de Londres Sud. Non ! En fait, ils nous divisent volontairement et consciemment. Par exemple, ils ont maintenu séparés les stewards et hôtesses de l’air de British Airways et les ouvriers de la British Airports Authority alors même qu'ils luttaient au même moment. La manifestation de Londres a été un autre exemple de ce que font vraiment les syndicats. Appelée par les syndicats RMT, FBU et UCU, aux querelles incessantes, la manifestation n'a attiré que 2000 personnes, moins d'un dixième du chiffre atteint à Edimbourg. Il est clair que les syndicats n'ont pas mobilisé leurs membres, de peur de ce qui pourrait arriver si les grévistes s'unissaient dans les rues. C'est ainsi que nous comprenons l'appel de Bob Crow8 pour que le TUC agisse rapidement afin d’organiser une action de masse contre les coupes budgétaires, comme moyen d'empêcher les ouvriers de prendre leur lutte en main.
Le Bloc Ouvrier Radical a attiré entre 50 et 100 personnes, d'après les estimations parues sur le site libcom.org, démontrant qu'une minorité dans la classe ouvrière remet les syndicats en question, même ici où ils sont traditionnellement si forts. Ceux du Bloc ont fait des efforts pour faire entendre leur voix distinctive en amenant mégaphone, tracts et presse, bien que cela ait été difficile étant donné la myriade de groupes concurrents syndicaux, trotskistes et « anti-coupes ». A la fin, un camarade du CCI a discuté avec quelqu'un de l‘AF9 pour savoir si le Bloc devait essayer de prendre la parole, concluant qu'il le devait, la prochaine fois. La prochaine fois aussi, nous pourrons apprendre de l'exemple des récentes luttes en France où des anarchistes internationalistes et des communistes de gauche ont travaillé ensemble pour appeler à des réunions à la fin des manifestations où, au lieu d'écouter les discours syndicaux, les véritables enjeux de la lutte ont été discutés. Comme la SF-IWA le dit : « Nous ne pouvons pas mettre notre confiance en autre chose qu’en notre solidarité et notre capacité à nous organiser ».
World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne n°339, novembre 2010.
2 La Solidarity Federation - International Workers Association (SF-IWA ou SolFed) est la section en Grande-Bretagne de l’AIT anarchosyndicaliste, NDT.
3 Le Socialist Party (SP) et le Socialist Workers Party (SWP) sont des organisations trotskistes, NDT.
4 La Trade Unionist and Socialist Coalition (TUSC) est une alliance électorale regroupant principalement des organisations trotskistes (dont le SP et le SWP) et des syndicalistes, NDT.
5 Le Trades Union Congress (TUC) est une confédération affiliant la majorité des syndicats britanniques, NDT.
6 Le National Shop Stewards Network (NSSN) est un réseau national regroupant des délégués radicaux de différents syndicats, NDT.
7 Le Socialist Worker est le journal hebdomadaire du SWP, NDT.
8 Bob Crow est le secrétaire général du syndicat RMT et est membre du conseil général du TUC, NDT.
9 L’Anarchist Federation (AF) est une organisation anarchiste des îles britanniques, membre de l’Internationale des Fédérations Anarchistes, NDT.
A la fin de 2009, une lutte ouvrière a commencé en Turquie et s’est fait connaître bien au-delà de ses frontières, et en particulier parce qu’une délégation de grévistes est venue en Europe de l’ouest en juin et juillet 2010. Elle venait répercuter son expérience et tirer les leçons avec ceux qui étaient intéressés à le faire.
Un court récapitulatif : des milliers de travailleurs des entreprises de tabac et de liqueurs Tekel, précédemment étatisées, protestaient contre la privatisation de la compagnie et par-dessus tout contre les attaques qui y étaient liées, les baisses de salaire et les licenciements en particulier. Les travailleurs se sont rassemblés à Ankara, la capitale, pour protester et ont reçu nombre de marques de sympathie et de solidarité de la part de la population locale. De plus, ils cherchèrent le soutien de secteurs plus larges de la classe ouvrière – en particulier, dans les usines où des luttes étaient en cours dans tout le pays. Au cours de leurs manifestations et de leurs efforts pour étendre la lutte, les travailleurs de Tekel en vinrent à s’élever contre la résistance des syndicats, qui se sont révélés faire partie eux-mêmes de l’appareil d’Etat. Aux côtés des ouvriers en grève des autres entreprises d’Etat (par exemple, les dockers, les travailleurs de la construction et les pompiers), ils créèrent, à Istanbul, une plate-forme des ouvriers en lutte. A la manifestation du premier mai à Istanbul, qui regroupait 350 000 personnes sur la place Taskim, ils occupèrent le podium de la place et lurent une déclaration contre la complicité des syndicats avec l’Etat. Les dirigeants syndicaux furent éjectés du podium et envoyèrent la police contre les ouvriers. Malgré le soutien donné à la lutte de Tekel, celle-ci n’a pas abouti dans la mesure où la privatisation et les attaques ne furent pas retirées.
Cependant, ceux qui avaient combattu décidèrent que leur expérience devait être transmise à d’autres ouvriers, pas seulement en Turquie, mais au-delà des frontières. Pendant les luttes, des contacts avaient déjà été pris avec des gens politisés dans d’autres pays. C’était en particulier le cas en Allemagne, où se trouve le plus grand nombre d’ouvriers émigrés et où la lutte était suivie avec une sympathie toute particulière. Grâce au soutien de différents groupes du milieu anarchiste et de la Gauche communiste, une tournée a été rendu possible en Europe notamment en Allemagne et en Suisse. Une délégation des ouvriers de Tekel a pu se rendre dans dix villes en Allemagne et en Suisse dans lesquelles toutes sortes de personnes ont pu bénéficier des informations et des discussions qui avaient lieu, et que nous voulons rapporter ici.
Les villes visitées entre mi-juin et début juillet furent Hanovre, Berlin, Brunswick, Hambourg, Duisburg, Cologne, Dortmund, Francfort, Nuremberg, Zurich et Milan. Le CCI a fait en sorte que cette tournée en Europe soit rendue possible. La plupart des réunions ont été organisées par le Free ArbeiterInnen Union (FAU/Free Workers Union) et à Berlin, par le Cercle Révolutionnaire de Discussion tandis qu’à Zurich, le meeting était organisé par le groupe Karakok Autonomie. Ceux-ci et d’autres groupes se sont mobilisés et ont uni leurs forces pour la tenue de ces réunions. Le nombre de participants a oscillé entre 10 et 40. Il faut tenir compte qu’au même moment avait lieu la Coupe du monde de football en Afrique du Sud et que les matchs étaient souvent retransmis à la télévision à la même heure que celle des réunions. Les personnes qui sont venues étaient jeunes pour la plupart, mais pas exclusivement. Dans ces villes où vivent beaucoup d’ouvriers turcs et kurdes, la génération des parents des jeunes de 20-30 ans était aussi présente.
Un travailleur de Tekel a fait une présentation expliquant l’histoire de la lutte entre décembre 2009 et mai 2010. Il a raconté de manière vivante l’expérience des ouvriers en lutte, comment ils avaient essayé vainement de pousser les syndicats à déclarer une grève générale des travailleurs du secteur étatique, comment ils avaient occupé brièvement le siège du syndicat Turk-Is à Ankara et comment la police avait protégé les syndicats, comment ils avaient campé dans la ville d'Ankara, recevant la solidarité de la population locale. Il ont dit combien la lutte des ouvriers de Tekel avait permis de dépasser les divisions entre Kurdes et Turcs ou entre femmes et hommes, ou entre ceux qui avaient voté pour tel ou tel parti. Par exemple, la police avait arrêté les bus qui transportaient 8 000 ouvriers aux portes d’Ankara, prétextant ne laisser passer que ceux qui ne venaient pas des usines Tekel dans les zones kurdes. En réponse, tous les grévistes sont descendus ensemble des bus et ont commencé à marcher vers le centre qui était éloigné, au plus grand étonnement de la police. Pour elle, la division entre ouvriers kurdes et turcs ne pouvait être remise en question.
Les discussions qui ont suivi la présentation montraient que les participants étaient très intéressés par les luttes en Turquie. L’atmosphère était fraternelle, pleine de solidarité et d’empathie – certains camarades ont même pleuré. La plupart des participants se reconnaissaient dans le but des ouvriers de Tekel. Ceux qui, dans l’assemblée, ne connaissaient encore pas grand-chose de la lutte ont posé des questions concrètes, montrant qu’en Allemagne et en Suisse, on réfléchissait aussi sur ces luttes.
L’unité des travailleurs au-delà des différentes frontières visibles et invisibles était saluée dans presque toutes les discussions comme ayant été de la plus grande importance.
L’Etat turc a essayé de diviser les combattants. Mais ceux-ci ne l’ont pas permis. Au contraire, ils ont recherché la plus grande solidarité possible des autres secteurs de la classe. Ce n’est que de cette façon qu’a pu émerger un sentiment d’être forts, mais aussi créer un vrai rapport de force en notre faveur. La lutte en Turquie, il est vrai, n’a pas atteint le but qu’elle s’était fixée. Mais elle allait dans la bonne direction. Précisément, dans un pays où le nationalisme turc, kurde (mais aussi arménien) a été monté en épingle par l’Etat et toutes sortes de groupes, un tel développement de la tendance à l’unité est particulièrement remarquable.
Pour beaucoup, la question syndicale a été au centre de leur intérêt. Au niveau de l’expérience immédiate, il y avait un accord : le Türki-Is a joué dans cette lutte un rôle similaire à celui que nous connaissons si bien avec les syndicats dans d’autres pays. Il a essayé de rendre les ouvriers passifs, ne se mobilisant que sous la pression des travailleurs eux-mêmes et de façon à disperser les énergies. Au même moment, au printemps, il y avait des luttes en Grèce où les grandes confédérations syndicales jouaient le même rôle et se démasquaient comme étant les défenseurs de la classe dominante et de l’Etat. En Allemagne et en Suisse aussi, on connaît bien ce rôle des syndicats. Le public, aux réunions sur Tekel, était impressionné par la façon dont les ouvriers de Tekel et ceux qui avaient participé à leurs luttes s’étaient opposés aux syndicats et les avaient combattu ouvertement. Mais est-ce qu’ils n’auraient pas eu besoin de syndicat « à eux » ? Est-ce que la lutte de Tekel n’a pas réussi du fait du manque d'un tel syndicat ? Dans presque toutes les discussions que la FAU a organisées, la question était de savoir si un nouveau syndicat « révolutionnaire » ou « anarchiste » aurait pu être créé ou non. Dans quelques villes, à Duisburg par exemple, des camarades parmi ceux qui soutiennent la FAU théorisaient que Tekel avait été moins un mouvement de grève et plus un combat avec des manifestations de protestation. Ne serait-ce pas dû au fait qu’il manquait un syndicat prolétarien ? Le délégué ouvrier de Tekel qui avait fait la présentation ne partageait pas ce point de vue. Il fondait son argumentation sur sa propre expérience, montrant que les syndicats, du fait de leur rôle, prendraient en dernière instance le parti de l’Etat, même s’ils avaient été créés par les travailleurs ou les révolutionnaires et pouvaient au début répondre aux besoins immédiats de la lutte. Mais quelle autre possibilité avons-nous ? Comment pouvons nous organiser notre lutte ? La réponse donnée par l’ouvrier de Tekel était claire: les comités de lutte ou de grève. Tant que la lutte se mène, ils doivent être organisés par les travailleurs eux-mêmes avec des délégués révocables à tout moment. L’assemblée générale doit élire un comité de grève qui rend son mandat à l’assemblée. A l’opposé, toute représentation permanente et indépendante de la mobilisation de ceux qui se battent est condamnée à devenir un syndicat bureaucratique « normal ». Cette discussion ne s’est pas tenue partout avec la même clarté et la même profondeur. Mais à Brunswick par exemple, ces alternatives ont été posées de manière analogue et la majorité de ceux qui assistaient semblait convaincue par le point de vue du camarade. En d’autres mots, la majorité avait tendance à être d’accord sur le fait qu’on devait rejeter la possibilité de fonder des syndicats « révolutionnaires ». Cette discussion sur la question syndicale, à partir de l’expérience de la lutte de Tekel, nous semble d’autant plus importante et d’actualité que, comme nous le savons, il y a au sein du milieu anarcho-syndicaliste une controverse sur la tentative de se faire reconnaître par l’Etat comme un syndicat officiel (la FAU à Berlin est même allée au tribunal pour cela) ? Ce n’est pas que du point de vue marxiste, de la Gauche communiste, mais aussi du point de vue de l’anarcho-syndicalisme lui-même que cela apparaît comme contradictoire.
Une autre question qui a surgi dans les discussions menées dans les différentes villes, a été celle des occupations d’usine. Pourquoi les ouvriers n’ont-ils pas occupé les usines ? Pourquoi est ce qu’ils ne les ont pas fait tourner sans les patrons ? Ces questions étaient posées sur la base de certaines luttes ces derniers temps en Allemagne, Italie et Suisse, dans lesquelles les employés étaient confrontés au problème de fermeture d’usine. A Tekel, ce n’est pas exactement le cas puisque beaucoup d’usines n’allaient pas être fermées mais privatisées. Là, la production a continué sous la direction des patrons. Le délégué des ouvriers de Tekel soulignait néanmoins que les ouvriers ne se sont pas retranchés dans les usines Tekel isolées dans différentes parties du pays, mais s’étaient rassemblés pour aller à Ankara. Ce n’était qu’en rassemblant des milliers d’ouvriers qu’il était possible de faire émerger le sentiment d’être une force, ce qui était caractéristique de la lutte (même si elle ne s’est pas terminée sur une victoire matérielle)1.
Est-ce que cette série de réunions publiques nous a fait avancer ? Nous pensons que des avancées peuvent être identifiées à différents points de vue.
En premier lieu, le fait que différents groupes, en particulier la FAU, anarcho-syndicaliste, et le CCI de la Gauche communiste, aient collaboré à l’occasion de cette tournée, mérite d’être mentionné. La collaboration avec les anarchistes internationalistes est enracinée depuis longtemps dans notre tradition, mais ici et à cette occasion, quelque chose de nouveau s’est concrétisé et qui, à notre avis, n’est pas pure coïncidence. Le travail en commun accompli est un signe que le besoin d’unité sur une base prolétarienne se fait jour, un besoin de la classe de dépasser un certain égoïsme de groupe. Bien sur, nous nous connaissions déjà et nous avions déjà utilisé d’autres occasions pour discuter telle ou telle question. Mais une collaboration comme celle que nous avons eue au début de l’été de cet année était quelque chose de nouveau. La recherche de l’unité de la classe ouvrière, du dépassement des divisions, était dès le début, à la base de l’initiative de la tournée de ceux de Tekel. Ce voyage avait pour but de transmettre les expériences et les leçons d’une lutte par delà niveau local ou national. La dimension internationale était au cœur cette initiative. La question n’était pas de présenter une spécialité turque au monde comme quelque chose d’exotique, mais de voir les points communs au niveau international et d’en discuter. Comme on a pu s’en rendre compte, l’expérience des ouvriers de Tekel avec les syndicats et de comment ceux-ci ont réagi, n’est pas un fait isolé, mais une tendance prévue de long terme et qui se répète sans arrêt. Pendant les luttes du printemps en Grèce, les travailleurs s’en sont aussi pris aux syndicats et ont commencé à se dresser contre eux. En France, pendant la mobilisation contre la « réforme des retraites », des jeunes, surtout, se sont rassemblés dans différentes villes, appelaient à des assemblées à la fin des manifestations pour discuter la question suivante : comment pouvons nous développer notre lutte indépendamment des syndicats ? Comment pouvons nous dépasser les divisions au sein de la classe ouvrière entre les différentes professions, entre retraités et actifs, entre chômeurs et ceux qui ont encore un travail, entre précaires et ceux sur contrat ? Quel est le but de nos luttes ? Comment pouvons nous nous rapprocher du but d’une société sans classe ? En Italie, en juin et en octobre de cette année, deux assemblées d’ouvriers combatifs venus de toute l’Italie se désignant comme « coordinamenti » se sont tenues, dont une à Milan, regroupant une centaine de personnes pour discuter de questions similaires : comment dépasser les divisions au sein de la classe ouvrière, comment résister au sabotage des syndicats ? Comment aller au-delà de ce système capitaliste miné par la crise ?
Turquie, Grèce, France, Italie – quatre exemples qui montrent que la classe ouvrière en Europe, depuis le début de 2010, a commencé à sortir de l’état de léthargie dans lequel elle était plongée après la crise financière de 2008. La classe dans son ensemble ne se sent pas encore assez confiante en elle-même pour prendre ses luttes en main. Mais des minorités de la classe posent justement cette question et essaient d’avancer. Le fait que de telles discussions aient pris place simultanément en différents endroits est l’expression d’un besoin qui va au-delà des frontières. Le grand voyage de ceux de Tekel était une réponse à cette nécessité. La délégation de Tekel avait pour but de montrer la dimension internationale de nos luttes locales et des discussions. La solidarité est le sentiment qui exprime l’unité de la classe ouvrière. En de nombreuses occasions, pendant ces réunions, la question était posée : comment pouvons nous soutenir les luttes « à l’étranger » ? La réponse de l’ouvrier de Tekel était : en luttant vous-mêmes.
Les minorités politiques de la classe ouvrière ressentent que la lutte est mondiale et qu’elle doit être menée comme telle de façon consciente. Les rapports sur la solidarité avec la lutte de Tekel ont été une source d’inspiration pour les participants aux réunions. Et c’est notre intention de transmettre ce message du mieux que nous pouvons. Les minorités politiques et combatives de la classe sont des catalyseurs des futures luttes. La lutte de Tekel n’a pas eu lieu en vain, même si les licenciements n’ont pu être empêchés.
Novembre 2010.
1Les délégués de Tekel se sont rendus à Milan pour rencontrer un groupe d'ouvriers de l'INNSE (entreprise de fabrication de machines-outils et d'équipements pour les aciéries) en grève avec occupation de leur usine. Là aussi, les discussions ont porté les mêmes questions essentielles de la lutte : le rôle des syndicats et le débat sur la stratégie d'occupation des entreprises.
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[103]Le CCI publie une nouvelle brochure consacrée à mai 68 et la perspective révolutionnaire. Cette brochure est constituée d’un recueil d’articles publiés dans notre presse à l’occasion de la commémoration des 40 ans de Mai 68.
La première partie relate les événements qui se sont déroulés en France et à l’échelle internationale ainsi que leur signification historique.
La deuxième partie est constituée par un article publié dans notre Revue internationale no 136 sur les mouvements de la jeunesse scolarisée, notamment en Grèce en décembre 2008, et qui sont significatifs de l’entrée d’une nouvelle génération de la classe ouvrière sur la scène de l’histoire.
La troisième partie de cette brochure rassemble une série d’articles sur la perspective du communisme publiés également sur notre site Internet. Ces articles montrent pourquoi le communisme est devenu une nécessité et une possibilité matérielles face à la faillite de l’économie capitaliste.
Quelles sont les raisons de l'effroyable crise économique mondiale qui fait actuellement rage ? Allons-nous revivre une grande dépression comme en 1929 ? Le capitalisme pourra-t-il s'en relever ?
C'est à toutes ces questions que nous essayons de répondre dans ce dossier spécial qui analyse les violentes convulsions économiques de ces dernières années :
Eté 2007 : Explosion de la bulle immobilière américaine (crise des subprimes).
Automne 2008 : Faillite de la banque Lehmann Brothers, séisme financier international, plongeon de l'économie mondiale.
2009 et 2010 : Envolée de l'endettement des Etats.
Eté 2011 : Croissance américaine en berne, crise de la dette des Etats, risque de faillite de la Grèce, du Portugal, de l'Irlande, de l'Italie et de l'Espagne, menace d'éclatement de la zone euro…
La catastrophe économique mondiale est inévitable [106]
"La crise de la dette" : pourquoi ? [107]
Crise économique : ils accusent la finance pour épargner le capitalisme ! [108]
Crise économique mondiale : un été meurtrier [109]
Mort à crédit [110]
Face à la crise capitaliste, il n'existe aucune voie de sortie [111]
Après la Grèce, l'Irlande... à qui le tour ? [112]
Grèce, Espagne, Portugal : des États en faillite [113]
Sommet du G20 de Pittsburgh : la fin de la crise ? [114]
Sommet du G20 à Londres : un nouveau monde capitaliste n'est pas possible [115]
Les Etats sont toujours les ennemis des ouvriers [116]
La plus grave crise économique de l'histoire du capitalisme [117]
Au sommet du G20, l'impuissance de la bourgeoisie face à la crise économique [118]
Crise du "néolibéralisme" ou crise du capitalisme ? [119]
1929-2008 : le capitalisme est un système en faillite, mais un autre monde est possible : le communisme ! [120]
Va-t-on revivre un krach comme en 1929 ? [121]
Existe-t-il une issue à la crise ? (2ème partie) [122]
Les Etats-Unis, locomotive de l'économie mondiale ... vers l'abîme [123]
Existe-t-il une issue à la crise économique ? (1ère partie) [124]
Chute des Bourses, secousses bancaires... Vers une violente accélération de la crise économique [125]
Crise financière : de la crise des liquidités à la liquidation du capitalisme ! [126]
La crise immobilière, un symptôme de la crise du capitalisme [127]
Place Puerta del Sol, Madrid
Le mouvement des Indignés, parti d’Espagne à la mi-mai 2011, et qui a pris aux Etats-Unis et en Angleterre le nom Occupy, a une importance historique. Les populations déshéritées et la classe ouvrière, en particulier la jeunesse, sont en train de réagir massivement aux coups de boutoirs de la crise économique. Mais plus encore que l'immense colère qui s'y manifeste, l'organisation de la lutte en assemblées générales et la réflexion qui anime ces débats font la preuve d'une véritable avancée pour le combat de notre classe.
Tous les articles, témoignages et vidéos sur ce thème sont publiés ici au fur et à mesure.
Nous avons reçu récemment ce texte des camarades du TPTG (Les Enfants de la Galère) en Grèce et nous sommes très heureux de le publier parce qu’il représente une des premières prises de position claire sur le « mouvement des assemblées » en Grèce, écrite par des camarades qui ont pris part au mouvement. Leur analyse des événements récents en Grèce correspond de très près à ce que nous avons dit du mouvement des « Indignés » en Espagne qui a fourni un catalyseur immédiat pour la mobilisation à Athènes et dans d’autres villes grecques. Exactement comme nous avions identifié une lutte à l'intérieur du mouvement en Espagne entre une « aile démocratique » qui vise à récupérer les assemblées au profit d’un projet de réforme capitaliste, et une aile prolétarienne qui est pour le développement de l’auto-organisation et un questionnement de fond sur les rapports sociaux capitaliste, le texte du TPTG conclut en disant :
« Une chose est sûre : ce mouvement insaisissable, contradictoire, attire l’attention de tout le monde politique et constitue une expression de la crise des rapports de classe et de la politique en général. Aucune autre lutte ne s’est exprimée de façon aussi ambivalente et explosive au cours des dernières décennies. Ce qui inquiète les politiciens de tous bords dans ce mouvement des assemblées, c' est que la colère et l’indignation prolétariennes (et de couches petites-bourgeoises) ne s’expriment plus par le circuit médiatique des partis politiques et des syndicats. Il n’est donc pas aussi contrôlable et il est potentiellement dangereux pour le système représentatif du monde politique et syndical en général (…) le caractère multiforme et ouvert de ce mouvement met à l’ordre du jour la question de l’auto-organisation de la lutte, même si le contenu de cette lutte reste vague. »
En résumé : malgré ses nombreuses faiblesses (et le mouvement en Grèce semble souffrir plus que son modèle en Espagne du poids mort du nationalisme), toute cette expérience représente un moment très important de l’émergence d’une forme plus profonde de conscience de classe et d’organisation prolétariennes, un moment dans lequel les révolutionnaires ont besoin d’être activement impliqués.
Quels que soient les désaccords qui puissent exister entre nos organisations, il est clair, d’après ce texte, que les principes que nous avons en commun sont encore plus significatifs : opposition aux manœuvres des gauchistes et des syndicats, rejet total du nationalisme et effort déterminé pour contribuer à l’émergence de ce que les camarades de TPTG appellent « une sphère prolétarienne publique » qui rendra possible à un nombre grandissant d’éléments de notre classe non seulement d’œuvrer pour la résistance aux attaques capitalistes contre nos conditions de vie mais aussi de développer les théories et les actions qui conduisent ensemble à une nouvelle façon de vivre.
CCI, juillet 2011.
Le mouvement des assemblées populaires a débuté d’une façon complètement inattendue le 25 mai à Athènes. On ne sait pas exactement quel était le groupe de personnes qui a pris l’initiative de mettre un post sur Facebook appelant à un rassemblement sur la place Syntagma pour exprimer leur « indignation » et leur colère face aux mesures d’austérité du gouvernement. Il semble malgré tout que quelques personnes autour d’un groupe politique influencé par l’idéologie démocratique développée les derniers temps par Castoriadis aient été impliquées entre autres dans cette initiative. L’appel a reçu une publicité favorable dans les médias et, pendant les premiers jours, il était fait référence dans ces mêmes médias à une banderole supposée être apparue lors de la mobilisation en Espagne : « Chut, ne criez pas, sinon, nous réveillerions les Grecs ! » ou quelque chose de ce genre. Naturellement, personne ne pouvait s’attendre à ce qui a suivi.
L’appel initial était une déclaration d’indépendance et de sécession vis-à-vis des partis politiques, de leurs représentants et de leur idéologie. Il déclarait aussi la volonté de protester pacifiquement contre la gestion étatique de la crise de la dette et « tous ceux qui nous ont amenés là où nous en sommes ». De plus, un des principaux mots d’ordre était l’appel à une « démocratie réelle ». Ce mot d’ordre, « démocratie réelle ! » fut rapidement remplacé après quelques jours par celui de « démocratie directe ! ». Les efforts faits au début par les organisateurs pour mettre en place un ensemble de règles démocratiques pour les assemblées furent rejetés par les participants. Cependant, certaines règles furent établies au bout de quelques jours en ce qui concernait la durée des prises de parole (90 secondes), la façon dont quelqu’un pouvait proposer un sujet de discussion (en étant choisi par tirage au sort)… Nous devons aussi mentionner qu’autour de la colonne vertébrale de l’assemblée générale, il y avait toujours plein de discussions, d’événements et même des confrontations entre les participants.
Au début, il y avait un esprit communautaire dans l’effort d’auto-organiser l’occupation de la place et officiellement les partis politiques n’étaient pas tolérés. Cependant, les gauchistes et, en particulier, ceux qui venaient de SYRIZA (coalition de la Gauche Radicale) furent rapidement impliqués dans l’assemblée de Syntagma et conquirent des postes importants dans le groupe qui avait été formé pour gérer l’occupation de la place Syntagma et, plus spécifiquement, dans le groupe pour le « secrétariat de soutien » et celui responsable de la « communication ». Ces deux groupes sont les plus importants parce qu’ils organisent les ordres du jour des assemblées aussi bien que la tenue des discussions. On doit remarquer que ces gens ne faisaient pas état de leur affiliation politique et qu’ils apparaissaient comme des « individus ». Cependant, ces politiciens sont incapables de manipuler complètement une assemblée aussi insaisissable et hétérogène quand le déni de légitimité aux partis politiques est prédominant. Il est très difficile de participer en tant qu’individu dans ces groupes spécifiques d’ailleurs, puisqu’il vous faut vous confronter avec les mécanismes de fonctionnement occulte des partis gauchistes.
Les regroupements organisés sur une base quotidienne devenaient graduellement de plus en plus massifs et exprimaient le refus complet de toute légitimité au gouvernement et au système politique en général. Dans le rassemblement le plus massif participaient environ 500 000 personnes (le dimanche 5 juin).
La composition sociale mélangée de la foule qui venait chaque jour, allait d’ouvriers sans emploi, de retraités et d’étudiants jusqu’aux petits entrepreneurs ou ex-petits patrons durement touchés par la crise. Dans ces rassemblements sur la place Syntagma, une division s’était faite dès les premiers jours entre ceux qui étaient « en haut » (proches du parlement) et ceux qui étaient « en bas » (carrément sur la place). Dans la première catégorie, quelques groupes nationalistes et d’extrême-droite ont été très actifs depuis le début pour influencer les gens les plus conservateurs et/ou moins politisés qui participaient aux manifestations (soit des prolétaires, soit des ex-petits entrepreneurs prolétarisés). Il est relativement courant pour la plupart d’entre eux réunis autour du parlement de brandir des drapeaux grecs, de faire le bras d’honneur contre les députés, de crier des slogans populistes et nationalistes comme « traîtres» ou « voleurs », ou même de chanter l’hymne national. Cependant, le fait que ces gens soient politiquement plus conservateurs ne signifie pas nécessairement qu’ils soient plus contrôlables quand les conflits s’enveniment avec la police ou qu’ils puissent compter dans leurs rangs des groupes d’extrême droite organisés. De l’autre coté, le deuxième groupe qui formait l’essentiel de l’assemblée etait beaucoup plus orienté vers la gauche démocratique (patriotique, antifasciste, anti-impérialiste) comme on peut le voir dans les communiqués votés[1] et est aussi prolétarien dans sa composition (ouvriers au chômage, fonctionnaires, étudiants, travailleurs du secteur privé, etc.).
Les gauchistes se sont débrouillés pour organiser une série de discussions sur la « crise de la dette » et la sur la « démocratie directe » avec des conférenciers invités venant de la gauche universitaire (par exemple, des économistes politiques de gauche comme Lapavitsas) qui sont en lien avec différents partis politiques de gauche (principalement SYRIZA et ANTARSYA). L’organisation de ces moments de discussions reproduit et renforce la division entre « experts » et « non-experts » et le contenu des présentations des conférenciers invités a été centré sur une alternative politique et une gestion économique des rapports capitalistes et de la crise. Par exemple, les principales visions concernant la question de la dette allaient de propositions de « restructuration de la dette » et d’annulation de la « partie inacceptable de la dette » à des appels à suspendre immédiatement les paiements de la part de l’Etat grec ou préconisant la sortie de la zone Euro et de l’Union Européenne. Dans tous les cas, le contenu politique développé pendant ces débats est celui d’une voie alternative et plus patriotique pour le « développement du pays » et de la création d’un Etat social-démocrate réel. En d’autres termes, ces débats essaient d’orienter les discussions vers une voie alternative pour la reproduction des rapports capitalistes en Grèce, qui serait mise en place par un gouvernement différent dans lequel les gauchistes assumeraient le rôle qu’ils méritent…il y a eu, à l’occasion, des critiques de la part de participants à l’assemblée sur le rôle prédominant des experts en statistiques tout autant que sur leur conception de la dette comme une question nationale, de logistique. Cependant elles étaient trop faibles pour changer l’orientation. La proposition la plus répandue d’une gestion de gauche de la « dette nationale » vient de la Commission d’Audit Grecque, composée de différents politiciens de gauche, de bureaucrates universitaires et syndicalistes, qui sont en faveur de l’idée de l’annulation de la « partie inacceptable de la dette » selon le modèle équatorien. Cette présence de la Commission s’est instituée sur la place dès les premiers jours, en dépit de résolutions votées pour l’exclusion des partis politiques et des organisations, sous prétexte qu’elle était une « association de citoyens » !
Quelques uns d’entre nous ont participé à une assemblée à thème qui avait été formée par l’assemblée générale sur les questions du travail et du chômage et appelée Groupe des ouvriers et des chômeurs. En lien avec d’autres camarades, cette assemblée a essayé de mettre en avant la pratique d’auto-organisation de la « suspension des paiements » à la base pour la satisfaction directe de nos besoins. Bien sur, cela était en complète contradiction avec les propositions politiques de gauche de « suspension des paiements de la dette souveraine ». Dans ce but, quelques interventions avaient été organisées sur les bureaux de chômage, appelant les chômeurs à rejoindre le groupe sur la place Syntagma et essayant d’entamer des discussions visant à organiser des assemblées locales de chômeurs (cet objectif n’a malheureusement pas connu de succès). Trois actions dans la station de métro de Syntagma ont aussi été organisées, en coopération avec un collectif qui agissait déjà dans ce domaine, la coalition de comités appelée « je ne paye pas », dans lesquelles les composteurs avaient été bloqués. Les gauchistes qui participaient à cette assemblée ont essayé de limiter ses activités à des revendications politiques de gauche sur le « droit au travail », pour réclamer « du travail à temps plein, décent et stable pour tous », etc. sans trouver un réel intérêt à communiquer leur expérience de lutte (s’ils en ont une) et à s’engager dans une action collective directe. Les résultats de cette confrontation sont détaillés dans le communiqué disponible sur le lien indiqué. [2] Toutefois, le problème principal est, qu’à part nous, quelques anarchistes anti-autoritaires et les gauchistes, la participation d’autres gens autant dans la discussion que dans les actions a été presque inexistante, bien que les actions qui ont été organisées aient eu l’accord de l’assemblée générale.
Cela nous amène à faire une autre observation importante sur l’assemblée de la place Syntagma. Bien que l’assemblée ait pris pendant tous ces jours des décisions qui impliquaient l’organisation d’actions, en définitive, très peu de gens y participaient. Il semble que le processus démocratique direct de seulement voter pour ou contre une proposition spécifique dans une assemblée de masse telle que celles-ci, tend à faire que se reproduisent la passivité et le rôle de spectateur/votant individuel.
Cette passivité et cet individualisme d’une partie significative des gens ont été dépassés le jour de la grève générale (le 15 juin) quand le besoin de lutter contre les tentatives de l’Etat de disperser la manifestation et de réoccuper la Place Syntagma a conduit non seulement concrètement à la participation de milliers de gens dans les conflits avec la police mais a aussi provoqué l’expression d’une réelle solidarité entre les manifestants : des gens étaient libérés des mains des flics par d’autres manifestants, l’équipe médicale aidait toute personne en danger, des milliers de gens dansaient joyeusement au milieu des gaz lacrymogènes, etc.
Il y avait toutefois certaines forces, à savoir les médias, les partis de gauche et les fascistes qui essayaient de favoriser la séparation entre les manifestants à propos de la question de la violence et au travers d’accusations contre quelques manifestants violents d’être poussés par des agents provocateurs de la police. Quand le bloc anarchiste/antiautoritaire et les blocs syndicalistes de base arrivèrent sur la place Syntagma et que quelques camarades rejoignirent la zone devant le parlement, un groupe de fascistes exploita le jet de deux ou trois cocktails Molotov par quelques individus et se mit à crier dans des porte-voix en direction des manifestants que les « kukuluforoi » ( personnes cagoulées) étaient des provocateurs de la police déguisés et qu’ils devaient être isolés. Ce groupe commença à attaquer les anarchistes/antiautoritaires et se débrouilla pour impliquer dans cette attaque d’autres manifestants. Les anarchistes/antiautoritaires réussirent à faire face à cette attaque avec succès. Cependant, les media ont exploité cet incident en le dépeignant comme une attaque des anarchistes contre les « indignés » ( comme s’appelle la foule qui manifeste sur la place) afin de favoriser la séparation entre manifestant « violents » et « pacifiques » au sein du mouvement. La vidéo de cet incident est passée en boucle le reste de la journée. Toutefois, au niveau de la politique de la rue, cette tentative ne connut pas un grand succès puisque quand la police attaqua plus tard la manifestation, elle se heurta à une foule complètement mélangée.
En dehors des médias, ce sont aussi les partis de gauche qui ont essayé de favoriser la séparation entre manifestants « violents » et « pacifiques » à travers leur « provocateurologie » et leurs accusations et leur propagande continuelles contre le milieu anarchiste/antiautoritariste. Leurs buts étaient évidemment différents : ils voulaient que le mouvement reste dans les limites de la légalité et du pacifisme pour pouvoir capitaliser celui-ci selon leur souhait de participer à un futur gouvernement qui suivrait une voie de gauche pour le développement du capitalisme grec. Nous devons ajouter ici que le Groupe de travailleurs et de chômeurs de la place Syntagma auquel participaient certains d’entre nous a proposé une résolution condamnant la « provocateurologie » et les fausses divisions au sein du mouvement mais le texte n’a jamais été voté en tant que sujet de discussion. Ce fut le résultat de l’intervention des organisateurs gauchistes et de manipulation combinée avec un faible soutien des participants.
Beaucoup de visions différentes se sont cependant exprimées en ce qui concerne la question de la « provocateurologie » et aussi du « caractère violent ou pacifique de notre mouvement ». Le caractère dynamique et contradictoire de l’assemblée peut être perçu au travers de quelques décisions de l’assemblée deux jours avant la grève générale des 28-29 juin. Les organisateurs de gauche se débrouillèrent pour remporter un vote appelant les forces de police à « montrer du respect pour la volonté du peuple et le droit constitutionnel de la souveraineté du peuple (…) et ne pas empêcher le peuple de protéger sa propre constitution » ! En même temps, il y avait une autre résolution qui condamnait « les professionnels de la violence qui servent le système et pas le mouvement », expression de la « provocateurologie » gauchiste contre ceux qui n’agissaient pas en accord avec l’idéologie d’obéissance à « la loi et l’ordre ». Au contraire, le lendemain, dans une autre décision, l’assemblée a voté en faveur de « ceux qui vont à l’affrontement avec les forces de répression » en décidant que « personne ne devait les prendre à partie dans les prises de parole par haut-parleur. » Le même jour, la proposition de « condamner toute forme de violence pendant les 48 heures de grève » fut rejetée.
On doit remarquer que jusqu’à maintenant, le « mouvement des places » a été réellement efficace dans le sens où il a réussi à élargir le champ de l’opposition à la politique du gouvernement, quelque chose que les grèves générales conventionnelles et les grèves de secteur isolées n’avaient pas réussi à faire. Cela a obligé le syndicat GSEE discrédité à appeler à une grève de 24 heures le 15 juin et à une grève de 48 heures quand le second plan d’austérité allait être voté et beaucoup de travailleurs ont saisi cette occasion pour participer aux manifestations du matin jusqu’au au soir. Bien que cela n’ait pas réussi à faire annuler le vote du plan d’austérité, cela n’en a pas moins réussi à créer une profonde crise ministérielle et une crise politique. Jamais avant, même pas pendant les émeutes de décembre 2008, le système politique de représentation n’avait aussi profondément perdu sa légitimité. Cependant, les organisateurs gauchistes réussirent à préserver le rôle de médiation des syndicats – au moins au niveau idéologique – en appelant avec eux à la grève générale de 48 heures.
Une première observation concernant cette grève est qu’il est impossible d’évaluer précisément le nombre de gens qui ont pris part à cet événement pendant les deux jours. Il y avait un afflux et un départ continu de gens sur la zone d’occupation des lieux au centre d’Athènes (c’est-à-dire sur la place Syntagma et dans les rues aux alentours) et le nombre de manifestants fluctuait entre quelques milliers et 100 000. La participation à la grève, au rassemblement et aux affrontements a néanmoins été beaucoup plus faible le premier jour que le second : le nombre de manifestants sur la place Syntagma le mardi 28 juin ne dépassait pas 20 000 personnes[3]. Au cours de ces deux jours, de rudes affrontements eurent lieu entre les manifestants et la police anti-émeute dans une grande partie de la ville autour de la place Syntagma. Des milliers de substances chimiques furent utilisées par la police anti-émeute, créant une atmosphère toxique et suffocante. Le deuxième jour, la mobilisation a été indiscutablement plus intense et plus massive.
Selon la police, 131 flics ont été blessés, 75 personnes ont été atteintes et 38 personnes ont été interpellées. Selon l’équipe médicale de la place Syntagma, plus de 700 personnes ont reçu les premiers soins dans les centres médicaux improvisés sur la place et dans la station de métro de Syntagma et une centaine de gens ont été transférés dans des hôpitaux. Il y a eu des dégâts dans des banques, des hôtels de luxe, à la poste de la place Syntagma ainsi que dans quelques établissements commerciaux et dans des restaurants.
Il ne fait aucun doute que, dès le début, le but de l’Etat était d’évacuer la place, de terroriser et de disperser les manifestants[4]. Cependant, l’état d’esprit persistant des manifestants se résumer parfaitement à travers ce mot d’ordre : « nous ne quitterons pas la place ». Résultat : la confrontation avec la police, physique comme verbale, était presque continuelle. Le premier jour, la plupart des gens étaient repoussés dans des rues autour de la place, menant des batailles plus ou moins longues, jusqu’ à ce que la police réussisse à créer « un cordon sanitaire » de flics autour de la place, empêchant toute personne de s’en approcher. Malgré cela, quelques centaines de personnes sont restées sur la place tard dans la nuit.
Le deuxième jour, à coté du rassemblement sur la place Syntagma, il y eut des tentatives de faire des blocages tôt le matin de façon à empêcher l’entrée des députés au parlement. Cette action avait été votée par l’assemblée de Syntagma comme par les assemblées qui s’étaient formées dans d’autres quartiers en dehors du centre d’Athènes. Malheureusement, une centaine seulement de manifestants participèrent à ces blocages qui furent immédiatement attaqués brutalement, repoussés et dispersés par la police. Ainsi, le plan d’empêcher les politiciens de rentrer dans le parlement ne fonctionna pas. Dans le cas du blocage de l’avenue Vasileos Konstantinou, les manifestants furent repoussés dans les rues avoisinantes où ils érigèrent des barricades et, après quelques heures et quelques confrontations sans gravité avec la police, ils commencèrent une longue manifestation qui passa dans les parties touristiques du centre pour rejoindre finalement le grand rassemblement sur la place Syntagma. Il faut remarquer que l’organisation des blocages a été totalement inefficace parce que les organisations gauchistes qui jouaient un rôle important du fait de leur contrôle sur les principaux groupes de l’assemblée de Syntagma n’avaient rien fait pour assurer une plus grande participation et une réelle confrontation avec la police. Bien sûr, l’attitude des gauchistes n’excuse pas l’incapacité de l’assemblée à simplement respecter ses décisions et la passivité d’un grand nombre de participants.
En ce qui concerne les conflits autour du parlement, des scènes semblables à celles du premier jour eurent aussi lieu le second jour, mais ce fut beaucoup plus difficile pour la police d’arriver à ses fins. Des milliers de manifestants participaient aux affrontements le deuxième jour. La plupart des manifestants s’étaient préparés aux assauts en portant des masques à gaz ou d’autres protections improvisées ; beaucoup transportaient des solutions anti-acide et quelques uns étaient complètement équipés pour se battre contre les flics. Dans nombre de cas, il y avait une « zone de front » où se passaient les batailles et une « zone de l’arrière » où les gens criaient des slogans, aidaient ceux qui en avaient besoin et même « alimentait » la « zone du front » en nouveaux renforts.
Les gens « pacifiques » épaulaient ceux qui se battaient avec la police : la présence physique d’une foule énorme était en elle-même un obstacle aux manœuvres de la police. Les protestataires bloquèrent un groupe de motos des forces de police des sinistres escadrons DIAS et DELTA en se mettant devant lui alors que les policiers étaient prêts à se lancer à l’attaque. Les manifestants « pacifiques » n’étaient pas effrayés par les affrontements et ce ne sont que les violentes attaques continuelles et massives de la police anti-émeute qui les obligèrent à abandonner les rues autour de Syntagma. Contrairement à ce que beaucoup prédisaient les jours précédents et en particulier pendant les affrontements du 28 juin, les affrontements n’ont pas « terrorisé » le « peuple » mais, dans un sens, ils exprimaient la colère accumulée contre un gouvernement largement décrédibilisé, contre la brutalité de la police et la dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière.
Ce jour-là en particulier, reparurent les insurgés de décembre 2008 (anarchistes, anti-autoritaires, étudiants, ultras, jeunes prolétaires précaires) aux cotés d’une partie considérable de la classe ouvrière plus « respectable » et plus stable qui protestait contre les mesures d’austérité en s’affrontant à la police. C’était la première fois depuis le 5 mai 2010 qu’il arrivait quelque chose de semblable.
La grève générale de 48 heures avait une autre ressemblance avec la rébellion de décembre 2008 : la gaieté. Beaucoup de mots d’ordre ou de chansons des manifestants contre le gouvernement et le FMI étaient dérivés de slogans ou de chansons de la culture de rue tandis que pendant les affrontements avec la police, des batteurs encourageaient les manifestants et les incitaient à maintenir leurs positions.
Les deux jours, la police finit par « nettoyer » les environs et les rues du centre tard dans la nuit et il ne resta plus qu’une poignée de personnes déterminés à rester sur la place toute la nuit.
Les milliers de gens qui avaient participé aux affrontements comme leur diversité contredisaient dans la pratique les théories des organisations/partis de gauche et des médias sur une prétendue « conspiration de provocateurs » ou de « gangs para-étatiques » et démontraient combien était ridicule toute propagande similaire bien répandue sur ces groupes « particuliers » qui « créent le chaos ». Beaucoup de gens ont réalisé qu’il était nécessaire de jeter des pierres, des pétards et de dresser des barricades dans la rue contre des flics armés, enragés et sans pitié qui exécutaient les ordres du capital et de l’Etat.
Ce changement était aussi le résultat du dépassement des confrontations (habituellement verbales) entre les protestataires « non violents » et « violents » au cours des mobilisation du dernier mois. Beaucoup de « non violents », en particulier les plus vieux, réalisaient enfin que derrière les « masques » des « provocateurs », il y avait surtout des gens normaux, remplis de rage. Ici, c’était une dame sexagénaire parlant amicalement avec un jeune de 16 ans, « masqué », du « droit de riposter aux attaques des flics» et là, c’étaient des protestataires « indignés » bien habillés qui discutaient avec des « émeutiers » de thèmes semblables.
Une autre caractéristique dominante de ces jours de rage, c’était la l’atmosphère mêlée à la fois de bagarre et de fête. Pendant les affrontements, il y avait de la musique en live, les gens chantaient et, comme nous l’avons dit avant, en quelques occasions des joueurs de batterie accompagnaient les contre-attaques face aux escadrons anti-émeutes ! Dans l’après-midi du 28, un concert fut donné malgré les bagarres et les gaz et les manifestants dansaient pendant que la police arrosait la place de gaz lacrymogènes.
Les « expropriations » de pâtisseries, de gâteaux et de glaces d’un grand café sur la place donnait à la lutte un goût très doux le 29, bien que le groupe en charge de la nourriture ait condamné le pillage par haut-parleurs, ayant été probablement engueulé par quelques « organisateurs » de gauche. Plus tard, dans l’après-midi, un groupe important composé principalement de membres de SYRIZA essayèrent d’empêcher les gens d’empiler des pierres pour s’en servir contre une attaque éventuelle des escadrons anti-émeutes, mais n’ayant aucun plan alternatif pour contrer l’attaque, ils laissèrent rapidement tomber. Juste après, l’équipement en micros et mégaphones fut retiré de la place sous prétexte qu’il pouvait être endommagé. Le choix d’éloigner la « voix » de la mobilisation à ce moment précis, quand les affrontements avec la police aux alentours de la place étaient encore en cours, affaiblissait de façon évidente la défense de la place. Quelques minutes plus tard, de nombreuses forces de police anti-émeute envahissait la place et, dans une opération particulièrement violente d’encerclement, réussissait à disperser la foule, la refoulant jusque dans la station de métro. Il n’y eut qu’une centaine de personnes qui revinrent sur la place et encore moins qui y restèrent tard dans la nuit.
Nous devons mentionner aussi que le sentiment de rage contre les politiciens et la police est réellement en train de grandir. A part des affrontements généralisés, cette rage se reflétait aussi dans les condamnations verbales qu’on pouvait entendre ici et là : « nous devrions brûler le parlement », « nous devrions les pendre », « nous devrions prendre les armes », « nous devrions visiter les maisons des députés », etc. Il est à remarquer que la plupart de ces déclarations provenaient de gens plus âgés. Plusieurs cas « d’arrestation » de flics camouflés dans la foule sont aussi révélateurs du degré croissant de colère : dans la soirée du 29, des manifestants se saisirent d’un flic camouflé en civil dans la station de métro de Syntagma et essayèrent de le retenir quand les secouristes de Croix-Rouge sont intervenus et l’ont aidé à s’échapper (selon la rumeur, il n’avait pas plus son arme quand il est parti…)
En ce qui concerne le rôle des syndicats (GSEE-ADEDY), à part leur appel à la grève de 48 heures, qui était plus ou moins un résultat de la pression du « mouvement de la rue », ils n’ont réellement joué aucun rôle important. Il est significatif que les rassemblements sous leurs sigle n’aient attiré que quelques centaines de personnes et que, le second jour, quand le nouveau plan d’austérité allait être voté, le GSEE ait organisé son rassemblement tard dans l’après-midi, sur une autre place dans le centre-ville (à deux pas de la place Omonia et dans la direction opposée à Syntagma !) De plus, le 30 juin, le GSEE fidèle à sa théorie d’un complot fomenté, publiait un communiqué de presse qui condamnait « des destructions et des émeutes préparées à l’avance entre les encagoulés et la police qui coopérent contre les travailleurs et les manifestants (..) Le GSEE condamne toute violence d’où elle vienne et appelle le gouvernement à assumer ses responsabilités… ». De l’autre coté, ADEDY a gardé une attitude plus prudente : dans ses communiqués de presse du 29 et du 30 juin, il condamnait « la barbarie du gouvernement » et « la brutalité de la police » contre les manifestants et appelait même à un rassemblement le 30 juin à la place Syntagma… qu’il n’a jamais organisé !
Quelques points généraux concernant le mouvement contre l’application des plus dures mesures d’austérité depuis la Seconde Guerre mondiale :
1 Le nationalisme (principalement sous sa forme populiste) est dominant, favorisé à la fois par les diverses cliques d’extrême droite et par les partis de gauche et les gauchistes. Même pour beaucoup de prolétaires et de petit-bourgeois frappés par la crise qui ne sont pas affiliés à des partis politiques, l’identité nationale apparaît comme un dernier refuge imaginaire quand tout le reste s’écroule rapidement. Derrière les mots d’ordre contre « le gouvernement vendu à l’étranger » ou pour « le salut du pays », « la souveraineté nationale » la revendication d’une « nouvelle constitution » apparaît comme une solution magique et unificatrice. Les intérêts de classe sont souvent exprimés en des termes nationalistes et racistes, ce qui donne un cocktail politique confus et explosif.
2 La manipulation de la principale assemblée sur la place Syntagma (il y en a plusieurs autres dans différents quartiers d’Athènes et dans d’autres villes) par des membres « non déclarés » des partis et des organisations de gauche est évidente et c’est un obstacle réel à une direction de classe du mouvement. Cependant, à cause de la profonde crise de légitimité du système politique de représentation en général, eux aussi devaient cacher leur identité politique et garder un équilibre –pas toujours réussi - entre d’un coté un discours général et abstrait sur « l’autodétermination », la « démocratie directe », « l’action collective », « l’anti-racisme », le « changement social », etc., et de l’autre coté contenir le nationalisme extrême, le comportement de voyou de quelques individus d’extrême-droite qui participaient aux regroupements sur la place.
3 Une partie significative du milieu anti-autoritaire aussi bien qu’une partie de la gauche (en particulier les marxistes-léninistes et beaucoup de syndiqués) gardent leurs distances envers les assemblées ou leur sont ouvertement hostile : les premiers les accusent surtout d’avoir montré de la tolérance vis-à-vis des fascistes devant le parlement ou d’avoir pris la défense des députés devant l’assemblée, d’être un ensemble politique petit-bourgeois, réformiste, manipulé par certains partis de gauche. Les seconds accusent les assemblées d’apolitisme, d’hostilité envers la gauche et le « mouvement syndiqué, organisé ».
Une chose est certaine : ce mouvement insaisissable, contradictoire attire l’attention de tout le monde politique et constitue une expression de la crise des rapports de classe et de la politique en général. Aucune autre lutte ne s’est exprimée de façon aussi ambivalente et explosive au cours des dernières décennies. Ce qui inquiète les politiciens de tous bords dans ce mouvement des assemblées, c’est que la colère et l’indignation prolétariennes (et de couches petite-bourgeoises) grandissantes ne s’exprime plus par le circuit médiatique des partis politiques et des syndicats. Il n’est donc pas aussi contrôlable et il est potentiellement dangereux pour le système représentatif du monde politique et syndical en général. Le rôle de la « provocateurologie » est donc crucial : celle-ci est utilisée comme un exorcisme, une calomnie à l'encontre d'une partie croissante de la population qui, exilée dans le no man’s land de « l’activité para-étatique » doit être réduite à l’inertie. A un autre niveau, le caractère multiforme et ouvert de ce mouvement met à l’ordre du jour la question de l’auto-organisation de la lutte, même si le contenu de cette lutte reste vague. Le débat public sur la nature de la dette est une question épineuse car il pourrait conduire à un mouvement de « refus de payer » pour l’Etat grec ( une question bien au-delà de l’horizon politique des partis, des syndicats et de la grande majorité de la gauche extra-parlementaire, restée profondément pro-étatiste). Après le vote sanglant du Programme à Moyen Terme ( NDT : autre nom donné au 2e plan d’austérité ), on ne sait pas quelle direction prendra le mouvement des assemblées à une époque où toutes les certitudes semblent s’évanouir dans les airs.
TPTG (11/7/2011)
Sources URL : https://en.internationalism.org/icconline/2011/07/notes-on-popular-assem... [130]
[1]Voir https://real-democracy.gr [131]
[2] https://real-democracy.gr/en/node/159 [132].
[3] Le fait que la plupart des gens aient choisi de faire grève le deuxième jour des 48 heures de grève générale, quand le « programme cadre de consolidation fiscale à moyen terme » était voté, révélait fortement le caractère idéologique et mensonger des appels des gauchistes à une grève générale illimitée. La grosse réduction des revenus et des ressources des ouvriers combinée à la crise complète des syndicats rendait un tel projet impossible, au moins à court terme, à la fois au niveau subjectif et objectif. Les appels des gauchistes à la grève générale illimitée sont dépourvus de tout contenu réel et sont utilisés comme propagande pseudo-combative de façon à cacher leur incapacité totale ou leur refus de s’engager dans des actions directes et concrètes appropriées mettant en avant la « suspension des paiements » pour les prolétaires de la base. Les cadres de tous les partis gauchistes et des groupuscules sont bien plus enclins à garder leurs positions institutionnelles dans les différentes associations syndicales et dans les organisations non gouvernementales qu’à favoriser tout activité réelle de classe antagonique
[4] Comme il a été révélé plus tard dans les media, cet objectif avait déjà été planifié et décidé au cours d’une conférence de l’état-major de la police grecque le mardi et cela montre à la fois l’importance accordée par le gouvernement au vote des nouvelles mesures d’austérité et l’absurdité de la théorie de la « provocation » des flics par la violence. Par ailleurs, d’après les conversations très vives entre les policiers anti-émeutes et les manifestants, nous pouvons conclure que ces escadrons doivent subir une sorte d’entraînement idéologique de la part des officiels gouvernementaux de façon à ce qu’ils ne ressentent aucun doute moral pour exécuter les ordres : l’argument dominant était que la majorité des manifestants sont « des fonctionnaires qui ont perdu leurs privilèges »…
Le mouvement du 15-M (15 mai) tend à refluer, en partie à cause de la fatigue de tant de jours de mobilisation, et aussi à travers le travail de sape de l’intérieur réalisé par la DRY[1] [133] et « de l’extérieur » par l’action des médias et l’intervention des politiciens, du gouvernement central et des gouvernements régionaux.
C’est dans ce contexte que les incidents de Barcelone ont eu lieu. Une minorité agresse et humilie quelques parlementaires, ce qui a donné lieu à une campagne assourdissante et passablement hystérique « contre la violence », « pour la défense des institutions démocratiques », etc. On fait la « différence » entre une majorité pacifique et une minorité radicale anti-système, laquelle « abîmerait » le mouvement, en exigeant des « leaders » de celui-ci de combattre et d’en écarter les « violents »[2] [134]. Et pour compléter le délire total des uns et des autres, on parle même de « kale borroka » [nom basque donné aux émeutes de rue des nationalistes, N. du T.]...
Il est nécessaire de mettre les points sur les i : Qu’est-ce que la violence ?, Quelles en sont les causes ? Tous les genres de violence sont-ils identiques ?, Qui est à l’origine des incidents de Barcelone ? Contre qui est dirigé la campagne actuelle « antiviolence » ? Quelles sont les perspectives mises en avant ?
Lorsque des malades meurent à cause des réductions de dépenses dans le secteur de la santé ; lorsque les personnes âgées connaissent une vieillesse amère à cause des misérables pensions ; lorsque des travailleurs meurent dans des accidents de travail parfaitement évitables ; lorsque des années de travail laissent leur trace sous la forme des maladies psychiques ou physiques ; lorsque des millions de personnes souffrent dans le désespoir d’un chômage sans fin ; lorsque des immigrés se retrouvent enfermés dans les Centres d’Internement des Étrangers (CIE) sans la moindre charge contre eux ; lorsque ta vie dépend chaque jour d’un contrat précaire de travail-poubelle ; lorsqu’on te jette hors de chez toi par ordonnance d’expulsion ; lorsqu’on te coupe l’électricité, etc., c’est quoi si ce n’est pas de la violence ?
Dans cette société basée sur l’exploitation et la concurrence à mort, la violence règne en maître, une violence organisée, institutionnalisée, considérée comme « normale », présentée comme « la vie elle-même », légitimée par les lois et avalisée par l’appareil répressif des polices, des tribunaux et des prisons.
Que peut-on faire face à cette violence ? Nous taire ? L'accepter avec résignation ? Non ! Nous devons suivre le chemin du mouvement du 15-M, suivre ce qui a été fait avant en France contre la réforme des retraites, ou en Egypte, en Grèce, ou par les étudiants en Grande-Bretagne : nous unir, nous organiser nous-mêmes en assemblées, organiser des manifestations, des rassemblements, des grèves.
Cette action collective signifie rompre avec la normalité quotidienne de cette société, basée sur une course à la survie où il y en très peu qui gagnent et beaucoup qui perdent, où le voisin n’est pas considéré comme un camarade avec lequel il faut coopérer, mais un rival qu’il faut utiliser et écarter sans scrupule dans une « lutte pour la vie ». Rompre avec cette situation de violence permanente et imposer notre action collective contre ceux qui en sont responsables et en bénéficient -le Capital et son Etat- porte un nom : la violence. Essayer d’éviter le mot en nommant la chose « désobéissance civile », « non-violence », « pacifisme » et d’autres euphémismes avec lesquels la DRY prétend camoufler et obscurcir les questions, c’est de la tromperie, c’est une manière de nous éloigner de ces moyens collectifs de combat pour nous enfermer dans les « moyens démocratiques » -les multiples modalités d’élections, les quêtes de signatures, la confiance aveugle dans des leaders charismatiques qui se bagarrent pour conquérir nos voix, etc. Ce sont là des moyens qui nous renvoient à notre atomisation, enfermés dans notre « chacun pour soi », passifs et concurrents ; autrement dit, on attaque la racine de notre force collective : la solidarité, l’unité, le débat, l’action commune.
La société capitaliste exsude la violence par tous ses pores, elle ne se maintient que par la violence, elle engendre de la violence entre les classes et aussi entre les individus. Ceci dit, la violence en général n’existe pas, il existe différents types de violence. Le type de violence de la bourgeoisie n’a rien à voir avec celle pratiquée par le prolétariat. La violence de celui-ci a des caractéristiques propres et spécifiques qui la différencient radicalement de celle qui est exercée quotidiennement par le système capitaliste et son Etat. Voilà, à notre avis, la question essentielle : comprendre en quoi consiste la violence prolétarienne et quels sont ses moyens.
Ce n’est pas ici le lieu de développer en détail cette question [3] [135], mais, en bref résumé, on peut dire que la violence du prolétariat ne se fonde pas seulement sur la révolte contre la violence systématique de l’ordre établi, mais aussi sur la perspective historique de la construction d’une nouvelle société sans classes, sans Etats, sans frontières, une communauté humaine mondiale qui vivra et agira par et pour elle-même. Les moyens de la violence du prolétariat doivent être cohérents avec cette fin, on ne peut pas en faire usage en suivant le précepte jésuitique de « la fin justifie les moyens » ; il existe une éthique prolétarienne [4] [136].
Si ce que l’on recherche, c’est la libération de l’humanité, la violence prolétarienne ne peut pas être irrationnelle, sadique, aveugle ; si nous aspirons à une société où la solidarité soit le principe même de l’existence, on doit rejeter l’insulte, la calomnie, le dénigrement, la violence entre les ouvriers eux-mêmes, la recherche de bouc émissaires sur lesquels se défouler, la vengeance et la revanche. La violence prolétarienne rejette la torture, l’humiliation et le sadisme, la guerre impérialiste et le terrorisme. Elle se fonde sur l’action directe de masse : les assemblées, les manifestations, les grèves, les rassemblements, la culture du débat.
Les événements de Barcelone semblent avoir été une provocation policière, mais ils sont en lien avec une orientation que le mouvement du 15-M s’est donnée ces derniers temps et qui consiste dans le fait d’organiser des rassemblements devant les parlements régionaux et les mairies et une fois là, insulter les politiciens, les traitant d’escrocs, les huer, en déchargeant sur eux toutes les rages et les frustrations accumulées.
Ce genre d’action est incompatible avec l’éthique et les moyens de violence du prolétariat et la seule chose qu’on réussit à faire avec ces actions, c’est de renforcer les mécanismes démocratiques de domination capitaliste.
La focalisation sur tel ou tel politicien corrompu signifie que l’on désigne les effets en évitant les causes, qu’on décharge les tensions sur un quidam livré à la vindicte publique tel un bouc émissaire, qu’on personnalise les choses, qu’on ne s’inscrit ni plus ni moins que dans les rapports générateurs de violence de cette société. Et en même temps, et contrairement au scandale hystérique monté par les médias et les politiciens, ce genre d’action ne va pas contre la démocratie mais il la renforce plutôt. Quand on s'en prend à tel ou tel politicien, on tombe dans l’illusion selon laquelle avec un autre « plus honnête » ou « plus représentatif », les choses iraient mieux. Ainsi, l’institution démocratique ne serait pas le problème mais la solution. Le problème resterait cantonné aux « corrompus », aux « truands », à « ceux qui n’écoutent pas le peuple » et si on les change par des gens honnêtes, représentatifs, les choses pourraient s’arranger.
Sur Internet circulent des textes et des vidéos qui montrent avec des preuves convaincantes que les incidents devant le Parlement catalan ont été largement provoqués par des policiers infiltrés [5] [137]. Qui plus est, dans la zone où ces événements se sont produits, il y avait très peu de policiers pour la surveiller, ce qui a donné lieu à une passe d’armes entre le Président de la Généralité catalane et son « ministre » de l’Intérieur.
Cette politique qui consiste à provoquer des incidents « impopulaires » pour, immédiatement, justifier la répression sur une classe sociale, un parti ou un secteur d’un mouvement, n’est pas nouvelle. À la fin du 19e siècle, le gouvernement espagnol organisa une bande qui perpétrait des attentats pour justifier ainsi une répression brutale contre le mouvement ouvrier et les anarchistes. En 1978, à Barcelone, des agissements violents perpétrés par des provocateurs de la police au théâtre L'Escala furent utilisés par la démocratie à peine naissante pour justifier des rafles massives envers des ouvriers radicaux. On pourrait écrire des tomes entiers pour raconter les centaines et les centaines de ces manipulations au niveau national et international. Nous nous trouvons face à une classe dominante -la bourgeoisie- qui est particulièrement cynique et tordue, dont l’un des premiers idéologues – Machiavel - a mis en avant une pratique – nommée par la suite « machiavélisme »- consistant à organiser les actions le plus troubles pour justifier les politiques les plus brutales.
Vociférant à l’unisson, les politiciens de tous bords et les médias de toute idéologie ont déchaîné une furieuse campagne contre « les violents anti-système ». On a encouragé les leaders du 15-M à écarter de leur sein cette « scorie », on a construit une sale association de mots qu’un éditorialiste d’El País, journal réputé « progressiste », a bien verbalisé : « Le mouvement doit approfondir son âme réformiste et pacifique en écartant son âme révolutionnaire et agressive ». Voilà qui est dit : révolutionnaire serait synonyme d’agressivité, de violence, de sauvagerie, tandis que réformisme serait équivalent de paix, harmonie, respect.
Quels sont les objectifs de cette campagne qui n’a rien de pacifique déjà par la violence des propos, mais surtout par les menaces lancées par des politiciens et les éditoriaux de la presse, etc. ?
Le premier objectif est de faire croire que la ligne de démarcation dans le mouvement partagerait la violence et la non-violence, le radicalisme « révolutionnaire » et le pacifisme démocratique. La véritable frontière n’est pas celle-là, mais celle qui sépare, d’un coté, la « réforme de la démocratie »[6] [138] et, de l’autre, la lutte de classe contre les coupes sociales en tous genres et contre le capitalisme.
Mais il y encore un deuxième objectif en lien avec le précédent. Dans notre article « De la place Tahrir du Caire à la Puerta del Sol de Madrid »[7] [139], nous disions que « Dans les assemblées, deux ‘âmes’ cohabitent : l’âme démocratique qui constitue un frein conservateur et l’âme prolétarienne qui cherche à se définir sur une vision de classe. ». Les forces du régime démocratique cherchent à tout prix à faire taire « l’âme prolétarienne » incarnée dans une large minorité de camarades de toutes sortes, de collectifs, etc., qui mettent en avant la défense des Assemblées –il y a même un secteur qui défend : « Tout le pouvoir aux Assemblées »-, qui est favorable à une lutte massive de la classe ouvrière contre les coupes sociales et à une orientation internationaliste de destruction du capitalisme. Ce secteur est l’expression de la plateforme que la classe ouvrière se donne pour essayer d’avancer dans le développement de sa conscience, de son auto-organisation et de sa force collective, pour franchir de nouvelles étapes qui reprennent le meilleur du mouvement du 15-M et, en même temps, dépassent ses faiblesses et ses limitations. C’est cette « large minorité » qu’on veut stigmatiser en l’associant à la violence irrationnelle, qu’on veut que la DRY marginalise –en utilisant d’ailleurs des méthodes violentes- pour imposer son message démocratique et citoyen.
Cette minorité -comme l’ensemble des travailleurs- doit comprendre qu’il est impossible que la classe dominante abandonne volontairement ses privilèges et le pouvoir qu’elle exerce sur la société. L’histoire nous démontre qu’elle recourt aux pires crimes quand il s’agit de les conserver. Il y a 140 ans, un gouvernement républicain, soutenu par un parlement élu au suffrage universel, assassina en une semaine 30 000 ouvriers qui avaient osé défier la bourgeoisie avec le grand mouvement de la Commune de Paris [8] [140]. Depuis lors, les choses n’ont pas du tout changé : les massacres orchestrés par les gouvernements les plus « démocratiques » en Irak et ailleurs, ne sont pas réservés qu’aux populations lointaines soumises à un état de guerre. C’est avec la même cruauté et le même cynisme que ces gouvernements massacreront leurs exploités s’ils se sentent menacés ! Et contre la violence organisée et systématique de la classe dominante, la classe ouvrière devra prendre les armes pour la renverser. Mais, comme nous l’avons affirmé plus haut et comme l’expérience de la Commune de Paris en 1871, celle de Révolution Russe de 1917 ou d’Allemagne en 1918-19, le démontrent, les moyens que cette violence utilise sont radicalement différents que ceux de la bourgeoisie.
Cette minorité qui est le canal par lequel s’exprime « l’âme » prolétarienne du mouvement [9] [141] doit impulser le débat le plus large pour ouvrir la voie aux éclaircissements sur la question de la violence et sur plein d’autres questions qui ont commencé à se poser autour du mouvement du 15-M (reforme ou révolution ?, démocratie ou assemblées ?, revendications démocratiques ou revendications sociales ?, mouvement citoyen ou mouvement de classe ?). Elle doit encourager les efforts d’auto-organisation dans les lieux de travail, chez les chômeurs et les précaires, dans les centres d’enseignements, dans les quartiers, pour ainsi développer une nouvelle phase de mobilisation dont la classe ouvrière soit le centre.
Tout cela, nous devons le faire en sachant que nous faisons partie d’un large mouvement historique et international au sein duquel l’immédiatisme, l’empressement désespéré pour obtenir des résultats rapides, n’est qu’un piège. À ce propos, nous voudrions finir cet article en citant un texte de quelques camarades de Madrid [10] [142] qui est très clair là-dessus :
« Les politiciens, les syndicats et les médias font pression sur nous pour qu’on donne des buts concrets au mouvement le plus tôt possible, pour qu’on mette au clair ce que nous voulons. Et, de fait, depuis quelques jours, dans toutes les Assemblées, on essaye de consolider un catalogue de revendications (...), on y parle de la reforme électorale, de la démocratie participative, de l’intolérance vis-à-vis de la corruption, on parle aussi de coopératives, de nationaliser la banque (...) Nous sommes convaincus que ce ne sera pas en faisant les choses à toute vitesse, tel que le veulent, d’une façon bien intéressée, tous les politiciens et tous ceux qui veulent que rien ne change, ou, plutôt, qui veulent changer quelques petits détails pour que tout continue comme avant (...) que nous arriverons à synthétiser ce que voulons tous ceux qui sommes en lutte (...) la meilleure manière de donner une forme aux protestations c’est de concrétiser non pas ce que nous voulons, mais ce que nous ne voulons pas. (...) Nous ne voulons pas être des marchandises, ni mal vivre dans un monde qui transforme tous les rapports humains en rapports marchands. Nous ne voulons plus être soumis à la tyrannie de l’économie qui détruit nos vies et toute la planète. Nous ne voulons pas d'une société divisée en classes où la majorité de l’humanité vit dans un esclavage caché pour que quelques uns puissent vivre comme des rois. Nous pensons fermement que ce sont là des axes sur lesquels nous pouvons articuler et étendre les protestations, que ce sont des axes sur lesquels nous pouvons nous développer et commencer à entrevoir dans l’avenir, peu à peu, sans se presser, ce que nous voulons ».
CCI (19 juin 2011)
[1] [143] « Le mouvement citoyen ‘Democracia Real Ya !’ : une dictature sur les assemblées massives [144] ».
[2] [145] Ces « leaders » ont demandé aux manifestants de photographier avec leurs caméras ceux qui provoquent des incidents pour porter plainte contre eux.
[3] [146] Nous renvoyons à deux documents publiés dans notre Revue internationale : « Terreur, terrorisme et violence de classe [39] », et « Résolution sur : TERRORISME, TERREUR et VIOLENCE de CLASSE [147] ». [4] [148] Voir Revue internationale nº 127 et 128 : « Marxisme et éthique (débat interne au CCI) [149] » et « Débat interne au sein du CCI - Texte d'orientation : sur le marxisme et l'éthique (juin 2004) [150] ».
[5] [151] Voir https://es.search.yahoo.com/?fr2=p:newsrd,mkt:es [152]. Sur Youtube est apparu un document où apparaissent d’étranges manifestants isolés, avec des oreillettes et du genre robuste qui par la suite se sont mélangés aux gens rassemblés. Au bout de quelque temps, l’accès à cette vidéo a été bloqué.
[6] [153] Une démocratie au nom de laquelle on justifie et on maintien des lois répressives très dures, ou l’on participe à des guerres comme celle en Libye ou en Afghanistan, ou l’on garde enfermés des milliers d’immigrés, des tas de choses qui n’ont rien de pacifique.
[7] [154] fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/de_la_place_tahrir_a_la_puerta_del_sol_de_madrid.html [155]
[8] [156] On peut lire La guerre civile en France [157], prise de position de la Première Internationale sur la Commune de Paris, rédigée par Marx.
[9] [158] Sur notre site en espagnol [159] (il y a aussi un « dossier spécial » en français et en anglais ainsi que beaucoup de textes traduits en italien, allemand, néerlandais et portugais), nous avons ouvert des dossiers et des débats sur le mouvement du 15-M dont on a publié des textes de groupes, de collectifs et de camarades, avec lesquels nous ne sommes pas forcement d’accord sur tout, qui expriment la richesse et l’effort politique de cette minorité prolétarienne.
[10] [160] « Carta abierta a las Asambleas [161] » (Lettre ouverte aux Assemblées).
Le texte que nous publions ci-dessous a été rédigé par un groupe d'anarchistes madrilènes autour du 27 mai. Il nous a été envoyé sur notre site en espagnol1 par un de nos lecteurs. Nous l’avons publié et nous le traduisons ici parce qu'au-delà des divergences que nous pouvons avoir parfois, il donne une description vivante et juste de ce qui s'est passé dernièrement sur la Puerta del Sol de Madrid. Par ailleurs, il pose le problème de l’intervention des révolutionnaires dans ce genre de mouvement.
CCI (15 juin)
Ce texte a été écrit à Madrid, il se peut donc que pas mal de descriptions et de réflexions ne soient pas celles d’autres endroits, à cause ne serait-ce que de l’hétérogénéité du mouvement du 15-M2. Cependant, nous pensons qu’il peut être utile en tant que point de départ pour la réflexion de tous les compagnons3 qui sont impliqués dans les assemblées, quel que soit le lieu. Ce texte a été rédigé et corrigé un peu dans la précipitation pour qu’il soit disponible avant l’appel aux assemblées de quartier ou de villes de banlieue du 28 mai. Tenez-en compte au moment de lire ce qui suit et excusez-nous pour toutes sortes d’erreurs que ce texte pourrait contenir.
Quelques anarchistes madrilènes.
Mettons les choses au clair. Nous, qui signons ce texte, sommes des anarchistes, des communistes antiautoritaires, anticapitalistes ou bien une autre étiquette à votre goût. Autrement dit, nous sommes pour l’abolition du travail salarié et du capital, pour la destruction de l’Etat et son remplacement par de nouvelles formes horizontales et fraternelles de vie collective. Nous pensons que les moyens pour y arriver doivent être le plus en cohérence possible avec les objectifs recherchés et, par conséquent, nous sommes contre la participation aux institutions, contre les partis politiques (parlementaires ou pas) et les organisations hiérarchiques, nous misons sur une politique basée sur l’assembléisme4, la solidarité, l’entraide, l’action directe, etc., parce que nous sommes convaincus que ces moyens sont les plus efficaces pour atteindre la révolution. Si nous déclarons tout cela d'emblée, c’est pour éliminer toute défiance et bien marquer le cadre dans lequel cette contribution a été faite. Cependant, le fait que nous soyons favorables à une révolution sociale qui détruise le capitalisme, l’Etat et qui implique l’abolition des classes sociales (et de tant d’autres choses), ne signifie pas du tout que nous croyons que cela puisse se réaliser à court terme, du jour au lendemain. Ce que nous mettons ici en avant ce sont des objectifs, c'est-à-dire des situations que nous pourrons atteindre, avec de la chance, après un long parcours et un développement considérable du mouvement révolutionnaire. Croire le contraire ce n’est pas de l’utopie, c’est tout simplement un exercice de délire et de rêverie immédiatiste. Quand on met en avant un projet révolutionnaire, il faut qu’il se concrétise dans une stratégie à court terme, dans une série de propositions pour intervenir dans la réalité, des propositions qui nous rapprochent de situations dans lesquelles des questions comme l’abolition du travail salarié, l’instauration du communisme libertaire, la révolution sociale... peuvent être à l’ordre du jour, des questions qui aujourd’hui ne le sont pas du tout, évidemment. Cette intervention ne peut pas se limiter à répéter en rabâchant jusqu’à plus soif l’impérieuse nécessité d’une révolution, de l’abolition de l’État et du capital. Être anarchiste ne veut pas dire être un casse-pied qui poursuit les autres en répétant encore et encore que l’État est très méchant et que l’anarchie est très bonne. Et pourtant, à la suite du mouvement du 15-M, dans ces derniers jours, nous avons pu lire sur Internet des textes et des commentaires proches du délire et, pire encore, nous avons entendu des compagnons et des amis qui glissent vers « l’anarcho-casse-pieds », qui, avec les meilleures intentions du monde, s’accrochent au maximalisme des mots d’ordre grandioses, des propositions à long terme, etc. Nous savons tous très bien de quoi il s’agit, nous nous sommes tous trouvés dans des situations semblables et, ce qui est pire encore, nous avons contribué souvent à les répandre. Il faut dire clairement que ce texte est autant une critique qu’une autocritique et qu’il doit avant tout nous servir à ne pas tomber nous mêmes dans ces pièges-là. Enfin, il faut tenir compte du fait que ce texte a été écrit à la va-vite, au rythme que les événements nous imposent, avec le but qu’il sorte avant le 28 [mai], jour où des assemblées populaires ont été convoquées dans différents quartiers et dans la banlieue de Madrid : ne vous étonnez donc pas si sur certains points, on peut remarquer un peu de précipitation et d’urgence. Nous sommes limités : c’est ainsi.
Ce texte prétend être une réflexion et une proposition pour sortir de l’impasse dans lequel nous nous trouvons depuis longtemps, pour nous défaire des lourdeurs que beaucoup d’entre nous traînons et qui nous immobilisent. C’est, au fond, une réflexion pour essayer de nous clarifier, pour savoir qu’est-ce que nous pouvons apporter et comment nous pouvons participer dans tout ce qui arrive autour de nous.
Et ce qui arrive autour de nous, c’est bien évidemment le mouvement appelé 15-M qui, la dernière semaine, a fait irruption dans la vie politique nationale comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Que cela nous plaise ou non, qu’on le veuille ou non, le mouvement du 15-M a brisé toutes les perspectives et a surpris tout le monde : la police, les politiciens, les journalistes, ceux qui ont fait l’appel [aux manifs], les gens en général, les citoyennistes5, les gauchistes et, bien entendu, les anarchistes. Dans un premier temps, tout le monde était hors jeu, et à partir de là, il y a eu toute une série de tentatives plus ou moins heureuses de prendre position face ou à l’intérieur du 15-M. On ne va pas se mettre à en analyser les causes ou passer en revue les différentes théories « conspiranoïaques » ou les intoxications idéologiques diverses surgies de cet événement ; ce n’est pas important pour ce que nous voulons dire. Nous voudrions mettre en avant comment nous comprenons les coordonnées de base de ce qu’on appelle le mouvement du 15-M ou, du moins les plus importantes, pour pouvoir ainsi voir si une participation anarchiste ou anticapitaliste est possible en son sein et, si oui, quel type de participation. Ce sera, logiquement, une description fragmentaire, partielle et incomplète. Ce n’est pas le plus important, les choses vont trop vite.
La première chose à affirmer c’est que le mouvement du 15-M est un mouvement social authentique et, comme tel, il est énormément hétérogène et contradictoire. Il y a de tout et ce tout est déversé à des doses très diverses. Il ne s’agit pas de donner des caractéristiques définitives et absolues, mais plutôt de distinguer des tendances, des nuances, etc. Des expressions d’un mouvement en construction au sein duquel il y a des luttes, des tensions, un changement continu.
Cela dit, par sa composition sociale et par les mots d’ordre qu’on entend le plus souvent dans les assemblées et les groupes de travail, ainsi que par les idées des gens qui en font continuellement la propagande sur Internet (Twitter) on pourrait dire qu’il s’agit, surtout, d’un mouvement d’idéologie « citoyenne» et ouvertement démocrate. Dit autrement, c’est bien ce genre d’idées de réformisme politique et social (reforme électorale, démocratie réelle, plus de participation, critique des partis politiques majoritaires, mais pas du système représentatif et des partis en général...) qui, en général, agglutinent autour d’elles le plus de monde et des mains levées.
Cependant, ce contenu s’exprime avec des formes assembléistes, qui rejettent toute représentation classique (comme, par exemple, le rejet de devenir un autre parti politique de plus) et qui rejettent toute idéologie, tout symbole ou forme politique déjà cuisinée (des partis aux drapeaux républicains, en passant par les A encerclés). Il y a un mot d’ordre qui circule sur Twitter : « Ce n’est pas une question de gauche ou de droite, mais de haut et de bas ». Et, pour le moment, ce mouvement mise majoritairement sur l’auto-organisation, sur l’action directe (non violente) et sur la désobéissance civile, même si on n’y utilise pas ces mots magiques. La non-violence est, de fait, une autre des coordonnées fondamentales du 15-M, quelque chose qui est, sans doute, assumé collectivement sans discussion. Nous y reviendrons plus loin.
Tout cela n’empêche pas qu’en son sein il y ait clairement une « lutte pour le pouvoir » entre différentes « fractions », organisées ou non. Il y a des membres et des militants des partis politiques de gauche, des membres des mouvements sociaux, des libertaires, des gens « normaux » et des « indignés » qui se pointent avec leur propre vision du monde, etc. Tous s’y battent à tous les niveaux, depuis l’orientation idéologique ou pratique du mouvement, jusqu’au contrôle (et, très souvent, la manipulation) des assemblées, des commissions, etc.
Au sein de beaucoup des commissions ou des regroupements, on voit de tout : des disparitions fortuites de comptes rendus, des personnalismes, des gens qui s’accrochent au rôle de porte-parole, des délégués qui taisent des choses lors des assemblées générales, des commissions qui ignorent les accords adoptés, des petits groupes qui font leurs petites affaires dans leur coin, etc. Beaucoup de ces choses sont sans doute le fruit de l’inexpérience et des égos, d’autres paraissent sorties directement des vieux manuels de manipulation des assemblées. Autour de cette lutte, il y a aussi tous les gens qui passent par là. Des personnes qui s’approchent pour y participer, écouter, être écoutées, apporter de la nourriture ou du matériel divers ou même, tout simplement, se faire quelques photos comme des touristes dans leur propre ville. Sous les tentes de la Puerta del Sol, on a la sensation d’être dans un grand bazar où rien ne se vend ni ne s’achète.
Par ailleurs, l’un des grands problèmes des campements, c’est la difficulté pour y participer pleinement : il n’y a pas beaucoup de monde qui puisse aller au centre ville tous les jours, qui puisse y rester pour dormir, qui puisse participer fréquemment aux commissions, etc. Ceci peut favoriser l’apparition de leaderships informels, des chapelles, des trucs bizarres, d’étranges tournures que les gens, qui ne sont pas bêtes, vont remarquer, vont commenter en agissant en conséquence. En fait, une conséquence possible due aux gens qui commencent à prendre un rôle prépondérant dans le campement (et aussi qui sont les plus habitués à y aller et à proposer des activités) est la ghettoïsation progressive que le campement a subi ce week-end-end. Ce week-end-end, comparé avec l’ambiance de retrouvailles et de contestation des jours les plus intenses (surtout vendredi dernier, à cause de la situation d’attente liée à l’interdiction des rassemblements de la part de la Commission électorale centrale), il y avait beaucoup moins d’élan et on a commencé à remarquer une ambiance plus ludique et moins protestataire, malgré les commissions, les sous-commissions et les groupes de travail qui continuaient à fonctionner. À certains moments, on dirait que « l’acampada de Sol » reproduit le pire et le plus banal des gens ghettoïsés : des ateliers, des concerts, des batucadas6, des repas, des spectacles de clowns, etc. au détriment des ce qui était marquant au début : la protestation, la politique, « l’indignation » (aussi pro-démocrate et limitée qu’elle fût). Sur Twitter, dont il ne faut pas oublier le rôle dans la montée du mouvement du 15-M et du campement de la Puerta del Sol, est en train de se faire jour ce mécontentement des gens qui critiquent cette dérive. Un exemple clair de ce mécontentement a eu lieu ce week-end : ça a été la discussion autour de « botellón sí-botellón no »7 : samedi une des assemblées a dû partir de Sol à cause de la quantité des gens à coté complètement pétés et, dimanche on a dû remettre quelque assemblée parce qu’on n'entendait rien à cause du bruit des batucadas. Il faut dire que, aussi bien les batucadas que le botellón ont eu pas mal de succès.
Il est évident que le mouvement du 15-M n’est pas une révolution, même le plus naïf des militants s’en rend compte, et ce n’est pas la peine de le critiquer en se basant sur le hashtag #spanishrevolution avec lequel il s’est étendu au début : c’était un mélange de marketing, de trucs marrants et de rêve. Pas plus.
La dernière chose que nous voudrions faire remarquer, c’est que, pour nous, le plus important peut-être de tout ce qu’on a vu, en plus du caractère assembléiste et horizontal (avec tous ses défauts, et ils sont nombreux), a été le changement brutal d’attitude qu’on a pu observer dans les parages de Sol pendant toute cette semaine. Récapitulons. À la suite de la manifestation massive initiale du 15 mai et, surtout, après l’expulsion des premiers campeurs, le gens ont pris possession soir après soir de la Puerta del Sol, d’une manière qu’aucun d’entre nous n’avait jamais vu. Les mobilisations contre la guerre, même si certaines furent plus massives, n’eurent ni de près ni de loin la continuité, la participation, l’attitude et l’ambiance que nous avons pu voir cette semaine à Sol. C’est comme si, soudainement, la passivité et le chacun pour soi s’étaient brisés autour de la Puerta del Sol de Madrid. Distribuer des tracts à Sol et dans les rues adjacentes est une joie, les gens s’approchent pour t’en demander, les prennent avec le sourire, te questionnent, te remercient... Les premiers jours, il suffisait d’un petit cercle pour parler de quelque chose et les gens tendaient l’oreille pour ensuite écouter et intervenir. C’était quelque chose qui est devenu normal de voir des gens les plus divers discutant en petits groupes. Les groupes de travail et les assemblées générales sont des événements massifs, rassemblant 500, 600 ou 2000 personnes (assises, debout, se resserrant pour mieux entendre), etc. Au-delà de ça, il y avait l’impression permanente de vivre une bonne chose, dans la meilleure ambiance, « quelque chose d'exceptionnel ». Tout cela a atteint son point culminant lors de la journée dite de réflexion. Entendre quelque 20 000 personnes crier ‘Nous sommes des hors-la-loi’8 en jouissant du fait de passer par-dessus la loi, franchement, ça impressionne. Il est bien vrai que cette ambiance intense, de participation et de politique véritable a commencé à décroître à partir de cette nuit-là. En partie à cause de la montée de tension elle-même de vendredi soir, en partie à travers la décision de « ne pas faire de politique » pendant tout le samedi et dimanche, ayant ainsi ce week-end un ton plus festif, plus « cirque » que les jours précédents. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas de souvenir de quelque chose de semblable auparavant, voilà la vérité.
Cela dit, qu’est-ce que nous, anarchistes, avions-nous à faire là-dedans ? Pour n’importe quel libertaire avec deux sous de jugeote, la grande majorité heureusement, il est évident qu’il fallait être là, il n’y a pas matière à discuter là-dessus. Ce qui n’est pas clair pour nous, c’est ce qu’on peut y faire, ce qu’on peut y apporter et espérer du mouvement du 15-M. Il est logique de se poser ces questions, étant donné l’hétérogénéité et les contradictions qui le traversent. Nous allons essayer dans cette partie d’exprimer comment et dans quel sens nous voyons l’intérêt d’y participer et ce qu’on peut apporter à ce mouvement. Nous parlons d’une vision stratégique parce qu’il s’agit d’une vision générale, que nous essayerons de définir plus loin avec des propositions concrètes et quelques considérations tactiques.
La plus grande partie du processus qui se développe ces jours-ci au sein du mouvement du 15-M consiste à essayer de trouver les mots d’ordre et les revendications politiques qui vont le définir. Ce processus se produit aussi bien au sein des groupes de travail qu’au sein des commissions elles-mêmes. Au sein de ces groupes, dominent le débat et le combat idéologiques, et dans quelques commissions, où se concrétisent ces débats, c’est là que l’on voit les ruses, les manigances, etc. Pas besoin d’être très futé pour savoir où se trouve le problème : c’est dans des commissions telles que celles nommées « communication », « interne », « assemblée et politique » où l’on peut trouver le plus grand nombre de politiciens au mètre carré, alors qu’au sein des commissions comme « infrastructure », « alimentation » ou « respect », les coups bas sont bien moins nombreux. Attention ! On n’est pas en train de dire qu’au sein des commissions on ne fait que ça, mais il y a certaines choses qu’on a vues ou qu’on nous a racontées qui ne sont pas piquées des vers...
Comme nous l’avons dit plus haut, les revendications qui ont le plus d’écho dans #acampadasol sont celles qui concernent la reforme politique et, dans une moindre mesure, la reforme sociale, toutes avec un contenu pleinement citoyenniste : reforme de la loi électorale, une loi de responsabilité politique, une plus grande participation, une loi de révision des hypothèques immobilières, etc. Les membres et les militants des partis de gauche (IU, IA, etc.) et d’autres mouvements sociaux sont en train d’essayer de faire tourner le bateau du mouvement vers la gauche, pour que celui-ci prenne en charge les revendications classiques de la gauche (depuis le revenu de base ou le moratoire sur la dette extérieure jusqu’à la nationalisation des banques) mais, en face, il y a ceux qui préfèrent que le mouvement soit le plus neutre possible (voir, par exemple, https://twitpic.com/51lyqa [162]) et qu’il soit centré sur un #consensodeminimos9 [consensus a minima, NdT]. À notre avis, le plus probable, c’est que l’objectif final des uns et des autres (par le biais d’une Initiative Législative Populaire10, ou conduit par quelque parti politique, sans doute Izquierda Unida (IU) soit de présenter une proposition au Congrès qui soit ratifié par référendum. En ce sens, les uns et les autres débattent sur les contenus de cette proposition et sans doute sur les moyens pour la réaliser, mais à un moment donné, ils finiront par se mettre d’accord sur quelques points fondamentaux.
Il est évident que nous, anarchistes, sommes convaincus que si on réussissait à mettre en place certaines de ces reformes, même en changeant quelques uns des « défauts » du système qui mettent le plus en colère les gens, cela ne va rien changer pour l’essentiel. Le problème n’est pas la corruption politique, mais la politique en tant que sphère séparée de la vie ; le problème n’est pas le manque de transparence des gouvernements mais les gouvernements eux-mêmes ; et le problème n’est pas la banque et les banquiers, mais l’exploitation capitaliste : la grande et la petite.
Ceci dit, nous pensons que nous, les anarchistes, ne sommes pas ni ne devons être dans cette bagarre, celle des revendications grandiloquentes et de la politique de haut vol. Nous ne devrions pas rentrer dans ce jeu, et étant donné que nous voulons être présents dans les assemblées, il faudra assumer le fait que nous devrons endurer ce genre de choses et les affronter. Nous n’avons rien à faire dans cette histoire. Le mouvement du 15-M n’est pas un mouvement anarchiste ou anticapitaliste, ce qui veut dire que les revendications anarchistes maximalistes sont hors de propos. Cela n’a pas de sens de se battre pour que les assemblées générales assument des choses comme l’autogestion généralisée, l’abolition des prisons et même, tout simplement, la grève générale indéfinie, parce qu’il est évident que les gens qui sont là, qui suivent les débats avec attention et sympathie, ne sont pas là pour ces revendications. En supposant (ce qui est trop beau pour être vrai) que pour une quelconque et étrange raison ou manigance, on arrive à ce que l’assemblée générale ou les assemblées de quartiers acceptent ou assument comme le leur l’un de ces mots d’ordre, on peut être sûr que le mouvement du 15-M se dégonflerait aussi sec, perdrait une grande partie de ses soutiens et ses sympathies et resterait dans un étrange cocktail front-populiste de militants gauchistes, citoyennistes, communistes et anarchistes. Autrement dit, juste tout ce que nous avons toujours critiqué et le lieu où nous n'avons jamais voulu être. En politique, il y a une expression « voter avec les pieds » qui veut dire que si la gestion d’un endroit quelconque te déplait, tu pars simplement ailleurs. Quelque chose de semblable arrive dans toutes les assemblées, il y a pas mal de personnes qui, quand quelque chose ne leur plaît pas ou qu'elles ne se sentent pas à l’aise, se taisent, baissent la tête et ne manifestent pas leur mécontentement. Pourquoi arrive-t-il tout cela ? Parce que les mouvements réels sont souvent assez complexes. Ils ont leur propre composition, leur nature et leur propre dynamique et, surtout parce qu’on ne peut pas prétendre que les gens deviennent des anarchistes du jour au lendemain. Aucun de nous n’est arrivé à le devenir par la voie rapide et sans casse, mais à coups d’erreurs, d’illusions, de désillusions, d’incohérences, de débats, de frustrations, de flips et de chutes par terre au sens figuré comme au sens propre, parfois avec un flic sur le dos. La question n’est pas de déplorer avec mille regrets que dans des occasions comme celle d’aujourd’hui, les personnes et les choses n'évoluent à toute vitesse, mais de reconnaître que cela ne marche pas ainsi.
Nous devons être conscients de la représentativité des commissions face aux personnes mobilisées. On l’a vu clairement dans la commission Politique, qui au moment le plus haut a pu rassembler quelque 350 personnes entre les deux sous-commissions (à court et à long terme). Il est clair que les assemblées sont ouvertes et que tout le monde peut y participer mais en vérité, à la fin, cette commission « Politique » s’est donc scindée en deux sous-commissions qui apparemment se sont créés sur des bases temporelles mais qui, en définitive, recouvrent des points de vue très différents, le « réformiste » et le « révolutionnaire », entre ceux qui exigent de petites ou de grandes reformes législatives, légitimant ainsi les structures de pouvoir et ceux qui veulent mettre en avant un programme de rupture avec le modèle imposé par le capitalisme.
Ceci est une erreur grave, parce qu’il peut exister des mesures « révolutionnaires » ou radicales à court et à long terme. C’est le contexte actuel qu’il faut avoir clairement en tête et les pas qu’on veut faire dans ce contexte. Pour ne citer qu’un exemple : dans la Commission Court Terme, on met en avant des changements dans la Constitution espagnole, et dans la Commission Long Terme, on discute sur le consensus pour la grève générale. Nous ne pensons pas qu’un changement dans la Constitution (qui requiert le vote favorable des 3/5 des députés et des sénateurs) soit plus faisable à court terme que l’appel à une grève générale (qui est d’ailleurs plus un outil de lutte qu’une fin en soi), même si, à l’heure actuelle, ce serait très compliqué à faire avancer.
Nous pensons qu’il faut faire une réflexion sur notre implication au sein des commissions, en essayant de les rendre plus efficaces, en évitant l’usure de tant d’énergie. Il ne sert à rien que 200 personnes avec des idées « similaires » se rassemblent et donnent une orientation qui ne peut pas être assumée par ce mouvement (au jour d’aujourd’hui), il ne sert à rien non plus de laisser le champ libre aux exigences à court terme qui ne sont rien d'autre qu'un plaidoyer pour renforcer l’Etat-providence... Lors de cette réflexion à faire, il nous faudra faire une autocritique et mettre en avant dans l’immédiat des propositions à court et long terme qui puissent être assumées et qui nous fassent avancer petit pas à petit pas vers une vraie révolution sociale, autrement nous déboucherons sur l'inaction typique d’un groupe de personnes qui planent au-dessus du mouvement actuel.
Nous devrions montrer une certaine intelligence et nous joindre réellement à cette envie de changement qu’on respire ces jours-ci du coté de la Puerta del Sol, pour voir si entre tous, nous réussissons à faire que ce changement aille un peu au-delà de quelques raccommodages sur la façade de la démocratie.
Quel choix nous reste-t-il à faire alors ?
Il est sûr que beaucoup se seront posés la question de ce qu’on pourrait appeler un affaiblissement de notre discours, et sans doute ils se seront trouvés en train de le faire sans même s’en rendre compte. C'est-à-dire d’édulcorer nos propositions pour voir si avec un peu de sucre ça passe mieux. Par exemple, en jouant sur une confusion sémantique intéressée qui parle de « démocratie directe » au lieu « d’anarchie », d’avaler tout ce qu’il faudra avaler pour être dans l'air du temps, etc.
Une autre alternative c’est d’abandonner la partie à cause du réformisme de ces assemblées. Tel que nous le voyons, ceci serait tout simplement absurde. Fondamentalement, parce que les mouvements révolutionnaires, aujourd’hui comme dans le passé, ne surgissent pas du néant ou tous seuls. Ce sont les révolutionnaires eux-mêmes, et les événements, qui avec leur effort et leur persévérance, réussissent parfois à ce que les mouvements sociaux cessent d’être la chasse gardée des partis, des profiteurs, etc.
Nous parlerons de tout cela plus loin, mais nous voulons déjà faire comprendre que notre idée n’est pas de transformer le mouvement du 15-M en « mouvement révolutionnaire » de masse, ce serait se raconter des histoires, quelque chose comme rêver que l’anarchie arrivera demain si nous le désirons avec force. Nous ne disons pas non plus qu’il faut y rester jusqu’à la fin parce qu’il faut y rester. Il est clair pour nous que si nous ne faisons pas bien les choses, il faudra bien partir un jour ou, ce qui plus probable, qu’on finisse par nous mettre dehors. Mais il nous semble évident qu’on n’en est pas encore là, qu’il reste encore des moments où l’on peut participer à cet événement en y apportant des choses, surtout en vue de la convocation d’assemblées populaires dans les quartiers.
Nous ne sommes donc pas des naïfs auxquels le 15-M aurait troublé la vue ou qui auraient fermé leurs petites boutiques « pour cause de révolution », mais nous sommes tout simplement des anarchistes qui se sont trouvés face à une occasion claire, la première depuis longtemps, d’être partie prenante d’un mouvement réel d’une ampleur considérable.
À notre avis, ce qui est en jeu dans le mouvement du 15-M, c’est d’arriver à faire qu’il soit un point de départ capable d’activer la lutte quotidienne pour des choses concrètes et de base, une lutte menée de façon horizontale, basée sur l’assembléisme, l’action directe, la participation directe, la solidarité, etc., tout ce qui fait partie des axes de base du mouvement du 15-M. Pour que les assemblées ne soient que des lieux d’où l’on exige (de qui ?, comment ?) des lois, des reformes et des référendums (lesquels ?), mais des espaces ouverts où les gens débattent sur les propres problèmes, cherchent des solutions et décident sur comment les mener à bien par eux-mêmes. Pour qu’elles deviennent des points de rencontre, de communication et de participation véritables ; des petits (ou grands) noyaux solidaires de résistance.
Il est clair qu’une partie importante de ce processus consiste à savoir quels problèmes et quelles solutions on va y traiter, quel contenu, pour ainsi dire, va s’exprimer au sein des ces assemblées. Voilà une autre tache que nous pourrions nous donner : essayer de faire que les sujets à traiter dans les assemblées soient des questions de classe, de lutte contre le sexisme, etc. qu’on y approfondisse, à partir de la pratique, sur la critique de l’Etat, du capital et du travail salarié.
Autrement dit, nous proposons qu’on participe pratiquement et concrètement dans une perspective et un fonctionnement antiautoritaires, sur des questions fondamentales de classe et sur d’autres oppressions aussi importantes tel que le patriarcat, le racisme, etc.
Pour compléter cette contribution pratique, nous devons apporter notre point de vue et notre discours, et, encore une fois, sans tomber dans des maximalismes du genre « Révolution maintenant ! ».
Tel que nous le voyons, le fait d’essayer que les gens fassent que notre discours soit le leur n’est pas, ça ne doit pas être, d'aller rabâcher nos mots d’ordre et nos principes anarchistes de toujours. Ces mots d’ordre seraient, à notre avis, hors de propos. Et non pas parce qu’ils n’auraient aucun sens ou qu’ils ne seraient pas vrais, mais parce qu’ils ne sont pas dans le coup de ce qui se passe, ils sont hors contexte. C’est comme si on était en train de parler avec un copain de football et un autre se pointe et commence à te raconter un film iranien. Est-ce que cela signifie que nous devrions abandonner l’anarchisme et passer du coté de la démocratie ? Évidemment pas. Devrions-nous nous cacher ? Non. Devrions-nous exhiber face au monde notre condition d’anarchistes ? Pour nous, cela n’a aucun sens si ça ne va pas plus loin que se « déclarer anarchiste ». Se dire soi-même anarchiste ne veut rien dire en soi, ni bon ni mauvais. Â notre avis, il ne s’agit pas de nous cacher ni de nous exhiber, mais de pratiquer l’anarchisme dans un contexte donné. Un exemple : entre tous les slogans que quelques-uns d’entre-nous et d’autres copains avons chanté les premiers jours à la Puerta del Sol il n’y a eu que deux qui se sont un peu rependus au-delà de notre cercle : « le peuple uni fonctionne sans partis » et « A…anti…anticapitalistes ». Pourquoi ? Non pas parce que ces slogans seraient particulièrement extraordinaires, ils ne le sont pas, non pas parce qu’ils seraient ingénieux non plus, mais nous pensons que c’est parce que, à ce moment-là et en ce lieu, c’étaient des slogans qui pouvaient être pris en charge par une partie au moins des gens présents. Que cela nous plaise ou non, les gens n’étaient pas là contre la police nationale, ou parce qu’ils voulaient démolir l’État.... Le travail est bien plus de fond... Si nous nous limitons à chanter ou à proposer dans les assemblées des mots d’ordre hors du contexte, ce que nous faisons c’est de la propagande pure et dure, dans le plus mauvais sens du terme, et non pas de la participation.
Parce qu’il arrive souvent que l’inertie nous gagne, comme aux autres sans doute, au lieu de réfléchir à ce qu’on peut et ce qu’on veut dire, on finit par aller au plus facile, du genre « la lutte est le seul chemin », ou « du nord au sud, d’est en ouest », « mort à l’État » et ainsi de suite. Voilà un discours, à notre avis, hors sujet et par conséquent, inefficace. La même chose à peu près est arrivée au sein du Bloc Libertaire lors de la manif du 15 mai. Après une première phase avec des slogans (meilleurs ou moins bons, plus ou moins utiles, ce n’est pas important) mais sur le sujet en question (démocratie, capitalisme, crise) on est passé à une mixture typique du ghetto11 (des prisonniers jusqu’à Patricia Heras en passant par les « police assassin ! »), en glissant vers « l’autoréférentiel », vers l’attitude de faire bloc... Malheureusement, personne ne savait dans les parages qui était Patricia Heras, excepté quelques uns d’entre-nous, quel sens ça avait de crier son nom sans un tract qui l’explique ?, la seule chose que nous avons réussie à faire, c’est de dérouter les gens, qui nous regardaient comme si on venait d’une autre planète... Toute chose a son moment et son lieu, et si nous ne savons pas adapter notre discours à ce moment et ce lieu, ça ira mal pour nous. Adapter le discours, ce n’est pas le rabaisser, c’est ajuster le message au contexte, adapter le code au récepteur, c’est donner notre avis sur ce dont les gens parlent, et non pas sur ce que nous pensons qu’ils devraient parler.... Et donner cet avis dans leur « idiome » et non pas dans notre « dialecte », plein de langue de bois et de formules, qui sont pratiques pour parler entre nous, mais qui créent des barrières et des confusions chez qui ne les utilise pas.
Cette proposition de participer à partir de la pratique et à partir du concret a plusieurs objectifs. Celui, évidemment, d’améliorer nos conditions de survie dans le capitalisme. Sans doute certains taxeront cela de réformisme, mais pour nous, c’est simplement une nécessité. Un autre objectif pendant tout le processus est celui d’être capables de montrer et de démonter toutes les contradictions et les misères du capitalisme, de la démocratie, des syndicats, etc. Non pas par le biais des discours préfabriqués, mais par le débat et la réflexion sur tout ce qu’on trouvera sur notre chemin, quelque chose de bien plus complexe et difficile que de simplement éditer des bouquins écrits à d’autres moments et dans d’autres lieux. Chercher aussi à créer et à rependre au sein de la population une culture de la lutte, un sentiment collectif du fait que les objectifs s’atteignent en luttant avec d’autres comme nous, en réglant les problèmes par les personnes mêmes qui les subissent, sur la base de la solidarité et du soutien mutuel, sans les laisser entre les mains des professionnels de la médiation ou de la représentation. Un sentiment de « aujourd’hui c'est pour toi, demain c'est pour moi » doit rentrer profondément dans la population et remplacer ceux du « chacun pour soi » ou du « encore heureux que j’ai pu l’éviter ! » qui sont en train de démolir notre société.
Enfin, s’il y a quelque chose qui a été clair pour nous pendant cette semaine c’est que, s’il est vrai que les anarchistes ont beaucoup de choses à apporter, nous avons aussi beaucoup, énormément de choses à apprendre, autant des gens que nous trouverons sur notre chemin que des situations que nous devrons affronter. Participer aux assemblées est l’occasion parfaite pour mous clarifier nous-mêmes, nos positions et la manière avec laquelle nous les ferons passer à nos égaux. Ceci est on ne peut plus normal. La meilleur façon de nous rendre compte de nos failles et de nos incohérences (et on en a sûrement à la pelle), c’est d’essayer d’expliquer et de partager nos positions avec ceux qui ne les connaissent pas.
Nous pensons sincèrement que c’est là une bonne façon de nous tirer du piège d’une intervention à partir de l’idéologie, qui cherche à faire adopter des principes ou des objectifs à long terme spécifiquement anarchistes, une chose qui, comme on l’a déjà répété maintes fois, ne peut pas être à l’ordre du jour, du jour au lendemain. Nous pensons aussi que ce serait là une manière d’esquiver les luttes de pouvoir qu’il va y avoir dans les assemblées, quand il s’agira des questions de « haut vol » (les lois… etc.) sans pour autant cesser de participer à un mouvement qui a encore de l’avenir devant lui. S'installer dans une guerre d’usure pour que de telles propositions ne se fassent pas jour ou nous affronter ouvertement et sans répit à tous les gauchistes, les citoyennistes et des gens en général qui ne veulent qu’un ou deux changements, ne nous servira à rien du tout. Nous devons être conscients, à tout instant, du moment où on en est et jusqu’où peut-on aller. Si nous ne faisons pas cet exercice d’analyse et de réflexion, on va sentir passer les coups multiples et variés et on va ressentir une frustration considérable.
Bien évidemment, en participant au mouvement du 15-M, il y a toujours le risque pour nous de finir par faire le boulot et le sale travail de la gauche et de l’idéologie citoyenne. Nous pensons qu’à l’heure actuelle, étant donné notre faible capacité d’appel et de soutien, ce risque sera toujours là, dans n’importe laquelle des mobilisations réelle qu’on rejoindra (grèves et autres conflits). C’est un risque qu’on ne peut pas prévoir et c’est sans doute quelque chose d’inévitable jusqu’un certain point, mais ce qu’on doit faire, c’est être toujours attentifs, ne pas se laisser emporter par les émotions et essayer d’évaluer à quel moment notre participation commence à ne devenir qu’une main d’œuvre pour d’autres, et, à ce moment-là, il faut plier bagage.
Pour en finir avec cette partie, nous considérons qu’il est nécessaire de concrétiser quelques lignes sur les actions, quelques exemples de ce que nous avons dans nos têtes. Ce ne sont pas les seules, ni les meilleures, elles sont même un peu vagues ; ce ne sont que quelques exemples d’idées qui nous trottent dans la tête ou que nous avons entendues ces jours-ci dans les assemblées. Nous devrions entre tous les compléter, les éclaircir, les critiquer, etc...
Ces sujets et ces propositions ne peuvent qu’être limitées, parce qu’il faut aller vite et à cause de notre manque d’expérience dans ce genre de mouvements. Il faut les améliorer, les clarifier et les partager. Et, surtout, il faut les construire en commun avec les gens qui viennent aux assemblées, dans un processus qui changera aussi bien ces propositions que ceux qui les assument et les mettent en pratique. Ceci dit, nous ne pensons pas que c'est parce qu’on se pointe avec quatre propositions concrètes au lieu du couplet anarchiste de toujours, que les gens vont les accepter comme par enchantement. Non, nous ne proposons pas des incantations. Il doit être clair pour nous que, tout en étant capables d’entamer ce processus, ce sera un chemin long et difficile. Nous pensons qu’avec le temps, on apprendra et on s’éclaircira de plus en plus. D’une certains manière, les anarchistes devront prendre ces assemblées du 15-M comme un laboratoire où l’on expérimente, où l’on propose, où l’on se trompe, où l’on réapprend et l’on recommence.
Une grande partie de ce texte a été rédigé avec l’idée de le réaliser avant l’installation des assemblées populaires dans les quartiers appelées pour le 28 mai. C’est la raison de son urgence, de sa précipitation et d’une bonne partie des erreurs qu’il peut contenir.
L’extension vers les quartiers est une extension logique parce que l’acampada à Sol devient insoutenable à long terme et parce que, de par ses caractéristiques, elle ne permet pas une large participation, comme nous l’avons déjà dit.
En parlant avec pas mal de compagnons, nous avons pu vérifier que certains ont mis leurs espoirs sur les assemblées de quartier. L’idée est : « il n’y a plus rien à faire à Sol, allons dans les quartiers ». Ne nous trompons pas : si le mouvement du 15-M continue à avoir son pouvoir d’attraction, les quartiers vont devenir des petites « Puertas de Sol », avec leurs bons et leur mauvais cotés, y compris avec les militants des partis qui vont à la pêche, les citoyennistes, etc. En fait, dans certains quartiers et banlieues du sud de Madrid, la proportion des militants des partis politiques peut même augmenter par rapport à ce qu’on a vu à Sol. Il se peut que le terrain soit plus petit et moins pesant, mais l’hétérogénéité, les problèmes, les contradictions et les conflits seront les mêmes, si ce n’est pas plus grands.
Nous pensons que les militants gauchistes, mais aussi tous les gens « normaux » [en espagnol « courants », ce qui n’est pas un terme péjoratif : « de la rue », « sans militantisme particulier ». NdT], qui sont favorables aux quatre reformes de base, vont essayer de transformer les assemblées populaires en plateforme pour faire la promotion des mots d’ordre et des revendications pour lesquelles ils se sont bagarrés à Sol. Ils vont se mettre à ramasser des signatures, à faire de la propagande lors des mobilisations et comptabiliser les soutiens dans les quartiers (associations d’habitants, de commerçants…) dans une stratégie à moyen terme pour pousser aux changements légaux. Et pas beaucoup plus. Les citoyennistes essayeront sans doute d’entraîner les gens vers les problèmes spécifiques des quartiers, en établissant des liens avec les associations d’habitants, en mettant en avant leurs locaux, leurs centres sociaux et leurs bureaux des droits sociaux là où ils en possèdent, etc.
Nous avons déjà dit précédemment qu’il peut être intéressant de participer à ces assemblées. Mais nous voudrions ajouter que certains sujets ou propositions peuvent avoir plus de profondeur dans un quartier ou dans une banlieue que dans d’autres, (par exemple, dans certaines zones, les coups de filet contre les immigrants sont plus fréquents que dans d’autres, à certains endroits la santé est dans une plus mauvaise situation encore que dans d’autres, etc.) Il faudra voir ce qui est plus urgent et plus important dans chaque cas, les formules magiques n’existent pas.
Ce texte commence à être long et nous voudrions le conclure avec quelques réflexions –on va essayer d’être brefs- sur quelques aspects tactiques sur tout ce qu’on a pu voir et qu’on continuera à voir ces jours-ci.
Comme nous l’avons dit plus haut, le rejet de la violence est un point fondamental sur lequel repose le mouvement du 15M. Les initiateurs (Democracia Real Ya) se sont chargés de le mettre en avant de la manière la plus répugnante qui soit : en se démarquant des incidents d’après manif et en montrant du doigt ceux qui s'en prenaient aux flics. Ce n’est vraiment pas étonnant, étant donné le bombardement médiatique qu’on a subi sur ce sujet dans les dernières années. La police, les journaux comme La Razón [droite] ou Público [gauche] n’ont pas hésité à donner l’alerte sur le « danger des 400 antisystème » qui essayaient de contrôler et/ou de faire exploser le mouvement. Une semaine après, rien de tout cela. Il semble que la grande majorité des anarchistes a assumé (avec plus ou moins de difficultés) qu’il ne se passe rien de particulier quand quelqu’un se déclare non violent. La violence ou l’autodéfense sont des questions qui seront toujours là mais qui sont totalement secondaires. Si nous cessons de considérer ces questions comme des choses qui peuvent être utiles ou inutiles, qui peuvent être bénéfiques ou nuisibles selon les circonstances et si, au contraire, nous les déclarons comme quelque chose à laquelle on ne peut pas renoncer, ou si on se met à trépigner parce que le 15-M chante des louanges à la non-violence, nous serions dans le déboussolement le plus total. Aujourd’hui, c’est le tour de la non-violence, demain ce sera autre chose.
Assembléisme :
On entend souvent une critique selon laquelle les assemblées ne sont pas de véritables assemblées, qu’il n’y a pas de véritable horizontalité, que certains essayent de les manipuler, etc. Voilà qui est des plus normal, parce que justement ce sont des vraies assemblées, avec des gens de la rue, au milieu d’une bagarre entre différents secteurs pour le « contrôle » (consciemment ou pas) de la situation. L’horizontalité, l’égalité, l’efficacité des assemblées, la communication des assemblées… ce n’est pas quelque chose qui tombe du ciel tout rôti dans le bec parce que des gens se réunissent sur une place et parlent entre eux. Absolument pas. Pour construire une assemblée, il faut se bagarrer contre les manipulateurs, les politiciens et ceux qui l’intoxiquent ; et face à des années de démobilisation, de grégarisme et de mentalité quotidienne de délégation de pouvoir. Si ceci n’est pas clair pour nous, nous nous trouverons entre les mains de ceux qui viennent aux assemblées pour qu’elles deviennent des courroies de transmission qui se limitent à approuver leurs propositions cuisinées chez eux.
Participer dans des assemblées où des gens sont disposés à tout faire (manipuler, mentir et, la plupart du temps, ne pas se faire remarquer) pour que leurs idées s’imposent, c’est quelque chose de très compliqué et frustrant. N’importe qui, ayant été contraint d’avaler ces couleuvres, sait que c’est une sacrée merde. D’abord à cause de tout ce qu’il doit ravaler, ensuite parce que beaucoup de gens n’arrivent pas à le voir, de sorte que si on accuse quelqu’un, c’est soi-même qui finit par être suspecté, on finit par confondre les simples erreurs ou étourderies avec les tentatives de manipulation (autrement dit, on frise la paranoïa) et, enfin, parce que, sans s’en rendre compte, on finit par être obligé de faire de trucs qui ressemblent à ceux des autres. Ces jours-ci, nous avons entendu des trucs comme « prendre la tête des commissions », « prendre les postes de pouvoir dans les assemblées », « se disperser dans les assemblées », « faire semblant de ne pas se connaître » et quelques autres gracieusetés de ce genre, de la part des compagnons sur qui on n’a pas le moindre doute ou suspicion, et qu’on ne va pas juger ici, évidemment. Ces situations sont ainsi, la frustration, la rogne contre les manipulateurs, le fait de se retrouver le dos au mur, nous font dire et faire des choses de ce genre. Contre cela, il n’y a pas d’autre solution que d’être constamment sur ses gardes, de faire l’autocritique, savoir critiquer et encaisser les critiques, en évitant les accusations hystériques ou le victimisations stupides. Il faut assumer le fait qu’à un moment ou à un autre, on devra se salir les mains, qu’on le veuille ou non. Cela arrive dans les meilleures familles (comme on dit en espagnol).
En lien avec ce qui précède, il faut être conscients du fait que participer au mouvement du 15-M veut dire entrer en territoire inconnu pour la plupart d’entre nous. Il faut assumer les multiples gaffes qu’on va faire. Les anarchistes ne sont pas et ne veulent pas être des gens parfaits, on a tous le droit de se tromper. Se refuser à agir par la peur de devenir un réformiste ou, pire encore, par peur qu’un imbécile quelconque nous taxe de réformiste ou encore d’avant-gardiste, est aussi absurde que de renoncer à penser par peur de se tromper.
Ces deux mots ensembles pourraient paraître une contradiction, mais ce n’est pas du tout le cas. Certains courants marxistes ont la prétention de se considérer l’avant-garde, même si personne ne les suit. Nous, les anarchistes, refusons de devenir une avant-garde, ce qui n’empêche que si on n'y prend pas garde, on finira par tomber dans l’avant-gardisme. S’il s’agit d’aller plus vite que les événements, on court le risque de s’en détacher de plus en plus jusqu’à ce qu’on reste seuls, loin du réel et de tout ce qui se passe. Ça ne nous assure même pas d’être « devant » les autres, parce qu’on aurait pu emprunter un chemin erroné. Nous, les anarchistes, ne voulons pas dire à quiconque ce qu’il doit ou ne doit pas faire sur la base d’on ne sait quel livre sacré ou tiré d’un bréviaire des saints révolutionnaires, mais cela ne nous empêche pas de finir par nous croire parfois meilleurs que les autres, en pensant qu’ils « devraient suivre notre exemple », surtout quand on participe dans des conflits comme celui qui est pleinement actuel.
Pour que notre participation soit efficace, pour qu’on puisse construire collectivement quelque chose qui vaille la peine, il faut qu’on laisse de coté tous ces symboles, ces codes à nous, ces mots fétiches et d’autres trucs du merchandising typique de notre mouvement-ghetto. Pareil avec la question du discours dont nous parlions plus haut. Cela ne veut pas du tout dire édulcorer son discours ou tromper les gens, cela signifie abandonner les mots et les concepts parfois incantatoires qu’on utilise. Des concepts comme « abstention active », « action directe », « soutien mutuel », « révolution », etc. qui ne peuvent pas être compris d’emblée par des gens qui ne sont pas familiers de ces idées. Il ne sert à rien de rester bloqués là-dessus. Il est plus utile d’essayer de s'expliquer dans un langage simple, sans jouer à l’intellectuel en utilisant des termes abstraits anarchistes. Et c’est la même chose en ce qui concerne l’esthétique de la propagande, qui est souvent aussi uniforme que lointaine pour la majorité des gens. Un exemple clair nous a été donné avec le problème qu’on a eu avec les A encerclés au campement de Sol. Étant donné qu’aucun symbole ou drapeau politique n’est permis, beaucoup de gens étaient d’avis, avec raison ou pas, que les A encerclés ne devraient pas être là. Étant bien entendu que ces A encerclés ne sont pas des symboles politiques mais tout le contraire, certains l’ont très mal pris. D’autres, montrant qu’il arrive très souvent que l’horizontalité et le consensus ne sont respectés que quand ça les intéresse, ont continué à les utiliser sur des pancartes et des affiches. Quoi qu’il en soit, il faudra réfléchir si ce n’est pas de notre faute de ne pas avoir su pendant toutes ces années faire comprendre que nous n'avons pas la même camelote que les autres à refiler, même s'il faut dire à notre décharge que la décision d’interdire aussi les A encerclés parait avoir été discutée 12. Mais ce qui est important ce n’est pas l’histoire des A encerclés, mais les messages que nous voulons faire passer ; donc, s’il faut enlever ces A, on les enlève, ce n’est vraiment pas si grave. En fin de compte, comme le disait un compagnon l’autre jour, nous n’avons rien à vendre (ce qui est vrai quand, dans la pratique, nous avons ce comportement, ce qui n’est pas le cas parfois). Bien pire que l’affaire des A encerclés qui, même si elle nous a fait du tort, est jusqu’à un certain point compréhensible, est celle du féminisme, qui se heurte à une certaine opposition aussi bien dans les campements que sur Twitter, avec des gestes moches et des commentaires hors de propos.
On va enfin terminer en livrant une dernière réflexion. Le mouvement du 15-M a eu un début et il aura une fin. Pour être réalistes et en sachant qu’on n’est vraiment pas nombreux, nous les anarchistes, et qu’on n’a pas une grande expérience, il est peu probable que notre participation dans ce mouvement soit une composante qui puisse être déterminante dans son développement ou sa fin. Malgré tout, nous pensons qu’on a de la marge et la capacité pour y participer en faisant des apports pour qui ne se limite pas à un mouvement de reforme citoyenne ou au bricolage d'un minable cabanon d’un parti dérisoire. Cette proposition va dans ce sens, celle d’essayer d’aller plus loin. Nous n’avons pas de grands espoirs sur la possibilité que le mouvement du 15-M change radicalement la nature de la société actuelle ; il ne le pourrait pas même s’il le voulait et tout nous fait penser qu’il ne le veut pas. Même s’il arrivait à atteindre ses objectifs, tout se concrétiserait dans une reforme du système démocratique ou, peut-être même, d’un renforcement temporaire de l’Etat-providence. Mais tout cela ne peut constituer des excuses pour rester à la maison. Nous pensons qu’il faut être là et y participer, parce que si nous faisons les choses ne serait-ce qu’un peu plus correctement, cela peut être bénéfique pour l’anticapitalisme et l’anarchisme à moyen et à long terme.
En premier lieu, nous pensons que le système démocratique et le capital sont ce qu’ils sont et que tous les partis sont, dans le fond, à mettre dans le même sac. Si le mouvement du 15-M prospère et réussit à faire réformer le système démocratique, en en finissant avec le « bipartisme » et la « partitocratie », le temps passant, les partis minoritaires finiront aussi par apparaître pour ce qu’ils sont, parce que le système démocratique et le capital sont ainsi faits.
En deuxième lieu, il y a une chose positive dans tout cela, quoi qu’il arrive. Il y a un mois, le sentiment général était « ce monde, c’est de la merde, mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? ». Aujourd’hui, il y a une foule de gens qui pense qu’on peut changer la loi électorale, qu’il est légitime de sauter par-dessus de ce que dit la Commission Electorale, quand ce qu’elle dit est injuste, etc. Il faut bien commencer par quelque chose. Si le mouvement du 15-M continue et si on arrivait à obtenir des choses par le biais des mobilisations et des assemblées (et celles-ci fonctionnent plus ou moins bien, mais elles fonctionnent, indépendamment du résultat) voilà qui est un filon à exploiter. Dans ce pays, on n’a rien gagné du tout depuis des lustres : rien contre l’entrée dans l’OTAN, rien concernant la catastrophe du Prestige, rien sur la guerre en Irak, rien à partir des luttes à l’Université, ... En fait, le seul changement que beaucoup de gens avaient assumé comme le leur, fut au moment où le PSOE (gauche) gagna sur le PP (droite) à la suite des attentats du 11 mars [2004], et cela s’est fait en votant !, ce qui n’a fait, en plus, que renforcer les illusions démocratiques.
En troisième lieu, le mouvement du 15-M a réussi à faire sortir les gens dans la rue pour y parler collectivement et publiquement de politique, de quelques uns des problèmes sociaux et politiques qui les entourent. Il y a longtemps qu’on ne n'avait pas vu quelque chose de semblable. La plupart des conversations se sont faites autour des questions des réformes, de changements minimaux mais, comme on le disait tout à l’heure, il faut bien commencer par quelque chose. D’une certaine manière, on a ouvert une brèche au milieu du « ne te mêle pas de politique ! », du « désenchantement » ou du « on ne peut rien faire », autrement dit au milieu des trois petits « cadeaux » que le franquisme, la transition et la démocratie nous avaient légués. Ce qui n’est pas acceptable, c’est que lorsque les gens restent chez eux, on les critique parce qu’ils ne sortent pas dans la rue et, lorsqu’ils sortent dans la rue, on les critique parce que ce qu’ils demandent n’est pas la révolution sociale. Cela n’a aucun sens.
Si on arrive à obtenir certaines choses par la lutte dans la rue, à avoir gain de cause sur certaines revendications, nous pensons que, une fois tout cela terminé, ce sera sans doute plus facile de convaincre les gens du fait qu’une assemblée sur le lieu de travail peut fonctionner, que sortir dans la rue pour manifester peut servir à quelque chose, qu’on peut sortir gagnant d’une grève ou défaire un plan d’urbanisme : grâce à la solidarité, l’action directe, etc. Bien évidemment, si ce qu’on arrive à obtenir n’est le résultat que des manœuvrés politiques, des votes, des référendums, etc. (quelque chose de peu probable s’il n’y a pas une pression considérable dans la rue), la seule chose qui va sortir renforcée c’est le système démocratique. Voilà la question, voilà où les anarchistes devront être présents.
Nous verrons comment tout cela va se terminer, mais le mouvement anarchiste en sortira renforcé si ses pratiques, sa manière d’affronter la réalité et quelques uns de leurs points de vue s’étendent et s’enracinent dans les idées collectives. Le mouvement anarchiste sera aussi d’autant plus fort si notre participation dans le mouvement du 15-M se concrétise, après la critique, l’autocritique et l’analyse publique, à travers de nouvelles expériences collectives. Il est peu probable que, grâce au 15-M, on atteigne nos objectifs au niveau social à long terme et significativement, au-delà du fait que nous puissions convaincre certaines personnes. Cette lutte pour nos objectifs emprunte d’autres chemins, ceux du travail constant pour ouvrir des locaux, pour éditer du matériel, faire des analyses, organiser des journées, des réunions de discussions, etc. toutes choses qu’en aucun cas nous ne devrions abandonner pour être présents uniquement dans le mouvement du 15-M.
Quelques anarchistes madrilènes
1 En espagnol : https://es.internationalism.org/book/export/html/3110 [163] ou sur https://www.alasbarricadas.org/noticias/?q=node/17755 [164] (NdT) et d’autres sites.
2 Le mouvement des Indignés a pris toute son ampleur en Espagne après la brutale répression du 15 mai ce qui lui a donné son nom le 15-M (NdT).
3 Le mot « compañero » en espagnol est utilisé indistinctement par les anarchistes ou par nous, militants de la Gauche communiste, qui utilisons aussi le terme « camarada ». En espagnol, « compañero » a un sens plus large, étendu aux gens qui luttent à nos cotés, etc… C’est à la fois « camarade », « collègue » et « compagnon ». L’usage d’un terme ou l’autre pourrait paraître quelque chose de secondaire. Mais, malheureusement, pour la traduction en français, il faut choisir, parce qu’on dirait que, derrière les mots, il y a toute un contentieux historique. Ce texte a été rédigé par des anarchistes madrilènes ce qui nous incite à le traduire par « compagnon » qui est le mot utilisé en France par les anarchistes pour parler de leurs « camarades » de combat. Curieusement, ce mot français, camarade, a été emprunté à la langue espagnole. Que ce soit « celui qui partage la chambrée » ou « celui qui partage le pain », nous partageons tous le même combat : celui de combattre le capitalisme et de construire une autre société. [NdT]
4 Nous adoptons ce néologisme en français pour traduire l’idée des « partisans des assemblées souveraines »
5 En espagnol « ciudadanistas » est, nous le pensons, un néologisme pour nommer cette nébuleuse altermondialiste, pro-État dit protecteur et national contre un capitalisme apatride, un État au sein duquel on est citoyen et non pas exploité ou exploiteur, la « démocratie réelle » et autres idéologies citoyennes, ATTAC et autres « résistances » diverses et plutôt avariées. [NdT]
6 Groupes de percussionnistes brésiliens jouant dans la rue. [NdT]
7 Le « botellón » est l’habitude prise par des groupes de jeunes, parfois des centaines, de se saouler à mort avec des mélanges d’alcool, sur les places publiques, surtout le week-end-end. Lors de ce mouvement, une des préoccupations était d’éviter toute confusion à ce sujet. [NdT]
8 Dimanche 22 mai il y a eu des élections locales en Espagne. La loi stipule que le samedi précédant (le 21) c’est le jour de « réflexion » où tout rassemblement est interdit…[NdT]
9 Au moment où l’on corrigeait ce texte, l’acampada de Sol a approuvé les quatre points qui définissent le dénommé #consensodeminimos. Nous n’allons pas analyser ce vote, car nous pensons que cela ne change en rien ce qui est dit dans ce texte-ci : nous nous attendions à ce que quelque chose de ce genre arrive tôt ou tard.
10 https://es.wikipedia.org/wiki/Iniciativa_popular [165]
11 Les auteurs de ce texte font sans doute référence, dans une autocritique implicite, à leur « monde », un peu refermé sur lui-même.[NdT]
12 Il nous est difficile de comprendre ce paragraphe. La traduction peut s’en ressentir. (NdT)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, sur la situation sociale qui prévaut dans ce pays depuis les grandes manifestations du 19 juin.
Ce jour-là, ces manifestations ont été massives et leur contenu a été bien plus social et de classe que précédemment. Il est possible que le mouvement devienne moins visible, mais les leçons tirées et, autour de celles-ci, l’action des minorités plus conscientes et actives doivent servir à préparer des nouvelles luttes, tout simplement parce que le capitalisme en crise ne nous octroiera pas la moindre trêve, mais nous livrera toujours plus d’attaques et de plus en plus dures !
Le dimanche 19 juin a connu des manifestations massives dans plus de 60 villes d'Espagne. Quelques chiffres : 140 000 personnes à Madrid, 100 000 à Barcelone, 60 000 à Valence, 25 000 à Séville, 8 000 à Vigo, 20 000 à Bilbao, 20 000 à Saragosse, 10 000 à Alicante, 15 000 à Malaga...
Si la massivité impressionne, le contenu est encore plus significatif. Durant les deux dernières semaines, il y avait eu une pression des politiques et des médias pour demander au mouvement de faire « des propositions concrètes », et DRY[1], dans ce concert de pressions, de l'intérieur du mouvement, essayait d'entraîner le mouvement vers le piège des réformes démocratiques[2]. Mais ce dimanche, le poids qu'avaient pu avoir ces mystifications était moindre. Si les organisateurs eux-mêmes avaient ressenti le besoin de donner un caractère social à la manifestation, les manifestants, d'eux-mêmes, se sont chargés de montrer la tendance profonde : à Bilbao, le slogan le plus scandé était: « Voilà ce qu’est la violence : ne pas pouvoir arriver à la fin du mois ! ». À Valence, la banderole de début de manifestation disait : « Le futur nous appartient ! », à Valladolid « La violence c’est aussi le chômage et les expulsions » ... A Madrid, la manifestation a été impressionnante : elle était convoquée par une Assemblée de quartiers et de banlieues du sud de Madrid, c'est-à-dire par les concentrations ouvrières les plus touchées par le chômage. Le thème de ce rassemblement était : « Marchons ensemble contre la crise et contre le capital ». Les revendications étaient : « Non aux réductions de salaires et des pensions ; pour lutter contre le chômage : la lutte ouvrière, contre l’augmentation des prix, pour l’augmentation des salaires, pour l’augmentation des impôts de ceux qui gagnent le plus, en défense des services publics, contre les privatisations de la santé, de l’éducation ... VIVE L'UNITE DE LA CLASSE OUVRIERE ! »[3]
Un collectif d'Alicante a adopté le même manifeste. A Valence, un « Bloc Autonome et Anticapitaliste » formé de plusieurs collectifs très actifs dans les assemblées a diffusé un manifeste qui dit : « Nous voulons une réponse au chômage. Que les chômeurs, les précaires, ceux qui connaissent le travail au noir, se réunissent en Assemblées, qu'ils décident collectivement de leurs revendications et que celles-ci soient satisfaites. Nous demandons le retrait de la loi de réforme du Code du travail et de celle qui autorise des Plans sociaux sans contrôle et avec une indemnisation de 20 jours. Nous demandons le retrait de la loi sur la réforme des pensions de retraites car, après une vie de privation et de misère, nous ne voulons pas sombrer dans encore plus de misère et d'incertitude. Nous demandons que cessent les expulsions. Le besoin humain d'avoir un logement est supérieur aux lois aveugles du commerce et de la recherche du profit. Nous disons NON aux réductions qui touchent la santé et l'éducation, NON aux licenciements à venir que préparent les gouvernements régionaux et les mairies suite aux dernières élections ».[4]
La marche de Madrid s'était organisée en plusieurs colonnes qui étaient parties de 6 banlieues ou quartiers de la périphérie différents ; au fur et à mesure que ces colonnes avançaient, une foule toujours plus dense les rejoignait. Ces "couleuvres" reprenaient la tradition ouvrière des grèves de 1972-76 (mais aussi la tradition de 68 en France) où on avait vu qu'à partir d'une concentration ouvrière ou d'une usine "phare", comme à l'époque la Standard de Madrid, les manifestants voyaient des masses croissantes d'ouvriers, d’habitants, de chômeurs, de jeunes les rejoindre, et toute cette masse convergeant vers le centre de la ville. Cette tradition était réapparue dans les luttes de Vigo de 2006 et 2009[5].
A Madrid, le manifeste lu pendant le rassemblement, appelait à tenir des « Assemblées afin de préparer une grève générale », ce qui fut accueilli par des cris massifs de « Vive la classe ouvrière ! ».
Dans notre prise de position « De la place Tahrir du Caire à la Puerta del Sol de Madrid »[6], nous disions : « Même si, pour se donner un symbole, ce mouvement s’appelle « du 15-M » (pour « du 15 mai »), cet appel ne l’a pas créé, mais lui a prêté tout simplement une couverture. Mais cette couverture est devenue carrément une cuirasse qui l’emprisonne en lui donnant un objectif aussi utopique que mystificateur : la "régénération démocratique" de l’Etat espagnol ». Il y a des secteurs significatifs qui essayent de briser cette cuirasse, et ces manifestations du 19 juin vont dans cette direction. Nous entrons dans une étape nouvelle ; nous ne savons pas concrètement comment cela va se réaliser ni quand ; mais cette nouvelle étape, très probablement, s'orientera dans le sens de développer des Assemblées et des luttes ouvrières sur un terrain de classe, contre les diminutions de toutes les prestations sociales, l'unité de tous les exploités rompant avec les barrières corporatistes, d'usine, de race, d'origine, de situation sociale etc. Une telle orientation ne peut vraiment atteindre sa pleine signification que dans une perspective internationale de lutte contre le capitalisme.
Il est vrai que concrétiser cette orientation ne va pas être facile. D'abord à cause des illusions et des confusions sur la démocratie, les illusions sur les possibilités de réformes qui pèsent sur beaucoup de secteurs ; illusions sur lesquelles jouent la DRY, les politiciens, les médias, qui tous profitent des hésitations présentes, de cet immédiatisme qui pousse à vouloir obtenir des « résultats rapides et palpables », de la peur face à l’énormité de la tâche qu’on a devant nous, pour nous enfermer dans le terrain des « réformes », du « citoyennisme », de la « démocratie », en encourageant l’illusion que ce terrain nous permettrait d’obtenir quelques améliorations, une « trêve » face aux attaques sans répit et sans merci qui s'abattent sur la classe ouvrière.
Ensuite, se mobiliser sur les lieux de travail relève de l'acte héroïque aujourd'hui, à cause du risque élevé de perdre son poste de travail, de se retrouver sans ressources ce qui, dans beaucoup de familles, représente la frontière pas seulement entre une vie acceptable et la misère mais entre la misère et la faim. Dans de telles conditions, la lutte ne peut qu'être le fruit, non pas d'une décision individuelle, comme le présentent les syndicats et l'idéologie démocratique, mais le résultat du développement d'une force et d'une conscience collective, aspects qui sont fortement entravés par les syndicats (qui actuellement semblent avoir disparu de la scène des combats, mais qui sont très présents sur les lieux de travail, semant le virus du corporatisme, de la lutte enfermée dans le secteur ou l’entreprise et s’opposant à toute tentative de lutte ouverte).
Malgré ces difficultés, il apparaît probable que l'effort qui mènera à l'éclatement de grèves d’une ampleur plus ou moins grande est d'ores et déjà en cours. Pour aider ce processus à affronter tous les obstacles qui vont jalonner sa route, il nous faut tirer les leçons de ce qui vient de se passer, entre le 15 mai et le 19 juin et dégager quelques perspectives.
Souvenons-nous combien de fois, ces dernières années, nous avons entendu : « Mais comment est-ce possible qu’on ne bouge pas avec tout ce qui nous tombe dessus ? »
Au moment où la crise actuelle a éclaté, nous avons mis en avant le fait que : « dans un premier temps », les combats étaient « désespérés et relativement isolés, même s’ils bénéficient d’une sympathie réelle des autres secteurs de la classe ouvrière. C’est pour cela que si, dans la période qui vient, on n’assiste pas à une réponse d’envergure de la classe ouvrière face aux attaques, il ne faudra pas considérer que celle-ci a renoncé à lutter pour la défense de ses intérêts. C’est dans un second temps, lorsqu’elle sera en mesure de résister aux chantages de la bourgeoisie, lorsque s’imposera l’idée que seule la lutte unie et solidaire peut freiner la brutalité des attaques de la classe régnante, notamment lorsque celle-ci va tenter de faire payer à tous les travailleurs les énormes déficits budgétaires qui s’accumulent à l’heure actuelle avec les plans de sauvetage des banques et de « relance » de l’économie, que des combats ouvriers de grande ampleur pourront se développer beaucoup plus » [7]
Ce « second temps » est en train de mûrir –avec des difficultés bien évidemment- avec des mouvements comme celui qui a eu lieu en France contre la reforme des retraites (octobre 2010), celui des jeunes en Grande-Bretagne contre les brutales augmentations des coûts scolaires et universitaires (décembre 2010), les mobilisations en Tunisie et en Egypte, la mobilisation en Grèce…
Pendant plus d’un mois, des Assemblées et des manifestations massives nous montrent que OUI, « nous pouvons nous unir ! », qu’il ne s’agit pas là d’une utopie, mais, au contraire, à travers les témoignages de participants actifs à ces mouvements, il apparaît qu'il s'agit là d'une source de joie et d'un fort sentiment de dignité. Parlant de la manifestation du 19 juin, un manifestant dit : « L'ambiance était celle d'une fête authentique. On marchait ensemble, des gens très variés et de tous les âges : des jeunes autour de 20 ans, des retraités, des familles avec leurs enfants, d'autres personnes encore différentes... et cela, alors que des gens se mettaient à leur balcon pour nous applaudir. Je suis rentré épuisé à la maison, mais avec un sourire rayonnant. Non seulement j'avais la sensation d'avoir contribué à une cause juste, mais en plus, j’ai passé un moment vraiment extra ».
Avant ce séisme social que nous venons de vivre, on entendait tout le temps le commentaire « les ouvriers ne bougent pas », un sentiment d'impuissance prédominait. Aujourd’hui commence à émerger l'idée que la solidarité, l’union, la construction d’une force collective, peuvent se faire jour. Ce qui ne veut pas dire qu’on sous-estime les graves obstacles que la nature même du capitalisme, basé sur la concurrence à mort et la méfiance des uns vis-à-vis des autres, met en travers de la route dans ce processus d’unification. Ce processus ne pourra se développer que sur la base d’une lutte unitaire et massive de la classe ouvrière, une classe qui, parce qu’elle est la productrice collective et associée des principales richesses, porte en elle la reconstruction de l’être social de l’humanité.
En contraste avec le sentiment amer d’impuissance qui dominait, les expériences vécues ce dernier temps, commencent à faire germer l’idée que « Nous pouvons être forts face au Capital et à son État ». « Après l’effondrement du bloc de l’Est et des régimes soi-disant « socialistes », les campagnes assourdissantes sur la « fin du communisme », voire sur la « fin de la lutte de classe », ont porté un coup sévère à la conscience au sein de la classe ouvrière de même qu’à sa combativité. Le prolétariat a subi alors un profond recul sur ces deux plans, un recul qui s’est prolongé pendant plus de dix ans (...) [la bourgeoisie] a réussi à créer au sein de la classe ouvrière un fort sentiment d’impuissance du fait de l’incapacité de celle-ci à mener des luttes »[8].
Comme le disait un manifestant à Madrid « C’est vraiment important de voir tous ces gens rassemblés sur une place, parlant politique ou luttant pour leurs droits. N’avez-vous pas la sensation que nous sommes en train de récupérer la rue ? ». Cette récupération de la rue montre comment commence à mûrir un sentiment de force collective. Le chemin est long et difficile, mais on est en train de construire les bases pour que des luttes massives de la classe ouvrière éclatent, des luttes qui lui permettront de développer la confiance en elle-même et de se comprendre comme force sociale capable de faire face à ce système et de construire une nouvelle société.
Le mouvement du 15 mai ne se réduit pas à une explosion d'indignation. Il a surtout essayé de se donner les moyens pour comprendre les causes de la misère et de se donner les moyens de s'organiser pour la lutte. Et ces moyens ce sont les assemblées massives. Une manifestante du 19 juin disait: « le mieux, ce sont les Assemblées, la parole se libère, les gens se comprennent, on pense à haute voix, on peut parvenir à des accords en commun alors que nous sommes des milliers de personnes qui ne se connaissent pas. Ce n'est pas merveilleux çà ? »
La classe ouvrière n’est pas une armée disciplinée avec des membres, peut-être très convaincus mais dont le rôle se réduirait à suivre les ordres d’un état-major, voilà une idée du monde qui doit être jetée dans les poubelles de l’histoire comme une vieillerie ! La classe ouvrière se conçoit comme une masse qui pense, discute, décide, agit et s’organise de manière collective et solidaire, en additionnant le meilleur de chacun dans une formidable synthèse d’action commune. Le moyen et le facteur concrets de cette vision sont les Assemblées, « Tout le pouvoir aux Assemblées ! » voilà ce qui a été repris à Madrid et à Valence. Ce slogan surgi, certes encore minoritairement, lors de ce mouvement, est l’écho lointain du vieux cri de ralliement de la Révolution russe : « Tout le pouvoir aux Conseils ouvriers (Soviets) ! »[9].
D’une façon certes embryonnaire, le mouvement a mis en avant la nécessité d’une lutte internationale. Lors d’une manifestation à Valence on entendait le cri : « Ce mouvement n’a pas de frontières ». Il y a eu des volontés encore timides et confuses qui vont dans ce sens. Dans plusieurs campements, on a organisé des manifestations « pour la Révolution européenne » ; le 15 juin, il y a eu des manifestations de soutien aux luttes en Grèce. Le 19 juin sont apparus, minoritaires, des slogans internationalistes : sur une pancarte on lisait « Joyeuse union mondiale », sur une autre en anglais « World Revolution » (révolution mondiale).
Pendant des années, ce qu’on a appelé la « mondialisation de l’économie » servait à la bourgeoisie de gauche à susciter des réflexes nationalistes, leur discours consistant à revendiquer face aux « marchés apatrides » la « souveraineté nationale », autrement dit, on proposait aux ouvriers d’être encore plus nationalistes que la bourgeoisie elle-même ! Avec le développement de la crise, mais aussi grâce à la popularisation d’Internet, les réseaux sociaux, etc., la jeunesse ouvrière commence à renverser les choses. Il émerge un sentiment selon lequel « face à la globalisation de l’économie, il faut répondre avec la globalisation internationale des luttes », face à une misère mondiale, la seule riposte possible est une lutte mondiale.
Le mouvement a eu une répercussion très étendue. Les mobilisations qui se déroulent depuis 2 semaines en Grèce suivant le même « modèle » de concentrations et d’assemblées massives sur les places principales, se sont inspirées directement et consciemment des événements en Espagne. Selon le site Kaosenlared le 19 juin « des milliers de personnes de tout âge ont manifesté ce dimanche place Syntagma, devant le Parlement grec, quatrième dimanche de suite, en riposte à un appel du mouvement paneuropéen des 'indignés' pour protester contre les mesures d’austérité ».
En France, en Belgique, au Mexique, au Portugal, il y a des assemblées régulières, plus minoritaires, où s’affirment la solidarité avec les indignados et la volonté d’encourager le débat et de construire des ripostes. Au Portugal « Quelques 300 personnes, des jeunes pour la plupart, ont marché dimanche après-midi dans le centre de Lisbonne, appelés par le mouvement ‘Democracia Real Ya’, en se référant aux ‘indignados’ espagnols. Les manifestants portugais ont marché dans le calme derrière une banderole où l’on pouvait lire : « Europe, réveille-toi ! », « Espagne, Grèce, Irlande, Portugal : notre lutte est internationale » ; en France « La police française a arrêté une centaine d’'indignés' au moment où ils voulaient manifester devant la cathédrale Notre-Dame, à Paris. L’après-midi, les manifestants se sont assis devant ce monument pour ainsi continuer une protestation qui avait commencé à midi sur le même chemin que celles d’Espagne » [10]
La crise de la dette souveraine s’accentue jour après jour. Les experts eux-mêmes reconnaissent le fait qu’au lieu de la « reprise économique » qu’on n’arrête pas d’annoncer, l’économie mondiale peut subir une rechute encore plus violente que celle d’octobre 2008. La Grèce montre un abîme insondable : les plans de sauvetage requièrent d’autres plans de sauvetage et, à la fois, l’État se trouve au bord de la cessation de paiements, un phénomène qui n’est en rien « grec », mais qui touche de plein fouet les Etats-Unis, première puissance mondiale.
La crise de la dette montre la crise sans issue du capitalisme : il faut instaurer des plans d’austérité d’une brutalité inouïe, des plans qui signifient des licenciements, des coupes sociales, des réduction des salaires, des augmentations de l’exploitation, des impôts..., des mesures qui ne font qu’entraîner une contraction du marché solvable ; ce qui oblige à établir …de nouveaux plans d’austérité !
Face à une telle spirale, il n’y a pas d’autre chemin possible que la lutte massive. Cette lutte peut et doit mûrir grâce à l’intervention de la large minorité qui, au sein des Assemblées, penchait vers des positions de classe, favorables aux assemblées et contre le capitalisme. Les acampadas sont en train de disparaître, les assemblées centrales n’ont plus lieu, il y a un tissu assez contradictoire d’assemblées de quartier. Mais ces minorités ne doivent pas se disperser, elles doivent se maintenir unies, en se coordonnant au niveau national et, si cela est possible, en développant des contacts internationaux. Les formes sont très variées : des collectifs, des assemblées pour la lutte, des comités d’action, des groupes de débat... Ce qui est important, c’est qu’au sein de ce milieu, le débat et le combat se développent. Un débat sur les nombreuses questions qui se sont posées au cours de ce dernier mois : reforme ou révolution ?, démocratie ou assemblées ?, mouvement citoyen ou mouvement de classe ?, revendications démocratiques ou revendications contre les coupes sociales ?, pacifisme citoyen ou violence de classe ?, apolitisme ou politique de classe ?, etc. Un combat pour impulser les Assemblées, l’auto-organisation, la lutte intransigeante et indépendante. Il faut concrétiser le sentiment de force et la capacité d’union qui ont germé pour riposter aux coupes brutales que les gouvernements régionaux sont en train de concocter dans l'éducation et la santé et les « surprises » que sans aucun doute nous prépare le gouvernement.
« La situation d’aujourd’hui est très différente de celle qui prévalait lors du surgissement historique de la classe à la fin des années 1960. A cette époque, le caractère massif des combats ouvriers, notamment avec l’immense grève de mai 1968 en France et l’automne chaud italien de 1969, avait mis en évidence que la classe ouvrière peut constituer une force de premier plan dans la vie de la société et que l’idée qu’elle pourrait un jour renverser le capitalisme n’appartenait pas au domaine des rêves irréalisables. Cependant, dans la mesure où la crise du capitalisme n’en était qu’à ses tous débuts, la conscience de la nécessité impérieuse de renverser ce système ne disposait pas encore des bases matérielles pour pouvoir s’étendre parmi les ouvriers. On peut résumer cette situation de la façon suivante : à la fin des années 1960, l’idée que la révolution était possible pouvait être relativement répandue mais celle qu’elle était indispensable ne pouvait pas s’imposer. Aujourd’hui, au contraire, l’idée que la révolution soit nécessaire peut trouver un écho non négligeable mais celle qu’elle soit possible est extrêmement peu répandue. »[11]
Dans les assemblées, on a beaucoup parlé de révolution, de comment détruire ce système inhumain. Le mot « révolution » ne fait pas peur. Le chemin est bien long, mais le mouvement qui va du 15 mai au 19 juin a permis de comprendre que lutter c’est possible, que s’organiser pour lutter c’est possible et que tout cela non seulement nous renforce contre le Capital et son État, mais nous donne aussi de la joie, de la vitalité, nous permet de sortir de la sinistre prison qu’est devenue la vie quotidienne sous le capitalisme.
« Une transformation massive des hommes s’avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener à bien la chose elle-même ; or, une telle transformation ne peut s’opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser porque la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles »[12]
Dans ce sens, le mouvement qu’on vient de vivre a déjà apporté un petit quelque chose à ce changement d’état d’esprit et d’attitude. Ce grand changement de la société et de nous-mêmes, ne pourra se réaliser qu’à l’échelle mondiale. En cherchant la solidarité et l’unité avec l’ensemble du prolétariat international, le prolétariat en Espagne pourra développer de nouvelles luttes et avancer dans cette perspective. Le futur est entre nos mains !
CCI (24 juin)
1. DRY sigles de Democracia Real Ya (Démocratie Réelle Maintenant), association de plus d’une centaine d’organisations où ATTAC a le plus grand poids. Voir https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/... [166]
2. En analysant attentivement les récents événements, nous pouvons nous rendre compte comment une telle réforme est illusoire et mystificatrice. Les listes ouvertes ont été acceptées par l’ultra-droitière Madame Aguirre, baronne de la communauté autonome de Madrid ; le corrompu Camps –roitelet de la communauté de valencienne- a promis de les « étudier ». Une autre revendication, les ILP (Initiatives Législatives Populaires), a été reprise par les syndicats -durement critiqués dans les Assemblées- qui ont présenté un million de signatures pour que le Parlement retire la Loi de Reforme du Code du Travail, avec des possibilités nulles d’obtenir quoi que ce soit, comme les leaders syndicaux le reconnaissaient eux-mêmes. Enfin, la « reforme » de la Loi Electorale prétend favoriser les « petits partis » qui soi-disant représenteraient mieux les électeurs et seraient plus critiques vis-à-vis des pouvoirs économiques et politiques. Ceci a été totalement démenti par le comportement d’Izquierda Unida (IU - coalition de gauche, minoritaire, centrée autour du PC) qui se présentait comme une alternative radicale « plus à gauche » et qui, lors de dernières élections, a fini par aplanir le chemin de la Droite vers le pouvoir dans plus de 30 municipalités et dans la région d’Estrémadure. Et ce n’est pas la première fois : en 1995, Anguita, grand chef d’IU à l'époque, s’est allié avec le PP (droite) pour déloger le PSOE du pouvoir.
3. Voir https://asambleaautonomazonasur.blogspot.com/ [167]
4. Voir https://infopunt-vlc.blogspot.com/2011/06/19-j-bloc-autonom-i-anticapitalista.html [168]
5. Voir « Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne : Une avancée dans la lutte prolétarienne », https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo [169] et aussi « A Vigo, en Espagne : les méthodes syndicales mènent tout droit à la défaite », https://fr.internationalism.org/icconline/2009/a_vigo_en_espagne_les_methodes_syndicales_menent_tout_droit_a_la_defaite.html [170]
6. https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/de_la_place_tahrir_a_la_puerta_del_sol_de_madrid.html [155]
7. Résolution sur la Situation Internationale, adoptée par le 18ème Congres du CCI, Revue Internationale nº 138, https://fr.internationalism.org/rint138/resolution_sur_la_situation_internationale_18e_congres_du_cci_mai_2009.html [171]
8. Idem.
9. Lire « Solidarité avec les "indignés" en Espagne : l'avenir appartient à la classe ouvrière ! [172]».
10. Eléments repris du site espagnol https://kaosenlared.net/ [173]
11. Idem.
12. Marx et Engels, L’idéologie allemande (1845-46), p. 101, éditions sociales, 1982
Dans le mouvement des "indignés" en Espagne comme en France et dans tous les pays, le collectif Democracia Real Ya (DRY) ! ("Démocratie Réelle Maintenant !"), a exploité le dégoût légitime des jeunes envers les partis politiques bourgeois (et la corruption des politiciens), pour promouvoir une idéologie extrêmement pernicieuse : celle de "l'a-politisme". Ainsi, partout, on a pu entendre les mentors de DRY faire croire aux "indignés" que leur mouvement de protestation contre les effets de la crise du capitalisme (notamment le chômage des jeunes) devait rester un mouvement "apolitique", en dehors et contre tous les partis, associations et syndicats. Partout, les éléments politisés devaient donc respecter la consigne : ne pas prendre la parole au nom de leur groupe politique mais uniquement en tant que simples "citoyens"1. Tous ceux qui font de la politique étaient ainsi suspectés de vouloir diviser ou récupérer le mouvement pour le compte de leur propre "chapelle".
L'hypocrisie sans borne de DRY atteint son comble lorsqu'on sait que derrière cette vitrine prétendue "apolitique" se cachent en réalité non seulement toute la brochette des partis de la gauche du capital (PS, PC, NPA, Front de Gauche, etc…), mais également des partis de droite et d'extrême-droite (puisque leurs militants ont droit de cité dans les assemblées en tant que "citoyens au-dessus de tout soupçon").
C'est en réalité à une union sacrée de toutes les bonnes âmes respectueuses de la "citoyenneté" capitaliste que nous convie la politique démagogique et populiste de DRY. En réalité, ce que visent les leaders de DRY, c'est à attacher les jeunes prolétaires au char de l'ordre capitaliste.
Lorsque DRY appelle à revendiquer une réforme de la loi électorale en Espagne, lorsqu'elle nous demande d'aller voter et de rester ainsi de bons "citoyens", lorsque ses slogans mensongers nous appellent à lutter contre la "dictature des banques" et nous fait croire qu'un capitalisme "propre", "éthique", à "visage humain" est possible, DRY ne fait rien d'autre que de la… "politique" ! Et cette politique réformiste, de gestion de la crise économique, c'est celle des partis de la gauche du capital, avec ses politiciens plus ou moins "propres" et corrompus (comme Strauss-Kahn, Zapatero, Papandréou et consorts).
L'"apolitisme" est une pure mystification et un piège dangereux pour les exploités ! Cette idéologie hypocrite ne vise qu'à les déposséder de leurs propres moyens de lutte afin de les rabattre sur le terrain pourri de la "légalité" de la "démocratie" bourgeoise. Les partis de gauche et les syndicats, après avoir porté tant de coups à notre classe, ont de plus en plus de mal à déverser leurs poisons : les divisions corporatistes ou sectorielles, le noyautage des luttes et des assemblées générales et, surtout, les illusions réformistes et électorales… Les exploités sont animés d'une méfiance grandissante à leurs égards, voire d'un réflexe de rejet ; ils ont appris à détecter la puanteur de leurs poisons. "L'apolitisme" de l'alter-mondialisme a donc pour mission de nous refourguer ce même poison mais en le rendant préalablement inodore ! Il s'agit d'un tour de passe-passe, ni plus ni moins, qui vise au bout du compte à ramener les prolétaires dans le giron des ennemis officiellement rejetés : les partis de gauche et les syndicats !
La classe exploitée ne doit pas oublier que c'est au nom de "l'apolitisme" que le fascisme est arrivé au pouvoir dans les années 1930. C'est sous couvert "d'apolitisme" que les mouvements sociaux ont toujours été récupérés par ceux qui se font les promoteurs patentés de cette idéologie, tels les "altermondialistes" de DRY ou d'ATTAC.
C'est ce que nous avions vu, par exemple en France, dans le mouvement des étudiants contre le CPE au printemps 2006 où de nombreux enfants de la classe ouvrière ont été récupérés, entre autres par le NPA, dans la perspective des élections présidentielles de 2007. Ils ont été dévoyés sur le terrain des isoloirs électoraux derrière un front uni "anti-Sarko".
Pour ne pas se faire "récupérer" et dévorer par des loups déguisés en agneaux, les jeunes générations d'aujourd'hui doivent se souvenir du slogan des étudiants de Mai 68 : "Si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique s'intéressera à toi".
Oui, il faut s'intéresser à la "politique" ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards "spécialistes" de la négociation et de la magouille. C'est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de chiens de garde du Capital.
La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C'est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l'ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C'est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu'ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force.
La classe exploitée, qu'elle soit salariée ou au chômage, est la seule force politique qui puisse changer le monde, renverser le capitalisme et construire une société véritablement humaine, sans crise, sans guerre, sans exploitation.
Sofiane (29 juin)
1 Voir notre article "Altercation entre Democracia Real et le CCI : Notre indignation face aux méthodes 'démocratiques' de DRY" sur notre site web.
Le mouvement du 15 Mai (15M) initié par Democracia Real Ya (DRY), chapeauté par l'association altermondialiste ATTAC, a fait des petits également en France, et notamment à Paris, avec pour objectif la "prise de la Place de la Bastille". Dans les assemblées à Paris, des militants du CCI sont intervenus pour défendre une position de classe et non pas en tant que simples "citoyens" revendiquant une "démocratie réelle maintenant" dans le cadre de la préservation du système capitaliste.
Nos camarades ont également apporté une table de presse pour diffuser nos publications sur la place publique où se tenaient les assemblées.
Le 29 mai, les organisateurs de DRY sont venus nous trouver pour protester avec les arguments suivants :
ce mouvement est "a-politique" et n'accepte aucun parti, aucun groupe politique et aucun syndicat;
la diffusion de notre presse ne peut que "diviser" le mouvement.
Une petite altercation a alors eu lieu entre les militants du CCI et certains militants de DRY qui nous ont demandé, de façon très virulente, de plier bagage. Voici les arguments que nous avons opposés à cette tentative de nous bâillonner :
Aucun mouvement de protestation sociale n'est "apolitique". L'a-apolitisme de DRY n'est que pure hypocrisie. Nous savons pertinemment que derrière la bannière de DRY, c'est ATTAC et ses épigones qui se cache avec son idéologie altermondialiste.
Nous ne sommes pas un parti politique, et encore moins un parti électoral.
DRY fait exactement la même chose que les staliniens qui nous ont toujours "virés" des lieux publics considérés comme leur chasse gardée, leur "territoire";
A la différence de DRY et de tous les autres groupes, des syndicats et partis politiques bourgeois, présents dans ce mouvement, le CCI ne cache pas son drapeau (même si, dans nos interventions au sein des Assemblées nous ne parlons pas au nom de notre organisation politique).
Même les flics, qui assistaient à cette scène derrière leurs boucliers, semblaient plus "démocratiques" que DRY, puisqu'ils ne nous ont pas demandé, eux, de plier bagage. Quand nous avons souligné l'ironie de cette situation d'une Democracia Real Ya plus coercitive que les forces de répression de l'Etat français, les membres de la DRY ont été particulièrement mal à l'aise.
Nous avons donc refusé de nous laisser prendre en otage par la loi imposée par DRY et sommes restés sur la Place de la Bastille en nous écartant un peu pour laisser la place à l'assemblée.
Le dimanche 12 juin, l'assemblée organisée par DRY s'est tenue boulevard Richard-Lenoir à Paris. Nos militants étaient également présents et ont apporté de nouveau leur table de presse.
Même scénario : des militants de DRY sont venus faire un esclandre pour nous faire dégager avec les mêmes arguments.
Nous leur avons dit que nous revenions de Barcelone et que sur la place de Catalogne, les "indignés" étaient ravis que nous exposions notre presse. La "commission logistique" nous avait prêté deux tréteaux et une planche pour présenter nos publications. Un "indigné" de la "commission art" nous a même prêté un mégaphone pour que nous organisions un débat autour de notre table de presse.
Une militante de DRY, complètement déchaînée, ne nous a pas crus et nous a demandé des "preuves". Nous avons alors sorti notre caméra vidéo pour lui montrer que nous ne bluffions pas. Nous avions filmé la Place de Catalogne à Barcelone (où on y voit très clairement la table de presse du CCI). Mais cette militante de DRY a fait la politique de l'autruche et a refusé de voir notre vidéo. Elle nous a alors demandé si les "indignés" de Barcelone nous ont remis un … "papier" autorisant notre table de presse ! Peut-être que DRY voulait un papier tamponné par la préfecture nous autorisant à diffuser notre presse ?
En réalité, ce que les militants de DRY à Paris ne voulaient surtout pas voir, c'est l'indignation des "indignés" de Barcelone contre les manœuvres de DRY qui, sous couvert d'apolitisme ou d'apartidisme, sabote les débats en cherchant à museler toutes les voix qui n'entonnent pas son credo à la gloire de la citoyenneté de la république bourgeoise. Voilà le vrai visage de la "démocratie réelle" de DRY !
En réalité, " l'extension internationale" du 15M n'est qu'une mascarade derrière laquelle DRY cherche à embrigader les exploités, et les jeunes générations de la classe ouvrière, dans un "front populiste", au coude à coude avec des "citoyens" appartenant aux partis de la gauche et de la droite du Capital (et même de l'extrême-droite, comme nous l'a d'ailleurs dit cette militante très "citoyenne" de DRY).
Contre la dictature de DRY, contre son "front populiste" réactionnaire, les exploités doivent opposer un front de classe !
CCI (14 juin)
Nous publions ci-dessous, comme contribution au débat, un texte rédigé par un jeune étudiant de Barcelone qui nous l'a adressé. Ce texte souligne à juste titre l'hétérogénéité du mouvement des "indignés". Il a surtout le mérite d'être très clair sur les manœuvres de Démocracia Real Ya, une véritable "auberge espagnole" soi disant "apolitique" (dans laquelle se retrouvent rassemblés dans un "front populiste", aussi bien des "citoyens" de droite, d'extrême-droite que de gauche et d'extrême gauche) .
Le Mouvement du 15M, dit Mouvement des Indignés, est né à Madrid le 15 mai 2011et trouve son origine dans la répression et les passages à tabac de la Puerta del Sol, après les affrontements entre la police et le Bloc autonome et libertaire qui suivirent la manifestation de Democracia Real Ya (DRY), dont ce Bloc se distinguait clairement en critiquant son discours insuffisant, réformiste et vide de conscience de classe (1). Le détonateur de ce mouvement qui s’enflamma comme une traînée de poudre dans tout l’Etat a cependant été en réalité son explosion médiatique. DRY ne put que constater la spontanéité des rassemblements et se refusa à en prendre la tête, non sans parvenir à faire reprendre son discours ambigu et citoyen par les porte-paroles présumés du mouvement.
Le manifeste de DRY ne demande pas la disparition du capitalisme, mais seulement l’amélioration des conditions de vie des exploités et plus de « transparence démocratique » (2). Parmi ses idéologues se distingue Enrique Dans, de NoLesVotes (2 3). Enrique Dans a suivi une formation d’entreprise à l’UCLA et à Harvard, il travaille pour de grands groupes financiers qui font partie du réseau oligarque responsable et défenseur de la situation actuelle d’injustice sociale (4).
Parmi les manifestations de soutien reçues parle 15M se distinguent pêle-mêle celles de Ynestrillas, de la Phalange espagnole des JONS, des Communautés chrétiennes populaires ou d’Eduard Punset, solide défenseur du Nouvel ordre mondial qui prit la parole avec les Indignés d’Oviedo et coïncida avec eux sur plusieurs points : listes électorales ouvertes, limitation du mandat présidentiel, réforme de la Loi électorale… (5) (6) (7), qui semblent être le fruit d’une indignation ultralibérale proche des idées anti-étatistes de Ron Paul (qui incarne le néofascisme déguisé en mouvement social). Ces faits permettent deux interprétations.
1) La première est que les rassemblements de Madrid, Barcelone et autres villes se font en marge de DRY et fonctionnent de façon assembléiste et autonome. L’infiltration de groupes d’extrême-droite serait donc une lamentable conséquence de l’hétérogénéité du mouvement qui a écarté tout sectarisme pour avancer dans la voie de la révolution « des gens ordinaires » (8).
2) La future convocation à une manifestation mondiale pour le 15 octobre (9), les rapports entre DRY et l’oligarchie financière, la symbolique anarcho-capitaliste présente dans plusieurs plateformes citoyennes étroitement liées (10), en accord avec le discours globaliste et interclassiste du « Nouvel ordre mondial » expliqueraient l’impact médiatique du mouvement. La dictature médiatique de l’État espagnol est bien connue ; seul un groupe puissant, avec une forte influence, riche, et ayant un intérêt à la chose est capable de faire changer le regard des medias sur la lutte sociale, tout comme d’empêcher la répression et la violence policière qui se sont déchainées en d’autres occasions lors d’actions populaires contre le système (lutte contre le TAV à Euskal Herria, manifestations étudiantes contre le Plan Bologne, grève générale du 29 Septembre, etc.).
La complicité de la dictature médiatique, tout comme les mots d’ordre « nous sommes apolitiques », « nous ne sommes ni de droite ni de gauche » et autres « nous n’avons pas d’idéologie » nous font suspecter que le 15M n’est qu’un projet de dissidence contrôlée fabriqué par le système capitaliste lui-même, afin de servir de soupape au mal-être social et le canaliser vers des positions acceptables pour le Pouvoir. L’élément le plus important dans ce sens est le pacifisme irrépressible qui s’impose, ajouté au rejet de toute collaboration avec les partis et syndicats minoritaires de la gauche radicale qui ont toujours eu un poids plus ou moins important dans la lutte de classe.
Il n’est cependant pas évident de contrôler un mouvement de masses. Dans certaines assemblées, l’existence d’un groupe de personnes qui monopolise les tours de parole est évidente, elle influe sur les commissions populaires et manipule les votes en cachant les résolutions derrière des termes abstraits et interprétables ou en limitant les options. A la Plaça de Catalunya (Barcelone), par exemple, nombreux sont les accords obtenus à partir de discussions privées et la centralisation de l’assemblée, ce qui la rend plus facilement manipulable (11). A Valence, par contre, les assistants ont détecté une sorte de secte qui limite la liberté d’expression (12), comme ce fut le cas lors de la macabre manœuvre pour faire approuver la « restructuration » du campement de Sol : le peuple vota pour choisir s’il devait partir le lendemain ou discuter, en commissions, sur comment et quand s’en aller sur la base d’un plan de réduction du campement, sans que soit évoquée l’option de résister indéfiniment comme c’était la volonté populaire. Les votes, cependant, durent être remis face aux protestations de personnes et de commissions rebelles (13) (Lire attentivement cette note).
Un effort démesuré semble être fait pour contenir la masse populaire dans le pacifisme, l’inaction, et la forcer à revenir à la routine de la production et de la consommation. La conclusion que peut tirer un authentique révolutionnaire de tout ce mouvement, après une analyse attentive, est claire. Ce mouvement nouveau est en gestation, il n’est pas orienté idéologiquement et contient une multitude de contradictions internes, mais à la longue ils ne pourront plus le contrôler ; c’est alors que commenceront réellement les évacuations en même temps que les informations sur de prétendues infiltrations « anti-système » qui justifieront la répression policière. Le peuple doit prendre en main ce mouvement pour le conduire jusqu’à la révolution sociale, chose impossible sans certains fondements historiques inexistants encore lors du 15-M. La lutte révolutionnaire se centre donc à présent vers la réalisation de deux objectifs :
1) l’évolution vers un discours de classe dans le mouvement (« nous ne sommes pas des citoyens indignés, mais des exploités qui se révoltent pour l’abolition des classes sociales ») ;
2) la création d’un contre-pouvoir populaire qui fasse perdre toute légitimité aux institutions dictatoriales de l’État espagnol : un réseau d’assemblées locales, librement organisées, dont l’objectif soit la destruction du système capitaliste et de son régime de contrôle social et de propriété privée pour construire une société horizontale, sans leaders ni hiérarchies, dans laquelle se respecte l’autonomie et l’autogestion des peuples et des territoires. Ce qui est impossible sans une grève générale illimitée.
Augusto Pelusita
1 https://www.alasbarricadas.org/noticias/?q=node/17536 [174]
2 NoLesVotes est un “mouvement citoyen” qui propose de ne pas voter pour les partis politiques majoritaires PSOE, PP et CiU lors des élections municipales et autonomiques en Espagne le 22 mai 2011 (ndt).
3 democraciarealya.es [175]
4 boltxe.info.
5 www.kaosenlared.net/noticia/indignado-punset-discursos-coincidentes-glob... [176]
6 www.eduardpunset.es/11280/general/no-tiene-sentido-que-cada-pais-vaya-a-... [177]
7 cadenaser.com/ser/2011/05/25/espana/1306281031_850215.html [178]
8 www.kaosenlared.net/noticia/las-revoluciones-gente-comun [179]
9 https://www.lavanguardia.com/noticias/20110530/54162716915/democracia-real-ya-prepara-una-manifestacion-mundial-para-el-15-de-octubre.html [180]
10 antimperialista.blogia.com/2011/052901-la-refundacion-del-capitalismo.-similitudes-entre-el-movimiento-15-m-el-anarcoca.php
11 barcelona.indymedia.org/newswire/display/421156/index.php [181]
12 barcelona.indymedia.org/newswire/display/422833/index.php [182]
13 www.kaosenlared.net/noticia/sol-nos-quedamos-victoria-popular-ante-amena... [183]
Une protestation pacifique avait été organisée devant le nouveau parlement régional de Valence. Elle demandait que les politiciens ne soient plus corrompus et qu'ils écoutent les citoyens, c'est-à-dire que cela apportait de l'eau au moulin aux illusions sur un État "expression de la volonté populaire".
Ce dernier a répondu de façon extrêmement pédagogique : plusieurs manifestants ont été frappés avec violence, traînés à terre, soumis à un traitement arrogant et brutal. 18 manifestants ont été blessés et cinq arrêtés. Ils n'ont pas été traités comme des "citoyens" mais comme des délinquants.
La nouvelle a provoqué une forte indignation.
Une manifestation a été appelée à 20h.15 à la station de métro Colon, devant la sous-délégation du gouvernement. Peu à peu se sont rassemblés des manifestants, un cortège venu de la place de la Vierge – où il y avait eu un rassemblement sur la langue valencienne – s'est joint au cortège, ce qui a provoqué de grands applaudissements. De façon improvisée, il a été décidé d'aller au commissariat de Zapodores où l'on supposait que se trouvaient les détenus. Le nombre de manifestants augmentait de minute en minute, les habitants du quartier de Ruzafa s'unissaient au cortège ou applaudissaient de leur balcon. On criait aux policiers : "Libérez les prisonniers, "Ne nous observe pas ! Toi aussi, on te vole !".
A l'arrivée au centre de Zapadores, la foule s'est regroupée dans un grand sit-in. On criait : "Nous ne partirons pas sans eux !", "S'ils ne sortent pas, nous, nous entrons !". Des nouvelles sont arrivées annonçant la solidarité de l'Assemblée de Barcelone1 ou la décision du campement madrilène d'apporter son soutien avec une nouvelle manifestation devant Les Cortes (Chambre des Députés)2. Au même moment à Barcelone, on criait les slogans : "Non à la violence à Saint- Jacques de Compostelle et à Valence !" (à Saint-Jacques de Compostelle, également, il y avait eu une charge policière).
Une heure plus tard, devant la nouvelle que les détenus – qui avaient été transférés à la cité de la Justice – allaient être libérés, la manifestation s'est dispersée, mais quelques centaines de manifestants se sont rendus à la cité pour attendre leur libération, laquelle a eu lieu peu après minuit.
De ce récit des événements, nous pouvons tirer quelques conclusions.
La première conclusion est la force de la solidarité. Ne pas laisser tomber les emprisonnés. Ne pas faire confiance au "bon sens de la Justice", les prendre en charge, les considérer comme les nôtres, concevoir leur vie comme notre propre vie. Tout au long de l'histoire, la solidarité a été une force vitale des classes exploitées et avec la lutte historique du prolétariat, elle a été placée au cœur de son combat et comme pilier d'une future société, la communauté humaine mondiale, le communisme.3 La solidarité est détruite par la société capitaliste qui est fondée sur tout le contraire : la compétition, le tous contre tous, le chacun pour soi.
Mais en même temps que la solidarité, se développe une indignation croissante contre l'État "démocratique". Les charges policières de Madrid et Grenade ainsi que le traitement inhumain infligé aux détenus de Madrid ont impulsé le mouvement du 15-M (15 mai). La cynique et brutale charge policière de Barcelone a montré le véritable visage de l'État démocratique, occulté quotidiennement au moyen des "élections libres" et de la "participation citoyenne". La répression de vendredi à Valence et Saint-Jacques de Compostelle et celle d'aujourd'hui samedi à Salamanque viennent de le mettre en évidence.
Il est nécessaire d'ouvrir la réflexion et le débat : les événements de Madrid, Grenade, Barcelone, Valence, Salamanque et Saint-Jacques seraient-ils des "exceptions" résultant d'excès ou d'erreurs ?
La réforme de la loi de la loi électorale, les "ILP" (Initiatives législatives populaires) et autres propositions du "consensus démocratique" pourraient-elles en finir avec ces exactions ou mettre l'État au service du peuple ?
Pour répondre à ces questions, nous devons comprendre ce qu'est l'État et qui il sert.
L'État est dans tous les pays l'organe de la minorité privilégiée et exploiteuse, l'organe du Capital. Cette règle générale s'applique aussi bien aux États qui utilisent les effluves déodorantes de la démocratie comme à ceux qui exhalent l'odeur fétide de la dictature.
L'État n'a pas comme ciment la "participation citoyenne", mais l'armée, la police, les tribunaux, les prisons, l'Eglise, les partis, les syndicats, les organisations patronales, etc., c'est-à-dire une immense toile d'araignée bureaucratique au service du capital qui opprime et suce le sang de la majorité et se légitime périodiquement avec le maquillage des élections, des consultations populaires, des référendums, etc.
Cette face obscure de l'État, occultée au quotidien par les lumières multicolores de la démocratie, apparaît clairement avec des lois comme la réforme des pensions de retraite, la réforme du travail, les nouvelles mesures adoptées récemment par le gouvernement qui permetent aux entreprises de recourir à l'ERE (Expediente Regulacion de Empleo)4 sans la moindre limitation ou encore les coupes dans les indemnisations des salariés licenciés, ramenées à 20 jours par année travaillée (au lieu de 45 auparavant). Ou quand la police distribue les coups de matraques "pour éviter des problèmes", selon l'euphémisme utilisé par Rubalcaba5. La répression n'est pas l'apanage de tel ou tel parti ou de telle ou telle idéologie, c'est la réponse nécessaire et consciente de l'État chaque fois que les intérêts de la classe capitaliste sont menacés ou simplement chaque fois qu'il s'agit de les renforcer et de les appuyer.
L'immédiatisme, l'empressement à "faire des propositions concrètes", a conduit à ce qu'un secteur important des assemblées – influencé par des groupes comme Democracia Real Ya ! – fasse confiance au miroir aux alouettes de la "réforme démocratique" : loi électorale, listes ouvertes, initiative législative populaire… Cela apparaît comme un chemin facile, concret, mais en réalité, cela ne conduit qu'a à renforcer l'illusion que l'État pourrait être amélioré, qu'on pourrait "le mettre au service de tous", ce qui conduit à se fracasser la tête contre les murs blindées de l'État capitaliste et… tendre la tête pour lui faciliter son travail !
Dans les assemblées, on a beaucoup parlé de "changer cette société", d'en finir avec ce système social et économique injuste, il s'est exprimée l'aspiration à un monde où n'existerait pas l'exploitation, où nous ne "serions pas des marchandises", où la production serait au service de la vie et non la vie au service de la production, où il existerait une communauté humaine mondiale sans États ni frontières.
Mais comment atteindre cet objectif ? Est-ce que la formule des jésuites suivant laquelle "la fin justifie les moyens" serait valable ? Est-ce qu'on pourrait changer ce système en utilisant les moyens de participation que, de façon trompeuse, il nous offre ?
Les moyens à employer doivent être cohérents avec la fin poursuivie. Tous les moyens ne sont pas valables. N'est pas valable l'atomisation et l'individualisme des isoloirs électoraux, n'est pas valable la délégation de la prise en charge des affaires entre les mains des politiciens, ne sont pas valables les manœuvres troubles de la politicaillerie habituelle, c'est-à-dire ne sont pas valables les moyens habituels du jeu démocratique.
Ces "moyens" éloignent radicalement du but poursuivi. Les moyens qui permettent de s'approcher de cet objectif – bien que celui-ci soit encore lointain -, ce sont les assemblées, l'action collective directe dans la rue, la solidarité, la lutte internationale de la classe ouvrière.
CCI (11/6/11)
1A Barcelone, plusieurs centaines de manifestants ont occupé la "Diagonale" (grande avenue qui traverse toute la ville) et les automobilistes les ont soutenus en klaxonnant.
2 Le jeudi, une manifestation avait déjà eu lieu contre la réforme du travail.
3 Voir notre texte d'orientation sur "La confiance et la solidarité dans la lutte prolétarienne [184]"
4 La nouvelle loi ERE autorise désormais les entreprises à faire passer des plans sociaux sans aucune justification préalable, alors que, auparavant, celles-ci devaient afficher des pertes dans leur bilan pour pouvoir licencier leurs salariés.
5 Ministre de l'Intérieur et successeur désigné de Zapatero.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.
Il y a juste quelques semaines, dans les principales villes d’Espagne se rassemblaient des milliers de personnes dans des assemblées où chacun pouvait prendre la parole et pouvait parler en toute confiance sur le manque d’avenir qu’on nous offre et sur comment faire pour y faire face. Et on écoutait avec respect. On discutait partout, en petits groupes, dans les bars, dans les « acampadas » (campements)..., des générations différentes (jeunes, retraités). Un sentiment grandissait : celui de l’émotion partagée, de l’unité, de la créativité, de la réflexion et du débat, dans un effort de prendre en charge la tâche gigantesque de mettre en avant une perspective face à ce « no future» que le capitalisme nous offre.
Aujourd’hui, il y a de moins en moins de gens à des réunions qu’on ne peut plus appeler assemblées, où la discussion n’est plus permise. Plusieurs commissions « filtrent » la prise de parole et on ne permet pratiquement pas de parler en quoi que ce soit d’une perspective de lutte sociale. On présente au vote ou au « consensus » des mots d’ordre démocratiques comme s’ils étaient l’expression du mouvement, alors que la majorité ne les connaît pas et ne les a pas discutés, même si beaucoup de gens sont ouvertement contre. Avec l’excuse de « l’apolitisme » on fini par faire la « même merde » politique que le PSOE et le PP1.
Qu’est-ce qui est arrivé ? Ont-ils raison ceux qui disent que depuis le début, ce mouvement était un mouvement citoyen de reforme démocratique, un montage ? Ou n’est-ce pas plutôt qu’il est en train de se réaliser une attaque contre les assemblées, un sabotage pour en finir avec les rassemblements massifs, la discussion et la réflexion, parce que cela fait peur à l’État et le met sous tension ?
Deux jours après la répression brutale des manifestations du 15 mai (le mouvement des « indignés » porte d’ailleurs pour nom en Espagne « le mouvement du 15-M »), des campements sont dressés à la Puerta del Sol, qui ont servi d’exemple à d’autres villes. De plus en plus de monde s’est rassemblé sur les places de ces villes en organisant des discussions et des assemblées. Toute cette mobilisation a été totalement spontanée. Ceux qui, comme ¡ Democracia Real Ya ! (DRY), veulent maintenant s’attribuer l’initiative du mouvement, mentent. Et pourtant, ces mêmes « ci-devant citoyens » ont voulu, à ce moment-là, laisser bien clair que le mouvement des « acampadas » n’était pas de leur fait. Comme c’est raconté dans un texte signé par « quelques anarchistes madrilènes » : « ils ont tout fait pour l’exprimer de la façon la plus dégueulasse qui soit : en se démarquant des incidents après la manif et en montrant du doigt ceux qu’il fallait montrer ».
L’aggravation des attaques à nos conditions de vie, le chômage, les expulsions, les coupes sociales, d’un coté, et, de l’autre, l’exemple de la place Tahrir, celui des luttes contre la « reforme » des retraites en France, des étudiants en Grande-Bretagne, des luttes en Grèce, des discussions sur les lieux de travail ou au sein des minorités révolutionnaires, les commentaires sur Facebook et Twitter et, bien sûr, le ras-le-bol du cirque parlementaire et de la corruption... tout cela et le reste a fait que, soudainement, le mécontentement et l’indignation ont éclaté, en déchaînant un torrent de vitalité, de combativité, en brisant la normalité démocratique de la passivité et du vote.
Des milliers, parfois des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur les places centrales des villes les plus importantes de l’Espagne, devenues des véritables « agoras ». Elles y venaient après le travail, ou restaient pour y camper, ou y allaient en famille… les gens se cherchaient… pour parler et parler encore. La parole « s’est libérée » dans les assemblées2. Même les plus anti-Etat se rendaient compte du fait que ce n’était point du tout un mouvement qui empruntait les voies démocratiques de l’État, comme le dit le même texte anarchiste cité précédemment : « C’est comme si, soudainement, la passivité et le chacun pour soi s’étaient brisés autour de la Puerta del Sol de Madrid... Les premiers jours, il suffisait d’un petit cercle pour parler de quelque chose et les gens tendaient l’oreille pour ensuite écouter et intervenir. C’était quelque chose qui est devenu normal de voir des gens les plus divers discutant en petits groupes. Les groupes de travail et les assemblées générales sont des événements massifs, rassemblant 500, 600 ou 2000 personnes (assises, debout, se resserrant pour mieux entendre), etc. Au-delà de ça, il y avait l’impression permanente de vivre une bonne chose, dans la meilleure ambiance, « quelque chose d’exceptionnel ». Tout cela a atteint son point culminant lors de la journée dite de réflexion. Entendre les quelques 20 000 personnes crier ‘Nous sommes des hors-la-loi’3 en jouissant du fait de passer par-dessus la loi, franchement, ça impressionne ».
Il est vrai que le mouvement n’a jamais mis en avant un affrontement ouvert contre l’État démocratique. En réalité, à chaque tentative d’arriver à des revendications concrètes, on les détournait vers la « reforme démocratique », en y incrustant les mots d’ordre de Democracia Real Ya !. Et ceci est normal, parce qu’il manque la confiance pour se lancer dans la lutte, il manque la clarté sur la perspective, et surtout, parce que la classe ouvrière n’a pas encore pu récupérer son identité en tant que sujet révolutionnaire qu’elle est pour qu’elle puisse prendre la tête d’un assaut révolutionnaire. Mais la discussion, la réflexion et la tentative de prendre en charge sa propre lutte, voilà justement le chemin pour raffermir cette confiance, cette clarté dans le processus de récupération de l’identité de la classe ouvrière, comme l’ont montré, surtout à Barcelone, les tentatives de certains secteurs en grève de rejoindre les assemblées, et la convocation à des manifestations unitaires pour des revendications du travail à Tarrasa4. La véritable confrontation avec l’État démocratique s’est faite dans les assemblées auto-organisées et massives qui se sont étendues à tout le pays et au delà.
Et c’est justement cela que l’Etat ne pouvait pas tolérer.
Après une première tentative pour freiner les événements à la fin de la semaine électorale, en interdisant les rassemblements, une interdiction légale qui fut transgressée allègrement par la présence massive sur toutes les places à l’heure où ladite loi devait être respectée, c'est-à-dire au petit matin du samedi 21 mai, la stratégie a été de combiner l’attente d’un affaiblissement naturel du mouvement à cause de la fatigue et de la difficulté à mettre en avant une perspective de lutte, avec le sabotage du mouvement de l’intérieur.
Au moment où, une semaine après les élections municipales, le mouvement commençait à s’affaiblir, l’Etat a déclenché à Madrid et à Barcelone, une stratégie avec une grande répercussion médiatique.
À Madrid, on a encouragé les plaintes des commerçants et des « petits entrepreneurs » de la Puerta del Sol, de manière à culpabiliser les « campeurs » comme s’ils en rajoutaient à la crise, et on a mis en avant une stratégie visant à démanteler les concentrations massives pour n’y laisser « qu’un point d’information ».
À Barcelone, l’intervention calculée de la police catalane5, même si momentanément elle a eu comme effet d’augmenter la présence aux rassemblements6, elle a réussi néanmoins à dévoyer complètement les discussions vers la revendication démocratique d’exiger la démission du « ministre » de l’Intérieur de la Catalogne, Felip Puig, en y introduisant le discours de l’opposition contre le nouveau gouvernement catalan de la droite nationaliste.
Mais tout cela n’aurait pas eu le même impact s’il n’y avait pas eu le travail de sabotage de l’intérieur de la part de ¡ Democracia Real Ya !.
Si les premiers jours, face à l’avalanche d’assemblées, ¡ Democracia Real ya ! (DRY) n’a pas eu d’autre solution que de ne pas se faire voir sur le devant de la scène, ceci ne veut pas dire qu’elle n’a pas essayé de prendre des positions dans les commissions clé des campements et de diffuser des positions « citoyennes » pour reformer le système, tellles que le fameux « décalogue » ou d’autres trucs du même acabit. Par contre, tout cela, la DRY le faisait sans se montrer ouvertement, sous couvert du refus des partis et en défendant l’apolitisme, ce qui empêchait les autres alternatives politiques de diffuser leurs positions, alors que la DRY les diffusait sans retenue et sans signature.
Des anarchistes de Madrid avaient déjà détecté cette ambiance au début du mouvement : « Au sein de beaucoup de commissions ou des groupements on voit de tout : des disparitions fortuites de comptes rendus, des personnalismes, des gens qui s’accrochent au rôle de porte-paroles, des délégués qui taisent des choses lors des assemblées générales, des commissions qui ignorent les accords adoptés, des petits groupes qui font leurs petites affaires dans leur coin, etc. Beaucoup de ces choses sont sans doute le fruit de l’inexpérience et des égos, d’autres paraissent sorties directement des vieux manuels de manipulation des assemblées ».
Mais il a fallu attendre les premiers symptômes de reflux du mouvement pour voir une véritable offensive des gens du « mouvement citoyen », la DRY en tête, contre les assemblées.
À la Puerta del Sol, c’est eux qui ont pris en charge les plaintes des commerçants et ont poussé au démantèlement du campement et de n’y laisser qu’un « point d’information ». C’est eux qui filtrent les interventions dans les assemblées, où d’ailleurs on ne discute plus que les propositions des commissions, qu’ils contrôlent. Ils présentent ouvertement leurs positions comme si elles étaient l’expression du mouvement, sans qu’elles aient été discutées dans les assemblées. Ils convoquent des réunions de coordination des assemblées de quartier sans que celles-ci aient élu leurs délégués pour les représenter, et ils ont même convoqué une assemblée de coordination nationale pour le 4 juin dont on n’a pratiquement pas entendu parler dans les assemblées générales... Et on voit la même dynamique dans toutes les grandes villes.
À Barcelone, la liberté de parole a été prise en otage. Il ne reste aux assemblées qu’à se prononcer sur les propositions élaborées à leur insu. La discussion a été remplacée par des conférences de « professeurs intellectuels ». Ici, l’un des symptômes les plus sensibles de l’offensive contre les assemblées est le poids pris par le nationalisme. La première semaine après le 15 mai, des milliers de personnes remplissaient la place de Catalogne où l’on discutait en plusieurs langues, où l’on traduisait également en des langues différentes les communiqués qu’on recevait et qu’on émettait. Pas un seul drapeau catalan. Récemment, par contre, il a été voté de parler exclusivement en catalan.
À Valence, c’est la même chose si ce n’est pire. Nous laissons la parole à un texte intitulé Contrôle des assemblées à Valence, qui circule sans signature : « Depuis le 27 mai, la dynamique interne du campement et des assemblées quotidiennes a changé radicalement... on ne peut presque pas parler en son sein de politique ni de problèmes sociaux... On peut résumer la situation ainsi : une commission appelée « de participation citoyenne » et une autre appelée « juridique », au total quelque 15/20 personnes, ont pris le contrôle total de la modération des assemblées, ce sont des « modérateurs professionnels » qui s’imposent aussi dans les petits groupes et les commissions... On a retiré de la place toutes les affiches qui avaient un contenu politique, économique ou tout simplement social. C’est devenu maintenant une espèce de foire alternative... Il n’y a pas de liberté d’expression ni sur la place ni dans l’assemblée. Ils ont instauré, dans les commissions où ils ont pu le faire, le système du « consensus a minima » de telle sorte qu’on ne puisse jamais arriver à des accords avec un contenu... Ils ont présenté un document qu’ils prétendent approuvé aujourd’hui, appelé « Citoyen, participe ! » où, tout en l’ornant de bien jolies choses, on établit que seules les commissions ont le droit de présenter des propositions aux assemblées... Il est établi dans ce document que les commissions fonctionneront dorénavant et obligatoirement, par consensus a minima... c’est un bouclage total du contrôle pour commencer à vider le mouvement de son contenu ». Et, si ce n’était pas suffisant, aujourd’hui même, ces « citoyens » ont transformé une manifestation de retraités contre les mesures prises sur les retraites, en protestation contre l’article 87-3 de la Constitution ; tandis que les retraités revendiquaient « une pension minimale de 800 € » et « pour la retraite à 60 ans », le mouvement citoyen proclamait « nous sommes prisonniers depuis 1978 »7 pour réclamer une constitution plus représentative.
Mais c’est à Séville où la DRY s’est montrée le plus à visage découvert en demandant sans scrupules un chèque en blanc à l’assemblée, pour faire et défaire à sa guise. Elle a même osé demander aux participants aux assemblées de s’inscrire massivement derrière ses sigles.
Il est évident que la stratégie de la DRY, au service de l’Etat démocratique de la bourgeoisie, consiste dans le fait de mettre en avant un mouvement citoyen de reformes démocratiques, pour essayer d’éviter que ne surgisse un mouvement social de lutte contre l’État démocratique, contre le capitalisme. Les faits ont montré, cependant, que lorsque l’énorme malaise social accumulé trouve un terrain aussi étroit soit-il pour s’exprimer, les pleurnichards de la démocratie « plus-que-parfaite » sont écartés sans le moindre égard. Ni la DRY ni l’Etat démocratique ne peuvent stopper le développement du mécontentement social et de la combativité ; ils vont essayer, par contre, de mettre devant lui toutes sortes d’entraves.
Et la charge contre les assemblées en est une. Pour une « large minorité » (qu’on nous permette d’utiliser cette expression paradoxale), ces assemblées sont une référence pour la recherche de la solidarité, pour raffermir la confiance, pour l’apprentissage et la pratique de la discussion en assemblées, pour prendre en charge les luttes contre les attaques sans merci contre nos conditions de vie. Continuer à discuter comme dans les assemblées, même dans des rassemblements plus petits, c’est le chemin pour préparer les luttes futures. Organiser des assemblées massives et ouvertes chaque fois qu’une lutte surgit, voilà l’exemple à suivre. Le sabotage de la DRY en imposant ce mouvement « citoyen » peut faire qu’une partie de cette « minorité croissante » perde espoir et pense que « tout cela n’a été qu’un rêve ». Ces « citoyens » ne pourront pas effacer l’histoire comme on efface un concurrent d’un programme de télé-réalité, mais ils peuvent créer la confusion dans les mémoires.
C’est pour tout cela que l’alternative est celle de défendre les assemblées là où il reste un tant soit peu de vitalité, de combattre et de dénoncer le sabotage de la DRY, et d’appeler à continuer la lutte quand l’occasion se présente, avec le regroupement de minorités ou dans des assemblées lors des luttes, avec cette dynamique de prendre en charge le débat et le combat.
Lutter contre le capitalisme est possible ! L’avenir appartient à la classe ouvrière !
CCI (3 juin)
1 « PSOE y PP la misma mierda es » est un slogan contre le « bipartisme » qui est devenu emblématique de ce mouvement. [NdT]
2 « Libérer la parole » a été l’un des mots d’ordre des récentes assemblées lors du mouvement contre la « reforme » des retraites en France.
3 Dimanche 22 mai, il y a eu des élections locales en Espagne. La loi stipule que le samedi précédant (le 21), c’est le jour de « réflexion » où tout rassemblement est interdit…[NdT]
4 Ville industrielle de la banlieue barcelonaise [NdT]
5 La bourgeoisie en Espagne n’est pas aussi stupide en ce qui concerne l’affrontement avec la classe ouvrière, et encore moins en Catalogne, et il est difficile de croire que, peu de jours après la répression des manifestations du 15 mai, qui a entraîné les mobilisations, elle refasse la même gaffe. De plus, ce qui démontre qu’il y a toujours une exception à la règle, les déclarations pathétiques à la télévision du porte-parole du Parti socialiste, dans l’opposition en Catalogne, qui a parlé avec mépris des gens du campement, en disant que le PS était d’accord avec leur expulsion « mais avec d’autres manières », démontre que ce plan d’évacuation avait été discuté entre le gouvernement et l’opposition.
6 La répression a été brutale (il y a encore eu quelques blessés graves), ce qui a poussé à la solidarité entre les différentes assemblées.
7 Date de la mise en vigueur de la dernière Constitution espagnole rédigée après la mort du dictateur Franco. [NdT]
Vous trouverez ci-dessous la traduction d'un article d'Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis, qui s'appuie très largement sur différents textes produits par l'assemblée générale des Occupy Oakland.
Nous publions ici les appels de "l'Assemblée Générale pour Occuper Oakland" pour lancer une grève générale le 2 novembre. C'est un développement significatif que ce mouvement d'occupation aux Etats-Unis, qui tout en étant généralement critique par rapport au 'capitalisme' a également été entravé par une vision très confuse de ce qu'est réellement ce système d'exploitation, et en particulier de la seule façon de s'y opposer : à travers la lutte des classes. Mais cet appel, venant après un certain nombre d'expériences particulièrement amères de la répression policière, marque une véritable avancée en ce sens ; il est un appel direct à la classe ouvrière locale pour soutenir le mouvement à travers la grève. La réponse à l'appel de l'AG a été très impressionnante, non pas tant par le nombre de lieux de travail fermés, qui semble avoir été inégal, mais par la volonté de milliers de travailleurs de rejoindre les manifestations, même souvent après le travail. La manif du soir sur le port a été planifiée afin de permettre à ceux qui travaillent d'y participer et a attiré plusieurs milliers de personnes (selon certaines estimations, jusqu'à 20 000). Bien que le port soit plus ou moins resté ouvert pendant la journée, les manifestants ont réussi à persuader les dockers et les camionneurs de se joindre à eux et le port a été fermé pour la nuit. C'est ainsi que le Los Angeles Times a décrit les événements ainsi : « Comme des milliers de manifestants convergeaient vers le port, les camionneurs se sont battus pour venir avec leur véhicule. D'autres, comme Mann Singh, se sont plantés autour, un large sourire sur leur visage. Un résident de 42 ans, de Pittsburgh, a dit qu'il était arrivé à 16h30 avec son camion vide, dans l'espoir de le garer et de rentrer à la maison, mais comme les manifestants se rassemblaient, il s'est arrêté pour les soutenir. »
Quelles que soient les critiques d'ordre secondaires que nous puissions faire des textes qui suivent, nous ne pouvons qu'appuyer leur esprit et leur approche globale :
Nous, en tant qu'occupants de 'Oscar Grant Plaza', proposons que le mercredi 2 novembre 2011, nous libérions la population d'Oakland et arrêtions le 1%1.
Nous proposons une grève générale de la ville et nous proposons d'inviter tous les étudiants à sortir des universités. Les travailleurs, au lieu d'aller au travail et les étudiants, au lieu d'aller à l'université, convergeront vers le centre-ville d'Oakland pour fermer la ville.
Toutes les banques et les entreprises devront fermer pour la journée, sinon nous marcherons sur elles.
Nous appelons à une grève générale, mais nous demandons aussi beaucoup plus. Les gens qui s'occupent de leur quartier, les écoles, les organismes communautaires, les groupes associatifs, les lieux de travail et les familles sont encouragées à s'organiser eux-mêmes d'une manière qui leur permette de participer au bouclage de la ville de telle sorte qu'ils puissent le faire facilement.
Le monde entier a les yeux tournés vers Oakland. Montrons-leur ce qui est possible.
Le Conseil de Coordination de la Grève commencera à se réunir tous les jours à 17 heures sur Oscar Grant Plaza avant l'Assemblée Générale de 19 heures. Tous les participants à la grève sont invités. Restez à l'écoute pour plus d'informations et rendez-vous pour mercredi prochain.
1er novembre 2011
LES MOYENS DE PARTICIPER A LA GREVE GENERALE DU 2 NOVEMBRE ET A LA JOURNEE D'ACTION appelée par 'Occuper Oakland'
'Occuper Oakland' appelle à ce qu'il n'y ait ni travail, ni école le 2 novembre, dans le cadre de la grève générale. Nous demandons que tous les travailleurs en grève prennent un congé de maladie, un jour de congé ou qu'ils aillent tout simplement se promener en dehors de leur travail avec leurs collègues. Nous demandons également que tous les étudiants sortent des écoles et rejoignent les travailleurs et les membres de la communauté du centre-ville d'Oakland. Toutes les banques et les grandes entreprises doivent fermer pour la journée ou les manifestants marcheront sur elles.
L'Assemblée de Grève de 'Occuper Oakland' a fait vœu de rester sur les lignes de piquet et d'occuper toutes les entreprises ou écoles où les employés ou étudiants seraient sanctionnés pour avoir participé à la grève générale du 2 novembre. Si vous êtes l'objet d'une quelconque mesure disciplinaire, s'il vous plaît, faites-le savoir sur le mail [email protected] [185].
'Occuper Oakland' reconnaît que tous les travailleurs, étudiants et membres de la communauté ne peuvent pas faire grève toute la journée du 2 novembre, et nous saluons toute forme de participation qui leur semblera appropriée. Nous les encourageons à nous rejoindre avant ou après le travail ou pendant leurs heures de repas.
Voici quelques idées d'actions pour participer à la grève :
Se rassembler dans le centre-ville d'Oakland pour aider au bouclage de la ville :
Rejoindre les rassemblements massifs sur la 14ème rue et à Broadway à 09h, 12h, 17h. Des rallyes rassemblements de grève auront lieu à ces heures avec des orateurs politiques et les micros seront ouverts afin que chacun puisse faire entendre sa voix. Il y aura également des annonces d'actions faites sur des estrades pour ceux qui sont intéressés à participer à des piquets de grève et à la fermeture des banques et des grandes entreprises.
Conduire une marche à partir de votre quartier, lieu de travail, école, centre communautaire, lieu de culte, etc., vers le centre-ville d’Oakland pour rejoindre l'un des trois rassemblements massifs. Amusez-vous et donnez de la voix le long de la route pour faire savoir aux gens pourquoi vous marchez sur le centre-ville !
Former un blocus mobile ou piquet volant qui peut prendre le contrôle des carrefours importants du centre-ville avec des fêtes de rues et autres moyens créatifs pour faire entendre nos voix et boucler la ville.
Il y aura de nombreux piquets et de nombreuses actions devant les banques et les sociétés à travers le centre-ville, mais nous avons besoin d'être plus nombreux ! Faites venir un groupe d'amis, des membres de la famille, des collègues ou camarades de classe pour former un groupe d'affinité et faire entendre nos voix et ressentir notre présence à l'un de ces endroits au centre-ville. Faites connaître votre action aux estrades de la 14e rue et de Broadway, afin qu'ils puissent l'annoncer à la foule.
Il y a beaucoup d'autres actions autonomes prévues pour la journée qui auront lieu au centre-ville. L'une d'elles est la marche anti-capitaliste à 14h, dont le rassemblement se fera à l'intersection de Broadway et de Telegraph et une autre est celle du bloc féministe et homosexuel contre le capitalisme qui se réunira à 14h30 entre la 14ème rue et Broadway.
Rejoindre les marches du centre-ville pour boucler le port d'Oakland. Ces marches se finiront à 16h et une autre de 2 miles partira à 17h vers le port pour manifester sa solidarité avec les débardeurs et arrêter les activités du soir sur le port.
Rejoindre le trajet à vélo de 'Critical Mass' à partir de 16h qui va de la 14e rue et de Broadway pour aller vers le port pour participer à son bouclage.
Mieux vaut ne pas conduire dans le centre-ville : il est probable que de nombreuses rues seront bloquées à la circulation de sorte qu'il est préférable de prendre le vélo ou les transports en commun. Il sera également utile d'avoir un vélo pour vous déplacer entre les actions ou marcher sur le port.
Passez à l'action dans vos quartiers et leurs collectivités :
Rassembler les voisins, collègues, camarades de classe et organiser des groupes de marche dans son quartier pour un moment festif, sensibiliser et encourager les autres à vous rejoindre dans les rues ! Apporter de quoi faire du bruit, des écriteaux, des banderoles et faire savoir à votre communauté pourquoi vous participez à la grève.
S'arrêter devant les banques, les chaînes de magasins, les stations-service, les grands médias commerciaux, etc. pour protester et installer des piquets de grève.
Se rassembler dans les centres de quartiers et aux angles des principaux carrefours pour organiser des débats, des barbecues et des fêtes de rue. Y faire entendre votre voix et sensibiliser les gens en réclamant des espaces où les membres de la communauté peuvent vous rejoindre et parler des questions qui les affectent le plus et sur comment on peut s'organiser ensemble pour construire un puissant mouvement.
Si vous devez faire des courses, ne dépenser de l'argent que dans les commerces de quartiers et autant que possible, n'y acheter que des produits locaux.
Les organisations sans but lucratif et communautaires :
Utilisez vos données personnelles et organisez vous à travers les réseaux sociaux des médias (sites Internet, Facebook, Linked-in, des bulletins électroniques, etc) pour soutenir les actions et permettre à vos circonscriptions d'être tenu au courant de ce qui se passe dans les rues d'Oakland.
En cas de violences policières, contacter votre réseau organisé pour dénoncer la répression policière et appeler à la libération de tous les grévistes arrêtés.
Fournir des ressources pour permettre aussi la participation de ceux qui vous entourent : donnez vous du temps pour pouvoir participer à des actions directes; encourager le travail qui concourt au succès de la grève générale et donnez vous un objectif d'occupation.
Soyez prêts :
A apporter des matériaux pour faire des écriteaux : du papier carton, des marqueurs, de la peinture, des bombes à peinture, des chevilles, etc.
A apporter de la nourriture et de l'eau à partager !
A apporter de quoi faire du bruit, systèmes de sonorisation et autres moyens que nous pouvons transformer au centre-ville en une célébration de notre pouvoir collectif.
Notez ce numéro vers le bas de votre corps en cas d'arrestation: 415.285.1011 Ce numéro pourra être composé toute la journée et permettra de coordonner le soutien juridique pour les personnes arrêtées pendant la grève.
Se souvenir de ces quatre points communs agréés par l'Assemblée Générale de la Grève :
Solidarité avec les mouvements d'occupation du monde entier !
En finir avec les attaques de la police sur nos communautés !
Défendre les écoles et les bibliothèques d'Oakland !
Contre un système économique basé sur le colonialisme, l'inégalité et le pouvoir des entreprises qui perpétue toutes les formes d'oppression et de destruction de l'environnement !
Quelques chants pour la grève
«Grève, Occupation, Verrouillage ! Oakland est une ville populaire »
«Chaque heure, chaque jour ! L'occupation est là pour rester ! »
«Tout occuper! Libérez Oakland. »
«Politiciens et banquiers, menteurs et voleurs, nous vous reprenons tout! Nous ne disons pas s'il vous plaît ! »
"Plus de flics, nous n'en avons pas besoin! Tout ce que nous voulons, c'est la liberté totale. »
« Fermez OPD! Non à la Bibliothèque publique ! »
«Allons à Oakland ! Allons-y ! [Clap] [clap] »
1 NDLR : Ceux qui manifestent et occupent les places aux Etats-Unis se font nommer les 99% (autrement dit, le "peuple"), et affirment se battre contre ceux qui représentent le 1% restant, qui dirigent le pays et s'enrichissent.
Ce qui se passe en Espagne[1] est parti d’une manifestation « contre les politiciens », organisée par Democracia Real Ya ! (« Démocratie réelle tout de suite ! »). Ces manifestations du 15 mai ont eu un succès spectaculaire : le mécontentement général, le malaise face à l’avenir ont trouvé dans ces manifestations une issue inattendue. Tout aurait dû apparemment s’arrêter là mais, à Madrid et à Grenade, à la fin de la manifestation, il y a eu de violentes charges de police avec plus de 20 détenus durement maltraités dans les commissariats. Ces détenus se sont regroupés dans un collectif qui a adopté un communiqué, dont la diffusion a causé une forte impression et une réaction foudroyante d’indignation et de solidarité. Un groupe de jeunes a décidé d’établir un campement sur la « Puerta del Sol » de Madrid (Place du centre historique). Ce même lundi, l’exemple madrilène s’étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression n'a fait que réchauffer les esprits et, depuis lors, les rassemblements n’ont fait que s’étendre à plus de 70 villes et leur affluence n’a fait que croître à un rythme vertigineux. Nous publions ci-dessous ce Communiqué.
Nous voulons écrire ces quelques lignes pour exprimer nos sentiments face à ce qui vient de se passer. Nous sommes toutes des personnes très différentes les unes des autres, les unes se définissant comme anarchistes, d’autres comme altermondialistes, ou encore comme féministes ou écologistes, des personnes favorables à une démocratie réelle, etc., mais nous tous avons subis dans nos chairs les mêmes abus policiers injustes et disproportionnés. Pour commencer, il y en a qui n’ont même pas participé à la manifestation, et ceux qui ont participé affirment avoir le droit de participer à des actions politiques ; mais on a tous le même sentiment : le mécontentement par rapport à nos conditions de vie (la difficulté pour trouver du travail, la précarité, le fait de ne même pas pouvoir rêver à réaliser nos moindres projets à cause des inégalités économiques et toute cette éducation basée sur la consommation à outrance, le fait d’être réprimés à cause des nos idées politiques ou tout simplement de vouloir être différents de ce qui nous entoure). Nous sommes face à une perspective sans le moindre espoir, sans un futur qui nous encourage à vivre tranquillement et à pouvoir nous consacrer à ce qui nous tient à cœur à chacun.
C’est pour tout cela que la plupart d’entre nous sont allés à la manifestation du 15 mai : pour essayer de remplacer ce système par quelque chose de plus juste et équitable, et quelle a été la riposte ? : la répression de la part des forces de l’ordre de l’État. Ce fut quelque chose de honteux que de voir des hommes surexcités, habillés et armés pour faire peur et frapper sur tout ce qui bougeait, sur toute personne un tant soit peu différente des modes imposées par les marchés, de voir une police, supposée être là pour maintenir l’ordre et la paix sociale, qui frappait impunément tous ceux qui se trouvaient à leur portée, des policiers avec des visages pleins de haine, avec des pupilles dilatées, peut-être à cause des stimulants qu’ils avaient consommés, toute une terreur qu’ils utilisent pour défendre leurs banquiers, leurs politiciens, leurs grands entrepreneurs.
Nous, les personnes arrêtées, affirmons à l’unanimité que la police a agi d’une façon disproportionnée et aléatoire :
1. Un copain est arrêté ; dans le fourgon, les mains liées, des policiers prennent sa tête et la cognent sur les sièges du fourgon, tout en l’insultant et lui disant que les « locks » qu’il porte, c’est « antihygiénique », et que c’était pareil s’il n’avait rien fait parce qu’il était un porc et que cela suffisait pour lui cogner dessus. Et au moment où les coups cessent de pleuvoir, il y a un autre policier anti-émeutes qui rapplique pour lui dire d’arrêter de se plaindre, « parce qu’il n’y en a qu’un seul qui t’a tapé dessus ».
2. Ils disent à un autre qui portait des pantalons bouffants : « Normal que tu ne trouves pas du travail avec ces pantalons de pédé que tu portes ! », avec d’autres commentaires du même tonneau, homophobe et machiste.
3. Un autre copain qui rentrait chez lui après la manif accompagné de sa fiancée, voit comment des policiers s’acharnent à matraquer un adolescent, il leur demande d’arrêter et c’est lui alors qui est frappé et arrêté pour « s’être mêlé de ce qui ne le regarde pas »
4. Deux autres, en voyant les policiers anti-émeutes frapper les gens assis au milieu de l’avenue Gran Vía, interviennent pour aider les jeunes assis par terre à s’en tirer. Ils sont arrêtés par des policiers en civil, habillés style skinhead, qui ne se sont identifiés comme des policiers qu’après les arrestations.
5. Un autre d’entre nous, rentrant de jouer au foot, a eu la malchance de vouloir prendre un train de banlieue à la station de Sol. On l’a arrêté « parce qu’il se trouvait là au mauvais moment et au mauvais endroit », comme on lui a dit plus tard, devant nous tous, en se foutant de lui, en l’humiliant au moment où ils ont vu le contenu de son sac à dos avec tout son équipement de foot, chaussures, protège-tibias, habits et ballon, pour finir en lui lançant la bonne blague : « Ne te plains pas, comme ça, tu auras une histoire à raconter à tes petits-enfants ! »
6. La plupart des détenus n’avait jamais été arrêtés ; ils demandaient quand est-ce qu’ils pourraient téléphoner à un proche. On leur répondait : « Vous regardez trop de films américains, ici, en Espagne, vous n’avez pas le droit de passer des appels extérieurs. »
7. Dans la Brigade de Renseignements de la Région de Madrid, située dans le quartier de Moratalaz, nous ne pouvions pas lever le regard du sol au risque de recevoir des coups. C’était comme dans les films de terrorisme, les flics étaient tous cagoulés, et même comme ça, ils nous interdisaient de les regarder en face quand ils nous demandaient de leur répondre. Malheureusement, la réalité a dépassé la fiction.
8. Jetés par terre, avec les menottes aux poignets, face contre terre, un autre copain a prévenu qu’il avait des problèmes cardiaques, qu’il avait été opéré et qu’il prenait des médicaments. Il a demandé à être transporté à l’hôpital ; les agents lui ont répondu en se moquant de lui et en lui refusant toute assistance médicale. Deux heures après, un chef s'est décidé à appeler le SAMU, qui est arrivé une heure plus tard. Les flics trouvaient la situation marrante et ont décidé d’appeler notre copain « Monsieur Syncope » avec des blagues et des commentaires. Finalement, il fut transporté à l’hôpital, où on l’a mis quelque temps sous perfusion et on lui a donné des médicaments. De retour en prison, on a lui a confisqué ses médicaments en lui disant que, quand il en aurait besoin, il n’avait qu’à les demander. Au bout de quelques heures, il y a eu un changement d’équipe. Personne n’avait informé la nouvelle équipe de ce cas, de sorte qu’au moment de la prise de la nouvelle dose par notre camarade, on la lui refusa. Il a eu une crise de panique et ils ont fini par accepter sa demande au bout de plus de deux heures pendant lesquelles nous, les autres détenus, n’avons pas arrêté de crier pour qu’on vienne à son aide.
9. Au début, beaucoup d’entre nous étions très paniqués et, dans un premier temps, on n’a pas voulu qu’on avertisse nos parents ou un médecin. Après le choc initial, nous avons sollicité ces droits, mais un des responsables du commissariat de Moratalaz a crié ces mots doux : « Bande de pédés, petits merdeux de mes deux, je vais vous mettre un coup de pied au cul qui finira par vous sortir par la bouche. D’abord nous ne voulez pas qu’on avertisse maman et, maintenant, au bout de 5 minutes, vous le voulez, mais où est-ce que vous croyez que vous êtes, bande de cons ? Allez vous faire foutre ! »
10. Pendant tous les déplacements en voiture, ils conduisaient exprès de façon dangereuse, à grande vitesse, à grands coups de volant et en faisant crisser les freins, de sorte que nous, qui étions à l’arrière du fourgon, nous nous cognions contre les portes et les cloisons.
11. Enfin, voici quelques autres échantillons des vexations et des intimidations psychologiques qu'ils nous ont fait subir :
- Ils disaient à l’un d’entre nous : « Tu as eu de la chance, j’aurais pu te mettre deux balles dans le buffet. » ;
- Pendant qu’ils nous traînaient vers le haut de l’escalier, ils disaient : « On pourrait les jeter par la fenêtre, ce n’est que des « rouges » de merde » ;
- Nous avons pu voir les mauvais traitements et le racisme vis-à-vis d’autres personnes arrêtée ;.
- Ils ont refusé de donner des protections hygiéniques à une camarade qui en avait besoin ;
- Ils ont altéré notre notion du temps en perturbant nos cycles de sommeil ;
- Ils n’ont pas arrêté de se moquer du choix végétarien de certaines d’entre nous, en proférant des railleries comme : “Regarde, c’est celle-là la végétarienne.” “Normal, avec cette gueule d’enterrement qu’elle traîne ». Il va sans dire qu’au moment de manger, ils n’ont pas tenu compte de ce choix. En plus, ils ont dit qu’on n’aurait pas beaucoup à manger, en ajoutant en s'adressant aux filles « avec ce régime, vous serez bonnes à sauter cet été ».
1. Voir: /icconline/2011/dossier_special_indignes/mouvement_des_indignes_en_espagne_l_avenir_appartient_a_la_classe_ouvriere.html [172]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un l'article sur le mouvement des indignés, réalisé dès le 25 mai par Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.
Les événements qui se déroulent actuellement en Espagne, quel que soit leur dénouement final, quelle que soient les confusions ou les illusions de leur protagonistes, sont en train de construire l’histoire, sont un fait historique de premier ordre dans l’évolution de la lutte de classe.
Les événements sont expliqués par des facteurs prétendument nationaux, ce qui se concrétise dans l’expression maintenant si connue de la « Spanish Revolution ».
Rien de plus faux et trompeur ! Le désenchantement vis-à-vis de ce qu’on nomme « classe politique » est un phénomène mondial ; il est très difficile de trouver un pays où les habitants fassent confiance à leur « représentants », qu’ils soient élus à travers la mascarade électorale ou qu’ils soient imposés par voie dictatoriale. La corruption, qui a été proposée comme un autre motif de révolte, est également un phénomène mondial auquel presque aucun pays n’échappe1. Il est vrai qu’autant dans la « qualité » des politiciens que dans la corruption, il y a des degrés différents selon les pays, mais ces différences sont l’arbre qui cache le phénomène historique et mondial de la dégénérescence et du pourrissement du capitalisme.
D’autres raisons ont été mises sur la table, tels que le chômage massif, surtout chez les jeunes. On parle aussi de précarité, des coupes sociales généralisées qui ont été réalisées et d’autres prévues pour après les élections. Tout cela n’est pas une particularité espagnole. Nous le voyons en Grèce, en Irlande ou au Portugal, mais aussi aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. S’il est vrai que ces attaques contre la classe ouvrière et contre la grande majorité de la population ont des degrés différents selon les pays -le capitalisme est une source permanente d’inégalités- c’est une erreur de dire qu’un tel est moins pauvre que tel autre, alors que la tendance est à être tous de plus en plus pauvres !
Le visage sinistre du chômage, on le voit autant à Madrid qu’au Caire, autant à Londres qu’à Paris, autant à Athènes qu’à Buenos-Aires. Il est absurde et stérile de rechercher avec insistance tout ce qui différencie la colère, alors que nous devons rechercher ce qui nous unit. Dans la situation actuelle, on voit avec de plus en plus d’évidence que ce qui domine, c’est la dégradation générale des conditions de vie des exploités du monde entier. Nous nous trouvons tous réunis dans la même chute vers l’abîme, ce qui ne se concrétise pas seulement à travers le chômage, l’inflation, la précarité, la suppression d’allocations sociales, mais aussi dans la multiplication de désastres nucléaires, des guerres et à travers une forte dislocation des rapports sociaux accompagnée d’une désintégration de toute valeur morale.
Il est évident que la pression de l’idéologie dominante, étroitement nationaliste, essaie d’enfermer le mouvement que nous sommes en train de vivre dans les murs étroits d'une « Spanish Revolution ». Il est vrai que les difficultés de la prise de conscience font que beaucoup d’acteurs de ce mouvement le voient à travers ce prisme déformant, et c’est ainsi que dans les assemblées, les réflexions sur la situation mondiale, ou sur la situation même de l’immense majorité de travailleurs, sont encore rares2.
Mais, comment se fait-il que nous parlons d’un maillon dans le mouvement international de la classe ouvrière, alors que la plupart des présents, même si ce sont des ouvriers (chômeurs, jeunes travailleurs précaires, fonctionnaires, retraités, étudiants, immigrés...), se reconnaissent comme appartenant à la classe ouvrière, et lors des assemblées ces mots ne sont pratiquement jamais prononcés ?3
Il y a des facteurs différents qui expliquent cette difficulté : la classe ouvrière souffre d’un problème aigu d’identité et de confiance en elle-même. Par ailleurs, le mécontentement ne touche pas seulement la classe ouvrière, mais aussi de larges couches de la population opprimée et non exploiteuse, ce qui se concrétise par une prolétarisation de couches sociales petites-bourgeoises et des professions libérales4. Tout cela fait que le mouvement peut paraître, avec un regard plus que superficiel, comme interclassiste, partant d’une manière chaotique vers une foule de préoccupations, très sensible aux idéologies démocratiques mais, en le regardant avec plus de profondeur, ce mouvement appartient entièrement au combat international de la classe ouvrière. Nous sommes dans un processus vers des luttes massives, lesquelles vont aider à ce que le prolétariat commence à prendre confiance en ses propres forces, commence à se concevoir comme une classe autonome capable de mettre en avant une alternative à cette société qui, autrement, va tout droit vers sa ruine. La faille tectonique qui traverse la France en 20065, la Grèce en 20086, pour revenir encore en France en 2010, continuer en Grande-Bretagne toujours en 2010 et suivre encore avec l’Egypte et Tunisie en 20117, est en train de s’exprimer dans cet énorme et fantastique séisme espagnol. On est en train de construire les galeries pour d’autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir le dur chemin vers l’émancipation de l’humanité.
Une analyse internationale et historique est plus claire si elle arrive à intégrer les facteurs particuliers, nationaux ou conjoncturels. Par contre, on ne pourra jamais comprendre les faits si on part de ces facteurs spécifiques. Le mouvement que nous sommes en train de vivre est parti d’une manifestation « contre les politiciens » organisée par Democracia Real Ya ! (« Démocratie réelle maintenant ! »). Les manifestations du 15 mai ont eu un succès spectaculaire : le mécontentement général, le malaise face à l’avenir ont trouvé dans ces manifestations une issue inattendue.
Tout aurait dû apparemment s’arrêter là mais, à Madrid et à Grenade, à la fin de la manifestation, il y a eu de violentes charges de police avec plus de 20 détenus durement maltraités dans les commissariats. Les détenus se sont groupés dans un collectif qui a adopté un communiqué8, dont la diffusion a causé une forte impression et une réaction foudroyante d’indignation et de solidarité. Un groupe de jeunes a décidé d’établir un campement à la « Puerta del Sol » de Madrid (Place du centre historique). Ce même lundi, l’exemple madrilène s’est étendu à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression n’a fait que réchauffer les esprits et, depuis lors, les rassemblements n’ont fait que s’étendre à plus de 70 villes et leur affluence n’a fait que croître à un rythme vertigineux.
Le moment décisif a été mardi après-midi. Les organisateurs avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou, encore, des mises en scènes ludiques défouloir (qu’on appelle des « spectacles »), mais la foule des présents n’arrêtait pas d’augmenter en demandant à grands cris la tenue d’assemblées. Mardi à 20 heures se tiennent des assemblées à Madrid, à Barcelone, à Valence et dans d’autres villes, mais à partir de mercredi, c’est devenu une véritable et formidable avalanche et les rassemblements sont devenus des assemblées ouvertes.
Même si, pour se donner un symbole, ce mouvement s’appelle « du 15-M » (pour « 15 mai »), cet appel ne l’a pas créé, mais lui a prêté tout simplement une couverture. Mais cette couverture est devenue carrément une cuirasse qui l’emprisonne en lui donnant un objectif aussi utopique que mystificateur : la « régénération démocratique » de l’Etat espagnol9. On essaye de canaliser l’énorme mécontentement social vers ce que l’on appelle la « deuxième transition ». Après 34 ans de démocratie, la grande majorité de la population en est très déçue, mais ceci s’expliquerait parce « qu’on subirait une démocratie imparfaite et limitée » à cause du pacte qui a dû être établi avec les « secteurs intelligents » du franquisme, de sorte qu’une « deuxième transition » serait nécessaire pour nous conduir à une « démocratie pleine ».
Le prolétariat en Espagne est vulnérable à cette mystification étant donné que la droite espagnole est très autoritaire, arrogante et irresponsable, faisant ainsi que la « démocratie réellement existante » soit peu crédible. Mais en encourageant le « peuple » à se « révolter contre les politiciens » et à exiger une « démocratie réelle de suite », la bourgeoisie essaye de cacher que cette démocratie est la seule possible et qu’il n’en existe pas d’autre.
On ne peut pas dire que le gouvernement socialiste de Zapatero ait été très bien inspiré face à une situation explosive avec plus de 40% de jeunes au chômage. Zapatero a taxé de « scélérats » ceux qui osaient mettre en cause les… « grandes conquêtes sociales » (sic !) de son gouvernement, ce qui n’a fait que réchauffer les esprits de beaucoup de jeunes. Mais il y a encore quelque chose de plus profond : le jeu démocratique10 proposait comme alternative au PSOE [Parti Socialiste], un PP [Parti populaire, droite] craint par tout le monde parce tout le monde connaît bien son arrogance, sa brutalité et ses réflexes autoritaires. L’Espagne n’est pas la Grande-Bretagne, où Cameron –avec l'aval des « modernes » libéraux- avait une meilleure image préalable ; en Espagne, même si dans la pratique le PSOE est toujours le parti qui entreprend les pires attaques, la droite a une réputation bien méritée d’ennemie des classes travailleuses, pour ne pas parler du fait qu’elle est représentée par une cohorte de personnages passablement arriérés et corrompus11.
Une grande majorité de la population regarde avec appréhension une situation qui la ferait passer de la brutalité de ses « amis » socialistes à une brutalité, on ne sait pas si elle serait plus forte, de ses ennemis déclarés du PP. Voilà ce que veut dire avoir confiance dans le jeu démocratique et dans ses résultats électoraux ! Face à une situation insupportable et à un avenir plus que terrifiant, les gens se sont jetés dans la rue. Leurs confusions et leurs propres illusions, ainsi que la propagande démocratique, ont fait que la proposition d’en finir avec le bi-partisme a eu une forte audience au sein des assemblées. Mais il s’agit là de quelque chose d’irréaliste et purement mystificateur, car la carte politique espagnole est rigidement bi-partite –étant en cela la suite de la longue étape de bipartisme des temps de Cánovas12- et qui, comme d’ailleurs les résultats des municipales et régionales viennent de le démontrer, tend à se renforcer13.
Cependant, face à cette démocratie qui réduit la « participation » au fait de « choisir » tous les 4 ans le politicien de service qui ne tiendra jamais les promesses qu'il a faites et qui, par contre, réalisera le « programme occulte » dont il n’avait jamais parlé, le mouvement en Espagne a retrouvé une arme extraordinaire où la grande majorité peut, vraiment, s’unir, penser et décider : les assemblées massives de ville.
Dans la démocratie bourgeoise, le pouvoir de décision est laissé entre les mains d’un corps bureaucratique de politiciens professionnels qui, à leur tour, obéissent sans broncher aux ordres du Parti, lequel n’est autre chose qu’un défenseur et un interprète des ordres du Capital.
Par contre, dans les assemblées, le pouvoir de décision est exercé directement par ceux qui y participent et qui discutent et décident ensemble et qui eux-mêmes s’organisent pour mettre en pratique leurs décisions.
Dans la démocratie bourgeoise, c’est l’atomisation individuelle qui est consacrée et renforcée, c’est la concurrence et l’enfermement du « chacun pour soi », qui est caractéristique de cette société. Par contre, dans les assemblées se développe une pensée collective, chacun peut apporter le meilleur de soi-même, tous peuvent ressentir la force et la solidarité commune, un espace se crée qui est un antidote contre la division et le déchirement de la société capitaliste, contre l’opposition entre besoins individuels et collectifs, tout en forgeant les bases d’une nouvelle société basée sur l’abolition de l’exploitation et des classes, sur la construction d’une communauté humaine mondiale.
S’il est vrai que la démocratie bourgeoise fut un progrès indéniable face au pouvoir absolu des monarques, l’évolution de l’Etat dès le début du 20e siècle a consacré la toute-puissance d’une combinaison entre ce qu’on appelle la classe politique et les grands pouvoirs économiques et financiers, autrement dit, le Capital dans son ensemble. On a beau faire toutes les listes électorales ouvertes qu’on voudra, on pourra mettre toutes les entraves qu’on voudra au bipartisme, rien n’empêchera que le pouvoir soit entre les mains de cette minorité privilégiée, un pouvoir actuellement bien plus absolu et dictatorial que la plus absolue des monarchies. Mais à la différence de celles-ci, cette dictature du capital reçoit sa légitimité périodique avec la farce électorale.
Les Assemblées se greffent dans la tradition prolétarienne des Conseils ouvriers de 1905 et 1917 en Russie15 qui se sont étendus à l’Allemagne et à d’autres pays lors de la grande vague révolutionnaire mondiale de 1917-23.
Qu’est-ce que l’ambiance peut être lourde dans un bureau de vote où les « citoyens » arrivent en silence, comme s’ils remplissaient un devoir d’une utilité douteuse, en ressentant une forte culpabilité à cause d’un vote émis qui est toujours ressenti comme « erroné » !
Par contraste, comment est fortement émouvant tout ce que nous pouvons vivre ces jours-ci dans les assemblées ! On y perçoit un grand enthousiasme et d’énormes envies d’y participer. De nombreux orateurs prennent la parole pour poser des questions en tous genres. Une fois l’Assemblée finie, il y a des réunions de commissions qui se tiennent tout au long des 24 heures. On prend contact, on apprend à se connaître les uns les autres, on réfléchit en dialoguant, on passe en revue tous les aspects de la vie sociale, politique, culturelle, économique. On découvre qu’on peut vraiment parler, qu’on peut traiter collectivement de toutes les affaires. On monte des bibliothèques sur les places occupées, on organise une « banque du temps » pour délivrer des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques ou économiques. On y exprime des sentiments de solidarité, on écoute attentivement sans que personne n'ait à redire ni à imposer quoi que ce soit, c’est une voie qui s’ouvre à l’empathie. D’une manière encore timide, on est en train de créer une culture du débat massive16, avec de multiples réflexions, des propositions souvent intéressantes, des idées variées, on dirait que ceux qui sont là voudraient rendre publiques leurs pensées, leurs sentiments, ruminés pendant longtemps dans la solitude de l’atomisation. Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d’idées, les masses arrivent à exprimer le meilleur et le plus profond d’elles-mêmes et de tout un chacun. Tous ces gens anonymes présentés comme des perdants dans la vie, enferment en eux-mêmes des capacités intellectuelles, des sentiments actifs, des émotions sociales, insoupçonnées, immenses, profondes.
Les gens se sentent libérés et jouissent avec passion du grand plaisir de pouvoir discuter collectivement. En apparence, ce torrent de pensées ne débouche sur rien. Il n’y a pas de propositions concrètes. Mais ceci n’est pas forcement une faiblesse, après de longues années de normalité capitaliste oppressive où l’immense majorité subit la dictature du mépris, les routines les plus aliénantes, les sentiments négatifs de culpabilité, de frustration, d’atomisation, il est inévitablement une première étape d’explosion désordonnée. Il n’y a pas d’autre moyen, il n’existe pas des plans prétentieux pour que la pensée de l’immense majorité puisse s’exprimer. Elle sait parcourir ce chemin –qui en apparence ne mène nulle part- pour se transformer elle-même et transformer de haut en bas le panorama social.
Il est vrai que les organisateurs présentent de façon répétitive des manifestes démocratiques et nationalistes. Ils reflètent en partie les illusions et les confusions de la majorité, mais, en même temps, le cours que suit la pensée de beaucoup des participants va dans d’autres directions, qui essaient de se frayer un chemin. Ainsi, par exemple, à Madrid, un mot d’ordre qui a commencé à devenir populaire sans qu’il ait été repris par les porte-paroles est : « Tout le pouvoir aux Assemblées », ou encore « sans travail, sans maison, sans peur », « le problème n’est pas la démocratie, le problème c’est le capitalisme », « Ouvriers, réveillez-vous ! ». À Valence, il y avait des femmes qui disaient : « Ils ont trompé les grands-parents, ils ont encore trompé les fils, il faut que les petits-enfants ne se laissent pas avoir ! », ou « 600 euros par mois, voilà où est de la violence ! ».
Les Assemblées ont été témoins d’un débat qui a surgi dans une espèce de tension entre des insistances différentes centrées sur trois axes :
1º Faut-il se limiter à la régénération démocratique ?17 Ou bien, les problèmes n’ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, lequel ne peut pas être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
2º Doit-on considérer comme terminé ce mouvement le 22 mai, jour des élections, ou, au contraire, faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les réductions sociales, le chômage, la précarité, les expulsions ?
3º Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l’emploi, aux lycées et aux universités pour que le mouvement s’enracine chez les travailleurs, qui sont les seuls qui ont la force et les bases pour mener une lutte généralisée ?
Dans les assemblées, deux « âmes » cohabitent : l’âme démocratique qui constitue un frein conservateur et l’âme prolétarienne qui cherche à se définir sur une vision de classe.
Les assemblées de dimanche 22 ont résolu le deuxième point du débat en poursuivant le mouvement. Beaucoup d’interventions affirment : « nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur ». Par rapport au troisième point, il y a une multiplication des interventions pour « aller vers la classe ouvrière » en proposant d’adopter des revendications contre le chômage, la précarité, les coupes sociales. De la même manière, il a été décidé d’étendre les assemblées aux quartiers, et on commence à entendre des demandes d’extension vers les lieux de travail, les hôpitaux, les universités, les agences pour l’emploi. À Malaga, Barcelone et Valence s’est posée la question d’organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale qui « soit vraie », comme l’a dit l’un des orateurs.
La phase initiale de cette « agora » est déjà en elle-même une grande conquête du mouvement. Elle devrait se continuer, parce qu’elle signifie que des masses importantes d’exploités commencent à refuser de « continuer à vivre comme jusqu’à maintenant », l’indignation amenant à la nécessité d’une régénération morale, d’un changement culturel, les propositions faites –même si elles peuvent parfois paraître naïves ou farfelues- expriment un désir, même timide ou confus, de vouloir « vivre autrement ».
Mais en même temps, est-ce qu’un mouvement qui a atteint un tel degré peut y rester sans formuler des objectifs concrets ?
Il n’est pas aisé d’y répondre : il y a deux réponses qui sont l'enjeu en profondeur de la bataille engagée, deux expressions des deux « âmes » comme on disait tout à l’heure, la démocratique et la prolétarienne. La démocratique enfonce ses racines dans le terreau du manque de confiance de la classe ouvrière en ses propres forces, le poids des couches sociales non prolétariennes mais non exploiteuses, l’impact de la décomposition sociale18, qui fait que l’on s’accroche au clou brûlant de l’État « justicier » et « équitable ».
L’autre voie, celle d’étendre les assemblées aux lieux de travail, aux établissement d’enseignement, aux agences pour l’emploi, aux quartiers, en se focalisant sur la lutte contre les effets du chômage et la précarité, en riposte aux attaques sans fin que nous avons subi et celles à venir, s’incarne dans un secteur très combatif. À Barcelone, des ouvriers de Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants de l’université, mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées et commencent à leur insuffler une tonalité différente, l’Assemblée centrale de Barcelone apparaissant comme la plus distante vis-à-vis des questions sur la régénération démocratique.
L’Assemblée centrale de Madrid a convoqué des assemblées dans les quartiers qui apportent un réel souffle ouvrier. À Valence, il y a eu une jonction entre les manifestations des chauffeurs de bus et une manifestation d’habitants contre les coupes budgétaires dans l’enseignement. À Saragosse, les travailleurs des bus se sont joints aux rassemblements avec enthousiasme.
Cette seconde voie a une difficulté supplémentaire. Il est clair qu’il existe le réel danger que « l’extension » du mouvement finisse par l’emporter en le dispersant et en l’enfermant dans des questionnements sectoriels et corporatistes. C’est une vraie contradiction. D’un coté, le mouvement ne peut se poursuivre que s’il réussit à susciter, ou du moins qu’il commence à réveiller la participation de la classe ouvrière en tant que telle. Cependant, une telle extension peut favoriser le fait que les syndicats prennent le train en marche et enferment le mouvement dans des compartiments sectoriels et, dans les quartiers, que tout finisse par se consumer dans des revendications localistes, etc. Sans nier ce danger, il faut se poser la question : est-ce que le fait d’essayer, même avec un éventuel échec, ne fournit pas les prémices pour une lutte collective qui pourrait avoir une grande force dans le futur ?
Quelle que soit la direction prise par ce mouvement, sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable :
C’est un mouvement massif et général, avec l’implication de tous les secteurs sociaux.
Ce n’est pas une réaction à une attaque concrète comme en France ou Grande-Bretagne, mais c’est l’indignation face à la situation qu’on nous fait vivre. Ceci rend difficile le fait de se focaliser sur des revendications concrètes, ce qui rend aussi difficile l’expression de sa nature prolétarienne19. Mais, en même temps, ce mouvement signifie clairement que des masses importantes se réveillent face aux problèmes de notre société, ouvrant ainsi la voie à la politisation de ces mouvements.
Le fait que le cœur de ce mouvement s’est trouvé dans les assemblées.
La compréhension de ce qui est en train de se passer doit nous pousser à laisser de coté les vieux schémas. La Révolution en Russie de 1905 fit clairement surgir une nouvelle manière d’agir des masses. Ceci fit sombrer dans la perplexité, dans le rejet par la suite et, enfin, dans la trahison, à beaucoup de dirigeants syndicaux et sociaux-démocrates, à des théoriciens importants tels que Kautsky et Plekhanov, qui s’accrochaient désespérément aux vieux schémas de « l’accumulation méthodique des forces » par le biais d’un travail graduel syndical et parlementaire20.
Nous devons aujourd’hui éviter un piège similaire. Les faits n’arrivent pas tels qu’on pouvait s’y attendre selon un schéma adapté aux luttes des années 1970 et 1980. D’abord, un prolétariat avec des problèmes d’identité et de confiance en soi ne peut pas apparaître en s’affirmant à grands cris ; il est vrai aussi qu’à ses cotés se mobilisent aussi les couches sociales non exploiteuses. Avancer vers des luttes massives, vers un combat révolutionnaire, ne se passe pas sur des rails bien délimités qui laisseraient clairement apparaître le terrain de classe. Ceci entraîne des risques : un prolétariat encore faible peut se retrouver désorienté et confus au milieu d’un vaste mouvement social, il pourrait même apparaître comme totalement perdu, si l’on peut dire, comme c’est arrivé en Argentine en 2001.
Tout cela, néanmoins, n’enlève rien des possibilités de ce qui est en train de se passer :
Aujourd’hui, les grandes concentrations industrielles ont un moindre poids et elles apparaissent dispersées dans un immense réseau national et international, ce qui fait que la lutte traditionnelle à partir de grandes usines est aujourd’hui difficile. Pour dépasser cette difficulté, le prolétariat a trouvé un moyen : prendre massivement la rue en étant accompagné par d’autres couches sociales. Tout cela fait que la nature de classe n’apparaît pas aussi facilement et directement que par le passé, cela signifie un effort plus grand pour parvenir à un niveau supérieur de clarification et de prise de conscience.
Face à la décomposition sociale ambiante, qui détruit les liens sociaux et accentue la barbarie morale, l’orientation des assemblées vers une « agora » (place publique) où toute la vie humaine est matière à réflexion, même dans une certain confusion, va dans le sens d’une réponse pour que puissent se tisser les liens sociaux, que puisse s’affirmer la morale prolétarienne, la solidarité, l’alternative face à une société de concurrence mortelle.
Il est vrai qu’en tant qu’expression d’une situation matérielle dramatique et qui est en train de pourrir pour longtemps, le prolétariat se lance dans un combat massif accompagné des couches sociales non exploiteuses qui ne partagent pas nécessairement ses objectifs révolutionnaires et qui tendent à le diluer dans une masse confuse. Ceci comporte de sérieux dangers, mais, en même temps, représente l’avantage de commencer à créer une fraternité dans la lutte, de pouvoir aborder méthodiquement les problèmes, d’établir une compréhension mutuelle plus grande, tout ce qui sera vital face aux affrontements à venir contre l’Etat bourgeois.
CCI (25 mai 2011)
1 La corruption fait partie des gènes du capitalisme puisque sa « morale » consiste en ce que « tout sert » pourvu qu’on arrive à en obtenir le plus de profit. Sur la base de cette tare congénitale et dans le cadre de l’approfondissement de la crise (qui ne fait qu’entraîner les comportements irresponsables à se développer aussi bien au sein du patronat que chez les politiciens), la corruption devient inévitable dans n’importe quel État, quelles que soient ses lois particulières.
2 Ceci dit, lors des assemblées commencent à apparaître des expressions internationalistes. Un orateur, à Valence, dimanche, s’est proclamé « citoyen du monde », en disant qu’on ne pouvait pas se limiter à changer l’Espagne. On est en train de faire un effort de traduction des communiqués des assemblées dans toutes les langues « étrangères » possibles, ce qui tranche avec le coté « hispano-espagnol » du début. S’il est vrai que les mobilisations hors d’Espagne se comprenaient, dans de nombreux pays, comme une « affaire des Espagnols dans le monde », il semblerait que certains rassemblements commencent à prendre un autre sens.
3 Encore que cela commence à se dire à partir des assemblées de dimanche 22.
4 Pas seulement dans les pays du « Tiers monde » (terminologie bien anachronique !), mais aussi dans les pays centraux. Des informaticiens hautement qualifiés, des avocats, des journalistes etc., se voient relégués à la condition de précaires ou de free lance, dans des situations très instables. Et des petits entrepreneurs qui deviennent des auto-patrons qui travaillent plus d’heures qu’une montre ! ...
5 Voir « Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France » contre le CPE, https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants [186] et bien d’autres articles sur ce sujet
6 « Les révoltes de la jeunesse en Grèce confirment le développement de la lutte de classe », https://fr.internationalism.org/rint136/les_revoltes_de_la_jeunesse_en_g... [187].
7 On peut sur notre site les différentes prises de positions en 2010 et 2011 sur les mouvements en France, Grande-Bretagne, Tunisie, Egypte (Revue international nº 144 et 145 et aussi Révolution internationale et Internationalisme)
8 Cf. madrid.indymedia.org/node/17370 : le communiqué des détenus a exprimé avec éloquence les traitements qu’ils ont subis.
9 L’État est l’organe de la classe dominante. Il peut apparaître sous sa forme démocratique, mais sa structure même sur la quelle il est construit est celle de la délégation de pouvoir, ce qui ne pose le moindre problème à la minorité exploiteuse, laquelle, en possédant les moyens de production, tient « la poêle par le manche », comme on dit en espagnol, autrement dit toutes les manettes, de sorte qu’elle peut soumettre les politiciens professionnels à ses intérêts. Par contre, pour la classe ouvrière et l’immense majorité de la population, c’est une autre affaire : leur « participation » est réduite à donner un chèque en blanc à ces messieurs, lesquels, même s’ils agissent avec honnêteté et renoncent à tout intérêt personnel, sont totalement emprisonnés dans la toile d’araignée bureaucratique de l’État. Par ailleurs, les reformes proposées, au cas où elles étaient prises vraiment au sérieux, prendraient un temps extrêmement long en formalités et chicanes parlementaires, de plus elles seraient facilement dénaturées, et leur application serait incertaine.
10 Le dernier dimanche 22 mai, il y a eu des élections locales en Espagne.
11 Il est significatif que la stratégie adoptée par le candidat du PP, Rajoy, consiste dans le fait de ne dire absolument rien, en tenant un discours vide mais rempli des plus pathétiques lieux communs ; garder un silence assourdissant est la seule manière qu’il a à sa disposition pour empêcher que les votants de gauche ne se mobilisent contre lui.
12 Après la Révolution de 1868 –nommée « La Glorieuse »- et les années tourmentées qui la suivirent, en 1876 s’est instauré un tour de rôle entre le parti conservateur de Cánovas et le parti libéral de Sagasta, ce qui a duré jusqu’à 1900.
13 Les petits partis dans lesquels beaucoup d’interventions au sein des assemblées placent tant d’espoir, au-delà du fait que leur programme est celui d’une défense du capitalisme aussi affirmée que celle des grands partis et d’avoir une structure interne aussi dictatoriale et bureaucratique que ceux-ci, n’ont aucun rôle propre à jouer : ils sont comme une espèce de baudruche qui se gonfle de façon conjoncturelle quand l’un des grands partis baisse et se dégonfle quand les deux grands ont besoin d’occuper tout l’espace, dans le gouvernement comme dans l’opposition.
14 Ce titre en espagnol « Las asambleas son un arma cargada de futuro » fait référence au titre d’un poème très émouvant et combatif de Gabriel Celaya qui dit « LA POESÍA ES UN ARMA CARGADA DE FUTURO » (années 50)
15 Dans notre Revue internationale, nous venons de publier une série sur ce sujet : « Qu'est ce que les conseils ouvriers ? » (nº 140, 141, 142, 143, 145). Voir : https://fr.internationalism.org [188], taper les mots clés « conseils ouvriers »
16 Voir « La culture du débat : une arme de la lutte de classe », /rint131/la_culture_du_debat_une_arme_de_la_lutte_de_classe.html [189].
17 Qui s’est concrétisé dans le « Décalogue démocratique » approuvé par l’Assemblée de Madrid : listes ouvertes, reforme électorale...
18 Lire « La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [190] », thèses que nous avons publiées en 1990.
19 En France et en Grande-Bretagne, les mobilisations avaient l’axe bien clair de construire une riposte face à des attaques très dures de la part des gouvernements.
20 Face à eux, Rosa Luxemburg avec Grève de masse, parti et syndicats, ou Trotsky avec Bilan et perspectives, surent appréhender les caractéristiques et la dynamique de la nouvelle époque de lutte de classe.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de World Revolution (WR), organe de presse du CCI en Grande-Bretagne et mis en ligne sur notre site en anglais le 4 septembre.
Dans l'article sur le mouvement 'pour plus de justice sociale' en Israël que nous avons publié en août1, nous avions écrit : « De nombreux manifestants ont exprimé leur frustration face à l'incessant couplet sur la ' sécurité' et sur la 'menace du terrorisme', utilisé pour que les gens oublient la réalité de la misère sociale et économique croissante. Certains ont ouvertement mis en garde contre le danger que le gouvernement pourrait provoquer des affrontements militaires ou même une nouvelle guerre pour restaurer 'l'unité nationale' et diviser le mouvement de protestation. »
Ces craintes se sont avérées bien fondées. Le 18 août, il y a eu un déluge d'attaques armées contre des civils israéliens et des patrouilles militaires. Deux autobus de transports publics dans le Sud d'Israël ont subi des tirs, faisant plusieurs morts et blessés. Il y a eu une certaine confusion quant à la responsabilité du Comités de Résistance Populaire (CRP) ou du Hamas par rapport à ces attaques, aucun des deux ne les ayant revendiquées. De toute façon, le gouvernement israélien a réagi, comme à l'accoutumée, de manière brutale, par des frappes aériennes sur Gaza, tuant des membres du CRP, mais aussi un groupe d'enfants et de gardes-frontières égyptiens. Cela a à son tour provoqué d'autres attaques de roquettes lancées depuis Gaza sur des villes du Sud d'Israël.
Peu importe qui a initié cette dernière spirale de la violence, provoquant un accroissement des tensions guerrières, cela ne peut que profiter aux nationalistes des deux camps. L'intention était de créer des difficultés majeures pour le développement du mouvement de contestation, de faire hésiter ceux incités à poursuivre l'expérience des villages de tentes et à continuer à manifester, à un moment où il y a une énorme pression pour maintenir 'l'unité nationale'. Itzik Shmul, le leader de l'Union Nationale des Etudiants a certes lancé un appel pour annuler les manifestations, mais un noyau important de manifestants a rejeté cet appel. Cette tentative d'intimidation a échoué. Dans la nuit du samedi 20, des manifestations se sont déroulées, bien qu'elles devaient être 'muettes', et qu'elles étaient à une plus petite échelle que dans les précédentes semaines. Il en a été de même pour les manifestations du samedi 28 août.
Ce qui est significatif est que ces manifestations ont vraiment eu lieu, attirant jusqu'à 10 000 personnes à Tel-Aviv et plusieurs milliers dans d'autres villes2. Et il n'y a pas eu de dérobade par rapport à la question de la guerre, au contraire, les slogans soulevés au dessus des manifs reflétaient une compréhension croissante de la nécessité de résister à la marche à la guerre et, pour les opprimés des deux camps, de lutter pour leurs intérêts communs: « Juifs et Arabes refusent d'être ennemis », « La justice sociale est exigée en Israël et dans les territoires », « Vivre dans la dignité à Gaza et à Ashdod dans la dignité », « Non à une autre guerre, qui va enterrer les revendications ! » La 'Tente 1948' judéo-palestinienne, sur le boulevard de Rothschild a publié une déclaration qui a été lue publiquement : «C'est le moment de montrer une véritable force... Restez dans la rue pour condamner la violence et refusez de retourner chez vous ou d'aller dans l'armée pour prendre part à l'attaque vengeresse sur Gaza. »
Un discours prononcé à Haïfa par le Raja Za'atari a également exprimé l'émergence de sentiments internationalistes, même si il a été libellée dans la langue de la démocratie et du pacifisme : «A la fin de la journée, une famille sans abri est une famille sans abri, et un enfant affamé est un enfant affamé, peu importe qu'il parle en arabe, en hébreu, en russe ou en amharique. A la fin de la journée, la faim et l'humiliation, tout comme la richesse, n'ont pas de patrie et aucune langue ... Nous disons: il est temps de parler de paix et de justice dans un seul souffle! Aujourd'hui plus que jamais, il est évident pour tous que, dans le but d'empêcher que l'on parle de justice, ce gouvernement pourrait entamer une autre guerre. » onedemocracy.co.uk/news/we-will-be-a-jewish-arab-people [191]
Le fait que ces slogans et sentiments puissent devenir tellement plus populaires qu'ils ne l'étaient, il y a seulement un an ou deux, indique que quelque chose de profond se passe en Israël, et surtout parmi la jeune génération. Nous avons vu poindre une protestation comparable de le jeunesse contre le statu quo dans le Gaza islamique3.
Comme en Israël, ceux qui se réclament des « jeunes de Gaza » ' constitue une petite minorité, sur laquelle pèsent tous sortes d'illusions, en particulier, sur le nationalisme palestinien. Mais dans un contexte global de révolte croissante contre l'ordre existant, les bases sont posées pour le développement d'un véritable internationalisme, fondé sur la lutte de classe et la perspective d'une authentique révolution des exploités.
D'après WR, organe du CCI en Grande-Bretagne (28 août)
1 en.internationalism.org/icconline/2011/08/social-protests-israel [192]
2 La meilleure preuve en est que le samedi 3 septembre, au moment où nous traduisions ce texte, de gigantesques manifestations, plus massives encore que le 6 août, rassemblant cette fois plus de 400 000 personnes (le plus grand rassemblement de l'histoire du pays) se sont à nouveau déroulées à Tel Aviv, Haïfa et Jérusalem, non seulement sur la question du logement mais dirigée aussi contre la hausse exorbitante des denrées alimentaires, de l'essence, le coût de l'éducation et toujours contre l'escalade militariste du gouvernement (NDT).
The Guardian du 28 août a également signalé qu'un certain nombre de bâtiments inoccupés à Jérusalem ont été pris par des manifestants qui exigent qu'ils soient utilisés pour loger des gens avec un loyer abordable. https://www.guardian.co.uk/world/2011/aug/28/israel-squatting-campaign-h... [193]
3 ‘A radical manifesto from Gaza’: https://en.internationalism.org/icconline/2011/gaza [194]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Internationalism USA, organe de presse du CCI aux Etats-Unis et également disponible dans sa version originale sur notre site en anglais à cette adresse https://en.internationalism.org/internationalismusa/201112/4629/occupy-movement-response-capitalism-s-attacks-hampered-illusions-dem [196] depuis le 19 décembre.
Le Mouvement 'Occupy', qui a frappé l'imagination des gens qui en ont assez de leurs conditions de vie sous le capitalisme en décomposition, est arrivé à un tournant. Les campements dans les parcs et autres 'espaces publics' dans des douzaines de villes à travers l'Amérique du Nord ont été attaqués par les forces de répression bourgeoises. Les services de police municipale, sous le prétexte que les villes de tentes étaient devenues des menaces pour la santé publique, ont expulsé des campements à Atlanta, Baltimore, Los Angeles, Toronto, Vancouver, Philadelphie et beaucoup d'autres villes. Cela s'est produit même dans les villes régies par des maires soi-disant amis, qui, nous racontent-ils, ont été contraints d'agir dans un souci de sécurité des manifestants eux-mêmes, leurs campements étant devenus des aimants pour la « criminalité ».
Sans aucun doute, l'expulsion la plus importante a eu lieu dans le Zuccotti Park de New York, là où tout a commencé, lorsque la police du maire Bloomberg a expulsé les manifestants de 'Occupy Wall Street' (OWS), dans les premières heures du matin du 15 novembre. Cela a déclenché un combat juridique curieux, dans le système judiciaire bourgeois, avec des avocats qui défendaient les occupants en faisant valoir que l'expulsion violait le droit de libre expression que leur donne le premier amendement. La décision du juge a été une victoire à la Pyrrhus pour les manifestants : celle-ci leur permettait de retourner dans le parc pour s'engager dans une protestation conforme à la loi, mais leur refusait les tentes et le matériel de camping. Ainsi, OWS se trouve privé de son modus vivendi. Avec un Etat bourgeois qui ne veut plus jouer les gentils, le mouvement Occupy n'a maintenant plus la possibilité d'occuper quoi que ce soit sans conséquence.
Est-ce que ceci pourrait contribuer à étendre le mouvement ? Privés du droit de camper légalement dans le parc, est-ce que les manifestants pourraient être amenés à créer un mode différent de lutte, en se concentrant moins sur l'occupation d'un espace géographique particulier et en développant plus les organes pour la clarification et l'approfondissement théorique, tels que des groupes de discussion ? En ce moment, il n'est pas possible de l'affirmer, mais c'est souvent dans la nature des mouvements sociaux que les actions de l'Etat ont ce genre de conséquences imprévues.
Bien que beaucoup dans le mouvement aient juré de poursuivre leur lutte contre l'avidité des entreprises, l'inégalité des revenus et la corruption supposée du 'processus démocratique' des Etats-Unis, il est clair, en ce moment, que la phase initiale du mouvement d'occupation tire à sa fin. Tout au long des premières semaines d'occupation, les manifestants ont pu généralement bénéficier de l'appui de l'opinion publique, ce qui obligeait les autorités à agir avec un certaine retenue à leur égard. Ce n'est plus le cas. Alors que les sondages continuent de montrer que la population voue une énorme sympathie pour les objectifs et les griefs des manifestants, le soutien aux occupations elles-mêmes a diminué. Le sentiment que les occupants ont surestimé leur force est répandu. La pression est désormais mise sur les occupants pour qu'ils fassent entendre leurs doléances en restant dans la légalité.
Alors que nous ne pouvons pas prédire quelle direction ce mouvement va prendre, ni même si il peut survivre en tant mouvement social indépendant, en dehors des institutions de la politique bourgeoise, il est approprié, à ce stade, pour les révolutionnaires, de tenter de faire un bilan de ce mouvement afin de tirer les leçons pour l'avenir de la lutte de classes. Qu'est-ce qui a été positif dans ce mouvement? Quelles ont été ses faiblesses? Que pouvons-nous en attendre ?
Malgré ces questions sans réponse et l'ambiguïté générale exprimée par ce mouvement, nous pensons qu'il est une manifestation de la volonté de certains secteurs de la classe ouvrière, parmi les autres groupes sociaux, de se battre contre les attaques massives que le système capitaliste est en train de mener contre les conditions de vie. Même si ce mouvement rappelle beaucoup ce même activisme politique que nous voyons depuis la fin des années 1990, avec le mouvement alter-mondialiste, il semble néanmoins s'être effectué dans une dynamique fondamentalement différente de ces mouvements précédents, qui pourrait contenir les semences pour une nouvelle radicalisation.
Ainsi, alors que nous ne pouvons pas encore nous prononcer de façon définitive sur la nature de ce mouvement, nous pouvons néanmoins essayer de le situer dans une perspective de classe et d'en tirer certains enseignements majeurs pour la période à venir.
Le Mouvement 'Occupy' en Amérique du Nord a clairement constitué un maillon dans la chaîne de protestations et de mouvements sociaux qui ont balayé les quatre coins du monde au cours de l'année 2011. Ces mouvements ont massivement cherché à répondre aux effets de la crise du capitalisme sur les conditions de vie de la classe ouvrière et de la société en général. De la révolte dans le monde arabe, au printemps, à l'éclatement de luttes massives en Chine, au Bangladesh, en Espagne, en Israël et au Chili, le mouvement Occupy a été clairement inspiré par des événements qui ont eu lieu loin des côtes américaines. Jamais, depuis la période de la fin des années 1960 jusqu'au début des années 1970, nous n'avons assisté à un tel éventail de mouvements à travers le monde, cherchant tous à répondre aux mêmes provocations fondamentales : l'attaque sur les conditions de travail et de vie de la population résultant de la récession mondiale et les attaques massives d'austérité déferlant sur le salaire social dans le sillage de la crise de la dette souveraine et de la crise financière de 2008.
Tous ces mouvements ont été caractérisés par le désir d'un nombre toujours croissant de gens de faire quelque chose en réponse à la montée de ces attaques, même s'il y a eu peu de clarté quant à ce qui doit être fait. Le mouvement Occupy est une manifestation importante de cette tendance internationale dans le 'ventre de la bête' lui-même. Comme le mouvement massif dans le Wisconsin, plus tôt dans l'année, le mouvement Occupy a réfuté l'idée persistante que la classe ouvrière d'Amérique du Nord est totalement intégrée dans le capitalisme ou sans volonté et incapable de résister à ses attaques. Toutefois, alors que les événements dans le Wisconsin ont eu lieu dans un seul Etat, le mouvement Occupy s'est propagé à des centaines de villes à travers le continent et même dans le monde entier. Par ailleurs, alors que les manifestations du Wisconsin ont été très rapidement récupérées par les syndicats et le Parti Démocrate, les manifestants d'Occupy ont tenu à affirmer leur autonomie, estimant qu'un changement significatif ne peut découler que d'une 'nouvelle forme' de mouvement. Ils ont montré une méfiance très saine à l'égard des partis et des programmes officiels, ce qui démontre leur méfiance croissante envers les partis officiels pour les représenter dans leurs luttes.
Comme les mouvements dans d'autres parties du globe, ceux des Occupy ont été caractérisés par l'afflux de nouvelles générations de travailleurs, dont beaucoup ont peu d'expérience politique et ont quelques idées préconçues sur la façon d'organiser une lutte. Ce qui unit ces participants est un désir presque prémonitoire de se réunir avec les autres et de sentir l'expérience d'une solidarité active et communautaire pour poser une alternative à la société existante à travers l'expérience vécue de la lutte. Il n'y a pas de doute que ces désirs sont surtout alimentés par le sentiment croissant d'aliénation sociale face à la décomposition capitaliste, ainsi que par les énormes difficultés des jeunes générations ont à s'insérer sur le marché de l'emploi lui-même. Le manque d''expérience du travail collectif et le sentiment d'isolement qui l'accompagne, l'atomisation et le désespoir poussent aujourd'hui de plus en plus les travailleurs, en particulier les jeunes et ceux qui ont été chassés du processus de production, à rechercher la solidarité à travers la lutte. Sont également présents dans ces luttes des gens d'autres couches sociales : toutes sortes de gens profondément frustrés et inquiets devant la direction que prend la société. Cependant, en Amérique du Nord, ces manifestations ont été dominées par les jeunes générations de travailleurs et les personnes les plus profondément touchées par la crise et le chômage de longue durée.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que le mouvement Occupy lui même, notamment à travers la tactique de l'occupation d'espaces géographiques spécifiques, représente la forme que la lutte de classes va prendre à l'avenir. Au contraire, ce mouvement, comme tous les mouvements frères à travers le globe, ont été marqués par des faiblesses fondamentales, qu'il sera nécessaire pour la classe ouvrière de dépasser si elle veut aller de l'avant. Nous pouvons conclure que le mouvement Occupy représente une tentative importante par des parties du prolétariat pour répondre aux attaques agressives du capitalisme, même si il ne représente pas un modèle parfait pour les luttes futures.
Une des caractéristiques les plus importantes du Mouvement Occupy a été l'émergence d'assemblées générales (AG) en tant qu'organe souverain de la lutte. La redécouverte de l'AG comme la forme la mieux capable d'assurer la plus large participation et le plus large échange d'idées a marqué une avancée considérable pour la lutte de classes dans la période actuelle. Par rapport au mouvement Occupy, les AG semblent avoir été adoptées par les luttes antérieures, en particulier celle des 'Indignés' en Espagne, ce qui démontre que, dans cette période, il y a une tendance à assimiler rapidement les méthodes de luttes dans d'autres régions du monde et à adopter les tactiques et les formes les plus efficaces. La rapidité avec laquelle les AG se sont propagées à travers le monde cette année écoulée a en effet été assez impressionnante.
Comme ailleurs, les AG du mouvement Occupy ont été ouvertes à tous, encourageant tous ceux qui se sentent concernés à participer à l'orientation du mouvements. Les AG ont pratiqué une politique ostensible d'ouverture. Des compte-rendus étaient distribués. Une volonté claire s'est exprimée pour que les AG restent distinctes de tout parti, groupe ou organisation qui peut chercher à confisquer leur autonomie. Les AG représentaient donc une prise de conscience naissante qu'on ne pouvait pas se fier aux partis et aux institutions existants, même les partis de gauche et les syndicats, pour diriger la lutte au nom des masses. Au contraire, les manifestants eux-mêmes devaient rester souverains, eux seuls pouvaient déterminer la façon d'aller de l'avant.
Néanmoins, malgré ces caractéristiques très positives, l'expérience des AG, dans le mouvement Occupy, a été marquée par une profonde faiblesse. Dès le début, le mouvement s'est constitué comme une occupation d'une parcelle de l'espace géographique. OWS avait initialement prévu d'occuper le quartier financier de New York lui-même, ou de mettre en place un lieu symbolique de manifestation à Wall Street, mais, une fois qu'il est devenu clair que l'Etat ne tolérerait pas cela, les manifestants ont occupé un parc voisin, presque par défaut1. Cela représente le pied de la montagne, mais n'est pas tout à fait sur la montagne elle-même : le modèle était ainsi fixé pour le mouvement dans d'autres villes, dont une écrasante majorité a pris la forme d'un campement dans un parc de ville. Bien qu'il y ait un précédent de ce genre d'occupation dans l'histoire des Etats-Unis (l'occupation de terre en friche par la Bonus Army, dans la ville de Wahington, pour protester contre les conditions de vie des vétérans de la Première Guerre mondiale, à l'époque de la Grande Dépression), la décision de se définir comme le mouvement d'occupation d'un emplacement géographique spécifique a constitué une faiblesse profonde qui a contribué à l'isolement du mouvement Occupy.
Assez rapidement, en particulier à New York, Occupy a été dominé par le sentiment qu'il avait à défendre le parc qui était devenu le lieu de regroupement du mouvement et en fait était devenu une sorte de communauté pour la plupart des manifestants individuels. Sans aucun doute, le sens positif de solidarité que beaucoup de manifestants ressentaient en tant que participants à un mouvement pour le changement a contribué à définir les limites du mouvement comme les limites du parc et à chercher à défendre ces frontières contre les attaques de l'Etat ou sa récupération par les grands courants politiques.
Cependant, cela a tendu aussi à produire une tension dans le mouvement Occupy entre, d'une part, un mouvement pour le changement social en général et, de l'autre, une nouvelle expérience de vie communautaire. De fait, alors qu'il était un campement provisoire, à la suite de nécessités tactiques, Zuccotti Parc, a eu tendance à être perçu par les occupants comme une nouvelle sorte 'd'abri ' au sein de la société capitaliste. Des rumeurs d'une répression policière imminente n'ont fait que renforcer le désir de 'défendre le parc.' Alors que les occupants ont fait des incursions occasionnelles en dehors du parc pour protester contre les banques, dans les quartiers bourgeois, plus le mouvement persistait, plus prédominait la tendance à essayer de constituer un noyau d'une façon alternative de vie dans le parc. Aucun effort réel n'a jamais été fait pour étendre la lutte à l'ensemble de la classe ouvrière, au-delà des limites du parc.
A contrario, ce fétichisme qui consistait à occuper un espace géographique spécifique n'a pas caractérisé les mouvements en Espagne, en Israël et au Moyen-Orient. Là-bas, les places publiques étaient considérées davantage comme un point de rencontre où des manifestants pouvaient se réunir pour un but spécifique, discuter, organiser des rassemblements et décider des tactiques. Le désir de s'accrocher à des espaces publics avec des campements permanents a été une caractéristique particulière pour l'Amérique du Nord, des récents mouvements, qui exige un examen plus approfondi.
Cependant, peut-être encore plus dommageable que le fétichisme de l'occupation, les AG dans le mouvement Occupy ont finalement été incapables de remplir leur fonction d'unifier les manifestants, étant donné qu'au cours de la lutte, d'organes de décision, elles ont été transformées en organes de plus en plus passifs aux mains d'activistes et de gauchistes professionnels, principalement à travers les activités des groupes et comités de travail. Au lieu de constituer l'organe de la discussion la plus large, en leur sein régnait la peur omniprésente de travailler en dehors des exigences concrètes, parce qu'elles étaient considérées comme semant les divisions et la polarisation plutôt qu'unificatrices, ce qui les rendait impuissantes face à la nécessité de prendre des décisions concrètes dans le feu de l'action.
Une caractéristique du mouvement Occupy qui a été commune à la plupart des mouvements de revendication que nous avons vus au cours de la dernière année a été la prépondérance d'énormes illusions par rapport à la 'démocratie' en tant qu'alternative au système actuel. Cela a pris la forme d'une hypothèse sous-jacente selon laquelle les problèmes auxquels le monde se trouve confronté pourraient remonter à la domination de la vie économique et politique par une clique de financiers parasitaires, de banquiers et de grands entrepreneurs qui placent leurs propres intérêts immédiats au-dessus de celui de l'ensemble de la société dans son ensemble. Pour les Etats-Unis, il est dit que ce phénomène a corrompu le processus démocratique américain, au point que les grandes entreprises sont effectivement en mesure de dicter leur politique au Congrès et au Président par le biais de leur contrôle des fonds de campagne.
Ainsi, le mouvement Occupy a eu tendance à penser que la solution à l'oppression et à la souffrance passait par la revitalisation de la démocratie contre la cupidité des entreprises et la spéculation financière. Alors que la définition précise du terme 'démocratie' peut différer d'un manifestant à l'autre (certains peuvent se contenter d'un amendement interdisant les contributions des entreprises aux campagnes électorales, tandis que d'autres ont une définition plus radicale de l'autonomie gouvernementale à l'esprit), le sens sous-jacent est néanmoins que la 'démocratie' est en quelque sorte opposée à l'oppression et à l'exploitation économique.
Par ailleurs, tandis que de nombreux manifestants sont maintenant prêts à dire que le 'capitalisme' est, soit une partie, soit à la racine des problèmes économiques mondiaux, il n'y a pas de consensus sur ce qu'est en réalité le 'capitalisme'. Pour beaucoup, le capitalisme équivaut tout simplement aux banques et aux grandes entreprises. La compréhension marxiste que le capitalisme est un mode de production associé à toute une époque de l'histoire humaine, qui se caractérise par l'exploitation du travail salarié est seulement abordée à la marge de ce mouvement. Ainsi, tandis que de nombreux manifestants reconnaissent que Marx avait quelque chose d'important à dire sur les problèmes du capitalisme, il y a peu de clarté quant à la pertinence du marxisme et du mouvement ouvrier par rapport à leur projet de construire, aujourd'hui, un nouveau monde. Ces hésitations, également observées dans d'autres mouvements dans le monde, constituent une limitation essentielle pour l'expression de la dynamique des futurs mouvements.
Si ces illusions sur la démocratie étaient restées au niveau idéologique, on pourrait à juste titre les attribuer à l'immaturité du mouvement, comme l'expression d'une phase d'ouverture dans la lutte de classe, que la classe ouvrière dépasserait à la lumière de l'expérience. Cela peut se révéler être le cas, mais pour l'instant, pour le mouvement Occupy, la démocratie est fétichisée au point qu'elle constitue un obstacle fondamental à sa capacité à aller de l'avant. En outre, cette vision a fourni la base pour précisément ce que le mouvement ne connaissait pas au début : sa récupération par l'idéologie pro-démocratique et réformiste, dans le contexte de l'approche de la campagne électorale présidentielle de 2012.
Dès le début, en prenant au sérieux le mandat de créer une nouvelle forme de démocratie dans le cadre de la lutte, l'AG a essayé de fonctionner sur la base du modèle démocratique du 'consensus'. A bien des égards, c'était une réaction saine, visant à assurer la participation la plus large possible et à s'assurer que personne ne se sentait exclu des décisions prises par l'AG. Ce modèle a, sans doute, été adopté comme une réponse à l'expérience négative des mouvements précédents dominés par des militants professionnels et des organisations politiques, dans lesquels le participant moyen ne pouvait que se sentir à peu près au niveau d'un soldat de troupe, dans un mouvement dirigé par des professionnels.
En ce sens, le désir de s'assurer que chacun se sente inclus est parfaitement compréhensible. En réalité, l'insistance sur le fonctionnement sur un modèle de consensus a empêché le mouvement d'aller au-delà de ses limites, en bloquant la nécessaire confrontation des idées et des perspectives qui aurait permis au mouvement de sortir de son isolement dans le parc. Faute de pouvoir prendre de véritables décisions, afin de répondre aux besoins immédiats du mouvement, en négligeant de développer un organe exécutif, l'AG est très rapidement tombée sous la coupe de divers groupes de travail et comités, beaucoup d'entre eux dominés par des militants très professionnels, ce qu'elle craignait à l'origine. D'une certaine façon, l'insistance sur le fait que chaque décision devait être prise sur la base d'un vote à l'unanimité assurait qu'aucune véritable décision ne pouvait être prise et que les différents 'groupes' (groupes de travail, comités, etc) commenceraient à se substituer à 'l''ensemble' (l'AG ). Ainsi, la crainte de l'exclusion de la part de l'AG autorisait le 'substitutionnisme' à se glisser par la porte de derrière, une situation qui a finalement conduit à de nombreuses distorsions de la souveraineté de l'AG.
L'a priori de l'insistance sur le fonctionnement basé sur l'adoption à l'unanimité était également évident dans la très difficile question de l'augmentation des revendications concrètes. Depuis le début, le mouvement Occupy semblait fier de son refus de définir des revendications précises ou de formuler un programme. C'est un souci compréhensible de la part de ceux qui souhaitent éviter d'être récupérés dans la même vieille politique réformiste, offerte par l'Etat, mais, comme le montre le sort du mouvement Occupy, le réformisme ne peut pas être bloqué par le refus de présenter des revendications. Le mouvement a été caractérisé par une extrême hétérogénéité des revendications. La vision la plus radicale pour un changement total de la société sur des bases égalitaires coexistait avec des exigences totalement réformistes qui restent de la compétence du légalisme bourgeois, comme le demande de faire passer un amendement constitutionnel pour mettre fin à 'la personnalité d'entreprise'.
Une des leçons les plus importantes du mouvement Occupy est donc que les mouvements à venir devront aborder la question de savoir comment développer un organe exécutif compétent qui reste responsable devant l'AG : un véritable organe de décision qui fonctionne avec un mandat de l'AG révocable à tout moment. Un tel organe est nécessaire si le mouvement veut prendre des décisions dans le feu de la lutte et tisser la solidarité, la confiance et l'unité entre tous les participants. Comme ce mouvement le montre, le développement d'un véritable organe exécutif ne peut pas être évité, si le mouvement veut aller au-delà d'un stade très élémentaire. Comment des décisions tactiques peuvent-elles être prises dans le feu de la lutte ? Comment les AG maintiendront-elles leur souveraineté sur tout ces comités et organes qui seront nécessaires ? Telles sont les questions essentielles qui doivent être abordées.
Bien sûr, il est également vrai qu'un organe exécutif ne peut pas être proclamé ex nihilo. Un organe exécutif qui ne repose que sur la base du plus large débat et du plus large échange d'idées entre tous les participants serait, au mieux une farce totale et au pire une autre voie pour que le 'substitutionnisme' se glisse par la porte de derrière. Un organe exécutif ne peut fonctionner que comme une concrétisation de la vitalité de l'AG et il ne peut pas se substituer à elle. Par conséquent, alors que l'échec à prendre en charge la question d'une fonction exécutive peut avoir été un facteur clé dans la disparition du mouvement Occupy, cela ne signifie pas qu'un organe exécutif déclaré de façon volontariste par les éléments les plus actifs dans la lutte l'aurait sauvegardé.
Plus que tout, ce qui a été absent dans ce mouvement a été un véritable désir de discuter des racines de la crise elle-même. Plutôt que d'essayer de s'engager dans ce qui est devenu une discussion inévitable sur la nature des troubles de la société, le mouvement Occupy est resté enfermé dans sa vision fétichiste du mode de décision. Enlisé dans une problématique démocratique bourgeoise, le mouvement n'a jamais abordé les questions fondamentales de fond : ce mouvement doit-il rester emprisonné dans une problématique d'unanimité interclassiste ou doit-il exprimer les réactions et le point de vue des exploités ? Est-ce que les banques sont à blâmer pour l'impasse dans laquelle se trouve la société ou est-ce que leurs manigances sont un simple symptôme d'un plus large échec du système économique lui-même ? Peut-on produire un changement significatif en aiguillonnant l'Etat pour qu'il agisse dans l'intérêt de la société ou devons-nous réfléchir aux moyens de dépasser l'Etat ? Alors qu'il était possible de trouver des participants des deux côtés de ces questions (et un peu plus pour démarrer !), le mouvement n'a jamais compris qu'il fallait décider quelles positions étaient 'justes'. Sous le prétexte de 'toutes les positions sont les bienvenues ici', le mouvement n'a jamais dépassé une foi simpliste dans sa propre capacité à montrer la voie par l'exemple d'une nouvelle forme de vie du consensus.
Un aspect du mouvement Occupy qui a figuré en bonne place dans son échec final a été son incapacité à étendre efficacement la lutte au-delà des différents sites de campement. De nombreux facteurs figurent dans l'isolement final du mouvement : la tendance pour les occupants de voir les sites de campement comme une communauté interclassiste, la tendance pour les divers parcs d'être vus comme des forteresses d'espace libéré qui doit être défendu, etc. Toutefois, le facteur le plus important a été l'incapacité du mouvement à se relier efficacement avec l'ensemble de la lutte de la classe ouvrière pour défendre ses conditions de vie et de travail, face aux attaques agressives du capitalisme.
En dehors de la grève générale controversée à Oakland qui a arrêté les opérations portuaires de la ville pour une journée, le mouvement a été incapable d'inspirer une réponse plus large de la part de la classe ouvrière aux attaques du capitalisme contre elle.
Dans l'ensemble, la classe ouvrière sur son lieu de travail reste désorientée face à la vaste offensive du capitalisme contre ses conditions de vie et est incapable de s'engager dans une lutte massive pour se défendre. En dehors de quelques grèves éparpillées, contrôlées par les syndicats, la classe ouvrière demeure en tant que telle pour le moment largement absente des luttes.
Dans un certain sens, cela ne devrait pas être surprenant. La crise actuelle et l'intensification actuelle de l'assaut sur la classe ouvrière sont arrivées après plus de 30 ans d'attaques ouvertes sur la vie de la classe ouvrière, sur ses conditions de travail et sur le fondement même de la solidarité de classe. Par ailleurs, les attaques actuelles sont remarquablement brutales par leur férocité, à la fois au niveau du point de production et du salaire social. En plus de cela, la crise politique actuelle de la bourgeoisie américaine doit être prise en compte dans toute analyse de l'apparente passivité de la classe ouvrière. Les attaques agressives des insurgés de l'aile droite du parti Républicain sur l'appareil syndical, ainsi que la rhétorique de plus en plus loufoque émergeant du Tea Party ont sans doute eu un effet désorientant sur la conscience de la classe ouvrière. Dans ces conditions, beaucoup de travailleurs restent au niveau de chercher à protéger ce qu'ils ont encore à travers les institutions existantes des syndicats et du Parti Démocrate. D'autres sont devenus tellement désorientés qu'ils sympathisent avec tel ou tel politicien qui semble le plus en colère, même s'il se trouve appartenir au Tea Party.
Néanmoins, malgré les difficultés et les obstacles auxquels elle est confrontée pour retrouver son identité de classe et son terrain de lutte, l'ensemble de la classe ouvrière n'a pas été totalement silencieuse. Les exemples de mobilisations dans le Wisconsin, plus tôt cette année, sont la preuve que nous sommes entrés dans une phase ouverte depuis la grève à New York City Transit en 2005/2006, avec une tendance vers l'accroissement de la confrontation de classe, vers la reprise de la solidarité et vers une volonté de résister à la paralysie instillée par les attaques du capitalisme. Si le traumatisme de l'escalade des attaques dans le sillage de la débâcle financière de 2008 et le chaos politique actuel de la classe dirigeante américaine, actuellement, pèsent lourdement sur la classe ouvrière et sa combativité, la mémoire de ces luttes agit encore au niveau souterrain.
Cependant, alors que les sondages d'opinion ont toujours montré un haut niveau de sympathie de la part de la population pour les manifestants d'Occupy, cela ne s'est pas traduit dans une action massive efficace. Il y a eu des cas, bien sûr, où cette perspective a été évoquée. Cela s'est surtout produit autour de la question de la répression policière. A New York, Oakland et ailleurs, chaque fois que l'Etat semblait aller trop loin dans sa répression des manifestants, une indignation massive de l'opinion publique a contraint l'Etat à plus de retenue. Cependant, alors que les syndicats de New York ont été obligés à plusieurs reprises d'appeler les travailleurs à montrer de la sympathie avec les manifestants devant l'imminence d'une répression, c'est seulement à Oakland que la répression policière a provoqué une réponse plus large de la part de la classe ouvrière.
Il n'est donc pas surprenant que les manifestants d'Occupy aient peu fait pour ralentir les attaques actuelles contre la classe ouvrière. La mise en faillite d'American Airlines, le lock-out permanent à l'American Crystal Sugar et Cooper Tire et l'austérité massive prévue dans l'administration des Postes sont quelques exemples qui montrent que la bourgeoisie n'a pas été intimidée par le mouvement Occupy au point d'infléchir ses attaques contre la classe ouvrière. De toute évidence, la tactique de l’occupation des parcs aux environs du quartier de la finance ne s'est pas avérée efficace dans la lutte contre les attaques du capitalisme. Plutôt que de camper aux abords de Wall Street, de Bay Street et d'autres centres financiers, les manifestants n'auraient-ils pas été plus efficaces s' ils avaient concentré leurs efforts dans les quartiers ouvriers, en montrant aux autres prolétaires, encore trop désorientés pour lutter, qu'ils ne sont pas seuls ?
Il est clair qu'un débat sérieux sur la tactique est devenu nécessaire pour tous ceux qui cherchent à lutter contre la dégradation actuelle de la vie humaine causée par les assauts continus du capitalisme sur la société. Malheureusement pour le mouvement Occupy, son parti-pris fétichiste pour le consensus démocratique, son désir presque de principe de s'abstenir de discussions tactiques et son pluralisme au détriment d'actions concrètes, l'ont empêché jusqu'à présent d'aborder ces questions de manière efficace. Surtout, face à la répression de l'Etat, il n'a pas été en mesure de réfléchir aux questions de manière efficace, « Vers qui devons-nous nous tourner pour trouver le soutien ? » Et « Où allons-nous si nous ne pouvons plus vivre dans le parc ? » Incapable d'examiner ces questions de façon plus profonde, le mouvement Occupy, pour l'instant, tourne en rond et fait face à un avenir incertain.
De notre point de vue, même si le mouvement Occupy représente un premier pas très important d'une partie de la classe ouvrière la plus touchée par la crise du capitalisme, il est clair que l'avenir exigera un réexamen fondamental des objectifs de la lutte et de la méthode pour les réaliser. Comment un mouvement social peut-il aller de l'avant, de manière à éviter les écueils du passé, mais qui lui permette de fonctionner d'une manière vraiment efficace dans le feu de la lutte ? Comment un mouvement social attaché à l'idée qu'un autre monde est possible, reste-t-il fidèle à cet objectif, mais a encore le courage d'affronter tactiquement l'Etat bourgeois ? C’est à toutes ces questions importantes que les révolutionnaires et tous ceux engagés dans une lutte pour un monde différent devront nécessairement prendre en compte dans la période à venir.
Internationalism (5 décembre 2011)
1 Une série d'événements similaires sont survenus à Toronto, où il avait été prévu que les manifestants se réunissent en plein cœur du quartier Bay Street de la ville, pour ensuite se déplacer dans un petit parc à la périphérie du centre ville. La police de Toronto, encore sous le choc de la condamnation par l'opinion publique de leur répression violente contre les manifestants du G20 l'année précédente, était plus que disposée à permettre aux occupants de rester dans le parc.
Occuper Londres : le poids des illusions
Nous publions ci-dessous un article de World Revolution (WR), organe du CCI en Grande-Bretagne.
«'Occuper Londres' est en accord avec les occupations du monde entier, nous sommes les 99%. Nous sommes un forum pacifique et non-hiérarchique. Nous sommes d'accord sur le fait que le système actuel est antidémocratique et injuste. Nous avons besoin d'alternatives; vous êtes invités à nous rejoindre dans le débat et à les développer; afin de créer un avenir meilleur pour tous. »
Ceci est la déclaration qui vous accueille sur le site Web de 'Occuper Londres' (occupylsx.org). Il est certainement vrai qu'il y a des mouvements d'occupation partout dans le monde, avec des actions qui surgissent dans plus d'une centaine de villes aux Etats-Unis, à commencer par le mouvement 'Occuper Wall Street', et dans divers lieux à travers l'Europe (Francfort et Glasgow, pour n'en citer que deux). La forme générale est l'occupation d'un espace public suivi par des discussions, des manifestations et des actions communes.
Que les personnes qui prennent part à des occupations aient des préoccupations par rapport au véritable état du monde, à l'économique, à l'action politique est incontestable. Un camarade de WR a récemment visité deux sites occupés : « J'ai visité Finsbury Square où j'ai parlé à deux jeunes femmes, à un chômeur et à quelqu'un qui avait un emploi. L'un d'eux explique leurs raisons d'être là comme étant dans une certaine mesure mécontents de l'état actuel des choses: 'Les occupations fournissent quelque chose qui n'est pas abondant en Grande-Bretagne: un espace public où les gens sont libres de venir et de discuter dans des assemblées générales, dans un effort pour essayer de comprendre la situation actuelle du monde. Les gens viennent de différentes régions du pays, ainsi que d'autres pays. Certains, bien qu'ils aient un emploi, participent à la protestation. Il y a des tentatives pour envoyer des délégués à, entre autres choses, l'actuelle protestation des électriciens'. Ceci se déroule à un moment où, à travers tout le pays, malgré la peur et la colère engendrées par la pluie de mesures d'austérité, commence à apparaître quelque chose qui va un peu dans le sens d'une authentique réponse des travailleurs. Comme les événements récents en Espagne et en Grèce l'ont démontré, les assemblées sont l'élément vital de l'auto-organisation des travailleurs. Elles sont le lieu où la confrontation politique, la clarification et la réflexion peuvent avoir lieu. Le meilleur exemple en est les discussions intenses, en Espagne, entre ceux qui plaident pour la 'démocratie réelle', qui est une démocratie gouvernementale améliorée et ceux qui mettent en avant une perspective prolétarienne: 'Il y a eu quelques moments très émouvants lorsque les intervenants étaient très excités et parlaient presque tous de révolution, de dénoncer le système, d'être radical (dans le sens de aller à la racine du problème') comme l'a dit l'un d'eux. »[1]
Les discussions autour des revendications d’Occuper Londres s'articulent autour de deux thèmes principaux: comment 'améliorer' la démocratie parlementaire, pour regagner du terrain 'en faveur du peuple', contre les riches, les banquiers, les élites et, deuxièmement comment amener la justice sociale, c'est–à-dire une répartition plus équitable dans le capitalisme. Comme notre camarade l'a dit : « J'ai finalement trouvé la réunion, assez tard, dans la Tente de l'Université où il y avait une discussion sur la démocratie, où j'ai entendu qu'ils n'ont pas vraiment la démocratie en Espagne, étant donné qu'il y a toute une liste de partis, proportionnellement représentés, sans droit de vote pour un député en tant qu'individu, et que les partis font partie de l'Etat, que certains d'entre eux étaient des héritiers directs de la dictature sous Franco ... Dans cette réunion, les politiciens blâmaient à peu près tout. Il y a eu quelques voix discordantes qui ont tenté de soulever la question de l'économie, de souligner que la démocratie au Royaume-Uni n'est pas meilleure. Et il y a eu quelques contributions bizarres à la discussion, incluant l'idée que nous devrions faire participer le public dans la Fonction publique, dans le même genre que ceux qui sont appelés à faire partie d'un jury : peut-être cela pourrait-il remplacer le favoritisme politique à la Chambre des Lords ... ou nous devrions obtenir de meilleurs dirigeants dans le gouvernement, comme en Chine ... L'un pensait que le fait de bricoler le système de vote pour les parlements était le moyen d'essayer d'élargir l'expérience parlementaire. J'ai pu faire trois brèves contributions à la discussion : sur le fait que la façon dont les politiciens se comportent n'est pas causée par le système de vote espagnol, britannique ou tout autre système représentatif, mais par le fait qu'ils défendent le capitalisme, que la crise n'est pas une simple question de banquiers, pour dire que j'avais espéré en apprendre davantage sur les assemblées, et j'ai mentionné une liste d'expériences historiques, y compris les conseils ouvriers. Même s'il y a eu quelques mains qui se sont agitées en signe d'approbation d'une partie de ce que je venais de dire, la discussion générale est retournée à la recherche de moyens pour rendre plus parfaite la démocratie bourgeoise. »
'Occuper Londres' n'est pas seulement plus réduit que les mouvements en Espagne et aux Etats-Unis qui l'ont inspiré, mais les voix qui s'élèvent en faveur d'une perspective de classe ouvrière sont relativement faibles, et celles qui défendent la démocratie parlementaire relativement fortes. Par exemple, les efforts de solidarité avec les revendications des électriciens pour envoyer des 'délégations' vers eux, seulement à une courte distance de marche, ont été considérés comme une décision totalement individuelle et l'initiative de ceux qui y avaient participé, alors que le mouvement 'Occuper Oakland' avait appelé à une grève générale ainsi qu'à des réunions en soirée afin que ceux qui devaient travailler puissent aussi y participer (voir https://occupyoakland.org/ [197]). Cela a laissé le mouvement 'Occuper Londres' très vulnérable par rapport aux manœuvres autour de la menace d'éviction ou de la proposition d'une réduction du nombre de tentes pour une période de deux mois et du cirque médiatique autour de ce qui se passe dans la hiérarchie religieuse de la cathédrale Saint-Paul avec la démission du Chanoine, puis du Doyen.
La réaction des médias a été assez prévisible, avec les « Choc ! Horreur! » des manchettes des articles à la Une dans la presse de l'aile gauche comme libérale, arguant que ces professions représentent un ‘stimulant ' ou une 'secousse' pour un système démocratique guindé. Dans l'ensemble, la plupart des journalistes, et l’institution religieuse, ont essayé de trouver un moyen de faire valoir que les politiciens devraient être 'réactifs' aux 'préoccupations' de protestations légitimes. Mais en l'absence de mise en avant d’une perspective pour prendre contact avec l'ensemble de la classe ouvrière, ces médias s’en sont emparés, comme on pouvait le prévoir de la façon dont ils présentent l'occupation, pour en faire un point de fixation.
La menace d'expulsion et comment se défendre contre la violence et la répression sont évidemment une préoccupation importante. Dans de nombreux endroits d'Amérique, cette 'réponse' des politiciens élus a pris la forme d'une lourde répression (peuvent en témoigner les 700 manifestants dupés et ensuite arrêtés en essayant de traverser le pont de Brooklyn, ou ceux arrêtés et passés à tabac dans d'autres occupations[2]). Toutefois, lorsque l'un de nos camarades est allé à une assemblée générale à Finsbury Square qui discutait sur la façon de réagir à la menace d'expulsion de Saint-Paul (avant la proposition d’y séjourner 2 mois pour en repartir à une date convenue) la façon dont les médias traiteraient leur réponse était la préoccupation majeure. Une proposition d'aller directement vers les travailleurs, faite par notre camarade, en écho à un autre intervenant qui mettait en avant que leurs objectifs vont au-delà du maintien indéfini de l'occupation n'a pas été reprise. En fait les deux interventions ont été ressenties comme sans importance.
Le plus grand danger est maintenant que 'Occuper Londres' se trouve piégé dans une dynamique désespérée, tournée vers l'intérieur en laissant l'Eglise et les médias faire ce qu’ils veulent du mouvement.
Graham (4 novembre)
1. https://en.internationalism.org/icconline/2011/september/indignados [198]
2. The Guardian a rapporté que même le fils du légendaire bluesman Bo Diddley a été arrêté alors qu'il tentait de manifester son soutien à l'Occupation dans une place en Floride... qui porte le nom de son père ! (14 octobre 2011)
En Israël, depuis la mi-juillet, des centaines de milliers de gens gagnent régulièrement les rues pour manifester contre la hausse vertigineuse du coût de la vie, contre l'impossibilité croissante pour la population de se loger et contre le démantèlement de l'Etat-providence. Les manifestants réclament la “justice” sociale, mais beaucoup parlent aussi de “révolution”. Ils ne font pas mystère du fait qu'ils ont été inspirés par la vague de révolte qui a secoué le monde arabe et qui s'étend maintenant à l'Espagne et à la Grèce. La Premier ministre d'Israël, Netanyahou, dont la politique effrontément droitière semblait avoir rallié un soutien populaire, est soudain comparé à des dictateurs comme en Egypte ( Moubarak, aujourd'hui en procès pour avoir fait tirer sur les manifestants) et en Syrie (Assad ordonnant actuellement encore d'atroces massacres contre une partie croissante de la population exaspérée par son régime).
Comme dans les mouvements dans le monde arabe et en Europe, des manifestations et des campements poussent aujourd'hui dans de nombreuses villes en Israël, mais à Tel Aviv en particulier semblent avoir surgi de nulle part : des messages sur Facebook, quelques personnes installent des tentes dans des parcs... et à partir de là il y a eu entre 50 000 et 150 000 personnes rassemblées (avec plus de 200 000 le samedi 6 août et plus de 300 000 le 13 août ! ) et peut être 3 ou 4 fois plus se sont mobilisés dans l'ensemble du pays, des jeunes pour la majorité d'entre eux.
Comme dans les autres pays, les manifestants se sont fréquemment affrontés à la police. Comme dans les autres pays, les partis politiques officiels et les syndicats n'ont pas joué un rôle de premier plan dans le mouvement, même s'ils étaient certainement présents. Les gens impliqués dans le mouvement sont souvent associés au courant de la démocratie réelle et même à l'anarchisme. Un animateur interrogé sur le réseau RT News a demandé si les manifestations avaient été inspirées par les événements dans les pays arabes. Il a répondu : “Ce qui s'est passé sur la place Tahrir a eu beaucoup d'influence. Cela garde beaucoup d'influence, bien sûr. C'est quand les gens comprennent qu'ils ont le pouvoir, qu'ils peuvent s'organiser eux-mêmes, ils n'ont plus besoin d'un gouvernement pour leur dire ce qu'ils doivent faire, ils peuvent commence à dire aux gouvernements ce qu'ils veulent.” Ces points de vue, même s'ils n'expriment que l'opinion d'une minorité consciente, reflètent certainement un sentiment beaucoup plus général à l'égard de l'ensemble du système politique bourgeois, que ce soit sous sa forme dictatoriale ou démocratique.
Comme ses homologues d'ailleurs, ce mouvement est historique dans sa signification, comme l'a mentionné un journaliste israélien, Noam Sheizaf : “Contrairement à la Syrie ou à la Libye, où les dictateurs massacrent leur propre peuples par centaines, ce n'a jamais été le talon de fer qui a maintenu l'ordre social en Israël, pour autant qu'il s'agissse de la communauté juive. C'est l'endoctrinement qui l'a fait- l'idéologie dominante, pour utiliser le terme préféré par les théoriciens critiques. Et c'est cet ordre culturel (ou idéologique) qui s'est retrouvé balayé dans ce tourbillon de protestations. Pour la première fois, une grande partie de la classe moyenne juive-il est trop tôt pour évaluer l'ampleur que cette masse représente- ont reconnu que le problème n'était pas vis-à-vis d'autres Israéliens, ni avec les Arabes, ou avec tel ou tel politicien qu'il était mais avec l'ordre social tout entier, avec le système dans son ensemble. En ce sens, c'est un événement inédit dans l'histoire d'Israël.
C'est pourquoi cette contestation a un potentiel tellement énorme. C'est aussi la raison pour laquelle nous ne devrions pas en attendre de retombées politiques immédiates, je ne pense pas que nous allons voir tomber le gouvernement prochainement mais dans ses conséquences à long terme, de façon sous-jacente, c'est ce qui est sûr de se produire.” (cf. l'article “La réelle importance du mouvement des tentes”[1])
Et pourtant, il y a ceux qui ne sont que trop heureux de minimiser le sens de ces événements. La presse officielle dans sa très grande majorité les a complètement ignorés. Il y a un fort contingent de correspondants de la presse étrangère à Jérusalem - entre 800 et 1000 personnes (la deuxième en taille après ceux basés à Washington qui n'a commencé à manifester un certain intérêt envers lui que plusieurs semaines après que le mouvement ait démarré. Vous deviez chercher longtemps et avec persévérance pour le voir mentionné dans des journaux dits “progressistes” comme The Guardian ou Socialist Worker au Royaume-Uni.
Une autre tactique pour les minimiser est de les cataloguer comme représentatifs du mouvement des classes moyennes. Il est vrai que, comme pour tous les autres mouvements, nous considérons une révolte sociale très large qui peut exprimer le mécontentement de beaucoup de couches différentes de la société, allant des petits entrepreneurs jusqu'aux ouvriers à la chaîne, qui sont toutes touchées par la crise économique mondiale, par l'écart grandissant entre les riches et les pauvres, et, dans un pays comme Israël par l'aggravation des conditions de vie à cause des exigences insatiables de l'économie de guerre. Mais le terme de “classe moyenne” est devenu un synonyme de paresseux, un terme “fourre-tout” pour parler de quelqu'un qui a reçu une certaine éducation ou bénéficie d'un travail et, en Israël comme en Afrique du Nord, en Espagne ou en Grèce, un nombre croissant de jeunes gens instruits sont poussé dans les rangs du prolétariat, travaillant dans des emplois précaires mal rémunérés et peu qualifiés où l'on peut embaucher n'importe qui ; en tous cas, des secteurs plus “classiques” de la classe ouvrière ont été également impliqués dans les manifestations : le secteur public, les ouvriers dans l'industrie, les fractions les plus pauvres des chômeurs, certains d'entre eux étant des immigrés non-Juifs venus d'Afrique et d'autres pays du tiers-monde.
Il y a eu aussi une grève générale de 24 heures que la fédération syndicale Histradut a lancée pour tenter de faire face au mécontentement de ses propres adhérents.
Mais les plus grands détracteurs du mouvement sont ceux d'extrême-gauche. Comme l'a rapporté l'un des posts sur libcom [2] :“J'ai eu une grosse dispute avec une animatrice du SWP dans ma section syndicale dont l'argument était qu'il n'y avait pas de classe ouvrière en Israël. Je lui ai alors demandé qui conduisait les bus, qui construisait des routes, qui s'occupait des enfants dans les crèches et les écoles, etc. et elle juste esquivé la question et embrayé sur le sionisme et l'occupation des territoires palestiniens.”
Le même fil sur le web contenait également un lien vers un blog de gauche[3] qui a présenté une version plus sophistiquée de cet argument : “Certes, toutes les couches de la société israélienne, des syndicats aux systèmes d'éducation, les forces armées et les partis politiques dominants, sont impliqués dans un système d'apartheid. Cela était vrai dès la création, dans les formes très embryonnaires de l'Etat israélien construit dans la période du protectorat britannique. Israël est une société de colons et cela a des conséquences énormes pour le développement de la conscience de classe. Tant qu'il se développe sous le renforcement des avant-postes coloniaux, aussi longtemps que les gens sont amenés à identifier leurs intérêts avec l'expansion d'un peuplement par la colonisation, il y peu de chances de pouvoir développer une classe ouvrière révolutionnaire, une force sociale indépendante. Non seulement, il s'agit d'une société de colons et de colonisés mais ce régime est aussi soutenu par les ressources matérielles de l'impérialisme américain.”
L'idée que la classe ouvrière israélienne serait un cas particulier conduit de nombreux gauchistes à soutenir que le mouvement de protestation ne devrait pas être pris en charge ou ne devrait être soutenu que s'il prenait d'abord position sur la question palestinienne : “ Les manifestations sociales sont deux fois plus importantes depuis les années 1970 et devraient se traduire dans des politiques de réformes ou même de remaniement gouvernemental. Mais jusqu'à ce que les réformes portent sur toutes les questions au coeur de la situation d'oppression et de discrimination envers les logements, jusqu'à ce que les changements politiques mettent les Palestiniens sur un pied d'égalité avec les Israéliens, jusqu'a ce que les avis d'expulsion des terres ne soient plus traitées arbitrairement, les programmes de réforme sont vains et les manifestations sont inutiles”, le mouvement de protestation unilatérale “libérale” d'Israël n'est pas un mouvement digne de le rejoindre, ni même de le soutenir”, Sami Kishawi[4] sur le blog “Seize minutes pour la Palestine”.
En Espagne, parmi les participants au mouvement du 15-mai, des débats similaires se sont déroulés, par exemple autour d'une proposition selon laquelle “les manifestants israéliens ne devraient être soutenus que “s'ils prennent position, en tant que mouvement, sur la question palestinienne, en dénonçant clairement et l'ouvertement l'occupation des territoires, le blocus autour de Gaza et [en appelant à] la fin des colonisations” (sur le même fil, dans libcom.)
Une réponse est en train d'être donnée dans la pratique par le mouvement en Israël à ces arguments gauchistes. D’abord, le problème se déroule dans les rues israéliennes et il est dèjà difficile de faire une division entre les Juifs, les Arabes et les autres. Quelques exemples : à Jaffa, des dizaines de manifestants arabes comme juifs portaient des pancartes écrites à la fois en Hébreu et en Arabe où on pouvait lire “Les Arabes et les Juifs veulent un logement au prix abordable” et “Jaffa ne veut pas d'offres de logements réservées aux riches.”
Des militants arabes unt installé un campement dans le centre de Taibeh et des centaines de personnes le visitent chaque nuit. “ Ceci est une protestation sociale consécutive à la détresse profonde dans la communauté arabe. Tous les Arabes souffrent du coût de la vie et de la pénurie de logements” comme l'a dit l'un des organisateurs, le docteur Zoheir. Un certain nombre de jeunes Druzes ont dressé des tentes à l'extérieur des villages de Yarka et de Julis, en Galilée Occidentale. “Nous essayons d'attirer tout le monde dans les tentes pour nous joindre la manifestation” a déclaré Wadji Khatar, l'un des initiateurs de la protestation. Un campement rassemblant Juifs et Palestiniens a été mis en place dans la ville d'Akko, ainsi que dans Jérusalem-Est où il y a eu des manifestations de Juifs et d'Arabes pour protester contre l'expulsion de ces derniers, partant du quartier de Cheikh Jarrah. A Tel-Aviv, des contacts ont été établis avec les résidents de camps de réfugiés dans les territoires occupés, qui ont visité à leur tour les villages de tentes et ont engagé des discussions avec les manifestants.[5]
Dans le Parc Levinsky, au Sud de Tel-Aviv le lundi 1er août, où le deuxième plus grand village de tentes a résisté pendant près d'une semaine, plus d'une centaine d'immigrés et de réfugiés africains se sont réunis[6] pour débattre des protestations contre les conditions de vie actuelles à travers le pays.
De nombreux manifestants ont exprimé leur frustration face à la manière dont la rengaine incessante sur la “sécurité” et sur la menace du terrorisme est utilisée pour faire accepter la misère économique et sociale croissante. Certains ont ouvertement mis en garde contre le danger que le gouvernement pourrait provoquer des affrontements militaires ou même une nouvelle guerre pour restaurer “l'union nationale” et diviser le mouvement de protestation.[7] Comme cela se produit, le gouvernement Netanyahou semble se tenir en retrait pour le moment, pris de cours et essayant de recourir à toutes sortes d'expédients pour prendre la température du mouvement. Il n'en demeure pas moins qu'il y a effectivement une prise de conscience croissante que la situation militaire et la situation sociale sont très étroitement liées.
Comme toujours, la situation matérielle de la classe ouvrière est la clé du développement de la conscience et le mouvement social actuel accélère grandement la possibilité d'appréhender le situation militaire d'un point de vue de classe. Le prolétariat israélien, souvent décrit par l'aile gauche du capital comme “une caste de privilégiés vivant en dehors de la misère des Palestiniens”, paie effectivement très cher la note de “l'effort du guerre” dans sa chair, en termes de dommages psychiques comme à travers une paupérisation matérielle. Un exemple très précis lié à l'un des principaux enjeux du mouvement social en cours, c'est la question du logement : le gouvernement verse des sommes exorbitantes pour aider à établir des colonies dans les territoires occupés plutôt que d'augmenter le parc des logements dans le reste d'Israël.
L'importance du mouvement actuel en Israël, avec toutes ses confusions et hésitations, c'est qu'il a très clairement confirmé l'existence de l'exploitation de classe et de la lutte de classe au sein de l'apparent monolithisme national de l'Etat d'Israël. La défense des conditions de vie de la classe ouvrière se heurtera inévitablement aux sacrifices exigés par la guerre et par conséquent toutes les questions politiques concrètes posées par la guerre devront être soulevées, débattues et clarifiées : les lois discriminatoires en Israël et dans les territoires occupés, la brutalité de l'occupation, la conscription et jusqu'à l'idéologie du sionisme et du faux idéal de l'Etat juif. Certes, ces questions sont difficiles et les réponses peuvent diviser comme il y a eu une forte tentation d'éviter de les poser directement. Mais la politique a un chemin pour s'immiscer dans tous les conflits sociaux. Un exemple en a été donné par le conflit croissant entre les manifestants et des représentants de l'extrême droite “kahaniste” qui veulent expulser les Arabes d'Israël comme avec des colons “fondamentalistes” qui voient les manifestants comme des traîtres à la nation.
Mais ce ne serait pas une avancée si le mouvement qui a rejeté ces idéologies de droite adoptait les positions de l'aile gauche du capital : le soutien au nationalisme palestinien, une solution pour créer deux Etats ou un “Etat laïque et démocratique”. L'actuelle vague de révoltes contre l'austérité capitaliste ouvre la porte à une toute autre solution : la solidarité de tous les exploités face à toutes les divisions religieuses ou nationales ; la lutte de classes dans tous les pays dans le but de faire la révolution dans le monde entier qui sera la négation des frontières nationales et l'abolition des Etats. Il y a un an ou deux, une telle perspective aurait semblé totalement utopique à la plupart des gens . Aujourd'hui, un nombre croissant de personnes voit la révolution mondiale comme une alternative réaliste à l'ordre du monde capitaliste en train de s'effondrer.
Amos-WR (8 juillet 2011)
[1] https://972mag.com/the-essence-of-the-tent-protest-2128-7201/ [200]
[2] https://libcom.org/forums/news/israelis-take-streets-protesting-rising-p... [201]
[3] https://leninology.blogspot.com/2011/08/few-observations-on-israel-prote... [202]
[4] https://smpalestine.com/author/samikishawi/ [203]
[5] Une des Israéliennes qui a pris part à ces discussions décrit ainsi les effets positifs (voir par exemple l'interview de Stav Shafir sur RT News) que celles-ci ont eu sur le développement de la conscience et de la solidarité : “Nos hôtesses, certaines religieusement voilées, écoutent attentivement l'histoire des jeunes juifs de la classe moyenne qui n'ont pas d'endroit pour vivre, pour étudier et pour travailler. Les tentes sont si nombreuses et si petites. Elles hochaient la tête de surprise, exprimant leur sympathie et peut être même un certain plaisir à mesure que s'exprimaient de nouvelles possibilités de solidarité. Une femme à la langue bien pendue a lancé un slogan auquel aucun d'entre nous n'avait jamais pensé : “Hada Muchayem Lajiyin Israelliyn !”- “Un camp de réfugiés pour les Israéliens !”, s'est-elle exclamée.
Nous avons ri de cette petite blague. C'est sûr, nous n'avons pas du tout les mêmes conditions de vie- ou peut-être juste un petit quelque chose, après tout. Les jeunes de Rotschild (puisse Allah les aider et qu'ils récoltent les fruits de leur contestation !) sont censés pouvoir se lever à l'heure qu'ils veulent et peuvent réintégrer à tout moment la grisaille de la vie à laquelle ils étaient habitués avant de s'installer dans la chaleur caniculaire du boulevard central. Cependant, ils sont condamnés à se trouver tout au bout de la chaîne israélienne d'obtention de logements- sans propriété, sans terre et sans toit qui soit à eux. Certaines des femmes qui étaient avec nous ce soir-là, pleines de curiosité et de passion pour se divertir-ont vécu dans la “réalité” des camps de réfugiés la plus grande partie de leur existence. Certaines sont nées dedans, d'autres se sont mariées et ont déménagé de leurs maisons en ruines en partageant pendant de nombreuses années le sort des nombreuses familles entassées dans des tentes de fortune à la périphérie des villes et des villages de Cisjordanie.
Les “camps de réfugiés” des habitants en colère d'Israël s'éveillent ces jours-ci dans tout le pays et sortent d'une fausse conscience qui les a amenés jusqu’à cette rencontre délicate de l'été 2011. Il ne s'agit pas d'une étape facile, mais cela vaut la peine de faire l'effort d'aller jusqu'au bout du chemin, jusqu'à la racine de nos problèmes. Ceux d'entre nous qui ont eu le privilège le week-end dernier de danser, de chanter, de se tenir bras dessus bras dessous sur un toit de Tel-Aviv avec nos amies des villages et des camps de réfugiés des territoires occupés, ne consentiront jamais à abandonner avec des gens que nous considérions autrefois comme des ennemis. Il suffit de penser combien de bons appartements pourraient être construits avec les sommes gaspillées au cours de décennies entières pour renforcer l'idée stupide selon laquelle tous les non-Juifs constitueraient “un danger pour notre démographie.”
[6] https://mondoweiss.net/2011/08/will-israels-tent-protesters-awaken-to-th... [204]
[7] https://www.youtube.com/watch?v=6i6JKSGEs8Y&feature=player_embedded#... [205]
Manifestation à Berlin en solidarité avec les Indignés d'EspagneAu moment où, dans beaucoup de pays, les médias font, jour après jour, leurs gros titres sur le "séisme" du "scandale DSK", un autre "séisme", réel, frappe l'Europe : celui d'un vaste mouvement social en Espagne qui se cristallise, depuis le 15 mai, par l'occupation jour et nuit de la Place Puerta Del Sol à Madrid par une marée humaine composée essentiellement de jeunes, révoltés par le chômage, les mesures d'austérité du gouvernement Zapatero, la corruption des politiciens. Ce mouvement social s'est répandu comme une trainée de poudre à toutes les villes du pays grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) : Barcelone, Valence, Grenade, Séville, Malaga, León… Mais les informations n'ont pas franchi la barrière des Pyrénées. En France, seuls les réseaux sociaux Internet et certains médias alternatifs ont largement diffusé les images et les vidéos de ce qui se passait en Espagne depuis la mi-mai. Si les médias bourgeois ont fait un tel black-out sur ces événements, en préférant nous intoxiquer avec la "série américaine" de l'affaire DSK, c'est justement parce que ce mouvement constitue une étape très importante dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière mondiale face à l'impasse du capitalisme.
Le mouvement des "indignés" en Espagne a mûri depuis la grève générale du 29 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites. Cette grève générale s'est soldée par une défaite tout simplement parce que les syndicats ont négocié avec le gouvernement et accepté le projet de réforme (les travailleurs actifs de 40-45 ans toucheront, à leur départ à la retraite, une pension inférieure de 20% à leur pension actuelle). Cette défaite a provoqué un profond sentiment d'amertume au sein de la classe ouvrière. Mais elle a suscité un profond sentiment de colère parmi les jeunes qui s'étaient mobilisés et avaient participé activement au mouvement, notamment en apportant leur solidarité dans les piquets de grève.
Début 2011, la colère commence à gronder dans les universités. En mars, au Portugal, un appel à une manifestation du groupe Jeunes Précaires est lancé sur Internet et débouche sur une manifestation regroupant 250 000 personnes à Lisbonne. Cet exemple a eu un effet immédiat dans les universités espagnoles, notamment à Madrid. La grande majorité des étudiants et des jeunes de moins de 30 ans survit avec 600 euros par mois grâce à des petits boulots. C'est dans ce contexte qu'une centaine d'étudiants ont constitué le groupe "Jeunes sans futur" ("Jovenes sin futuro"). Ces étudiants pauvres, issus de la classe ouvrière, se sont regroupés autour du slogan "sans soins, sans toit, sans revenus, sans peur". Ils ont appelé à une manifestation le 7 avril. Le succès de cette première mobilisation qui a rassemblé environ 5000 personnes, a incité le groupe "Jeunes sans futur" à programmer une nouvelle manifestation pour le 15 mai. Entre temps est apparu à Madrid, le collectif "Democracia Real Ya" (Démocratie Réelle Maintenant !) dont la plateforme se prononçait aussi contre le chômage et la "dictature des marchés", mais qui affirmait être "apolitique", ni de droite ni de gauche. Democracia Real Ya a lancé également des appels à manifester le 15 mai dans d'autres villes. Mais c'est à Madrid que le cortège a connu le plus grand succès avec environ 25 000 manifestants. Un cortège bon enfant qui devait se terminer tranquillement sur la Puerta del Sol (la "Porte du Soleil").
Les manifestations du 15 mai appelées par Democracia Real Ya ont connu un succès spectaculaire : elles exprimaient un mécontentement général, notamment parmi les jeunes confrontés au problème du chômage à la fin de leurs études. Tout aurait dû apparemment s'arrêter là, mais à la fin des manifestations à Madrid et à Grenade des incidents provoqués par un petit groupe de "black blocks" sont réprimés par les charges de la police et se sont soldées par plus d'une vingtaine d'arrestations. Les détenus, brutalisés dans les commissariats, se sont regroupés dans un collectif et ont adopté un communiqué dénonçant les violences policières. La diffusion de ce communiqué a suscité immédiatement une réaction d'indignation et de solidarité générale face à la brutalité des forces de l'ordre. Une trentaine de personnes totalement inconnues et inorganisées décident d'occuper la Puerta del Sol à Madrid et d'y établir un campement. Cette initiative a fait immédiatement tâche d'huile et a gagné la sympathie de la population. Le même jour, l'exemple madrilène s'étend à Barcelone, Grenade et Valence. Une nouvelle flambée de répression policière met le feu aux poudres et depuis lors, les rassemblements de plus en plus massifs sur les places centrales se sont étendus à plus de 70 villes du pays et n'ont fait que croître à toute allure.
Dans l'après-midi du mardi 17 mai, les organisateurs du "mouvement du 15 Mai" avaient prévu des actions silencieuses de protestation ou des mises en scène ludique "défouloir", mais la foule rassemblée sur les places publiques ne cessait de croître en réclamant à grands cris la tenue d'assemblées. A 20 heures, commencent à se tenir des assemblées à Madrid, Barcelone, Valence et dans d'autres villes. A partir du mercredi 18, ces assemblées prennent la forme d'une véritable avalanche. Les rassemblements se transforment en Assemblées générales ouvertes sur les places publiques.
Face à la répression et dans la perspective des élections municipales et régionales, le collectif Democracia Real Ya lance le débat autour d'un objectif : la "régénération démocratique" de l'État espagnol. Il revendique une réforme de la loi électorale afin d'en finir avec le bipartisme PSOE/Parti Populaire en réclamant une "vraie démocratie" après 34 ans de "démocratie imparfaite" suite au régime franquiste.
Mais le mouvement des "indignés" a largement débordé la seule plateforme revendicative, démocratique et réformiste, du collectif Democracia Real Ya. Il ne s'est pas cantonné à la seule révolte de la jeune "génération perdue des 600 euros". Dans les manifestations et sur les places occupées à Madrid, comme à Barcelone, Valence, Malaga, Séville etc., sur les pancartes et banderoles, on pouvait y lire des slogans tels que : "Démocratie sans capital!", "PSOE et PP, la même merde", "Construisons un futur sans capitalisme !", "Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir", "Tout le pouvoir aux Assemblées !", "Le problème n'est pas la démocratie, le problème, c'est le capitalisme !", "Sans travail, sans maison, sans peur", "ouvriers, réveillez-vous !" "600 euros par mois, voilà où est la violence !".
A Valence, des femmes criaient : "ils ont trompés les grands-parents, ils sont encore trompés les fils, il faut que les petits enfants ne se laissent pas avoir !".
Face à la démocratie bourgeoise qui réduit la "participation" au fait de "choisir" tous les quatre ans le politicien qui ne tiendra jamais ses promesses électorales et mettra en œuvre les plans d'austérité exigés par la l'aggravation inexorable de la crise économique, le mouvement des "indignés" en Espagne s'est réapproprié spontanément une arme du combat de la classe ouvrière : les Assemblées générales ouvertes. Partout ont surgi des assemblées massives de villes, regroupant des dizaines de milliers de personnes de toutes les générations et de toutes les couches non exploiteuses de la société. Dans ces assemblées, chacun peut prendre la parole, exprimer sa colère, lancer des débats sur différentes questions, faire des propositions. Dans cette atmosphère d'ébullition générale, la parole se libère, tous les aspects de la vie sociale sont passés en revue (politique, culturel, économique…). Les places sont inondées par une gigantesque vague collective d'idées discutées dans un climat de solidarité et de respect mutuel. Dans certaines villes, on installe des "boîtes à idées", des urnes où chacun peut déposer des idées rédigées sur un bout de papier. Le mouvement s'organise avec une très grande intelligence. Des commissions se mettent en place, notamment pour éviter les débordements et les affrontements avec les forces de l'ordre : la violence y est interdite, l'alcoolisation proscrite avec le mot d'ordre "La revolución no es botellón" (La révolution n'est pas une beuverie). Chaque jour, des équipes de nettoyage sont organisées. Des cantines publiques servent des repas, des garderies pour enfants et des infirmeries sont montées avec des volontaires. Des bibliothèques sont mises en place ainsi qu'une "banque du temps" (où son organisés des enseignements aussi bien scientifiques que culturels, artistiques, politiques, économiques). Des "journées de réflexion" sont planifiées. Chacun apporte ses connaissances et ses compétences.
En apparence, ce torrent de pensées ne semble déboucher sur rien. Il n'y a pas de propositions concrètes, pas de revendications réalistes ou immédiatement réalisables. Mais ce qui apparaît clairement, c'est d'abord et avant tout un énorme ras-le-bol de la misère, des plans d'austérité, de l'ordre social actuel, une volonté collective de briser l'atomisation sociale, de se regrouper pour discuter, réfléchir tous ensemble. Malgré les nombreuses confusions et illusions, dans les bouches comme sur les banderoles et pancartes, le mot "révolution" est réapparu et ne fait plus peur.
Dans les Assemblées, les débats ont fait apparaître des questions fondamentales :
- faut-il se limiter à la "régénération démocratique" ? Les problèmes n'ont-ils pas leur origine dans le capitalisme, un système qui ne peut être réformé et doit être détruit de fond en comble ?
- Le mouvement doit-il s'arrêter le 22 mai, après les élections, ou faut-il le poursuivre pour lutter massivement contre les attaques des conditions de vie, le chômage, la précarité, les expulsions ?
- Ne devrait-on pas étendre les assemblées aux lieux de travail, aux quartiers, aux agences pour l'emploi, aux lycées, aux universités ? Doit-on enraciner le mouvement chez les travailleurs qui sont les seuls à avoir la force de mener une lutte généralisée ?
Dans ces débats au sein des Assemblées, deux tendances sont apparues très clairement :
- l'une, conservatrice, animée par les couches sociales non prolétariennes semant l'illusion qu'il est possible de réformer le système capitaliste à travers une "révolution démocratique et citoyenne";
- l'autre, prolétarienne, mettant en évidence la nécessité d'en finir avec le capitalisme.
Les assemblées qui se sont tenues le dimanche 22 mai, jour des élections, ont décidé de poursuivre le mouvement. De nombreuses interventions ont déclaré : "nous ne sommes pas ici à cause des élections, même si elles ont été le détonateur". La tendance prolétarienne s'est plus clairement affirmée à travers les propositions d'"aller vers la classe ouvrière" en mettant en avant des revendications contre le chômage, la précarité, les attaques sociales. A la Puerta del Sol, la décision est prise d'organiser des "assemblées populaires" dans les quartiers. On commence à entendre des propositions d'extension vers les lieux de travail, les universités, les agences pour l'emploi. A Malaga, Barcelone et Valence, les assemblées ont posé la question d'organiser une manifestation contre les réductions du salaire social, en proposant une nouvelle grève générale, qui soit "véritable" comme l'a affirmé l'un des orateurs.
C'est surtout à Barcelone, capitale industrielle du pays, que l'Assemblée centrale de la place de Catalogne, apparaît comme la plus radicale, la plus animée par la tendance prolétarienne et la plus distante par rapport à l'illusion de la "régénération démocratique". Ainsi, des ouvriers de la Telefónica, des travailleurs des hôpitaux, des pompiers, des étudiants mobilisés contre les coupes sociales, ont rejoint les assemblées de Barcelone et ont commencé à leur insuffler une tonalité différente. Le 25 mai, l'Assemblée de la place de Catalogne décide de soutenir activement la grève des travailleurs des hôpitaux, tandis que l'Assemblée de la Puerta del Sol à Madrid décide de décentraliser le mouvement en convoquant des "assemblées populaires" dans les quartiers afin de mettre en pratique une "démocratie participative horizontale". A Valence, les manifestations des chauffeurs de bus ont rejoint une manifestation d'habitants contre les coupes budgétaires dans l'enseignement. A Saragosse, les conducteurs de bus se sont joints aux rassemblements avec le même enthousiasme.
A Barcelone, les "indignés" décident de maintenir leur campement et de continuer à occuper la place de Catalogne jusqu'au 15 juin.
Quelle que soit la direction dans lequel va se poursuivre le mouvement, quelle que soit son issue, il est clair que cette révolte initiée par les jeunes générations confrontée au chômage (en Espagne, 45 % de la population des 20-25 ans n'a pas de travail), se rattache pleinement au combat de la classe ouvrière. Sa contribution à la lutte internationale de la classe ouvrière est indiscutable.
C'est un mouvement généralisé qui a impliqué toutes les couches sociales non exploiteuses, notamment toutes les générations de la classe ouvrière. Même si celle-ci a été noyée dans la vague de colère "populaire" et ne s'est pas affirmée de façon autonome à travers des grèves et manifestations massives, en mettant en avant ses propres revendications économiques immédiates. Ce mouvement exprime en réalité une maturation en profondeur de la conscience au sein de la seule classe qui puisse changer le monde en renversant le capitalisme : la classe ouvrière.
Ce mouvement révèle clairement que, face à la faillite de plus en plus évidente du capitalisme, des masses importantes commencent à se lever dans les pays "démocratiques" d'Europe occidentale, ouvrant la voie à la politisation des luttes du prolétariat.
Mais surtout, ce mouvement a révélé que les jeunes, en grande majorité des travailleurs précaires et chômeurs, ont été capables de s'approprier les armes de combat de la classe ouvrière : les assemblées générales massives et ouvertes, qui leur ont permis de développer la solidarité et de prendre eux-mêmes en main leur propre mouvement en dehors des partis politiques et des syndicats.
Le mot d'ordre "Tout le pouvoir aux assemblées !" qui a surgi dans le mouvement, même si de façon encore minoritaire, n'est qu'un remake du vieux mot d'ordre de la Révolution russe "Tout le pouvoirs aux conseils ouvriers !" (soviets).
Même si, aujourd'hui, le mot "communisme" fait encore peur (du fait du poids des campagnes déchainées par la bourgeoisie au lendemain de l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes staliniens), le mot "révolution" n'a effrayé personne, bien au contraire.
Ce mouvement n'est nullement une "Spanish Revolution" comme le présente le collectif Democracia Real Ya. Le chômage, la précarité, la vie chère et la dégradation constante des conditions d'existence des masses exploitées ne sont pas une spécificité espagnole ! Le visage sinistre du chômage, notamment le chômage des jeunes, on le voit autant à Madrid qu'au Caire, autant à Londres qu'à Paris, autant à Athènes qu'à Buenos Aires. Nous sommes tous unis dans la même chute dans l'abîme de la décomposition de la société capitaliste. Cet abîme, ce n'est pas seulement celui de la misère et du chômage, mais aussi celui de la multiplication des catastrophes nucléaires, des guerres et d'une dislocation des rapports sociaux accompagnée d'une barbarie morale (comme en témoigne, entre autres, l'augmentation des agressions sexuelles et des violences faites aux femmes dans les pays "civilisés").
Le mouvement des "indignés" n'est pas une "révolution". Il n'est qu'une nouvelle étape dans le développement des luttes sociales et des combats de la classe ouvrière à l'échelle mondiale, qui seuls, peuvent ouvrir une perspective d'avenir pour cette jeunesse "sans futur" comme pour l'ensemble de l'humanité.
Ce mouvement (malgré toutes ses confusions et ses illusions sur la "république indépendante de la Puerta del Sol"), révèle que, dans les entrailles de la société bourgeoise, la perspective d'une autre société est en gestation. Le "séisme espagnol" révèle que les nouvelles générations de la classe ouvrière, qui n'ont rien à perdre, sont d'ores et déjà les acteurs de l'histoire. Elles sont en train de creuser les galeries pour d'autres tremblements de terre sociaux qui finiront par ouvrir la voie vers l'émancipation de l'humanité. Grâce à l'utilisation de réseaux sociaux Internet, de la téléphonie mobile et des moyens modernes de communication, ces jeunes générations ont montré leur capacité à briser le black-out de la bourgeoise et de ses médias pour commencer à développer la solidarité au-delà des frontières.
Cette nouvelle génération de la classe ouvrière a émergé sur la scène sociale internationale à partir de 2003, d'abord face à l'intervention militaire en Irak de l'administration Bush (dans de nombreux pays, les jeunes manifestants protestaient contre la "busherie"), puis avec les premières manifestations en France contre la réforme des retraites en 2003. Elle s'est affirmée au printemps 2006 dans ce même pays avec le mouvement massif des étudiants et lycéens contre le CPE. En Grèce, en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, la jeunesse scolarisée a fait également entendre sa voix face à la seule perspective que le capitalisme est capable de lui offrir : la misère absolue et le chômage.
Le raz de marée de cette nouvelle génération "sans futur" a frappé récemment la Tunisie et l'Égypte, conduisant à une gigantesque révolte sociale qui a provoqué la chute de Ben Ali et de Moubarak. Mais il ne faut pas oublier que l'élément déterminant qui a obligé la bourgeoisie des principaux pays "démocratiques" (et notamment Barak Obama) à lâcher Ben Ali et Moubarak, ce sont les grèves ouvrières et la menace d'une grève générale face à la répression sanglante des manifestants.
Depuis, la place Tarhir est devenue un emblème, un encouragement à la lutte pour les jeunes générations de la classe ouvrière dans de nombreux pays. C'est sur ce modèle que les "indignés" en Espagne ont établi leur campement à la Puerta del Sol, ont occupé les places de plus de 70 villes et ont agrégé dans les assemblées toutes les générations et toutes les couches sociales non exploiteuses (à Barcelone, les "indignés" ont même renommé la place de Catalogne, "Plaza Tahrir").
Le mouvement des "indignés" est, en réalité, beaucoup plus profond que la révolte spectaculaire qui s'est cristallisée au Caire sur la place Tahrir.
Ce mouvement a explosé dans le principal pays de la péninsule ibérique, et qui constitue le pont entre deux continents. Le fait qu'il se déroule dans un Etat "démocratique" d'Europe occidentale (et, de surcroit, dirigé par un gouvernement "socialiste" !), ne peut que contribuer, à terme, à balayer les mystifications démocratiques déployées par les médias depuis la "révolution de jasmin " en Tunisie.
De plus, bien que Democracia Real Ya qualifie ce mouvement de "spanish revolution", aucun drapeau espagnol n'a été exhibé, alors que la place Tahrir était inondée de drapeaux nationaux1.
Malgré les illusions et confusions qui jalonnent inévitablement ce mouvement initié par les jeunes "indignés", ce dernier constitue un maillon très important dans la chaîne des luttes sociales qui explosent aujourd'hui. Avec l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme, ces luttes sociales ne peuvent que continuer à converger avec la lutte de classe du prolétariat et contribuer à son développement.
Le courage, la détermination et le sens profond de la solidarité de la jeune génération "sans futur" révèle qu'un autre monde est possible : le communisme, c'est-à-dire l'unification de la communauté humaine mondiale. Mais pour que ce "vieux rêve" de l'humanité puisse devenir réalité, il faut d'abord que la classe ouvrière, celle qui produit l'essentiel des richesses de la société, retrouve son identité de classe en développant massivement ses combats dans tous les pays contre l'exploitation et contre toutes les attaques du capitalisme.
Le mouvement des "indignés" a commencé à poser de nouveau la question de la "révolution". Il appartient au prolétariat mondial de la résoudre et de lui donner une direction de classe dans ses combats futurs vers le renversement du capitalisme. C'est uniquement sur les ruines de ce système d'exploitation basé sur la production de marchandises et le profit que les nouvelles générations pourront édifier une autre société, rendre à l'espèce humaine sa dignité et réaliser une véritable "démocratie" universelle.
Sofiane (27 mai 2011)
1 On a même vu, au contraire, apparaître des slogans appelant à une "révolution globale" et à l'"extension" du mouvement au-delà des frontières nationales. Dans toutes les Assemblées une "commission internationale" a été créée. Le mouvement des "indignés" a essaimé dans toutes les grandes villes d'Europe et du continent américain (même à Tokyo, Pnom-Penh et Hanoï, des regroupements de jeunes espagnols expatriés déploient la bannière de Democracia Real Ya !).
Le vendredi 27 mai, entre 6 et 7 heures du matin, 300 agents de la police catalane et de la police municipale ont fait évacuer brutalement la Place de Catalogne à Barcelone, occupée par 3000 "Indignés". Ceux-ci y campaient jour et nuit depuis le 16 mai pour protester, comme à Madrid et dans environ 70 autres villes en Espagne, contre le chômage, la misère, la précarité et l'absence de futur.
Cette intervention musclée se justifiait, selon les dires du porte-parole de la Generalitat catalane (le gouvernement provincial), par la nécessité de faire place nette pour la retransmission le lendemain soir sur écran géant de… la finale de la Champions League de football "Barça,-Manchester United" ! La manifestation de la colère face à la pauvreté grandissante devait donc laisser sa place à quelque chose de bien plus important pour l'humanité (sic !) : la fête prévue au centre ville en cas de victoire du club de Barcelone ! Ce prétexte, évidemment crapuleux, permettait surtout d'évacuer de force un des lieux où la contestation avait pris une des tournures les plus “radicales” en mettant en cause l'exploitation du monde capitaliste.
Les occupants de la place ont essayé, avec détermination mais de manière totalement non violente, de résister à cette expulsion honteuse. Un groupe important de jeunes ont ainsi voulu bloquer l'accès à la place tandis que d'autres ont distribué des fleurs aux flics. Environ 200 "indignés" sont aussi restés assis au centre de la place. Les forces de police ont alors effectué plusieurs charges contre eux, à grands coups de matraque, tabassant une foule pacifique, les deux mains levées. Certains brandissaient des pancartes « Resistencia pacifica » (résistance pacifique). Un hélicoptère menaçant était en vol stationnaire au-dessus de la place tandis qu'une vingtaine de véhicules municipaux démontaient systématiquement les tentes de campement. Quelques bouteilles d'eau en plastique ont été lancées mais les manifestants sont restés calmes en majorité et ont répondu en scandant : « Me da verguenza » (ça me fait honte [le comportement des policiers]) ou « Donde esta la placa ? » (Où est la plaque [d'identification des policiers] ?). Un manifestant resté au centre de la place montrait une pancarte à l'intention de ceux qui étaient à l'extérieur : « Assemblea dice policia fuera, nosotras limpiamos la plaça. » (L'assemblée a dit : les policiers dehors, nous nettoyons la place). Un manifestant portait une pancarte avec les mots "ils ne pourront déloger nos rêves".
121 personnes ont été blessées lors de cette opération, dont une douzaine ont dû être hospitalisées. Un jeune a été gravement blessé avec un poumon perforé !
Un autre campement à Lérida (Lleida en Catalan), a également été évacué par la police le vendredi matin. Après le repli des forces de répression, en fin de matinée, les manifestants, de plus en plus nombreux ont réinvesti la place. En une seule après-midi, la cuisine assurant des repas gratuits, l'antenne médicale, la bibliothèque, le potager, etc., détruits le matin, ont été remis en service. Le point info a répondu aux questions tandis que le réseau social Twitter relayait une foule de commentaires indignés sur l'intervention de la police. Un tract a raconté l'évacuation et donné rendez-vous à 17h pour une manifestation partant de la statue de Christophe Colomb vers la place de Catalogne. Elle a rassemblé quelques milliers de personnes pour dénoncer les coupes budgétaires dans la santé et l'éducation. À 19h, la place était de nouveau noire de monde (entre 4 et 5000 personnes) pour une « cassolada » (concert de casseroles). A 21h, une pétition demandant la démission du ministre régional de l'intérieur était lancée. Les commissions (action, extension et diffusion, théâtre, art, etc.) se sont réunies à nouveau tandis qu'à la Puerta del Sol de Madrid, les manifestants, agitant des fleurs, criaient "Barcelone n'est pas seule". Des appels à des manifestations de soutien aux "indignés" de Barcelone ont été lancés, via Twitter, pour vendredi soir dans toutes les villes espagnoles.
Samedi soir, des milliers de manifestants se sont rassemblés pour continuer à montrer leur indignation et dénoncer les violences policières.
Alors oui, solidarité totale avec les matraqués de Barcelone et hommage à leur courage ! Non, nos camarades de Barcelone ne sont pas seuls, ce n'est pas une “révolution espagnole” : en Grèce, au Portugal, comme en Tunisie, en Egypte, au Maroc, le combat à mener est le même, comme partout dans le monde. Cette expérience de répression doit contribuer à dissiper certaines illusions démocratiques encore largement présentes chez les “indignés” et sur lesquelles s'appuie la classe dominante : elle doit faire prendre conscience que les violences policières ne sont que le bras armé de l'Etat capitaliste et qu'elles sont la seule réponse que peut nous offrir cet Etat qui nous fait subir quotidiennement la violence de son exploitation. Nous n'avons pas d'autre choix que de nous unir à l'échelle mondiale pour le renverser.
CCI (04 juin)
Nous publions ici une vidéo présentant une assemblée qui se tient dans la ville ouvrière de Tarrasa de la banlieue de Barcelone. On y voit notamment le personnel de l'hôpital de Tarrasa participer au mouvement et protester contre les attaques du gouvernement socialiste contre le système de santé publique.
Pendant plusieurs semaines, tous les États démocratiques, la France en tête, ont apporté leur caution au régime sanguinaire de Ben Ali. Un black-out presque total de l'information a été organisé alors que tous les gouvernements savaient pertinemment ce qui se passait en Tunisie. Tous les medias bourgeois ont justifié la désinformation en faisant croire que le pays était en proie à des émeutes, à une situation "confuse", "chaotique", "difficile à comprendre". Ils nous ont fait croire que personne ne savait ce qui se passait réellement. Mensonges ! La sauvagerie de la répression était connue dans le monde entier. Grâce aux vidéos, aux réseaux Internet utilisés par les jeunes manifestants, aux touristes et aux journalistes qui étaient sur place, l'information n'était pas "totalement verrouillée" comme l'ont affirmé tous les gouvernements et leurs médias aux ordres. C'est de façon délibérée que la loi et l'ordre du silence se sont imposés face aux exactions des assassins à la solde de Ben Ali. C'est de façon délibérée que les grèves, les manifestations de rue, la révolte dans les lycées et les universités ont fait l'objet d'un black out total afin que les prolétaires des pays démocratiques ne puissent pas se sentir concernés par la répression du mouvement et manifester leur solidarité.
Aujourd'hui, après la chute de Ben Ali, les langues se délient enfin et toutes les caméras sont braquées sur la "révolution" en Tunisie. Immédiatement après l'annonce officielle du départ de Ben Ali, pendant que l'état d'urgence est décrété et que l'armée est déployée dans tout le pays, les chaînes de télévision françaises nous ont abreuvés de scènes de la communauté tunisienne en liesse, notamment dans les quartiers de Paris. Alors que pendant plusieurs semaines, rien ne filtrait des manifestations quotidiennes réprimées dans le sang par la police, les images de la foule immense qui a envahi l'avenue Bourguiba à Tunis le 14 janvier sont maintenant largement diffusées et tournent en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Sur les plateaux télé, des personnalités de la classe politique (tel Bertrand Delanoë qui prétend, la main sur le coeur, n'avoir pas été en mesure de dénoncer l'atteinte aux "droits de l'homme"), des journalistes, des spécialistes et autres "envoyés spéciaux" sont invités dans un grand débat "démocratique" sur la situation en Tunisie qui est suivie heure après heure. Et bien sûr, tout ce joli monde prend maintenant hypocritement ses distances avec le régime de Ben Ali et glorifie "le courage et la dignité du peuple tunisien" (selon les propres termes de Barak Obama) qui a pu, "tout seul", se débarrasser du dictateur !
La chute de Ben Ali fait aujourd'hui la Une de tous les quotidiens alors que, pendant près d'un mois, le calvaire de la population tunisienne en proie à une répression féroce n'a pas fait couler beaucoup d'encre. Une telle hypocrisie n'est pas gratuite. Si les médias nous inondent maintenant d'informations en temps réel après plusieurs semaines de black out, ce n'est certainement pas parce que la classe dominante des États démocratiques serait aujourd'hui "aux côtés du peule tunisien", comme l'a affirmé avec un cynisme sans borne le gouvernement français (qui, 3 jours auparavant, se proposait de prêter main forte aux forces de répression de Ben Ali après que l'armée ait décidé de ne pas tirer sur la population !). Si la bourgeoisie des pays démocratiques, avec tout son appareil de manipulation médiatique, retourne aujourd'hui sa veste en encensant la "révolution du peuple tunisien", c'est parce qu'elle y trouve un intérêt évident. La débandade de Ben Ali lui donne une nouvelle opportunité de déchaîner une gigantesque campagne visant à vanter les bienfaits de la "démocratie" et de la mascarade électorale.
Les médias bourgeois continuent à mentir lorsqu'ils montent en épingle aujourd'hui la grève des avocats du 6 janvier que certains présentent comme l'élément moteur de la révolte qui aurait fait tomber la dictature de Ben Ali. Ils mentent lorsqu'ils prétendent que c'est une jeunesse cultivée appartenant à la "classe moyenne" qui a fait tomber le dictateur. Ils mentent lorsqu'ils mettent en avant que la seule aspiration de la classe exploitée et des jeunes générations qui ont été au cœur du mouvement est celle de la liberté d'expression. Ils mentent lorsqu'ils occultent aujourd'hui les raisons profondes de la colère : la misère et le chômage qui touche 55% des jeunes diplômés et ont provoqué plusieurs suicides au début du mouvement. C'est cette réalité, résultant de l'aggravation de la crise économique mondiale, que la campagne médiatique, orchestrée autour de la chute de Ben Ali, s'efforce aujourd'hui de masquer. Le seul objectif de cet engouement des médias pour la "révolution tunisienne" vise à intoxiquer la conscience des exploités, à dévoyer leurs luttes contre la misère et le chômage sur le terrain de la défense de l'État démocratique bourgeois qui n'est rien d'autre que la forme la plus sournoise, la plus hypocrite, de la dictature du capital.
Sofiane (14 janvier)
En juin 2010, le gouvernement Zapatero a réduit les salaires des fonctionnaires de 5%, et c’est maintenant le gouvernement régional de Murcie [Sud-est de l’Espagne] du Parti Populaire [droite] qui les réduit de 7%. Mais les fonctionnaires se sont refusés à avaler la pilule aussi facilement...
Nos camarades du CCI en Espagne ont fait cette prise de position.
Il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle tuile ne tombe sur l’ensemble des travailleurs de toutes conditions :
Plus de 17 millions de foyers vont être frappés par l’augmentation du prix de l’électricité de 9,8% , ce qui représente une hausse de ces tarifs de 43% en 3 ans.
À Alboraia et Xátiva (Valence), les mairies ont ouvert un ERE1 de 44 et 60 licenciements, ce qui peut paraître un chiffre symbolique et « local », mais qui ouvre en fait la voie aux extensions des ERE à bien d’autres communes.2
Dans la région de Murcie, le gouvernement régional PP (droite) de Valcarcel annonce une loi, pompeusement dénommée « Mesures extraordinaires pour la 'soutenabilité'3 des Finances Publiques », ce qui veut dire concrètement une réduction mensuelle du salaire des fonctionnaires de 75 € (7% de réduction salariale qui vient s’ajouter à celle de 5% de juin) et une augmentation de l’horaire hebdomadaire de travail entre 3 et 5 heures.
Le contexte actuel dans lequel ces mesures sont prises est celui d’une aggravation de la crise mondiale et sa concrétisation en Espagne dans le contexte d'un déficit public effréné qui s’il est déjà très grave au niveau central, est encore plus dangereux au niveau des régions et des communes. C’est pour cela qu’un nouveau train de mesures de « réajustement » a été entamé dans les administrations régionales et locales. Ainsi, le gouvernement central avait interdit aux gouvernements régionaux de Murcie et de Castille-La Mancha de s’endetter davantage, ce qui a sans doute poussé la région de Murcie à prendre ces mesures.
Les protestations des travailleurs ne se sont pas faites attendre. « Mercredi soir, 10 000 personnes ont encerclé le domicile du président Valcárcel sur la Gran Vía [de la ville de Murcie], qui n’a pas pu assister à une commémoration. Ce même soir, trois dirigeants conservateurs du Parti Populaire furent bousculés et insultés et ont fini par se réfugier dans l’église de Santo Domingo, au centre ville. Les protestations ont continué devant le siège de l’Assemblée Régionale à Carthagène, où 5000 travailleurs ont lancé des œufs contre les députés qui entraient dans le bâtiment, en essayant par la suite d’y entrer aux cris de « Nous sommes la majorité, nous voulons y entrer ». Ils ont été repoussés par la Police nationale, qui a utilisé des matraques et des flash-ball pour empêcher l’assaut de la part des fonctionnaires. Les affrontements se sont soldés avec un travailleur blessé à la tête. La foule portait des pancartes où il était écrit des slogans comme : « Députés, baissez votre propre salaire ! » ou « Valcarcel, minable, baisse ton salaire à toi » (résumé d’agences).
Le 29 décembre, une nouvelle manifestation est partie de la place de la Fuensanta avec 15 000 travailleurs, selon les agences de presse. Les syndicats ont annoncé de nouvelles mobilisations.
Dans la manifestation, un travailleur de la Santé dénonçait le licenciement de 600 intérimaires. Sur une pancarte qu’il tournait vers le public qui regardait sur le trottoir, il avait ajouté : CECI VOUS CONCERNE !. Peut-être parce que c’est bien là un sentiment très répandu, un syndicat, le STERM [Syndicat de l’enseignement], faisait un appel aux « citoyens » pour qu’ils « se mobilisent aussi, parce ce que ce dont on parle c’est de la quantité et de la qualité de l’enseignement, de la santé, de la politique sociale et de l’ensemble du service public de la région de Murcie ».
Est-ce qu’il s’agit d’un problème limité à la région de Murcie ? Est-une affaire qui ne concerne que les fonctionnaires ?
Les syndicats limitent le problème aux gaspillages du dépensier gouvernement murcien qui a rempli la région de lotissements et de terrains de golf. Et c’est ainsi qu’ils ont limité les appels à la mobilisation aux seuls fonctionnaires, comme si les chômeurs, les retraités ou les étudiants n’étaient pas concernés. Cette façon de présenter les chosesr est typique de l’idéologie et de la pratique syndicale avec lesquelles nous devrons rompre.
Face à chaque attaque, les syndicats ne font que répéter que la faute en incombe à tel ou tel gouvernant, tel ou tel parti, telle ou telle région, tel ou tel patron. Ce serait toujours quelque chose de spécifique, de particulier et corporatif, qui n’aurait rien à voir avec l’ensemble des travailleurs et de la population exploitée. Il ne s’agirait pas d’une situation causée par le système capitaliste, mais d’une situation qui pourrait se résoudre à l’intérieur de ce système en changeant de politique ou de politiciens ou en mettant en avant la défense du service public face aux intérêts privés.
Les explications sont aussi fausses que les solutions ! On peut vérifier jour après jour que les problèmes concernent le monde entier et qu’ils ne sont pas la conséquence d’une politique économique donnée, mais qu’ils sont le résultat de toutes les politiques et de tous les gouvernements, ce qui ne peut que nous amener à en déduire qu’ils viennent du système capitaliste mondial lui-même.
De plus, ce raisonnement syndicaliste qui consiste à dire que le problème est celui d’un secteur ou d’une région ou qu’il est dû à tel ou tel personnage particulièrement « mauvais », « incompétent » ou « corrompu », a une conséquence pratique : celle de pousser à lutter dans l’isolement, enfermé dans les murs étanches du secteur ou de la corporation.
On se berce de l’illusion selon laquelle si les fonctionnaires font beaucoup de bruit, sont très radicaux dans leurs actions, s’ils paralysent les administrations, les hôpitaux et les écoles, ils vont obliger le gouvernement ou le patron en place à reculer.
Est-ce que nous avons face à nous seulement le patron X ou le gouvernement régional Y ? Non, absolument pas ! Le gouvernement « bleu » (conservateur) du PP dans la région de Murcie est soutenu par le gouvernement central « rose » (social-démocrate) du PSOE. La représentante du gouvernement central de Murcie, du PSOE, dans un bel étalage d’hypocrisie, s’est permis d’aller à la manifestation du 23 et de mettre la loi sur le dos du « gouvernement dépensier » de Valcarcel. Mais, en même temps, la police, qui dépend de cette déléguée du gouvernement, allait à la manifestation pour défendre le gouvernement régional en tapant brutalement sur les travailleurs. Au-delà des bonnes paroles ou des « critiques » plus ou moins bien ficelées, le gouvernement régional et le gouvernement central sont un seul et même ennemi contre les travailleurs, le PP et le PSOE savent très bien travailler ensemble sur des « affaires d’Etat ». Imposer l’austérité aux travailleurs et réprimer leur lutte est une « affaire d’État » par excellence.
Mais, est-ce que les autres travailleurs vont rester les bras croisés, en regardant comment on impose les baisses de salarie à leurs camarades de Murcie ?
Ce que le gouvernement central ou les gouvernements régionaux imposent à un secteur isolé lui sert de précédent pour finir par l’imposer aux autres. En février, les contrôleurs aériens ont subi une baisse salariales de… 33% ! Cette attaque d'un secteur pointé du doigt et rendu « impopulaire » a servi de levier pour imposer en juin une baisse de 5% aux fonctionnaires et c’est maintenant le 7% imposé au secteur public de la région de Murcie. À la suite de ces expériences, peut-on être sûr que d’autres baisses ne vont pas tomber venant d’autres régions ou d’autres communes ? Est-ce qu’on peut considérer séparément ces baisses salariales et la suppression de l’allocation de 426 € aux chômeurs en fin de droits ?
Si, face à une attaque contre une partie des travailleurs, on se croit à l’abri en pensant « ça ne me concerne pas ! », on ne fait que laisser les mains encore plus libres aux gouvernements et au patronat pour imposer leurs mesures à tout un chacun.
D’abord les contrôleurs aériens, maintenant les fonctionnaires de Murcie, qui va être le suivant ?
Nous sommes tous attaqués : la reforme du code du Travail, les baisses de salaires des fonctionnaires, la suppression des 426 € pour les chômeurs, la prochaine reforme de la retraite et des négociations collectives, les « politiques actives de l’emploi » qui menacent les chômeurs, l’augmentation de l’électricité…
Ce sont là les seules branches mortes qui peuvent sortir d’un tronc pourri : la crise du capitalisme. La seule « solution » pour celui-ci c’est d’essayer de soutirer le maximum en faisant peser sa crise le dos de tous les exploités.
Nous avons besoin de développer un fort et profond sentiment de solidarité : si un secteur ouvrier est attaqué, tous les autres doivent se sentir attaqués. Lorsqu’un secteur est attaqué, nous devons tous développer toutes les actions de lutte à notre portée pour exprimer cette solidarité.
Le gouvernement et ses médias de désinformation racontent toujours la même histoire : il s’agirait de réduire tel ou tel « privilège » de telle ou telle catégorie de travailleurs. Les médias, à plat ventre devant le pouvoir, ne peuvent que nous présenter le monde à l’envers. Rendre encore plus intenables les conditions de travail, rendre les conditions de vie encore plus précaires, moins sures, plus misérables pour tous les travailleurs, ces misérables paillassons appellent ça « réduire les privilèges ». Lorsque le ministre de l’industrie présente l’augmentation de l’électricité comme « renoncer au simple privilège de prendre un café », il ne fait pas seulement acte de démagogie insultante, mais il essaye de cacher la simple et dure réalité : l’augmentation de l’électricité va obliger beaucoup de foyers qui ont déjà des problèmes jusqu’au cou, à renoncer à un repas. Et ces carpettes de la « communication » de « le courage » dudit ministre, comme ils ont salué la virile détermination de Zapatero et de son vice-président pour mater ces « privilégiés » de contrôleurs du ciel.4
Face à de tels tirs de barrage de mesures accompagnées chaque fois d’une campagne médiatique écrasante, chaque lutte des travailleurs doit s’organiser en assemblées ouvertes où puissent participer des travailleurs d’autres secteurs, des chômeurs, des étudiants, des retraités. Des assemblées ouvertes et unitaires pour suivre l’exemple d’autres qui ont pu se dérouler en France ou en Grande-Bretagne.
Chaque manifestation doit s’ouvrir à l’ensemble de la population exploité, doit devenir une tribune où les chômeurs, les immigrés, les étudiants, les retraités et les ouvriers des autres secteurs puissent aussi exprimer leur mécontentement, puissent rechercher et construire leur unité, puissent s’affirmer comme une force sociale d'ensemble face à la déferlante de misère que les gouvernements de toute couleur et quelle que soit son étiquette ont lancé contre tous.
CCI, 31-12-10
1 ERE : « Expediente de Regulación de Empleo », Plan social de restructuration de l’emploi, ou autrement dit en termes moins bureaucratiques « charrette de licenciements »
2 Il y a 17 régions en Espagne (dont Murcie), qui ont plus « d’autonomie » qu’ailleurs et qui se sont surtout endettées sans compter, par le biais, entre autres, d’un réseau insensé de Caisses d’Épargne de toutes sortes, vérolées par les dettes immobilières. Quand aux communes, pour comprendre l’importance de ces « charrettes », il faut savoir qu’elles ont en Espagne plus de poids et sont bien plus étendues qu’en France.
3 Nous nous permettons ce néologisme pour essayer de traduire le jargon administratif.
4 À coté de ceux qui saluent « l’épique présidentialiste » du chef Zapatero, quelqu’un de « capable de prendre des mesures risquées et impopulaires », il arrive que des éditorialistes trouvent que « ça va trop loin », qui « s’indignent » des « exigences des marchés » et du fait que tout tombe sur les mêmes. Il y a même des responsables du PSOE qui « ont des états d’âme », qui se voient en « prostitués » face aux « marchés », parce que, autrement, « ils disparaitraient » (déclarations d’Ibarra, représentant de l’aile gauche du PSOE). On peut rassurer Ibarra : ils ne disparaitront pas tant que le capital aura besoin d’eux, en tant que prostitués ou en tant que chef maquerelle.
Nous venons de recevoir des nouvelles de Corée selon lesquelles huit militants de la "Socialist Workers' League of Korea" (Sanoryun) ont été arrêtés et accusés en vertu de l’infâme "Loi de sécurité nationale".1 Ils sont susceptibles d'être condamnés le 27 janvier.
Il ne fait aucun doute que c'est un procès politique, et une parodie de ce que la classe dirigeante aime à appeler sa "justice". Trois faits en témoignent:
Premièrement, le fait que les tribunaux sud-coréens eux-mêmes aient à deux reprises rejeté les charges de la police contre ceux qui étaient arrêtés.2
Deuxièmement, le fait que les militants soient accusés de "constitution d'un groupe au profit de l'ennemi" (c’est-à-dire de la Corée du Nord), malgré le fait que Oh Se-Cheol et Nam Goong Won, entre autres, étaient signataires de la "Déclaration internationaliste depuis la Corée contre la menace de guerre", d'octobre 2006, qui dénonçait les essais nucléaires en Corée du Nord et déclarait notamment que: "L'Etat capitaliste nord-coréen (...) n'a absolument rien à voir avec la classe ouvrière ou le communisme, et n'est rien d'autre qu'une version extrême et grotesque de la tendance générale du capitalisme décadent vers la barbarie militariste.3
Troisièmement, le discours d'Oh Se-Cheol ne laisse aucun doute sur le fait qu'il s'oppose à TOUTES les formes du capitalisme, y compris le capitalisme d'Etat nord-coréen.
Ces militants sont accusés de rien d'autre que du délit d'opinion d'être des socialistes. En d'autres termes, ils sont accusés d'inciter les travailleurs à défendre eux-mêmes, leurs familles et leurs conditions de vie, et de révéler ouvertement la vraie nature du capitalisme. Les peines requises par le ministère public ne sont qu'un exemple de plus de la répression infligée par la classe dirigeante de la Corée du Sud contre ceux qui osent se mettre en travers de son chemin. Cette répression brutale avait déjà pris pour cible les jeunes mères de la "brigade des poussettes" qui avaient emmené leurs enfants aux manifestations à la chandelle de 2008 et qui, plus tard, avaient été en butte au harcèlement judiciaire et policier.4 Elle avait aussi pris pour cible les travailleurs de Ssangyong qui avaient été passé à tabac par la police anti-émeute qui avait envahi leur usine occupée.5
Face à la perspective de lourdes peines de prison, les militants arrêtés se sont conduits au tribunal avec une dignité exemplaire, et ils ont profité de l'occasion pour exposer clairement la nature politique de ce procès. Nous reproduisons ci-dessous une traduction du dernier discours de Oh Se-Cheol devant le tribunal.
Depuis la provocation du bombardement de Yeonpyeong Island en novembre de l'an dernier, et le meurtre de civils par les canons du régime nord-coréen, les tensions militaires dans la région se sont aggravées. Les Etats-Unis ont répondu par l'envoi d'un porte-avions nucléaire dans la région pour mener des exercices militaires conjoints avec les forces armées sud-coréennes. Dans cette situation, l'affirmation selon laquelle l'humanité est aujourd'hui face au choix entre le socialisme et la barbarie sonne plus vraie que jamais.
La propagande des Etats-Unis et de ses alliés se plaît à dépeindre la Corée du Nord comme un "Etat voyou", dont la clique dirigeante vit dans le luxe grâce à la répression impitoyable de sa population affamée. Cela est certainement vrai. Mais la répression infligée par le gouvernement sud-coréen aux mères, aux enfants, aux travailleurs qui luttent, et maintenant aux militants socialistes montre assez clairement, en dernière analyse, que toute bourgeoisie nationale règne par la peur et la force brutale.
Face à ce constat, nous déclarons notre entière solidarité avec les militants arrêtés, malgré les désaccords politiques que nous pouvons avoir avec eux. Leur lutte est notre lutte. Nous adressons notre plus sincère solidarité à leurs familles et à leurs camarades. Nous serons heureux de transmettre aux camarades les messages de soutien et de solidarité que nous pouvons recevoir à l'adresse suivante: international [@] internationalism.org.6
(Ce qui suit est le texte du discours d'Oh Se-Cheol, traduit par nous du coréen)
Plusieurs théories ont tenté d'expliquer les crises qui ont eu lieu tout au long de l'histoire du capitalisme. Une d'entre elles est la théorie des catastrophes, qui soutient que le capitalisme va s'effondrer de lui-même au moment où les contradictions capitalistes arriveront à leur point le plus élevé, laissant la place à un nouveau millénaire paradisiaque. Cette position extrême, apocalyptique ou anarchique a créé de la confusion et des illusions par rapport à la compréhension des souffrances du prolétariat face à l'oppression et l'exploitation capitalistes. Beaucoup de gens ont été infectés par ce point de vue non-scientifique.
Une autre théorie est celle, optimiste, que la bourgeoisie ne cesse de répandre. Selon cette théorie, le capitalisme a lui-même les moyens de surmonter ses propres contradictions et l'économie réelle fonctionne bien en éliminant la spéculation.
Une position plus raffinée que les deux mentionnées ci-dessus, et qui a fini par l'emporter sur les autres, estime que les crises capitalistes sont périodiques, et que nous devons seulement attendre tranquillement jusqu'à ce que la tempête soit terminée pour aller de nouveau de l'avant.
Une telle position était appropriée pour le capitalisme au 19e siècle : elle ne l'est plus pour les crises capitalistes des 20e et 21e siècles. Les crises capitalistes au 19e siècle ont été des crises appartenant à la phase du capitalisme en expansion illimitée, que Marx dans le Manifeste du Parti Communiste a appelées l'épidémie de la surproduction. Cependant, la tendance à la surproduction débouchant sur la famine, la pauvreté et le chômage n'avait pas pour cause un manque de biens, mais parce qu'il y avait trop de biens, trop d'industrie et trop de ressources. Une autre cause des crises capitalistes est l'anarchie du système capitaliste basée sur la concurrence. Au 19e siècle, les rapports de production capitalistes pouvaient être élargis et approfondis grâce à la conquête de nouvelles zones pour gagner du travail salarié et de nouveaux débouchés pour les produits et ainsi les crises, durant cette période, étaient comprises comme les pulsations d'un coeur en bonne santé.
Au 20e siècle, ce fut la fin de la phase ascendante du capitalisme avec le tournant de la Première Guerre mondiale. A partir de ce moment, les rapports capitalistes de production des matières premières et du travail salarié avaient été élargis à travers toute la planète. En 1919, l'Internationale Communiste a appelé le capitalisme de cette époque comme la période "des guerres ou des révolutions". D'une part, la tendance capitaliste à la surproduction a poussé vers la guerre impérialiste dans le but de s'approprier et de contrôler le marché mondial. D'autre part, à la différence du 19e siècle, cette tendance rend l'économie mondiale dépendante d'une crise semi-permanente qui amène instabilité et destruction.
Une telle contradiction a donné lieu à deux événements historiques, la Première Guerre mondiale et la crise mondiale de 1929 qui ont coûté 20 millions de morts et un taux de chômage de 20 à 30%, ce qui a ouvert la voie, d'un côté, aux soi-disant "pays socialistes" avec le capitalisme d'Etat par la nationalisation de l'économie, et aux pays libéraux, avec une combinaison de bourgeoisie privée et de bureaucratie étatique, de l'autre.
Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme, y compris les soi-disant "pays socialistes", a connu une prospérité extraordinaire résultant de 25 années de reconstruction et de dettes accumulées. Cela a conduit la bureaucratie gouvernementale, les dirigeants syndicaux, les économistes et les soi-disant "marxistes" à déclarer haut et fort que le capitalisme avait définitivement surmonté sa crise économique. Mais la crise a constamment empiré comme le montrent les exemples suivants: la dévaluation de la livre sterling en 1967, la crise du dollar en 1971, le premier choc pétrolier en 1973, la récession économique de 1974-75, la crise d'inflation en 1979, la crise du crédit en 1982 , la crise de Wall Street en 1987, la récession économique en 1989, la déstabilisation des monnaies européennes en 1992-93, la crise des "tigres" et des "dragons" d'Asie en 1997, la crise de la "nouvelle économie" américaine en 2001, la crise des subprimes en 2007, la crise financière de Lehman Brothers, etc., et la crise financière de 2009-2010.
Est-ce là une série de "crises cycliques", une "crise périodique"? Pas du tout! Cela est le résultat de la maladie incurable du capitalisme, de la rareté des marchés par rapport à la capacité de payer, de la baisse du taux de profit. Au moment de la grande dépression mondiale en 1929, le pire ne s'est pas produit à cause d'une gigantesque intervention des Etats. Mais les cas récents de crise financière et économique montrent que le système capitaliste ne peut plus survivre avec l'aide de ces mesures instantanées de renflouement de l'argent des Etats ou des dettes de l'Etat. Le capitalisme est maintenant face à une impasse en raison de l'impossibilité de l'expansion des forces productives. Cependant, le capitalisme est engagé dans une lutte à mort contre cette impasse. Autrement dit, il dépend sans cesse du crédit d'Etat et de l'écoulement de la surproduction par la création de marchés fictifs.
Pendant 40 ans, le capitalisme mondial a échappé à la catastrophe échappant au moyen de crédits immenses. Le crédit pour le capitalisme joue le même rôle que la drogue pour un toxicomane. Finalement ces crédits vont se retrouver comme un fardeau exigeant le sang et la sueur des travailleurs à travers le monde. Ils se traduiront également par la pauvreté des travailleurs à travers le monde, par des guerres impérialistes, et par des catastrophes écologiques.
Le capitalisme est-il en déclin? Oui. Il ne va pas s'écrouler soudainement, mais nous nous trouvons dans une nouvelle étape dans la chute d'un système, la dernière étape dans l'histoire du capitalisme, qui tire à sa fin. Nous devons sérieusement nous rappeler le vieux slogan d'il y a 100 ans: "guerre ou révolution?" Et encore une fois développer la compréhension historique de l'alternative "socialisme ou barbarie" et la pratique du socialisme scientifique. Cela signifie que les socialistes doivent travailler ensemble et s'unir, qu'ils doivent se tenir fermement sur la base du marxisme révolutionnaire. Notre objectif est de vaincre le capitalisme basé sur l'argent, les marchandises, le marché, le travail salarié, et la valeur d'échange, et de construire une société de travail libéré, dans une communauté d'individus libres.
Les analyses marxistes ont confirmé que la crise générale du mode de production capitaliste a déjà atteint son point critique en raison de la baisse du taux de profit et de la saturation des marchés dans le processus de production et de réalisation de la plus-value. Nous nous trouvons face à l'alternative entre le capitalisme, qui signifie la barbarie et le socialisme, le communisme, qui signifie la civilisation.
Premièrement, le système capitaliste arrive au point où il ne peut même plus nourrir les esclaves du travail salarié. Chaque jour, partout dans le monde, cent mille personnes meurent de faim et, toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 5 ans meurt de faim. 842 millions de personnes souffrent de sous-alimentation permanente et un tiers d'une population de 6 milliards se bat chaque jour pour sa survie à cause du renchérissement des denrées alimentaires.
Deuxièmement, le système capitaliste actuel ne peut pas maintenir l'illusion de la prospérité économique.
Les miracles économiques de l'Inde et de la Chine se sont révélés être des illusions. Au cours du premier semestre de 2008, en Chine, 20 millions de travailleurs ont perdu leur emploi et 67.000 entreprises ont fait faillite.
Troisièmement, une catastrophe écologique est attendue. Par rapport au réchauffement de la planète, la température moyenne de la terre a augmenté de 0,6% depuis 1896. Au 20e siècle, l'hémisphère nord a connu le réchauffement le plus grave des 1000 dernières années. Les zones couvertes de neige ont diminué de 10% depuis la fin des années 1960 et la couche de glace au pôle Nord a diminué de 40%. Le niveau moyen des mers a augmenté de 10 à 20% au cours du 20e siècle. Une telle augmentation signifie une augmentation 10 fois supérieure à celle des 3000 dernières années. L'exploitation de la terre au cours des 90 dernières années a pris la forme de la déforestation sauvage, de l'érosion des sols, de la pollution (air, eau), de l'utilisation de produits chimiques et matières radioactives, la destruction des animaux et des plantes, de l'apparition de terribles épidémies. La catastrophe écologique peut être vue sous une forme intégrée et globale. Il est donc impossible de prévoir exactement avec quelle gravité ce problème se développera dans l'avenir.
Comment s'est donc développée l'histoire de la lutte de classe contre la répression et l'exploitation capitalistes?
La lutte de classe existe en permanence, mais elle n'a pas été couronnée de succès. La Première Internationale a échoué en raison de la puissance du capitalisme dans sa période ascendante. La Deuxième Internationale a échoué en raison du nationalisme et de l'abandon de son caractère révolutionnaire. Et la Troisième Internationale a échoué en raison de la contre-révolution stalinienne. En particulier, les courants contre-révolutionnaires ont, depuis 1930, induit en erreur les travailleurs sur la nature du capitalisme d'Etat qu'ils ont appelé le "socialisme". En fin de compte, ils ont joué un rôle de soutien au système capitaliste mondial, dans sa répression et son exploitation du prolétariat mondial par le biais du déguisement de l'affrontement entre deux blocs.
En outre, selon la campagne bourgeoise, la chute du bloc de l'Est et du système stalinien a été une "victoire évidente du capitalisme libéraliste", 'la fin de la lutte de classes" et même la fin de la classe ouvrière elle-même. Une telle campagne a conduit la classe ouvrière à un grave recul au niveau de sa conscience et de sa combativité.
Au cours des années 1990, la classe ouvrière n'a pas complètement renoncé, mais elle n'avait pas le poids ni la capacité correspondant à celles des syndicats qui avaient été les organes de lutte dans une période précédente. Mais les luttes en France et en Autriche contre les attaques sur les retraites ont constitué un point tournant pour la classe ouvrière, depuis 1989, pour reprendre son combat. La lutte ouvrière s'est le plus développée dans les pays centraux: la lutte à Boeing et la grève des transports à New York aux Etats-Unis en 2005, les luttes de Daimler et d'Opel en 2004, celle des médecins, au printemps 2006, la lutte à Telekom en 2007, en Allemagne, la lutte à l'aéroport de Londres en août 2005 en Grande-Bretagne et la lutte anti-CPE en France en 2006. Dans les pays de la périphérie, il y a eu la lutte au printemps 2006 à Dubaï, celle des travailleurs du textile au Bangladesh au printemps 2006, la lutte des travailleurs du textile au printemps 2007 en Egypte.
Entre 2006 et 2008, la lutte de la classe ouvrière mondiale est en expansion dans le monde entier, en Egypte, à Dubaï, en Algérie, au Venezuela, au Pérou, en Turquie, en Grèce, en Finlande, en Bulgarie, en Hongrie, en Russie, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, aux Etats-Unis et en Chine. Comme l'a montré la lutte récente en France contre la réforme des retraites, la lutte de classe doit devenir de plus en plus largement offensive.
Comme montré ci-dessus, la tendance finale de la décadence du capitalisme mondial et la crise qui pèse sur la classe ouvrière ont inévitablement provoqué des luttes ouvrières partout dans le monde, contrairement aux crises que nous avons connues auparavant.
Nous nous trouvons maintenant devant l'alternative, à vivre dans la barbarie, non comme des êtres humains mais comme des animaux ou à vivre heureux dans la liberté, l'égalité et la dignité humaine.
La profondeur et l'importance des contradictions du capitalisme coréen sont plus graves que celles des pays dits avancés. La souffrance des travailleurs coréens semble être beaucoup plus grande que celle des travailleurs dans les pays européens. C'est une question de vie humaine de la classe, qui ne peut se mesurer avec les vaines prétentions du gouvernement coréen de jouer à être l'hôte de la réunion du sommet du G20, ou l'étalage de données quantitatives d'indices économiques.
Le capital est international, de par sa nature. Les différents capitaux nationaux ont toujours été en concurrence et en conflits, mais ils ont collaboré ensemble pour maintenir le système capitaliste, pour cacher ses crises et attaquer les travailleurs en tant qu'êtres humains. Les ouvriers ne se battent pas contre les capitalistes, mais contre le système capitaliste qui n'agit que pour l'augmentation de ses bénéfices et à cause d'une concurrence illimitée.
Historiquement, les marxistes ont toujours lutté aux côtés de la classe ouvrière, qui est maître de l'histoire, en révélant la nature des lois historiques de la société humaine et celle des lois des systèmes sociaux, en montrant l'orientation vers le monde de la véritable vie humaine et en dénonçant les obstacles représentés par des systèmes et des lois inhumaines.
Pour cette raison, ils ont construit des organisations comme les partis et ont participé de façon concrète aux luttes. Au moins depuis la Seconde Guerre mondiale, de telles activités pratiques des marxistes n'ont encore jamais connu de contraintes judiciaires. Leur pensée et leur pratique ont plutôt été très appréciées en tant que contributions au progrès de la société humaine. De tels chefs-d'oeuvre de Marx, comme Le Capital ou Le Manifeste du Parti Communiste, ont été lus aussi largement que la Bible.
Le cas du SWLK est historique, il montre au monde entier la nature barbare de la société coréenne à travers sa répression de la pensée, et serait comme une tache dans l'histoire des procès du socialisme dans le monde. Dans l'avenir, il va y avoir des mouvements socialistes plus ouverts et plus massifs. Les mouvements marxistes seront largement et puissamment développés dans le monde et en Corée. L'appareil judiciaire traitera de cas de violence organisée, mais il ne pourra pas supprimer les mouvements socialistes, les mouvements marxistes, parce qu'ils vont se poursuivre indéfiniment, aussi longtemps que l'humanité et les travailleurs existeront.
Les mouvements socialistes et leur pratique ne peuvent pas être victimes de peines judiciaires. Au contraire, ils doivent être un exemple de respect et de confiance. Voici mes derniers mots:
Abolir la loi de sécurité nationale qui supprime la liberté de pensée, de la science et de l'expression!
Arrêtez la répression par la puissance du capital contre les luttes ouvrières qui sont le véritable acteur de l'histoire!
Travailleurs du monde entier, unissez-vous afin d'abolir le capitalisme et construire une communauté d'individus libres!
1 Oh Se-Cheol, Yang Hyo-sik, Yang Jun-seok, et Choi Young-ik risquent sept ans de prison, et Nam Goong Won, Park Jun-Seon, Jeong Won-Hyung, Oh et Min-Gyu risquent cinq ans. Au pire, la Loi de sécurité nationale prévoit la peine de mort contre les accusés.
2 Voir cet article sur le site anglais du Hankyoreh [209].
3 Voir le texte de la déclaration [210].
5 Voir l'assaut de la police filmé sur YouTube [212].
6 Nous attirons également l'attention de nos lecteurs sur l'initiative de protestation lancée par Loren Goldner [213]. Bien que nous partagions le scepticisme de Loren par rapport à l'efficacité de "l'écriture" dans les "campagnes par e-mail", nous sommes d'accord avec lui sur le fait "qu'une attention internationale portée sur cette affaire pourrait bien avoir un effet sur la condamnation définitive de ces militants exemplaires".
En novembre et décembre 2010, des manifestations contre certains aspects des coupes dans l'éducation ont montré que l'application de mesures d'austérité se trouve confrontée à une certaine résistance en Grande-Bretagne. Nous publions ici des extraits d'un rapport interne de World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, adaptés à notre presse publique. C'est une contribution à la large discussion que les événements récents ont provoqué. Nous avons l'intention de publier un texte distinct sur l'intervention du CCI dans le mouvement dans un proche avenir.
Ce slogan a été scandé à l'une des nombreuses manifestations qui ont eu lieu spontanément à travers la Grande-Bretagne, le 24 novembre. Des dizaines de milliers de collégiens, de lycéens (16-18 ans) et d'étudiants en formation continue sont descendus dans la rue pour protester contre les projets du gouvernement de coalition de supprimer « l'Education Maintenance Allowance », un paiement hebdomadaires d'un maximum de 30 £ pour les étudiants les plus pauvres, d'augmenter les frais universitaires de 3000 £ par an à un maximum de 9000 £, de réduire le financement de l'enseignement universitaire de 100 % pour les sciences humaines et jusqu'à 95 % pour le reste. Une partie importante de la jeune génération pense qu'on lui a volé son avenir, et n'est pas disposée à accepter ces mesures passivement.
Cette génération, face à l'aggravation de la crise, est profondément consciente de la nécessité d'acquérir une qualification universitaire ou professionnelle. Ces jeunes sont aussi pleinement conscients de l'alternative, soit devenir l'un des 1 000 000 de moins de 18 ans sans formation, sans allocation ni emploi, que le système abandonne littéralement sans rien (« vous ne pouvez prétendre à aucune prestation tant que vous n'avez pas 18 ans »), soit avoir un travail faiblement rémunéré, sans qualification. On leur a profondément enfoncé cela dans le crâne dès leur plus jeune âge, et tout à coup on leur dit qu'ils n'obtiendront aucune aide au collège et que, s’ils arrivent à l'université, ils seront confrontés à jusqu'à 50.000 £ de dettes, qu'ils auront à rembourser pendant des décennies.
L'attaque sur l'EMA est particulièrement importante pour ce mouvement parce que c'est un élément essentiel du salaire social pour de nombreuses familles ouvrières. Elle sert à payer les déplacements au collège, les livres, le papier et la nourriture, tout au moins en partie. Compte tenu du coût élevé des transports dans les grandes villes et les zones rurales, sa perte aura pour conséquence de restreindre l'accès à l'enseignement supérieur aux étudiants les plus pauvres. Les plus jeunes ont vu cela comme une attaque non seulement contre eux, mais aussi contre leur famille et, dans de nombreux cas, contre toute la classe ouvrière. C'est cette attaque qui a fait que le mouvement s'est tellement étendu dans les villes et villages à travers toute l'Angleterre. Les lycéens les plus âgés et les étudiants en formation continue ont pris possession de la rue là où il n'y a pas d'université. Ces jeunes prolétaires ont été à l'avant-garde de ce mouvement.
Il y a seulement quelques semaines, les médias britanniques se moquaient de la lutte sociale en France, comme étant typique de ces latins au 'sang chaud' qui descendent dans la rue à tout moment. Dans le même temps, ils louaient le 'sens commun', le pragmatisme et la passivité de la classe ouvrière en Grande-Bretagne.
The Independant, 21 octobre 2010
Le 10 Novembre, la vague de protestations des étudiants qui balaie le monde depuis 2006, à travers la France, la Grèce, l'Allemagne, les États-Unis, Puerto Rico et l'Italie, s'est abattue sur les rivages des îles britanniques dans une onde de tempête de combativité parmi les enfants de la classe ouvrière. Le siège spontané du quartier général du Parti Tory, lors de la première manifestation des étudiants contre les attaques sur l'enseignement supérieur, a mis le feu à la poudrière de mécontentement qui couve depuis des années. Encouragé par l'exemple pratique des étudiants refusant d'être parqués dans une vaine manifestation allant des points A à B et, au contraire, prenant les choses en main dans les environs du QG du Parti Tory et, complètement indifférent à la réaction furieuse de la classe dirigeante et de ses médias, le mouvement a connu quatre semaines de manifestations, d'occupations d'écoles, de collèges et d'universités et une défiance de plus en plus ouverte des forces répressives de l'État.
Une marée de combativité ouvrière a traversé le pays, au cours de laquelle les lycéens et les étudiants ont montré leur capacité d'auto-organisation. Dans certains établissements, les élèves ont organisé des réunions pour discuter des attaques : il y a eu des exemples de plusieurs établissements qui ont coordonné leurs actions et des discussions à travers les villes, des manifestations ont été appelées via Facebook, des occupations d'universités ont ouvert leurs discussions à quiconque voulait se joindre à elles, elles ont diffusé leurs discussions par Internet et créé des forums où les gens pouvaient envoyer des messages de solidarité ou entrer en discussion avec elles. A Londres, certains étudiants sont allés à la rencontre des piquets de grève du métro (lesquels, en retour, ont manifesté leur solidarité lors la dernière manifestation à Londres), cependant que les occupants du University College London ont réussi à effectuer le paiement d'un 'salaire minimum' au personnel de nettoyage de l'université , ce qui était une de leurs revendications.
Ces expressions d'auto-organisation n'ont pas été aussi étendues et aussi claires que lors du mouvement anti-CPE en France en 2006 mais elles ont certainement exprimé la même dynamique vers la mobilisation massive d'une génération de jeunes travailleurs pour se défendre.
En l'espace d'un mois, cette explosion de combativité s'est exprimée à travers le siège du QG du Parti Tory. Près de 30 000 lycéens, étudiants et autres manifestants ont ouvertement défié la répression de l'État, à Londres, le 9 décembre. A cette occasion, les manifestants ont réussi à déjouer la présence policière massive pour envahir Parliament Square, dont l'accès était bloqué par des barrières (il est illégal de manifester devant la maison de la démocratie, sans autorisation de la police) afin d'épargner aux députés d'entendre la colère de leurs victimes, alors qu'ils étaient en train de voter ces attaques. Les députés ont entendu plus que leur voix : ils ont aussi entendu les hélicoptères de la police, leurs fourgonnettes, les charges de la police montée, les charges au bâton d'assaut, et la résistance des manifestants que la police a contenue et battue pendant des heures pour avoir eu l'audace de se dresser pour défendre leurs propres intérêts.
La fureur de la classe dirigeante face à ce refus d'être maté par la répression s'est exprimée dans ses médias. Les reportages TV en direct et les bulletins de nouvelles n'avaient aucune prétention à l'objectivité par rapport au fait que ces porte-parole de la classe dirigeante attaquaient les étudiants, les lycéens, leurs parents et d'autres manifestants qui cherchaient à se défendre contre une force de police qui, d'après certains rapports, devait faire en sorte que les participants soient terrorisés au point de ne plus vouloir jamais manifester. Les principaux médias avaient essayé de cacher l'usage des charges à cheval de la police pendant la manifestation du 24 novembre ; et le 9 décembre, seulement deux semaines plus tard, ils montraient ouvertement les charges de la police montée, parfois jusqu'à 15 à la fois, dans la foule. Ils n'ont également pas été tellement discrets pour montrer des policiers en train de frapper des manifestants et n'ont pas été avares d'éloges en défense de la démocratie. Il a été fait le compte exact du nombre de policiers blessés alors que les manifestants blessés n'ont été mentionnés qu'incidemment, ou dans le cadre d'un plaidoyer en faveur d'une démocratie moins répressive.
Hors de Paliament Square, les étudiants, en s'appuyant sur leur expérience précédente où ils avaient été contenus par la police, ont fait éclater leur manifestation en de nombreux petits mouvements qui se sont dirigés dans plusieurs directions. D'après différents rapports, il semble que ces manifestations n'aient pas rencontré beaucoup d'hostilité et même aient souvent été accueillis par les applaudissements des gens sur le trottoir.
C'est l'une de ces manifestations qui a croisé le prince Charles et son épouse dans leur voiture. Leur regard étonné était le miroir de la classe dirigeante : la plèbe se révolte et nous n'avons pas été en mesure de la contrôler.
L'idée qu'il y ait une certaine forme de paix sociale en Grande-Bretagne a été matraquée avec ces étudiants qui ont été sans motif frappés à la tête par l'État. Plus important encore, beaucoup de ceux qui ont participé à ce mouvement ont vu leurs illusions dans la démocratie maltraitées. Ils ont appris que la seule façon d'être entendu est de se dresser, de défier l'État, de ne pas se soumettre.
Dans la suite de l'élection générale de 2010, la bourgeoisie britannique espérait utiliser la coalition des conservateurs et des libéraux-démocrates pour maintenir et renforcer l'attaque idéologique contre la classe ouvrière :
La coalition avec les Libéraux Démocrates visait à contribuer à l'adoucissement de l'image des Tories, à l'enterrement du souvenir de Thatcher et des années 1980.
La formation de la coalition était censée montrer que les politiciens et donc la population peuvent mettre les divergences de côté et s'unir dans l'intérêt commun du pays.
Les mesures d'austérité devaient être acceptées parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire, mais elles devaient être exécutées de façon équitable.
Il n'y a rien d'autre à faire en dehors de faire confiance aux politiciens pour qu'ils règlent les difficultés.
Les événements de ces dernières semaines ont constitué un sérieux défi pour la capacité de la bourgeoisie à maintenir cette offensive idéologique. Le fait que la première manifestation de lutte massive ouverte contre cette coalition s'est concentrée sur le QG des Tories et ait été accompagnée de chants furieux contre la 'racaille Tory' par des milliers de gens qui n'ont jamais connu de gouvernement conservateur a sapé tout espoir que la bourgeoisie a pu avoir de redorer l'image des conservateurs. La haine de la classe ouvrière pour les conservateurs est si profonde qu'elle se transmet de génération en génération. Quant aux libéraux-démocrates comme contrepoids, comme force de modération, cela a été infirmé par le fait que leurs dirigeants ont voté pour ces attaques, après la signature de promesses avant les élections qu'ils n'augmenteraient pas les frais. À certains égards, la direction Lib Dem est encore plus haïe que les conservateurs. Il sera intéressant de voir l'impact des récentes révélations de The Telegraph, dont les reporters infiltrés ont surpris plusieurs députés libéraux-démocrates entrain de faire des commentaires acrimonieux sur leurs partenaires de la coalition.
L'oraison du gouvernement, selon laquelle 'nous sommes tous dans le même bateau' n'est traitée avec rien d'autre que par un mépris général. Ce mouvement a été animé par une haine des riches, profonde, enflammée, qu'ils considèrent comme ayant reçu des milliards de livres en termes de gratifications et d'économies d'impôt, tandis que les étudiants et les lycéens, avec le reste de la classe ouvrière, se voient voler leur avenir. Il n'y a aucune hésitation chez la grande majorité des lycéens et des étudiants en formation continue et chez de nombreux étudiants d'université à se voir eux-mêmes comme partie de la classe ouvrière et à voir ces attaques comme étant contre la classe ouvrière.
L'idée 'd'équité' a été bafouée sans pitié. Les élèves remarquent le fait que les riches s'en tirent en payant le moins d'impôt possible, alors qu'on leur demande à eux de se sacrifier.
De toute évidence, cette rage contre les riches est très importante pour le développement futur d'une conscience de classe plus large et plus profonde. Cependant, elle est en ce moment aussi utilisée comme le portail principal pour la pénétration de l'idéologie bourgeoise dans ce mouvement. Cette colère primale, sans perspective plus large concernant la nature du système, se mélange à un sentiment d'injustice, que les riches devraient payer leur part. Ce qui est plus dangereux c'est que la gauche est entrain d'utiliser l'idée que ces attaques sont tout simplement idéologiques, parce que, prétend-elle, la classe dirigeante pourrait facilement payer pour la formation continue et pour l'EMA, si seulement elle imposait les riches de façon efficace, si seulement elle dépensait de l'argent pour l'éducation et non pour la guerre, et que ce qui arrive est ce à quoi nous devons nous attendre avec les conservateurs. On ne peut pas oublier la puissance de ces illusions idéologiques.
Si, pour le moment, ces illusions constituent un poids sur le mouvement, beaucoup de ceux qui y participent ne se font pas beaucoup d'illusions sur le Parti travailliste. Ils se souviennent que ce sont eux qui ont été les premiers à introduire les frais de scolarité. Et puis le Parti travailliste n'a pas apporté son soutien au mouvement, et il n'a pas dit qu'il supprimerait la hausse des frais s'il était élu.
Le point culminant du mouvement à ce jour, le 9 décembre, a également posé très nettement la question de la démocratie. Jusque-là, il y avait une forte croyance que si ils protestaient avec assez de vigueur, le gouvernement pouvait reculer, mais le résultat du vote a montré qu'il n'était pas en mesure de le faire. Et puis ces illusions dans le caractère raisonnable de la bourgeoisie en ont pris un coup violent, avec les forces de répression qui leur cognaient littéralement sur la tête. Tout cela a beaucoup donné à penser à ceux qui ont participé et au reste de la classe ouvrière.
Un problème majeur pour la classe dirigeante, un manque de contrôle politique sur le mouvement
Depuis son début, ce mouvement a confronté la classe dirigeante à un grand défi : celui des moyens de contenir et de contrôler politiquement le mouvement. Pendant un mois, la classe dirigeante a été confrontée à un mouvement qu'aucune de ses nombreuses forces politiques n'a été en mesure de contenir entièrement ni de contrôler :
Le National Union of Students (NUS), qui a organisé la protestation initiale le 10 novembre, et a mobilisé 50 000 étudiants, a perdu sa capacité d'agir en tant qu'organe principal des étudiants lorsque son chef, Aaron Porter, a dénoncé à maintes reprises l'attaque contre le QG du Parti Tory dans les journaux télévisés. On a eu cette situation ridicule où, lorsqu'il a dénoncé l'attaque de Millbank comme venant d'une minorité violente, la télévision montrait en direct des milliers d'étudiants qui entouraient le bâtiment et le commentateur lui disait « comment pouvez-vous dire cela, lorsque vous regardez ces images? » Après sa performance, le NUS a perdu toute capacité même d'essayer de contrôler la situation et ses militants de base ont dû aller dans le mouvement pour maintenir une certaine forme de crédibilité.
Le NUS n'a pas d'influence chez les lycéens et très peu chez les étudiants en formation continue.
Le Parti travailliste ne pouvait pas contrôler ce mouvement parce qu'il devait dénoncer l'attaque contre le QG des Tories et qu'il avait lui-même introduit les frais de scolarité.
Quant à l'extrême-gauche, aucune des organisations pseudo-révolutionnaires en Grande-Bretagne n'a assez d'influence pour contrôler le mouvement. Le Socialist Worker Party est probablement le plus important, mais son influence a diminué au cours de la dernière décennie. Le Socialist Party (ex-Militant Tendency) a joué un rôle à travers ses militants dans les universités et les lycées, mais il n'a pas d'influence nationale globale. Les gauchistes ont, dans une large mesure, dû se cacher derrière les principaux réseaux 'activistes', comme le Education Activists Network (EAN) et le National Campaign Against Fees and Cuts (NCAFC). Ils ont certainement eu une influence sur le mouvement, mais il est significatif que lors des réunions de ces réseaux, il y a eu un fort reflet de la force réelle du mouvement, par exemple, dans le fait que les organisateurs ont souvent été contraints d'accepter un débat libre et ouvert, contrairement à la lourde mise en scène en scène des réunion traditionnelles des gauchistes. Certaines réunions convoquées par les gauchistes sont encore dénommé 'assemblées' (comme à Brighton, par exemple), ce qui reflète autant un réel désir de nouvelles formes d'auto-organisation que la fonction de récupération des gauchistes.
Les mêmes jours que ces manifestations nationales, il y a eu de nombreuses manifestations locales appelées, via Facebook, par des réunions d'étudiants en formation continue, de lycéens, d'individus, des organes de coordination, comme le réseau qui a été mis en place à Oxford. De plus, ce même jour, des élèves ont spontanément déserté leurs cours : dans un cas, 3 adolescents ont appelé les élèves d'un lycée et 800 d'entre-eux sont sortis et les ont suivis. Dans de nombreux cas, les enseignants ont essayé de verrouiller les enfants ou la police a menacé de les arrêter pour absentéisme scolaire. Cela a conduit à une situation intéressante où dans des grandes villes comme Manchester, la principale manifestation n'a attiré que quelques centaines d'élèves, alors que dans de plus petites villes, le nombre de manifestants était plus important comme, par exemple, à Brighton où le 24 novembre, 2000 élèves ont déserté les cours pour aller manifester. Cette manifestation s'est terminée avec 400 élèves tentant de prendre d'assaut le commissariat central où leurs amis avaient été arrêtés.
Les citations suivantes dans The Guardian et Libcom.org donnent une idée de la nature spontanée de ce mouvement :
«Des centaines d'adolescents sont sortis du lycée Allerton Grange de Leeds pour se joindre à la manifestation. »
« L'action bien planifiée a vu presque toute l'école vide avec des banderoles soigneusement préparées ramassées dans des magasins ».
«Les élèves sont maintenant en route vers le lycée voisin Roundhay pour encourager ses élèves à les rejoindre. Il s'agit de deux lycées très performants dans un quartier particulièrement prospère de Leeds. Les deux établissements remportent régulièrement des places à Oxbridge. »
«Les élèves chantent 'ils disent réduisons, nous disons ripostons ' Deux élèves de 16 ans ont déclaré que l'accent était mis sur la perte de l'allocation d'études. L'un des deux a dit: «sans l'EMA Je ne pourrai jamais aller à l'université. Je veux réaliser mon rêve. » (The Guardian)
«I l y avait une grande énergie. La marche progressait rapidement en cercles toujours plus larges pendant plus de 3 heures d'affilée, en se tenant à l'écart de la police et parfois en en perçant les lignes. Cela a provoqué un vrai chaos dans la circulation et a contribué à empêché la police d'encercler la manifestation avec ses camionnettes pour la contenir. »
« Nous sommes passés par Cabot Circus & le centre commercial et nous nous sommes arrêtés pour une pause rapide au milieu de la zone de shopping, en pensant que c'était un endroit sûr parce qu'ils ne voudraient pas encercler une foule excitée au milieu d'un tas de boutiques de luxe. »
« Il y a eu une brève tentative pour entrer dans une boutique Vodafone. La police a été bombardée de moutarde devant le marché de Noël allemand. Il y a eu deux jolies tentatives pour occuper la maison du conseil municipal et le centre administratif de l'Université de Bristol. Des boules de neige ont été lancées sur les flics et les chevaux (qui ne les aiment vraiment pas). »
« La marche a été encerclée à la fin, à l'université de Bristol, quoiqu'une bonne partie des manifestants ait vu arriver la police et ait évité l'encerclement en sautant à travers des haies. »
« La police montée a fait une charge de cavalerie dans la foule qui avait échappé à l'encerclement. Quelqu'un aurait vraiment pu être blessé. Deux personnes ont été battues par la police en bordure de l'encerclement. Il y a eu 10 arrestations, principalement vers la fin, quand les gens essayaient de sortir de l'encerclement. Je pense que la plupart étaient des lycéens » (Libcom.org, 30/11/10).
Les informations que nous avons sur l'ampleur de ces manifestations locales sont limitées parce que la plupart des médias ont minimisé la participation des élèves. Toutefois, il est clair qu'une importante minorité d'entre-eux ont participé à ces manifestations et, dans de nombreux cas, les ont eux-mêmes organisées.
Ici, il est nécessaire de mentionner l'utilisation d'Internet et des téléphones mobiles dans ce mouvement. La jeune génération a fait un plein usage de ses compétences et de sa connaissance des médias. Facebook a joué un rôle important dans la coordination des luttes ; Twitter a également permis aux gens de rester en contact ; les occupants de l'University College of London ont également mis en place une carte Google, le 9 décembre, qui a montré où la police se trouvait afin que les manifestants puissent l'éviter. Internet a aussi été utilisé pour l'affichage de photos et de vidéos des manifestations, et de la répression policière. Par exemple, des séquences YouTube du 24 novembre ont démenti le fait que la police a nié avoir chargé la foule à cheval, alors qu'une vidéo montrant la police en train de malmener un manifestant dans un fauteuil roulant et de le traîner sur la route était accessible partout dans le monde.
Tout ceci montre que les principaux médias ont été écartés par beaucoup de ceux qui ont participé et qu'ils ont fait leurs propres rapports sur ce qui s'était passé. Les médias traditionnels déforment l'information, mais c'est ce qui a encouragé les jeunes à compter sur leurs propres sources d'information et sur leur propre organisation.
Les difficultés réelles que la bourgeoisie a eu en essayant de faire face à ce mouvement peuvent se résumer dans l'appel que le chef de la police de Bristol a lancé pour que quelqu'un devienne le leader du mouvement :
« M. Jackson a appelé à ce qu'une personne du corps étudiant se présente afin qu'ils puissent mieux coordonner ce qu'il a appelé une 'manifestation sans chef' »(presse locale citée sur Libcom.org).
Le dernier mois a vu une escalade de l'usage de la répression de la part de la classe dirigeante au fur et à mesure que le mouvement se développait. Avec ses organes politiques toujours incapables de contrôler le mouvement, l'État a eu une réponse principale: une répression de plus en plus violente. Certains ont comparé la confrontation entre la police et les étudiants qui a culminé le 9 décembre à l'émeute Poll Tax de 1990. Mais cette comparaison ne tient pas compte de la différence de contexte historique. L'émeute Poll Tax a marqué la fin d'un mouvement et a eu lieu dans une période de recul dans la conscience de classe. Ces récents affrontements entre le mouvement et la police, qui ont eu lieu non seulement à Londres mais aussi dans d'autres villes, se déroulent dans une période de recrudescence internationale des luttes, après cinq années d'attaques de plus en plus draconiennes sur la classe ouvrière. Et surtout c'est le premier mouvement étendu en Grande-Bretagne, mobilisant des dizaines de milliers de jeunes prolétaires et d'autres depuis la réapparition des luttes en 2003.
Il n'y a pas eu de confrontation entre les classes aussi radicale en Grande-Bretagne depuis le milieu des années 1980 avec les luttes des mineurs et des imprimeurs. La bourgeoisie a passé le dernier quart du siècle à se vanter de sa capacité d'amener la 'paix sociale’ et de connaître un très faible niveau de lutte de classe. Au cours de ces dernières semaines, la guerre de classe a été placée au premier plan de l'attention des travailleurs.
Le siège et l'attaque su QG du Parti Tory Partie n'a été la cause de presque aucune violence contre la police et de seulement quelques bris de fenêtres. Lorsque quelqu'un a lancé un extincteur d'incendie du toit de l'immeuble, celui-ci a été condamné par la foule aux cris de 'arrête de jeter, merde!'
Une faible présence policière a suffi pour arrêter une invasion massive de l'édifice. Deux semaines plus tard, ces mêmes élèves se sont trouvé confrontés à des charges répétées de la police montée et à de coups de matraque de la part d'une police en tenue anti-émeute .
La progression de l'usage de la violence pure de l'État contre ceux qui, dans de nombreux cas, étaient des jeunes ,montre sa préoccupation. La manifestation du 24 novembre a été témoin de l'utilisation par la police du 'kettling', qui consiste essentiellement dans le piégeage dans des zones confinées des manifestants en bloquant tous les moyens de sortie. Cette méthode avait été utilisée lors de la manifestation du G20 en 2009 et avait été critiquée, même par une partie de la bourgeoisie parce que contre-productive, dans la mesure où elle alimentait la colère. Elle a été plus largement utilisée, lors de la manifestation du 30 novembre et enfin le 9 décembre, où la politique du 'kettling' a été systématiquement pratiquée. Autour du Parlement, il semblerait que la police ait pratiqué cette technique en cercles concentriques, de telle sorte que si vous pouviez sortir d'un cercle, vous vous retrouviez dans un autre. Cela a été démontré à la fin de la manifestation quand la police a 'libéré' ceux qui avaient été pris au piège pendant des heures à l'extérieur du Parlement, qui se sont retrouvés à nouveau piégé sur le pont de Westminster pendant plusieurs heures dans le froid glacial et entassés comme du bétail.
Parallèlement au 'kettling', il y a eu une utilisation croissante de la violence. Avant la manifestation du 9 décembre, il y avait eu des affrontements entre la police et certains de ceux qui étaient pris au piège, alors qu'ils cherchaient désespérément à s'échapper. Par ailleurs, il y a eu des incidents où l'on a vu des manifestants battus par la police, mais cela a généralement été caché par les médias. Le 9 décembre cependant, les médias ont montré ouvertement la charge des chevaux dans la foule, la police anti-émeute matraquant les gens, etc. évidemment dans la vision d'une police qui devait se protéger. Mais le message était très clair : si vous protestez vous serez face à toute la force de l'État. Les journaux télévisés, sur un ton quasi hystérique, affirmaient clairement que c'était la police qui 'défendait' le droit démocratique de 'manifester pacifiquement', que la violence était dûe à une petite minorité, etc. Par rapport aux personnes sur le terrain, la police a dit que si elle était aussi violente, c'était dans le but de décourager les gens de fréquenter des futures manifestations.
ll est clair que, le 9 décembre, certains éléments devaient être prêts à affronter la police, mais la grande majorité était venue pour montrer sa détermination à exprimer sa colère face à ces attaques, malgré la répression croissante. Les jeunes manifestants ont très vite appris à ne pas se laisser encercler, comme cela s'était produit lors de la manifestation du 24 novembre, mais la police les a encerclés de façon systématique et a commencé à les attaquer. Dans de nombreux cas, ils se sont retrouvés en une foule compacte, ce qui rendait très difficile d'échapper aux accusations de la police alors qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de se battre ou bien d'être piétinés par les chevaux ou battus par la police. Même dans une telle situation, de nombreux manifestants ont été en mesure de voir au-delà de la violence immédiate:
« Nous nous couchons tous, les uns contre les autres, les chevaux au dessus de nous, des coups de matraque qui vont pleuvoir sur nos têtes et nos épaules. J'ai vraiment peur d'être sur le point de mourir, et je commence à pianoter le numéro de mes parents sur mon portable pour leur envoyer un message d'amour. »
«Au dessus de moi, une jolie blonde de dix-sept ans pleure, des larmes coulent sur son visage tuméfié et elle crie contre les abus de la police. Les manifestants commencent à crier 'honte à vous!', Mais même dans le feu de la bataille, ces jeunes gens ne tardent pas à se rappeler ce qui est réellement en jeu dans ce mouvement. «Nous nous battons pour vos enfants! » chantent-ils, devant les flics en ligne. «Nous nous battons pour vos jobs!" (New Statesman).
Les télévisions et les couvertures des magazines montrent des jeunes masqués affrontant la police , mais la majorité est démasquée et tente désespérément de se défendre.
Dans ce chaos, la jeunesse a toujours affiché son esprit vibrant. Certains, à l'instar des étudiants italiens, avaient un bouclier fait à la maison, en forme de livre, avec Marx sur le devant, ou avec des titres comme Le Meilleur Des Mondes, Dans la dèche à Paris et à Londres, et Dialectique Négative d'Adorno. Ce dernier a apparemment joué un rôle majeur lorsqu'un gendarme à cheval a été désarçonné !
(The really open university)
Il était évident que l'État allait gagner dans une telle confrontation, mais le résultat à long terme de cette répression va être extrêmement important. L'idée d'un État et d'une coalition étant en quelque sorte 'gentils et équitables' s'est envolée par la fenêtre. Des milliers de jeunes et de moins jeunes ont vécu la violence de l'État ou ont vu leurs amis et des membres de leur famille non seulement attaqués, mais traités comme des criminels. La police prenait en permanence des vidéos de la manifestation ; même dans les petites villes, elle a photographié les participants, souvent ouvertement en allant au milieu de ceux qui étaient encerclés pour les photographier. Une génération entière a vu que la seule réponse de l'État à leur demande d'être écouté était la violence. Les implications de cette situation sont encore visibles.
Ce mouvement a montré les premiers pas dans le dépassement de la démoralisation infligée au prolétariat en Grande-Bretagne, avec l'écrasement des mineurs, des imprimeurs et autres travailleurs dans les années 1980. Une génération de jeunes prolétaires s'est levée et il faudra compter avec elle. De nombreux travailleurs plus âgés ont vu ce mouvement avec admiration et avec un sentiment de 'enfin, nous ripostons!'. La question de la violence a pris une nouvelle dimension. Pendant des années, les médias ont présenté la population, c'est à dire la classe ouvrière, comme étant passive. Au début du mouvement, les médias ont pu trouver des étudiants prêts à critiquer le recours à la violence, mais, après les affrontements du 9 décembre, Newsnight a été incapable de trouver un étudiant prêt à critiquer l'usage de la violence de leur côté : au lieu de cela, les étudiants demandaient aux divers journalistes pourquoi ils ne dénonçaient pas la violence de la police? Les tentatives de l'État pour présenter le programme d'austérité comme 'juste' et équitablement réparti dans la société ont été considérées comme frauduleuses, et la seule réponse à la protestation a été la montée de la violence et de la répression. Ce dernier mois a laissé la classe ouvrière avec matière à réfléchir.
Bien que l'adoption le 9 décembre de la loi augmentant les frais de scolarité et le début de la période des vacances de Noël, aient inévitablement produit une pause dans le mouvement, beaucoup d'étudiants se sont engagés à le poursuivre en janvier. Nous constatons déjà une radicalisation dans le ton des syndicats, par exemple dans un article écrit par Len McCluskey, secrétaire général du syndicat du secteur public Unite, à la rubrique 'votre tribune' de The Guardian du 20 Décembre écrit ceci :
«Les étudiants de Grande-Bretagne ont certainement mis le mouvement syndical sur la sellette. Leurs protestations massives contre l'augmentation des frais de scolarité ont rafraîchi les partis politiques dont une centaine de débats, de conférences et de résolutions n'avaient abouti à rien.... Les syndicats ont aussi besoin de leur tendre la main. Les étudiants doivent savoir que nous sommes de leur côté. Nous devons condamner sans équivoque le comportement de la police dans les récentes manifestations. Le 'kettling', le matraquage et les charges de la police montée contre les adolescents n'ont pas leur place dans notre société.
Il est ironique que les jeunes aient été rejetés comme étant apathique et indifférent à la politique, pour que, dès qu'ils se révèlent en nombre, ils sont traités comme 'l'ennemi intérieur', d'une manière familière pour ceux d'entre nous qui ont passé les années 1970 et 1980 sur les lignes du piquet de grève.
"Et nous devons travailler en étroite collaboration avec nos collectivités qui sont les premières victimes de l'attaque. C'est pourquoi Unite a accepté de soutenir la vaste Coalition de la Résistance créée le mois dernier, qui regroupe, partout dans le pays, les syndicats et les associations locales anti-réduction.
"La manifestation du TUC, le 26 mars, sera un jalon essentiel dans l'élaboration de notre résistance, pour donner aux membres des syndicats la confiance pour faire grève pour la défense des emplois et des services ».
Le même jour, le site Web de The Guardian annonce que Unite et un autre syndicat important du secteur public, le GMB, vont soutenir la prochaine journée d'action demandée par le NCAFC et l'EAN pour le 29 janvier.
Au même moment, le leader du syndicat RMT, Bob Crow, parle de la nécessité de « l'action industrielle, de la désobéissance civile et de millions de gens dans la rue » pour redorer le profil de la gauche et des syndicats, pour mieux les aider dans leur tentative de récupérer un mouvement contre les attaques d'austérité.
La perspective est à de plus vastes et de plus larges confrontations de classe. La bourgeoisie prépare maintenant son appareil syndical pour prendre en charge la situation, mais il n'est pas garanti à l'avance qu'ils vont réussir.
World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne (23 décembre 2010)
Depuis plusieurs semaines, on assiste en Tunisie à un soulèvement contre la misère et le chômage qui frappe particulièrement la jeunesse. Aux quatre coins du pays, des manifestations de rue, des rassemblements, des grèves ont surgi spontanément pour protester contre le régime de Ben Ali. Les manifestants réclament du pain, du travail pour les jeunes et le droit de vivre dignement. Face à cette révolte des exploités et de la jeunesse privée d'avenir, la classe dominante a répondu par le plomb et la mitraille. Ce sont nos frères de classe et ce sont leurs enfants qui se font massacrer dans les manifestations et dont le sang coule aujourd'hui en Tunisie comme en Algérie ! Les tueurs et leurs commanditaires à la tête de l'État tunisien ou algérien dévoilent dans toute son horreur le vrai visage de nos exploiteurs et de la domination de système capitaliste sur toute la surface de la terre. Ces assassins ne se contentent pas de nous faire mourir de misère et de faim, ils ne se contentent pas de pousser au suicide des dizaines de jeunes réduits au désespoir, non ils nous tuent aussi en tirant à balles réelles sur les manifestants ! Les unités de police déployées à Thala, Sidi Bouzid, Tunis et surtout Kasserine n'ont pas hésité à tirer dans la foule et à assassiner froidement hommes, femmes et enfants, faisant plusieurs dizaines de morts depuis le début des affrontements. Face à ce carnage, la bourgeoisie des pays "démocratiques", et notamment l'État français, fidèle allié de Ben Ali, n'a pas levé le petit doigt pour condamner la barbarie du régime et exiger l'arrêt de la répression. Rien d'étonnant à cela. Tous les gouvernements, tous les États sont complices ! Toute la bourgeoisie mondiale est une classe d'affameurs et d'assassins !
Tout a commencé le vendredi 17 décembre, au centre du pays, suite à l'immolation par le feu d'un jeune chômeur diplômé de 26 ans, Mohamed Bouazizi, à qui la police municipale de Sidi Bouzid avait confisqué son seul gagne-pain, sa charrette de fruits et légumes. Immédiatement, un vaste mouvement de solidarité et d'indignation s'est développé dans la région. Dès le 19 décembre, des manifestations totalement pacifiques contre le chômage, contre la misère et la vie chère (les protestataires brandissent des baguettes de pain !), surgissent. Immédiatement, le gouvernement répond par la répression, ce qui ne fait qu'accentuer la colère de la population.
Une grève des soins non urgents de deux jours a été entamée le 22 décembre par les médecins universitaires pour protester contre leur manque de moyens et la dégradation de leurs conditions de travail. Elle a gagné tous les centres hospitalo-universitaires du pays. Le 22 décembre également, un autre jeune, Houcine Neji, se suicide sous les yeux de la foule, à Menzel Bouzaiane, en s'accrochant à une ligne de haute tension : "je ne veux plus de la misère et du chômage", crie-t-il. D'autres suicides vont renforcer encore l'indignation et la colère. Le 24 décembre, la police tue par balles un jeune manifestant de 18 ans, Mohamed Ammari. Un autre manifestant, Chawki Hidri, grièvement blessé décédera le 1er janvier. Aujourd'hui le bilan provisoire est d'au moins 65 tués par balles !
Face à la répression, très vite, le mouvement s'étend à tout le pays. Des chômeurs diplômés manifestent les 25 et 26 décembre au centre de Tunis. Des rassemblements et des manifestations de solidarité se développent dans tout le pays : Sfax, Kairouan, Thala, Bizerte, Sousse, Meknessi, Regueb, Souk Jedid, Ben Gardane, Medenine, Siliana… Malgré la répression, malgré l'absence de liberté d'expression, des manifestants brandissent des pancartes : "Aujourd'hui, nous n'avons plus peur !".
Les 27 et 28 décembre, ce sont les avocats qui se joignent au mouvement de solidarité avec la population de Sidi Bouzid. Face à la répression qui s'abat sur les avocats, avec des arrestations et des passages à tabac, une grève générale des avocats est appelée pour le 6 janvier. Des mouvements de grèves touchent également les journalistes de Tunis et les enseignants de Bizerte. Comme l'indique Jeune Afrique daté du 9 janvier, les mouvements sociaux de protestation et de rassemblement dans la rue sont totalement spontanés et échappent au téléguidage ou au contrôle des organisations politiques et syndicales : "La première certitude est que le mouvement de protestation est avant tout social et spontané. C'est ce que confirment des sources crédibles." 'Aucun parti, aucun mouvement ne peut prétendre qu'il fait bouger la rue ou qu'il est capable de l'arrêter', déclare-t-on à la section régionale de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT)".
Un black-out total de l'information est organisé. Dans la région de Sidi Bouzid, plusieurs localités sont placées sous couvre-feu et l'armée est mobilisée. A Menzel Bouzaiane, les blessés ne peuvent pas être transportés, la population a du mal à s'approvisionner et les écoles servent à loger les renforts de police.
Pour tenter de ramener le calme, Ben Ali sort de son silence et fait une déclaration publique de 13 minutes dans laquelle il promet de créer 300 000 emplois en 2011-12 et la libération de tous les manifestants, excepté ceux qui ont commis des actes de vandalisme. Il limoge le ministre de l'Intérieur, utilisé comme fusible et dénonce en même temps "l'instrumentalisation politique" du mouvement et l'action d'une minorité d'"extrêmistes" et de "terroristes" qui cherchent à nuire aux intérêts du pays.
Ce discours provocateur, criminalisant le mouvement, ne pouvait que galvaniser encore la colère de la population, et particulièrement des jeunes. Dès le 3 janvier, les lycéens se mobilisent et utilisent les téléphones portables et les réseaux Internet, notamment Facebook et Twitter, pour appeler à une grève générale des lycéens. Ces derniers manifestent les 3 et 4 janvier et sont rejoints par les diplômés chômeurs à Thala. Les jeunes manifestants font face aux matraques et aux gaz lacrymogènes des forces de répression. Au cours des affrontements, le siège du gouvernement est envahi et le local du parti au pouvoir incendié. L'appel à la grève nationale des lycéens, relayé par les réseaux Internet, est suivi dans plusieurs villes. A Tunis, Sidi Bouzid, Sfax, Bizerte, Grombalia, Jbeniana, Sousse, les lycéens ont rejoint les chômeurs. Des rassemblements de solidarité ont également eu lieu à Hammamet et Kasserine.
Au même moment, en Algérie, le mardi 4 janvier à Koléa, une petite ville à l’ouest de la capitale algérienne, toute une masse de chômeurs, d’ouvriers excédés et en colère descendent à leur tour dans la rue. Le même jour, les dockers du port d’Alger entrent en grève, pour protester contre un accord entre la société de gestion portuaire et le syndicat amputant le paiement des heures supplémentaires de nuit. Les grévistes refusent de donner suite à l’appel pour la suspension de la grève lancé par les représentants syndicaux. Là aussi la colère gronde ; pour ces ouvriers ayant un salaire de misère, se nourrir eux et leurs familles est une préoccupation quotidienne au même titre que les jeunes sans travail de Tunis ou d’Alger. Le 5, le mouvement de révolte se propage en Algérie notamment sur le littoral et en Kabylie (Oran, Tipaza, Bejaïa, ...) autour des mêmes revendications sociales face au chômage endémique des jeunes et à la pénurie de logements qui les poussent à rester chez leurs parents et à s'entasser dans des taudis (dans les faubourgs d'Alger pullulent des cités-dortoirs datant de années 1950 qui ressemblent à des bidonvilles contraignant les jeunes à squatter des terrains de jeu d'où ils se font régulièrement expulser par les charges musclées des forces de police). La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre. Les forces de répression et l’armée ont immédiatement frappé et frappé fort. Rien que dans le quartier de Bab el Oued à Alger, les blessés se comptent par centaines. Mais là aussi la répression féroce de l’État algérien contribue à accroître la colère. En quelques jours, les manifestations gagnent vingt départements (wilayas). Le bilan officiel fait état de trois morts (à M'Silla, Tipaza et Boumerdès). Chez les manifestants la rage est là. "Nous n’en pouvons plus, nous n’en voulons plus." "Nous n’avons plus rien à perdre." Voilà les cris que l’on entend le plus souvent dans les rues d’Algérie. Ces émeutes ont pour détonateur immédiat la nouvelle augmentation brutale des prix d'aliments de première nécessité, annoncée le 1er janvier dernier : les prix des céréales ont augmenté de 30%, l’huile de 20% et le sucre lui a connu une envolée de 80% ! Après 5 jours de répression et de calomnies déversées sur le mouvement, Bouteflika amorce une marche arrière pour faire baisser la tension : il promet une détaxation sur les produits ayant subi une forte augmentation.
En Tunisie, le 5 janvier, à l'occasion des funérailles du jeune marchand de légumes qui s'est suicidé à Sidi Bouzid le 17 décembre, la colère est à son comble. Une foule de 5000 personnes a défilé derrière le cortège funèbre en criant son indignation : "Nous te pleurons aujourd'hui, nous ferons pleurer ceux qui ont causé ta mort !". Le défilé prend la tournure d'une manifestation. La foule scande des slogans contre la cherté de la vie "qui a conduit Mohamed au suicide" et crie "Honte au gouvernement !". Le soir même, la police procède à des arrestations musclées de manifestants à Jbedania et Thala. Des jeunes sont arrêtés et pourchassés par la police en armes.
Le 6 janvier, la grève générale des avocats est suivie à 95%. Partout, dans les localités du centre, du sud et de l'ouest du pays, des grèves, des manifestations de rue, des affrontements avec la police ont lieu et l'agitation gagne même les villes du littoral Est, plus riches.
La police se déploie devant tous les lycées et toutes les universités du pays. A Sfax, Jbeniana, Tajerouine, Siliana, Makhter, Tela, des manifestations de lycéens, étudiants, habitants sont brutalement dispersées par la police. A Sousse, la faculté de Sciences Humaines est prise d'assaut par les forces de l'ordre qui procèdent à des arrestations d'étudiants. Le gouvernement décide la fermeture de tous les lycées et de toutes les universités.
Face à la répression du mouvement, le 7 janvier, dans les villes de Regueb et Saida proches de Sidi Bouzid, des affrontements entre manifestants et police font 6 blessés. Des manifestants lancent des projectiles sur un poste de sécurité et la police tire sur la foule. Trois jeunes sont grièvement blessés.
Le 8 janvier, le syndicat officiel UGTT sort enfin de son silence, mais ne dénonce pas la répression. Son Secrétaire général, Abid Brigui, se contente de déclarer, sous la pression de la base, qu'il soutient les "revendications légitimes des populations de Sidi Bouzid et des régions de l'intérieur du pays". "Nous ne pouvons pas être en dehors de ce mouvement. Nous ne pouvons que nous ranger du côté des droits des nécessiteux et des demandeurs d'emploi". Face à la violence de la répression, il déclare timidement : "il est contre nature de condamner ce mouvement. Il n'est pas normal d'y répondre par des balles". Mais il ne lance aucun appel à la mobilisation générale de tous les travailleurs, aucun appel à l'arrêt immédiat de la répression qui s'est déchainée avec une violence accrue au cours du week-end des 8 et 9 janvier.
A Kasserine, Thala et Regueb, la répression des manifestations tourne au massacre. La police tire froidement sur la foule, faisant plus de 25 morts par balles. Dans la ville de Kasserine terrorisée par les exactions de la police qui a même tiré sur les cortèges funèbres, l'armée, divisée non seulement refuse de tirer sur la population mais s'interposée pour assurer sa protection contre la police anti-émeute. Pour sa part, le chef d'état-major de l'armée de terre est limogé pour avoir donné l'ordre de ne pas tirer sur les manifestants. D'ailleurs, si l'armée a été déployée dans les principales villes pour protéger les bâtiments publics, elle est mise à l'écart des opérations de répression directe, y compris dans la capitale d'où elle a fini par se retirer. Face au bain de sang, le personnel hospitalier de la région, bien que débordé par les urgences, débraye en signe de protestation.
Depuis le week-end sanglant des 8 et 9 janvier, la colère a gagné la capitale. Le 12 janvier, des émeutes explosent dans la banlieue de Tunis. La répression fera 8 morts dont un jeune tué d'une balle dans la tête. Le gouvernement impose le couvre feu. La capitale est aujourd'hui quadrillée par les forces de sécurité et le syndicat officiel UGTT a fini par appeler à une grève générale de 2 heures pour le vendredi 14. Malgré le couvre-feu et le déploiement des forces de répression dans la capitale, des affrontements se sont poursuivis en plein cœur de Tunis et partout des portraits de Ben Ali sont brûlés. Le 13 janvier, la révolte gagne les stations balnéaires du littoral et notamment la grande station touristique de Hammamet où les magasins sont pillés et les portraits de Ben Ali déchirés tandis que des affrontements entre manifestants et police se poursuivent au cœur de la capitale. Face au risque de basculement du pays dans le chaos, face à la menace d'une grève générale, et sous la pression de la "communauté internationale", notamment de l'État français qui, pour la première fois, commence à "condamner" Ben Ali, celui-ci finit par lâcher du lest. Il déclare à la population le soir du 12 janvier 13 janvier : "Je vous ai compris" et il affirme qu'il ne se représentera pas aux prochaines élections... prévues en 2014 ! Il promet une baisse du prix du sucre, du lait, du pain et demande enfin aux forces de l'ordre de ne plus tirer à balles réelles en affirmant qu'"il y a eu des erreurs et des morts pour rien".
Face à la sauvagerie de la répression, tous les gouvernements "démocratiques" se sont contentés pendant plusieurs semaines d'affirmer leur "préoccupation" en appelant au "calme" et au "dialogue". Au nom du respect de l'indépendance de la Tunisie et de la non ingérence dans les affaires intérieures du pays, aucun n'a condamné les violences policières et le massacre perpétré par les sbires aux ordres de Ben Ali, même si en toute hypocrisie, la plupart déplorent "un usage excessif du recours à la force". Après le week-end sanglant des 8 et 9 janvier, l'État français a même ouvertement apporté son soutien à ce dictateur sanguinaire. Après avoir "déploré" hypocritement les violences, Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères a proposé l'aide "sécuritaire" de la France aux forces de répression de l'État tunisien dans son discours à l'Assemble nationale le 12 janvier : "Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce pays".
Le "savoir-faire" des forces de sécurité françaises, on a vu ce que cela signifie lors des bavures policières qui ont provoqué la mort par électrocution de deux adolescents poursuivis par des flics en 2005 et qui ont constitué l'élément majeur du déclenchement des émeutes des banlieues. Ce "savoir-faire", on l'a encore vu à l'œuvre dans le mouvement de la jeunesse contre le CPE où la brigade anti-émeutes a envahi certaines universités avec des chiens pour terroriser les étudiants en lutte contre la perspective du chômage et de la précarité. Ce savoir-faire "sécuritaire" de nos bons flics français s'est dévoilé aussi dans les tirs de flash ball qui ont blessé plusieurs lycéens lors des manifestations contre la LRU en 2007. Et plus récemment, dans le mouvement contre la réforme des retraites, la répression qui s'est abattue notamment à Lyon contre des jeunes manifestants ont encore montré l'efficacité des forces de "sécurité" de l'État démocratique.français ! Des centaines de jeunes ont déjà été condamnés à de lourdes peines de prison ou sont menacés de l'être. Bien sûr, les États "démocratiques" ont plus de retenue et ne tirent pas aujourd'hui à balles réelles sur les manifestants, mais ce n'est certainement pas parce qu'ils seraient plus "civilisés", moins barbares ou plus "respectueux des droits de l'homme et de la liberté d'expression", mais parce que la classe ouvrière de ces pays est plus forte, a une longue expérience de luttes et n'est pas prête à accepter un tel degré de répression.
Quant à la criminalisation des mouvements sociaux permettant de justifier la répression, le gouvernement de Ben Ali n'a rien à envier à son complice français qui a été le premier à dénoncer les étudiants en 2006, de même que les travailleurs de la SNCF et de la RATP (en lutte pour la défenses des régimes spéciaux des retraites) en 2007, comme des "terroristes".
Il est clair que la seule chose qui "préoccupe" tant la classe dominante de tous les pays, c'est le renforcement "efficace" de l'État policier destiné au maintien de l'ordre capitaliste, un ordre social qui n'a aucun avenir à offrir aux jeunes générations. Partout dans le monde, face la crise insurmontable du capitalisme, cet "ordre" ne peut engendrer que toujours plus de misère, de chômage et, finalement, de répression.
La complicité évidente de toute la bourgeoisie mondiale révèle que c'est bien tout le système capitaliste qui est responsable du bain de sang en Tunisie, et pas seulement le régime corrompu de Ben Ali. L'État tunisien n'est qu'une caricature de l'État capitaliste !
Bien que la Tunisie soit dominée par un régime totalitaire gangréné par la corruption, la situation sociale dans ce pays n'est pas une exception. En Tunisie, comme partout, la jeunesse est confrontée au même problème : l'absence de perspective. Cette révolte "populaire" se rattache au combat général de la classe ouvrière et de ses jeunes générations contre le capitalisme. Elle s'inscrit dans la continuité des luttes qui se sont déroulées depuis 2006, en France, en Grèce, en Turquie, en Italie en Angleterre où toutes les générations se sont retrouvées dans une immense vague de protestation contre la dégradation des conditions de vie, la misère, le chômage des jeunes et la répression. Le fait que la révolte sociale ait été marquée par un vaste mouvement de solidarité dès les événement du 17 décembre, montre que, malgré toutes les difficultés de la lutte de classe en Tunisie ou en Algérie, malgré le poids des illusions démocratiques lié à l'inexpérience et la chape de plomb de ces régimes qui exposent les prolétaires à l'isolement et aux bains de sang, cette révolte contre le chômage et la vie chère appartient au combat de la classe ouvrière mondiale.
La conspiration du silence qui a entouré ces événements ne vient d'ailleurs pas que de la censure de ces régimes. Elle a été partiellement rompue par l'activité d'une jeunesse qui a su activer ses réseaux Internet, Twitter ou Facebook comme arme de combat, comme moyen de communication et d'échange pour montrer et dénoncer la répression assurant ainsi un lien entre eux mais aussi avec leur famille ou amis en dehors du pays, notamment en Europe. Mais les médias de la bourgeoisie ont partout contribué à instaurer un black-out, en particulier par rapport aux luttes ouvrières qui ont inévitablement accompagné ce mouvement et dont les échos ne sont parvenus que de manière très fragmentaires 1.
Ces médias ont également, comme lors de chaque lutte de la classe ouvrière, tout fait pour déformer et discréditer cette révolte contre la misère et la terreur capitaliste en la présentant à l'extérieur comme un remake des émeutes dans les banlieues en France, comme l'œuvre d'une bande de "casseurs" irresponsables et de pillards, là encore en toute complicité avec le gouvernement de Ben Ali, alors que de nombreux manifestants ont dénoncé les pillages comme étant l'œuvre des flics cagoulés destinée à discréditer le mouvement. Les vidéos amateurs des jeunes ont également montré des policiers en civil qui ont cassé des vitrines à Kasserine le 8 janvier pour servir de prétexte à la terrible répression qu'ils ont déchaînée dans cette ville.
Face à la barbarie capitaliste, face à la loi du silence et du mensonge, la classe ouvrière de tous les pays doit manifester sa solidarité envers ses frères de classe en Tunisie et en Algérie. Et cette solidarité ne peut s'affirmer que par le développement de ses luttes contre toutes les attaques du capital dans tous les pays, contre cette classe d'exploiteurs, d'affameurs et d'assassins qui ne peut maintenir ses privilèges qu'en continuant à plonger l'humanité dans le gouffre de la misère. Ce n'est qu'en développant massivement ses luttes, en développant sa solidarité et son unité internationale que la classe ouvrière, notamment dans les pays "démocratiques" les plus industrialisés, pourra offrir une perspective d'avenir à la société.
Ce n'est qu'en refusant de faire les frais de la faillite du capitalisme partout dans le monde, que la classe exploitée pourra mettre un terme à la misère et à la terreur de la classe exploiteuse en renversant le capitalisme et en construisant une autre société basée sur la satisfaction des besoins de toute l'humanité et non sur le profit et l'exploitation.
Solidarité avec nos frères de classe au Maghreb !
Solidarité avec les jeunes générations de prolétaires partout où elles luttent contre un avenir bouché !
Pour en finir avec le chômage, la misère et la mitraille, il faut en finir avec le capitalisme !
WM (13 janvier 2011)
1 Pour mémoire, rappelons qu'en Tunisie en 2008, la région des mines de phosphates de Gafsa avait été le coeur d'une épreuve de force avec le pouvoir durement réprimée et qu'en Algérie, en janvier 2010, 5000 grévistes de la SNVI et d'autres entreprises avaient tenté, malgré l'intervention brutale des forces de l'ordre, de se rassembler pour étendre et unifier leur lutte au centre d'une zone industrielle rassemblant 50 000 ouvriers dans la région de Rouiba aux portes d'Alger
Les événements qui se déroulent en Libye sont extrêmement difficiles à suivre. Une chose est claire cependant : la population souffre de la répression depuis des semaines. Elle connaît la peur et l'incertitude. Peut-être des milliers d'entre-eux sont-ils morts, d'abord des mains de l'appareil répressif du régime mais, de plus en plus, ils sont pris entre deux feux, puisque le gouvernement et l'opposition se battent pour le contrôle du pays. Pour quelle raison meurent-ils ? D’un côté, pour maintenir le contrôle de Kadhafi sur l'Etat et dans l’autre pour que le Conseil National Libyen (l'auto-proclamée 'la voix de la révolution') contrôle l'ensemble du pays. La classe ouvrière, en Libye et au-delà, se voit demander de choisir entre deux groupes de gangsters. En Libye, on leur dit qu'ils devraient prendre une part active dans cette grandissante guerre civile entre deux partis rivaux de la bourgeoisie libyenne pour le contrôle de l'Etat et de l'économie. Dans le reste du monde, nous sommes encouragés à soutenir la lutte courageuse de l'opposition. Les travailleurs n'ont aucun intérêt à soutenir l'une ou l'autre des factions.
Les événements en Libye ont commencé comme une manifestation massive contre Kadhafi, inspirée par les mouvements en Egypte et en Tunisie. Ce qui a provoqué l'explosion de colère dans de nombreuses villes semble avoir été la répression brutale des premières manifestations. Selon The Economist du 26 février, l'étincelle initiale a été la manifestation d'une soixantaine de jeunes à Benghazi, le 15 février. Des manifestations similaires ont eu lieu dans d'autres villes et toutes ont été accueillies par des balles. Face à l'assassinat de plusieurs dizaines de jeunes, des milliers de gens sont descendus dans les rues pour livrer des batailles désespérées avec les forces de l'Etat. Au cours de ces luttes, on eu lieu des actions d'un grand courage. La population de Benghazi, apprenant que des mercenaires avaient débarqué à l'aéroport, est descendue massivement jusqu'à l'aéroport et en a pris le contrôle, malgré de lourdes pertes. Dans une autre action, des civils ont réquisitionné des bulldozers et autres véhicules et ont pris d'assaut une caserne lourdement armée. La population dans d'autres villes a chassé les forces de répression de l'Etat. La seule réponse du régime a été encore plus de répression, mais cela a entraîné l'éclatement d'une grande partie des forces armées, et des soldats et des officiers ont refusé d'exécuter les ordres de tuer les manifestants. Un simple soldat a tué un commandant qui lui ordonnait de tirer pour tuer. Donc, initialement, ce mouvement semble avoir été une véritable explosion de colère populaire, particulièrement de la part de la jeunesse urbaine, face à la répression brutale et à l'aggravation de la misère économique.
L'aggravation de la crise économique et un refus croissant d'accepter la répression a été le contexte plus large pour les mouvements en Tunisie, en Egypte et ailleurs, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La classe ouvrière et la population en général ont subi des années de pauvreté et d'exploitation brutale, dans le même temps que la classe dirigeante accumulait des richesses immenses.
Mais pourquoi la situation en Libye est-elle si différente de celle de la Tunisie et de l'Egypte ? Dans ces deux derniers pays, alors qu'il y avait la répression, les principaux moyens pour contrôler le mécontentement social a été l'utilisation de la démocratie. En Tunisie, les manifestations grandissantes de la classe ouvrière et d'une population plus large contre le chômage ont été détournées en une nuit vers l'impasse de savoir qui remplacerait Ben Ali. Sous la direction de l'armée américaine, l'armée tunisienne a demandé au président de déguerpir. Il a fallu un peu plus longtemps en Egypte pour obtenir que Moubarak fasse de même, mais sa résistance même a permis de s'assurer que ce mécontentement se focalise sur la volonté de se débarrasser de lui. Fait important, l'une des choses qui l'a finalement poussé vers la sortie a été le déclenchement de la grève réclamant de meilleures conditions de vie et de meilleurs salaires. Cela a montré que les travailleurs, tout en ayant participé à des manifestations massives contre le gouvernement, n'ont pas oublié leurs propres intérêts et ne sont pas prêts à les mettre de côté pour soi-disant donner une chance à la démocratie.
En Egypte et en Tunisie, l'armée est l'épine dorsale de l'Etat et elle a été capable de placer les intérêts du capital national au-dessus des intérêts particuliers des cliques. En Libye, l'armée n'a pas le même rôle. Le régime de Kadhafi a délibérément maintenu, pendant des décennies, l'armée faible, ainsi que toutes les autres parties de l'Etat qui pouvaient constituer une base de pouvoir pour ses rivaux. « Kadhafi a tenté de maintenir les militaires en état de faiblesse, pour qu'ils ne puissent pas le renverser, comme elle a renversé le roi Idris » a déclaré Paul Sullivan, un expert en Afrique du Nord, de la National Defense University, à Washington. Le résultat est « une armée chichement entraînée par des officiers mal formés qui sont sur la corde raide, pas tout à fait stables sur le plan personnel, et avec de nombreuses armes qui flottent tout autour. » (Bloomberg, 2 mars) Cela signifie que la seule réponse du régime à tout mécontentement social est la répression à l'état pur.
La brutalité même de la réponse de l'Etat a entraîné la classe ouvrière dans une flambée de colère désespérée à la vue du massacre de ses enfants. Mais les travailleurs qui ont rejoint les manifestations l'ont fait en grande partie en tant qu'individus : malgré le grand courage qu'il a fallu pour résister aux armes lourdes de Kadhafi, les travailleurs n'ont pas été en mesure de faire valoir leurs propres intérêts de classe.
En Tunisie, comme nous l'avons dit, le mouvement a commencé au sein de la classe ouvrière et des pauvres contre le chômage et la répression. Le prolétariat, en Egypte, est entré dans le mouvement après avoir participé, ces dernières années, à plusieurs vagues de luttes et cette expérience lui a donné confiance dans sa capacité de défendre ses propres intérêts. L'importance de cela a trouvé sa démonstration, lorsqu'à la fin des manifestations, une vague de grèves a éclaté.
Le prolétariat libyen est entré dans le conflit actuel dans une position de faiblesse. Il y a eu des communiqués sur une grève dans un champ pétrolifère. Mais il est impossible de dire s'il y a eu d'autres expressions de l'activité de la classe ouvrière. C’est peut-être le cas, mais il reste que le prolétariat, en tant que classe, est plus ou moins absent. Cela signifie que la classe ouvrière, a été, dès le début, vulnérable à tous les poisons idéologiques sécrétés par une situation de chaos et de confusion. L'apparition du vieux drapeau monarchiste et son acceptation, en seulement quelques jours, comme le symbole de la révolte, est le signe de la profondeur de cette faiblesse. Ce drapeau a flotté de concert avec le slogan nationaliste 'Une Libye libre'. Il y a eu aussi des expressions de tribalisme, avec l'appui ou l'opposition au régime de Kadhafi, déterminé, dans certains cas, par des intérêts régionaux ou tribaux. Des chefs tribaux ont usé et usent encore de leur autorité pour se mettre à la tête de la rébellion. Il semble y avoir aussi une forte présence de l'islamisme avec le chant 'Allahu Akbar' se faisant entendre dans de nombreuses manifestations.
Ce bourbier idéologique a exacerbé une situation où des dizaines, sinon des centaines de milliers de travailleurs étrangers ont ressenti le besoin de fuir le pays. Pourquoi des travailleurs étrangers défileraient-ils derrière un drapeau national, peu importe sa couleur ? Un véritable mouvement prolétarien aurait incorporé, dès le début, les travailleurs étrangers, parce que les réclamations auraient été communes : de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et la fin de la répression pour tous les travailleurs. Ils se seraient unis parce que leur force est leur unité, quelle que soit la nation, la tribu ou la religion.
Kadhafi a fait pleinement usage de tout ce poison pour essayer d'obtenir le soutien des travailleurs et de la population, contre la prétendue menace que pèserait sur sa 'révolution' : les étrangers, le tribalisme, l'islamisme, l'Occident…
La majorité de la classe ouvrière déteste le régime. Mais le véritable danger pour la classe ouvrière, extrêmement grave, est qu'elle soit entraînée derrière 'l'opposition'. Cette opposition, avec le nouveau 'Conseil National', qui assume de plus en plus une position de leadership, est un conglomérat de différentes fractions de la bourgeoisie : les anciens membres du régime, les monarchistes, etc., ainsi que des chefs tribaux et religieux. Tous ont pleinement tiré parti du fait que ce mouvement n'a pas de direction prolétarienne indépendante pour imposer leur volonté de remplacer la direction par Kadhafi de l'Etat libyen.
Le Conseil National est clair sur son rôle : « L'objectif principal du Conseil National est d'avoir un visage politique ... pour la révolution »,« Nous allons aider à libérer d'autres villes libyennes, en particulier Tripoli, grâce à notre armée nationale, à nos forces armées, dont une partie a annoncé son soutien au peuple », (Reuters Africa du 27 février) « Une Libye divisée est impensable »(Reuters 27 février). En d'autres termes, leur but est de maintenir la dictature capitaliste actuelle, mais avec un visage différent.
Cependant, l'opposition n'est pas unie. L'ancien ministre de la justice de Kadhafi, Mohamed Mustafa Abud Ajleil, a annoncé la formation d'un gouvernement provisoire, siégeant à Al-Baida, à la fin de février, avec le soutien de certains anciens diplomates. Cette initiative a été rejetée par le Conseil National dont le siège est à Benghazi.
Cela montre qu'il y a des divisions profondes dans l'opposition qui exploseront inévitablement, soit qu'ils parviennent à se débarrasser de Kadhafi, soit que ces 'leaders' se querellent pour sauver leur peau si Kadhafi parvient à rester au pouvoir.
Le Conseil National montre un meilleur visage au public. Il est dirigé par Ghoga, un célèbre avocat des Droits de l'Homme et il n'est donc pas trop compromis par des liens avec l'ancien régime, contrairement à Ajleil. C'est beaucoup mieux pour vendre cette bande à la population.
Les médias ont fait beaucoup de bruit à propos des comités qui ont vu le jour dans les villes et les régions dont Kadhafi a perdu le contrôle. Bon nombre de ces comités semblent avoir été auto-désignés par les dignitaires locaux, et même si certains d'entre eux étaient des expressions directes de la révolte populaire, il semble qu'ils ont été entraînés dans le cadre étatique bourgeois du Conseil National. L'effort du Conseil national pour mettre en place une armée nationale signifie autant la mort et la destruction pour la classe ouvrière et l'ensemble de la population que si cette armée se battait aux côtés des forces de Kadhafi. La fraternisation sociale qui a initialement contribué à saper les efforts du régime de répression a été vite remplacée par des batailles rangées, sur un front purement militaire, alors que la population a été appelée à faire des sacrifices pour s'assurer que l'Armée Nationale puisse se battre.
La transformation de l'opposition bourgeoise en un nouveau régime est accélérée par le soutien de plus en plus ouvert des grandes puissances : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, etc. Les gangsters impérialistes prennent maintenant leurs distances avec leur ancien copain Kadhafi en vue de veiller à ce que, si une nouvelle équipe arrive au pouvoir, ils détiennent une certaine influence sur elle. Le soutien ira à ceux qui s'inscrivent dans la défense des intérêts impérialistes des grandes puissances.
Ce qui semble avoir commencé comme une réponse désespérée à la répression de la part d'une partie de la population a très rapidement été utilisé par la classe dirigeante en Libye et à l'étranger à ses propres fins. Un mouvement qui a commencé comme un effort plein de fureur et de colère pour arrêter le massacre des jeunes a fini par un autre massacre et un bain de sang , mais maintenant, au nom d'une « Libye libre ».
Le prolétariat de Libye et d'ailleurs ne peut répondre qu'en accentuant sa détermination à ne pas se laisser entraîner dans des luttes sanglantes entre les factions de la classe dirigeante au nom de la démocratie ou d'une nation libre. Dans les jours et semaines à venir, si Kadhafi s'accroche au pouvoir, le soutien international à l'opposition sera de plus en plus fort. Et s’il s'en va, il y aura une campagne tout aussi assourdissante sur le triomphe de la démocratie, le pouvoir du peuple et la liberté. Dans les deux cas, les travailleurs seront invités à s'identifier avec le visage démocratique de la dictature du capitalisme.
Phil (5 mars)
Nous publions ci-dessous un article d'Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis montrant comment la bourgeoisie américaine, touchée par les effets de la décomposition, est de plus en plus divisée. Une partie d'entre-elle est même en train de se vautrer dans l'obscurantisme le plus crasse. Mais par ce texte, nos camarades révèlent aussi à quel point la crise économique frappe de plein fouet la première puissance mondiale sans qu'aucune issue ne soit envisageable pour le capital américain.
Les élections de la mi-mandat de la fin 2010 ont été désastreuses pour le Parti démocrate. Les Républicains ont gagné à une forte majorité la Chambre des Représentants, ce qui leur donne la capacité de faire obstruction à toute loi qui doit passer par les deux chambres du Congrès.
Pour les médias bourgeois, ces élections ont mis les Républicains dans une position favorable pour gagner les présidentielle de 2012 face à Barak Obama. Le président américain a d'ailleurs lui-même admis qu'il avait subi une lourde défaite électorale et a promis de faire de son mieux pour travailler avec les Républicains au Congrès. Pendant ce temps, la gauche du Parti démocrate, dit 'progressiste', chantait un air différent, faisant valoir que les résultats des élections s'expliquaient au contraire par l'effondrement de la coalition électorale du président à cause de son manque de prudence face à l'obstructionnisme républicain, de sa trahison par rapport au programme national de santé et de son programme pro Wall-Street.
Cependant, il n'y a pas eu que de bonnes nouvelles pour les Républicains. Les élections ont aussi mis en lumière des fractures importantes en leur sein. Le poids croissant du Tea Party dans les rangs du Parti lui a sans doute coûté son contrôle du Sénat. Bien que la démagogie du Tea Party ait été utile pour la mobilisation de la base du parti conservateur dans la Chambre des Représentants des districts, elle a aussi détourné de nombreux électeurs. Pourtant, un certain nombre de républicains provocateurs, tels que l'extrémiste libertaire Paul Rand, du Kentucky, auront des sièges au Sénat lorsque le nouveau Congrès se réunira en janvier 2011. Le Parti républicain entrera donc de plus en plus divisé dans le nouveau Congrès, son aile droite apparaissant autant en contradiction avec les 'républicains modéré' qu'avec les démocrates.
Il est clair que le système politique est soumis à un stress face une crise économique persistante qui ne va pas disparaître, quoique fasse la bourgeoisie. Le chômage reste extrêmement élevé, le crédit est encore en grande partie gelé, les entreprises ne trouvent tout simplement plus à investir de manière rentable, la capacité de consommation de la classe ouvrière est fortement réduite par l'effondrement des prêts à la consommation… Pendant ce temps, la bourgeoisie commence enfin à prendre conscience de l'ampleur de la menace que représente la dette nationale ; des gouvernements locaux et des Etats se trouvent face de graves déficits budgétaires.
Alors, qu'est-ce que tout cela signifie pour la classe ouvrière ? Le prolétariat n'a jamais rien à gagner dans les élections bourgeoises. Les élections sont des moments de la vie de la bourgeoisie où elle tente toujours de lier la classe ouvrière à l'Etat, de régler les conflits internes dans ses rangs et de mettre au pouvoir l'équipe la mieux adaptée au moment. Cependant, la classe ouvrière a un besoin vital de comprendre la stratégie politique de la classe dominante.
Aujourd'hui, le poids néfaste de la décomposition sociale sur l'appareil politique de la bourgeoisie donne lieu à une difficulté croissante pour la classe dirigeante pour gérer son système politique et électoral pour obtenir les meilleurs résultats possibles du point de vue de l'ensemble du capital national. La tendance croissante au 'chacun pour soi' dans l'arène de la politique pèsent aujourd'hui lourdement sur la bourgeoisie américaine. Quelle profondeur la crise politique de la bourgeoisie a-t-elle atteint ? Telle est la question essentielle pour la classe ouvrière quand il s'agit de l'analyse des élections bourgeoises.
Selon les médias bourgeois, les experts sont divisés sur ce que devrait être la politique économique la plus urgente dans la conjoncture actuelle. D'une part, les 'chasseurs de déficit' affirment que la dette nationale des Etats-Unis est entrée dans une spirale non contrôlable qui menace sur le long terme la position de la nation en tant que leader impérialiste mondial. Pour ces économistes, le besoin le plus pressant face l'Etat est d'adopter des mesures d'austérité douloureuses pour réduire les dépenses fédérales, de promulguer des coupes claires dans les programmes sociaux, de réduire les effectifs du gouvernement fédéral, de rationaliser le code des impôts et de rendre sa solvabilité à l'Etat. Selon cette ligne de pensée, si la dette n'est pas sous contrôle, les Etats-Unis finiront par se trouver face à une crise de la dette souveraine de l'ordre de ce que la Grèce et l'Irlande connaissent aujourd'hui. En voyant les Etats-Unis comme un mauvais investissement, comme un pays qui refuse de prendre les mesures nécessaires pour assainir ses finances, les investisseurs étrangers cesseront d'acheter des bons du trésor ce qui coupera l'herbe sous les pieds du modèle 'emprunter et dépenser' qui a maintenu les pays à flot pendant au moins la dernière décennie. Le récent rapport de la Commission Présidentielle de la Dette, allant dans le même sens, a appeler à relever l'âge de la retraite, à réaliser des coupes de la sécurité sociale, l'élimination du crédit d'impôt hypothécaire, la réduction du personnel fédéral et même certaines réductions du budget militaire, afin de réduire la dette nationale.
D'autre part, des économistes de gauche, comme Paul Krugman et Robert Reich, font valoir que les inquiétudes concernant la dette fédérale, même si elles portent sur un problème réel, sont exagérées. Pour eux, la priorité pour l'Etat est de faire redémarrer l'économie en adoptant des programmes de relance expansionnistes afin de stimuler les dépenses de consommation et créer des emplois. Selon cette perspective, l'économie américaine souffre d'un grave problème de 'sous-consommation', les salaires de la classe ouvrière ont été tellement réduits qu'ils ne peuvent tout simplement pas se permettre d'acheter ce qui est produit. Bien que ce problème ait été supprimé au cours des 20 dernières années grâce à un recours massif au crédit à la consommation, cette logique suit maintenant son cours. Selon la thèse du couple Reich-Krugman, une autre série de relances keynésiennes est nécessaire pour mettre plus d'argent dans les poches des consommateurs, permettant la croissance de l'économie et la retombée du chômage. Adopter une politique d'austérité forte et trop vite pourrait être un désastre.
Il n'est pas nécessaire de beaucoup réfléchir pour reconnaître que, dans le court terme, ces deux politiques sont en complète contradiction l'une par rapport l'autre. L'une appelle à contracter l'économie afin d'améliorer, sur le long terme, la position budgétaire de l'Etat, tandis que l'autre prend le risque d'empirer la dette nationale dans le but d'améliorer, dans l'immédiat, la consommation et donc l'économie. Cependant, il n'y a rien de surprenant à ce que deux factions différentes d'économistes expriment deux visions contrastées des priorités les plus importantes pour l'Etat. Cela reflète simplement la contradiction fondamentale dans laquelle se trouve aujourd'hui le capitalisme sur le plan international. Après prêt de cent années d'authentique capitalisme d'Etat, presque tous les Etats se trouvent confrontés à un choix fondamental face à la crise économique permanente : tenter de stimuler l'économie avec le risque de nouveaux dommages à long terme sur les finances publiques ou adopter tout de suite une politique d'austérité et prendre le risque de rendre comateuse une économie faible.
Néanmoins, il ne faut pas interpréter le débat entre ces deux positions de principe comme la preuve d'une véritable divergence, au sein de la bourgeoisie américaine, sur la nécessité d'adopter l'austérité contre la vie de la classe ouvrière et ses conditions de travail. Toutes les fractions de la bourgeoisie reconnaissent que la crise financière de l'Etat est réelle et devra finalement être traitée en faisant des 'sacrifices douloureux'. Les débats politiques du moment, au sein de la bourgeoisie, ne concernent que le calendrier de l'austérité et la question de savoir si, oui ou non, une autre série de stimuli, étant donné les risques sur le long terme, aidera vraiment l'économie à se redresser. Malgré une campagne médiatique concertée, dirigée vers la classe ouvrière, autour de la menace que pose à la nation la dette nationale, une forte faction au sein de la bourgeoisie américaine estime qu'une plus grande impulsion est nécessaire. Pour le moment, cette faction semble avoir l'oreille de l'administration Obama1. L'extension récente de la période des réductions fiscales de Bush, combinée avec une autre extension du programme d'indemnisation d'urgence du chômage au niveau fédéral et une réduction de la taxe sociale sur les salaires, ont été mises en place par l'administration comme un 'programme de relance' censé ajouter jusqu'à 1,3 million d'emplois au cours des deux prochaines années2. Bien entendu, toutes ces réductions d'impôts et ces extensions des prestations de chômage vont venir augmenter le poids de la dette nationale.
La classe ouvrière ne doit pas se laisser berner par le recours continu de l'administration Obama à des politiques keynésiennes. Derrière ces politiques à court terme, toutes les factions de la bourgeoisie savent que "le jour du jugement viendra", le Scylla de la dette et de la crise financière l'emportera sur le Charybde du chômage et de la stagnation économique3. La question que se pose la bourgeoisie, en ce moment, est : quelle faction politique devra détenir le pouvoir d'Etat lorsque l'assaut sur le salaire social commencera ?
Du point de vue de historique, il semble probable que la bourgeoisie américaine soit tentée de faire sortir le Parti démocrate du pouvoir afin qu'il puisse jouer le rôle traditionnel de la gauche dans l'opposition, pendant que les républicains gouverneront et adopteront les mesures d'austérité nécessaires. Toutefois, étant donné la hauteur de la tourmente qui s'est produite dans le système politique américain au cours de la dernière décennie, l'accomplissement d'une telle manoeuvre n'est plus du tout simple, aujourd'hui, pour la bourgeoisie. Bien que la décomposition sociale ait touché l'ensemble du spectre politique bourgeois au cours des dix dernières années, il n'a pas touché de façon égale les deux partis politiques américains. Au cours de la dernière décennie, le Parti républicain a été de plus en plus dirigé par des factions de la bourgeoisie qui n'ont pas nécessairement la capacité d'agir dans l'intérêt général du capital national. L'actuelle coalition républicaine comprend les obscurantistes de la droite chrétienne, les tenants de l'idéologie libertaire qui veulent abolir la Réserve Fédérale, les fondamentalistes du marché libre, les factions les plus belliqueusement anti-immigré que la bourgeoisie a à offrir et ceux qui se délectent de l'héritage de la diplomatie cowboy de l'ère Bush. En plus de cela, nous devons maintenant ajouter ceux du Tea Party, dont beaucoup sont des idéologues qui croient vraiment dans les philosophies extrémistes qu'ils prêchent. Alors que les 'républicains modérés', fidèles à la sagesse de Washington, contrôlent encore les leviers du pouvoir dans le Parti, ils sont soumis aux agressions de "l'insurrection de droite" dans leurs propres rangs, les obligeant à se plier aux exigences de ces factions, en même temps qu'ils essayent de les manipuler pour améliorer leur position électorale.
Il y a de nombreux risques pour la bourgeoisie dans la période venir. Faut-il ramener le Parti républicain au pouvoir en vue des difficiles, mais nécessaires, mesures d'austérité au risque d'une réédition des années Bush ? Faut-il se rallier à Barack Obama, de nouveau en 2012, dans l'espoir de maintenir une administration démocrate de centre-droit plus responsables et compétente, mais au risque de bouleverser la division idéologique droite-gauche contre la classe ouvrière ?
Dans les jours suivant les élections de la mi-mandat, Obama ressemblait à un président en fin de mandat. Son parti avait subi une défaite historique aux élections : les candidats démocrates au Congrès, pour d'importants Etats industriels qu'Obama avait remporté en 2008, avaient subi défaites sur défaites. Les démocrates avaient même été incapables de conserver l'ancien siège d'Obama au Sénat de l'Illinois. Les médias ont appelé ces élections "la marée républicaine". Cela a été présenté comme un rejet total de l'ordre du jour d'Obama, notamment, de son projet de loi controversé de réforme de la santé. Il a été déclaré que la seule façon pour les républicains de perdre en 2012 serait de nommer un candidat extrémiste du Tea Party, comme Sarah Palin. Tout ce que les républicains auraient à faire pour revenir au pouvoir en 2012 serait de désigner un candidat crédible, qui discréditerait et abattrait rapidement Obama. Les républicains peuvent fairet obstruction au Congrès à toute nouvelle législation, pendant les deux prochaines années, ce qui laisserait Obama faible et inefficace. Le public le rejetterait à coup sûr.
Cependant, à peine deux mois depuis l'élection, le vent politique a semblé changer une fois de plus. Obama a repris de la vigueur après une série d'importantes victoires législatives dans ce canard boiteux de Congrès et il semble maintenant à nouveau présidentiable. Il a appuyé au Sénat le nouveau traité START avec la Russie, contre l'obstruction obstinée de certains républicains. Il a finalement fait passer la loi qui met fin à la politique militaire du 'Don't Ask Don't Tell' qui permettait que de nombreuses personnes qualifiées gay soient bannies du service. La fin de cette politique a été approuvée par le Secrétaire de la Défense d'Obama, républicain, contre les objections gratuites d'un certain nombre de républicains obstinés, y compris John Mc Cain, le concurrent d'Obama aux présidentielle de 2008.
Surtout, Obama a passé un compromis avec les républicains pour prolonger de deux ans la période des réductions d'impôts de Bush pour tous les Américains, mais qui s'étend finalement au programme d'urgence du gouvernement fédéral d'assurance-chômage pendant 13 mois et comprend une autre série de réductions d'impôts, qui sont attendues par de nombreux économistes comme devant fournir un stimulus correct à l'économie au cours des deux prochaines années. Selon certains analystes, Obama a complètement doublé les républicains sur ce projet de loi, en adoptant une forme de relance économique plus importante que tout ce qui l'a précédé.
Pourtant, cela n'a pas empêché une mini révolte d'avoir lieu au sein du Parti démocrate sur l'accord fiscal qu'Obama a trouvé avec les républicains. Les rémocrates soi-disant 'progressistes' ont accusé leur propre président de s'être vendu, d'avoir accepté un compromis sans combattre, d'avoir cédé aux exigences du Parti républicain pour poursuivre des réductions d'impôts irresponsables en faveur des Américains les plus riches et d'aggraver ainsi la dette nationale.
Pendant la plus grande partie de la semaine, les blogs de gauche et le réseau MSNBC ont multiplié les appels à une primaire 2012 défiant Obama ou lui lançant le défi d'un troisième candidat de la part de la gauche4. Les démocrates du Congrès ont promis de voter contre le compromis de taxe, tandis que Bernie Sanders, le sénateur socialiste autoproclamé du Vermont, se gaussait à la tribune du Sénat du compromis fiscal, pestait contre la baisse du niveau de vie de la classe ouvrière américaine, tandis que les Américains les plus riches continuent de se remplir les poches. Durant cette période, la base du Parti démocrate s'est trouvée dans un état de choc et d'incrédulité et a semblé former une opposition courroucée contre leur propre président.
Néanmoins, tout s'est rapidement calmé et le compromis fiscal en tant que programme de stimulation a remporté suffisamment de voix démocrates pour franchir les deux chambres du Congrès et prendre force de loi. Ce "dramelet" au cours de cette législation peut être un aperçu des choses à venir. Si la bourgeoisie décide qu'il est trop risqué de retirer le Parti républicain du pouvoir, est-il possible qu'ils puissent tenter de pratiquer l'austérité avec une administration de centre-droit démocrate, tacitement appuyée par les 'républicains modérés', tandis que la base démocrate du Congrès jouerait le rôle de la gauche dans l'opposition ? En ce moment, nous ne pouvons pas dire si cela se produira. Cependant, la controverse sur le compromis fiscal donne un indict pour savoir comment une telle disposition pourrait fonctionner.
Mais cet arrangement gouvernementale pourrait comporter un autre risque, celui de la radicalisation de la droite du Parti républicain, et éventuellement, amener une scission avec le Tea Party et ainsi l'apparition d'un troisième parti qui concurrencerait la droite. Beaucoup d'idéologues républicains du Congrès rejettent en effet catégoriquement les tentatives de leurs dirigeants de faire des compromis avec Obama.
Une campagne est en cours dans les médias, dirigée par des 'républicains responsable', pour tenter de convaincre Sarah Palin de ne pas être candidate à la présidence en 2012. Même si elle peut être utile pour collecter des fonds pour les républicains et pour le ralliement au vote de la base conservatrice, il y a un consensus général parmi les principales factions de la bourgeoisie dans les deux Partis sur le fait qu'elle serait une présidente désastreuse, exponentiellement pire que Bush. En outre, sa candidature pourrait poser des difficultés pour enlever le Parti républicain du pouvoir en 2012, dans la mesure où elle est susceptible de réveiller les électeurs d'Obama.
En dernière analyse, la situation politique des Etats-Unis se caractérise actuellement par une instabilité provoquée par la décomposition. Toutes les factions responsables de la bourgeoisie reconnaissent finalement la nécessité d'adopter l'austérité. Cependant, à l'heure actuelle, il y a peu de consensus sur la manière d'y parvenir au niveau politique. Alors que l'histoire nous dit que la bourgeoisie cherche à placer le Parti démocrate dans l'opposition, de telle sorte que les républicains puissent adopter les coupes nécessaires (pendant que les démocrates travaillent avec les syndicats pour canaliser et finalement saboter la réplique de la classe ouvrière), la situation actuelle de décomposition rend cette opération un peu moins simple pour la bourgeoisie. La classe dirigeante pourrait opter pour une tentative d'adopter ces coupes avec un président de centre-droit démocrate, de connivence avec les républicains. En ce cas, le groupe démocrate du Congrès, avec les syndicats5, jouerait l'illusion de l'opposition de gauche. Ce type d'action comporterait le risque grave d'une rupture dans la division idéologique traditionnelle du travail entre les démocrates et les républicains. Toutefois, étant donné la dégradation idéologique du Parti républicain et la possibilité d'un candidat présidentiel dangereux émergeant de ses rangs, la bourgeoisie n'a peut-être pas d'autre choix que d'opter pour une telle politique.
Bien sûr, il est également possible que les effets de la décomposition aient une telle emprise sur l'appareil politique bourgeois qu'à la fin, les principales factions de la bourgeoisie ne puissent pas empêcher une présidence Palin, ou certains de même veine. Si Palin décide de se lancer, il est possible que l'insurrection du Tea Party saura l'amener à la victoire dans les primaires républicaines. En tant que candidate du Parti républicain, elle peut dynamiser la base démocrate pour venir aux urnes, mais compte tenu des contraintes du système politique américain, en particulier des anachronismes du Collège Electoral, il est possible que, dans une répétition comique de l'élection de 2000, Sarah Palin puisse gagner la présidence, mais perdre le vote populaire. Bien que ce soit là une possibilité très lointaine pour le moment, nous pouvons être assurés que c'est une éventualité à laquelle les principales factions de la bourgeoisie se préparent et font de leur mieux pour éviter.
Pour la classe ouvrière, le message est clair. Le système politique bourgeois ne peut nous offrir rien d'autre que plus de souffrance, d'austérité et de misère. La décomposition du système politique capitaliste a atteint un tel point que la classe dirigeante elle-même ne peut plus être certaine d'obtenir les résultats souhaités par le cirque électoral. Peut-on encore douter que ce cirque politique et électoral soit absolument inutile à notre classe ?
Henk (25 décembre 2010)
1 En cela, la bourgeoisie américaine va à l'encontre de la tendance internationale qui a vu la plupart des Etats européens prendre des mesures d'austérités. Tout comme des éléments de la bourgeoisie américaine ont peur d'une relance nationale prématurée, ils craignent aussi que les mesures d'austérités européennes mettent en péril la reprise de l'économie mondiale.
2 Même si l'économie ajoute tous les emplois annoncés (ce qui est plus qu'improbable) ceci doit être replacé dans le contexte des 8 millions d'emplois qui ont été perdus depuis 2007, sans parler de la montée de la jeune génération de travailleurs couverts de dettes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.
3 A bien des égards, cette attaque est déjà en cours au niveau national et local, les gouvernements locaux n'ayant pas la même capacité à recourir à l'endettement.
4 Le gauchiste notoire Michael Moore a fait allusion à un défi de gauche à Obama d'un troisième parti possible dans l'émission Countdown with Keith Olberman sur MSNBC.
5 Nous devons remarquer ici que le processus de décomposition a également affecté les syndicats. Témoin la participation d'Andy Stern, l'ancien président du syndicat des employés des services, à la Commission Présidentielle de la Dette d'Obama. Stern a fièrement proclamé qu'il allait mettre sa loyauté au travail au service de la nation.
Nous publions ci-dessous un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne et mis en ligne sur notre site en anglais dès le 5 février.
Le vent de colère soufflant en Tunisie et en Egypte depuis des semaines est en train de gagner l’Algérie, la Libye, le Maroc, la bande de Gaza, la Jordanie, la Syrie, l’Irak, le Bahreïn et le Yémen !
Quels que soient les drapeaux que les manifestants brandissent, toutes ces manifestations ont leurs racines dans la crise mondiale du capitalisme et dans ses conséquences directes : le chômage, la hausse des prix, l'austérité, la répression et la corruption des gouvernements qui dirigent ces attaques brutales contre les conditions de vie. Elles ont les mêmes origines que la révolte de la jeunesse grecque contre la répression policière en 2008, la lutte contre les 'réformes' des retraites en France, les rébellions des étudiants en Italie et en Grande-Bretagne, et les grèves des travailleurs du Bangladesh à la Chine, de l'Espagne au Etats-Unis.
La détermination, le courage et le sens de la solidarité affichés dans les rues de Tunis, du Caire, d'Alexandrie et de nombreuses autres villes sont une véritable source d'inspiration. Les masses qui occupent la place Tahrir au Caire ou d'autres lieux publics ont repoussé les attaques des voyous à la solde du régime et de la police, ont appelé les soldats à fraterniser avec elles, ont soigné leurs blessés, ont ouvertement rejeté les divisions sectaires entre musulmans et chrétiens, entre religieux et laïcs. Dans les quartiers, elles ont formé des comités pour protéger leurs maisons contre les pillards manipulés par la police. Des dizaines de milliers de personnes se sont effectivement mises en grève pendant des jours et même des semaines, afin de grossir les rangs des manifestants.
Face à ce spectre d'une révolte massive, avec la perspective cauchemardesque de sa propagation à travers tout le 'monde arabe', et même au-delà, la classe dirigeante a réagi dans le monde entier avec ses deux armes les plus fiables, la répression et la mystification :
En Tunisie, des quantités de gens ont été abattus dans les rues, et maintenant la classe dirigeante proclame 'le commencement d'une transition vers la démocratie' .
En Egypte, le régime de Moubarak alterne entre tabassages, insultes, gazage des manifestants et de vagues promesses.
A Gaza, le Hamas arrête des manifestants qui cherchent à faire preuve de solidarité avec les révoltes en Tunisie et en Egypte.
En Cisjordanie, l'OLP a interdit 'les réunions non autorisées' qui appellent à soutenir les soulèvements.
En Irak, les manifestations contre le chômage et la pénurie se font tirer dessus par le régime installé par les 'libérateurs' américains et britanniques.
En Algérie, après l'étouffement des premiers signes de la révolte, des concessions sont faites pour légaliser de timides revendications.
En Jordanie le roi limoge son gouvernement.
Au niveau international, la classe capitaliste alterne également ses discours : certains, en particulier ceux de droite, et bien sûr les dirigeants d'Israël, soutiennent ouvertement le régime de Moubarak comme le seul rempart contre une prise de pouvoir islamiste. Mais le ‘la’ est donné par Obama : après quelques hésitations, le message est que Moubarak doit s'en aller et s'en aller vite. La 'transition vers la démocratie' est présentée comme la seule voie possible pour les masses opprimées d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Ce mouvement massif, dont l'Egypte pour centre, est donc confronté à deux dangers.
Le premier est que l'esprit de révolte soit noyé dans le sang. Mais il semble que les tentatives initiales par le régime de Moubarak de se sauver par la poigne de fer ont été contrecarrées : d'abord la police a dû se retirer de la rue face aux manifestations massives, et l'envoi des voyous pro-Moubarak, la semaine dernière, n'a pas non plus réussi à entamer la volonté des manifestants à poursuivre leur mouvement. Dans ces deux rounds d'affrontement, l'armée s'est présentée comme une force 'neutre', et même comme étant du côté des manifestants anti-Moubarak et étant là pour les protéger des agressions des défenseurs du régime. Il ne fait aucun doute que beaucoup de soldats sympathisent avec les manifestants et ne seraient pas prêts à tirer sur les masses dans les rues. D'ailleurs, certains ont déjà déserté. Au sommet de la hiérarchie de l'armée, il y a certainement des factions qui veulent que Moubarak s'en aille maintenant. Mais l'armée de l'Etat capitaliste n'est pas une force neutre. Sa 'protection' de la place Tahrir est aussi une sorte de confinement, un énorme encerclement, et quand les choses se gâteront, l'armée sera effectivement utilisée contre la population exploitée, sauf si cette dernière réussit à neutraliser la troupe en la ralliant à sa cause.
Mais ici nous arrivons au deuxième grave danger qui guette : le danger qui réside dans les illusions largement répandues sur la démocratie, dans la croyance que, peut-être, l'Etat pourrait, après quelques réformes, être mis au service du peuple, dans la conviction que 'tous les Egyptiens', à l'exception de, peut-être, quelques individus corrompus, ont les mêmes intérêts fondamentaux, dans la croyance en la neutralité de l'armée, dans la croyance que la terrible pauvreté à laquelle est confrontée la majorité de la population peut être surmontée s'il y a un parlement qui fonctionne et la fin du règne arbitraire d'un Ben Ali ou d'un Moubarak.
Ces illusions, exprimées chaque jour dans les paroles des manifestants eux-mêmes et sur leurs bannières, désarment le véritable mouvement d'émancipation, qui ne peut avancer que comme un mouvement de la classe ouvrière, combattant pour ses propres intérêts, qui soit distinct de celui des autres couches sociales, et qui soit avant tout diamétralement opposé aux intérêts de la bourgeoisie, de tous ses partis et factions. Les innombrables expressions de solidarité et d'auto-organisation que nous avons vues jusqu'ici reflètent déjà l'élément véritablement prolétarien des révoltes sociales actuelles et, comme bon nombre des manifestants l'ont déjà dit, elles laissent présager une société nouvelle et plus humaine. Mais cette société nouvelle et meilleure ne peut pas être amenée par des élections parlementaires, qui placeront un El Baradei ou les Frères musulmans ou toute autre faction bourgeoise à la tête de l'Etat. Ces factions, qui peuvent être portées au pouvoir par la force des illusions des masses, n'hésiteront pas plus tard à utiliser la répression contre ces mêmes masses.
Il y a eu beaucoup de discours sur la 'révolution' en Tunisie et en Egypte, à la fois de la part des principaux médias et de l'extrême gauche. Mais la seule révolution qui a aujourd'hui un sens, c'est la révolution prolétarienne, parce que nous vivons à une époque où le capitalisme, qu'il soit démocratique ou dictatorial, ne peut tout bonnement rien offrir à l'humanité. Une telle révolution ne peut réussir qu'à l'échelle internationale, en brisant toutes les frontières nationales et en renversant tous les Etats-nations. Les combats de classe et les révoltes massives d’aujourd'hui sont certainement des étapes sur la voie d'une telle révolution, mais ils se heurtent à toutes sortes d'obstacles sur leur route. Pour atteindre l'objectif de la révolution, de profonds changements dans l'organisation politique et dans la conscience de millions de personnes n'ont pas encore eu lieu.
D'une certaine manière, la situation actuelle en Egypte est un résumé de la situation historique de l'ensemble de l'humanité. Le capitalisme est dans sa phase terminale. La classe dirigeante ne peut offrir aucune perspective pour l'avenir de la planète, mais la classe exploitée n'est pas encore conscience de son propre pouvoir, de sa propre perspective, de son propre programme pour la transformation de la société. Le danger ultime est que cette impasse temporaire prenne fin dans « la ruine commune des classes en lutte », comme le dit le Manifeste Communiste, dans un plongeon dans le chaos et la destruction. Mais la classe ouvrière, le prolétariat, ne découvrira sa véritable puissance qu'en s'engageant dans de véritables luttes, et c'est pourquoi ce qui se déroule actuellement en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est, malgré toutes ses faiblesses et illusions, un véritable phare pour les travailleurs du monde entier.
Et surtout c'est un appel aux prolétaires des pays les plus développés, qui commencent aussi à reprendre la route de la résistance aux attaques, pour qu'ils accomplissent la prochaine étape, en exprimant concrètement leur solidarité avec les masses du 'tiers-monde', en intensifiant leur propre combat contre l'austérité et l'appauvrissement, et, ce faisant, en mettant à nu tous les mensonges sur la liberté et la démocratie capitaliste, dont ils ont une longue et amère expérience.
World Revolution (5 février)
Depuis un certain nombre d'années il existe un intérêt renouvelé pour les approches classiques, développées par l'humanité en général et par la classe ouvrière en particulier au cours de son histoire. Plus que jamais, plus profondément que jamais, on est à la recherche d'idées, de prises de position, d’approches et de méthodes qui peuvent constituer une réelle contribution dans le développement d'une alternative fondamentale au mode de production capitaliste, qui mène l’humanité dans une impasse, dans une spirale de crises et de guerres. Le capitalisme se trouve dans un état de crise permanente, le salariat mène l'humanité à l'abîme.
D'où le besoin de lire, de redécouvrir les théoriciens les plus importantes du mouvement ouvrier et des diverses organisations ouvrières, que ces dernières ont générés au cours de leur histoire. Les personnes et les organisations seraient trop nombreuses à mentionner, mais elles comprennent tout le panel de théoriciens du communisme de Marx à Bordiga et les organisations internationalistes de la IIIème Internationale au CCI.
A la fin des années 1960, il existait une atmosphère politique comparable à aujourd’hui, avec la différence qu'à l'époque, il existait encore beaucoup plus d'illusions sur les perspectives que le capitalisme pouvait encore offrir à l'humanité. Car au cours de sa reprise historique, «le caractère massif des combats ouvriers, notamment avec l’immense grève de mai 1968 en France et l’automne chaud italien de 1969, avait mis en évidence que la classe ouvrière peut constituer une force de premier plan dans la vie de la société et que l’idée qu’elle pourrait un jour renverser le capitalisme n’appartenait pas au domaine des rêves irréalisables. Cependant, dans la mesure où la crise du capitalisme n’en était qu’à ses tous débuts, la conscience de la nécessité impérieuse de renverser ce système ne disposait pas encore des bases matérielles pour pouvoir s’étendre parmi les ouvriers » (1) (Résolution sur la situation internationale du 18ème Congrès du CCI).
Bien qu'existaient de nombreux débats enthousiastes sur la destruction des rapports de production capitalistes, cela signifiait surtout qu'on voulait mettre fin à l'exploitation, à l'aliénation, à l'oppression, aux structures autoritaires et au racisme. Mais la question du travail salarié était à peine remise en cause. Ce qu'on recherchait n'était en fait pas beaucoup plus qu'un capitalisme à visage plus humain. On a beaucoup parlé de changements radicaux et structurels, mais quand on en arrivait là, cela se limitait souvent à une « marche vers les institutions ». Souvent, on cherchait la réponse aux questions qui se posaient auprès de théoriciens bourgeois comme Marcuse, Foucault, Habermas, Fanon, etc.
Cependant, une autre tendance se développait simultanément: en réponse à ce système parlementaire et syndicaliste pourri, et à la dictature stalinienne, un « communisme » sclérosé (2), qui s'était développée face à elle, est apparu une attirance pour des formes de démocratie où la classe ouvrière donnait le ton. De là, le regain d'intérêt à la fin des années 1960 pour les courants qui faisaient de la propagande pour l'autogestion, la démocratie des Conseils, ou pour l’une ou l’autre forme de syndicalisme de base. Ainsi, on redécouvre non seulement des anarchistes comme Kropotkine et Rocker, mais aussi des communistes de Conseils comme Pannekoek, Rühle, Mattick et Korsch.
Quand on évoque l'intérêt renouvelé pour les communistes classiques comme Marx, Engels, Lénine et Trotski, mais aussi pour les positions communistes de Conseils, il faut savoir exactement de quoi on parle. Car tous les communistes de Conseils n'ont pas les mêmes fondements, ni n'utilisent la même méthode. Ainsi, Anton Pannekoek, décédé il y a maintenant cinquante ans, surpasse de loin tous ses épigones qui ont parlé et parlent encore en son nom. Ce « classique » parmi les marxistes a sans nul doute acquis une importance comparable à celle de Rosa Luxembourg ou d’Amadeo Bordiga. Et le fait que, plus tard dans sa vie, dans la période la plus noire de la contre-révolution, il en soit arrivé à se contredire et à s’embrouiller dans ses contradictions n'y change rien. Anton Pannekoek était et est resté, même à un âge avancé après la seconde guerre mondiale, un vrai théoricien du socialisme d'abord, et du communisme ensuite, quelqu'un qui au cours de sa vie a fourni une contribution essentielle au développement de la méthode marxiste.
Au début du 20ème siècle, il s’impose déjà comme défenseur des intérêts de la lutte ouvrière en menant le combat contre les tendances révisionnistes à l'intérieur du mouvement ouvrier néerlandais représentées par Troelstra. Avec Gorter, il dénonce radicalement toute collaboration avec des fractions libérales progressistes de la bourgeoisie au parlement. « Ni une attitude conciliante, ni la concertation, ni le rapprochement avec les partis bourgeois et l'abandon de nos revendications fondamentales ne sont les meilleurs moyens d'obtenir quelque chose, mais le renforcement de nos organisations, en nombre, en connaissance et en conscience de classe, de façon à ce qu'elles apparaissent à la bourgeoisie comme des forces toujours plus menaçantes et terrifiantes » (Anton Pannekoek et Herman Gorter, Marxisme et Révisionnisme, NieuwTijd, 1909).
Lorsqu'il se rendit en Allemagne en 1906, pour donner des cours à l'école du SPD, il entra rapidement en conflit avec la direction du SPD, en particulier avec Kautsky, sur l'importance d'une action de masse autonome des ouvriers. Avec Rosa Luxembourg, il défendit l’option de la grève de masse, contre la stratégie défendue par Kautsky, de ne pas tirer toutes ses cartouches en même temps et de mettre lentement la pression sur la bourgeoisie en menant des grèves locales démonstratives. « Quand nous parlons d'actions de masse, de leur nécessité, nous voulons désigner par là une activité politique extra-parlementaire de la classe ouvrière organisée, activité par laquelle elle agit directement sur la politique, au lieu de le faire par le truchement de ses représentants. Ces actions de masse ne sont pas synonymes d'action de « rue ». Même si les manifestations de rue en sont une expression, son expression la plus puissante, la grève de masse, peut aussi s’imposer quand les rues dont désertes. Les luttes syndicales qui mettent en branle d'emblée les masses mènent d'elles-mêmes à une action de masse politique. Envisagée sous un angle pratique, l’action de masse n’est rien d'autre qu'une extension du champ d'activité des organisations prolétariennes. » (Anton Pannekoek, Action de masse et révolution: Neue Zeit, XXX, 2e vol, 1912).
En 1911, il était le premier parmi les socialistes à réaffirmer, à la suite de Marx après la défaite de la Commune de Paris, que la lutte contre la domination capitaliste ne laissait aux ouvriers pas d'autre choix que la destruction de l'état bourgeois. “La lutte du prolétariat écrivait-il, n'est pas simplement une lutte contre la bourgeoisie pour le pouvoir d'Etat en tant que tel; c'est une lutte contre le pouvoir d'Etat... La révolution prolétarienne consiste à anéantir les instruments de la force de l'Etat et à les dissoudre (Auflösung) par les instruments de la force du prolétariat. (...) La lutte ne cesse qu'au moment où le résultat final est atteint, au moment où l'organisation de l'Etat est complètement détruite. L'organisation de la majorité a alors démontré sa prédominance en anéantissant l'organisation de la minorité dominante." ( Cité dans Lénine: l'Etat et la révolution, 1917).
A l'éclatement de la guerre mondiale en 1914, il prit fermement position contre la trahison des leaders sociaux-démocrates dans la seconde Internationale: “Avec la croissance énorme du parti et des organisations syndicales, s'est développée l'armée des employés, des politiciens, des dirigeants et des fonctionnaires, qui en tant que spécialistes des formes de lutte traditionnelles se sont tellement identifiés à elles (…) qu’ils constituent un obstacle sur le chemin d’un développement ultérieur de la tactique. (…) Au lieu de la conquête du pouvoir de l'Etat, qui semble si lointaine et difficile, s’impose la pensée petite-bourgeoise que le capitalisme peut être rendu supportable par de petites réformes. Ainsi est né le réformisme, qui a supplanté la lutte de classe et a dominé les partis socialistes dans presque tous les pays d'Europe occidentale. (…) Et l'Internationale aussi a participé de cette dégénérescence. (…) Et lorsque vint le moment où les gouvernements voulaient la guerre, ni la force ni le courage n’étaient présents pour la lutte contre la guerre; l'internationalisme s'est envolé en fumée, et l'Internationale s'est effondrée comme une épave vermoulue. (…) La deuxième Internationale est morte; sans gloire, elle a péri dans l'incendie mondial. Mais cette mort n'est pas le fruit du hasard. Elle a simplement montré que l'Internationale ne pouvait survivre à elle-même. L'effondrement de l'Internationale est en même temps l'effondrement de la tactique, de la méthode, de la théorie qui l'avaient guidée: le parlementarisme.” (Anton Pannekoek, De ineenstorting van de Internationale, De Nieuwe Tijd, 1914).
Pendant la guerre, il devient sympathisant du ISD de Brême et du SPD aux Pays-Bas, et écrit des articles contre la politique de guerre. Dans une lettre à Van Ravensteyn datée du 22 octobre 1915, il explique ce qui l'a poussé à se lier à l'initiative de la Gauche de Zimmerwald. Car, malgré le caractère hétérogène de l'initiative, il se déclarait prêt “sur la demande de Lénine et Radek, à occuper avec Madame Roland Holst la fonction de rédacteur” de la publication de la Gauche zimmerwaldienne. Je serais “plus volontiers resté entre nous, avec des tenants de la même opinion”. Mais c'est maintenant “en discutant et en traitant les problèmes nouveaux, le moyen unique de répandre nos positions sur la tactique, l'impérialisme, l'action de masse, etc. parmi ceux qui seront amenés à prendre la direction des mouvements à venir” (B.A. Sijes, Anton Pannekoek, 1873-1960. Dans Anton Pannekoek, Herineringen, 1976, p. 41).
Par la suite, il a exprimé sa solidarité inconditionnelle avec les ouvriers russes lorsque ceux-ci, organisés en Soviets, ont pris le pouvoir en octobre 1917, et il a propagé la nécessité d'une révolution mondiale. “Ce que nous espérions est entretemps arrivé. Les 7 et 8 novembre, les ouvriers et les soldats de Petrograd ont renversé le gouvernement Kerenski. Et il est probable (…) que cette révolution va s'étendre à toute la Russie. Une nouvelle période commence, non seulement pour la révolution russe, mais pour la révolution prolétarienne en Europe. Pour la première fois depuis la Commune de Paris, le prolétariat, allié aux classes petites-bourgeoises, est maître du pouvoir d'Etat, non seulement dans une ville, mais dans un grand Etat. Pour la première fois, de véritables socialistes, formés de manière moderne, sont appelés à jouer un rôle de dirigeants dans l'organisation et la construction de la société. (…) En effet, une nouvelle ère commence” (Anton Pannekoek, La Révolution russe III, de Nieuwe Tijd, 1917 p. 560; La Révolution russe VIII, De Nieuwe Tijd, 1918 p. 125).
Mais son enthousiasme n'a pas duré très longtemps. La troisième Internationale était à peine constituée que les ouvriers révolutionnaires d'Allemagne étaient confrontés à une politique initiée par le KPD, qui devenait de plus en plus opportuniste. Alors que la majorité lançait le mot d'ordre “Sortez les syndicats!”, la direction du KPD commençait à mettre sur pied des syndicats “alternatifs” sous la forme d'organisations d'entreprises. Un peu plus tard, des négociations étaient entamées avec l'USPD centriste et enfin, il était décidé de reprendre le travail parlementaire. Tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec cela furent exclus du parti à la fin de 1919, et c'était la majorité du parti. Tout cela se déroula durant l'année 1919 et, dans la lutte contre cet opportunisme aussi, Pannekoek se positionna à l'avant-plan et défendit avec verve le caractère prolétarien du mouvement global contre son sabotage par la direction du KPD.
Lorsque la majorité exclue du KPD fonda en avril 1920 un nouveau parti, le KAPD, Pannekoek fut le grand inspirateur du programme de cette organisation politique. Dans ce programme étaient rassemblées les positions les plus importantes de la nouvelle période. Même si cela ne représente pas un texte individuel, mais le produit collectif de toute la gauche germano-hollandaise, il est important, étant donné le haut niveau de conscience de classe qu’il exprime, d’en citer quelques extraits: “Le capitalisme a fait l'expérience de son fiasco définitif, il s'est lui même historiquement réduit à néant dans la guerre de brigandage impérialiste, il a créé un chaos, dont la prolongation insupportable place le prolétariat devant l'alternative historique: rechute dans la barbarie ou construction d'un monde socialiste. (…) Conformément à ses objectifs maximalistes le KAPD conclut également au rejet de toutes les méthodes de lutte réformistes et opportunistes. ( …) A côté du parlementarisme bourgeois les syndicats forment le principal rempart contre le développement ultérieur de la révolution prolétarienne en Allemagne. (…)Plus l'idée de la lutte de classe internationale sera clairement conçue par le prolétariat, plus on mettra de conséquence à en faire le leitmotiv de la politique prolétarienne mondiale, et plus impétueux et massifs seront les coups de la révolution mondiale qui briseront en morceaux le capital mondial en décomposition. » (Programme du KAPD, avril 1921, Revue Internationale 97, 1999).
Bref, ses plus grandes contributions sur le plan politique dans la période précitée, la plus importante de sa vie politique, peuvent être résumées dans les points suivants:
sa première contribution importante fut sa lutte contre l'opportunisme dans la deuxième Internationale. Il a plus ou moins prévu la trahison des organisations social-démocrates et anarchistes, qui dissociaient but et mouvement contre toute tradition marxiste;
sa deuxième contribution importante a été la défense de l'internationalisme prolétarien contre l'hystérie nationaliste de la première guerre mondiale; sa collaboration à Zimmerwald, le développement d'une Gauche (travail d'opposition) en réponse à la dégénérescence de la deuxième Internationale; la lutte pour le pouvoir des Conseils ouvriers et sa collaboration à la fondation de la troisième Internationale;
mais sa contribution sans doute la plus importante au marxisme, Pannekoek l'a laissée au travers de sa collaboration au développement des conséquences du cadre de la décadence du capitalisme pour les conditions de la lutte du prolétariat. Parce que les conditions historiques avaient changé suite à l'ouverture de la période de décadence, le parlement et les syndicats ne constituaient plus des moyens de lutte du prolétariat pour son émancipation. (Voir aussi: Buchbesprechung zu Cajo Brendels Anton Pannekoek – Denker der Revolution, Weltrevolution 12 & 130, année 2005).
l a été capable de fournir ces contributions en premier lieu, parce qu'il faisait partie du mouvement ouvrier organisé et qu'au sein de celui-ci, il menait la lutte d'une façon collective; en second lieu, parce qu'il se rattachait fermement à la méthode marxiste, en appliquant celle-ci à chaque nouvelle situation, dans les polémiques et les discussions avec ses camarades de lutte.
C'est pour cela qu'il a été capable de prévoir et de critiquer sans concession la trahison de la social-démocratie à la veille de la première guerre mondiale. Qu’il a réussi aussi à apprécier à sa juste valeur la signification de la Révolution russe et de la vague révolutionnaire de 1917-23. Enfin, Pannekoek était (exactement comme Rosa Luxembourg jusqu'à son assassinat en 1919) au début des années 1920, un défenseur, critique il est vrai, mais acharné de la Révolution d'octobre.
Son grand engagement et le sérieux de sa méthode ne l'ont cependant pas empêché, contrairement à ce qui s’est passé avec la deuxième Internationale, de tirer finalement des leçons erronées de l’échec de la Révolution d'octobre 1917 en Russie. En ce qui concerne celle-ci, il arriva finalement à la conclusion que les Bolcheviks avaient en fait dirigé une révolution bourgeoise. Pourquoi? Non seulement parce que dans la Russie de 1917 subsistaient encore des restes de féodalisme, des formes dispersées de production petite-bourgeoise, mais aussi parce que selon lui, Lénine n'avait pas bien compris la distinction entre matérialisme prolétarien et matérialisme bourgeois. (cf. John Harper (Anton Pannekoek), Lénine philosophe, 1938).
Mais c'est Lénine, dans ses fameuses Thèses d'avril de 1917, qui a démontré que la révolution prolétarienne se trouve seulement à l'ordre du jour de l'histoire quand les contradictions mondiales ont atteint un certain degré de maturité. Le fait que Pannekoek ait oublié ces leçons plus tard ne doit pas seulement être compris comme l'expression de sa déception et de son désarroi après la défaite de la révolution mondiale. Mais cela doit aussi et surtout être vu comme la conséquence de son énorme déception suite au dépérissement du bastion russe isolé, dans lequel il avait placé tous ses espoirs après l'effondrement de la lutte ouvrière en Europe occidentale. Dans la suite des années 1920, il avait placé toutes ses attentes dans la mise en place d'une économie communiste à l'Est, parce qu'il partait de l'illusion que cela permettrait de saper la domination de la classe bourgeoise à l'Ouest.
Malgré sa mésestimation de la Révolution d'octobre en Russie et même s’il était de plus en plus isolé du fait de la période de contre-révolution, il est resté fidèle à la tâche historique de la classe ouvrière et a continué à défendre:
la nécessité d'une lutte autonome massive de la classe ouvrière, qui s'organise en comités de grève, conseils d'entreprises et d'autres formes qui puissent exprimer son unité dans la lutte contre la bourgeoisie;
la signification d'une organisation politique qui « diffuse, étudie, discute la connaissance et la compréhension, formule des idées et essaie de clarifier la conscience des masses au travers de sa propagande » (Anton Pannekoek, Cinq thèses sur la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme, Southern Advocate for Workers Councils, Melbourne, n° 33, mai 1947).
Pannekoek a démontré et confirmé sa maîtrise et sa contribution à la méthode marxiste au travers des différents ouvrages qu'il a écrits au cours de sa vie. Sa première contribution était « Marxisme et Ethique » en 1906 et sa dernière « L'Anthropogenèse » en 1945. Pendant toute cette période, il a approfondi une série de sujets différents sur base d'une approche méthodologique solide. Une méthode qu'en tant que communistes, nous devons conserver et défendre bec et ongles contre ce qu'en ont fait et tentent encore d’en faire ses épigones. Pour donner une idée de la profondeur, aussi bien que de la simplicité de la méthode de Pannekoek, citons le passage ci-dessous. Il y explique, non seulement comment l'être détermine la conscience, mais aussi comment la conscience à son tour influence l'être:
« On a souvent affirmé que la réalité dans la société humaine est quand même principalement de nature spirituelle, car l’homme est tout d’abord un être pensant et capable de volonté; partout (…) les relations humaines existent seulement parce que les hommes en ont plus ou moins conscience, par leur conscience, leurs sentiments, leur savoir et leur volonté. (…) La conception bourgeoise part du contenu spirituel de la conscience comme quelque sorte de donné, dont on n’a pas besoin de retracer l’origine plus en détail, et qui a sa source dans la « nature » de l’esprit ou dans l’existence d’un être spirituel abstrait en dehors de l’homme. Cette conception ignore le matérialisme historique ». (Anton Panekoek, Le matérialisme historique, De Nieuwe Tijd 1919, pp. 15 et 52; Anton Pannekoek, Parti, Conseils et Révolution, 1970, rassemblé et annoté par Jaap Kloosterman).
Alors que beaucoup de ses contemporains communistes de conseils se sont débattus avec cette question sans être capables d'en sortir, Pannekoek savait que le marxisme avait résolu depuis longtemps cette contradiction entre être et conscience, entre monde extérieur et monde intérieur, entre penser et sentir ici ou agir là.
«Donc, si Marx nous dit que l’existence sociale détermine la conscience, cela ne signifie pas que les idées actuelles sont déterminées par la société actuelle. La réalité sociale actuelle est un élément, le monde des idées constitué de la réalité précédente est un autre élément ; à partir de ces deux éléments surgit la nouvelle conscience comme l'expression des forces spirituelles qui s'influencent mutuellement (…). La conception marxiste part de la conviction que le contenu de la conscience doit s’être formé à partir d’un impact du monde réel, et il en cherche l’origine dans les conditions de vie antérieures des hommes. Et il n’en est pas seulement ainsi pour la conscience ; pour les autres propriétés de l’esprit aussi, dans les inclinaisons et les pulsions, dans les instincts et les coutumes, qui se cachent dans les profondeurs de l’inconscient et qui apparaissent comme une mystérieuse nature humaine innée, se manifestent les impressions héritées depuis des milliers d’années, depuis les temps les plus reculés» (14) Anton Pannekoek, Le matérialisme historique, De NieuwTijd 1919 pp. 15 et 52; Anton Pannekoek, Parti, Conseils et Révolution, 1970, rassemblé et annoté par Jaap Kloosterman.
Pannekoek ne pouvait développer le point de vue cité ci-dessus qu’en complétant et approfondissant le matérialisme historique développé par Marx et Engels, par les prises de position de Dietzgen (un social-démocrate de la première génération). Ce dernier avait essentiellement démontré comment le comportement des hommes s'explique par l'intervention et le fonctionnement de l'esprit humain: « Le matérialisme historique avait établi que la conscience est déterminée par l'être; il est vrai que pour les idées, il n'existe pas d'autres source que le monde extérieur pour le contenu réel (matériel) de l'esprit. Mais à ce stade, on n'avait pas encore répondu à la question du comment » (…) « L'esprit (c'est-à-dire la conscience) n'a pas d'autre matériel que les empreintes du monde; il les enregistre et les transforme en quelque chose d'autre, en quelque chose de spirituel, même en pensées et en concepts. Comment procède-t-il et en quoi consiste son activité, son mode de fonctionnement? Marx ne s'est pas vraiment occupé de la question de l’essence de l'être humain. Pour la connaissance de la société, la démonstration d’où l'esprit tirait son contenu, qu'il ne pouvait le puiser que dans le monde réel, était suffisante. Dès lors, la question de savoir quel est le contenu de l'esprit et quel est son rapport avec le matériel restait ouverte. Dietzgen a résolu ce problème. » (Anton Pannekoek: L'Oeuvre de Dietzgen, Neue Zeit, avril 1913).
Pour tout révolutionnaire actuel, l'œuvre de Pannekoek reste une référence essentielle, ne serait-ce que parce qu'il a, avec d'autres communistes de gauche, jeté un pont entre la fin de la deuxième Internationale social-démocrate et les débuts de la troisième Internationale communiste, dans une période qui s'étend de 1914 à 1919. Pour accomplir cela, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, il a activement pris part à la diffusion de différentes voix éparses contre la guerre, comme celle des ISD (Internationale Socialisten Duitsland à Brème), du SPD aux Pays-Bas et en particulier des idées de ce qu'on a appelé la Gauche zimmerwaldienne.
Mais lorsqu'il a vu que la vague révolutionnaire venue de Russie, à cause de son isolement, se dirigeait vers une voie de garage et commençait à dégénérer de l'intérieur et de l'extérieur, il a décroché. Même s'il a déploré la liquidation du Nieuwe Tijd par le CPH (Parti communiste de Hollande), celle-ci a constitué pour lui une occasion de lever le pied. A partir du début des années 1920, encore plus que dans la période précédente, il va mettre l’accent sur le travail théorique, et il n'a jamais plus été membre actif d'un groupe révolutionnaire. « J'aspirais à tranquillement me réorienter et à rendre des comptes. Il s'agissait de nouveau, comme avant dans le socialisme et maintenant dans le communisme, de faire d’un parti aux principes purs une force et une puissance dans le mouvement ouvrier. A nouveau, c'est le réformisme opportuniste qui a pris le dessus sous l'apparence d'un puissant parti de masse, mais aujourd'hui de façon bien plus nocive que par le passé, plus superficielle, plus en décalage par rapport aux principes, plus démagogique, se parant du nom du marxisme tout en foulant aux pieds ce même marxisme... » (Anton Pannekoek, Mémoires, 1976, p. 208).
Cela ne signifie pas qu'il se tenait complètement à l'écart des organisations politiques du prolétariat, car, jusqu'à la deuxième guerre mondiale, il a maintenu un contact étroit avec le groupe communiste de Conseils GIC (Groupe des Communistes Internationaux) aux Pays-Bas. En plus de sujets d’actualité qui concernaient la lutte de la classe ouvrière à ce moment-là, il a consacré toute la période jusqu'à la deuxième guerre mondiale à trouver une explication à la trahison de la social-démocratie et aux raisons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23.
Pendant la deuxième guerre mondiale, le contact avec d’autres communistes révolutionnaires étaient pratiquement impossibles. Dès lors, il s’est uniquement consacré pendant ces cinq années à la réflexion théorique et à la réalisation d’un de ses ouvrages les plus connus : ‘Les conseils ouvriers’. Dès que le contact pouvait être rétabli avec les groupes révolutionnaires existants, comme par exemple avec le Ligue Communiste Spartacus en Hollande, il a repris la discussion de ses positions et de celles des autres.
Dans les différents écrits - courts pour la plupart - qu'il a produits après la guerre, il démontre à nouveau clairement où il se situe dans la lutte pour la défense des intérêts de classe du prolétariat, et dans ce cadre, par rapport à la tâche des minorités politiques conscientes, qui sont secrétées par la lutte historique de la classe. Non pas que les positions qu'il y défend sont toujours les plus développées, les plus avancées du moment ou même toujours orientées dans la bonne direction. Non pas qu'il lui arrivait d’hésiter par rapport au bon déroulement de la lutte pour une société où « on donne selon les besoins et on reçoit selon les capacités ». Mais il y montre que le combat pour le communisme lui tenait toujours à cœur. Il y révèle qu'il avait toujours confiance dans la capacité de la classe ouvrière à donner au cours de l'histoire un sens positif et à donner par sa lutte une perspective à l'ensemble de l'humanité.
A propos de la signification des grèves « sauvages », de l'importance de la solidarité prolétarienne et de la conscience qui s'y développent, il a écrit avec beaucoup d'engagement et de clarté. En partie, c'est à cause d'une vision erronée de sa part à propos de la perspective historique, qui à ce moment-là n'était certainement pas mûre pour une reprise généralisée de la lutte ouvrière. En partie, c'était toutefois aussi le résultat de la maturité et de la solidité de la méthode avec laquelle il analysait les événements quotidiens. « En Europe, en Angleterre, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, et aux Etats-Unis aussi, des grèves sauvages éclatent, menées jusqu’ici par des petits groupes n’ayant ni clairement conscience de leur rôle social, ni des buts plus radicaux, mais faisant preuve d’une admirable solidarité. Elles affrontent le gouvernement de ‘Labour’ en Grande-Bretagne et sont hostiles envers le Parti Communiste au gouvernement en France et en Belgique. Les travailleurs commencent à sentir que le pouvoir d’Etat est maintenant leur plus important ennemi. Leurs grèves sont dirigées autant contre ce pouvoir que contre les patrons capitalistes. Les grèves deviennent un facteur politique ; et lorsque les grèves éclatent avec une intensité telle qu’elles paralysent des branches entières et ébranlent la production sociale en ses fondements, elles deviennent un facteur politique de première importance. Les grévistes n’ont peut-être pas l’intention d’être révolutionnaires, mais ils le sont – ni les grévistes ni même la plupart des socialistes ne s’en rendent compte. Et par nécessité, la conscience et la lucidité se formeront progressivement à partir de ce qui n’a été qu’intuitif, et rendront les actions plus directes et plus efficaces. » (Anton Pannekoek, Strikes, dans Western Socialist, janvier 1948).
A la fin de sa vie, Pannekoek résumait de plus en plus la tâche des minorités politiques conscientes de la classe comme une tâche d'éducation et d'information bien plus que comme une tâche propagandiste et de direction politique. Cependant c'est cette même conviction profonde de Pannekoek sur l'importance cruciale de la théorie, de la critique et de l'engagement révolutionnaires, qui l'amène encore une fois à expliquer ce qu'est la contribution des minorités à la lutte de la classe pour l'unité et pour le développement de sa compréhension dans les changements importants que sa lutte apportera à la société. « …notre tâche est principalement une tâche théorique : trouver et indiquer, par l’étude et la discussion, le meilleur chemin de l’action pour la classe ouvrière. L’éducation qui en découle ne doit pas avoir lieu à l’intention seulement des membres du groupe ou du parti, mais doit viser les masses de la classe ouvrière. Elles devront décider dans leurs meetings d’usine et leurs conseils quel est le meilleur chemin à suivre, Mais pour être capables de prendre la décision adéquate, elles doivent être éclairées par des avis bien considérés, venant du plus grand nombre de personnes possible. En conséquence, un groupe qui proclame que l’action autonome de la classe ouvrière est la forme la plus importante de la révolution socialiste se donnera pour tâche primordiale d’aller parler aux ouvriers ; par exemple par le moyen de tracts populaires qui éclairciront les idées des ouvriers en expliquant les changements importants dans la société, et la nécessité d’une direction des ouvriers par eux-mêmes dans toutes leurs actions comme aussi dans le travail productif futur. » (Lettre de Pannekoek à Castoriadis (Socialisme ou Barbarie), 8 novembre 1953).
Finalement, il entretient aussi une correspondance régulière et passionnée avec des gens comme Alfred Weiland, Paul Mattick et plusieurs autres. Surtout dans sa correspondance avec « Socialisme ou Barbarie », il exprime une nouvelle fois de manière très concise ce qu'il considère comme le caractère fondamental de la révolution prolétarienne. Dans ce sens, cette correspondance peut quasiment être considérée comme son testament: “….la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. De plus, la révolution prolétarienne ne peut être comparée à une simple rébellion ou à une campagne militaire, dirigée par un commandement central, et même pas à une période de luttes comme par exemple la grande révolution française, qui ne fut elle-même qu’un épisode dans l’ascension au pouvoir de la bourgeoisie. La révolution prolétarienne est beaucoup plus vaste et profonde ; elle est l’accession de la masse des gens à la conscience de son existence et de sa nature. Ce ne sera pas une convulsion simple; Elle se manifestera à travers le contenu d’une période entière de l’histoire de l’humanité, dans laquelle la classe ouvrière devra découvrir et réaliser ses propres talents et son potentiel, tout comme d’ailleurs ses propres buts et méthodes de lutte. » (Idem)
Pannekoek, né le 2 janvier 1873, mourut... en communiste sincère le 28 avril 1960.
Dixoff
Résolution sur la situation internationale du 18eme Congrès international du CCI
L'anti-stalinisme a aussi joué un très grand rôle à la fin des années 1960, suite au rôle de saboteurs de la lutte ouvrière qu'ont joué les organisations politiques et les syndicats staliniens dans les mouvements de grève les plus importants de cette époque, mais aussi suite à l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes russes en 1968, pour écraser dans le sang la résistance à la dictature.
Anton Pannekoek et Herman Gorter, Marxisme et révisionnisme, NieuwTijd 1909
Anton Pannekoek, Action de masse et Révolution, NeuzZeit, XXX, deuxième volume, 1912.
Cité dans L'Etat et la révolution de Lénine, 1917
Anton Pannekoek, L'effondrement de l'Internationale, De Nieuwe Tijd, p. 677, 1914.
B.A. Sijes, Anton Pannekoek, 1873-1960. Dans Anton Pannekoek, Mémoires, p. 41, 1976
Anton Pannekoek, La Révolution russe III, De Nieuwe Tijd 1917, p. 560; La Révolution russe VIII, De Nieuwe Tijd p. 125, 1918.
Programme du KAPD, avril 1921 dans Revue Internationale 97, 1999.
Voir aussi: Buchbesprechung zu Cajo Brendels Anton Pannekoek – Denker der Revolution, Weltrevolution 12 et 130; 2005.
John Harper (Anton Pannekoek), Lénine philosophe, 1938
Anton Pannekoek, Cinq thèses sur la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme, Southern Advocate for Workers Councils, Melbourne, n° 33, mai 1947
Anton Pannekoek, Le matérialisme historique, De Nieuwe Tijd 1919, pp. 15 et 52; Anton Pannekoek, Parti, conseils et révolution, 1970, rassemblé et annoté par Jaap Kloosterman
Idem
Anton Pannekoek: L'oeuvre de Dietzgen, Neue Zeit, avril 1913; Brochure de Radenkommunisme, Beverwijk, 1980 p. 43
Anton Pannekoek, Mémoires, 1976, p. 208
Anton Pannekoek, Strikes, dans Western Socialist, janvier 1948
Lettre de Pannekoek à Castoriadis (Socialisme ou Barbarie), 8 novembre 1953
Idem
Nous publions ci-dessous un tract réalisé par Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne, et distribué dans ce pays tout au long du mois de février1.
Mais qu’arrive-t-il ? Tout d’un coup, les syndicats ont replié le drapeau de la « lutte », se sont mis en costard-cravate et sont allés signer le « Pacte social ». Leur drapeau de « lutte » était une pantomime comme l’a démontré la journée du 29 septembre 2010, alors que maintenant ils participent à quatre mains à l’imposition d’un nouveau coup : la reforme des retraites…et bien d’autres qui vont pleuvoir.
Les syndicats, autant lorsqu’ils appellent à une mobilisation que quand ils vont signer ce que le gouvernement et le patronat leur demandent, sont toujours contre la classe ouvrière. L’un ne va pas sans l’autre.
Nous allons voir les raisons de ce « changement » de politique et aussi ce que nous, les travailleurs, pouvons faire.
Pourquoi est-on passé de la « grève générale » au « Pacte social » ?
Nous sommes en train de vivre une situation où, avec l’aggravation considérable de la crise et des attaques contre les conditions de vie de la grande masse des travailleurs, surgissent ici et là des mouvements significatifs de la lutte de classe. En même temps qu’il y a eu des luttes d’une certaine envergure en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Grèce etc., on est en train de vivre l’entrée en lutte des jeunes générations en Tunisie, en Algérie et en Egypte...
Les confusions, l’inexpérience, le retard politique, font que ces luttes souffrent de faiblesses importantes, dont la bourgeoisie tire profit pour les présenter comme des « mouvements démocratiques » pour ainsi rejeter dans l’ombre le fait que ces mouvements font partie d’un courant international de lutte contre la crise capitaliste, d'un mûrissement des luttes massives dans les rangs prolétariens. On veut ainsi les isoler et faire croire que, dans ces pays prétendus « arriérés », on lutterait pour ce « bien-être démocratique » dont on peut « jouir » dans les pays « avancés ».
C’est dans ce contexte que l’on doit ajouter, pour bien comprendre toute la portée de ce qui se passe, la menace de banqueroute qui guette l’Etat espagnol et ce n’est pas parce que les médias en parlent un peu moins dernièrement que ladite menace se serait évanouie, loin de là2; c'est ce qui a amené le gouvernement, le patronat et les syndicats à signer un Pacte Social officialisant la violente attaque d’une dureté inouïe que représente la réforme des retraites, en y incluant aussi des mesures concernant les conventions collectives et les dénommées « politiques actives d’emploi », lesquelles contiennent essentiellement une attaque contre les chômeurs.
Pour accompagner ce qui précède, il y a eu le coup assené par la région de Murcie à ses fonctionnaires territoriaux, qui n’a été que le signal de démarrage d’un plan d’envergure dans les différentes régions contre les employés du secteur publis : réductions salariales, licenciements des contractuels en CDD, augmentations des horaires, intensification des contrôles, etc. La Catalogne et son plan de 10% de réduction budgétaire annoncé par A. Mas, le Président régional de la Catalogne, parait avoir pris la relève de la région de Murcie. Et la convention municipale du PSOE adopte aussi un plafond de dépenses dans les régions gouvernées par ce parti. Ces mesures sont élargies à toutes les administrations municipales.
Comment analyser ce Pacte Social ? Nous pensons qu’il est la concrétisation d’un pari politique fait par la bourgeoisie espagnole sur la manière avec laquelle doit être menée l’attaque brutale contre les travailleurs. Les raisons de ce pari ? : Le malaise, l’indignation, la réflexion persistants qui animent une combativité qui mûrit lentement au sein de la classe ouvrière en Espagne, une combativité qui, malgré tout, n’est pas arrivée au point où notre classe peut apparaître comme une force sociale active. La politique suivie par les syndicats entre février et septembre 2010 était devenue contreproductive. Pendant cette période, ils ont appelé à des protestations mollassonnes, avec cette tactique de mobiliser tout en démobilisant comme on a pu le voir lors de la « grève générale » du 29 septembre3. Cette politique a semé la passivité et l’attentisme dans les rangs ouvriers, mais elle a aussi fini par discréditer les syndicats qui n’apparaissent que comme une instance se limitant à faire acte d’une présence un peu braillarde avec des simulacres de lutte.
C’est pourquoi les syndicats, et la bourgeoisie espagnole dans son ensemble, ont dû reprendre une attitude « responsable » en particulier le tandem Commissions Ouvrières (CO)-Union Générale des Travailleurs (UGT). D’un coté, ils avalisent l’illusion –qui est passablement entamée mais qui est toujours présente- selon laquelle « nous sortirons de cette crise en acceptant quelques sacrifices » et, d’un autre coté, ils cherchent à semer la passivité chez les ouvriers, parce ce sont les syndicalistes eux-mêmes, aidés par les médias, qui se chargent de rabâcher jusqu’à la nausée que si le 29 septembre a échoué, c’est à cause de la passivité et de l’égoïsme des ouvriers. Il faut que ceux-ci se sentent coupables, il faut les stigmatiser en les rendant responsables de l’attitude favorable au Pacte social de la part des syndicats.
Cette politique a aussi comme pilier la manœuvre gouvernementale de décembre où les contrôleurs aériens ont été désignés comme têtes de Turc4. Lors de cette campagne, on a présenté cette catégorie de personnel comme « l’ennemi du peuple », on les a punis avec la militarisation directe de leur travail, l’augmentation brutale de leurs horaires et une nouvelle réduction de leurs salaires.
Cette politique a continué : il suffit de voir la campagne qui a été montée suite à l’agression d'un conseiller régional de Murcie, avec laquelle on a pu dénigrer sans retenue les travailleurs du public de cette région qui avaient réagi spontanément contre la réduction de 7% de leurs salaires, l’augmentation de 5 heures de leurs horaires hebdomadaires et du licenciement de 600 personnes en CDD dans le secteur de la santé5. Et dans le même registre, un tribunal menace de sanctions très dures les grévistes du métro de Madrid6. Une grève de mécaniciens ferroviaires a donné lieu à une campagne hystérique avec le même schéma qui a été employé contre les contrôleurs aériens. À Valence, à propos des 1419 fonctionnaires du secteur de la Justice, la télévision n’a pas arrêté de diffuser en boucle les images de 55 d’entre eux les montrant en train de se livrer à quelques tricheries picaresques avec le pointage, ce qui a permis d'entamer une énième campagne médiatique contre les fonctionnaires de cette branche.
La bourgeoisie essaye par tous les moyens d’éviter la mobilisation massive et généralisée des ouvriers. Sa politique cherche à canaliser une combativité et une indignation qui mûrissent, vers le terrain piégé des mobilisations partielles et corporatistes. Les syndicats « renoncent » à la « grève générale », mais, par contre, ils ne renoncent pas du tout à promouvoir des mobilisations bien enfermées et encadrées dans les secteurs et les régions, c'est-à-dire, dans un cadre de division. La boucle se referme avec ces campagnes de dénigrement médiatique menées avec une jubilation mal dissimulée par le gouvernement et ses moyens de désinformation.
Le 27 janvier, une poignée de syndicats « alternatifs » ont convoqué une « grève générale » qui s’est limitée au Pays Basque, à la Catalogne et à la Galice, limitant pour le reste de l’Espagne l’appel à quelques rassemblements très peu suivis.
Chacune de ces grèves « générales » est restée enfermée dans des motivations nationalistes et particulières : on voit bien là comment ces syndicats qui se prétendent « alternatifs » s’adaptent très bien à l’orientation générale de la bourgeoisie de parcellariser, diviser et fragmenter par tous les moyens la riposte prolétarienne7.
Ces « alternatifs » n'ont qu'une enveloppe un peu différente par rapport au tandem CO-UGT, le fond demeure identique. Comme ceux-ci, ceux-là appellent à une mobilisation sans la moindre assemblée ni débat, tout se règle avec quelques affiches, quelques réunions de syndicalistes et quelques courriers électroniques. Lors des rassemblements, c’est le même folklore. Le même bruit abrutissant que lors des manifs d’UGT-CO, ce qui ne fait qu’encourager l’atomisation, en empêchant le contact entre travailleurs, en obstruant tout débat et toute coordination. Ils ne sont pas une alternative, mais une mauvaise photocopie des appels de CO-UGT.
Ils ne parlent pas de la gravité mondiale de la crise, ni du fait que nous sommes tous attaqués, ni de la nécessité de lutter contre le capitalisme, mais ils propagent l’illusion selon laquelle une intervention publique de l’Etat qui « serre la vis » aux banquiers et aux spéculateurs nous permettrait de nous en sortir.
Ils demandent qu’on défende le « système public des retraites », mais c’est justement cet objectif qui est partagé et mis en avant par tous les partis et les forces du Capital depuis la droite la plus extrême jusqu'à la gauche ! La bourgeoisie ne prétend pas éliminer le « système public des retraites », mais le sauver en réduisant substantiellement les pensions (d’au moins 20 %) et être de plus en plus restrictive quant au droit d’accès à une pension. Cette attaque virulente est cachée par les syndicats avec l'épouvantail de la menace selon laquelle les pensions publiques seraient remplacées par des fonds privés.
Ils exigent « plus d’État » face au supposé « moins d’État » du « néolibéralisme », en essayant de nous cacher le fait qu’autant l’État « néolibéral » que l’État « socialiste » défendent à mort le système capitaliste, qu’ils sont les garants de l’exploitation dont nous souffrons. Ils exigent que l’État agisse au « profit du peuple », ce qu’il n’a jamais fait ni ne fera jamais ! Parce que l’État est un instrument de la classe capitaliste et les mesures qu’il prend, autant lorsqu’elles bénéficient au privé qu'au public, n’ont d’autre objectif que celui de défendre les intérêts du Capital et le maintien de l’exploitation.
Comment se fait-il qu’une minorité privilégiée parvienne à maintenir la grande majorité dans l’exploitation et l’oppression ? Il est évident qu’en dernier ressort, c’est parce que son État possède le monopole de la force : police, armée, législation, tribunaux, prisons. Mais ce monopole serait inefficace s’il n’était pas entouré, protégé et quelque part fardé par l’appareil des partis, des syndicats et tout le système des soi-disant « droits » et « libertés » dont on jouirait, autrement dit par la voie de la démocratie.
La démocratie bourgeoise est basée sur la délégation. Délégation de la gestion de nos vies à une caste de politiciens qui tous les 4 ans nous appellent à voter en nous bourrant la tête de promesses qu’ils ne tiennent jamais. Délégation aux professionnels syndicaux de la mobilisation dans la lutte et de la négociation. Cette délégation aux représentants politiques et syndicaux nous amène à l’atomisation, à la passivité, à l’individualisme. Cette délégation fait que, même quand nous luttons (par exemple, les mobilisations syndicales du genre 29 septembre ou le récent 27 janvier des « alternatifs »), nous rentrons à la maison avec un sentiment d’impuissance, avec l’arrière-goût amer dans la bouche d’avoir perdu notre temps.
La lutte de la classe ouvrière n’est pas basée sur la délégation mais sur la participation active et consciente de la grande majorité. L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas, voilà ce qu'affirmait déjà la Première Internationale il y a 150 ans. Ceci se concrétise, entre autres, dans les expériences de se réunir en assemblées générales : débat pour décider des mesures à prendre pour le combat, développement de la solidarité et de la mobilisation, du sentiment que nous faisons partie d’un tout dans lequel nous sommes individuellement et collectivement plus forts, sentiment de courage qui nous fait oser des choses que, seuls et atomisés, nous serions incapables de réaliser.
En France, lors des mobilisations contre la réforme des retraites ont surgi des assemblées générales interprofessionnelles regroupant des travailleurs de différents secteurs qui, de façon unitaire, essayaient d’impulser l’ensemble de la classe ouvrière pour que celle-ci prenne en main la lutte, en dépassant le travail de sabotage des syndicats. En Italie du Nord, une assemblée autonome de travailleurs a regroupé un millier de camarades qui ont essayé d’impulser la lutte. Ici aussi, en Espagne, des groupes de travailleurs sont en train d’émerger qui essayent d’impulser un mouvement à la base, pour qu’on puisse décider collectivement de comment lutter, quand, avec quels moyens, comment gagner la solidarité, comment étendre la lutte et ne pas rester enfermés, isolés.
Tout cela est riche de potentialités pour le futur. Il s’agit pour le moment d’un mouvement très limité, avec de grandes difficultés, avec des doutes et des pas en arrière. Mais face à la passivité, à la duperie et à la démobilisation imposée par les politiciens et les syndicats, il existe une alternative : développer notre force collective. Il va de soi que de nombreuses erreurs seront faites, qu’il y aura des problèmes et des contretemps. Mais nous n’avons pas d’autre chemin possible pour pouvoir nous défendre.
CCI (8 février)
1 Pour ceux qui veulent participer à la diffusion la plus large possible de ce tract, il est possible de l'éditer en espagnol à l'dresse suivante : https://es.internationalism.org/files/es/pacto.pdf [221].
2 La preuve : les nouvelles lois, décrétées à toute vitesse, sur les Caisses d’épargne qui vont être soldées à vil prix.
3 Lire le tract fait en commun (CCI, CREE et la Red de Solidaridad y Encuentro d’Alicante) : https://es.internationalism.org/node/2960 [222]
4 Voir notre prise de position sur https://fr.internationalism.org/ri419/etat_d_urgence_en_espagne.html [223]
5 Lire https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dans_la_ré [224]gion_de_M [224]urcie_les_fonctionnaires_protestent_contre_des_problè [224]mes_q [224]ui_touchent_tout_le_monde.html [224]
6 Les travailleurs du Métro de Madrid ont été les acteurs d’une grève impulsée par des assemblées générales en juin 2010. Lire « Leçons de la grève du Métro de Madrid » dans https://fr.internationalism.org/icconline/2010/lecons_de_la_greve_du_met... [225]
7 Nous ne mettons pas du tout en doute l’envie de lutter ni la volonté de défendre les intérêts ouvriers des militants de base de ces syndicats. Justement, pour qu’ils ne soient pas les victimes d’une escroquerie et ne se retrouvent pas démoralisés et trompés, il leur faut instaurer un débat sur la nature de ces syndicats et sur le syndicalisme en général.
Nous publions ci-dessous un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Le mois dernier, lorsque le prolétariat et les masses d’une grande partie du Maghreb et du Proche-Orient ont commencé à se soulever contre leurs dirigeants capitalistes, une manifestation a été appelée à marcher à Gaza derrière les drapeaux du Fatah pour protester contre le fait que l’Autorité palestinienne a été quelque peu insultée par des révélations la qualifiant de « troisième arme de la sécurité israélienne » (dixit le coordinateur américain pour la sécurité pour Israël et la Palestine, le général Keith Dayton). Or, comme le disait World Revolution il y a quelque temps, en décembre 2004 pour être précis, « alors que l’OLP était à l’origine un agent du bloc russe, l’Autorité palestinienne a été essentiellement créée pour agir en tant que force auxiliaire de répression pour le compte de l’armée israélienne. »
Le rôle de l’Autorité palestinienne, défenseur des intérêts impérialistes des Etats-Unis, de l’Angleterre et de l’Union européenne et par conséquent soutenue par eux, a été mis à nu par les 1600 documents qui ont fui vers Al-Jazeera et ont été publiés par le Guardian depuis la fin janvier. Ces documents, dont certains ont été rédigés afin de protéger leurs sources, ont été authentifiés par le journal et confirmés par les récents mails révélés par Wikileaks en provenance du consulat américain à Jerusalem et l’ambassade des Etats-Unis à Tel Aviv. Ils racontent l’histoire des gangsters totalement corrompus de l’Autorité, mis en place par les parrains américains, anglais et égyptiens, mendiant à leurs maîtres israéliens une « feuille de vigne » leur permettant de leur offrir une certaine crédibilité.
Les documents détaillent par le menu le complet mensonge et la comédie de tout le « processus de paix », une pantalonnade jouée maintenant depuis deux décennies alors même que les masses palestiniennes sont passées par tous les stades d’une misère humiliante, de la répression et de la guerre. Voilà la nature de la « paix capitaliste ». Le processus de paix au Proche-Orient n’a jamais été autre chose qu’une expression de l’impérialisme impliquant toutes les principales puissances et tous les gangsters locaux de la région. Entre autres choses, la nature anti-ouvrière de la libération nationale, ici la chimère d’un État palestinien, apparaît non seulement sous la forme d’un rêve pour les Palestiniens, mais aussi comme une attaque idéologique contre la classe ouvrière partout dans le monde.
Quoi qu’il advienne, les documents montrent que seul un très petit nombre de réfugiés pourront retourner dans les maisons dont ils ont été chassés, et dont ils continuent à être chassés au nom des intérêts du Grand Israël et des intérêts plus larges des impérialismes américain et anglais. Ils présentent une suggestion pas si étrange que ça de la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice, il y a quelques années, faisant écho à des visions de l’après-Seconde guerre mondiale, lorsqu’il avait été demandé aux Juifs de s’installer dans des marais infestés de maladies en Amérique latine, et qui demandait si les Palestiniens ne pouvaient pas être déplacés vers des pays comme « le Chili, l’Argentine, etc. ». La juriste, ex-agent du Mossad et actuelle ministre des affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, qui « négocie » avec l’Autorité palestinienne, a dit : « Je suis contre la loi, la loi internationale en particulier ». Le fait qu’il n’y ait pas de processus de paix, que l’impérialisme ne reconnaisse aucune loi, qu’elle soit internationale ou autre, est particulièrement mis en lumière par le fait que le juriste Tony Blair soit rémunéré en tant qu’« envoyé du quartet pour la paix au Proche-Orient » ! Il y a bien une loi à l’œuvre ici, mais c’est la loi de la jungle, et le chef négociateur de l’Autorité palestinienne, Saeb Erekat, l’a parfaitement résumé : « nous avons dû tuer des Palestiniens… Nous avons même tué notre propre peuple pour maintenir l’ordre et la loi ». En plus de cela, et pour confirmer la nature de gangsters des acteurs de l’actuel « processus de paix », il y a la stupéfiante révélation qu’au cours d’une rencontre en 2005 entre le ministre de l’Intérieur de l’Autorité palestinienne, Nasser Youssef, et le ministre de la Défense israélien, Shaul Mofaz, ce dernier a posé à Youssef cette question concernant un commandant des Brigade des Martyrs d’Al-Aqsa soupçonné de préparer un attentat en Israël : « Vous connaissez son adresse… Pourquoi ne le tuez-vous pas ?» Les documents montrent le rôle de la Grande-Bretagne dans la constitution d’une force de sécurité de contacts « sûrs » de l’Autorité palestinienne dans les opérations clandestines en lien direct avec les services secrets israéliens. L’actuel directeur du MI6, mis en place par le gouvernement travailliste, a été lui-même ambassadeur britannique en Egypte au début des années 2000.
L’ordre capitaliste, sa loi, c’est la torture et le meurtre. D’autres documents montrent qu’en réponse à la proposition de l’Autorité palestinienne de reconnaître toutes les implantations israéliennes en terre palestinienne, une offre immédiatement rejetée par les Israéliens, ces derniers ont proposé que les Palestiniens vivant en Israël soient en quelque sorte « échangés », autrement dit déplacés vers l’emprise de l’Autorité palestinienne. Livni est très claire sur la politique à long terme d’Israël qui est de s’emparer de « …toujours plus de territoires, jour après jour… » afin de créer « un fait accompli par le sol ».
L’Autorité palestinienne, elle-même gangrenée par la corruption et les rivalités manipulées par la CIA, le MI6 et les services secrets israéliens et égyptiens, a été ainsi avertie à l’avance de l’invasion israélienne de Gaza en 2008/2009.
Mieux, comme le notait le Guardian : « Les dépêches mettent en lumière l’implication profonde et officielle des Britanniques dans la mise sur pied de l’appareil de sécurité de l’Autorité palestinienne dans les Territoires ». Ils montrent ainsi que le MI6 a concocté son propre plan de sécurité pour la Palestine, de concert avec les services secrets égyptiens à l’ambassade britannique au Caire. Ce plan a utilisé des fonds pour l’aide au « développement » de l’Union Européenne et de la Grande-Bretagne afin d’enrôler ces forces. Il est cependant quelque peu douteux que la Grande-Bretagne ait également fourni armes et entraînement. Ces forces ont été chaleureusement accueillies par les Israéliens et les Américains, mais « elles causent quelques problèmes… parce qu’elles torturent les gens » (déclaration du général K. Dayton).
Rien de tout cela ne nous amène à accorder la moindre crédibilité au Hamas, lui-même co-négociateur avec les services secrets israéliens lorsque le besoin s’en fait sentir, constituant lui aussi une force répressive et un nid de tortionnaires dans sa propre enclave. Son rôle impérialiste est très clair quand on sait qu’il est soutenu par l’Iran et la Syrie.
Tout le processus des « partenaires pour la paix » n’a pas été seulement une cruelle plaisanterie pour les masses palestiniennes, ainsi qu’une défense de l’impérialisme, il a également constitué une vaste attaque idéologique menée contre la classe ouvrière partout dans le monde. Mais les événements font bouger les choses et la manifestation pro-palestinienne, pro-Fatah que nous avons déjà rappelée n’a pas été la seule qui ait eu lieu en janvier. C’est Human Rights Watch qui le rapporte : « le 20 janvier, un groupe de jeunes de Ramallah qui voulaient manifester leur soutien aux Tunisiens en ont été empêchés par la police de l’Autorité palestinienne. » Une semaine à peu près plus tard, la même source ajoute : « Dans la bande de Gaza, les autorités du Hamas ont empêché les manifestations qui voulaient exprimer leur solidarité avec les manifestants anti-gouvernementaux d’Egypte. » La police du Hamas a arrêté trois femmes et, dans une démonstration de force disproportionnée, a menacé tous ceux qui voulaient manifester1. Nous voyons clairement ici l’unité d’intérêts de tous ces gangs bourgeois : l’Autorité palestinienne, le Hamas, les États d’Israël et d’Egypte, en réprimant les manifestations, répriment aussi leurs opposants et défendent « leurs » territoires. C’est là une leçon bien connue de la Commune de Paris, de la Révolution russe, de l’Italie et de la France après la Seconde Guerre mondiale et de la Pologne en 1980, tous ces événements étant exemplaires de la capacité des forces impérialistes à mettre leurs antagonismes sous le boisseau dès lors qu’il s’agit d’affronter la menace de la lutte de classe. Fin janvier, cela a été mis en évidence par le fait que les Etats-Unis, avec l’accord d’Israël, ont facilité l’envoi de forces spéciales égyptiennes à travers le Sinaï démilitarisé afin de réprimer les soulèvements aux alentours de Rafah et de renforcer la frontière avec Gaza ; dans ce cas, Etats-Unis, Hamas, Fatah, Israël et Egypte ont coordonné en parfaite harmonie leurs forces de répression, permettant le maintien de la frontière et de l’ordre capitaliste. Cette « trêve » ne durera que tant qu’ils sont tous préoccupés par une possible généralisation des manifestations ; lorsqu’ils en seront venus à bout, ils retourneront à leurs rivalités et affrontements habituels.
Baboon (03 février)
1 Il y a également eu de petites manifestations de soutien aux masses tunisiennes et égyptiennes au nord de Tel-Aviv.
Les camarades coréens arrêtés et accusés en vertu de l’infâme "Loi de sécurité nationale" [227] font part de leurs condamnations par le court texte suivant :
1) Oh Se-cheol, Yang Hyo-sik, Yang Joon-seok et Choi Young-ik : un an et demi d'emprisonnement, plus trois ans avec sursis, et une amende de 500 000 wons (500 $).
2) Park Joon-seon, Jeong Won-hyun, Nam-Won goong et Oh Min-gyu : un an d'emprisonnement, plus deux ans avec sursis, et une amende de 500 000 wons.
1) Le SWLK (Socialist Workers League of Korea) est jugé comme étant une organisation qui fait de la propagande et de l'agitation pour troubler l'ordre national, en violation de l'article 7 de la loi de sécurité nationale.
Cela montre la nature politique du pouvoir judiciaire coréen, qui est une partie de l'appareil étatique au service de la classe capitaliste.
2) L'emprisonnement avec sursis peut être considéré comme la conséquence des mouvements de protestation coréens et internationaux. La condamnation avec sursis de 3 ans signifie que l'emprisonnement est suspendu pour 3 ans, à la condition qu'il n'y aura aucune autre peine pour un autre crime ; elle signifie aussi que la validité de la sentence expire au bout de 3 ans. Mais s'il y a une autre condamnation, au cours des 3 prochaines années, l'emprisonnement qui s’en suivra sera indépendant de toute peine d'emprisonnement pour d'autres condamnations. Ainsi, l'emprisonnement avec sursis est à peine mieux que l'emprisonnement immédiat.
3) Nous, les 8 accusés, faisons appel de cette sentence devant la Haute Cour. Nous allons vivre et agir en toute confiance conformément à des socialistes révolutionnaires, sans nous soucier de l'oppression politique de l'appareil d'Etat coréen.
Merci à tous les socialistes et à tous les travailleurs du monde entier qui ont soutenu le combat judiciaire des socialistes coréenns.
S'il vous plaît, transmettez notre gratitude aux camarades du monde entier.
Nous venons de recevoir le texte d'une réunion publique tenu le 25 mars sur "Les causes de la situation au Japon et ses effets sur la population" par le "Comité de Lutte des Travailleurs Interpro" issu de l'AG Interpro de la Gare de l'Est (Paris). De par sa qualité, nous pensons que ce texte mérite la plus large diffusion possible et nous nous associons aux idées qui y sont défendues.
Tous ceux qui voudraient se tenir informés des débats et des réunions du Comité peuvent le faire en souscrivant à sa liste de diffusion: [email protected] [228]
Le Japon a subi un tremblement de terre de grande ampleur, mais ce n’était pas une surprise. Il est, rappelons le, situé dans une zone de subduction de 4 plaques tectoniques, et de nombreux volcans y sont actifs. Aussi le tsunami ne pouvait pas y être une surprise totale: ce terme est japonais et provient des pêcheurs qui n’ayant rien vu venir, car ils étaient pleine mer , retrouvaient leur ville portuaire ravagée. De plus, un rapport publié par le PNUE démontre que le tsunami du 26 décembre 2004 a causé moins de dégâts dans les zones où les barrières naturelles, telles que les mangroves, récifs coralliens, végétations côtières étaient présentes. Or, le Japon, pays insulaire, est composé de 71% de montagnes ce qui implique que les plaines y sont rares à l’exception des littoraux ce qui à pour conséquence leur surpopulation et la proximité des zones agricoles des zones urbaines. Aussi, les littoraux n’ont plus les barrières naturelles qui auraient pu freiner la catastrophe. En effet, au nom du mirage du nationalisme on entasse les travailleurs, et on détruit les milieux naturels pour produire intensivement là où aurait pu subsister un rempart à la vague. Donc installer des centrales nucléaires en bordure de mer dans une pareille zone, c’est un véritable crime...
De plus, on peut ajouter que les risques liés aux tsunamis avaient été sous-évalués pour ne pas entraver le développement des villes et du secteur du bâtiment mais aussi ... du nucléaire en bord de mer... car la prévention est de rigueur dans ce pays. Il y a normalement un système d’alerte qui se met en place quelques heures avant et la population est sensibilisée aux risques et aux gestes de survie et une sécurisation des habitats est requise. Le Japon ne dispose d’aucun système national d’avertissement contre les tsunamis et les plus démunis ont des maisons anciennes sans protection sismique. Si elles étaient en bois, elles ont été balayées par le tsunami....Cette catastrophe souligne là encore qu’il est question de classes sociales pour survivre à cette épreuve. Jusqu’en 2006 le japon a connu un long cycle de déflation qui a fait s’accroitre les licenciements, la pauvreté, lessans domiciles fixes et les travailleurs précaires. Depuis la crise de 2008 le taux de chômage est de nouveau à la hausse.
Loin d’utiliser sa capacité économique pour aider massivement la population, le troisième pays le plus riche du monde a abandonné à eux-mêmes les survivants du cataclysme, dans le froid, sans couverture, sans nourriture, sans médicament. La population est menacée par la contamination des eaux, de l’air et de la nourriture par la radioactivité. Quant au gouvernement, il est mobilisé pour aider les banques, les trusts, la bourse et la monnaie.... et il dépense pour cela des sommes colossales !!!
Le Japon n’avait rien prévu concernant le risque nucléaire. Les risques pour les centrales nucléaires avaient été systématiquement niés par le pouvoir et les classes dirigeantes japonais malgré l’aggravation des risques dus aux séismes et aux tsunamis... Au Japon, dans les centrales nucléaires, l’Etat japonais n’avait pas son mot à dire et acceptait de ne rien vérifier même en cas d’accident grave. De la fin des années 1980 aux années 1990, Tepco le premier producteur mondial privé d’électricité, avait falsifié une trentaine de rapports d’inspection de réacteurs nucléaires. Au Japon, Tepco a en charge le tiers des réacteurs nucléaires, dont ceux de Daiichi et Daini à Fukushima. Au résultat : des profits fabuleux et de l’énergie à bon marché pour son industrie. Par conséquent aucune information sur ce qui se passe dans les centrales en grave dysfonctionnement. TEPCO, dès le début des catastrophes nucléaires, a caché les faits autant qu’elle l’a pu. Essayant de mettre le drame sur le dos du tsunami alors que ce sont les secousses qui sont à l’origine de la catastrophe, à FUKUSHIMA elles ont fait s’effondrer le toit et des murs ce qui a fait s’embraser l’installation. La société s’est d’abord retirée du site, laissant la gestion des problèmes à des employés de filiales. Afin de pouvoir ensuite leur refiler la responsabilité de l’échec... Ensuite cela a été silence radio... Ce qu’on souligne peu c’est le dysfonctionnement du système de refroidissement qui était déjà défaillant auparavant ainsi qu’une élévation anormale de la pression interne. Tout cela avait été signalé mais rien n’avait été fait. Les autorités ont donné comme instruction à ses employés de laisser s’échapper des vapeurs comportant des substances radioactives pour faire descendre la pression et aux habitants de rester chez eux portes et fenêtres
fermées pour se protéger pour enfin évacuer ceux qui habitent dans un rayon de 10 km. Mais subsistent 14000 personnes vivants autours des deux centrales . Les taux de radioactivité relevés sur le lait et des épinards consommés dans la région d’Ibaraki, située entre Tokyo et Fukushima, sont très alarmants, indique la Criirad. Cette Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité a réussi à se procurer des relevés fournis par des scientifiques japonais. Ces taux, « 15 000 becquerels par kilo, ce qui est largement au dessus des normes japonaises fixées à un maximum de 2 000 becquerels pour l’iode 131 », signifient que « dans cette région (...), la population a respiré de l’air contaminé et mange désormais des produits tout aussi contaminés », selon la Criirad.
Pendant ce temps là, en france: Le ministre de l’Industrie et de l’Energie, Eric Besson, a évoqué de son côté "un accident grave mais pas une catastrophe nucléaire" au Japon."Le nucléaire n’est qu’une petite partie et certainement pas la plus importante de ce drame national qui a frappé le Japon", a-t-il déclaré à la presse.Il ne faut pas "sonner un tocsin qui n’existe pas. A ce stade, nous ne sommes pas dans une configuration de Tchernobyl", en Ukraine en 1986, a-t-il insisté.Selon Eric Besson, il faut "dire et redire à nos concitoyens que toutes les centrales (françaises) ont été conçues en intégrant les risques sismiques et d’inondation"."Il y a des révisions régulières", a-t-il ajouté.Le président de l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), André-Claude Lacoste, a quant à lui précisé qu’il n’y avait pas lieu de renforcer la sécurité de la centrale de Fessenheim, située dans une zone à risque sismique en Alsace.De nouvelles mesures ne sont "pas du tout" nécessaires, a-t-il dit aux journalistes."Ça n’a rien à voir avec Tchernobyl", lance Eric Besson au lendemain du tremblement de terre suivi d’un tsunami qui a frappé le Japon et mis à mal la sécurité des installations nucléaires, avec une première explosion signalée à la centrale de Fukushima Dai-Ichi. Il précise qu’à "ce stade et selon les informations dont on dispose, [on est en présence] d’un accident grave mais pas une catastrophe nucléaire".Plus tard, lors d’une conférence de presse à laquelle assistent des dirigeants d’Areva et d’EDF, ainsi que la secrétaire d’Etat à l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, il appelle "à ne pas sonner un tocsin qui n’existe pas à l’heure où l’on parle", dans une allusion aux
écologistes. "La question nucléaire n’est qu’une petite partie, certainement pas la plus importante de ce drame qui a frappé le Japon", ajoute Eric Besson. Il insiste aussi sur la sûreté du nucléaire français : "Toutes les centrales françaises ont été conçues en intégrant le risque sismique et le risque inondation", dit-il. Excluant un risque pour les populations des territoires d’outre-mer, Nathalie Kosciusko-Morizet estime que la France va s’efforcer de "comprendre, évaluer ce qui est en train de se passer au Japon".
"Le risque majeur, c’est une explosion du cœur du réacteur, et là ce serait une catastrophe nucléaire ; pour l’instant, ce risque n’existe pas ou plus exactement il est maîtrisé par les autorités japonaises et par l’opérateur japonais", explique Eric Besson sur Europe 1, dimanche. "Pour l’heure, il faut rester prudent, le cœur du réacteur et son enveloppe n’ont pas cédé", ajoute-t-il. Sur BFM-TV, il regrette de n’avoir que des "informations fragmentaires". Eric Besson évoque les dégazages faits par les Japonais, précisant : "Ils acceptent de laisser partir dans l’atmosphère (...) de la vapeur faiblement radioactive pour protéger ce qui est le plus sensible, le cœur du réacteur." Déjà, le ministre doit répondre de ses propos jugés trop rassurants la veille : il affirme qu’il n’est "pas là pour atténuer quoi que ce soit". "Si c’était très inquiétant, je le dirais de la même façon, assure-t- il. Si aujourd’hui se produisait la catastrophe nucléaire que tout le monde redoute, il faudrait le dire". Il martèle cependant à l’attention de ses détracteurs : "Je ne suis pas pour sonner le tocsin avant que quelque chose de très important se soit produit." Plus tôt dimanche, le premier ministre, François Fillon, est intervenu pour faire savoir que la France allait "tirer les enseignements utiles des événements japonais". Tout en précisant que la France avait toujours "privilégié le maximum de sécurité pour ses centrales". Nathalie Kosciusko-Morizet affirme, elle, dans un débat sur BFM TV, que "l’électricité nucléaire bien maîtrisée reste une bonne énergie".
Le grand mot d’ordre est que cet accident est très différent de l’accident de Tchernobyl "par rapport à ce que j’ai entendu ou vu
sur beaucoup télévisions ou de radios, ça n’a strictement rien à voir, à ce stade, avec Tchernobyl, ni dans les explications, ni dans l’enchainement des faits, ni à fortiori, au moment où nous nous parlons, dans les conséquences.", "Nous ne sommes pas dans une configuration de Tchernobyl". Tchernobyl est bien entendu l’horreur absolue, l’épouvantail du nucléaire civile. Pas question que l’on commence à comparer cet accident avec Tchernobyl. Pourtant, les conséquences risquent d’être les même. L’accident, d’un point de vu technique serait beaucoup plus comparable à celui de "Three Mile island". Une fuite de réfrigérant avait conduit le cœur à commencer à fondre. Finalement, l’explosion a été évitée de justesse. C’est cet accident qui avait fait geler les constructions de nouvelles centrales aux États-Unis durant 30 ans !
Rappelons tout de même que ce n’est pas la première catastrophe sanitaire à laquelle le capitalisme nous expose même si c’est certainement pour l’instant la plus grave. Il y a eu la grippe A, les farines animales et la vache folle, l’histoire du sang contaminé, le sida.... Prenons l’exemple de ce dernier :26 millions de morts, 40 millions de personnes contaminées. L’épidémie la plus dévastatrice de l’histoire ravage notre planète depuis plus de 20 ans et pourtant son origine reste encore un mystère. Cependant la communauté scientifique est unanime : le virus du sida est né en Afrique et son ancêtre direct est présent chez les chimpanzés. Reste une énigme : comment le virus est-il passé de l’animal à l’homme ? De nombreuses théories ont été avancées et réfutées... Aujourd’hui, seules deux hypothèses subsistent. La première suggère qu’en 1931, selon les calculs de la généticienne américaine Bette Korber, le virus du chimpanzé aurait contaminé un être humain qui consommait l’animal. Mais alors que les Africains mangent du singe depuis la nuit des temps, pourquoi cette transmission soudaine ? La seconde suggère que le virus du sida serait le produit accidentel d’un vaccin oral contre la polio administré à un million d’Africains dans l’ex-Congo belge de 1957 à 1960 aux endroits mêmes où, une décennie plus tard, on détecte les premiers cas de sida dans le monde. Face à cette dernière théorie qui dérange, le petit univers de la grande Science est partagé entre l’examen de conscience et la dénégation : difficile d’admettre que la médecine ait pu, en combattant une maladie, créer un fléau bien pire encore. Ressuscitant les souvenirs des témoins, exhumant des archives inédites et suivant une incroyable quête de la vérité, ce film plonge le spectateur dans
l’histoire d’une controverse scientifique sans précédent.Chacun sait que l’épidémie est partie d’Afrique. Mais il est souvent ignoré que les autorités sanitaires mondiales n’ont pas levé le petit doigt tant que l’épidémie n’avait pas atteint les pays riches !!! La population d’Afrique n’était pas un objectif financier pour l’industrie du médicament ... Le démarrage de l’épidémie daterait de 1957 au Rwanda, Burundi et au Congo. Une forte probabilité pèse sur le fait que ce serait le produit d’expérimentations "scientifiques" sur le dos des populations locales. Pour scientifiques, traduisez "dans l’intérêt des laboratoires et trusts pharmaceutiques"... Pourtant, l’Occident ne la "découvre" que dans les années 1980-1990 !!! On peut penser que l’épidémie ne concernant que des régions reculées d’Afrique à cette époque, alors pendant vingt ans environ les laboratoires ne s’en soucient pas !!!! Cele nous montre comment cela est liée à l’organisation sociale de la société capitaliste.
Nous n’oublions pas d’ailleurs que le nucléaire avant d’être civile était militaire. Quelles causes à l’entrée massive dans le nucléaire civil?
Examinons la situation militaire du Japon au moment où l’Allemagne capitule en 45, on constate que celui-ci est déjà totalement vaincu. L’aviation est réduite à un petit nombre d’appareils généralement pilotés par une poignée d’adolescents aussi fanatisés qu’inexpérimentés. La marine, tant marchande que militaire, est pratiquement détruite. La défense antiaérienne n’est plus qu’une gigantesque passoire. Et cela, c’est Churchill lui- même qui le souligne dans le tome 12 de ses mémoires .Une étude des services secrets US de 1945, publiée par le New York Times en 1989, révèle quant à elle que : « Conscient de la défaite, l’empereur du Japon avait décidé dès le 20 juin 1945 de cesser toute hostilité et d’entamer à partir du 11 juillet des pourparlers en vue de la cessation des hostilités ».Churchill écrivait le 22 Juillet 1945 au sujet de la bombe : « nous avons désormais en mains quelque chose qui rétablira l’équilibre avec les russes. Le secret de cet explosif et la capacité de l’utiliser modifieront complètement l’équilibre diplomatique qui était à la dérive depuis
la défaite de l’Allemagne ». La thèse de l’utilisation de l’arme atomique pour forcer le Japon à capituler ne correspond à aucune réalité. C’est un mensonge pour mettre en place le gigantesque bourrage de crâne qu’a nécessité la justification idéologique du plus grand massacre de l’histoire que fut la guerre de 1939-45, voir même à la préparation idéologique de la guerre froide. En effet, puissance économique mineure, la Russie peut accéder, grâce à la seconde guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne peut que menacer la super puissance américaine et dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Or, ce qu’un rapport de forces instaure, un autre peut le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable question qui se pose à l’Etat américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite possible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérialiste du « grand allié russe » ! L’holocauste nucléaire qui s’est abattu sur le Japon en août 1945, a pour véritable objectif d’adresser un message de terreur à l’URSS pour forcer cette dernière à limiter ses prétentions impérialistes et à accepter les conditions de la « pax americana ». Plus concrètement, il fallait immédiatement signifier à l’URSS qui déclarait au même moment la guerre au Japon, qu’il était hors de question pour elle de tenter de participer à l’occupation de ce pays, contrairement au cas de l’Allemagne. Et c’est pour que ce message soit suffisamment fort que l’Etat américain lança une deuxième bombe contre une ville d’importance mineure sur le plan militaire, à savoir Nagasaki, où l’explosion anéantit le principal quartier ouvrier ! C’est aussi la raison du refus de Truman de se ranger à l’avis de certains de ses conseillers pour lesquels l’explosion d’une bombe nucléaire sur une zone peu peuplée du Japon eut été amplement suffisante pour amener le Japon à capituler. Non, dans la logique meurtrière de l’impérialisme, la vitrification nucléaire de deux villes était nécessaire pour intimider Staline, pour rabattre les ambitions impérialistes de l’ex-allié soviétique. A son origine le nucléaire avait également pour but au sortir de la 2eme guerre mondiale d’effrayer les populations si ce n’est de les terroriser mais aussi écraser toute velléité de révolte, révolution
comme cela avait été le cas après la première guerre mondiale. Aussi,en 1945 la destruction d'Hiroshima et Nagasaki a déclenché dans la presse française un hymne à la gloire de la Science et des scientifiques. Plus la destruction était grande,
plus la preuve était faite de la justesse des travaux scientifiques. La matière était une réserve inépuisable d'énergie. La peur de la bombe a mis quelques années à toucher les gens. Dans les années 50-60 s'est développé un assez fort mouvement contre la bombe (non exempt d'ambiguïtés) qui a servi de tremplin au nucléaire civil. "Non à la bombe, oui à l'atome pour la paix a été un mot d'ordre largement clamé dans bon nombre de manifestations. Quand on aborde la relation entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil ce point n'est jamais évoqué. On pourrait dire qu'une des justifications de l'énergie nucléaire civile a été fondée sur une forte opposition à la bombe. D'autre part il faut bien voir qu'en France le nucléaire militaire a été géré par le CEA dans une perspective mixte civile-militaire. Lorsqu'en 1973-1974 EDF se décide à une nucléarisation massive de son parc électrique, EDF adopte la filière américaine Westinghouse. Mais, si pour les pays en voie de développement l'acquisition de la technologie civile est un préalable évident à leur accès à la bombe, il n'en est pas de même pour les pays développés où l'énergie nucléaire civile s'est imposée. Les dangers de ces deux aspects du nucléaire sont assez différents. Rien ne justifie de défendre la bombe mais il faut constater que nombre d'opposants à l'énergie nucléaire militaire (en particulier dans la communauté scientifique) ont été de farouches défenseurs de l'énergie nucléaire civile, celle de "l'atome pour la paix et certains le sont toujours. Alors que les opposants au nucléaire civil sont aussi, quasi naturellement, des opposants au nucléaire militaire.Les représentants d'EDF ont, dès le début, insisté dans leurs interventions publiques sur les énormes précautions prises pour assurer la sûreté des réacteurs et le discours n'a pas varié depuis. La "défense en profondeur venait en tête sans que la signification en soit clairement définie sinon qu'il fallait soigner la fabrication de tous les éléments d'un réacteur avant leur assemblage. Mais quasiment aucun texte administratif contraignant ne menaçait de poursuites les fabricants en cas de faute grave. Ce vide juridique est passé inaperçu. Ensuite venait la "redondance: chaque élément important était mis en double mais d'une façon indépendante, afin qu'en cas de défaillance de l'un, l'autre vienne en secours. Cela montrait clairement la nécessité pour la sûreté d'avoir toutes les composantes en état de marche.
Enfin venait la "triple barrière". S'il fallait une troisième barrière c'est qu'il était possible que les deux premières soient traversées. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La dernière barrière (l'enceinte de confinement) pouvant être menacée par une surpression interne lors d'un accident grave, on l'a munie d'une soupape de sûreté. On y ajouta un filtre, sorte de gamelle remplie de sable qui fut baptisée "filtre rustique", non pas pour empêcher de contaminer l'environnement mais pour réduire cette contamination à un niveau dit "acceptable (cette acceptabilité officielle n'est d'ailleurs pas bien définie). Il est curieux que ce discours qui se voulait sécurisant n'ait pas déclenché de l'inquiétude au sein de la population.
Assimiler un réacteur nucléaire à une vulgaire cocotte-minute comme le faisaient certains responsables n'était guère compréhensible vu l'énorme complexité imposée par la sûreté. Et ce n'était pas de simples pannes de fonctionnement que craignaient les constructeurs. Seule la possibilité de catastrophes pouvait justifier un tel luxe de précautions. Le discours sécurisant paradoxalement a bien fonctionné.
Il apparaît clairement que l’objectif n’est pas de fournir « une énergie bon marché » ou encore plus propre car moins de rejet de co2 (contribution moindre au
réchauffement ,que l’on nous scande, de la planète) comme nous le vendent les areva, edf, et autre tepco.
A l’heure où en Lybie, les impérialistes envoient leurs troupes se targuant d’y intervenir au nom du peuple et de la démocratie. Comment croire en effet à
une « aide » désintéressée aux insurgés libyens quand ces mêmes États continuent, au nom du contrôle des ressources pétrolières, à soutenir ouvertement la répression armée quand elle est le fait de leurs alliés, comme en Irak, au Bahreïn, en Arabie Saoudite, au Yémen. L’exemple de l’Irak, de l’Afghanistan, et de bien d’autres pays nous montrent ce qu’il faut penser de ce genre de discours, et à quel point la prétention « d’exporter la démocratie » ne masque en réaité que le fait que les bourgeois et les états n’ont d’intérêt que le maintien du système capitaliste afin de conserver leur pouvoir sur les populations.
Catastrophe nucléaire et Lybie même lutte! La plus grande catastrophe pour l’humanité c’est de laisser perdurer un instant de plus ce système social.
L'arrestation et l'incarcération de Dominique Strauss-Kahn, directeur général en exercice du puissant Fonds Monétaire International, caracolant sous la casaque social-démocrate en tête de tous les sondages pour les primaires du PS et ultérieurement pour l'élection présidentielle de 2012 en France, ne pouvait que faire sensation et provoquer un énorme scandale. Le voilà désormais sous l'inculpation de 7 chefs d'accusation différents dont le harcèlement, sexuel et la tentative de viol d'une femme de chambre d'origine guinéenne dans l'hôtel où il se trouvait, cueilli et menotté par la police new-yorkaise dans l'avion qui devait le ramener en Europe.
Les moeurs libertines de DSK (qui ne sont un secret pour personne) ont-elles été exploitées à l'extrême et poussées à la caricature pour diaboliser le personnage, le virer du FMI et saboter sa candidature aux présidentielles en France ? DSK a-t-il été victime d'un « complot » ou de règlements de comptes au sein de différentes cliques de la bourgeoisie ? C'est tout à fait possible. Cette classe de requins et de gangsters ne se fait pas de cadeaux. Elle n'a jamais hésité à « flinguer » (au sens propre comme au sens figuré) l'un des siens. Cela a été le ,cas, entre autres exemples, en France avec la mort en octobre 1979 du ministre de Giscard, Robert Boulin, en passe de devenir Premier ministre, présentée comme un suicide alors qu'il a été retrouvé noyé sous quelques centimètres d'eau dans un étang de la forêt de Rambouillet et, selon plusieurs témoignages, le visage tuméfié par les coups. Ou encore l'ex-premier ministre de Mitterrand Pierre Bérégovoy qui se suicide le 1er mai 1993 après une énorme campagne l'accusant de corruption. Et, aux Etats-Unis, personne n'a oublié l'assassinat à Dallas de John-Fitzgerald Kennedy (« JFK ») en novembre 1963, probablement commandité- on le sait aujourd'hui- par la CIA ni le gigantesque scandale du Watergate où le camp républicain avait mis sur écoutes téléphoniques le siège de leurs rivaux démocrates qui a forcé le président Richard Nixon à démissionner en 1975...
« L'affaire DSK » est tout à fait révélatrice des moeurs banalement dépravées de la bourgeoisie et elle va de pair avec les comportements « naturels » de prédateurs de leurs dirigeants. Ce n'est d'ailleurs pas une première : on se souvient que, lorsqu'il était président des USA, Bill Clinton s'est fait épingler et a fait l'objet d'une procédure d'empeachment lors de l'affaire Monica Lewinski. De même, les scandales pleuvent sur Berlusconi qui recrute à tour de bras de jeunes call girls ou cover girls pour des « parties fines », y compris des mineures de moins de 16 ans en achetant le silence de leurs parents, tout en s'enorgueillissant de sa « verdeur » de chaud latin. Les grands de ce monde, souvent grisés par un sentiment de toute puissance, ont tendance à se croire tout permis et ils étalent ce pouvoir avec morgue et arrogance. DSK lui-même avait déjà été confronté en 2008 à une histoire sordide avec une subordonnée sur laquelle il avait exercé un chantage et qui avait failli lui coûter sa place à la tête du FMI. La « morale bourgeoise » s'accommode parfaitement « d'écarts » ou d'agissements de ses dirigeants, de gauche comme de droite, qui relèvent des comportements de voyous et de grands truands mafieux. En France, ces dernières années, les « scandales » ou les « affaires » nauséabondes ont été particulièrement nombreux, de Giscard à Sarkozy, en passant par Mitterrand ou Chirac et leurs ministres : subornations, détournements de fonds publics dans les caisses des partis, implication de ministres dans des affaires louches ou frauduleuses, comme l'étalage d'un luxe ostentatoire dans laquelle ils se vautrent. DSK avec son goût du luxe est aussi bling-bling que Sarkozy ; même Christine Lagarde présentée comme la « meilleure » représentante de l'Europe pour succéder à DSK à la tête du FMI est nantie de casseroles (elle est notoirement intervenue plusieurs fois à la rescousse de l'homme d'affaires Bernard Tapie quand celui-ci était en procès dans l'affaire du Crédit Lyonnais).
Ce qui est plus inusité, c'est l'ampleur de la publicité qui est donnée à « l'affaire DSK ». Depuis qu'elle a éclaté le 15 mai , elle a accaparé la Une de toute la presse internationale et, dans la plupart des médias, on nous abreuve quasiment heure par heure en direct des péripéties de ce qui nous est présenté désormais comme un grand feuilleton à suspense. Tous les journaux télévisés y consacrent les ¾ de leur temps, des débats animés les relaient quotidiennement, c'est devenu le principal sujet de conversation de l'homme de la rue, sur les lieux de travail, dans les cafés. Chacun est invité à donner son avis. On parle de surprise, d'incrédulité, de honte, d'humiliation. On n'hésite pas à évoquer complaisamment la thèse déjà évoquée ci-dessus du « complot orchestré » contre DSK, du « piège qui lui a été tendu ». Les médias et les politiques n'hésitent pas à jouer la surenchère pour critiquer ou se justifier sous couvert de déontologie. Ceux qui se sont tus et ont couvert pendant des années le « problème de DSK avec les femmes » balancent hypocritement aujourd'hui leurs « révélations » sur des turpitudes notoirement connues dans le cercle fermé du pouvoir et des médias.
La vraie question à se poser est pourquoi la bourgeoisie et ses médias donnent une telle publicité à ce scandale qui l'éclabousse et la compromet pourtant gravement toute entière, brisant la carrière d'un de leurs représentants patentés les plus éminents ? Quel intérêt la classe dominante trouve-t-elle dans la médiatisation outrancière de ce scandale ?
Aujourd'hui, il est clair que les divers épisodes de cette sordide affaire sont mis délibérément sous les projecteurs pour une raison majeure. La polarisation spectaculaire sur cet épisode permet pour un temps d'occulter les vrais problèmes sociaux, de créer un écran de fumée afin de tenter de reléguer au second plan et de minimiser dans la tête des prolétaires une réalité sociale quotidienne douloureuse et dramatique engendrée par l'aggravation de la crise mondiale du capitalisme : hausse vertigineuse du chômage, de la précarité, des produits de première nécessité, aggravation tous azimuts des attaques contre nos conditions de vie, réduction de tous les budgets et amputation des programmes sociaux, qui mettent de plus en plus à nu la faillite irrémédiable du capitalisme. Il est particulièrement édifiant de voir que l'affaire DSK est montée en épingle au moment même où les plans d'austérité concertés du FMI et des gouvernements sont redoublés en Grèce ou au Portugal, et surtout au moment même où les jeunes chômeurs, les étudiants et de nombreux travailleurs, précaires ou non, manifestent leur colère et leur ras-le-bol non seulement sur la Place Puerta del Sol à Madrid mais dans toutes les principales villes d'Espagne, se réclamant d'un mouvement explicitement dans la lignée des révoltes en Tunisie et en Egypte, ou des autres luttes en Europe (Grèce, France, Grande-Bretagne).
Bien sûr, les sommes astronomiques lâchées comme caution pour obtenir la « libération conditionnelle » de DSK ou pour alimenter son procès sont choquantes et révoltantes pour tous les travailleurs et les chômeurs qui n'ont même plus de quoi se loger, se nourrir, se vêtir. Un responsable du PS (proche de DSK) Manuel Valls a même piqué une colère dans un débat accusant avec une certaine lucidité les journalistes d'alimenter ainsi « un fossé qui se creuse entre les politiques et la société civile ».
Mais cet aspect est provisoirement noyé sous les flots de reportages, d'interviews, de propagande, de polémiques (c'est pourquoi on laisse même des associations féministes monter au créneau pour fustiger le sexisme et la misogynie-réelles- des dirigeants et des élites) qui servent à entretenir les divisions et la confusion dans l'opinion publique : on souligne les différences d'opinions ou de lois, on met en demeure chacun de se prononcer : faut-il défendre la présomption d'innocence ou défendre les droits de la victime ? On compare et on oppose les méthodes juridiques et les moyens d'investigation entre la France et les Etats-Unis, on compare et on oppose le traitement "éthique" de l'information entre journalistes français et la presse anglo-saxonne. Et surtout on essaie ainsi de canaliser les spéculations sur les « nouvelles donnes » afin de relancer l'intérêt pour les supposés enjeux électoraux de 2012 en France. Tout ce barouf n'est que de la poudre aux yeux, une campagne de diversion visant à éloigner les exploités de la défense de leurs intérêts de classe. Ce n'est pas vers l'affaire DSK qu'il faut se tourner mais vers les luttes sociales qui se déroulent actuellement contre le chômage, la misère, les plans d'austérité imposés par le FMI (sans DSK comme avant avec lui) et par tous les gouvernements de gauche comme de droite.
W. (22 mai)
« Je pense que nous sommes autorisés à organiser deux formes futiles de protestation – un, une marche ennuyeuse comme dans les bonnes vieilles journées d'actions syndicales allant d'un point A à un point B pré-établi, et deux, un petit «drame » de ‘violence’ révolutionnaire (naturellement, je ne le vois pas réellement comme violence) qui sera utilisé pour effrayer les gens avec les « casseurs ».1
Lors de la manifestation londonienne du 26 mars, les médias capitalistes n’ont été, c’était prévisible, que trop heureux de focaliser sur les actions de la « minorité violente » qui « a pris en otage » l’autre marche, pacifique, responsable, organisée par les vrais représentants des gens qui travaillent, le TUC. Le terme ‘anarchiste’ a été utilisé très largement pour décrire les jets de peinture, les bris de vitrine, les bombages de graffiti sur les murs des banques et des magasins chics par de jeunes gens habillés en noirs et portant des masques.
En fait, tous les gens qui ont pris part à ces actions ne se décriraient pas eux-mêmes comme des anarchistes. Quelques uns étaient probablement maoïstes ou autres gauchistes. Un plus grand nombre étaient probablement des étudiants sans attaches politiques ou des jeunes qui voulaient retrouver l’esprit combatif des manifestations et des occupations de l’automne dernier.
Cependant, il ne fait aucun doute que le cœur de cette minorité était constitué d’un « black bloc » qui est certainement inspiré par l’anarchisme et que beaucoup d’anarchistes le défendraient en tant que tactique valable dans les manifestations. Mais ce qui réfute réellement l’étiquette facile « d’anarchiste » attribuée par les médias à la « minorité violente », c’est l’existence de réels désaccords entre anarchistes et communistes libertaires au sujet de ce qui est arrivé à la manifestation du 26 mars spécifiquement, et au sujet de l’activité black bloc en général. Un exemple très clair de cette controverse est fourni pas le fil « Pris en otage par les anarchistes » sur le forum de discussion Libcom.org.
Le post qui est au début de ce fil, de « Optician de GuyDebord », pose la question du point de vue des besoins du mouvement anarchiste :
« il semble, sans surprise, que l’argument « pris en otage par les anarchistes » soit une fois de plus répandu dans la plupart des agences de médias en ce qui concerne la protestation d’hier. L’effet – à en juger d’après ma conversation avec des espèces de libéraux-gauchistes et en surfant sur Twitter – est d’avoir divisé avec succès le mouvement entre les moyens inutiles d’une marche de A à B, et le spectre terrifiant des anarchistes jeteurs de bombes, et de l’avoir enfermé à jamais dans une condamnation mutuelle. De nouveau, les anarchistes doivent-ils essayer de s’exprimer ? De toute évidence, nous savons tous que les médias appartiennent à la classe dominante etc ; mais si l’AFED ou quelqu’un envoyait une lettre, nous pourrions – pardon pour la formulation – argumenter ». (AFED ou AF est la Fédération Anarchiste, un des principaux groupes anarchistes organisés en Grande-Bretagne aujourd’hui).
Ce souci de répondre à la propagande de la bourgeoisie est repris de différentes façons. Nombre de posts disent que, quoique ce soit que fassent les révolutionnaires, ils sont confrontés à une réponse hystérique de la classe dominante et de ses médias. Quelques posts – dont certains sont des camarades impliqués dans le collectif libcom et peuvent aussi être membres de l’AF et de la fédération Solidarity, l’autre principal groupe anarchiste (‘anarcho-syndicaliste’) – ont le sentiment que les actions dans Picadilly Circus et sur Oxford Street, ont été un prolongement direct de la combativité que nous avions vue dans les manifestations étudiantes et qui a réellement poussé un assez grand nombre de gens qui n’étaient pas contents de suivre passivement la marche syndicale. Quelques uns de ces intervenants étaient impliqués dans la mise en place du Bloc des Ouvriers radicaux qui a commencé la marche à Kennington Park et s’étaient fixés comme tache, avant la manifestation, d’assurer une présence à la manif du 26 mars, « en tant que partie distincte et critique du mouvement ouvrier, comme un mouvement contre la stratégie essayée, testée, et discréditée des syndicats de négocier avec l’Etat dans notre intérêt. La faillite de cette démarche est illustrée par l’appel des TUC à une « marche pour l’alternative, emplois, croissance et justice » qui rate complètement les questions sur ce qui ne va pas dans le capitalisme. Ce ne peut être fixé par l’Etat, c’est causé par la collaboration de l’Etat et du capitalisme que les syndicats ne font rien pour ébranler. » (prise de position de la Fédération Anarchiste).
Ces intervenants n’ont vu aucune contradiction entre le travail de propagande qu’ils faisaient vis-à-vis de la marche dans son ensemble (par exemple, donner des tracts et des documents de l’AF et de la Solfed) et ce qui est arrivé un peu plus tard ce jour là, quand le Bloc des Ouvriers Radicaux semble s’être dispersé pour prendre part à ce qui se passait dans Oxford Street. Un intervenant, Raw, qui a joué un rôle clef dans la formation d’un « Bloc d’Ouvriers Combatifs » séparé, qui est parti de Malet Street en compagnie des étudiants les plus combatifs, voyait très positivement les actions de ce qui est effectivement devenu le black bloc et a absorbé en grande partie les deux blocs formés par les groupes anarchistes/libertaires et d'autres éléments, avec la conclusion que « les gens ne voulaient à aucun prix une autre grande manifestation passive où il ne se passe rien, c’était un mouvement politique audacieux de former le black bloc, qu’il puisse ou doive se produire de nouveau a besoin d’être discuté, mais je pense qu’à ce moment là, c’était la chose à faire de la journée ».
Ce qui est le plus intéressant pour nous, cependant, sur ce fil, est le fait que beaucoup d’intervenants étaient extrêmement critiques vis-à-vis de l’action minoritaire « spectaculaire » que le black bloc personnifie. Quelques uns sont de « nouveaux » intervenants dont les soucis politiques sont très éloignés de ceux du principal courant de ce forum (anarchistes communistes/anarcho-syndicalistes/communistes de conseil/communistes de gauche, etc.) ; et dans un cas (activiste syndicaliste) les arguments avancés défendent ouvertement les syndicats et sont très proches de la ligne officielle du TUC sur la légitimité de la marche contre les anarchistes illégitimes. Mais la majorité de ceux qui mettent en question la tactique du black bloc se situeraient eux-mêmes dans la tradition anarchiste et, dans quelques cas, font partie de groupes organisés comme AF et Solfed.
L’intervenant Cobbler, par exemple, écrit :
« je vais me jeter à l'eau en disant que je ne pense pas que la plus grande partie de la violence arrive à grand chose et qu'elle est probablement contre-productive.
J’ai porté le drapeau rouge et noir hier, bien que j’ai mis un point d’honneur à ne pas m’habiller en noir, et on m’a demandé plein de fois ce qu’était ce drapeau. Chaque fois, j’ai pu parler à une personne de plus de l’idéal et des objectifs anarchistes. Mais quand ces gens rentrent à la maison et voient le drapeau comme synonyme des gens habillés en noir qui cassent les vitrines et font d’autres actes de violence, alors ils perdent beaucoup de leur sympathie.
C’était déjà le même chose avec des membres de ma famille qui connaissent mes engagements politiques : tout ce dont ils veulent parler, c’est de la violence.
Je sais que marcher simplement de A à B en agitant des banderoles et en faisant du bruit n’aboutit pas à grand-chose, sauf peut être à un éveil de la conscience, et qu’il y a sans aucun doute une occasion de porter la lutte directement contre le mur capitaliste, mais je pense que nous avons besoin d’être plus avisés dans notre façon de faire ».
Bien que Cobbler ait eu l’impression de se jeter à l’eau, une dizaine d'autres intervenants « anarchistes » ont exprimé des doutes semblables, et pas d’un point de vue pacifiste ou légaliste outré.
Un membre de AF, Axiom, n’était pas content parce que, d’après ce qu’il avait vu, ceux qui cassaient des vitrines de magasin ne faisaient aucun effort pour discuter avec les travailleurs qui étaient à l’intérieur des boutiques qu’ils attaquaient. Un membre de Solfed, Rum Lad, a ressenti une différence significative entre ce qui est arrivé à Millbanks au début du mouvement étudiant et ce qui s’est passé le 26 mars : « entre les bravades d’autosatisfaction du black bloc et la passivité libérale-réformiste implicite dans le ton général donné à la marche du TUC, je pense que nous avons un chemin diablement long à faire.
Ce qui était enthousiasmant dans les manifestations étudiantes de novembre/décembre, c’était le dynamisme de beaucoup de couches sociales disparates qui s’unifiaient et qui, dans un certain sens, combattaient réellement ensemble dans les manifestations. Quand il a été affirmé que Millbanks était l’action d’un groupe minoritaire d’anarchistes, il était clair que c’était pour dire que c’était un tas de merde. Je n’ai pas vraiment eu ce sentiment hier. Chaque groupe jouait réellement son rôle pré-ordonné et je pense que chaque groupe est parti en ayant le sentiment qu’ils avaient réussi quelque chose qu’en réalité il n’avait pas fait.
Les gagnants hier ont été la police, l’Etat et les directions syndicales ».
Dans un post écrit après, Axiom donne une analyse intéressante de la tactique de la police dans la manifestation des TUC :
« Ce qui est arrivé samedi a été, je pense, en partie un résultat d’une action policière très intelligente (peut être tirée des leçons apprises de l’année dernière ?) et en partie de quelque chose dont je ne suis pas très sûr. La police voulait être absolument sûre qu’il n’y aurait pas de trouble dans la marche du TUC, comme il y avait eu avec les étudiants. Ceci s'est illustré par l’effort fait pour encadrer la marche. Je pense que la police était très heureuse de laisser un petit groupe s’attaquer à quelques boutiques parce que ça créait la division et faisait passer l’idée rébarbative d’une manifestation pacifique comme juste et positive. Je pense que plus tard dans la journée, la police a réellement été débordée par un black bloc actif et intelligent. Il est clair que la taille du black bloc s’était accrue et qu’il y avait probablement beaucoup de nouveaux et plus jeunes participants. Cependant, je pense vraiment que la gauche radicale a besoin de beaucoup discuter sur quels sont nos objectifs, et comment nous nous organisons. Cela ne signifie pas nécessairement la même chose que de se prostituer à quelque conception abstraite de la « classe ouvrière » ou à ce que notre image dans les médias devrait être. Cela veut dire que si nous croyons vraiment que le travail salarié doit être aboli, parce qu’il est la cause de la souffrance des hommes, comment enlevons nous ce joug et concrétisons le désir latent de changement social qui existe en tant que résultat de cette souffrance ?
Je ne pense pas qu’avoir un black bloc plus grand, meilleur et plus efficace soit adapté à la concrétisation des principes radicaux ».
Les posts du CCI (Miles et Alf) et un post proche de nos positions (Slothjabber) ont fait écho à ce sentiment de n’avoir eu qu’un faux choix le 26 mars. Nous avions soutenu au début la formation du Bloc des Ouvriers Radicaux à cause de ses objectifs proclamés de fournir un point de convergence pour tous ceux qui étaient en faveur des méthodes de lutte de la classe ouvrière en opposition avec les méthodes des syndicats. Mais nous avions déjà exprimé notre malaise à propos du manque de discussion publique pour préparer la manifestation et de réelle clarté sur les objectifs concrets du Bloc pendant la manifestation. Cela a conduit simplement, assez logiquement, à ce que le Bloc se disperse et aille là où « il y avait de l’action » plutôt que de mettre l’accent sur la nécessité de rentrer en contact avec la grande masse des ouvriers qui continuent à suivre la ligne syndicale. Naturellement, une minorité révolutionnaire doit toujours établir des relations avec une couche radicale plus large qui est prête à défier les syndicats et les autres formes d’autorité. Le problème, c’est que les méthodes « guerilléristes » du black bloc, plutôt que d’offrir une ouverture à la participation de grandes masses d’ouvriers – ce qui est le cas avec les grèves, les occupations, les assemblées et autres – élargissent simplement le fossé entre la minorité « radicale » et l’énorme majorité qui est encore sous le joug des syndicats et de la gauche officielle. Cette vision a été répercutée par un intervenant qui s’identifie comme communiste libertaire ou communiste de conseil, Harrison Myers : « je pense cependant qu’il aurait été beaucoup mieux de renforcer les rangs des manifestants qui ne bloquent pas, mais cherchent à établir des contacts avec les autres et à inciter les masses à l’action et à être autonomes (et pas à recruter juste comme le fait le SWP), exactement le but, comme disait Alf, pour lequel s’étaient constitués le Bloc des Ouvriers Radicaux et le Bloc des Ouvriers Combatifs ».2
En réponse à un post antérieur qui essayait de faire une distinction entre « anarchisme social de masse » et la « démarche insurrectionnelle de la minorité avant-gardiste », Raw répondait que « ce dont on a besoin, c’est d’une justification politique de ce qui arrive plus que de diviser le mouvement. « L’anarchisme social de masse » versus « la minorité insurrectionnelle avant-gardiste » est une fausse division, surtout quand c’étaient les black blocs qui étaient clairement la représentation de masse des politiques anarchistes ce jour là et qu’il n’étaient rien de moins que minoritaires dans ce contexte.
Si les communistes libertaires veulent participer au débat, ils doivent le faire plutôt de l’intérieur que de l’extérieur. Défendre ceux qui ont mené l’action et proposer quelque chose pour la stratégie à venir. Les blocages économiques et les actions pendant les grèves peuvent être la prochaine phase qui aura besoin de l’implication de beaucoup de ceux ont été attirés par le black bloc. »
Le premier paragraphe exprime très précisément le problème avec le black bloc. Même si des centaines de personnes ont été attirées par l’action du black bloc, elles sont restées « avant-gardistes » dans le pire sens du terme, un exemple de « propagande par l’acte » qui ne représente en rien un effort pour se relier à la masse des prolétaires qui étaient venus pour exprimer leur colère à l’égard de la politique de l’Etat, ni pour leur expliquer pourquoi suivre les syndicats ne peut mener qu’à une impasse.
Le second paragraphe, cependant, peut ouvrir un débat plus fructueux : d’abord, nous sommes d’accord avec le fait que nous avons à défendre les prolétaires qui sont confrontés à la répression de l’Etat même si nous ne sommes pas d’accord avec leurs actions et les considérons comme contre-productives et même irresponsables. Plus important, nous devons commencer un débat très ouvert (et pas seulement on-line) sur ce qui arrive après. La tactique des ‘blocages économiques pendant les actions de grève’ peut souvent dissimuler la même logique substitutionniste que celle des actions du black bloc qu’on a vu le 26 mars. Mais dans la mesure où des camarades, comme Raw, sont conscients qu’il est nécessaire de discuter plus largement pour préparer la nouvelle phase de la lutte de classe, et sont ouverts à l’idée que nous ne pouvons pas simplement continuer à tourner en rond en répétant le dilemme « procession domestiquée ou cassage de vitrine », un débat fructueux peut commencer à avoir lieu.
Amos(2 avril)
1 Post signé Slothjabber, sur le forum de discussion suivant: https://libcom.org/forums/news/hijacked-anarchists-27032011 [231]
2 Le même intervenant rejetait également un appel à « bannir le CCI » par un intervenant qui a tendance à répéter cette demande avec une régularité monotone. De quoi nous étions accusés en cette occasion n’est pas très clair, bien qu’il y ait eu un ou deux essais de nous accuser de répercuter la propagande des médias dans nos critiques du black bloc. Cette attaque n’a pas progressé précisément parce que nous exprimions des sentiments qui sont partagés par nombre d’autres camarades qui ne sont pas nécessairement proches de nous politiquement.
Nous publions ici un texte analytique de la section du CCI en Turquie sur l'actuelle vague de révoltes et de manifestations en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le texte vise à donner un aperçu général de ces mouvements, comme l'article publié dans notre dernière Revue Internationale. Que se passe-t-il au Moyen-Orient ? Le texte des camarades de Turquie offre une analyse un peu différente sur certains points, notamment sur le niveau atteint par la lutte de classes en Egypte, et si oui ou non la 'guerre civile' en cours inter-bourgeoise en Libye a été précédée par une forme de révolte sociale d'en bas. Depuis, la situation est toujours en mouvement et soulève encore beaucoup de questions, il est d'autant plus important de développer le débat sur la signification et les perspectives contenues dans ces événements.
'Révolution', aujourd'hui, avec les événements actuellement en cours dans le monde arabe, ce mot semble être sur toutes les lèvres. La première chose qu'il est nécessaire de comprendre en discutant du sujet, c'est que tout le monde ne donne pas le même sens à ce mot. Le terme de révolution semble avoir été complètement dévalué, aujourd'hui, au point que toute modification dans l'équipe dirigeante est considérée comme une révolution, de la 'révolution des roses' en Géorgie à ce qu'on appelle maintenant 'la Révolution du Lotus', en Egypte, où dix-sept des vingt-sept anciens membres du cabinet sont encore au gouvernement, nous avons affaire, selon les médias, à toute une série de soi-disant 'révolutions' : la 'Révolution Orange' en Ukraine, la 'Révolution Rose' au Kirghizistan, accompagnée d'une purification ethnique, la 'Révolution du Cèdre' au Liban, la 'Révolution Pourpre' en Irak (l'expression a effectivement été utilisée par Bush, ce qui ne l'a pas rendue du tout populaire) et la 'Révolution Verte' en Iran,… la liste s'allonge encore et encore.
Pour nous, en tant que communistes, une révolution n'est pas un simple changement dans la gestion du système en place. Cela signifie un changement fondamental du système et le renversement de la classe capitaliste, et pas seulement un changement de visage. C'est pourquoi nous rejetons totalement l'idée que ce qui se passe aujourd'hui dans le monde arabe et en Iran ressemble en quoi que ce soit à une révolution. S'il ne s'agit donc pas de révolutions, cela soulève la question de ce que sont en réalité ces événements. Ce ne sont pas seulement les grands médias qui parlent de révolutions, mais aussi beaucoup ceux à gauche. Ont-ils tous tort ? Et si tous ont tort, qu'est-ce que ces événements signifient pour la classe ouvrière ?
Si nous voulons essayer de comprendre les événements actuels, il est nécessaire de pouvoir les placer dans un contexte historique qui nous permet de comprendre l'équilibre des pouvoirs entre les différentes classes, et la dynamique de la situation. Certes, au cours de la dernière décennie, la classe ouvrière a commencé un lent retour à la combativité après ces terribles années qu'ont été les années 1990. Cependant, ce serait une grave erreur de penser que la lutte de classes est aujourd'hui au même niveau qu'elle était dans les années 1980, et encore moins dans les années 1970.
Alors que les dix dernières années ont montré le début d'un retour à la lutte de classes, il faut reconnaître que c'est un processus très lent. Pour la placer dans son contexte, nous devons nous reporter quelques années en arrière. La vague de luttes internationales qui a débuté en 1968 a atteint son sommet à la fin des années 1970. La grève de masse était une possibilité très réelle au niveau international. Peut-être les trois points forts de la période, dans l'ordre chronologique, sont 'L'Hiver du Mécontentement' au Royaume-Uni en 1978-79, la grève de masse en Iran en 1978-79 et les grèves polonaise de 1980-81. La défaite de ces mouvements a été catastrophique pour la classe ouvrière et a conduit aux années 1980 où la classe n'a, en général, pas été à l'offensive mais est restée dans des actions défensives. Les luttes des années 1980, bien que parfois très intense, ont essentiellement impliqué différents groupes de travailleurs isolés, et vaincus.
La période a également vu la montée du néo-conservatisme, représenté au niveau international par Reagan, Thatcher, Kohl et en Turquie, par Turgut Ozal. La fin de la décennie a vu l'effondrement de l'Union soviétique, et toute la campagne idéologique qui l'a accompagnée, avec des universitaires et des idéologues bourgeois proclamant la fin des sociétés de classes et même "la fin de l'histoire". Ils avaient certes tort, mais le manque d'activité de la classe, dans les années 1990, a semblé leur donner raison.
Au tournant du siècle, il devenait évident que les choses n'allaient pas dans le sens qu'ils avaient imaginé. Après la première défaite de Saddam Hussein, et qu'ait explosé cette illusion de "nouvelle ère de paix mondiale", le reste de la décennie a vu, malgré la"'fin de l'histoire", plus de cinquante guerres à travers le monde, une crise qui s'aggravait, non pas ouvertement comme dans ces dernières années, mais lentement, de façon rampante, frappant de façon spectaculaire certains pays, comme la Turquie et l'Argentine, et nous avons commencé à voir la classe ouvrière reprendre le chemin de la lutte.
Bien sûr, c'est arrivé lentement : dix ans sans lutte des classes, après dix années de défaite, c'est un terrible tribut pour la classe ouvrière. Une génération perdue. Souvenez-vous de ce que les gens disaient en Turquie : « Il ne faut pas parler de politique, c'est dangereux. » Cela a entraîné une perte de l'expérience vitale de la classe ouvrière.
Bien que la dernière décennie ait vu un lent accroissement des luttes, celles-ci, encore récemment ont été généralement menées par des groupes isolés de travailleurs. Ces dernières années, cependant, ont vu la prise de conscience que, pour gagner, les travailleurs doivent se battre ensemble, comme en témoigne le mouvement de TEKEL, en Turquie, ou même aux Etats-Unis, où c'était depuis tellement longtemps le calme plat par rapport à la lutte de classes, où on voit aujourd'hui que des attaques généralisées tendent vers une réponse généralisée, avec une foule de travailleurs pour soutenir les enseignants du Wisconsin (voir RI 421) et de nombreux appels à la grève générale. C'est dans ce cadre que nous devons essayer de comprendre les événements qui se déroulent aujourd'hui, et pour ce, nous devons examiner quelques luttes récentes de grande envergure.
Les luttes actuelles dans le monde arabe ne sont, à notre avis, certainement pas les luttes où la classe ouvrière est la force dirigeante. Cela ne signifie pas que des masses de travailleurs ne participent pas à celles-ci, mais que la classe ouvrière n'est pas en mesure de s'affirmer en tant que classe, et a fini par être entraînée dans un combat qui n'est pas le sien, et en Libye, aujourd'hui, nous en voyons les conséquences désastreuses avec des travailleurs des deux camps participer, avec enthousiasme, à ce qui est effectivement une guerre civile, dans l'intérêt de différents chefs de cliques. Nous pensons qu'il serait utile à ce stade d'essayer de situer les événements en relation avec le mouvement récent en Grèce et en Iran.
Le mouvement en Grèce en décembre 2008 a éclaté après qu'un anarchiste de quinze ans ait été abattu par deux policiers, un samedi soir. Moins d'une heure après l'assassinat, de violents affrontements avec la police ont commencé autour de la place Exarchia à Athènes, un domaine qui est traditionnellement un bastion du mouvement anarchiste. A la fin de la soirée, il y a eu des affrontements dans près de trente lieux différents à travers la Grèce. Le lendemain, les manifestations se sont poursuivies, et le lundi matin des milliers d'élèves du secondaire sont sortis et ont manifesté devant des postes de police.
Le mercredi, il y a eu une grève générale impliquant plus d'un million de travailleurs. Cette grève, ayant été organisée avant ces événements, n'était pas en réponse à l'assassinat et n'était pas liée aux manifestations. En fait, le pays était aussi dans une période de troubles sociaux importants à cause de la politique économique du gouvernement. C'est dans ce contexte que nous devons essayer de comprendre la faiblesse du mouvement grec.
Malgré la colère généralisée contre la politique du gouvernement et les protestations massives contre l'assassinat d'un enfant, les deux mouvements semblent ne s'être jamais rencontrés. Le seul soutien au mouvement de protestation a été une demi-journée de grève des enseignants du primaire. Même s'il y avait bien sûr beaucoup de travailleurs impliqués dans les manifestations, les ouvriers ne s'impliquaient pas en tant que travailleurs mais à un niveau individuel. Cela ne veut pas dire que des tentatives n'ont pas été faites pour relier cette lutte à la classe ouvrière. Des éléments combatifs ont occupé le siège de la Confédération Générale des Travailleurs Grecs à Athènes et ont appelé à une grève générale. Et pourtant, la classe ouvrière n'a pas agi en tant que classe et, finalement, les manifestations ont disparu.
Nous voyons cela comme un thème récurrent dans les luttes d'aujourd'hui: des mouvements de protestation de grande ampleur sans aucun apport véritable de la part de la classe ouvrière. Si l'on remonte aux luttes que nous avons mentionnées plus haut, au Royaume-Uni, en Iran et en Pologne, il est clair que la classe ouvrière y a joué un rôle central. Dans ces luttes d'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Pourquoi? Avant d'essayer de l'analyser, nous allons d'abord examiner un autre exemple, les luttes en Iran après les élections de l'été 2009.
En juin 2009, à la suite d'allégations de fraude électorale, des manifestations massives ont éclaté dans les rues de Téhéran et se sont rapidement répandues dans tout le pays. L'Etat a réagi violemment et a lancé ses forces de répression qui ont fait des centaines de morts. Alors que les protestations initiales avaient clairement pour cause la colère provoquée par la fraude électorale évidente, des slogans plus radicaux ont commencé à émerger rapidement.
De façon similaire au mouvement en Grèce, nous avons vu des affrontements massifs et violents avec les forces de l'Etat, cette fois à une échelle encore plus grande, mais encore une fois nous avons vu les travailleurs intervenir en tant qu'individus et non en tant qu'ouvriers. Bien que l'information ait circulé avec difficulté, il semble qu'il n'y avait qu'une seule grève, à l'usine automobile Khodro, qui est la plus grande usine d'Iran. Les trois quarts des ouvriers ont débrayé pendant une heure, en signe de protestation contre la répression étatique. Comme en Grèce, le mouvement dans les rues a duré quelques semaines et puis a disparu.
En mars 2007, il y a eu des luttes massives de travailleurs qui ont commencé par une forte grève de 100 000 enseignants, qui s'est propagée, pendant des mois, vers de nombreux autres secteurs. Pourtant, il y a deux ans, la classe ouvrière na pas bougé, malgré la répression massive que l'Etat avait déclenchée contre les manifestants dont la plupart appartenaient à la classe ouvrière.
Sans la force de la classe ouvrière derrière eux, les mouvements de ce genre ont tendance à s'épuiser. Ainsi, si nous nous reportons à la période de la fin des années 1970 à Téhéran, à l'automne 1978, nous avons vu un mouvement populaire, semblable à ceux que nous voyons aujourd'hui, qui, à bout de souffle, semblait s'épuiser. C'est en octobre, lorsque la classe ouvrière est entrée dans la lutte avec des grèves massives, notamment celles dans le secteur vital du pétrole, que la situation a changé et que la révolution asemblé être une possibilité réelle. Des conseils ouvriers se sont formés et le gouvernement est tombé. Ensuite, Khomeni a pris le pouvoir et l'Etat a passé plusieurs années à lutter contre les comités de travailleurs dans les usines.
Bien sûr, nous aurions pu parler d'autres luttes populaires, le mouvement des 'chemises rouges' en Thaïlande étant un exemple typique, encore un autre mouvement massif contre l'Etat, mobilisant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup étaient des travailleurs, un autre mouvement qui a duré plusieurs semaines, puis s'est éteint, car les ouvriers n'y étaient pas impliqués en tant que classe.
Comment avons-nous, le CCI, caractérisé la période qui a précédé la récente série de révoltes qui s'est répandue à travers le monde arabe, et dans quelle mesure avons-nous eu raison ? Nous l'avons fondamentalement perçue comme celle dans laquelle la classe ouvrière retrouve lentement sa volonté de lutter. La crise économique mondiale, réapparue en 2007, a certainement un peu changé cette dynamique, mais pas sensiblement. Il est très clair qu'elle a causé une baisse momentanée de confiance au sein de la classe ouvrière, avec la peur de lutter à cause de la possibilité de perdre son emploi. Cependant, cela peut être compensé par le grand nombre de travailleurs qui ont été obligés de lutter à cause de la gravité des attaques économiques des patrons comme de l'Etat. Ce qui est aussi important c'est le manque d'expérience au sein de la classe ouvrière elle-même et le manque de conscience des travailleurs dans leur pouvoir en tant que classe.
L'explosion de luttes massives dans des pays, y compris, mais pas seulement, la Grèce et l'Iran a été vue dans ce contexte. Les programmes d'austérité massifs qui se déroulent à travers le monde ont été considérés comme susceptibles de forcer la classe ouvrière à lutter et non pas seulement la classe ouvrière, mais aussi d'autres couches non-exploiteuses de la population poussées à des émeutes massives de la faim, dans différents pays, à travers le monde, en 2007-08. Cependant, nous avons pensé que la classe ouvrière n'était pas encore assez forte pour jouer un rôle déterminant dans ces luttes. Bien sûr, il était toujours possible que quelque chose d'autre se produise et que la classe ouvrière s'affirme en tant que telle dans la lutte. « Le jour qui précède une révolution, rien ne parait plus improbable. Le lendemain de la révolution, rien ne paraît plus probable. », a déclaré Rosa Luxemburg. Cependant nous avons estimé que le développement de la conscience ouvrière et de sa force serait un processus lent, ponctué par des révoltes massives où la classe ouvrière ne serait pas en mesure d'y jouer un rôle central.
Puis, le 17 décembre, l'an dernier, un jeune homme s'est immolé par le feu, à Idi Bouzid en Tunisie, et le monde a semblé changer.
A la suite de l'immolation de Bouaziz Mohamed, devant l'hôtel de ville, des centaines de jeunes se sont rassemblés pour protester et ont été accueillis par des gaz lacrymogènes et la violence. Des émeutes ont éclaté. Comme l'ampleur des manifestations augmentait, la ville a été bouclée par l'Etat. C'était trop tard : le feu avait déjà été mis aux poudres. Quatre jours plus tard, il y avait des émeutes à Menzel Bouzaiene, puis c'était dans la capitale Tunis. 28 jours après, le Président Ben Ali s'est enfui à Malte avant d'aller se réfugier en Arabie saoudite.
La seule chose que nous devons analyser ici en tant que communistes est la nature de classe de cette révolte. De nombreux commentateurs dans la presse grand public ont établi une analogie avec les événements d'Europe de l'Est, il y a vingt ans, où tous les leaders avaient été changés, et avec les 'révolutions de couleur', plus récentes. Pour nous, la nature de classe de ces mouvements est d'une importance centrale.
Les causes de la révolte est un mécontentement généralisé dans la classe ouvrière, le chômage de masse et les bas salaires ainsi que la colère contre un gouvernement corrompu. Le mouvement avait certainement pour centre les revendications de la classe ouvrière concernant les emplois et les salaires, et évidemment, la colère contre la répression policière a joué un rôle énorme. Le chômage de masse chez les jeunes qui représentent une écrasante majorité de la population a fait que la plus grande partie du mouvement a pris la forme d'émeutes de rue, principalement, avec de jeunes chômeurs. Cependant, il y a eu aussi de grandes grèves ouvrières, en particulier chez les enseignants et les mineurs ainsi qu'une grève générale à Sfax. L'Etat a également utilisé le lock-out pour tenter d'arrêter la propagation de la grève, une tactique que nous verrons à de nouveau été utilisée en Egypte. En outre, on a vu l'UGTT, la confédération syndicale tunisienne, prendre parti pour la lutte et faire semblant de se 'radicaliser', un signe certain qu'il y avait une combativité importante dans la classe ouvrière.
Il nous semble clair que les événements en Tunisie ont, dans l'ensemble, représenté un mouvement de la classe ouvrière. En Egypte, elle y a joué un rôle important, même si c'est dans une moindre mesure et, en Libye, elle a brillé par son absence.
Pour revenir aux événements en Tunisie, si, après la chute de Ben Ali, un 'Gouvernement d'Unité Nationale' a été annoncé : avec 12 membres du RCD de Ben Ali, ainsi que le Président et le Premier ministre qui venait de quitter le parti pour tenter de gagner en crédibilité, trois représentants des syndicats et quelques représentants individuels de petits partis d'opposition. Malgré l'assurance du Premier ministre que tous les membres du RCD dans le gouvernement avaient les 'mains propres', les manifestations se sont poursuivies. Les représentants syndicaux ont démissionné après une journée au ministère, évidemment pour conserver leur nouvelle crédibilité, et les rats ont commencé à quitter le RCD comme un navire en perdition (son comité central s'est lui-même dissout le 20).
Et alors que les protestations se poursuivaient en Tunisie et que les gouvernements continuaient à sombrer, une étincelle avait été allumée.
L'Algérie a vu les premiers embrasements avec des émeutes à grande échelle frapper de nombreuses villes au début de janvier, mais c'est en Egypte que le feu a vraiment commencé à brûler. Les premières manifestations ont eu lieu lors de la Journée Nationale de la Police, le 25 janvier. Les protestations ont été largement diffusées sur les médias sociaux, et notamment avec Asmaa Mahfouz, une femme journaliste, qui a publié une vidéo sur Facebook. Les médias ont repris tout cela en l'appelant la 'révolution Facebook', mais il est préférable de rappeler que des centaines de milliers de tracts ont été distribués par divers groupes.
Les manifestations le 25 ont attiré des dizaines de milliers de personnes au Caire, et beaucoup d'autres dans les villes à travers l'Egypte. Comme le mouvement se développait, il devenait vraiment possible que Moubarak tombe tout comme Ben Ali. Le gouvernement a fait fermer les lieux de travail avec la claire intention d'arrêter l'explosion des grèves ouvrières. Il semble y avoir eu des scissions au sein de l'Etat étant donné que l'armée en tant que base organisée du pouvoir, et non pas les troupes individuelles sur le terrain, a refusé de tirer à balles réelles. Moubarak a promis de former un nouveau gouvernement, puis a promis de démissionner lors des prochaines élections en septembre. Pendant ce temps, les manifestations continuaient. Le 2 février, le ministère de l'Intérieur a organisé une attaque des manifestations par des partisans de Moubarak. L'armée est intervenue, bien que parfois du bout des lèvres, pour séparer les deux camps, préparant bien le terrain pour le cas où Moubarak serait contraint de partir. La semaine suivante, la réouverture des lieux de travail a signifié la réapparition des grèves ouvrières. Les travailleurs, dans de nombreux secteurs différents, au Caire et à travers le delta du Nil, ont entamé une grève. Ces grèves et la possibilité très réelle de leur propagation semblent être le dernier point qui a convaincu les militaires que Moubarak devait partir.
Le 11 février, le représentant de l'armée, Omar Suleiman, nouveau vice-président, annonçait que Moubarak avait démissionné et deux jours plus tard, l'armée adoptait un coup d'Etat constitutionnel. Les grévistes ont été invités à retourner au travail, et les grèves ont été interdites. Elles ont continué pendant un certain temps, mais ensuite ça a été le retour au travail, en général, après avoir obtenu des augmentations de salaire et des concessions.
La nature de classe des événements égyptiens semble différente de celles en Tunisie. Alors que le mouvement en Tunisie semble avoir eu un caractère essentiellement ouvrier, les événements en Egypte semblent avoir eu un caractère de classe largement en éventail, englobant toutes les classes sociales. Alors que la classe ouvrière y a joué un rôle important, voire crucial, elle n'en a jamais été la force dirigeante.
Beaucoup de gens de gauche ont parlé de grève de masse en Egypte. Les protestations en Egypte ont vu beaucoup plus de grèves qu'en Tunisie. Nous pouvons attribuer cela au fait que l'Egypte a une classe ouvrière plus expérimentée et combative. Même si nous croyons que le potentiel de la grève de masse était là, et que c'est ce qui a très probablement effrayé les militaires au point de se débarrasser de Moubarak, nous ne croyons pas qu'elle se soit vraiment matérialisée. En tout, environ 50 000 travailleurs ont participé à des grèves, dont plus de 20 000 travaillaient en usine. Bien que cela caractérise un mouvement important, ce n'était pas la grève de masse, et ce n'était même pas sur une aussi grande échelle que la vague de grèves en Egypte quelques années plus tôt. La rapidité avec laquelle le mouvement s'est dissipé a montré qu'il n'était pas aussi fort que beaucoup à gauche le pensaient.
Les protestations en Libye ont commencé le 15 janvier, et dès le début, il était clair que leur nature était très différente. Ce qui a déclenché le mouvement a été l'arrestation de Fathi Terbil, un avocat représentant des militants islamistes massacrés dans une prison, à Benghazi. La police a violemment dispersé les manifestations à Benghazi, mais cela ne les a pas empêchées de se propager à proximité de al-Bayda, ainsi que de Az Zitan à l'Ouest de Tripoli. Dans un effort visant à faire des concessions devant la propagation des manifestations, l'Etat a accordé certaines des revendications des manifestants et a libéré 110 membres d'Al-Jama'a al-Islamiyah al-Muqatilah bi-Libye, un groupe jihadiste. Les manifestations ont malgré tout continué.
L'Etat a réagi de manière extrêmement violente en utilisant ses escadrons de la mort pour démoraliser les manifestants. Des massacres de part et d'autre ont été signalés et des personnalités islamiques et des chefs tribaux ont publié des déclarations contre le régime, et ont appelé le gouvernement à démissionner. Ayant été écrasées brutalement par l'Etat à Tripoli, les manifestations se sont propagées vers l'Ouest. Au Sud, le peuple touareg a été appelé à la révolte, à la demande de la puissante tribu Warfalla.
Le 22, Kadhafi est apparu à la télévision d'Etat pour dénoncer les déclarations suivant lesquelles il aurait fui au Venezuela, et il a juré de se battre jusqu'à la dernière goutte de son sang . Le lendemain, avec l'augmentation de la taille des manifestations, de nombreux chefs tribaux qui, jusque là, avaient été silencieux, ont commencé à appeler au départ de Kadhafi. William Hague, le ministre britannique des Affaires Etrangères, a commencé à parler d'intervention humanitaire nécessaire. A partir de ce moment-là, la situation s'est clairement développée comme une guerre civile.
Et où était la classe ouvrière dans tout cela ? Dans une large mesure, la Libye, comme la plupart des Etats pétroliers du Golfe, s'appuie sur des immigrés pour accomplir la majorité de ses tâches manuelles. La grande majorité de la classe ouvrière en Libye a désespérément essayé de sortir du pays quand la situation s'est dégradée et que la violence s'est accrue. Contrairement à la Tunisie et à l'Egypte, la classe ouvrière n'a pas du tout semblé jouer un rôle important. Le mouvement, dès le départ, a semblé être dominé par l'islamisme et le tribalisme. A notre connaissance, il n'y avait pas de grèves de travailleurs, et la prétendue grève des travailleurs du pétrole dont ont parlé les médias arabes a été, par la suite, simplement une décision de fermeture de la production par la direction.
Bien sûr, il y a aussi des travailleurs libyens. Mais ils sont évidemment trop faibles pour jouer un rôle dans ces luttes en tant que classe. Cela ne signifie pas que les travailleurs n'ont eu aucun rôle dans les événements. Les manifestations qui ont eu lieu à Tripoli ont toutes semblé se produire dans des quartiers ouvriers. Cependant, la classe ouvrière était trop faible pour imposer ses propres intérêts et elle a été essentiellement utilisée comme chair à canon dans une guerre civile dans laquelle elle n'avait aucun intérêt à défendre, et elle est maintenant en train de mourir sous les bombardements américains et ceux de leurs alliés. Avant de poursuivre pour comprendre comment la guerre s'est développée et comment les puissances impérialistes s'y sont impliquées, nous allons rapidement examiner ce qui s'est passé dans d'autres pays arabes.
Le premier pays à suivre l'exemple de la Tunisie a été l'Algérie voisine. Les manifestations ont commencé le 3 janvier, en réponse à l'augmentation du prix des denrées alimentaires de base. Alors que les émeutes isolées étaient une chose courante en Algérie au cours des dernières années, le dernier mouvement a pris une tournure différente en ce sens qu'il s'est étendu sur l'ensemble du pays en une semaine. Les manifestations ont été essentiellement des revendications de classe, et elles ont été repoussées par un mélange de répression et de concessions.
En janvier, des manifestations sur une vaste échelle ont également débuté en Jordanie et au Yémen. En Jordanie, les protestations contre l'inflation des prix et le chômage ont été organisées par les Frères Musulmans. Elles se sont terminées lorsque le Roi a changé quelques têtes au sein du gouvernement, et a fait des concessions économiques très importantes.
Les manifestations au Yémen sont toujours en cours au moment où nous écrivons. Il semble actuellement que l'armée soit en train de changer de camp avec Ali Mohsen al-Ahmar, un général de premier plan tristement célèbre pour les massacres dans la guerre civile de 1994 qui est passé du côté des manifestants.
En dehors du monde arabe, l'Iran et la RTCN (République Turque de Chypre du Nord) ont également vu les manifestations avec la relance du 'mouvement vert' en Iran et des manifestants tués dans les rues. Bahreïn a également été un autre point focal de manifestations qui ont finalement permis à l'Arabie saoudite et au Conseil de Coopération du Golfe l'envoi de troupes pour aider à 'stabiliser' la situation, étant donné que l'Etat de Bahreïn a envoyé ses forces de répression contre les manifestants. Le mouvement à Bahreïn semble avoir pris de plus en plus une dimension sectaire avec les membres de la majorité chiite qui a été la force de premier plan dans les manifestations contre la monarchie sunnite, qui maintenant appellent ouvertement à l'intervention iranienne. Il faut ajouter que des manifestations dans les régions du nord de l'Arabie saoudite, à majorité chiite, ont eu lieu en soutien aux rebelles de Bahreïn. Bahreïn a également vu des attaques lancées contre des travailleurs étrangers, principalement d'Asie du Sud-Est par les manifestants. Des événements de ce genre ont également été signalés en Libye.
Enfin, l'armée syrienne vient de massacrer 15 manifestants devant une mosquée dans la petite ville du Sud de Daraa, qui a été le centre d'un mouvement de protestation, à cause de la colère locale après l'arrestation d'un groupe d'enfants dans une école pour avoir fait des graffitis pro-égyptiens sur un mur de l'école.
Presque inaperçues parmi tout cela ont été les manifestations en Irak, où au moins 35 personnes ont été assassinées par l'Etat. Bien sûr, l'Irak est déjà une 'démocratie' occupée par des conseillers militaires américains, ce qui explique probablement pourquoi ces meurtres sont moins médiatisés que d'autres.
Revenons, maintenant, à la Libye où, aujourd'hui, nous avons en cours une campagne de bombardements de l'OTAN grandeur nature. Bien sûr, ce n'est pas la première fois que la Libye est bombardée par les puissances occidentales, comme lors du bombardement de Tripoli de 1986 par les Etats-Unis. En fait, le premier bombardement aérien de l'histoire a été réalisé en 1911, par l'armée italienne, dans la guerre italo-turque. Les Italiens ont bientôt mise à la mode l'utilisation de bombes et d'armes chimiques.
Fin février, il semblait que Kadhafi avait perdu l'initiative, mais, vers la mi-mars, il a repris le dessus avec treize des vingt districts qui retournaient sous le contrôle de l'Etat et deux autres qui semblaient être sur le point d'être repris. La route vers Bengahzi semblait être ouverte et la fin de la rébellion en vue. C'est à ce moment-là, le 17 mars, que la résolution 1973 des Nations Unies a été adoptée, autorisant une 'zone d'exclusion aérienne'. Après avoir obtenu de la réunion de la Ligue arabe, pauvrement représentée, avec seulement environ la moitié de ses membres qui étaient présent, l'autorisation de revenir à la campagne de bombardement, ce qui lui donnait une sorte de 'légitimité', les opérations militaires sont désormais sous contrôle de l'OTAN avec la Ligue arabe qui critique maintenant les bombardements. Il semblerait que, comme beaucoup de gens, ils avaient imaginé qu'une 'zone d'exclusion aérienne' impliquait de seulement abattre tout avion qui essaierait de bombarder des civils, et non pas une campagne de bombardements massifs assassinant des civils. C'est presque comme si l'Irak n'avait jamais eu lieu. Pour ceux qui ont la mémoire courte, il faut leur rappeler les 110 missiles Tomahawk et les bombardements par les forces aériennes britanniques et françaises, le 19 mars.
Maintenant il n'y a plus aucun doute que les événements en Libye ont dégénéré en une guerre civile tous azimuts avec les travailleurs des deux côtés qui se font massacrer au nom de ceux qui contrôlent ou qui voudraient contrôler la Libye.
Il semble maintenant que la réaction s'est fermement installée. Les événements en Libye montrent le pire niveau de la faiblesse de la classe ouvrière et son incapacité à s'imposer en tant que classe. Dans quelle mesure le régime de Kadhafi peut-il conserver le pouvoir, cela reste à voir. Nous pensons qu'il ne faut pas oublier que, mi-février, les gens lui donnaient seulement quelques jours de survie, mais il est encore au pouvoir à Tripoli. Nous soupçonnons qu'il tiendra pendant plus longtemps qu'on ne l'imagine à l'Ouest. En ce moment, il fait appel à l'idée de protéger la patrie et de défendre la nation. La tribu Warfalla, forte d'un million de personnes et représentant près de 20% de la population est en train de pousser à la réconciliation, affirmant, de façon presque incroyable, qu'aucune personnalité tribale significative n'est impliquée dans la rébellion. A ce qu'on dit, avec d'importantes quantités d'argent liquide, la loyauté change de mains.
Au Yémen, il est de plus en plus clair que ce qui va seulement arriver sera un simple remaniement des dirigeants. Bahreïn a déjà vu une autre rébellion écrasée dans les années 1990. La Syrie réussira sans doute à vaincre le mouvement, même si cela nécessitera plus de massacres. Après tout, ceux qui se souviennent des dizaines de milliers de civils assassinés dans la ville de Hama, au début des années 1980, savent que le régime de Assad n'est pas défavorable à faire couler le sang.
Enfin, il semble que ce mouvement, qui a débuté en Tunisie, touche maintenant à sa fin. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas plus de meurtres de manifestants, ni même d'étranges chutes de dictateurs, comme celle, peut-être, de Ali Abdullah Saleh, au Yémen, pour être remplacés par un homme fort, un militaire. Mais le mouvement qui a éclaté à la fin de l'année dernière, avec de telles promesses, semble être plus ou moins mort pour la classe ouvrière.
Pour nous, notre analyse générale de la période reste inchangée. La classe ouvrière retourne à la lutte, lentement mais sûrement, mais elle n'est pas encore assez forte pour marquer fermement son empreinte sur l'époque. Nous espérons que l'avenir nous montrera plus de luttes du même genre que les révoltes dans les Etats arabes et celles de Grèce et d'Iran. Comme l'économie continue à se dégrader, un processus qui ne peut qu'être favorisé par la hausse des prix du pétrole provoquée par la guerre en cours en Libye et le retrait massif de capitaux du Japon, qui est presque inévitable à la suite du tremblement de terre et du tsunami du 11 mars, les Etats n'auront pas d'autre solution que de recourir à une austérité et à une répression croissantes.
La classe ouvrière dans certains des pays arabes, notamment en Tunisie et en Egypte, mais aussi en Algérie, a fait un pas vers la récupération de son expérience de la lutte. Mais par ailleurs, la faiblesse de la classe ouvrière, brutalement mise en évidence par la répression et l'aggravation des tensions sectaires qui en ont résulté, sans parler de la Libye entraînée dans une guerre civile, vont presque certainement agir comme un poids important pendu autour du cou de la classe ouvrière.
Les gens de gauche qui ont parlé de révolutions ouvrières dans le monde arabe se sont avérés être dans l'erreur. La classe ouvrière est encore loin de s'affirmer. La route de la reconstruction de l'expérience perdue et de la conscience de classe sera longue. Pourtant, il y a des raisons d'espérer. La rapidité avec laquelle les militaires égyptiens ont largué Moubarak après les grèves qui ont éclaté montre que la classe dirigeante est toujours bien consciente du potentiel de la classe ouvrière. Et dans un pays lointain où les luttes ouvrières, depuis des années, brillent par leur absence, les travailleurs du Wisconsin se sont battus contre les réductions, dans la plus grande lutte que les USA ont connu depuis des années; les travailleurs y ont brandi des bannières en soutien aux travailleurs égyptiens, reconnaissant implicitement que la lutte de classes est internationale, les travailleurs du monde entier devant faire face aux mêmes attaques.
Dünya Devrimi, section du CCI en Turquie
Nous publions ci-dessous un article réalisé par World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne
Le 23 mars, l'Etat égyptien a adopté une loi interdisant les grèves et les manifestations. Combien de personnes, réfléchissant sur les bouleversements de janvier et février, ont pensé qu'il s'est simplement agi d'un 'miracle de 18 jours' ?
En réalité, les événements qui ont amené à la démission de Moubarak ne sont pas juste un feu de paille, mais ils ont des racines qui remontent à plusieurs années et ils ont impliqué des forces qui sont encore intactes aujourd'hui. Pour commencer, il convient de souligner que la révocation de Moubarak est survenue après l'action de la classe ouvrière. Parmi toutes les actions des nombreuses couches sociales réunies sur la Place Tahir, ce sont les grèves ouvrières qui ont convaincu la faction dominante de la classe dirigeante égyptienne qu'elle devait se débarrasser de ce personnage impopulaire.
Comme nous l'avons dit dans un article publié en ligne à la mi-février "la puissance de ce mouvement ne s'est pas acquise en une nuit. Pendant les sept dernières années, ce sont les travailleurs qui ont été en première ligne de résistance contre la pauvreté et la répression imposées à toute la population. Il y a eu un certain nombre de mouvements de grève en 2004, 2006-07 et 2007-08, avec les ouvriers du textile de Mahalla qui ont joué un rôle particulièrement important, mais avec de nombreux autres secteurs qui les ont rejoints." Mais aussi, comme nous l'avons dit dans Que se passe-t-il au Moyen-Orient ? , publié sur notre site à la mi-mars, se référant aux divers mouvements récents dans la région, "Nous pouvons les caractériser comme des mouvements des classes non-exploiteuses, de révoltes sociales contre l'Etat. La classe ouvrière n'a, en général, pas été à la tête de ces rébellions, mais elle a certainement eu une présence et une influence considérables."
Ainsi, bien que la classe ouvrière soit, en Egypte, une force puissante, elle n'est pas la seule classe non-exploiteuse. Et toutes sortes d'idées qui ont été avancées ces dernières années, comme celle d'offrir une 'alternative' à Moubarak, peuvent toujours être employées par la classe dirigeante capitaliste.
Face à une situation complexe, il y aura toujours une variété d'explications disponibles. Fin 2009, Zed Books a publié Egypte : le moment du changement. Plus récemment, cette année, Zed a fait une réédition du livre à la lumière des derniers événements en disant qu'"avec la plupart des chapitres écrits par des universitaires égyptiens et des militants qui sont maintenant sur la première ligne des barricades, c'est le seul livre qui contient toutes les réponses." Les 'réponses' données sont assez conventionnelles : une opposition au 'néo-libéralisme', un soutien à une politique réformiste - mais quelques-unes des observations contenues donnent une bonne impression de la complexité de la situation.
Le livre décrit, par exemple, qu'il y avait de nombreux courants en concurrence dans l'opposition au président Moubarak, mais qu'ils ont pu parvenir à un consensus : "Des gens avec des aspirations radicalement différentes, allant de l'Etat laïque et socialiste à la théocratie islamiste, se sont entendus sur la nécessité de mettre fin au régime de Moubarak" (p. 98). La manière avec laquelle l'opposition manœuvrait a permis à des groupes ayant " des tendances idéologiques divergentes, des intérêts de classe divergents et des projets à long terme divergents de travailler ensemble" (p. 98). Ce fut effectivement le point de vue d'une opposition qui a vu l'élimination de Moubarak comme la priorité numéro un. Bien que la classe ouvrière ait montré sa force et sa capacité à s'organiser en dehors des syndicats officiels, il serait erroné d'ignorer les nombreuses illusions des travailleurs. A l'heure actuelle, celles sur la mise en place éventuelle de syndicats libres ou les potentialités du capitalisme post-Moubarak sont particulièrement répandues. Dans le passé, il y avait aussi des illusions sur ce que l'Etat pouvait offrir. Il y a eu des slogans populaires comme "Dans les jours de défaite, le peuple pouvait encore manger" (entonné par les grévistes en 1975) ou "Nasser a toujours dit 'prenez soin des travailleurs' (entendu en 1977)" (p. 71) qui montrent l'emprise que les mythes et l'idéologie modernes peuvent avoir. Pendant une grève en 2005, il y a eu la prétention selon laquelle "les travailleurs et le grand public étaient les véritables propriétaires des entreprises, et non les patrons" (p.78). Bien que ce soit juste une impression livrée par l'auteur, elle correspond vraiment aux idées que de nombreux travailleurs ont accepté la démagogie du capitalisme d'Etat.
Les actions des autres groupes de la société montrent la situation dans laquelle se trouvent les travailleurs. En 2006, lorsque les juges dissidents qui avaient critiqué la corruption et les malversations ont été conduits au tribunal, la foule scandait "Les juges, les juges, sauvez-nous des tyrans" (p. 99). Quelle que soit la composition sociale de la foule, il y avait visiblement des illusions sur la possibilité d'un pouvoir judiciaire indépendant, dans le processus judiciaire, plutôt que dans une lutte contre l'Etat.
Le livre décrit un autre incident où, en 1986, "des milliers de policiers en formation ont abandonné leurs casernes et marché sur le Caire et Alexandrie, démolissant de nombreux hôtels, magasins et restaurants pour protester contre leurs conditions d'esclavage .... le régime a été obligée d'amener les chars dans les rues pour vaincre ce qui était en, en effet, un soulèvement de paysans en uniforme" (p.32).
En 2007, aux côtés de protestations contre la pénurie alimentaire, il y a eu des protestations contre la pénurie d'eau potable. "Pendant plusieurs mois, il y a eu des manifestations dans le delta du Nil , impliquant un grand nombre de personnes parmi les plus pauvres du pays dans ce que les journaux du Caire appelaient une 'révolution de la soif'" (p.32-3).
Toutes ces expressions de mécontentement, toutes ces actions des différentes forces sociales sont dans l'ensemble décrites comme "différentes formes de contestations", celles-ci incluant "les mouvements sociaux, les révolutions, les vagues de grève, le nationalisme, la démocratisation, et plus encore" (p. 101).
Les formes énumérées de 'contestation' couvrent un large éventail de phénomènes. Lorsque des groupes de travailleurs entrent en lutte, ils peuvent en inspirer d'autres, une grève conduisant à d'autres grèves, jusqu'à ce que toute une vague de grèves se déploie. Ce n'est pas une 'politique' ouvrière mais une expression de la solidarité et des intérêts communs de la classe ouvrière. Lorsque les travailleurs luttent, ils se heurtent à des idées nationalistes et démocratiques qui ne peuvent que saper la lutte pour la défense de leurs intérêts propres. Lorsque les mouvements sociaux des autres couches émergent, les travailleurs doivent aller à leur rencontre, tout en comprenant que la classe qui dépend du travail salarié est la seule classe qui peut défier le capitalisme.
La classe ouvrière n'a que deux armes, sa conscience et sa capacité d'organisation. Chaque question à laquelle elle est confrontée doit être considérée en termes de développement de la conscience et des implications par rapport à son auto-organisation. Comment la classe ouvrière s'organise-t-elle ? Quelles sont les idées qui contribuent au développement de la lutte et quelles sont celles qui sont pour elle un obstacle? Quelles institutions et quelles idéologies la classe dominante utilise-t-elle contre les luttes des travailleurs et le développement de sa conscience? Comment les travailleurs se rapprochent-ils des autres couches sociales non-exploiteuses ? Et, comme nous sommes actuellement inondés de références superficielles à la 'révolutions' comme une autre 'forme de contestation', qu'est-ce qu'est, réellement, une révolution ?
Au cours des deux dernières décennies toutes sortes de phénomènes sociaux ont été appelés 'révolutions', malgré le fait que la domination capitaliste n'a nulle part été renversée et que l'Etat capitaliste est partout bien établi. Si nous considérons la contribution de quelqu'un qui peut s'appuyer sur l'expérience d'une véritable révolution, celle de la Russie de 1917, les remarques de Lénine sur des situations révolutionnaires sont particulièrement pertinentes. "Pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme autrefois, et réclament des changements. Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C'est seulement lorsque 'ceux d'en bas' ne veulent plus et que 'ceux d'en haut' ne peuvent plus continuer de vivre à l'ancienne manière que la révolution peut triompher" (Le gauchisme, maladie infantile du communisme, 1920).
Si l'on regarde l'Egypte, nous pouvons voir que, par rapport à tous les changements qui sont survenus et à ceux qui sont promis pour l'avenir, la classe dirigeante capitaliste reste en sécurité par rapport à sa position. Les nationalistes, les démocrates et l'opposition islamiste ont leurs divergences, mais ils ne contestent pas la domination de la bourgeoisie. Quant à la classe ouvrière, elle a montré sa force, en particulier par opposition à d'autres couches, mais elle n'est pas encore en mesure de défier le règne de ses exploiteurs. Comme partout ailleurs dans le monde, plus nous voyons des foyers de luttes ouvrières, des évolutions dans l'organisation de la lutte, et la preuve de l'abandon des illusions, plus nous pouvons nous attendre à des grèves massives et à une confrontation ouverte entre la classe ouvrière et la bourgeoisie au pouvoir.
Barrow (1er avril)
Voici un peu plus de cent ans, en novembre 1910, disparaissait un géant de la littérature mondiale, Léon Tolstoï.1 A cette occasion, nous republions un article, à notre connaissance inédit en français, que Rosa Luxembourg lui consacra en 1908 pour le 80e anniversaire de la naissance du grand romancier.
La célébration de cet anniversaire fut un évènement de portée mondiale, provoquant de nombreuses manifestations et des prises de position de tous les courants politiques en Russie et en Europe. En effet, connu pour son messianisme mystique, ses critiques radicales de l’ordre établi et pour prôner l’insoumission non-violente au tsarisme, Tolstoï, avait, peu de temps auparavant, lancé un appel contre les exécutions massives pratiquées par le gouvernement du tsar après la révolution de 1905.
Nombreux furent donc également les militants du mouvement ouvrier à avoir dédié articles et commentaires à Tolstoï tout autant sur la signification de son œuvre littéraire que sur son message politique. Lénine, qui vouait une profonde admiration à Tolstoï l’artiste, organisa en 1911 plusieurs conférences publiques en France et en Allemagne sur « l’importance historique de Tolstoï ». Plékhanov, lui, ne voyait schématiquement en celui-ci qu’un grand seigneur ayant « tranquillement joui des biens de la vie que lui procurait sa situation privilégiée »2 et finalement incapable d’échapper, malgré sa révolte, à l’idéal de la classe sociale supérieure. et Trotski tendait unilatéralement à considérer Tolstoï uniquement comme un vestige de l’aristocratie et comme l’expression d’un passé révolu3 ; Lénine s’attacha ainsi, au-delà des aspects réactionnaires de Tolstoï et, contrairement encore aux nombreux sociaux-démocrates qui, confondant Tolstoï et le tolstoïsme, rejetaient en bloc l’œuvre et son idéologie, à comprendre l’œuvre de Tolstoï comme une expression des contradictions de la société russe de l'époque et à mettre en lumière la force de sa protestation sociale. Ce qui lui importait avant tout, c’était de juger Tolstoï à partir de « sa protestation contre l’intrusion du capitalisme, contre le ruine des masses dépouillées de leur terre, protestation qui devait venir de la campagne patriarcale russe. » En suivant la même démarche, Rosa Luxembourg propose une vision de Tolstoï encore plus large et plus audacieuse. Tout en exerçant une critique acérée des faiblesses politiques de Tolstoï, elle perce à jour la véritable nature du projet pour l’humanité qui gît dans le cœur du grand écrivain et reconnaît en lui, dans la critique radicale de l’ordre établi, dans sa vision et ses rêves d’émancipation de l’homme, une démarche identique à celle des socialistes utopistes, c'est-à-dire de ce socialisme du tout début du mouvement ouvrier, qui, sans comprendre ni le rôle de la classe ouvrière ni celui de la révolution communiste pour l’émancipation de l’humanité, se place pourtant dans cette même perspective de la libération du joug du capital.
Depuis toujours, le romancier le plus génial du temps présent a aussi été un infatigable artiste et un infatigable penseur social. Les questions fondamentales de l’existence humaine, les relations entre les hommes, les rapports sociaux ont depuis toujours profondément préoccupé la sensibilité la plus intime de Tolstoï, et l’ensemble de sa longue vie et de son œuvre a été en même temps une inlassable réflexion sur « la vérité » dans l’existence humaine. Ordinairement, on prête également la même quête infatigable de la vérité à un autre célèbre contemporain de Tolstoï, Ibsen. Mais, alors que dans les drames d’Ibsen la grande lutte entre les idées s’exprime de façon grotesque dans un théâtre de marionnettes pleines de suffisance et presque incompréhensibles, où Ibsen l’artiste succombe pitoyablement à l’insuffisance des efforts d’Ibsen le penseur, la pensée de Tolstoï ne nuit jamais à son génie artistique. Dans chacun de ses romans, cette tâche du penseur incombe à quelqu’un qui, dans le remue-ménage des personnages débordants de vie, joue le rôle un peu gauche et un peu ridicule de l’individu en quête de la vérité, du raisonneur perdu dans ses rêves, tels Pierre Bézoukhov dans Guerre et Paix , Lévine dans Anna Karénine ou le prince Nekhlioudov dans Résurrection . Ces personnages, qui, constamment, expriment les pensées, les doutes et les problèmes propres de Tolstoï, ne sont en général sur le plan artistique qu’extrêmement faiblement et vaguement décrits ; ils sont plus des observateurs de la vie que des acteurs de celle-ci. Mais la puissance créatrice de Tolstoï est à elle seule si forte, qu’il se trouve lui-même incapable de galvauder ses propres œuvres, quelle que soit la manière dont, en insouciant créateur comblé par le ciel, il les maltraite. Et lorsqu’avec le temps Tolstoï le penseur l’emporte sur l’artiste, cela arrive, non pas parce que son génie artistique se tarit, mais parce que la gravité profonde du penseur lui commande le silence. Si, dans la dernière décennie, Tolstoï, au lieu de sublimes romans, n’a écrit que des traités ou des essais sur la religion, l’art, la morale, le mariage, l’éducation, la question ouvrière, désolants sur le plan artistique, c’est parce qu’au terme du ressassement de ses réflexions, il est parvenu à des conclusions qui lui font considérer sa création artistique personnelle comme une futilité.
Quelles sont ces conclusions, quelles sont les idées que le vieux poète défend et défendra encore jusqu’à son dernier souffle ? En résumé, l’optique de Tolstoï est connue comme renonciation aux conditions existantes, y compris la renonciation à toute forme de lutte sociale, en faveur d’un « véritable christianisme ». A première vue, cette orientation spirituelle semble réactionnaire. Tolstoï est cependant garanti contre toute suspicion que le christianisme qu’il prêche ait quoi que ce soit à voir avec la foi de l’Eglise officielle établie, du fait de l’excommunication publique dont l’Eglise d’Etat orthodoxe russe l’a frappé. Mais même l’opposition à l’ordre établi s’irise de couleurs réactionnaires quand elle se drape de formes mystiques. Mais un mysticisme chrétien, qui exècre toute lutte et toute forme de recours à la violence et qui prêche la « non rétorsion », apparaît doublement suspect dans un milieu social et politique comme celui de la Russie absolutiste. En fait, l’influence de la doctrine tolstoïenne sur la jeune intelligentsia russe – une influence du reste qui n’eut jamais une grande portée et s’exerça seulement sur de petits cercles – se manifeste à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, c’est-à-dire dans une période de stagnation de la lutte révolutionnaire, par la diffusion d’un courant éthique et individualiste indolent qui aurait pu constituer un danger direct pour le mouvement révolutionnaire, s’il ne s’était pas cantonné dans le temps et dans l’espace à une simple péripétie. Et finalement, confronté directement au drame de la révolution russe, Tolstoï se tourne ouvertement contre la Révolution, tout comme il avait déjà dans ses écrits pris position explicitement et abruptement contre le socialisme et combattu la doctrine marxiste comme une aberration et un aveuglement monstrueux.
Certainement, Tolstoï n’est pas et n’a jamais été un social-démocrate ; il n’a jamais montré la moindre compréhension pour la social-démocratie et le mouvement ouvrier moderne. Mais il est vain d’aborder un phénomène spirituel de l’envergure et de la singularité de Tolstoï à l’aide d’une piètre scolastique rigide et de le juger d’après ses règles. Le rejet du socialisme en tant que mouvement et système théorique peut, selon les circonstances, émaner non de la faiblesse, mais de la force d’un intellect ; et c’est justement le cas en ce qui concerne Tolstoï.
D'une part, ayant grandi dans l’ancienne Russie de Nicolas 1er et du servage, à une époque où, dans l’empire des tsars, il n’existait ni mouvement ouvrier moderne, ni sa nécessaire pré-condition économique et sociale, un puissant développement capitaliste, Tolstoï fut, en plein âge mûr, témoin de l’échec d’abord des piètres commencements d’un mouvement libéral, puis du mouvement révolutionnaire sous la forme du terrorisme de la « Narodnaïa Volia », pour connaître presque septuagénaire les premiers pas vigoureux du prolétariat industriel et finalement, comme vieillard à l’âge avancé, la révolution. Ainsi, n’est-il pas étonnant que, pour Tolstoï, le prolétariat russe moderne avec sa vie spirituelle et ses aspirations n’existe pas et que, pour lui, le paysan, et même l’ancien paysan russe profondément croyant et passivement tolérant, qui ne connaît qu’une seule passion, posséder plus de terre, représente définitivement le type même du peuple.
Mais d’autre part, Tolstoï, qui a vécu toutes les phases critiques et l’ensemble du processus douloureux du développement de la pensée publique russe, fait partie de ces esprits indépendants et géniaux qui ont beaucoup plus de mal que les intelligences moyennes à se plier à des formes de pensées étrangères et à des systèmes idéologiques constitués. Pour ainsi dire autodidacte-né – non pas en ce qui concerne l’éducation formelle et la connaissance mais en ce qui concerne la réflexion – il se doit de parvenir à chacune de ses idées selon sa propre voie. Et si ces voies paraissent à d’autres généralement incompréhensibles, et leurs résultats bizarres, l’audacieux solitaire parvient cependant ainsi à une largeur de vues impressionnante.
Comme chez tous les esprits de cette trempe, la force de Tolstoï et le centre de gravité de sa réflexion ne résident pas dans la propagande positive mais dans la critique de l’ordre établi. Et là, il atteint une polyvalence, une exhaustivité et une audace qui rappellent les vieux classiques du socialisme utopiste, tels Saint-Simon, Fourier et Owen. Il n'y a aucune des institutions sacrées de l'ordre social établi qu’il n’ait impitoyablement décortiquée et dont il n’ait démontré l’hypocrisie, la perversion et la corruption. L’Église et l’État, la guerre et le militarisme, le mariage et l’éducation, la richesse et l’oisiveté, la dégradation physique et spirituelle des ouvriers, l'exploitation et l'oppression des masses populaires, les rapports entre les sexes, l’art et la science dans leur forme actuelle – il les soumet toutes à une critique impitoyable et dévastatrice, et cela du point de vue des intérêts communs et du progrès culturel de la grande masse. Si on lit par exemple les premières phrases de La Question ouvrière, on a l’impression de tenir en main une brochure d'agitation socialiste populaire :
« Dans le monde entier, il y a plus d’un milliard, des milliers de millions de travailleurs. L’ensemble des céréales, des marchandises du monde entier, tout ce dont les hommes vivent et tout ce qui fait leur richesse, sont le produit du peuple travailleur. Cependant, ce n’est pas uniquement le peuple travailleur, mais le gouvernement et les riches qui jouissent de tout ce qu'il produit. Le peuple laborieux vit dans une détresse perpétuelle, l’ignorance, l’esclavage et le mépris de tous ceux qu’il vêtit, nourrit, pour qui il bâtit et qu’il sert. Il a été spolié de sa terre devenue la propriété de ceux qui ne travaillent pas, si bien que l’ouvrier est dans l’obligation de faire tout ce que le propriétaire terrien exige de lui pour vivre de ses terres. Si toutefois le travailleur quitte le pays et va à l'atelier, il tombe dans l'esclavage des riches, chez lesquels il devra accomplir toute sa vie 10, 12, 14 heures ou plus encore par jour d’un travail étranger, monotone et souvent préjudiciable à la vie. Mais même s’il réussit à s’installer au pays ou à émigrer pour ne parvenir à vivre qu’à grand-peine, on ne le laisse pourtant pas tranquille, mais on lui réclame des impôts, on le réquisitionne pour trois, cinq ans de service militaire, on le contraint à payer des taxes extraordinaires pour l’effort de guerre. S’il veut utiliser la terre sans payer de rentes, faire grève ou empêcher les non-grévistes de prendre sa place ou refuser les impôts, alors on envoie contre lui l’armée qui le blesse, le tue ou le contraint par la force, après comme avant, à travailler et à payer… Et c’est ainsi que la plupart des hommes vivent dans le monde entier, non seulement en Russie, mais aussi en France, en Allemagne, en Angleterre, en Chine, en Inde, en Afrique, partout. »
L’acuité de sa critique du militarisme, du patriotisme, du mariage est à peine surpassée par la critique socialiste et se meut dans la même direction qu’elle. L’originalité et la profondeur de l’analyse sociale de Tolstoï se révèlent par exemple dans la comparaison entre son point de vue et celui de Zola sur le sens et la valeur morale du travail. Tandis que ce dernier, dans un esprit vraiment petit-bourgeois, met le travail sur un piédestal, ce pour quoi il est considéré par maints sociaux-démocrates français et autres comme un socialiste de la plus belle eau, Tolstoï, en peu de mots, frappe dans le mille en remarquant tranquillement que :
« Monsieur Zola dit que le travail rend l’homme bon ; j'ai toujours remarqué le contraire : le travail en tant que tel, la fierté de la fourmi de son travail, rendent non seulement la fourmi, mais aussi l’homme, cruels… Mais si même la diligence au travail n'est pas un vice déclaré, elle ne peut en aucun cas être une vertu. Le travail peut tout aussi peu être une vertu que l’alimentation. Le travail est un besoin qui, s'il n'est pas satisfait, constitue une souffrance et non pas une vertu. Faire du travail une vertu est tout aussi faux que de faire de l’alimentation de l’homme une dignité ou une vertu. Le travail n’a pu acquérir la signification qu’on lui attribue dans notre société que comme réaction à l’oisiveté, dont on a fait le caractère distinctif de l'aristocratie et que l’on considère encore comme un critère de dignité parmi les classes riches et peu éduquées… Le travail non seulement n'est pas une vertu, mais dans notre société mal organisée, c’est en grande partie un agent mortifère de la sensibilité morale. »
Ce à quoi la formule du Capital « La vie du prolétariat commence quand cesse son travail », forme un sobre complément. La comparaison entre les deux jugements de Zola et de Tolstoï sur le travail, révèle justement le rapport entre ces derniers dans le domaine de la pensée comme dans celui de la création artistique : celui d’un artisan probe et talentueux à un génie créateur.
Tolstoï critique tout ce qui est établi, déclare que tout est voué à dépérir et il prédit l’abolition de l’exploitation, l’obligation générale du travail, l’égalité économique, l’abolition de la coercition dans l’organisation de l’Etat comme dans les relations entre les sexes, la complète égalité entre les hommes, les sexes, les nations et la fraternisation entre les peuples. Mais quelle voie peut nous conduire à ce bouleversement radical de l’organisation sociale ? Le retour des hommes au seul et simple principe du christianisme : l’amour de son prochain comme de soi-même. On constate que Tolstoï est ici un pur idéaliste. Il veut par la renaissance morale des hommes la transformation de leurs rapports sociaux et l’accomplissement de cette renaissance par la prédication et l’exemple. Et il ne se lasse pas de répéter la nécessité et l'utilité de cette « résurrection morale » avec une ténacité, une certaine pauvreté de moyens et un art mi-naïf mi-rusé de la persuasion, qui rappellent vivement les formulations impérissables de Fourier concernant l’intérêt personnel de l’homme, qu’il chercha sous les formes les plus diverses à mobiliser pour ses plans sociaux.
L'idéal social de Tolstoï n’est ainsi rien d'autre que le socialisme. Pour appréhender de la manière la plus frappante le noyau social et la profondeur de ses idées, on ne doit pas s'adresser à ses traités sur les questions économiques et politiques, mais à ses écrits sur l'art qui comptent d'ailleurs aussi parmi ses œuvres les moins connues en Russie. Le raisonnement que Tolstoï développe brillamment est le suivant : l’art - contrairement à l’opinion de toutes les écoles philosophiques et esthétiques - n’est pas un luxe destiné à déclencher dans les belles âmes les sentiments de beauté, la joie ou autres choses semblables, mais il est au contraire une importante forme historique de la communication sociale des hommes entre eux, comme le langage. Après avoir dégagé ce critère vraiment matérialiste historique par une savoureuse mise en pièces de toutes les définitions de l’art de Winckelmann à Kant en passant par Taine, Tolstoï, à l’aide de celui-ci, s’attaque à l’art contemporain et constate, vu qu’il ne s’accorde à la réalité dans aucun domaine ni à aucun point de vue, que l’art existant dans son ensemble – mis à part quelques petites exceptions – est incompréhensible à la grande masse de la société, à savoir le peuple laborieux. Au lieu d’en conclure suivant l’opinion commune à la barbarie spirituelle de la grande masse et à la nécessité de son « élévation » à la compréhension de l’art actuel, Tolstoï en tire la conclusion inverse. Il déclare l’ensemble de l’art existant comme « faux art ». Et la question, comment se fait-il que nous ayons depuis des siècles un « faux art » au lieu d’un art « véritable », c'est-à-dire populaire, l’amène à un autre point de vue audacieux : il y eut un art véritable dans les temps très anciens lorsque l’ensemble du peuple avait une vision du monde commune – que Tolstoï nomme « religion » – d’où sont nées les œuvres telles que l’épopée d’Homère ou les Evangiles. Depuis que la société s’est divisée entre une grande masse exploitée et une petite minorité dominante, l’art ne sert plus qu’à exprimer les sentiments de la minorité riche et oisive, mais comme celle-ci a aujourd’hui perdu toute vision du monde, c’est pourquoi nous avons la dégénérescence et le déclin qui caractérisent l’art moderne. Selon Tolstoï, l’« art véritable » ne pourra réémerger que si, d’un moyen d’expression de la classe dominante, il redevient un art populaire, c'est-à-dire une expression de la vision du monde commune de la société laborieuse. Et, d’un énergique revers de main, il expédie aux enfers du « mauvais faux art » les œuvres mineures comme majeures des étoiles les plus connues de la musique, de la peinture, de la poésie et, pour finir, l’ensemble admirable de ses œuvres personnelles. « L'heureux monde ! (…) Il est en ruines ! Un demi-dieu l'a renversé! »4 Dés lors il n’écrivit plus qu’un dernier roman – Résurrection – sinon il tint seulement pour respectable de n’écrire que de simples et courts contes populaires ou des essais « compréhensibles à chacun ».
Le point faible de Tolstoï – la conception de toute la société de classes comme une « aberration » plutôt que comme une nécessité historique qui réunit les deux extrémités de sa perspective historique, le communisme primitif et l’avenir socialiste – est évident. Comme tous les idéalistes, il croit aussi à la toute-puissance de la force et explique toute l'organisation de classe de la société comme le simple produit d’une longue chaîne de purs actes de violence. Mais il y a une grandeur véritablement classique dans la réflexion de Tolstoï sur l’avenir de l’art qu’il voit à la fois comme l’union de l’art, en tant que moyen d’expression, aux sentiments sociaux de l’humanité laborieuse et à la pratique de celui-ci ; c'est-à-dire la fusion de la carrière d’artiste avec la vie normale de tout membre laborieux de la société. Les phrases avec lesquelles Tolstoï fustige l’anormalité du mode de vie de l’artiste actuel qui ne fait rien d’autre que « vivre son art » possèdent une force lapidaire, et il y a là un radicalisme vraiment révolutionnaire quand il brise les espoirs qu’une réduction du temps de travail et une élévation de l’éducation des masses leur procurent une compréhension de l’art tel qu’il existe aujourd’hui :
« C’est tout ce que disent avec passion les défenseurs de l’art actuel, cependant je suis convaincu qu’eux-mêmes ne croient pas à ce qu’ils disent. Ils savent bien que l’art tel qu’ils le comprennent a pour condition nécessaire l’oppression des masses et qu’il ne peut même se maintenir que par le maintien de cette oppression. Il est impératif que les masses d’ouvriers s’épuisent au travail pour que nos artistes, écrivains, chanteurs et peintres atteignent ce degré de perfection qui leur permette de nous procurer du plaisir… Même en supposant possible cette impossibilité et que l’on trouve un moyen de rendre accessible au peuple cet art tel qu’on le comprend, une considération s’impose qui prouve qu’il ne peut pas être un art universel : le fait qu’il est complètement incompréhensible pour le peuple : auparavant les poètes écrivaient en latin, et cependant les productions de nos poètes aujourd’hui sont tout aussi peu compréhensibles pour le peuple que si elles étaient écrites en sanscrit.
On répondra maintenant que c’est la faute du manque de culture et de développement du peuple, et que notre art pourra être compris de tous dés que celui-ci aura bénéficié d’une éducation satisfaisante. C’est à nouveau une réponse absurde, car nous constatons que de tout temps l’art des classes supérieures n’a jamais été pour elles qu’un simple passe-temps, sans que le reste de l’humanité en comprenne quoi que ce soit. Les classes inférieures peuvent se civiliser tant et plus, l’art, qui dés le départ n’a pas été créé pour elles, leur restera constamment inaccessible… Pour l’homme pensant et sincère, c’est un fait incontestable que l'art des classes supérieures ne pourra jamais devenir l’art de l’ensemble de la nation. »
L’auteur de ces mots est dans l’âme plus socialiste et matérialiste historique que ces membres du parti, qui, se mêlant à la dernière extravagance artistique, veulent avec un zèle irréfléchi « éduquer » les ouvriers sociaux-démocrates à la compréhension du barbouillage décadent d’un Slevogt ou d’un Hodler.
C’est ainsi que Tolstoï, pour sa force comme pour ses faiblesses, pour le regard profond et aigu de sa critique, le radicalisme audacieux de ses perspectives comme pour sa foi idéaliste en la puissance de la conscience subjective doit être placé parmi les grands utopistes du socialisme. Ce n’est pas sa faute, mais sa malchance historique que sa longue vie s’étende du seuil du 19e siècle, époque où Saint-Simon, Fourier et Owen se tenaient comme précurseurs du prolétariat moderne, au seuil du 20e siècle où, solitaire, il se trouve sans le comprendre face à face avec le jeune géant. Mais pour sa part, la classe ouvrière révolutionnaire mûre peut avec un sourire de connivence serrer la main honnête du grand artiste et de l’audacieux révolutionnaire et socialiste malgré lui, auteur de ces bonnes paroles : « Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie, il faut, cependant, que je dise ceci : ce que j'écris ne sont pas seulement des mots, mais je le vis, c’est mon bonheur, et je mourrai avec. »
Paru dans la Leipziger Volkszeitung, N°. 209 du 9 Septembre 1908
1 Pour plus de détails biographiques sur Tolstoï, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Léon_Tolstoï [233]
2 Plekhanov, L’art et la vie sociale, Editions Sociales, p. 313
3 Trotski, Léon Tolstoï, 15 septembre 1908, https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/litterature/tolstoi.htm [234]
4 Goethe, Faust, 1808, (NdT)
C’est avec une grande douleur que nous donnons cette nouvelle à nos lecteurs et contacts de la mort de notre camarade Enzo le dimanche 15 mai. Malgré la maladie, rien ne laissait prévoir une fin aussi tragique que soudaine. La nouvelle de sa mort a frappé tout le monde comme la foudre, nous laissant hébétés et en même temps, avec le regret de ne pas avoir pu lui apporter notre présence dans les derniers moments de sa vie.
Quelques contacts du CCI en Italie ont connu Enzo et ont exprimé le même désarroi et la même douleur face à sa disparition, pas seulement comme militant communiste mais aussi parce que dans son activité politique, dans ses interventions dans les réunions publiques, dans les discussions, il exprimait toute sa peine face aux souffrances que le capitalisme fait subir au genre humain, quelquefois les larmes aux yeux. Enzo était un jeune prolétaire qui a subi dans sa propre chair l’exploitation, le chômage et finalement le licenciement mais qui, en même temps, était aussi convaincu qu’on peut réagir, qu’on peut lutter contre toute cette barbarie et construire une société véritablement humaine. Son militantisme dans le CCI a toujours été caractérisé par cette conviction et sa détermination, même dans des situations difficiles, à contribuer à ce combat. Sa mort est une perte pour le CCI et pour l’ensemble de la classe ouvrière.
Nous voulons cependant dès maintenant renouveler notre solidarité à la famille d’Enzo, ses parents, ses amis dans un moment qui nous rapproche dans le chagrin et redire notre détermination à continuer le combat pour une société humaine pour laquelle Enzo a combattu à nos côtés.
CCI (19 mai 2011)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article repris d' Internationalism, organe du CCI aux Etats-Unis sur notre site en langue anglaise.
Après des semaines de manifestations qui ont attiré l'attention de la presse nationale et même internationale, les rues de Madison sont à nouveau vides. Le projet de loi Scott Walker de sauvetage du budget d'Etat est passé (en attente d'un recours à la cour d'appel), et où, une fois que les cris de 'grève générale' eurent retenti dans une foule de milliers de manifestants, le silence est retombé et les travailleurs sont de nouveau retournés au travail. Les dirigeants syndicaux se démènent pour faire passer toutes les exigences économiques du gouverneur du Wisconsin en échange du droit à la 'négociation collective' d'un contrat précédent. l'action des travailleurs a été réduite à la signature de pétitions pour en appeler à la révocation des sénateurs de l'Etat. Alors que certains essaient de raviver le mouvement, il a été largement vaincu. La question est : pourquoi ?
Partout aux Etats-Unis, les travailleurs du secteur public sont pris pour cible et attaqués au nom de la solvabilité budgétaire de chaque Etat. La plupart des gouverneurs d'Etat sont en attente de coupes budgétaires représentant des centaines de millions de dollars, escomptées à travers le non-renouvellement des accords de conventions collectives avec les syndicats des employés du secteur public, pour couvrir leurs déficits budgétaires colossaux. Pour atteindre au mieux cet objectif, la bourgeoisie a lancé une vaste campagne visant à diaboliser les travailleurs syndiqués du secteur public comme jouissant d'une surcompensation et de privilèges au détriment du 'contribuable'. Les Etats de l'Ohio et du Nebraska ont adopté une législation similaire à celle de Walker pour le Wisconsin, et de nombreux autres Etats envisagent des projets de loi similaires. Pendant ce temps, les syndicats ont appelé à des rassemblements de solidarité dans tout le pays pour la défense du 'droit' à la négociation des conventions collectives, se présentant comme le dernier et meilleur recours que les ouvriers ont pour entretenir la défense de la 'démocratie' et des 'emplois de la classe moyenne'. Pour comprendre la défaite du mouvement dans le Wisconsin et se préparer à de nouvelles attaques à venir, nous devons examiner ces campagnes idéologiques. Nous devons comprendre comment elles ont contribué à faire dérailler le mouvement dans le Wisconsin et comment elles peuvent seulement livrer la classe ouvrière pieds et poings liés aux attaques de la bourgeoisie.
Les médias officiels présentent la vague d'austérité comme étant des mesures nécessaires au niveau de l'Etat, et le mouvement de masse dans le Wisconsin comme une épreuve de force entre les gouverneurs nouvellement élus du très réactionnaire Tea Party républicain mettant à l'ordre du jour le démantèlement des syndicats, et les syndicats des employés du secteur public, alignés sur le parti démocrate. Les syndicats et la gauche ont aussi colporté ce récit. Ils ont mis l'accent sur la défense du 'droit à la négociation collective des salariés' dans leurs rassemblements de solidarité, dans leurs lettres officielles, et maintenant dans leur campagne pour faire révoquer les sénateurs républicains dans l'Etat du Wisconsin. Ce récit occulte la réalité de la situation pour les travailleurs, et pousse les travailleurs qui l'acceptent à être plus favorables aux 'solutions' avancées par la bourgeoisie.
Même s'il est vrai que le gouverneur Walker, le gouverneur Kasich de l'Ohio, et quelques autres gouverneurs soutenus par le Tea Party sont idéologiquement motivés dans leurs tentatives de mettre fin à la négociation collective et pour démanteler les syndicats, les problèmes de leur propre état financier et leur besoin d'attaquer le niveau de vie des employés du secteur public, sont bien réels. Ils sont aux Etats-Unis sous le contrôle des deux partis. Tous, sauf 6 Etats américains font face à des déficits budgétaires massifs pour l'année fiscale 20111 . Les déficits cumulés des Etats fédéraux, pour l'année 2013, devrait atteindre 175 milliards de $, ce qui est un chiffre proportionnellement bien plus élevé que les 230 milliards de $ qui est le déficit total des trois derniers exercices2. Les gouverneurs des deux partis se préparent à des attaques sur les salaires travailleurs de l'Etat et sur leurs pensions, et même à mettre fin au droit de négociation collective, pour les aider à combler ces lacunes budgétaires. Le gouverneur nouvellement élu du Connecticut, le démocrate Daniel Malloy, exige 1 milliard de dollars d'économies provenant des employés de l'Etat pour chacune des deux prochaines années, soit la réduction la plus importante par habitant de tous les Etats. Le démocrate Jerry Brown en Californie a imposé un gel de l'embauche dès février 2015, dans la négociation de son budget, et un autre démocrate Andrew Cuomo de l'Etat de New York a annoncé un gel des salaires d'un an pour les travailleurs de l'Etat dans le cadre d'un plan d'urgence financière, au-dessus des 450 millions de dollars déjà concédés, au nom des travailleurs, par les syndicats du secteur public.
Les enseignants des universités publiques qui ont de mauvais résultats sont blâmés pour les tests scolaires et les taux d'obtention des diplômes, et les conseils de classe comme les syndicats d'enseignants sont en train de débattre de la rémunération au mérite et de le remise en cause de la sécurité d'emploi. Les enseignants sont dressés les uns contre les autres, avec de jeunes enseignants à qui on dit que la rémunération au mérite leur donnera tous les avantages liés à la jeunesse, tandis qu'aux enseignants plus âgés on dit que l'acceptation de nouveaux niveaux pour les pensions protégera leur emploi dans le cas de licenciement. La bourgeoisie tente de désamorcer une forte démonstration de solidarité entre les jeunes et les anciens, entre les étudiants et les ouvriers. La classe ouvrière a démontré cette solidarité dans nombre de ses grandes mobilisations puisque les travailleurs des transports en commun à New York City ont fait grève contre les réductions de pensions qui touchent principalement les travailleurs non encore embauchés.
Dans tous ces cas, les deux partis se sont unis dans la poursuite et l'adoption des mesures d'austérité draconiennes contre les travailleurs du secteur public. Contrairement au récit des médias, des syndicats et de la gauche, les syndicats travaillent en collaboration avec les gouverneurs des Etats, par le biais des négociations collectives, pour décider comment mettre en œuvre les attaques. Ils exercent ainsi une pression sur les travailleurs en leur promettant de mener une lutte ou d'élire des gouverneurs différents et leur assurent qu'un avenir meilleur est juste au coin de la rue, s'ils acceptent les 'sacrifices' d'aujourd'hui. Dans l'Etat de New York, les syndicats ont organisé un nombre incalculable de rassemblements de 'solidarité' en faveur de la négociation collective dans le Wisconsin, mais ils n'ont rien dit quant à la perspective des licenciements dans l'éducation. Ils ont même soutenu des initiatives de rémunération au mérite pour les enseignants. Les syndicats, au milieu de la leur campagne nationale sur le besoin de solidarité, font des rassemblements avec des travailleurs déjà résignés dans le Wisconsin, dont le seul combat actuel est une campagne de réélection à laquelle seuls les résidents du Wisconsin peuvent participer, et déjà ils acceptent tous les licenciements et augmentations des cotisations proposés pour leurs propres membres. Quel rôle les syndicats jouent-ils vraiment?
Les syndicats du secteur public, loin de défendre les travailleurs qu'ils représentent, ne remettent pas en question la nécessité pour les travailleurs de 'faire des sacrifices'. Ils ont seulement mobilisé afin de maintenir leur position en tant que « partenaires privilégiés » de l'Etat pour l'application des réductions nécessaires à la santé du capitalisme américain. Depuis le début du mouvement dans le Wisconsin, les deux plus grands syndicats du secteur public de l'Etat, le AFSCME et le WEAC, le syndicat des enseignants, ont offert d'accepter toutes les exigences économiques, et d'aider à 'négocier' les attaques, tant que leur droit à participer aux conventions collective , que le 'closed shop' (l'obligation pour le patron de n'embaucher que des salariés syndiqués) et que le système de retenue sur le salaire pour les cotisations syndicales, seront laissés indemnes . En effet, depuis l'adoption du projet de loi, les syndicats du secteur public se sont empressés dans tout l'Etat de faire passer les contrats contenant toutes les exigences économiques du projet de loi Walker, sachant que, si leur contrat est ratifié avant, le nouveau projet de loi devient loi, ils n'auront pas à tenir une autre élection l'année prochaine pour permettre à leur argent d'affluer dans les caisses, car le 'closed shop' sera alors maintenu pendant la durée de ce contrat. Cela explique aussi l'opposition très répandue des politiciens du Parti Démocrate à mettre fin au droit à la négociation collective, étant donné que les Démocrates comptent sur les syndicats du secteur public comme leur principale source de contributions de campagne pour les élections locales et d'Etat.
Le lundi 14 février, premier jour ouvrable après l'annonce du projet de loi Walker, plus de 100 étudiants ont spontanément quitté la classe à Stoughton, Wisconsin. Le lendemain, ils ont été suivis par plus de 800 étudiants de Madison, qui ont quitté les cours et ont défilé dans la ville pour manifester devant les bâtiments du gouvernement. Le mercredi suivant, les universités publiques de Madison ont dû fermer, car les enseignants se sont mis en arrêt de travail pour maladie (ce qui constitue une action illégale, NDT) et nombre d'entre eux ont rejoint leurs élèves pour marcher sur le Capitol Building. Dès jeudi, la présidente du syndicat Wisconsin Educators Association Council (WEAC), Mary Bell, a dit aux journalistes: « Ce n'est pas sur la protection de nos salaires et de nos avantages sociaux. Il s'agit de protéger notre droit à la négociation collective ». Dans une déclaration à la presse le lendemain, Marty Beil du syndicat AFSCME Council 24 a expliqué sans ambages : « Nous sommes prêts à mettre en œuvre les concessions financières proposées pour aider à l'équilibrage du budget de notre Etat, mais on ne nous privera pas de notre droit donné par Dieu à former un véritable syndicat »3. Les enseignants et les étudiants ont poursuivi leurs actions tout au long de la semaine, et les travailleurs du secteur public et les sympathisants de la région environnante se sont joints aux manifestations. Celles-ci ont grossi jusqu'à la fin de semaine, lorsque le Capitol Building a été occupé. Le lundi, le WEAC a ordonné aux enseignants de retourner au travail, mais les enseignants de Madison ont voté pour rester en congé de maladie une journée supplémentaire, au mépris de l'ordre donné par le président du syndicat (4)4.
Des célébrités gauchistes (y compris, entre autres, Michael Moore et Jesse Jackson) ont afflué dans la ville pour louer les 14 sénateurs démocrates de l'Etat qui avaient quitté la Chambre pour empêcher le passage du projet de loi comme des héros du travail, et pour appuyer la rhétorique syndicale suivant laquelle la lutte a été entièrement consacrée aux droits sur la convention collective. La présence de politiciens de haut niveau et de célébrités militantes a également contribué à soutenir toutes sortes d'illusions sur le Parti Démocrate et la plupart des actions sans danger en opposition à la vraie lutte de classe. Les syndicats avaient dit, dès le début, qu'ils n'étaient pas intéressés par des grèves. Pendant ce temps, les IWW de Madison et d'autres ont tenté de gagner l'approbation de la South Central Wisconsin Council pour organiser une grève générale à l'échelle de l'Etat, en cas de passage du projet de loi. Une grande partie de la propagande a été menée auprès des travailleurs sur ce que signifierait une grève générale, et en fait, la veille du jour de l'adoption du projet de loi, des slogans en faveur d'une grève générale ont été parmi les plus fortement entendus à l'intérieur du Capitol Building et dans les rues5. Cependant, le jour où le projet de loi a été adopté, les syndicats et le Parti Démocrate ont dévoilé leur nouvelle stratégie : canaliser toutes les énergies de la contestation dans une campagne prolongée pour faire révoquer les 16 sénateurs Républicains, dont le remplacement par des Démocrates inverserait finalement le projet de loi.
Les USA n'ont pas assisté à une grève générale depuis des années, ce qui fait que le slogan dans le Wisconsin paraît au mieux surprenant au mieux et au pire mystificateur. Malgré son image de puissance qu'évoque l'appel à une grève générale, nous devons nous demander à quoi peut ressembler une grève générale, ou ce qu'elle peut accomplir si elle permet aux syndicats, qui ont déjà accepté de mener des attaques sur les conditions de vie de la classe ouvrière, d'y tenir un rôle de leadership. Au cours des deux dernières années dans toute l'Europe, les syndicats ont appelé à des grèves générales au niveau national contre les mesures d'austérité présentées comme des solutions aux dettes de l'Etat et elles ont toutes mené à la défaite. L'automne dernier en France, 14 grèves générales menées par la 'radicale' CGT et d'autres syndicats, ainsi que le blocage des raffineries, ont été incapables d'empêcher le passage de la réforme des retraites et les seuls mouvements significatifs d'auto-organisation et de luttes au niveau de la classe ont tous été effectués en opposition directe même avec les plus radicaux des syndicats. Le problème est que la 'grève générale', en tant que débrayage massif de tous les travailleurs, est un slogan extrêmement ambigu . Qui doit appeler à la grève ? Qui va la diriger et décider combien de temps elle durera, comment installer un piquet de grève, et comment étendre la grève ? Si des semaines de grèves et de manifestations à travers une France plus fortement syndiquée que les USA ont été incapables, à l'automne dernier, d'arrêter les attaques sur les retraites, que penser d'une journée de grève générale ou de 'Journée d'Action' par des travailleurs américains syndiqués, qui représentent moins de 12% de la main-d'œuvre américaine ?
Contrairement au slogan de 'grève générale', pour que les travailleurs se défendent, ils ont besoin de développer une dynamique similaire à ce que Rosa Luxembourg a appelé la 'grève de masse'6 , une vague de grèves qui n'est pas prévue pour une seule journée ou une période précise. Dans la grève de masse, les travailleurs syndiqués et non syndiqués de divers secteurs entrent en lutte pour leurs revendications propres et les revendications de leurs frères et sœurs de lutte. La dynamique de la grève de masse cherche toujours à élargir l'ampleur du mouvement et à élaborer collectivement ses objectifs et ses exigences. Un tel mouvement, organisé par les travailleurs eux-mêmes, coordonné par des comités auxquels ils doivent leur mandat, et peuvent être révoqués par l'assemblée générale de tous les travailleurs, serait une menace immédiate pour l'Etat. Il ne serait pas entre les mains de négociateurs qui ont la confiance de l'Etat et il pourrait, au moins temporairement, repousser certaines des mesures d'austérité proposées. En outre, une telle expérience développerait la combativité, la créativité et la confiance de la classe ouvrière à une échelle sans précédent, rendrait les travailleurs d'autant plus prêts à se défendre à l'avenir, au point de poser des questions sur comment la société est dirigée et dans l'intérêt de qui ?
Au printemps dernier, dans le New Jersey, très peu de temps après que les étudiants de l'Université de Californie eurent commencé leur lutte, les élèves du secondaire ont organisé des débrayages dans tout l'Etat contre les réductions de dépenses d'éducation et les attaques dirigées contre leurs enseignants. Les élèves se sont souvent tournés vers ces mêmes enseignants pour faire avancer la lutte. En dépit de l'admiration et de la gratitude ressentie par la majorité des enseignants devant ce spectacle de solidarité, le syndicat des enseignants a découragé les étudiants de se mobiliser et était d'accord avec l'administration pour que les étudiants concernés soient punis7. Une histoire très similaire s'est déroulée dans le Wisconsin. Les élèves, qui craignaient que ce système n'apporte pas d'avenir pour eux, ont décidé de prendre des mesures à la fois pour leurs propres revendications et en solidarité avec les travailleurs qui n'avaient pas encore commencé à lutter. Sachant qu'ils ne pouvaient pas à eux seuls obtenir ces revendications, les élèves ont demandé à ces travailleurs de se joindre au combat. C'est la croyance, encore présente chez de nombreux enseignants et leurs élèves, que les syndicats existent pour les défendre, et qu'ils devront se battre à leurs côtés, qui a empêché cette solidarité de s'étendre.
Les syndicats, dans le monde capitaliste moribond d'aujourd'hui, ne défendent pas du tout, même a minima, la classe ouvrière. Les syndicats, alors qu'ils ont été construits par les travailleurs et qu'ils pouvaient être contrôlés par les ouvriers au 19e et au début du 20e siècle, existent désormais en tant qu'agents de l'Etat. Leur tâche consiste à maintenir l'ordre pendant les luttes de la classe ouvrière, à les enchaîner au légalisme, aux illusions démocratiques et aux intérêts du capital national. Grâce à un millier de mécanismes de reconnaissance de l'Etat, de structures juridiques, et de mécanismes structurels, l'Etat a complètement absorbé en son sein ces organisations et les utilise pour prévenir et faire dérailler toute contestation qui risque de se développer en une véritable lutte de classe contre classe. Les syndicats en ont fait une parfaite démonstration, lorsque, alors qu'ils étaient menacés d'une totale castration par le nouveau projet de loi, ils ont préféré canaliser la colère des ouvriers dans une campagne infructueuse de révocation électorale qui pouvait prendre plus d'un an. Les syndicats préfèrent être réduits à des groupes de pression électorale que d'attiser la lutte de classes avec une action de grève, même sous leur contrôle. Une nouvelle preuve de la nature des syndicats : lorsque la section locale de l'AFSCME de Madison s'est précipitée pour signer un nouveau contrat qui allait écraser les conditions de vie des travailleurs au niveau du projet de loi haï que Walker avait exigé pour 2014. le maire de Madison a salué la coopération du syndicat. « Nous l'avons fait avec une négociation collective » , a-t-il dit. « Le système a fonctionné exactement comme il était censé fonctionner »8
Lorsque les enseignants et les travailleurs du secteur public, légitimement menacés par une législation qui s'attaque directement à leurs salaires, à leur santé et à leurs retraites, luttent pour la défense des syndicats, plutôt que de mobiliser pour la défense de leur niveau de vie, se montrent ouvertement comme des fantassins au service d'une lutte de faction entre les différentes parties de la classe dirigeante. Les ouvriers ne doivent pas baisser leur garde contre les syndicats qui mettent en œuvre des réductions, qui négocient les licenciements, et dressent un rideau de fumée pour détourner les travailleur d'une véritable lutte contre ces mesures, sous le prétexte que certaines secteurs de la classe dirigeante s ?en prennent aux syndicats. Alors que de nombreux travailleurs ont des illusions sur les syndicats, les révolutionnaires devraient chercher à les aider à les en débarrasser. Ils doivent être clairs sur le fait que les syndicats ne sont pas simplement 'ce que nous avons de mieux' , ou simplement conservateurs, sclérosés et bureaucratiques : ils appartiennent, corps et âme, au camp de l'ennemi de classe, et la véritable lutte de classe devra se mener contre eux, tout comme elle sera menée contre le patronat et l'Etat.
JJ (10 avril 2011).
1- Elizabeth McNichol, Oliff Phil Johnson et Nicholas : « Les Etats continuent de ressentir l'impact de la récession », Centre du budget et des priorités de la politique, 9 mars 2011 https://www.cbpp.org/cms/?fa=view&id=711 [236]
2- Fletcher, Michael A. « Les gouverneurs des deux Partis planifient de douloureuses coupes budgétaires au milieu de la crise à travers les Etats-Unis », Washington Post, 7 février 2011 https://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2011/02 [237] / 07/AR2011020703650.html. hpid moreheadlines =
3- Jason Stein, Patrick Marley et Schultze Steve. « L'ajournement brutal de l'assemblée cause d'une journée chaotique dans le Capitole », Milwaukee Journal Sentinel, 18 février 2011 https://www.jsonline.com/news/statepolitics/116470423.html [238]?
4- « Les enseignants discutent de leur reprise du travail après les protestations du Wisconsin », CNN.Com, 20 Février 2011 https://articles.cnn.com/2011-02-20/politics/wisconsin.protests_1_unions... [239] ?)
5- Pour une description plus détaillée de ce sujet, visitez le fil libcom.org, « Wisconsin, le retrait du droit de négociation collective des travailleurs de l'Etat. Le gouverneur menace d'utiliser la Garde Nationale ». Sur https://libcom.org/forums/news/wisconsin-withdrawing-collective-bargaini... [240]
6- Rosa Luxemburg oppose la grève de masse dynamique à la grève générale prévue appelé par les organisations pré-existantes pour une période de temps déterminée dans son livre Grève de masse, partis et syndicats.
7- Heyboer, Kelly. « Les élèves du NJ qui ont quitté les cours pour protester contre les coupes budgétaires du gouverneur Chris Christie ont écopé de peines mineures », Newark Star-Ledger, 28 avril 2010 https://www.nj.com/news/index.ssf/2010/04/minor_punishments_given_to_stu... [241]
8- Mosiman Dean. « Madison sur la point de prolonger le contrat qui le lie à son plus grand syndicat ouvrier », Wisconsin State Journal, 16 mars 2011 https://host.madison.com/wsj/news/local/govt-and-politics/article_d04b3a... [242] 001cc4c002e0.html
Nous publions ci-dessous un article publié dans Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Etant donné le peu d'attention porté par les médias aux Etats-Unis sur les révoltes en Tunisie, en Algérie et en Egypte, et plus tard dans une grande partie du reste du monde arabophone, Internationalism, organe du CCI aux Etats6unis a estimé qu'il était important de tenir une réunion publique sur les perspectives de ces révoltes le 19 mars dernier à New-York. Il y a eu une courte présentation, suivie de quelques heures de discussion ouverte sur l'histoire des événements, les similitudes et les différences entre chaque situation nationale, ainsi que les similitudes avec les mouvements contre l'austérité en Europe et avec le mouvement ouvrier sur le plan historique. La plupart des participants connaissaient bien Internationalism, et un camarade était plus familiarisé avec le travail des groupes Mouvement Communiste et GCI.
Avant la présentation, quelques mots ont été dit sur les tremblements de terre et la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon, où les camarades ont noté la tendance à ce que les puissances nucléaires soient dans une situation impérialiste de plus en plus chaotique, où les ressources en combustibles importés sont de moins en moins fiables pour chaque bourgeoisie nationale. La présentation a souligné la rapidité de l'évolution des événements en Egypte, en Tunisie, au Bahreïn, et en Libye et l'importance d'un examen critique des potentialités des révoltes dans les différents pays, mais aussi de rester vigilant par rapport aux régions où ils pourraient s'étendre. En effet, le jour suivant, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont commencé les frappes aériennes en Libye, en démontrant comment la bourgeoisie peut réagir différemment suivant les révoltes, bien que celles-ci aient des racines communes qui sont les conditions de pauvreté et de répression. Il est important d'examiner ces différents facteurs.
Le facteur le plus important est que ces révoltes ne sont pas ce que prétendent les médias de la bourgeoisie, c'est-à-dire des mouvements qui se limiteraient à demander plus de démocratie contre la dictature, des mouvements qui se satisferaient d'une 'révolution de couleurs variées' comme en Ukraine et dans d'autres pays, ces dernières années. Chaque révolte a commencé pour des motifs économiques et sociaux : misère et chômage élevé (surtout chez les jeunes travailleurs), inflation vertigineuse et une indignation bouillonnante contre la répression. Dans le cas de la Tunisie, qui a connu l'essentiel des grèves avant les événements en Egypte, il a été dit que c'est le harcèlement par la police d'un marchand ambulant de fruits, qui s'est immolé pour cette raison, qui a déclenché les révoltes. Celui-ci était un diplômé de l'université, au chômage et incapable de trouver un travail régulier. Malgré le fait qu'il existe beaucoup d'illusions par rapport à la démocratie dans les mouvements autour de ces révoltes, et que la classe ouvrière n'a pas clairement mis en avant ses propres exigences, ces révoltes ne sont pas simplement des révoltes démocratiques contre la dictature, mais elles contiennent aussi des expressions d'indignation réelle des travailleurs devant les conditions dans lesquelles ils sont forcés de vivre.
En Egypte, nous avons vu l'émergence de véritables méthodes de lutte de la classe ouvrière : des comités de protection de quartier, la tendance à l'extension rapide de la grève, les assemblées de rue où les gens discutent ouvertement et prennent des décisions sur la façon de pousser en avant la lutte, et des tentatives de fraternisation avec l'armée. Malgré le fait que cela montre les illusions sur la 'loyauté' de l'Etat, le point important est qu'au début, l'armée a répondu favorablement. L'entrée de la classe ouvrière dans la lutte a aidé à surmonter certaines des divisions, ce dont les autres couches sociales étaient incapables : des divisions fondées sur le sectarisme religieux, par exemple, et le début des grèves politiques dans les usines textiles a été le principal facteur de l'accélération de la démission de Moubarak Cela démontre que la classe ouvrière est le sujet de la révolution et qu'elle a la capacité de paralyser la société et d'unifier les révoltes des autres couches non exploiteuses. La Libye, où la majorité de la classe ouvrière est constituée d'immigrants du monde entier, a été un exemple négatif. Les travailleurs immigrés ont refusé de se laisser entraîner dans ce qui est devenu très vite un combat entre factions nationalistes et ils se sont amassé à la frontière pour fuir la Libye, ne voyant aucun avenir dans ces révoltes.
Dans les discussions qui ont suivi, l'idéologie démocratique a été une question importante abordée, avec de nombreux camarades qui ont montré le besoin de la classe dominante de décrire toutes les révoltes dans les pays de langue arabe comme étant des mouvements nationalistes et pro-démocratiques, sans tenir compte du fait que, du moins au début, la classe ouvrière dans les différents pays est entrée en lutte, principalement contre les conditions d'exploitation et de misère, sans agiter aucun drapeau particulier. On a également noté que, même en Egypte, la classe ouvrière n'était pas encore en mesure de s'affirmer comme une classe indépendante, mais qu'elle commençait tout juste à essayer d'entrer en mouvement et qu'elle était attirée par les idéologies des autres couches sociales, malgré le fait que l'entrée des travailleurs dans la lutte avec les grèves dans les usines de textile a été décisive pour aller de l'avant. En 2007, il y avait eu d'autres grèves massives en Egypte, qui avaient vu le surgissement d'assemblées générales et des tentatives de convergence des luttes, mais la situation actuelle montre une difficulté des travailleurs à faire valoir leurs revendications indépendamment du mouvement 'pro-démocratique' et 'anti-dictature' et à être capables de se mettre à la tête de la révolte comme classe ayant un avenir historique. Des questions ont été soulevées quant à savoir si le nouveau gouvernement d'Egypte renforcera les illusions démocratiques ou si, sous le poids croissant de la crise, il s'usera plus rapidement.
À la fin de la discussion, les camarades présents ont fait le lien entre la domination de l'idéologie démocratique et le manque de confiance de la classe à l'échelle internationale. De nombreux travailleurs estiment que la révolution est nécessaire, mais ne savent pas si elle est encore possible.
L'organisation de la production a radicalement changé depuis les dernières grandes batailles de classe et des grands centres industriels ont été démantelés par la désindustrialisation dans les métropoles capitalistes et la délocalisation de la production vers les pays 'périphériques', sans compter les campagnes autour de la 'mort du communisme' dans les années 1990. On a beaucoup parlé du poids de la décomposition du système capitaliste et de l'érosion du tissu de base de la vie sociale qui rend plus difficile pour la classe ouvrière la récupération de son identité et la confiance en soi. Malgré toutes ces difficultés, il a été reconnu par les participants que ces révoltes, du moins en Egypte et en Tunisie, sont une partie du processus lent et difficile de la classe ouvrière internationale qui se bat pour retrouver le chemin de la lutte de classes. Il y a eu aussi des débats sur les forums du CCI, sur la nature de classe ou non des révoltes en Libye, par rapport à celles de l'Egypte ou de la Tunisie, et c'est un sujet que les révolutionnaires doivent essayer de clarifier et de mieux comprendre, afin de pousser en avant et de développer ce processus de récupération de l'identité de classe et de la confiance.
JJ (3 mai)
Dans la soirée du 2 juin, une explosion à la raffinerie de pétrole Chevron sur le quai Pembroke au Pays de Galles a tué quatre ouvriers et un autre est à l'hôpital avec des blessures graves. Le temps qu'il a fallu pour identifier les ouvriers indique que les malheureux ont été réduits en cendres. La nuit suivante, la BBC a fait état d'un « énorme » incendie à l'usine Eco de stockage de pétrole près de la centrale électrique de Kingsnorth dans le Kent. Le moment où ont eu lieu les deux accidents indique que la majorité des travailleurs, 1400 à Chevron, n'étaient pas sur le site. Un porte-parole de la police a d'abord qualifié l'explosion de Pembroke de « tragique accident industriel», formule qui a ensuite été remplacée par celle de « tragique incident industriel », et une nouvelle déclaration ajoutait: « bien que ne présentant pas une menace » (de contamination). Incident ou accident, une chose est sûre, en Grande-Bretagne, comme ailleurs, le capitalisme est de plus en plus une menace mortelle pour les travailleurs ainsi que pour la population ouvrière vivant à proximité des installations industrielles. Un certain nombre de facteurs permettent cela : le premier est que le capitalisme met systématiquement le profit avant les vies humaines et notamment avant les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière. Ensuite, avec le développement inexorable de sa crise économique la classe dirigeante réduit de plus en plus les mesures de sécurité, les inspections de sécurité, l'entretien et le remplacement des usines vétustes et dangereuses. Et les catastrophes se succèdent, invariablement accompagnées des écœurantes déclarations d'usage à propos de 'condoléances', de 'fatalité des accidents' et 'des leçons seront tirées'.
L'explosion et l'incendie, avec la contamination qui en ont résulté, à la raffinerie comme au dépôt de Coryton et dans un autre dépôt dans l'Essex en 2007, nous montrent comment le vent souffle. Ici, 20 ordonnances de conformité par rapport à la santé et à la sécurité sont toujours en suspens depuis l'événement, avec un projet de sécurisation extrêmement important qui est toujours dans sa phase de conception, qui ne sera réalisé qu'en décembre 2012, d'après ce que dit la Thurrock Gazette du 13/05/2011. Avec cette non-conformité persistante, il y a eu d'autres incidents graves dans les raffineries, comme cela a été enregistré en janvier de cette année. Dans une analyse de 2006 des catastrophes dans le milieu du travail, intitulée Catastrophes au travail, Dave Whyte parle de «l'idéologie de collusion qui domine le paysage réglementaire ».
Coryton a fait suite à l'explosion de l'installation pétrolière Total à Buncefield, dans le Hertfordshire en décembre 2005, qui avait été appelée «le plus grand incendie d'Europe en temps de paix» (Wikipedia). Cela a été une explosion air-combustible et les effets de la contamination et les dommages environnementaux demeurent toujours inconnus, cinq ans plus tard. Tout comme dans de nombreux autres cas, l'Etat a contourné le problème de la contamination initiale des eaux souterraines en relevant simplement les doses limites permises de produits contaminants autorisées pour l'eau potable (Hemel Hempstead Today, mai 2006). L'explosion, aux effets similaires aux bombes air-combustible utilisées au cours de la première guerre en Irak, enregistrée sur l'échelle de Richter s'est produite tôt le dimanche matin. Si c'était arrivé pendant que l'usine était entièrement occupée, le bilan du nombre de victimes aurait été bien pire que les 42 blessés constatés. Un an plus tard, toutes les casernes de pompiers qui avaient été les premières à réagir par rapport à l'incendie de Buncefield (qui avaient à l'époque reçu l'éloge de Tony Blair comme un 'grands corps de fonctionnaires') ont été menacées de fermeture et de réduction des effectifs (The Guardian, 05/12/2006).
Une explosion similaire, air-carburant, s'est produite à l'usine chimique près de Scunthorpe Flixborough en 1974. Encore une fois, l'accident a eu lieu le week-end et il a tué 18 ouvriers. Si c'était était arrivé un jour de semaine, la plupart, sinon la totalité, des 500 travailleurs auraient été calcinés.
Et tout ceci est arrivé après qu'on nous a dit que les ‘leçons avaient été tirées' de l'affaire toujours bouleversante de l'explosion de Piper Alpha sur une plate-forme pétrolière en Mer du Nord, où 167 des 226 travailleurs à bord avaient été tués dans les circonstances les plus horribles, au cours de l'été 1988. Ici encore, les remarques de HSE (Hygiène, Sécurité, Environnement) concernant la mise en application et l'amélioration ont été à nouveau ignorées, alors que des dizaines de travailleurs ont été tués dans l'industrie pétrolière de la Mer du Nord au cours des 20 années suivantes et les travailleurs sont intimidés ou congédiés et sont mis à l'index comme 'fauteurs de troubles', s'ils font la moindre récrimination sur les questions de sécurité. Et comme dit ci-dessus Whyte, «l'idéologie de collusion » traverse les entreprises, HSE et les syndicats. Vingt ans après Piper Alpha, HSE a détecté que 50% de plates-formes avaient de 'pauvres' conditions de sécurité et qu'il y avait un arriéré de 15 000 heures de travaux sur des 'problèmes critiques de sécurité'.
Le gouvernement de coalition a montré qu'il suivra la politique des Travaillistes et des Conservateurs par rapport aux menaces qui pèsent sur la vie des ouvriers et qu'il donnera le feu vert aux procédures qui ne respectent pas la sécurité pour tenir son programme de réduction des coûts. Des compressions budgétaires récentes montrent que les 98 inspecteurs sur les plateformes en Mer du Nord ont été réduits à 83 à la fin de cette année (Hasards n° 113). Les carnets de bord des procédures de sécurité des compagnies doivent rester secrets et nul, à l'exception des cadres supérieurs, ne peut avoir un accès complet à ces dossiers. Dans toute l'industrie pétrolière, au fur et à mesure que la tuyauterie s'oxyde, elle reste en l'état ; alors que les soupapes et les connexions deviennent plus vulnérables aux dysfonctionnements et aux dégradations, leur contrôle d'entretien est supprimé, les mesures de sécurité sont de moins en moins prises en compte, des composants essentiels sont négligés, et tandis que les avocats des entreprises et des syndicats s'enrichissent à coups de procédures et en réclamant une nouvelle juridiction, les vies des travailleurs sont de plus en plus mises en danger. Les compressions budgétaires à venir ainsi que la priorité déjà accordée aux bénéfices des entreprises par rapport aux préoccupations des conditions de travail et à la vie-même des travailleurs impliquent que ces terribles risques qui menacent la classe ouvrière deviendront de plus en plus grands.
Baboon (7 juin 2011)
Le miracle technologique du coton génétiquement modifié en Inde n'aura pas eu lieu. Bien au contraire, c'est un véritable désastre qui s'est déroulé en moins d'une décennie.
En 2002, l'Inde autorise la plantation de semences de coton modifiées pour résister au ver de la capsule, parasite ravageur qui détruit les plantations si aucun épandage d'insecticide coûteux n'est pas opéré régulièrement. La semence miracle s'appelle le « coton BT » et elle est fabriquée par la société Monsanto.
Monsanto est une société américaine spécialisée dans la chimie et plus récemment dans la biotechnologie, principalement la production de semences hybrides et génétiquement modifiées, notamment pour résister aux insectes et parasites.
Bien que jusqu'à dix fois plus chère que la graine classique, la « BT » a de quoi séduire : Monsanto ne promet rien de moins que le triplement des rendements. Si on économise l'insecticide, la mise importante de départ sera récupérée et même dépassée sans souci. De ce fait, les paysans indiens investissent au maximum, s'endettent s'il le faut et en quelques années, c'est 90% des surfaces cotonnières du pays qui sont couvertes du coton magique.
Il n'y en a qu'un finalement qui n'a pas cru au miracle : c'est le ver de la capsule. Lui, il a rapidement développé des résistances, tellement rapidement qu'on se demande même s'il a un jour été touché par la substance insecticide délivrée par la plante. Et finalement, le coton BT ne fait pas mieux que n'importe quelle autre graine de coton. Pour contrer la baisse inévitable de rendement, il faut maintenant passer par l'épandage massif d'insecticides, augmentant la facture d'au moins 30%.
Sans compter que cette belle plante voit son prix augmenter sans cesse. Aujourd'hui, elle coûte cent fois plus cher que le coton classique !
Sans compter, bien sûr, que comme toute plante génétiquement modifiée, cette jolie fleur est stérile et que donc chaque saison, il faut racheter les semences.
Sans compter enfin que cette douceur de la nature aime l'eau et les nutriments plus que le coton ordinaire : la terre s'appauvrit et se dessèche, et là encore, le maintien des rendements passe par l'enrichissement artificiel et l'arrosage... tout cela coûte cher, et l'eau est une denrée fragile, surtout si le ciel s'en mêle.
Et c'est ce qui s'est passé en 2009, avec une saison de mousson la plus faible depuis 37 ans. Faute d'eau en quantité suffisante, les rendements ont chuté irrémédiablement.
Il ne fait aucun doute que le coton BT aura été un succès commercial pour Monsanto. Mais techniquement, c'est un échec complet. Et humainement, le résultat est un véritable drame. On estime aujourd'hui que depuis 1991, près de 20 millions de paysans ont quitté la campagne pour venir remplir les bidonvilles des grandes métropoles. Mais ce chiffre ahurissant n'est encore rien face à l'incontrôlable vague de suicides qui ravage le milieu rural touché par le désastre du coton BT. Au moins 150 000 personnes auraient mis fin à leurs jours, certains parlent de plus de 200 000 depuis quinze ans. En 2009, un suicide collectif impliquait 1500 personnes. 1500 personnes qui, sans aucune issue face à la faillite complète qui les touche, n'ont même plus la force de se battre et décident ensemble de se donner la mort.
Depuis, après avoir tenté de faire porter la responsabilité aux paysans indiens qui auraient mal utilisé leur produit, Monsanto a reconnu l'inefficacité de sa semence. Pour tous ceux qui sont morts, tous ceux qui sont partis crever dans la boue des bidonvilles et tous ceux qui tentent encore de survivre en s'endettant pour acheter une graine aux rendements minables, cela ne « modifie » rien du tout.
Cette histoire est écoeurante, révoltante, poignante. Elle n'est pourtant qu'un exemple parmi un nombre incommensurable d'autres du prix que le capitalisme donne à la vie humaine, du prix qu'il donne à la sauvegarde et au développement de nos ressources.
Le coton BT est une illustration éclatante de comment le capitalisme manipule la nature dans le seul but de dégager des profits. Il est clair que cette semence a été mise sur le marché sans disposer des garanties suffisantes sur son efficacité sur toutes les espèces de ravageurs susceptibles de s'attaquer à la plante. Ce qui comptait avant tout, c'était de la vendre, et pour cela, la promesse de rendements supérieurs suffisait.
La misère humaine, les ravages sur la nature ne compromettent finalement que l'avenir commercial du produit ; ce qui a été encaissé reste dans les caisses. C'est la logique d'un système qui vit au jour le jour et accumule ses richesses en détruisant toujours plus de ressources, y compris la vie humaine.
Ce n'est pas seulement le procès de Monsanto qu'il convient de faire, mais celui du capitalisme. C'est lui le vrai coupable.
G (25 mai)
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article de Revolucion Mundial, organe de presse du CCI au Mexique.
Tout d’un coup, comme s’ils voulaient nous rappeler qu’ils sont toujours là, lundi 11 avril un groupe de quelques 300 membre du SME (Sindicato Mexicano de Electricistas) ont agressé une équipe de travailleurs de l’entreprise CFE à Mexico, ont frappé et volé des journalistes, et ont endommagé des véhicules de cette entreprise et de particuliers. Le procureur de la république a entamé une action pénale contre 11 militants de ce syndicat pour des délits fédéraux : atteinte à la propriété, vol collectif et rébellion. Martín Esparza, dirigeant du SME, a dit que ces actions sont « un échantillon de celles que son organisation va entreprendre pour exiger le droit de réintégration au travail », que les personnes arrêtées « sont innocentes et, par conséquent, ce sont ‘des prisonniers politiques’, dont on va exiger la liberté par le biais des mobilisations », tout en présentant des plaintes pour violation des droits de l’homme. Pour couronner le tout, « plusieurs commissions du SME vont se présenter aux sièges nationaux des partis politiques pour dénoncer l’offense ». Ce genre d’actions revendiquées et menées par ce syndicat suit mot pour mot le scénario qui a commencé il y un an et demi et dont le seul but est d’assommer en profondeur la classe ouvrière.
Depuis octobre 2009, lorsque l’Etat a fermé la compagnie Luz y Fuerza del Centro2 en mettant à la rue près de 44 000 travailleurs, c’est le SME, avec l’aide de quelques autres syndicats, qui s’est chargé de mettre les travailleurs pieds et poings liés pour ainsi s’assurer que ceux-ci ne ripostent pas avec leurs propres moyens d’organisation et de lutte :
- Ils ont créé une division et un affrontement entre électriciens par le biais d’élections internes, dans le but de les détourner de la défense qu’ils devaient assurer de leurs emplois ; ils ont transformé ce qui n'était ni plus ni moins qu’une attaque sournoise contre les conditions de vie et de travail des ouvriers en « une attaque contre le syndicat et les libertés démocratiques », en entraînant la majorité d’électriciens à « lutter pour la défense du syndicat » et « la défense de l’entreprise publique et l’économie nationale » ; ce sabotage a empêché que les ouvriers ne se consacrent dès le début à discuter dans des assemblées générales, sur les actions nécessaires pour mener la lutte, sur quelles formes d’organisation propres devaient être mises en place, sur comment élire leurs délégués lors de ces assemblées et sur quel type de comité de lutte devrait être organisé pour que les ouvriers conservent le contrôle de la grève entre leurs propres mains.
- la recherche de solidarité avec d’autres travailleurs s’était imposée d'emblée en poussant à l’extension du mouvement à d’autres secteurs quelle que soit la branche professionnelle, en mettant en avant le fait que l’attaque contre les électriciens était une attaque dirigée contre toute la classe ouvrière. Cette nécessité est apparue à la suite de la grande manifestation du 15 octobre 2009 où s’étaient exprimés une grande préoccupation sociale et un sentiment de solidarité chez beaucoup de travailleurs, mais encore une fois, le SME et d’autres syndicats « solidaires » se sont chargés de faire avorter cette dynamique positive naissante en mettant en avant comme moyens de lutte, une controverse sur la légalité constitutionnelle et les demandes de protection institutionnelle, en cultivant l’illusion selon laquelle le prolétariat pouvait se défendre grâce aux institutions bourgeoises et en faisant avorter cette dynamique positive qui commençait à poindre ;
- ces syndicats ont tout fait pour empêcher l’extension solidaire de la lutte et de l’unité, et, ensuite, ils ont continué leurs manœuvres avec des actions totalement en dehors du véritable terrain de la lutte ouvrière : des grèves de la faim parfaitement impuissantes et passablement humiliantes imposées par le SME, des demandes d’aide aux grands pontes du pouvoir législatif ou judiciaire « pour qu’ils obligent l’exécutif à reculer », poussant à des actions « très radicales » comme celle de « ne pas payer l’électricité » tout en portant plainte auprès du Défenseur fédéral du consommateur (Profeco) pour faire pression sur l’État ; et, évidemment, « l’occupation » des lieux de travail de l’entreprise fut une proposition centrale du syndicat, qui s'est donné ainsi à bon compte, une image combative alors qu'il n’ont mis en avant que des actions anti-ouvrières à répétition, des occupations qui ne cherchaient, en réalité, qu’à enfermer les ouvriers en les maintenant isolés et passifs, sans la moindre relation avec les autres travailleurs ;
- six mois après ces événements, un grand nombre de syndicats ont appelé à une énième pantomime de « grève générale », action ostentatoire destinée à faire passer un message à l’ensemble de la classe selon lequel le seul qui puisse organiser une « lutte », c’est l’appareil syndical et que les prolétaires n’ont autre chose à faire qu’accepter passivement ces actions, et aussi le message selon lequel la seule « solidarité » possible est celle qui s’établit entre les dirigeants syndicaux qui s’envoient mutuellement des messages d’encouragement et qui signent des documents « critiques » contre le gouvernement. Les mois suivants, nous avons pu voir toujours ce rôle de premier plan des syndicats avec l’intention d’occuper le terrain social et de donner un coup fatal face à un mécontentement général dû, en partie, à cette attaque contre ce secteur ouvrier, mais aussi, plus en profondeur, à cause d’une misère en augmentation galopante ; c’est ainsi qu’on a assisté à quelques mobilisations promues par les syndicats et la gauche du capital qui ont mis en avant une série de revendications qui ont complètement dilué le problème central qu'affronte la classe ouvrière : respect de l’autonomie syndicale, défense de l’économie populaire, respect de la constitution, non à la privatisation du pétrole et de l’électricité, respect de l’autonomie des populations indiennes, défense des droits de l’homme, infliger une punition politique à Calderón [Président du Mexique]... tout un patchwork d’exigences dont la seul but patent était d’enterrer la priorité centrale pour les travailleurs.
- enfin, au cours de cette année et demie, nous avons pu vérifier comment ce scénario s’est réalisé à la lettre, avec des actions intermittentes de la part du SME qui s’est chargé de donner le coup final, en épuisant et en enfonçant les ouvriers dans une démoralisation générale. Les derniers événements sont la suite du chemin piégé suivi depuis le début. Maintenant, l’Etat et son appareil politico-syndical ont un sujet d'actualité entre les mains et un très bon filon à exploiter, alors que les attaques pleuvent sur les travailleurs et qu’il est nécessaire de distraire encore une fois leur attention avec des scandales en tout genre et, surtout, en organisant des mobilisations pour libérer les « prisonniers politiques », autrement dit, encore une fois, défendre le syndicat. Ainsi on ajoute, au passage, un peu de piquant à la journée syndicale du 1er Mai quui s'annonçait plutôt terne et sans sujet intéressant pour les orateurs, lesquels pourront ainsi haranguer les travailleurs en agitant encore l’épouvantail de « l’attaque contre le syndicat ».
Ce bref rappel des manoeuvres anti-ouvrières des syndicats contre les électriciens et contre l’ensemble de leurs frères de classe illustre bien quel genre de pièges les syndicats utilisent pour éviter que ne se développe un mouvement qui, en brandissant ses véritables besoins, puisse étende sa force, en réveillant la solidarité des autres secteurs, des exploités qui subissent les mêmes attaques, de sorte qu’une extension généralisée à l’ensemble des travailleurs pour arriver à devenir une action de masse grâce à son courage et sa combativité, mais qui est aussi capable de développer une conscience qui lui permettra de prendre le contrôle de sa lutte directement entre ses propres mains. Dans les prochains mois, le prolétariat va recevoir un nouveau coup dans le dos avec le projet de réforme du droit du travail et ces besoins de lutte vont réapparaître tandis que les syndicats de toute obédience vont tout faire pour éviter encore une fois que les véritables méthodes d’organisation et de lutte ouvrière ne se développent.
RM (Avril 2011)
1 Nous avons publié en décembre 2009 « Solidarité avec les travailleurs de “Luz y Fuerza del Centro” au Mexique », avec des extraits de trois textes : le premier signé par 3 organisations au Mexique (Revolución mundial, le CCI au Mexique, Grupo socialista libertario et Proyecto anarquista metropolitano). Les deux autres sont des expressions vivantes de solidarité lancés par deux groupes prolétariens depuis le Pérou. Ces trois textes sont disponibles dans leur intégralité sur notre site internet. Voir : https://fr.internationalism.org/files/fr/RI_407.pdf [243], et https://fr.internationalism.org/icconline/2009/solidarite_avec_les_travailleurs_de_luz_y_fuerza_del_centro_au_mexique.html [8]
2 Luz y Fuerza del Centro (LyFC) était une entreprise publique de distribution d’électricité opérant surtout dans la capitale Mexico et sa province. À la suite de grosses pertes, l’Etat mexicain l’a mise en liquidation le 11 octobre 2009 après l'investissement de tous ses locaux par la police le 10 octobre.
Les “Etudiants critiques de Utrecht” (KSU), la Fédération Anarcho-Syndicaliste (ASB) et le Courant Communiste International (CCI), ont publié aux Pays-Bas, le 21 juin, la déclaration commune reprise ci-dessous pour souligner leur solidarité avec les grévistes du groupe de soin de santé à domicile Viva! de IJmond et Haarlem. Cette déclaration a été largement diffusée au cours de la manifestation de protestation contre les coupes sombres dans les soins de santé, qui a eu lieu le 23 juin à la Haye, et que les grévistes du groupe de soin de santé Viva! avaient rejointe par solidarité.
L’initiative de produire, de publier et de distribuer une déclaration commune de solidarité mérite toute notre attention, dans la mesure où, pour la première fois aux Pays-Bas, des groupes, qui se basent sur des positions internationalistes, ont développé ensemble une activité de soutien et de solidarité envers un secteur de la classe ouvrière. Quel que soit l’aboutissement de la lutte de ces aides-soignants à domicile, cette initiative réussie des trois groupes constitue une étape importante dans le renforcement politique de la lutte de la classe ouvrière.
Après la diffusion de la déclaration de solidarité par les trois groupes et l’expression de solidarité de la part du personnel soignant envers ceux qui perdent leurs droits aux soins, la lutte du groupe de grévistes « Le soin à domicile, c’est nous » s’est poursuivie. Ils refont grève du 28 au 30 juin et organisent une occupation de la Grand Place à Haarlem.
Nous avons appelé à ce que cette combativité les amène aussi à rechercher la solidarité avec les travailleurs des transports publics qui se mettent en grève à partir du mercredi 29 et se réunissent à La Haye pour protester ; à ce qu'ils rejoignent également en délégation, la manifestation des pompiers à Amsterdam pour les convaincre qu'il vaut mieux mener la lutte ensemble. Car ce n'est qu'en solidarité avec les autres travailleurs dans d'autres institutions, dans d'autres entreprises et dans d'autres secteurs que l'unité dans la lutte peut se réaliser, que la lutte peut se renforcer sur le terrain de classe lui-même. (25.06.2011)
Pourquoi est-ce que le personnel soignant à domicile du groupe d’aides-soignants Viva ! de IJmond et Haarlem mène-t-il des actions depuis le début de cette année? Parce que leur patron a eu l’idée de leur faire effectuer le même travail pour un salaire réduit. Le 15 avril dernier, chacun d’entre eux recevait une enveloppe contenant une nouvelle proposition salariale. Une proposition scandaleuse ! Cela revenait à ce que le salaire moyen de 13,10 euro brut par heure soit réduit à 9,92 euro brut par heure. En cas de refus, ils seraient licenciés !!!
Le comité d’action des aides-soignants à domicile « Le soin à domicile, c’est nous » qui s’était créé pendant ce temps, a appelé tous les 650 collègues à ne pas signer et au contraire à mener des actions. Cet appel a plus tard été soutenu par les syndicats (Abvakabo/FNV et la CNV). Ces travailleurs défendent leurs droits en ne veulent pas se faire licencier. Depuis, ils sont allés manifester plus de sept fois aux conseils communaux, afin de présenter leurs revendications et se faire entendre en public. Le comité d’action s’est aussi présenté avec toute une série de questions à la réunion d’information du conseil d’administration de l’entreprise, mais l’entrée lui a été refusée.
Puisque le comité d’action a appelé à ne pas signer le nouveau contrat et que personne ne veut être licencié, les travailleurs sont vite arrivés à la conclusion qu’il ne leur reste pas d’autre moyen que de faire grève. Ils en sont à leur septième jour de grève. Pourtant, faire grève est une exception dans le secteur des soins. D’ailleurs, ils soulignent que « Nous utilisons ce moyen de lutte avec prudence. Nous traitons nos clients avec respect. Aujourd’hui, ils ont du respect pour nous ».
Jeudi après-midi, le 16 juin dernier, ils ont tenu un rassemblement réussi sur la Grand place de Haarlem. Anita Kuipers du comité d’action a donné un aperçu de la lutte jusqu’alors, ainsi qu’un compte-rendu d’une visite qu’elle a faite avec 8 de ces collègues de Viva ! dans le cadre d’une recherche de solidarité auprès d’autres aides-soignants à domicile à Utrecht.
Après 3 visites à Haarlem, 2 à Ijmuiden et 1 à Velsen-Noord ils ont décidé qu’il était temps d’aller là où les mesures d’austérité sont dictées : à La Haye ; Ce jeudi prochain, le 23 juin, ils vont massivement à La Haye pour se joindre la manifestation de protestation contre des réductions dans les budgets des soins de santé. En opérant la jonction de leur lutte avec celle d’autres secteurs ils font savoir de façon claire qu’ils ne se laisseront pas faire, mais qu’ils veulent ouvrir les fenêtres et donner à leur lutte une assise plus grande. « De cette manière, nous élargissons notre action pour de bons soins, pour nos clients et pour les travailleurs », affirmait un des membres du comité d’action.
Les travailleurs du groupe d’aides-soignants à domicile Viva ! de IJmond en de Haarlem ont fait un pas courageux et important. C’est un exemple pour tous les travailleurs dans le secteur des soins de santé au Pays-Bas. Car c’est partout la même chose, réduction des salaires, licenciements, coupes sombres dans les soins de santé et flexibilité accrue. Nous devons lutter pour des soins plus humains, où il ne fait pas seulement bon de travailler, mais où on assure aussi des soins chaleureux et humains. Des soins ou les personnes se font soigner à une échelle humaine par leur aide-soignant habituel, ayant un contrat fixe, suffisamment d’heures de prestation et un salaire permettant de se loger et de vivre décemment.
Les actions des aides-soignants à domicile de Haarlem et de IJmond méritent notre plein soutien. Venez donc jeudi prochain à La Haye et concrétisez votre soutien tant à la lutte contre les coupes sombres dans les soins de santé qu’à celle des aides-soignants à domicile.
Leur travail est nécessaire ! Ils font du bon boulot !
C’est pourquoi : nous ne pouvons plus accepter de détérioration des conditions de vie et de travail !
Dans l’intérêt de notre vie et de celle des clients !
C’est pas eux le problème, le problème c’est le système !
Texte signé le 21 juin, par la ASB, les KSU et le CCI
Nous publions ici la prise de position contre la guerre en Libye écrit par le KRAS, la section de l’AIT en Russie. Le CCI veut d`abord saluer fortement l’internationalisme qui anime clairement cette prise de position. Cela ne nous surprend pas, parce que le KRAS a dans le passé constamment défendu une position clairement internationaliste : en 2008 contre la guerre en Géorgie, et auparavant encore face aux guerres en Tchétchénie dans les années 1990, rejetant tout soutien politique aux différents camps bourgeois en guerre.
Ce que nous avons en commun, et ce qui compte vraiment pour nous, c’est le fait qu’une organisation comme le KRAS se situe sur la question la plus significative pour le prolétariat, la guerre impérialiste, sans aucun doute dans le camp de la classe ouvrière internationale.
Alors que la guerre entre les Etats russe et géorgien, une grande puissance et un micro-Etat, manifestait ouvertement sa nature impérialiste de confrontation entre gangs bourgeois, le caractère impérialiste de la guerre en Libye se voile du mensonge d’une intervention « humanitaire ». La bourgeoisie des états qui interviennent depuis des semaines par des bombardements massifs contre le régime brutal et irrationnel de Kadhafi, utilise et dévoie les sympathies existantes dans la classe ouvrière pour les révoltes en Afrique du Nord en faveur de sa guerre prétendument de « défense du souffle démocratique contre les dictateurs capitalistes » existant dans la masse de la jeune génération et les ouvrières au Maghreb. Rien n’est effectivement plus mensonger comme le dénonce clairement la prise de position du KRAS !
Néanmoins nous voulons faire deux courts commentaires, essentiellement pour stimuler le débat au sein de notre classe :
- Nous partageons avec le KRAS la position qu’effectivement dans les pays d’Afrique du Nord comme en Tunisie ou en Egypte il n’y a pas eu de « révolution prolétarienne » comme celle qui a eu lieu au sortir de la Première Guerre mondiale, lorsque la classe ouvrière a pu se constituer comme classe et prendre le pouvoir, comme en Russie. La situation en Egypte, par exemple, présentée dans la presse bourgeoise comme une grande « révolution pour la démocratie », montre clairement que la bourgeoisie a maintenu son pouvoir à l’aide d’une adroite stratégie d’abandon du clan Moubarak pour se doter d’un gouvernement au visage plus démocratique.
Mais par contre, nous pensons que même si la classe ouvrière dans ces pays est encore enchaînée à des illusions envers la démocratie, le nationalisme ou même la religion, elle a fait dans cette période passée une expérience de lutte qui possède une grande valeur historique sur la voie qui conduit à la conscience révolutionnaire. Les méthodes de luttes de la classe ouvrière ont eu un impact sur les révoltes sociales dans le monde arabe : tendances à l’auto-organisation, occupation de lieux centraux pour se rassembler et s’organiser massivement, organisation de la défense contre les voyous et la police, rejet de la violence gratuite et des pillages efforts délibérés pour surmonter les divisions religieuses, etc., tentatives de fraternisations avec les soldats du rang… « Ce n'est pas un hasard si ces tendances se sont le plus fortement développées en Egypte, là où la classe ouvrière a une longue tradition de luttes et où, à une étape cruciale du mouvement, elle a émergé comme une force distincte, pour se livrer à une vague de luttes qui, comme celles de 2006-2007, peuvent être considérées comme des 'germes' de la grève de masse à venir, contenant un certain nombre de ses caractéristiques parmi les plus importantes : l'extension spontanée des grèves et des exigences d'un secteur à l'autre, le rejet intransigeant des syndicats d'Etat, certaines tendances à l'auto-organisation, le développement de revendications à la fois économiques et politiques. Ici, nous voyons, dans ses grandes lignes, la capacité de la classe ouvrière à se présenter comme le porte-parole de tous les opprimés et exploités et la seule classe qui offre la perspective d'une société nouvelle. »1
Sur la base des faiblesses politiques, les illusions démocratiques et nationalistes, la situation particulière en Libye a évolué d’un soulèvement de la population contre le régime de Kadhafi au départ vers une guerre entre plusieurs cliques bourgeoises pour le contrôle de l’Etat libyen, sur laquelle vient ensuite se greffer l’action impérialiste sanglante des grandes puissances. Cette transformation en une guerre entre différentes fractions bourgeoises a d’autant plus été aisée que la classe ouvrière en Libye est très faible. Essentiellement constituée d’une main d’œuvre immigrée, celle-ci a fini par fuir les massacres, notamment à cause de la difficulté à se reconnaître dans un mouvement aux accents nationalistes. L’exemple de la Libye illustre tragiquement a contrario la nécessité que la classe ouvrière occupe une place centrale au sein des révoltes populaires : son effacement explique en grande partie l’évolution de la situation.
2- La prise de position du KRAS appelle les ouvriers des pays de d’Europe de l’Ouest et des Etats-Unis à manifester contre cette guerre soi-disant « humanitaire ». Cet appel est fondamentalement tout à fait juste parce que seule la classe ouvrière dans les pays qui participent à la guerre en Libye peut arrêter la boucherie sanglante. Pour le moment, il faut constater que cette option n’existe (malheureusement !) pas immédiatement. Même s’il y a des manifestations de protestation contre l’intervention de l’OTAN, elles sont très minoritaires. En France par exemple, l’impérialisme le plus offensif dans cette guerre, les bombardements sont très peu mis en question. La guerre est aussi fortement défendue par les partis de la gauche du capital. Pour le moment il est facile pour la bourgeoisie de faire accepter leur guerre grâce à la justification de la solidarité avec les populations opprimés par le régime de Kadhafi.
CCI
A bas la nouvelle guerre en Afrique du Nord !
L'intervention « humanitaire » des Etats au sein de l'OTAN en Libye, essentiellement dans le but d'apporter un soutien militaire à l'une des parties d'une guerre civile locale, a démontré une fois de plus qu'il n'existe pas de « révolutions » en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Il s'y déroule seulement une féroce lutte sans merci pour le pouvoir, les bénéfices, l'influence et le contrôle sur les ressources pétrolières et les zones stratégiques.
Le mécontentement profond et les revendications socio-économiques des masses travailleuses de la région, engendrés par la crise économique globale (attaques contre les conditions de vie des travailleurs, augmentation du chômage et de la misère, prolifération des emplois précaires) sont utilisés par les groupes politiques d'opposition pour faire un coup d'Etat, détrôner la tyrannie de dictateurs corrompus et séniles et occuper leur place. En mobilisant les chômeurs, les travailleurs et les populations miséreuses comme chair à canon, les fractions mécontentes de la classe dirigeante les détournent ainsi du terrain de leurs revendications économiques et sociales en leur promettant « la démocratie » et « le changement ». En fait, l'arrivée au pouvoir de ce bloc hétéroclite composé de « la fine fleur » de la classe dominante, de libéraux et de religieux fondamentalistes, n'apportera aucune amélioration au sort des travailleurs. Nous connaissons bien les conséquences de la victoire des fractions libérales : privatisations nouvelles, renforcement du chaos de la libre-concurrence sur les marchés, émergence de nouveaux milliardaires et nouvelle aggravation de la pauvreté, de la souffrance et de la misère pour les opprimés et les pauvres. Le triomphe des religieux fondamentalistes signifiera la croissance de la réaction cléricale, la suppression des droits des femmes et des minorités et le délitement inévitable provoquera une nouvelle guerre arabo-israélienne qui sera à nouveau un fardeau sur les épaules des masses laborieuses. Mais dans le paquet-cadeau « idéal » de l'institution d' un régime de démocratie parlementaire dans les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la population ouvrière ne gagnera rien. Le travailleur prêt à risquer sa vie pour l'avènement de la démocratie est comme un esclave prêt à mourir pour conquérir le droit de « choisir » son esclavagiste. La démocratie parlementaire ne mérite pas de lui sacrifier une seule goutte de sang humain !
Dans la lutte pour le pouvoir qui se mène dans la région, les Etats européens membres de l’OTAN et les Etats-Unis ont pris encore plus ouvertement position pour les groupes politiques d’opposition dans l’espoir que la victoire de ces forces et du modèle de « démocratisation » de leur domination politique leur rapportera davantage de bénéfices et de privilèges. En soutenant « la démocratie » en Tunisie et en Egypte, elles espèrent renforcer leur influence, libérer leurs « investissements » capitalistes de la corruption des dictateurs et prendre leur part lors de la prochaine privatisation par les riches des clans tribaux dominants. En aidant l’opposition libérale, monarchiste et religieuse fondamentaliste, qui s’est alliée avec une bandes d’anciens caciques officiels du régime de Kadhafi, elles espèrent prendre le contrôle des riches réserves pétrolifères. Liés à eux, d’autres Etats arabes sont entrés en lutte pour défendre leur influence et leurs propres ambitions dans la région.
Les pouvoirs – qui une fois de plus ne viennent avec des bombes et des missiles que pour « sauver » la vie du peuple et les « libérer » des dictatures- sont en train de tuer les populations. Les gouvernements des pays d’Europe occidentale et des Etats-Unis sont des menteurs et des hypocrites. Hier, ils soutenaient les dictateurs, leur donnaient l’accolade et leur vendaient des armes. Aujourd’hui, ils demandent que les dictateurs s’en aillent, en se prétendant « à l’écoute » des vœux du peuple mais ils n’hésitent pas à éliminer les protestations de la population dans leur propre pays, ignorant totalement leurs revendications. Quand la grande majorité des habitants de France ou de Grande-Bretagne, de Grèce ou d’Espagne, du Portugal ou d’Irlande disent qu’ils ne veulent pas payer de leurs poches l’aide des Etats aux banques et aux entreprises, tout en réclamant l’abrogation des mesures d’austérité, des réformes des retraites et des conditions de travail anti-sociales, les autorités leur répondent que la démocratie, ce n’est pas “la rue qui gouverne”. L’intervention “humanitaire” donne aux dirigeants d’Europe occidentale et des Etats-Unis un grand prétexte à leur pouvoir pour détourner l’attention des populations de ces pays des conséquences de la crise actuelle. La guerre “courte et victorieuse” pour “sauver le peuple et la démocratie” vise à faire oublier aux ouvriers européens et nord-américains les politiques anti-sociales des gouvernements et des capitalistes et à refaire l'expérience de l'arrogance de leurs dirigeants “humains” et “justes” à travers une prochaine “joyeuse union sacrée” entre les oppresseurs et les opprimés.
Nous appelons les travailleurs du monde entier à ne pas soutenir cette fraude “démocratique” et “humanitaire” et à s’opposer fermement à cette nouvelle escalade dans la barbarie capitaliste en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Si nous pouvions apporter notre message aux masses pauvres opprimées et exploitées de la région, par delà les distances de milliers de kilomètres et par delà les barrières de la langue, nous les encouragerions à revenir à leurs motivations sociales et économiques de départ et aux thèmes de leurs revendications, à se rebeller, à partir en grève ou en manifestations contre leurs bas salaires, la hausse des prix et le chômage, pour leurs revendications sociales, mais en aucun cas à s’impliquer dans les jeux politiciens dans les luttes pour le pouvoir entre les différentes factions des classes dominantes.
Nous appelons les ouvriers d’Europe et d’Amérique à gagner la rue pour protester contre cette nouvelle guerre “humanitaire” qui sert les seuls intérêts des Etats et des capitalistes. Nous appelons les sections de l’Association Internationale des travailleurs (AIT) à développer leur agitation internationaliste et anti-militariste et à prendre l’initiative de manifestations et de grèves anti-guerre.
A BAS LA GUERRE !
A BAS TOUS LES ETATS ET TOUTES LES ARMEES !
PAS UNE SEULE GOUTTE DE SANG POUR LA DICTATURE OU LA DEMOCRATIE !
NON A TOUS LES GOUVERNEMENTS ET A TOUTES LES “OPPOSITIONS” !
SOLIDARITE AVEC LA LUTTE DES TRAVAILLEURS POUR POUR L’EMANCIPATION SOCIALE !
VIVE L’AUTO-ORGANISATION GENERALISEE DES TRAVAILLEURS !
Confédération des anarcho-syndicalistes révolutionnaires, section de l’AIT en Russie.
1 Voir notre article « Que se passe-t-il au Moyen-Orient ? [245] », Revue Internationale n°145
Il va y avoir 100 ans, en août 1911, la classe dominante britannique était forcée de déployer des troupes et des bateaux de guerre à Liverpool pour écraser un grève générale presque insurrectionnelle. Le maire de la ville mettait en garde la gouvernement contre « une révolution en marche ».1
Ces événements extraordinaires représentaient le point culminant de toute une série de luttes en Grande-Bretagne et en Irlande avant la Première Guerre mondiale, passées à la popularité sous le nom de « grande fièvre ouvrière ». Comme le montre l’article qui suit, ces luttes étaient en fait une expression spectaculaire de la grève de masse, et faisaient intégralement partie d’une vague internationale qui allait finalement culminer dans la révolution de 1917 en Russie. Même si aujourd’hui, elles ne sont pas largement connues, elle restent riches en leçons pour les luttes d’aujourd’hui et de demain.
Le contexte international
Entre 1910 et 1914, la classe ouvrière en Grande-Bretagne et en Irlande déclencha des vagues successives de grèves massives avec un souffle et une hargne sans précédent contre tous les secteurs-clefs du capital, grèves qui balayèrent tous les mythes soigneusement fabriqués sur la passivité de la classe ouvrière anglaise qui avaient fleuri pendant la précédente époque de prospérité capitaliste.
Les mots utilisés pour décrire ces luttes dans l’histoire officielle vont de « unique », « sans précédent », à « explosion », « tremblement de terre »… En opposition aux grèves organisées par les syndicats largement pacifiques de la dernière moitié du XIXe siècle, les grèves d’avant la guerre s’étendirent rapidement et sauvagement aux différents secteurs – mines, chemins de fer, docks et transports, ingénierie, construction – et menacèrent de déborder tout l'appareil syndical et de s’affronter directement à l’Etat capitaliste.
C’était la grève de masse que Rosa Luxembourg a analysé si brillamment, dont le développement marquait la fin de la phase progressiste du capitalisme et l’apparition d’une nouvelle période révolutionnaire. Bien que l’expression la plus achevée de la grève de masse ait été celle de 1905 en Russie, Rosa Luxembourg montra que ce n’était pas un produit spécifiquement russe mais comme « une forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du capitalisme et des rapports de classe » (Grève de masse, Parti et Syndicats, Petite Collection Maspero, p. 154). Sa description des caractéristiques générales de ce nouveau phénomène décrit de façon très vivante « la grande fièvre ouvrière » :
« La grève de masse …voit tantôt la vague du mouvement envahir tout l'Empire, tantôt se diviser en un réseau infini de minces ruisseaux; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Grèves économiques et politiques, grèves de masse et grèves partielles, grèves de démonstration ou de combat, grèves générales touchant des secteurs particuliers ou des villes entières, luttes revendicatives pacifiques ou batailles de rue, combats de barricades - toutes ces formes de lutte se croisent ou se côtoient, se traversent ou débordent l'une sur l'autre c'est un océan de phénomènes éternellement nouveaux et fluctuants. » (Id., p.127)
Loin d’être le produit de conditions particulières à la Grande-Bretagne, la grève de masse en Angleterre et en Irlande faisait partie intégrante de la vague internationale de luttes qui se sont développées dans toute l’Europe de l’Ouest et en Amérique après 1900 : la grève générale de 1902 à Barcelone, les grèves de 1903 des cheminots en Hollande, la grève massive des mineurs de 1905 dans la Ruhr…
Les révolutionnaires ont encore à tirer toutes les leçons des grèves massives en Grande-Bretagne – en partie à cause de l’aspect abrupt et de la complexité des événements eux-mêmes, mais aussi parce que la bourgeoisie a rapidement essayé de les enterrer tranquillement comme étant un épisode oublié2. Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui, c’est la grève générale de 1926, et pas la vague de grèves d'avant-guerre, qui a l’honneur d’avoir une place dans l’histoire officielle du « mouvement ouvrier » anglais : 1926 représentait une véritable défaite, alors que 1910-1914 a vu la classe ouvrière anglaise à l’offensive contre le capital.
Le détonateur des grèves massives en Angleterre et en Irlande peut être attribué à la dépression de 1908-1909. L’année précédente, la classe ouvrière s’était unie au-delà des divisions corporatistes pour déclencher une grève générale qui devait être défaite par l'armée et des forces de police spéciales3. Dans le Nord-Est de l’Angleterre, il y eut des grèves des ouvriers du coton, des métallurgistes et dans les chantiers navals. Une grève des chemins de fer fut évitée de justesse. Quand la dépression diminua, arriva l’explosion.
La première phase de grèves massives eut comme centre d’activité les mines de charbon auparavant peu combatives au Sud du Pays de Galles. Une grève illégale toucha nombre de puits entre septembre 1910 et août 1911, impliquant environ 30 000 mineurs à son point culminant. Les revendications initiales portaient sur les salaires et les conditions d’emploi. Les mineurs étendirent la grève grâce à des piquets de grève massifs. Il y eut aussi des grèves non officielles dans les mines de charbon normalement conservatrices au début de 1910 et des grèves spontanées dans les chantiers navals du Nord-Est.
Dans la seconde phase, le coeur du mouvement se déplaça dans le secteur des transports. Entre juin et septembre 1911, il y eut une vague d’actions combatives, non-officielles, dans les principaux ports et dans les chemins de fer qui faisaient là leur première expérience de grève nationale. Dans les ports, les syndicats locaux furent pris par surprise quand des piquets de grève massifs étendirent la grève de Southampton à Hull, Goole, Manchester et Liverpool et entraînèrent les ouvriers des autres industries portuaires qui mettaient en avant leurs propres revendications. Dès que les syndicats eurent négocié la fin de ces grèves, une autre vague de luttes éclata dans ce secteur, cette fois à Londres qui n’avait pas été encore touché. Des actions non-officielles s’étendirent à tout le système des docks contre un compromis sur les salaires négocié par les syndicats, les obligeant à appeler officiellement à une grève générale du port. Les grèves sauvages continuèrent pendant le mois d’août, malgré d’autres accords sur les salaires.
Alors que la grève sur les docks londoniens retombait, l’action de masse reprit dans les chemins de fer de façon sauvage en commençant au Merseyside où 8000 dockers et cheminots se rejoignirent au bout de 5 jours par solidarité. Vers le 15 août, 70 000 travailleurs étaient en grève au Merseyside. Un comité de grève se mit en place alors que la grève des gens de mer reprenait. Après le lock-out imposé par les employeurs, le comité déclencha une grève générale qui ne s’arrêta qu’après deux semaines de violents affrontements avec la police et l’armée.
Pendant ce temps, le mouvement sauvage dans les chemins de fer s’étendait rapidement de Liverpool à Manchester, Hull, Bristol et Swansea, obligeant les leaders syndicaux à appeler à la grève générale dans les chemins de fer, la première grève nationale du rail. Il y avait un soutien actif de la part des mineurs et d’autres ouvriers (y compris des grèves d’écoliers dans les villes où il y avait beaucoup de cheminots). Quand les leaders syndicaux appelèrent soudainement à arrêter la grève après des négociations avec le gouvernement, des milliers de travailleurs laissèrent éclater leur colère et la combativité persista.
Pendant l’hiver 1911-1912, le principal centre de la grève de masse passa à l’industrie minière, dans laquelle une action non-officielle directe conduisit à une grève nationale de 4 semaines impliquant 1 million d’ouvriers – la plus grande grève que la Grande-Bretagne ait jamais enregistrée. L’agitation à la base grandit lorsque les leaders syndicaux appelèrent au retour au travail et des grèves éclatèrent de nouveau dans le secteur des transports à Londres en juin-juillet. Le mouvement retomba en partie à cause du manque de soutien en dehors de Londres, mais pendant l’été 1912, il y eut d’autres grèves de dockers, dans le Meyerside par exemple.
A la différence de la précédente vague de grèves relativement pacifique de 1887-1893, les travailleurs se montraient plus que déterminés à utilisés la force pour étendre leur grève, et les grèves de masse d’avant-guerre ont vu des actes de sabotage largement répandus, des attaques dans le charbonnage, les docks, et les installations des chemins de fer, des affrontements violents avec les employeurs, les briseurs de grève, la police et l’armée, dans lesquels au moins 5 ouvriers furent tués et beaucoup d'autres blessés .
La bourgeoisie, comprenant la signification de ces luttes, prit des mesures sans précédent pour y mettre un terme. Le cas le plus fameux : 5000 soldats et des centaines de policiers furent envoyés à Liverpool en août 1911, tandis que deux bateaux de guerre dirigeaient leurs canons vers la ville. Le point culminant fut le « dimanche sanglant » : la dispersion violente d’une manifestation massive et pacifique d’ouvriers par la police et l’armée. En réponse, les ouvriers surmontèrent leur divisions sectorielles traditionnelles pour défendre leurs communautés pendant plusieurs jours se livrant à une espèce de « guérilla » en dressant des barricades et des protections en barbelés.
En 1912, l’Etat fut forcé de prendre des précautions encore plus élaborées, en déployant des troupes contre la menace d’une agitation généralisée et en instituant la loi martiale dans des zones entières du pays. De façon alarmante pour la bourgeoisie, il y eut des petits mais significatifs efforts de militants pour faire de la propagande antimilitariste dans l’armée, en particulier avec le fameux tract « Ne tirez pas ! », ce qui entraîna une répression rapide.
La classe ouvrière était alors confrontée à une contre-attaque de la classe capitaliste, qui était déterminée à infliger une défaite pour donner une leçon au prolétariat dans son ensemble. En 1913, plus de 11 millions de journées de grève accumulées furent perdus pour la classe dominante et il y eut plus de grèves individuelles que pendant toutes les autres années de « la fièvre », dans des secteurs jusque là non touchés comme ceux des ouvriers d’industrie semi et non qualifiés, du bâtiment, des travailleurs agricoles et des employés municipaux ; mais cette année fut celle d’un tournant définitif, marqué entre autre, par la défaite des ouvriers irlandais pendant le lock-out de Dublin.
La bureaucratie syndicale commença aussi à reprendre son contrôle sur les luttes ouvrières. La formation de « la triple alliance » en 1914, soi-disant conçue pour coordonner l’action des mineurs, des cheminots et des ouvriers du transport, était en réalité une mesure bureaucratique pour récupérer l’action spontanée et non officielle des grèves massives, et empêcher d’autres explosions incontrôlables de combativité à la base. De la même façon, la formation d’un Syndicat National des Cheminots en tant que seul « syndicat industriel reconnu » dans ce secteur, n’était pas tant une victoire des travailleurs qu’une manœuvre de la bureaucratie syndicale contre la combativité spontanée.
Néanmoins, le mécontentement persistait sans aucune défaite décisive, et à la veille de la Première Guerre mondiale, le ministre du gouvernement Libéral, Llyod George, faisait finement remarquer qu’avec l’agitation menaçante dans les chemins de fer, les mines, les industries et la construction, « l’automne serait témoin d’une série de troubles sans précédent » 4. Le déclenchement de la guerre en 1914 est certainement tombé au bon moment pour la bourgeoisie anglaise, freinant effectivement le développement des grèves massives et jetant la classe ouvrière dans une confusion profonde, bien que temporaire. Mais cette défaite s’avéra provisoire, et dès février 1915, les luttes ouvrières en Grande-Bretagne ressurgirent, sous l’impact de l’austérité due à la guerre, et se développèrent en tant que partie intégrante d’une vague internationale qui allait culminer dans la Révolution russe de 1917.
Fondamentalement, les grèves d’avant-guerre étaient une réponse de la classe ouvrière à l’entrée en décadence du capitalisme, qui révélait toutes les plus importantes caractéristiques de la lutte de classe dans la nouvelle période :
- un caractère spontané, explosif ;
- une tendance à l’auto-organisation ;
- une extension rapide au-delà des différents secteurs ;
- une tendance à passer par-dessus tout l'appareil syndical et à s’affronter directement à l’Etat capitaliste.
Plus spécifiquement, les grèves massives étaient une réponse au développement du capitalisme d’Etat, et à l’intégration du Parti travailliste et des syndicats dans l'appareil d’Etat en vue de contrôler plus efficacement la lutte de classe. Parmi les militants combatifs, la perte d’illusion sur le socialisme parlementaire était largement répandue, du fait du soutien loyal du Labour aux programmes des Libéraux qui restreignaient la protection sociale et du rôle actif des syndicats dans l’administration de ces programmes.
De façon plus significative, pour la première fois dans son histoire, la classe ouvrière britannique déclenchait des luttes massives qui allaient au-delà des organisations syndicales existantes, et dans qcertains cas, directement contre elles. Les leaders syndicaux nationaux et locaux perdirent très souvent le contrôle du mouvement, en particulier pendant la grève des dockers et dans les transports (selon les rapports de police eux-mêmes, à Hull, les syndicats perdirent le contrôle sur la grève des dockers).
L’emprise des syndicats avait décliné, en partie à cause du mécontentement de la base vis-à-vis des dirigeants syndicaux. Certes, les grèves massives eurent comme résultat une augmentation de 50 % du nombre des adhésions aux syndicats entre 1910 et 1914, mais, contrairement à ce qui s’était passé dans les luttes de 1887-1893, la reconnaissance des syndicat n’était pas un thème majeur dans ces luttes, qui voyaient au contraire, des grèves sauvages et des actions directes contre les directions syndicales qui soutenaient « la conciliation » avec le gouvernement et étaient ouvertement hostiles à l’action de grève : par exemple, le dirigeant syndical des cheminots, Jimmy Thomas, fut hué pour sa son attitude conciliatrice et au cours d'un meeting de masse à Trafalgar Square en juillet 191, des ouvriers combatifs du bâtiment s’emparèrent du podium et refusèrent de donner la parole aux porte-paroles officiels des syndicats.
L’énorme pression de la base s’exerçait même sur des leaders syndicalistes plus combatifs : dans le Meyerside, par exemple, même le dirigeant syndicaliste Tom Mann fut chahuté et hué par les animateurs du mouvement et par les grévistes, et il fallut une semaine aux syndicats dans les assemblées générales pour saper la résistance des ouvriers et les contraindre à retourner au travail.
Les grèves massives virent aussi le développement de comités de grève sauvages, quelques uns continuant après la défaite des grèves en tant que groupes politiques exigeant de réformer les syndicats existant : par exemple, le Unofficial Reform Committee en Galles du Sud qui se battait pour la réforme du syndicat local des mineurs sur « des axes de combat ». Un groupe analogue surgit dans le syndicat d’usine en 1910 qui engagea une violente bataille avec les leaders de l’époque. Des groupes informels de militants apparurent aussi chez les dockers en lutte de Liverpool, proches de Jim Larkin, qui défendaient les idées syndicalistes, alors qu’à Londres, un « Comité Provisoire pour la formation d’un syndicat national des ouvriers des transports », syndicaliste, se formait sur la base du mécontentement à l’égard de la direction syndicale.
Nous pouvons voir dans ces épisodes un réel approfondissement de la conscience de classe et la diffusion de leçons importantes sur la nouvelle période au sein des masses de travailleurs entrés en lutte, par exemple :
- la perception d’un changement dans les conditions économiques et politiques de la lutte de classe ;
- le besoin d’une action directe des travailleurs pour défendre les conditions de vie de la classe ouvrière ;
- l’incapacité des syndicats, tels qu’ils sont organisés actuellement, de défendre les intérêts de la classe ouvrière et le besoin de se battre pour contrôler l’action des syndicats ;
- le besoin de nouvelles formes d’organisations plus adaptées aux nouvelles conditions.
Par-dessus tout, les luttes en Grande-Bretagne et en Irlande faisaient partie intégrante de la grève de masse internationale, et étaient donc importantes pour la classe ouvrière dans son ensemble. Les ouvriers britanniques n’étaient pas les premiers à entrer en lutte mais leur arrivée sur la scène en tant que fraction la plus ancienne et la plus expérimentée du prolétariat mondial était d’un grand poids pour le mouvement, donnant un exemple inestimable de lutte contre une bourgeoisie très sophistiquée et ses mystifications démocratiques. Ces luttes ont inévitablement montré aussi toutes les difficultés auxquelles se confrontent la classe ouvrière dans le développement et la transformation de ses luttes immédiates en mouvement révolutionnaire, surtout quand le changement de période et l’impossibilité de lutter pour des réformes au sein du capitalisme n’étaient pas encore clairement établis. Mais elles montraient la route à suivre.
MH (31/01/2011)
1 www.btinternet.com/~m.royden/mrlhp/students/transportstrike/transportstr... [246].
2 Un très bon compte-rendu de ces grèves d’avant-guerre peut être lu dans Le Syndicalisme britannique (1900-1914) de Bob Holton (Pluto Press, 1976) dont on s’est servi pour cet article.
3 https://en.internationalism.org/icconline/2007/sept/belfast-1907 [247]
4 Cité par Walter Kendall, The Revolutionary Movement in Britain (1900-1921), 1969, p.28.
Suite aux émeutes qui ont éclaté à travers le pays cette semaine, les porte-paroles de la classe dominante- le gouvernement, les politiciens, les médias, etc.- nous demandent de participer à la défense d'une campagne ayant pour but de soutenir leur « programme » : accroissement de l'austérité et répression accrue contre quiconque s'y opposerait.
Une austérité accrue parce qu'ils n'ont aucune solution à apporter pour remédier à la crise économique de leur système en phase terminale. La seule chose qu'ils puissent faire, c'est de supprimer des emplois, de baisser les salaires, de sabrer les aides sociales, d'amputer les dépenses sur les retraites, dans la santé, l'éducation. Tout cela ne peut signifier qu'une aggravation considérable des conditions sociales mêmes qui ont précisément poussé à ces émeutes, conditions entraînant la conviction chez une partie importante de toute une génération qu'ils n'ont plus d'avenir devant eux. C'est pourquoi toute discussion sérieuse sur les causes économiques et sociales des émeutes a été dénoncée comme voulant trouver « une excuse » aux émeutiers. On nous a raconté que c'étaient des criminels et qu'ils seraient traités comme tels. Point final. Ce qui est très pratique parce que l'Etat n'a aucune intention de donner de l'argent pour les centres urbains, comme elle l'avait fait après les émeutes des années 1980.
Une répression accentuée parce que c'est la seule chose que la classe dominante puisse nous offrir. Elle tire au maximum avantage de l'inquiétude des populations concernant les destructions causées par les émeutes pour accroître les dépenses de la police, pour l'équiper de balles en caoutchouc, de canons à eau et même pour mettre en avant l'idée d'imposer des couvre-feu et l'armée dans la rue. Ces armes, en même temps que la surveillance accrue des réseaux sociaux sur Internet et la « justice » expéditive qui s'est abattue sur ceux qui ont été arrêtés après les émeutes, ne seront pas seulement utilisées contre les pillages et les saccages. Nos dirigeants savent très bien que la crise ne peut que déboucher sur un torrent de révoltes sociales et de luttes ouvrières qui s'est déjà répandu de l'Afrique du Nord à l'Espagne et de la Grèce jusqu'en Israël. Ils sont parfaitement conscients qu'ils seront confrontés à l'avenir à des mouvements massifs et que toutes leurs prétentions démocratiques servent uniquement à justifier le recours à la violence contre ces mouvements, de la même manière que l'ont fait les régimes ouvertement dictatoriaux, comme en Egypte, au Bahreïn ou en Syrie. Il l'ont déjà démontré lors de la lutte des étudiants en Grande-Bretagne l'an dernier.
La « haute moralité » de la classe dominante
La campagne sur les émeutes est basée sur la proclamation de nos dirigeants qu'ils défendent ainsi la moralité de la société. Cela vaut la peine de considérer le contenu de ces déclarations.
Les porte-paroles de l'Etat condamnent la violence des émeutes. Mais c'est l'Etat lui-même qui exerce aujourd'hui la violence, à une bien plus large échelle, contre les populations en Afghanistan et en Libye. Une violence qui chaque jour est présentée comme héroïque et altruiste alors qu'elle sert uniquement les intérêts de nos dirigeants.
Le gouvernement et les médias condamnent les hors-la-loi et la criminalité. Mais c'est la brutalité de leurs propres forces de répression au nom du maintien de la loi et de l'ordre, la police, qui, dès le début, a mis le feu aux poudres, avec l'assassinat de Mark Duggan et le comportement méprisant envers sa famille et ses amis qui manifestaient autour du poste de police de Tottenham afin de savoir ce qui s'était réellement passé. Et cela fait suite à toute une longue série de gens morts dans des commissariats situés dans des quartiers similaires à celui de Tottenham ou subissant quotidiennement le harcèlement policier dans les rues.
Le gouvernement et les médias condamnent l'avidité et l'égoïsme des émeutiers. Mais ce sont eux les gardiens et les propagandistes d'une société qui fonctionne sur la base de l'avidité organisée, de l'accumulation de richesses entre les mains d'une petite minorité. Alors que nous sommes sans cesse encouragés à consommer davantage pour réaliser leurs profits, à identifier notre valeur sociale à la quantité de biens que l'on peut s'acheter. Puisque non seulement ce système repose sur l'inégalité, et que celle-ci devient de pire en pire, il n'est pas surprenant que ceux qui sont au bas de l'échelle sociale, qui ne peuvent pas s'offrir les « belles choses » dont on leur vante le besoin, pensent que la réponse à leur problème est de piquer tout ce qu'ils peuvent, quand ils le peuvent.
Les dirigeants condamnent ce pillage « à la petite semaine » alors qu'eux mêmes participent à une vaste opération de pillage à l'échelle planétaire : les compagnies pétrolières ou forestières qui détruisent la nature pour leur profit, les spéculateurs qui s'engraissent en faisant grimper le cours des produits alimentaires, les trafiquants d'armes qui vivent de la mort et des destructions, les respectables institutions financières qui blanchissent des milliards du trafic de drogue. Une contrepartie essentielle de ce pillage est qu'une partie croissante de la classe exploitée est jetée dans la pauvreté, dans le désespoir et la délinquance. La différence, c'est que les petits délinquants sont habituellement punis alors que les grands criminels ne le sont pas.
En résumé : la moralité de la classe dominante ? Elle n'existe pas.
La question réelle à laquelle est confrontée l'immense majorité qui ne profite pas de cette gigantesque entreprise criminelle appelée capitalisme, est celle-ci : comment pouvons-nous nous défendre réellement alors que ce système, maintenant en train de crouler sous les dettes, est contraint de tout nous prendre ?
Est-ce que les émeutes que nous avons vues début août 2011 en Grande-Bretagne nous donnent une méthode pour lutter, pour prendre le contrôle de ces luttes, pour unir nos forces, pour créer un futur différent pour nous-mêmes ?
Beaucoup de ceux qui ont pris part aux émeutes ont clairement exprimé leur colère contre la police et contre les possesseurs de richesses qui sont ressentis comme la cause essentielle de leur misère. Mais, presque immédiatement, les émeutiers ont sécrété les aspects les plus négatifs, les comportements les plus troubles, alimentés par des décennies de désintégration sociale dans les quartiers urbains les plus pauvres, par des moeurs propres aux gangs, allant puiser dans la philosophie dominante du « chacun pour soi » et du « sois riche ou crève en essayant de le devenir ! » C'est ainsi qu'au début une manifestation contre la répression policière a dégénéré dans un chaos franchement anti-social et dans des actions anti-prolétariennes : intimidation et agression vis-à-vis d'individus, mise à sac de boutiques dans le voisinage, attaques contre les ambulanciers et les pompiers, incendies d'immeubles sans discrimination, alors que souvent les occupants se trouvaient encore à l'intérieur.
De telles actions n'offrent absolument aucune perspective permettant de se dresser contre ce système de rapine dans lequel nous vivons. Au contraire, elles servent uniquement à élargir les divisions parmi ceux qui souffrent de ce système. Face aux attaques contre les boutiques et les immeubles, des habitants se sont armés eux-mêmes de battes de base-ball et ont formé des « unités d'auto-défense ». D'autres se sont portés volontaires pour des opérations de nettoyage au lendemain des émeutes. Beaucoup se sont plaints du manque de présence policière et ont demandé des mesures plus fortes.
Qui profitera le plus de ces divisions ? La classe dominante et son Etat. Comme nous l'avons dit, ceux qui sont au pouvoir se revendiqueront maintenant d'un mandat populaire pour renforcer l'appareil répressif policier et militaire, pour criminaliser toute forme de manifestations et de désaccords politiques. Déjà les émeutes ont été imputées à « des anarchistes » et, il y a une semaine ou deux, la police londonienne (le MET) a fait l'erreur de publier des enquêtes sur des personnes militant pour une société sans Etat.
Les émeutes sont le reflet de l'impasse atteint par le système capitaliste; Elles ne sont pas une forme de la lutte de la classe ouvrière ; elles sont plutôt une expression de rage et de désespoir dans une situation où la classe ouvrière est absente en tant que classe. Les pillages ne sont pas un pas vers une forme de lutte supérieure, mais un obstacle sur ce chemin. D'où la frustration justifiée d 'une femme du quartier londonien d'Hackney qui a été regardée par des milliers de gens sur Youtube [1], dénonçant les pillages parce que cela empêchait les gens de se regrouper et de réfléchir ensemble sur comment mener la lutte. « Vous me faites chier... nous ne sommes pas rassemblés pour nous battre autour de la défense d' une cause. Nous sommes en train de piller Footlocker... » (NDT : un magasin de chaussures à Londres ).
Se rassembler et lutter pour une cause : ce sont là les méthodes de la classe ouvrière ; c'est la morale de la lutte de classe prolétarienne mais ces méthodes courent le danger d'être happées par l'atomisation et le nihilisme au point que des pans entiers de la classe ouvrière oublient qui ils sont.
Mais il existe une alternative. On peut la percevoir dans les mouvements massifs qui se déroulent en Tunisie, en Egypte, en Espagne, en Grèce ou en Israël avec la re-émergence d'une identité de classe, avec la résurgence de la lutte de classe. Ces mouvements, avec toutes leurs faiblesses, nous donnent un aperçu sur une manière toute différente de mener le combat prolétarien : à travers des assemblées de rues où chacun peut prendre la parole ; à travers un intense débat politique où chaque décision peut être discutée ; à travers une défense organisée contre les attaques de la police et des voyous ; à travers les manifestations et les grèves des travailleurs ; à travers la montée de la question de la révolution, de l'interrogation sur une forme de société totalement différente, non pas basée sur la vision que l'homme est un loup pour l'homme mais sur la solidarité entre les êtres humains, basée non sur une production en vue de la vente de marchandises et du profit mais sur une production qui corresponde à nos réels besoins.
A court terme, à cause des divisions créées par les émeutes, parce que l'Etat a réussi son coup en matraquant le message selon lequel toute lutte contre le système actuel est vouée à finir dans des destructions gratuites, il est probable que le développement d'un réel mouvement de classe au Royaume-Uni se confrontera à des difficultés encore plus grandes qu'auparavant. Mais à l'échelle mondiale, la perspective reste la même : l'enfoncement dans la crise de cette société vraiment malade, la résistance de plus en plus consciente et organisée des exploités. La classe dominante en Grande-Bretagne ne pourra être épargnée ni par l'un ni par l'autre.
CCI (14/08/2011)
(World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne - mai 2011)
Ce texte ne prétend pas reprendre de manière exhaustive, d’un point de vue marxiste, l’histoire du mouvement anarchiste en Grande-Bretagne écrite d’un point de vue marxiste, ni ses relations avec les traditions marxistes. Une telle tâche est nécessaire mais elle prendra du temps, de la réflexion et de la discussion. Le but de ces notes est beaucoup plus modeste : servir de base à une reconnaissance et une compréhension que l’anarchisme en Grande-Bretagne, comme ailleurs, a son aile révolutionnaire internationaliste, donc capable de nous permettre alors de corriger certaines erreurs significatives que nous avons faites à l’égard de plusieurs de ses expressions organisées. Centrer son attention sur ces expressions organisées ne pourra jamais donner une complète image de l’anarchisme, qui, presque par définition, contient un grand nombre d’individus « inorganisés »1, mais c’est une voie nécessaire pour comprendre les principaux courants historiques du mouvement anarchiste du Royaume-Uni.
1) L’anarchisme en Grande-Bretagne se réclame de ses prédécesseurs spécifiques : Winstanley pendant la Guerre civile anglaise, William Goldwin et William Blake à la fin du 18e siècle, le poète Shelley. Mais il n’y a pas d’équivalents aux figures majeures de l’anarchisme dans la période ascendante, comme Proudhon, dont la vision d’artisan avait déjà été dépassée par le développement de l’industrie capitaliste et celui d’un mouvement ouvrier organisé en Grande-Bretagne. De même, le bakouninisme a eu peu d’impact dans les sections britanniques de l’Internationale des années 1869 et 1870. Cependant, une variante du bakouninisme – avec sa mise en avant d’une organisation conspirative et d’un insurrectionisme violent se fondant dans le terrorisme – s’est implantée au Royaume-Uni dans le mouvement des années 1880, via des « immigrants » comme Johann Most. Ce type d’anarchisme était très fort dans les clubs d’exilés qui surgirent dans l’East End de Londres en particulier, et devait avoir un impact largement négatif sur le développement de l’anarchisme en Grande-Bretagne. Ce milieu était un sol fertile pour les flics et les informateurs de tout poil, comme on voit par exemple dans le rôle joué par Auguste Coulon dans le procès et l’emprisonnement des anarchistes de Walsall, qu'il avait attirés dans un complot ridicule avec des bombes artisanales .
2) Mais chez de nombreux anarchistes qui tentèrent de se relier au mouvement ouvrier, à la fois dans ses dimensions économiques et historiques, dans les années 1880, en Grande-Bretagne et partout en Europe, il n’y avait pas de ligne de démarcation rigide entre anarchistes et socialistes. Des éléments comme Joseph Lane et Frantz Kitz étaient plus ou moins des communistes libertaires, et étaient depuis le début opposés à toute forme de parlementarisme. Ils rejoignirent néanmoins la Fédération social-démocrate et s’en séparèrent ensuite en compagnie de William Morris, d’Eléanor Marx et d’autres pour former la Ligue Socialiste (Socialist League – SL) en 1885. La SL était elle-même déjà déchirée par des désaccords entre le courant autour de Marx et Aveling – soutenue par Engels – et le courant anti-parlementaire qui était conduit au début par Morris mais qui s’orientait de plus en plus dans une direction anarchiste. Le Manifeste Communiste anti-étatique (Anti-statist Communist Manifesto) fut la position la plus représentative de cette tendance. Le fossé grandissant entre ces deux tendances fut une manifestation classique des difficultés à élaborer une orientation révolutionnaire claire dans cette période de croissance capitaliste triomphante. D’un côté, Engels, Eléanor Marx et Aveling insistaient justement sur le besoin des groupes socialistes de rompre avec l’isolement sectaire et de s’impliquer dans l’évolution réelle du mouvement ouvrier, qui dans les années 1880 se développait sous la forme de grèves et de formation de nouveau « trade-unions » qui recrutaient sur une base plus large. Le côté négatif de cette insistance se solda par une difficulté à résister à la poussée du réformisme et de l’opportunisme, qui étaient un danger particulièrement fort dans les sphères parlementaires et municipales, comme on le vit à travers le développement de courants purement réformistes comme celui des Fabiens. En retour, cela renforça la tentation de Morris et d’autres de retomber dans une sorte de purisme abstrait qui – comme le SPGB2 d’aujourd’hui – voyait dans son principal champ d’action comme étant de “faire concurrence aux socialistes » ; parallèlement à cela, nombre d’éléments anarchistes au sein de la Ligue étaient tirés vers les pires sortes d’aventurisme et de positions violentes, ce qui conduisit Morris à quitter la Ligue en 1890.
3) Aux côtés de ces développements, l’anarchisme en Grande-Bretagne vers la fin du 19e siècle trouva d’autres expressions. Il y avait le communisme anarchiste plus sobre, plus théorique de Kropotkine, dont les réflexions sur l’évolution dans L’entraide mutuelle et sur la société future dans ses travaux comme Champs, Usines et Ateliers (Fields, Factories and Workshops) sont toujours à prendre en considération. En contraste avec le « mutualisme » de Proudhon, qui envisageait une société future explicitement fondée sur des relations d’échange, et au « collectivisme » de Bakounine, qui était une sorte de moyen terme entre Proudhon et le communisme, Kropotkine défendait explicitement un mode communiste de production fondé sur l’abolition du travail salarié et de la production marchande. Kroptkine et Morris étaient certainement d'accord sur la nature de la société qu’ils voulaient atteindre et le “Prince anarchiste” (Kropotkine) était un orateur occasionnel dans les meetings de la Société Socialiste d’Hammersmith dans laquelle Morris maintînt son activité militante après s’être séparé de la Ligue. Aussi importante fut la contribution de l’anarchiste allemand Rudolf Rocker dont le domaine principal d’activité se déroulait dans le milieu des anarchistes juifs de l’East End et sa publication Arbeter Fraint. Comme cela est relaté dans le livre de William Fishmann, East End Jewish Radicals 1875-1914, le groupe Arbeter Fraint était directement relié à de réelles luttes ouvrières, spécialement dans les grandes grèves de l’industrie textile des années 1900. Rocker prit une position internationaliste face à la Première Guerre mondiale, s’opposant ouvertement aux positions de Kropotkine. Une autre catégorie de l’anarchisme au Royaume-Uni est celle représentée par les formes plus artistiques et utopistes de figures telles qu’Edward Carpenter.
4) L’approche d’une nouvelle époque de la vie du capitalisme et de la lutte des classes a amené des développements significatifs pour le mouvement anarchiste. Les années 1900 ont vu un surgissement majeur dans la lutte des classes et la recherche de nouvelles formes d’organisation qui pouvaient aller au-delà à la fois de la bureaucratie et du réformisme des syndicats établis, et de strict parlementarisme de groupes comme le SDF.3 La réponse de nombreux militants ouvriers a été de se tourner vers le syndicalisme ou l’unionisme industriel, bien qu’il n’existât pas d’équivalent soit comme la CNT en Espagne, la CGT en France ou les IWW aux Etats-Unis, qui auraient pu remplir la fonction de réels organes de lutte. Des groupes comme la Ligue d’Education Industrielle Syndicaliste (Industrial Syndicalist Education League), formée en 1910, ne furent jamais réellement plus que des groupes de propagande pour les syndicats révolutionnaires. Malgré cela, ce syndicalisme a développé une réelle présence dans certaines dans l’apparition du mouvement des shop-stewards pendant la guerre. La majorité des éléments impliqués dans ce mouvement étaient de vrais internationalistes, participant activement dans les grèves de l’industrie d’armement et ailleurs, et vinrent soutenir la révolution d’Octobre et la Troisième Internationale dans sa phase initiale.
5) La Première Guerre mondiale divisa le mouvement anarchiste comme elle le fit pour les marxistes. Le plus connu, Kropotkine, abandonna ouvertement l’internationalisme, soutenant la France « démocratique » contre le militarisme allemand, et d’autres suivirent inévitablement ce sillon. La majorité des anarchistes s’y opposèrent, bien que certains d’un point de vue essentiellement pacifiste. Les pages de Freedom, le journal que Kropotkine avait aidé à fonder, donnaient lieu à de violentes polémiques sur la question de la guerre. Il est notable, cependant, qu’il semblait y avoir eu peu de choses dans la voie d’une d'opposition organisée à la guerre, sur des bases spécifiquement anarchistes. La période de la guerre est mise en valeur dans le livre de Woodcock, et son chapitre traitant de l’anarchisme en Grande-Bretagne4 passe rapidement sur la période de la guerre, vue comme une période de déclin de cette mouvance, du fait de la répression d’Etat, et l’histoire tout à fait détaillée de l’anarcho-communisme publiée par la Fédération Anarchiste en Grande-Bretagne5 parle principalement du travail que les anarchistes firent dans des groupes comme la North London Herald League aux côtés des socialistes, ou du groupe animé par Guy Aldred. L’histoire du syndicalisme publiée par de la Fédération de la Solidarité ( Solidarity Federation) en Grande-Bretagne6 est encore moins explicite quand elle traite de cette période cruciale. Ceci met en valeur l’importance du groupe d’Adred basé à Glasgow qui publiait L’Eperon (The Spur) (et plus tard la Commune Rouge-Red Commune). Au sein du mouvement anarchiste de Grande-Bretagne, le groupe d’Aldred prit la position la plus claire sur la guerre et essaya de jeter un pont au dessus du fossé creusé entre l’anarchisme et le marxisme, travaillant avec des éléments du Parti Socialiste Travailliste (Socialist Labour Party) et soutenant ardemment les Bolcheviks dans la première phase de la Révolution russe. Aldred peut être considéré comme l’équivalent britannique de la tendance « anarchiste soviétique » pendant la vague révolutionnaire et comme un élément-clé de la tradition « communiste anti-parlementaire » qui unifia des éléments de l’anarchisme internationaliste et du communisme de conseils. La Fédération Communiste Anti-Parlementaire (Anti-Parliamentary Communist Federation – APCF) fut formée en 1921 et maintînt son activité pendant plus de 20 ans, malgré le fait qu’Aldred s’en soit séparé en 1934 et qu’il en vint à rechercher une unité plus large via le Mouvement Socialiste unifié (United Socialist Movement), s'égarant parfois dans des directions plutôt douteuses. L’APCF, qui changea son nom en Ligue des Ouvriers Révolutionnaires (Workers' Revolutionary League) en 1941, prit une position rigoureusement internationaliste contre la Seconde Guerre mondiale, la définissant comme impérialiste des deux côtés : cela est rapporté par le livre de Mark Shipway, Communisme anti-parlementaire, Le mouvement des conseils ouvriers en Grande-Bretagne 1917-1945, Anti-Parliamentary Communism, The Movement for Workers Councils in Britain 1917-1945, publié en 1988, tout comme dans notre propre livre sur La Gauche communiste britannique. Cette tradition communiste de conseils disparaîtra essentiellement autour de 1945, mais elle renaquit brièvement dans les années 1980 avec la publication Etoile noire (Black Star).
6) Le mouvement anarchiste, comme les communistes de gauche autour du Workers’ Dreadnought, semble être entrés dans une période de déclin du milieu des années 1920 au milieu des années 1930, ce qui correspond à la victoire de la contre-révolution. La guerre d’Espagne conduisit à un renouveau des idées anarchistes mais il est remaquable de constater que le mouvement en Grande-Bretagne abritait une aile gauche autour de Marie-Louise Berneri et de Vernon Richards, qui étaient très critiques envers les compromissions et les trahisons de droite des plus hauts responsables de la CNT au sein de l’Etat républicain, et ce fut la même tendance, à travers le magazine Commentaire de guerre (War Commentary), qui maintint une attitude internationaliste pendant la Seconde Guerre mondiale (cela est également relaté dans notre livre sur La Gauche communiste britannique)7. En 1944, les éditeurs de War Commentary furent envoyés devant les tribunaux pour sédition. Après 1945, War Commentary fut remplacé par une nouvelle série, Freedom, qui a continué depuis lors, bien que pas nécessairement avec la même politique de classe. Parallèlement à cela, une Fédération Anarchiste de Grande-Bretagne (Anarchist Federation of Britain – AFB), organisation clandestine, était mise sur pied au début de la guerre ; en 1944, l’AFB était fortement influencée par un groupe d’anarcho-syndicalistes qui forma en 1954 la Fédération Ouvrière Syndicaliste (Syndicalist Workers' Federation, qui publiait l’Association Internationale Ouvrière (International Workers’ Association), publiant Action Directe (Direct Action) et s’alignait sur l’Association Internationale Ouvrière des Travailleurs. Ce groupe prit une position claire sur le programme de nationalisation d’après-guerre du Labour Party et publia un des rares compte-rendus contemporains sur l’insurrection ouvrière en Hongrie écrit d'un point de vue prolétarien. Les difficultés de l’engagement politique des années 1950 conduisirent aussi au rétrécissement du SWF en un seul groupe à Manchester, mais il se joignit plus tard à d’autres éléments pour former le Mouvement d’Action Directe (Direct Action Movement) en 1979, qui se transforma en Fédération de Solidarité (Solidarity Federation - Solfed) en 1994. Aussi, contrairement à l’article publié dans WR n° 109 de novembre 1987, qui argumentait le fait que le DAM était à la racine une variété gauchiste du syndicalisme de base, Solfed est de fait l’héritage d’une tradition ouvrière qui –malgré toutes ses ambiguïtés sur les syndicats et d’autres questions – plonge ses racines dans l’internationalisme.
7) Les années 1950 ont été décrites comme une “période de somnolence” pour l’anarchisme en Grande-Bretagne8. Mais les bouleversements des années 1960 apportèrent une renaissance des idées libertaires sur différents fronts, par exemple comme aile radicale des manifestations du CND9 ou comme élément dans l’émergence des « mouvements » autour de la politique sur les questions sexuelles, de l’environnement, et de la vie quotidienne en général. L’anarchisme britannique dans les années 1960 et au début des années 1970 a aussi connu un bref flirt avec la Propagande par le Fait sous la forme de la "Angry Brigade" ("Brigade de la Colère"). Tout aussi important fut le travail du groupe Solidarity émanant de Socialisme ou Barbarie, et initié par des gens qui avaient rompu tardivement avec le trotskisme. Plus proches du conseillisme que de l’anarchisme, les publications de Solidarity ont connu un impact important avec une audience anarchiste/libertaire plus large10. En 1963, une nouvelle Fédération Anarchiste de Grande-Bretagne (Anarchist Federation of Britain) fut créée pour regrouper toutes les différentes variétés de l’activité anarchiste, mais comme Nick Heath (membre fondateur de l’actuelle AF) le rappelle dans son essai sur le mouvement anarchiste depuis les années 196011, ce n’était même pas une fédération mais un patchwork de tendances contradictoires allant des anarcho-syndicalistes aux communistes-anarchistes, des individualistes aux pacifistes et aux défenseurs de « la vie quotidienne». Heath utilise même le terme « marais » pour décrire le poids de l’anarcho-libéralisme et de la théorisation de « lubies » de toutes sortes dans l’AFB.
8) Sous l’impact du réveil international des luttes ouvrières après Mai 1968, il y eut une réaction contre ce marais et différentes tentatives pour développer une tendance anarchiste de lutte de classe avec une forme plus effective d’organisation. L’Organisation des Anarchistes Révolutionnaires (Organisation of Revolutionary Anarchists), formée autour de 1970, fut une tentative de mettre cet effort en pratique, en se reliant principalement à La Plateforme Organisationnelle des Communistes Libertaires (The Organizational Platform of the Libertarian Communists [251] [2]) produite en 1926 par Archinov, Ida Mett, Makhno et d’autres réfugiés de la défaite en Russie. La Plateforme avait, tout à fait correctement, argumenté qu’une des raisons à l’écrasement de la résistance à la contre-révolution en Russie s’était trouvée dans le fait que ceux qui avaient résisté, et en particulier les anarchistes, avaient totalement manqué de cohérence organisationnelle et politique. Cela était fondamentalement une saine réponse de classe au problème de s’opposer à la dégénérescence de la révolution. Hélas, l’histoire du « plateformisme » semble avoir été que la recherche d’une telle cohérence avait conduit à la constitution d'un gauchisme sur un terrain bourgeois, généralement sous sa forme trotskiste. La faillite de l’ORA a souligné la force de cette difficulté, une grande part de ses éléments glissant vers différentes formes de gauchisme – certains vers le trotskisme pur et simple, d’autres vers une forme plus libertaire de la même approche, comme l’exprime l’exemple du Libertarian Communist Group (Groupe Libertaire Communiste) des années 1970, dont une partie fusionna avec les néo-maoïstes de « Grande Flamme » (Big Flame). Des formes plus récentes de cette sorte « d’anarcho-trotskisme » incluent le Groupe Anarchiste Ouvrier (Anarchist Workers Group [252] [3]), qui a soutenu le régime de Saddam Hussein contre « l’impérialisme » dans la Guerre du Golfe, et l’actuel Mouvement de Solidarité Ouvrière (Workers’ Solidarity Movement [253] [4]) en Irlande qui n’hésite pas à appeler à la nationalisation des matières premières irlandaises et plaide le soutien à « l’anti-impérialisme » (c’est-à-dire au nationalisme) en Irlande.
9) Au milieu de la fin des années 1980, nous avons assisté à deux principaux développements du mouvement anarchiste organisé : la montée spectaculaire de Guerre de Classe (Class War), et le plus modeste mais beaucoup plus substantiel développement de la Fédération Communiste Anarchiste (Anarchist Communist Federation), aujourd’hui l’AF. A propos de Class War, la partie du livre de Nick Heath concernant ce groupe peut être citée entièrement : « Class War, qui a émergé en tant que groupe autour du journal du même nom au milieu des années 1980, s’est transformé en Fédération de Guerre de Classe (Class War Federation) en 1986. Le groupe ultérieur était fait d’activistes qui rejetaient le pacifisme, l'ancrage à la vie quotidienne et le mouvement hippy qui étaient les tendances dominantes au sein de l’anarchisme britannique. En cela, il représentait un salutaire coup de pied au cul à ces mouvements. De plus, comme dans les actions de « Stop the War ! », il rejetait l’apathie comme la routine. Il poussait vers l'apport de solutions organisationnelles dans sa recherche de développement d'une Fédération. Mais il s'englua dans un populisme qui fut parfois crasse, dans sa recherche de « trucs spectaculaires » pour attirer l’attention des médias. Dans sa quête de publicité, il alla assez loin pour s’immerger dans un électoralisme populiste comme par exemple à travers son engagement dans les primaires électorales de Kensington. Ces contradictions devaient bien sûr conduire à la rupture avec la vieille CWF, avec une critique parfois tranchante. Cependant, aucune alternative organisationnelle ne fut proposée au-delà d’une conférence à Bradford qui tenta d’atteindre d’autres anarchistes et d’offrir une approche non-sectaire vers l’unité de ceux qui étaient sérieusement intéressés à faire avancer le mouvement. Hélas, ces mouvements étaient morts-nés et la plupart de ceux qui avaient avancé des critiques sur l’ancienne façon d’opérer sortirent ensemble et abandonnèrent toute activité. Un groupe croupion survécut, qui a été soutenu par le maintien de Class War à la fois comme groupe et comme journal dans la même vieille veine. »
La citation qui suit est de “ACF- Les premières dix années” (ACF- The first ten years) : “Le naufrage du communisme anarchiste de la fin des années 1970 a signifié qu’il n’y avait pas d’organisation communiste anarchiste, pas même à l'état de squelette, qui aurait pu se relier aux émeutes de 1981 et à la grève des mineurs de 1984-85 aux mobilisations comme les actions de Stop the City de 1984. Mais à l’automne 1984, deux camarades, dont un vétéran de l’ORA/AWA/LCG, sont revenus de France où ils avaient vécu et travaillé et où ils avaient été impliqués dans le mouvement communiste libertaire. La décision fut prise de mettre sur pied le Groupe de Discussion Libertaire Communiste [Libertarian Communist Discussion Group, LCDG] avec l’objectif de créer une organisation spécifique. Des copies de la Plateforme Organisationnelle des Communistes Libertaires [Organisational Platform of the Libertarian Communists] furent distribuées dans les librairies, avec une adresse de contact pour le Groupe de Discussion Anarchiste-Communiste (Anarchist-Communist Discussion Group, ACDG). Les progrès étaient lents, jusqu’à un contact avec le camarade qui produisait un magazine dupliqué qui se définissait comme “anarcho-socialiste”. Ce camarade avait rompu avec la politique du SWP12 et s’engageait rapidement dans une direction anarchiste. Mis à part son sens de l’humour, Virus se signalait par ses critiques du léninisme et du marxisme – rien d’étonnant étant données les expériences passées du camarade. A partir du numéro 5, Virus devint la pièce maîtresse du LCDG, et publia une série d’articles sur l’organisation libertaire. D’autres personnes étaient attirées par le groupe, et il se transforma en ACDG, qui proclamait que son but à long terme était de mettre en place une organisation anarchiste-communiste. Cela arriva plus tôt que prévu, avec la croissance du groupe, et une partie du Mouvement d’Action Directe (Direct Action Movement), Syndicalist Fight (Combat Syndicaliste) fusionnant avec le groupe. En mars 1986, la Fédération Anarchiste Communiste était officiellement fondée, avec accord d’ensemble sur les buts et les principes et la structure constitutionnelle qui avait été développé dans les six mois précédents13. »
10) Etant donné que certains des éléments impliqués dans la formation de l’AF se sont trouvés dans la mouvance qui conduisit de l’ORA au Groupe Libertaire Communiste néo-gauchiste (Libertarian Communist Group), il n’est pas surprenant que le CCI vit à l’origine la Fédération Communiste Anarchiste (Anarchist Communist Federation) comme une autre expression de ce type gauchiste de l’anarchisme14, spécialement parce que, depuis le début, nombre de ses activités paraissait offrir peu de choses d’autre qu’un vernis anarchiste recouvrant la participation à une pléthore de campagnes gauchistes, dont l'implication dans l’anti-fascisme n'était pas le moindre. Cependant, ce que cette position a raté s’est trouvé dans le fait que l’ACF contenait certains éléments qui indiquaient une tentative d’éviter de sombrer complètement dans le gauchisme. La désertion vers le trotskisme de membres fondateurs de l’ORA n’allait pas à l’époque sans une certaine opposition et donna lieu à des ruptures qui donnèrent naissance à différents groupes à la vie éphémère, telle l’Association des Ouvriers Anarchistes (Anarchist Workers’ Association) ; mais peut-être plus important, ceux qui formèrent l’ACF essayèrent de tirer des leçons-clé de toute cette expérience, au moins sur les questions des syndicats et des libérations nationales : « Ce qui est surtout remarquable, c’est la saut qualitatif que l’ACF a fait dans sa critique des syndicats. Une critique de l’anarcho-syndicalisme était approfondie et renforcée. En meme temps, l’ACF rompait avec les idées du syndicalisme de base qui avaient caractérisé la période ORA/AWA/LCG, tout comme avec des notions sur la libération nationale et l’auto-détermination des peuples. (ACF – the first ten years) De même, plutôt que d’adhérer dogmatiquement à la tradition “plateformiste”, l’ACF vit nombre de ses différents courants comme faisant partie de son héritage historique, comme on peut le voir dans la série d’articles « Dans la Tradition » qui commence dans Organise 52. Ces derniers incluaient la « plateforme 26 », Les Amis de Durruti, Socialisme ou Barbarie et les communistes de Gauche allemands, hollandais et anglais. Mais, manquant d’une réelle compréhension des tendances internationalistes dans l’anarchisme, et convaincus que l’ACF était issue du gauchisme sans nous questionner réellement sur ses origines, nous avons répondu à ces développements en interprétant l’intérêt de l’ACF envers la Gauche communiste comme une forme de parasitisme, alors même que l’ACF était loin de correspondre à notre définition d’une organisation parasitaire15. Ces fausses assertions ont été renforcées par la décision de l’ACF de retirer “communiste” de son nom à la fin des années 1990.
11) A Londres en 1886, lors d’un congrès houleux de l’Internationale Socialiste, la tentative des délégations anarchistes de rejoindre l’organisation fut rejetée, marquant l’exclusion définitive des anarchistes de l’Internationale. Le vote pour les exclure était mené sur une base qui avait été discutée dans certaines sections que certains trouvaient douteuses, et nombre des socialistes présents, soit physiquement soit en suivant ce qui s'y passait (y compris Keir Hardie et William Morris) s’opposèrent à cette décision. Nous n’évaluerons pas ici ces évènements ; mais ils illustrent la difficile et souvent traumatique relation entre les ailes anarchistes et marxistes du mouvement ouvrier, qui était encore actuelle à travers la rupture entre Marx et Bakounine à la fin de la Première Internationale. Des moments d’attraction et de répulsion continuèrent à perdurer à travers l’histoire du mouvement. Les énormes perspectives ouvertes par la vague révolutionnaire qui débuta en 1917 donna naissance à des espoirs que la rupture traditionnelle entre les révolutionnaires marxistes et anarchistes soient remise en cause, avec les anarcho-syndicalistes assistant au premier congrès de la Troisième Internationale et les anarchistes combattant aux côtés des bolcheviks pour le renversement du pouvoir bourgeois en Russie. Ces espoirs furent très rapidement déçus, d’abord parce que les bolcheviks, pris dans le carcan du nouvel Etat soviétique, commencèrent à supprimer les autres expressions du mouvement révolutionnaire en Russie, principalement chez les anarchistes. Il est certainement vrai que certains anarchistes – comme ceux qui avaient tenté de faire sauter le quartier général bolchevique de Moscou en 1918 – manquèrent d’un certain sens des responsabilités révolutionnaires, mais la répression mise en œuvre par les bolcheviks attaquait les tendances clairement prolétariennes comme celle des anarcho-syndicalistes autour de Maximoff. Le triomphe mondial de la contre-révolution renforça ensuite l’isolement et la séparation des minorités révolutionnaires qui restaient, bien qu’il y eut des moments de convergence, par exemple entre les communistes de conseils et des expressions de l’anarchisme, entre la Gauche italienne et le groupe autour de Camillo Berneri en Espagne (Camillo était le père de Marie-Louise Berneri, qui avait été active dans le groupe War Commentary en Grande-Bretagne, comme nous le mentionnons au début de cet article). Mais le rôle de la CNT en Espagne et la participation ouverte de certaines tendances anarchistes dans la Résistance et même dans les armées officielles de la « Libération », accentua la division entre l’anarchisme et les marxistes, particulièrement ceux qui venaient de la Gauche communiste italienne, enclins à conclure que l’anarchisme dans son ensemble avait pris le chemin du trotskisme en abandonnant définitivement l’internationalisme, et donc le mouvement ouvrier, pendant la guerre16.
12) Les batailles de Mai 68 se firent souvent sous les drapeaux rouges et noirs – exprimant symboliquement une tentative de retrouver ce qui était à l’origine révolutionnaire dans les traditions anarchiste et marxiste. Un certain nombre des groupes qui formèrent le CCI avaient commencé leur existence dans l’anarchisme d’une façon ou d’une autre, aussi depuis le début de notre organisation, il y a eu une compréhension que l’anarchisme était tout sauf un bloc monolithique et que beaucoup de la nouvelle génération, dans leur rejet ardent de la social-démocratie et du stalinisme, avaient été initialement attirés par les idéaux de l’anarchisme. En même temps, cette attitude plus ouverte était accompagnée d’un besoin de se démarquer en tant que tendance distincte avec des positions cohérentes ; et, sous l’influence de l’immaturité politique et d’un manque de connaissance historique, cette réponse nécessaire allait souvent de pair avec une attitude quelque peu sectaire. Le débat du CCI sur les groupes prolétariens dans les années 1970 fut la première tentative consciente de dépasser ces réactions sectaires. Mais le milieu politique prolétarien traversa une phase de crise au début des années 1980 et celle-ci inclut l’affaire « Chénier » dans le CCI. Dans une large mesure, la crise qui affecta le CCI avait son épicentre en Grande-Bretagne, et ses conséquences furent de créer un mur de suspicion autour du CCI, plus particulièrement parmi les courants libertaires qui tendirent à voir nos efforts pour défendre l’organisation comme des expressions d’un stalinisme congénital. Ce mur n’a jamais été réellement brisé. Malgré des moments de dialogue17, les relations entre le CCI et le milieu anarchiste/libertaire en Grande-Bretagne ont été particulièrement difficiles : à la fin des années 1990, le CCI avait été exclu du groupe Not War but the Class War formé en réponse à la guerre des Balkans et banni des réunions de AF à Londres. Il faut aussi admettre que les propres erreurs du CCI contribuèrent à ce piteux état des relations : en particulier, une caractérisation erronée comme groupes gauchistes du Mouvement d’Action Directe et d’AF , basée sur l’ignorance de leur fondement historique, et une application schématique et un peu lourde de la notion de parasitisme politique dans le contexte du groupe « Not War but the Class War ». En même temps, l’attitude suspicieuse et parfois non-fraternelle des anarchistes envers le CCI a des racines plus profondes dans l’histoire et la théorie, surtout en relation avec la question de l’organisation des révolutionnaires, et ces racines ont aussi besoin d’être soigneusement réexaminées. Malgré tous ces obstacles, l’apparition depuis le début des années 2000 d’une nouvelle génération de révolutionnaires a attiré vers les idées révolutionnaires, largement médiatisée à travers le communisme libertaire, a fourni la possibilité d’un air frais nouveau. Par notre participation dans les forums de discussion en ligne, comme libcom, il est devenu évident pour nous qu’il y a de nombreux camarades s’appelant anarchistes ou libertaires qui défendent des positions prolétariennes sur les syndicats, le nationalisme et la guerre impérialiste, et que cela inclut des membres de groupes ou de traditions que nous avions considéré par le passé comme gauchistes, tels AF ou Solfed. Ceci a conduit à une réévaluation de notre part, renforcé par nos discussions internationales, et même un travail commun, avec des groupes en Amérique latine. Cette réévaluation a été bien saluée par certains anarchistes, bien que beaucoup la voient comme une tactique opportuniste de « recrutement » de notre part, et nos relations avec ce milieu connaissent toujours des hauts et des bas. Mais pour nous, le maintien d’un dialogue avec les éléments prolétariens dans l’anarchisme est la seule base de dépassement possible des méfiances qui existent entre les ailes marxiste et anarchiste du mouvement révolutionnaire, et pour parvenir à une clarification permettant d'exercer une activité commune en dépit de nos différences.
Amos (Avril 2011)
1Un exemple premier étant l’extraordinaire Dan Chatterton, qui a écrit de sa propre main et publié Le Brulôt Communiste athée (Atheistic Communist Scorcher) de 1884 jusqu’à sa mort en 1895.
2Socialist Party of Great Britain
3Social Democratic Federation
4 George Woodcock, L’anarchisme : une histoire des idées et des mouvements libertaires (Anarchism: A history of libertarian ideas and movements), publié pour la première fois en 1962, édition revue en 1986.
5 www.afed.org.uk/org/issue42/acbrit.html [254] [1]
6 www.solfed.org.uk/?q=a-short-history-of-british-anarcho-syndicalism [255] [2]
7 Un recueil d’articles de War Commentary a été publiée dans un ouvrage intitulé Ni Est ni Ouest, sélection des écrits de Marie-Louise Berneri (Neither East nor West, selected writings of Marie Louise Berneri aux éditions Freedom Press, 1952.
8 George Woodcock, Anarchism, A history of libertarian ideas and movements, 1986 edition, p 386. Décrivant la même période en France, il utilise le terme “d’anarchisme officiel” pour décrire les restes fossilisés du mouvement.
9Campaign for Nuclear Disarmament
10 Un phénomène similaire peut être vu dans l’influence du groupe Wildcat et son heir Subversion dans les années 1980 et 1990 : ils ont aussi développé un mélange de conseillisme et d’anarchisme qui eut une résonnance fairly large sur la scène libertaire en général. Une histoire plus développée de l’anarchisme au Royaume-Uni devrait inclure une évaluation de ces groupes, dont les origines se trouvent plus comme branche du communisme de gauche que dans l’anarchisme en soi.
11 https://libcom.org/article/uk-anarchist-movement-looking-back-and-forward [256] [6]
12Socialist Workers' Party – trotskyste, de la tendance Tony Cliff
13 www.afed.org.uk/org/issue42/acbrit.html [254] [1]
14 https://en.internationalism.org/wr/238_leftcom.htm [257] [7]
15 Nous avons ainsi défini un groupe parasitaire comme un groupe qui a la même plateforme qu’une organisation communiste existante et existe principalement pour l’attaquer et la saper. Mais la plateforme de l’ACF n’était nulle part proche de celle des groupes de la Gauche communiste et montrait un manque d’intérêt consistent à l’égard de ces organisations. D’un autre côté, il y a eu des groupes gauchistes qui ont agi comme des parasites destructeurs sur la Gauche communiste, tels l’UCM iranienne ou le groupe Hilo Rojo, et nous basions notre position de l’ACF sur notre expérience vis-à-vis de ces groupes. En d’autres termes, la notion de l’ACF comme parasitaire était une conséquence du fait que nous la voyions comme étant gauchiste.
16 Il y eut des exceptions. Par exemple, Marc Chirik de la Gauche communiste en France a maintenu une relation très fraternelle avec Voline pendant la guerre : le groupe de Voline était certainement internationaliste. De même, bien que la Gauche communiste de France se soit vigoureusement opposée à l’invitation des principales organisations anarchistes à la conférence d’après-guerre des internationalistes en Hollande, ils n’eurent pas d’objection à ce qu’un vieux militant anarchiste, contemporain d’Engels, dirige la réunion.
17 Par exemple la participation du CCI dans des reunions du London Worker’s Group dans les années 1980 et la “troisième” incarnation de « No War but the Class War » au sujet de la guerre en Afghanistan en 2001.
Une partie assez importante des différents secteurs de la population dans cette partie de l'Inde semble être enthousiasmée par la possibilité du changement. Ils célèbrent la défaite électorale décisive de la coalition dirigeante de gauche et la victoire écrasante de la coalition de droite. Certains sont enthousiasmé par la simple pensée que la coalition dirigeante stalinienne a enfin été évincée du pouvoir gouvernemental. Les gens étaient tellement dégoûtés par l'arrogance et la corruption sans bornes de presque tous ceux qui étaient liés d'une manière ou autre à la clique dirigeante stalinienne. Certains ont dit ouvertement, «Nous ne nous soucions pas de ce qui va se passer dans la période à venir. Nous nous soucions seulement de l'éviction du CPI (M) du pouvoir gouvernemental. Ils sont insupportables. ». Ainsi cette jubilation instantanée de cette partie de la masse des gens, y compris de la classe ouvrière et des secteurs exploités est tout à fait compréhensible. Ces gens semblent savourer un profond sentiment de soulagement.
La presque totalité de la presse imprimée et Internet fait tout son possible pour propager et renforcer l'idée de changement. Elle dépeint le CPI (M) {Parti Communiste d'Inde (Marxiste)}, comme le méchant le plus notoire de tout le film, l'incarnation de tout ce qui est négatif, la source de tous les maux. A l'inverse, la coalition victorieuse de droite, et en particulier son chef suprême, est représentée comme le symbole de l'honnêteté et de l'héroïsme. Elle ne cesse non plus pas de chanter des hymnes à la louange de la puissance illimitée de la démocratie et en particulier de la pureté et de la maturité de la démocratie indienne. Une partie assez importante de la population semble avaler avec délectation tous ces matériaux diffusés par la presse, dans ce contexte. On dirait que celle-ci fait des heures supplémentaires pour bien enfoncer le clou. La nouvelle alliance au pouvoir, non seulement met en scène, presque tous les jours, des scénarios d'un populisme hautement théâtral, pour montrer qu'elle est fondamentalement différente de l'ancien régime à chaque occasion presque tous les jours, mais elle semble aussi y prendre tout son plaisir. La bourgeoisie semble avoir assez bien réussi, au moins temporairement, dans sa tâche de mystification.
Mais elle n'a pas réussi à mystifier tout le monde. Une partie importante de la population n'a pas du tout été émue par cette propagande de changement. Selon certains rapports d'enquêtes fiables, un grand nombre de jeunes qui étaient électeurs pour la première fois ont refusé de voter.
Il est urgent que nous réfléchissions un moment sur le contenu réel du changement pour en finir avec ce rêve.
Nous ne pouvons pas ne pas remarquer que quel que soit le battage médiatique sur la vertu et la puissance de la démocratie, cette élection a montré très clairement qu'elle est à l'agonie. Sans la protection directe de la machine bureaucratique militaire, elle est absolument incapable de se maintenir de façon régulière et de fonctionner. Dans sa phase juvénile, au XIXe siècle, elle avait la haute main sur la machine bureaucratique militaire et elle la contrôlait complètement. Mais maintenant, dans sa phase de sénilité, elle est sous le contrôle et la protection totales de cette dernière. Quelle chute terrible! Le centre de gravité du pouvoir capitaliste n'est plus aujourd'hui au parlement: il se déplace de plus en plus vers la machine permanente, bureaucratique, militaires et judiciaires. Différents secteurs de la bourgeois se lamentent très souvent sur cette transformation inévitable et sur la dégénérescence de la démocratie.
Dans ce contexte, il convient de mentionner que la démocratie, y compris sous ses formes les plus pures, les plus anciennes et les plus mûres, est basé sur trois choses qui sont l'utilisation de l'argent, de la puissance musculaire et de la mystification. Dans les pays arriérés comme l'Inde l'utilisation de l'argent et la puissance musculaire est prédominante. En plus de cela, le pouvoir de mystification sur la classe ouvrière et sur les masses laborieuses joue également un rôle très important. Chaque parti politique et son leader, à l'occasion des batailles électorales recourent au mensonge et à la mystification. C'est quelque chose qui ressemble à une compétition dans le mensonge. Ceux qui sont capables de faire croire au peuple que les mensonges sont des vérités sont victorieux dans le jeu électoral. Dans les pays plus avancés, l'utilisation du pouvoir de mystification est particulièrement prédominant. De nos jours, des accusations d'intimidation de l'électorat sont également proférées, même aux Etats-Unis.
La coalition de gauche, aujourd'hui évincée, était arrivée au pouvoir gouvernemental après une victoire électorale écrasante en 1977, entraînant une défaite écrasante au Congrès du parti de droite, alors au pouvoir. La coalition de gauche avait alors prétendu entamer une croisade des plus déterminées contre les méthodes répressives et toute la corruption du parti au pouvoir sortant. Ils avaient proclamés avec fracas qu'ils étaient pour le changement et le développement économiques. Ils s'étaient engagés à travailler pour la défense de l'intérêt de la classe ouvrière et des couches exploitées de la société. Ils avaient demandé à leurs cadres de ne pas être revanchards contre ceux du parti précédemment au pouvoir qui les avaient terrorisés, chassés de leurs maisons et contraints à fuir très loin. Puis, la population a été pareillement dégoûtée de l'arrogance, de l'extrême corruption et par l'ambiance de terreur créée par des gorilles intouchables, utilisés par le parti du Congrès. Et la population est à nouveau devenue avide de changement par rapport à une atmosphère sociale étouffante et insupportable. Il n'avait pas fallu beaucoup de temps pour que le nuage d'illusion se dissipe progressivement et que se révèle la vraie réalité du régime de gauche. Les protagonistes et les défenseurs de ce régime ont commencé à recourir de plus en plus aux mêmes méthodes répressives et se sont plongés de plus en plus dans la même mer de corruption. Ils ont joué non seulement un rôle actif, mais aussi un rôle de leader dans le massacre des masses paysannes et dans l'assassinat de la classe ouvrière luttant contre les attaques sur ses conditions de vie et de travail, dans différentes régions du Bengale Occidental. Tous ces mouvements ont été sévèrement réprimées, non seulement par les forces de police officielles, mais aussi par des bandes de nervis non officiels. Les problèmes socio-économiques, en particulier les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière et des divers secteurs des masses laborieuses de la population ont commencé à s'aggraver de jour en jour. Le problème du chômage s'est lui aussi de plus en plus aggravé.
Les partis victorieux d'aujourd'hui font donner de la voix contre la corruption et toutes les méthodes répressives de la coalition de gauche sortante. Ils se prétendent être à l'avant-garde du changement. Leur slogan le plus important est 'le changement n'est pas la vengeance, mais le développement économique'. Ils se sont également engagés à travailler pour défendre les intérêts des pauvres.
Mais ces partis mêmes sont les descendants du parti du Congrès qui avait recouru à des méthodes répressives depuis le transfert du pouvoir politique en sa faveur par les britanniques en 1947 et en particulier dans les années soixante-dix. Les gens avaient même peur de voter selon leur volonté. Les membres du Parti du Congrès étaient alors à l'avant-garde des plus grands massacres de sympathisants du mouvement maoïste en 1971, au cœur de Calcutta. La machine d'Etat avait été utilisée sans vergogne pour ce massacre par le premier ministre du congrès de l'époque. Beaucoup de dirigeants, de jeunes militants et sympathisants du mouvement maoïste avaient ensuite été tués juste après leur arrestation, même en l'absence de la farce de tout procès. Beaucoup avaient été tués dans des prétendues rencontres avec la police. Les maisons de beaucoup de paysans pauvres et sans terre, dans diverses parties de l'ouest du Bengale, qui avaient soutenu le mouvement maoïste furent démolies par les gorilles du parti du Congrès. De nombreuses personnes terrorisées avaient fui loin de leurs lieux d'habitation.
Tout une partie importante des dirigeants qui avaient été directement impliqués dans ces meurtres et massacres sont toujours aujourd'hui les dirigeants de la coalition de droite victorieuse. Mais le massacre du peuple en lutte pour ses diverses revendications contre un gouvernement qui recourait à des méthodes de plus en plus répressives et à toutes sortes de corruptions a donné une bonne occasion pour les dirigeants de droite pour effacer le passé et pour peaufiner leur image politique. Et c'est le même scénario qui peut aujourd'hui se répéter, avec une gauche sévèrement déshonorée et humiliée dans l'opposition, et, après un certain temps, il est assez probable dans la situation actuelle nationale et internationale que la nouvelle coalition sera obligée de recourir à des mesures répressives similaires, sous un prétexte ou sous un autre, contre les inévitables mouvements de la classe ouvrière, de la paysannerie et des chômeurs, répression qui peut même se montrer encore plus barbare que par le passé, ce qui serait susceptible de fournir les conditions nécessaires pour que la gauche, aujourd'hui déshonorée, efface les taches de son passé et polisse son image politique. C'est de cette façon que la gauche et la droite de capital s'entraident et permettent au capital de rester en vie.
Selon Marx et Lénine, la classe ouvrière, ainsi que les masses exploitées ont le droit, tous les quatre, cinq ou six ans, de choisir par qui ils aimeraient être exploitée et réprimée lors des prochaines années. Donc, quelque soit le gagnant, c'est fondamentalement la même chose pour la classe ouvrière et le peuple exploité. L'histoire n'a jamais cessé de prouver la validité de cette affirmation. Il ne peut pas mettre fin à l'exploitation et à la répression de la classe ouvrière par un changement de l'équipe dirigeante ou de parti. C'est seulement la direction politique du système économique et politique capitaliste qui change à travers les élections. La véritable dictature du système capitaliste reste inchangée et intacte. Toujours selon Marx, la démocratie est la meilleure forme de la dictature bourgeoise. Cette dictature se tient cachée dans le rapport de production du capital basé sur l'exploitation et la répression de la classe ouvrière et des masses laborieuses de la population. Ce rapport n'a nulle part et jamais été déterminé par des moyens démocratiques. Les usines ne sont nulle part gérées de façon démocratique. Aucun aspect de la production, y compris les prix n'est déterminé de façon démocratique.
La machine bureaucratique militaire, celle qui est permanente, le pilier le plus important et le plus puissant de l'Etat, la seule arme pour mener à bien l'exploitation et la répression, ne change jamais. 'L'excroissance parasitaire sur le corps social', non seulement restera intacte, mais elle sera beaucoup plus boursouflée dans la période à venir. Cela ne signifie rien d'autre qu'une intensification de l'exploitation de la classe ouvrière et du peuple laborieux, dans la période à venir. Cela ne peut jamais se réduire à un seul pays ou à une partie d'un pays.
Il n'y a pas de différence fondamentale entre les appareils politiques de gauche ou de droite, pour autant que la défense de l'intérêt du capital est concernée. Et pour cela l'appareil politique de gauche du capital est indispensable, en particulier dans cette phase historique de la vie du capital mondial, alors qu'il a été transformé en l'obstacle le plus important à la révolution prolétarienne dont la survie et le progrès de l'humanité ont un besoin urgent. La phase actuelle de sénilité avancée et de décadence du système capitaliste va conduire l'humanité progressivement vers sa destruction totale, si la révolution prolétarienne mondiale n'a pas lieu. Seule la révolution peut détruire le capitalisme et sauver l'humanité. Dans une telle situation, les appareils de gauche, dans toutes leurs variétés stalinienne, trotskiste ou maoïste, sans aucune exception, sont et seront l'unique sauveur du système capitaliste mondial.
La bourgeoisie mondiale a très clairement et profondément réalisé que l'appareil politique de gauche lui est indispensable dans cette période historique de barbarie illimitée, de destruction totale de l'humanité ou de révolution prolétarienne mondiale ouvrant la porte à la création d'une société communiste mondiale, sans frontières, libre de toute exploitation et de toute répression. Elle peut montrer du doigt les régimes staliniens, maoïstes et 'les partis communistes' pour discréditer la perspective du communisme. Elle sait très bien que si cette réalité est comprise par les masses ouvrières, son existence sera fatalement en danger. Les bourgeois ont eu besoin et ont encore besoin urgent de 'pays socialistes' pour discréditer le socialisme scientifique pour lequel la classe ouvrière mondiale et les populations laborieuses ont eu et ont encore une grande attraction. Leur seul objectif est de porter un coup fatal à cette attraction. Dans cette tâche réactionnaire pour la défense et la prolongation de la durée de vie d'un système totalement anachronique et historiquement inutile, l'appareil politique de gauche est absolument indispensable. Par ailleurs, avec ce même objectif en vue, c'est de façon très calculée qu'ils permettent aux staliniens, maoïstes et trotskistes de se présenter comme les véritables défenseurs de l'intérêt des masses de la population contre les attaques de l'Etat bourgeois, pour faire dérailler le vrai combat pour la libération de toutes sortes d'exploitation et de répression.
Le cours de l'histoire n'a pas été déterminé par la bonne ou la mauvaise volonté de tel ou tel individu, mâle ou femelle, groupe ou parti politique à la tête des affaires. Il est déterminé par les conditions matérielles du rapport de production prédominant dans une phase historique particulière et par les conditions de la lutte de classe dans cette phase.
Quel que soit le niveau des promesses qui sont faites au cours de la période de propagande électorale, quelle que soit la bonne volonté qu'il a manifestée, sous forme de mots, en faveur des masses, le nouveau gouvernement aura à servir l'intérêt du système capitaliste dans le Bengale Occidental, comme partout ailleurs. Il peut crier bien fort que son seul but est de servir l'intérêt de l'ensemble de l'humanité. La coalition de droite victorieuse ne se lasse jamais d'affirmer que sa victoire est la victoire de l'humanité, indifférenciée et sans classes. Mais, l'intérêt du capital et celui de l'ensemble de l'humanité et particulièrement celui de la classe ouvrière et des masses exploitées de la population peut-il être le même et être défendu simultanément, notamment dans cette phase historique?
Le système capitaliste mondial est entré dans sa phase de décadence ou de sénilité depuis le début du siècle dernier. La Première Guerre Mondiale en a été la preuve définitive. Depuis lors, il passe par des crises permanentes, comme celle qui s'est exprimée dans le déclenchement de la grande dépression de 1929. Celle-ci a conduit à l'éclatement de la Seconde Guerre Mondiale. Cet état de crise a été supprimé dans une certaine mesure, après la guerre, dans la nouvelle configuration impérialiste internationale, avec la division du monde en deux blocs impérialistes dirigés par deux superpuissances victorieuses, les USA et l'URSS. La crise est réapparue dans les années soixante, pour mettre fin aux soi-disant 'trente glorieuses'. Depuis la crise s'intensifie de plus en plus, au fur et à mesure que la saturation relative du marché mondial s'approfondit. Dans une telle situation internationale la seule condition pour l'existence du capital est plus d'exploitation et de répression de la classe ouvrière et des masses laborieuses. Plus un gouvernement d'Etat capitaliste sera en mesure d'assurer cela, plus brillante sera la possibilité de la poursuite de l'existence d'un système historiquement inutile, au moins dans cet Etat. La tâche de tout gouvernement de gauche ou de droite est d'assurer cela. La tâche du nouveau gouvernement au Bengale Occidental ne peut jamais être autre chose. Quelle que soit sa bonne volonté, authentique ou simulée, il sera contraint par l'évolution des conditions matérielles du capital mondial et par la lutte de classes à intensifier toujours plus l'exploitation et la répression de la classe ouvrière et des masses laborieuses et de recourir à des méthodes encore plus fascistes. Les attaques sur les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière ne peuvent pas encore s'intensifier dans la période à venir. Il y a peu d'espoir pour la moindre solution au problème du chômage. Cette situation est susceptible de se dégrader encore plus dans les jours à venir. Il est fort possible que le rôle des partis politiques et des alliances soient intervertis. La droite au gouvernement va montrer ses véritables couleurs et la gauche dans l'opposition va également montrer ses couleurs premières. Cette dernière ne négligera aucun effort pour se présenter comme les véritables défenseurs de la classe ouvrière et du peuple travailleur et elle fera donc de son mieux pour faire dérailler la lutte de classe hors du terrain de classe et du processus de prise de conscience. Il y a une unité fondamentale entre la gauche et la droite de capital pour autant que la cause de la défense des intérêts fondamentaux du capital est concernée. Il y a bien sûr des différences: de méthodes.
La classe ouvrière ne doit pas se laisser emporter par le battage médiatique, l'hystérie et l'illusion du changement. Elle ne doit pas prendre parti dans le duel entre l'appareil politique de droite du capital et celui de gauche pour s'accaparer le poste convoité de gestion politique des affaires du capital. Tous deux sont les ennemis jurés de la classe ouvrière.
Elle devrait plutôt concentrer toute son attention sur l'intensification de sa lutte de classe contre les attaques contre les conditions de vie et de travail, sur l'auto-organisation et sur le contrôle de la lutte et son extension à tous les secteurs et sur son unification. Une lutte collective et constante contre toutes sortes de mystifications de la part de la gauche et de la droite de capital et pour que se lève la conscience prolétarienne est indispensable. C'est la seule façon de résister aux attaques et de défendre ses intérêts de classe.
Saki, 16 Juillet 2011
La réaction naturelle la plus immédiate aux meurtres perpétrés par Anders Behring Breivik est un sentiment d’horreur. L’attentat et le meurtre de 77 personnes (dont 55 adolescents) ont provoqué des expressions de répulsion de la part des principaux médias et des politiciens à travers le monde. Mais alors que les différentes parties de la classe dominante s’unissaient dans leur condamnation de cet exemple particulier de terrorisme, elles ont fourni différentes explications sur ce qui s’était passé.
La réponse de la droite a été de décrire Breivik comme un malade mental, comme un monstre et un maniaque, un psychopathe et un suppôt de Satan. Enfin, il a été présenté comme un individu dont il fallait expliquer la psychologie et la morale. L’idée que sa folie soit séparée de toute réalité sociale doit être rejetée. L’aliénation de Breivik et sa haine envers le reste de l’humanité est certainement exceptionnelle. Tuer plusieurs douzaines de jeunes gens de sang-froid parce qu’il croyait que seule la déportation forcée des musulmans d’Europe pouvait rectifier les erreurs de la société montre clairement une personnalité avec des problèmes profonds. Mais aucun individu n’agit isolément dans la société dans laquelle il a grandi. Pour prendre l’aspect le plus significatif : nous vivons dans un monde où chaque fraction de la classe capitaliste participe à une campagne perpétuelle tentant d’inciter aux divisions raciales et religieuses. Depuis les groupes fascistes qui prêchent ouvertement la haine des autres races et la violence contre les minorités, jusqu'aux insistances des gauchistes sur les méfaits de l'ultra-libéralisme pour susciter le besoin de nous tous d’être loyaux envers une identité ethnique, la bourgeoisie a créé un réseau idéologique utilisant les mots-clés d’assimilation et de séparatisme, de nationalisme et de multiculturalisme, pour soutenir l’idée que l’humanité est divisée selon des frontières raciales plutôt que de classe.
La différence d'appréciation entre un membre du parti anti-immigrant suédois disant des attaques en Norvège que « la faute en incombait au multiculturalisme de la société » et David Cameron disant que le « multiculturalisme avait failli » n’est pas bien grande. Lorsque la gauche a appelé à la défense du statu quo au nom de la défense de ce même multiculturalisme, l’entourloupe a été complète.
Breivik a semblé avoir passé beaucoup de temps à surfer sur la nébuleuse Internet et s’être immergé dans certaines de ses plages les plus aventureusement délirantes. Il a été clairement exposé à toutes sortes d’expressions de la désintégration de la solidarité humaine la plus élémentaire. Ses actions ont démontré l’aliénation la plus extrême, mais cela doit être compris comme la plus proche de la base des divisions raciales et religieuses mises en avant par l’idéologie bourgeoise, qui est supposée être « normale » et faisant seulement partie du « sens commun ».
En particulier, la propagande qui décrit les musulmans comme une menace omni-présente n’est que la dernière expression en vogue de la stratégie du « bouc-émissaire » si répandu dans le monde capitaliste. Depuis des décennies, celle-ci a nourri la cause de l’anti-sémitisme, ou la description caricaturale des immigrants à peau noire venant d’Afrique et des Caraïbes « menacer » la civilisation, ou encore l’arrivée de groupes parlant une langue différente ou pratiquant une religion différente ayant un pouvoir de briser l’ordre social. A travers l’Europe, il existe un consensus parmi les partis politiques bourgeois et dans les médias capitalistes pour dire que l’immigration est une menace en soi. Les mensonges changent, et la propagande peut être plus ou moins sophistiquée, mais le capitalisme a trouvé ainsi une voie pour pointer de façon constante le danger de « l’autre », de l’étranger. Cette idéologie peut avoir un impact sur certaines personnalités fragiles ; en ce sens, Breivik n’était pas du tout un cas unique.
Pour la gauche, Breivik est considéré comme un ultra-traditionnaliste chrétien, comme une évidence du danger de l’extrémisme fasciste et raciste grandissant, comme un produit de l’islamophobie. Elle met en avant des explications psychologiques. D’après les termes du Socialist Worker du 30 juillet 2011 : « Ces meurtres ne sont pas l’œuvre d’un psychopathe – elles sont celles des actions d’un homme suivant la logique d’une idéologie raciste qui diabolise les musulmans. » Suivant cette « logique », « Breivik voulait déclencher une guerre entre races et pensait que les conditions s’y prêtaient. » Cela s'inscrit en effet dans une certaine logique, mais c’est la logique de l’irrationnel. Contre ces explications psychologiques de la gauche, il est nécessaire de rétablir l’évidence – les attaques en Norvège n’étaient pas celles d’un être rationnel. Comment pouvait-il « déclencher une guerre entre races » en s'attaquant d'abord à ceux dans lequel « coule un sang norvégien » ? Les actions de Breivik n’étaient pas rationnelles, mais cela pose la question de comparer son comportement avec celui du reste des hommes politiques bourgeois. Par exemple, de nombreux groupes palestiniens ont depuis des décennies cru qu’attaquer Israël provoquerait une réponse qui persuaderait finalement les Etats arabes dans la région de déployer leurs forces militaires contre l’Etat juif. Cela n’est pas rationnel, cela sonne comme le Livre des Révélations, mais c’est de la politique. En économie, pendant un siècle des experts auront apporté des solutions à la crise permanente du capitalisme qui ne cesse pas, sans jamais être découragés par l’économie capitaliste, tellement ils baignent dans l’idéologie dominante. Aux Etats-Unis, ce ne sont pas seulement le Tea Party et les marges fondamentalistes du camp républicain, mais toute une série d’idéologies religieuses, créationnistes et autres qui pèse de tout leur poids sur le fonctionnement de la bourgeoisie et sur les consciences du reste de la population.
Où que l’on regarde, le capitalisme, automatiquement dirigé vers la recherche du profit, le Graal de sa quête, connaît de plus en plus le frisson du culte de l’irraisonné. La gauche peut penser que le capitalisme contemporain subsiste sur une base rationnelle, mais l’expérience présente de la société moderne révèle une décomposition aggravée, une partie de celle-ci qui s’exprime dans une irrationalité grandissante où les intérêts matériels ne sont plus le seul guide de son comportement.
Dans le cas de Breivik, il est bien sûr possible qu’il soit un pion inconscient dans une stratégie plus vaste, mais les expériences de Columbine, de Virginia Tech et de tous les autres massacres perpétrés par des individus isolés montre qu’on n’a pas besoin d’un motif politique pour commencer à tuer au hasard n’importe lesquels de nos semblables.
Ce à quoi nous assistons avec des événements comme ces massacres en Norvège est quelque chose qui démontre, à de nombreux niveaux, la décomposition de la société capitaliste. On peut constater la profondeur de l’aliénation du comportement d’un seul individu, qui hélas n’est pas si inhabituel. On y voit l’attaque consciente de la bourgeoisie pour annihiler la solidarité de base et pour fomenter la haine. Le comportement irrationnel marque les groupes comme les individus. La classe dominante encourage les divisions : la culture capitaliste promeut et renforce la peur des autres. De nombreux commentateurs ont montré en exemple la réponse du Premier ministre norvégien, en particulier la façon dont il a spécifiquement dit qu’il ne se servirait pas des ces attaques pour renforcer l’appareil répressif de l’Etat. Il n’a pas besoin de le faire. Au nom de l’opposition à ces récentes atrocités, toute une campagne appelant à l’union nationale norvégienne s’est développée. C’est une des forces de la démocratie bourgeoise. La réalité de la société de classes est capable faire croire qu'elle peut mettre aussi bien une partie de la société comme son ensemble sous la « protection » de l’Etat capitaliste. En tant que classe, la bourgeoisie est toujours à même de se servir de l’évidence de la désintégration sociale contre le développement potentiel de la classe ouvrière vers une réelle unité et une réelle solidarité de classe.
Dans les premiers moments de ces événements en Norvège, la plupart des médias ont essayé de nous convaincre qu'Al-Qaïda¨ pouvait être désigné comme à l'origine de ces attaques, mais ils n'ont eu aucun problème pour changer de direction quand il s’est avéré qu'il s'agissait d’un terroriste « natif du pays ». Ce talent pour la propagande est une des quelques armes dont la bourgeoisie dispose contre nous, au même titre que celle de l'utilisation de la terreur capitaliste.
Barrow (02 août)
Après quatre mois de manifestations et de contestation populaire contre le chômage, la répression et l'absence d'avenir, les événements en Syrie prennent un tour nettement plus sombre et dangereux. Sous couvert de lutte contre les 'bandes armées' et les 'terroristes', le régime syrien a déclenché sa propre terreur sur la population : frappes aériennes, tirs de blindés, batteries antiaériennes, tirs de snipers, torture, privation d'eau, d'électricité, d'aliments pour bébés, entassement des gens dans des stades pour 'interrogatoire', rappellent les régimes les plus sinistres d'Afrique et d'Amérique latine. Au moins 2000 manifestants, la plupart non armés, ont été tués à ce jour, avec des dizaines de milliers de réfugiés et de nombreux sans-abri restés dans leur pays. Il y a eu aussi un grand nombre de soldats déserteurs qui ont refusé de tirer sur leur propre peuple.
Il y a seulement quelques années, des hommes politiques comme David Miliband (alors secrétaire d’Etat au Foreign Office) et Nicolas Sarkozy ciraient les pompes du président syrien Bachar el-Assad et de son régime d'assassins et de tortionnaires, mais aujourd'hui les démocraties occidentales font la queue pour lui demander de démissionner. Les puissances américaine, de Grande-Bretagne, d'Allemagne et de France se sont toutes, jusqu'à présent, montrées d'une complicité très prudente, mais bien réelle, dans la répression et les atrocités de l'armée syrienne, permettant aux pouvoirs régionaux plus petits d'exercer des pressions, tout en soutenant leurs propres forces 'd'opposition' au sein du régime (par exemple, le soutien de la Grande-Bretagne au dissident de premier plan, Walid al-Bunni et à son entourage). A la mi-août, les grandes puissances nommées ci-dessus, avec l'Union Européenne, ont conjointement appelé Assad à se retirer et menacé d'une arrestation possible de plusieurs figures de proue du régime. Des comptes-rendus indiquent que les Etats-Unis ont demandé à la Turquie de ne pas maintenir sa 'zone tampon' entre les deux pays et de prendre du recul par rapport à une telle provocation. Cependant, les Etats-Unis ont considérablement renforcé leur présence navale en Méditerranée face aux côtes syriennes, sur la mer Egée, sur l'Adriatique et sur la mer Noire, avec une concentration particulière en termes de missiles antimissiles et de marines. Les démocraties occidentales se moquent bien des souffrances de la population syrienne : entre autres, cela fait des années que la Grande-Bretagne fournit des armes à l'armée syrienne pour lui permettre de réprimer. Ce qu'elles craignent le plus est que l'élimination possible d'Assad crée davantage d'instabilité et de dangers de la part de 'diables que l'on ne connaît pas encore' : l'Iran, en particulier, occupe une place particulièrement importante dans les cauchemars des ministères des affaires étrangères des pays occidentaux. Cependant, l'Arabie Saoudite, qui a envoyé ses troupes à Bahreïn pour écraser les manifestations, est de plus en plus concernée par la relation stratégique croissante entre la Syrie et l'Iran, y compris leur soutien au Hezbollah et au Hamas. En outre, « Depuis quelque temps, il y a des rumeurs selon lesquelles l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Koweït, financent tranquillement des éléments en opposition à la Syrie. » 1
A l'époque du monde bipolaire de l'OTAN et du Pacte de Varsovie, tout était relativement simple dans les relations impérialistes, mais l'effondrement des blocs a libéré des forces centrifuges. Aujourd'hui, les alliances ou les rivalités entre nations changent au gré des vents impérialistes dominants. Même si les relations entre Turquie, Iran, Israël, Syrie, dans leurs différentes combinaisons, ont montré des évolutions dans un passé récent, la pierre angulaire de la politique américaine et de ses nécessaires plans de guerre est de protéger Israël comme de prendre pour cible l'Iran. Un rapprochement entre l'Iran et les États-Unis n'est pas impossible, mais, avec le cours des événements, une confrontation militaire semble bien plus probable, surtout étant donné la politique agressive que l'impérialisme américain est poussée à conduire, afin de maintenir son rôle de parrain dans le monde.
Les difficultés américaines incessantes en Irak, ainsi que leur tendance à un affaiblissement général, maintiennent en ébullition l'influence iranienne dans ce pays, principalement de la part de la force la plus puissante en Iran, le Corps des Gardes Révolutionnaires d'Al-Qods. Selon un rapport publié dans The Guardian (28 juillet), cette force tire pratiquement les ficelles du gouvernement irakien par rapport à ce qui a été véritablement une guerre entre les États-Unis et les mandataires de l'Iran en Irak au cours des 8 dernières années. L'année dernière, lors de la réunion à Damas qui a formé le gouvernement irakien actuel, le général Suleimani, le chef d' Al-Qods, « était présent (...) avec les dirigeants de la Syrie, de la Turquie, d'Iran et du Hezbollah : il les a tous forcés à changer d'avis et à sacrer Malaki comme leader pour un second mandat. » Le rapport poursuit en disant « qu'à l'exception de deux soldats tués en Irak en juin, le plus grand nombre de soldats US tués depuis deux ans l'a été par des milices sous contrôle (de La Garde Révolutionnaire): les Brigades du Hezbollah et du Keta'ib du Jour Promis. » L'ambassadeur américain en Irak avait déjà rapporté que les mandataires iraniens sont responsables d'environ un quart des pertes américaines en Irak (1100 morts et des milliers de blessés).
L'influence iranienne croissante en Irak, l'est aussi en Syrie. Selon le Wall Street Journal du 14 avril, des responsables américains anonymes ont d'emblée déclaré que l'Iran aidait les forces de sécurité syriennes dans leur répression contre toutes sortes de manifestants. La Syrie est depuis longtemps un couloir pour les armes et l'influence iraniennes en direction du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Liban. Cette influence s'est accentuée depuis le retrait syrien en 2005 et avec l'affaiblissement des forces pro-américaines dans le pays. Bien qu'ils aient leurs propres intérêts nationaux à défendre, et bien qu'il y ait quelques divergences – par rapport à Israël, par exemple - Damas et l'Iran voient leur alliance plus forte que jamais et bien que le second préfèrerait que la clique Assad reste au pouvoir, si celui-ci tombait, alors leurs 'partenaires' œuvreraient à installer un régime encore plus pro-iranien.
En mai 2007, l'Institut Américain pour la Paix avait rapporté que les relations entre l'Iran et la Syrie s'étaient approfondies. Il n'y a aucun doute que l'Iran met de plus en plus son empreinte sur le pays. En 2006, a été signé un pacte de défense mutuelle inédit, plus un accord de coopération militaire supplémentaire au milieu de 2007. Les investissements et le commerce entre les deux pays se sont également accrus et les difficultés économiques de la Syrie, avec l'aggravation des effets de la crise, ne peuvent que renforcer l'emprise iranienne sur le pays. En fait, le développement de la crise économique semble rendre plus improbable que les États-Unis soient en mesure de chasser l'Iran de la Syrie.
Rien dans tout cela ne constitue une bonne nouvelle pour les intérêts de l'impérialisme turc et pour ses aspirations à jouer un rôle majeur dans la région. Les vagues de réfugiés syriens ont été un casse-tête pour la bourgeoisie turque et le Premier ministre Erdogan avait condamné la 'sauvagerie' du régime syrien. Tout aussi préoccupant est le coup porté à ses efforts pour éliminer le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le Sud-Est du pays. The Guardian rapporte (Simon Tisdall, World Briefing, 09/08/11) que beaucoup de combattants du PKK dans la région englobant la Turquie, la Syrie, l'Iran et l'Irak sont d'origine syrienne et rappelle la poudrière des années 1990, lorsque la Turquie et la Syrie ont failli entrer en guerre par rapport à cette question. Les attaques du PKK contre les troupes turques et les frappes aériennes qui en ont résulté, les 17 et 18 août dans le Nord de l'Irak ne sont sûrement pas sans rapport avec une aggravation des tensions. Téhéran a également repoussé toutes les tentatives turques pour agir comme médiateur avec les puissances occidentales.
Evidemment, la population qui se bat en Syrie contre la misère et la pauvreté fait preuve d'un extraordinaire courage mais l'extrême faiblesse de la classe ouvrière dans cette région du monde rend tous ces combattants vulnérables à la pire idéologie bourgeoise : l'embrigadement impérialiste. Car toutes les fractions en présence, au pouvoir ou dans l'opposition, comme les "grandes démocraties" qui interviennent dans ce conflit, utilisent sans aucune vergogne les populations locales comme de la chair à canon pour défendre leurs sordides intérêts de cliques.
Baboun (20/08/11)
1 Ian Black, analyse récente dans The Guardian.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
Depuis l'écriture de ce texte, les syndicats et les patrons de Verizon, un des plus importants opérateurs de téléphonie des Etats-Unis, ont décidé de rouvrir les négociations et la grève a pris fin (peu avant la période de deux semaines après laquelle les travailleurs avaient droit à une indemnité de grève !). Cet article a été distribué sur les piquets de grève par nos camarades aux Etats-Unis, qui ont eu de nombreuses discussions avec eux.
Pour la première fois en onze ans, 45 000 travailleurs de Verizon sur la côte Atlantique ont renoué avec la lutte des classes, ayant courageusement refusé de se soumettre à la logique des patrons qui consiste à faire payer à la classe ouvrière la crise économique du capitalisme ! Nos exploiteurs disent que nous devrions nous sacrifier pour permettre à l'économie de repartir, ou pour soutenir la rentabilité d'une entreprise afin de sauvegarder les emplois. Mais le dernier assaut draconien sur les prestations de retraites est une preuve que plus les travailleurs renoncent, plus ils retardent leur réponse aux attaques des patrons, plus hardie et brutale sera la prochaine série d'attaques. Cela est évident chez Verizon Wireline (spécialisé dans les mobiles) qui considère sans humanité les ouvriers fabriquant encore des câbles téléphoniques jugés comme 'obsolètes'. Lorsque les sacrifices déjà réalisés ne sont plus suffisants pour satisfaire la faim insatiable de profit, les patrons disposent simplement de nous, comme si nous étions de simples marchandises. Contrairement à ce que raconte la classe dirigeante, les sacrifices qu'ils nous demandent n'ouvre pas la voie à un avenir meilleur. La vérité est que le seul avenir que le système capitaliste a à offrir est celui de la disparition des pensions, des prestations sociales, des salaires gelés, d'une augmentation du chômage et des attaques sauvages sur nos conditions de vie en tant que travailleurs.
Lorsque les syndicats CWA et l'IBEW ont mis en avant que Verizon ne devrait pas, à l'heure actuelle, demander aux ouvriers des concessions importantes par rapport aux soins de santé, aux pensions, aux congés de maladie ou d'invalidité, etc., parce que la compagnie avait estimée à 6 milliards de $ le profit de l'entreprise pour le reste de l'année ( elle a fait 9.6 milliards de $ de bénéfices dans la première période), ils ont vraiment caché la gravité de la crise économique capitaliste. En agissant ainsi, ils ont consciemment affaibli la capacité des travailleurs à affronter les attaques avec une idée claire des perspectives à venir. La gravité de la crise économique et la réalité de la concurrence imposent effectivement que chaque entreprise demande toujours plus de concessions, aujourd'hui comme demain. Comme les entreprises perdent leur avantage concurrentiel à cause des ravages de la crise économique capitaliste, leurs opérations perdent leur rentabilité. Face à la concurrence, les entreprises doivent moderniser leur technologie ou se retirer des affaires. Verizon, comme toutes les autres sociétés capitalistes, l'avait fait avec les sacrifices imposés à ses travailleurs, par rapport aux retraites, aux soins de santé et aux prestations sociales, la plupart négociés à l'époque de la grève de 2000. Pour illustrer comment, en cette période de décadence capitaliste, aggravée par la crise économique actuelle, les syndicats travaillent main dans la main avec les patrons pour négocier un accord en faveur de ces derniers, démoraliser les travailleurs et pour mieux affaiblir leur combativité dans les luttes à venir, nous devons nous rappeler ce que la CWA et la FIOE ont fait en 2000. A cette époque, lorsque 86 000 travailleurs de Verizon étaient entrés en grève par rapport à leurs prestations sociales et à leurs salaires, les syndicats CWA et FIOE avaient d'abord séparé les grévistes en deux groupes, puis, ils ont négocié deux contrats distincts, chacun des deux cédant aux exigences de la direction, avec pour résultat que même le Financial Times avait salué le nouveau contrat parce qu'il faisait gagner Verizon en compétitivité en favorisant le développement du marché de la téléphonie sans fil. L'une des clauses les plus notoires de ce contrat permettait à Verizon de transférer chaque année 800 travailleurs du réseau de téléphonie fixe au secteur du sans fil, où les travailleurs travaillaient déjà sans forfait de retraite. Le contrat n'a rien fait non plus pour satisfaire les griefs des travailleurs concernant les heures supplémentaires imposées. Les syndicats jouent, dans les négociations, le rôle d'un courtier qui favorise toujours les patrons, et ils piègent nos luttes en nous enfermant dans les directives strictes fixées dans le cahier des charges des règles syndicales : pas de réunions massives, aucune tentative pour organiser ou étendre la grève. En fait, l'actuel appel au vote de la grève par la CWA n'a pas été lancé pour répondre à l'attaque projetée, mais seulement parce que l'entreprise ne négociait pas avec 'bonne foi.'
Les syndicats CWA et IBEW mettent en avant l'idée des patrons selon laquelle une grève n'est légitime que lorsqu'une entreprise n'est pas en faillite et que si celle-ci est en difficulté, les ouvriers doivent en quelque sorte 'couler avec le navire'. Le gouvernement et les syndicats tiennent le même discours aux travailleurs du secteur public : les sacrifices sont inévitables parce que les Etats sont en faillite. Du point de vue de la classe ouvrière, cependant, il est clair que les intérêts des patrons, impulsés par le profit, sont en conflit ouvert avec les intérêts des travailleurs, poussés par la nécessité de la sauvegarde de leurs moyens de subsistance.
Donc, si les syndicats sont le faire-valoir des patrons, quelles sont les perspectives pour la grève actuelle ? Les travailleurs de Verizon ne devraient avoir aucune illusion sur le fait qu'ils gagneront ce combat en se laissant conduire par le syndicat. Mais ce que les travailleurs peuvent faire est de l'utiliser comme un moyen pour se réunir et discuter sur la façon de rendre le mouvement plus efficace et généralisé. Il est clair que les autres travailleurs sont favorables à la grève de Verizon, mais pour vraiment gagner, les travailleurs ont besoin d'étendre la grève et d'en faire vraiment un mouvement qui interpelle l'ensemble de la classe ouvrière. Un exemple de base de cela est le piquet de grève. D'un point de vue historique, quand les ouvriers sont en grève, ils encerclent les lieux de travail pour empêcher les travailleurs de remplacement d'entrer ou de sortir, et pour appeler les travailleurs embauchés pour les remplacer à ne pas prendre leurs emplois. Aujourd'hui, le piquet de grève est isolé derrière une clôture d'où les ouvriers ne peuvent que crier après les « jaunes ». Les travailleurs ont besoin de discuter des moyens de lutte, de comment ils peuvent utiliser les piquets de grève de façon créative pour les rendre efficace et encourager la solidarité. Les travailleurs syndiqués devraient essayer de convaincre les travailleurs non syndiqués de la nécessité de la grève. Ils devraient les arrêter et parler avec eux en expliquant les raisons de la grève, en répandant l'idée que c'est seulement grâce à l'unité la plus large des travailleurs que l'on peut résister aux attaques des patrons. Des piquets volants pourraient être créés pour aller parler avec les travailleurs dans les magasins de téléphonie mobile de Verizon (qui travaillent déjà avec des très pauvres allocations et presque pas de retraite), pendant les pauses déjeuner, pour discuter avec eux de leurs revendications, de ce qu'on peut faire pour les intégrer à la lutte, et pour souligner que la grève actuelle concerne aussi la protection de leurs propres intérêts, ce qui pourrait inciter plus de travailleurs à se défendre eux-mêmes, à travers le pays et à travers le monde. De cette façon, même si les patrons sortent vainqueurs de cette grève particulière (ce qui est vraisemblable si les ouvriers suivent les syndicats et leur laissent les mains libres), les travailleurs auront gagné de l'expérience et de la confiance en soi, ingrédients nécessaires pour mener les luttes à venir que la crise capitaliste va inévitablement les forcer à mener.
Dans le contexte de la crise économique la plus profonde du capitalisme, avec le risque de perdre son emploi ou de subir des conditions de travail encore pires, la lutte des travailleurs de Verizon est une lueur d'espoir pour toute la classe ouvrière. Mais les travailleurs, dans tous les secteurs, et dans tous les pays sont en difficulté à cause des attaques sur leurs conditions de vie et de travail. Coupes accrues par rapport aux soins de santé, licenciements, gels des salaires, chômage endémique et exploitation accrue au travail ont cours depuis déjà longtemps, et ne font que s'aggraver. Face à cela, la classe ouvrière est à la recherche de moyens pour résister. Les travailleurs, les étudiants et les chômeurs de tous les Etats-Unis comme du monde entier cherchent des moyens pour exprimer leurs revendications. En ce sens, la grève actuelle des travailleurs de Verizon est en continuité avec les grèves et les manifs d'étudiants en Californie d'il y a seulement un an, avec la grève des infirmières des hôpitaux de Philadelphie et de Minneapolis, avec la grève des ouvriers de Mott, avec celle des dockers de la côte Est, à l'automne dernier, et les manifestations dans le secteur public, à Madison, dans le Wisconsin, et aussi au niveau international avec la vague de révoltes qui a balayé l'Afrique du Nord et le Moyen Orient, qui résonne maintenant à travers la Grèce et l'Espagne. Mais ce n'est que lorsque les travailleurs seront en mesure de prendre leur lutte dans leurs propres mains, et qu'ils les arracheront des mains des syndicats, que leur résistance deviendra vraiment efficace.
Internationalism (août 2011)
Nous publions ici une discussion entre les camarades qui se sont impliqués dans l’intervention vis-à-vis des ouvriers en grève de Verizon aux Etats-Unis, certains étant militants du CCI, d’autres des sympathisants. Ils ont travaillé en étroite collaboration dès le début, de l’échange d’idées sur les axes dans l'écriture du tract qui allait être distribué, jusqu’à la diffusion du tract et aux discussions avec les ouvriers en grève, en passant par la réflexion après l’intervention que nous publions ici.
Nous ne soulignerons jamais assez l’importance de la nature collective de ce travail. Il est important pour les sympathisants puisqu’ils acquièrent une expérience « concrète » de comment intervenir réellement dans la lutte de classe dans un cadre collectif qui est le produit de discussions ouvertes. Il est important pour le CCI car il continue à écouter et à s’enrichir de la vision de jeunes – et même de pas si jeunes – générations d’éléments et de groupes en recherche d’une orientation politique, de façons nouvelles et créatives d’aborder différentes questions.
Camarade H : quand nous dénonçons les syndicats, cela peut vraiment être ressenti comme les attaques que livre contre eux l’aile droite de la bourgeoisie. Il peut être difficile pour des gens qui n’ont pas entendu avant les syndicats être attaqués par la gauche, de faire la distinction. En fait, on finit souvent par dire la même chose que l’aile droite (les syndicats vous prennent de l’argent, mais ne font rien pour vous, ils ne font que défendre leurs propres intérêts, etc.). Peut-être, étant donné le rapport entre les classes aux Etats-Unis, devrions nous donc moins insister sur notre attaque contre les syndicats – ou au moins ne pas en faire le cœur de notre intervention – et se concentrer à la place sur le développement des revendications de classe. Bien sûr, les syndicats vont les saboter, mais les travailleurs doivent peut-être apprendre cela au cours de la lutte. Il est possible qu'une dénonciation trop forte des syndicats ne puisse que renforcer la tendance à s’identifier à eux. Les ouvriers n’arrivent pas encore à voir la différence entre les syndicats et eux-mêmes. Quand ils entendent qu'il y a des attaques contre les syndicats, ils pensent qu’ils sont eux-mêmes attaqués. Peut-être qu’il n’y a pas de perspective immédiate aux Etats-Unis de prise en main de leurs luttes par les ouvriers ? En ce sens, Le Wisconsin était peut-être une véritable exception et nous avons vu comment les syndicats ont pris rapidement le contrôle de la situation là-bas. La chose la plus importante n’est-elle pas que les ouvriers soient réellement en train d’essayer de lutter, et nous devrions peut-être nous concentrer sur la volonté de lutter plutôt que sur la dénonciation des syndicats ? Cela ne veut pas dire qu’on donne un blanc-seing aux syndicats, mais on ne devrait pas donner l’impression que notre principal but est de détruire les syndicats.
Camarade A : personnellement, j’ai eu un moment vraiment difficile pour comprendre comment intervenir de façon adéquate, de manière à ce que, d’un côté, cela aide, développe et favorise la conscience de classe et que d’un autre, cela ne soit pas vraiment une dénonciation des syndicats que la grande masse des travailleurs ne comprend pas encore. Je ne sais pas non plus comment les ouvriers peuvent être d’accord pour faire ce qu’on a dit avant sans se poser la question de pourquoi tout cela devrait être fait en dehors du cadre syndical. C’est une énigme à laquelle je suis toujours confronté sur mon lieu de travail, où beaucoup de collègues sont d’accord avec les idées et les propositions, mais finissent toujours par dire quelque chose comme : c’est bien, allons proposer cela aux syndicats… en dernière analyse, les travailleurs ont besoin de sentir qu’ils peuvent faire ce qui précède (développer la lutte, etc.) sans les syndicats. C’est ce sentiment d’impuissance, mais aussi cette reconnaissance d’identité de classe encore inexistante, je pense, que la classe n’a pas encore surmontée et développée. Et cela, comme nous le savons, se produit dans les luttes elles mêmes. Je me demande si le tract n’aurait pas eu un impact tout différent si les trois premiers paragraphes n’avaient pas été là du tout, ou s’ils avaient été écrits à la fin, après avoir présenté ce que les travailleurs pouvaient réellement faire dans de telles circonstances.
Camarade H : tous ces questionnements et ces sentiments sont très justes, Je pense souvent, que notre intervention se réduit à la chose suivante : les ouvriers ont besoin de se rassembler pour décider par eux-mêmes ce qu’il faut faire. Au delà de quelques choses très générales, et de beaucoup sur ce qu’il ne faut pas faire, nous ne pouvons pas réellement par principe dire aux travailleurs ce qu’il faut faire, ou réellement comment lutter, en dehors de quelques leçons de base de l’histoire. C’est réellement une situation difficile pour toute la Gauche communiste. Les ouvriers doivent le trouver par eux-mêmes. En tant que telle, notre intervention apparaît souvent comme négative, c’est-à-dire : « Nous ne savons pas exactement quelle est la réponse mais les syndicats ne l’ont sûrement pas, pourquoi n’allez-vous pas discuter entre vous de ce qu’il faut faire alors que les syndicats ne s’en occupent pas ?» . En même temps, les syndicats semblent avoir des réponses concrètes qui ne se dévoilent être des illusions que très lentement. Cela demandera du temps et de l’expérience pour que les ouvriers brisent l’étreinte du syndicat. En ce moment même, les tentatives absurdes d’éléments de la bourgeoisie de détruire les syndicats ne semblent que renforcer ce mythe syndical. Les syndicats sont capables de jouer la carte de la victimisation. Ce n’est pas le meilleur moment pour faire une intervention qui condamne les syndicats en des termes aussi austères. En Europe ou ailleurs, c’est peut-être une autre histoire. J’entends bien la frustration qu’éprouve A. par rapport à l’accord que les travailleurs semblent donner à quelques uns de nos concepts de base, mais pensent encore qu’ils peuvent les réaliser à travers le syndicat. C’est comme quand vous avez une liste de doléances contre la société et qu’un type quelconque en costume cravate vous dit d’écrire à votre député. C’est comme s’ils ne comprenaient pas que le cadre que vous mettez est fondamentalement différent. De fait, ils ne comprennent pas. Ce n’est que l’expérience qui leur apprendra. Nous ne pouvons réellement qu’espérer avoir semé des germes de doute, le creuset d’un paradigme différent parmi les éléments les plus ouverts et qui pensent à plus long terme, de façon à préparer le terrain pour la prochaine lutte. Nous n’en sommes encore qu’à un tout premier stade du retour à la lutte, un retour qui ne balise que très lentement le terrain de classe.
Camarade J : J’ai énormément apprécié votre aide pour l’intervention. Je pense que j’ai appris beaucoup et j’ai aussi été surprise par l’ouverture à la discussion et encouragée par la solidarité qu’ont montré les autres travailleurs. En même temps, je suis vraiment d’accord avec ce que dit H. Pour le moment, les ouvriers pensent encore en termes « les syndicats se battent pour nous ». Je pense que dix ans d’endoctrinement peuvent éroder ce que les ouvriers ont appris de la dernière grève, surtout quand la majeure partie de la classe ne lutte pas et que, - bien que la solidarité ait été appréciée comme nous l’avons vu – la classe ouvrière a encore peur et reste conservatrice dans toutes ses tentatives de se défendre, et jusqu’à ce qu’il y ait des luttes plus fréquentes, il y a peu de chance probablement que nous convaincrons beaucoup de monde de notre position sur les syndicats, mais nous pouvons sans doute convaincre les ouvriers du fait que :
- la crise ne mène nulle part et il y aura davantage de luttes dans le futur ;
- chaque travailleur mérite de jouer un rôle actif dans ces luttes et de discuter de ce que sont exactement les revendications, et de comment se battre pour elles ;
- d’autres travailleurs sont intéressés par notre lutte et veulent nous aider et on peut donc discuter avec eux aussi ;
- ce que font les syndicats ne marche pas à long terme et ce que nous devons faire avec cette lutte, c’est d’en discuter, en dehors de la boîte, avec d’autres ouvriers, discuter des luttes des autres ouvriers – pour construire une espèce d’identité de classe ;
- ce n’est pas tel ou tel patron mais le système capitaliste tout entier qui attaque, pas seulement les ouvriers de Verizon (ou d’autres) mais la classe ouvrière toute entière et nous devons répondre en nous battant en tant que classe.
Camarade A : il y a un tas de choses que nous pouvons dire aux ouvriers et J. en a cité quelques-unes ici, mais je suis d’accord avec le fait que nous ne devons pas mettre en avant la dénonciation des syndicats quand on va dans les piquets de grèves, dans les marches de protestation ou dans les manifestations et autres formes de lutte. Je ne pense pas que nous devions cacher ou mentir à propos de nos positions, mais ce ne doit pas être la première chose qui sorte de notre bouche. Ce ne devrait pas être en première ligne de notre tract. Je pense que pour la presse, c’est une autre histoire. L’audience est différente. Quand nous intervenons dans un piquet, nous allons vers les ouvriers ; toutefois, quand quelqu’un achète un journal ou prend le temps d’aller sur le site, il prend l’initiative d’en savoir plus sur nos positions. En théorie, notre presse n’est lue que par les éléments les plus avancés de la classe alors qu’un tract est beaucoup plus largement distribué. Je suis d’accord avec J. qu’à ce stade, il est probablement plus important d’intervenir sur la question de la crise, en mettant en avant la perspective marxiste qui dit qu’il n’y a pas de solution à cette pagaille au sein du capitalisme, quoi que que fassent les ouvriers dans les syndicats, ils ne vont pas au-delà de l’horizon des alternatives bourgeoises, qui ne sont en réalité pas du tout des alternatives. Les travailleurs ont besoin de voir que réformer le système n’est pas possible, qu’aucune fraction de la bourgeoisie n’a de réponse : le futur est sinistre sans leur action indépendante. En théorie, la remise en question de l’hégémonie syndicale devrait suivre.
Discussion répercutée par le CCI ( 24 septembre 2011)
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article réalisé par Internationalism, organe de presse du CCI aux Etats-Unis.
A l’heure où, en Europe, tous les médias affirment que la principale cause à la crise de l’Euro est la faiblesse de sa banque centrale, la BCE, que celle-ci devrait copier son homologue américain, la Fed, et émettre elle-même sans limite sa propre monnaie, cet article de nos camarades vivant aux Etats-Unis démontre qu’en réalité, de l’autre côté de l’Atlantique, la même crise économique et la même impuissance de la bourgeoisie à trouver une réelle solution à cette crise, font rage.
Les événements de juillet et août se sont produits à la suite les uns des autres si rapidement que la classe dominante a paru avoir le vertige devant leur vitesse et leur profondeur : la crise du plafond de la dette, la rétrogradation de la note américaine de AAA à AA+ par Standard & Poor's, les hauts et les bas et la volatilité des bourses, les nouvelles de l’insolvabilité de pays comme l’Espagne et l’Italie et le FMI dans une impasse par rapport à ce qu’il faut faire, la fuite de capitaux avec les bons du trésor américain transformés en or. La classe dominante est à court d’argument pour rassurer une classe ouvrière de plus en plus incertaine quant à ses espoirs d’un meilleur futur. Comble de l’infortune, ses options sur comment répondre à une crise économique qui ne fait que s’aggraver se réduisent de plus en plus. Que se passe-t-il ?
La crise du crédit qui a suivi l’éclatement de la bulle immobilière en 2008 a été une menace si sérieuse de blocage de l’activité économique que la bourgeoisie a été obligée de monter des plans de récupération sous la forme de « plan de relance économique » et de consolider l’industrie financière en absorbant les actifs toxiques des banques et de se porter caution. Le petit répit accordé par ces mesures est à la base de la soi-disant « récupération » qui s’est déroulée ces deux dernières années. Du point de vue de la classe ouvrière, comme elle continue à subir le poids de la crise, il est évident qu’il n’y a pas de fin ni de solution à la détérioration de ses conditions de vie et de travail. Comme le capitalisme ne peut plus tirer sur sa corde, et que les mesures employées par la classe dominante pour ralentir les pires effets de la crise s’épuisent, la classe ouvrière ne peut attendre que des attaques encore plus brutales contre elle.
Vendredi 2 septembre, le gouvernement faisait un rapport sur l’embauche alors que le Bureau des Statistiques du Travail publiait des données pour le mois d’août. Le New York Times faisait la Une de l’édition du samedi 3 septembre avec : « zéro job, mauvais signal pour l’économie américaine avec la croissance récente ». Ce qu’on peut réaliser sombrement en lisant les données, c’est que les nouvelles personnes qui rentrent sur le marché du travail ne seront pas intégrées et que les sans- emploi continueront à être au chômage dans un futur prévisible : c’est la première fois que cela arrive depuis les années 1940. Il faut se rappeler que le taux officiel du chômage, stable à 9,1 %, est basé sur le nombre de gens qui ont activement recherché un travail au cours des quatre semaines précédentes. Cela n’inclut pas les ouvriers découragés qui ont laissé tomber la recherche d’un travail, ni ceux qui sont employés à temps partiel mais voudraient travailler à plein temps. En ajoutant tous ceux là, le taux de chômage grimpe immédiatement à 16,1%, et même ce chiffre est une donnée très peu actualisée, parce qu’il recense dans les employés la population non civile qui est intégrée dans l’armée.
Ce qui est aussi vraiment inquiétant, c’est le caractère à long terme du chômage dans la récession actuelle. Les suppressions d’emploi n’ont pas seulement été pires depuis le début de la dernière récession que dans les précédentes, mais cela prend beaucoup plus longtemps pour trouver un travail. La « croissance zéro » qui vient d’être publiée confirme que l’économie est dans un état de mauvaise santé chronique. Si l'on examine la composition de la classe ouvrière aux Etats-Unis, le gros des chômeurs est constitué par la population noire qui subit un chômage de 16,2 à 16,7%, ce qui est encore une confirmation de la maladie chronique du capitalisme, totalement incapable de relever le niveau de vie misérable de secteurs de la population qui ont été historiquement désavantagés. Les ressortissants d'origine latino-américaine suivent avec un taux de chômage de 11,3%. Une autre donnée très parlante est celle qui concerne le chômage des jeunes, qui atteint 25,4%. Dans le contexte d’une impasse économique et où il n’y a pas d’embauche, cela crée des conditions inédites dans lesquelles les parents qui bénéficient encore d’une pension ou de l’aide sociale vont se faire du souci pour la stabilité financière des enfants quand leurs parents partiront à la retraite.
Cette économie continue à perdre des emplois dans le secteur gouvernemental, alors que la manufacture et le commerce de détail, qui avaient bénéficié d’un petit répit l’année dernière, perdent aussi des emplois. Cette tendance va se poursuivre, car le seul secteur où les emplois sont en augmentation est l’agriculture ; or, la saison des récoltes touche à sa fin. Ces données sont assez décourageantes, mais pour les « veinards » qui ont encore un travail, aller au travail devient de plus en plus une activité très semblable à de la torture, avec une oppression, un contrôle et une intensification de l’exploitation intolérables. Les enseignants ont été tout particulièrement accusés et vilipendés du fait de leur salaire « privilégié » et de leurs avantages sociaux, mais leurs conditions de travail se sont particulièrement détériorées depuis le début de la crise. Il n’est pas étonnant qu’on trouve dans les statistiques publiées par le Bureau du Travail que le nombre de démissions est presque équivalent au nombre de licenciements, avec le plus grand nombre de démissions dans le secteur de l’éducation ! Cela amène à penser que les conditions de travail sont tellement exténuantes qu’un travailleur peut choisir la perspective de l’instabilité financière plutôt qu’une pression insupportable au travail ! Confrontés à la réalité de la crise, les économistes bourgeois abaissent maintenant leurs perspectives pour la croissance.
Ces convulsions de l’économie ne sont ni le résultat de la cupidité des entreprises ni de la spéculation boursière, comme on nous l’a dit en 2008, quand elles ont commencé à se manifester. Les causes ne se trouvent pas dans l’imprudence des « consommateurs » qui contractent des dettes qu’ils ne peuvent pas rembourser. Pas plus qu’elles ne sont la cause des querelles incessantes à Washington entre factions de la classe dominante américaine divisée par le dilemme de ce qu’il faut faire face à la plus grave récession de l’histoire des Etats-Unis. Ces facteurs aggravent sûrement la situation, mais plutôt que d’en être la cause, ils sont des symptômes d’un malaise pour lequel la classe dominante n’a aucun remède. Comme nous l’avions écrit dans la Revue Internationale n°133 : « Pendant quatre décennies, …, l'ensemble de l'économie n'a conservé un semblant de fonctionnement que grâce à des politiques capitalistes d'État monétaires et fiscales…. Pendant toutes ces années de crise et d'intervention de l'État pour la gérer, l'économie a accumulé tant de contradictions qu'aujourd'hui, il existe une menace réelle de catastrophe économique ». (Les Etats-Unis, locomotive de l’économie mondiale… vers l’abîme.1 2e trimestre 2008)
La monstrueuse dette publique des Etats, le déficit du budget fédéral, la dette privée nationale, le déficit commercial énorme, sont tous le résultat de l’intervention capitaliste d’Etat au cours des quatre dernières décennies pour maintenir à flot son économie malade. Tout cela a conduit le capitalisme aujourd’hui au point auquel il a dépassé ses possibilités de freiner son endettement. Les multiples contradictions accumulées au cours des quatre dernières décennies ont toutes mûri à la fois et la classe dominante est incapable de s’y confronter avec un projet cohérent. Les plans d’austérité risquent d’affaiblir une économie déjà bien malade, encourager la consommation devient difficile et exacerbe le risque de banqueroute. Pomper de l’argent dans le marché financier – comme la politique de la banque centrale appelée « Quantitative Easing » d’inonder le marché financier avec du liquide via l’achat direct de dettes du Trésor, à hauteur de 600 milliards comme cela a été le cas la dernière fois – va entraîner une dépréciation de la monnaie en circulation et relancer l’inflation. La classe dominante va encore devoir continuer à s’appuyer sur l’appareil d’Etat pour intervenir massivement dans l’économie et administrer le même remède qui est déjà un véritable poison. Mais toutes ces manipulations financières et monétaires ne font que repousser le jour des règlements de compte à un petit peu plus tard. La banque centrale, par exemple, peut commencer à vendre des titres du Trésor des Etats-Unis arrivant prochainement à échéance et à acheter ceux à échéance plus tardive pour tenter d’accroître la demande d’investir dans des actions à plus long terme. De cette manière, leurs prix vont monter et les taux d’intérêt sur ces titres tomber, ce qui fera que les Etats-Unis paieront moins cher pour rembourser leurs dettes. Mais cela ne peut qu’encourager la spéculation sur des actifs encore plus à risque, puisque les investisseurs recherchent les plus gros profits à la Bourse et que les titres du Trésor ne seront pas d’un grand rapport.
On trouve aussi un exemple de l’incohérence croissante de la classe dominante américaine dans le discours du président de la Banque centrale, Ben Bernanke, le 26 août à Jackson Hole, dans le Wyoming, quand il a dit que l’état actuel de l’économie ne s’est pas détérioré au point d’avoir un troisième tour du « Quantitative Easing ». Quelques jours plus tard, les statistiques produites par le Bureau du Travail allaient de nouveau accroître la pression sur le capitalisme américain pour qu’il actionne davantage la planche à billets. Mais celà ne va pas guérir le patient en phase terminale, le capitalisme dans les affres de la mort. Pourquoi ?
Comme nous l’avions écrit dans la Revue Internationale n°144 : « Le apitalisme souffre par nature d'un manque de débouchés car l'exploitation de la force de travail de la classe ouvrière aboutit forcément à la création d'une valeur plus grande que la somme des salaires versés, vu que la classe ouvrière consomme beaucoup moins que ce qu'elle a produit. »2 (Face à la crise capitaliste, il n'existe aucune voie de sortie, 1er trimestre 2011). Les travailleurs et les capitalistes ne peuvent constituer un marché suffisant pour redémarrer le processus de production capitaliste. Or, il faut un marché pour valoriser la part de plus-value extraite de l’exploitation de la classe ouvrière et destinée à la reproduction du capital. La valeur d’échange entre capitalistes perd de vue le fait que le capital doit augmenter, pas consommer, sa plus-value. Pour les ouvriers qui représentent un marché solvable, la contradiction la plus puissante – et mortelle – du capitalisme tient en ce la lutte du capital contre la tendance à la baisse du taux de profit, résultat de la concurrence, pousse vers l’amélioration de la technologie, remplaçant ainsi des ouvriers et augmentant la productivité sans élévation correspondante des salaires. Il en résulte une contraction de la demande, puisque la capacité de consommation des ouvriers est de plus en plus réduite. Les discours actuels sur la consommation anémique, le manque d’investissements, la baisse de la productivité, sont l’expression de cette contradiction fondamentale du capitalisme. Dans ces conditions, le capitalisme ne peut pas et ne peut avoir de solution à sa crise. En opprimant et en imposant des plans d’austérité brutaux contre la classe ouvrière, la bourgeoisie risque de hâter le moment où les ouvriers du monde entier s’affronteront directement au capitalisme et le relégueront aux poubelles de l’histoire.
Ana (4 septembre)
1 https://en.internationalism.org/ir/133/editorial [259]
2 https://en.internationalism.org/ir/144/economic-crisis [260]
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article d'Internationalismo, organe de presse du CCI au Venezuela.
Soumettre les ouvriers de Guayana1 à des conditions de vie précaires est devenu une priorité pour la bourgeoisie nationale et plus particulièrement pour sa fraction chaviste au pouvoir, tel que cela a déjà été fait avec les travailleurs de l’industrie pétrolière. Il en est ainsi parce que la réduction des coûts, surtout de la main-d’œuvre dans les industries de base de la région, celles du fer, de l’acier, de l’aluminium, etc., est une nécessité impérative pour affronter la concurrence internationale, à cause de l’aggravation de la crise du système capitaliste.
Pour atteindre cet objectif, les ouvriers de la province de Guayana, à l’instar de ce qui est arrivé aux ouvriers de l’industrie pétrolière, ont été soumis à une campagne où ils ont été accusés de faire partie d’une « aristocratie ouvrière » qui gagne des salaires et des primes que l’industrie ne peut plus payer sous peine d’être acculée à la faillite. Le chemin proposé est celui de du nivellement par le bas, c'est-à-dire, la baisse brutale des salaires et des primes, comme ce fut le cas là aussi pour les travailleurs du pétrole.
Cependant, avec les ouvriers de Guayana, la bourgeoisie, en ce qui concerne la lutte, a face à elle un problème autrement plus aigü : le risque pour la bourgeoisie est bien plus grand à cause de leur grande concentration et de leurs traditions de lutte, d’ailleurs menée souvent contre l’État. La vaste concentration d’activités industrielles, de service et commerciales en lien avec ce grand conglomérat industriel, renforce d’autant la puissance de la riposte de la classe ouvrière contre les attaques à ses conditions de vie.2
L’État vénézuélien a échafaudé la stratégie dite « Plan Guayana Socialiste », réalisant ainsi le slogan trotskiste du « contrôle ouvrier de la production ». Ce faisant, l’État a voulu convaincre les travailleurs que c’est eux-mêmes qui contrôleraient la production, et que, par conséquent, le renforcement des industries dépendrait de leurs efforts et de leurs sacrifices. Ils ne devaient donc dorénavant plus faire grève puisque l'industrie se trouve, selon la propagande officielle, entre leurs propres mains. La défense de ce Plan représenterait un pas vers le « Socialisme du 21e Siècle », autrement dit le « grand truc » manipulé par Chavez et sa coterie.
Il est bon de rappeler que ce Plan a été précédé de l’échec d’un autre plan pour développer la cogestion chez ALCASA, entreprise étatique de fabrication d’aluminium. L’objectif de ce plan, dirigé par le sociologue Carlos Lanz Rodriguez, était de faire croire aux travailleurs :
que l’État dirigé par Chavez mène une « politique orientée vers le socialisme ». Déjà par rapport à un tel « cap », les travailleurs de Guayana avaient flairé qu'un tel « socialisme » n’était pas très différent du contrôle que l’État capitaliste exerçait lors des gouvernements précédents.
que cogestion signifie « changement dans les rapports de production ». Le seul « changement » qui s’est produit, c’est que les ouvriers devaient se laisser « auto-exploiter » pour consolider la gestion de l’Etat-patron capitaliste,
que « justice serait faite » en ce qui concerne les rapports salariaux. Nous savons très bien que la seule chose que ce régime ait mené à bien, c’est l’accroissement de la précarisation de la force de travail,
enfin, qu’on accomplirait la réalisation d’une « humanisation de la journée de travail et la réduction du temps de travail, contre la division du travail et le despotisme dans l’usine ». Pour ce qui est de l’humanisation, cil s'agit d'un cocktail d’emprisonnements, d’accusations devant les tribunaux, de gaz lacrymogènes, de coups de feu, de morts et de blessés ; et, pour couronner le tout, maintenant, c'est le vaste déploiement de bandes armées, de sicaires essayant de terroriser les ouvriers.
Ce plan est un échec parce qu'en général, les travailleurs, devant les résultats désastreux pour leurs intérêts, n’ont pas gobé les belles paroles avec lesquelles Carlos Lanz voulait introduire le poison de la soumission à l’État capitaliste au sein des ouvriers et le renoncement à leurs revendications. Et c’est ainsi que la résistance des travailleurs de l’aluminium a réussi à briser la vitrine que l’État vénézuélien avait soigneusement installée pour montrer les magnificences de son « Socialisme du 21e siècle » aux autres travailleurs du pays.
Le nouveau « Plan Guayana Socialiste », qui consiste fondamentalement à :
Essayer de convaincre les ouvriers, encore une fois, du fait que les entreprises seraient sous leur contrôle et que leur exploitation va disparaître.
Faire payer à l’ensemble de la classe ouvrière de Guayana la grave situation financière et la détérioration des infrastructures des industries de base, ce qui veut dire qu’on exige des sacrifices pour restaurer leur compétitivité ; autrement dit, qu’il faut accepter une dégradation des conditions de vie.
Et, par conséquent, les ouvriers devraient renoncer à lutter pour leurs revendications.
Ce plan a été présenté comme le résultat de la participation de quelque « 600 travailleurs représentants de la classe ouvrière de Guayana » à des « tables rondes de travail » dirigées par les actuels « travailleurs-directeurs » des entreprises de base, Elio Sayago et Rada Gameluch, entre autres. Ce groupe de travailleurs, choisis entre ceux qui avaient participé à un stage d’endoctrinement sur le « Socialisme du 21e Siècle » et sur le « développement endogène » y ont été aussi convaincus du fait qu’il fallait combattre ceux qui s’opposent à ce Plan parce qu’ils feraient partie de « l’aristocratie ouvrière ».
Par la suite, on a essayé de mystifier les travailleurs en les polarisant entre ceux qui soutiennent les syndicats, quelle que soit leur tendance (même le syndicat du parti officiel chaviste, le Parti Socialiste Uni de Venezuela), et ceux qui soutiennent le prétendu « contrôle ouvrier ».
L’État fait feu de tout bois pour créer des divisions au sein des travailleurs. En créant, en premier lieu, une polarisation entre les dirigeants défendus par les syndicats et les représentants du soi-disant « contrôle ouvrier ». Et aussi, entre les travailleurs qui feraient partie de la supposée « aristocratie ouvrière », qui ne défendraient que leurs « intérêts égoïstes », qui ne chercheraient « qu’à préserver ou améliorer leur salaire » et, de l’autre coté, ceux qui encouragent les travailleurs à se joindre aux défenseurs de la patrie, à ceux qui défendent les nationalisations comme une étape décisive vers le « Socialisme du 21e Siècle », à ceux qui ne sont pas égoïstes et qui se sacrifient pour « la patrie de Bolivar ».
Dernièrement, l’État a déployé une armada constituéel de bandes armées, de mafias et d'hommes de main les plus divers pour semer la terreur au sein des travailleurs. Ceci est la conséquence du fait que les pressions judiciaires sur les travailleurs envoyés devant les tribunaux, n’ont pas suffi pour que les ouvriers cessent leurs actions en défense de leurs intérêts, mais c’est plutôt le contraire qui s’est produit. L'inefficacité de ce qu’on appelle la « criminalisation de la protestation » a été mise en évidence lorsque l’État a été obligé de libérer certains détenus pour amadouer la colère des ouvriers, une colère qui a amené des syndicats et des syndicalistes pro-gouvernementaux, surtout ceux du courant de Maspero (dirigent syndicaliste « officiel »), à soutenir la lutte pour la libération du dirigeant syndical Ruben González, favorable pourtant au « processus », emprisonné pendant quelques mois. L’État a voulu aussi, avec cette mesure, montrer son visage « ouvriériste » et cacher son penchant vers la « dictature totalitaire ».
Cette action a eu comme effet celui de redorer le blason de certains syndicats qui peuvent ainsi mieux exercer leur contrôle sur la classe ouvrière, en essayant, surtout, de tenir celle-ci enfermée dans le corset corporatiste, dans une lutte pour le défense de telle ou telle clause des conventions collectives ou dans la lutte contre la corruption, dont la puanteur délétère rend insupportable l’atmosphère dans le travail.
Par ailleurs, il y a la volonté de piéger les ouvriers dans les luttes intestines entre les mafias syndicales et celles qui défendent le dit « contrôle ouvrier », qui à leur tour font partie des différentes camarillas du pouvoir autour du gouverneur de la province de Bolivar [où se trouve l’agglomération Ciudad-Guayana], les maires, les militaires et des secteurs du capital privé, qui y mènent tous leurs juteuses petites affaires, contribuant ainsi à l’écroulement des industries de base, expression de la décomposition régnante dans tous les secteurs et dans tous les coins du pays.
Pour les représentants de l’État, qu’ils s’appellent gouverneur, maire, ministre, directeur d’entreprise, syndicaliste, le mot d’ordre parait être : « si tu ne peux pas les convaincre, mystifie-les ». Cependant, là où se concrétise l’intervention des représentants de différents organismes de l’Etat, en défense de leurs intérêts personnels ou pour le compte de leurs mafias, que ce soit par la répression directe ou par le biais de tueurs, c’est le chaos sanglant qu’est devenue, sous le capitalisme en décomposition, la forme des rapports que le patronat entretient avec les ouvriers.
Pour les minorités révolutionnaires, il s’agit de montrer le chemin vers la prise de conscience de la classe ouvrière. En premier lieu, contre le chantage qui consiste à dire que les ouvriers qui luttent contre la réduction de leurs salaires ou la perte de leurs primes feraient partie d’une aristocratie sans conscience de classe. Nous devons y opposer, d’un coté, que la lutte pour les revendications immédiates fait partie du processus de prise de conscience du prolétariat. Par ce biais, la classe s’unifie, elle réussit à bien définir quel est son ennemi de classe, que celui-ci soit un patron privé ou l'État-patron, elle réalise quel est son rôle dans la société en tant que seule classe capable de mettre fin au chaos capitaliste. D’un autre coté, il n’agit pas en vérité, de lutter pour un « salaire juste » -c’est l’État qui détermine en réalité cette « justesse »-, mais de lutter contre le salariat qui est l’essence même du système dexploitation capitaliste.
Si la poudrière prolétarienne qui existe au Guayana n’a pas encore explosé, cela est dû en grande partie à la polarisation et à la confusion des propositions de toutes sortes faites par les différents « représentants » syndicaux ou professionnels de l’État, chacun défendant son fief, s'efforçant chacun par tous les moyens que les discussions au sein des assemblées servent à annuler toute action que le prolétariat uni devra prendre pour en finir avec le chaos qui règne dans la région. Nous devrons, en conséquence, reconquérir les discussions dans les assemblées et mettre en avant, avant toute chose, l’unification nécessaire des luttes.
La classe ouvrière de Guayana n’a pas cessé de lutter. Il arrive souvent que devant l'entrée principale de l’une des grandes entreprises, une assemblée soit organisée pour riposter face à telle ou telle attaque contre les conditions de vie imposées. Et il est souvent arrivé que ces assemblées sont parvenues à neutraliser les attaques du pouvoir, lequel essaye par tous les moyens d’opposer les intérêts « de la collectivité » aux luttes ouvrières, comme ce fut le cas lorsqu’on a envoyé les « conseils communaux » contre les assemblées.
Le surgissement de minorités au sein de la classe ouvrière qui tentent de renouer le fil du mouvement historique de la classe se renforce avec la persévérance et l’amplitude des luttes. Ces minorités luttent contre une vision déformée du socialisme, non seulement sous sa version trotskiste et leur soutien critique au chavisme, mais aussi sous sa version ultraréactionnaire du « Socialisme du 21e siècle », ornement d’un nationalisme exacerbé, enrobé de haine anti-yankee et d’un fondamentalisme quasi-religieux qui se concrétise dans ce « Socialisme bolivarien ».
Les nouvelles générations ouvrières de Guayana essayent de mener leur propre expérience de lutte et d’apprendre des générations précédentes d’ouvriers de la région, qui affrontèrent avec détermination l’État pendant les années 60 et 70 du siècle dernier. Malgré les entraves que la bourgeoisie met en travers des ouvriers de Guayana, ceux-ci sont en train de montrer aux autres ouvriers qu’ils sont aussi déterminés à mener la bataille contre le capitalisme chaviste derrière le masque du « socialisme » avec lequel il se camoufle.
Internacionalismo (juillet 2011)
1 L’agglomération industrielle de Ciudad-Guayana est située dans la province de Bolivar au Venezuela, sur l’Orénoque, avec une population proche du million d’habitants dont une grande partie est formée de familles ouvrières.
2 Lire « ‘Guayana est une poudrière’ : le prolétariat à la recherche de son identité de classe à travers la lutte [261] », (mai 2010)
Le dimanche 16 octobre 2011, vers 19h, alors même que les chances de victoire de sa pouliche Martine Aubry étaient déjà définitivement enterrées, Bertrand Delanoë, maire socialiste de Paris déclarait à la presse : “Ces primaires sont une victoire pour la démocratie.” Evidemment, cette petite phrase cache une réelle déception par ce que les professionnels de la communication appellent un « discours positif ». Mais pas seulement. Il y a derrière ces quelques mots désabusés, une vérité fondamentale dont leur auteur n'a sans doute pas bien mesuré l'importance.
A quoi ont servi les primaires, finalement ? A unir le PS ? On en doute, et nos doutes risquent fort de s'envoler très vite, sitôt les embrassades de ce dimanche oubliées. A moderniser l'image du PS ? C'est sûrement vrai même si ce n'est là qu'affaire de paillettes. A montrer la diversité existant au sein du PS ? Sûrement pas : après tout le parti n'a pas attendu les primaires pour voter son programme, censé être donc repris par tous.
Alors à quoi ont servi ces débats soporifiques, cette organisation gigantesque, ces millions de pièces de un euro versés par les « citoyens électeurs » ? A la base, à désigner le candidat qui représentera le PS aux présidentielles. Mais bien au-delà, les primaires ont aussi servi, tout comme aux Etats-Unis par exemple où le système existe depuis longtemps pour les deux grands partis de pouvoir, à remettre une couche, toute fraîche et brillante, à la mystification démocratique. Ce n’est d‘ailleurs pas tant l’intérêt pour les idées d’un PS qui n’a rien à dire que ce souffle démocratique est venu presque faire la pige à la coupe du monde de rugby, mais la mobilisation de près de trois millions de personnes exaspérées par Sarkozy et dont la perspective essentielle est de ne plus le voir à la tête du pays.
Mais cela, c'est en définitive au service de toute la classe bourgeoise. C'est bien pour cela que la droite a patiemment et sagement attendu la proclamation des résultats avant de sortir ses armes lourdes et entrer en campagne. L'UMP avait-elle à ce point besoin de connaître l'identité de son adversaire pour s'adonner, comme elle l'a fait deux jours après, à la démolition en règle du programme socialiste, particulièrement sur la question économique où Hollande ne brille certainement pas plus que les autres par l’innovation ou le scoop qui viendrait renverser la vapeur de l’enfoncement inéluctable dans la crise ? Comme on vient de le dire, le programme socialiste est connu depuis longtemps. Qu'il y ait des nuances entre François Hollande et Martine Aubry, certes, on veut bien l'admettre. Mais c’est le programme d’un parti de la bourgeoisie, qui ne pourra faire de toutes façons qu’une politique d’austérité, emballée sous forme de cadeau aux ouvriers, comme à l’époque où Martine Aubry faisait avaler la réforme sur les 35 heures comme une avancée sociale sans précédent. On connaît la suite : aux embauches promises ont succédé des cadences de travail de plus en plus exténuantes et des licenciements massifs, une précarisation généralisée et des suppressions de postes tous azimuts.
Si la droite a laissé se dérouler les primaires sans intervenir autrement que par de molles critiques, voire au contraire des réflexions sur l'intérêt de procéder de même dans son camp, c'est parce qu'en sa qualité de fraction bourgeoise responsable, elle avait tout intérêt à ce que la classe ouvrière se retrouve embringuée en partie dans ces primaires socialistes et surtout focalisant l’attention sur le suspense de leurs résultats de façon à donner du grain à moudre à l’idée qu’il faudra se mobiliser dans les présidentielles de 12012. Le discours plus « radical », anti-pouvoir des banques et altermondialiste (ou « démondialiste » comme il l’a rebaptisé) de Montebourg comme sa rhétorique sur la nécessité dune opération « mains propres » et des 17% des voix du premier tour qui en a fait l’arbitre le plus courtisé. L'idée même que des primaires apportent un surcroît de pouvoir au « peuple » en maîtrisant une étape supplémentaire en amont du processus électoral, ont permis de ramener vers les urnes et de ranimer surtout les illusions d’un électorat de gauche qui se lassait de l’image de corruption donné par l’ensemble de la classe politique et des querelles internes entre les éléphants du parti social-démocrate. La publicité tapageuse des médias pour ces « primaires » pendant un mois où elles ont servi d’écran de fumée pour masquer les attaques s’est révélée très intéressante pour toute la bourgeoisie : elle a permis d’occuper la scène plus tôt sur le terrain électoral et elle redore le blason d'une démocratie passablement terni, même cl'argument de l'alternance : alors même que de plus en plus d'électeurs doutent , à juste titre de la pertinence du choix entre droite et gauche, la bourgeoisie cherche à lui faire croire que, non, en dépit de l’évidence, tout n’est pas joué d’avance et que c'est à lui de choisir !
Maintenant, suite au battage médiatique des primaires, et à son réel succès, l’anti-Sarkozysme a pris une meilleure consistance et va pouvoir tenir le haut du pavé jusqu’en mai prochain. L'occupation du terrain médiatique par la campagne présidentielle permettra de détourner au mieux les consciences ouvrières de la réalité catastrophique de la situation qui amènera le pouvoir, qu'il soit de droite ou de gauche, porté désormais par Hollande, à taper toujours et encore plus fort sur la force de travail. Hollande l'a dit lors de la campagne des primaires : « Je vais redresser la situation mais ça va être dur. » S'il est élu, on peut lui faire confiance pour qu’il ne redresse rien du tout mais pour qu’il tienne la seconde partie de sa promesse. En résumé, que le PS revienne ou pas au gouvernement, on a vu qu’il restait plus que jamais un fidèle serviteur du capitalisme et un des ses meilleurs propagandistes.
GD (19 octobre)
Nous publions ci-dessous une contribution de l’anthropologue Chris Knight sur la relation entre marxisme et science. Chris a été invité au 19e congrès du CCI, qui s’est tenu en mai, afin de participer au débat sur ce même sujet, que nous avons développé au sein de l’organisation depuis quelque temps. Ce débat s’est exprimé dans des articles sur Freud, Darwin, et également sur les propres théories de Chris concernant les origines de la culture humaine ; par la même occasion, nous avons l’intention de publier certains des textes internes qui ont été écrits pour ouvrir plus avant ce débatre objectif dans ce débat, qui a découlé logiquement de discussions antérieures sur l’éthique, la nature humaine et le communisme primitif, n’est pas d’arriver à une simple vision homogène du lien entre le marxisme et la science, ou de faire adhérer à une théorie psychologique ou anthropologique particulière équivalente à un des points de notre plateforme. Pas plus que notre intérêt en engageant des discussions avec des scientifiques comme Chris Night, ou Jean-Louis Dessalles qui s’est exprimé lors de notre précédent congrès, n’exige que nous partagions avec eux un niveau important d’accord avec les positions politiques que notre organisation défend. Nous recherchons plutôt à continuer une tradition du mouvement ouvrier qui consiste à être ouvert à tous les authentiques développements de la recherche scientifique, particulièrement ceux qui concernent les origines et l’évolution de la société humaine. C’est ce qui a essentiellement motivé l’enthousiasme de Marx et d’Engels par rapport aux théories de Charles Darwin et de LH Morgan, comme la reconnaissance de Trotski sur l’importance des idées de Freud, etc. Et malgré la décadence du capitalisme et l’impact profondément négatif qu’elle a eu sur les avancées et l’utilisation de la science, la pensée scientifique n’a cependant pas connu un arrêt complet au siècle dernier et depuis.
Pendant le congrès lui-même, tout en prenant part à la discussion général sur marxisme et science, Chris a aussi fait une présentation succincte mais extrêmement bien argumentée des théories anthropologiques qu’il a élaborées dans son livre Blood relations sur les origins de la culture et d’autres travaux. Cette présentation et la discussion qui s’en sont suivies ont apporté une démonstration concrète que la recherche scientifique fructueuse et la réflexion sur les origines de l’humanité et la réalité du « communisme originel » continuent d'être d'actualité.
Le texte qui suit n’est pas directement sur l‘anthropologie, mais sur la relation plus générale qu’il y a entre le marxisme et la science. Il offre une démarche pour appréhender la relation entre les deux qui est fondamentalement révolutionnaire, affirmant l’internationalisme essentiel de la vraie science, la façon dialectique dont elle avance, et son opposition nécessaire à toutes les formes d’idéologie. Nous invitons nos lecteurs à se servir de notre forum de discussion sur le site web pour nous envoyer leurs réactions sur ce texte de Chris Knight, comme sur ses théories anthropologiques. Chris a dit qu’il serait très désireux de prendre part à toute discussion que ses contributions auraient pu générer sur ce site.
CCI (Juin 2011)
“La science”, selon Trotski, “est la connaissance qui nous donne le pouvoir".1 Dans les sciences naturelles, poursuit-il, la recherche a été dirigée vers la maîtrise des forces et des processus de la nature. L’astronomie a rendu possible les premiers calendriers, les prédictions des éclipses, la navigation marine précise. Le développement de la science médicale a permis une liberté grandissante par rapport et pour la conquête de la maladie. Les avancées de la physique, de la chimie et des autres sciences naturelles ont fourni aujourd’hui à l’humanité un immense pouvoir pour exploiter les forces naturelles de toutes sortes et ont hautement transformé le monde dans lequel nous vivons.
Potentiellement, au moins, la puissance qui en résulte nous appartient à tous – l’espèce humaine entière. La science est l’auto-connaissance et la force de l’humanité à cette étape de notre évolution sur cette planète – et pas simplement la puissance politique d’un seul groupe d’êtres humains sur d’autres. Pour Trotski, comme pour Marx avant lui, c’est cet internationalisme intrinsèque de la science – la nature globale, à l’échelle de l’espèce, qu’elle représente – qui est sa force, et qui distingue la science des formes simplement locales, nationales, territoriales, ou basées sur les classes (c’est-à-dire religieuses, politiques, etc.) des formes de conscience. Les idéologies n’expriment que le pouvoir de certaines parties de la société ; la science appartient à l’espèce humaine en tant que telle.
Dans cette mesure, la science sociale a toujours été un paradoxe : d’un côté, prétendument scientifique, de l’autre, fondée par la bourgeoisie dans l’espoir de conforter son contrôle politique et social. Même le développement de la science naturelle elle-même – bien qu’intrinsèquement internationale et d’une valeur pour l’humanité – a nécessairement prit place dans ce contexte social limité et limitant. Elle a toujours été déchirée entre ces deux exigences en conflit – entre les besoins humains d’un côté et ceux des corporations, des intérêts financiers et des élites dirigeantes de l’autre.
Les intérêts particuliers et les intérêts de l’espèce – la science a toujours oscillé entre ces forces en conflit. Entre les deux extrêmes, les différentes formes de connaissance ont formé un continuum. A un extrême, il y a eu les sciences moins directement concernées par les problèmes sociaux – les mathématiques, l’astronomie et la physique, par exemple. A l’autre, on a vu des champs tels que l’histoire, la politique et la sociologie (relativement récemment) – des champs où les implications sociales ont été immédiates et directes. Plus les implications sociales d’un champ ont été directes, et plus directes et inévitables ont été les pressions politiques sur celui-ci. Et, là où de telles pressions ont prévalu, la connaissance a été distordue et déviée de son cours.
Le marxisme est-il une idéologie ? Ou est-il une science ? Dans une attaque virulente lancée au plus fort de la guerre froide, Karl Wittfogel – auteur du Despotisme oriental – dénonçait Marx comme un idéologue. Il concédait que Marx aurait rejeté avec indignation cette description de lui-même, et aurait été outragé de l’utilisation de ses travaux par Staline et ses successeurs. Les autorités soviétiques, écrivait Wittfogel en 1953, ont toujours cité le concept de Lénine de « partisanship » (partiinost, ou le fait de 'prendre parti pour', NDT) pour justifier le fait de « tordre » la science – même au point de falsifier les données – afin de la rendre plus adaptée à l’utilisation politique. Cette idée « d’utilité » ou de « manipulation » semblait découler naturellement, selon Wittfogel, des prémisses initiaux de Marx selon lesquels toute connaissance était socialement conditionnée – produites par les classes sociales uniquement pour convenir à leurs besoins politiques et économiques. Pour les autorités soviétiques, la vérité scientifique était toujours quelque chose à manipuler à des fins politiques. Mais Wittfogel continue : “Marx, cependant, n’avait pas cette vision. Non seulement il a souligné qu'un membre d'une classe donnée pourrait adopter des idées contraires à ses intérêts de classe – ce que Lénine et ceux qui le suivent ne nient pas – il exigeait également qu'un véritable savant soit orienté vers les intérêts de l'humanité dans son ensemble et qu'il cherche la vérité en accord avec les besoins immanents de la science, peu importe la manière dont cela pourrait toucher le sort d'une classe particulière, que ce soit la bourgeoisie, les propriétaires fonciers, ou la classe ouvrière. Marx a loué Ricardo parce qu'il adoptait cette attitude, qu'il disait 'non seulement scientifiquement honnête, mais exigée par la science'. Pour la même raison, il considérait comme 'mesquin' une personne qui subordonnait l'objectivité scientifique à des buts étrangers : 'celui qui essaie d'accommoder la science à un point de vue qui n'est pas dérivé des intérêts de la science elle-même, aussi erronés soient-ils, mais des intérêts étrangers, extérieurs, je l'appelle mesquin (gemein)'.
Marx était parfaitement cohérent quand il décrivait le refus d'accommoder la science aux intérêts d'une classe – y compris de la classe ouvrière – comme 'stoïque, objectif, scientifique'. Et il était tout aussi cohérent quand il condamnait le comportement inverse comme un 'pêché contre la science'.
Ce sont des paroles fortes. Elles montrent un Marx déterminé de maintenir la fière tradition qui a caractérisé l'érudition de toute époque. Il est vrai que l'auteur du Capital n'était pas toujours – et surtout dans ses écrits politiques – à la hauteur de ses principes scientifiques. Son attitude reste néanmoins fort significatif. Les supporters de la science 'partisane' ne peut guère être condamnés pour le fait d'ignorer une objectivité scientifique dont ils se moquent. Mais on peut légitimement critiquer Marx lorsqu'il viole ces principes, puisqu'il y adhère sans réserves."
Karl Marx, écrit Wittfogel, a joué deux rôles mutuellement incompatibles. Il fut un grand scientifique, mais il était aussi un révolutionnaire politique. Il a soutenu – comme chaque scientifique doit le faire – « les intérêts de l’humanité dans son ensemble », mais il a aussi soutenu la classe ouvrière internationale. L’incompatibilité évidente (selon Wittfogel) de ces deux activités a signifié que « les propres théories de Marx … sont, sur certains points décisifs, affectées par ce qu’il a appelé lui-même des 'intérêts accessoires' ».2
Wittfogel est cité par l’anthropologue social Marvin Harris, dont la vision sur ce problème semble être tout à fait similaire. Harris oppose le composant « scientifique » du marxisme et son aspect « dialectique et révolutionnaire », son but étant de rendre le premier utilisable en le décontaminant de toute trace du dernier. Selon Harris, « Marx lui-même a pris la peine d’élever la responsabilité scientifique au-dessus des intérêts de classe ». Mais ceci n’était que dans son travail scientifique. La plupart des travaux de Marx étaient politiques, et là, la science était subordonnée aux fins politiques – et donc mal utilisés. Si la science est défendue pour des raisons politiques, ceci doit conduire à la trahison de la propre objectivité de la science et de ses buts, dit Harris : « Si la question est de changer le monde, plutôt que de l’interpréter, le sociologue marxiste ne doit pas hésiter à falsifier les faits afin de le rendre plus utile. »3
L'idée de Wittfogel que Marx essaie de baser sa science sur “les intérêts de l’humanité dans son ensemble » a de la valeur. On peut aussi être d’accord avec Harris sur le fait que Marx « a pris la peine d’élever la responsabilité scientifique au-dessus des intérêts de classe » - si par « intérêts de classe » on veut dire les intérêts particuliers, opposés à l’humain universel. Mais la difficulté se tient précisément ici. Comme Einstein, et comme tous les grands scientifiques de tous les âges, Marx croyait que c’était sa responsabilité en tant que scientifique de mettre les intérêts généraux de l’humanité avant les intérêts particuliers. La question à laquelle il a dû faire face est celle à laquelle nous nous confrontons aujourd’hui : sous quelle forme concrète, dans le monde moderne, s’expriment les intérêts généraux ?
Marx est venu à la conclusion, sur la base de ses études scientifiques, que les intérêts généraux de l’humanité n’étaient pas représentés par les différentes classes dominantes du 19e siècle en Europe. Ces intérêts n’étaient pas seulement en conflit les uns avec les autres, mais aussi avec ceux de l’espèce humaine en tant que telle. Ils ne pouvaient donc pas former la base sociale pour une science sociale authentiquement objective. La faiblesse de la position à la fois de Wittfogel et de Harris est qu’ils n’ont rien à dire sur la question. Ils se trouvent dans la position étrange à la fois d’être d’accord avec les prémisses de base de Marx et tout en refusant même de discuter la possibilité que ses conclusions puissent être correctes. Ils sont pleinement d’accord avec le fait que la science doive se baser sur les intérêts généraux de l’humanité. Marx, se fondant sur cette idée, est arrivé aux conclusions (a) que la science était elle-même politiquement révolutionnaire dans la mesure où elle était authentiquement fidèle à elle-même et universelle ; (b) que c’était de cette sorte de « politique » (c’est-à-dire la politique de la science elle-même) dont le mouvement révolutionnaire moderne avait besoin ; et (c) que la seule base sociale possible pour une telle politique inspirée par la science était la seule classe dans la société qui était elle-même un produit de la science, qui était déjà aussi intrinsèquement internationale que le développement scientifique et dont les intérêts contraient tous les intérêts particuliers existants. Mais ni Wittfogel ni Harris n’ont pu opposer un argument sur cette question. Ils ont simplement posé comme une évidence que les intérêts de l’humanité sont une chose, et que les intérêts de classe en sont une autre.
Karl Marx savait – et chaque marxiste digne de ce nom le sait – qu’il n’est pas valable de s’associer à une force sociale sans qu’elle représente authentiquement de par sa propre existence les intérêts plus larges de l’humanité. Et tout marxiste digne de ce nom sait que ce n’est qu’une vraie science – les réelles découvertes des scientifiques travaillant indépendamment et pour les fins propres autonomes de la science - qui peut être utilisée par l’humanité comme un moyen de son auto-clarification et son auto-émancipation. Partant de ce point de départ, on peut voir l’absurdité de l’argument de Harris selon lequel si le problème est de changer le monde le sociologue marxiste « ne doit pas hésiter à falsifier les données afin de les rendre plus utiles ». Comment peut être « falsifié une donnée » de façon qu’elle convienne à l’humanité ? Comment cela peut-il être utile à quiconque est intéressé à changer le monde ?
Harris a raison d’insister sur le fait que lorsqu’un intérêt particulier – qu’il soit « marxiste » ou pas – prend le pas sur le travail scientifique, la science elle-même en souffrira. Un parti national particulier et donc limité politiquement ou un groupe particulier dirigeant un Etat particulier (comme, par exemple, la bureaucratie soviétique et l’appareil « communiste » pendant la Guerre Froide) peut très bien se sentir avoir des intérêts particuliers, qui vont au-delà des intérêts plus larges qu’il prétend représenter. Dans ce cas, tant que les scientifiques y sont impliqués, la science sera certainement distordue. Mais une distorsion de la science (c’est-à-dire sa transformation partiale en idéologie) ne peut qu’impliquer une limitation à long terme de son appel ultime à l’utilité envers l’humanité. Aussi, là où de telles choses se sont passées, le groupe particulier concerné a réduit bien plus que renforcé son pouvoir de « changer le monde ».
Toutes les distorsions, les falsifications ou les mystifications n’expriment que le pouvoir d’intérêts sociaux particuliers en opposition à d’autres plus larges. Marx n’a à aucun moment retaillé la science pour convenir aux besoins de tel ou tel autre intérêt particulier – que ce soit la classe ouvrière ou pas : « Le problème n’est pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat dans son ensemble, conçoit comme ses buts à un moment particulier. La question est de savoir ce qu’est le prolétariat, et de ce qu’il doit accomplir historiquement en accord avec sa nature »4
Pour Marx, savoir “ce qu’est le prolétariat” a constitué une question scientifique, qui ne peut trouver une réponse scientifique qu’en complète indépendance de tout intérêt ou de toute pression politique immédiats. Loin de subordonner la science à la politique, Marx insistait sur la subordination de la politique à la science.
Engels écrit : “…plus la science procède avec intransigeance et sans préventions, plus elle se trouve en accord avec les intérêts et les aspirations de la classe ouvrière. »5
On peut être confiant du fait que cette citation exprime exactement les propres vues de Marx. La science, comme forme de connaissance de l’humanité, universelle, internationale, unifiant l’espèce, devait venir en premier. Si elle a dû s’enraciner dans les intérêts de la classe ouvrière, c’était seulement dans le sens que toute science doit s’enraciner dans les intérêts de l’espèce humaine dans son ensemble, la classe ouvrière internationale englobant ses intérêts dans l’époque moderne tout comme les exigences de la production ont toujours englobé ces intérêts dans les périodes précédentes.
Il n’était pas question ici d’une quelconque subordination à des besoins particuliers. En se plaçant en premier, la science était destinée à briser les divisions sectorielles et à devenir le moyen d’expression d’une nouvelle forme de conscience politique. En ce sens, la science a même été destinée à créer « le classe ouvrière internationale » elle-même. Sans la science, il ne peut y avoir que des mouvements sectoriels de la classe ouvrière ; ce n’est qu’à travers l’analyse scientifique que les intérêts généraux de la classe peuvent être mis à nu.
Il faut reconnaître que la science – en tant que produit social – ne peut (selon la vision de Marx) rien ajouter à la force de la classe ouvrière qui n’est pas déjà là. Elle ne peut s’imposer sur le mouvement ouvrier comme venant de l’extérieur.6 C’est dans et à travers la science seule que les ouvriers peuvent internationalement devenir conscients de la force global, au niveau de l’espèce, qui est déjà leur. Et ce n’est qu’en devenant conscient de cette propre force que « la classe ouvrière internationale » peut exister politiquement.7
Il n’est pas question, donc, de science subordonnée à une force politique pré-existante. La force politique est le propre de la science et ne peut exister sans elle. Les relations prévalentes précédemment entre la science et la politique sont renversées.
Pour Marx, la science sociale - y compris la sienne – est autant le produit des relations de classe que toute autre forme de conscience sociale. Sa formulation générale est bien connue :
" Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe la classe dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. "8
Pour cette raison, Marx ne considérait pas qu’il était possible de changer les idées prévalentes dans une société – ou de produire une science acceptée universellement de la société – sans rompre la puissance matérielle des ces forces qui distordaient la science. C’était parce que Marx avait vu les contradictions sociales comme source des contradictions mythologiques et idéologiques qu’il a pu insister sur le fait que seule la résolution des contradictions sociales elles-mêmes pouvait résoudre leurs expressions dans l’idéologie et la science.
C’est ce que Marx voulait dire en écrivant : "Toute vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique. »9 Ou encore : "La résolution des contradictions théoriques n’est possible qu’à travers des moyens pratiques, qu’à travers l’énergie pratique de l’homme. Leur résolution n’est donc, en aucune façon, la seule tâche de comprendre, mais est une tâche réelle de la vie, une tâche que la philosophie était incapable d’accomplir précisément parce qu’elle ne voyait là qu’un problème purement théorique."10
Aussi, du point de vue de Marx et d’Engels, c’était afin de rester fidèle aux intérêts de la science – pour résoudre ses contradictions théoriques internes – qu’ils se sentaient obligés, en tant que scientifiques, (a) de s’identifier avec une force matérielle sociale qui pouvait résoudre « les intérêts étrangers » distordant l’objectivité de la science et (b) de prendre la direction de cette force matérielle eux-mêmes. Leur idée n’était pas que la science est inadéquate, et que la politique doit y être ajoutée. Leur idée était que la science – quand elle est fidèle à elle-même – est intrinsèquement révolutionnaire, et qu’elle ne doit pas connaître de projet politique autre qu’elle-même.
Marx et Engels croyaient que la science pouvait acquérir cette autonomie politique sans précédent pour une raison sociale : pour la première fois – et en tant que résultat direct du développement scientifique lui-même – une « classe » est né au sein de la société qui n’était pas réellement une classe en tant que telle, qui n’avait pas de statut ou d’intérêts spéciaux à protéger, sans pouvoir de dispenser des avantages, sans pouvoir de diviser les hommes les uns contre les autres et donc sans pouvoir de distordre la science de quelque façon que ce soit. « Ici, » écrit Engels à propos de la classe ouvrière, « il n’est pas question de carrières, de faire du profit ou de gracieux avantages venant du dessus. » Seule ici la science peut être réelle à elle-même, pour être seulement une force sociale d’une sorte vraiment sociale universelle, capable d’unifier les espèces dans leur ensemble.
C’était la condition pour une science vraiment indépendante, vraiment autonome, vraiment universelle de l’humanité – l’existence « d’une classe de la société bourgeoise qui ne soit pas une classe de la société bourgeoise, une classe qui soit la dissolution de toutes les classes, une sphère qui ait un caractère universel par ses souffrances universelles et ne revendique pas de droit particulier, parce qu'on ne lui a pas fait de tort particulier, mais un tort en soi,". "Il doit donc être formé", continue Marx, "une sphère enfin qui ne puisse s'émanciper, sans s'émanciper de toutes les autres sphères de la société et sans, par conséquent, les émanciper toutes, qui soit, en un mot, la perte complète de l'homme, et ne puisse donc se reconquérir elle-même que par le regain complet de l'homme." Introduction à la Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel »11
L’ensemble de l’argumentation précédente peut sembler en elle-même tendancieuse. La plupart des philosophes politiques ou sociaux diront, après tout, que leurs théories expriment les intérêts humains généraux plus que ceux d’ordre sectoriel. Se servir de la « fidélité aux intérêts de l’humanité » comme mesure permettant d’évaluer la valeur scientifique d’un système conceptuel n’est donc pas possible – à moins que quelque test objectif puisse être trouvé pour cela. Mais quel sorte de test peut être alors possible ? En dernière analyse, sans aucun doute, la preuve du pudding est qu’on le mange. Que se passe-t-il quand on essaie une nouvelle hypothèse ? Nous renforce-t-elle ? Est-ce que cela réduit l’effort mental pour résoudre les problèmes intellectuels ? En d’autres termes, est-ce que l’hypothèse ajoute à la capacité – qu’elle soit purement intellectuelle ou bien pratique – des scientifiques dans le champ en question ?
Si c’est le cas, alors n’importe qui devrait en venir à en reconnaître le fait. Assumer l’efficacité intellectuelle d’être notre critère (et nous ne serions pas autrement des scientifiques), soutenir la théorie s’étendra. La cohérence interne (l’accord entre les parties de la théorie) trouvera son expression dans un accord social élargi. Une telle capacité de produire cet accord est l’ultime test social de la science.12
Dans le long terme, pour le marxisme et pour la science sociale, un test similaire doit être subi. La science diffère de la connaissance simplement ad hoc, de la technique et du sens commun par la vertu des ses caractéristiques abstraites, symboliques, formelles. La science est un système symbolique. Comme tout système, ses moyens dépendent de ses accords. Le chiffre « 2 » signifie « deux » seulement parce que nous le disons tous. Il pourrait aussi équivaloir à « neuf ». Tous les systèmes symboliques – y compris les idéologies et les mythes – dépendent en ce sens d’un accord avant tout social. Mais, dans le cas des mythes et des idéologies, on ne peut maintenir un accord que jusqu'à un certain point. Un point est atteint lorsque des désaccords surgissent – un désaccord enraciné dans les contradictions sociales. Et, lorsque cela se produit, le besoin de réconcilier les positions incompatibles conduit à des contradictions internes – dans le système symbolique lui-même. La mythologie et l’idéologie sont des expressions de la division sociale. C’est la configuration essentielle qui distingue ces formes de connaissance de la science. La science exprime le pouvoir et l’unité de l’espèce humaine – une puissance que, dans les sociétés divisées en classes, les êtres humains ont de plus en plus pris sur la nature même si ce n’était pas en lien avec leur propre monde social. Une science de la société, afin de se prouver comme science, aurait à prouver qu’elle est sans contradictions internes, et qu’elle est logique avec la science naturelle et avec la science dans son ensemble. Au long terme, elle devrait juste prouver cela pratiquement. Elle aurait à démontrer sa logique interne en démontrant ses racines dans l’accord social d’une sorte d’unification de la race humaine. Elle aurait à démontrer en pratique, en d’autres termes, qu’elle forme une partie d’un système symbolique – un « langage » global entrelacé avec les concepts de science – qui serait capable en pratique et en dernière instance politiquement d’unifier le globe.13
Et encore, ce n’est pas le seul test. Dans le cas de toute avancée scientifique, le premier test est théorique. Copernic savait que la Terre bougeait. Et il savait bien avant que ce fait soit prouvé à la satisfaction d’autres et universellement reconnu. Einstein savait que la lumière était assujettie aux lois de la gravitation. Et il savait cela bien avant qu'il ne soit démontré en 1919 pendant une éclipse observée depuis les observatoires de Cambridge et Greenwich (lorsqu’il a été démontré que les rayons de lumière depuis une étoile était déviés par l’attraction gravitationnelle du soleil). Dans la découverte scientifique, il en a toujours été de même. Une révolution scientifique est validée au niveau de la théorie pure bien avant de passer le test final de la pratique.
L’ultime validation du marxisme comme science serait la démonstration de sa capacité à produire un accord à un niveau global – sa capacité d’unifier l’humanité. Mais le marxisme est une science récente, il devrait être possible de démontrer au préalable son potentiel en termes purement théoriques. La question qui se pose est : comment ? J’examinerai ce problème dans la deuxième parie de cet article.
Chris Knight
1 “Un scientifique peut ne pas être du tout concerné par les applications pratiques de sa recherche. Plus large est sa vision, plus son vol est audacieux, plus grande est sa liberté dans ses opérations mentales par rapport à la nécessité pratique quotidienne, au mieux. Mais la science n’est pas une fonction de scientifiques individuels ; c’est une fonction sociale. L’évaluation sociale de la science, son évaluation historique, est déterminée par sa capacité à augmenter le pouvoir de l’homme à prévoir les évènements et à maîtriser la nature.” L D Trotsky, Le Matérialisme dialectique et la Science in I. Deutscher (ed) The Age of Permanent Revolution : a Trotsky Anthology. New York 1964, p. 344. (Notre traduction)
2 Wittfogel, p. 356.
3 M Harris, The Rise of Anthropological Theory, London 1969, pp. 4-5; 220-21 (Notre traduction).
4 K Marx et F Engels, La Sainte Famille, www.marxists.org [262]
5 F Engels, 'Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande'. IV: Le matérialisme dialectique, 1888, www.marxists.org [262]
6 Tant que la classe ouvrière est faible, écrit Marx, les théoriciens s’efforcent de l’aider “à improviser des systèmes et à poursuivre une science nouvelle”. Mais, lorsque la classe ouvrière est forte, ses théoriciens « n’ont rien de plus à faire que de chercher une science dans leurs propres esprits ; ils n’ont qu’à observer ce qui se passe devant leurs yeux et à se faire le véhicule de ses expressions … à partir de ce moment, la science produite par le mouvement historique, et qui s’associe consciemment elle-même avec ce mouvement, a cessé d’être doctrinaire et est devenue révolutionnaire. (K. Marx, Misère de la philosophie, www.marxists.org [262]).
7 Comme Trotski le dit, “ la conscience de sa force est l’élément le plus important de la force actuelle (L D Trotsky Whither France? New York 1968, p116 – Notre traduction)). Marx avait la même idée en tête lorsqu’il écrivit : “.... nous devons forcer ces relations pétrifiées à la danse en leur jouant leur propre thème ! S’il faut leur donner du courage, nous devons apprendre aux gens à être choqués par eux-mêmes’” (Pour une critique de la philosophie du Droit de Hegel; noté dans i D McLellan (ed) Karl Marx: Early Texts. Oxford 1972, p. 118 – notre traduction).
8 K Marx,“L’idéologie allemande, Chapitre “Feuerbach, opposition de la conception matérialiste et idéaliste ». www.marxists.org [262].
9 K Marx, Thèses sur Feuerbach ; www.marxists.org [262].
10 K Marx,Manuscrits de 1844; www.marxists.org [262].
11 En fait, Marx avait une piètre opinion de la “pensée politique” en général précisément à cause de son caractère inévitablement subjectif, non-scientifique : “L’intelligence politique n’est politique que parce qu’elle pense dans les limites de la politique. Plus aiguisée et plus vivante est-elle, moins elle est capable de comprendre les maux sociaux… le principe de la politique est la volonté. Plus l’intelligence politique est partiale et donc plus parfaite, plus elle croit à l’omnipotence de la volonté, et plus elle est incapable de découvrir les sources des maux sociaux. (K Marx‘Le Roi de Prusse et la réforme sociale; McLellan, p. 214). Si Marx croyait dans la nécessité de la lutte politique, c’était parce qu’il avait compris la nature politique des obstacles à l’émancipation humaine et à l’autonomie de la science. Ce n’est pas à cause de quelque chose d’intrinsèquement politique sur son émancipation ou de sa science. Le socialisme une fois réalisé n’est pas politique : « La révolution en général – le renversement d’un pouvoir existant et la dissolution des relations antérieures – est un acte politique. Le socialisme ne peut être réalisé sans révolution. Mais quand son activité organisée commence, quand ses buts particuliers, son âme, se porte en avant, alors le socialisme rejette de côté le cloaque politique. » (McLellan, p. 221 – notre traduction)
12 Voir T. S. Kuhn, 'La structure des révolutions scientifiques' in International Encyclopaedia of Unified Science Vol 2, No. 2, Chicago 1970, p. viii. Marx a probablement repris cette idée en partie de Feuerbach, bien qu’elle soit aussi un thème puissant des écrits de Hegel. Feuerbach écrit : « Il est vrai qu’un autre est d’accord avec moi – l’accord est le premier critère de la vérité ; mais seulement parce que l’espèce est la mesure ultime de la vérité. Ce que je pense uniquement selon le critère de mon individualité n’est pas lié à une autre : elle peut être vu autrement ; c’est une vision accidentelle, simplement subjective. Mais ce que je pense selon le critère de l’espèce, je le pense comme un homme en général ne peut que le penser, et donc comme tout individu doit penser s’il pense normalement… Il est vrai que je suis d’accord avec la nature de l’espèce ; (…) Il n’y a pas d’autre règle de vérité. » (L Feuerbach, L’Essence du Christianisme. cité par E Kamenka : The Philosophy of Ludwig Feuerbach. London 1970, pp. 101-02) (Notre traduction)
13 K Marx,Contribution à une critique de la Philosophie du Droit de Hegel ; in Bottomore et Rubel, p. 190.
Nous publions ci-dessous l'exposé qui a lancé les débats lors de notre Réunion Publique (RP) du 19 novembre à Paris, sur "la crise économique et la lutte de classe dans le monde".
Ce texte n'est qu'une trame, une prise de notes sur laquelle s'est appuyée le camarade pour faire son exposé oral. Le style est donc forcément particulier, plus "parlé" qu'écrit ; il y a parfois des imprécisions ou des raccourcis. Son intérêt est de montrer avec quel état d'esprit nous réalisons les introductions à nos RP et comment nous essayons de favoriser les questionnements, les échanges et la discussion.
Exposé
La semaine dernière, je discutais avec mes voisins et voilà qu'ils se mettent à causer de la crise économique en termes techniques, des "agences de notation" qui d'après eux devraient être plus contrôlées, des "ventes à découvert" à la bourse qui devraient être interdites, des « émissions d’Etat » et des « taux d'emprunt » qui s'envolent de façon injustifié… bon, j'en passe et des meilleures. Moi, je les connais mes voisins, il y a deux ans encore les sujets de discussion c'était plutôt sur le match de foot de la veille ou des trucs du genre.
Au-delà de la surprise d’entendre le jargon financier sortir de la bouche de mes voisins, ce qui m'a le plus marqué, c'est la charge d'angoisse qu'il y avait derrière. Ils semblaient tous crier : "Mais qu'est-ce qu'on va devenir?" Il faut dire qu'on entend plus que ça dans les médias : "La crise de la dette". Au journal du 20h ? "La crise de la dette". A la radio ? "La crise de la dette". En gros titre dans les journaux ? "La crise de la dette".
Après tout, il y a de quoi s'angoisser. Quand on regarde ce qui se passe en Grèce, ça colle même des sueurs froides. Il faut imaginer ce que c'est un pays en faillite, un pays économiquement en ruines. En Grèce, de très nombreuses écoles sont purement et simplement fermées, les enfants restent chez eux. Et celles qui restent ouvertes n'ont plus de chauffage et plus de cantine. Sur le web, les témoignages d'instituteurs se multiplient sur des enfants qui s'évanouissent en cours, qui tombent d'inanition… Il y a des rues entières où tous les magasins sont fermés, les gens ne payent plus les péages, les transports… La semaine dernière, il y avait un reportage à la télé qui montrait une fonctionnaire des finances (le ministère qui paye le mieux là-bas), cadre A (le grade le plus élevé, plus haut il faut être chef) qui touchait 2200 euros il y a un an et qui ne touchera plus que 800 euros d'ici l'été… ça s'appelle le "salaire dégressif", c'est nouveau, ça vient de sortir… Non mais vous vous imaginez, de 2200 euros à 800 ! Et on parle là des mieux lotis en Grèce. Faut être clair : c'est la misère qui se développe, la vraie, celle qui tord les boyaux, celle qui fait que les gamins tombent dans les pommes d'inanition…
Et la Grèce n'est pas une exception… elle est seulement plus avancée dans la crise… elle préfigure de ce qui va se passer partout dans les années à venir. Pour paraphraser une expression triviale, "pour connaître l'avenir, vas voir chez les Grecs". Actuellement, en Espagne, les hôpitaux ferment les uns après les autres. Ceux qui restent ouverts, ne le sont qu'à moitié. Des chambres, des étages et parfois des services entiers sont fermés. En Catalogne, les urgences ne sont ouvertes que le matin ; faut pas être cardiaque l'après-midi. Les délais pour être opérés s'allongent démesurément, il faut 2 mois pour être opéré d'une tumeur, et encore, seulement quand il s'agit d'une question de vie ou de mort ! Et ce n'est pas tout, en ce moment même en Espagne, des milliers de familles sont en train d’être expulsées alors que plus d'un million de logements sont vides !
Et il ne s'agit pas là non plus d'une particularité européenne. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est le même constat accablant. L’Etat du Minnesota est officiellement en faillite. Depuis le 4 juillet, ses 22 000 fonctionnaires ne sont plus payés et restent chez eux. Idem pour les fonctionnaires de Harrisburg – capitale de l’Etat de Pennsylvanie – et de ceux de la ville de Central Falls, près de Boston. Le rêve américain est en train de virer au cauchemar : aux Etats-Unis, 45,7 millions de personnes ont besoin pour manger des bons alimentaires versés par l’Administration.
Et vous avez dû tous entendre qu'aujourd'hui c'est l'Italie qui est en train de plonger et qu'après ce sera le tour de la France.
Tout le monde le sait aujourd’hui, et même la bourgeoisie le dit, la décennie qui est devant nous va être terrible. Le capitalisme, au niveau mondial, est entré dans une ère de convulsions économiques de plus en plus violentes. La bourgeoisie est incapable de trouver une solution réelle et durable à la crise. C’est pour ça d’ailleurs qu’elle n’arrête pas de gesticuler dans tous les sens de Sommets européens en Sommet du G20, de déclarations de Sarkozy ou d’Obama en annonces triomphantes comme quoi ça y est, promis, juré, cette fois-ci, « tout est réglé, les décisions nécessaires et courageuses ont été prises, blabla-blabla »… pour qu’à chaque fois, après chacun de ces discours fumeux, parfois même dès le lendemain matin, patatras, une nouvelle mauvaise nouvelle vienne rétablir la vérité et provoquer un nouveau mini-krach boursier. Alors répétons-le, la bourgeoisie est incapable de trouver une solution réelle et durable à la crise, elle ne fait depuis des mois qu’étaler toujours un peu plus son impuissance. Pas parce qu’elle est devenue soudainement incompétente mais parce que c’est un problème qui n’a pas de solution. La crise du capitalisme ne peut pas être résolue par le capitalisme. Pour une raison simple, le problème, c’est le capitalisme… ce ne sont pas les traders ou les financiers véreux, ce ne sont pas les banques ou les agences de notation… c’est le système capitaliste comme un tout.
Pour le comprendre, il faut savoir d’où vient cette « crise de la dette ». Cette question est importante, c’est justement parce que la bourgeoisie a peur que l’on trouve la vraie réponse à cette question que ses médias nous causent en permanence de la crise, ils embrument notre réflexion, ils nous empêchent d’y voir clair, ils saturent les débats (comme celui que j’ai eu avec mes voisins) de mensonges et autres fausses explications. La Grèce va mal ? C’est parce que c’est un peuple de fraudeurs ! L’Italie va mal ? Mais Berlusconi, c’est le roi des bunga-bunga, comment voulez-vous que ça aille bien ! Une banque française va mal ? pfffuuu, certainement encore un coup de Jérome Kerviel ! (vous savez c’est le trader en prison à cause des pertes de la Société Générale). La propagande de la bourgeoisie ressemble de plus en plus à une devise Shadock : « Quand un phénomène se produit partout en même temps, c'est parce qu'il y a 1000 causes locales différentes ! ». Eh bien non, si cela va mal partout sur la planète, c’est pour une cause unique : le capitalisme est malade et sa maladie est incurable.
Je vous ai mis sur la table deux graphiques. Le premier représente la dette totale des Etats-Unis (« Dette totale », ça signifie celle de l’Etat, des entreprises et des ménages), le second représente l’endettement public du Royaume-Uni.
Qu'est-ce qu'on y voit ? Des années 1950 jusqu'à aujourd'hui, l'endettement n'a fait qu'augmenter. Et de manière exponentielle ! Aujourd'hui, la pente est à la verticale, c'est ce que les économistes appellent le « mur de la dette ». Et c’est ce mur que le capitalisme vient de percuter en pleine face.
Alors pourquoi, depuis les années 1950, dans tous les pays, sous tous les gouvernements, de droite comme de gauche, d'extrême droite comme d'extrême gauche, à tendance déclarée "étatiste" ou "ultra-libérale", l'endettement n'a fait que croître ? Il était facile de voir que l'économie mondiale allait finir par heurter ce mur, c'était une évidence, alors pourquoi tous les gouvernements de la planète depuis plus d'un demi-siècle n'ont quand même fait que faciliter le crédit, creuser les déficits, agir activement en faveur de l'augmentation des dettes des Etats, des entreprises et des ménages ? La réponse est simple : ils n'avaient pas le choix. S'ils n'avaient pas agit ainsi, l'effroyable récession dans laquelle nous entrons, aurait commencé dès les années 1950. Pourquoi ? Parce que le capitalisme produit en permanence plus de marchandises que ses marchés ne sont capables d'en absorber. Permettez moi juste de répéter cette phrase car c'est la clef pour comprendre non seulement la crise actuelle, l'évolution de l'économie depuis 50 ans mais aussi l'histoire économique du capitalisme depuis sa naissance : le capitalisme produit en permanence plus de marchandises que ses marchés ne sont capables d'en absorber. Ça a été sa chance au 18ème et 19ème siècle, quand ce système ne recouvrait qu'une infime partie de la planète. Toutes ces marchandises qu'il avait en trop, il les a déversés (pas gratuitement évidemment mais en les vendant), il les a déversés en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, mais aussi dans les campagnes européennes ou américaines, dans toutes les économies arriérées, non capitalistes. Il a connu ainsi un incroyable développement, sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Mais voilà, la terre est ronde et pas si grande que ça. Le capitalisme en a vite fait le tour et transformé toutes les économies à son image. Le capitalisme a conquis la planète. Il n'y avait donc plus de marchés arriérés, de marchés extra-capitalistes, en dehors du capitalisme, où vendre sa surproduction. Il a donc créé un marché artificiel, le marché du crédit ! C'est grâce au crédit, à la dette, que le capitalisme a évité pendant des décennies que son économie ne se bloque, ne soit paralysée par des tonnes de marchandises invendues. Mais toute dette doit un jour être remboursée et aujourd'hui, où l’endettement est généralisé, l'heure de la facture a sonné.
Bon désolé pour ce passage un peu théorique, les arcanes de l'économie ne sont pas faciles à expliquer, pour moi en tout cas. J'espère ne pas avoir été trop confus. Mais nous voulions que ressorte cette idée, à notre avis, essentielle : le capitalisme ne peut pas vivre éternellement, il est condamné à disparaître, il porte en lui une sorte de maladie génétique dégénérescente et incurable. C'est pourquoi Marx disait que le capitalisme était un système né dans la boue et le sang qui périra dans la boue et le sang. L'avenir qui est devant nous, c'est une crise économique de plus en plus grave, de plus en plus violente, de plus en plus ravageuse. La misère ne va plus cesser de se répandre comme un fléau. Vous devez penser "ah bah super, super cette réunion, on va rentrer chez nous tous complètement déprimés et effrayés"…
Alors comme on a envie que vous reveniez, on va essayer d'éviter ça. Marx disait qu'il ne faut pas voir dans la misère que la misère. Individuellement, nous avons tous peur de nous appauvrir, pour nous ou nos enfants, pour nos proches. Mais là, ensemble, collectivement, nous devons surtout être persuadés que face à ces conditions de vie terrible à venir, des luttes vont émerger, la solidarité, l'entraide, l'envie et le besoin de combattre ensemble, massivement, vont se développer. Le capitalisme est en train d'agoniser, d'accord, la bourgeoisie nous le fait payer au prix fort, par mille souffrances, d'accord, mais ensemble, les exploités peuvent et doivent saisir cette occasion pour bâtir un nouveau monde, car un autre monde est possible, un monde sans classe ni exploitation, sans argent ni crise, sans misère ni guerre.
Cela peut paraître idéaliste, mais en réalité, être idéaliste aujourd'hui c'est croire que le capitalisme peut continuer de fonctionner comme avant ou se réformer. Et être réaliste, c'est savoir que la révolution est non seulement absolument nécessaire mais qu’elle est tout à fait possible.
Regardez ce qui se passe en Espagne, en Israël, aux Etats-Unis… tous ces mouvement des Indignés ou des Occupy Wall Street. Evidemment, ce ne sont pas encore des mouvements révolutionnaires. On pourrait ne voir uniquement que les faiblesses de ces mouvements de contestation. Au sein des discussions en assemblée générale, il y a c’est vrai encore beaucoup d'illusions, justement sur les possibilités de réformer le système, de l'améliorer grâce à une meilleure démocratie et un meilleur contrôle du monde de la finance. D'ailleurs, la bourgeoisie pousse de toute ses forces pour que la réflexion s'engage dans ce genre d'impasse, c'est à ces idées qu'elle fait la pub dans ses médias ; il suffit de lire ce titre "Oui, un autre capitalisme est possible !" du magazine Marianne pour s'en rendre compte.
Au sein même de ces mouvements, dans les Assemblées Générales (AG), il y a un combat entre une aile prolétarienne, à tendance plus révolutionnaire, et une aile ouvertement réformiste. Une partie de ces réformistes ont d'ailleurs tendance ne pas être très honnête dans l'organisation collective de la lutte et le processus de prise de décision : ils noyautent les débats pour qu'ils se cantonnent aux requêtes pour plus de démocratie dans les élections et moins de libéralisme, pour taxer les banques… et certains sont mêmes proches du sabotage quand ils endiguent toute tentative d'extension aux entreprises. Par exemple, aux Etats-Unis, les tentatives de certaines AG d'Occupy d'aller à la rencontre de travailleurs sur leur lieu de travail pour les entraîner dans la lutte et la grève, ont été systématiquement sabotées par les organisateurs auto-proclamés. Ok, il s'agit là de vraies faiblesses. Les pessimistes ne voient toujours que la moitié du verre vide, les optimistes la moitié pleine, mais les révolutionnaires doivent surtout voir si le verre est en train de se vider ou de se remplir, car finalement c'est ça qui est important quand on a soif. En d’autres termes, c'est la dynamique qui compte dans la lutte de classe. Tous ces mouvements de contestations qui se développent depuis des mois révèlent la volonté grandissante de notre classe de prendre ses luttes en main, de s'auto-organiser, de vivre et de lutter ensemble, collectivement, de tourner le dos à l'individualisme du capitalisme pour occuper ensemble un lieu et y discuter ; ces mouvements révèlent la volonté de débattre collectivement et de réfléchir collectivement. Plus important encore est la dimension internationale de ces mouvements. Il y a un lien explicite des occupations à l'échelle internationale, de l'Espagne aux Etats-Unis, de l'Israël à la Grande-Bretagne. La crise est mondiale et l'idée que la solution doit être, elle aussi, mondiale fait peu à peu son petit bonhomme de chemin dans les têtes. Dans tous les pays, la même exploitation, les mêmes attaques, les mêmes injustices et donc… la même lutte, les mêmes espoirs. La bourgeoisie se divise et se bat entre elle, divisée en nation concurrentes, notre classe, elle, est internationale, elle a un monde unifié à construire. Voilà ce qui émerge aussi de la vague de contestation actuelle.
Tout cela est extrêmement important pour l'avenir car l'expérience historique montre que notre classe devient dangereuse pour la bourgeoise justement quand elle prend en main ses luttes, quand elle commence à vouloir discuter et comprendre ensemble, en masse ! Il manque encore une ou deux marches pour que des luttes massives et auto-organisées se développent réellement et pleinement mais le chemin pris aujourd'hui par notre classe est le bon. Car ce chemin, nous le savons, mène à une contestation de plus en plus grande et radicale de ce système d'exploitation. Et il n'y a pas besoin de remonter à la Commune de Paris de 1871 ou à la révolution russe de 1917 pour le savoir. Il y a 30 ans, en Europe, en Pologne exactement, des centaines de milliers d'ouvriers donnaient des sueurs froides à la bourgeoisie dans tous les pays en organisant des luttes massives, en organisant des assemblées générales partout, en prenant même en main la production pour la mettre au service de la lutte ! Notre force à nous les exploités, c'est notre unité et notre solidarité dans la lutte, notre capacité à nous auto-organiser massivement et à créer les conditions d'un développement général des consciences et de la réflexion grâce aux débats ouverts et permanents de nos assemblées générales, c'est notre dévouement et notre désintéressement. Les mouvements de contestation actuels portent tout ceci déjà en eux, en petit ou, plus exactement, en germe. Nous pouvons donc avoir confiance en l'avenir, avec l'aggravation de la crise, le terreau va devenir de plus en plus fertile pour que ces germes poussent, s'épanouissent et fleurissent !
L’économie mondiale semble au bord du gouffre. La menace d’une grande dépression, bien pire que celle de 1929, se fait de plus en plus pressante, voire oppressante. Des banques, des entreprises, des communes, des régions, même des Etats sont aujourd’hui poussés vers la faillite, la banqueroute. Les médias ne parlent d’ailleurs plus que de ça, de ce qu’ils nomment "la crise de la dette".
Le graphique ci-dessous représente l’évolution de la dette mondiale1 de 1960 à nos jours. Cette dette est exprimée en pourcentage du PIB mondial.
Selon ce graphique, en 1960, la dette était égale au PIB (100%). En 2008, elle lui est 2,5 fois supérieure (250%). Autrement dit, aujourd’hui, un remboursement intégral des dettes mondiales contractées depuis 1960 engloutirait la totalité des richesses produites en un an et demi par l’économie mondiale !
Cette évolution est spectaculaire au sein des pays dits « développés » comme l'illustre le graphique suivant qui représente la dette publique des Etats-Unis.
Ces dernières années, l’accumulation des dettes publiques est telle que la courbe de leur évolution, visible sur le graphique précédent, est à la verticale ! C'est ce que les économistes appellent le « mur de la dette ». Et c’est ce mur que le capitalisme vient de percuter de plein fouet.
Il était facile de voir que l'économie mondiale allait finir par heurter ce mur, c'était une évidence. Alors pourquoi tous les gouvernements de la planète, qu’ils soient de gauche ou de droite, d’extrême gauche ou d’extrême droite, prétendument « libéraux » ou « étatistes », n'ont fait que faciliter le crédit, creuser les déficits, agir activement en faveur de l'augmentation des dettes des Etats, des entreprises et des ménages, depuis plus d'un demi-siècle ? La réponse est simple : ils n'avaient pas le choix. S'ils n'avaient pas agi ainsi, l'effroyable récession, dans laquelle nous entrons aujourd’hui, aurait commencé dès les années 1960. En vérité, cela fait des décennies que le capitalisme vit, ou plutôt survit, à crédit. Pour comprendre l'origine de ce phénomène, il faut percer, comme le disait Marx, « le grand secret de la société moderne : "la fabrication de plus-value ». Ici, un petit détour théorique s’impose donc.
Le capitalisme porte en lui, depuis toujours, une sorte de maladie congénitale : il produit une toxine en abondance que son organisme n’arrive pas à éliminer, la surproduction. Il fabrique plus de marchandises que son marché ne peut en absorber. Pourquoi ? Prenons un exemple uniquement didactique : un ouvrier travaillant sur une chaîne de montage ou derrière un micro-ordinateur et qui, à la fin du mois, est payé 800 euros. En fait, il a produit non pas pour l'équivalent de 800 euros, ce qu'il reçoit, mais pour la valeur de 1600 euros. Il a effectué un travail non payé ou, autrement dit, une plus-value. Que fait le capitaliste des 800 euros qu'il a volés à l'ouvrier (à condition qu'il soit parvenu à vendre la marchandise) ? Il en affecte une partie à sa consommation personnelle, admettons 150 euros. Les 650 euros restants, il les réinvestit dans le capital de son entreprise, le plus souvent sous forme de l'achat de machines plus modernes, etc. Mais pourquoi le capitaliste procède-t-il ainsi ? Parce qu'il y est économiquement contraint. Le capitalisme est un système concurrentiel, il faut vendre les produits moins chers que le voisin qui fabrique le même type de produits. En conséquence, le patron doit non seulement baisser ses coûts de production, c'est-à-dire les salaires, mais encore utiliser une part croissante du travail non payé à l'ouvrier pour le réinvestir prioritairement dans des machines plus performantes, afin d'augmenter la productivité. S'il ne le fait pas, il ne peut pas se moderniser, et, tôt ou tard, son concurrent, qui, lui, le fera, vendra moins cher et remportera le marché. Le système capitaliste est ainsi affecté par un phénomène contradictoire : en ne rétribuant pas les ouvriers à l'équivalent de ce qu'ils ont effectivement fourni comme travail et en contraignant les patrons à renoncer à consommer une grande part du profit ainsi extorqué, le système produit plus de valeur qu'il ne peut en distribuer. Jamais ni les ouvriers ni les capitalistes réunis ne pourront donc à eux seuls absorber toutes les marchandises produites. Le capitalisme doit de ce fait vendre ce surplus de marchandises en dehors de la sphère de sa production, à des marchés non encore conquis par les rapports de production capitalistes, ce qu'on appelle les marchés extra-capitalistes. S’il n’y parvient pas, c’est la crise de surproduction.
Se trouve ici résumée en quelques lignes une partie des conclusions auxquelles mènent les travaux de Karl Marx dans Le Capital et de Rosa Luxembourg dans L’accumulation du capital. Pour être plus succinct encore, voici synthétisée cette théorie de la surproduction en quelques points :
Le Capital exploite ses ouvriers (autrement dit leurs salaires sont moins importants que la valeur réelle qu’ils créent par leur travail).
Le Capital peut ainsi vendre ses marchandises avec profit, à un prix qui, au-delà du salaire de l'ouvrier et la plus-value, inclura également l'amortissement des moyens de production. Mais la question est : à qui ?
Evidemment, les ouvriers achètent ces marchandises… à la hauteur de leurs salaires. Il en reste donc une bonne partie encore à vendre. Sa valeur est équivalente à celle du travail des ouvriers qui ne leur a pas été payée. Elle seule a ce pouvoir magique pour le Capital de générer du profit.
Les capitalistes eux aussi consomment… et ils ne sont d’ailleurs en général pas trop malheureux. Mais ils ne peuvent pas à eux seuls acheter toutes les marchandises porteuses de plus-value. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens. Le Capital ne peut s’acheter à lui-même, pour faire du profit, ses propres marchandises ; ce serait comme s’il prenait l’argent de sa poche gauche pour le mettre dans sa poche droite. Personne ne s’enrichit ainsi, les pauvres vous le diront.
Pour accumuler, se développer, le Capital doit donc trouver des acheteurs autres que les ouvriers et les capitalistes. Autrement dit, il doit impérativement trouver des débouchés en-dehors de son système, sinon il se retrouve avec des marchandises invendables sur les bras qui engorgent le marché : c’est alors la “crise de surproduction” !
Cette “contradiction interne” (cette tendance naturelle à la surproduction et cette obligation à trouver sans cesse des débouchés extérieurs) est l’une des racines de l’incroyable dynamisme de ce système des premiers temps de son existence. Dès sa naissance au cours du 16e siècle, le capitalisme a dû lier commerce avec toutes les sphères économiques qui l’entouraient : les anciennes classes dominantes, les paysans et les artisans du monde entier. Aux 18e et 19e siècles, les principales puissances capitalistes se livrent ainsi à une véritable course à la conquête du monde ; elles se partagent progressivement la planète en colonies et forment de véritables empires. De temps à autre, elles se retrouvent à convoiter un même territoire. Le moins puissant doit alors s'incliner et aller trouver un autre coin de terre où forcer la population à acheter ses marchandises. C'est ainsi que les économies archaïques sont transformées et intégrées peu à peu au capitalisme. Non seulement les économies des colonies deviennent de moins en moins susceptibles de représenter des débouchés pour les marchandises d’Europe et des Etats-Unis mais, à leur tour, elles génèrent même une surproduction.
Cette dynamique du Capital aux 18e et 19e siècles, cette alternance de crises de surproduction et de longues périodes de prospérité et d’expansion, ainsi que cette progression inexorable du capitalisme vers son déclin, Marx et Engels l’ont magistralement décrit :
« Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance ; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. »"2
A cette époque néanmoins, parce que le capitalisme était en pleine croissance, qu’il pouvait justement conquérir de nouveaux territoires, chaque crise laissait ensuite la place à une nouvelle période de prospérité. « Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations... Le bas prix de ses marchandises est la grosse artillerie avec laquelle elle démolit toutes les murailles de Chine et obtient la capitulation des barbares les plus opiniâtrement xénophobes. Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, d'adopter le mode de production bourgeois ; elle les contraint d’importer chez elles ce qui s'appelle la civilisation, autrement dit : elle fait des nations de bourgeois. En un mot, elle crée un monde à son image... »3
Mais déjà à ce moment-là, Marx et Engels percevaient dans ces crises périodiques quelque chose de plus qu'un simple cycle éternel qui déboucherait toujours sur la prospérité. Ils y voyaient l'expression des contradictions profondes qui minent le capitalisme. En « s’emparant de marchés nouveaux", la bourgeoisie "prépare des crises plus générales et plus profondes, tout en réduisant les moyens de les prévenir. »4 Ou encore ::« C'est que la masse des produits et donc le besoin de débouchés s'accroît, alors que le marché mondial se rétrécit ; c'est que chaque crise soumet au monde commercial un marché non encore conquis ou peu exploité et restreint ainsi les débouchés »"5
Or, notre planète n’est qu’une petite boule ronde.
Au début du 20e siècle, tous les territoires sont conquis, les grandes nations historiques du capitalisme se sont partagées le globe. Dès lors, il n’est plus question pour elles de nouvelles découvertes mais de prendre, par la force armée, les territoires dominés par les nations concurrentes. Il ne s’agit plus pour elles de faire la course en Afrique, en Asie ou en Amérique, mais de se livrer une guerre impitoyable pour défendre leurs aires d’influence et s’emparer, à la force des canons, de celles de leurs concurrents impérialistes. Il s’agit ici d’une véritable question de survie pour les nations capitalistes. Ce n’est donc pas un hasard si c’est l’Allemagne qui, n’ayant que très peu de colonies et étant dépendante du bon vouloir de l’Empire britannique pour commercer sur ses terres (dépendance insoutenable pour une bourgeoisie nationale), déclenche en 1914, la Première Guerre mondiale. L’Allemagne se montre ainsi la plus agressive en raison de cette nécessité que formulera explicitement plus tard Hitler dans la marche vers la Seconde Guerre mondiale : “Exporter ou mourir”. Dès lors, le capitalisme, après quatre siècles d’expansion, devient un système décadent. L’horreur des deux guerres mondiales et la Grande Dépression des années 1930 en seront des preuves dramatiques irréfutables. Pourtant, même après avoir épuisé dans les années 1950 les marchés extra-capitalistes qui subsistaient encore, le capitalisme n’a pas sombré dans une crise de surproduction mortelle. Après plus de cent années de lente agonie, ce système est toujours debout, titubant, mal en point, mais debout. Comment fait-il pour survivre ? Pourquoi son organisme n’est-il pas encore totalement paralysé par la toxine de la surproduction ? C’est ici que le recours à l’endettement entre en jeu. L'économie mondiale est parvenue à éviter un effondrement fracassant en recourant de plus en plus massivement à la dette. Il a su ainsi créer un marché artificiel. Ces quarante dernières années se résument à une série de récessions et de relances financées à coups de crédit. Et il ne s’agit pas là de soutenir seulement la “consommation des ménages” par le biais d’aides étatiques… Non, les Etats se sont aussi endettés pour maintenir artificiellement la compétitivité de leur économie face aux autres nations (en finançant directement un investissement infra-structurel, en prêtant aux banques à des taux le plus bas possible pour qu’elles puissent à leur tour prêter aux entreprises et aux ménages…). Les vannes du crédit ayant été toutes grandes ouvertes, l’argent a coulé à flots et, peu à peu, tous les secteurs de l’économie se sont retrouvés en situation classique de surendettement : chaque jour de plus en plus de nouvelles dettes ont dû être contractées pour… rembourser les dettes d’hier. Cette dynamique menait forcément à une impasse. Le capitalisme mondial est aujourd’hui au fond de cette impasse, nez à nez avec le « mur de la dette ».
Pour prendre une image, la dette est au capitalisme ce que la morphine est au malade condamné. En y recourant, le souffrant surpasse momentanément ses crises, se calme et s’apaise. Mais peu à peu, la dépendance à ces doses quotidiennes augmente. Le produit, dans un premier temps salvateur, devient à son tour nocif… jusqu’à l’overdose !
La dette mondiale est un symptôme du déclin historique du capitalisme. L’économie mondiale a survécu sous perfusion de crédits depuis les années 1960, mais aujourd’hui les dettes sont partout dans l’organisme, elles saturent le moindre organe, la moindre cellule du système. De plus en plus de banques, d’entreprises, de communes, d’Etats sont et seront en cessation de paiement, incapables de rembourser les traites de leurs prêts.
L’été 2007 a ainsi ouvert un nouveau chapitre au sein de l’histoire de la décadence du capitalisme qui a débuté en 1914 avec la Première Guerre mondiale. La capacité de la bourgeoisie à ralentir le développement de la crise par un recours de plus en plus massif au crédit a pris fin. Dorénavant, les secousses vont se succéder les unes aux autres sans qu’il n’y ait entre elles ni répit ni véritable relance. La bourgeoisie sera incapable de trouver une solution réelle et durable à cette crise, non pas parce qu’elle serait devenue soudainement incompétente mais parce que c’est un problème qui n’a pas de solution. La crise du capitalisme ne peut pas être résolue par le capitalisme. Car, comme nous venons d’essayer de le démontrer, le problème, c’est le capitalisme, le système capitaliste comme un tout. Et ce système est aujourd’hui en faillite.
Pawel (26 novembre)
1 Il s’agit de la dette totale mondiale, c’est à dire de la dette des ménages, des entreprises et des Etats de tous les pays.
2 Le Manifeste communiste de 1848
3 Idem
4 Idem
5 Dans Travail Salarié et Capital
Nous publions ci-dessous un article de World Revolution, organe presse du CCI en Grande-bretagne.
Il n’y a aucun doute à avoir sur le niveau des attaques contre les emplois des électriciens, leur salaire et les conditions de travail qu’implique la fin de la convention du Joint Industry Board (JIB) , qui va conduire à des baisses de salaires allant jusqu’à 35 % et à un reclassement de beaucoup d’emplois en semi-qualifiés ou sans qualification. Allez à n’importe laquelle de leur manifestation hebdomadaire devant les différents sites de construction, ou lisez leur forum de discussion, et vous verrez comment tout cela va être désastreux pour des travailleurs qui font déjà de longues heures supplémentaires pour atteindre un salaire décent. « Pensezr que nous pouvons dire au revoir à nos maisons, nos voitures, notre vie de famille, etc. », « Il n’y aura plus de vacances ou de football ou de tours au pub. Il va falloir se battre pour que nos enfants aient de nouvelles chaussures à se mettre. »1 Quand 8 grandes entreprises d’électricité travaillant sur des projets de constructions ont annoncé qu’elles prévoyaient de se sortir de la convention JIB et d’imposer de plus mauvaises conditions (Balfour Beatty a ainsi envoyé à ses employés un avertissement pour qu'ils acceptent un changement de contrat dans les 90 jours !), il y a eu un silence assourdissant du syndicat Unite. L’indignation des travailleurs était évidente : « Je pense que les syndicats trempent là dedans jusqu'au cou », « les syndicats ont été très tranquilles là-dessus, çà pue un peu. »2
Demandez leur quelle a été la riposte : les ouvriers ont souvent été exaspérés parce que rien ne semble se passer. Unite a tout retardé et certains craignent que d’autres flammes n’aient plus l’ardeur de mener une lutte. Les rassemblements chaque matin de 300 à 400 ouvriers devant les sites de construction, l’effort pour persuader les ouvriers de la nécessité de se joindre à la lutte, l’occasion de discuter et de faire des blocages temporaires aux entrées des sites, chaque semaine pendant trois mois, tout cela n'est pas insignifiant, mais les électriciens n’ont aucune illusion sur le fait que cela va repousser l’attaque.
Les électriciens font clairement face à d’importantes difficultés pour développer leur lutte. Rentrer en lutte aujourd’hui, dans un contexte de crise économique, avec un chômage élevé, des salaires gelés ou en baisse, avec l’inflation qui grignote les conditions de vie, demande du courage aux ouvriers dans toutes les industries. Dans la construction, avec les divisions entre ceux qui sont employés directement par les boîtes et les sous-traitants, et avec les listes noires des ouvriers combatifs, il y a des difficultés particulières. Il est important de revenir sur les expériences de lutte dans les années 1970 et 1980 : « J’ai passé un an de ma vie à votre âge à faire une grève qui a été perdue et vous faites la même chose. Une épreuve dont vous ne connaissez pas la signification, j’ai vu des hommes pleurer parce qu’ils ne pouvaient plus nourrir leurs enfants, et qui se demandaient comment ils allaient survivre… Nous avons mené notre combat et nous avons perdu… », « ce qu’il y avait dans les années 70 et 80, c’était des membres qui étaient prêts à accepter les votes majoritaires ou à main levée, mais même alors, personne ne se montrait dans les piquets, et je n’ai jamais vu un officiel du syndicat dans les piquets où je suis allé un peu partout dans le pays. ..Aussi, si les soudeurs et les monteurs manifestaient, nous y allions aussi, et vice versa ! » Pour mener une lutte aujourd’hui, on doit se confronter aux défaites du passé et en tirer les leçons, et aussi bien, revenir aux expériences positives de ce que représente une lutte de la classe ouvrière. Une grève longue, confinée à une seule industrie, a vraiment été un piège qui mène à des défaites amères, comme celle des mineurs en 1984 ou des imprimeurs à Wapping. Il y a eu des moments où tout le monde ne manifestait pas ensemble, même quand différents secteurs se battaient au même moment – en 1984, les dockers et les ouvriers de l’automobile étaient en grève alors que les mineurs avaient arrêté le travail – et ils n’ont pas réussi à se rejoindre.
Une action sauvage avait commencé l’été dernier quand l’attaque a été annoncée et elle a continué avec des rassemblements tôt le matin devant les sites de construction gérés par les employeurs de la BESNA (ceux qui voulaient abandonner la convention JIB), surtout à Londres, Manchester et Newcastle. Ces rassemblements étaient l’occasion pour les travailleurs de se retrouver, de discuter de leur lutte, avec un micro ouvert à tous, et les ouvriers qui écoutaient ce qui se disait. Les travailleurs des autres industries, les retraités ou les étudiants et quelques manifestants anticapitalistes pouvaient venir et témoigner leur solidarité – quand un groupe de Occupy London est venu avec une banderole qu’ils avaient faite, ils ont été accueillis avec des cris d’approbation. Ces rassemblements étaient une occasion pour ceux qui étaient convaincus de la nécessité de lutter, de discuter et de persuader d’autres travailleurs de les rejoindre et souvent avec succès. A Londres, les personnels en lutte ont souvent été d’un site à l’autre – de Blackfriars à Cannon Street, par exemple. Plusieurs de ceux qui ont refusé de revenir au travail ont été persécutés. Cela a aussi été l’occasion de bloquer temporairement les entrées des sites.
Mais la solidarité avec qui ? Pour Unite, il faudrait faire pression sur le parlement, pour chercher la solidarité des grands et des bons contre « les employeurs voyous » (tract de Unite de la manifestation du 9 novembre). D’ailleurs, Jeremy Corbyn s’était pointé à Blackfriars le 12 octobre pour nous parler d’une motion tôt le matin. Est-ce qu’on attend sérieusement de nous qu’on croie qu’en pleine crise économique, avec des travailleurs dans le secteur public – y compris dans le NHS et dans l’éducation – qui sont confrontés à des attaques, que c’est juste une question d’employeurs voyous qui ont besoin d’être rappelés à l’ordre par le gouvernement ?
Unite n’ignore pas cette aspiration à la solidarité mais sa méthode est de se mettre à la remorque du général député secrétaire-adjoint général du PCS (syndicat des services publics et commerciaux), Chris Baugh, pour assurer les ouvriers qu’ils ont la solidarité de son syndicat et de proposer que le secteur public et le secteur privé mènent une action ensemble le 30 novembre. Et pourtant ni Unite, ni le PCS, et pas un seul autre syndicat, n’ont fait quoi que ce soit pour lutter contre le black-out des medias sur les attaques ou sur la lutte. Qu’est ce que les ouvriers du secteur public peuvent bien savoir des attaques contre les électriciens et des efforts qu’ils font pour résister ? Les travailleurs ont besoin d’agir ensemble maintenant et de créer des liens sans passer par l’intermédiaire de dirigeants syndicaux et de leurs discours creux qui peuvent, et sont vraisemblablement faits pour, donner l’impression que quelqu’un d’autre peut le faire pour eux.
Pour Siteworker, qui se décrit lui même comme un journal pour les ouvriers sur les sites et les syndicalistes, il est clair que ce n’est pas simplement l’affaire de 7 ou 8 patrons voyous : « Nous serions naïfs de penser que les compagnies géantes de construction qui dirigent et contrôlent totalement l’industrie, n'ont pas donné leur accord à ce groupe qui s’est individualisé… » et donc, « nous ne pouvons réussir que si d’autres ouvriers du bâtiment viennent renforcer nos rangs, se mettre à nos côtés en solidarité avec la classe ouvrière industrielle, syndiquée ou non, pour un but et une cause commune. » Il est vital de comprendre qu'il faut s’unir au-delà des divisions pour que la lutte puisse se développer, mais ici, ce n’est vu qu’en termes d'union des travailleurs de l’industrie du bâtiment, alors que c’est toute la classe ouvrière qui est attaquée et qui doit lutter ensemble.
Un numéro spécial actualisé de Siteworkers, notant que les rassemblements tôt le matin ne suffisent pas, a proposé : « arrêter la production est ce qui amènera les grandes firmes à la table des négociations » mais jusque-là, les blocages doivent continuer – leur site jibelectrician.blogspot.com note ce que les différentes firmes ont perdu du fait des perturbations dues aux blocages. En même temps, après 3 mois de manifestations régulières, Unite commence juste à voter pour une action dans l’industrie – mais seulement chez les électriciens à Balfour Beatty, couramment considérés comme les suppôts des patrons. On est encore en train de créer une autre division entre les ouvriers appelés à lutter et les autres. Faire grève pour « obliger » les employeurs à négocier avec les dirigeants syndicaux, c’est comme demander que les patrons aillent négocier avec une autre bande de patrons, ou avec le gouvernement, et s’attendre à ne rien gagner d’autre qu’une autre trahison « comme c’est arrivé dans le passé » (Siteworkers).
Si fortes que soient les illusions restantes sur Unite, ou au moins dans ses méthodes de lutte, ces étincelles ont montré une réelle combativité et une réelle détermination. On a pu le voir dans l’effort de discuter aux rassemblements de protestation, l’effort de convaincre les autres travailleurs, et les tentatives d’aller chercher la solidarité dans et au-delà de l’industrie du bâtiment- les appels aux étudiants et aux travailleurs du secteur public à rejoindre la lutte, l’accueil des autres travailleurs qui manifestaient leur solidarité, et en rentrant en contact le 18 octobre avec Occupy à Saint Paul. Ce n’est que la solidarité du reste de la classe ouvrière et pas les députés ou les bureaucrates syndicaux, qui fera peur aux patrons et leur fera retirer leurs attaques.
Alex (5 novembre)
1 Interventions faites sur le forum des électriciens en lutte : www.electriciansforum.co.uk [264].
2 Idem.
Nous publions ci-dessous un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne. Ce texte a été écrit juste après la proposition puis l'immédiat renoncement de Papandréou d'organiser un référendum et avant la formation d’une nouvelle l’équipe gouvernementale autour de Lukas Papademos pour imposer un énième plan antiouvrier et de nouvelles manifestations.
Après que le Premier ministre Georges Papandreou a proposé puis renoncé à l’idée d’un referendum, le prix des actions s’est globalement stabilisé. Après avoir obtenu un vote de confiance, mais qui signifiait que ce dernier devait quitter le pouvoir, les marchés financiers s’attendaient à la possibilité que ce soit Evangelos Venizelos qui conduise l’équipe qui devait rencontrer la troïka UE, FMI, BCE, pour négocier les conditions du prochain renflouement. La réalité économique, c’est beaucoup plus qu’une simple visite au gérant de la banque. Les enjeux sont énormes pour la Grèce, pour la zone Euro et l’économie mondiale.
Si la Grèce ne peut pas rembourser les prêts, cela aura un impact bien au delà de ses frontières. De fait, la Grèce a déjà été exemptée de milliards de dettes. Les créanciers de la Grèce ont été d’accord pour annuler 50 % de ce qu’elle leur doit, détruisant de fait 106 milliards d’Euros d’un coup. Cela a été présenté comme une perte substantielle. Le capitalisme n’a aucune solution à sa crise historique, sinon accroître l’austérité. Aucune des mesures alternatives proposées par les différentes factions de la bourgeoisie n’offre de perspective de reprise de l’économie. Cela vaut tout autant pour la fabrication de monnaie, le recours à l’endettement et au « quantitative easing », que pour les coupes budgétaires brutales répétées, comme cela se fait vicieusement, sans aucune préoccupation pour l’impact que cela va avoir sur toute possibilité de croissance.
En mai 2010, après le premier renflouement massif de 110 milliards de l’économie grecque, il y a eu une diminution de 10 % des salaires dans le secteur public avec toute une série de mesures. Cela s’est ajouté à un plan d’austérité qui était déjà en cours. Ce « plan de sauvetage » s’est avéré complètement inefficace et un second train de mesures d’austérité a été négocié en juillet dernier, entraînant encore plus de restrictions.
Comme prévisible, ça n’a pas eu non plus d’effet positif sur l’économie. Aussi, en octobre, il y a eu une nouvelle table ronde de négociations. Les banques peuvent bien avoir subi une « perte substantielle », mais 30 000 travailleurs du secteur public de plus ont perdu leur emploi et des diminutions de salaires et de pensions ont été proposées. Les leaders européens ont dit qu’il n’y aurait plus d’argent si la Grèce n’est pas intégrée dans l’Euro. Il n’y a pas réellement de choix, pour la Grèce ou l’Europe, puisque toutes les voies prises tendent à exacerber plutôt qu’à ralentir la crise. L’opposition conservatrice Nouvelle Démocratie en Grèce a été très sévère dans ses discours contre le gouvernement PASOK de Papandreou, mais ne fait en réalité qu’ergoter sur des détails. Elle acceptera en définitive le dernier plan d’austérité. Après tout, avant que le PASOK ne vienne au pouvoir en mai 2009, le gouvernement de droite précédent avait déjà commencé à mener les attaques contre les conditions de vie qui allaient s’intensifier sous Papandreou.
C’est sous le précédent gouvernement Nouvelle Démocratie, en décembre 2008 et début 2009, qu’il y a eu une vague de protestation combative contre le meurtre par la police d’un étudiant de 15 ans. Dans les occupations et les assemblées qui ont eu lieu pendant ce mouvement, les potentialités de lutte se révélaient clairement.
L’ampleur et la combativité de la plupart des grèves générales en Grèce en 2010 montraient que la classe ouvrière dans ce pays n’était pas prête à baisser la tête face à une attaque frontale de ses conditions de vie. Néanmoins, le degré de contrôle exercé par les syndicats a finalement limité l’impact de ces actions ouvrières.
En Grèce, en 2011, à côté des grèves appelées par les syndicats en réponse à la véritable colère ressentie dans toute la classe ouvrière, il y a eu aussi un écho du mouvement des « Indignados » en Espagne, avec des réunions d’assemblées dans de nombreuses villes. Entre autres préoccupations, y était envisagée les perspectives du développement de la lutte.
Quand de nouvelles mesures du gouvernement ont été annoncées, proposées, ou ont été l’objet de rumeurs, il y a eu de nouvelles grèves et de nouvelles manifestations. Celles-ci ont concerné des secteurs particuliers d’ouvriers ou, comme la grève générale du 5 octobre, tout le secteur public. La grève générale de 48 heures des 19-20 octobre a provoqué les manifestations les plus larges depuis des décennies. Il y a eu plus d’occupations, plus d’initiatives au-delà des actions proposées par les directions syndicales, et tous les niveaux de protestations et l’éventail des participants à ces manifestations massives ont été cyniquement rapportées, par exemple, par la presse internationale. Les bureaux, les édifices gouvernementaux, les banques, les écoles et les tribunaux étaient fermés. Seules les urgences étaient assurées dans les hôpitaux . Les transports publics étaient paralysés.
Dans une très grande manifestation devant le parlement grec, le KKE stalinien et le syndicat PAME stalinien ont voulu défendre le parlement. Ce n’était pas simplement une garde de cérémonie, mais cela a signifié aussi taper sur les manifestants et les intimider Non contents d’attaquer ceux qui étaient venus manifester, ils les donnaient à la police. Cela a inévitablement conduit à des bagarres avec ceux qui voulaient investir le parlement. Ce n’était pas une explosion de violence isolée puisque les staliniens ont attaqué des manifestants dans bien d’autres endroits.
Chaque année, le 28 octobre, il y a des défilés en Grèce à la date anniversaire du jour de 1940 où le dictateur Metaxas a refusé l’ultimatum de Mussolini. Cela a entraîné une invasion de la Grèce par l’Italie et le début de la participation de ce pays dans la Seconde Guerre mondiale. D’habitude, cette fête du nationalisme grec est marquée par une inflation de drapeaux grecs et de discours rituels, mais cette année, il y a eu des manifestations contre le régime d’austérité. Partout en Grèce, des projectiles ont été jetés, des défilés ont été bloqués, les députés des principaux partis étaient conspués, et en quelques occasions, les défilés ont été annulés.
A Thessalonique, deuxième ville de Grèce, le Président grec a été accueilli par 30 000 manifestants. La police a été incapable de les disperser, le défilé a été annulé et les manifestants ont occupé le podium. Ces manifestations n’étaient pas organisées par les syndicats et semblent avoir été, par bien des côtés, spontanées. Le Président a dit que le choix était entre participer aux manifestations ou aux élections. Papandreou a dénoncé « l’insulte » aux « luttes nationales et aux institutions » et le leader de Nouvelle Démocratie s’est plaint de ce que les manifestations « avaient gâché notre jour férié national ».
Cependant, alors que c’est vrai que bouleverser la commémoration du 28 octobre est plus ou moins du jamais vu, les manifestations n’étaient pas complètement dépourvues de nationalisme. Il y avait, en particulier, un certain niveau de ressentiment anti-allemand qui s’est exprimé, en partie sur la base du rôle de l’Allemagne dans l’Union Européenne. Une banderole en Crète disait « Non au quatrième Reich !». Papandreou a aussi été dénoncé comme « traître » d’une manière qui ne peut être interprétée que comme nationaliste. Mais, globalement, les manifestations les plus récentes confirment que, plutôt que de courber l’échine respectueusement devant ses maîtres, la classe ouvrière ne plie pas devant les attaques.
La bourgeoisie n’a pas de solution à ses problèmes économiques. En plus, elle fait face à une situation sociale difficile, dans laquelle les travailleurs, à certains endroits, résistent aux tentatives de leur faire payer la crise du capitalisme. Les mesures d’austérité brutales n’entraînent pas inévitablement des luttes ouvrières. Par exemple, en Irlande, jusqu’à maintenant les réactions à la dégradation des conditions de vie ont été très discrètes.
La bourgeoisie s’attend donc tôt ou tard à des réactions à ses mesures car elle n’a rien d’autre à offrir. En Espagne, par exemple, le Parti Socialiste au pouvoir a déjà augmenté les impôts, réduit les salaires et diminué radicalement les investissements. S’il perd le pouvoir lors des élections du 20 novembre, le nouveau gouvernement a promis d’accroître encore les restrictions de budget. Cela ne va pas contribuer à une relance économique et augmentera encore plus le cours à la récession globale. En retour, comme un rapport de l’Organisation Internationale du Travail le souligne, cela va contribuer à généraliser les troubles sociaux.
Les manœuvres de Papandreou autour du referendum sont aussi une démonstration du fait que la classe dominante grecque sait qu’elle ne peut pas simplement enfoncer les ouvriers jusqu ‘au cou dans l’austérité, quelles que soient les exigences de l’UE et du FMI. Mais les leaders eux-mêmes de ces derniers vont aussi voir, « dans leurs propres pays », les travailleurs se comporter de façon aussi « violente et inacceptable » dans le futur proche.
Car (octobre 2011)
Nous publions ci-dessous un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
« Ce n'est certainement pas une bonne chose pour le niveau de vie qu'il chute comme il le fait aujourd'hui. Bien sûr que non, mais le niveau relativement élevé qu'il avait atteint à la veille de la crise était insoutenable, et le présent ajustement, bien qu'il soit sans doute douloureux pour beaucoup de ménages, est à la fois inévitable et nécessaire, car il contribue, une fois de plus, à rendre au Royaume-Uni son économie compétitive »1
Un des thèmes persistants de la classe dirigeante est l'idée que la crise actuelle est le résultat d'un consumérisme alimenté par le crédit. Les travailleurs sont censés avoir abusé de leur carte de crédit pendant le boom, et maintenant nous le paierions en devant nous serrer la ceinture.
Comme tous les meilleurs gros mensonges, celui-ci contient des éléments de vérité. Le crédit s'est certainement développé à un rythme insoutenable à tous les niveaux de l'économie et le dernier crach est arrivé parce que cette énorme accumulation de capital fictif ne pouvait plus être valorisée. La propagation folle de crédit était en réalité une politique consciente de la bourgeoisie et la dernière d'une longue lignée de tentatives pour surmonter la stagnation chronique qui a dominé le paysage économique depuis les années 1970.
Mais un mensonge particulièrement insidieux est que la classe ouvrière a joui d'une sorte de renaissance au cours du 'boom'. En fait, la croissance moyenne annuelle au Royaume-Uni pendant la période allant de 1992 à 2008 était de 2,68%, avec une croissance de pointe beaucoup plus faible que dans les décennies précédentes. Ceci est légèrement en dessous de la moyenne de 2,9% ,atteinte lors du boom d'après-guerre, où la Grande-Bretagne était nettement en retard sur ses rivaux. L'idée d'un boom « insoutenable » est donc en contradiction avec l'évidence d'une expansion plus modérée. Le prétendu 'boom du crédit' n'est donc rien de plus qu'un boom dans l'expansion du crédit, et, en dépit de cette énorme injection de crédit, l'économie réelle elle-même n'a progressé que modestement.
Si la croissance économique réelle ne correspondait pas exactement à l'idée d'un boom, qu'en est-il de la situation de la classe ouvrière? En l'an 2000, 4,5 millions de travailleurs âgés de plus de 22 ans subsistaient avec moins de 7 £ de l'heure2, soit environ 40% des travailleurs de cette tranche d'âge. En 2010, leur nombre était de 3,5 millions, soit 32% de la population active. Donc, le nombre de travailleurs avec de bas salaires payés sur une base horaire a baissé assez fortement, bien que 32% de la population active vivant avec des salaires très bas soit toujours une statistique surprenante pour un supposé boom.
La montée du travail à temps partiel obscurcit partiellement la réalité derrière les chiffres bruts de salaires légèrement en baisse. Le nombre de travailleurs à temps partiel et de travailleurs temporaires qui n'ont pas choisi ces conditions de travail parce qu'ils ne pouvaient pas trouver de travail à temps plein ou d'emploi permanent a culminé en 1994 avec, respectivement, environ 846 000 et 650 000 travailleurs. Le temps partiel non choisi avait atteint son plus faible niveau (environ 550 000) en 2004 avant de recommencer à augmenter. Le travail temporaire involontaire s'est porté un peu mieux, en restant juste en dessous de 400 000, avant de recommencer à augmenter en 2009. Dès le début de l'année 2010, le temps partiel non choisi a atteint un nouveau pic de plus d'un million. Le travail partiel involontaire n'a pas encore atteint le sommet précédent, mais la tendance est à la hausse3.
Les chiffres ci-dessus suggèrent peut-être de légères améliorations, du moins pour ceux qui travaillent, au moins jusqu'à ce que la récession ne frappe. Mais les indicateurs couvrant l'impact plus large de la pauvreté brossent un tableau plus déprimant. En 1992, le nombre de personnes à faible revenu (égal ou inférieur à 60% du salaire moyen, c'est à dire le point dans l'échelle des revenus où la moitié de la population obtient plus et l'autre moitié reçoit moins) a culminé à environ 14,5 millions. Cela a légèrement baissé l'année suivante et une lente tendance à la baisse a suivi, pour finalement atteindre son plus bas niveau en 2004-2005, juste au-dessous de 12 millions. Depuis, ce chiffre est en hausse. Toutefois, ceux qui reçoivent moins de 40% du salaire moyen ne sont jamais descendus en dessous des 4 millions et leur nombre a lentement mais régulièrement augmenté4.
Pire encore, « Le salaire moyen au Royaume-Uni a stagné de 2003 à 2008, malgré une croissance du PIB de 11% au cours de cette période. Des tendances similaires sont évidentes dans d'autres économies avancées, des Etats-Unis à l'Allemagne. Depuis quelque temps, le salaire de ceux de la moitié inférieure dans la répartition des gains n'a pas réussi à suivre le chemin de la croissance économique globale. »5
La part de la valeur générée dans l'économie qui revient aux travailleurs a considérablement baissé au cours des dernières décennies: « En 1977, sur 100 livres de valeur générée par l'économie britannique, 16 £ sont allées aux salaires des travailleurs qui sont dans la moitié inférieure ; en 2010 ce chiffre est tombé à 12 livres, soit une baisse de 26%. De façon contrastée, 39 £ sont allée aux salaires des travailleurs qui sont dans la moitié supérieure ... et 39 £ sont allées aux entreprises et aux propriétaires, sous forme de profits»6.
Le chômage a (selon les chiffres officiels) atteint un sommet, après 17 années de hausse, avec 2,57 millions de chômeurs représentant 8,1% de la population en âge de travailler. Le nombre de ceux recevant des prestations est de 1,6 millions. En 2008-2009 (les données les plus récentes), 13,5 millions vivaient en dessous du seuil de pauvreté, avec une prévision d'augmentation de ce chiffre, selon ce que l'IFS appelle «la plus grande chute du revenu moyen en trois ans, depuis 1974-19777».
Le taux d'inflation a atteint 5,2%, d'après l'indicateur de mesure CPI, ou 5,6%, selon l'indicateur RPI. Mais ces chiffres globaux n’évaluent pas l'impact de l'inflation sur les plus pauvres, pour lesquels la hausse du coût réel de la vie est considérablement plus élevée. Un rapport a démontré que, en 2008-2009, l'inflation subie en réalité par 20% de la population la plus pauvre est de 4,3%, au lieu du chiffre global de l’indicateur RPI qui est de 2,4%8.
En conclusion, le prétendu 'boom' a eu un impact minime sur les conditions de vie réelles de la classe ouvrière. Les chiffres de la pauvreté globale ont légèrement baissé et ceux concernant les plus pauvres ont vraiment augmenté. Alors que le nombre de personnes ayant de bas salaires a légèrement baissé, le revenu moyen a stagné à nouveau, ce qui montre la pression salariale globale à la baisse du niveau de vie exercée sur la majorité de la classe ouvrière. Et ce peu d'amélioration qui a été constaté est destiné à être balayé par la nouvelle plongée dans la crise.
Si la dernière décennie a semblé être un boom pour la classe dirigeante et ses médias, c'est parce que sa part de la richesse sociale a augmenté énormément. L'augmentation « insoutenable » du niveau de vie, tellement déplorée par la classe dirigeante, a consisté en une légère réduction de l’extrême pauvreté. Le plus petit nombre de gens réduits à la pauvreté depuis 1990 a été le chiffre de 12 millions en 2004-2005. Pour relativiser ce ’bon résultat’, il convient de rappeler qu'en 1982, à la fin d'une récession brutale, le nombre de personnes dans la pauvreté, avec la même mesure, était seulement de 8 millions. Pour la classe ouvrière et en particulier ses membres les plus pauvres, la période du prétendu 'boom' a été pire en termes de conditions de vie que les récessions des périodes précédentes !
Ce 'boom qui n'a jamais existé', avec lason prétenduesoi-disant «insoutenable» élévation du niveau de vie qu'il aurait apporté, est une illusion totale. Il devrait plutôt être considéré comme le faible grésillement du feu mourant du capitalisme, payé par l'exploitation massive et la perte de dignité pour des millions de personnes au sein de la classe ouvrière.
Ishamael (5 novembre)
1 Pourquoi la réduction du niveau de vie est très souhaitable, Telegraph, 10 novembre 2011.
2 The Poverty Site - www.poverty.org.uk/51/index.shtml?2 [265].
3 Sources : Les Tendances dans le Temps Partiel et dans le Travail Temporaire, Institute of Publc Policy Research.
4 Sources : Suivi de la pauvreté et de l'exclusion sociale 2010, Joseph Rowntree Foundation.
5 Pourquoi les travailleurs ordinaires connaissent une croissance sans gain, The Resolution Foundation, juillet 2011. Epuisé.
6 Ibid.
7Au Royaume-Uni,, une forte hausse de la pauvreté, déclaration d'IFS, BBC New Online, 10 novembre 2011, https://www.bbc.co.uk/news/education-15242103 [266]
8 L'inflation est 'plus élevée pour les pauvres que pour les riches', BBC News Online.
Face au énième plan d’austérité imposé à la population grecque, la colère a fait irruption dans la rue. Entre 80 000 et 200 000 personnes se sont rassemblées devant le parlement, place Syntagma, lors du vote d’adoption des mesures par les députés dans la nuit du 12 au 13 février et se sont affrontées à la police anti-émeutes. Le bilan brut de ce que les médias ont appelé cette « nuit de guérilla urbaine » fait ressortir que 48 bâtiments ont été brûlés et que 150 magasins ont été pillés. On dénombre aussi une centaine de blessés et 130 arrestations. Les images de ces scènes de violence et d’Athènes en flammes ainsi que les décombres fumants, filmés au petit matin, évoquant des ravages de guerre ont été complaisamment passés en boucle par les médias pour impressionner et effrayer le reste du monde. Mais selon de nombreux témoignages sur le web, près de 300 000 personnes n’ont pu accéder à la place où se situe le parlement, bloquées par la police dans les rues adjacentes ou à la sortie du métro. Et c’est la police qui a commencé dès 17 heures à jeter des gaz lacrymogènes sur la place pour disperser et pourchasser la foule par petits groupes dans tout le centre ville. On a parlé de jeunes casseurs alors qu’on a vu beaucoup de femmes et d’hommes d’âge mûr et âgés participer aux violences ou les encourager. Que les incendies ou les déprédations aient été l’œuvre de provocateurs ou le produit d’actes désespérés, la rage de la population était indéniable comme en témoignaient les images de ceux qui lançaient des pierres ou des cocktails Molotov contre les forces de répression.
Le dernier train de mesures imposées par la « troïka » (le Fonds Monétaire International, l’Union Européenne et la Banque Centrale Européenne) est particulièrement intolérable. Tous les manifestants poussaient le même cri : on ne peut plus nourrir sa famille ni faire soigner ses enfants, on ne veut plus continuer à se faire étrangler de la sorte. Qu’on en juge :
- abaissement du SMIC de 22% (ramené de 750 à 480 euros) et de 32% pour les emplois de jeunes de moins de 25 ans, ce qui donne une idée de l’ampleur de l’amputation des salaires ;
- pour la plupart des prolétaires, les salaires ont été divisés par 2 en moyenne depuis un an.
S’y ajoutent :
-la suppression immédiate ou à terme de 15 000 fonctionnaires payés un ou deux ans avant leur licenciement à 60% de leur salaire de base ;
- la réduction du montant des pensions de retraite ;
- la limitation à un an du versement d’une allocation de chômage ;
- la suppression des hausses automatiques de salaires, y compris celles basées sur l’ancienneté ;
- la réduction du budget de la sécurité sociale, privant une large couche de la population de tout remboursement de soins ;
- la limitation à trois ans des accords collectifs concernant les conventions salariales.
Et cette liste n’est pas exhaustive ! Ainsi, le taux de chômage officiel en novembre 2011 était de 20,9 % (en hausse de 48,7% en un an). Le taux de chômage des jeunes entre 18 et 25 ans avoisine 50%.
En deux ans, le nombre de sans-domicile fixe a augmenté de 25% et la famine menace : la faim est devenue une préoccupation quotidienne pour beaucoup, comme au temps de l’occupation qu’a connue le pays lors de la Seconde Guerre mondiale.
Le témoignage d’un médecin d’une ONG est rapporté dans le quotidien Libération daté du 30 janvier 2012 : « J’ai commencé à m’inquiéter lorsqu’en consultation j’ai vu un, puis deux, puis dix enfants qui venaient se faire soigner le ventre vide, sans avoir pris aucun repas la veille. »
Le nombre de suicides a doublé en deux ans, notamment chez les jeunes, une personne sur deux souffre de dépression, le surendettement des ménages explose.
Le rejet quasi-unanime du dernier plan d’austérité a été tel qu’au moment de son vote, une centaine de députés s’en sont retirés ou s’y sont opposés, y compris une quarantaine appartenant aux deux grandes formations majoritaires de droite comme de gauche, se désolidarisant ainsi de la discipline de vote de leur parti. La situation est de plus en plus chaotique : alors que les deux grands partis traditionnels sont totalement discrédités, ceux qui forment la Nouvelle Démocratie (conservateurs) comme le Pasok, après 3 ans de pouvoir « social-démocrate », rassemblent à eux tous autour de 25% des intentions de vote. Dans ce climat général, la bourgeoisie va avoir les pires difficultés pour organiser les prochaines élections législatives annoncées pour le mois d’avril. D’autant que la décision de débloquer les 130 milliards d’euros prévus par le plan d’aide, qui devait accompagner le vote des mesures d’austérité par le parlement grec, a été reportée par les ministres des finances de l’UE à la semaine suivante. Car les pressions et les réticences des 3 pays de l’UE encore dotés du triple A, en particulier l’Allemagne, qui préféreraient voir la Grèce se déclarer en faillite et quitter l’UE plutôt que de la traîner comme un boulet se font de plus en plus fortes.
Et la Grèce n’est qu’un maillon de cette chaîne d’austérité brutale qui enserre déjà nombre de pays européens. Il n’y a aucune illusion à se faire ! Après la Grèce, la « troïka » s’est déplacée au Portugal pour adresser la même mise en demeure. L’Irlande sera mise sur la sellette dans la foulée. Puis ce sera le tour de l’Espagne et de l’Italie ; même le nouveau président du Conseil italien Mario Monti installé au pouvoir pour faire avaler la même potion amère s’inquiète pour l’avenir réservé à son pays quand il conteste la « dureté avec laquelle la Grèce est traitée. » La France, dont l’économie vacille de plus en plus, se trouvera prochainement sur la liste. En Allemagne même, dont on nous vante la santé et la solidité économiques, on voit une partie grandissante de sa population, et particulièrement les étudiants, s’enfoncer dans la précarité. L’Europe n’est pas et ne sera pas la seule zone touchée et aucun pays dans le monde ne sera épargné. Il n’ya a pas de solution à une crise mondiale qui révèle ouvertement la faillite totale du système capitaliste.
Une enseignante désespérée déclarait : « Avant la crise, je touchais 1200 euros, désormais j’en touche 760. A chaque jour de grève, ils me ponctionnent 80 euros et les mesures sont rétroactives : ce mois-ci j’ai perçu que 280 euros. Ca ne vaut plus le coup de travailler, autant manifester et tout casser pour qu’ils comprennent qu’on ne va pas se laisser faire. »
Cette exaspération et cette colère dont elle témoigne se généralisent et se sont vues encore renforcées par la stérilité avérée et l’impuissance à faire reculer les plans de rigueur successifs des journées de grèves générales de 24 ou 48 heures à répétition depuis 2 ans appelées par les deux principaux syndicats, l’ADEDY (fonction publique) et le GSEE (secteur privé) liés au Pasok) qui se partagent le travail avec le PAME, courroie de transmission du parti communiste pour diviser les travailleurs comme pour encadrer et défouler le ras-le-bol.
Dans cette situation, l’agitation sociale en Grèce est intense et la solidarité tente de s’organiser. Des assemblées sont organisées dans les quartiers, dans les villes et les villages, des cantines ou des distributions de nourriture se sont mis en place, l’occupation de l’université de Novicki se donnait pour but de servir de lieu d’échange et de débats. Il y a eu des occupations de ministères (Travail, Economie, Santé), de conseils régionaux (dans les îles Ioniennes ou en Thessalie), de la centrale électrique de Megalopolis, de la mairie de Holargos, tandis que les producteurs ont distribué du lait ou des pommes de terre à la population. Une action d'auto-organisation des travailleurs s’est déroulée au journal Eleftherotypia qui emploie 800 personnes.
Mais la réaction la plus significative qui montre la détermination du mouvement en Grèce illustre aussi de façon concentrée toutes ses faiblesses et ses illusions. Elle a eu lieu à l’hôpital de Kilkis en Macédoine centrale au Nord du pays, où le personnel hospitalier réuni en assemblée générale a décidé de se mettre en grève et d’occuper l’hôpital pour réclamer la part de leur salaire impayé tout en prenant l’initiative de continuer à faire fonctionner les urgences et à prodiguer des soins gratuits aux plus démunis. Ces travailleurs ont lancé un appel en direction des autres travailleurs qui proclame que « la seule autorité légitime pour prendre les décisions administratives sera l'Assemblée générale des travailleurs ». Nous reproduisons sur notre site une traduction de cet appel [267] (Source https://nantes.indymedia.org/posts/34858/article-2-laurent-berger-a-vendu-le-morceau/ [268]) qui manifeste une claire volonté de ne pas rester isolés en appelant non seulement les autres hôpitaux mais tous les travailleurs de tous les secteurs à les rejoindre dans la lutte. Cependant, cet appel traduit aussi beaucoup d’illusions démocratiques, en voulant s’appuyer sur « une réaction citoyenne » et sur une indistincte « union populaire », « avec la collaboration de tous les syndicats et organisations politiques progressistes et les médias de bonne volonté ». Il est également lourdement imprégné de patriotisme et de nationalisme : « Nous sommes déterminés à continuer jusqu'à ce que les traîtres qui ont vendu notre pays s’en aillent », qui sont de véritables poisons pour l’avenir de la lutte. C’est en effet le principal facteur de pourrissement de ce mouvement « populaire » en Grèce qui reste enlisé et englué dans ce piège du nationalisme et des divisions nationales que tendent les politiciens et les syndicats et qu’ils ne manquent pas d’entretenir par tous les moyens. Au cœur des manifestations flottaient partout des drapeaux grecs. Tous les partis et les syndicats poussent à exacerber un sentiment de « fierté nationale bafouée ». En pointe de cette démagogie populiste, le parti communiste grec (le KKE), qui joue le même rôle que Le Pen père et fille en France, ne cesse de diffuser cette propagande chauvine largement attisée par les principaux partis poussant vers l’impasse de la défense des intérêts du pays : le gouvernement est accusé de vendre et même de brader le pays à l’étranger, d’être un traître à la défense de la nation. On inocule l’idée que le responsable de la situation n’est pas le système capitaliste lui-même mais que ce serait la faute de l’Europe de l’Allemagne ou encore des Etats-Unis. Ce véritable poison qui dévoie le combat de classe sur le terrain pourri de divisions nationales où s’exerce précisément la concurrence capitaliste représente non seulement une impasse mais il constitue un obstacle majeur au développement nécessaire de l’internationalisme prolétarien. Nous n’avons pas d’intérêt national à défendre. Notre lutte doit se développer et s’unifier au-delà des frontières. C’est pourquoi il est vital que les prolétaires des autres pays rentrent en lutte et montrent par là que la réponse des exploités du monde entier face aux attaques du capitalisme n’est pas et ne peut pas être sur le terrain national.
W. (18 février))
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Les travailleurs ont rendu publique la déclaration suivante le 4 février dernier : 1. Nous reconnaissons que les problèmes actuels et durables du Système national de santé et des organisations apparentées ne peuvent pas être résolus par des revendications spécifiques et isolées ou pour nos intérêts particuliers, car ces problèmes sont le résultat d'une lutte plus générale contre la politique antipopulaire du gouvernement et du néolibéralisme globalisé. 2. Nous reconnaissons également qu'en insistant sur la mise en avant de ce type de revendications, nous participerions au jeu implacable du pouvoir, qui, afin de répondre à son ennemi – c’est-à-dire le peuple fragilisé et divisé -, essaye d'éviter la création d’un Front populaire universel au niveau national et mondial, avec des intérêts communs et des revendications contre l'appauvrissement social provoqué par la politique du pouvoir. 3. Pour cette raison, nous plaçons nos intérêts particuliers dans le cadre des revendications politiques et économiques exprimées par une grande partie du peuple grec souffrant aujourd'hui de l'attaque brutale du capitalisme ; ces revendications, pour connaître le succès, doivent être portées jusqu’au bout, en coordination avec les classes moyennes et inférieures de notre société. 4. Le seul moyen d’y parvenir est la remise en cause, par l'action, non seulement de la légitimité politique, mais aussi la légalité de l’arbitraire autoritaire et antipopulaire d'une hiérarchie qui se dirige à grande vitesse vers le totalitarisme.
Hôpital général de Kilkis
5. Nous travailleurs de l'Hôpital général de Kilkis, nous répondons à ce totalitarisme par la démocratie. Nous occupons l'hôpital public et le mettons sous notre contrôle direct et total. Dorénavant l’Hôpital général de Kilkis aura un gouvernement autonome et la seule autorité légitime pour prendre les décisions administratives sera l'Assemblée générale des travailleurs. 6. Le gouvernement n'est pas dégagé de ses obligations financières en ce qui concerne la dotation et l’approvisionnement de l'hôpital, mais s’il continue à ignorer ces obligations, nous devrons informer le public à ce sujet et nous nous tournerons vers l'administration locale et, surtout, vers la société tout entière pour qu’elles nous soutiennent de toutes les manières possibles en vue de: (a) la survie de notre hôpital, (b) un soutien général au droit aux soins de santé publics et gratuits, (c) le renversement, par une lutte populaire commune, du gouvernement actuel et la cessation de tout autre politique néolibérale, quelle que soit sa source et (d) une démocratisation profonde et substantielle, à savoir que ce soit la société, et non des tiers, qui soit responsable des décisions sur son avenir. 7. À partir du 6 février, le comité des travailleurs de l'hôpital de Kilkis limitera le travail aux seules urgences jusqu'au paiement intégral des heures travaillées et le retour aux niveaux de salaires antérieurs à l'arrivée de la Troïka ( CE, BCE et FMI). Entre-temps, bien conscients que nous sommes de notre mission sociale et de nos obligations morales, nous veillerons à la santé des citoyens qui viennent à l'hôpital en fournissant des soins gratuits et un hébergement aux nécessiteux et nous continuerons à exiger que le gouvernement prenne ses responsabilités et mette fin à sa politique cruelle, excessive et antisociale.
8. Nous avons convenu de tenir une nouvelle assemblée générale le lundi 13 Février dans l'auditorium du nouveau bâtiment de l’hôpital à 11 heures, où nous déciderons des procédures nécessaires pour mettre en œuvre efficacement l'occupation des services administratifs et mener à bien l’autogestion de l’hôpital, qui commencera ce jour-là. Nous tiendrons chaque jour une assemblée générale, qui sera l'instrument fondamental de prise de décisions sur les employés et fonctionnement de l'hôpital. Nous appelons à la solidarité du peuple et des travailleurs de tous les secteurs, avec la collaboration de tous les syndicats et organisations progressistes et le soutien de tous les médias qui choisissent de dire la vérité. Nous sommes déterminés à continuer jusqu'à ce que les traîtres qui ont vendu notre pays s’en aillent. C'est eux ou nous ! Les décisions ci-dessus seront rendues publiques lors d'une conférence de presse à laquelle sont invités tous les médias (locaux et nationaux), le mercredi 15/2/2012 à 12h 30. Nos AG quotidiennes débuteront le 13 février. Nous informerons les citoyens de tous les événements importants qui se déroulent dans notre hôpital par des communiqués et des conférences de presse. En outre, nous utiliserons tous les moyens disponibles pour faire connaître ces faits afin que cette mobilisation réussisse. Nous appelons : a) nos concitoyens à manifester leur solidarité avec notre effort, b) tous les citoyens qui reçoivent un traitement injuste de notre pays à la contestation, à s'opposer à leurs oppresseurs, c) nos camarades travailleurs d'autres hôpitaux à prendre des décisions similaires, d) les salariés dans d'autres branches des secteurs public et privé et les adhérents des organisations de travailleurs et progressistes, à agir dans le même sens, afin que notre mobilisation devienne une résistance ouvrière et populaire universelle et une insurrection, jusqu’à notre victoire finale sur l'élite économique et politique qui aujourd'hui opprime notre pays et le monde. |
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par nos camarades d'Accion Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne.
Mercredi 15 février, la police a réprimé les lycéens et les étudiants qui avaient arrêté la circulation dans la rue de Xativa à Valence lors de leur manifestation contre les coupes budgétaires. Un jeune mineur a été arrêté. Depuis, les manifestations et les rassemblements se succèdent, l’État répondant par une véritable escalade dans la répression : 17 personnes arrêtées et, traitées de façon humiliante, en particulier les jeunes filles, insultées grossièrement, traînées par terre… Ceux qui se sont rassemblés face au bâtiment de police de Zapadores ont été victimes d’un piège et fichés un par un.
Face à de tels actes, nous voulons exprimer notre solidarité avec tous les emprisonnés, notre soutien à toutes les manifestations de solidarité qui ont eu lieu ainsi qu’à l’attitude des habitants du quartier de Zapadores qui « ont montré leur soutien à ceux qui s’étaient rassemblées en laissant glisser depuis leurs balcons des bouteilles d’eau et autres rafraîchissements, ce qui a provoqué les applaudissements des manifestants »1.
Une première piste est que ces méthodes ont été employées de façon réitérée dans d’autres pays pour affronter les protestations sociales massives : on peut donc dire que les gouvernants espagnols suivent l’exemple. En France, lors des manifestations contre la réforme des retraites, la police a tendu un piège à 600 jeunes à Lyon, en les fichant un par un, comme aujourd’hui à Valence. Et c’est la même chose que le gouvernement de Cameron a faite à Trafalgar Square, à Londres, lors des mobilisations contre l’augmentation des droits d’inscription à l’université. Le but poursuivi est de prendre les jeunes comme tête de turc pour lancer un avertissement aux nombreux manifestants qui occupent les rues. Voilà ce qu’ils cherchent à faire aussi à Valence. Ils ne peuvent pas se permettre d’affronter des milliers de manifestants, ils choisissent donc quelques centaines de jeunes.
Une deuxième réponse - qui vient compléter la première - est celle de vouloir nous entraîner dans une espèce de spirale d’actions-réactions, avec des arrestations permanentes, des mobilisations, encore d’autres arrestations, de sorte que le mouvement finisse par s’épuiser, et que les buts centraux, la lutte contre les coupes et la réforme du travail, passent au second plan. En Grèce, le gouvernement "socialiste" de Papandreou a employé à foison ces méthodes, n’hésitant pas à utiliser des flics provocateurs pour mettre en place des actes de vandalisme qui, à leur tour, servaient à « justifier » les charges policières et les arrestations massives.
Un autre objectif est celui de créer un climat de tension qui nous pousse à des répliques improvisées et inconscientes. Et c’est ainsi, grâce à l’ambiance provoquée par le pouvoir et sa police, que l’occupation ouverte à tous les travailleurs, aux lycéens et aux étudiants, de TOUS LES SECTEURS, qui était prévue pour lundi 20 février, a dû être annulée.
Finalement, un des objectifs de la répression est en lien avec les traditions de la droite espagnole. Celle-ci s’est distinguée historiquement par son arrogance provocatrice et sa brutalité répressive. Le gouvernement actuel de droite se vautre sans le moindre scrupule dans cette attitude et on pourrait dire qu’il s’en délecte. Tout cela convient parfaitement à l’État et au capital espagnol pris dans leur ensemble pour nous faire dévier vers la défense de la démocratie - prétendument menacée par cette droite-là - et vers une lutte pour des alternatives « moins répressives et plus sociales », alors que la seule solution est celle de lutter contre le capitalisme sous toutes ses formes et toutes ses couleurs politiques.
Un jeune, devant le déchaînement répressif de Valence, criait : « C’est la Syrie ici ! ».
Et il avait raison sur un point : l’État – qu’il soit démocratique ou ouvertement dictatorial comme celui de la clique d’Al-Assad - n’hésite pas une seconde à appliquer une répression brutale quand les intérêts de la classe capitaliste sont en jeu. Cependant, il existe une différence entre l’Etat démocratique et l’État dictatorial. Le premier est capable d’employer la répression avec intelligence politique, en assenant des coups mais accompagnés de manœuvres politiques pour dévoyer, diviser et démobiliser. Ceci le rend plus cynique et dangereux, parce qu’une répression accompagnée de manœuvres de division et de pièges, politiques et idéologiques, fait beaucoup plus de mal qu’une répression pure et dure.
Le piège de montrer la répression comme si c’était une spécialité exclusive de la droite a le grand avantage de rendre présentable l’Etat et ce qui est derrière lui, le Capital et la bourgeoisie. N’y a-t-il pas une continuité entre ce que le gouvernement du PSOE a réalisé (comme coupes sociales autant qu’en répression) et ce qu’accomplit le gouvernement actuel ? En regardant le reste du monde, ne constate-t-on pas que, quel que soit le type de gouvernement, les choses ne font qu’empirer ?
Le piège qui consiste à s’acharner sur des jeunes, ce qui montre déjà une abjecte pleutrerie, a comme objectif de créer une fracture entre les générations, de les diviser, ce à quoi se sont prêtés quelques représentants politiques et syndicaux en disant sur un ton paternaliste que les jeunes « se sont laissés entraîner par la passion » ou « qu’ils n’en ont fait qu’à leur tête dans les protestations ».
Le piège se referme avec les « alternatives » de la si « loyale » opposition (le PSOE, Izquierda Unida, etc.) qui déplorent cette « répression disproportionnée », autrement dit ces messieurs proposent une répression « proportionnée », « contrôlée », une façon de bien légitimer la répression. En plus, ils ont demandé la démission de la Déléguée du Gouvernement [central] en faisant croire ainsi qu’en mettant un autre politicien à ce poste bureaucratique, il n’y aurait plus de répression ou qu’elle serait plus « douce ».
On ne peut pas répondre à la répression avec des « demandes de démission » de tel ou tel représentant, ni en réclamant « plus de démocratie ». Et non plus en « modérant » les revendications pour faire des concessions. Tout cela ne fait que rendre l’Etat encore plus déterminé et plus fort.
Face à la répression, on doit répondre en rendant encore plus massives les manifestations, les rassemblements et les assemblées. Il faut aller vers une assemblée générale de travailleurs, étudiants, chômeurs, qui demande le soutien aux travailleurs du reste de l’Espagne, des autres pays, qui revendique le retrait de la Réforme du code du travail et l’annulation des coupes tout en rejetant les agissements de la police et en demandant la libération sans suite de tous les détenus.
Nous devons tous nous mobiliser, les jeunes et les moins jeunes, les chômeurs et les actifs, les employés publics et ceux du privé, toutes les générations ensemble. La seule possibilité que nous ayons de les faire reculer est celle d’une action conjointe, massive et solidaire. On sait très bien, cependant, que tout recul que nous réussirons à imposer ne sera que temporaire parce que le pouvoir reviendra à la charge avec de nouvelles têtes et de nouvelles méthodes. On a vu ainsi qu’on a changé le PSOE pour le PP qui a continué à frapper encore et encore, comme on l’a vu en Grèce où le Parti dit socialiste a été remplacé par un gouvernement d’Union nationale, qui comprend des néofascistes. Face à tout cela, nous ne pourrons avancer vers une solution des très graves problèmes qui nous assaillent que si notre lutte prend le chemin de la transformation révolutionnaire de cette société.
Accion Proletaria (19 février)
1 Source : www.levante-emv.com/comunitat-valenciana/2012/02/17/seis-arrestados-nueve-heridos-dia-13003388.html [269]
Au début du mois de février, l’Europe a subi une vague de froid de 13 jours particulièrement meurtrière. Le bilan de la catastrophe s’élève, officiellement, à plus de 600 morts. Bien que personne n’ignore que les chiffres officiels sont largement sous-evalués, une nouvelle fois, la classe dominante a fait en la circonstance la démonstration de son cynisme le plus répugnant.
Évidemment, les personnes sans-logis sont les principales « victimes du froid ». Quand les foyers d’accueils existent, les places sont bien souvent insuffisantes et à ce point répugnantes ou insécures que de nombreux sans-abris préfèrent encore dormir dehors. Dans tous les pays, les actions telles que «l es maraudes »1 sont invariablement dérisoires au vu des besoins. En France, par exemple, des mesures conséquentes étaient enfin adoptées alors que les thermomètres indiquaient déjà -20°C dans de nombreuses régions. Mais la bassesse de la classe dominante n’a pas de fond ; le défunt président Pompidou face aux manifestations de mai 1968 avait déclaré : « passé les bornes, il n’y a plus de limites ». Mais la bourgeoisie, elle, sait toujours dépasser celles de l’indécence et nous surprendre par son ignominie illimitée. Tandis que ceux qui sont rejetés à la rue par le capitalisme crevaient, dans l’indifférence des puissants bien au chaud dans le confort de leurs riches demeures, les « pouvoirs publics » déployaient des trésors d’ingéniosité pour tenter de déneiger les routes. En Italie, où le froid a fait 45 victimes, la seule ville de Rome a distribué 10 000 pelles, et déployé 700 camions chasse-neige. Plusieurs centaines de morts dans les rangs des ouvriers « improductifs » ne préoccuperont jamais nos bourgeois, mais il fallait que les salariés soient en mesure de se déplacer jusqu’à leurs lieux de travail pour s’y faire exploiter.
Les prolétaires savent que la barrière qui les sépare de la rue est chaque jour plus mince. Il fallait donc en profiter pour souffler le froid et le chaud dans la population en « rassurant » par des « exemples » de pays comme l’Ukraine, où le froid a été le plus meurtrier. « Regardez, c’est bien pire ailleurs ! »
En même temps,, le problème des victimes était noyé au milieu des témoignages de ménagères effrayées par le verglas, des reportages sur la qualité des opérations de déneigement et de tout le battage sur les prétendues consommations « records » d’électricité, histoire de faire rentrer dans les têtes la nécessité du nucléaire. Surtout, il fallait expliquer, de mille et une façons possibles, que c’est le froid qui tue, pas le capitalisme : « Le bilan du froid s'alourdit avec plus de 600 victimes en Europe2 », « La vague de froid, qui doit se poursuivre dans les prochains jours, a fait au moins 12 morts en France3 », « La vague de froid tue encore en Europe de l'Est4 », etc.
Mais depuis quand le froid est responsable du nombre croissant d’ouvriers jeté à la rue ? Le système capitaliste agonisant n’est simplement plus en mesure d’apporter des solutions au chômage, à l’exclusion et à la misère qui se développent à un rythme infernal. Le caractère massif de la catastrophe a fait sensation, mais chaque jour, de très nombreux ouvriers sans-abris meurent de froid, de malnutrition ou de l’absence de soins médicaux au cœur des pays les plus développés, où de plus en plus de prolétaires sont plongés dans une misère et un dénuement croissants c’est-à-dire rien qui s’apparente de près ou de loin à une malheureuse fatalité..
V (16 février)
1 En France, une maraude est un passage en véhicule Croix-Rouge dans les rues où vivent des personnes défavorisées, dans le but de leur distribuer une soupe chaude, un petit sac de denrées alimentaire ou simplement un peu de réconfort.
2 LeMonde.fr, le 13/02/2012.
3 Reuters, le 10/02/2012.
4 L’express, le 12/02/2012
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article réalisé par nos camarades de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Depuis cinq mois, les électriciens manifestent, font des piquets pour élargir la résistance aux nouvelles conditions crées par l’accord de la Building Engineering Services National Agreement (BESNA), accord qui implique une déqualification et une réduction des salaires d’environ 30%. Des réunions de protestation, des piquets forts de plusieurs centaines d’ouvriers, se sont tenus à l’extérieur des sites de construction gérés par les 7 firmes BESNA, chaque semaine, dans tout le pays, à la recherche du soutien d’électriciens – quel que soit l’endroit où ils travaillent et pour quelle compagnie, qu’ils soient syndiqués ou non – et d'étudiants quand ils manifestaient aussi à Londres le 9 novembre, d’Occupy London devant la cathédrale Saint Paul. Là où ils ont cherché la solidarité, ils l’ont trouvée, au moins de la part d’une minorité. Le 7 décembre, ils s’attendaient à être en grève générale après que celle-ci ait été votée à 81 %, sauf que ce résultat a été contesté par les employeurs et qu’il n’y a finalement pas eu d’appel officiel à la grève. Beaucoup d’entre eux ont pris part à une grève sauvage, accompagnée de piquets composés de plusieurs centaines d’ouvriers allant de site en site.
Cependant, malgré ces efforts, les électriciens sont de plus en plus frustrés par le fait que leur lutte ne se développe pas, sachant que le niveau actuel de l’action n’est pas suffisant pour défendre leurs salaires et leurs conditions de travail actuelles – qui ne sont dans certains cas pas toujours respectées, en particulier par les agences. L’action de grève, en particulier, est toujours retardée. Pour rendre les choses pires encore, après des mois pendant lesquels le syndicalisme de base a appelé les ouvriers à ne pas signer le nouvel accord, à ne pas céder au chantage des employeurs qui menacent de supprimer leurs jobs s’ils ne le font pas, le syndicat Unite1 a maintenu son conseille de signer les accords de façon à garder leur travail. « J’ai reçu ma lettre d’Unite qui nous dit de signer le BESNA… Nous sommes vendus par le syndicat et le vote n’a même pas encore eu lieu », « Je peux comprendre ce qu’ils pensent d’un point de vue légal, mais le moment ne pouvait être pire. » (posts sur www.electriciansforums.uk [270])
C’est de toute évidence une période difficile, la classe ouvrière dans son ensemble voit ses salaires diminuer et même ceux qui ne subissent pas de réduction de salaire nominal gagnent moins à cause de l’inflation. Le chômage est élevé, les boulots sont rares. La lutte dans l’industrie du bâtiment, avec l’obligation de se déplacer d’un site à l’autre, la mise sur liste noire des militants, demande un réel courage.
Mais il y a plus. Les électriciens combatifs ont passé tous ces mois à faire pression sur Unite pour qu’il organise un vote et des actions de grève, et maintenant, ils attendent que cela conduise à une grève en février – après que beaucoup ont été forcés de signer le nouvel accord sous peine de perdre leur travail. Une fois que la grève aura commencé à Balfour Beatty, ils espèrent qu’elle s’étendra à d’autres sites. Les porte-paroles du syndicalisme de base aux piquets à Londres étaient très contents que Len McCluskey (secrétaire général de Unite) leur ait promis son soutien au début de l’année, y compris un budget illimité pour la lutte, et qu’il y ait un représentant élu des syndicalistes de base à toutes les réunions en vue d’empêcher toute trahison.
La frustration vis-à-vis des tactiques d’Unite pour tout retarder a engendré toutes sortes d’idées sur le forum des électriciens :
Il y a eu des concessions et des petits arrangements entre syndicats et patrons avant. Evidemment, c’est vrai, mais çà n’explique pas pourquoi.
Les bureaucrates syndicaux s’occupent de leurs petites affaires, « les permanents paresseux se servent du syndicat pour avoir un salaire et une bonne pension. » Beaucoup d’ouvriers combatifs auparavant sont devenus des officiels à plein temps du syndicat, alors qu’y a-t-il dans les syndicats qui les corrompent ? Le salaire et la pension ou la façon dont le syndicat agit en tant qu’organe de négociation ?
Unite est trop gros, « si seulement nous avions notre propre syndicat et n’étions pas regroupés avec la moitié du pays », « tout ce qui les intéresse, ce sont ‘les malheurs’ des employés du secteur public. » En fait, les syndicats traitent les travailleurs du secteur public aussi mal que ceux du privé. Par exemple, lors de la grève d’Unison en 2006, les syndicats ont demandé aux enseignants de traverser le piquet du personnel de l'éducation non enseignant et, par la suite, ils ont préconisé la même manœuvre mais en sens inverse (les non-enseignants traversant le piquet des enseignants). Il a pu y avoir de la publicité pour les grèves d’un jour, les manifestations organisées pour les travailleurs du secteur public, mais cela n’a pas fait avancer la lutte du tout.
« La plupart des gars sont à blâmer eux-mêmes » pour ne pas vouloir lutter. De façon assez étrange, ce qui rend difficile l’entrée dans la lutte aussi bien que sa dynamique elle-même (pour les ouvriers combatifs faire des piquets de grève tôt le matin autant que pour ceux qui attendent que Unite les appellent à l’action ou même que ceux qui ne croient pas qu’on puisse vraiment faire quelque chose), c’est la vision commune que même si « passer par le syndicat Unite n’est pas une proposition très enthousiasmante et n’a que très peu de crédibilité auprès de l’électricien moyen », même si «beaucoup d’électriciens n’y adhérent plus », ils sentent aussi « que la triste réalité est que c’est tout ce que nous avons sous la main et nous devons l’utiliser du mieux que nous pouvons. »
Ce que les électriciens ont déjà fait montre qu’il y a une alternative aux méthodes syndicales de lutte. Comme il a été dit lors d’un des rassemblements à Blackfriars en janvier, c’était tout un symbole que le 9 novembre Unite ait voulu que la manifestation se dirige vers le Parlement pour faire pression sur les députés, alors que les travailleurs voulaient aller rejoindre le rassemblement étudiant. Le syndicat et la base voulaient aller dans des directions totalement différentes.
Pour les travailleurs, « nous ne pouvons réussir qu’avec d’autres secteurs et d’autres professions venant renforcer nos rangs et se tenir à nos côtés, en solidarité avec la classe ouvrière industrielle, dans un syndicat ou pas, pour une cause et un but communs » (Siteworker), complètement à l’opposé de la « lutte » syndicale limitée à ses membres, et ensuite avec ceux dont l’employeur est celui avec qui le syndicat négocie. Les ouvriers doivent lutter avec toute leur solidarité, avec des piquets de grève forts, pour empêcher les attaques contre leurs salaires, leurs conditions de vie et leur qualification. Pour les syndicats, la lutte n’est qu’un moyen pour aller négocier, et ils acceptent chaque fois l’austérité et les licenciements tant qu’ils peuvent se mettre autour de la table avec les employeurs et souvent le gouvernement.
Les électriciens ont manifesté, ils ont fait des délégations, ils sont partis en grève sauvage, ils ont essayé de construire une lutte – ce qui est la seule voie qui puisse donner confiance à ceux qui peuvent hésiter à lutter. Le syndicat a freiné en usant de toutes sortes d’excuses sur le fait qu’il fallait recruter, voter, tout faire légalement… Il ne faut pas s’étonner du fait que les organisateurs à temps plein aient été en grande partie absents – qu’est-ce que les revendications ouvrières ont à voir avec cela ?
Si nous regardons un peu plus loin, nous voyons que souvent la lutte, et quelquefois des luttes payantes, se déroulent sans les syndicats : les ouvriers du textile au Bengladesh il y a quelques années, les ouvriers de Honda en Chine (qui ont été physiquement attaqués par les syndicats sponsorisés par l’Etat) ; et, bien sûr, les mouvements des Occupy, des Indignés, à travers toute l’Europe et les Etats-Unis, montrent aussi que les gens peuvent se rassembler et organiser une lutte même sans les syndicats.
Les syndicats ne sont pas tout ce que nous avons sous la main ; en fait, ils ne plus du tout de notre côté. Tout ce que nous avons, c’est ce que nous-mêmes, la classe ouvrière, nous faisons.
Malgré des discours optimistes lors des manifestations en janvier, il y a un sentiment général que la dynamique de résistance des électriciens aux attaques de le BESNA s’épuise. Le résultat du nouveau vote demandé par Unite pour les travailleurs de Balfour Beatty sera annoncé début février – le dernier donnait 81 % en faveur de l’action – avec l’attente d’une grève une semaine plus tard. Mais ce vote intervient dans un moment critique – après qu’Unite ait ordonné à ses membres de signer l’accord, quand les patrons de BESNA pensent qu’ils ont gagné et que beaucoup d’électriciens craignent qu’ils n’aient raison. Les syndicats appellent de nouveau à une grève ou une grande manifestation juste quand la volonté de lutter a été contrariée et s’est épuisée, quand on s’achemine vers la défaite, laissant les ouvriers impuissants et démoralisés. Si c’est ce qu’on laisse arriver, la leçon négative ne va pas que frapper les électriciens mais tous les employés de la construction, donnant aux employeurs du BTP un air (non mérité) d’invincibilité. La défaite d’une section combative de la classe ouvrière aura aussi des conséquences négatives pour la lutte en général.
Les électriciens combatifs sont déterminés à continuer à résister au BESNA organisant « des bus pour faciliter la mobilité des piquets » et déclarent faire passer la grève à un niveau supérieur « sans aucun doute, d’autres sites vont soutenir la grève BBES » (Balfour Beatty Engineering Services)2. Mais cela sera insuffisant si les travailleurs ne peuvent pas prendre en main tout le contrôle de leur lutte pour élargir le mouvement. Prendre le contrôle ne veut pas dire élire des syndicalistes de base pour « contrôler » le syndicat Unite, aussi combatifs soient-il ; cela veut dire organiser des meetings massifs pour discuter de la lutte, prendre des décisions et les appliquer collectivement. Elargir le combat ne veut pas dire en appeler simplement aux électriciens des autres firmes ; cela veut dire aller chercher les ouvriers des autres entreprises de construction et des autres industries, qu’elles soient publiques ou privées. C’est la seule façon de gagner.
Alex (27 janvier)
1 Unite est désormais le premier syndicat du Royaume-Uni, né en mai 2007 d'une fusion entre le deuxième et le troisième syndicat du pays à l'époque, Amicus et T&G. Il accueille 1 557 900 membres (janvier 2009), qui travaillent dans pratiquement tous les secteurs, dont la construction automobile, l'imprimerie, la finance, les transports routiers et les services de santé. Il est plus implanté dans le secteur privé que dans le secteur public, où il compte tout de même 200 000 affiliés.
2 Source : https://siteworkers.wordpress.com/ [271]
A la suite des émeutes, une discussion s'est développée au sein du mouvement révolutionnaire sur la nature de classe et la dynamique des émeutes. Des organisations de la Gauche communiste et des groupes anarchistes, comme Solfed, ont vu les émeutes comme résultant de la nature et des contradictions de la société capitaliste, mais elles ont critiqué les attaques contre d'autres ouvriers, qu'il s'agisse d'attaques directes ou de mettre le feu à des magasins au-dessus desquels des ouvriers vivent. D'autres ont vu les émeutes comme une attaque contre la marchandise et contre les rapports de production capitalistes. Certains ont établi une distinction entre ces émeutes et celles des années 1980, faisant valoir que celles-ci sont plus clairement dirigées contre les forces qui oppriment et attaquent la classe ouvrière, en particulier la police.
Cet article tente de contribuer à ce débat en examinant le rapport entre les émeutes et la lutte des classes. La première partie, publiée ici, considère la question dans le contexte de l'histoire du mouvement ouvrier et de la nature générale de la lutte. La seconde partie se penchera plus spécifiquement sur les émeutes de cet été au Royaume-Uni.
Ceux qui sont du côté de la classe ouvrière ne peuvent pas accepter le langage et le cadre donnés par la bourgeoisie. La confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie implique inévitablement que la classe ouvrière s'approprie les biens et la propriété de la bourgeoisie et qu’elle se confronte à ses forces de contrôle, dans des périodes de violence, comme on a pu le voir lors des émeutes de la faim du 18ème siècle, dans les luttes pour organiser et obtenir des augmentations de salaire au 19ème siècle, ou pour renverser le capitalisme au début du 20ème siècle. Pour la bourgeoisie, tout ce qui menace sa domination et qui s'oppose à l'inviolabilité de la propriété est émeute, pillage, acte criminel et immoral, et suscite de ce fait un désir de vengeance qui conduit à la répression, à l'incarcération et souvent à des massacres. Ainsi, toutes les fois que la classe dirigeante parle « d'émeutes », nous ne devons pas la croire sur parole.
De même, il ne faut pas être trop hâtif à rejeter toute action comme étant celle du « lumpen prolétariat ». Sur cette question, le Manifeste Communiste de 1848 écrit : « Le lumpenprolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne » et que ses conditions de vie « disposeront plutôt à se vendre à la réaction ». Est ici décrit un processus qui a existé tout au long du capitalisme et qui peut s'accroître dans les circonstances actuelles, mais il est également clair qu'il ne représente pas une catégorie immuable.
Ceux qui sont du côté de la classe ouvrière doivent juger tout événement en fonction du fait qu'il accélère ou retarde la lutte de la classe ouvrière pour mettre fin à son exploitation. C'est avant tout une perspective historique ; des gains immédiats ne vont pas nécessairement se traduire par des acquis à long terme. Ainsi évaluer un événement particulier, c'est comprendre son impact sur les armes de la lutte de la classe ouvrière : son organisation et sa conscience.
Marx et Engels soulignent l'unité et la dynamique de ces deux aspects dans le Manifeste du Parti Communiste. D'un côté, ils décrivent le développement des syndicats (la forme que les organisations de masse de la classe ouvrière ont pris à cette époque) et les luttes dans lesquelles les ouvriers se sont engagés et ils commentent : « Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. » De l'autre, ils décrivent comment « la bourgeoisie fournit aux prolétaires les éléments de sa propre éducation, c'est-à-dire des armes contre elle-même », avant de faire valoir que les communistes sont « pratiquement,... la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »
Organisation et conscience, conscience et organisation, telles sont les qualités de la classe ouvrière qui se renforcent mutuellement, le fruit de son être et de sa lutte au niveau historique et international. Elles ne sont pas identiques et se présentent et se manifestent sous des rythmes différents, mais connexes. Des éléments des autres classes peuvent rejoindre le prolétariat et contribuer à son développement, mais l'origine, la dynamique et la force de ce développement viennent du sein de la classe ouvrière.
Quand on examine la question générale de savoir comment la classe ouvrière lutte et la question spécifique de la place que les émeutes ont dans cette lutte, le mouvement ouvrier en fait une analyse critique à la fois théorique et pratique.
Dans La Situation de la Classe Laborieuse en Angleterre, publié en allemand en 1845, Engels expose la position dans laquelle le capitalisme met chaque travailleur (sans distinction de sexe, malgré le langage des citations suivantes) : « le travailleur est fait pour sentir à chaque instant que la bourgeoisie le traite comme un bien mobilier, comme sa propriété, et pour cette raison, si ce n'est pour d'autres, il doit se présenter comme son ennemi ... dans notre société actuelle, il ne peut sauver sa virilité que dans la haine et la rébellion contre la bourgeoisie. » Il a ensuite esquissé les grandes lignes du développement de la révolte de la classe ouvrière : « La première forme, la plus brutale et la plus stérile, que revêtit cette révolte fut le crime. L'ouvrier vivait dans la misère et l'indigence et il voyait que d'autres jouissaient d'un meilleur sort. Sa raison ne parvenait pas à comprendre pourquoi, précisément lui, devait souffrir dans ces conditions, alors qu'il faisait bien davantage pour la société que le riche oisif. Le besoin vainquit en outre le respect inné de la propriété - il se mit à voler... Mais les ouvriers eurent tôt fait de constater l'inanité de cette méthode. Les délinquants ne pouvaient par leurs vols, protester contre la société qu'isolément, qu'individuellement ; toute la puissance de la société s'abattait sur chaque individu et l'écrasait de son énorme supériorité. » La classe ouvrière s'est mobilisée pour s'opposer aux machines qui excluaient les uns et dominaient les autres puis, pour développer les syndicats, d'abord de façon secrète, puis ouvertement, pour défendre leurs intérêts en maintenant les salaires les plus élevés possibles et pour empêcher la bourgeoisie de diviser la classe avec des taux de rémunérations différents pour le même travail.
Dans cette analyse, Engels avance clairement que la classe ouvrière devait à la fois contester la bourgeoisie de façon légale et être prête à utiliser la force, si nécessaire. Il donne l'exemple d'une grève dans une usine de tuiles à Manchester en 1843, lorsque la dimension des tuiles produites avait été agrandie, sans augmentation des salaires. Lorsque les propriétaires eurent posté des gardes armés, « une bande d'ouvriers tuiliers assaillit la cour, un soir à dix heures, avançant en ordre de combat, les premiers rangs armés de fusils... » et les travailleurs réussirent dans leur objectif à détruire les tuiles nouvellement produites. Plus généralement, il remarque que « les ouvriers ne respectent pas la loi, se contentant au contraire de laisser s'exercer sa force quand eux-mêmes n'ont pas le pouvoir de la changer » et il donne l'exemple des attaques contre la police, chaque semaine à Manchester.
Cependant, ni Marx, ni Engels n'ont vu la violence et l'infraction à la loi comme révolutionnaire en soi et ils étaient prêts à critiquer les actions qui vont contre le développement de la lutte de la classe ouvrière, même quand elles apparaissaient comme spectaculaires et provocatrices. Ainsi en 1886, Engels a vivement attaqué l'activité de la Fédération social-démocrate par rapport à son organisation d'une manifestation de chômeurs qui, tout en passant par Pall Mall et d'autres quartiers riches de Londres sur le chemin de Hyde Park, a attaqué des magasins et pillé des boutiques de vin. Engels a fait valoir que peu de travailleurs y avaient pris part, que la plupart des personnes impliquées « étaient sorties pour rigoler et dans certains cas, étaient déjà à moitié bourrées » et que les chômeurs qui y avaient participé « étaient pour la plupart de ce genre qui ne souhaitent pas travailler – des marchands de quatre saisons, des oisifs, des espions de la police et des voyous. » L'absence de la police était « tellement visible que ce n'était pas seulement nous qui croyions qu'elle était intentionnelle ». Quoi qu'on puisse penser de certaines expressions d'Engels, sa critique essentielle suivant laquelle « ces messieurs socialistes [c'est-à-dire les dirigeants de la FSD] sont déterminés à faire apparaître de façon immédiate un mouvement qui, ici comme ailleurs, réclame nécessairement des années de travail » est valable. La révolution n'est pas le produit du spectacle, de la manipulation ou du pillage.
Pour l'ensemble de la critique théorique développée par les grandes figures du mouvement ouvrier, la critique la plus éloquente est celle qui découle de la pratique réelle de la classe ouvrière. Dans l'histoire de la lutte des classes, la question par rapport à la classe ouvrière n'était pas simplement de savoir si un moment particulier avait été violent et « séditieux » ou non, mais dans quelle mesure il aurait eu lieu sur le terrain de la classe ouvrière et contrôlé par celle-ci. Parmi les nombreux cas de troubles, d'émeutes et d'insurrections qui ont eu lieu dans les dernières décennies du 18ème siècle et dans la première du 19ème, il est possible de distinguer entre ceux où la « foule » a été manipulée par la bourgeoisie et ceux où la classe ouvrière naissante a lutté pour se défendre et pour survivre.
Parmi les premiers, il y a eu divers incidents pour attiser l'antipathie religieuse, que ce soit contre les catholiques ou contre des dissidents et aussi des mouvements politiques « populaires », comme ceux menée par Wilkes, à la fin du 18ème siècle. Un exemple est donné par les émeutes de Gordon en 1780 qui ont commencé avec une marche sur la Chambre des Communes pour protester contre les concessions données aux catholiques et dirigées pour attaquer les églises catholiques et la propriété des riches catholiques, et ne fut arrêtée que lorsque la foule a tourné son attention vers la Banque d'Angleterre. Cette perte de contrôle met en évidence l'un des dangers qui menacent la bourgeoisie dans ses efforts visant à utiliser la foule : le mouvement peut glisser hors de son contrôle. Ceci est illustré par le mouvement dirigé par Wilkes, qui était essentiellement une lutte entre différentes factions de la classe dirigeante, alors que le mouvement créé pour soutenir sa campagne a commencé à fusionner avec un mouvement social, et que des slogans révolutionnaires ont été lancés.
Parmi les derniers, on peut voir les émeutes de la faim qui ont eu lieu dans de nombreuses parties de la Grande-Bretagne, qui se sont souvent caractérisées par des saisies de nourriture auprès des commerçants et sa vente forcée à un prix inférieur. Ces mouvements pouvaient être très organisés, durant plusieurs jours sans violence, avec les marchands à qui ont donnait l'argent que les gens estimaient être le « juste prix ». Ces derniers ont également inclus le mouvement Luddiste qui a eu lieu à différents moments dans les Midlands et le Nord de l'Angleterre et qui a cherché à protéger les salaires et les conditions de travail de la classe ouvrière, face à l'industrialisation rapide et à la réorganisation des modes de vie et de travail. Le mouvement s'est caractérisé tant par son organisation et le soutien populaire que par le sabotage de machines qui lui est souvent associé. La bourgeoisie a réagi en alternant usage de la force et concessions. À son apogée, en 1812, plus de 12 000 soldats ont été déployés entre Leicester et York, et la valeur totale des biens détruits a été estimée à 100 000 £ d’aujourd’hui.
Dans La Situation de la Classe Ouvrière en Angleterre, Engels a retracé le développement des syndicats et surtout du chartisme qui découlait de ces premiers efforts de la classe ouvrière. Pour Engels, le chartisme était « la forme condensée de l'opposition à la bourgeoisie », « Dans les unions et les grèves, cette opposition restait toujours isolée, c'étaient des ouvriers ou des sections ouvrières qui, isolément, luttaient contre des bourgeois isolés ; si le combat devenait général, ce n'était guère l'intention des ouvriers... Mais dans le chartisme, c'est toute la classe ouvrière qui se dresse contre la bourgeoisie. » Le chartisme peut se prévaloir d’avoir été la première organisation politique de la classe ouvrière et il peut aussi se targuer d’avoir lutté pour des objectifs tels que le suffrage universel qui ont ensuite été concédés à titre de réformes destinées à contenir la lutte, mais en son temps cette lutte était révolutionnaire et les ouvriers étaient prêts à recourir à la violence si nécessaire. La grève générale et l'insurrection armée y ont été discutées et elles ont trouvé leur expression dans le soulèvement de Newport en 1839 et dans la grève générale de 1842.
Tout au long de leur histoire, les luttes de la classe ouvrière ont été confrontées à la nécessité de recourir à la violence à certains moments. Les libéraux et les pacifistes qui dénoncent la violence ne voient jamais que la vie « ordinaire », « pacifique », sous le capitalisme, est un acte de violence continuel contre les exploités. Il ne s'agit pas de faire l'éloge de la violence en soi, mais de reconnaître qu'elle est une partie inévitable de la lutte des classes. Dans son histoire de la lutte des classes aux Etats-Unis, Louis Adamic montre comment l'exploitation particulièrement brutale et la répression infligée par les patrons aux Etats-Unis ont parfois suscité une réaction tout aussi vigoureuse.
Nous pouvons revenir à la Grande-Bretagne pour examiner l'exemple particulier de l'émeute de Tonypandy, en novembre 1910. Celle-ci a fait partie du conflit plus large de Cambrien Combine, après que les mineurs ont été victimes d’un lock-out par les propriétaires des mines qui déclaraient qu'ils travaillaient de façon délibérément lente. D'autres mines ont apporté leur soutien et 12 000 mineurs ont pris part à la fermeture de presque toutes les mines de la région. La bourgeoisie a réagi en envoyant la police et la troupe, ce qui a provoqué des affrontements violents entre la police et les travailleurs. Les émeutes ont éclaté lorsque des travailleurs ont tenté d'arrêter des briseurs de grève qui entraient dans une des mines pour maintenir les pompes en fonctionnement, ce qui a conduit à un combat au corps à corps entre les ouvriers et la police. Vers minuit, après des assauts répétés à la matraque de la part de la police, les travailleurs ont dû retourner dans le centre de Tonypandy où ils ont affronté d'autres attaques de la police. Au cours des premières heures de la matinée, les magasins ont été brisés et certains pillés. La police n'était pas présente pendant le pillage et celui-ci a été utilisé par la bourgeoisie comme prétexte pour appeler à une intervention militaire. Beaucoup de travailleurs ont été blessés et un d’entre eux a été tué à la suite des affrontements. Cette grande confrontation a suscité une réflexion dans la Fédération des Mineurs du Sud du Pays de Galles et a contribué à l'élaboration d'un courant qui a contesté la direction de la Fédération et avancé des idées syndicalistes dans la brochure La Prochaine Etape des Mineurs, publiée à Tonypandy en 1912.
Encore une fois, la question essentielle n'est pas celle de la violence d'une lutte qui serait le baromètre de nature prolétarienne ou non prolétarienne de celle-ci, le contexte dans lequel elle a eu lieu et sa dynamique. Ainsi, à côté de l'histoire des luttes qui ont fait avancer les intérêts de la classe ouvrière, il existe un autre volet d'actions qui ont fait le contraire et ont poussé la classe ouvrière hors de son terrain de classe. Pour donner quelques exemples :
- Au cours de l'été de 1919, des « émeutes raciales » ont éclaté à Liverpool et à Cardiff après le débarquement de marins noirs et blancs. Les syndicats, qui sont plus tard devenus l'Union Nationale des Marins, se sont plaints que des marins noirs se voyaient attribuer un emploi, alors que des blancs étaient au chômage et, en mai 1919, cinq mille chômeurs blancs, anciens militaires, se sont plaints auprès du maire de Liverpool sur le fait que les travailleurs noirs étaient en concurrence avec les blancs pour les emplois. En juin, des anciens militaires noirs et leurs familles furent attaqués à leur domicile. A Liverpool, une foule de deux à dix mille personnes a attaqué les Noirs dans les rues et, à Cardiff, les quartiers arabes et noirs ont été pris pour cibles. Au cours de ces affrontements, trois personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées.
- En mai 1974, l'Ulster Workers Council organise une grève générale des travailleurs protestants en opposition aux concessions supposées aux travailleurs catholiques. La grève était contrôlée par des organisations politiques et loyalistes paramilitaires et, bien qu'il y ait des preuves que les travailleurs aient été réticents à y participer, elles avaient cependant réussi à diviser la classe ouvrière.
La condamnation du système faite par la classe ouvrière est à son apogée quand elle remet en question le pouvoir de la bourgeoisie et commence à affirmer qu'elle porte en elle l'avenir de la société humaine contre le régime inhumain de la bourgeoisie, comme dans la Commune de Paris en 1871, dans le révolution de 1905 en Russie et dans la vague révolutionnaire lancée en Russie.
La question fondamentale de ces mouvements n'était pas tant l'appropriation directe de la propriété, mais la question du pouvoir, exprimée dans la lutte contre la bourgeoisie et pour la réorganisation de la société.
Cela se trouve au cœur de l'analyse de la Commune de Paris faite par Marx dans La Guerre Civile en France, publiée par l'Association Internationale des Travailleurs en 1871. Elle met l'accent sur l'opposition de la Commune à l'organisation de l'Etat, exprimée dans ses premières mesures qui suppriment l'armée permanente et la remplacent par la Garde Nationale. Dans les conditions de siège dans lesquelles elle vivait, la Commune ne pouvait qu'indiquer la direction de la reconstruction sociale à laquelle elle aspirait : « La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu'indiquer la tendance d'un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l'abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers ; l'interdiction, sous peine d'amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes ... Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d'ouvriers ...de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé. » Les membres élus de la Commune, dont la majorité était des travailleurs, et de ses administrateurs ont tous reçu un salaire équivalent à celui d'un simple ouvrier. L'église a été dissoute et l'éducation rendue accessible à tous : «Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de leur église... La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée. » Les tentatives faites par le gouvernement français pour affamer la Commune échouèrent et un approvisionnement régulier en nourriture fut maintenu.
La révolution de 1905 a vu l'apparition de comités de grève, dans de larges parties de la Russie, pour contrôler la lutte dans les usines et leur développement ; ceux-ci se réunissaient et ils sont devenus des organes élus et révocables en permanence : les Soviets. Bref, c’était une dynamique constante allant et venant de la lutte économique immédiate à la lutte plus générale fusionnant avec la lutte politique pour le pouvoir. Des questions de survie immédiate ont été abordées dans ce contexte plus large : ainsi, pour les travailleurs licenciés pour fait de grève à l'usine Poutilov, « des mesures de secours furent prises, parmi lesquelles se trouvaient quatre soupes populaires. » Le coeur de la révolution, le Soviet de Saint-Pétersbourg, s'est impliqué dans l'organisation de la vie quotidienne, y compris dans la prévention de la censure de la presse par l'Etat et pour donner des instructions aux chemins de fer et à la poste. A Moscou, le Soviet émit des directives « réglementant la fourniture en eau, pour maintenir ouverts les magasins essentiels [et] pour le report des paiements de loyer pour les travailleurs...»
En 1917, cette situation s'est répétée puis est allée plus loin, la classe ouvrière ayant pris le pouvoir à la bourgeoisie : « … dans de nombreux cas, l'effondrement du gouvernement central et des bureaucraties locales ont fait de ces instruments de la révolution des instances gouvernementales qui sont intervenues et se sont arrogées des fonctions administratives. » Lorsque la perturbation de la révolution a conduit à des pénuries alimentaires dans les zones urbaines, « les soviets locaux ont indépendamment adopté des mesures strictes de lutte contre celles-ci. A Nijni-Novgorod, par exemple, l'exportation de pain a été réduite ; à Krasnoïarsk, le soviet a introduit des cartes de rationnement ; dans d'autres lieux 'bourgeois' , des maisons ont été fouillées et des biens confisqués » Dans l'Histoire de la Révolution Russe, Trotsky écrit : « Dans l'Oural , où le bolchevisme prévalait depuis 1905, les soviets ont fréquemment administré le droits civil et pénal; créé leur propre milice dans de nombreuses usines, en les payant au moyen de fonds d'usine, organisé le contrôle par les ouvriers de matières premières et du carburant pour les usines, supervisé la distribution, et déterminé les échelles de salaires. Dans certaines régions de l'Oural, les soviets ont exproprié des terres pour la culture commune. »
Même dans des luttes moins spectaculaires que celles déjà mentionnées, les méthodes de la classe ouvrière viennent au premier plan. Ainsi, durant les premiers jours de la grève de masse en Pologne, en 1980, des représentants des usines en grève se sont réunis pour former le Comité Inter-Usines (MKS en polonais), qui «contrôlait toute la région et résolvait les problèmes de distribution et de transport de la nourriture. »
Ainsi, nous pouvons tirer un certain nombre de conclusions des luttes qui se déroulent sur un terrain de classe, qu'il s'agisse d'une simple grève ou d'un mouvement révolutionnaire. Tout d'abord, la violence n'est pas une fin en soi, ni une simple expression de la frustration, mais un moyen par lequel la classe ouvrière prend et défend le pouvoir pour changer le monde. Deuxièmement, lorsqu'il y a appropriation des marchandises, cela se fait avant tout comme un moyen de maintenir la lutte collective et c'est la valeur d'usage de la marchandise qui domine plutôt que sa valeur d'échange. Troisièmement, elles sont marquées par l'action collective et la solidarité et elles les renforcent. De telles luttes sont toujours orientées vers l'avenir, vers la transformation de la société.
North (25 janvier)
Cet article est une contribution à la discussion au sein du mouvement révolutionnaire sur la nature des émeutes qui ont eu lieu en août dernier Grande-Bretagne. Dans la première partie [273] de cet article, nous avons replacé la question des « émeutes » dans le contexte de la lutte historique de la classe ouvrière et développé l’idée que la réponse des révolutionnaires à des événements particuliers n’est pas déterminée par ce qu’en raconte la classe dominante ou par l’analyse qu’elle en fait, mais par la portée qu’ils ont sur la défense des intérêts de la classe ouvrière, en faisant avancer ou reculer celle-ci. Ce ne peut être essentiellement déterminé que par l’impact que ces événements ont sur l’organisation et la conscience de la classe ouvrière. Nous avons brièvement analysé comment ceci a été élaboré en théorie et en pratique dans l’histoire de la classe ouvrière. Dans cette seconde partie, nous revenons sur les événements de l’été dernier et essayons de leur appliquer le cadre développé dans la première partie.
Les émeutes de l’été dernier ne peuvent se comprendre en dehors du contexte historique de l’approfondissement de la crise économique qui est en train de détruire à la fois le monde naturel et celui des hommes et qui prive d’espoir pour le futur tous les travailleurs, en particulier chez la plupart des jeunes, et va même jusqu’à occulter la connaissance de ce qui leur est enlevé. Internationalement et nationalement, la classe ouvrière est confrontée à une misère croissante et au chômage, allant de pair avec le harcèlement des différentes forces de l’ordre telles la police, les organismes sociaux et les contrôles à la frontière. Les travailleurs vivent dans un climat de surveillance et de contrôle social croissant d’un côté, et de l’autre dans l’exclusion de toute possibilité de vie meilleure, quand les conditions d’existence se détériorent à un point tel que, pour beaucoup, c’est même leur survie qui devient incertaine. Les travailleurs sont précipités dans une lutte immédiate pour leur survie, où l’espoir dans l’avenir est étouffé par la vie quotidienne. Beaucoup de jeunes, en particulier, se retrouvent exclus d’emplois décents, sont dans l'impossibilité de participer à la ruée sur les biens de consommation qu'ils croient être un des fondements de la société, ne peuvent réaliser leurs espérances et leurs aspirations, et font face à un avenir sur lequel ils n’ont aucun contrôle. La survie immédiate domine et beaucoup prennent ce qu’ils peuvent, quand ils le peuvent, d’un monde dont ils ne font pas réellement partie.
Cela fait écho à l’analyse faite par Engels en 1840 de la réponse à sa situation de la classe ouvrière qui était en train d’apparaître : « Somme toute, les défauts des ouvriers se ramènent tous au dérèglement dans la recherche du plaisir, au manque de prévoyance et au refus de se soumettre à l'ordre social, et d'une façon générale, à l'incapacité de sacrifier le plaisir du moment à un avantage plus lointain. Mais qu'y a-t-il là de surprenant ? Une classe qui par son labeur acharné, ne peut se procurer que peu de chose et que les plaisirs les plus matériels, ne doit-elle pas se précipiter aveuglément, à corps perdu sur ces plaisirs ? Une classe que personne ne se soucie de former, soumise à tous les hasards, qui ignore toute sécurité de l'existence, quelles raisons, quel intérêt a-t-elle d'être prévoyante, de mener une vie sérieuse et au lieu de profiter de la faveur de l'instant, de songer à un plaisir éloigné qui est encore très incertain, surtout pour elle, dans sa situation dont la stabilité est toujours précaire et qui peut changer du tout au tout ? On exige d'une classe qui doit supporter tous les inconvénients de l'ordre social, sans pouvoir profiter de ses avantages, d'une classe à qui cet ordre social ne peut apparaître qu'hostile, on exige d'elle qu'elle le respecte ? C'est vraiment trop demander. Mais la classe ouvrière ne saurait échapper à cet ordre social tant qu'il existera et si l'ouvrier isolé se dresse contre lui, c'est lui qui subit le plus grand dommage. »
Aujourd’hui, la partie de la classe ouvrière que la bourgeoisie décrit sous des vocables variés : « sous-classe » ; « les éléments criminels », ou quand elle est vraiment déchaînée, « profiteurs », « vermine » et « la jeunesse barbare », vit d’une façon qui renvoie aux premières décennies de la classe ouvrière. La société bourgeoise, dans sa sénilité, retombe donc dans les faiblesses de son enfance.
Les émeutes elles-mêmes ont été de courte durée, éparpillées dans de nombreuses grandes villes d’Angleterre1 et, à quelques notables exceptions près, n’ont relativement causé que peu de dégâts durables. 2 En tout, on a rapporté qu’environ 15 000 personnes y ont pris part, mais quelques incidents particuliers semblent en avoir impliqué un très grand nombre. L’ensemble des personnes arrêtées donne une image de ceux qui étaient impliqués comme étant en majorité de jeunes hommes, venant des zones les plus défavorisées des villes concernées, et souvent ayant déjà eu des histoires avec la police3. Cependant, comme le fait remarquer Aufheben, avec sa manière habituelle d’examiner les choses de façon empirique, cela reflète en partie le fait qu’il est plus facile d’arrêter ceux qui sont déjà connus par la police quand ils laissent leurs visages à découvert.4
Le but premier semble avoir été de s’emparer de marchandises, en général en cassant les vitrines, principalement celles des chaînes de grands magasins, mais aussi, de petites boutiques « de quartier ». La destruction de maisons particulières semble avoir été le produit d’une insouciance et d’une indifférence plutôt qu’un but délibéré. La police et les autres symboles de l’Etat étaient aussi des cibles, ce sur quoi les émeutiers interviewés ont largement insisté. Dans une moindre mesure « les riches » ont aussi été visés, bien qu’on ne sache pas clairement si c’était réellement intentionnel ou si c’était une conséquence de la ruée vers les marchandises les plus coûteuses dans de telles zones5.
Les interviews de jeunes gens impliqués, soit dans les émeutes, soit vivant dans les zones où se sont déroulées celles-ci, donnaient tout un mélange d’explications, mais il y a une insistance sur le manque d’espérance dans le futur et la colère que cela provoque : « Les gens sont en colère, quelques uns voulaient que le gouvernement nous écoute, d’autres sont en colère mais ne savent pas vraiment pourquoi…de toutes façons, les plus jeunes vont être dans la même merde que nous, nulle part où aller et ce sera encore pire quand ils auront 17-18 ans ».6 « Je ne dis pas que je sais pourquoi les gens ont commencé mais je pense que la plupart des gens… et les jeunes sont en colère, en colère pour le travail, pas de maison, pas d’éducation…justement parce qu’il n’y a aucune aide, aucun moyen de faire mieux »7. « (le pillage) était une occasion de faire un bras d’honneur à la police… Les gens ne respectent pas (la police) parce que la police n’a aucun respect… elle abuse de son badge »8. Cela fait écho à la recherche entreprise par le gouvernement : « le document dit qu’ils (les participants aux émeutes) étaient motivés par ‘le plaisir d’avoir des trucs gratuits – des choses qu’ils n’auraient pas été en mesure d’avoir autrement’ – et par l’antipathie à l’égard de la police ». La mort de Mark Duggan, dont l’assassinat par balle avait déclenché au début des protestations à Tottenham le 6 août qui furent suivies par les émeutes, ont conduit certains à Londres à ‘prendre leur revanche’ sur la police, dit le rapport. Celui-ci ajoute « en dehors de Londres, les émeutes n’étaient en général pas attribuées au cas de Mark Duggan. Cependant, l’attitude et le comportement de la police localement était très souvent cités comme déclencheurs, que ce soit à Londres ou en dehors ».9
Ce n’est pas pour déprécier les dommages physiques subis par ceux qui ont été innocemment pris dans les événements ou qui ont été la cible de ceux qui étaient impliqués dedans, ni la détresse de ceux qui ont perdu leur maison et leurs moyens d’existence. Pour certains de ces individus, l’impact a été dévastateur, et se fera ressentir tout le reste de leur vie. Cependant, chaque jour maintenant, des travailleurs perdent leurs moyens d’existence et leurs maisons, du fait des attaques de la classe dominante, et beaucoup ne les récupèreront jamais. La bourgeoisie ne dit pas un mot de tout çà, ou simplement que c’est le prix que « nous » avons à payer pour les extravagances d’hier et les promesses pour demain.
Comment s’inscrivent les émeutes de cet été dans le cadre que nous avons établi ?
En premier, les émeutes reflétaient la domination de la culture marchande plutôt qu’être un défi à celle-ci. Le pillage qui a eu lieu était une fin en lui-même, une répétition sous une forme altérée du message de la bourgeoisie selon lequel ce qui définit un individu, c’est une accumulation de marchandises. Voler une télévision sans avoir les moyens de s’en servir – pour prendre l’exemple donné par les situationnistes en 1965 et repris par un des commentaires sur les émeutes10- ne remet pas en question le spectacle marchand du capitalisme mais y succombe (quoique la véritable explication soit probablement beaucoup plus prosaïque, la télé étant vendue pour acquérir les moyens d’acheter des marchandises que ‘l’appropriateur’ puisse utiliser – ce qu’on peut comprendre mais ne représente guère une menace pour « la marchandise spectaculaire »). La notion de ‘shopping prolétarien », élaborée par certains peut sembler opposée aux lois et à la morale bourgeoises, mais est étrangère au cadre prolétarien de l’action collective pour défendre des intérêts communs ; l’acquisition individuelle de marchandises n’échappe jamais réellement aux prémisses les plus basiques de la propriété capitaliste Au mieux, une telle appropriation individuelle peut permettre à l’individu et à ses proches de survivre un peu mieux qu’avant. C’est compréhensible, on l’a déjà dit, mais pas une menace pour la culture de la marchandise.11
En second lieu, et beaucoup plus destructeur, les émeutes ont divisé la classe ouvrière et ont donné à la bourgeoisie une opportunité de saper les tentatives d’exprimer la combativité et l’unité au sein de la classe ouvrière qui s’étaient vues dans des luttes éparpillées ces dernières années et qui font part du développement international de la lutte de classe et de la prise de conscience que c’est une possibilité aujourd’hui. La réponse d’un très grand nombre de gens, y compris des membres de la classe ouvrière, qui a été de chercher à défendre leurs familles et leurs maisons contre les émeutes, bien que tout à fait compréhensible, n’était pas sur un terrain prolétarien, comme quelques anarchistes semblent le suggérer12, mais sur celui de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie. On pouvait le voir clairement dans la participation à la campagne de nettoyage qui a vu les émules de Boris Johnson, la maire de Londres, agitant un balai de façon ostentatoire devant les caméras.
Les émeutes ont renvoyé sa propre idéologie à la figure de la bourgeoisie. Ceux qui étaient dedans ne sont pas plus immoraux que la bourgeoisie « responsable » dont la morale maintient cette société d’exploitation et de désespoir. Cependant, la principale victime a été la classe ouvrière, en partie physiquement, mais surtout au niveau idéologique. La bourgeoisie n’en est pas seulement sortie indemne, mais plus forte et a poursuivi une campagne idéologique incessante depuis lors. La classe ouvrière n’a rien gagné en expérience d’auto organisation, tout au contraire, et sa conscience a été attaquée par le renforcement du chacun pour soi qui en a résulté et le réflexe de s’en remettre à l’Etat pour la sécurité. La façon dont les émeutes ont été utilisées par la bourgeoisie pour renforcer ses armes idéologiques et matérielles de contrôle est beaucoup plus significative que les émeutes elles mêmes.
Nous devons donc nous demander dans quelle mesure la bourgeoisie a permis aux émeutes de se produire ? La réponse de la police à la protestation de la famille Duggan était une provocation, mais probablement pas plus que celle dont sont souvent l’objet ceux qui ont été victimes de violence policière. On a beaucoup parlé des défaillances de la police au début, du manque de policiers, de leur abandon de la rue, et de leur incapacité à protéger les maisons et les boutiques. Est-ce que la police a simplement été prise par surprise ? C’est possible. Mais il est aussi possible qu’une fois la flamme allumée, ils aient battu en retraite. Dans ce scénario, « le scandale » qu’ont fait la presse et les politiciens à propos de la police qui abandonne la rue et les commentaires des familles et des « communautés » laissées à elles-mêmes pour se défendre, tout cela allait dans le même sens de monter une partie de la classe ouvrière contre une autre et de noyer toute reconnaissance de ses intérêts de classe communs dans un bourbier de peur et de colère.
La lutte de la classe ouvrière doit aller au-delà des limites imposées par la bourgeoisie, que ce soit la passivité ou les émeutes. Toutes deux expriment la domination de l’idéologie bourgeoise que la lutte de classe doit défier avec la solidarité, l’action collective et en lui opposant sa perspective de libération de l’humanité de la domination de la marchandise et de toute la société de classe qui englobe celle de la bourgeoisie. Au 19e siècle, elle le faisait avec ses syndicats comme organes de masses, et avec les organisations politiques de la classe ouvrière. Dans la période actuelle, face au changement historique de situation dans laquelle le capitalisme est incapable de sortir de façon décisive de sa crise, et aux trahisons des syndicats et de beaucoup d’organisations qui avaient été avant ouvrières mais ont entraîné les travailleurs dans la guerre et les ont marchandés dans les négociations avec les patrons, la forme, mais pas le contenu, de ces luttes, doit changer. Aujourd’hui, les organisations de masse de la classe ouvrière tendent à se former et à disparaître au rythme des luttes, leur expression étant les assemblées de masse ouvertes, alors que les organisations politiques sont réduites à de petites minorités, très isolées de la classe ouvrière, et bien souvent hostiles les unes aux autres. Néanmoins, elles expriment la dynamique historique de la classe ouvrière, et à l’avenir, les confrontations à plus grande échelle et plus décisives avec la classe dominante ; le potentiel existe pour que la clase ouvrière passe des assemblées de masse aux conseils ouvriers qui unissent et organisent le pouvoir collectif de la classe ouvrière internationalement13 et au sein desquels les organisations politiques qui défendent les intérêts de la classe ouvrière ont l’obligation de travailler ensemble pour développer la dynamique de classe en fournissant une analyse basée sur les expériences historiques de la classe ouvrière et en développant une intervention construite sur cette analyse qui permette à la classe ouvrière de faire son chemin contre la bourgeoisie jusqu’à la victoire.
North (25 janvier)
1 Un tableau réalisé par The Guardian liste tous les lieux identifiés. En incluant des faubourgs de Londres séparément, le total serait de 42 lieux et 245 incidents. Certains d’entre eux, comme un incendie de poubelle à Oxford, sont difficilement qualifiables comme un acte « émeutier ». La plupart des émeutes ont eu lieu à Londres, Birmingham, Bristol, Coventry, Liverpool et Manchester.
2 Il a été estimé que le coût total des émeutes pour l’Etat serait de 133 millions de Livres, (The Guardian, 06/09/11) : « Les émeutes coûtent au moins 133 millions de Livres à ceux qui paient des impôts, disent les membres du parlement ». Les pertes individuelles et des magasins ne sont pas inclues dans ce total.
3 Des données émanant du ministère de la Justice en octobre montrent que parmi les 1400 personnes arrêtées et attendant la décision finale, plus de la moitié étaient âgés de 18 à 24 ans, et seulement 64 avaient plus de 40 ans. Voir aussi The Guardian, du 18 août, « Les émeutiers anglais : jeunes , pauvres et chômeurs ».
4Source : Communities, commodities and class in the august 2011 riots
5La catégorisation générale des cibles des émeutes est tirée des informations collectées par la recherche sponsorisée par le Guardian et de l’analyse faite par Aufheben.
6 Guardian du 5 septembre : « Derrière les émeutes à Salford : les jeunes sont en colère ».
7 Ibid.
8 Guardian : « Derrière les émeutes à Wood Green : une opportunité de faire avec les doigts le signe V (aussi injurieux dans certains pays anglo-saxons) en direction de la police
9 Guardian du 3 novembre : « Opportunism and dissatisfaction with police drove study finds”
10 « Lettre ouverte à ceux qui condamnent le pillage » par Socialisme et/ou Barbarie
11 Ce n’est pas une idée nouvelle. Dans une lettre à August Bebel (15 février 1886), Engels commente la casse de vitrines et le pillage de magasins de vin : « c’est le mieux pour installer un club impromptu de consommateurs dans la rue ».Cependant, Engels, peut-être, ne voyait pas cela comme une menace à l’ordre bourgeois.
12 Voir « Alarm on the riots », 13/08/11
13 Ici, l’intelligence et l’énergie déployées par quelques uns des émeutiers dans l’utilisation des media sociaux pour organiser et répondre aux événements et pour déjouer les forces de l’ordre et de la loi trouverons un débouché créatif.
Le texte ci-dessous est la traduction du tract distribué lors des manifestations du 29 mars par nos camarades du CCI en Espagne.
Cinq ans après le début de cette crise, les conditions de vie des travailleurs vont de mal en pis. Après les plans d’austérité de Zapatero-Rubalcaba1 et du PSOE2, c’est le tour, en plus brutaux, de ceux de Rajoy3 et du PP4 :
augmentation générale des impôts (sur le revenu, taxe d’habitation, et autres taxes en tout genre qui vont renchérir de façon insupportable les factures de l’électricité, de l’eau, le prix du combustible, etc.) ;
énième reforme du Code du travail pour rendre plus simples et meilleur marché les licenciements ce qui fera monter le chômage –selon les prévisions du gouvernement lui-même– jusqu’à 6 millions de chômeurs ;
chantage sur ceux qui « conservent » leur emploi pour qu’ils acceptent des réductions de salaires, des augmentations de la journée de travail, des déménagements et toute sorte d’injonctions arbitraires de la part du patron ou de l’administration publique elle-même ;
nouveaux décrets qui ne sont rien d’autres que des coup de hache sur les salaires des employés publics et qui vont entraîner des licenciements de milliers d’intérimaires, de nouvelles charges comme le payement par l’assuré d’une partie des services sanitaires et, en général, la dégradation des services publics essentiels comme l’éducation ou la santé.
Et tout cela, comme l’a souligné la vice-présidente du gouvernement elle-même : “ n’est que le début du début ”. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe en Grèce où l’on a foudroyé le tiers des employés publics et où le salaire minimum a été réduit à des niveaux vraiment invraisemblables, ou au Portugal où là aussi les dites « reformes du Travail » se succèdent, la suppression du treizième mois, les augmentations des frais de santé,… Mais rappelons-nous aussi ce qui se passe en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne : recule de l’âge de la retraite, coupe les pensions (ce qui en France avait provoqué un mouvement massif de lutte en 2010), précarisation (les “mini-jobs” bien connus et en général le temps partiel), salaires de misère qui se répandent comme la gale. C’est ainsi que dans « l’opulente » Allemagne, presque le quart de la population travailleuse gagne moins de mille euros par mois. Aux Etats-Unis le taux de pauvreté est en train de battre tous les records historiques (plus de 15% de la population) et le nombre de personnes privées d’assurance médicale, malgré la prétendue « réforme de la Santé » d’Obama, a augmenté l’année dernière de presque un million,…
Parce qu’il ne s’agit pas de l’incompétence de tel ou tel gouvernement, ni de la rapacité de telle ou telle nation capitaliste, ni de l’abjection de tel ou tel patron ou politicien. Il s’agit d’une authentique banqueroute, d’une véritable crise systémique du capitalisme, qui ne peut plus offrir à l’humanité que des attaques de plus en plus brutales contre le prolétariat mondial et les autres couches travailleuses de la population, en s’engageant dans une dynamique absurde et irrationnelle, puisque le marché mondial solvable ne fait que se réduire de plus en plus, en enfonçant de plus en plus la société capitaliste dans son propre marécage. C’est ainsi depuis plus de 40 ans, mais ces dernières cinq années ont entraîné un enfoncement qualitatif poussé par la crise irrésoluble de surproduction et aggravé par l’éclatement de l’endettement généralisé des États, des entreprises et des ménages.
C’est pour cela que les illusions comme quoi il y aurait « un autre capitalisme possible » sont dangeureuses. Il s’agit là d’un conte de fées que l’idéologie dominante répète « mille fois jusqu’à ce qu’elle devienne vérité », selon lequel l’État démocratique ne serait pas la dictature d’une minorité privilégiée sur la majorité exploitée mais que nous serions tous des « citoyens égaux devant la loi » et que les « citoyens travailleurs » auraient des partis de gauche et des syndicats qui les défendraient contre les excès et les abus des patrons spéculateurs, des pouvoirs de la finance, des usurpateurs de la « souveraineté » nationale. Au contraire des contes, la dure réalité vécue par les travailleurs dans tous les pays c’est que leur « fée marraine », la gauche du capital, lorsqu’elle est au gouvernement, se comporte comme la marâtre, la droite, en mettant en œuvre les mêmes plans d’austérité. C’est pour cela que l’alternative ne consiste pas à faire des changements dans le système, mais à changer de système, en abolissant l’exploitation et les classes sociales. Oui, mais comment y parvenir ?
Nous avons bien vu et vérifié que nous ne pouvons pas avoir confiance en ceux qui nous disent : « Votez pour nous ! », et aussitôt profitent de notre confiance pour nous attaquer de façon impitoyable. On ne peut pas non plus faire confiance aux syndicats, autoproclamés « représentants des travailleurs », alors qu’en vérité c’est la véritable « cinquième colonne » de la bourgeoisie infiltrée dans les rangs ouvriers. Ils ont toujours mobilisé pour démobiliser et tromper. N’oublions pas que quelques semaines avant la promulgation par Rajoy de sa Reforme du Travail (et que lui-même ait annoncé…la Grève Générale5), UGT et CCOO étaient arrivés à un accord avec le patronat pour rendre flexibles les salaires et accepter des « clauses de suspension » des conventions collectives, toujours favorables aux exploiteurs. Il y a bien longtemps que les syndicats, et ceci partout dans le monde !, sont devenus des gestionnaires du système capitaliste, des défenseurs de l'économie nationale et de la viabilité des entreprises, mais surtout pas des exploités.
Et cela est prouvé dans les « luttes » qu’ils organisent où règne la division et où la passivité des travailleurs est organisée, tel qu’on a pu le voir lors des récentes mobilisations des employés publics à Murcie, Madrid, en Catalogne ou à Valence,… chacun concentré dans son coin ou son centre de travail, chaque jour dans un lieu différent pour ainsi inoculer l’idée que chaque lutte est différente, ne se rassemblant chacun avec ses frères de classe des autres secteurs qu’au coup de clairon des rassemblements syndicaux où, qui plus est, ils nous présentent comme des « citoyens » préoccupés par la propriété étatique de la santé ou de l’éducation et non pas par la défense de nos besoins légitimes en tant que travailleurs. En détournant l’indignation vers la dénonciation de la corruption ou du gaspillage de tel ou tel dirigeant, pour ainsi occulter qu’en dernière instance, tous les gouvernements dans ce système capitaliste ne peuvent se baser que sur une énorme escroquerie, celle qui consiste à dire qu’ils vont agir pour le progrès et le bien-être de la population alors que leur seul guide ce sont les lois capitalistes de la compétitivité, du profit et de l’accumulation de capital.
C’est pour cela que de plus en plus de travailleurs « sentent qu’il y a quelque chose de pourri dans les syndicats », en voyant ceux-ci comme des acteurs d’une comédie où ils jouent, avec le gouvernement, le patronat et d’autres, un rôle inoffensif face à l’avalanche d’attaques que la survie du capitalisme impose. À l’instar du mouvement du 15-Mai qui forgea l’expression « nos revendications ne rentrent pas dans vos urnes », de plus en plus de travailleurs au sein des mouvements des exploités contre les ravages de la crise commencent à pressentir que « notre revendication d’arrêter les attaques capitalistes, notre volonté d’imposer nos besoins face aux exigences de ce système d’exploitation ne rentrent pas dans vos ‘grèves générales’ ».
La forme elle-même de la « Grève générale » est un terrain piégé. En premier lieu parce que l’arme qui consiste à arrêter la production pour faire pression sur les capitalistes a de moins en moins de sens, étant donné qu’aujourd’hui c’est le capitalisme lui-même qui « arrête » la production à cause de la crise économique. Deuxièmement, parce que les propres exigences légales de ces grèves-là (exclusivité des syndicats pour leur appel, décompte de salaire pour ceux qui y participent, convention d’un service minimum abusif pour lesquels les gouvernements du PSOE et du PP sont, encore une fois, d’accord, etc.) fomentent l’atomisation et la passivité des travailleurs. Et la couverture médiatique des grèves générales où l’on mesure leur « efficacité » en pourcentage d’un suivi toujours discutaillé, qui polarise l’attention autour des habituels incidents provoqués par les piquets, qui centre ses caméras sur les têtes des manifs syndicales,…, voilà une panoplie d’instruments pour enlever toute initiative aux travailleurs et fomenter, par contre, leur discipline obéissante devant les ordres des hiérarques syndicaux. La Grève générale – ni celle-ci ni les précédentes - ni celles de l’année dernière au Portugal, ni les plus d’une dizaine qu’il y a eu en Grèce, ne sert à réactiver la combativité, mais elle sert de digue pour la contenir, pour la remettre dans la voie qui l’amène vers le marécage de la résignation et de l’impuissance. La question face à laquelle nous nous trouvons est celle-ci : nous avons besoin de lutter vraiment, unis et sur notre terrain de classe, nous ne pouvons pas déléguer notre responsabilité entre les mains des prétendus représentants « démocratiques » qu’ils soient des syndicalistes ou des députés qui, et la réalité s’est chargée de nous le démontrer jusqu’à plus soif, nous roulent tout le temps, nous trahissent toujours.
Face à une telle situation, il y a beaucoup de camarades qui se méfient et préfèrent rester à la maison. Et c’est cela le « dégât collatéral » principal que les pantomimes syndicales entraînent : démoraliser et isoler ceux qui veulent lutter pour de vrai. Il est vrai aussi qu’il y a beaucoup de travailleurs qui se rendent à ces appels non pas parce qu’ils croient aux syndicats mais poussés par la nécessité d’exprimer tous ensemble notre indignation, de sentir la chaleur de l’unité et de la solidarité des autres camarades de tous les secteurs, de tous les endroits… C’est justement pour tout cela que nous ne pouvons pas laisser les syndicats dilapider notre combativité avec leurs démonstrations stériles.
Les luttes des dernières années (le mouvement en France, en 2010 contre la réforme des retraites, les étudiants en Angleterre contre les augmentations des droits d’inscription aux universités, le printemps arabe, la Grèce, les mouvement des Indignés en Espagne mais aussi en Israël et aux États-Unis, etc.), ont fait apparaître non pas l’épuisement de la combativité des travailleurs mais, au contraire, les forces renouvelées qui ravivent la flamme de la lutte contre l’exploitation et la barbarie capitalistes. Et il n’y a pas que ça. Certes, les difficultés du prolétariat sont multiples et importantes mais, malgré tout, commencent à poindre des tendances porteuses de grands espoirs telles que :
La défense des assemblées comme moyen d’assurer l’organisation et la direction par les travailleurs en lutte eux-mêmes, l’ouverture de ces assemblées à des travailleurs d’autres secteurs, à des chômeurs et des retraités, à tous ceux qui voudront se joindre à la lutte contre les attaques capitalistes.
Le fait de chercher à faire des manifestations un instrument actif pour accumuler de l’unité et de la solidarité. Au lieu des processions syndicales où nous sommes tout juste un numéro, il faut faire de la rue un lieu de rencontre, d’échange d’expériences et de débat sur d’autres nouvelles initiatives (sans attendre le prochain coup de clairon syndical) pour impulser le combat.
Les efforts pour développer une prise de conscience sur la situation actuelle et la perspective que nous affrontons. La détermination pour la lutte sera de moins en moins due à ce que nous pourrons arracher au capitalisme qui aura une marge de manœuvre de plus en plus restreinte. Cette détermination sera de plus en plus due à notre conviction du fait que la seule issue est d’éradiquer ce système de la planète, et cela ne pourra être réalisé que par l’union de tous les exploités du monde.
On a pu le voir avec les luttes et les assemblées du 15-Mai : tout cela n’est point une utopie, mais c’est le début de la véritable lutte qui nous conduira à d’autres défis plus élevés pour essayer de défendre nos conditions de vie et de travail en tant que vrais êtres humains semant ainsi les graines de la société future où il n’y ait ni exploités ni exploiteurs, où l’on puisse enfin réaliser le principe communiste : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».
Courant Communiste International, 24 mars 2012.
1 Dirigeants socialistes au pouvoir en espagne de 2004 à 2011.
2 Parti socialiste ouvrier espagnol.
3 Président du gouvernement depuis 2011 et le retour de la droite au pouvoir.
4 Parti populaire.
5 Ce tract de nos camarades espagnols fait humoristiquement référence aux déclarations de Rajoy lors de sa première réunion à Bruxelles avec le reste des gros bonnets de l’UE, fin janvier. Il avait susurré à l’oreille du finlandais, mezza-voce, sans soi-disant « être conscient d’être filmé » mais tout en le faisant savoir, que « ce vendredi nous avons fait la loi de Stabilité, vendredi prochain ce sera le tour de la reforme financière. Plus tard, la reforme du Travail va me coûter une grève générale », autrement dit, Rajoy faisait là tout le programme en y incluant la nécessaire Grève Générale qui doit servir pour encadrer et défouler le prolétariat espagnol face à ces mesures. Ceci n’empêche, bien au contraire, que le CCI ait tenu, dans la mesure de ses moyens, à distribuer ce tract dans ces rassemblements et à y participer pour justement essayer de contrecarrer les mystifications en montrant d'autres perspectives.
Le 16 décembre dernier au Kazakhstan, à Janaozen (ville de 90 000 habitants à environ 150 km de la mer Caspienne, région d'Aktau, Ouest du pays), c’est à un véritable massacre auquel les forces de l’ordre se sont livrées en ouvrant le feu à l’arme automatique contre le rassemblement de 16 000 ouvriers du secteur du pétrole (et des habitants de la ville qui étaient solidaires) protestant contre des licenciements et le non paiement de leurs arriérés de salaire. On dénombre au moins une dizaine de morts, (selon le bilan officiel) mais sans doute en réalité plusieurs dizaines de victimes (70 travailleurs) et de nombreux blessés (entre 700 à 800 personnes) !
Le mouvement de luttes dans le secteur du pétrole remonte à la grève de début mai 2011 des ouvriers de la société Karajanbas Mounai, où il est devenu massif en s'étendant mi-mai aux principales autres entreprises d'extraction ou de transformation du pétrole de la région : Ersaï Kaspian Kontraktor, KazMounaiGaz, Jondeou, Krouz, Bourgylaou et encore AktobeMounaïGaz, dans la région voisine d'Aktioubinsk réclamant des hausses de salaires et plus de sécurité (en raison de la fréquence des accidents du travail). L'usine UzenMunaiGaz a été touchée par une grève de trois mois cette année. En décembre, la décision d’organiser les festivités à la gloire du vingtième anniversaire de l'indépendance sur la place centrale de la ville de Janaozen occupée depuis juillet par les grévistes mis à pied relevait de la provocation et a été prise comme tel. Pour sa part l’opposition démocratique au régime a clairement tenté de manipuler ce mouvement de la classe ouvrière à ses propres fins : “ Le 14 décembre, deux jours avant la fête de l'Indépendance, le journal Respublika a publié un appel à manifester à Janaozen, signé par un groupe anonyme, “un groupe de résidents de la province de Mangistau”. Pour la première fois, l'appel de Janaozen présentait des revendications politiques et l'article était titré A bas Nazarbaev ! Les tracts distribués en ville demandaient aux manifestants de se rassembler sur la place centrale le 16 décembre, jour de la fête de l'Indépendance. ” Des policiers et des soldats armés postés sur les toits environnants et des véhicules blindés attendaient le signal de l’émeute. Des manifestants sur la place (des agents provocateurs selon le témoignage des grévistes) ont renversé les décorations de la fête. Des véhicules de police arrivés sur les lieux ont foncé dans la foule, suscitant la colère des manifestants qui ont renversé puis incendié l'un de ces véhicules. Les manifestants ont ensuite incendié l’hôtel de ville, ainsi que le siège de la compagnie pétrolière UzenMunaiGaz, ce qui a servi de prétexte à l’usage de ses armes et des arrestations en masse (130 personnes) par la police. Les ouvriers ont visiblement été pris au piège d’un traquenard mortel monté de toutes pièces par les autorités étatiques et destiné à briser leur mouvement qui perdurait depuis plusieurs mois.
L’état d’urgence et le couvre-feu ont été instaurés immédiatement jusqu’au 5 janvier. Malgré la coupure des communications (Internet et téléphone mobile) et le black out de la télévision d'Etat, cette violente répression a provoqué des mouvements de solidarité dans toute la région productrice de pétrole du Mangistau, sur la rive orientale de la mer Caspienne. Le 17 décembre, tous les gisements sont à l'arrêt. Alors que Janaozen est encerclée par des blindés et que des soldats du ministère de l'Intérieur y ont été déployés, des heurts violents entre les grévistes et les forces de police appuyée par des avions et des blindés se poursuivaient. Dans la localité voisine de Chetpe, des centaines de manifestants bloquent et font dérailler un train transportant du matériel de répression. Un millier de personnes manifestent à Aktau (la principale ville de 160 000 habitants et chef lieu de la région), défiant des forces de sécurité présentes en grand nombre, pour exprimer leur solidarité et protester contre les violences en portant des banderoles : “ Ne tirez pas sur le peuple ! Retirez l'armée ! ” Le lundi 19 décembre, pour le troisième jour consécutif, plusieurs milliers de travailleurs de l'industrie pétrolière manifestent et s’affrontent à la police sur la grande place d’Aktau pour exiger des autorités la fin des violences, le retrait des troupes de la ville de Janaozen, (en scandant des slogans “ Nous voulons que les soldats partent. Ils ont tué des gens d'ici ”), de “ trouver les coupables de la mort des manifestants ” et la démission du président Nazarbaev.
La bourgeoisie kazakhe a tout mis en œuvre pour contraindre les ouvriers à la passivité, maniant tour à tour contre eux la calomnie (en les qualifiant de “ voyous ” et “ d’agents de l’étranger ”), la carotte (ou plutôt le mensonge !), telles la promesse du Premier ministre Masimov de réemployer tous les travailleurs du pétrole mis à pied, ou celle du président Nazarbaev d’accorder des aides aux 1 800 grévistes de Janaozen licenciés) et la répression sauvage (les arrestations arbitraires continues des individus de sexe masculin et la torture des détenus). La présidence a même utilisé les règlements de compte qui font rage au sein de la classe dominante, annonçant le 22 décembre le limogeage du gouverneur régional, des patrons du géant des hydrocarbures de l'Etat kazakh KazMounaiGaz - dont son gendre, T. Koulibaïev - et de plusieurs de ses filiales qui employaient les grévistes, pour les faire passer pour des concessions faites aux ouvriers. La bourgeoisie kazakhe semble être arrivée à briser la combativité de la classe ouvrière, pour le moment incapable d’action collective publique.
Comme toujours en ce qui concerne la lutte de classe du prolétariat, les grands médias occidentaux ont, le plus souvent, passé sous silence cet épisode. Ils sont encore d’autant plus silencieux qu’il s’agit de masquer la complicité des bourgeoisies occidentales dans les crimes perpétrés contre les exploités. En effet, la clique Nazarbaev n’est parvenue à ses fins que grâce à la complaisance et au soutien tacite de la bourgeoisie d’autres grandes puissances (telles la France, l’Allemagne, la Russie, la Chine…) avec lesquelles elle entretient les meilleures relations. Plusieurs Etats occidentaux sont fortement engagés dans plusieurs secteurs-clés de l’économie nationale (dont justement le secteur où les grèves ont eu lieu, celui de l’extraction, la transformation et le transport du gaz et du pétrole regroupés depuis 2002 dans un trust étatique, KazMounaiGaz, chapeautant de nombreuses filiales en joint-ventures avec les grandes compagnies pétrolières mondiales. Ces grands Etats sont donc attachés pour des raisons stratégiques à la stabilité sociale du pays et du régime et ne peuvent que trouver un intérêt direct à la répression opérée par le régime. La Russie, dans l’obsession de sa propre déstabilisation, est hystériquement sur la défensive concernant la stabilité sociale et impérialiste de son “ très cher voisin ”. Les entreprises chinoises (telles AO KarajanbasMounai, joint-venture entre KazMounaiGaz et CITIC Group) ont été directement concernées par les revendications ouvrières d’égalité de traitement entre personnel chinois et autochtone. Pour ce qui est de la France, depuis l'élection de N. Sarkozy, les relations se sont intensifiées avec le Kazakhstan par la signature en juin 2008 d’un traité de partenariat stratégique entre les deux pays et la création en 2010 d’une Commission présidentielle franco-kazakhe. Le régime de Nazarbaev a même été qualifié à cette occasion d’“ îlot de stabilité et de tolérance ”[sic] par C. Guéant. Enfin, la réception de Nazarbaev en Allemagne début février pour signer une importante série d’accords commerciaux destinée à “ améliorer la sécurité de l'industrie allemande en matière (d'approvisionnement) en matières premières ”, n’a même pas donné lieu à l’hypocrite couplet habituel sur le sort de la population laborieuse de la part de la ‘démocratie’ allemande, A. Merkel soulignant le “ grand intérêt des entreprises allemandes à investir encore davantage au Kazakhstan. ” Bref tout exemple d’une classe ouvrière se battant pour défendre ses intérêts et toute révélation des exactions barbares de la bourgeoisie susceptibles de soulever l’indignation des exploités doivent être cachés !
Pour autant que nous puissions nous faire une idée aussi précise que possible des événements au Kazakhstan compte tenu du manque d’informations et du black out bourgeois, la longue série de luttes qui s’y est déroulée constitue indubitablement une expression de la reprise internationale de la lutte de classe du prolétariat sous l’effet de l’aggravation de la crise économique. Ayant impliqué plus de 15 000 travailleurs, c’est la plus grande grève qu'ait connue ce pays mis en coupe réglée par la clique bourgeoise mafieuse de Nazarbaev qui fonde son pouvoir sur le pillage de l’économie et l’exploitation sans frein de la force de travail. Les salaires ouvriers stagnent (en 2009 le salaire ouvrier mensuel moyen était de 550 euros) alors que le coût de la vie a augmenté de 70 % au cours de la même période tandis que le tenga, la monnaie locale, a perdu 25 % de sa valeur. La lutte des ouvriers du Kazakhstan exprime les mêmes caractéristiques que la lutte ouvrière internationale. Les ouvriers de l’époque soviétique ont fait place à une nouvelle génération de jeunes plus combatifs, venus surtout des provinces, qui n’accepte plus la cruauté de son exploitation et de ses conditions de travail épouvantables. Les femmes ont aussi pris une place plus importante dans le mouvement au Kazakhstan. Enfin, le mouvement des ouvriers du pétrole témoigne du même changement d’état d’esprit au sein de la classe ouvrière qu’ailleurs dans le monde, qui s’est concrétisé par la recherche et l’expression de la solidarité contre la terreur et la répression capitalistes.
La lutte des ouvriers du pétrole au Kazakhstan occidental sur la question des salaires remontre à plusieurs années. Les travailleurs de Janaozen s’étaient déjà mis en grève pour réclamer leurs primes en octobre 2009. Ceux de KarajanbasMounai JSC ont démarré une grève en décembre 2010 pour une augmentation de salaire équivalente à celle obtenue après avoir fait grève par les ouvriers d’UzenMunaiGaz, une autre filiale de KazMounaiGaz. Du 4 au 19 mars 2011, dix mille travailleurs pétroliers de KazMounaiGaz ont fait grève en organisant des assemblées générales pour l’annulation de la nouvelle méthode de calcul de leurs salaires (que la direction voulait leur imposer en les obligeant à signer à travers un chantage aux licenciements) et l’obtention d’une prime pour les travaux dangereux. La ville a alors été encerclée par un cordon de forces de police. La grève a été déclarée illégale et les membres du comité de grève traînés devant les tribunaux. Le 9 mai, une immense grève de la faim a commencé. 1 400 personnes ont refusé de prendre leur repas du midi et du soir en signe de protestation. 4 500 travailleurs sont partis en grève le 17 mai et ont tenu une assemblée générale et décidé de lancer la grève, élisant une représentation de six membres en vue des négociations. La direction de KazMounaiGaz et les autorités locales déclarent la grève illégale et annoncent le licenciement de tous les grévistes, espérant ainsi affamer les grévistes et briser leur détermination. Ce recours à des licenciements massifs touchera au total 2 600 grévistes. Les femmes en grève de la faim ont été particulièrement brutalisées. Le 26 mai, 22 ouvriers de UzenMunaiGaz se sont à leur tour mis en grève de la faim par solidarité avec leurs collègues de KarajanbasMounai et sont rejoints le lendemain par 8 000 ouvriers des diverses filiales de KazMounaiGaz qui rejoignent le mouvement pour des hausses de salaires. Certains des grévistes de la faim poursuivent leur action, entourés d'un piquet immense de 2 000 travailleurs qui les protègent de la police. Dès le début, le mouvement s’affronte à la terreur policière et à la répression. Des tracts sont diffusés à la population par les autorités pour déclarer la grève illégale ; des nervis et des policiers en civil organisent des provocations ; des centaines d’arrestations ont lieu. Le 12 juin, la police agresse les femmes des grévistes, les battant et les accusant de participer à une réunion illégale. Dans la nuit du 8 au 9 juillet la police tente de prendre d’assaut le village de tentes des grévistes sur le terrain de la compagnie UzenMunaiGaz – une quarantaine de grévistes s’aspergent d’essence et menacent de s’immoler collectivement par le feu. Cela ne fait que retarder l’évacuation au lendemain. C’est alors que les grévistes transfèrent le village de tentes sur la place centrale de la ville de Janaozen occupée en permanence et, par moments, jusqu’à entre 5 000 à 8 000 personnes. Des bandes armées multiplient les agressions contre de nombreux ouvriers combatifs et syndicalistes indépendants et se livrent à l’assassinat de plusieurs d’entre eux ou de membres de leur famille au cours des mois de juillet et d’août.
Ce qui a clairement fait la force des ouvriers du pétrole dès le départ, c’est leur mobilisation massive et la vitalité de leurs assemblées générales où ils ont pu discuter des moyens de la lutte et prendre collectivement les décisions pour s’organiser et développer leur combat. Mais la principale faiblesse du mouvement réside dans le fait qu’il est resté cantonné au secteur et à la région de production du pétrole. La revendication d’un syndicat indépendant (défendue par les organisations trotskistes) qui a été constamment soutenue par les ouvriers à chaque étape du mouvement, n’est pas pour rien dans l’issue fatale de la lutte.
Le régime kazakh, à la structure et aux mœurs politiques fossilisées directement héritées du stalinisme, incapable de tolérer aucune sorte d’opposition, s'appuie en temps normal sur des syndicats complètement inféodés et ouvertement complices des autorités pour s'assurer la paix sociale. La Fédération syndicale officielle a ainsi dénoncé la grève comme “ illégale. ” De fait, ils sont complètement discrédités auprès de la classe ouvrière. La revendication d’une “ véritable ” représentation syndicale a été, à côté des revendications salariales, l’une des raisons de la mobilisation massive de début mai des ouvriers de KazMounaiGaz. Mais celle-ci, loin d’avoir été une aide au développement de la lutte, en a été un frein.
Pour être forte et offrir le front le plus large possible contre l’Etat capitaliste, la lutte a besoin de s’élargir et de s’étendre à l’ensemble du prolétariat, en dépassant toutes les divisions que lui impose le capitalisme, y compris, à terme, les frontières nationales, justement parce qu’il n’y a pas de solution à la situation de la classe ouvrière dans le cadre national. A notre époque, celle de la décadence du système capitaliste, il n’est plus possible où que ce soit d’obtenir de réforme et d’amélioration durable pour la condition ouvrière. Le prolétariat ne peut vraiment résoudre l’insécurité et la précarité de sa condition que par la suppression de l’exploitation capitaliste par le travail salarié, tâche qu’il ne peut envisager qu’à l’échelle internationale.
Il ne s’agit bien sûr pas de remettre en cause la probité et l’honnêteté des ouvriers combatifs qui s’engagent et militent dans les syndicats indépendants (et qui sont souvent victimes de la répression et poursuivis par la justice bourgeoise pour “ incitation à la haine sociale ”, “ organisation de rassemblements, de marches et de manifestations illégaux ”), mais la méthode de combat que ces organisations proposent à la classe ouvrière. En focalisant les ouvriers sur leur appartenance à une branche de l’économie capitaliste (celle du pétrole), la forme syndicale de lutte les y enferme par ses revendications sectorielles spécifiques. Ce faisant, elle émiette la force potentielle du prolétariat, empêche la construction de son unité en le morcelant et le divisant secteur par secteur. En agissant dans le cadre national, le syndicalisme n’a en vue que l’aménagement des conditions d’exploitation de la classe ouvrière au sein des rapports de production capitalistes existants. C’est pourquoi toute forme de syndicalisme est condamnée à faire obstacle aux besoins réels de la lutte de classe, à finalement soumettre les ouvriers aux impératifs de l’exploitation, à pactiser avec la classe dominante et à s’intégrer à la défense de son système pour participer au maintien de l’ordre établi.
Les ouvriers ne doivent pas accepter de laisser borner leur horizon par ces revendications qui les enferment sur leur secteur et dans le cadre de la défense du capital national. Le prolétariat est une classe internationale, sa lutte de classe est internationale et solidaire : la lutte de chacune de ses parties est un exemple et un encouragement à la lutte pour l’ensemble du prolétariat. Pour renforcer son combat d’ensemble, les différentes fractions du prolétariat doivent enrichir leur pratique de la lutte des leçons que sa longue histoire lui a léguées, des expériences accomplies par ses fractions les plus expérimentées dans la lutte.
Svetlana (28 février 2012)
Le film Extrêmement fort et Incroyablement près, sorti en salle début mars, transpose à l’écran un livre sur lequel nos camarades de Welt Revolution, organe du CCI en Allemagne, avaient écrit une courte critique en 2006. Ce livre relate l’histoire d’un petit garçon dont le père a été tué lors de l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Tours Jumelles et qui sera amené en cherchant à relier le passé de sa famille au fil de l’Histoire à surmonter son traumatisme et à s’ouvrir à la compréhension profonde que les horreurs de la guerre sont injustifiables.
Il y a onze ans, le monde a connu un terrible tournant, représentant à la fois un changement et une continuité : les attaques contre le World Trade Center dans la métropole mondiale, New York. Ces attaques qui ont tué des milliers de personnes innocentes ont marqué une nouvelle étape dans la capacité de tuerie du capitalisme.
Avec la chute du bloc de l’Est en 1989, avec les hommes d’Etat proclamant une nouvelle ère de paix, il fallait remplacer le vieux concept occidental de l’ennemi communiste. Depuis le 11 septembre 2001, la classe dominante a réussi à créer le concept d’un ennemi qui semble correspondre à la réalité de la guerre capitaliste depuis 1989 : la guerre contre le terrorisme. C’est un terme très flou qui a l’avantage de pouvoir être utilisé en théorie contre n’importe quel ennemi impérialiste. Cette idéologie fait écho au fait qu’aujourd’hui, tous les impérialismes jouent seuls, qu’ils soient grands ou petits.
Un acte de violence terroriste comme celui du 11 septembre doit-il être justifié ? Peut-on justifier la guerre contre le terrorisme ? Est-ce qu’une guerre juste existe ?
Depuis un certain temps, l’humanité cherche des réponses. Chercher à comprendre est vital pour que la classe ouvrière puisse changer consciemment le monde et forger le futur. En cherchant des réponses, nous pouvons aussi nous aider de l’intuition de l’art et de la littérature.
Les attaques du 11 septembre ont également secoué le jeune auteur new-yorkais Jonathan Safran Foer. Son roman Extrêmement fort et Incroyablement près cherche à assimiler l’incompréhensible en termes artistiques – et il fait bien plus.
Le roman nous emmène dans le monde d’Oskar Schell, un New-yorkais de 9 ans. Pour lui, le 11 septembre est « le pire jour». C’est celui où son père est mort dans l’une des Tours jumelles. Au début, il est dans un état de stupeur. Cette expérience traumatique l’empêche de communiquer ses sentiments avec les vivants. Tous ses sens sont fixés sur le monde des morts, le monde qui est maintenant celui de son père. Le jour où Oskar trouve une clé dans un vaste appartenant à son père, avec le mot « Black » dessus, marque le point de départ d’une odyssée de 8 mois à travers New York pour résoudre le mystère de la clé. La clé est la métaphore de sa confrontation maintenant permanente avec son traumatisme de guerre. Chercher le mystère de la clé, c’est en fait chercher le chemin du retour à la vie. Ses investigations à travers New York mettent Oskar en contact avec des tas de gens et il commence à réaliser combien il y a d’êtres humains qui sont seuls. Il développe un sentiment de responsabilité et de solidarité envers eux. Les conversations avec ces étrangers en quelque sorte familiers créent peu à peu un pont qui le ramène vers les vivants. Mais pas lui seulement. Il est alors capable de faire face à sa terrible perte. A la fin, sa mère et lui se rapprochent à nouveau.
L’histoire a de nombreux parallèles aucunement accidentels. Ce n’est pas seulement une histoire à propos du 11 septembre mais aussi de la nuit où la ville allemande de Dresde a été transformée en un tas de décombres par les bombardements. Les grands-parents d’Oskar qui étaient encore des adolescents en 1945, sont des victimes de Dresde. Cette nuit-là, ils ont tout perdu : l’amour, leurs familles, leurs maisons et même leur attachement à la vie. Ils appartiennent à la génération perdue de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à la fin, ils seront incapables de surmonter leur expérience traumatique de la guerre. Tandis que la grand-mère continue de penser qu’elle est aveugle, le grand-père devient muet. Les cendres s’accumulent sur eux et ils ne parviennent pas à retrouver le chemin de la vie et du futur.
Il est intéressant de noter que l’auteur, Foer, qui est juif, parle de la famille allemande Schell comme d’une victime de guerre (le père de la grand-mère cacha un Juif des Nazis à Dresde). Ce fait nous transmet un message important. L’histoire dit clairement que toutes ces guerres sont horribles et injustifiables et que les gens normaux sont toujours ceux qui souffrent le plus. Comme le dit le grand-père : « La fin de la souffrance ne justifie pas la souffrance. » En se plaçant de façon inconditionnelle aux côtés des victimes de la guerre impérialiste, le roman met incontestablement en question toutes les histoires sur les guerres « justes » et « bienveillantes » que les puissances capitalistes mettent sans cesse en avant. En particulier, la justification de la Seconde Guerre mondiale par les alliés antifascistes est mise en question. Dans une interview à la télévision, Foer a parlé de son indignation envers la façon dont le terrorisme islamique justifiait le massacre de milliers de civils innocents dans le World Trade Center en se référant aux crimes de l’Etat américain. Mais, en réfléchissant à cette question, il réalisa soudain que l’Etat américain avait utilisé exactement la même logique inhumaine pour justifier la boucherie de la population civile de Dresde et d’Hiroshima. En prenant parti pour la cause de l’humanité, Foer, qui n’est pas politique, entre en contradiction avec la logique du capitalisme et de son idéologie antifasciste. Dans un article dédié à son roman, le célèbre New York Review of Books l’a accusé de mettre les victimes du fascisme sur le même plan que les victimes de l’antifascisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme si ici la solidarité inconditionnelle avec les victimes était un crime et pas les massacres commis par toutes les puissances capitalistes ! Ce roman ne porte pas sur la culpabilité ou la non-culpabilité. A la place, il est un fervent plaidoyer pour la dignité humaine foulée aux pieds dans toutes les guerres impérialistes.
Tandis qu’Oskar continue à chercher l’explication de l’inexplicable, il montre à ses camarades de classe et à son professeur choqués une interview d’un survivant de la bombe atomique lancée par l’armée américaine en 1945 sur Hiroshima. Le survivant se rappelle comment sa fille était morte dans ses bras en criant : « Je ne veux pas mourir. » Son père : « Voilà comment est la mort. L’uniforme que portent les soldats n’a pas d’importance. La qualité des armes n’a pas d’importance. J’ai pensé que si n’importe qui pouvait voir ce que j’ai vu, nous n’aurions plus jamais de guerre. »
Bien que le roman fasse à juste raison différents parallèles entre les générations, il fait aussi une distinction significative entre elles. Alors que la génération des grands-parents ressent qu’elle est une génération perdue, le petit Oskar est un représentant d’une nouvelle génération, non défaite. Ses grands-parents qui ont grandi après l’écrasement de la révolution – comme en Allemagne – ouvrant donc la voie à la guerre mondiale et au fascisme, sont incapables de se libérer du traumatisme de guerre du passé. La nouvelle génération d’aujourd’hui, contrairement au passé, est d’abord non défaite et, deuxièmement, prête à apprendre des anciennes générations. Il est significatif qu’Oskar ne parvienne à surmonter son chagrin qu’avec l’aide de ses grands-parents et d’un voisin plus âgé. Il est capable d’assumer son rôle de fils et de reprendre à son compte les choses positives que son père représentait. Oskar parvient à les aborder et à parler de ses sentiments et de ses peurs les plus intimes. Là nous rencontrons sur le plan littéraire une capacité que nous avons récemment connue à son sommet au niveau social durant les manifestations des étudiants en France : la compréhension et la capacité d’apprendre de l’expérience des générations précédentes – ce qui n’était pas le cas en 1968.
Ainsi Oskar a résolu le mystère de la clé. Même si celle-ci n’a pas directement à voir avec son père, cette recherche révèle qu’on ne peut développer assez d’énergie et de joie de vivre que d’une façon collective et embrassant toutes les générations. Ce n’est que par l’amour de la vie, la solidarité et l’humanité que le prolétariat pourra développer une perspective communiste pour toute l’humanité – une société sans crimes terribles comme ceux du 11 septembre ou les bombardements de Dresde ! Le livre de Foer, Extrêmement fort et Incroyablement près, est un plaidoyer pour l’humanité qui ne peut être défendue contre la logique du capitalisme que par le prolétariat révolutionnaire.
Lizzy (9 novembre 2006)
Au cours de la dernière décennie, le prolétariat en Chine et dans le reste de l’Asie du Sud-Est – Birmanie, Cambodge, Philippines, Indonésie, Thaïlande et Vietnam – s’est engagé dans une vague de grèves et de protestation contre l’exploitation capitaliste. Nous voulons nous concentrer ici sur la Chine et, pour ce faire, nous utiliserons largement les informations données par le China Labour Bulletin (CLB), la publication d’une organisation non-gouvernementale basée à Hong-Kong et en lien avec les groupes Human Rights et Radio Free Asia. Le Bulletin veut promouvoir l’idée d’un Etat chinois plus « équitable», et plaide, dans ce cadre, pour l’adoption par celui-ci de « syndicats libres ».
Dans une partie suivante, nous analyserons les récents éléments qui concernent la « République Populaire », y compris les tensions impérialistes, la décomposition et les intrigues autour du tout-puissant bureau politique du PCC.
Tout au long des dix dernières années, la classe ouvrière en Chine a été impliquée dans une vague de grèves et de protestations, où les ouvriers se comptaient par milliers, car la colère et la combativité s’accroissent sous le poids de l’exploitation capitaliste. Les grèves spontanées, à l’initiative des travailleurs eux-mêmes, portaient sur tous les tableaux : non-paiement des heures supplémentaires, non-compensation pour les déplacements, corruption des officiels, réduction des salaires et des pensions, dégradation des conditions de travail, augmentation des heures de travail, revendications sur l'éducation et la santé. En somme, toute la gamme des conditions de vie et de travail touchées par l’intensité de l’exploitation de l’Etat chinois. Bien que fortement séparées les unes des autres, ces grèves ont été l’expression d’une réelle dynamique et d’une force grandissante à tel point que le China Briefing du 29 novembre 2011 prévient les investisseurs qu’ils devront s’habituer aux conflits de travail.
Il y a quelques jours seulement, dans la ville de Chongqoing, l’ex-fief du patron du Parti en disgrâce, Bo Xilai, il y a eu des grèves – qui cette fois n’étaient pas liées à des manœuvres du bureau politique – contre les réductions de salaire et des retraites. Cette ville de 30 millions d’habitants du Sud de la Chine, comme beaucoup d’autres, est au bord de la banqueroute, un problème qui s’accroît (les faillites locales sont un gros problème pour le capitalisme, touchant aussi plusieurs Etats comme on le voit dans le monde entier -Etats-Unis ou Espagne par exemple). Contre la lutte à Chongqoing, les autorités, comme partout, ont stoppé les blogs qu’utilisaient les ouvriers pour communiquer entre eux et informer du black-out de l’Etat.
Le CLB du 5 mars 2012 écrit que les grèves et les manifestations se sont poursuivies à travers tout le pays au cours du mois de février 2012, la majorité d’entre elles ayant lieu dans les secteurs industriels, les manufactures et les transports, avec des revendications en grande partie pour des augmentations de salaires et contre la réduction des primes. Cinq mille ouvriers de Hanzhong Steel Co, à Shaanxi, au nord du pays, ont fait grève contre les bas salaires et la durée trop longue du travail. Plusieurs milliers de travailleurs ont quitté l’usine et sont partis dans les rues de la ville pour manifester. Le rapport indique que les ouvriers élisaient leur propres représentants. Le numéro de mars du Bulletin enregistre le plus grand nombre total de grèves depuis qu’il a commencé à tenir des comptes il y a quinze mois, et note l’accroissement du nombre de grèves pour réclamer des hausses de salaires et contre les délocalisations. Les escadrons anti-émeutes et les milices sont présentes de manière active dans beaucoup de ces luttes et , à côté de ceux qui ont été licenciés, nombre de militants ouvriers ont été « détenus » - mais le bureau de la Défense des Droits de l’Homme en Occident n'en souffle pas le moindre mot. En Chine, la répression et la surveillance sont évidemment la spécialité d’un Etat stalinien et, comme dans les régimes arabes, cet Etat utilise aussi des bandes de voyous armés qui sont payés et envoyés dans tout le pays pour être utilisés contre les travailleurs. Les dépenses pour la police « intérieure » assurant le maintien de l'ordre en Chine pour 2010 et celles prévues pour 2011 dépassent le budget de la défense « extérieure » – pourtant loin d'être négligeable.1
Au début du 21 siècle, des millions de jeunes travailleurs ruraux pauvres ont envahi les villes-usines du Sud de la Chine à la recherche de travail. Ces jeunes gens et ces jeunes femmes faisaient beaucoup d’heures pour un salaire vraiment très bas, dans des lieux souvent très dangereux et insalubres. En majeure partie, ils étaient comme des moutons envoyés à l’abattoir. C’est sur cette base que s’est édifié le « Miracle Economique Chinois ». Mais ce consentement forcé n’a pas duré très longtemps. Passée au feu de la lutte de classe, à la fin de la dernière décennie, la période de la force de travail bon marché et docile était vraiment finie. Un nombre significatif de travailleurs, encore jeunes mais plus avisés, mieux éduqués, plus confiants et combatifs, organisaient et menaient des grèves et des protestations. L’été 2010 a connu un sommet avec la vague de grèves dans le secteur manufacturier.e
Au milieu de la décennie, le ministre chinois des Ressources Humaines et de la Sécurité Sociale évaluait le nombre d’ouvriers migrants à 240 millions, y compris 150 millions qui travaillaient hors de chez eux, et à 70 % dans le secteur manufacturier. Même avec ces nombres, il y a eu une pénurie de main d’œuvre autour de 2005 et cette période a vu les luttes ouvrières faire un pas vers des luttes offensives et des revendications, avec des moments spécifiques très forts, encourageant matériellement d’autres à se battre pour leurs propres revendications. L’Etat chinois a enregistré 8000 « incidents de masse » (autrement dit, conflits de travail) en 2007 – la dernière fois que l’Etat a produit des données officielles2. Le CLB estime que ce phénomène s'est considérablement accru au cours des années et que les grèves ont pris une intensité différente. Par exemple, en août 2011, des milliers de travailleurs licenciés, victimes de restructuration de la National Petroleum Corporation de Chine, ont rejoint une manifestation de milliers d’ouvriers du pétrole en grève pour leurs propres revendications. C’était le signe que les occupations de rue, les blocages de route, les manifestations et les sit-in sur les places se développaient. Un autre aspect du développement des blogs sur la toile mentionné plus haut a été son utilisation dans la grève de Nanhai Honda en 2010, où des communications ont été établies et un petit regroupement d’ouvriers a été créé, appelé « L’unité, c’est la victoire ». Les autorités chinoises ont essayé de mettre fin à cette forme de communication sous le prétexte d’empêcher « les rumeurs non fondées ».3 Un des leaders de la grève à Honda a déclaré au New York Times qu’une minorité d’ouvriers, environ 40 en tout, avaient communiqué entre eux et s’étaient rencontrés avant la grève, pour décider de l’action et des revendications mises en avant. Lors de la grève à Pepsi Co en novembre2011, les ouvriers ont élu leurs propres délégués dans leurs assemblées générales. Malgré des augmentations de salaire offertes par la direction, ils ont étendu et fait durer leur action.4
Beaucoup de grèves se sont terminées par des augmentations de salaire et quelques revendications satisfaites, mais beaucoup n’ont pas abouti. Dans tous les cas, des ouvriers ont été licenciés et arrêtés. Et quand des augmentations de salaire étaient accordées, elles étaient souvent rapidement avalées par l’inflation qui est devenue un fléau majeur de l’économie chinoise. Les revendications salariales n’augmentent pas que dans la zone côtière, mais depuis 2010, dans l’arrière-pays, là où les travailleurs impliqués dans les actions ont leur famille, leurs amis, etc., créant la possibilité de nouvelles actions de grève en même temps que des mouvements sociaux, ce qui élargit donc le front du combat. Par ailleurs, très souvent, les travailleurs migrants installés dans d’autres villes ne reçoivent pas d’éducation de base et de prestations de santé, ni pour eux ni pour leurs enfants – que les employeurs devraient payer d'après la loi mais ne le font pas. Cela a ouvert un autre terrain de confrontation. On est bien loin de la situation d’il y a dix ans quand ces jeunes travailleurs venus des campagnes étaient utilisés et payés uniquement en fonction du bon vouloir de l’Etat chinois. Le chômage apparaît largement, la Fédération industrielle de Hong-Kong annonçant qu’un « tiers des industries possédées par Hong-Kong vont réduire les effectifs ou fermer », ce qui va toucher au minimum des dizaines de milliers d’ouvriers. Le CLB affirme que les travailleurs « n’avaient aucune confiance dans la Fédération des Syndicats de toute la Chine »5 et dans sa « capacité à négocier des augmentations de salaire décentes ». En conséquence, ils « ont pris leurs affaires en main et ont organisé tout un éventail d’actions collectives qui sont de plus en plus efficaces ». AFCTU (la Fédération syndicale) est clairement liée au Parti et constituée de ses membres et de ses cadres ; le CLB attire l’attention sur un grand problème auquel se confronte la classe dominante chinoise : le manque de syndicats efficaces pour contrôler et discipliner les travailleurs. L'encadrement syndical a une fonction répressive et peut mettre de l’huile sur le feu. Comme le remarque l’article du CLB sur la grève à Honda mentionnée plus haut : « Toute organisation ouvrière qui se développe pendant une lutte pour des revendications se dissout habituellement après que les revendications qui les avaient fait naître aient été satisfaites. » Le CLB, en bon défenseur de l'Etat, aimerait rendre ces organisations permanentes et les enfermer dans une structure de syndicats libres ayant des relations paisibles avec l’Etat. Les branches de l’ACFTU, telles qu’elles existent, sont quelquefois constituées exclusivement de managers , comme à l’usine Ohms Electronic à Shenzhen, où les douze managers sont tous des fonctionnaires syndicaux ! Dans un effort désespéré pathétique, qui montre aussi les limites de l’Etat stalinien, la Fédération syndicale de Shanxi a ordonné aux 100 000 responsables syndicaux de la province de rendre public leur numéro de téléphone de façon à ce que les ouvriers puissent les contacter !! Dans tout le pays, les branches de l’ACFTU ont renvoyé des travailleurs, enrôlé des briseurs de grève et appelé la police et la milice contre les travailleurs. Le syndicat fait complètement partie de l’appareil du Parti discrédité. La bourgeoisie, pas seulement en Chine mais internationalement, a besoin d’une structure syndicale renouvelée, crédible et souple et c’est là qu’interviennent le CLB et sa propagande pour des Syndicats libres. Nous pouvons le voir dans son appel à « une plus grande participation (des ouvriers) à des comités et à d’autres structures syndicales » et « à donner aux nouveaux employés des informations sur les activités du syndicat », comme après les luttes récentes à Foxcomm.
Les syndicats en Chine – à la différence de leurs frères sophistiqués à l’Ouest – ne voient même pas, en général, venir les grèves, les laissent de côté, ne les désamorcent pas ni ne les divisent. Cela a été le cas à l’usine automobile Honda à Foshan, dans le sud-ouest de la Chine, l’été dernier. Il a fallu deux semaines et une forte augmentation de salaire pour faire rentrer les ouvriers au travail. Kong Xianghong, un ex-travailleur, membre vétéran du Parti Communiste, et maintenant membre de l’ACFTU, a dit après la grève (et l'éruption ultérieure d'autres grèves qu’elle avait permis de déclencher) : « Nous avons réalisé le danger que notre syndicat se sépare des masses. » Kong a ajouté que la Chine avait besoin « de digérer les leçons des mouvements dans les pays arabes ».6
Pour la classe ouvrière en Chine, les luttes s’intensifient et pour la bourgeoisie, les problèmes s’accumulent. En ce qui concerne cette dernière, s’il y en avait la possibilité, et c’est douteux, de créer des syndicats libres, cela lui donnerait un plus grand moyen de contrôle. Pour les travailleurs, les leçons du syndicat libre, Solidarnosc en Pologne, sont que ces institutions peuvent être, de façon insidieuse, plus destructives pour la cause ouvrière que les relations subordonnées des syndicats au Parti et à l'Etat – qui au moins désignent clairement les syndicats pour ce qu’ils sont, des formations anti-ouvrières.
Baboon (15 avril)
1 Bloomberg News, 6.3.11
e There were an estimated 180,000 incidents in 2010, Financial Times, 2.3.11
2 CASS, Social Trends Analysis and Projection Topic Group, 2008-2009.
3 BBC News, 16.3.12.
4 World Socialist Web: Signs of a new strike wave in China.
5 A Decade of Change: The Workers' Movement in China 2000-2010.
6 Washington Post, 29.4.11
Ces dernières semaines d’abominables actes de violence barbare ont choqué le monde. Début mars, le sergent américain Robert Bales s’est livré à des tirs frénétiques dans la province afghane du Kandahar. Il s'est rendu de maison en maison, tirant méthodiquement sur des civils afghans. En tout, il a tué 16 personnes, la plupart des femmes et des enfants. Mi-mars, il y a eu les meurtres commis par Mohammed Merah (voir RI 431). Ce dernier a déclaré vouloir se venger de l’interdiction de la burqa en France, de l’envoi de l’armée française en Afghanistan et de l’oppression des Palestiniens par l’État d’Israël.
La raison du délire meurtrier de Robert Bales est encore inconnue. Toutefois, il a perdu tout contrôle et, dans sa soif aveugle de destruction, il voulait lui aussi tuer le plus de gens possible.
Nous ne voulons pas dans cet article sembler nous apitoyer sur la trajectoire particulière de ce GI qui est sorti des clous du meurtre « légalisé » par les ordres de ses chefs. Pas plus que notre propos serait de balayer d’un revers de main les souffrances infinies que connaissent les populations victimes des multiples guerres dans le monde. Ce n’est pas une nouveauté que la guerre ouvre la porte grande ouverte aux pires exactions, collectives et individuelles. Toute l’histoire des sociétés de classe et au plus haut point celle de la bourgeoisie et du capitalisme débordent de témoignages en ce sens. Les deux guerres mondiales du 20e siècle, mais aussi toutes les autres horreurs et abominations qui ont jalonné la barbarie des massacres et qui se sont multipliés depuis 60 ans ont prouvé que cette tendance ne fait que s’accélérer. Nous voulons surtout illustrer à travers le soldat Bates (à l’instar de Mohamed Merah) jusqu’à quel point de décervelage les individus sont amenés dans un contexte de nationalisme exacerbé et soumis pieds et poings liés à la logique du meurtre planifié et justifié par et pour une idéologie de haine alimentée quotidiennement par tous les camps de la bourgeoisie.
« Je vais aider mon pays… »
Le New York Times a rapporté le 17 mars que Bales s’était engagé dans l’armée tout de suite après le 11 septembre. « Je vais aider mon pays » était sa justification. Cependant, quand il a été envoyé sur les champs de bataille, il est devenu conscient que la vie des soldats américains (comme celle de toutes les troupes de la FISA) était en danger 24 heures sur 24. Chaque jour, ils devaient s’attendre à une attaque à tout moment, la plupart par surprise, hideuses et criminelles. La veille de la tuerie, il avait été témoin d’une scène d’horreur au cours de laquelle un de ses collègues avait perdu une jambe sur une mine terrestre. Nous ne savons pas combien il avait vu de victimes civiles ou parmi les combattants ennemis, ni à combien de fusillades il avait participé. Le cas de Robert Bales n’est pas une exception.
C’est un fait avéré que la guerre crée des dommages psychologiques terribles. « Plus de 200 000 personnes (c'est-à-dire un cinquième de tous les vétérans de la guerre en Irak et en Afghanistan) depuis le début de la guerre dans ces pays, ont reçu des traitements dans les hôpitaux militaires – tous étant traités pour des troubles de stress post-traumatiques (SSPT). ‘USA Today’ a publié des données en novembre 2011 se référant à des archives de l’Association des Vétérans. Le nombre estimé de cas non répertoriés d’anciens combattants malades est probablement beaucoup plus élevé. (…) L’armée ne reconnaît que 50 000 cas de PTSD (Post Traumatic Syndrom Disorder»1.
Un tiers environ des soldats de la guerre du Vietnam sont revenus chez eux avec des troubles psychologiques très importants. Bien qu’il n’y ait eu que 1 % de la population qui ait servi dans l’armée américaine, les suicides des soldats représentent 20 % de tous les suicides. Presque 1000 vétérans font des tentatives de suicide chaque mois. Comme ils le disent: « C’est une horreur. La guerre change votre cerveau. Entre la guerre et la vie à la maison, il y un abîme. Vous changez, que vous le vouliez ou non. Une fois retourné chez vous, vous ne pouvez plus trouver un équilibre.»2
Le cas de Robert Bales en est une illustration : si on met le doigt dans le patriotisme et le nationalisme, on est happé par une machinerie de destruction, qui ne fait pas qu’endommager ou détruire la vie de l’ennemi et de sa population civile, mais les soldats eux-mêmes sont démembrés, mutilés mentalement et émotionnellement déstabilisés et profondément blessés. Alors que la classe dominante et ses idéologues embellissent les guerres, en parlant de « mission humanitaire », de « missions de stabilisation », la réalité sur le théâtre de la guerre est complètement différente. Sur le terrain de la guerre, les soldats sont précipités dans les abysses, dans lesquels leur méfiance initiale inévitable évolue en haine et paranoïa. S’ils n’étaient pas déjà enclins à l’usage facile de la violence avant leur engagement, ou s’ils n’étaient pas déjà psychologiquement instables, beaucoup d’entre eux reviennent chez eux profondément déstabilisés psychologiquement. Ce qui est dépeint comme une intervention « humanitaire » s’avère en réalité être l’exercice de la terreur sur la population, avec des humiliations et des tortures. Les soldats développent un sentiment de satisfaction/compensation s’ils peuvent abîmer ou détruire des symboles que la population locale a en haute estime, ou s’ils peuvent humilier des êtres humains directement et ouvertement. La population locale qui a été poussée dans une impasse ne ressent souvent rien d'autre que du mépris pour les « libérateurs » et, parmi elle, beaucoup peuvent être facilement mobilisés pour des attaques suicides. Bref, la machine à tuer tourne à plein régime.
Après tant d’expériences traumatisantes, le soldat Bales ne pouvait plus se dire « je veux aider mon pays » parce qu’il était particulièrement outré qu’après 4 campagnes, il ait été encore renvoyé en Afghanistan. Selon sa femme, les troupes auraient préféré être stationnées dans des pays plus paisibles, Allemagne, Italie ou Hawaï. Le corps et l’esprit de tant de soldats sont mutilés. La brutalité se développe. Une fois revenus à la maison, la plupart d’entre eux doivent faire face au chômage et au sentiment de n’être chez eux nulle part. L’exemple de la ville de Los Angeles est révélateur : « A Los Angeles, il y a beaucoup de vétérans sans domicile. Ils ont tout perdu : leur travail, leur partenaire, leur maison. Tout cela à cause de leurs troubles psychologiques et parce qu’ils ne reçoivent aucune aide. A peu près un tiers de tous les sans abris de Los Angeles sont des vétérans. » 3
NAPO, l'Association Nationale Britannique des Agents de Probation « estimait que 12 000 (engagés précédemment) sont en liberté surveillée et 8500 de plus derrière les barreaux en Angleterre et au Pays de Galles. Ce total de plus de 20 000 est plus du double du nombre d'engagés actuellement en service en Afghanistan. »4.
Aux Etats-Unis, le soldat Bales peut maintenant être condamné à la peine de mort. Au lieu de chercher et d’expliquer pourquoi le patriotisme et le nationalisme conduisent nécessairement à des orgies de violence et à la destruction de victimes, le système judiciaire américain qui en est l’instigateur, agit maintenant comme procureur et « juge ». Il veut se laver les mains de sa responsabilité, après que la guerre et l’armée ont tellement molesté les soldats que ceux-ci finissent par perdre leur contrôle et « s’effondrent ». Le « bien-être » des psychologues de l’armée n’a qu’un seul but : les soldats doivent être aptes au combat. Le psychologue et metteur en scène Jan Haaken a montré dans son documentaire « Mind Zone » quel rôle jouent les psychologues : « Nous ne sommes pas ici pour réduire le nombre de soldats. En cas de doute, les soldats sont déclarés aptes au combat, aussi longtemps qu’ils peuvent faire le travail.»5
Alors que la plupart des soldats (qui se voyaient au début comme participant à la « libération » du pays du joug des talibans) tout autant que la population locale subissent de grandes souffrances (physiques et psychologiques), le système lui-même est asphyxié par le fardeau économique de la guerre. Les Etats-Unis, qui ont déclenché la plus longue guerre de leur histoire, ont accumulé une dépense gigantesque pour celle-ci. « La facture finale s’élèvera au moins à 3,7 milliards de dollars, selon le projet de recherche « Costs of War » (Coûts de la guerre) de l’Institut Watson des Etudes Internationales de l’Université Brown. »6
La guerre, en tant que mécanisme de « survie » du système requiert sans cesse un prix plus élevé. La survie de ce mode de production décadent devient une affaire totalement irrationnelle.
La spirale de la violence, la machinerie de destruction, qui éliminent tout ce qui est humain, ne peuvent être brisées avec les moyens du système capitaliste. Pour renverser ce système inhumain, le but et les moyens doivent être en harmonie l’un avec l’autre.
« La révolution prolétarienne n'a nul besoin de la terreur pour réaliser ses objectifs. Elle hait et abhorre l'assassinat. Elle n'a pas besoin de recourir à ces moyens de lutte parce qu'elle ne combat pas des individus, mais des institutions, parce qu'elle n'entre pas dans l'arène avec des illusions naïves qui, déçues, entraîneraient une vengeance sanglante. Ce n'est pas la tentative désespérée d'une minorité pour modeler par la force le monde selon son idéal, c'est l'action de la grande masse des millions d'hommes qui composent le peuple, appelés à remplir leur mission historique et à faire de la nécessité historique une réalité. » (Rosa Luxembourg, Que veut la Ligue Spartakus ? )
Dv (25 mars)
1 www.spiegel.de/politik/ausland/amoklaeufer-bales-litt-offenbar-unter-posttraumatischem-stress-a-822232.html [274]
2 www.tagesschau.de/thema/usa [275].
3 www.tagesschau.de/thema/usa [275].
4 https://www.dailymail.co.uk/news/article-1216015/More-British-soldiers-prison-serving-Afghanistan-shock-study-finds.html#ixzz1qEGoRWsa [276]
La grève de la Police Militaire 1 (PM) qui s’est déroulé dans plusieurs Etats du Brésil début 2012, même si ce n’est pas de manière simultanée, a eu des répercussions importantes : elle a touché les Etats de Maranhão, Ceará, Bahia, et s’est étendue à Rio de Janeiro. Le mouvement a atteint sa plus grande ampleur et force dans l’Etat de Bahia où plus de 3000 agents de la Force Nationale de Sécurité, de la Police Fédérale et principalement de l’armée ont dû être mobilisés pour y faire face. C'est essentiellement dans la capitale, Salvador, que la mobilisation a été la plus forte, les policiers en grève et nombre de leurs proches y ayant occupé l’Assemblée Législative.
Le gouvernement de Dilma Rousseff, suivant la ligne de son mentor Lula, a condamné le mouvement de grève en tant qu’atteinte à la démocratie et a ordonné la mobilisation de l’armée et de la Police Fédérale à Salvador, Rio et d’autres villes dans le but très clair de réprimer les manifestants. Jaques Wagner, gouverneur du Parti des travailleurs (PT) à Bahia, a été chargé de diriger les actions contre le mouvement de grève dans cet Etat.
Pour leur part, de hauts représentant du PT, du PCdoB, des gauchistes PSTU et du PSOL 2, ainsi que d’autres organisations de gauche et de droite se virent dans l’obligation de se prononcer "pour ou contre" le mouvement. Les deux premiers partis, progouvernementaux, prirent position contre le mouvement, le qualifiant de grave atteinte à l’État de droit et à la démocratie. De leur coté, les gauchistes du PSTU et du PSOL apportèrent leur soutien sans restriction aux policiers, les considérant comme des "travailleurs de la sécurité publique". La population, étant donnée la grande couverture médiatique donnée au conflit et face aux craintes d’une augmentation de la violence et des homicides, se trouva également confrontée au problème de décider si elle soutenait ou non le mouvement de la PM.
Cette grève de la PM qui n’est ni la première, ni certainement pas la dernière du secteur, exprime les difficultés de l’État brésilien pour préserver l’ordre et la cohésion au sein de ses corps de répression, affectés par la crise économique tant dans les conditions de vie de ses membres que dans son fonctionnement.
Le prolétariat et ses organisations de classe doivent être le plus clair possible sur cette grève de la PM et ce qu’elle représente pour les prochaines luttes qu’entamera le prolétariat brésilien, face aux attaques que la bourgeoisie assène, et qui s’accentueront avec l’approfondissement de la crise mondiale du capitalisme.
La bourgeoisie brésilienne se glorifie de faire partie de l’élite des "pays émergents", positionnement atteint principalement durant les périodes du gouvernement de Lula ; de fait elle fait partie des pays du groupe appelé "les BRICs" 3. Tout comme ses partenaires, le Brésil est parvenu à occuper cette place grâce à l’exploitation et à la précarisation des conditions de vie du prolétariat, favorisées par un climat de "paix sociale" principalement obtenu grâce au contrôle exercé sur les masses prolétarienne par la gauche du capital, avec à sa tête le PT.
Les policiers, tout comme le reste de la population salariée, n’échappent pas à la pression constante qu’exerce le capital contre leurs conditions de vie : bas salaires, précarisation qui s’exprime à travers une détérioration accrue du salaire direct et social et des conditions de travail, etc. Cependant, les militaires, quel que soit leur grade dans la hiérarchie, en tant que membres de l’appareil de répression de l’État et donc rémunérés par celui-ci, en se mettant en grève, mettent en lumière les conflits et les contradictions au sein de la classe dominante. En effet, d’une part, celle-ci a besoin de pouvoir compter sur un corps répressif toujours apte à exercer la coercition et la violence contre le prolétariat quand celui-ci lutte pour ses revendications, même les plus basiques comme un salaire permettant de satisfaire les besoins élémentaires. Mais, d’autre part, ce sont pour la plupart des personnes recrutées au sein de familles du prolétariat qui, tout en constituant les éléments de première ligne dans la défense de la classe dominante, sont aussi ceux qui perçoivent les plus basses rémunérations parmi les personnel exerçant les fonctions quotidiennes liées à l’appareil répressif étatique (police, juges, tribunaux). Tout ceci provoque un énorme mécontentement propice à la grève.
Le récent conflit de la PM, en tant que mouvement revendicatif du secteur ayant eu la plus grande ampleur jusqu’à ce jour, a posé des problèmes certains à l’État brésilien. Les mesures répressives prisent par le gouvernement fédéral contre plusieurs dirigeants du mouvement, loin de calmer la situation, ont entrainé une plus grande radicalisation. Par ailleurs, les revendications de salaire accordées sont loin de correspondre aux aspirations initiales du mouvement. Ce qui était demandé : réintégration des policiers expulsés de la PM suite à la grève "historique" de 2001, incorporation des primes, paiement d’une prime de risque, rattrapage linéaire de 17.28% rétroactif depuis avril 2007 et révision du secours d’alimentation. Ce qui a été obtenu : proposition d’une augmentation de salaire de 6.5% et une nouvelle prime pour le travail en tant que policier destinée à augmenter progressivement jusqu’en 2014. Les policiers emprisonnés n’ont pas été amnistiés.
Le mouvement de grève de la PM est partie prenante de l’affaiblissement croissant de la capacité de la bourgeoisie à imposer son ordre, alors que certaines forces de répression vont devenir moins fiables au fur et à mesure de l’accentuation des contradictions de son système. L’approfondissement de la crise capitaliste et avec lui la mise en place des mesures d’austérité nécessaires, vont jouer un rôle de premier plan.
C’est un fait que la grande majorité des éléments des corps de police, tout comme la majorité des salariés, ne possèdent pas de moyens de production et ne disposent que de leur force de travail pour survivre. Ils appartiennent aux couches les plus pauvres de la société et se mettent au service de l’État pour recevoir un salaire qui leur permet de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. On pourrait être amené penser que, du fait de cette similitude d’origine sociale et de condition salariée, les intérêts et revendications des policiers coïncident avec ceux du prolétariat qui se voit dans l’obligation de lutter et de se mobiliser contre les attaques du capital. Mais ce n’est pas le cas ; ce sont des mouvements qui se situent dans des camps ennemis.
L’origine sociale des policiers ne doit pas nous faire oublier qu’ils sont au service du maintien de l’ordre dominant avec comme fonction de réprimer et terroriser la population comme l’illustre ce qui suit : "Ces derniers mois abondent des nouvelles d’abus policiers, d’agressions gratuites envers la population, de viols, de répression violente de la PM lors de manifestations, en plus des traditionnels assassinats et tortures. La police brésilienne est celle qui assassine le plus au monde et ses crimes quotidiens ne font jamais l’objet d’enquêtes ni de poursuites… La PM est à l’Université de Sao Paulo (USP) pour réprimer les étudiants, tout comme elle le fit contre les manifestations à Piaui, Recife, Espirito Santo, etc." 4. On peut aussi voir cette même attitude dans la récente évacuation de Pinheirinho 5 et la menace d’évacuation de la communauté de quilombos (communautés descendant d’esclaves) de Rio do Macaco à Bahia, où la Police Militaire qui avait été en grève récemment, était en train de remplir sa fonction répressive conjointement avec la Marine.
C’est pourquoi il est nécessaire et fondamental pour la classe ouvrière et ses minorités révolutionnaires d’être le plus clair possible par rapport au caractère de classe des membres des corps de police et des corps répressifs en général. La position de classe des policiers n’est pas définie par le fait d’être des salariés mais parce qu'ils constituent la première force répressive utilisée par l’État, et de ce fait par le capital, pour affronter le prolétariat.
Cette distinction provient du fait que le prolétariat n’est pas constitué par la somme de tous les salariés, ni même par la somme de tous les exploités. Le prolétariat est une classe sociale dont les intérêts sont antagoniques à la classe des capitalistes, et ses luttes revendicatives sont un maillon dans la chaine des luttes en vue de son émancipation, ce qui les mène à une confrontation avec la bourgeoisie et son État. Quand un secteur du prolétariat lutte, ce n’est pas seulement le travailleur exploité qui est en train de lutter, c’est tout un secteur de la classe révolutionnaire qui est capable de développer sa conscience à travers son expérience de la force sociale qu’il représente dans le capitalisme.
Le policier, en décidant de vendre sa "force de travail" à l’État pour intégrer les organes de répression, met ses capacités au service de la bourgeoisie avec la mission spécifique de préserver le système capitaliste à travers la répression du prolétariat. En ce sens, il cesse d’appartenir à la classe des prolétaires. Quand un chômeur ou une personne qui cherche un emploi décide d’entrer dans la police, il accepte le "contrat" suivant : être fidèle au mandat de faire appliquer la loi et de maintenir l’ordre établi. Ceci le place contre tout mouvement social ou de classe qui affronte les intérêts du capital et son État. Ainsi, le fonctionnaire de police devient un serviteur de la classe dominante et, en tant que tel, se situe hors du camp du prolétariat. On sait bien que les membres des corps répressifs ne répriment pas seulement les travailleurs, mais aussi leurs propres voisins dans les quartiers où ils habitent.
Le récent conflit entre les corps de police et leurs directions est un conflit sur le terrain du capital. En effet, les membres des corps de polices demandent de meilleures conditions de salaire et de travail pour pouvoir mener à bien leur tâche et même pour le faire avec plus d’efficacité, c'est à dire, pour mener à bien leur tâche répressive dans le cadre de "paix sociale".
Dans ce sens, c’est une erreur d’appeler à la solidarité les différents secteurs de travailleurs salariés avec une grève de policiers de ce genre ; essentiellement parce que la fonction de la police réside dans la défense de l’État capitaliste. Le fait que les policiers soient recrutés au sein de la population pauvre ne modifie pas cette fonction, bien que cela puisse influencer d’autres aspects.
L’État, avec hypocrisie, s’affronte aux grévistes en les rendant responsables de l’augmentation de la criminalité et les accusant de laisser la population à la merci des criminels. Ainsi l’État s’organise pour attribuer aux corps de polices un rôle "social", "utile", comme par exemple la lutte contre la criminalité ; c’est la justification sociale de la nécessité de ces forces au service de l’État. Nous voyons ainsi comment les prolétaires et l’ensemble de la population sont conduits à apporter leur soutien pour renforcer les corps répressifs, justifiant le recrutement de plus de policiers ou le fait que ceux-ci puissent bénéficier de meilleurs équipements. La criminalité et la violence sociale sont en augmentation partout dans le monde du fait des propres contradictions du capitalisme et de la décomposition sociale qui n’affectent pas seulement les corps de police, mais aussi les hauts fonctionnaires de l’Etat et ses forces militaires 6.
Il existe des circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre, principalement l’armée, peuvent être amenées à ne pas agir dans le cadre de la défense de l’État capitaliste. Ceci peut arriver au moment de luttes massives du prolétariat quand de larges secteurs de la population sont mobilisés, et que des secteurs des forces militaires refusent de réprimer les luttes ou mouvements sociaux, pouvant même aller jusqu’à s’unir aux secteurs en lutte et à s’affronter militairement aux troupes qui restent fidèle à la bourgeoisie. Dans ces cas-là, il existe la possibilité et la nécessité de soutenir et même de protéger ces membres des corps répressifs qui s’opposent ainsi aux ordres de répression de l’État.
L’accélération de la crise du capitalisme depuis 2007 qui est à l’origine de l’émergence des mouvements sociaux en Afrique du Nord et dans les pays arabes, ainsi que des mouvements comme celui des "indignés" en Europe essentiellement, ou "Occupy Wall Street" aux Etats-Unis, peut générer des situations où seront possibles des tentatives de fraternisation entre les soldats et les masses en mouvement. Cependant, de telles situations doivent être analysées avec beaucoup de précision politique pour éviter les comportements trop confiants comme nous l’avons vu lors des mouvements en Egypte, quand l’armée, simulant la sympathie avec le mouvement, a laissé faire le sale travail de répression brutale par la police. En fait, dans ce pays, comme nous le savons – et c’est beaucoup plus clair aujourd’hui -, le pilier du système c’est l’armée.
Les illusions démocratiques de ces mouvements et le fait que le prolétariat n’a pas été la classe qui en a pris la direction, les a rendus victimes des fausses sympathies des forces de l’ordre et des institutions bourgeoises et les a conduit à chercher des solutions qui aboutissent au renforcement du camp de la bourgeoisie. Ce n’est que dans des situations révolutionnaires très avancées, quand le rapport de force entre bourgeoisie et prolétariat sera favorable à ce dernier, que nous pourrons nous attendre à une situation de fraternisation avec les forces militaires, comme on l’a déjà vu dans le mouvement ouvrier.
Il y a eu des épisodes importants de fraternisation au cours de la Révolution russe d’Octobre 1917. Trotsky en rend compte de manière brillante dans son œuvre Histoire de la Révolution Russe qui décrit et approuve l’attitude des ouvriers russes en févier 1917 envers les cosaques dont il affirme "qu’ils étaient fort pénétrés d'esprit conservateur" et qu’ils étaient "de perpétuels fauteurs de répression et d'expéditions punitives" ; et plus loin : "les cosaques attaquaient la foule, quoi que sans brutalité (…) les manifestants se jetaient de côté et d'autre, puis reformaient des groupes serrés. Point de peur dans la multitude. Un bruit courait de bouche en bouche : "Les Cosaques ont promis de ne pas tirer." De toute évidence, les ouvriers avaient réussi à s'entendre avec un certain nombre de Cosaques. (…) Les Cosaques se mirent à répondre individuellement aux questions des ouvriers et même eurent avec eux de brefs entretiens. (…) Un des authentiques meneurs en ces journées, l'ouvrier bolchevik Kaïourov, raconte que les manifestants s'étaient tous enfuis, en certain point, sous les coups de nagaïka de la police à cheval, en présence d'un peloton de Cosaques ; alors lui, Kaïourov, et quelques autres ouvriers qui n'avaient pas suivi les fuyards se décoiffèrent, s'approchèrent des Cosaques, le bonnet à la main : "Frères Cosaques, venez au secours des ouvriers dans leur lutte pour de pacifiques revendications ! Vous voyez comment nous traitent, nous, ouvriers affamés, ces pharaons. Aidez-nous !" Ce ton consciemment obséquieux, ces bonnets que l'on tient à la main, quel juste calcul psychologique, quel geste inimitable ! Toute l'histoire des combats de rues et des victoires révolutionnaires fourmille de pareilles improvisations." 7
Le prolétariat et ses minorités révolutionnaires devons garder à l’esprit que, à plus long terme, il ne peut y avoir de victoires militaires sur la bourgeoisie sans désagrégation des forces répressives. La désagrégation sera le produit de plusieurs facteurs :
- La crise économique ;
- La pression de la lutte de classe, la perspective du pouvoir prolétarien s’imposant à la société comme une alternative à la bourgeoisie ;
- Dans ce contexte, le fait que les forces répressives soient essentiellement constituées d’éléments des couches exploitées ou pauvres de la société, les rend réceptives aux appels à la fraternisation de la part du prolétariat.
Il se peut que nombre de prolétaires, d’éléments et groupes politiques appartenant au camp du prolétariat au Brésil sympathisent ou se solidarisent avec la grève de la PM, étant donné que, d’une certaine manière, ils partagent avec la classe des travailleurs la situation de pénurie à laquelle nous soumet le capital. Il se peut même que certains appellent les travailleurs à prendre la grève des policiers comme exemple de lutte. Toutefois, une telle approche ne sert qu'à nuire à la conscience de la classe ouvrière et à affaiblir sa capacité à affronter la classe ennemie, étant donné que non seulement elle assimile la grève des policiers à un évènement qui appartient aux luttes du prolétariat, mais aussi elle alimente un manque de confiance dans les capacité du prolétariat brésilien à développer ses luttes sur son propre terrain de classe après des décennies de léthargie dues à l’action du PT, des autres partis de droite et de gauche du capital, et leurs syndicats.
Lorsque cette "vieille taupe" dont nous parlait Marx commence à secouer les fondations du capital brésilien, moment où, sans doute, il s’affrontera avec force aux corps répressif de l’Etat, sa lutte persévérante et tenace sur son terrain de classe pourra ouvrir le chemin à un affaiblissement de ces mêmes corps répressifs.
Le CCI (14/03/2012)
1 - Au Brésil la police est divisée entre la sphère fédérale et la sphère étatique (c'est-à-dire propre à chacun des différents États de ce pays). Dans la sphère fédérale, se trouvent la Police Fédérale, la Police Fédérale des Autoroutes (ou voies rapides) et la Police Fédérale Ferroviaire. Dans la sphère étatique se trouvent la Police Civile et la Police Militaire. La Police Civile est responsable des investigations et la Police Militaire est l’institution responsable de la sécurité publique et du maintien de l’ordre bourgeois. En plus de ces organisations policières, il y a la Garde Nationale qui est utilisée en cas d’urgence de "sécurité publique" ; elle est formée d’éléments entrainés et détachés de diverses organisations étatiques.
2 - PCdoB : Partido Comunista do Brasil, scission du Partido Comunista Brasileiro.
PSTU : Partido Socialista dos Trabalhadores Unificado (Parti Socialiste des Travailleurs Unifié), de tendance trotskiste.
PSOL : Partido Socialismo e Liberdade (Parti Socialisme et Liberté) qui regroupe plusieurs tendances trotskistes.
3 - En économie, on utilise le sigle BRIC pour désigner l’ensemble : Brésil, Russie, Inde et Chine, qui se détache sur la scène mondiale en tant que "pays émergents". Source : es.wikipedia.org/wiki/BRICS [280]
4 - PCO. Grève de la PM : le gouvernement veut que la police réprime la population. Source : www.pco.org.br/conoticias/ler_materia.php?mat=34993 [281]
5 - OPOP. Nous sommes Pinheirinho : Soutien total et solidarité avec les habitants de Pinheirinho. Source : revistagerminal.com/2012/01/24/nos-somos-o-pinheirinho-todo-apoio-e-solidariedade-aos-moradores-do-pinheirinho
6 - Voir l’article de Revolución Mundial, notre section au Mexique, "L’insécurité sociale … Un motif supplémentaire pour lutter contre le capitalisme [282]". Revolución Mundial n° 125, noviembre-diciembre 2011.
7 Histoire de la Révolution russe. Ch. VII. "Cinq journées : du 23 au 27 février 1917". https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr07.htm [283]
Nous avons récemment été attristés par la nouvelle du décès à l’hôpital du camarade Il Jae Lee, militant du Groupe de la Gauche Communiste en Corée ; il avait 89 ans.
Il Jae est né en 1923 dans la ville de Daegu, dans ce qui est maintenant la Corée du Sud mais qui était alors connue sous le nom de Choseon. A cette époque, l’ensemble de la Corée était une colonie japonaise, très prisée pour ses matières premières et sa production agricole, destinées à soutenir l’effort de guerre de l’impérialisme japonais. La police officielle japonaise tentait de réduire la culture coréenne en curiosité folklorique. A l’école, les enfants devaient apprendre le japonais que Il Jae parlait couramment. Pendant la guerre, alors qu’il n’avait pas encore 20 ans, Il Jae prenait déjà part aux luttes ouvrières. Avec le départ des forces d’occupation japonaises en août 1945, le pays fut livré au chaos et, dans beaucoup d’endroits, les travailleurs prenaient le contrôle de la production dans ce que Il Jae appelait des conseils ouvriers (le Changpyong, ou Conseil Ouvrier National de Choseon), bien que dans les conditions d’un pays dévasté par la guerre ces conseils n’étaient pas en mesure de faire plus que produire le strict minimum pour la vie quotidienne. Il Jae rejoignit le Parti Communiste en septembre 1946, et fut un membre dirigeant de la grève générale qui éclata à Daegu, la même année. Avec l’interdiction des grèves ouvrières par les autorités d’occupation américaine, Il Jae rejoignit les partisans qui combattaient dans le sud du pays, et fut blessé à la jambe en 1953. En 1968, sous la dictature de Park Chung Hee, il fut arrêté et condamné à l’emprisonnement à vie à cause de ses activités politiques. Pendant son séjour en prison, sa santé était constamment mise en danger et son visage a toujours conservé les traces des tortures subies. En 1988, il fut relâché, en liberté surveillée, ce qui ne l’empêcha nullement d'aussitôt s’impliquer dans une activité politique à Daegu. Il devint un membre dirigeant des Syndicats Coréens en 1997. C’était tout à fait naturel pour un jeune travailleur entré au Parti Communiste en 1946. Mais, indépendamment de la sincérité et du courage de beaucoup de ses membres, ce Parti n’était en fait rien de plus que l’instrument des impérialismes chinois et russes, et, à la fin de la guerre de Corée, une caricature particulièrement grotesque et barbare du stalinisme : la dictature de la famille Kim.
Si sa vie n’avait été que cela, nous n’aurions alors pas écrit cet hommage : l’histoire est pleine d’héroïsme au service de mauvaises causes. Mais Il Jae était vraiment remarquable par sa capacité, à près de 80 ans, de remettre en question le combat mené tout au long de sa vie. En 2002, il a participé aux activités de l’Alliance Politique Socialiste (SPA), un nouveau groupe qui introduit les idées de la Gauche Communiste en Corée. C'est à l'occasion de la Conférence Internationale Marxiste, organisée par le SPA en octobre 2006, qu'une délégation du CCI, venue en Corée, rencontra le camarade Il Jae. Pendant les débats, bien que nous ayons eu des désaccords avec lui sur de nombreuses questions – en particulier sur la possibilité de faire revivre les syndicats comme formes organisationnelles des luttes ouvrières – nous étions convaincu d'être en présence d’un authentique internationaliste, en particulier sur la question brûlante de la Corée du Nord. Il Jae rejetait tout soutien à ce régime odieux.
Dans nos discussions avec lui ces dernières années, le camarade Il Jae était surtout préoccupé par deux questions : l’unité internationale de la classe ouvrière et, en Corée, la destruction des barrières entre les travailleurs à contrat permanent, ceux à contrat précaire et les ouvriers immigrés du Bengladesh et des Philippines qui commencent à être nombreux en Corée. C’est sur cette dernière question qu’il a rompu avec les syndicats officiels bien qu’il n’ait pas perdu l’espoir d’utiliser le syndicat comme forme d’organisation. Il a participé au 17e Congrès du CCI en 2007 et espérait accompagner la délégation du CCI au Japon en 2008 : malheureusement sa santé déclinante ne lui a pas permis de faire le voyage.
Le camarade Il Jae Lee fut un combattant inébranlable de la cause prolétarienne dont le courage n’a pu être brisé ni par les épreuves et ni par la prison. Il est resté un internationaliste jusqu’à la fin de sa vie. Surtout, il avait le courage moral de constamment chercher la vérité, même si cela signifiait remettre en question les idées pour lesquelles il avait combattu et souffert dans le passé. La classe ouvrière a subi une perte mais elle s’est enrichie de son exemple.
CCI
Alors que déferlent sur nos écrans l’intense propagande nationaliste des Jeux Olympiques, nous publions ci-dessous deux véritables œuvres d’art du célèbre « street artist » Banksy et la traduction d’un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Ces deux images sont des photos de pochoirs réalisés récemment, malgré les interdictions et les menaces d’amende, quelque part sur les murs de Londres. Disponible sur le blog de l’artiste (www.banksy.co.uk [284]), elles représentent un perchiste sautant au dessus de barbelés et s’apprêtant à retomber sur un matelas usé et un lanceur de javelot armé d’un missile. Elles révèlent puissamment la véritable « âme » de ces jeux.
Quant à l’article de nos camarades vivant outre-manche, il revient sur l’histoire des Jeux à Londres, puisque cette ville les « accueille » pour la troisième fois. Et comme vous le lirez, les jeux et le sport sont à l’image de la société qui les organise : ignobles.
Cette année, c'est la troisième fois que Londres accueille les Jeux Olympiques. A chaque occasion, cela révèle une étape dans l’évolution de la société capitaliste.
Les Jeux Olympiques (JO) de 1908 devaient initialement se dérouler à Rome ; cependant, l’éruption du Mont Vésuve en avril 1906 impliqua que les ressources furent employées pour la reconstruction de Naples. En tant que puissance mondiale, avec un empire recouvrant alors près d’un quart de la surface terrestre et un cinquième de la population mondiale, le Royaume-Uni avait alors la capacité de prendre en charge les jeux à la dernière minute.
En dix mois, il fut possible d’organiser le financement, de trouver un site et de construire un stade digne des métiers d’art. Les dépenses s’élevèrent à près de 15 000 Livres et les recettes furent de 21 377 livres. Les premiers JO de Londres firent donc du profit et dans ce sens furent un succès. Ce que déplorait le journal The Times (du 27 juillet 1908), c’était que « La parfaite harmonie que chacun souhaitait ait été gâchée par certains conflits regrettables et des protestations et objections aux décisions des arbitres. Dans bien des journaux, tout autour de la planète, le sentiment national s’est déchaîné, et l’on a fait librement circuler accusation et contre-accusation. » En gardant à l’esprit les conflits grandissants entre les différentes nations, alors que l’impérialisme devenait le seul mode de fonctionnement du capitalisme, depuis la guerre hispano-américaine de 1889, la guerre russo-japonaise de 1905 et tous les antagonismes qui ont mené jusqu'à la Première guerre mondiale, ceci n'est pas surprenant.
En 1908, les juges étaient tous britanniques et il y avait en moyenne une plainte de l'équipe américaine par jour. Cela a commencé avec le refus d’incliner le drapeau américain devant le roi lors de la cérémonie d’ouverture et s’est poursuivi durant tous les jeux. Lors de l’épreuve de tir à la corde, les américains se sont plaints des lourdes bottines de l'équipe de la police de Liverpool. Quand leur protestation fut rejetée, les États-Unis se sont retirés de l’épreuve. De même, au 400 mètres, les juges anglais décidèrent que la finale serait à recourir parce qu’un coureur américain avait donné un coup de coude à un adversaire anglais. Les américains ont alors boycotté la course. Finalement, les anglais ont gagné plus de médailles d’or, d’argent et de bronze que tous les autres pays. Contre les équipes de 22 pays, comportant au total 2000 coureurs, les athlètes du Royaume-Unis ont gagné 146 médailles ! Un record encore inégalé pour les Jeux Olympiques modernes. Comme le prévoyait The Times (du 13/07/1908) : « Cette année on peut espérer que nous ferons le compliment à nos concurrents étrangers de leur montrer que nous n'avons pas perdu notre ruse. »
Durant les quarante années qui précédèrent les jeux de Londres de 1948, l’impérialisme anglais a connu bien des changements. Les puissances impérialistes alliées de l’Angleterre, la Russie et les États-Unis, gagnèrent la Seconde Guerre mondiale. Mais les États-Unis étaient désormais la puissance dominante de l’Ouest, bien loin devant l’Angleterre, reléguée en deuxième position.
L’Angleterre fut ainsi bien hésitante à l’idée d’accueillir les jeux olympiques. Avec une économie dévastée, un rationnement (de la nourriture, du pétrole et des vêtements) qui devenait plus sévère que pendant la guerre, et un fort taux de chômage, de nombreux sans abri et des grèves ouvrières, elle attendait désespérément les fonds américains qu’elle devait recevoir du plan Marshall et n’était pas sûre de l’impact qu’allaient avoir les jeux.
Seulement un mois avant le début des jeux, il y eu une grève « illicite » des dockers de Londres durant laquelle de nouvelles troupes de circonscrits furent envoyées sur les docks. Pour la première fois, un gouvernement utilisait les pouvoirs que lui conférait la « loi de pouvoirs d’urgence » de 1920 pour faire face à la grève. Il ne s’agissait pas là de la seule fois où les travailleurs s'étaient soulevés contre le régime d’austérité du gouvernement travailliste d’après-guerre.
Il y avait eu au moins deux ans de préparation pour ces jeux. Bien qu'aucun nouveau site n'ait été construit, le travail forcé de prisonniers allemands ou bien de guerre a été utilisé sur plusieurs projets de construction, y compris la route menant au Stade de Wembley. Ce n’est pas pour rien que les jeux olympiques de 1948 ont été reconnus comme les jeux de l’austérité. Les visiteurs des autres pays furent encouragés à apporter leur propre nourriture, bien que l’on autorisa l’augmentation des rations pour les athlètes au niveau de celle des mineurs. Les athlètes masculin furent logés dans les camps de la RAF, les femmes dans les universités de Londres. Les athlètes anglais devaient même s’acheter ou se fabriquer leur propre matériel.
Avec 4000 coureurs venant de 59 pays, les jeux de 1948 ont coûté 732 268 livres et donnèrent des recettes à hauteur de 761 688 Livres. Ils permirent un profit modeste, mais le Royaume-Uni ne finit que 12è au tableau des médailles, et tout le monde savait que les États-Unis allaient remporter la première place avant même que les jeux commencent.
Bien que quelques pays aient revendiqué avoir atteint l'équilibre, ou avoir fait un bénéfice (voir les déclarations douteuses de Beijing en 2008), les Jeux olympiques ont été un désastre financier pour les pays qui les ont accueilli plus récemment. La dette de Montréal était si grande qu’elle ne fut finalement réglée qu’environ 30 ans plus tard. Le budget originel pour les jeux d’Athènes en 2004 était de 1,6 milliard : la dépense publique finale est plutôt estimée autour de 16 milliards de dollars avec la plupart des sites désormais abandonnés ou bien peu utilisés et un besoin pour l’entretien et la sécurité qui se chiffre en millions. Il est clair que les jeux olympiques furent un des facteurs aggravant dans la crise de l’économie grecque.
Pour Londres 2012, le budget initial était estimé à 2,37 milliards de Livres, mais en sept ans, depuis que la décision fut prise, des prévisions sur le chiffre final se sont élevées à 4, voire 10 fois ce coût prévisionnel. Et il ne s’agit pas de la faute des organisateurs qui n’auraient pas tout fait pour limiter les dépenses ! Les prix pour les entrées, la nourriture, les boissons et tout ce qui touche les jeux olympiques sont la plupart du temps scandaleux, même pour une capitale aussi chère que Londres. Les intérêts des sponsors officiels sont férocement défendus. Il y a des règles très strictes sur "la publicité d'embuscade", c'est-à-dire sur l'affichage de quoi que ce soit (incluant les marques de vêtements personnels) qui inclut également le nom d'une société qui ne serait pas un sponsor officiel.
Toutefois, le domaine dans lequel Londres 2012 semble être le champion toutes catégories, c’est celui de la répression. Durant les jours les plus intenses, il y aura 12 000 policiers en service. Il y aura encore 13 500 militaires disponibles, soit plus que les troupes anglaises en Afghanistan qui représentent 9 500 soldats. Il est aussi prévu la présence de 13 300 agents de sécurité privés. Ces derniers passeront quelques jours à s’entraîner avec les troupes. Un porte-parole de la compagnie de sécurité disait : « Une partie des entraînements sur site avait pour but d’ajuster les effectifs des deux groupes, les spectateurs des jeux auront donc la même expérience avec l’armée qu’avec les gardes privés » (Financial Times du 24 mai).
Et comme si tout cela n’y suffisait pas, une large publicité a été faite au projet d’installation d’un dispositif ultra rapide de missiles sol-air, sur un immeuble près du principal site olympique. Vraisemblablement, celui-ci est destiné à chasser les avions du ciel au-dessus d’une zone résidentielle densément peuplée.
En collaboration avec l’État anglais, les organisateurs des jeux de Londres semblent avoir pensé à tout. Bien qu'ils ne puissent pas pouvoir s’en charger, le Ministère de l'Intérieur a l'intention de faire des contrôles de sécurité sur chacun des 380 000 athlètes, officiels, employés et personnel des médias liés de près ou de loin aux jeux. Il y aura des voies « spécial jeux » sur les routes et elles seront réservées aux véhicules officiels. Et si vous déviez dans une de ces voies, c’est 135 Livres d’amende (170 euros). En entrant sur les sites, vous serez fouillé, sans avoir le droit d’emporter de l’eau de l’autre côté des contrôles de sécurité. Il sera illégal de Tweeter, de partager sur Facebook, ou bien de partager des photos de l’événement de quelque manière que ce soit.
Il y aura plus de 200 pays représentés à ces Jeux et les organisateurs feront tout leur possible pour fournir tout le matériel nécessaire pour l’habituelle orgie de nationalisme, ainsi qu’une belle opportunité de publicité pour Coca Cola, McDonalds, Panasonic, Samsung, Visa, General Electric, Procter and Gamble, BMW, EDF, UPS et le reste de la bande.
Voici le nouveau menu pour les jeux olympiques modernes : nationalisme et commerce. En attendant, durant les préparatifs pour Londres 2012, le conseil local de Newham, le quartier dans lequel le Stade Olympique est placé, a essayé de 'délocaliser' 500 familles à Stoke-on-Trent, à 150 miles de là. Les locataires locaux sont expulsés pour que des propriétaires privés puissent céder les propriétés une fois les loyers massivement gonflés. Les jeux olympiques sont supposés être une inspiration pour les jeunes. Newham a la population la plus jeune d’Angleterre et du Pays de galles, avec la plus haute proportion d'enfants de moins d'un an. Il présente aussi, en moyenne, la plus large taille de ménage, les taux les plus hauts de bénéficiaires d’allocations à Londres, aussi bien que de hauts taux en termes de mauvaise santé et de morts prématurées. Pour les enfants qui vivent dans l’ombre de cette année olympique, il est clair que leur futur ne sera pas amélioré par le spectacle de la guerre pour les médailles.
Car (5 juin)
Voici un tract avec lequel notre section en Espagne dénonce la pire attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière, une attaque qui paraîtra pourtant « légère » en comparaison avec celles qui vont venir. C’est aussi une analyse de la situation, qui essaie d’apporter des propositions aux dernières luttes.
En 1984, le gouvernement du PSOE [Parti socialiste] d’alors imposa la première Réforme du Travail ; il y a tout juste trois mois, le gouvernement actuel du PP [Parti Populaire, droite] a mis en place la plus grave des Réformes du Travail connue jusqu’ici. En 1985 le gouvernement du PSOE fit la première Réforme de la Retraite ; en 2011, un autre gouvernement de ce même PSOE en a imposé une autre. Pour quand est la prochaine ? Depuis plus de 30 ans, les conditions de vie des travailleurs ont empiré graduellement, mais depuis 2010 la dégradation a pris un rythme vertigineux et, avec les nouvelles mesures gouvernementales du PP, elle a atteint des niveaux qui, malheureusement, seront bien bas face aux attaques futures. Il y a, par-dessus le marché, un acharnement répressif de la part de la police : violence contre les étudiants à Valence en février dernier, matraquage en règle des mineurs, utilisation de balles en caoutchouc qui blessent, entre autres, des enfants. Par ailleurs, le Congrès est carrément protégé par la police face aux manifestations spontanées qui s’y déroulent depuis mercredi dernier et qui s’y sont renouvelées dimanche 15 juillet...
Nous, L’INMENSE MAJORITÉ, exploitée et opprimée, mais aussi indignée, nous travailleurs du public et du privé, chômeurs, étudiants, retraités, émigrés..., nous nous posons beaucoup de questions sur tout ce qui se passe. Nous devons tous, collectivement, partager ces questionnements dans les rues, sur les places, sur les lieux de travail, pour que tous ensemble commençions à trouver des réponses, à donner une riposte massive, forte et soutenue.
Les gouvernements changent, mais la crise ne fait qu’empirer et les coupes sont de plus en plus féroces. On nous présente chaque sommet de l’UE, du G20 etc., comme la « solution définitive »..., qui, le jour suivant, apparaît comme un échec retentissant ! On nous dit que les coupes vont faire baisser la prime de risque, et ce qui arrive c’est TOUT LE CONTRAIRE. Après tant et tant de saignées contre nos conditions de vie, le FMI reconnaît qu’il faudra attendre… 2025 (!) pour retrouver les niveaux économiques de 2007. La crise suit un cours implacable et inexorable en laissant sur son passage des millions de vies brisées.
Certes, il y a des pays qui vont mieux que d’autres, mais il faut regarder le monde dans son ensemble. Le problème ne se limite pas à l’Espagne, la Grèce ou l’Italie, ni ne peut se réduire à la « crise de l’euro ». L’Allemagne est au bord de la récession et il s’y trouve 7 millions de mini-jobs (avec des salaires de 400 €) ; aux Etats-Unis, le chômage part en flèche à la même vitesse que les expulsions de domicile. En Chine, l’économie souffre une décélération depuis 7 mois, malgré une bulle immobilière insensée qui fait que, seulement à Pékin, il y a 2 millions d’appartements vides. Nous sommes en train de vivre dans notre chair la crise mondiale et historique du système capitaliste dont font partie tous les Etats, quelle que soit l’idéologie officielle qu’ils professent –« communiste » en Chine ou à Cuba, « socialiste du 21ème siècle » en Équateur ou au Venezuela, « socialiste » en France, « démocrate » aux Etats-unis, « libérale » en Espagne ou en Allemagne. Le capitalisme, après avoir créé le marché mondial, est devenu depuis presque un siècle un système réactionnaire, qui a plongé l’humanité dans la pire des barbaries : deux guerres mondiales, des guerres régionales innombrables, la destruction de l’environnement... et, après avoir bénéficié des moments de croissance économique artificielle, à base de spéculation et bulles financières en tout genre, aujourd’hui, depuis 2007, est en train de se crasher contre la pire des crises de son histoire avec des États, des entreprises et des banques plongés dans une insolvabilité sans issue. Le résultat d’une telle débâcle, c’est une catastrophe humanitaire gigantesque. Tandis que la famine et la misère ne font qu’augmenter en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, dans les pays « riches », des millions de personnes perdent leur emploi, des centaines de milliers sont expulsées de leur domicile, la grande majorité n’arrive plus à la fin du mois, le sur paiement de services sociaux ultra-réduits rend l’existence très précaire, et, en plus, la charge des impôts, directs et indirects, les écrase.
Le capitalisme divise la société en deux pôles : le pôle minoritaire de la classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien ; et le pôle majoritaire des classes exploitées, qui produit tout et reçoit de moins en moins. La classe capitaliste, ce 1% de la population comme on le disait dans le mouvement Occupy aux États-Unis, apparaît de plus en plus corrompue, arrogante et insultante. Elle cumule les richesses avec un culot indécent, se montre insensible devant les souffrances de la majorité et son personnel politique impose partout des coupes et de l’austérité... Pourquoi, malgré les grands mouvements d’indignation sociale qui se sont déroulé en 2011 (Espagne, Grèce, Etats-Unis, Egypte, Chili etc.) elle continue, avec acharnement, à appliquer, des politiques contre les intérêts de la majorité ? Pourquoi notre lutte, malgré les précieuses expériences vécues, est si en dessous de ce qui serait nécessaire ?
Une première réponse se trouve dans la tromperie que représente l’Etat démocratique. Celui-ci se présente comme étant « l’émanation de tous les citoyens », mais, en vérité, il est l’organe exclusif et excluant de la classe capitaliste, il est à son service, et pour cela il possède deux mains : la main droite composée de la police, des prisons, des tribunaux, des lois, de la bureaucratie, avec laquelle elle nous réprime et écrase toute tentative de révolte. Et une main gauche avec un éventail des partis de toute idéologie, avec des syndicats apparemment indépendants, avec des services de cohésion sociale prétendument pour nous protéger..., des illusions pour nous tromper, nous diviser et nous démoraliser.
Ils ont servi à quoi tous ces votes qu’on a émis tous les quatre ans ? Est-ce que les gouvernements sortis des urnes ont réalisé une seule de leurs promesses ? Quelle que soit leur idéologie, avec qui ont-ils été ? Avec leurs électeurs ou avec le Capital ? À quoi ont servi les réformes et les changements innombrables qu’ils ont faits dans l’éducation, la sécurité sociale, l’économie, la politique, etc. ? N’ont-t-ils pas été en vérité l’expression du « tout doit changer pour que tout continue pareil » ? Comme on le disait lors du mouvement du 15-Mai : « On l’appelle démocratie et ce n’est pas le cas, c’est une dictature mais on ne le voit pas ».
Le capitalisme mène à la misère généralisée. Mais ne voyons pas dans la misère que la misère ! Dans ses entrailles se trouve la principal classe exploitée, le prolétariat qui, avec son travail associé – travail qui ne se limite pas à l’industrie et à l’agriculture mais qui comprend l’éducation, la santé, les services, etc.- assure le fonctionnement de toute la société et qui, par là même, a la capacité de paralyser la machine capitaliste et d’ouvrir la voie pour créer une société où la vie ne soit pas sacrifiée sur l’autel des profits capitalistes, où l’économie de la concurrence soit remplacée par la production solidaire pour la satisfaction pleine des besoins humains. En somme, une société qui dépasse le nœud de contradictions dans lesquelles le capitalisme tient l’humanité emmêlée.
Cela, qui n’est pas un idéal mais l’expérience historique et mondiale de plus de deux siècles de lutte du mouvement ouvrier, parait aujourd’hui difficile et lointain. Nous en avons déjà mentionné une des causes : on nous berce avec l’illusion de l’Etat démocratique. Mais il y a d’autres causes plus profondes : la plupart des travailleurs ne se reconnaissent pas comme tels. Nous n’avons pas confiance en nous-mêmes en tant que force sociale autonome. Par ailleurs, et surtout, le mode de vie de cette société, basé sur la concurrence, sur la lutte de tous contre tous nous amène à l’atomisation, au chacun pour soi, à la division et à l’affrontement entre nous.
La conscience de ces problèmes, le débat ouvert et fraternel sur ceux-ci, la récupération critique des expériences de plus de deux siècles de lutte, tout cela nous donne les moyens pour dépasser cette situation et nous rend capables de riposter. C’est le jour même [11 juillet] où Rajoy a annoncé les nouvelles mesures que quelques ripostes ont commencé à poindre. Il y a eu beaucoup de monde qui est allé à Madrid à la manifestation solidaire avec les mineurs. Cette expérience d’unité et de solidarité s’est concrétisée les jours suivants dans des manifestations spontanées appelées depuis les réseaux sociaux. C’était une initiative, hors syndicats, propre aux travailleurs du public, comment la poursuivre en sachant qu’il s’agit d’une lutte longue et difficile ? Voici quelques propositions :
La lutte unitaire. Chômeurs, travailleurs du secteur public et du privé, intérimaires et fonctionnaires, retraités, étudiants, immigrés, ENSEMBLE, NOUS POUVONS. Aucun secteur ne peut rester isolé et enfermé dans son coin. Face à une société de division et d’atomisation nous devons faire valoir la force de la solidarité.
Les assemblées générales et ouvertes. Le Capital est fort si on laisse tout entre les mains des professionnels de la politique et de la représentation syndicale qui nous trahissent toujours. Des assemblés pour réfléchir, discuter et décider ensemble. Pour que tous deviennent responsables de ce qui a été accordé, pour vivre et ressentir la satisfaction d’être unis, pour briser la barrière de la solitude et de l’isolement et cultiver la confiance et l’empathie.
Chercher la solidarité internationale. Défendre la nation fait de nous la chair à canon des guerres, de la xénophobie, du racisme, nous sépare, nous oppose aux ouvriers du monde entier, les seuls sur lesquels nous pouvons avoir confiance pour créer la force capable de faire reculer les attaques du Capital.
Nous regrouper dans les lieux de travail, dans les quartiers, par Internet, dans des collectifs pour réfléchir sur tout ce qui se passe, pour organiser des réunions et des débats, qui impulsent et préparent les luttes. Il ne suffit pas de lutter ! Il faut lutter avec la conscience la plus claire de ce qui arrive, de quelles sont nos armes, de qui sont nos amis et nos ennemis !
Tout changement social est indissociable d’un changement individuel. Notre lutte ne peut pas se limiter à un simple changement de structures politiques et économiques, c’est un changement de système social et par conséquent de notre propre vie, de notre manière de voir les choses, de nos aspirations. Seulement ainsi, nous développerons la force pour résister aux pièges innombrables qu’on nous met sur le chemin, aux coups physiques et moraux qu’on risque de recevoir. Un changement de mentalité qui aille vers la solidarité, vers la conscience collective, lesquelles sont plus que le ciment de notre union, mais aussi le pilier d’une société future libérée de ce monde de concurrence féroce et de mercantilisme extrême qui caractérise le capitalisme.
Courant Communiste International (16 juillet 2012)
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Ce tract est à ta disposition en version PDF pour le reproduire et le diffuser].
Depuis le coup d’État militaire du 22 mars qui a mis le pays en lambeaux, le Mali baigne dans un chaos sanglant. Il est la proie de nombreux gangs et puissances impérialistes qui se disputent son cadavre. Tandis que des centaines de milliers d’habitants quittent leurs demeures pour tenter d’échapper aux massacres, d’autres, sur place, sont bastonnés systématiquement, abattues froidement, voire lapidés. Les habitants des villes et des campagnes vivent ainsi dans une misère et une insécurité effroyable que les forces armées sanguinaires se préparent encore à aggraver en généralisant les tueries au nom de la « libération » de la région Nord, entre les mains des groupes islamistes.
« Voilà une situation on ne peut plus claire : un coup d’État dans le Sud, une rébellion qui ne vise désormais qu’à installer un État théocratique d’un autre âge dans le Nord, AQMI et consorts qui narguent le monde entier, leurs chefs, parmi les plus recherchés de la planète, qui se baladent tranquillement à Tombouctou ou à Gao et dont les crimes en série les enverraient aussi sûrement à la CPI [Cour Pénale Internationale] que tous ceux qui attendent leur procès dans les geôles de Scheveninge, à La Haye.
A Bamako, le président de la transition, qui n’a pas grand-chose à se reprocher dans l’épreuve que traverse son pays, s’est fait lyncher pendant près d’une heure, devant des bidasses passifs, voire hilares, par des jeunes désœuvrés dont des politiciens, qui n’avaient aucune chance d’exister en dehors du chaos actuel, avaient savamment lavé le cerveau pour les inciter à commettre ce crime impardonnable. Le « sauveur de la nation », Amadou Haya Sango, chef d’une junte qui a arraché le pouvoir des mains d’un président sur le départ, ne sauve rien du tout. (…) Et ses troupes ne se privent pas de torturer, bastonner et emprisonner arbitrairement tous ceux qui n’adhèrent pas à la « cause ».
[Face au] Mali qui sombre chaque jour un peu plus, on nous explique que tous les ingrédients d’une véritable bombe à retardement sont réunis. Qu’une nouvelle Somalie, plus proche et plus inquiétante, est en gestation. Tout le monde clame sa détermination à ne pas laisser AQMI s’installer et son indignation face à une telle descente aux enfers ».1
Voilà la parfaite description d’un État à terre et de sa population prise en otage par les gangsters civils, militaires et islamiques. Fidèles à leur réputation barbare, ces derniers n’ont pas tardé à mettre en branle leur machine à mutiler, à lapider, à expédier dans « l’enfer islamique » tous ceux qui ne se conforment pas à leur « charia ».
Voici une illustration caractéristique de la mentalité et des méthodes de cette « tribu » d’un autre âge qui règne sur Gao : « Gao n’est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n’a pas plus de 14 ans. Il s’énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule. « C’est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.
- Bob Marley.
- Nous sommes en terre d’Islam et vous écoutez Bob Marley ?! Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia. »
Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l’autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone… Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressions de l’assurer de notre fidélité à l’Islam, avant d’être autorisés à reprendre la route. (…) Venus d’Algérie ou d’ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la « police islamique » : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien… Il y a là toute l’internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu’il est un membre de la secte islamique Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le Nord de son pays. Il parle du Mali comme la « terre promise », fustige l’Occident et les « mécréants », et jure qu’il est ‘prêt à mourir’, si c’est la volonté de Dieu ».2
Ce que vivent les populations sous le « gouvernement » des diverses cliques maliennes, qui rivalisent en barbarie, est abominable. Mais, surtout, le monde bourgeois se fiche des souffrances des victimes en laissant pourrir sordidement la situation et en attendant cyniquement les monstrueux déchaînements qui se préparent.
Après six mois de gesticulations et de marchandages entre brigands, une coalition hétéroclite de cliques maliennes vient de solliciter officiellement l’aide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), cela « dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme ». Selon Le Monde du 8 septembre 2012, Paris, qui préside le Conseil de Sécurité de l’ONU, a aussitôt annoncé l’organisation d’une conférence internationale sur le Sahel, le 26 septembre à New York en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU, dont l’appui est nécessaire pour une intervention militaire au Mali. Et de fait, les pays de la Cédéao n’attendent que le « feu vert » du Conseil de sécurité pour envoyer au front quelques 3300 soldats. On sait aussi que depuis le début de l’occupation du Nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussent en coulisse les pays de la zone à s’impliquer militairement au Mali en leur promettant financements et moyens logistiques.
En clair, après avoir embraser le Mali en soutenant ou armant directement les bandes qui assassinent, Français et Américains, avec leurs rivaux, s’apprêtent à se lancer dans une nouvelle aventure guerrière sous prétexte d’aider le Mali à retrouver son « intégrité territoriale » et au nom de la lutte contre le « terrorisme islamiste ».
Malheureusement pour la classe ouvrière et les opprimés de cette région, toutes les forces bourgeoises autour de l’ONU et de l’UA/Cédéao, qui clament hypocritement leur « détermination » et leur « indignation » pour mieux justifier une intervention armée, ne vont certainement pas lancer la soldatesque dans le but de leur épargner la descente aux « enfers ». En effet, qui peut croire que les impérialismes français ou américain s’indignent sincèrement face à la misère que subissent les masses prolétariennes de cette région ? Qui peut penser que ces chefs de gangs s’activent sérieusement contre AQMI et consorts dans le seul but d’établir la « paix » et la « sécurité » des « peuples » de cette zone ?
A l’évidence, la réponse est : personne ! En vérité, nos grands barbares « démocrates » s’apprêtent à brûler toute la région simplement parce que leurs intérêts stratégiques et économiques y sont menacés directement par des groupes armés, empêchant de fait le « bon fonctionnement » des circuits économiques. D’ailleurs, c’est ce qu’il faut comprendre quand les autorités américaines et françaises parlent de « guerre contre les groupes terroristes » et pour la « sécurisation des zones d’approvisionnement des matières premières ». De même certains organes de la presse bourgeoise préparent les « opinions publiques » dans ce sens pour mieux justifier les massacres de masse : « Ce n’est plus une hypothèse, c’est une certitude : plus les jours passent, plus s’accentue la décomposition de cet État désormais éclaté, et plus le cauchemar stratégique, humanitaire et politique d’une somalisation du Mali hante l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et bientôt l’Europe. Même ceux qui, il y a deux mois, accordaient à la sécession du Nord quelques circonstances atténuantes par sympathie pour les revendications socio-économiques trop longtemps négligées des Touaregs, sont effarés par la mainmise brutale des groupes islamiques les plus intransigeants sur ce qui reste des populations de l’Alzawad. Comment accepter que le terrorisme et les trafics en tous genres trouvent un sanctuaire en plein Sahel, sous le couvert de la charia et la bannière d’un djihadisme dévoyé ? »3
En effet, de l’Algérie au Nigeria, de la Libye au Niger, du Soudan au Mali, du Tchad au Gabon en passant par la Côte d’Ivoire, toute cette partie de l’Afrique est bourrée des matières premières les plus recherchées dont le contrôle constitue un enjeu hautement stratégique. Donc, même s’ils savent parfaitement qu’ils vont y laisser des plumes, les divers charognards vont cyniquement entretenir le sanglant chaos. On sait que la France n’a jamais cessé d’intervenir militairement dans cette zone, notamment en Mauritanie et au Niger, en compagnie de troupes de ces pays pour protéger ses sociétés, comme AREVA qui exploite l’uranium nigérien. Les États-Unis ne sont également pas en reste comme le remarque à nouveau la revue Jeune Afrique : « Leur rôle [des États-Unis] est devenu encore plus vital depuis que le Nord du Mali est tombé entre les mains des islamistes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad. (…) La tension qui règne dans le nord malien incite aussi le Pentagone à renforcer sa présence en Mauritanie. (…) Actuellement, affirme le ‘Washington Post’, les Américains auraient débloqué plus de 8 millions de dollars pour rénover une base proche de la frontière malienne et mener des opérations de surveillance conjointes avec les forces mauritaniennes. Les deux autres points chauds qui incitent les États-Unis à mettre en branle leur dispositif sont le Nigeria, avec la montée en puissance de Bako Haram, et la Somalie (…). Devant le Congrès en mars dernier, le général Carter Ham (qui dirige l’Africom) a souligné : ‘Si nous ne disposons pas de bases sur le continent, nos moyens en RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) seraient limités et cela contribuerait à fragiliser la sécurité des États-Unis. (...) Lors de son passage devant les parlementaires, le général Carter Hom a aussi déclaré qu’il souhaitait pouvoir établir une nouvelle base de surveillance à Nzara, au Soudan du Sud. Là encore, ce projet s’explique par le contexte local. Les tensions entre le Soudan et son voisin méridional riche en hydrocarbures ne laissent pas indifférent Washington, qui doit assurer la sécurité des compagnies pétrolières présentes dans la région’ ».
On ne peut être plus clair : le grand gang américain et ses concurrents vont pulvériser toute la région du Sahel, à commencer par le Mali, dans le seul but de sécuriser (entre autres) les zones « riches en hydrocarbures ».
Voilà un pays en décomposition totale qui ne peut offrir aucune perspective vivable à sa population et à ses enfants livrés à eux-mêmes, dont nombreux sont ceux qui, pour survivre, se laissent manipuler ou se font recruter de force par divers mafieux et autres trafiquants qui les transforment en soldats ou en mercenaires. Voilà comment de simples hommes victimes de la misère du capitalisme peuvent devenir, du jour au lendemain, des tueurs, des « apprentis bourreaux » d’une grande cruauté. Tous ces jeunes, chômeurs et éternels sans travail, tous ces « sans rien » se trouvent à la merci de tous les brigands criminels assoiffés de profits et de sang : « démocrates » civils ou militaires, putschistes, nationalistes indépendantistes, « djihadistes » et autres vrais « fous de Dieu ».
Amina (9 septembre)
1 Jeune Afrique du 14 juillet 2012.
2 Récit d’un journaliste de Jeune Afrique, 4 août 2012.
3 Jeune Afrique, 16 juin 2012.
Le nationalisme est un poison idéologique que la bourgeoisie utilise, soit pour embrigader la classe ouvrière dans ses conflits guerriers, soit pour émousser la lutte des classes sur un terrain corrompu et stérile. Les récentes manifestations nationalistes en Catalogne illustrent parfaitement ce piège tendu par la bourgeoisie au prolétariat. C’est pourquoi nous publions la traduction d’un article de notre section en Espagne qui tire les leçons essentielles de ces événements.
Un million et demi de personnes ont manifesté le 11 septembre dernier à Barcelone pour que la Catalogne « ait son propre État à l’intérieur de l’Europe ».
Cet événement a été analysé selon plusieurs grilles de lectures : L’indépendance de la Catalogne est-elle viable ? Pourquoi la Catalogne veut-elle « divorcer » de l’Espagne ? Est-ce que les catalans vivront mieux après l’indépendance ? Est-il vrai que la Catalogne apporte plus à l’Espagne que ce qu’elle reçoit de celle-ci ? Faudrait-il créer un État fédéral ?
Cependant, une autre lecture manque : celle du prolétariat, la classe sociale qui, par sa lutte historique, représente l’avenir de l’humanité. Voici donc une lecture faite du point de vue de la lutte des classes, que nous pourrions synthétiser en opposant deux termes : nation ou classe ?
Le 11 septembre nous avons pu voir Felip Puig (ministre de l’Intérieur de la Généralité catalane, responsable et animateur de la violente répression contre les manifestations massives de l’an dernier, organisateur de provocations policières tordues contre les manifestants1) défiler, amicalement entouré de ses victimes, de jeunes chômeurs ou de précaires. On a pu voir neuf des onze ministres d’un gouvernement régional, qui fut en première ligne dans la mise en oeuvre des coupes impitoyables dans les secteurs de la santé et l’éducation, marcher coude à coude avec leurs victimes : les infirmières et les médecins qui ont perdu plus de 30% de leurs salaires, les usagers qui doivent payer un euro chaque fois qu’ils vont en consultation ou payer une partie de leurs médicaments en pharmacie. Nous avons vu des patrons, des policiers, des curés, des leaders syndicaux, partager la rue avec leurs victimes : des chômeurs, des ouvriers, des retraités, des immigrants … Une atmosphère d’UNION NATIONALE a présidé le rassemblement. Le Capital s’est fait accompagner par ses exploités en les transformant en idiots utiles pour ses objectifs égoïstes.
Il est fort possible qu’une partie importante des manifestants ne partageait pas l’objectif de l’indépendance. Peut-être étaient-ils là parce qu’ils ne supportent plus les coupes, le chômage, l’absence d’avenir ; mais ce qui est certain, c’est que leur malaise a été canalisé par le Capital vers son terrain, celui de la défense de la Patrie. La rage des travailleurs ne s’est pas exprimée pour leurs propres intérêts, encore moins vers l’intérêt de la libération de l’humanité, mais uniquement et exclusivement au bénéfice du Capital !
Et qu’on ne vienne pas nous raconter que la lutte pour l’indépendance de la Catalogne affaiblit le Capital espagnol ! Qu’on ne nous serve pas la baliverne selon laquelle le soutien à la Catalogne ravive les « contradictions » du Capital, entre ses fractions « espagnole » et « catalane » !
Si le prolétariat lutte derrière des drapeaux qui ne sont pas les siens – et le drapeau national est le plus opposé à ses intérêts – alors il RENFORCE le Capital, toutes et chacune de ses fractions. Il est possible que cela ravive les contradictions entre eux, mais celles-ci sont canalisées dans leurs crises, leurs guerres, leurs conflits de gangsters, leurs bagarres de famille. Autrement dit, elles finissent par faire partie de l’engrenage de barbarie et de destruction avec lequel le système capitaliste bride l’humanité.
La nation n’est pas la communauté de tous ceux qui sont nés sur la même terre, mais la propriété privée de l’ensemble des capitalistes grâce à laquelle ils organisent l’exploitation et l’oppression de leurs « concitoyens bien-aimés »2. Ce n’est pas un hasard si le slogan de la manifestation était que « la Catalogne ait son propre État ». La nation, ce mot « si affectionné », est inséparable de ce monstre – pas du tout affectionné, froid et impersonnel – qu’est l’État avec ses prisons, ses tribunaux, ses armées, sa police et sa bureaucratie.
Le président Mas3 a promis un referendum, on ne sait pas quelle question sera posée, mais on peut être certain de ce que veulent autant lui que ses collègues « espagnols » : nous faire choisir entre trois options, pires l'une autant que les autres : Voulez-vous que les réajustements et les coupes vous soient imposés par l’état espagnol ? Voulez-vous qu’ils vous soient imposés dans le cadre de la « construction nationale de la Catalogne »? Ou bien voulez-vous que ce soient l’État espagnol et l’aspirant catalan qui vous assomment conjointement ? Le Capital en Espagne possède deux patries pour imposer la misère : « l’espagnole » et la « catalane ».
Quels sont les mécanismes qui font que les travailleurs défilent avec leurs bourreaux, qui, comme le disait un chef de police espagnol (collègue quelque part du susnommé Puig), les voient comme « l’ennemi »4?
Il y en a plusieurs, mais, à notre avis, trois sont les plus importants :
La décomposition du capitalisme. Si depuis les premières décennies du 20 siècle, le capitalisme est entré dans l’ère de sa décadence, depuis presque 30 ans ce processus s’est aggravé amenant à une situation que nous avons identifié comme celle de la décomposition du capitalismeme. Sur le plan politique, cette décomposition aiguë se concrétise par la tendance à une irresponsabilité croissante des différentes fractions de la bourgeoisie de plus en plus embourbées dans le « chacun pour soi » qui, avec l’exacerbation de la crise, amène à un « sauve qui peut ». Lorsque Mas est allé à Madrid le 13 septembre pour ramasser les dividendes de la manifestation du 11, il a dit que l’Espagne et la Catalogne étaient comme deux conjoints qui ne se supportent plus. Il avait raison, les nations sont des « mariages de convenance » entre fractions différentes de la bourgeoisie ; au vu de la crise et de la décomposition du capitalisme, il est de plus en plus difficile en son sein de forger un projet un minimum sérieux qui agglutine les différentes fractions. Ceci pousse à ce que chacun mène son propre jeu, même en sachant que ce jeu ne va pas lui donner non plus la moindre perspective. Beaucoup de nations sont de plus en plus prises d’assaut par un tourbillon de tendances centrifuges : au Canada, le Québec ne veut plus faire partie de la Fédération, en Grande-Bretagne l’indépendantisme fleurit en Écosse, pour ne pas parler de la Belgique, de l’Italie…
Mais le drame c’est que ces tendances affectent et contaminent le prolétariat entouré comme il l’est de la petite bourgeoisie – bouillon de culture de la décomposition sociale – et soumis à la pression exercée par les comportements cyniques et corrompus de la classe dominante et à la propagande qu’elle diffuse. Le prolétariat doit combattre les effets de cette décomposition sociale, développant les anticorps nécessaires : face à un monde de concurrence effrénée, il doit opposer une lutte solidaire ; face à un monde qui se désagrège en morceaux avec des gouvernants aspirant à devenir les roitelets de leurs taïfas, il doit opposer son unité internationale ; face à un monde d’exclusion et de xénophobie, il doit opposer sa lutte d’inclusion et intégratrice …
Les difficultés de la classe ouvrière. Actuellement, le prolétariat n’a pas confiance en ses propres forces, la plupart des ouvriers ne se reconnaissent pas en tant que tels. Ce fut le talon d’Achille des mouvements des Indignés en Espagne, aux États-Unis etc., où, malgré les éléments positifs et pleins d’avenir, la majorité des participants (précaires, chômeurs, travailleurs individuels…) ne se voyaient pas comme membres de leur classe mais comme « citoyens », ce qui les rendait vulnérables face aux mystifications démocratiques et nationalistes du capital5. Ceci explique que des jeunes chômeurs ou des précaires qui, il y a un an, ont occupé la place de Catalogne, à Barcelone, qui y ont lancé des appels à la solidarité internationale, allant jusqu’à rebaptiser cette place : « Place Tahrir », se soient aujourd’hui mobilisés derrière le drapeau national de leurs exploiteurs.
L’intoxication nationaliste. La bourgeoisie, bien consciente des faiblesses du prolétariat, joue à fond l’atout nationaliste. Le nationalisme n’est pas le patrimoine exclusif de la droite et de l’extrême-droite, il est le terrain commun partagé par un éventail politique qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche et aussi par ce qu’on appelle les « organisations sociales » (Patronat et Syndicats).
Le nationalisme de droite, attaché à des symboles rances et à une repoussante agressivité vis-à-vis de ce qui est étranger (xénophobie), n’est pas très convaincant pour la plupart des travailleurs (sauf les secteurs les plus arriérés). Le nationalisme de gauche et des syndicats accroche davantage parce qu’il apparaît comme plus « ouvert », plus en phase avec le quotidien. C’est ainsi que le discours nationaliste de la gauche nous propose une « issue nationale » à la crise, et pour ce faire il demande un « partage juste » des sacrifices. Cela, en plus de justifier les sacrifices avec le leurre de « faire payer les riches », inocule la vision nationale car cela présente une « communauté nationale » faite de travailleurs et de patrons, d’exploiteurs et d’exploités, tous unis pour la « marque Espagne ». Quelle différence avec ce que disait Primo de Rivera, leader du fascisme espagnol : « patrons et ouvriers, nous sommes dans le même bateau » ?
Un autre des discours préférés de la gauche et des syndicats, c’est de dire que « Rajoy impose les coupes parce qu’il ne défend pas l’Espagne, c’est un larbin de Merkel ». Le message est évident : la lutte contre les coupes serait un mouvement national contre l’oppression allemande et non pas ce qu’elle est : un mouvement pour nos besoins humains contre l’exploitation capitaliste. En fait, Rajoy est aussi « espagnoliste » que l’était Zapatero ou que le serait un hypothétique gouvernement de Cayo Lara6. Ils défendent l’Espagne en imposant « du sang, de la sueur et des larmes » aux travailleurs et à la grande majorité de la population.
Les mobilisations syndicales du 15 septembre ont été appelées parce qu’ « ils [le pouvoir] veulent démolir le pays », ce qui veut dire que nous, les travailleurs, devrons lutter non pas pour nos intérêts, mais pour « sauver le pays », ce qui nous place sur le terrain du Capital, le même que Rajoy qui prétend sauver l’Espagne avec le sacrifice des travailleurs.
Les groupes qui ont gardé « le label 15-M »7 défendent des choses « plus radicales », mais pas moins nationalistes. Ils disent qu’il faut lutter pour garder la « souveraineté alimentaire », ce qui veut dire qu’on doit produire « espagnol » et consommer « espagnol ». Ils parlent aussi de faire des « audits à la dette » pour rejeter les dettes qui « auraient été imposées illégitimement à l’Espagne ». Une fois encore : une position nationaliste pure et dure ! La gauche, les syndicats et les restes frauduleux du 15-M réalisent un « remarquable » travail de « formation de l’esprit national ». C’est ainsi que se nommait du temps du dictateur Franco une matière scolaire obligatoire ; aujourd’hui, depuis toutes les tribunes on nous donne, démocratiquement, ce genre de leçon à avaler de gré ou de force !
Il ne faut surtout pas s’imaginer que toute cette plaie nationaliste ne sévit qu’en Espagne ! On la sert à toutes les sauces dans le reste des pays. En France, Melenchon, leader d’un supposé radical Front de Gauche, proclame que « la bataille contre le traité [de Stabilité que va signer la gauche « molle » de Hollande] est un nouvel épisode révolutionnaire pour la souveraineté et l’indépendance »8., Rien que ça ! On se croirait aux temps de Jeanne d’Arc !
Le matraquage nationaliste n’a d’autre finalité que de faire s’affronter les travailleurs entre eux. Aux travailleurs allemands, qui doivent subir des salaires de 400 € et des retraites de 800 €, on insinue que les causes de leurs sacrifices sont les travailleurs de l’Europe du Sud, des vauriens qui ont vécu au dessus de leurs moyens. Aux travailleurs de Grèce, on fait comprendre que leur misère est le produit des privilèges et du luxe dont jouissent les travailleurs allemands. À Paris, on leur dit qu’il vaut mieux que les licenciements se fassent à Madrid plutôt qu'en France.
Comme on le voit, on nous attache avec un nœud gordien des mensonges qu’il faudra briser en comprenant que la crise est mondiale, que les coupes sévissent dans tous les pays. Le matraquage autours du problème national fait qu’on ne voit que les 700 000 chômeurs en Catalogne ou, à la limite, les 5 millions en Espagne, et on ne voit pas ceux du monde entier qui sont plus de 200 millions. Quand on ne voit que la pluie des coups de ciseaux qu’il y a eu en Catalogne et en Espagne, on ne voit pas les coups de ciseaux monstres qui ont été imposés, par exemple aux travailleurs « privilégiés » des Pays-Bas. Quand on ne regarde que « notre propre misère », en tant qu’espagnols ou catalans, on ne voit pas la misère du monde du point de vue prolétarien. Quand on regarde avec l’optique nationale, étroite, mesquine et excluante, on a le cerveau prêt à croire, comme « Perrette et son pot au lait », aux histoires à dormir debout que raconte l’honorable monsieur Mas tel que « si on payait à la Catalogne les 10 milliards qu’on lui doit, les coupes seraient superflues », version régionale du « si l’Espagne n’était pas aussi ligotée par l’Allemagne il y aurait de l’argent pour la santé et l’éducation ».
Le capitalisme a créé un marché mondial, il a généralisé à toute la planète le règne de la marchandise et le travail salarié. Mais celui-ci ne peut fonctionner que par le travail associé de l’ensemble des travailleurs du monde. Une automobile n’est pas l’œuvre d’un ouvrier individuel, elle ne l’est pas non plus des ouvriers d’une usine, même pas du pays où elle a été fabriquée. Elle est le produit de la coopération de beaucoup d’ouvriers de différents pays et de différents secteurs aussi : pas seulement de l’automobile mais de la métallurgie, des transports, de l’éducation, la santé…
Le prolétariat possède une force fondamentale face au capitalisme : être le producteur associé de la plupart des produits et des services. Mais il a également une force pour donner un avenir à l’humanité : le travail associé qui, libéré des chaînes capitalistes – de l’État, de la marchandise et du salariat – permettra à l’humanité de vivre d’une façon solidaire et collective, dédiée à la pleine satisfaction de ses besoins et celles du progrès de l’ensemble de la nature.
Pour évoluer dans cette direction, le prolétariat doit s’orienter vers la solidarité internationale de tous les prolétaires. Enchaîné à la nation, le prolétariat sera toujours enchaîné à la misère et à toutes sortes de barbaries ; enchaîné à la nation, il sera toujours empoisonné par des falsifications anti-solidaires, xénophobes, d’exclusion, patriotiques… Enchaîné à la nation, il acceptera la division et l’affrontement dans ses rangs.
Aucune solidarité avec nos exploiteurs ! Notre solidarité doit se porter vers les ouvriers d’Afrique du Sud écrasés par leurs soi-disant « libérateurs noirs »9, notre solidarité doit se porter vers les jeunes et les travailleurs palestiniens qui manifestent aujourd’hui contre leurs exploiteurs du « presque-Etat » palestinien. Notre solidarité l’est avec les ouvriers de tous les pays.
L’unité et la solidarité ne sont pas avec « nos concitoyens » capitalistes de l’Espagne ou de la Catalogne, mais avec les ouvriers exploités du monde entier !
Les prolétaires n’ont pas de Patrie !
Acción Proletaria (CCI, Espagne), 16 septembre 2012
1 Pour bien saisir le niveau moral et les prouesses répressives de ce sinistre sire F. Puig, voir : Qu’y a-t-il derrière la campagne contre les « violents » autour des incidents de Barcelone ?, (fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/quyatil_derriere_la_campagne_contre_les_violents_autour_des_incidents_de_barcelone.html [286]) et : Solidarité avec les indignés de Barcelone matraqués par la démocratie bourgeoise : A BAS L’ÉTAT POLICIER !, (fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/solidarite_avec_les_indignes_de_barcelone_matraques_par_la_democratie_bourgeoise.html [287])
2 Voir notre brochure Nation ou Classe (fr.internationalism.org/brochure/nation)
3 Président de la Généralité de Catalogne
4 Voir : Pourquoi nous considèrent-ils comme leurs ennemis ? (fr.internationalism.org/ri430/pourquoi_nous_considerent_ils_comme_leurs_ennemis.html)
me Voir nos THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, publiées en 1990, (fr.internationalism.org/french/rint/107_decomposition.htm )
5 Pour un bilan critique des mouvements de 2011, voir : "2011 : de l'indignation à l'espoir [288]", et : "Mouvement des indignés en Espagne, Grèce et Israël : de l’indignation à la préparation des combats de classe [289]" dans la Revue Internationale nº 147.
6 Rajoy est l’actuel chef de gouvernement (droite), Zapatero, le précédent (socialiste) et Cayo Lara est le dirigeant du PC et de la coalition Gauche Unie. [NdT]
7 « 15-M », abréviation du 15 mai 2011, date de la manif qui a déclenché le mouvement des Indignés en Espagne. [NdT]
8 Ces déclarations de Mélenchon ont été traduites en français à partir de celles reproduites par le journal espagnol El País, 16/09/2012. [NdT]
9 Lire La bourgeoisie lance ses chiens de garde policiers et syndicaux sur la classe ouvrière (Révolution internationale, septembre 2012), (fr.internationalism.org/node/5158) et, en espagnol, une prise de position d’un lecteur chilien : Masacre de Marikana, lecciones de la experiencia sudafricana (https://es.internationalism.org/node/3468 [290])
Nous présentons ici trois textes de réflexion sur les dernières expériences de mobilisation survenues récemment en Espagne : l’anniversaire du 15-M (le mouvement des Indignés a été marqué par une mobilisation très forte le 15 mai 2011 qui a donné ce nom) et la grève des mineurs. Ce qui ressort de cet ensemble de textes, c’est son caractère international.
En premier, nous publions un article de notre section en Grande-Bretagne qui prend position sur ces deux mobilisations en réponse à des débats qu’il y a eu sur le forum de langue anglaise libcom.
Ensuite, il y a un camarade qui collabore régulièrement avec nous et qui nous fait part ici de ses propres réflexions sur la grève des mineurs.
Enfin, nous publions un bref commentaire de notre part sur ces réflexions.
Ce caractère international correspond à celui de la lutte du prolétariat, qui est une classe dont les intérêts sont communs dans tous les pays. Ce caractère mondial a l’avantage d’une vision plus large, une vision qui donne une perspective aux événements face à l'étroitesse du prisme national qui, par définition, et frappé de myopie.
La classe ouvrière en Espagne subit des mesures d’austérité particulièrement dures dans un contexte de crise économique profonde, ce qui fait augmenter la tension sociale. Les luttes qu’il y a eu en 2011 comme réponse à la crise ont servi d’inspiration pour bien d’autres mouvements. Dans le cas du mouvement du 15-M, il a été influencé par le printemps arabe et, à son tour, il a inspiré des luttes en Grèce et aux États-Unis, par exemple. L’anniversaire du 15-M a coïncidé dans le temps avec le début de la grève des 8000 mineurs au nord de l’Espagne contre un important retrait des aides publiques au secteur minier, ce qui, en plus d’en finir avec l’activité minière, menacerait quelque 40 000 emplois indirects dépendants de celle-là, dans un pays comptant 24 % de chômeurs, dont la moitié des jeunes de moins de 25 ans. Cet article veut contribuer au débat sur les leçons qu’on peut tirer de l’anniversaire du 15-M et de la grève dans les mines.
Les mineurs d’Espagne, surtout ceux de la région des Asturies, ont une longue tradition de lutte, avec des épisodes remarquables tels que l’insurrection de 1934 ou les grèves de 1962 ; ce n’est donc pas une surprise que leur détermination à riposter à l’attaque en se mettant en grève le 31 mai. Leur courage dans la lutte est remarquable : l’installation des barricades sur les routes, l’utilisation d’armes improvisées pour repousser les attaques de la Garde Civile qui faisait tout pour lever les blocages, des ripostes aux arrestations, aux charges et aux tabassages. Tout cela a soulevé des sympathies de la part de plein de gens, comme cela a été le cas des participants au forum libcom2 et au site Web de la Tendance Communiste Internationaliste3.
Cette situation rappelle celle de la grève des mineurs au Royaume-Uni des années 1984 et 85, lorsque ce secteur si combatif, profondément respecté et dans un certain sens porteur d’espoir pour l’ensemble de la classe ouvrière, s’est lancé dans une grève courageuse et dure, avec d'innombrables affrontements contre la police pour se défendre d’une répression qui avait atteint des sommets de brutalité. De la même manière que les mineurs espagnols maintenant, ils firent face aux plans de fermeture de beaucoup de mines à une époque de fort chômage. La lutte s’est achevée par une défaite qui a pesé énormément sur la classe ouvrière de Grande Bretagne pendant les deux décennies suivantes.
Dans le débat sur le site libcom, “Fingers Malone” signale les difficultés de la situation à laquelle font face les mineurs espagnols à cause des caractéristiques d’une attaque qui signifie ni plus ni moins la fermeture de cette industrie : « la grève en elle-même ne les mène nulle part », ce qui expliquerait les autres moyens mis en place par les mineurs tels que les barrages de routes et les occupations des mines. Mais, est-ce que ces actions font avancer la lutte de manière efficace ? À notre avis, le problème n’est pas le fait que la grève par elle-même ne soit pas suffisante, mais le fait de se lancer dans la grève seuls, isolés des autres secteurs de la classe ouvrière, ce qui met les mineurs dans une position de faiblesse face au pouvoir (médiatique, économique, politique, répressif) de l’État, les amenant probablement à la défaite. La grève générale dans les contrées minières le 18 juin dernier, organisée par les syndicats (CO et SOMA-UGT) et soutenue par la gauche, n’a pas du tout servi à briser l’isolement des mineurs, cantonnés dans les régions touchées par les réductions des subventions. Et leur revendication d’un « plan charbon » en Espagne, ressemblant à celle des mineurs britanniques de l’époque « coal not dole » (“charbon oui, chômage non ”), ne va déboucher que sur un isolement accru de la grève.
Dans ce sens, le slogan « On n’est pas indignés, on en a plein le cul »4 ne fait réellement qu’exprimer les limites de leur lutte, basée sur l’illusion seln laquelle leur force seule, en tant que mineurs, serait suffisante pour faire face à l’État. D’une certaine manière, les mineurs se voient eux-mêmes comme l’expression d’une position plus radicale que celle des “Indignés”, qui a été une des luttes les plus importantes de l’an dernier, non pas seulement en Espagne, mais au niveau international. Donc, malgré leur grande combativité et leur longue tradition de lutte au sein de la classe ouvrière, l’isolement des mineurs est une faiblesse qui pourrait entraîner un revers important pour la lutte de classe dans son ensemble.
Malgré les énormes difficultés qu’affronte la bourgeoisie pour gérer la situation économique, on ne doit jamais sous-estimer l’expérience qu’elle possède dans sa lutte contre la classe ouvrière, tel qu’on a pu le voir clairement lors des manœuvres comme celle de l’isolement des mineurs ou la dernière grève syndicale du 29 mars5, suivie tout de suite par l’annonce des coupes budgétaires allant jusqu’à 2 milliards d’euros.
La “célébration” de l’anniversaire du 15-M en est un autre exemple : une parodie des événements d’il y a un an écrite pour effacer ou du moins caricaturer les mobilisations de 2011, justement au moment où nous avons besoin de réfléchir, de débattre et de digérer les enseignements de cette expérience. Cette année-ci les mobilisations ont été appelées par toute sorte d’organisations gauchistes et syndicales et non pas par des assemblées qui n’existent plus, qui ont mis en avant des positions démocratiques et réformistes “citoyennes”, loin de toute vision de classe.
Les fausses alternatives offertes par la droite gouvernementale et la gauche se complètent à la perfection. Au PP la menace de répression contre le mouvement, l’accusant d’être un sous-marin du PSOE. De son côté, le PSOE, qu’il y a un an essayait de déformer la signification du mouvement en le traitant de petit-bourgeois, marginal et sans perspectives, maintenant l’encense comme étant une grande réussite, avec un grand avenir dans la société. La bourgeoisie dénigre toujours le mouvement réel, pour après le glorifier lorsqu’elle a réussi à le transformer en coquille vide et en souvenirs inoffensifs.
Il y a eu foule lors des manifestations de l’anniversaire du 15-M, mais pas autant que lors des moments les plus chauds du mouvement en juin, juillet ou octobre de l’an dernier. Des assemblées sont réapparues à Madrid, Barcelone, Séville, Valence, Alicante et ailleurs. Mais, malgré le fait que les assemblées ont été reçues avec intérêt et curiosité le samedi soir, elles ont été peu à peu abandonnées sans que le mouvement ait la moindre force pour résister au contrôle des organisations gauchistes ; les gens ont préféré partir. Il y a eu, cependant, quelques signes de caractère prolétarien : la participation massive des jeunes, une ambiance solidaire et ouverte, et quelques contribuions intéressantes au débat. À Madrid a eu lieu un débat très intéressant sur la santé ; on y a entendu des expressions dans le sens de ce que nous avons appelé « l’aile prolétarienne du mouvement », même si c’était bien moins important que l’an dernier. Le mouvement, en général, n’a pas pu briser les chaînes imposées par la bourgeoisie, et s’est maintenu comme une caricature du mouvement originel du 15-M, rappelant d’avantage une joyeuse randonnée de week-end qu’autre chose.
Les mouvements sociaux qui se sont produits en 2011 ont été une expérience très importante pour la classe ouvrière par leur dimension internationale, par l’occupation des rues, par l’existence des assemblées comme cœur du mouvement6. En Espagne, il y a eu des mobilisations massives dans le secteur éducatif à Madrid et Barcelone, dans la santé à Barcelone, chez les étudiants à Valence. La grève syndicale du 29 mars et celles des mineurs sont aussi des expériences sur lesquelles nous devons tous réfléchir.
À la suite de toutes ces expériences, nos camarades en Espagne disent qu’on a la sensation que le mouvement est en train de réfléchir sur lui même, de revenir sur ses faiblesses et les difficultés pour développer une lutte capable de riposter à la gravité de la situation et au niveau des attaques. Ce processus de réflexion est absolument essentiel dans la préparation du terrain pour le développement d’un mouvement plus large et plus profond capable de mettre en question le système capitaliste lui-même.
Voilà des idées qui se rependent de plus en plus : le capitalisme est un système en faillite, sans avenir ; après cinq années de crise, la classe dominante n’a pas la moindre réponse pour y remédier, il faut changer ce système. Lors d’une assemblée à Valence, par exemple, une femme a mis en avant des idées que par ailleurs le CCI a défendues concernant le mouvement du 15-M : celui-ci a un versant révolutionnaire et un autre réformiste, et c’est le premier qu’il faut renforcer. Mais il y a aussi une recherche de la riposte et de l’action immédiates, qui peut déboucher sur des propositions stériles pour ne pas dire ridicules parfois, comme l’idée selon laquelle si tous les clients de la banque nationalisée Bankia retiraient leur argent « cela ferait du mal au capitalisme ».
Ainsi, en même temps que l’on met en avant l’idée de remplacer le capitalisme, il y a la difficulté pour trouver comment le faire, et aussi l’espoir que la faillite du système pourrait être réversible. C’est ici que la gauche et l’extrême-gauche interviennent pour mettre en avant toutes sortes de “solutions” pour reformer le capitalisme, telles que plus d’impôts pour les riches, l’élimination de la corruption, les nationalisations, etc. En fait, la plupart de ces propositions sont aussi défendues par le centre et la droite.
Il est crucial de ne pas tomber dans ce piège des prétendues alternatives réformistes. Il est tout aussi important que le mépris vis-à-vis des politiciens en général, et vis-à-vis des mensonges de la gauche en particulier, ne nous amène pas à une espèce d’enfermement dans des groupes locaux isolés, méfiants vis-à-vis de tout ce qui dépasse leurs limites géographiques. Ce ne sera qu’en dépassant ces pièges que nous pourrons faire avancer la réflexion sur la crise du capitalisme, sur la nécessité de le détruire et sur comment la classe prolétarienne peut avancer dans sa lutte. Tout cela est essentiel pour préparer les luttes futures.
Alex (30 juin 2012 )
La lutte des mineurs n’est pas, comme certains secteurs ont voulu la faire passer, une lutte décisive ou exemplaire pour le reste du prolétariat, dont la défaite signifierait un pas en arrière important pour l’ensemble du mouvement ouvrier. Les caractéristiques des mineurs sont aujourd’hui très spécifiques et minoritaires : c’est un secteur avec une très grande tradition de lutte et capacité de mobilisation, conscient de ses intérêts sectoriels, avec une forte présence et contrôle syndicaux, et très identifié aux zones géographiques où cette activité se déroule. D’un autre côté ce qui prédomine autant en Espagne qu’internationalement c’est tout le contraire : destruction des liens sociaux au travail et dans les quartiers, très peu de mémoire ou de tradition des méthodes prolétariennes de lutte (assemblées, solidarité, auto-organisation), manque croissant de protection sociale face aux objectifs du capital et de son État, contrats temporaires, précarité, chômage massif.
L’idée selon laquelle la combativité d’un seul secteur (aussi combatif soit-il, tel que le secteur minier) peut faire reculer la bourgeoisie dans l’état actuel de la crise capitaliste est un piège. Seule la lutte massive de larges secteurs du prolétariat peut y arriver.
La présentation de la part de la gauche et des syndicats des mineurs comme “des héros solitaires de la classe ouvrière” est encore un autre piège qui ne fait qu’approfondir encore plus l’isolement de ceux-ci par rapport aux autres secteurs. Les syndicats et la gauche (avec leurs appendices “radicaux” derrière) font tout leur possible pour isoler les mineurs pour qu’ils s’usent dans des actions stériles (“la marche noire”) médiatisées et bien contrôlées.
Discuter sur la rentabilité ou les aides au secteur minier n’est pas une question qui doive occuper les prolétaires. L’économie capitaliste a toujours été peu ou prou orientée par l’État, pour différentes raisons. Ce qui doit nous préoccuper c’est le fait que nous sommes tous soumis au même joug, que nous avons tous le même ennemi : le système capitaliste. L’avenir des mineurs est le même que celui de la majorité : précarité, chômage, misère, émigration. Pour lutter contre tout cela, les mineurs ne doivent plus le faire en tant que mineurs, mais en tant que prolétaires avec le reste de la classe ouvrière.
Quel développement, quel résultat prévisible, quels enseignements tirer du conflit mineur ? Il y a un forum sur Internet qui résume tout cela très bien : « Toujours plus de la même chose. CO et UGT proposent une marche sur Madrid, où les mineurs seront reçus comme des héros, convenablement isolés de la lutte de classes... avec ça, oui, mille anecdotes de voyage dont on tirera des reportages, des chroniques, des vidéos sur youtube, etc., etc. Dispersion syndicale et démocratique bien organisée, usure... et l’État toujours droit dans ses bottes.
Les mineurs, isolés et démocratiquement bien orientés, ceci dit toujours bien en rogne, seront (une fois encore) défaits.
Avec la revendication sectorielle des fonds pour les mines, il y a peu de probabilités pour que d’autres ouvrier(e)s se sentent impliqué(e)s et partie prenante.
Et c’est pareil que cet isolement s’exprime pacifiquement ou avec de la violence. Si là où on dit mineurs, on met une autre catégorie d’ouvriers, on se rendra compte que la défaite s’est produite une fois après l’autre. Le capital et son État se renforcent, deviennent de plus en plus durs. Ils laissent les énergies s’épuiser journée après journée d’action inefficace, contrôlées de près ou de loin par les syndicats démocratiques TOUT LE TEMPS QU’IL FAUDRA..., et, à la fin, spectacle à Madrid, et des "nous avons fait tout ce qu’on a pu", "nous sommes à bout", "épuisement et accablement généraux chez les travailleurs".... et, enfin, tous en car pour rentrer à la maison, et CO et UGT des héros incompris dont "les propositions logiques et sensées" n’ont pas été écoutées par le Ministre et l’administration...»7, « Avec des pétards et ce genre d’affrontement on n’établit pas un nouveau rapport de forces avec le capital. SEULEMENT EN ÉTENDANT les conflits avec des méthodes et des revendications de classe anticapitalistes, EN Y INTÉGRANT le plus grand nombre possible de prolétaires actifs ou au chômage, de retraités, on pourra établir ce rapport de forces favorable.
Pour cela l’indépendance organisationnelle et politique de la classe ouvrière est nécessaire, et non pas ce suivisme des projets bourgeois démocratiques. "Sauver le charbon", "sauver les mines", "défendre les Asturies" et d’autres mot d’ordre de ce genre ce n’est ni plus ni moins que défendre les intérêts patronaux, de sorte que ceux-ci pourront continuer à se développer et à se maintenir en licenciant et en exploitant les ouvriers, avec ou sans aides, avec ou sans petits drapeaux asturiens ou léonais, etc.
La Garde Civile et la Police nationale sont là pour faire leur affaire, elles ont un grand effectif bien entraîné et bien équipé. Elles ne craignent pas ce genre d’affrontement, ce que la bourgeoisie craint c’est l’extension, la généralisation des luttes et que celles-ci se déroulent en dehors du moule du syndicalisme et de la gauche démocratique.
Les activismes gauchistes ce sont des ripostes sans lendemain, ne font que satisfaire la soif activiste ponctuelle de ceux qui les pratiquent et leur entourage. Tout ça ne va nulle part. Ce ne sont pas là des opinions, ce sont des FAITS VÉRIFIÉS À RÉPÉTITION. »8
Bref : l’isolement et les méthodes syndicales de lutte nous amènent à la défaite, chez les mineurs comme ailleurs. La prévisible défaite (au-delà de quelque manigance possible entre les syndicats et le gouvernement pour calmer les esprits) pourra sans doute être utilisée par le gouvernement pour se donner une image de fermeté, du genre même les mineurs ne peuvent pas arrêter les mesures prises contre les conditions de vie et de travail que le capital exige. Cependant, le cours vers des luttes prolétariennes importantes est toujours ouvert : une économie capitaliste qui tombe en lambeaux avec ce nouvel épisode de crise après des années où elle s’est maintenue grâce à une demande fictive de la dette des États, des banques, des entreprises et des particuliers ; une usure de l’appareil politique et syndical de la bourgeoisie ; et la dégradation brutale des conditions de vie et de travail de larges secteurs de la classe travailleuse, une classe qui a de moins en moins à perdre face à un présent et un futur de chômage, de précarité et de déshumanisation.
Le mouvement du 15-M, du moins tant qu’il a eu quelque chose d'un vrai mouvement, a eu beaucoup de faiblesses et d’illusions, a été très hétérogène et pour cela médiatisé. Mais son importance ne réside pas tant dans son existence même (un mouvement condamné à disparaître depuis le début) mais dans deux phénomènes qui ont surgi avec lui : le premier, c’est la concrétisation physique dans la rue de l’explosion du ras-le-bol, “d’indignation” et de la volonté de lutter, ce qui jusqu’alors était diffus ou ruminé chacun dans son coin, et qui a rendu visible le fait que “lutter c’est possible” ; et, en deuxième lieu, la réapparition historique des assemblées massives comme outil de rassemblement, de solidarité, de discussion et de décision face à l’atomisation et la dispersion, au chacun pour soi, à la précarité et au chômage. Lors des luttes futures, ces éléments, améliorés et dépassés, seront de la plus grande importance.
Compañero, juillet 2012
Nous partageons pleinement les réflexions du camarade. Nous voudrions faire tout simplement une incise qui, à notre avis, n’invalide pas du tout son analyse, mais qui est une donnée importante dont il faudra tenir compte pour le futur. Tout laissait penser que la manifestation du 11 juillet à Madrid9 avait été pensée comme un genre d’enterrement de la lutte, comme une exhibition du “splendide isolement” des mineurs, qui devraient se contenter de la “solidarité” de quelques personnages de “la culture” et pas grand-chose de plus. Mais, au contraire, l’inquiétude existante a fait que bien plus de monde que prévu est venu à la manifestation en soutien aux mineurs. Un autre facteur a joué. Le même jour où les mineurs étaient à Madrid, Rajoy10, pensant que tout était bien ficelé, a annoncé les dernières violentes mesures d’attaques aux conditions de tous les travailleurs. Ceci a enflammé les esprits et a fait que beaucoup de travailleurs -des fonctionnaires spécialement- se soient présentés spontanément à la manifestation des mineurs et que certains bus de ceux-ci aient retardé leur départ pour rester avec les fonctionnaires et d’autres groupes d’ouvriers à la gare d’Atocha et d’autres lieux de la manifestation. Globalement, les syndicats sont arrivés à contrôler la situation et les mineurs sont rentrés chez eux. Mais c’est un signe fort de jusqu’à quel point la situation est tendue.
CCI
1Pour le texte original en anglais : https://en.internationalism.org/content/5024/spain-how-can-workers-respond-economy-dire-straits [291] [NDLR]
4 Références anatomiques mises à part ça correspond plus ou moins à « No estamos indignados, estamos hasta los cojones » [NdR]
5 En français : https://fr.internationalism.org/ri433/apres_l_escroquerie_de_la_greve_ge... [294]
6 Lire le tract international du CCI « 2011 : de l’indignation à l’espoir », https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [288]
7 https://interrev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota [295]
8 https://interrev.foroactivo.com/t1677-mineria-del-carbon-manifestaciones-hg-y-marchas-convocadas-por-soma-ugt-y-ccoo-aislamiento-es-derrota [296]
9 Jour de l’arrivée dans la capitale espagnole de la « marche noire » des mineurs venant à pied des contrées minières du Nord de l’Espagne. [NdT]
10 Chef du gouvernement espagnol (droite) [NdT]
Nous publions ci-dessous un article rédigé par un proche sympathisant du CCI en Espagne qui fait un récit et tire des leçons des mobilisations réalisées par les travailleurs et les masses opprimées de Palestine. Nous voulons saluer cette initiative. Dans une région où il y a un affrontement impérialiste brutal avec les énormes souffrances que cela entraîne pour la population, des mots tel que classe, prolétariat, lutte sociale, autonomie du prolétariat…, sont enterrés par les mots guerre, nationalisme, rivalités ethniques, conflits religieux, etc. C’est pour cela que ces mobilisations ont beaucoup d’importance et doivent être connues et prises en compte par les prolétaires de tous les pays. On nous propose des solidarités avec des nations, des peuples, des gouvernants, des organisations de « libération »…, on doit rejeter une telle solidarité ! Notre solidarité ne peut aller que vers les travailleurs et les opprimés de Palestine, d’Israël, d’Égypte, de Tunisie et du reste du monde. SOLIDARITÉ DE CLASSE CONTRE « SOLIDARITÉ » NATIONALE.
CCI
Dans cette partie du monde, le Moyen-Orient, si souvent en première page pour cause de massacres et de barbarie militariste, de rivalités entre les différents gangsters impérialistes qui prennent en otage la population civile, et par toutes sortes de haines et de mouvements nationalistes, ethniques et religieux (que les puissances « démocratiques » occidentales fomentent et entretiennent au gré de leurs intérêts), alors que les titres de la presse bourgeoise étaient occupés ces derniers jours par les troubles dans les pays musulmans à la suite des caricatures sur Mahomet, on y a pratiquement rien écrit sur les grandes manifestations et les grèves qui ont eu lieu pendant le mois de septembre contre les effets de la crise capitaliste internationale sur les vies des prolétaires et des couches opprimées des territoires palestiniens de Cisjordanie, pourtant les plus grandes manifestations depuis des années.1
Dans une situation souvent désespérée, le prolétariat et la population exploitée des territoires palestiniens, soumis à l’occupation militaire, au blocage et au mépris total de leur vies et de leurs souffrances par l’État israélien, à d’énormes difficultés pour échapper aux influences autant nationalistes qu’islamistes, et à la tendance à se laisser embrigader par des organisations diverses à la « résistance militaire » contre Israël, autrement dit à aller à l’abattoir sacrificiel face à une énorme supériorité militaire. C’est justement la lutte contre les effets de la profonde crise économique du capitalisme international qui ouvre la possibilité de voir réapparaître des luttes prolétariennes massives au niveau mondial et au dépassement des divisions sectorielles, nationales, ethniques ou d’un autre genre au sein de la classe ouvrière, ainsi qu’au dépassement des illusions et des mystifications de toutes sortes (les illusions « démocratiques » au sein du capitalisme, de la « libération nationale », etc.).
Le déclencheur de la vague de manifestations et de grèves a été l’annonce faite par le gouvernement du Premier ministre Fayyad2 de l’augmentation des prix des produits de base (alimentation…) et de l’essence. Cela a été l’étincelle qui a fait déborder la défiance de plus en plus forte de la population de Cisjordanie vis-à-vis de l’Autorité Palestinienne. Celle-ci est regardée de plus en plus comme une tanière d’arrivistes et de corrompus, dans laquelle se protège pour ses agissements toute une caste de capitalistes palestiniens et dont Fayyad est d’ailleurs la personnification3 : elle n’a même pas un semblant de légitimité, sans cirque électoral depuis 2006 et en conflit avec le Hamas ; elle est incapable de régler le moindre problème d’une économie palestinienne aux abois et totalement dépendante des dons extérieurs4, étouffée autant par l’occupation militaire que par le contrôle exhaustif sur les importations et les exportations, sur les prix, la perception des impôts ou les ressources naturelles qu’Israël exerce (accords de Paris, le pendant économique des accords d’Oslo).
Déjà durant l’été, le malaise s’est exprimé lors de protestations diverses. Par exemple, fin juin, une manifestation à Ramallah à la suite de l’annonce d’une réunion entre le président Abbas et le vice-premier ministre israélien, Shauz Mofaz, s’est terminée en répression brutale de la part de la police palestinienne5.
Avec un chômage massif (57 % selon l’ONU, insupportable surtout chez les jeunes), et un coût de la vie qui fait que la majorité des gens ait tout juste à manger, et avec une grande partie des secteurs populaires mécontents (par exemple, on doit des salaires aux 150 000 employés publiques du gouvernement), l’annonce de l’augmentation des prix le 1er septembre a été le détonateur.
Depuis le 4 septembre des manifestations massives se succèdent jour après jour pour l’amélioration des conditions de vie partout en Cisjordanie (Hébron, Bethléem, Ramallah, Jenin, etc.). Les manifestations sont aussi dirigées contre le contrôle israélien de l’économie des territoires (accords de Paris), mais il apparaît évident que le mécontentement ne se limite pas à un sentiment anti-israélien ou nationaliste, l’axe central des manifestations ce sont les conditions de vie et de travail. À Ramallah des jeunes scandaient : « Avant nous luttions pour la Palestine, maintenant nous luttons pour un sac de farine ».6
Au début des protestations, Abbas, dans une lutte évidente au sein du pouvoir contre son rival Fayaad, a montré ses sympathies pour le « printemps palestinien ». Mais au fur et à mesure que les manifestations se développaient, où l’expression du malaise ne se limitait pas au gouvernement de Fayaad ou aux accords de Paris, mais s’étendait contre l’Autorité Palestinienne elle-même, cela a amené le Fatah, qui au début a peut-être joué un certain rôle pour canaliser et même organiser des manifestations, à tout faire pour en finir progressivement avec leur radicalisation et leur extension7.
On peut dire la même chose du Hamas, qui a sans doute tiré profit des mobilisations pour essayer de déstabiliser le gouvernement actuel de l’Autorité Palestinienne, mais face à l’ampleur de celles-là et le danger de contagion à la bande de Gaza, a évidemment reculé.
À Naplouse, une manifestante déclarait : « Nous sommes là pour dire au gouvernement que ça suffit… nous voulons un gouvernement qui vive comme son peuple vit et mange ce que son peuple mange »8. « Nous sommes fatigués d’entendre parler de reformes... un gouvernement après l’autre... un ministre après l’autre... et la corruption est toujours là » comme le dit une pancarte dans la ville de Beit Jala9.
À Jenin, les manifestants ont demandé qu’on impose un salaire minimum, la création de postes de travail pour tous les chômeurs et la réduction des droits d’inscription à l’université10. Le premier ministre Fayyad déclare qu’il est « disposé à démissionner ».
Les manifestations massives continuent, avec des barrages sur les routes et des affrontements avec la police de l’Autorité Palestinienne. Le 10 septembre une grève générale dans les transports a commencé à l’appel des syndicats. Des chauffeurs de taxi, des routiers, des chauffeurs de bus y participent massivement. Beaucoup de secteurs, comme celui des employés de garderie, rejoignent la grève. Le mouvement s’élargit. Le 11 ce sont les étudiants et les lycéens qui font un arrêt de travail de 24 heures en solidarité avec la grève générale11.
Des travailleurs de toutes les universités palestiniennes, ensemble avec les étudiants, convoquent une grève de 24 heures pour le 13 septembre12.
Face à une telle situation et à la suite d’une réunion avec les syndicats, le gouvernement annonce qu’il fait machine arrière en ce qui concerne la montée des prix annoncée, qu’il va payer la moitié des salaires dus aux fonctionnaires du mois d’août, et qu’il va faire des coupes dans les salaires et les privilèges des politiciens et des hauts fonctionnaires de l’AP.
Le 14, le syndicat de transports annule l’appel à la grève parce que des « négociations constructives » ont été entamées avec l’AP.
Aussi, les protestations massives paraissent s’être calmées du moins temporairement, mais le malaise social est loin d’avoir disparu. Les syndicats des fonctionnaires et des instituteurs annoncent des mobilisations avec des arrêts de travail partiels à partir du 17.13 Les syndicats de la santé annoncent le 18 septembre qu’ils commenceront des mouvements si leurs revendications (augmentations des effectifs, amélioration de la mobilité et la promotion des travailleurs) ne sont toujours pas entendues par le gouvernement14.
Les mouvements semblent être limités à la zone contrôlée par l’Autorité Palestinienne, la Cisjordanie.
Au-delà des éléments concrets ou particuliers de ce mouvement, il prend toute son importance à cause de la région si sensible où ils se déroulent. C’est une région aux interminables conflits impérialistes sanglants, que ce soit directement entre des États, que ce soit par pions interposés15, avec une population civile qui en subit les conséquences16 et qui est devenue le terrain propice au développement des mouvements réactionnaires d’influences nationaliste ou religieuse. Mais, surtout, il faut souligner que ces mouvements ont clairement lieu dans un contexte de luttes similaires autant dans la région qu’au niveau international. N’oublions pas les grandes mobilisations en Israël ces derniers mois contre la vie chère, qui, malgré ses faiblesses et ses illusions « démocratiques », peuvent signifier un important premier pas vers la rupture de « l’unité nationale » dans un État aussi militarisé que l’État israélien. N’oublions pas que ce furent les grandes grèves ouvrières partout en Égypte qui donnèrent l’élan décisif qui déboucha sur la chute de Moubarak, le protégé des États-Unis.
Il faut que le prolétariat et les couches opprimées de Palestine, et de partout ailleurs, comprennent que le seul espoir pour avoir des conditions de vie et de travail dignes et une existence en paix, ce qui est le vrai souhait de l’immense majorité de la population palestinienne, passe par le développement de luttes massives avec tous les exploités de la région, par-dessus les divisions nationales ou religieuses. Briser « l’unité nationale » palestinienne, unifier ses luttes, en premier lieu avec les exploités et les opprimés d’Israël, et de toute la région, voilà l’arme la plus puissante pour affaiblir et paralyser le bras assassin de l’État israélien et des autres gangsters impérialistes. La « résistance armée », c'est-à-dire la soumission à des intérêts des différents groupes nationalistes ou religieux n’amènent qu’au massacre et à la souffrance sans fin, et au renforcement des exploiteurs et autres corrompus palestiniens.
Il faut que les exploités palestiniens comme ceux du reste du monde n’aient pas à avoir le moindre doute : s’ils ne luttent pas pour leurs propres intérêts de classe contre le capitalisme, s’ils se laissent entraîner dans des luttes de « libération nationale », raciale ou d’autres du même acabit, s’ils se soumettent aux « intérêts généraux du pays », autrement dit aux intérêts généraux de la bourgeoisie et de son État, le présent et le futur qui les attend sous le système capitaliste est le même que l’ANC de Mandela réserve à ses « frères » et « compatriotes » mineurs : la misère, l’exploitation et la mort.17
Draba (23 septembre)
1 Le peu d’information qu’il y a eu était centré, évidemment, sur l’occupation israélienne et sur « l’anti-impérialisme » (autrement dit, pour eux, « l’anti-américanisme » et leurs alliés) telle l’agence cubaine Prensa latina ou la TV iranienne d’État Press TV, des média toujours si diserts pour tout ce qui concerne les mouvements nationalistes. Les forums, en Espagne en tout cas, de la gauche et d’extrême-gauche du capital (tel lahaine.org, kaosenlared.net, ou rebelion.org) n’ont pas montré non plus un grand intérêt pour ces événements. Si l’on comprend bien, la « solidarité avec le peuple palestinien » est limitée aux moments où celle-ci sert à soutenir les différents intérêts sur l’échiquier impérialiste mondial ou à faire la publicité d’une quelconque cause patriotarde. Lorsqu’on lutte contre « son » propre gouvernement et qu’on brise « l’unité nationale » pour défendre ses conditions de vie, alors cette lutte ne paraît pas mériter qu’on en parle.
2 Homme du FMI, nommé par Abbas en 2007 dans le contexte de la guerre avec le Hamas, sous la pression des États-Unis.
3 www.aljazeera.com/opinions/2012/9/13/economic-exploitation-of-palestinians-flourishes-under-occupation [297]
5 https://altahrir.wordpress.com/2012/07/01/ramallah-protesters-attacked-by-palestinian-authority-police/ [299]
11 https://www.latimes.com/archives/blogs/world-now/story/2012-09-10/palestinians-protest-in-west-bank-cities-over-economy [304]
15 Les liens entre l’Iran et la Syrie avec le Hamas son bien connus, ainsi que les liens de la Syrie d’Assad avec la Russie, son principal allié parmi les grandes puissances impérialistes, et avec l’Iran, son principal allié régional.
16 N’oublions pas que la guerre entre le Hamas et le Fatah pour le contrôle de la bande de Gaza en 2007 a fait de nombreuses victimes et des souffrances au sein de la population civile ; voilà des « dommages collatéraux » de la « libération nationale »... "Human Rights Watch Condemns Hamas, Fatah for War Crimes [308]", et https://libcom.org/article/palestinian-union-hit-all-sides [309]
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Ford Genk, récemment encore une usine de plus de 10.000 employés, ferme définitivement. Depuis les années 90, l'emploi y a été systématiquement réduit, la productivité augmentée, les salaires réduits de 12%. Malgré cela, le rideau tombe sur les 4.300 emplois directs et des milliers d’autres travailleurs sont touchés chez les différents fournisseurs. Après Renault-Vilvoorde (1997), VW Forest (2006) et Opel Anvers (2010), c’est la quatrième usine d’assemblage automobile qui ferme en Belgique. Cela touche durement la région limbourgeoise qui a vu disparaître, il y a 20 ans, plus de 17.000 jobs lors de la fermeture des mines de charbon.
Licenciements chez Belfius Banque, Arcelor Mittal acier, Beckaert Zwevegem, Volvo, Duferco, Alcatel, etc. A l’évidence, le nouveau drame social n'est pas spécifique à un secteur ou une province. La crise touche tous les secteurs et régions. C’est précisément ce qui rend la situation si dramatique et désespérée.
Au nom de la «compétitivité» et «de la réduction des pertes», les licenciements se succèdent. Encore avant l'annonce de la fermeture de Ford, plus de 3.000 emplois ont disparu de septembre à mi-octobre dans tous les secteurs, toutes les régions, des petites entreprises familiales jusqu’aux grandes multinationales, dans des entreprises nationales comme étrangères. D’autres assainissent drastiquement « sans licenciements secs», comme KBC, Brussels Airlines et Delhaize. Les contrats fixes sont remplacés par des contrats temporaires, des emplois à temps plein par des emplois à temps partiel, des contrats d’employés par des contrats d’indépendants. Le chômage temporaire est généralisé. Le travail saisonnier est de plus en plus la norme tout au long de l'année. Les fameuses « créations d’emplois » dont les médias ont la bouche pleine, se limitent en grande partie à des emplois de qualité inférieure, des emplois par « chèques services ». Afin d'échapper à la pauvreté, de nombreux travailleurs doivent chercher un 2ème ou un 3ème emploi. L’obtention d’un emploi n’équivaut plus nécessairement à un revenu décent!
L'État lui aussi est mal en point. Comme le montre la discussion sur la suspension temporaire (le saut d’index) ou la réforme de l'index, le pouvoir d'achat n'est pas une préoccupation centrale. Toujours au nom de la défense de la «compétitivité de l'économie nationale", tous les partis bourgeois, de la NVA au PS, sont d’accord pour dire qu’il faut constamment faire des économies pour réduire les coûts de main d’œuvre et améliorer le climat économique. On passe d’un «pacte social», à un autre « pacte des générations ». Car l'État est là pour appliquer les lois du capitalisme: favoriser la recherche du profit, la force concurrentielle et l’exploitation au moyen de mesures coercitives. Les milliards que les gouvernements cherchent pour permettre leurs plans de relance, leur équilibre budgétaire et la réduction de la dette d’État, seront en fin de compte soutirés aux mêmes familles ouvrières. Les allocataires sociaux, les retraités, les fonctionnaires, les enseignants, tous paieront les pots cassés. Selon le nouvel indicateur européen de la pauvreté, 21% de la population en Belgique est déjà menacée de pauvreté ou d'exclusion sociale. L'inquiétude et l'indignation d'un nombre croissant de familles ouvrières ne se comprend donc que trop bien.
Ford Genk est aujourd'hui une illustration douloureuse de la nature impitoyable de cette attaque générale contre la classe ouvrière: licenciements nombreux, blocage et/ou réduction des salaires (chez Ford, on a accepté précédemment une réduction de 12%, chez VW-Audi 20%), prolongement du temps de travail. Sans riposte ouvrière, Ford Genk annonce des attaques encore plus douloureuses dans le futur pour l’ensemble de la classe ouvrière. La situation actuelle nécessite donc une résistance contre la dégradation des conditions de travail et de vie de la plupart d'entre nous. Elle contient aussi les germes d'une riposte commune de toute la classe ouvrière. Ce n’est pas que le personnel de Ford, mais tout le monde qui est visé, c’est pourquoi aussi tout le monde doit s’indigner, être solidaire, se mobiliser classe contre classe!
Depuis des décennies, on nous promet une sortie de la crise et de la misère. Le bout du tunnel était en vue, nous disait-on, encore quelques ultimes mesures exceptionnelles et des solutions durables s’imposeraient, les rationalisations ne surviendraient plus que dans «les vieilles industries», dans «des sociétés mère ou des filiales malades » ; plus tard, tout était cette fois-ci la faute « du vieillissement de la population» ou «des réfugiés», de «l’émigration incontrôlée » (la conséquence d’une misère et d’un désespoir pires encore ailleurs dans le monde!) ; plus tard encore les coupables du moment étaient les « bad banks », les fraudeurs, etc. Aujourd'hui, c’est de la faute du PDG de Ford que ce bain de sang social a lieu. Auparavant, lors de la fermeture des mines, les boucs émissaires étaient le ministre flamand socialiste De Batselier et le PDG de la société minière Gijselinck. Derrière toutes ces pseudo vérités et ces discours populistes creux se cache la propagande bourgeoise qui cherche constamment à trouver des boucs émissaires de telle sorte que la question de la faillite du système capitaliste ne soit pas posée. Ainsi, la colère est canalisée et est orientée vers la désignation de « coupables», faits sur mesure, pour mieux «diviser et régner».
Ce même scénario décrit ci-dessus est appliqué dans presque tous les pays du monde, les médias en témoignent quotidiennement. Évidemment, il y a des variantes, tout comme il y en a selon le secteur ou la région en Belgique même. Cependant, partout dans le monde, la question est posée : qui est le responsable de la crise ? Cette question a également été au cœur des débats dans les mouvements du «printemps arabe» en Tunisie et en Égypte, dans ceux des «Indignés» ou de «Occupy Wall Street».
Depuis plusieurs années se sont succédé, au niveau mondial, les crises de l'immobilier, de la bourse, du commerce et de l'industrie, des banques et de toutes les dettes souveraines des Etats. Ainsi, le total des dettes souveraines dans la zone euro s’élève à 8.517 milliards d'euros. Soit une moyenne de 90 % du produit intérieur brut de la zone euro. Une grande partie de celle-ci ne sera jamais remboursée. Quelqu'un doit financer ces dettes, mais financer des dettes impayables signifie finalement qu’on devient insolvable soi-même (un risque qui menace par exemple l'Allemagne). Comment le système peut-il alors financer la relance indispensable pour arrêter le bain de sang au sein de son économie ? En continuant à le faire essentiellement au moyen de mesures d’austérité et de rationalisation, il réduit encore le pouvoir d’achat dont il a besoin pour écouler ses produits, ce qui produira encore plus de rationalisations, de fermetures, de réductions des salaires. S’il écume le marché de l’épargne en imposant des taux d’intérêt dérisoires sous les 1%, tandis que l’inflation atteint les 2,76%, les réserves que de nombreuses familles ouvrières avaient mises de côté pour affronter des contretemps, l’accumulation de dettes ou le chômage, fonderont comme neige au soleil. Quelle que soit la méthode, elle ne peut donc mener à terme qu’à une nouvelle forte baisse du pouvoir d’achat. Devra-t-il se résoudre à faire marcher la planche à papier pour imprimer des billets supplémentaires, comme l’ont fait les USA, le Japon ou la Grande-Bretagne, afin de les mettre sur le marché à des taux de prêt extrêmement bas ? De cette manière, le système capitaliste accentue l’abîme des dettes et en revient au point de départ : en fin de compte, il faut toujours que de la valeur nouvelle soit produite en contrepartie de cet argent imprimé pour repayer les dettes. De l’argent fictif ne peut faire l’affaire, tel notre épargne que les banques remettent en circulation sous la forme d’un emprunt, tandis qu’elles nous font croire qu’il se trouve toujours sur notre compte. De la valeur nouvelle n’est obtenue qu’à partir du travail effectué en lui ajoutant une plus-value : les frais de production d’un produit ne peuvent constituer qu’une fraction de leur valeur de vente totale. Mais pour ce faire, il faut un marché solvable. S’il n’existe pas ou à peine (comme c’est le cas depuis des années), nous entrons dans une crise de surproduction permanente. C’est pourquoi des usines ferment, baissent leurs coûts de production (les salaires), augmentent la productivité, c’est pourquoi aussi les frais improductifs (sécurité sociale, allocations de chômage, retraites) sont constamment comprimés.
Tout ceci constitue la loi générale de la manière capitaliste de produire, qui ne peut être contournée par aucun patron individuel ou par aucun gouvernement particulier ! Si aujourd’hui les usines s’arrêtent, ce n’est pas parce que les travailleurs ne veulent plus travailler ou parce qu’il n’y a plus de besoins à assouvir, mais simplement parce que les capitalistes n’y voient plus de profit à réaliser. Le système capitaliste mondial est gravement malade : les marchés solvables se réduisent comme peau de chagrin et le profit ne peut être maintenu qu’à travers une spoliation sociale et une exploitation toujours plus intenses.
Durant ces six derniers mois, protestations, grèves, manifestations massives ont éclaté sur tous les continents : de l’Argentine au Portugal, de l’Inde à la Turquie, de l’Egypte à la Chine. Ainsi, en septembre, des centaines de milliers ont occupé la rue au Portugal, des dizaines de milliers ont manifesté en Espagne en Grèce et en Italie. Au Japon, des manifestations contre la baisse des conditions de vie d’une telle ampleur n’avaient plus eu lieu depuis 1970 (170.000 manifestants à Tokyo). Partout, les mêmes questions sont posées : comment faire face à de telles attaques, comment organiser la lutte, quelles perspectives avancer ? Ce sont les mêmes questions que se posaient déjà les jeunes et les chômeurs du mouvement massif des Indignés ou de Occupy en 2011, e.a. en Espagne, en Grèce, aux USA ou au Canada.
A ce propos, trois besoins centraux pour la lutte ont été mis en avant : la nécessité de l’extension et de l’unification de la lutte, l’importance du développement d’une solidarité active parmi les salariés, les chômeurs et les jeunes et enfin le besoin d’une large discussion à propos de l’alternative pour le système actuel en faillite.
Notre vraie force est notre nombre, l’ampleur de notre lutte, notre destin commun, notre unité au delà des frontières des secteurs, des races, des régions, des pays. Face à un monde divisé et cloisonné par les intérêts personnels étroits d’exploiteurs arrogants, face au « chacun pour soi », à leur « compétitivité », nous devons opposer notre unité et notre solidarité. Nous devons refuser de nous laisser diviser, de réduire nos problèmes à des questions spécifiques et séparées, propres à l’entreprise, au secteur ou à la région. Non à la rivalité entre « jeunes » et « vieux », entre « fixes » et « temporaires », entre employés et ouvriers, entre travailleurs de la maison-mère et des filiales, entre travailleurs d’ici et d’autre part, ...
- L’extension de la lutte et de la solidarité avec d’autres secteurs et entreprises, qui sont fondamentalement touchés par les mêmes attaques et qui luttent souvent de manière isolée dans leur coin, pourra le mieux être engagée en envoyant des délégations massives vers les autres usines, c’est ce que nous apprennent les expériences de luttes précédentes ici comme ailleurs. Nos actions doivent renforcer notre lutte, l’étendre et lui donner des perspectives. Aller dans la rue pour « se défouler », mener un long combat isolé, chacun dans son usine ou sa région, ne permettront jamais de développer une lutte générale et massive.
- L’expérience nous apprend aussi que des actions comme la prise en otage de patrons, le sabotage de la production, le blocage de lignes de chemin de fer ou des actions désespérées, comme la menace de faire sauter l’usine, ne favorisent nullement l’union et l’extension de la lutte. Elles mènent au contraire à la démoralisation et à la défaite.
- Les leçons des luttes passées mettent en évidence que travailleurs et chômeurs doivent prendre en mains leurs propres luttes. Pour développer une véritable discussion collective, pour réfléchir et décider collectivement, il faut appeler à des assemblées générales massives, au sein desquelles chacun peut intervenir librement et avancer des propositions d’action, soumises au vote de l’assemblée. Pour forger l’unité du mouvement, ces assemblées doivent être ouvertes à tous les travailleurs et les chômeurs.
Et attention à la supercherie ! L’autre classe – la bourgeoisie – parle aussi de « solidarité » et « d’unité ». Elle appelle aux sacrifices des « secteurs forts » en « solidarité » avec les « secteurs faibles », pour répartir équitablement la misère. Quand son « gâteau devient plus petit », la discussion ne peut porter selon elle que sur une répartition « équivalente» de l’austérité qu’elle nous impose, sur ce qui est profitable à la compétitivité et à l’intérêt national . Elle appelle donc à « l’unité » avec les intérêts du capital. Comme si la répartition équivalente de la misère la rendait supportable ! Comme si la gestion commune de l’exploitation supprimait cette dernière. Ce discours ne sert qu’à entraver la mise en question du système et la recherche de perspectives dans le cadre d’une autre société basée sur l’assouvissement des besoins de tous et non pas des intérêts particuliers de certains !
unité – solidarité – extension et généralisation – confiance en ses propres forces – classe contre classe
Notre force, c’est notre solidarité, pas leur compétitivité
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article d’Acción Proletaria, section du CCI en Espagne, au sujet de l’agitation hypocrite du gouvernement espagnol qui ne résout rien des situations dramatiques consécutives aux expulsions massives. La version originale du texte est disponible sur notre site en langue espagnole.
Le 9 novembre dernier, à Baracaldo, près de Bilbao, une femme s’est suicidée en se jetant dans la rue depuis le balcon de sa maison, pendant que la police pénétrait dans son logement pour l’expulser. Quelques semaines auparavant, des faits similaires s’étaient déroulés, faisant deux autres victimes à Burjassot (dans la région de Valence) et à Grenade. Combien de cas semblables existent-ils en réalité ? Il est impossible de se prononcer parce que, dans bien des situations, les causes des suicides apparaissent confuses, attribuées à la dépression, à des conflits familiaux, etc.
Face à “l’émotion sociale” et, surtout, aux réactions de rage immédiates et spontanées des voisins des victimes et de beaucoup de personnes qui ont exprimé leur solidarité, plusieurs représentants de l’appareil d’État garantissant “l’ordre” capitaliste ont inondé les bulletins d’informations de leurs jérémiades et de leurs condoléances, en promettant des mesures pour “empêcher les pertes en vies humaines”, et autres bla-bla-bla, démontrant ainsi pour la énième fois que la répugnante hypocrisie de nos exploiteurs ne connaît plus de limites.
Ainsi, nous avons vu défiler dans les médias les banquiers des victimes, arborant leur mine la plus compassée, pour se justifier, racontant qu’ils avaient “le moins possible” fait procéder à des expulsions et, qu’en tous cas, ils l’avaient fait, nous ont-ils dit, pour sauvegarder les intérêts des autres clients de la banque. On sait cependant que la banque nationalisée a accéléré la procédure d’une authentique avalanche de demandes de mesures d’expulsion pour nettoyer sa balance de paiements de créances douteuses qui la faisaient passer pour une “mauvaise banque”. Nous avons aussi entendu des juges qui, depuis 2008, ont prononcé des arrêtés d’expulsion pour près de 400 000 familles en Espagne, et mis en cause “les politiques” parce qu’ils sont les seuls à détenir le pouvoir de changer les lois. Nous avons écouté des policiers qui ont sorti par la force les expulsés de leur maison et qui ont rossé tous ceux qui se rassemblaient pour s’y opposer, racontant “qu’ils pleuraient aussi” (sic!) même s’ils devaient “accomplir leur devoir en obéissant aux juges”. Nous avons lu les déclarations très suivies dans les médias de “communiqués”, demandant aux politiques qu’ils se mettent d’accord entre eux pour limiter les ravages de la crise parmi les populations les plus défavorisées ; même si, c’est évident pour eux, il fallait tenir compte des véritables limites de ce qui serait “déjà la fragile stabilité du système financier”, la “crédibilité de l’Espagne face aux investisseurs étrangers” (…). Nous avons vu le Parti Populaire (parti de droite actuellement au pouvoir) se vanter du fait qu’à la différence de l’inutile Zapatero, ils avaient, eux, pris des mesures pour protéger les plus défavorisés, bien que ces mesures aient été impulsées par la banque elle-même, qui en avait annoncé les grandes lignes dix jours avant le pompeux décret de Rajoy, et qui a reçu les bénédictions de la “troïka” elle-même. (1) Mais le pompon du cynisme doit revenir surtout au PSOE, le parti qui a gouverné le plus longtemps l’Espagne post-franquiste et qui n’a jamais modifié la loi hypothécaire de 1946, adoptée par le même régime dictatorial tellement honni par le PSOE. Le “parti qui a créé 5 millions de chômeurs” est aussi celui qui a fait procéder à 300 000 expulsions entre 2007 et 2011. Et c’est ce parti là qui se plaint aujourd’hui de l’impact limité des mesures de Rajoy, qui a aussi applaudi à tout rompre le dénommé “Code de bonne conduite des banques” approuvé en mars de cette année et qui a pu être appliqué en tout et pour tout à 130 familles dans tout le pays. Le même Rubalcaba (2), qui a envoyé la police contre les rassemblements qui sont organisés depuis le 15 mai pour s’opposer aux expulsions, demande à l’heure actuelle que la police municipale des mairies “socialistes” ne collabore pas à leur exécution. Il y a quelques jours, Maria Antonia Trujillo, ex-ministre du logement de Zapatero, déclarait de manière provocatrice : “Celui qui contracte des dettes doit les payer. Sinon, il ne devait pas s’endetter.” Et celui qui est aujourd’hui le bras droit de Rubalcaba lui a répliqué : “Où as-tu balancé ton âme socialiste ?”. Si l’arrogance de la première est répugnante (…), le cynisme du second est proprement révoltant.
Avec cette nauséabonde campagne de fausse solidarité, le crocodile capitaliste exhibe de fausses larmes pour que nous, ses victimes, ayons confiance en sa “bonne volonté”. Il veut que nous croyions que son goût du lucre, son appât du gain cesse quand il se heurte aux droits humains les plus élémentaires. Comme si ne figurait pas déjà dans la Constitution le droit de vivre dignement et celui au travail ! (…) Si la Troïka et le gouvernement ont accordé un moratoire de deux ans pour des familles aux revenus inférieurs à 19 000 euros annuels, dont plus de la moitié sont couverts de dettes hypothécaires et qui, en plus, sont au chômage sans toucher la moindre allocation, ce n’est nullement parce que leur “bonté d’âme” s’est finalement imposée à leur nature capitaliste. Mais c’est parce que l’immense majorité des familles dans cette situation sont insolvables, et que les jeter à la rue ne permettra aucun bénéfice. Bien au contraire : cela ne ferrait que grossir le stock de logements que la banque et le gouvernement ne parviennent pas à écouler. En échange du “droit” de rester deux années de plus dans leur maison, les familles “bénéficiaires” verront d’ailleurs augmenter leur dette d’un “raisonnable” 30 % supplémentaire. Et si au cours de ce moratoire, un “bénéficiaire” décroche un contrat de travail ou recueille le moindre petit ballon d’oxygène pour sa survie, il devra reprendre le paiement de ses traites ou accepter l’expulsion définitive.
Le président de l’Association espagnole des Banques a déclaré récemment que la “solution” aux expulsions était de “construire plus de logements, d’accepter davantage de crédits et d’hypothèques”, comme si le capitalisme agissait pour satisfaire les besoins humains. Mais c’est complètement faux ! Le capitalisme vit pour transformer les besoins humains, comme tous les aspects de la vie qui vont de la santé aux loisirs en passant par le logement, en marchandises qui s’échangent contre d’autres marchandises, comme la force de travail qui s’échange contre un salaire dans n’importe quelle circonstance. Le capitalisme ne sacrifie jamais cette valeur d’échange au profit de la valeur d’usage que peuvent avoir ces “marchandises” pour les travailleurs qui les ont créées. C’est pour cela qu’il existe aujourd’hui en Espagne un million de logements vides, pendant que les familles s’entassent dans les maisons des grands-parents (3), ou que les jeunes ne peuvent pas s’émanciper avant l’âge de trente ans en moyenne ! Comme nous l’avons signalé dans un autre article d’Acción Proletaria (“Débat sur la question du logement”), la crise actuelle du logement est, sur ce plan, le problème le plus représentatif des maux capitalistes infligés à l’humanité : c’est une crise de surproduction, dont les lois du marché sont établies pour des acheteurs solvables et sans aucun égard pour les besoins humains.
C’est une illusion de croire que le capitalisme peut résoudre le problème du logement, comme tant d’autres, en partant des besoins humains ou en fonction d’une justice égalitaire pour les prêteurs et les emprunteurs. C’est une funeste mystification. Une de nos principales critiques à des plateformes revendicatives comme celle des « Victimes de la Loi Hypothécaire » (PAH) ou celle de « Halte aux Expulsions » ! (Stop Desahucios) est la suivante : si ces plateformes ont bien organisé des assemblées, qui ont effectivement donné lieu à un authentique mouvement de solidarité envers les victimes des expulsions, elles tombent dans une analyse et des propositions venant d’un stérile réformisme “radical” (…).
En dernière instance, l’avalanche d’expulsions est inséparable de l’appauvrissement toujours plus brutal et très rapide de la classe ouvrière. Pour les prolétaires, cela implique de ne jamais séparer la lutte contre les expulsions de la lutte contre les licenciements, contre les coupes claires dans le système de santé, ou contre les coups de hache sur les salaires. C’est une lutte des exploités contre la survie de ce système d’exploitation.
Les psychologues qui assistent aux assemblées qui regroupent les expulsés disent qu’ils les voient chaque fois arriver plus démoralisés, et qu’une partie très importante de ceux qui ont des tendances suicidaires se présentent à eux avec le sentiment qui accompagne les expulsions de vivre cela comme “un échec personnel”. Nous avons déjà vu la même chose chez les chômeurs, ou les cas de suicides au travail (4) qui ont explosé, par exemple, en France ces dernières années. C’est l’autre visage de la supposée “liberté” de l’individu dans la société capitaliste : convertir en échec personnel ce qui, en réalité, est l’incapacité du mode de production d’assurer, derrière ses valeurs d’équilibre budgétaire, ses marchandises, son profit et son accumulation, la satisfaction des besoins humains les plus élémentaires. Pour que l’humanité puisse survivre, il faut que le capitalisme soit balayé de la surface de la terre.
Dámaso, (20 novembre 2012)
(1) La Troïka désigne les experts représentant la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI, chargés d'auditer la situation économique des pays européens en difficulté, comme la Grèce ou l’Espagne, et notamment l'état de leurs finances publiques dans le cadre de l'accord de refinancement négocié de leur dette en mai 2010 (NdT).
(2) Alfredo Perez Rubalcaba, déjà membre du gouvernement de Felipe Gonzalez dans les années 1990, a été, entre autres, ministre de l’intérieur de 2006 à 2010, puis vice-premier ministre et porte-parole du gouvernement “socialiste” entre 2010 et 2012. Nommé secrétaire général du PSOE depuis février 2012, il se présente aujourd’hui comme le “chef de file de l’opposition” (NdT).
(3) On estime qu’aujourd’hui, en Espagne, 600 000 familles vivent sur la pension des anciens dont le logement déjà payé se transforme en refuge auquel ont recours les expulsés ou les familles qui ne peuvent payer leur loyer.
(4) Voir pour le premier cas, notre article sur : es.internationalism.org/book/export/html/2407. Et pour le second : fr.internationalism.org/ap/2000s/2010s/2010/213_suicides
Au mois de novembre 2012 est sorti le film Après Mai du réalisateur Olivier Assayas. En grande partie autobiographique, Olivier Assayas retrace la vie d’un groupe de jeunes pris dans l'effervescence politique de l’après-Mai 68. Le réalisateur fait ainsi revivre son expérience politique de l’époque : les manifestations, les collages d’affiches, les distributions de tracts, les divisions entre trotskistes, maoïstes et anarchistes... Par petites touches, le film montre les impasses dans lesquelles ces organisations gauchistes vont entraîner cette jeunesse de l’après-Mai. Le féminisme est ainsi montré à travers le refus de la soumission d’une personne vis-à-vis de son compagnon. Le film met en exergue les luttes de libération nationale, notamment à travers une réunion sur une place publique en Italie où un film est projeté par des éléments qui semblent appartenir au mouvement maoïste et où on glorifie la « lutte d’un peuple » (difficile de savoir lequel) qui a « chassé l’impérialisme américain » tant honni. L’anti-fascisme est également très présent à travers la confrontation entre des jeunes et des individus qu’ils stigmatisent comme « fascistes ». La question de l’autogestion, à travers une discussion dans un chalet, est également explorée sans oublier la question du pacifisme, que l’on voit à travers des réunions festives, où le peace and love s'affirme dans le sillage du mouvement étudiant qui avait surgi aux États-Unis « contre la guerre » et pour «la paix au Vietnam ». Le besoin de se réaliser individuellement, de « jouir sans entraves », notamment à travers l’expression artistique, sont soulignés par l'image. Un des jeunes, qui semble être le réalisateur du film, lit en effet le manifeste de l’Internationale situationniste1. Tout ceci constitue un bon tableau de ce qu’a été « l’après-Mai ».
Par contre, est complètement absent dans ce film ce qui a fait peur à la bourgeoisie à l'époque : la lutte massive de la classe ouvrière ! Pas une seule fois dans les discussions qu’ont entre eux les protagonistes du film n’est abordée ce qui fut la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier : neuf millions de grévistes ! Pas une réflexion pour comprendre la signification historique de cette grève ! Certainement que ce manque a du frustrer certains (es) qui sont allés voir ce film, ou en étonner d’autres. Mais doit-t-on être surpris par ce manque ? En réalité, pas vraiment, car les organisations gauchistes faisaient tout pour que la réflexion n’ait pas lieu. S’appuyant sur l’illusion très présente à l’époque au sein de la jeunesse que la révolution était « au coin de la rue », ils arrivaient à entraîner celle-ci dans des impasses, dans l’activisme qui allait mener à la démoralisation, voire au suicide, comme le montre un autre film de Romain Goupil : Mourir à trente ans.
Est-ce pour cela que dans une interview donnée au journal l’humanité datée du 14 novembre Olivier Assayas déclarait : « L’obsession de la politique était partout… Et c’est vrai qu’après un tel événement, elle formait une espèce de surmoi qui pouvait être étouffant. Il y a quelque chose de violent et de triste dans le gauchisme… »
Face à un « oubli » de taille, ce film doit être l’occasion de revenir sur l’après-Mai 68 mais du point de vue des révolutionnaires. Comme dit plus haut, Mai 68 fut la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier. Cette reprise de la lutte ouvrière n’a pas eu lieu qu’en France. Cette dernière était partie intégrante d’un mouvement international en réaction aux premiers effets de la crise économique ouverte : "Dans tous les pays industriels, en Europe et aux Etats-Unis, le chômage se développe et les perspectives économiques s'assombrissent. L'Angleterre, malgré une multiplication de mesures pour sauvegarder l'équilibre, est finalement réduite fin 1967 à une dévaluation de la Livre Sterling, entraînant derrière elle des dévaluations dans toute une série de pays. Le gouvernement Wilson proclame un programme d'austérité exceptionnel : réduction massive des dépenses publiques..., blocage des salaires, réduction de la consommation interne et des importations, effort pour augmenter les exportations. Le premier janvier 1968, c'est au tour de Johnson [Président des États-Unis] de pousser un cri d'alarme et d'annoncer des mesures sévères indispensables pour sauvegarder l'équilibre économique. En mars, éclate la crise financière du dollar. La presse économique chaque jour plus pessimiste, évoque de plus en plus le spectre de la crise de 1929 (...) Mai 1968 apparaît dans toute sa signification pour avoir été une des premières et une des plus importantes réactions de la masse des travailleurs contre une situation économique mondiale allant en se détériorant" (Révolution Internationale, ancienne série n° 2, printemps 1969).
C’est ainsi qu’il y aura des luttes en Argentine et en Italie en 1969, en Allemagne et en Pologne en 1970, en Espagne en 1974, en Angleterre dans les années 1970, etc. Ce resurgissement des luttes à l’échelle internationale signifiait la fin de la contre-révolution faisant suite à l'échec de la Révolution en Russie dans les années 1920 et à l’ouverture d’une perspective vers des affrontements de classes qui allaient progressivement tendre à se généraliser.
Dans le même temps, ces premières luttes allaient voir timidement renaître les forces révolutionnaires à l’échelle internationale. Le mouvement massif de la classe ouvrière a remis à l’ordre du jour l’idée de la révolution communiste dans de nombreux pays. Le mensonge du stalinisme qui se présentait comme « communiste » et « révolutionnaire » a commencé à se lézarder. Comme le montre le film, cela allait profiter dans un premier temps aux groupes maoïstes et trotskistes. Et le développement des luttes suivi de l'effondrement du bloc de l'Est, les débuts de la remise en cause de l'emprise des syndicats, de la fonction de la farce électorale et démocratique comme instruments de la domination bourgeoise, allaient amener une petite minorité à se tourner vers les courants politiques qui, par le passé, avaient dénoncé le plus clairement le rôle contre-révolutionnaire des syndicats et la mystification parlementaire. Vers ceux qui avaient le mieux incarné la lutte contre le stalinisme : les groupes issus de la Gauche Communiste. C’est ainsi que va réapparaître sur les étals des librairies politisées qui ouvraient à l’époque, les écrits de Pannekoek, Görter, Rosa Luxembourg… De nouveaux groupes vont apparaître qui vont se pencher sur cette expérience de la Gauche Communiste et ses courants divers : les conseillistes, la Gauche italienne ou allemande... La notion de Parti faisant trop penser au stalinisme, ce sont davantage les positions conseillistes qui auront dans un premier temps un relatif succès. Cette effervescence politique allait voir surgir des groupes conseillistes en plus de ceux déjà présents, avec un certain succès en Europe : par exemple ICO en France, Solidarity en Grande-Bretagne. Une conférence internationale sera même organisée en Scandinavie en septembre 1977. Ce renouveau des positions de la Gauche Communiste allait se manifester aussi par la naissance et le développement de notre organisation, le Courant Communiste International2.
Dans l’interview citée plus haut, Olivier Assayas poursuivait en disant : « Mais, en même temps, la jeunesse avait foi dans le futur, dans la transformation possible de la société. Est-ce dépassé aujourd’hui ? Aux jeunes de se poser la question, de confronter leur jeunesse à la nôtre ».
Vis-à-vis des questions que pose Assayas, la réalité a montré ces dernières années que la jeunesse ne baissait pas les bras, qu’elle ne courbait pas l’échine vis-à-vis des attaques que lui imposait la bourgeoisie. On l’a vu, par exemple, lors de la lutte contre le CPE en 20063. Dernièrement, on a vu encore cette nouvelle génération très présente dans le mouvement des « Indignés », en Tunisie, Egypte, Israël, Etats-Unis, Espagne, Grèce, etc. Outre le fait de résister aux attaques liées à la crise historique du capitalisme, ces luttes ont fait surgir tout un tas de questionnements nourris par l’indignation face au capitalisme. Ceci s’est traduit par des discussions voulant comprendre le pourquoi de cette crise, comprendre qui pouvait changer la société et comment, pour quel futur. Ces questions ne sont pas nouvelles ! On peut les retrouver parmi la jeunesse de mai et de l'après- Mai 68. Mais, aujourd’hui, elles se posent avec encore plus d’acuité dans le contexte de no future que le capitalisme impose à l’ensemble de l’humanité. Se poser ces questions, comme la nouvelle génération se les pose (et pas seulement la nouvelle génération), c’est déjà les prémices permettant de dire qu’une transformation de la société est possible. Il ne s’agit pas, comme le dit Assayas, de confronter une jeunesse à une autre qui a fait mieux que l’autre ou pas.
« Le développement du chômage et des attaques contre toutes les conditions de vie de la classe ouvrière, de même que le déchaînement de la barbarie guerrière dans les pays de la périphérie, ne peuvent que continuer à balayer le mythe d’un capitalisme ‘à visage humain’ et les dernières illusions sur la possibilité de reformer ce système décadent. C’est aux nouvelles générations de la classe ouvrière qu’il revient de reprendre le flambeau des combats menés par leurs aînés en sachant en tirer les principaux enseignements pour que la future vague révolutionnaire mondiale soit victorieuse et permettre l’édification d’une nouvelle société sans classe, sans guerre et sans exploitation : la société communiste mondiale. Ce sont les nouvelles générations qui doivent faire vivre dans la pratique de leurs combats massifs et solidaires le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : prolétaires de tous les pays, unissez- vous ! » (Citation de la brochure Mai 68 et la perspective révolutionnaire)4.
Anselme (15 janvier)
1 fr.internationalism.org/rinte80/debord.htm
2 fr.internationalism.org/rinte80/20ans.htm et fr.internationalism.org/rint/123_30ans
3 fr.internationalism.org/ri368/cpe.htm
4 fr.internationalism.org/files/fr/mai_68.pdf
Le jour même de l’investiture du nouveau président du Mexique et alors que se déroulaient des manifestations contre lui, de violents affrontements avec la police ont eu lieu en plein centre de Mexico, quadrillé par un service d’ordre impressionnant, sous l’impulsion de provocateurs infiltrés dans des groupes de jeunes manifestants, et notamment en excitant de petits groupes anarchistes. Les charges policières très violentes se sont soldées par un mort, plusieurs dizaines de blessés et près d’une centaine d’arrestations arbitraires. Aujourd’hui, encore une quinzaine d’inculpés victimes de cette répression restent en prison dans l’attente de leur procès. Notre section au Mexique a rapidement publié un article que nous reprenons ici pour tenter de tirer les principales leçons de ces événements pour notre classe.
Le 1er décembre, alors que Peña Nieto était investi comme nouveau président du Mexique1, des manifestations hostiles à son arrivée au pouvoir se déroulaient dans les rues. La pesante campagne électorale de la bourgeoisie avait réussi à ce que de larges masses d’exploités nourrissent l’espoir de voir les partis de la bourgeoisie, la démocratie et les élections, comme des instruments encore utiles pour s’opposer aux malheurs qu’impose le capitalisme. Cette confusion, qui empêche de voir le fond du problème et de désigner le capitalisme comme le véritable ennemi, a en même temps engendré un sentiment d’impuissance. Ce dernier se transforme parfois en bouillon de culture et se traduit par des actes de désespoir ouvrant ainsi la porte à toutes sortes de provocations.
Il est certain que le mécontentement et le ras-le-bol face à l’action des gouvernements se poursuivent et continuent à croître. Mais ceci, d’une manière qui ne favorise pas (du moins dans l’immédiat) une prise de conscience et une dynamique d’unité. D’un côté existe l’idée permanente qu’une force sociale alternative pourrait émerger sous la forme d’un “mouvement citoyen”, de l’autre, celle consistant à orienter cette rage exclusivement à travers des actions aveugles et désespérées. Ces dernières, même si elles se prétendent radicales, n’expriment rien d’autre qu’un volontarisme propre aux classes sans perspective historique. Ni l’une ni l’autre de ces deux formes d’expression ne conduisent à stimuler l’unité de la lutte. Au contraire, ces phénomènes sont les produits d'une perte d’identité politique et de l’infiltration d’idéologies étrangères au prolétariat, renforçant la confusion, l’impuissance et la division. C’est pour cela que le capital lui-même assure en maintes occasions la promotion de ces deux formes de manifestations.
Dans ce contexte, les manifestations du 1er décembre expriment un véritable mécontentement et un rejet ouvert de la politique qui prépare des coups plus forts contre les conditions de vie des exploités, mais ne trouvent pas les chemins qu’il faudrait emprunter pour y répondre. La bourgeoisie a donc su profiter de cette confusion de manière à ce que les forces de police du nouveau gouvernement fédéral, en lien avec celles du gouvernement de gauche de la capitale, se partagent les tâches pour monter une véritable provocation. Ils ont travaillé de manière coordonnée : d’abord, une de ces forces policières a préparé un scénario d’intimidation une semaine auparavant, en dressant des barrières métalliques pour fermer les avenues et les stations de métro. Après, les deux corps de police sont intervenus, profitant des actions confuses des manifestants, pour donner en réponse un assaut plus violent utilisant massivement des gaz éternuant et des balles en caoutchouc, causant des blessés, suscitant aussi l’indignation et la peur. Ils ont ensuite profité de la situation pour encercler et emprisonner de façon arbitraire les manifestants (y compris de simples passants). Parmi tout ce désordre, on notait la présence importante de groupes d’agents provocateurs en civil armés de chaînes (comme l’ont mis en évidence les photos diffusées par les réseaux d’Internet), qui se sont consacrés non seulement à repérer et ficher les manifestants mais de plus à les exciter à casser des vitres.
Ce qui s’est passé le 1er décembre a donc été un piège très bien planifié par la bourgeoisie. Il a été rendu possible par la confusion et le désespoir engendrés par la campagne électorale. Le stratagème cherchait non seulement à discréditer les protestations de jeunes qui continuent à rejeter le président élu (même si ces protestations restent très confuses) mais, surtout, à envoyer un avertissement intimidant à tous les travailleurs. L’intention est de les prévenir qu’au moment des attaques plus brutales envers leurs conditions de vie et de travail en général, les mobilisations ne seront pas tolérées. Elles devront s’attendre à être très mal reçues par un appareil répressif qui a déjà sorti ostensiblement les crocs ; appareil répressif provenant à la fois du gouvernement fédéral et du gouverneur de la capitale2, montrant une fois de plus que les partis se différencient seulement par la couleur qu’ils arborent et le verbiage qu’ils utilisent, mais se retrouvent unis dans leur chair pour défendre les intérêts du capital. Effectivement, le PRI ne doit pas revenir au pouvoir sans que tous les partis, comme toujours, n’activent leur union sacrée pour protéger la gouvernance qui convient à leurs petites affaires capitalistes.
Les affrontements et les dégâts qui se sont déroulés comme réponse au retour du PRI au gouvernement, ont pu faire les titres de première page des quotidiens, capter l’attention des porte-paroles officiels et mettre sans doute en évidence l’attitude bestiale de ceux qui nous gouvernent, que ce soit le PRI ou le PRD. En quoi ces moyens ont-ils permis de faire avancer la prise de conscience ? Quel rôle peuvent jouer les exploités et en particulier la classe ouvrière dans ce type d’expressions ? Quelle différence existe t-il entre les appels à suivre un genre de messie comme López Obrador et suivre une minorité jetant des pierres et des cocktails Molotov ?
Le mécontentement qui se nourrit de la misère qu’impose le capital et la colère face à l’action prédatrice des gouvernements, réclament des ripostes massives et conscientes dans lesquelles les exploités et les opprimés ne seraient pas de simples pions aveugles ou des victimes de la répression, mais des sujets actifs, capables de prendre en mains leur propre combat et définir leurs buts.
La seule classe qui puisse transformer le monde que le capital est en train de détruire à toute vitesse, maintenant dans l’exploitation et la misère des millions de personnes, c’est le prolétariat. Mais cette classe se voit soumise à un bombardement idéologique incessant qui cherche à éviter que ne se consolident les armes principales sur lesquelles elle peut compter, à savoir : sa conscience et son organisation. La bourgeoisie tente donc de la domestiquer, de la réduire à la condition de citoyenneté, à lui faire espérer tout du vote et du cadre institutionnel comme elle le fait avec les autres classes, telles que la petite-bourgeoise, elle aussi opprimée par la classe dominante mais qui n’a pas de perspective d’avenir. C'est pour cela qu’elle la fait cohabiter dans son schématisme social avec le prolétariat, pour essayer de le contaminer de son désespoir, de son manque de confiance et ainsi encourager des ripostes aveugles et désespérées. Non seulement ces dernières n’aident en rien le processus de prise de conscience et le renforcement de la lutte contre le capital, mais se retournent en terrain propice pour que se glissent les provocations.
C’est pourquoi l’infiltration de l’idéologie bourgeoise ou petite-bourgeoise dans les rangs des prolétaires est un problème avec lequel on doit se confronter, c’est un danger qui nécessite qu’on le prenne en considération et que l’on y réfléchisse de manière ouverte.
Le résultat des charges policières du 1er décembre a eu pour conséquence la capture d’un peu moins d’une centaine de personnes qui se sont vues intenter des procès, qui ont subi des tortures et des vexations. Cela a permis en plus de lancer une campagne contre les anarchistes et contre quiconque ne se laisse pas encadrer dans les normes de leur démocratie, enfonçant davantage le clou de la confusion.
Face aux agressions contre les conditions de vie des travailleurs, comme celle de la “réforme du travail” menaçant d’augmenter les impôts, les prix et la répression, l’unique voie dont disposent les exploités est la lutte. Mais cela, sans tomber ni dans les illusions derrière les partis de gauche de la bourgeoisie (y compris le PRD, le PT, le Morena…)3, ni en menant des actions désespérées prônées par des groupes contaminés par l’idéologie petite-bourgeoise. Le véritable combat prolétarien nécessite des expressions massives et conscientes qui permettent le débat et la réflexion collective ouverte.
Nous ne prétendons défendre ni le pacifisme ni le légalisme. Le marxisme, dans son analyse matérialiste de l’histoire, peut comprendre que le prolétariat est l‘unique classe révolutionnaire capable de détruire le système capitaliste. Pour réussir cela, il devra recourir à la violence, mais pas de manière aveugle et comme produit du désespoir. C’est une violence consciente qui sera utilisée par les masses4. Cette conscience prolétarienne n'émerge pas comme imitation ou produit d’actions individualistes, même si elles se prétendent "héroïques" mais provient de la réflexion et de la compréhension de la condition d’exploité. De cette compréhension, elle tire sa force, son organisation, son unité, sa conscience. Elle possède ses propres méthodes de lutte, tout à fait contraires aux actions stériles que nous avons pu identifier dans les mouvements récents de protestation.
Revolution Mundial (5 décembre 2012)
1 L’investiture d’Enrique Peña Nieto au Mexique signe le retour au pouvoir du PRI- dénommé Parti Révolutionnaire Institutionnel (sic !) depuis 1946, ex-PNR (parti national révolutionnaire) puis PRM (parti de la révolution mexicaine) qui se réclame de l’héritage de la révolution nationale mexicaine de 1910 et a exercé la fonction gouvernementale de façon quasiment ininterrompue depuis 1928, à l’exception de la période entre 2000 et 2012 où c’est le PAN, parti de “droite” plus marqué par une politique d’alliance avec son puissant voisin, les Etats-Unis, qui a pris les rênes du pouvoir sous Fox entre 2000 et 2006 puis Calderon entre 2006 et 2012(NdT).
2 La municipalité de Mexico est, elle, dirigée par le PRD (Parti de la Révolution Démocratique), parti “de gauche” qui provient d’une scission du PRI depuis 1989. Il est d’ailleurs significatif de noter que, lors de l’investiture de Peña Nieto, les trois partis, le PRI, le PAN et le PRD viennent de cosigner un “Pacte social” qui consacre leur volonté de travailler ensemble “pour le bien de la Patrie”, c’est-à-dire pour mener des attaques plus féroces contre les travailleurs… (NdT)
3 Le PT (Parti du Travail) est une des composantes de la gauche de tendance “gauchiste”. Quant au MORENA (Mouvement de Régénération Nationale), animé par l’ex-candidat du PRD, López Obrador, il fait désormais figure de gauche parlementaire plus radicale dans son opposition au gouvernement, à l’instar de Die Linke en Allemagne ou du Front de Gauche de Mélenchon en France (NdT).
4 Voir notre article “Terreur, terrorisme et violence de classe”, in Revue Internationale numéro 14, 3e trim. 1978 et le texte de notre résolution sur le même sujet publié dans le numéro 15 de notre Revue.
Un milliard d'êtres humains sont victimes de sous-nutrition ! (1) A cela, il faut ajouter la misère croissante d'une masse paupérisée largement majoritaire dans la population mondiale. Malgré les progrès techniques et des capacités de produire sans précédent, une grande partie du monde crève encore de faim !
Comment expliquer un tel paradoxe ? La classe dominante a ses réponses. Ce phénomène monstrueux serait lié à un « épuisement des ressources » (2) et à la « croissance démographique » (3).
En réalité, la pénurie chronique qui enfle comme la peste n'est que le produit du système capitaliste, de la loi du profit. Et c'est cette loi qui aboutit à une absurdité au regard du marché même et des hommes, la surproduction de marchandises. Cette dernière induit un phénomène totalement irrationnel et scandaleux, que la bourgeoisie passe largement sous silence : le gaspillage.
Un article du Monde rend compte d'une étude récente et révèle que « 30 à 40% des 4 milliards de tonnes d'aliments produites chaque année sur la planète ne finissent jamais dans une assiette »(4). Si l'étude ne peut mettre en évidence les causes profondes du gaspillage sans remettre en cause le capitalisme, soulignant qu'en Europe et aux États-Unis les consommateurs eux-mêmes jettent la nourriture à la poubelle, elle reste à la surface des choses en expliquant que de tels gestes sont simplement liés au conditionnement des produits et au marketing (avec ses « promotions ‘deux pour le prix d'un’ »). L'étude n'ose révéler que le gaspillage est surtout généré par la surproduction et la recherche du profit à court terme, conduisant les industriels à multiplier « des infrastructures inadaptées et des lieux de stockage peu performants » avec des « défaillances les plus marquées (...) en aval de la chaine de production ». Cette étude oublie de dire qu'une marchandise de moins en moins bonne qualité, pléthorique, qui ne peut être vendue faute de client, s'entasse dans ces lieux volontairement négligés du fait qu'ils s'avèrent trop coûteux ! Pour faire des économies et du profit, les capitalistes spéculent et en arrivent souvent à détruire délibérément des marchandises, notamment des denrées alimentaires. Pour les mêmes motifs, « jusqu'à 30% des cultures de légumes au Royaume-Uni ne sont jamais récoltées ! » Les productions sont donc souvent détruites afin de ne pas faire chuter le cours des marchandises. Par exemple, certains producteurs qui ne peuvent pas vendre leurs fruits ou légumes, même à perte, les aspergent de gasoil pour maintenir artificiellement les cours.
Dans les pays dits « en voie de développement », le même phénomène existe, amplifié et même aggravé dès le début de la chaine de production, « entre le champ et le marché, du fait de transports locaux inadéquats », aboutissant à des pertes colossales. Les « déficiences » peuvent être telles que « dans le Sud-Est asiatique (…) les pertes de riz oscillent entre 37 et 80% de la production totale en fonction du stade de développement du pays, la Chine se situant par exemple à 45% et le Vietnam à 80% ».
Le rapport souligne aussi une sombre réalité : « Cette perte nette ne se limite pas aux déchets générés par les aliments non consommés. Le gâchis est visible à tous les niveaux de la chaîne de production alimentaire, dans l'utilisation des terres, de l'eau, de l'énergie. Environ 550 milliards de mètres cubes d'eau sont ainsi perdus pour faire pousser des récoltes qui n’atteindront jamais les consommateurs. »
Selon les ingénieurs de cette étude, une simple exploitation rationnelle des ressources existantes permettrait « d'offrir 60 à 100% de nourriture en plus sans augmenter la production tout en libérant du terrain et en diminuant la consommation d’énergie ». Nous l'affirmons ici tout net : cette perspective « de bon sens » est impossible à réaliser dans le système capitaliste ! Le problème ne réside pas du fait d'un manque de compétences ou de volonté : il réside avant tout dans les contradictions d'un système économique qui ne produit pas pour satisfaire les besoins humains, dont il se soucie comme d'une guigne, mais pour le marché, pour réaliser un profit. De là découlent les pires absurdités, l'anarchie et l'irrationalité la plus totale.
On peut prendre, parmi des milliers d’exemples, un des plus scandaleux : au moment où des enfants d'Afrique sub-saharienne criaient le plus famine, alors qu'étaient imposés des quotas laitiers et un gel des terres en Europe, des associations caritatives et des ONG quémandaient des fonds à coups de campagnes publicitaires coûteuses et culpabilisantes, pour financer des stocks de lait en poudre destinés à ces enfants affamés, qui manquaient également... d'eau ! Si l'affaire n'avait pas été aussi triste et tragique, on aurait presque pu en faire un mauvais gag.
Le système capitalisme est un mode de production obsolète qui devient une force destructrice dressée contre la civilisation. Il génère et active toutes les pulsions mortifères. Ses contradictions, face aux tragédies croissantes qu'il engendre, exacerbent les comportements les plus irrationnels et antisociaux. La famine et le gaspillage, la pauvreté et le chômage, comme les guerres, sont ses enfants naturels. Mais en son sein, il cultive aussi sa négation et son propre fossoyeur, la classe ouvrière, celle des exploités tournés vers le futur. Eux seuls pourront mettre fin à ce système putride. Plus que jamais, l'alternative reste bien « socialisme ou barbarie » !
WH (1er janvier)
(1) Cela signifie une nourriture journalière inférieure à la quantité répondant aux besoins de l’organisme d'une personne (2500 calories par jour).
(2) Tout mensonge a un fond de vérité. Il n'y a pas, en soi, un manque de ressources. Par contre, le système capitaliste génère des situations qui conduisent à la destruction massive de ces dernières.
(3) Nous serons théoriquement autour de 9 milliards en 2050.
(4) Rapport Global Food Waste Not, Want not, publié le jeudi 10 janvier 2013 par l'Institution of Mechanical Engineers (IME), organisation britannique des ingénieurs en génie mécanique. (Source : https://écologie.blog.lemonde.fr [314])
Nous publions, ci dessous, la traduction de larges extraits d'un article publié par notre section aux États-Unis suite à la tuerie dans la ville de Newtown aux États-Unis.
Comme lors des drames précédents, l'horreur de ce massacre sans mobile de 27 enfants et adultes par une seule personne nous a tous glacé le sang, or, c'est le treizième événement de ce genre dans ce pays pour la seule année 2012. Et les États-Unis ne sont pas le seul pays à connaître de telles abominations : En Chine, par exemple, le jour même du massacre de Newtown, un homme a blessé avec un couteau 22 enfants dans une école.
Il existe de plus en plus d'individus, qui se sentent tellement écrasés, isolés, incompris, rejetés que les tentatives de suicide des jeunes s'accroissent de plus en plus ; et le fait même du développement de cette tendance montre que face à la difficulté qu'ils ont de vivre, ils ne voient aucune perspective de changement qui leur permettrait d'espérer une évolution positive de leurs conditions de vie.
Cela provoque de telles souffrances et de tels troubles chez certains qu'ils en rendent responsables l'ensemble de la société et en particulier l'école qui doit normalement ouvrir sur la possibilité de trouver un emploi et qui n'ouvre souvent que sur le chômage et qui est devenu le lieu où se créent de multiples frustrations et où s'ouvrent bien des blessures ; le meurtre aveugle – suivi par leur suicide –, leur apparaît alors le seul moyen de montrer leur existence et leur souffrance.
Les différents aspects de la décomposition, et notamment l'horrible massacre de Newtown, constituent un levier dont la bourgeoisie se sert contre toute recherche d'une alternative au système de mort dans lequel nous vivons. Derrière la campagne sur le fait de poster des policiers à la porte des écoles, l'idée qui est instillée est celle de la méfiance à l'égard de tout le monde, ce qui vise à empêcher ou détruire tout sentiment de solidarité au sein de la classe ouvrière. D'un autre côté, cela signifie que l'on ne peut avoir confiance que dans l’État et dans la répression qu'il mène alors qu'il est le gardien du système capitaliste qui est la cause des horreurs que nous sommes en train de vivre.
Le massacre de vies innocentes à l’école élémentaire de Sandy Hook à Newtown (Connecticut) est un rappel horrible de la nécessité d’une transformation révolutionnaire complète de la société. La propagation et la profondeur de la décomposition du capitalisme ne peuvent qu’engendrer d’autres actes aussi barbares, insensés et violents. Il n’y a absolument rien dans le système capitaliste qui puisse fournir une explication rationnelle à un tel acte et encore moins rassurer sur le futur d'une telle société (...).
Au lendemain de la tuerie dans l’école du Connecticut, et comme cela a également été le cas pour d’autres actes violents que nous avons en mémoire, tous les partis de la classe dirigeante ont suscité un questionnement : comment est-il possible qu'à Newtown, réputée pour être la ville « la plus sûre d'Amérique », un individu dérangé ait trouvé le moyen de déchaîner tant d’horreurs et de terreurs ? Quelles que soient les réponses proposées, la première préoccupation des médias est de protéger la classe dirigeante et de dissimuler son propre mode de vie meurtrier.
La justice bourgeoise réduit le massacre à un problème strictement individuel, suggérant en effet que le geste d’Adam Lanza s’explique par ses choix, sa volonté personnelle de faire le mal, penchant inhérent à la nature humaine. Elle prétend que rien de psychologique, ni de comportemental explique l’action du tireur. Nancy J. Herman, professeur agrégée de sociologie à l’Université de Central Michigan explique même qu' « aujourd’hui, la médicalisation du comportement déviant ne nous permet pas d’accepter la notion de ‘Mal’. La disparition de l’imagerie religieuse du péché, la montée en puissance des théories déterministes du comportement humain et la doctrine de la relativité culturelle nous ont amené à exclure la notion de mal de nos discours. » En conséquence, la justice avance comme solution le renouveau de la foi religieuse et la prière collective !
De cette façon, la justice nie tous les progrès réalisés depuis de nombreuses décennies par les études scientifiques sur le comportement humain qui, pourtant, permettent de mieux comprendre l’interaction complexe entre l’individu et la société (...). C’est également ainsi que la justice justifie sa proposition d’emprisonner tous ceux qui relèvent d’un comportement déviant, en réduisant leurs crimes à un acte immoral. (…)
La nature de la violence ne peut pas être comprise si on la dissocie du contexte social et historique où elle s’exprime. Les maladies mentales existent depuis longtemps, mais il semble que leur expression ait atteint leur paroxysme dans une société en état de siège, dominée par le « chacun pour soi », par la disparition de la solidarité sociale et de l’empathie. Les gens pensent qu’ils doivent se protéger contre… contre qui, d'ailleurs ? Tout le monde est un ennemi potentiel et c’est une image, une croyance renforcée par le nationalisme, le militarisme et l’impérialisme de la société capitaliste.
Pourtant la classe dirigeante se présente comme le garant de la « rationalité » et contourne soigneusement la question de sa propre responsabilité dans la propagation des comportements anti-sociaux. Ceci est encore plus flagrant lors des jugements par la cour martiale de l’armée américaine des soldats ayant commis des actes atroces, comme dans le cas de Robert Bales qui a massacré et tué 16 civils en Afghanistan dont 9 enfants. Pas un mot, naturellement, sur sa consommation d’alcool, de stéroïdes et de somnifères pour calmer ses douleurs physiques et émotionnelles, ni sur le fait qu’il a été envoyé sur l’un des champs de bataille les plus violents d'Afghanistan pour la quatrième fois !
Si les médias, les films et les jeux violents enseignent et renforcent l'idée que la rixe et le meurtre sont des moyens acceptables pour résoudre un conflit, ils ne sont cependant pas à l’origine des comportements anti-sociaux, comme le proclament les politiciens de gauche. C’est à la fois la concurrence au cœur du fonctionnement du mode capitaliste et ses expressions militaristes qui alimentent les médias et le contenu des jeux vidéo.
Lorsque les enfants grandissent dans une culture qui célèbre la violence comme un moyen acceptable de « gagner » et quand la société enseigne qu’il faut « gagner » à tout prix, ils sont parfaitement susceptibles d’acquérir ces « valeurs ». Sous le capitalisme, ces « valeurs » sont omniprésentes et ce que nous voyons dans les médias et les jeux vidéo n’en est que le reflet.
(…) La société développe une dangereuse culture de la suspicion et de la peur des autres en préconisant le « chacun pour soi. » Beaucoup de personnes finissent par privilégier le meurtre plutôt que la solidarité humaine comme solution aux différents, aux conflits et aux problèmes personnels.
Tout ceci est à l’origine de l’obsession de la mère d’Adam Lanza pour les armes à feu et de son habitude d’emmener ses enfants, y compris son fils, sur les stands de tir. Nancy Lanza est une « survivaliste ». L’idéologie du « survivalisme » est fondée sur le « chacun pour soi » dans un monde pré et post-apocalyptique. Elle prône l’autonomie, ou plutôt la survie individuelle, en faisant des armes un moyen de protection permettant de mettre la main sur les rares ressources vitales. En prévision de l’effondrement de l’économie américaine, qui est sur le point de survenir selon les survivalistes, ces derniers stockent des armes, des munitions, de la nourriture et s'enseignent des moyens de survivre à l’état sauvage. (...) Est-ce si étrange qu’Adam Lanza ait pu être envahi par ce sentiment de « no future » ? Ou peut-être a-t-il vu dans ces enfants pleins de vie des concurrents futurs à éliminer ? Quel que soit le véritable état mental attribué à Adam Lanza, il est certain qu’il ne disposait pas d’un esprit serein, lucide et rationnel.
(…) N’écoutant que ses intérêts politiques répugnants, la faction de la classe dirigeante au pouvoir n’hésite pas à se servir de l’horreur suscitée par le massacre de l’école du Connecticut pour affaiblir la partie adverse (...). Pour sa part, la droite propose de renforcer l’appareil répressif afin que tout individu potentiellement dangereux puisse être enfermé. Dans leurs délires, ils voient les écoles comme des prisons où les professeurs deviendraient des policiers, transformant un lieu comme l’école en univers carcéral.
Il est naturel d’éprouver de l’horreur et une très grande émotion face au massacre d’innocentes victimes. Il est naturel de chercher des explications à un comportement complètement irrationnel. Cela traduit un besoin profond d’être rassuré, d’avoir la maîtrise de son destin et de sortir l’humanité d’une spirale sans fin d’extrême violence. Mais la classe dirigeante profite des émotions de la population et utilise son besoin de confiance pour l’amener à accepter une idéologie où seul l’État serait capable de résoudre les problèmes de la société.
Les révolutionnaires doivent affirmer clairement que c’est le maintien de la société divisée en classes et l’exploitation du capitalisme qui sont les seuls responsables du développement de comportements irrationnels qu’ils sont incapables d'éliminer ou seulement maîtriser.
Ana, (21 décembre 2012)
Les soupçons d'exactions commises par les troupes maliennes contre les « peaux claires » (personnes d'origine arabe et Touarègue) se multiplient au fur et à mesure que la guérilla islamiste recule dans la guerre qui se déroule en ce moment au nord-Mali.
Les « observateurs », qui à chaque conflit sont toujours presqu’aussi nombreux que les belligérants, se divisent : les uns invitent à la prudence et, à l'image de Saint-Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, veulent croire à une guerre « propre » tant que le premier charnier n'a pas été découvert ; tandis que les autres lèvent les bras au ciel en criant « C'est exactement ce qu'on craignait, on ne pourra pas dire qu'on n'avait pas prévenu. »
Ces derniers ne prennent pas un risque énorme en pointant le danger de débordements guerriers sur les populations civiles. Il serait en revanche nettement plus acrobatique de chercher dans l'histoire une guerre qui se serait déroulée sans ses chapelets d'exécutions sommaires, de viols, de mutilations, de déportations arbitraires et d’humiliations de tous ordres. Ne serait-ce que pour la décennie écoulée, un rapide échantillonnage nous fait approcher le million de victimes, tandis que les guerres du 20e siècle ont tué plus de 231 millions de personnes.1
Lors de la Première Guerre mondiale, les troupes allemandes envahissaient la Belgique et le Nord et l'Est de la France en août 1914 : 5 000 civils wallons et une bonne centaine de français en feront les frais.
La guerre d'Espagne se déroule elle aussi dans un climat revanchard et pogromiste : la « terreur blanche » aura fait entre 80 000 (officiellement) et 200 000 (estimations d'historiens) victimes. La « terreur rouge » de son côté dépassera les 75 000 victimes, dont une bonne partie dans le clergé catholique.
La Seconde Guerre mondiale mettra la barre nettement plus haut. Les pogroms en Allemagne et en Pologne sont connus, les hauts faits de l'armée allemande ont été suffisamment documentés pour qu'on ne s'étale pas sur la question : dans le sud de la France, les SS ravageront des dizaines de villages en 1944 et dans le même temps, Oradour-sur-Glane verra 642 de ses habitants exécutés en une journée. Peu avant, l'Armée Rouge pénétrera en Allemagne et pendant deux ans, les habitants seront terrorisés, tués, violés, déportés... les historiens établissent un bilan de 600 000 victimes. Côté Pacifique, le Japon laissera une trace sanglante indélébile. On se limitera à citer le massacre de Manille en 1945 et ses 100 000 victimes.
Plus récemment, l'ex-Yougoslavie s'est illustrée avec de nombreux massacres dont celui de Srebrenica durant l'été 1995 reste le plus connu (8 000 morts), tout comme le conflit au Kosovo en 1999 avec ses 800 000 déportés.
En Afrique, enfin, les 800 000 morts au Rwanda en 1994, et la terreur permanente installée en République Démocratique du Congo depuis 1993, ne sont que deux exemples du climat de mort qui flotte sur le continent noir.
Il n'y a pas de guerre « propre », il n'y a pas de conflit armé qui ne s'accompagne pas de massacres de civils et de leur déportation. Cela n'est tout simplement pas possible car toute guerre s'accompagne d'un discours idéologique rempli de haine et de stigmatisation, construit pour entraîner l'adhésion de ceux qui vont devoir risquer leur vie sous l'uniforme, de ceux qui vont devoir trimer dix fois plus pour soutenir « l'effort de guerre »... Ce discours c'est celui du nationalisme qui fait porter à « l'étranger », celui d'en face, la responsabilité de tous les maux. Cette division nationaliste distille la haine sur des bases d'appartenance nationale, religieuse, ethnique... peu importe, finalement, tant qu'elle cache correctement les fondements impérialistes du conflit et la responsabilité des bourgeoisies nationales, et d'elles seules !
On a suffisamment répété aux Maliens que toute leur misère est de la faute des « Arabes ». Quand le rapport de force s'inverse, la conséquence est immédiate et inévitable : tout comme les Kosovars incarnaient tous le mal, tout comme les Allemands étaient « tous nazis », les « Arabes » sont tous fondamentalistes, et ils doivent payer : femmes, enfants, vieillards, ils sont tous responsables. La haine est aveugle !
Cela fait plus de vingt ans que le Mali est traversé par cette haine. Les exactions contre les « peaux claires » ne sont pas nouvelles : 50 morts à Léré en 1991 ; 60 morts à Gossi et Foïta en 1992, entraînant la fuite de dizaines de milliers de Touaregs de l'autre côté des frontières algérienne et mauritanienne ; plusieurs exécutions en 1994 autour de Ménaka, puis plusieurs dizaines à Tombouctou...
Le risque était donc important que le développement actuel du conflit conduise à des massacres toujours plus nombreux. Ce sera toujours le cas dans tous les conflits impérialistes et ce ne sont pas les quelques procès retentissants de grands « criminels de guerre » des années, voire des dizaines d'année après, qui viendront retenir le bras vengeur des combattants nourris de haine depuis toujours.
GD (31 janvier)
1 Milton Leitenberg, Deaths in Wars and Conflicts in the 20th Century (2006).
Nous publions ci-dessous la traduction d'un article rédigé par notre section en Grande-Bretagne, World revolution, sur l'effondrement du système de soins en Grèce.
En décembre 2012, le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung rendait compte d’une visite en Grèce :
"En octobre 2012, le traumatologue Georg Pier rapportait les observations suivantes sur la Grèce : Des femmes sur le point d’accoucher se hâtaient désespérément d’un hôpital à l’autre ; mais comme elles n’avaient pas d’assurance-maladie ou suffisamment d’argent, personne ne voulait les aider à mettre leur enfant au monde.
Des gens, qui jusqu’à présent faisaient partie des classes moyennes, cherchaient des restes de fruits et de légumes dans les poubelles. (…)
Un vieil homme disait à un journaliste qu’il n’avait plus les moyens d’acheter les médicaments nécessaires pour soigner son problème cardiaque : sa pension avait été diminuée de 50% comme celle de beaucoup d’autres retraités. Il a travaillé pendant plus de quarante ans, pensant avoir fait les choses correctement ; maintenant, il ne comprend plus le monde.
Lorsque tu es admis dans un hôpital, tu dois apporter tes propres draps et ta propre nourriture. Comme le personnel d’entretien a été mis à la porte, les médecins et les infirmiers, qui n’ont pas reçu de salaire depuis des mois, ont commencé à nettoyer les toilettes. Il y a une pénurie de gants et de cathéters jetables. Devant les conditions hygiéniques déplorables dans plusieurs établissements, l’Union Européenne avertit du danger de propagation de virus infectieux."
Les mêmes conclusions étaient tirées par Marc Sprenger, chef du Centre Européen pour la Prévention et le Contrôle des Maladies (ECDC). Le 6 décembre, il alerta [les autorités] sur l’effondrement du système de santé et des mesures d’hygiène en Grèce, ajoutant que cela pouvait aboutir à une pandémie dans toute l’Europe. Il y a une pénurie de gants à usage unique, de blouses et de serviettes de désinfection, de boules de coton, de cathéters, de rouleaux de papier pour couvrir les tables d’examen médical. Les patients ayant des maladies infectieuses, comme la tuberculose, ne reçoivent pas le traitement nécessaire, ce qui entraîne l’augmentation du risque de propagation de virus résistants en Europe.
Au 19e siècle, beaucoup de patients (jusqu’à un tiers parfois) mouraient à cause d’un manque d’hygiène à l’hôpital, en particulier les femmes pendant l’accouchement. Ces drames pouvaient s’expliquer en grande partie par l’ignorance, parce que beaucoup de docteurs ne se lavaient pas les mains avant un traitement ou une opération et, souvent, ils allaient avec des blouses sales d’un patient à l’autre.
Les découvertes en hygiène, de Semmelweis ou Lister par exemple, permirent une réelle amélioration. Les nouvelles mesures d’hygiène et les découvertes sur la transmission des germes permirent une forte réduction des maladies nosocomiales.
Aujourd’hui, l’utilisation des gants et des instruments chirurgicaux à usage unique est une pratique courante dans la médecine moderne. Mais, tandis que l’ignorance du 19e siècle est une explication plausible de la mortalité importante dans les hôpitaux, les dangers qui deviennent évidents dans les hôpitaux en Grèce ne sont pas une manifestation de l’ignorance mais une expression de la menace qui pèse sur l’humanité ; cette menace provient de la faillite d’un système de production totalement obsolète.
Si, aujourd’hui, la santé des habitants du cœur de la civilisation antique est menacée par le manque de fonds des hôpitaux ou par leur insolvabilité (ils ne peuvent plus acheter de gants à usage unique), si les femmes enceintes qui cherchent une prise en charge dans les hôpitaux sont renvoyées parce qu’elles n’ont pas d’argent ou pas d’assurance médicale, si les gens qui ont des maladies de cœur ne peuvent plus payer leurs médicaments…, cela devient une attaque contre la vie-même. Si, dans un hôpital, le personnel d’entretien, qui est indispensable dans la chaîne de l’hygiène, est licencié, si les docteurs et les infirmiers, qui n’ont pas reçu leur salaire depuis longtemps, doivent prendre en charge les tâches de nettoyage, cela apporte une lumière crue sur la "régénération" de l’économie. C’est le terme utilisé par la classe dominante pour justifier ses attaques brutales contre nous : la "régénération" se retourne en menace sur nos vies.
Après 1989, en Russie, l’espérance de vie a baissé de cinq ans à cause de l’effondrement du système de santé d’une part, mais aussi à cause de l’augmentation de la consommation d’alcool et de drogue. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement en Grèce que le système de santé est démantelé petit à petit pour s’effondrer simplement. Dans un autre pays en faillite, l’Espagne, le système de santé est également en train d’être démoli. Dans le vieux centre industriel qu’est Barcelone, de même que dans d’autres grandes villes, les services des urgences ne sont parfois ouverts que quelques heures, pour faire des économies budgétaires. En Espagne, au Portugal et en Grèce, beaucoup de pharmacies ne reçoivent plus de médicaments vitaux. Le laboratoire pharmaceutique allemand Merck ne fournit plus le médicament anti-cancéreux Erbitux aux hôpitaux grecs ; Biotest, un laboratoire qui vend du plasma sanguin pour le traitement de l’hémophilie et du tétanos, a arrêté de fournir ses produits à cause du non-paiement des factures depuis juin dernier.
Jusqu’à présent, ces conditions médicales désastreuses étaient connues principalement dans les pays africains ou dans les régions dévastées par la guerre ; mais maintenant, la crise dans les pays anciennement industrialisés a conduit à une situation telle que des domaines vitaux comme les soins de santé sont de plus en plus sacrifiés sur l’autel du profit. Ainsi, l’obtention d’un traitement médical n’est plus basé sur ce qui est techniquement possible : on ne reçoit le traitement que si on est solvable.1
Cette évolution montre que l’écart entre ce qui est techniquement possible et la réalité de ce système s’agrandit. Plus l’hygiène est menacée et plus nous risquons de voir apparaître des épidémies incontrôlables. Nous devons rappeler l’épidémie de grippe espagnole, qui s’est répandue à travers l’Europe après la fin de la Première Guerre mondiale, entraînant la mort de plus de vingt millions de personnes. La guerre, avec son cortège de famines et de privations, avait préparé les conditions de cette épidémie. La crise économique joue le même rôle dans l’Europe d’aujourd’hui. En Grèce, le taux de chômage frôlait les 25% au dernier trimestre de 2012 ; le chômage des jeunes de moins de 25 ans atteignait 57%, 65% des jeunes femmes sont sans emploi. Les prévisions indiquent toutes une augmentation plus rapide, jusqu’à 40% en 2015. La paupérisation accompagnant le chômage a déjà conduit à ce que "des zones résidentielles et des immeubles d’appartements ont été privés de fourniture de fuel pour défaut de paiement. Pour éviter d’avoir trop froid l'hiver chez eux, beaucoup de gens ont commencé à utiliser des poêles à bois ; les gens coupent le bois illégalement dans les forêts proches. Au printemps 2012, un vieil homme s’est donné la mort devant le parlement d’Athènes ; juste avant de mourir, il aurait crié : je ne veux pas laisser de dettes à mes enfants. Le taux de suicide a doublé en Grèce depuis ces trois dernières années."2
Après l’Espagne avec le détroit de Gibraltar, l’Italie avec Lampedusa et la Sicile, la Grèce est le point principal d’entrée pour les réfugiés qui fuient les zones dévastées par la guerre et les espaces paupérisés d’Afrique et du Moyen Orient. Le gouvernement a installé une gigantesque clôture le long de la frontière turque. Il a monté d’immenses camps de réfugiés dans lesquels plus de 55 000 clandestins étaient internés en 2011. Les partis politiques de l’aile droite essayent de susciter une atmosphère de pogrom contre ces réfugiés, leur reprochant d’importer des "maladies de l’étranger" et de s’emparer des ressources qui reviennent de droit aux "Grecs d’origine". Mais la misère qui conduit ces millions de gens à fuir leur pays natal et qui se répand inexorablement dans les hôpitaux et les rues de l’Europe provient de la même source : un système social qui est devenu un obstacle à tout progrès humain.
Dionis (04 janvier)
1Dans les pays "émergents" comme l’Inde, de nouveaux hôpitaux privés voient sans arrêt le jour. Ils sont accessibles uniquement aux riches patients et encore plus aux patients solvables qui viennent de l’étranger. Ils offrent des traitements qui sont beaucoup trop chers pour la majorité des Indiens et beaucoup de patients étrangers qui viennent en tant que "touristes médicaux" dans les cliniques privées indiennes n’ont pas les moyens de s’offrir leur traitement médical chez eux.
2 Frankfurter Allgemeine Zeitung, décembre 2012.
Le CCI a été invité à participer aux « Ateliers pour travailleurs indignés » organisés par « Asamblearios-TIA »[1] et nous avons décidé d’y participer activement.
Nous pensons que ces Ateliers répondent à un authentique intérêt pour l’éclaircissement des questions essentielles sur la compréhension politique du capitalisme et des alternatives qui peuvent nous en sortir. À partir des luttes immédiates et concrètes, ces camarades sont arrivés à la conclusion que la compréhension profonde de la réalité est nécessaire pour élaborer une théorie révolutionnaire. Nous soutenons avec enthousiasme leur initiative parce qu’elle ouvre un espace de débat nous permettant de nous faire collectivement une idée plus précise de la réalité qui nous étouffe et des moyens pour la combattre.
Ceci dit, nous devons reconnaître que nous ne disposons d’aucune recette ni de la moindre formule magique pour résoudre les questions posées par ces camarades. Ce dont nous sommes en revanche convaincus, c’est que lors de l’intervention dans les luttes, pour ne pas tomber dans les pièges de l’ennemi, ou tout simplement dans la démoralisation et la frustration, la meilleure et la plus profonde compréhension d’ensemble est nécessaire.
Ce qui différencie la plus parfaite des toiles d’araignée de l’œuvre d’un architecte, c’est le fait que l’homme, avant de réaliser son « œuvre », la représente dans sa tête et la réalise à partir d’un plan. Cette capacité à agir collectivement selon un objectif ou une volonté résultant de notre compréhension du réel s’appelle « théorie » et elle a contribué de manière essentielle au développement de l’humanité. Sans la capacité à analyser, à élaborer des conclusions et à agir en accord avec nos besoins et nos objectifs, nous serions toujours, sans doute, dans des sociétés primitives de chasseurs-cueilleurs.
La théorie n’est pas du tout, du point de vue des travailleurs, le résultat d’un processus abstrait de pensée éloigné de la pratique ou des besoins immédiats. Bien au contraire, la théorie fait partie de la pratique même des révolutionnaires. Sans théorie, il ne peut pas y avoir de pratique révolutionnaire.
Le capitalisme est la société de la généralisation de la marchandise où la « valeur d’échange » est devenu la « devise » dans les relations humaines, y compris dans la sphère des émotions et des sentiments, de sorte que la production sociale répond aux besoins de la marchandise et non pas aux besoins des hommes. Cette réalité matérielle de la production détermine une idéologie dominante qu’on considère comme « le sens commun ». N’importe quelle mise en cause de la société du capital exige un examen critique de ce « sens commun » dominant qui n’est pas autre chose que la tentative des classes dominantes pour imposer une manière de penser apparaissant comme « naturelle » et par conséquent comme la seule possible et valable. Sans une réflexion approfondie, la mise en cause du capital est impossible.
Par ailleurs, la « théorie » n’est ni le produit ni l’apanage de génies illuminés ou de catéchismes dogmatiques. Au contraire, la théorie révolutionnaire ne saurait être que le produit collectif et historique d’une classe exploitée porteuse d’une société future libérée des rapports d’exploitation. Cette élaboration théorique ne saurait être que le résultat d’une culture collective de réflexion et de débat capable de mettre en question le « sens commun » de la classe dominante et d’élaborer la théorie qui nous permette de finir avec l’exploitation de tous par quelques-uns.
Le « mouvement du 15 mai » a été un mouvement spontané qui, en Espagne, exprimait le malaise et l'indignation des exploités, et il a également exprimé le besoin renaissant de beaucoup de gens de lutter. A la suite du « 15 mai », et de bien d’autres mouvements similaires partout dans le monde[2], des regroupements ont surgi qui ont ressenti le besoin de mener à bien des réflexions en profondeur : la pratique a démontré que quand l’effort théorique manque, on peut tomber très facilement dans les pièges de l’État et de ses instruments, et finir par lutter pour les intérêts de l’ennemi au nom des prétendus intérêts de tous. Ces groupes minoritaires sont conscients du fait que le combat révolutionnaire requiert une « dimension théorique » et c’est pour cela que des espaces de débats et de réflexion surgissent et affrontent les questions telles que « comment lutter ? » et « pourquoi lutter ? ». Poser ces questions est une « nécessité » de la pratique révolutionnaire.
Comme le groupe Asamblearios-TIA l’affirme, l’auto-organisation des travailleurs est le seul moyen pour les travailleurs de devenir maîtres de leurs vies et de leur destinée. La systématisation du débat où nous pouvons clarifier collectivement les questions politiques de la lutte est la forme d’auto-organisation nécessaire en cette période de « pause » dans les luttes.
La crise du capitalisme montre comment, d’une part, on se dirige vers plus de misère, de barbarie et de destruction de la planète, et, d’autre part, combien il est difficile de proposer une alternative à la société qui implique le dépassement des contradictions du système capitaliste. Le défi est énorme. « Hic Rhodus, hic salta ! »[3]. C’est pour cela qu’il est indispensable de donner au combat une perspective historique, une dimension internationale et une profonde compréhension de ses moyens et de ses objectifs. La création d’authentiques espaces de débats et de réflexion est la tâche du moment pour les combats à venir. Comme les camarades d’Alicante l’ont proposé, nous encourageons les minorités qui surgissent dans le monde à créer ce genre d’espace de débats et de réflexion, à s’armer de la théorie révolutionnaire qui pourra nous permettre de détruire le capitalisme et de construire une nouvelle société.
Nous publions ci-dessous le texte traduit de l’appel de ces camarades et, à la suite, nous ajoutons une proposition de textes pour la discussion.
Notre souhait : que les débats les plus fructueux puissent se faire jour !
CCI, 27 décembre 2012
ATELIERS POUR TRAVAILLEURS INDIGNÉS[4]
Tout ce dont vous avez toujours voulu débattre sur la lutte prolétarienne et dont vous n’aviez pas osé discuter.
ALACANT 2013
Nous sommes des travailleurs, des chômeurs, des étudiants,… comme toi ! Des personnes qui subissent ce système d’exploitation. Nous nous sommes organisés par nous-mêmes en un regroupement avec lequel nous voulons agir mais aussi débattre. Notre groupe s’appelle Asamblearios–TIA (Travailleurs indignés et auto-organisés)[5]
Avec les ateliers qu’on va réaliser, on voudrait créer un espace de réflexion et de rencontres où l’on puisse partager des connaissances. Dans notre présent si convulsif où nous réagissons avec inertie à cause de l’agression permanente du capital, nous considérons qu’il est nécessaire de créer ce type de lieu de réflexion qui nous servira à prendre le meilleur chemin pour mener à bien nos propositions.
Nous avons toujours eu au sein de notre regroupement le souci d’approfondir nos analyses et de mettre en rapport la réalité que nous vivons avec l’histoire du mouvement des exploité(e)s. Nous pensons que la théorie et l’histoire sont des armes pour changer le monde, des armes qu’on nous a volées et qu’on a remises aux mains de « l’ennemi ». Ces ateliers se veulent être une contribution dans ce sens. Leur contenu et aussi leur forme, tournent autour du MOUVEMENT de ceux « d’en bas », ils en font partie et prennent parti pour ce « parti ». Il ne s’agit pas de cours magistraux que viendrait nous faire un illustre professeur, il s’agit de reconstruire entre nous tous une histoire et une théorie pour essayer de tout changer. Ni plus ni moins.
Les contenus et la méthode que nous mettons en avant est celle de rassembler tous les efforts pour comprendre ; nous voulons encourager l’action à partir de la réflexion ; et nous voulons récupérer notre histoire et notre parole. Nous sommes ambitieux et nous le sommes parce que, même en étant si peu nombreux arithmétiquement, nous savons que nous ne sommes pas seuls, parce que nous sommes nombreux au sein de cette « immense majorité qui représente une majorité immense. »
Les ateliers que nous proposons auront une périodicité mensuelle durant l’année 2013, juillet et août exceptés. La méthode proposée pour ces ateliers requiert la participation active des présents, ce qui est la garantie pour que tous les points de vue soient pris en compte. La meilleure façon de participer, ce serait d’envoyer par avance à l’atelier (ceux qui voudront et pourront le faire) un texte de réflexion sur le sujet du mois. Nous nous engageons à présenter une introduction sur le sujet, en prenant en compte les textes présentés. Par la suite, on passera au débat.
Le débat nous amènera à découvrir un vocabulaire et des expressions avec lesquels nous établirons un glossaire participatif. Ce glossaire participatif consistera à définir tous les termes qui nous auront paru importants, en y intégrant toutes les acceptions possibles.
De quoi va-t-on parler et quand ? (voir les sujets détaillés plus loin)
· 11 janvier : Présentation des ateliers
· 25 janvier : Qu’est-ce qu’une crise et comment la combattre ?
· 15 février : Lutte de classe
· 15 mars : Auto-organisation et autonomie ouvrière
· 12 avril : Internationalisme
· 17 mai : Révolution sociale
· 14 juin : Qu’entendons-nous par nationalisme ?
· 20 septembre : Démocratie et libération
· 18 octobre : Autogestion
· 15 novembre : Syndicalisme
· 13 décembre : Parlementarisme
Comment peut-on s’inscrire et où ces ateliers vont-ils se dérouler ?
Pour s’inscrire, on peut nous contacter sur [email protected] [317]
Envoie-nous ton nom, le nom des ateliers auxquels tu veux participer (un, plusieurs, tous) et une adresse e-mail pour te contacter.
Avec toutes les personnes intéressées, nous ferons une réunion de présentation des ateliers pour nous organiser et nous connaitre, le 11 janvier dans le local d’ASIA. Tous les ateliers auront lieu dans le local d’Asia (Calle Barón de Finestrat nº 52, 1er étage, près de la place « de las Palomas », Alicante) entre 19h et 21h.
Eh bien oui ! Car il faut payer le local d’ASIA (et les activités qui s’y réalisent) ! On établira une cotisation de 5 euros par atelier qui sera payée lors de l’atelier introductif du 11 janvier. Pour être plus précis, l’argent sera intégralement reversé à une caisse pour l’autogestion d’ASIA (Apoyo Salud Integral Autogestionada, Soutien à une santé intégrale autogérée)
Nous t’attendons, salut !
Pour toute question, contacte-nous : [email protected] [317]
11 janvier « Présentation des ateliers »
On réexaminera ensemble les ateliers qu’on va partager, la méthode et le contenu, on rassemblera les suggestions et les possibles changements.
On débattra aussi sur les raisons qui ont fait que ces sujets ont été choisis et les termes même du titre de ces ateliers.
25 janvier « Que sont les crises et que peut-on faire face à elles »
Qu’est qu’une crise ? Est-ce que les crises sont inhérentes au capitalisme ? Les théories sur les crises…
Voilà un mot répété jusqu'à la satiété et qui justifie tout. Le capitalisme parait être en crise. Est-ce une crise de décadence ? Si c’était le cas, cela nous oblige à mettre en avant un changement révolutionnaire comme seule issue pour l’humanité.
15 février « Lutte de classes »
Qu’est-ce que la lutte de classes ? Est-elle toujours d’actualité ? Est-ce une lutte « centrale » ? Qui est la Classe ouvrière et pourquoi nous proposons de l’écrire avec majuscule ? Faut-il porter un bleu de travail pour faire partie de la Classe ouvrière ?
Face à la prétendue modernité du “citoyen” comme acteur social, nous redonnons la priorité au sujet historique par excellence : la Classe ouvrière, le prolétariat, les exploités, les travailleurs.
15 mars « Auto-organisation et autonomie ouvrière »
Qu’est-ce que l’auto-organisation ? Pourquoi nous est-elle si nécessaire ? Comment la rechercher et l’atteindre ?
Nous insistons sur l’auto-organisation des assemblées, sur l’autonomie prolétarienne. Nous constatons que, dans l’histoire de notre Classe, cette autonomie a été un facteur fondamental pour le développement du mouvement ouvrier. La libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou ne sera pas.
12 avril « Internationalisme »
Qu’est-ce l’internationalisme ? Peut-il exister un internationalisme qui ne soit pas prolétarien ? Pourquoi est-il fondamental pour le mouvement prolétarien ? Comment s’est-il développé dans l’histoire ?
L’internationalisme est fondamental pour le développement d’un véritable mouvement des exploités. L’émancipation des travailleurs sera mondiale ou ne sera pas.
17 mai « Révolution Sociale »
Qu’est-ce une révolution ? Qu’est-ce qu’une révolution pour la Classe ouvrière ? La révolution est-elle possible ? Est-elle inévitable ? Quelle société voulons-nous construire ?
Ce système nous paraît à tous insoutenable et beaucoup d’entre nous réfléchissent sur comment nous pourrions le changer pour vivre dans une société qui donne satisfaction aux besoins de l’humanité.
14 juin « Qu’entendons-nous par nationalisme »
Qu’est-ce le nationalisme ? À quelle classe appartient l’idéologie nationaliste ? Est-ce qu’il y a un rapport entre nationalisme et internationalisme ?
De plus en plus (comme lors d’autres périodes de « crise »), les conflits nationalistes s’exacerbent. Il est essentiel que nous prenions une position claire en tant que classe face à un tel sujet dans une situation qui excite les conflits impérialistes.
20 septembre « Démocratie et libération »
C’est quoi la démocratie ? Est-ce que le démocratisme est, ou a été, un mouvement libérateur pour l’humanité ? Pourquoi utilise-t-on le terme démocratique à tout bout de champ et pour tout ?
Démocratie réelle, démocratie participative, démocratie directe,… : face aux usages tous azimuts de la « démocratie », il est nécessaire de clarifier ce qu’est la démocratie et qui elle sert. De quoi veut-on parler quand on parle de démocratie et pourquoi nous ne l’appelons pas ainsi ?
18 octobre « Autogestion »
Qu’est-ce que l’autogestion ? Pourquoi lui donne-t-on des définitions si différentes ? L’autogestion et l’auto-organisation, est-ce la même chose ? L’autogestion est-elle une arme révolutionnaire pour les travailleurs ?
L’autogestion est autant « à la mode » que la démocratie ; pour certains, c’est définitivement une panacée, pour d’autres un mirage qui entrave la lutte de la Classe ouvrière.
15 novembre « Syndicalisme »
Qu’est-ce le syndicalisme ? Comment la Classe ouvrière l’a-t-il développé ? Est-il toujours utile pour la Classe ouvrière ? Et s’il ne l’est pas, pourquoi ? Quelle est la différence entre auto-organisation/autonomie ouvrière et syndicalisme ?
Très critiqués d’une manière intuitive par les travailleurs, les syndicats ont toujours un poids énorme au sein de la Classe. Mais les syndicats ne nous servent pas, ils nous amènent à la défaite. Pourquoi ?
13 décembre « Parlementarisme »
Qu’est-ce le parlementarisme ? Sert-il aujourd’hui à quelque chose ? Que décide-t-on au parlement ? Peut-on réformer le parlement ?
De même que pour le syndicalisme, les politiciens et les élections sont sérieusement mis en question par la population. Cette mise en question populaire a un sens profond qu’on doit pouvoir expliquer
Ateliers pour travailleurs indignés
Il s’agit d’une contribution ouverte : au fur et à mesure que le débat se développera, nous proposerons d’autres textes.[6]
25 janvier « Que sont les crises et que peut-on faire face à elles ? »
La compréhension de la crise actuelle, de ses mécanismes d’évolution, de son rythme et ses conséquences est une question compliquée qui demande un débat patient.
Par rapport à la question posée dans l’ébauche des Ateliers « S’agit-il d’une crise de décadence ? Notre réponse est affirmative. Et à partir de là, nous sommes aussi convaincus que cela nous oblige « à mettre en avant un changement révolutionnaire comme seule issue pour l’humanité. »[7]
Pour une contribution à la discussion nous avons sélectionné trois textes :
- un article récent [318] de notre Revue Internationale nº148 (janvier 2012) qui analyse la situation actuelle de la crise, ses conséquences économiques et politiques et son évolution :
- un article plus ancien [319] paru dans notre Revue Internationale nº 96 (janvier 1999) qui avait été conçu comme une réponse à la convulsion économique mondiale de 1997-98, celle que l’on nommait, à l’époque, la crise « des tigres asiatiques ». Dans cet article, on montrait que le capitalisme, à travers l’intervention massive de l’État (capitalisme d’État), a accompagné la crise en la ralentissant, en la dosant dans le temps et en la canalisant sur des secteurs économiques particuliers, afin d’éviter un effondrement brutal mais en prolongeant indéfiniment ses effets. Depuis 2007, la crise du capitalisme subit une forte accélération, la plus grave de ces quarante dernières années. Pour s’en faire une idée : nous sommes sortis de la crise de 1997-98 grâce à des prêts et des injections de crédit de quelque 120 milliards de dollars. Pour la crise actuelle, entre 2007 et 2011, quelque 7000 milliards de dollars ont été injectés ! Surtout, il y a quelque chose qui différencie la phase actuelle de la situation dominante des trente années précédentes : avant, les attaques contre les conditions de vie des travailleurs étaient graduelles et progressives, aujourd’hui nous assistons à une attaque généralisée. D’un appauvrissement lent nous sommes passés à un appauvrissement rapide et généralisé.
- Nous complétons les contributions précédentes avec un article qui s’interroge sur les « pays émergents » (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, les BRICS) et leur capacités à constituer la base d’un « nouveau capitalisme. [320] »
15 février « Lutte de classes »
Nous apportons à la discussion l’article en deux parties de notre Revue Internationale : "Qui peut changer le monde ?", parties 1 [321] et 2 [322] (1993).
15 mars « Auto-organisation et autonomie ouvrière »
Comme le dit si bien l’Ébauche, la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou ne sera pas. Quelle est la forme concrète que prend cette auto-organisation des travailleurs ? L’expérience qui se reproduit depuis 1905 a montré que cette forme est celle des Assemblées ouvrières massives, générales et ouvertes, et l’élection par celles-ci de Comités élus et révocables. Et ces comités, lorsque les ouvriers arrivent à posséder une force révolutionnaire suffisante, prennent la forme organisationnelle des Conseils Ouvriers.
Pour contribution à la discussion, nous proposons le premier article d’une série intitulée « Qu'est-ce que les conseils ouvriers ? [323]», publiée aussi dans notre Revue internationale. [8]
12 avril « Internationalisme »
Le sujet est très vaste, de sorte que nous proposons un seul aspect : quelle serait la réponse internationaliste à la crise ? Ceci pour répondre aux solutions nationalistes avec lesquelles on nous matraque : une “issue nationale” à la crise, s’opposer à la « domination allemande », etc. : « Face à la crise du capitalisme, quelle réaction : nationalisme ou internationalisme ? [324] » [9]
17 mai « Révolution Sociale »
Notre contribution à la discussion se concrétise dans deux textes que nous avons écrits en tant que réponse à des débats surgis en Amérique du Sud : « Cinq questions sur le communisme [325]», « Qu’est-ce le socialisme ? [326] »[10]
14 juin « Qu’entendons-nous par nationalisme ?»
Pour matériel de réflexion, nous incluons un texte qui est le fruit d’un débat qui a eu lieu au Brésil : « Entre internacionalismo y nacionalismo-patriotismo no existe afinidad alguna ¡hay que elegir ! [327]»[11]
20 septembre « Démocratie et libération »
Pour aborder ce sujet, nous proposons un texte historique adopté lors du Premier congrès de l’Internationale Communiste célébré en mars 1919 : les « Thèses sur la Démocratie et sur la dictature du prolétariat », republié par nous dans « La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital [328] », Revue Internationale nº100.
18 octobre « Autogestion »
Pour ce sujet, nous présentons un débat que nous avons eu avec des camarades d’Argentine, le groupe Nouveau Projet Historique [329]
15 novembre « Syndicalisme »
Là aussi, nous voudrions contribuer à la discussion avec des comptes-rendus de débat :
- avec des camarades de Séville où nous essayons de voir comment les syndicats sont devenus historiquement des organes intégrés dans l’Etat capitaliste et des collaborateurs étroits avec le patronat : « Apuntes sobre la cuestión sindical [330]. »
- avec des camarades de Ferrol où nous essayons de répondre à la question : Pourquoi les syndicats trahissent-ils toujours les ouvriers ? [331]
- avec des camarades de Barcelone qui pestent contre les CO et l’UGT mais pensent qu’il pourrait exister un syndicalisme radical qui, lui, défendrait les ouvriers : « ¿Es posible otro sindicalismo? [332]» (Un autre syndicalisme est-il possible ?).
13 décembre « Parlementarisme »
On peut consulter l’ensemble des textes publiés sous la rubrique « El Engaño del Parlamentarismo [333] »
[1] « La TIA (Travailleurs indignés et auto-organisés) est un collectif qui est né d’un regroupement spontané de camarades du milieu ‘pro-assemblées’ et autonome d’Alicante lors des assemblées massives de mai 2011. » Ils se définissent eux-mêmes comme « des ouvrier(e)s, des chômeurs, des étudiant(e)s,… comme toi. Nous sommes des personnes qui subissons ce système d’exploitation. Nous nous sommes organisés en regroupement et nous voulons agir mais aussi débattre. »
[2] Voir, pour un bilan des mouvements en 2011, notre tract international : 2011 : de l'indignation à l'espoir, (1er Mai 2012), https://fr.internationalism.org/isme354/2011_de_l_indignation_a_l_espoir... [334]
[3] Hic Rhodus, hic salta ! (Voici Rhodes, c'est ici qu'il faut sauter). Paroles tirées de la traduction latine d'une fable d'Esope parlant d'un vantard qui affirmait, en faisant appel à des témoins, qu'il avait fait à Rhodes un saut magnifique. On lui répondait : « A quoi bon les témoins ? Voici Rhodes, c'est ici qu'il faut sauter ! ». Ce qui signifie au sens figuré : « C'est maintenant qu’il s’agit de montrer ce dont tu es capable ! » La phrase fut utilisée par Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, (Voir : https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm [335], dont cette noté est extraite)
[4] TRAVAILLEURS, CHÔMEURS, ÉTUDIANTS, RETRAITÉS… et PROLÉTAIRES en général.
[5] La TIA est un collectif né du regroupement spontané des camarades du milieu « pro-assemblées » et autonome à Alicante autour des assemblées massives de mai 2011. Dans ce contexte, ces camarades se chargeront de la « structure organisationnelle » du mouvement, auxquels se joindront d’autres camarades partageant des points de vue communs, sur les assemblées générales, l’anticapitalisme et l’internationalisme prolétarien. Les différences politiques avec d’autres collectifs qui se revendiquaient aussi du mouvement du 15 mai, les ont amenés à se séparer formellement d’autres organisations qui continuent à utiliser ce nom et à fonctionner indépendamment de ces projets. L’incorporation à ce regroupement d’autres camarades venant des Assemblées Ouvertes des Travailleurs a fait que le regroupement s’appelle dorénavant : Asamblearios – TIA
[6] Pour cette traduction, les références sont tirées, si elles existent, de nos textes en français. Pour les textes en espagnol, voir : https://es.internationalism.org/ [336]
[7] Pour des lectures plus approfondies, on peut consulter sur notre site, dans notre rubrique « Approfondir » (pour l’espagnol, cliquez « Textos por Temas »), la série La Decadencia del Capitalismo. https://es.internationalism.org/go_deeper [337]; https://fr.internationalism.org/approfondir [338]
[8] Le reste des articles de cette série peuvent être lus dans les numéros suivants : 141, 142, 143 et 145.
[9] Pour des lectures plus approfondies, surtout sur la réponse internationaliste à la guerre, voir sur notre site : « La question nationale » dans la rubrique « Approfondir ». (https://fr.internationalism.org/series/208 [339])
[10] Ces textes sont en espagnol. Toujours dans la rubrique « Approfondir », on peut consulter les thèmes « Qu'est-ce que le communisme? » et « Vive la révolution ! ».
[11] « Entre l’internationalisme et le nationalisme-patriotisme, il n’existe pas la moindre affinité : il faut choisir ! » Pour une étude plus exhaustive, voir notre brochure Nation ou Classe, (https://fr.internationalism.org/brochure/nation [340])
Nous publions, ci-dessous, la traduction d’un tract de notre section en Espagne, Acción Proletaria, qui fait le bilan de la vague de luttes qui a touché ce pays ces derniers mois. Les questions auxquelles sont confrontés les ouvriers espagnols sont identiques à celles rencontrées dans de nombreux pays. Partout, l’Etat et ses chiens de garde syndicaux cherchent à isoler les ouvriers sur un terrain corporatiste ou nationaliste, voire à nous opposer les uns aux autres.
Au cours de ces derniers mois, les luttes ouvrières se sont multipliées en Espagne, au Portugal, en Afrique du Sud, en Egypte, en Turquie, en Chine…
Ces luttes sont la riposte au déluge d’attaques qui nous tombe dessus : licenciements, coupes budgétaires, expulsions de domicile, réductions drastiques de salaires, salaires payés avec retard… Elles expriment la tentative de faire face à la catastrophe humanitaire que sont le chômage, les expulsions, les queues devant les institutions caritatives, les gens qui vivent dans la rue, les suicides…
Cette barbarie n’a pas surgi d’un coup ! Nous n’y sommes pas parvenus après des années de prétendue opulence et de consommation. En vérité, la descente aux enfers (pour ne donner que l’exemple de l’Espagne) dure depuis quarante ans :
Il y a vingt ans que le contrat de travail « normal » a laissé sa place au contrat précaire ;
Les licenciements massifs se succèdent depuis le début des années 80 ;
les pensions sont rognées depuis 1985 ;
le pouvoir d’achat des salariés a diminué depuis trente ans de façon graduelle ;
dans le secteur public, les postes fixes à vie ont été remplacés par des contrats à durée déterminée et par des contrats d’intérim.
Si pendant les quarante dernières années la chute fut plus ou moins graduelle, ces cinq dernières années, l’accélération est brutale. Cette accélération montre qu’une guerre a été déclarée contre nos conditions de vie, contre notre futur et celui de l’humanité tout entière.
Dans de nombreuses villes d’Espagne, nous voyons comment les éboueurs et les employés de la voirie font grève et manifestent, comment les grèves se sont multipliées dans les transports en commun (métro de Madrid et de Valence, bus de Madrid et d’ailleurs), ainsi que dans beaucoup d’autres secteurs : la métallurgie, le textile, la chimie, la santé, les banques, les services sociaux...
Mais chaque secteur lutte de son côté, enfermé sur lui-même, complétement isolé. Voilà le grand problème des luttes actuelles. Elles n’ont pas réussi à se rejoindre dans des manifestations conjointes et unitaires, avec des assemblées ouvertes que d’autres secteurs peuvent rejoindre, en particulier ceux qui sont très isolés et dispersés : chômeurs, retraités, précaires, étudiants…
Unifier les luttes, s’organiser pour riposter ensemble :
Ceci est plus justifié que jamais, parce que nous sommes touchés par des problèmes aux noms universels : coupes budgétaires, licenciements, plans sociaux, chômage, misère, absence de futur…
Ceci est plus nécessaire que jamais, parce que le Capital et son Etat, avec la vieille tactique de « diviser pour mieux régner », nous pousse dans une chute sans fin qui conduit au chômage et à la paupérisation absolue.
Ceci est la seule réponse pour le futur.
Le capitalisme n’a plus rien à offrir. Son calcul consiste en ce que nous nous épuisions, que nous tombions dans la résignation pour finir dans le désespoir. En cela, l’isolement des luttes joue un rôle de premier plan car il imprime dans nos têtes l’idée que nous ne pouvons rien faire, que l’union est impossible… et cela finit avec des conclusions du style : « l’homme est mauvais par nature » ou « nous sommes condamnés d’avance ».
En Grèce aujourd’hui, après seize grèves générales et des luttes isolées innombrables, les ouvriers se sentent fatigués, apathiques, désorientés ; il y a même des secteurs, déçus de tout et de tous, qui se laissent emporter par des idéologies populistes, autant de gauche que de droite, qui les appellent à rejoindre et à défendre la Patrie et à haïr les étrangers.
En réfléchissant sur les causes de l’isolement, il n’est pas difficile de s’apercevoir qu’une grande responsabilité incombe aux syndicats : les CO1 et l’UGT2 nous ont tendu un piège lorsque, à chaque ERE3, et pour chaque coupe, ils ont proposé une riposte isolée, enfermée dans « notre » entreprise et « notre » secteur, limitée à une pression particulière centrée sur les responsables du secteur ou de la corporation concernés ; et lorsque nous voulons lutter, ils sortent alors de leur chapeau la « grève générale » ! C’est ainsi que les syndicats ont appelé à deux grèves générales en 2012 : le 29 mars et le 14 novembre.
Lutte isolée et grève générale sont les deux faces du piège syndical. La grève générale n’engendre pas de l’unité mais de la division, n’incite pas à la mobilisation mais ne fait que démobiliser. C’est unir pour diviser, rassembler pour démobiliser. La grève générale consiste à réserver pour un jour « J » l’exercice de l’unité et de la combativité, revenant pour le reste des jours de l’année à l’atomisation, à la passivité, au « chacun à ses affaires ». La grève générale est une institution de plus du capitalisme, du même genre que Noël ou la Saint-Valentin. À Noël, il faut être gentil et ouvert vis-à-vis de nos semblables, pour, une fois la fête finie, revenir aux affrontements quotidiens, au « sauve-qui-peut », au « malheur aux vaincus ». À la Saint-Valentin, les couples déclarent leur amour éternel et le lendemain, c’est le retour du quotidien : les jalousies, les méfiances, les disputes habituelles…
Les CO et l’UGT sont des institutions de l’Etat, du même ordre que le Gouvernement, l’Opposition, le Patronat, l’Eglise, le Pouvoir Judiciaire, l’Armée, la Police… Le Roi les reçoit, ils ont une ligne directe avec la Moncloa4 et avec les chefs du patronat, ils participent à une multitude d’organismes, ils constituent un pouvoir de fait dans des entreprises, des hôpitaux, dans des administrations publiques, des banques et Caisses d’épargne…
Ils ont deux rôles, qui ne sont pas opposés mais complémentaires : un rôle institutionnel et un rôle combatif d'opposition. Ces rôles sont comme les deux mains, la droite et la gauche :
De la main droite. ils signent tout ce que le gouvernement ou le patronat leur mettent sur la table, ils assènent les pires coups de poignards dans le dos des travailleurs, tiennent le même langage que les patrons, le gouvernement et les politiciens : investissement, productivité, croissance… ;
Avec la main gauche, ils ôtent le costard-cravate, et en chemise ils sortent dans la rue. Là, ils hurlent contre Rajoy5 et contre la CEOE6, là ils appellent « à la lutte » et sont capables de pousser les mots d’ordre les plus radicaux.
Tout cela n’a qu’un but : nous amener à adopter l’approche des problèmes et les méthodes de lutte que nous pouvons qualifier d’idéologie syndicale7.
Aux côtés des CO et de l’UGT, il existe une gamme variée de syndicats radicaux. Ceux-ci n’ont pas un grand rôle institutionnel, sauf quelques exceptions isolées et ponctuelles ; leur rôle est celui de la lutte combative. Mais le problème, c’est qu’ils défendent et véhiculent l’idéologie syndicale de manière encore plus radicale et extrême. Dans ce sens (et au-delà de l’honnêteté de beaucoup de leurs militants), ils complètent et sont les auxiliaires du tandem CO-UGT.
La CGT et la CNT critiquent le tandem CO-UGT, mais leur façon de lutter, c’est juste un peu plus de vin du même tonneau : ils ont proposé « une autre grève générale » le 26 septembre 2012, en soutenant celle qui avait été convoquée par les syndicats nationalistes galiciens et basques, et ont fini par se joindre à celle du 14 novembre, appelée par CO-UGT.
Ils critiquent les appels de CO-UGT parce que ceux-ci respectent le service minimum ou se bornent à appeler à des arrêts partiels, mais ils proposent des grèves illimitées tout autant enfermées dans leur secteur, avec lesquelles nous ne sortons toujours pas du piège de l’isolement.
Le syndicalisme radical n’est pas une alternative à CO-UGT pour la simple raison qu’il agit à l’intérieur du même piège : l’idéologie syndicale.
L’idéologie syndicale est un obstacle à l’action directe menée par les travailleurs eux-mêmes. La méthode du « manuel » du syndicalisme consiste à mettre en avant qu'« il faut faire bouger les travailleurs par l’appel et l’activisme d’une minorité » : il faut d’abord les « indigner » avec des dénonciations et des agitations préalables. Il faut passer ensuite aux « actions d’échauffement », pour enfin déboucher sur un appel à la lutte le jour « J ». Le résultat bien connu de ce « processus », c’est que les travailleurs arrivent au jour « J » confus, divisés, désorganisés, passifs…
Ces méthodes vont à l’encontre totale de l’expérience mille fois répétée. La lutte ouvrière ne suit pas ces chemins préétablis sur commande, mais elle surgit au moment le plus inattendu, souvent pour un motif apparemment secondaire qui exprime le fait que la coupe de l’indignation est pleine. Les ouvriers tendent alors à s’organiser en assemblées générales improvisées. L’enthousiasme et l’intérêt se propagent comme une tache d’huile. Ils cherchent la communication directe et les rencontres avec d’autres travailleurs pour ainsi arriver à sortir de l’entreprise ou du secteur. Les uns appellent les autres à la lutte, à ce qu’ils y joignent leurs propres revendications, à ce qu’il organisent des assemblées générales ouvertes où tout le monde puisse s’exprimer, où l’on aborde autant les forces que les faiblesses, exprimant non seulement ce qui est positif mais aussi les peurs, les doutes, les sentiments négatifs.
Tout cela n’est pas une découverte alternative à la recette syndicale mais ce que l’expérience historique de la lutte ouvrière nous montre comme étant possible et nécessaire. C’est de cette manière que le mouvement du 15-M (expression de la revendication d’une jeunesse en situation précaire ou au chômage) a surgi. Quelques années auparavant, la grève massive à Vigo, en 2006, a montré les mêmes tendances8. Et c’est de cette manière que les luttes ouvrières s’expriment depuis 19059.
Beaucoup de camarades voudraient être « pratiques » et laisser tomber les « idéalismes ». Cependant, ils ne font que reprendre encore et toujours la même recette syndicale, qui a démontré encore et toujours sa nocivité. Ils se refusent à étudier les expériences du mouvement ouvrier qui montrent ce qu’est vraiment la lutte ouvrière, comment elle s’est manifestée historiquement. Ne se rendent-ils pas compte que c’est eux qui tombent dans un idéalisme réactionnaire ?
Le syndicalisme surgit au XIXe siècle. Son objectif n’est pas de détruire le capitalisme, mais d’obtenir, à l’intérieur de ces rapports de production, les meilleures conditions possibles pour les ouvriers.
À l’époque (XIXe siècle et début du XXe) où le capitalisme ne s’était pas implanté dans tous les pays et dans tous les milieux économiques, le syndicalisme pouvait jouer un rôle favorable aux travailleurs. Mais avec l’entrée du capitalisme dans sa décadence, le syndicat ne peut obtenir que des miettes et encore très ponctuelles, tombant dans les filets de l’État et de la défense du capitalisme.
Le syndicalisme ne peut pas mettre en question les structures de reproduction de l’économie capitaliste, c'est-à-dire, l’entreprise, le secteur et la nation. Au contraire (et ceci en toute connivence avec les partis de gauche du capital), il s’érige comme l’un de ses défenseurs le plus conséquent. Selon les syndicats, le développement de la nation serait le cadre où l’on pourrait fabriquer un gâteau plus grand, bon pour tout le monde. Marx, dans Salaire, prix et profit, combattait déjà ces illusions syndicalistes présentes dans les Trade Unions britanniques, donnant l’exemple d’une soupière : les syndicalistes disaient que si la soupière était plus grande, il y aurait davantage de soupe à distribuer, ce que Marx réfutait en disant que le problème n’était pas la taille de la soupière mais celle de la cuillère avec laquelle les ouvriers mangeaient, celle-ci tendant, historiquement, à devenir de plus en plus petite.
Les syndicats nous mystifient en disant, par exemple, que si le patron investissait dans la production, au lieu d’emporter ses millions en Suisse, les licenciements ne seraient pas nécessaires. Avec des balivernes pareilles, ils nous mystifient doublement : d’abord en occultant le fait que le capitalisme requiert des licenciements et l’appauvrissement des ouvriers en tant que condition de sa propre survie ; et, deuxièmement, en nous ligotant à la défense de l’entreprise, du secteur et de la nation, au lieu de lutter pour nos besoins en tant qu’êtres humains : ceux de vivre et d’avoir un futur.
En nous ligotant à la défense de ce trio funeste, le syndicalisme propose, nécessairement et fatalement, une lutte isolée. Si une lutte se conçoit en tant que défense de tel ou tel secteur ou de telle ou telle entreprise, en quoi les autres travailleurs vont-ils se sentir concernés ? En rien !
Lors de la récente grève du métro de Madrid, un syndicat très radical, Solidaridad Obrera10, dont les membres défendent avec beaucoup de force et de sincérité que tout se fasse en assemblées, a été incapable de briser ce carcan. La seule chose qu’il a su proposer en faveur de l’unité a été de faire coïncider une des journées de grève du métro avec la grève de la régie des autobus (EMT)11. Alors que les gens montraient leur compréhension envers les grévistes du métro, alors qu’il y avait des conditions pour transformer cette sympathie passive en action, dans la mesure où, à ce moment-là, en plus de l’EMT, les travailleurs de la santé étaient aussi en lutte, pourquoi n’a-t-on pas proposé de mener ensemble toutes les luttes ? Pourquoi n’a-t-on pas appelé à la création d’assemblées ouvertes et des manifestations conjointes pour frapper avec un seul poing le Capital et son Etat ?
Les choses se sont passées de la même manière lorsque les mineurs sont arrivés à Madrid en juillet 2012. Beaucoup de travailleurs se sont rendus à leurs manifestations, on y a vécu des moments d’union et de joie. Qu'ont fait les syndicats ? Mettre au plus vite les mineurs dans leurs bus pour qu’ils rentrent dans la solitude de leurs puits ! Et qu'ont fait les syndicats radicaux ? Ils n’ont pas ouvert la bouche.
Par rapport aux besoins des luttes, les syndicats marchent toujours à contretemps. Quand il y a une possibilité d’étendre et de radicaliser la lutte, ils s’y opposent de toutes leurs forces. Et quand les ouvriers sont passifs, alors ils proclament avec grandiloquence leur radicalisme dans le vide. Et, en plus, ils ont le culot de reprocher aux ouvriers leur passivité !
Le capitalisme a bouleversé de fond en comble les conditions dominant les systèmes précédents, basés sur le conservatisme et l’enchaînerement à la religion, aux seigneurs, aux « hiérarchies naturelles ». En créant le marché mondial, il a apporté un énorme progrès historique et, surtout, une productivité très élevée du travail sur la base du travail associé propre au prolétariat.
Cependant, le capitalisme, derrière cette face éblouissante, avait une face plus sombre. La contrepartie était la concurrence féroce, l’atomisation la plus extrême, le cynisme et l’absence de scrupules des plus méprisables dans l’obtention du plus grand profit dans un minimum de temps possible. Cela a donné à la vie quotidienne un caractère très destructeur, qui est devenu insupportable dans la décadence du capitalisme et encore pire dans des moments de crise ouverte, comme c’est le cas aujourd’hui.
Les liens sociaux se déchirent, chacun est obligé de se livrer à une course folle pour survivre isolé et en concurrence avec les autres ; la vie est subie avec la souffrance de l’anxiété, car l’insécurité est totale avec le sentiment que quand nous nous y attendons le moins, nous nous retrouvons sur le bas-côté, invisible pour les autres. Elles sont innombrables les personnes qui finissent dans la dépression, dans le suicide et dans la drogue.
La société capitaliste est celle de la formule « l’homme est un loup pour l’homme », celle de la « guerre de tous contre tous », comme le disait Hobbes, un philosophe anglais du XVIIe siècle, qui discerna, à l’aube du système capitaliste, la barbarie morale qu’il enfermait dans ses fibres les plus cachées.
Les conditions actuelles rendent très difficile la lutte ouvrière, une lutte dont les bases sont tout le contraire de la normalité quotidienne du capitalisme : unité face à la division, solidarité face à la concurrence, confiance face au soupçon, empathie face au « chacun pour soi ».
La lutte ouvrière ne surgit pas uniquement pour des motifs économiques, même si ceux-ci sont leur fil conducteur. La lutte prolétarienne exige un effort moral, un changement de mentalité de la part des ouvriers, même si ce changement n’est pas un préalable et qu'il s’inscrit dans un processus. Et c’est justement là où l’approche syndicale (en concordance avec les autres forces du capital) provoque un grand dommage parce que la vision qu’elle induit des ouvriers est celle qui fait de ceux-ci des citoyens aux intérêts particuliers, corporatistes et égoïstes, dans le cadre de la Nation, laquelle serait l’expression d'un prétendu « intérêt général ». Il est vital de rompre avec cette idéologie syndicale pour que la lutte ouvrière puisse se développer.
Acción Proletaria, (7 février)
1 Les Commissions ouvrières, syndicat lié au Parti communiste d’Espagne. [NdT]
2 Union générale des travailleurs, syndicat lié au Partie socialiste ouvrier espagnole, équivalent du PS français. [NdT]
3 Expediente de Regulación de Empleo, c’est-à-dire : plan social [NdT]
4 Siège du chef du gouvernement espagnol. [NdT]
5 Chef du gouvernement espagnol depuis fin 2011(droite). [NdT]
6 Confederación Española de Organizaciones Empresariales, principale organisation patronale en Espagne. [NdT]
7 Lire notre brochure : Les syndicats contre la classe ouvrière. (https://fr.internationalism.org/brochures/syndicats [37])
8 Nous avons publié plusieurs articles sur ces luttes de 2006. Lire, par exemple : Grève de la métallurgie à Vigo en Espagne, une avancée dans la lutte prolétarienne. (https://fr.internationalism.org/isme/326/vigo [169])
9 Cf. Grève de masse, parti et syndicats, de Rosa Luxemburg, où, sur la base de l’expérience de la révolution de 1905 en Russie, sont exposés les nouveaux questionnements et les nouvelles méthodes de la lutte prolétarienne alors que s’ouvrait la période de décadence du capitalisme. De même, un collectif de camarades d’Alicante, en Espagne, dénonce la grève générale et défend comme méthode de lutte la grève de masse. Lire, sur notre site : Déclaration des travailleurs d’Alicante (Espagne) sur la grève générale.
10 Solidarité ouvrière, scission de la CNT, qui a repris le nom de la publication historique du syndicat anarchiste.
11 Lire, sur le site de Solidaridad Obrera : LA ASAMBLEA GENERAL EMPIEZA A GOLPEAR CON CONTUNDENCIA (https://www.solidaridadobrera.org/index.php?option=com_content&view=arti... [342])
L'immense culte de la personnalité autour de la dépouille du leader du "socialisme du XXIe siècle", Hugo Chavez, vient couronner un long et patient matraquage idéologique au Venezuela et ailleurs, au point où il a été question, comme l'ont fait les staliniens en leur temps avec la dépouille de Lénine, d'embaumer le corps de Chavez1.
Écrit en février peu avant son décès, l'article suivant, rédigé par nos camarades du Venezuela, permet de faire le point sur la dynamique économique et sociale de la "République bolivarienne", dans un cadre intéressant pour la préparation des luttes futures du prolétariat. Même si le contexte a changé, nous publions cette traduction qui met bien en avant la situation de l’après-Chavez et les problèmes que doit affronter la bourgeoisie. Depuis plusieurs mois, malgré les pirouettes des dirigeants concernant la santé de Chavez, tous savaient que ses jours étaient comptés. "L’émotion" suscitée chez "le peuple" à la suite du décès sera d’ailleurs exploitée jusqu’à la nausée pour permettre à la fraction "bolivarienne" (la boli-bourgeoisie, comme on dit avec humour dans le pays) de remporter les élections, mais les problèmes n’ont fait que s’aggraver.
Les fractions de la bourgeoisie vénézuélienne, tels des vautours, aiguisent leurs griffes dans la dispute pour le contrôle de l’État face au retrait imminent d’Hugo Chavez de la présidence, quel que soit l’évolution de la maladie dont il souffre. Ce strident personnage folklorique qui a maintenu intact le capitalisme en le déguisant sous l’appellation du "socialisme du XXIe siècle", a tenu bien ficelés les intérêts divergents des capitalistes pour mieux tromper la classe ouvrière, notamment en administrant la rente pétrolière pour réaliser quelques actions en faveur des pauvres afin de donner le change. Les récentes élections dans ce pays sud-américain ont été, pour la classe ouvrière, en plus de tout le flot de fantaisies et d’illusions exaltant la démocratie bourgeoise, l’occasion d’assister au summum de la vulgarité de la vie politique et de la répugnante "éthique" de ses gouvernants. L’exploitation de l’image d’un Chavez terrassé par la maladie, a mis à nu le cynisme des belligérants de tout bord dans cette lutte électorale. C’est ainsi que les uns et les autres ont tout fait pour attendrir les cœurs des vénézuéliens et amoindrir la colère que les effets de la crise font surgir chez eux, en même temps qu’est encensée, comme le fait la gauche latino-américaine, "la si saine démocratie bolivarienne".
L’absence de Chavez a fait surgir des bagarres intestines et a ouvert une vague d’incertitude au sein de la population : d’un côté, ceux de la fraction soutenant le président malade et inaudible, ont besoin de sa figure pour contrôler les appétits de ceux qui poussent des coudes pour la relève, pendant que la droite n’arrive pas à tirer profit de la situation, tout en se présentant comme la rénovation nécessaire pour le système ; les deux se repaissent du chagrin et vendent de la compassion une bible à la main.
Le chavisme contrôle pratiquement tous les pouvoirs publics et les institutions, ce qui aurait facilité l’élection du candidat, mais il existe un contexte politique, économique et social qui rend difficile pour la majorité chaviste la convocation d’élections de suite. Sur le plan politique, même si l’un des plus visibles continuateurs de la politique du pouvoir chaviste, le vice-président Maduro, s’est vu adoubé par Chavez lors de son départ pour se faire soigner à Cuba, pendant l’absence de celui-ci on a vu comment les militaires, parmi lesquels Chavez s’est formé politiquement, ont mis en avant Diosdado Cabello, président de l’Assemblée Nationale, pour prendre la tête de la "Révolution bolivarienne" sans Chavez. Indépendamment de celui qui sera mis au sommet, après toutes les escarmouches de rigueur, la fraction bourgeoise au pouvoir finira par trouver un accord pour continuer à administrer et à gérer pour que la crise économique mondiale n’entame pas trop leurs profits et qu’elle retombe, évidemment et comme toujours, sur le dos de la classe ouvrière.
Dans leur situation d’orphelins, même si leurs prochains pères sont bien identifiés, les cohortes chavistes durcissent leur politique vis-à-vis des autres fractions bourgeoises avec la volonté de garder leur hégémonie. Et en même temps, ils envoient des messages aux travailleurs pour qu’ils rejoignent les rangs du PSUV (Parti Socialiste Uni de Venezuela) et ses satellites. Par ailleurs, ceux qui se lanceraient dans une mobilisation au milieu de la situation confuse actuelle subiraient la répression immédiate. Le combat parlementaire a pris des allures grotesques et ridicules avec des mises en scène où l’on défend la glorieuse constitution et où l’on évoque la sainteté des hommes illustres vivants ou morts. On menace également, à coup d’investigations pour corruption, d’anciens gouverneurs de l’opposition en accentuant encore plus la décomposition sociale galopante.
Mais le problème le plus grave que la bourgeoisie doit affronter avec ou sans le régime chaviste, comme n’importe quel autre dans le monde, c’est la situation économique. Le chavisme prétend convaincre tout le monde de la viabilité de son projet politique en contournant la crise économique mondiale au moyen de la rente pétrolière comme si c’était un jet continu de dollars inépuisable à la disposition de l’Etat. À cheval sur un populisme effréné, le chavisme s’est lancé bride abattue à la sauvegarde des pauvres et des déclassés, à la conquête d’une clientèle politique dans les immenses bidonvilles qu’il n’a contribué qu’à agrandir, en criant, en braillant là où on veut bien l’entendre, qu’avec la manne pétrolière et avec une nouvelle constitution approuvée par un vote obligatoirement enthousiaste, il édifierait un socialisme aux contours incertains. Voilà un exemple de sa logorrhée attrape-couillons. Ainsi, avec un tel aplomb mystificateur, et l’incommensurable contribution des syndicats, le chavisme essaye de bloquer toute amélioration des conditions de vie du prolétariat vénézuélien. Sur ce terrain, le chavisme, sa suite ou la très hypothétique alternance de droite, sont très jaloux à l’heure de sauvegarder le taux de profit des capitalistes. Depuis 1998, l’année où Chavez a pris la tête de l’État, jusqu’en 2010, le salaire réel dans le secteur privé s’est dévalué de 31%. Et aujourd’hui le tableau économique est très grave. En 2012, on a dépassé tous les records avec des chiffres qui mettent en évidence que l’économie du Venezuela est aussi malade, sinon plus, que son président : haut déficit fiscal (18% du PIB), dû aux dépenses publiques démesurés (51% du PIB) ; importations les plus élevés des seize dernières années (59% par rapport aux exportations) ; 22% d’inflation, la plus élevée de la région... Les dépenses de l’Etat ont été couvertes, en plus de la rente pétrolière, par l’augmentation de la dette ; celle-ci a atteint 50% du PIB alors qu’elle était de 35% en 1998 ; on couvre aussi cette dette en faisant tourner la planche à billets, un argent qui n’est soutenu par la moindre richesse, ce qui a entraîné les niveaux d’inflation les plus élevés de la région ces dernières années.
À cause de la méfiance généralisée dans les Etats, incapables de solder leurs dettes souveraines, la Chine, qui a octroyé des prêts importants à l’Etat vénézuélien ces dernières années, ne veut plus désormais en octroyer d’autres à une économie qui ressemble à un puits sans fond ; les doutes sur la santé, pas seulement celle de Chavez, mais de l’économie vénézuélienne rendent plus difficile et coûteux le placement des obligations d’Etat sur le marché dont la prime de risque a atteint 13,6%. Cela préoccupe autant la majorité chaviste au pouvoir que les opposants. La bourgeoisie de la région est préoccupée par le Venezuela dont elle espère que la situation politique se stabilise, surtout les dirigeants des pays de l’ALBA2 et ceux qui sont bénéficiaires de rabais sur la facture pétrolière. Évidemment les représentants de "l’Empire" (les États-Unis), néanmoins client principal des exportations pétrolières, demandent que l’on respecte la constitution et la démocratie ; le Brésil (pays avec lequel le Venezuela est pas mal endetté) et la Colombie attendent de leur côté une issue stable. Tous seraient affectés par une situation prolongée de l’incertitude qui règne au Venezuela.
Sans la force médiatique braillarde de son président "socialiste", la bourgeoisie craint les conséquences des mesures draconiennes que l’aggravation de la crise économique mondiale lui exige de prendre pour essayer d’éviter la possible banqueroute des finances publiques, tout en évitant la colère des travailleurs qui pourra s’exprimer dans des mobilisations qui ne pourront que déstabiliser une situation sociale déjà bien fragile. Les dénommées "Missions", fers de lance de la politique chaviste pour pallier aux conditions dramatiques de pauvreté dans lesquelles vivent de larges couches de la population et qui sont une des bases électorales du chavisme, vont réduire leurs moyens en mettant ainsi à nu le grand mensonge des soi-disant réussites du "socialisme du XXIe siècle". Et ce sont les travailleurs qui subiront le plus les attaques de la bourgeoisie. Ce sont les ouvriers, véritables otages captifs pour les impôts, qui ont sur leur dos les lourdes charges de l’appareil d’État vénézuélien, avec les programmes "anticrise". Et loin d’être bénéficiaires des dépenses sociales de santé, d’éducation et de logement, ils ont surtout eu des réductions progressives de leurs salaires à tel point que 60% des ouvriers sont payés avec le salaire minimum mensuel (autour de 321 dollars-US, qui se réduisent à 100 si l’on considère le taux de change non officiel). Dans ces conditions, les travailleurs ont devant eux la nécessité de retrouver leurs liens d’unité et de solidarité qui leur permettront de récupérer leur identité de classe en entreprenant des luttes pour une amélioration de leurs conditions de vie. Au milieu du tintamarre sentimental et de la mystification du projet chaviste, la classe ouvrière commence déjà à faire montre de sa combativité et de sa confiance en ses propres forces pour combattre son ennemi, quel que soit le camouflage avec lequel il se présente dans ce pays caribéen. Les syndicats de tout poil montrent bien, par réaction, le changement : ils commencent à préparer leurs manœuvres les plus sophistiquées pour essayer d’encadrer la révolte sociale émergeante pour la canaliser vers la défense d’une prétendue révolution qui n’a bénéficié qu’à la bourgeoisie et qui n’a fortifié que le capitalisme.
Les minorités les plus conscientes de la classe prolétarienne ont la responsabilité de montrer à cette classe à laquelle elles appartiennent qu’autant le "socialisme bolivarien" de la gauche que la "démocratie sociale" de la droite, sont les deux faces d’un même monstre décadent qui doivent être affrontés théoriquement et politiquement pour ouvrir la voie vers l’émancipation de la classe ouvrière et le communisme.
Pedro/Cadinov (25 février)
1 En fait, ce projet aurait pu se réaliser si le corps n’avait pas été trop abîmé quand cela s’est décidé.
2 Alliance bolivarienne pour les Amériques. Il s’agit d’une organisation politique et économique, fondée par Hugo Chavez et Fidel Castro en 2005, visant à servir les intérêts impérialistes de plusieurs pays plus ou moins en opposition avec les Etats-Unis. L’Iran et la Russie, notamment, ont un statut de membres de l’ALBA. [NdT]
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article paru dans World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne.
Le 24 avril, plus de mille personnes, en grande partie des femmes, ont perdu la vie lors de l’effondrement de l’usine Place Rana à Dhaka, au Bangladesh. Huit autres personnes ont été tuées dans l’incendie du quartier Mirpur dans la même ville. Le nombre de morts aurait certainement été plus important si le feu s’était déclaré pendant la journée, comme cela s’est passé en novembre dernier à l’usine textile Tazreen où cent douze ouvriers sont morts.
Ces "accidents" sont l’expression du meurtre industriel. Il ne faut pas cacher le fait qu’il existe un terrible désintérêt pour la sécurité des ouvriers du textile au Bangladesh, qui triment dans des conditions épouvantables pour des salaires très bas. Mais il ne s’agit pas d’un excès regrettable que l’on pourrait imputer à quelques patrons sans scrupule. Cette situation est inscrite dans la structure profonde de l’économie mondiale. Diminuer les coûts de la force de travail profite non seulement aux gredins locaux à qui appartiennent les usines, mais aussi aux grandes entreprises internationales du vêtement : les belles marques de prestige comme Primark ont gonflé leurs profits grâce aux prix cassés du travail qu’on peut imposer dans le Tiers-Monde.
De plus, malgré les réformes effectuées et les progrès dans la production industrielle à l’Ouest, le capital fait partout le maximum de profit aux dépens de la vie humaine. Presque en même temps, avait lieu l’attaque terroriste contre la foule assistant au marathon de Boston et l’explosion d’une usine d’engrais à West, près de Wako au Texas, qui causa quatorze morts, deux cents blessés et souffla deux pâtés de maisons. Sur le moment, cela passa pour un accident. Plus récemment, un auxiliaire médical présent sur la scène fut accusé d’avoir provoqué l’explosion. Mais quelle que soit la vérité, l’explosion de West révèle la profonde irresponsabilité de la production capitaliste, dans la mesure où l’usine contenant des matériaux hautement volatiles était située près d’un établissement de soins, une école et un certain nombre d’immeubles résidentiels. Cela fait penser à l’explosion de l’usine chimique d’engrais de Toulouse, en France, au début des années 2000, où vingt-huit ouvriers furent tués plus un enfant. Dix mille cinq cents personnes furent blessées, un quart d’entre elles gravement. Finalement, le directeur de l’usine a été exonéré de toute responsabilité lors du procès qui a suivi. Nous pourrions également parler de l’installation de la centrale nucléaire de Fukushima dans un lieu hautement vulnérable aux séismes et aux tsunamis, qui est également situé tout près d’une zone résidentielle.
Dégoûté par les dernières nouvelles du Bangladesh, un sympathisant de notre organisation a envoyé ces observations sur notre forum de discussion1. Nous pouvons seulement dire que cette colère est amplement justifiée : "La situation au Bangladesh est en train d’atteindre des proportions grotesques, avec des désastres horribles –le meurtre industriel– qui surviennent avec une régularité écœurante. Pourquoi chacun s’embête–t-il encore à aller au travail au Bangladesh, à la fin ? Dieu sait qu’ils sont à peine payés, de plus ! Alors, pourquoi y aller ? La réponse, bien sûr, est que, sous le capitalisme, nous avons tous besoin même de la plus infime somme d’argent que la bourgeoisie peut nous donner –le salaire : ‘un salaire, juste pour un jour de travail’ ou quelque ordure de ce genre – contente-toi de survivre au jour le jour. Nous subsistons avec des salaires de misère pris aux capitalistes dans des circonstances qui mettent souvent nos vies en péril. Et les risques ne sont pas seulement physiques (incendies et effondrement d’immeubles ou environnements pollués par du poison), ils peuvent aussi être psychologiques, générant des détresses consternantes et du chagrin. Oh ! Comme nous devrions être reconnaissants à la bourgeoisie ; sa générosité et son humanité ; son engagement infini pour la planète et le règne de la paix à travers le monde ! Où serions-nous sans elle ? Comment pourrions-nous nous débrouiller sans elle, valorisant son mode de vie rapace sur notre existence, afin de lui permettre de réaliser son profit ? Et combattre dans ses guerres violentes ! Si l’on ne se fait pas écraser dans l’effondrement d‘une usine, ou carboniser à l’intérieur d’une usine fermée à clé, on a toujours la possibilité d’une mort lente dans un tsunami radioactif, un anéantissement soudain par des bombardements venus de loin de missiles ou de drones, ou une élimination pénible et angoissante par les armes chimiques, ou une disparition instantanée à cause d’un tireur d’élite d’un camp ou d’un autre des groupes perpétuellement en conflit : officiel ou autre. La bourgeoisie n’a pas seulement inventé le ‘monstre industriel’, elle a également transformé le meurtre de masse en industrie. C’est la seule chose qu’elle sache faire bien maintenant."
Amos (11 mai)
1 Nous profitons de cette occasion pour encourager tous nos lecteurs à venir débattre sur nos forums en français, anglais et espagnol.
Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article écrit par notre section au Venezuela suite au décès d’Hugo Chavez. La version intégrale est disponible sur notre site en langue espagnole.
Il n’y a pas que les hiérarques de l’Etat vénézuélien qui pleurent la mort de Chavez, mais aussi de nombreux gouvernants d’Amérique latine et du monde. Certains d’entre eux sont même venus "faire leurs adieux" au leader de la "révolution bolivarienne". Beaucoup sont venus à cause de leurs engagements politiques et commerciaux (c’est le cas des pays membres de l’ALBA1 et des pays bénéficiaires d’accords pétroliers avec le Venezuela), mais tous ont entonné à l’unisson un concert de lamentations sur la disparition de ce chef d’État. Au nom de "la lutte contre la pauvreté" et "la justice sociale", Chavez a réussi à imposer un projet de gouvernement qui, pendant 14 ans, a permis à une large partie de la bourgeoisie d’attaquer les conditions de vie et la conscience du prolétariat (…).
Le prolétariat doit s’appuyer sur son expérience historique pour rejeter et démasquer ce déluge de sentimentalisme et d’hypocrisie de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoise. Chavez est un mythe créé par le capitalisme, alimenté et renforcé par la bourgeoisie nationale comme mondiale, à l’aide de la mystification du "socialisme du XXIe siècle". La bourgeoisie mondiale, surtout ses tendances de gauche, a besoin de maintenir vivant ce mythe. Et le prolétariat, de son côté, a besoin de développer ses propres armes pour combattre l’idéologie du chavisme et ainsi montrer aux couches sociales les plus appauvries le véritable chemin vers le socialisme.
L’émergence de Chavez dans l’arène politique date de sa tentative de coup d’État à la tête d’un groupe de militaires contre le social-démocrate Carlos Andrés Pérez en 1992. Depuis, sa popularité n’a jamais cessé de grandir de manière vertigineuse jusqu’à son arrivée à la présidence de la république au début de l’année 1999. Durant cette période, il a réussi à engranger les fruits du mécontentement et de la méfiance de larges secteurs de la population vis-à-vis des partis social-démocrate (gauche) et social-chrétien (droite) qui faisaient l’alternance au pouvoir depuis la chute de la dictature militaire en 1958, surtout auprès des masses les plus paupérisées du Venezuela touchées par la crise économique des années 1980 et qui furent les protagonistes des révoltes de 1989. Ces deux partis étaient entrés dans un processus de décomposition caractérisé par une corruption généralisée et l’abandon des tâches de gouvernement, ce qui n’était que l’expression de la décomposition qui embrassait l’ensemble de la société, surtout au sein des classes dominantes, au point que celles-ci ont été incapables de donner un minimum de cohésion à leurs forces pour garantir la paix sociale.
Chavez, grâce à son charisme et à son ascendant auprès des masses les plus paupérisées, qui ont vu en lui l’avènement enfin possible d’un État protecteur, reçut le soutien de plusieurs secteurs du capital national, notamment des forces armées, ainsi que des partis de gauche et des gauchistes des années 1960 et 1970, lesquels ont ressuscité leur vieux programme politique basé sur les luttes de "libération nationale" remis au goût du jour : toujours contre "l’impérialisme yankee" et pour le surgissement d’une authentique bourgeoisie nationaliste et bolivarienne, favorable à la création de la "grande patrie sud-américaine" et appuyant ses objectifs sur les revenus très juteux des exportations pétrolières (…). Donc, dès le départ, le projet chaviste fut conçu comme un projet bourgeois de gauche, capitaliste d’État et nationaliste, basé sur une union entre les civils et les militaires, et prenant comme référence les régimes les plus despotiques d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient, beaucoup d’entre eux étant d’anciens alliés du bloc impérialiste russe disparu.
Tout au long de ses 14 ans de gouvernement, Chavez a permis à son projet de gouvernement de prendre corps. Celui-ci sera plus tard nommé "socialisme du XXIe siècle" et se nourrira de l’exclusion et de la confrontation avec les secteurs du capital national au pouvoir jusqu’en 1998 et des secteurs du capital privé opposés à Chavez, ainsi que d’une géopolitique régionale et mondiale agressive renforcée par un anti-américanisme radical.
Son grand "secret", célébré par une partie importante de la bourgeoisie mondiale, consiste en ce qu’il a su renouveler les illusions et les espoirs de la grande masse de pauvres laissés pour compte au Venezuela, en les sortant de "l’invisibilité", en leur faisant croire qu’un jour ils pourraient sortir de leur situation de misère, alors que ce que le chavisme a fait en réalité, c’est appauvrir l’ensemble de la population, les travailleurs surtout, en appliquant la formule maitresse de la gauche du capital : le "nivellement par le bas". Et c’est ainsi que le chavisme a réussi à contenir le malaise social de cette masse de pauvres que le capitalisme décadent a accumulé tout le long du XXe siècle, une masse qui n’a cessé d’augmenter parce qu’il est impossible pour le capital de l’intégrer au travail productif. Mais il a également atteint un autre objectif qui fait l’envie des autres bourgeoisies : il peut compter sur une masse électorale qui a permis aux nouvelles élites civiles et militaires de la classe dominante de se maintenir au pouvoir par les voies démocratiques. Ce n’est pas un hasard si les forces chavistes, pendant ces 14 années au pouvoir, ont emporté 13 des 15 élections nationales qu’elles ont organisées.
Le surgissement du chavisme ne doit pas être envisagé uniquement comme le résultat de l’échec des gouvernements qui l’ont précédé, encore moins comme le résultat du seul charisme de Chavez, tel que la bourgeoisie voit les choses, c'est-à-dire les grands personnages comme seul moteur de l’histoire. Le chavisme est l’expression de la décomposition du système capitaliste dans son ensemble. L’effondrement du bloc russe à la fin des années 1980 fut le signal le plus visible de l’entrée du capitalisme dans la nouvelle phase de sa décadence, celle de sa décomposition2. Cet événement, qui bouleversa le système des blocs impérialistes existant jusqu’alors, a eu deux conséquences principales : l’affaiblissement progressif de l’impérialiste américain au niveau mondial et une attaque en règle contre la conscience de classe du prolétariat, avec un battage incessant identifiant l’effondrement du bloc stalinien avec la "mort du communisme". Les secteurs du capital, pour pouvoir survivre dans leur tâche d’embrigadement de la classe ouvrière, devaient fabriquer de "nouvelles" idéologies ; et c’est ainsi que, au cours des années 1990, surgit la "troisième voie" avec des mouvements de gauche et gauchistes dans les pays de la périphérie mais, aussi d’Europe. C’est dans ce bouillon de culture, produit de la décomposition du système capitaliste, que Chavez émerge et consolide son projet, en compagnie d’autres leaders et d’autres mouvements sociaux de gauche dans plusieurs pays d’Amérique latine : Lula avec le soutien du PT, du MST et des Forums Sociaux au Brésil ; Evo Morales en Bolivie avec le mouvement indigéniste ; ou le zapatisme au Mexique et son soutien au mouvement indigène et paysan, etc. (…).
Le régime chaviste n’a pas pu stopper l’avancée imparable de la décomposition sociale au Venezuela ; c’est plutôt le contraire : il en a été un facteur d’accélération tant sur le plan intérieur que régional. En chassant les hauts bureaucrates des entreprises et des institutions de l’Etat, le chavisme les a remplacé par de nouveaux bureaucrates civils et militaires qui sont parvenus à amasser de grandes fortunes et des propriétés à l’intérieur et à l’extérieur du pays au moyen d’une corruption dépassant largement celle des gouvernements précédents. Le chavisme a ainsi su acheter la fidélité à son projet "révolutionnaire" en distribuant sans compter les revenus du pétrole (…)
L’hégémonie des fractions chavistes de la bourgeoisie au pouvoir est basée sur un renforcement de l’Etat sur tous les plans et un affrontement permanent avec des secteurs du capital national opposés au régime, surtout contre quelques représentants du capital privé, soumis à des expropriations et des contrôles ; c’est la manière avec laquelle ce régime justifie devant ses supporters qu’il lutte contre "la bourgeoisie", alors que beaucoup de chavistes sont devenus de dignes représentants du capital privé. C’est ainsi que l’affrontement politique entre les fractions du capital national a été le trait dominant du régime chaviste ; une lutte où chaque fraction du capital tire de son côté et essaye d’imposer ses intérêts particuliers, y entraînant l’ensemble de la société et en ayant des répercussions sur tous les plans de la vie sociale.
Sur le plan économique, la crise générale du système a mis à nu le caractère insoutenable des prétentions du chavisme à élever le Venezuela au rang de puissance économique régionale, ce qui se concrétise, entre autres choses, par l’abandon de l’infrastructure industrielle du pays (qui affecte même "la poule aux œufs d’or", l’industrie pétrolière), les infrastructures routières et le service de l’électrification (pourtant l’un des meilleurs d’Amérique latine il n’y a pas plus de deux décennies) qui sont fortement délabrés. Au niveau des télécommunications, le Venezuela souffre d’un retard considérable par rapport aux autres pays de la région.
Mais c’est au niveau social que se produit le pire des drames : la détérioration des services de santé et de l’éducation (que le chavisme vend comme l’une des plus grandes réussites de "la révolution") est plus forte qu’il y a une décennie ; et la sécurité publique a été pratiquement abandonnée (mais ce n’est, en revanche, pas le cas quand il s’agit de réprimer les manifestations des travailleurs et de la population) : en 14 années de gouvernement "socialiste", plus de 150 000 personnes ont été assassinées, ce qui a placé le Venezuela (et surtout sa capitale, Caracas) au rang des pays où la criminalité est la plus élevée au monde, dépassant les chiffres du Mexique et de la Colombie3.
Lors du décès du grand leader de la "révolution bolivarienne", le pays berceau du "socialisme du XXIe siècle" se retrouve enfoncé dans une crise économique grave. En 2012, les indicateurs économiques ont battu tous les records et mettent en évidence que l’économie est aussi malade que l’était son ancien président : déficit fiscal élevé (autour de 18% du PIB, le plus élevé de la région), à cause d’une dépense publique pharamineuse (51% du PIB) ; les importations ont été les plus élevées depuis 16 ans, autour de 56 milliards de dollars, et elles équivalent à 59% des exportations ; il y a eu 22% d’inflation, la plus élevée de la région (…). Et pour aggraver la situation, la Chine, qui a fait d’importants crédits à l’État vénézuélien ces dernières années, refuse d’en octroyer d’autres à une économie qui ressemble à un puits sans fond. Par ailleurs, les doutes sur la santé de l’économie vénézuélienne rendent plus difficile et coûteux le placement des bons d’Etats sur le marché, pour lesquels il faut payer une prime de 13,6%.
Le projet chaviste du "socialisme du XXIe siècle" est un énième échec de la bourgeoisie, une version du capitalisme d’État au XXIe siècle qui enfonce les travailleurs et la société dans la pauvreté alors que la classe bourgeoise, et surtout la nouvelle élite chaviste, s’enrichit. Voilà un exemple qui montre que la droite, la gauche et les gauchistes n’ont aucune solution contre la misère et la barbarie auxquelles le capitalisme nous soumet.
Depuis la mort de Chavez, tant les chefs d’État que les hauts représentants d’institutions comme l’ONU, l’OEA ou la Banque Mondiale (BM) ont insisté sur sa politique en faveur des plus pauvres qui, d’après ces pontes, aurait permis de réduire la misère au Venezuela. Les représentants des partis de gauche, des groupes gauchistes ou des mouvements sociaux se sont également fait l’écho des statistiques manipulées par le pouvoir, prenant le relais d’une propagande orchestrée par le chavisme pour montrer au monde que celui-ci aurait réduit la pauvreté en "redistribuant les richesses", en mettant les ressources de l’État au profit des plans d’alimentation, de santé, d’éducation, etc., pour les secteurs qui en ont le plus besoin.
D’après les chiffres de l’INE, l’organisme chargé des statistiques au Venezuela, ces chiffres montreraient les "réussites de la révolution" de Chavez : les foyers pauvres seraient passés de 49% de la population à 27,4% entre 1998 et 2011 (quelque 4 millions), rejoignant les 37 millions de personnes qui, d’après la BM, auraient cessé d’être pauvres dans la dernière décennie en Amérique latine. La bourgeoisie mondiale a visiblement besoin de mettre en avant des pays qui, sous le régime capitaliste, seraient en voie de "d’éradiquer la pauvreté" et proches de tenir les échéances des "Objectifs du millénaire" que l’ONU avait mis en avant.
La réalité est bien différente car le régime de Chavez n’a fait que massifier la pauvreté, en maintenant les pauvres dans leur misère, en réduisant le niveau de vie des travailleurs sous contrat et des secteurs les plus pauvres des couches moyennes (…)
Le régime se vante d’avoir créé des emplois (autour d’un million dans le secteur public), en opposant cette affirmation au fait (vrai, par ailleurs) qu’en Europe et aux Etats-Unis, c’est le chômage qui augmente. Il est vrai que l’emploi a augmenté au Venezuela de même que dans plusieurs pays de la région, mais il s’agit d’emplois précaires, sans contrat, à durée ni déterminée ni indéterminée, violant même les lois du travail, sans le moindre salaire social de base (santé, aide à l’éducation des travailleurs eux-mêmes et de leurs enfants, etc.) (…). Grâce à cette nouvelle machine de guerre sociale, le chavisme a opéré une véritable saignée parmi les travailleurs des secteurs productifs, en écrasant les salaires autour du salaire minimum (300 $-US au taux de change officiel et 100 $, au marché noir) (…).
Chavez avait su "rafraîchir" la mystification démocratique en appliquant la formule de la "démocratie participative". Il a noyauté et mis sous contrôle de l’État les couches les plus pauvres de la population et les mouvements sociaux, à travers des organisations comme les Cercles Bolivariens et, plus récemment, les Conseils communaux, le tout agrémenté de nouveaux plans d’assistance clientélistes appelés "Missions". C’est ainsi que le chavisme a réussi à concrétiser la formule maitresse de l’égalitarisme promue par la gauche, celle du "nivellement par le bas", autrement dit, élargir la paupérisation à l’ensemble de la population, surtout au sein de la classe ouvrière. Le régime de Chavez a réussi à renforcer la puissance de l’État contre la société, ce qui est dans la droite ligne de la vision défendue par la gauche selon laquelle "socialisme" veut dire plus d’État.
De cette manière, l’État ne s’est pas seulement renforcé sur le plan économique en expropriant les secteurs du capital privé opposés au régime, il a aussi renforcé un totalitarisme étatique omniprésent à tous les niveaux de la société. Avec Chavez, la société s’est militarisée et le caractère policier de l’État s’est approfondi pour contrôler et réprimer la population, surtout les travailleurs.
Au niveau interne et externe, le chavisme, à l’instar de ce que font la bourgeoisie cubaine et d’autres bourgeoisies de la région, utilisent "l’impérialisme américain" pour expliquer tous les maux et, surtout pour justifier leur propre politique impérialiste.
Historiquement la bourgeoisie vénézuélienne n’a jamais caché sa volonté de devenir une grande puissance régionale, une orientation que le chavisme a exacerbée grâce au déclin de la puissance américaine dans le monde, notamment dans leur arrière-cour latino-américaine. Grâce à la formule constamment rabâchée de "la menace impérialiste", le régime chaviste justifie l’augmentation des achats d’armement, au point que, selon le Rapport de 2012 du Stockholm International Peace Research Institute sur les ventes d’armes, le Venezuela est devenu le premier importateur d’armes conventionnelles d’Amérique du Sud et le treizième du monde, en augmentant de plus de 500 % l’achat d’armement entre 2002 et 2006, la Russie étant l’un de ses principaux fournisseurs. C’est ainsi que le gouvernement vénézuélien, qui n’arrête pas de parler de paix et d’union régionale, se joint à la course aux armements à laquelle participent les bourgeoisies de la région, en contribuant avec ardeur à la déstabilisation de celles-ci (…).
Le régime chaviste mène une géopolitique plus agressive que les gouvernements qui l’ont précédé. Avec l’objectif de construire "la grande patrie de Bolivar", et en utilisant les ressources pétrolières comme arme de pénétration, il a réussi à devenir un facteur de déstabilisation à cause de la concurrence plus ou moins feutrée avec d’autres aspirants régionaux, surtout le Brésil et la Colombie. Ce régime a créé un ensemble avec Cuba, l’ALBA, qui regroupe les pays acheteurs de la franchise "socialisme du XXIe siècle", ainsi que "PétroCaraïbe"4, pour pénétrer la région des Caraïbes, et d’autres accords avec les pays du Mercosur, l’Argentine notamment. Ces pays ont droit à des avantages sur leurs importations pétrolières et à des "aides" diverses de l’État vénézuélien. C’est ainsi que le chavisme achète des « loyautés » au niveau régional, en investissant une bonne partie de la rente pétrolière et en dégradant les conditions de vie du prolétariat vénézuélien.
Après une décennie de campagne orchestrée par la bourgeoisie mondiale autour de la "mort du communisme" à la suite de l’effondrement du bloc stalinien en 1989, avec pour objectif d’affaiblir la conscience et la lutte du prolétariat pour une nouvelle société, le chavisme est venu renforcer ladite campagne, en banalisant et en dénaturant le socialisme, en lui arrachant sa réelle essence prolétarienne. Les secteurs bourgeois et petits-bourgeois opposants apportent aussi leur contribution à cette campagne, en qualifiant le régime de "communiste" ou de "castro-communiste". Ceci est l’un des apports le plus importants de la bourgeoisie chaviste, son obole à l’ensemble de la bourgeoisie, puisque cet amalgame est une attaque en règle contre la conscience de classe du prolétariat, non seulement au Venezuela, mais aussi au niveau régional et mondial.5
Prétendre qu’une "révolution" est en marche, que le socialisme serait en train de s’installer dans un pays grâce à une poignée de militaires et de gauchistes aventuriers qui ont pris le contrôle et renforcé l’État capitaliste, où le sujet révolutionnaire serait le "peuple", où la pauvreté serait prétendument dépassée avec des plans d’assistance, et où l’on serait contre le capitalisme et l’impérialisme parce qu’on lance des diatribes contre les Etats-Unis, c’est prétendre répéter au XXIe siècle la tragédie de ce qui a été au siècle passé la soi-disant "révolution cubaine" contre le développement de la conscience de classe du prolétariat cubain, de celui de l’Amérique latine et du monde entier (…).
La prétendue "révolution bolivarienne" n’a rien à voir avec le socialisme. Il s’agit d’un mouvement chauvin et nationaliste, alors que, comme on le sait, le Manifeste Communiste, premier programme politique du prolétariat, met en avant depuis 1848 le mot d’ordre : "Les prolétaires n’ont pas de patrie ni d’intérêts nationaux à défendre". La "révolution" chaviste est un mouvement aux références hors du temps, parce qu’il prétend nous faire remonter à l’indigénisme précolombien et à la tradition bolivarienne, une idéologie en lien avec la bourgeoisie révolutionnaire de son temps (début du XIXe siècle) en lutte contre la domination espagnole au profit de l’oligarchie créole, une pensée aujourd’hui totalement réactionnaire. Le chavisme est un projet bourgeois qui ne part pas du tout d’un mouvement de luttes du prolétariat, mais des secteurs de la petite bourgeoisie gauchiste civile et militaire, aigrie parce qu’exclue du pouvoir à la suite du renversement de la dictature en 19586. Il s’appuie sur les masses paupérisées et sur les secteurs les plus faibles du prolétariat, que la bourgeoisie vénézuélienne a habitués pendant des décennies à l’assistance et au clientélisme politique, parce que ces secteurs sont plus vulnérables et plus enclins à se laisser berner par la moindre miette que l’État distribue. C’est dans ce but que ce régime organise les Cercles Bolivariens ou Conseils Communaux et mobilise pour précariser les conditions de vie de la classe ouvrière active (qu’il qualifie d’aristocratie ouvrière) allant même jusqu’à l’affronter avec ses bandes armées. Dans ce sens, le projet chaviste s’inscrit dans l’ensemble des "mouvements sociaux" promus par la gauche et le gauchisme dont l’objectif consiste en ce que les masses paupérisées s’habituent à vivre dans la misère et la précarité et que leurs luttes ne rejoignent pas celles du prolétariat, de la classe sociale qui produit de manière associée, qui utilise la grève comme mécanisme de confrontation contre le capital et qui peut prendre conscience de la force sociale qu’elle représente et lutter pour dépasser la misère à laquelle le capitalisme la soumet (…).
La mort de Chavez ne signifie pas mort du chavisme. Chavez n’a pas été ni ne sera pas le dernier dirigeant populiste d’un pays latino-américain : le XXe siècle a accouché de plusieurs chefs d’État avec des profils plus ou moins semblables qu’on considérait comme une espèce en voie d’extinction. La bourgeoisie a besoin de ses Chavez pour contrôler et essayer de leurrer les masses les plus pauvres qui, en partie, appartiennent aux secteurs les plus faibles et les plus atomisés du prolétariat, des secteurs qui, inévitablement, continueront à s’accroitre tant que le système capitaliste, qui ne fait que s’enfoncer dans sa décadence et sa décomposition, perdurera.
Cette situation dramatique met le prolétariat au défi historique de développer ses luttes et de devenir la référence pour ces masses miséreuses qui mettent aujourd’hui leurs espoirs dans l’État et dans ce genre de messies que, tel Chavez, le capitalisme crée. Le prolétariat au Venezuela lutte, malgré le harcèlement idéologique et répressif de l’État, malgré la polarisation politique excitée par les factions du capital. Des travailleurs du secteur industriel et du secteur public, utilisent l’arme de la grève et de la manifestation pour affronter l’État ; même si certains ont des sympathies vis-à-vis du chavisme, ils montrent, par contre, une méfiance vis-à-vis de l’État-patron. Les attaques permanentes de l’État "socialiste" les poussent à résister ; ils n’ont pas d’autre chemin7 (…).
Face à l’idéologie gauchiste du chavisme, face aux idéologies que la bourgeoisie génère et continuera à générer pour la sauvegarde de son système, le prolétariat au Venezuela et au niveau mondial a besoin de développer sa lutte contre le capital en allant plus loin que ses revendications immédiates, en développant sa conscience politique, en s’organisant en tant que classe autonome. La classe ouvrière ne connaît pas de frontières dans sa lutte, et doit prendre conscience que ce n’est qu’en luttant de façon autonome contre toutes les idéologies démoralisantes, dans tous les pays, mais avec des formes différentes, et en luttant sur le terrain de la défense de ses propres intérêts, pas ceux d’un Etat, quel qu’il soit, qu’elle pourra imposer la construction d’une autre société ouverte à la libération de toute l’humanité : celle du communisme (…).
Internacionalismo (24/03/13)
1 Alternative Bolivarienne pour les Amériques dont font partie l’Equateur, le Nicaragua, la Bolivie, Cuba et quelques autres pays (NdT).
2 Cf. "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [190]" (NdT).
3 Voir l’article en espagnol : Incremento de la violencia delictiva en Venezuela: Expresión du drama de la descomposición du capitalismo [344], (juin 2012).
4 PétroCaraïbe est un accord entre le Venezuela est plusieurs pays des Caraïbes permettant à ces derniers d’acheter du pétrole vénézuélien à des prix préférentiels (NdT).
5 On peut constater comment cette mystification idéologique s’est transposée en France avec, d’un côté, Mélenchon et son Parti de Gauche qui sont devenus les défenseurs inconditionnels du chavisme. Et, de l’autre côté, le reste de la bourgeoisie, en particulier les journalistes qui font la fine bouche et se pincent le nez devant un régime "socialiste" "si peu démocrate" tout en "faisant justice" au chavisme pour avoir prétendument "réduit la pauvreté" [NdT].
6 Il s’agit de la dictature droitière et pro-américaine du général Pérez Jiménez. Après sa chute et jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Chavez en 1999, il y a eu une succession de gouvernements tantôt à droite (démocratie chrétienne) tantôt à gauche (social-démocratie) mais aussi corrompus les uns que les autres. Pendant ces années, le Venezuela a connu des mouvements et des guérillas pro-castristes [NdT].
7 Voir les articles : Guayana est une poudrière : le prolétariat à la recherche de son identité de classe à travers la lutte (mars 2010), (https://fr.internationalism.org/icconline/2010/guayana_est_une_poudriere_le_proletariat_a_la_recherche_de_son_identite_de_classe_a_travers_la_lutte.html [261]) et Les ouvriers de Guayana (Venezuela) luttent contre le chavisme. (juillet 2011), (https://fr.internationalism.org/icconline/2011/les_ouvriers_de_guayana_luttent_contre_le_chavisme.html [345])
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de Revolução Internacional, organe de presse du CCI au Brésil.
Une vague de protestations contre l’augmentation du prix des transports collectifs se déroule actuellement dans les grandes villes du Brésil, particulièrement dans la ville de São Paulo mais aussi à Rio de Janeiro, Porto Alegre, Goiânia, Aracaju et Natal. Cette mobilisation rassemble des jeunes, étudiants et lycéens et dans une moindre mesure, cependant non négligeable, des travailleurs salariés et autonomes (prestataires de services individuels).
La bourgeoisie brésilienne, avec à sa tête le PT (Parti du Travail) et ses alliés, a insisté pour réaffirmer que tout allait bien. Et cela alors que la réalité perceptible montre qu’il existe de grosses difficultés pour contenir l’inflation au moment où sont adoptées des mesures de soutien à la consommation des ménages afin d’éviter que l’économie n’entre en récession. Sans aucune marge de manœuvre, la seule alternative sur laquelle elle peut s’appuyer pour contenir l’inflation consiste d’une part à augmenter les taux d’intérêt et de l’autre à réduire les dépenses des services publics (éducation, santé et aide sociale).
Ces dernières années, beaucoup de grèves ont éclaté contre la baisse des salaires et la précarisation des conditions de travail, de l’éducation et du système de soins. Cependant, dans la majorité des cas, les grèves ont été isolées par le cordon sanitaire des syndicats liés au gouvernement "pétiste" (dominé par le PT) et le mécontentement a été contenu afin qu’il ne remette pas en question la "paix sociale" au bénéfice de l’économie nationale. C’est dans ce contexte qu’intervient l’augmentation du prix des transports à São Paulo et dans le reste du Brésil : toujours plus de sacrifices pour les travailleurs afin de soutenir l’économie nationale, c’est-à-dire le capital national.
Sans aucun doute, les exemples de mouvements qui ont explosé de par le monde ces dernières années, avec la participation de la jeunesse, mettent en évidence que le capitalisme n’a pas d’autre alternative à offrir pour le futur de l’humanité que l’inhumanité. C’est pour cela que la récente mobilisation en Turquie a eu un écho aussi fort dans les protestations contre le coût des transports au Brésil. La jeunesse brésilienne a montré qu’elle ne veut pas accepter la logique des sacrifices imposée par la bourgeoisie et s’inscrit dans les luttes qui ont secoué le monde ces dernières années comme la lutte des enfants de la classe ouvrière en France (lutte contre le CPE en 2006), de la jeunesse et des travailleurs en Grèce, Egypte et Afrique du Nord, des Indignés en Espagne, des "Occupy" aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Encouragées par le succès des manifestations dans les villes de Porto Alegre et de Goiânia, qui ont dû faire face à une forte répression et qui, malgré celle-ci, ont réussi à obtenir la suspension de l’augmentation du prix des transports, les manifestations à São Paulo ont commencé le 6 juin. Elles furent appelées par le Mouvement pour le libre accès aux transports (MPL, Movimento Passe Livre), groupe constitué majoritairement par des jeunes étudiants influencés par les positions de gauche, et aussi anarchistes, qui a vu une augmentation surprenante de ses adhérents pour atteindre entre 2000 à 5000 personnes. D’autres mobilisations intervinrent ensuite les 7, 11 et 13 juin. Dès le début, la répression fut brutale et s’est soldée par de nombreuses arrestations et de nombreux jeunes blessés. Il faut ici souligner le courage et la combativité des manifestants et la sympathie qu’ils ont suscitée rapidement dans la population, dès le début, à un point tel que cela a surpris les organisateurs.
Face aux manifestations, la bourgeoisie a déchaîné un niveau de violence peu commun dans l’histoire de mouvements de ce type, parfaitement pris en charge par les médias qui se sont empressés de qualifier les manifestants de vandales et d’irresponsables. Une personne haut placée dans la hiérarchie étatique, le procureur de justice Rogério Zagallo, s’est illustré publiquement en conseillant à la police de bastonner et tuer : "Cela fait deux heures que j’essaie de regagner mon domicile mais il y a une bande de singes révoltés qui bloquent les stations Faria Lima et Marginal Pinheiros. Quelqu’un pourrait-il informer la Troupe de Choc (Tropa de Choque : unité d’élite de la police militaire) que cette zone fait partie de ma juridiction et que s’ils tuent, ces fils de putes, c’est moi qui instruirai l’enquête policière (…). Comment ne pas avoir la nostalgie de l’époque où ce genre de choses se résolvait avec une balle en caoutchouc dans le dos de ces merdes".
En plus de cela, on a vu une succession de discours d’hommes politiques appartenant à des partis adversaires entre eux, comme le gouverneur d’État Geraldo Alckmin, du PSDB (parti de la social-démocratie brésilienne) et le maire de São Paulo, du PT, tous deux vociférant en défense de la répression policière et condamnant le mouvement. Une telle syntonie n’est pas commune, vu que le jeu politique de la bourgeoisie consiste typiquement à attribuer la responsabilité des problèmes qui se posent à la fraction de la bourgeoisie qui se trouve momentanément au pouvoir.
En réponse à la répression croissante et au rideau de fumée des principaux journaux, chaînes de télévision et radio, davantage de participants se sont réunis à chaque mobilisation, jusqu’à 20 000 personnes jeudi dernier, le 13 juin. La répression fut encore plus féroce et cela se traduisit par 232 arrestations et de nombreux blessés.
Il vaut la peine de souligner l’apparition d’une nouvelle génération de journalistes. Quoiqu’encore minoritaires, à travers une claire manifestation de solidarité, ils ont rendu compte des violences policières et, en même temps, en ont été les victimes. Conscients des manipulations toujours présentes dans les éditoriaux des grands médias, ces journalistes sont parvenus, d’une certaine manière, à faire percevoir que les actes de violence des jeunes sont une réaction d’autodéfense et que, certaines fois, les déprédations effectuées essentiellement contre des cabinets gouvernementaux et de la justice sont des manifestations non contenues d’indignation contre l’État. En plus de cela, des actes émanant de provocateurs, ceux que la police utilise habituellement dans les manifestations, ont également été rapportés.
La mise en évidence d’une série de manipulations qui constituait un démenti aux versions de source étatique officielle, des médias et de la police tentant de falsifier les faits, de démoraliser et criminaliser un mouvement légitime, eut pour effet de multiplier la participation des manifestants et d’augmenter le soutien de la population. En ce sens, il est important de souligner la grande contribution qu’a eue l’action sur les réseaux sociaux d’éléments actifs dans le mouvement ou sympathisant avec lui. Par peur que la situation devienne incontrôlable, certains secteurs de la bourgeoisie commencent à changer de discours. Les grandes entreprises de communication, dans leurs journaux et télévisions, après une semaine de silence sur la répression policière ont finalement fait état des "excès" de l’action policière. Certains hommes politiques, de la même manière, ont critiqué les "excès" sur lesquels ils promettent d’enquêter.
La violence de la bourgeoisie à travers son État, quel que soit son visage, démocratique ou "radical", a comme fondement la terreur totalitaire contre les classes qu’elle exploite ou opprime. Si avec l’État démocratique, cette violence n’est pas aussi ouverte que dans les dictatures et est plus cachée, de manière à ce que les exploités acceptent leurs conditions d’exploités et s’identifient à elles, cela ne signifie pas que l’État renonce aux méthodes de répression physique les plus variées et modernes lorsque la situation l’exige. Ce n’est donc pas une surprise si la police déchaîne une telle violence contre le mouvement. Cependant, comme dans l’histoire de l’arroseur arrosé, on a vu que l’accroissement de la répression n’a fait que provoquer une solidarité croissante au Brésil et même dans le monde, encore que de façon très minoritaire. Des mobilisations en solidarité sont déjà prévues en dehors du Brésil, principalement à l’initiative de Brésiliens vivant à l’étranger. Il faut dire clairement que la violence policière est dans la propre nature de l’État et que ce n'est pas un cas isolé ou un "excès" de démonstration de force par la police comme voudraient le faire croire les médias bourgeois et les autorités liées au système. En ce sens, il ne s’agit pas d’un échec des "dirigeants" et cela n’avance à rien de "demander justice" ou encore demander un comportement plus courtois de la police car, pour faire face à la répression et imposer un rapport de force, il n’existe pas d’autre moyen que l’extension du mouvement vers de larges couches de travailleurs. Pour cela, nous ne pouvons pas nous adresser à l’État et lui demander l’aumône. La dénonciation de la répression et de l’augmentation du prix des transports doit être prise en charge par l’ensemble de la classe ouvrière, en l’appelant à venir grossir les actions de protestation dans une lutte commune contre la précarisation et la répression.
Les manifestations, qui sont loin d’être terminées, se sont étendues à tout le Brésil et les protestations ont été présentes au début de la Coupe des Confédérations de football de 2013 qui fut marquée par les huées adressées à la présidente Dilma Rousseff, ainsi qu’au président de la FIFA, Joseph Blatter, avant le match d’ouverture du tournoi entre le Brésil et le Japon1. Tous deux n’ont pu dissimuler à quel point ils furent incommodés par ces marques d’hostilité et ont abrégé leur discours afin de limiter la confusion. Autour du stade s’est aussi déroulée une grande manifestation à laquelle participèrent environ 1200 personnes en solidarité avec le mouvement contre l’augmentation du coût des transports. Elles aussi furent fortement réprimés par la police qui blessa 27 personnes et en mit 16 en détention. Afin de renforcer encore la répression, l’État déclara que toute manifestation à proximité des stades durant la coupe des Confédérations serait interdite, sous le prétexte de ne pas porter préjudice à cet événement, à la circulation des personnes et véhicules, ainsi qu’au fonctionnement des services publics.
Comme on le sait, ce mouvement s’est développé à l’échelle nationale grâce à sa propre dynamique et à la capacité de mobilisation des jeunes étudiants et lycéens contre l’augmentation des prix des transports. Cependant, il est important de prendre en compte qu’il a comme objectif, à moyen et long terme, de négocier l’existence d’un transport public gratuit pour toute la population et mis à disposition par l’État.
Et c’est exactement là que se situe la limite de sa principale revendication, vu qu’un transport universel et gratuit, cela ne peut exister dans la société capitaliste. Pour arriver à cela, la bourgeoisie et son État devraient accentuer plus encore le degré d’exploitation de la classe ouvrière et autres travailleurs, à travers une augmentation des impôts sur les salaires. Ainsi, il faut prendre en compte que la lutte ne doit pas être placée dans la perspective d’une réforme impossible, mais toujours dans celle de faire que l’État révoque ses décrets.
Actuellement, les perspectives du mouvement semblent dépasser les simples revendications contre l’augmentation des tarifs des transports. Déjà des manifestations sont prévues la semaine prochaine dans des dizaines de villes grandes et moyennes.
Le mouvement doit être vigilant vis-à-vis de la gauche du capital, spécialisée dans la récupération des manifestations pour les diriger vers des impasses, comme par exemple demander que les tribunaux de justice résolvent les problèmes et que les manifestants rentrent à la maison.
Pour que ce mouvement se développe, il est nécessaire de créer des lieux pour écouter et discuter collectivement les différents points de vue à propos de la lutte. Et cela n’est possible qu’au moyen d’assemblées générales avec la participation de tous, où est garanti indistinctement le droit de parole à tout manifestant. En plus de cela, il faut appeler les travailleurs salariés, les convier à des assemblées et à des actions de protestation car eux et leurs familles sont concernés par l’augmentation du prix des transports.
Le mouvement de protestation qui s’est développé au Brésil constitue un démenti cinglant à la campagne de la bourgeoisie brésilienne, soutenue en cela par la bourgeoisie mondiale, selon laquelle le Brésil est un "pays émergent" en voie de dépasser la pauvreté et de mettre en route son propre développement. Une telle campagne a été particulièrement promue par Lula qui est mondialement connu pour avoir prétendument tiré de la misère des millions de Brésiliens alors qu’en réalité sa grande réalisation pour le capital est d’avoir réparti des miettes parmi les masses les plus pauvres afin de les maintenir dans l’illusion et accentuer la précarité du prolétariat brésilien en général.
Face à l’aggravation de la crise mondiale et de ses attaques contre les conditions de vie du prolétariat, il n’y a pas d’autre issue que la lutte contre le capitalisme.
Revolução Internacional (Corrente Comunista Internacional), 16 juin
1 Les dépenses somptuaires de l’État et du gouvernement entreprises pour la préparation de la Coupe du Monde de football en 2014 et les JO de 2016 prévus au Brésil alimentent aussi la colère d’une grande partie de la population ainsi davantage pressurée (NdT).
D’un côté, la montée des tensions impérialistes et guerrières qui s’expriment en Syrie et dans une moindre mesure au Sahel. De l’autre, une montée de la colère sociale qui a éclaté quasi-simultanément en Turquie et au Brésil, deux pays pourtant sous des régimes prétendument si différents. L’alternative posée par le capitalisme ne pourrait s’exprimer plus clairement : guerre impérialiste ou lutte de classe, désolation ou solidarité,… barbarie ou socialisme !
En Syrie, par exemple, la guerre et les massacres auxquels sont exposées les populations (plus de 100 000 morts en quinze mois) illustrent toute l’horreur et la barbarie d’un système agonisant. Ils traduisent la situation dramatique où sont plongés des millions de prolétaires, englués dans le déchaînement des affrontements entre cliques bourgeoises entretenues par toutes les grandes puissances. Pris en otage, ils ne peuvent constituer une force suffisante pour pouvoir jouer le moindre rôle particulier et à plus forte raison dégager leur propre perspective. Malheureusement, le corollaire de cette situation est que, comme dans une partie croissante du Moyen-Orient ou d’Afrique, la jeunesse exploitée, se retrouvant massivement enrôlée dans l’un ou l’autre des camps opposés, y est réduite à de la chair à canon.
A l’inverse, en Turquie comme au Brésil, des centaines de milliers de prolétaires, qui souffrent aussi fortement, tentent cette fois de s’organiser et de lutter. Ils sont capables de susciter un immense élan de solidarité et de protestation. En première ligne de ce combat, les jeunes générations se réclament et s’inspirent fortement de l’exemple des mouvements des Indignés en Espagne, tout en faisant face à une même répression féroce : qu’elle vienne d’un gouvernement islamiste rétrograde ou d’un pouvoir détenu par la gauche. Une gauche soi-disant la plus "radicale" et "progressiste", variante du fameux "socialisme du XXIe siècle", en vogue en Amérique latine et qui prétendait faire du Brésil un modèle de pays émergent tirant la majorité de la population de son immense pauvreté. Même si au Brésil, le refus de la hausse des prix des transports publics a servi de détonateur/unificateur du mouvement, celui-ci ne se réduit pas à des revendications strictement économiques. Malgré le recul spectaculaire du gouvernement contraint sous la pression de renoncer à cette attaque, comme le gouvernement français qui cherchait à imposer le CPE (Contrat première embauche) avait déjà dû faire machine arrière devant la mobilisation des jeunes prolétaires en 2006, la reculade n’a pas suffi à endiguer la mobilisation car elle est l’expression d’un ras-le-bol beaucoup plus profond. L’exemple de la Turquie est encore plus édifiant. On y trouve, outre une continuité avec la lutte des ouvriers de Tekel en 2008 qui avait déjà démontré, de manière encore embryonnaire, tout un potentiel de combativité et de solidarité au-delà même des divisions inter-ethniques alimentées par la bourgeoisie, le rejet, notamment parmi les nouvelles générations de prolétaires à l’avant-garde du mouvement, d’un carcan et d’une oppression culturelle et idéologique insupportable. Les valeurs morales obscurantistes et autoritaires incarnées par le gouvernement pro-islamique d’Erdogan, ses attitudes provocatrices entraînant radicalisation et extension du mouvement face à la répression, renforcent la puissante aspiration à la dignité. En dépit du poids de la violence et de la décomposition sociale, plus que vers le Printemps arabe facilement récupéré par les religieux, la protestation des jeunes prolétaires en Turquie, imprégnée ces derniers mois par un contexte de luttes ouvrières importantes dans les grands centres industriels du pays et influencée par son expérience laïc depuis Mustapha Kemal Atatürk, s’inscrit, malgré toutes les faiblesses qu’elle exprime, dans une dynamique profonde et dans la lignée du mouvement des Indignés, des Occupy et de Mai 1968. Elle y puise ses ressources les plus vives, face à un monde de misère, d’oppression idéologique et d’exploitation, tout comme d’ailleurs le mouvement social au Brésil qui s’est également nettement démarquée de la religion d’État et d’union sacrée nationale autour du "Dieu football" (prenant ainsi pour cible les dépenses exorbitantes de l’État pour les préparatifs de la Coupe du Monde). Cette agitation intense, ce grondement frémissant venu des entrailles de la société pourrissante traduit une même aspiration, un même espoir. Il est porté par des jeunes générations combatives, les enfants de prolétaires moins marqués que leurs aînés par le poids des défaites, du stalinisme et de la contre-révolution en général. Ils réagissent et appellent ainsi à des rassemblements massifs ou à des mobilisations à partir de portables et des réseaux sociaux, comme Twitter. Depuis les tréfonds des favelas au nord de Rio aux gigantesques manifestations dans toutes les grandes villes brésiliennes, jusqu’à la place Taksim et aux assemblées ouvertes au débat public dans les parcs d’Istanbul ou chez les étudiants chiliens, ils aspirent à un autre type de rapports sociaux, où ils ne seraient plus méprisés ni traités comme des bêtes de somme.
Ces mouvements expriment l’annonce d’une nouvelle période pour le futur, celle d’un ébranlement en profondeur, qui résonne comme un moyen et une promesse d’échapper à la résignation et à la logique de concurrence propre au capitalisme. Exactement sur le même terrain que dans les pays du cœur historique du capitalisme où, si la même dégradation des conditions d’existence est présente aussi, la classe ouvrière ne parvient pas encore à prendre le chemin de luttes massives, en grande partie parce qu’elle trouve face à elle une bourgeoisie très expérimentée et organisée. Mais c’est d’ores et déjà vers cette classe ouvrière des pays centraux, en particulier d’Europe, que se portent les regards des mobilisations actuelles, car elle est la partie du prolétariat mondial la plus concentrée, la plus expérimentée et la plus rompue aux pièges et mystifications les plus sophistiqués tendus en permanence par l’ennemi, tel que la démocratie ou la liberté syndical. Les méthodes de lutte qu’elle est donc potentiellement capable d’établir, comme les assemblées générales massives et autonomes, sont de véritables armes pour l'ensemble du prolétariat international. De sa mise en mouvement dépendra ainsi l’avenir de l’humanité entière.
Wim (26 juin)
Nous publions ci-dessous un appel lancé par la librairie Hongroise Gondolkodó Autonom Antikvárium afin de les soutenir et de diffuser leur message.
Le CCI connaît et apprécie la librairie depuis plus de quinze ans. Notre presse est disponible à cette adresse ainsi que de nombreuses autres publications internationalistes de différents pays. Nous avons également pris part à différentes discussions organisées à Budapest par la librairie[1] [348].En fait, il s'agit de l’une des rares librairies à défendre un point de vue prolétarien (et non de la gauche bourgeoise) dans la région du Centre-Est Européen, même si nous ne savons pas si c’est la seule qui ait fonctionné sans interruption depuis plusieurs années comme les camarades l’écrivent dans leur appel.
Une librairie peut être un lieu où l’on diffuse les positions révolutionnaires et, encore plus important, un lieu de discussions sur ces positions dans la recherche d’une clarification et d’une cohérence théoriques. Les camarades de la Librairie Autonome Gondolkodó et le CCI sont d’accord sur la question de la nécessité de venir à bout du mode de production capitaliste et des états nationaux, même si nous avons des divergences concernant d’autres problèmes, notamment sur le rôle des révolutionnaires et les questions d’organisation. Cependant, ces divergences ne nous empêchent pas de diffuser cet appel à la solidarité et sont une stimulation pour les débats futurs à Budapest ou ailleurs, par Internet ou dans des réunions publiques.
CCI
La Librairie Autonome Gondolkodó est le seul endroit où l’on distribue la presse du mouvement ouvrier, le seul lieu de rencontre dans la région du Centre-Est Européen (à savoir en Hongrie) qui fonctionne de manière continue depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, cet endroit doit être réhabilité car les murs sont humides et poreux, le plâtre tombe, les rayonnages des livres sont bancals, les canalisations sanitaires souvent bouchées. L’état de la librairie s’est dégradé petit-à-petit et la distribution des publications est devenue plus difficile dans ces conditions.
Parce que nous ne pouvons pas payer le coût de la rénovation générale, nous lançons un appel à votre aide financière, afin que cette rénovation puisse se faire pendant l’été. S’il vous plaît, soutenez notre projet selon vos possibilités (si vous pouvez envoyer dix euros, c’est déjà bien, mais si vous avez plus d’argent, vous pouvez envoyer une plus grosse somme).
Camarades, militants et sympathisants, s’il vous plaît, diffusez cet appel à la solidarité et soutenez-nous !
Merci pour votre aide au nom de la solidarité prolétarienne internationale !
GONDOLKODÓ AUTONOMOUS BOOKSHOP (17 septembre 2013)
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[1] [349] Voir par exemple notre compte-rendu de la réunion publique qui s’est tenue en 2010 à Budapest sur le thème de la situation économique mondiale et les perspectives pour la lutte de classes.
"La non-violence comme mode de résolution des crises internationales représente une valeur constitutive de l’écologie politique". Voilà ce que le projet politique d'Europe-Ecologie-Les-Verts (EELV) disait en 2012.
Le mouvement écologiste, toutes chapelles et appellations confondues, s’est en effet toujours rangé dans le camp du "pacifisme", une doctrine aussi vieille que la guerre et qui depuis deux siècles a pris une ampleur à la hauteur du déchaînement guerrier que le capitalisme a offert à l’humanité.
Pour le pacifisme, la résolution des conflits et oppositions ne peut se faire par la guerre. Tout, soi-disant, doit être fait pour que cette issue fatale ne soit pas mise en œuvre. Un retour même superficiel sur l'histoire contemporaine permet de constater la grande efficacité de cette ligne de conduite…
Dans une vision plus radicale, c’est la violence même, sous toutes ses formes, qui doit être exclue des rapports humains et sociaux. C’est dans cette acception que se rangent manifestement les écologistes français en faisant de la non-violence un pilier de leur doctrine politique.
Dès lors, on est en droit de se demander comment ils pensent pouvoir mener une action militaire non-violente en Syrie ou au Mali. C’est sans doute que la non-violence est à géométrie variable selon que les intérêts du pays sont en jeu ou pas !
Après avoir soutenu l’intervention française au Mali, les écologistes vont maintenant plus loin en se plaçant à l’initiative de pressions sur le gouvernement pour une intervention (non-violente, forcément) face à Bachar El-Assad. Fin août, David Durand, secrétaire national du parti Vert français déclarait dans un communiqué de presse : "pour EELV, une intervention, y compris militaire, nonobstant l’utilisation de la Russie et de la Chine de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU, est à ce stade inéluctable". Fin août toujours, Daniel Cohn-Bendit fulmine à la radio sur un possible veto au conseil de sécurité de l’ONU : "Il faut abolir le droit de veto et donc je demande une initiative de l’Europe donc de la France".
Peut-être que leur sensibilité écologiste leur fera mettre une fleur à leur fusil, mais quoiqu’il en soit, les Verts sont bien décidés à prendre les armes. Pourquoi un tel "revirement" ? Pourquoi une telle "trahison" de leur "non-violence" viscérale ?
La réponse tient dans la nature même du pacifisme. Avant chaque conflit impérialiste, le discours pacifiste sort de son hibernation, avec toujours le même résultat : anesthésier les esprits ! Le pacifisme n’est pas une forme de résistance à la guerre, il en est au contraire le préparateur.
La bourgeoisie ne peut pas faire la guerre sans enrôler le prolétariat sous ses uniformes. Même si la guerre est de plus en plus technologique et robotisée, d’une part, elle ne l’est pas complètement, des soldats s’entretuent toujours sur les champs de bataille, et d’autre part, un conflit militaire implique un "effort de guerre" des puissances engagées, un effort tous azimuts justifié par la nécessité de se sacrifier pour une prétendue "paix" et "liberté".
C’est pour cela que le prolétariat constitue toujours un obstacle potentiel aux ambitions guerrières de la bourgeoisie : il lui faut d’abord s’assurer que la classe ouvrière sera suffisamment faible pour ne pas réagir avant même d’envisager de s’engager dans un conflit.
La bourgeoisie doit compter sur tous les moyens pour bâillonner le prolétariat et parmi l’arsenal dont elle dispose, il y a le nationalisme, bien sûr, qui fait vibrer la corde patriotique et la peur de l’étranger, du dictateur, du "barbare". Le nationalisme cherche à faire adhérer le prolétariat à la doctrine impérialiste de la bourgeoisie par la diabolisation d'une autre ou d’autres nations rivales.
Pour ceux qui n’adhèrent pas, il y a alors le pacifisme. Le pacifisme permet d’encadrer théoriquement le réflexe prolétarien de refus de la guerre. Avant même qu’une réflexion ne s’engage dans la classe sur la nature de la guerre et sur les intérêts qu’elle défend, la bourgeoisie oriente ce refus vers le "refus de la violence" en soi, le "refus de la guerre" en soi.
Le pacifisme symbolise l’impuissance absolue. Il théorise la guerre comme étant un moyen facultatif de régler des crises alors même que dans le capitalisme, la guerre est un fléau inéluctable. De ce fait, le pacifisme contribue à masquer la nature du capitalisme et de l’impérialisme, en stérilisant la réflexion pour museler la réaction ouvrière à la guerre. En cela, ils sont d'excellents auxiliaires qui contribuent réellement à préparer la guerre.
Les écologistes continuent ainsi à se construire une réputation de parti bourgeois, de gouvernement, fiable et loyal. Leur contribution à la boucherie impérialiste est bien réelle et peu importe que la guerre soit un fléau environnemental en plus d’être un désastre humain. Se faire une place en tant que parti bourgeois dans l'échiquier politique en est le prix.
La bourgeoisie française sait qu'elle peut compter sur la participation des Verts et sur leur loyauté au capital. Elle trouve en eux de fidèles serviteurs de ses intérêts de classe et il est vrai qu'ils ne ratent jamais une occasion de le démontrer ouvertement.
Il ne faut se faire aucune illusion sur "l’alternative écologiste" ! Les écologistes sont des défenseurs du capitalisme et sont en ce sens des ennemis de la classe ouvrière.
GD (19 septembre)
Un "spectre hante le monde" : le spectre de l'indignation. Un peu plus de deux ans après le "Printemps arabe" qui a ébranlé par surprise les régimes de différents pays d'Afrique du Nord et dont les effets se font encore sentir, deux ans après le mouvement des Indignés en Espagne et des Occupy aux États-Unis, des mouvements ont secoué la Turquie tandis que le Brésil connaissait une vague de manifestations, cette dernière parvenant à mobiliser des millions de personnes dans plus de cent villes, avec des caractéristiques inédites pour ce pays.
Ces différents mouvements se sont produits dans des pays très différents et très éloignés géographiquement, mais partagent pourtant des caractéristiques communes : leur spontanéité, une répression brutale de l'État, leur massivité, une participation majoritaire de jeunes, notamment à travers les réseaux sociaux... Mais le dénominateur commun qui les caractérise est une grande indignation face à la détérioration des conditions de vie provoquée par la profondeur d'une crise qui ébranle les fondements du système capitaliste et a connu une accélération importante depuis 2007. Cette détérioration s'exprime par une précarisation accélérée du niveau de vie des masses ouvrières et une grande incertitude face à l'avenir parmi la jeunesse prolétarisée ou en voie de prolétarisation. Ce n'est pas un hasard si le mouvement en Espagne a pris le nom d’Indignados, et qu'au sein de cette vague de mouvements sociaux massifs, il est celui qui est allé le plus loin dans la remise en cause du système capitalisme comme dans ses formes d'organisation à travers des assemblées générales massives.
Ces mouvements, comme on l'a vu, peuvent surgir dans n'importe quelle partie du monde et chaque fois pour des motifs apparemment insignifiants. Ils sont révélateurs du fait que les luttes sociales tendent à s'imposer au premier plan sur la scène mondiale. Par leurs revendications et leurs méthodes de lutte, ils s'opposent à l'État bourgeois et aux partis qui le représentant, qu'ils soient de droite ou de gauche, et s'inscrivent dans la perspective de la lutte du prolétariat mondial pour la destruction du mode de production capitaliste qui se montre incapable de garantir le développement de l'humanité, sans compter la menace potentielle que représente ce système pour sa survie. Nous sommes ainsi en présence des premiers signes de l'évolution souterraine de cette "vieille taupe" à laquelle se référait Marx et qui commence à saper les fondements de l'ordre capitaliste et essaie de sortir à la surface.
Les mouvements sociaux de juin dernier au Brésil que nous avons salué et dans lesquels nous avons pu intervenir dans la mesure de nos moyens, revêtent une signification très importante à la fois pour le prolétariat brésilien, d'Amérique latine et celui du reste du monde, qui permet de dépasser dans une grande mesure le cadre régionaliste traditionnel de ce pays.
Ces mouvements massifs se distinguent radicalement des "mouvements sociaux" sous le contrôle de l'État, du Parti des Travailleurs (PT) et des autres partis politiques, tel que le Mouvement des Travailleurs ruraux sans terre (MST). De même, ils se différencient de mouvements qui ont surgi dans différents pays de la région dans les dernières décennies, comme celui en l'Argentine au début du siècle, des mouvements indigénistes en Bolivie et en Équateur, du mouvement zapatiste au Mexique ou du chavisme au Venezuela, qui ont été le résultat de confrontations entre fractions bourgeoises et petites-bourgeoises entre elles, se disputant le contrôle de l'État et la défense du capital national.
En ce sens, les mobilisations de juin au Brésil représentent la plus importante mobilisation spontanée de masses dans ce pays et en Amérique latine de ces 30 dernières années. C'est pour cela qu'il est fondamental de tirer les leçons de ces événements d'un point de vue de classe.
Il est indéniable que ce mouvement a surpris la bourgeoisie brésilienne et mondiale, tout comme les organisations révolutionnaires aussi bien à l'intérieur qu'en dehors du Brésil, ainsi que les groupes et organisations qui l'avaient initialement favorisé. La lutte contre la hausse du prix des transports publics (qui font chaque année l'objet d'un accord entre les patrons d'entreprises de transport et l'État) ne fut que le détonateur du mouvement. Celui-ci a cristallisé toute l'indignation qui a fait son nid depuis quelque temps dans la société brésilienne et qui s'est manifestée notamment en 2012 avec les luttes dans la fonction publique comme dans les universités, principalement à São Paulo et dans les chantiers de grands travaux du programme d'accélération de la croissance (PAC) ; avec également de nombreuses grèves dans le pays contre la baisse des salaires et la précarisation des conditions de travail, de l'éducation et de la santé au cours de ces dernières années.
À la différence des mouvements sociaux massifs qui se sont succédés dans différents pays depuis 2011, celui du Brésil a été engendré et s'est unifié autour d'une revendication concrète qui a permis la mobilisation spontanée de larges secteurs du prolétariat : contre la hausse de tarif des transports publics. Le mouvement a pris un caractère massif au niveau national dès le 13 juin, quand les manifestations de protestation contre la hausse appelées par le Movimento Passe Livre (MPL : mouvement pour le libre accès aux transports) à São Paulo, ont été violemment réprimées par la police. Cependant, pendant cinq semaines, outre de grandes mobilisations à São Paulo, se sont déroulées différentes manifestations autour de la même revendication dans différentes villes du pays, à tel point que, par exemple, à Puerto Alegre, Goiânia et d'autres villes, cette pression a contraint les gouvernements locaux à céder sur la hausse des tarifs de transports, après de dures luttes fortement réprimées par l'État.
Cela s'exprime clairement à travers le mouvement social de Goiânia le 19 juin : "À Goiânia, après cinq semaines de manifestations et un jour avant le sixième grand rassemblement, qui confirmait la présence dans la rue de dizaines de milliers de personnes, la préfecture dirigée par Paulo Gracia (du PT) et le gouverneur Marconi Perillo (du Parti Social-démocrate brésilien, PSDB –centre droit) ont tenu une réunion commune et ont décidé d'un commun accord la révocation définitive de l'augmentation du tarif des transports publics. Nous savons que cette révocation est le produit de la pression de plus d'un mois de mobilisation et de la crainte de la possibilité que les choses échappent totalement au contrôle de ce gouvernement provincial et aux entreprises contractuelles."
Le mouvement s'est d'emblée clairement inscrit sur le terrain prolétarien. Ces éléments se sont exprimés à un degré plus ou moins grand par l'extension et l'ampleur du mouvement et, bien que de façon minoritaire, à l´écart de mots d'ordre clairement nationalistes. En premier lieu, il faut souligner que la majorité des manifestants appartiennent à la classe ouvrière, principalement des jeunes ouvriers et des étudiants, en majorité issus de familles prolétariennes ou en voie de prolétarisation. La presse bourgeoise a présenté le mouvement comme une expression des "classes moyennes", avec la claire intention de créer une division entre les travailleurs. En réalité, la majorité de ceux catalogués comme classe moyenne sont des ouvriers qui reçoivent des salaires souvent moins importants que ceux des ouvriers qualifiés des zones industrielles du pays. Cela explique le succès et les sympathies qu'a éveillés cette mobilisation contre la hausse de prix des tickets de bus urbains, qui représentait une attaque directe contre les revenus des familles prolétariennes. Cela explique aussi pourquoi cette revendication initiale s'est transformée rapidement en une remise en cause dirigée contre l'État à cause du délabrement de secteurs tels que la santé, l'éducation et l'aide sociale et de plus en protestations contre les colossales sommes d'argent public investies à l'occasion de l'organisation de la coupe du monde de football de l'an prochain et pour les Jeux olympiques de 2016. Pour les besoins de ces événements, la bourgeoisie n'a pas hésité à recourir, par différents moyens, à l'expulsion forcée des habitants proches des stades : à la Aldeia Maracanã à Rio au premier semestre de cette année ; dans des zones convoitées par les promoteurs immobiliers de São Paulo en mettant le feu aux favelas gênant leurs projets. C'est cette situation qu'exprimait clairement le Bloco de Lutas Pelo Transporte 100% Público de Porto Alegre le 20 juin : "La lutte n'est pas seulement pour quelques centimes et ne concerne pas non plus que Porto Alegre, car la mobilisation prend une dimension nationale et va au-delà de la revendication sur les transports publics. Aujourd'hui, ce sont déjà plus de dix villes qui ont annoncé la réduction du tarif des transports. Maintenant nous sommes des centaines de milliers de personnes à descendre dans la rue au Brésil, en lutte pour nos droits. Le thème de la coupe [du monde de football] est déjà présent dans les manifestations. La même masse populaire qui remet en question le système de transports met en question également les investissements publics par millions dans les stades, les déplacements de familles [du fait des aménagements urbains pour les besoins de la coupe du monde], le pouvoir de la FIFA et l'État d'urgence qui va restreindre les droits de la population."
Il était très significatif que le mouvement se soit organisé pour réaliser des manifestations autour des stades des villes où se déroulaient les matches de foot de la Coupe des Confédérations, en vue d'obtenir une forte médiatisation et autour du rejet du spectacle préparé au bénéfice de la bourgeoisie brésilienne ; et aussi autour de la brutale répression de l'État contre les manifestants autour des stades, responsable de la mort de plusieurs manifestants. Dans un pays où le football est le sport national, que la bourgeoisie a évidemment su utiliser comme un défouloir nécessaire au contrôle de la société, les manifestations des prolétaires brésiliens constituent une leçon pour le prolétariat mondial. La population brésilienne est réputée pour aimer le football, mais cela ne l'a pas empêchée de refuser l'austérité pour financer les dépenses somptuaires que représente l'organisation des événements sportifs que prépare la bourgeoisie pour montrer au monde entier qu'elle est capable de jouer dans la cour "des grands de ce monde". Pour leur quotidien, les manifestants exigeaient une qualité de services publics du "type FIFA". Les mouvements de juin ont gâché la fête que voulait préparer la bourgeoisie brésilienne.
Du côté de ces revendications, le mouvement a montré son indignation envers les hauts niveaux de décomposition qu'affiche la bourgeoisie brésilienne, en s'en prenant aux institutions les plus représentatives de la gabegie, de la corruption, de l'oisiveté et de l'arrogance de l'État brésilien : à Brasilia, la capitale, ils se sont emparés des installations du Congrès et ont essayé d'entrer dans le palais d'Itamaraty, symbole de la politique extérieure de l'État ; à Rio de Janeiro, ils ont essayé de pénétrer dans l'Assemblée législative d'État, et plusieurs habitants des favelas, parmi lesquels ceux de Rocinha, ont protesté devant la résidence du gouverneur de Rio ; à São Paulo, ils ont essayé de pénétrer dans la préfecture et dans l'Assemblée législative provinciale ; à Curitiba, ils ont tenté de rentrer au siège du gouvernement provincial. Fait également très significatif, il y a eu un rejet massif des partis politiques (surtout du PT) et des organisations syndicales ou étudiantes soutenant le pouvoir : à São Paulo, plusieurs de leur membres ont été expulsés des manifestations parce qu'ils arboraient des bannières ou des signes d'appartenance au PT ou à la CUT comme à d'autres organisations et partis de gauche, électoraux ou pas, comme le PSTU, le PSOL, le PC du Brésil, le PCB et à des syndicats.
D'autres expressions du caractère de classe du mouvement se sont manifestées bien que de manière minoritaire. Dans le feu du mouvement se sont tenues plusieurs assemblées, bien qu'elles n'aient pas les mêmes caractéristiques de celles des Indignés en Espagne. Par exemple, celles de Rio de Janeiro et de Belo Horizonte, qui se sont nommées "Assemblées populaires et égalitaires", se proposaient de créer un "nouvel espace spontané, ouvert et égalitaire de débat” au sein desquelles il est arrivé que participent plus de 1000 personnes.
Ces assemblées, bien qu'elles aient démontré la vitalité du mouvement et la nécessité d'auto-organisation des masses pour imposer leurs revendications, ont présenté plusieurs faiblesses :
même si plusieurs autres groupes et collectifs ont participé à leur organisation, elles ont été animées par les forces de gauche et gauchistes du capital qui ont principalement enfermé leur activité dans la périphérie des villes ;
leur objectif principal était d'être des moyens de pression et des organes de négociation avec l'État, pour des revendications particulières d'amélioration propres à telle ou telle communauté ou ville. Elles tendent par la même occasion à s'affirmer comme des organes permanents ;
elles prétendaient être indépendantes de l'État et des partis ; mais elles ont bel et bien été noyautées par les partis et les organisations pro-gouvernementales ou gauchistes qui y ont anéanti toute expression spontanée ;
elles ont mis en avant une vision localiste ou nationale, luttant contre les effets et non contre les causes des problèmes, sans remettre en cause le capitalisme.
Dans le mouvement, plusieurs références explicites aux mouvements sociaux d'autres pays se sont également exprimées, principalement celui de Turquie, lequel s'est référé aussi à celui du Brésil. Malgré le caractère minoritaire de ces expressions, elles n'en constituent pas moins un révélateur de ce qui est ressenti comme commun aux deux mouvements.
Dans différentes manifestations, on a pu voir ainsi déployées des banderoles proclamant : "Nous sommes Grecs, Turcs, Mexicains, nous sommes sans patrie, nous sommes des révolutionnaires" ou des pancartes portant l'inscription : "Ce n'est pas la Turquie, ce n'est pas la Grèce ; c'est le Brésil qui sort de l'inertie."
À Goiânia, le Frente de Luta Contra o Aumento (Front de Lutte Contre l'Augmentation) qui regroupe différentes organisations de base soulignait la nécessaire solidarité et le débat entre les différentes composantes du mouvement : "NOUS NE DEVONS PAS CONTRIBUER À LA CRIMINALISATION ET À LA PACIFICATION DU MOUVEMENT ! NOUS DEVONS RESTER FERMES ET UNIS ! Malgré les désaccords, nous devons maintenir notre solidarité, notre résistance, notre combativité et approfondir notre organisation et nos discussions. De la même manière qu'en Turquie, pacifiques et combatifs peuvent coexister et lutter ensemble, nous devons suivre cet exemple."
La grande indignation qui a animé le prolétariat brésilien peut se concrétiser dans la réflexion suivante de la Rede Extremo Sul, réseau des mouvements sociaux de la périphérie de São Paulo : "Pour que ces possibilités deviennent réalité, nous ne pouvons pas laisser canaliser sur des objectifs nationalistes, conservateurs et moralistes, l'indignation qui s'exprime dans les rues ; nous ne pouvons pas permettre que les luttes soient capturées par l'État et par les élites en vue de les vider de leur contenu politique. La lutte contre l'augmentation du prix des transports publics et contre l'état déplorable de l’entretien de ce service est directement liée à la lutte contre l'État et les grandes corporations économiques, contre l'exploitation et l'humiliation des travailleurs, et contre cette forme de vie où l'argent est tout et les personnes ne sont rien."
La bourgeoisie brésilienne, comme chaque bourgeoisie nationale y aspire, a œuvré depuis des décennies pour faire du Brésil une grande puissance continentale et mondiale. Pour arriver à ses fins, il ne suffisait pas de disposer d'un immense territoire qui occupe quasiment la moitié de l'Amérique du Sud, ni de compter sur d'importantes ressources naturelles ; il était nécessaire de créer les conditions pour maintenir l'ordre social, surtout le contrôle sur les travailleurs, moins par un joug militaire qu’à travers les mécanismes plus sophistiqués de la démocratie. Dans ce but, elle a préparé une transition relativement "douce" dans les années 80 d'un régime de dictature militaire vers une démocratie républicaine ; cet objectif a été atteint sur le plan politique avec la formation de deux pôles : l'un regroupant les forces de droite formées par deux partis constitués dans les années 80, comme le PSDB (composé par des intellectuels de la bourgeoisie et de la petite- bourgeoisie) et des partis de droite liés aux représentants de la dictature (PMDB, DEM, etc.) ; l'autre de centre-gauche que s'est structuré autour du PT, avec une assise importante au niveau populaire, mais principalement au niveau des ouvriers et des paysans. De cette manière s'est établie une sorte d'alternance de gouvernements de droite et de centre-gauche, reposant sur des élections "libres et démocratiques", indispensable pour pouvoir fortifier le capital brésilien sur l'arène mondiale.
La bourgeoisie brésilienne est parvenue ainsi à renforcer son appareil productif et à affronter le plus dur de la crise économique des années 90, pendant que, sur le plan politique, elle a réussi à créer une force politique autour du PT, qui, en raison de sa jeunesse, a réussi à intégrer des organisations et des dirigeants syndicaux, des membres de l'église catholiques adeptes de la "théologie de la libération", des trotskistes qui considéraient le PT comme un parti révolutionnaire de masses, d'intellectuels, d'artistes et d'éléments démocrates. Le PT représentait la réponse de la bourgeoisie de gauche brésilienne après l'effondrement du bloc russe en 1989 qui avait affaibli les composantes de la gauche du capital au niveau mondial ; de cette manière elle a réussi ce que lui enviaient les autres bourgeoisies de la région : créer une force politique qui lui a permis de contrôler les masses paupérisées mais surtout de maintenir "la paix sociale". Cette situation s'est consolidée avec l'accession du PT au pouvoir en 2002 en utilisant le charisme et l'image ouvriériste de Lula.
C'est ainsi qu'au cours de la première décennie du nouveau siècle, l'économie brésilienne est parvenue à se hisser au septième rang mondial selon la Banque mondiale, à tel point qu'à l'heure actuelle, elle fait partie de la "crème" du prétendu "groupe des pays émergents" dits BRICS ; de plus, la bourgeoisie mondiale salue le "miracle brésilien" réussi sous la présidence de Lula, qui, selon ses dires, est censé avoir permis de sortir de la pauvreté des millions de Brésiliens et de faire accéder d'autres millions dans cette fameuse "classe moyenne". Ce que personne n'a jamais mentionné, ni le PT, ni Lula, ni le reste de la bourgeoisie, c'est que cette "grande réussite" s'est effectuée en utilisant une partie de la plus-value pour la distribuer sous forme de miettes aux couches les plus paupérisées, alors que dans le même temps la précarisation des masses travailleuses s'accentuait.
Quand l'accélération de la crise économique s'est manifesté en 2007, dont les effets affectent encore l'économie mondiale 6 ans plus tard, Lula, comme d'autres dirigeants de la région, a déclaré que l'économie brésilienne était "blindée". Pendant que les principales puissances économiques chancelaient, l'économie brésilienne restait satisfaite d'elle-même. Même si le Brésil ne se trouvait pas dans l'œil du cyclone de la crise, il est indéniable que dans le cadre de l'interdépendance de l'économie mondiale, aucun pays ne peut échapper à ses effets, encore moins le Brésil qui dépend fortement de l'exportation de ses matières premières et de ses services. Nous en avons la preuve avec la Chine, le grand partenaire du Brésil dans le groupe des BRICS, dont l'économie est fortement affectée par la crise mondiale.
La crise demeure néanmoins la toile de fond de la situation au Brésil. Pour en atténuer les effets, la bourgeoisie brésilienne a développé une relance du marché intérieur avec une politique de grands travaux, provoquant un boom de la construction au niveau public comme privé, qui s'étend à des rénovations et des constructions d'infrastructures sportives pour les compétitions sportives de 2014 et 2016 ; tout en favorisant le crédit et l'endettement des familles pour relancer la consommation intérieure, du logement aux appareils électroménagers, politique qui a provoqué une augmentation des dépenses publiques et une hausse des impôts.
Les limites sont déjà tangibles au niveau des indicateurs économiques : déficit de la balance des paiements évaluée à 3 milliards de dollars américains au premier semestre de cette année, le plus mauvais résultat depuis 1995 et ralentissement de la croissance (prévision annuelle de 6,7% en 2013), mais surtout à travers la détérioration du pouvoir d'achat et des conditions de vie de la classe ouvrière en raison de l'augmentation du prix des produits de consommation et des services (dont les transports). De même, il y a une tendance très sensible dans la population à la diminution des emplois et à une croissance du chômage.
Ainsi, le mouvement de protestations au Brésil ne sort pas de nulle part. Il y a un ensemble de causes qui l'ont fait surgir, et qui non seulement se maintiennent mais qui s'aggravent avec l'approfondissement de la crise économique. A cause de le vague de protestations, l'État s'est vu forcé d'augmenter les dépenses sociales, mais en réalité la crise économique l'oblige à prendre des mesures pour réduire de telles dépenses. C'est pour cela que la présidente de la république Dilma Rouseff a déclaré qu'elle devait réduire les dépenses publiques.
Comme on pouvait s'y attendre, la bourgeoisie brésilienne n'est pas restée les bras croisés dans sa confrontation à la crise sociale, qui, même apaisée, reste latente. Le seul résultat concret qui a été obtenu sous la pression des masses, a été la suspension de la hausse terriblement élevée des transports publics que l'Etat parviendra à compenser par d'autres moyens pour aider financièrement les entreprises de transports.
Au début de la vague de protestations, pour calmer les esprits, pendant que le gouvernement préparait une stratégie pour tenter de contrôler le mouvement, la présidente Dilma Rousseff déclarait, par l'intermédiaire d'une de ses porte-paroles, qu'elle considérait comme "légitimes et compatible avec la démocratie" la protestation de la population ; de son côté Lula, "critiquait" les "excès" de la police. Mais la répression de l'État n'a pas cessé, et les protestations de la rue non plus.
Un des pièges les plus élaborés contre le mouvement a été la propagation du mythe d'un "coup d'État" de la droite, rumeur propagée non seulement par le PT et le parti stalinien, mais aussi par les trotskistes du PSOL (Partido Socialismo e Liberdade) et du PSTU (Partido Socialista dos Trabalhadores Unificados) : il s'agissait d'une tentative de dévoyer le mouvement en le transformant en un appui au gouvernement de Dilma Rousseff, fortement affaibli et discrédité. Alors que la réalité des faits montrait précisément que la répression féroce contre les protestations de juin exercée par le gouvernement de gauche du PT ont été tout aussi, voire plus brutales que celle des régimes militaires, la gauche et l'extrême gauche du capital brésilien œuvraient à obscurcir cette réalité en identifiant le fascisme avec la répression ou les régimes de droite.
Vint également le rideau de fumée du projet d'une "réforme politique", mis en avant par Dilma Rousseff, avec pour objectif de combattre la corruption dans les partis politiques et d'enfermer la population sur le terrain démocratique en l'appelant à voter sur les réformes proposées.
Pour tenter de regagner une influence auprès des mobilisations sociales dans la rue, les partis politiques de la gauche du capital et les syndicats ont lancé plusieurs semaines à l'avance un appel à une "Journée nationale de lutte" le 11 juillet, présentée comme un moyen de protester contre l'échec des accords de conventions collectives de travail. Dans ce simulacre de mobilisation, toutes les organisations syndicales, aussi bien proches du gouvernement que de l'opposition, se sont donné la main.
De même, Lula, faisant étalage de sa grande expérience anti-ouvrière, a convoqué le 25 juin une réunion avec les dirigeants des mouvements contrôlés par le PT et le parti stalinien, y compris les organisations alliées du gouvernement chez les jeunes et les étudiants, dans le but explicite de neutraliser la contestation dans la rue.
La grande force du mouvement a été que, depuis le début, il s'est affirmé comme un mouvement contre l'État, non seulement à travers la revendication centrale contre la hausse des tarifs des transports publics ; mais aussi avec sa mobilisation contre l'état d'abandon des services publics et contre l'orientation des dépenses en direction des spectacles sportifs. De même, l'ampleur et la détermination de la contestation ont contraint la bourgeoisie à faire marche arrière en retirant cette hausse dans plusieurs villes.
La cristallisation du mouvement autour d'une revendication concrète, si elle a constitué une force du mouvement, en a également constitué la limite, dès lors que celui-ci ne parvenait pas à aller au-delà. Il a marqué le pas lorsqu'il a réussi à imposer que soit annulée la décision de hausse de tarif des transports. Mais, de plus, il ne s'est pas compris comme un mouvement remettant en cause l'ordre capitaliste, aspect qui a été présent par exemple dans le mouvement des Indignés en Espagne.
La méfiance envers les principaux moyens de contrôle social de la bourgeoisie s'est traduite par le rejet des partis politiques et des syndicats, qui représente une faille sur le plan idéologique pour la bourgeoisie, marquée par l'épuisement des stratégies politiques qui ont émergé depuis la dictature et le discrédit des équipes successivement en place à la tête de l'Etat, aggravé par la corruption notoire en leur sein. Cependant, derrière un rejet indifférencié de la politique, réside le danger du rejet de toute politique, de l'apolitisme, qui constitue une faiblesse importante du mouvement. En effet, sans débat politique, il n'y a aucune possibilité d'avancée réelle de la lutte dont le sol nourricier est justement celui de la discussion pour comprendre la racine des problèmes contre lesquels on se bat, et qui ne peut se soustraire à une critique des fondements du système capitaliste.
Ce n'est donc pas un hasard si une faiblesse du mouvement a été l'absence d'assemblées de rues ouvertes à tous les participants où puissent se discuter les problèmes de société, les actions à mener, l'organisation du mouvement, son bilan et ses objectifs. Les réseaux sociaux ont constitué un moyen important pour la mobilisation et pour rompre l'atomisation. Mais ils ne pourront jamais remplacer le débat vivant et ouvert des assemblées.
Le poison du nationalisme n'a pas épargné le mouvement comme en ont témoigné la présence, dans les mobilisations, de nombreux drapeaux brésiliens et des mots d'ordre nationalistes, comme il n'était pas rare d'entendre l'hymne national dans les cortèges. Cela n'avait pas été le cas dans le mouvement des Indignés en Espagne. En ce sens, le mouvement de juin au Brésil a présenté les mêmes faiblesses que les mobilisations en Grèce ou dans les pays arabes, où la bourgeoisie a réussi à noyer la grande vitalité des mouvements dans un projet national de réforme ou de sauvegarde de l'Etat. Dans ce contexte, la protestation contre la corruption a bénéficié en dernière analyse à la bourgeoisie et à ses partis politiques, surtout ceux de l'opposition, qui, par ce moyen, espèrent retrouver un certain crédit politique dans la perspective des prochaines élections. Le nationalisme est une voie sans issue pour les luttes du prolétariat qui viole la solidarité internationale des mouvements de classe.
Malgré une participation majoritaire des prolétaires au mouvement, ceux-ci s'y sont impliqués de manière atomisée. Le mouvement n'est pas parvenu à mobiliser les travailleurs des centres industriels qui ont un poids important, surtout dans la région de São Paulo ; il ne l'a même pas proposé. La classe ouvrière, qui sans aucun doute a accueilli le mouvement avec sympathie et s'est même identifié à lui, parce qu'il luttait pour une revendication où elle reconnaissait ses intérêts, n'est pas parvenue à se mobiliser comme telle. Cette question de l'identité de classe n'est pas seulement une faiblesse au niveau de la classe ouvrière au Brésil, mais au niveau mondial. Ce comportement est en fait une caractéristique de la période où la classe ouvrière a du mal à affirmer son identité de classe, aggravée au Brésil par des décennies d'immobilité résultant de l'action des partis politiques et des syndicats, principalement le PT et la CUT.
Cette situation explique d'une certaine manière l'émergence de mouvements sociaux avec les caractéristiques de ceux qui ont surgi au Brésil, en Turquie, en Espagne, aux États-Unis, en Égypte, etc., où ce sont les nouvelles générations de prolétaires, beaucoup d'entre eux se trouvant sans emploi, qui se révoltent en comprenant que le capitalisme leur ferme toute possibilité d'avoir une vie décente et ressentent dans leur chair les souffrances de la précarisation de leur vie familiale.
En ce sens, les mobilisations au Brésil sont une source d'inspiration et laissent une grande leçon pour l'union du prolétariat brésilien et mondial : il n'y a pas de solution possible à nos problèmes dans le capitalisme ; cela dépend de la capacité du prolétariat a assumer sa responsabilité historique de lutter contre le capital, dans la recherche de son identité de classe à travers la solidarité non seulement du prolétariat au Brésil, mais au niveau mondial. C'est de cette manière que leur lutte convergera avec celle des jeunes prolétaires qui aujourd'hui se mobilisent contre le capital, et ce sera une référence pour eux.
Revolução Internacional, organe de presse du CCI au Brésil (09 août 2013)
Le spectacle hideux et l’exhibition des cadavres d'enfants agonisants, suite à l'attaque aux armes chimiques du 21 août dernier près de Damas, ne sauraient émouvoir les dignitaires de ce monde, dont les réactions hypocrites n'étaient dictées que par des intérêts et des considérations impérialistes. Comme en témoignent les massacres aux gaz dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, l'utilisation d'armes chimiques destructrices au Vietnam et les bombardements atomiques au Japon, les grandes démocraties n'ont jamais hésité à utiliser les armes les plus meurtrières. Aujourd'hui, les déclarations affligées des chancelleries apparaissent d'autant plus hypocrites que les bombardements et les massacres de populations otages faisant plus d'une centaine de milliers de morts depuis l’éclatement de la guerre en Syrie, la politique sanglante de terreur et les millions de réfugiés fuyant la barbarie n'ont, jusqu'à présent, aucunement constitué une "ligne rouge" infranchissable pour la bourgeoisie.
Si l'usage des armes chimiques relevait probablement d'une provocation russo-syrienne (Bachar el Assad ayant été averti par Obama à plusieurs reprises en 2012 de ne pas franchir la "ligne rouge"), pour d'autres puissances rivales, dont les États-Unis et la France, cette "ligne rouge" ne constituait qu'un prétexte médiatisé à outrance et exploité politiquement pour préparer "l'opinion" à une éventuelle intervention militaire. Face à la tragédie en cours, les avertissements précipités, suivis de réactions contrastées des États, les rodomontades et tergiversations des chancelleries montrent la réalité d'un sordide bras de fer impérialiste dans lequel les populations ont moins de valeur qu'une guigne. Et ce sont précisément ces rapports entre les puissances belligérantes qui expliquent la durée du conflit et les souffrances atroces des populations. Car, en comparaison, sans ce degré de confrontation au sein de l'arène mondiale, les régimes balayés dans les pays du "Printemps arabe", comme la Libye, n'avaient pas fait long feu.
Au coup diplomatique de la Russie proposant de "placer sous contrôle international l'arsenal chimique de la Syrie" a répondu l'hypocrite "exploration des voies diplomatiques" des adversaires, dont l'impuissance politique semble désormais dicter presque exclusivement la conduite. Indépendamment de l'issue de cette nouvelle crise et des décisions que prendront les chancelleries, intervention militaire imminente ou pas, nous assistons à une spectaculaire montée en puissance des tensions guerrières dans cette poudrière, sur fond de chaos croissant où l'usage des armes apparaît de plus en plus nécessaire pour la classe dominante, comme un puissant engrenage devenu incontrôlable. La banalisation de l'usage d'armes chimiques, l'extension du conflit au Liban, la présence de vautours plus agressifs dans la région, comme le Qatar et l’Arabie Saoudite, mais aussi des puissances régionales comme la Turquie et l'Iran dont l'implication dans le conflit est une source particulière d'inquiétude pour Israël, sont autant de preuves que le conflit va bien au-delà des frontières de la Syrie. Ils illustrent la gradation inquiétante de la voracité des appétits.
Mais plus encore, la présence des grands requins impérialistes aux prises indique le niveau atteint par les tensions depuis la fin de la guerre froide. Ainsi, pour la première fois depuis 1989, nous nous trouvons devant un affrontement politique majeur entre les anciens leaders de blocs que sont les États-Unis et la Russie. Bien qu'affaiblie par la désintégration du bloc de l'Est et de l'URSS, cette dernière s'est ragaillardie après avoir mené une politique de terre brûlée, comme en Tchétchénie, en Géorgie et dans le Caucase durant les années 1990. La Russie s'accroche désormais à son point d'ancrage en Syrie pour tenter de maintenir à tout prix sa présence et sa liaison stratégique avec l'Iran, et limiter l'influence des Républiques sunnites rivales sur ses frontières méridionales, tout en maintenant un port en Méditerranée.
Cette aggravation des tensions se mesure également par le fait que la Chine s'oppose plus ouvertement aux États-Unis que par le passé. Alors que la puissance chinoise s'était éloignée de la Russie durant la période des blocs, neutralisée par le camp américain suite aux tractations et au voyage du président Nixon en 1972, elle redevient aujourd'hui un ennemi majeur qui inquiète particulièrement les États-Unis. Depuis l'effondrement de l'URSS et la relative montée en puissance de la Chine, la donne est en train de changer. Encouragée par ses avancées en Afrique, la Chine confirme sa volonté de renforcer ses appuis impérialistes, notamment en Iran et au Proche-Orient, pour assurer les voies de son approvisionnement énergétique. Son rôle de trouble-fête déstabilise encore plus fortement les rapports impérialistes.
C'est surtout l'affaiblissement et l'isolement de plus en plus évident des États-Unis, dont les tentatives pour jouer le rôle de gendarme du monde ont rencontré un échec cuisant en Afghanistan et en Irak, qui a permis le renforcement des puissances russe et chinoise. La seule comparaison de leur actuelle "intervention" en Syrie avec le rôle joué par les Etats-Unis lors de la première guerre du Golfe, en 1991, donne une idée de la profondeur de leurs difficultés. Utilisant l'invasion du Koweït par Saddam Hussein comme un prétexte pour exhiber leur supériorité militaire, ils avaient alors réussi à mettre sur pied une "coalition" impliquant non seulement un certain nombre de pays arabes, mais aussi les principaux membres de l'ancien bloc occidental qui avaient pourtant tenté de se libérer de l'emprise américaine suite à la désintégration du bloc de l'Est. L'Allemagne et le Japon, ne participant pas militairement à l'opération, soutenaient l'aventure, tandis que la Grande-Bretagne et la France étaient directement "appelées" pour les combats. Malade et agonisante, l'URSS en lambeaux de Gorbatchev n'avait rien pu faire pour barrer la route militaire de l'Amérique. Un peu plus d'une décennie plus tard, avec la seconde invasion de l'Irak, l'Amérique devait faire face à une opposition diplomatique plus active de l'Allemagne, de la France et la Russie. Ceci étant, lors des invasions de l'Afghanistan en 2001 et de l'Irak en 2003, les Etats-Unis pouvaient encore compter sur le soutien fidèle, diplomatique et militaire, de la Grande-Bretagne. La défection de cette dernière pour l'intervention envisagée en Syrie a contraint l'administration Obama à annuler les opérations et à se plier à l'option diplomatique mise en avant par Moscou. Le vote à la Chambre des Communes contre la proposition de Cameron soutenant une intervention militaire est un témoignage des profondes divisions qui existent au sein de la bourgeoisie britannique, résultant de la participation du pays aux bourbiers afghan et irakien. Mais surtout, il s'agit d'un indicateur sérieux montrant l'affaiblissement de l'influence américaine dans le monde. La découverte soudaine que la France, qui a soutenu et poussé à l'intervention, est "la plus vieille alliée" de l'Amérique, ne doit pas donner l'illusion que cette dernière va occuper le rôle de fidèle lieutenant que la Grande-Bretagne (nonobstant ses propres ambitions à rechercher un rôle plus indépendant) a joué dans la plupart des entreprises impérialistes des États-Unis depuis la fin de la guerre froide. L'alliance entre les Etats-Unis et la France est avant tout circonstancielle et donc peu fiable. À cela, nous pouvons ajouter les positions discrètement discordantes venant d'Allemagne, dont le rapprochement insidieux avec la Russie est une autre préoccupation pour Washington.
Comme on peut le voir, le "nouvel ordre mondial" que promettait la bourgeoisie au moment de la première guerre du Golfe, en 1990, n'a débouché que sur un panier de crabes où la loi de la jungle est la seule reconnue.
Dans le cadre de ce nouveau bras de fer, la Syrie reste un enjeu stratégique très important. Historiquement, c'est assez tôt au XXe siècle que la Syrie moderne émerge en se libérant du joug ottoman. Durant la Première Guerre mondiale, mobilisant ses troupes, la Grande-Bretagne avait fait la promesse de lui accorder l'indépendance en cas de victoire, afin de mieux contrôler la région. Mais, dès 1916, suite aux accords secrets de Sykes/Picot[1] [348], la Syrie était cédée à la France par la Grande-Bretagne. Il s'agissait en fait de priver l'Allemagne de ses ambitions, elle qui avait déjà envisagé de construire une ligne de chemin de fer reliant Bagdad dans le but de "mettre les points stratégiques principaux de l'Empire turc en Asie mineure en communication immédiate avec la Syrie et les provinces arrosées par l’Euphrate et le Tigre".[2] [352] Aujourd'hui, du fait de l'insécurité croissante des voies maritimes traditionnelles passant par le Golfe persique, la Syrie redevient une des routes terrestres pour les hydrocarbures tant convoités. Ouverte par un couloir sur la côte méditerranéenne du Levant (où des armes venant de Russie sont acheminées aujourd'hui) et à l'Est vers les pays producteurs de pétrole, l'intérêt qu'elle suscite ne fait que croître.
Les tensions qui se développent sont donc en grande partie liées à cette place historiquement centrale de la Syrie dans la région. Elles sont aussi alimentées par l'opposition d’Israël[3] [353], dont les menaces sur la Syrie et surtout l’Iran se sont transformées en véritable ultimatum ne cessant d'inquiéter les grands parrains impérialistes. De plus, tandis que des puissances comme le Qatar et l'Arabie Saoudite fournissent des armes aux rebelles, la Turquie frontalière cherche à défendre ses intérêts en jouant sur la présence d'une minorité kurde au Nord du pays.
Et derrière ces forces se profile surtout la polarisation majeure autour de l'axe chiite, dont la place stratégique liée au détroit d'Ormuz, et donc à la route maritime du pétrole, conduit à une véritable course aux armements et à la présence accrue en mer de bâtiments de guerre, notamment issus de la flotte américaine. Ceci explique la volonté du gouvernement iranien de relancer son programme nucléaire (que Poutine soutient en proposant, par provocation, une "aide pour la construction d'une centrale nucléaire").
Jusqu'ici, le régime musclé et sanguinaire de Bachar el Assad signifiait pour l'ensemble des puissances impérialistes, États-Unis compris, une relative "stabilité" et une certaine "prévisibilité", appréciés par défaut de concurrents sérieux. Aujourd'hui, si l'opposition syrienne arrivait finalement à prendre le dessus, il est certain qu'une réaction en chaine entrainerait un chaos incroyable et totalement imprévisible. En effet, l'Armée syrienne de Libération (ALS) est aujourd’hui elle-même un véritable patchwork, et il n'existe pas d'opposition véritablement unie. Cet agrégat politiquement affaibli, malgré l'appui discret de forces pro-américaines et pro-européennes, vers lequel la circulation des armes se fait sans l'assurance d'un contrôle véritable, se trouve infiltré, ou tout au moins environné de groupes djihadistes terroristes, principaux pourvoyeurs d'armes aux rebelles dont bon nombre sont venus de l'extérieur de la Syrie, agissant bien souvent pour leur propre compte à la manière des seigneurs de guerre qui sévissent en Afrique. Ainsi, la possibilité pour des puissances occidentales de s’appuyer sur une véritable opposition alternative au régime en place est proche du zéro absolu.
Nous sommes là confrontés à un phénomène beaucoup plus large, que nous pouvons observer dans tous les autres pays arabes qui ont été confrontés à des événements similaires lors du "Printemps arabe" : aucune véritable opposition n'a pu surgir et aucune fraction bourgeoisie n'a pu prendre le relais politique afin d'offrir une véritable "alternative démocratique" et une stabilité. Tous ces régimes n'ont pu survivre que grâce à la force de l'armée tentant d'enserrer du mieux possible les différents clans de la classe dominante et couches sociales afin d'éviter que la société ne vole en éclats. On a pu le voir en Libye et plus récemment en Égypte, suite au coup d'état militaire contre le président Morsi et les Frères musulmans. Tout ceci montre la réalité d'une véritable impasse, typique de la décadence capitaliste et de sa phase ultime de décomposition, où la seule chose à offrir en temps de crise économique n'est autre que la misère, la force brutale de l'armée, la répression et les effusions de sang.
Et cette situation est d’autant plus préoccupante qu'elle nourrit les fractures religieuses et communautaires qui sont parmi les plus concentrées au monde, entre chrétiens, musulmans chiites et sunnites, juifs, druzes, etc. Sans être directement à l'origine des conflits, ces fractures vives viennent approfondir les divisions et les haines d'une société sans avenir. Cette région a d'ailleurs été marquée dans le passé par de nombreux génocides comme en Arménie, des déplacements de populations et des massacres perpétrés par les puissances coloniales qui ont entretenu ces haines ravivées aujourd'hui et qui ne peuvent déboucher que sur de nouveaux pogroms. Le régime syrien a dans le collimateur les communautés chrétiennes. Il se trouve au cœur des divisions qui se cristallisent en Syrie (entre alaouites et sunnites[4] [354], musulmans et chrétiens, etc.). Et sous le couvert de la guerre, d'innombrables cas de pogroms contre telle ou telle communauté sont souvent organisés, avec l'afflux de djihadistes fanatiques, certains soutenu par l'Arabie Saoudite, rendant la situation pire que jamais.
La catastrophe est d'autant plus grande que les États-Unis, puissance va-t'en guerre sur le déclin, ont été les fers de lance de ce chaos. En jouant aux gendarmes du monde, ils se sont transformés en pompiers pyromanes et n'ont fait eux-mêmes qu'accélérer le chaos existant, se retrouvant affaiblis comme jamais auparavant. En 2008, Obama a triomphé de son adversaire G.W. Bush grâce à son image d'anti-Bush, fauteur de guerres et initiateur de fiascos à répétitions. Mais aujourd'hui, le "prix Nobel de la paix" Obama s'avère lui-même un va-t'en guerre de la pire espèce, de moins en moins crédible, étalant toujours plus ouvertement son impuissance, malgré des talents de politicien que ne possédait pas son prédécesseur. Aujourd'hui donc, non seulement Obama doit faire face à une opinion publique de plus en plus hostile à la guerre, échaudée par les mensonges et les échecs successifs, mais il ne peut évoquer le fait de déployer des troupes sans marcher sur des œufs et se heurter à une hostilité ravivant les échecs et en arrière-plan le syndrome du Vietnam.
À cela, il faut ajouter la réalité d'une crise économique insupportable, où les dépenses supplémentaires pour les croisades militaires sont de moins en moins bien tolérées. Pour l’instant, le recul des États-Unis en Syrie s’explique par un contexte géopolitique difficile, ce qui amène Washington à de nouvelles contorsions où apparaissent maintenant des distinctions hypocrites et ridicules entre les "armes chimiques" et les "armes n'utilisant que des composants chimiques". Nuance !
Avec la multiplication des bourbiers, les mystifications qui avaient servi d'alibis depuis les années 1990 dans les diverses croisades impérialistes autour de la "guerre propre", de l'engagement "humanitaire" pour la "sécurité" ont perdu de leur superbe. Et les États-Unis se trouvent devant un véritable dilemme qui touche à leur crédibilité par rapport à leurs alliés, notamment Israël, de plus en plus critiques et inquiets : soit ils ne font rien, et cela ne peut qu'encourager l’offensive et l'escalade des revendications et provocations des rivaux ; soit ils frappent du poing et alimentent encore plus la contestation et le chaos. Ce qui est certain, c'est que comme toutes les autres puissances impérialistes, ils ne peuvent échapper à la logique du militarisme. Tôt ou tard, ils ne pourront s'abstenir d'une nouvelle campagne militaire et de l'usage des armes.
L'engrenage infernal de ce chaos et des tensions guerrières vient du coup une nouvelle fois mettre en exergue la responsabilité du prolétariat international : s'il n'est pas en mesure de peser immédiatement de façon décisive face à la barbarie guerrière qui se déchaine, lui seul constitue la force historique capable de mettre fin à cette barbarie par sa lutte révolutionnaire. Depuis le début des événements, et a fortiori au moment où le conflit ouvert menace de s’embraser, les faiblesses qui pèsent sur le prolétariat ne peuvent permettre d'entrevoir une quelconque dynamique de luttes massives en Syrie. Comme nous l'avons déjà signalé : "le fait que les manifestants du Printemps arabe en Syrie aient abouti, non sur la moindre conquête pour les masses exploitées et opprimées, mais sur une guerre qui a fait plus de 100 000 morts constitue une sinistre illustration de la faiblesse dans ce pays de la classe ouvrière, la seule force qui puisse mettre un frein à la barbarie guerrière. Et c'est une situation qui vaut aussi, même si sous des formes moins tragiques, pour les autres pays arabes où la chute des anciens dictateurs a abouti à la prise du pouvoir par les secteurs les plus rétrogrades de la bourgeoisie représentés par les islamistes, comme en Égypte ou en Tunisie, ou par un chaos sans nom comme en Libye".[5] [355]
Aujourd'hui, le cours des événements confirme pleinement l’analyse du CCI basée sur ce qu'avait écrit en 1916 Rosa Luxembourg, citant Engels dans la Brochure de Junius : "la société bourgeoisie est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie. Mais que signifie donc une rechute dans la barbarie au degré de civilisation que nous connaissons en Europe aujourd'hui ? Jusqu’ici nous avons lu ces paroles sans y réfléchir et nous les avons répétées sans en pressentir la terrible gravité. Jetons un œil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoisie dans la barbarie. Le triomphe de l'impérialisme abouti à l’anéantissement de la civilisation, sporadiquement pendant le durée d'une guerre moderne et définitivement si la période de guerres mondiales qui débute maintenant devait se poursuivre sans entraves jusque dans ses dernières conséquences. (…) Nous sommes placés aujourd'hui devant ce choix : ou bien triomphe de l'impérialisme et décadence de toute civilisation, avec pour conséquence, comme dans la Rome antique, le dépeuplement, la désolation, la dégénérescence, un grand cimetière ; ou bien victoire du socialisme, c'est-à-dire la lutte consciente du prolétariat international contre l'impérialisme et contre sa méthode d'action : la Guerre. C'est là un dilemme de l'histoire du monde, un 'ou bien', 'ou bien' encore indécis dont les plateaux balancent devant la décision du prolétariat conscient. Le prolétariat doit jeter résolument dans la balance le glaive du combat révolutionnaire ; l'avenir de la civilisation et de l'humanité en dépendent".
WH (12 septembre 2013)
[1] [349] Comment l'Empire ottoman fut dépecé, de Henry Laurens dans Le Monde Diplomatique (avril 2003).
[2] [356] Rohrbach, cité par Rosa Luxembourg dans la Brochure de Junius.
[3] [357] Notons qu'il existe toujours un contentieux entre Israël et la Syrie à propos du plateau du Golan. A cela, nous pouvons ajouter que la relance du programme nucléaire iranien envenime fortement les rapports entre toutes ces puissances.
[4] [358] La dynastie des el-Assad est issue de la minorité alaouite dans un pays majoritairement sunnite, ce qui a permis d'embrigader de nombreux sunnites "spoliés" par une minorité religieuse.
[5] [359] Extrait de la Résolution sur la situation internationale du XXe congrès du CCI.
Au début de l’été, certains média internationaux publièrent, en catimini, l’information concernant la lutte des retraités au Nicaragua pour leurs pensions et la répression qu’ils ont subie de la part du gouvernement sandiniste1. Les titres affirmaient: “le gouvernement sandiniste réprime les petits vieux”2. Le gouvernement d’Ortega s’en est évidemment défendu. Nous publions ci-dessous à ce sujet l'article envoyé par le Noyau de Discussion Internationaliste du Costa Rica (groupe proche du CCI). L'article dénonce le piège dans lequel la bourgeoisie a essayé d'enfermer la lutte des retraités pour la faire passer pour une simple campagne politique de l’opposition, la transformant en étendard de la lutte entre fractions bourgeoises. Cet article défend en même temps la nature spontanée et prolétarienne de ce conflit qui a eu droit à la brutalité de la répression officielle, celle des « corps francs » du sandinisme. Dans le camps adverse, le cynisme instrumentalise cette lutte pour déloger les sandinistes du gouvernement et occuper leur place. Le texte compare cette lutte aux manifestations du Brésil et de Turquie en remarquant que dans ces deux pays il s’agissait surtout d'une réaction des jeunes alors qu'au Nicaragua ce sont plutôt les anciens qui se sont exprimés. Mais dans tous les cas, il s’agit d’une même lutte ouvrière. Nous sommes d’accord avec cette insistance, au-delà des particularités soulignées : la massivité, en premier lieu. Les explosions des Indignés ou les luttes qui se sont déroulées au Brésil à cause des prix des transports, ou celle de Turquie, ont mobilisé en effet davantage, des centaines de milliers de personnes. La classe ouvrière, en second lieu, a participé plus nettement à la lutte avec d’autres secteurs de la population dans ces pays. Même si ses initiatives et ses traditions de luttes ont imprégné ces mouvements, particulièrement les assemblées en Espagne et la solidarité en Turquie et au Brésil, la classe ouvrière n’a pas acquis la confiance suffisante pour prendre la direction de la lutte, pour mettre en avant ses revendications propres en tant que classe, pour mettre en avant sa perspective de lutte, etc.
La lutte des “petits vieux” a été vraiment très loin d’être aussi massive que celle de ces pays. Elle a été cependant une expression véritable de la classe ouvrière, d’un bout à l’autre, malgré des faiblesses indéniables.
Comme partout ailleurs dans le monde, le capitalisme et sa crise attaquent toujours davantage la classe ouvrière. La misère ne fait qu’augmenter avec une répression brutale face à n’importe quelle volonté de lutter. Le sandinisme, qui historiquement a été « vendu » comme une alternative « socialiste », montre encore une fois son vrai visage, comme partie de la bourgeoisie mondiale et réprimant la classe ouvrière. C’est dans ce contexte qu’on comprend la manifestation des retraités du Nicaragua, dans le cadre des luttes qui se développent ici ou là dans le monde, avec une classe ouvrière qui se refuse à perdre le peu qu’elle a sur l’autel de l’enrichissement de quelques capitalistes et qui ne supporte plus le poids de le crise d’un système depuis longtemps pourri et décadent. Le gouvernement sandiniste n’est pas en reste pour faire payer sa crise aux exploités. Même si les manifestations n’atteignent pas l’ampleur des luttes les plus récentes en Turquie et, par la suite, au Brésil, elles font partie de la même lutte de la classe ouvrière du monde entier. La lutte de ces personnes âgées ne concerne pas qu’elles seules mais aussi les jeunes et la classe toute entière, parce qu’on attaque les retraites de la même manière qu’on attaque les conditions de vie de l’ensemble des travailleurs et des autres exploités.
Un groupe de personnes âgées a occupé en juin dernier pendant quelques jours les bureaux de la Sécurité Sociale du Nicaragua (INSS) pour exiger une pension minimum pour les travailleurs qui n’ont pas pu accéder au minimum de 750 parts de cotisations. Ce qu’ils demandent c’est qu’on leur octroie une pension sur la base d’un salaire minimum de 140 $ et quelques possibilités de soins médicaux. Seulement 8 000 sur les 54 000 travailleurs qui se trouvent dans ces conditions reçoivent un "ticket solidaire" de 50 $, une quantité avec laquelle on peut à peine survivre. Le reste ne reçoit rien du tout !
Selon les données de l’INSS, 71 658 personnes, dont 54 872 toujours en vie, ont cotisé entre 250 et 750 points. La réponse des responsables de l’INSS a été la suivante : « il n’y a pas d’argent ! », « c’est Anastasio Somoza qui a tout emporté en 1979 ! »3.
La répression est tombée sur les « viejitos » de deux côtés : les milices sandinistes et la police. Durant l’occupation, la police a barré l’accès aux familles et aux amis qui portaient du ravitaillement aux occupants, dont certains ont affirmé qu’on les avait empêchés d’aller chercher à boire. Quelques jours après, de jeunes sympathisants se sont joints aux protestations. Le Gouvernement, de son côté, a mis en branle des milices de choc qu’il a déguisé en « organisation spontanée populaire » que la police a laissé passer pour qu’elles puissent s’adonner à une répression en règle bien plus agressive que celle de la police elle-même. Cela, d’autant plus que personne ne pouvait porter une quelconque plainte puisque personne n’avait rien vu et qu'aucun agresseur n’avait été arrêté. À la fin, les forces de l'ordre ont procédé à un délogement musclé sous prétexte « d’amener les gens âgés à une visite médicale préventive », alors que c’est la police elle-même qui avait empêché l’entrée de nourriture et boisson mettant ainsi en danger la santé de ces personnes ! En plus, les occupants ont été accusés d’avoir « causé des ravages » aux installations.
Quelques jours après, les autorités ont appelé à une « contre-manifestation » pour montrer la « solidarité avec le gouvernement ». Et comme il arrive lors des mobilisations parrainées par le gouvernement sandiniste, celui-ci a mis en branle tous les moyens logistiques dont il disposait pour garantir le succès d’un tel appel.
Le discours de l’opposition au gouvernement et de la bourgeoisie internationale reste toujours le même : « Le gouvernement de gauche du Nicaragua réprime les vieux », alors que, de l’autre côté, le gouvernement sandiniste affirme que « La droite veut manipuler nos petits vieux ». C'est ce qu’on peut lire sur les média de la bourgeoisie internationale et sur ceux des sandinistes. Voilà un jeu destiné à tromper notre classe et donner l’impression qu’il y a une différence entre les uns et les autres alors qu’ils font tous partie de la même classe exploiteuse.
Il est juste que ces personnes âgées veuillent lutter pour leurs pensions de retraite et nous devons les défendre. Nous devons dénoncer la répression du gouvernement sur la classe ouvrière dont une de ses fractions se retrouve dans la misère, comme c’est le cas des travailleurs ayant cumulé peu de cotisations. Le fait de ne pas avoir les cotisations suffisantes est surtout dû au travail précaire effectué par ces personnes, sans compter tous ces travailleurs qui sont partis au Costa Rica et qui en sont revenus sans la moindre cotisation à cause de leur situation de travail illégal.
Le discours du gouvernement d’Ortega appelle à un patriotisme pseudo-socialiste qui divise la classe ouvrière. Ils disent que c’est « la droite » qui est derrière les luttes, et, au niveau international, on accuse « la gauche » d’être à l’origine de ces mesures contre « les petits vieux ». Quelle que soit l’excuse qu’ils mettent en avant : « il n’y a pas d’argent par la faute de Somoza », pour les uns, ou « c’est bien la gauche qui réprime les retraités » pour les autres, on voit très bien que la gauche et la droite font la même chose. Tous leurs discours ne servent qu’à occulter le fait qu’ils font une même politique : opprimer la classe ouvrière par le capital quel que soit sa forme.
Il est important de démasquer ce faux dualisme qui ne sert qu’à diviser la classe ouvrière. Il faut dévoiler ce qui se cache derrière la gauche du capital avec son soi-disant "socialisme du XXIème siècle" qui n’est que le même capitalisme et la même exploitation que partout ailleurs.
Le chemin politique des Indignés en Turquie et au Brésil, où l’on commence à mettre en avant une lutte plus générale contre le capitalisme, montre que la seule alternative pour la classe ouvrière c’est de lutter unis, ce qui requiert une confrontation avec les syndicats qui ne cherchent qu'à diviser pour finir par la défaite dans des luttes isolées, de secteur ou de corporation. C’est cette vision de l’unité qui a permis que dans des luttes très concrètes la conscience évolue et que puisse être mis en avant la lutte en tant que classe, défendant des intérêts communs, en proposant un futur. Le capitalisme dans la crise actuelle montre de façon de plus en plus évidente ce qu’est sa réalité historique et comment seule une société nouvelle pourra sortir l’humanité de l’abîme dans lequel elle est en train de sombrer. Il n’y a pas d’autre issue à la crise que la destruction du capitalisme, que la défaite de tous ses gouvernements y inclus ceux qui se font appeler « socialistes ». Il n’y a que la classe ouvrière unie qui puisse assurer un avenir à l’humanité et freiner la destruction de la planète.
Núcleo [Noyau] de Discusión Internacionalista en Costa Rica (Juillet 2013)
Managua, juin 2013
1 Ce que le CCI a écrit en français sur le sandinisme au Nicaragua se retrouve éparpillé dans différents articles, mais peut se résumer dans cette citation : « Même s’ils veulent établir un “gouvernement de type socialiste-révolutionnaire”, ce n’est, concrètement dans la réalité des faits, que le même scénario que celui écrit par le sandinisme au Nicaragua : la défense pure et simple du régime bourgeois et de l’économie nationale », article faisant référence au Nicaragua en parlant des élections dans le pays voisin El Salvador.[« Elections au Salvador : le FMLN, de la guérilla stalinienne au gouvernement »]. En espagnol on peut lire : « À la suite des élections en 2006, ces mêmes sandinistes sont revenus au pouvoir » (Revolución mundial nº 96 (2007), “Nicaragua: regresan los sandinistas al gobierno para dar continuidad a la explotación y opresión”). [NdT]
2 « viejito », « petit vieux », ce diminutif n’est ni méprisant ni condescendant dans l’espagnol des Amériques, mais affectueux pour désigner les personnes âgées. [NdT]
3 Cet A. Somoza faisait partie d’une famille de dictateurs qui depuis les années 1930 tenait le pouvoir au Nicaragua avec les méthodes les plus brutales, soutenu par les Etats-Unis, pays pour lequel ce type de gouvernants devait être la garantie contre toute avancée du bloc adverse (l’URSS) dans les pays latino-américains, surtout à la suite de la victoire castriste à Cuba. Fondé dans les années 60, un groupe guérillero, le Front Sandiniste, soutenu par ce bloc adverse, a fini par renverser Somoza. Les Sandinistes gouvernent actuellement le Nicaragua avec le soutien du chavisme vénézuélien, mais surtout, étant une économie très endetté et très pauvre, par divers organismes internationaux : tout cela enveloppé d’un verbiage du type socialiste-national avec des concessions au catholicisme et agrémenté d’anti-américanisme.[NdT].
La « paix » ne règne pas au Mali ! Bien au contraire, l’impérialisme français s’enfonce de plus en plus dans le chaos malien. Pourtant, au même moment, la France a décidé de faire le coup de feu en Centrafrique, un autre pays du Sahel, pour soi-disant « protéger » les populations et « rétablir l’ordre et permettre une amélioration de la situation humanitaire ». En effet, les médias exposent en ce moment des images en provenance de la Centrafrique sur les massacres et le Département d’Etat américain évoque une situation « pré-génocidaire ». Bref, l’horreur est omniprésente au cœur du continent africain. Mais aucune presse ne mentionne la responsabilité de la France dans l’explosion de cette barbarie alors que l’Etat français est l’acteur ou le témoin principal des crimes, passés et présents, commis dans son ex-pré carré colonial.
En ce qui concerne le Mali, contrairement aux allégations mensongères de François Hollande, sa fameuse « victoire sur les groupes terroristes » ne se confirme toujours pas ! Le pouvoir français a beau obliger les cliques maliennes à organiser des « élections libres » et « démocratiques » (présidentielles en août et législatives en ce mois de novembre) en vue de « restaurer l’Etat malien et assurer la paix », cette propagande mensongère est en totale contradiction avec les faits eux-mêmes.
« …pourquoi avoir engagé 1 500 militaires dans cette « nouvelle reconquête » du Nord Mali ? Avec, comme supplétifs, quelques éléments de l’armée malienne et de la force africaine de l’ONU dont les officiers français déplorent « le manque de combativité et leurs équipements médiocres ». Enfin, quelle bizarre idée d’avoir baptisé « opération Hydre » ce nouvel engagement français, en référence à ce serpent dont les sept têtes repoussent après avoir été tranchées… En réalité, des avions de combat interviennent régulièrement, et, parfois les combats sont rudes, près de Gao et de la frontière du Niger. (…) A Bamako, l’amiral Guillaud (patron des armées françaises) a parlé métier. Au général Marc Fourcaud, commandant du corps expéditionnaire français, et, à ses officiers, il s’est bien gardé de fixer une date pour la fin de leur intervention : ‘Il faut redoubler d’adaptation, d’imagination et de vigilance face à un adversaire qui se montre jusqu’au-boutiste ‘. Façon de dire qu’il ne s’agit pas d’ « une simple action de contre-terroriste » comme le prétend Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense. » (Le Canard enchaîné du 30/10/13)
« Malgré la présence de milliers de soldats français et africains dans le septentrion malien pour les traquer, les éléments de ces groupes terroristes ont pu perpétrer, depuis septembre 2013, trois attaques meurtrières. Particulièrement élaboré, le raid mené le 23 octobre dernier à Tessalit, dans le nord-est du Mali, contre des soldats tchadiens de la Mission intégrée des Nations-unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) nous apprend beaucoup sur la capacité de résistance d’Aqmi et du Mujao ». (Courrier international 7-13/11/13)
A cela s’ajoute une série d’accrochages meurtriers entre l’armée malienne et les forces nationalistes du NMLA en vue de contrôler la ville de Kidal, sans compter les sanglantes prises d’otages et autres explosions de kamikazes dont les civils font régulièrement les frais.
Tout ceci confirme qu’au Mali la guerre est toujours aussi sanglante entre barbares islamistes et gangs agissant au nom de la défense de l’ordre et de la démocratie, tous également avides de sang et de gains économiques, tous semant la mort et la désolation parmi les populations sahéliennes sans le moindre état d’âme.
Depuis mars 2013, la Centrafrique est plongée dans un chaos sanglant, suite à un coup d’Etat militaire piloté par une coalition de rebelles se nommant la « Séléka » qui a chassé du pouvoir l’ex-président (putschiste) François Bozizé en mettant à sa tête un élément de la rébellion Michel Djotodia. Une fois au pouvoir, les groupes armés se livrent quotidiennement aux assassinats, au pillage des ressources (or, diamant, etc.), au racket, à la rafle des jeunes dans les quartiers, aux viols... Pour échapper à ce monstrueux carnage, des centaines de milliers d’habitants ont dû quitter leur domicile en allant se réfugier tantôt dans la forêt tantôt dans les pays voisins. Mais, de fait, il n’y a pas que les ex-rebelles au pouvoir qui sèment la terreur, il y a aussi leurs opposants. Par exemple, les partisans de l’ancien président renversé se comportent eux aussi en bourreaux, tout cela sous les yeux indifférents des centaines de soldats français qui se contentent odieusement de « compter les points » et les morts. Sans doute hanté par « l’expérience rwandaise » où il fut accusé de complicité dans le génocide, l’impérialisme français se lance dans une nouvelle intervention en Centrafrique.
« Ce n’est plus qu’une question de jours, la France va lancer une opération militaire en République centrafricaine (RCA). ‘Une opération coup de poing, limitée dans le temps, pour rétablir l’ordre et permette une amélioration de la situation humanitaire », indique une source au ministère de la défense’ ». (Le Monde, 23/11/13)
Au moment où nous rédigeons ces lignes, le gouvernement français annonce l’envoi en Centrafrique d’un millier de soldats allant renforcer les 400 sur place en permanence.
« Pour le meilleur comme pour le pire, c’est un pays que Paris connaît bien. Ce fut même une caricature de ce que l’on appelait jadis la « Françafrique ». Un Etat où la France faisait et défaisait les régimes. Remplaçant des dictateurs en cours d’émancipation par d’autres qui lui étaient redevables. On a bien noté les visites mystérieuses ces derniers mois à Bangui de Claude Guéant et de Jean-Christophe Mitterrand, deux figures d’une « Françafrique » moribonde ». (Le Monde, 28/11/13)
En effet, le gendarme français retrouve le chemin de Bangui pour y rétablir son ordre néo-colonial, mais contrairement au gros mensonge du gouvernement Hollande, ce n’est pas pour « permettre une amélioration de la situation humanitaire » ou à cause des « exactions extraordinaires » qui s’y déroulent. Car cela fait bientôt un an que les autorités françaises ferment les yeux sur les « actes abominables » se déroulant en Centrafrique et pire encore le silence était de mise jusqu’aujourd’hui à tous les étages du pouvoir français, grands médias compris. Et pour cause. Le gouvernement français se sentait bien mal à l'aise pour dénoncer les massacres et mutilations que subissent les populations centrafricaines. D’abord, rappelons que le général François Bozizé (arrivé au pouvoir en 2003 par un coup d’Etat téléguidé par Paris) a été renversé fin mars 2012 par une coalition de groupes armés (la « Séléka ») soutenue en sous main par la France. En réalité, l’impérialisme français s’est servi de ces bandes armées pour se débarrasser de l’ancien « dictateur » qui échappait à son contrôle : « Jacob Zuma n’a pas hésité une seconde à voler au secours du président centrafricain François Bozizé lors que ce dernier, menacé par une rébellion armée, a fait appel à lui en décembre 2012. Le fait que Bozizé ait été lâché par la France et soutenu de façon quelque peu ambiguë par ses voisins francophones- considérés à Pretoria comme autant des néo-colonies- a encore accru la détermination sud-africaine à intervenir. En une semaine, 400 soldats de la force de défense nationale d’Afrique du Sud (SANDF) ont été transportés à Bangui. Installé dans les locaux de l’école de la police du kilomètre 9, mais aussi à Bossembélé et à Bossangoa à l’intérieur du pays, ils n’ont aucun contact, ni avec les forces africaines multinationales présentes sur place, ni avec l’ONU, ni bien sûr avec le contingent français. Jakob Zuma n’a de comptes à rendre à personne. Et ce ne sont pas les sociétés chinoises qui, dans le plus grand secret, opèrent depuis 3 ans dans le nord-est de la Centrafrique, où des gisements de pétrole sont désormais avérés, qui s’en plaindront. Elles n’attendent qu’une protection sud-africaine pour démarrer les premiers forages ». (Jeune Afrique, 10/03/13).
On voit là la vraie raison du « lâchage » de l’ex-président Bozizé : la « trahison » de son maître français en allant « coucher » avec l’Afrique du Sud, rivale déclarée de la France derrière laquelle se cache à peine la Chine, l’autre redoutable concurrent en train de s’emparer des ressources pétrolières de ce pays. Pourtant, en fonction des « accords de défense » existant entre les deux pays (permettant, entre autres, la présence militaire française permanente en Centrafrique), Hollande aurait dû soutenir Bozizé qui avait fait appel à lui. Au lieu de cela, le président français a décidé de « punir » son « ex- ami dictateur » par tous les moyens y compris en facilitant l’avancée des bandes sanguinaires de la Seléka jusqu’au palais présidentiel entouré par ailleurs de centaines de militaires français.
Cela permet de comprendre la dose de cynisme de la part de François Hollande quand on l’entend déclarer aujourd’hui : « Il se produit en Centrafrique des actes abominables. Un chaos, des exactions extraordinairement graves. Nous devons agir. (sic !) ».
Voila une hypocrisie de langage qui tente de camoufler et de justifier les abominables crimes que l’ex-puissance coloniale s’apprête à commettre en Centrafrique comme elle cherche à masquer sa complicité avec les diverses cliques sanguinaires concurrentes en présence et sa part majeure de responsabilité dans les horribles massacres en cours dans ces pays.
En clair, le gouvernement Hollande se fiche totalement du sort des populations centrafricaines, maliennes et autres, de leurs souffrances multiples. Il s’agit pour lui, de façon inavouée, simplement de défendre les intérêts du capital national par tous les moyens, dans un des derniers bastions de l’impérialisme français, le Sahel, région hautement stratégique et bourrée de matières premières, face aux autres requins impérialistes qui lui disputent son influence.
Amina (29 novembre)
L'éclatement de la guerre mondiale en 1939 porta un coup terrible aux petites minorités qui avaient survécu aux premières tempêtes de la contre-révolution dans les années 1920 et 1930. La Gauche communiste italienne en exil qui, pendant la plus grande partie de son existence, avait été si lucide sur les préparatifs et les perspectives de guerre, avait succombé aux consolations de la "théorie de l'économie de guerre" dont les tenants défendaient que si la guerre était déclenchée, ce serait pour contenir le début de la révolution mondiale ; puis à celle de "la non existence sociale du prolétariat" pendant la guerre, une formule qui aboutissait à liquider la Fraction. Comme les communistes de conseil, les éléments qui, en Belgique et en France, rejetaient ces théories et voulaient maintenir une activité révolutionnaire se virent rapidement confrontés à la terreur de l'occupation nazie ou à la répression des régimes de collaboration. Quelques groupes anarchistes internationalistes et quelques individus, éparpillés, maintinrent fermement leurs principes mais beaucoup d'autres, plus nombreux, avaient déjà capitulé à l'idéologie de l'antifascisme. Et la trahison la plus retentissante de toutes fut incarnée par le courant trotskyste dont l'écrasante majorité s'engagea dans la guerre impérialiste sous la bannière de l'antifascisme, de la défense de la démocratie et de l'URSS. Les débats sur la forme et sur le contenu de la future révolution qui avaient permis de vraies avancées théoriques au cours des années 1930, furent inévitablement relégués au second plan.
Mais après une courte période de désarroi, le mouvement révolutionnaire commença à se remettre, malgré l'énorme défi imposé par le travail clandestin et l'isolement de la minorité communiste vis-à-vis de la classe ouvrière qui avait, en grande partie, été convaincue du fait que cette guerre était différente, que c'était une guerre de défense de la civilisation contre la barbarie. En France, un petit groupe, surtout actif dans le Sud contrôlé par Vichy, s'étant fermement opposé à la tendance liquidationniste dans la Fraction italienne, se constitua en tant que Fraction française de la Gauche communiste en 1942 1. En Hollande, les survivants du courant communiste de conseils et en particulier le "Marx-Lénine-Luxemburg Front" autour de Sneevliet réussirent à maintenir une activité organisée, et même à intervenir en 1941 dans la grève héroïque des chantiers navals et d'autres ouvriers contre la déportation en Allemagne de collègues de travail et contre la persécution des Juifs 2. Dans le milieu trotskyste, un certain nombre de groupes se dressa contre la trahison des organisations "officielles" : le groupe de Stinas en Grèce, le groupe autour du révolutionnaire espagnol Munis, les RKD (Communistes révolutionnaires d'Allemagne) composés de révolutionnaires autrichiens exilés en France 3. En Italie en 1943, les grandes usines du Nord connurent une puissante vague de luttes, ce qui ranima l'espoir qu'avaient beaucoup de révolutionnaires que la Deuxième Guerre mondiale finirait comme la Première : par une vague de révolutions prolétariennes. Cette poussée d'optimisme amena rapidement à constituer en Italie le Partito Comunista Internazionalista (PCInt), composé d'éléments de la gauche italienne rentrant d'exil et de ceux restés en Italie qui soit s'étaient trouvés (périodiquement) en prison comme Damen, soit assignés à résidence comme Bordiga 4
Peu de temps après, la réflexion théorique et les débats sur les buts de la révolution reprirent aussi dans ce mouvement ré-émergent. Dans la Hollande occupée, Anton Pannekoek commença secrètement à écrire son livre Les Conseils ouvriers qui réaffirmait la perspective révolutionnaire et investiguait les formes et les méthodes de lutte nécessaires au renversement du capitalisme et à la création d'une société communiste. Dans la Fraction française eurent lieu d'intenses discussions sur la nature de classe de la Russie soviétique et sur les caractéristiques d'un régime prolétarien authentique. Et lorsque la fin de la guerre libéra les organisations des restrictions de l'activité clandestine, il y eut pendant quelque temps une floraison des débats dans les organisations et parfois entre elles comme dans les conférences d'internationalistes qui se tinrent en Hollande en 1947 5. C'est dans l'après-guerre que se constitua en Hollande le Spartacusbond qui rejetait les conclusions anti-organisationnelles qu'avait tirées la plupart des groupes hollandais au cours des années 1930 ; que Bordiga produisit des textes clés sur la dictature et la violence ; et que la Gauche communiste de France, groupe qui succéda à la Fraction française en 1946, entreprit un examen théorique inestimable de la nature de l'Etat de la période de transition.
C'est cet examen que nous publions ici, parce qu'il représente à la fois une continuité des travaux effectués par Bilan sur les problèmes de la période de transition (republiés précédemment dans cette série) et une avancée par rapport à ceux-ci. C'est à notre avis la contribution sur les problèmes de la transition au communisme la plus pérenne qui a été faite dans la période d'après-guerre.
Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'y ait rien à retenir de ce que d'autres courants développaient à cette époque, au contraire.
Le livre de Pannekoek, Les Conseils ouvriers, par exemple, constitue une excellente présentation de sa compréhension de la dynamique de la lutte de classe et de la façon dont les caractéristiques fondamentales de celle-ci– le développement de la solidarité, de l'organisation et de la conscience et, surtout, la tendance à la grève de masse – furent portées sur un nouveau plan avec l'apparition des conseils ouvriers, la forme enfin trouvée qui permettait au prolétariat de renverser le capitalisme et de reconstruire une société sur des fondements communistes. Toute discussion sur le formes d'organisation de la classe à l'époque de la révolution prolétarienne nécessite d'assimiler ce travail.
Et, cependant, comme le souligne notre livre sur la gauche hollandaise, ce travail souffre de certaines faiblesses cléfondamentales 6.
En ce qui concerne la période de transition, le livre est en continuité avec le livre du GIC Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes et se centre sur la question des bons du travail et de la comptabilité "sociale" comme moyen pour la classe ouvrière de garder le contrôle du processus productif dans la construction de la nouvelle société. En d'autres termes, la question centrale, pour Pannekoek comme pour le GIC, se situe dans la sphère de l'économie, même s'il reconnaît que pour la classe ouvrière les domaines de l'économique et du politique ne peuvent être séparés de façon rigide et que les conseils ouvriers assumeraient certainement des tâches politiques dans le cours vers le renversement révolutionnaire du capitalisme. Cependant, ces tâches politiques restent extrêmement vagues. Le pouvoir collectif de la classe ouvrière dans ses conseils, élus par des assemblées sur les lieux de travail, est vu comme une expression de la "dictature du prolétariat" de Marx, mais le problème de l'Etat de transition – de son surgissement inévitable et des dangers qu'il entraîne – est tout bonnement absent de ses considérations ; cette sous-estimation de la dimension politique de la révolution s'exprime également par l'abandon par Pannekoek de la notion de parti communiste, parti qu'il avait défendu dans la phase ascendante de la vague révolutionnaire au début des années 1920.
Le texte de Bordiga "Force, violence et dictature dans la lutte de classe" (1946) 7 semble sous bien des aspects tomber dans des erreurs symétriques à celles de Pannekoek. La force de ce travail est de réaffirmer contre l'hypocrisie pacifiste du consensus "démocratique" qui incluait le parti communiste stalinien – et avait émergé sur la base du plus grand massacre de l'histoire de l'humanité – les bases de classe de la révolution qui était à l'ordre du jour de l'histoire, et la nécessité pour le prolétariat d'avoir recours à la violence organisée dans le renversement du régime capitaliste et l'établissement de sa propre dictature politique Bordiga mettait l'accent sur l'inévitabilité d'une guerre civile, d'un État transitoire pour écraser la résistance de la classe dominante, et d'un parti communiste pour exprimer et défendre les buts du communisme contre les confusions et les hésitations inévitables existant dans la classe.
Bordiga comprenait aussi l'importance historique des organes du type soviets ou conseils :
"Les conseils sont effectivement à la base des organes de classe et non pas, comme on l’a cru, des combinaisons de représentations corporatives ou professionnelles ; donc ils ne présentent pas les limitations qui affectent les organisations purement économiques. L’importance de ces conseils réside pour nous avant tout dans le fait qu’ils sont des organes de lutte et c’est en nous reportant à l’histoire de leur développement réel, et non à des modèles fixes de structure, que nous cherchons à les interpréter.
Ce fut donc un stade essentiel de la révolution que celui où les Conseils se dressèrent contre la Constituante à type démocratique qui venait d’être élue et où le pouvoir bolchévique dispersa par la force l’assemblée parlementaire réalisant le mot d’ordre historique génial de “Tout le pouvoir aux soviets”. " 8
En même temps, Bordiga mettait en garde contre le danger de transformer en fétiche les majorités démocratiques issues de ce type d'organes :
"Mais tout ceci ne suffit pas à nous faire accepter l’opinion qu’une telle représentation de classe une fois constituée, et mise à part la fluctuation en tous sens de sa composition représentative, il soit permis d’affirmer qu’à n’importe quel moment de la lutte difficile conduite par la révolution à l’intérieur et à l’étranger, la consultation ou l’élection des Conseils soit un moyen commode de résoudre à coup sûr toutes les questions et même d’éviter la dégénérescence contre-révolutionnaire.
Cet organisme décrit un cycle très complexe qui, dans l’hypothèse la plus optimiste, doit se conclure par sa disparition en même temps que l’État dépérira. Mais pour cette raison même, il faut admettre que le mécanisme du Soviet tout comme il est susceptible d’être un puissant instrument révolutionnaire, peut aussi tomber sous des influences contre-révolutionnaires. En conclusion, nous ne croyons à aucune immunisation constitutionnelle contre ce danger, qui se trouve uniquement dépendre du développement intérieur et mondial du rapport des forces sociales." (Idem)
Il est certain que ni un vote majoritaire ni une "forme constitutionnelle" ne constitue une garantie de la conscience de classe ni, automatiquement, une barrière contre l'opportunisme ou la dégénérescence. Cette critique de ce qu'on pourrait appeler le "démocratisme" avait déjà été élaborée dans de précédents travaux sur la période de transition par la Fraction italienne, comme dans les articles de Vercesi "Parti-Etat-Internationale" 9. Mais Bordiga semblait ignorer totalement l'existence du travail critique effectué par la Fraction sur le problème de l'Etat post-révolutionnaire – ces écrits qui, tirant des leçons de l'expérience de dégénérescence du pouvoir prolétarien en Russie, argumentaient contre la méconnaissance des aspects négatifs existant même dans le "demi-Etat". Bordiga, lui, ne faisait pas de distinction entre l' "Etat prolétarien" et le véritable exercice du pouvoir par le prolétariat et considérait même l'Etat comme le levier de la transformation révolutionnaire de la société ; et là où la Fraction avait analysé un véritable problème avec l'identification du parti à l'Etat, ce qui avait contribué de façon significative à la dégénérescence interne de la révolution en Russie, Bordiga niait totalement que cela ait été un facteur important dans la liquidation du pouvoir politique prolétarien. Pour lui, le parti était le principal instrument à la fois de l'insurrection prolétarienne et de la domination post-insurrectionnelle. Comme il l'écrit dans un texte de 1951, "Dictature du prolétariat et parti de classe" :
"Le parti communiste déclenche la guerre civile et la gagne, occupe les positions-clef au sens militaire et social, multiplie par mille ses moyens de propagande et d’agitation en conquérant les bâtiments et édifices publics, forme sans perdre de temps en procédures les “corps d’ouvriers armés” dont parle Lénine, la garde rouge, la police révolutionnaire. Aux assemblées des Soviets, il devient majorité sur le mot d’ordre : “Tout le pouvoir aux soviets !”. Cette majorité est-elle un fait juridique, froidement et banalement numérique ? Nullement. Quiconque – espion ou travailleur sincère mais trompé – vote pour que le Soviet renonce au pouvoir conquis grâce au sang versé par les combattants prolétariens ou pour qu’il en trafique avec l’ennemi, sera expulsé à coups de crosse par ses camarades de lutte. Et on ne perdra pas de temps à le compter dans une minorité légale, hypocrisie coupable dont la révolution n’a pas besoin, alors que la contre-révolution s’en nourrit. …
En conclusion, le parti communiste gouvernera seul et n’abandonnera jamais le pouvoir sans une lutte matérielle. Cette affirmation courageuse de la volonté de ne pas céder à la tromperie des chiffres et de ne pas en faire usage aidera à lutter contre la dégénérescence de la révolution." 10
L'idée de déléguer le pouvoir au parti allait être mise en question par Damen et par d'autres dans le PCInt et constitua l'un des éléments de la scission du parti en 1952 mais, de notre point de vue, c'est la GCF qui est allée le plus loin dans l'assimilation des véritables enrichissements théoriques réalisés par la Fraction italienne au cours de la précédente décennie. La GCF avait succédé à la Fraction française à la suite d'une scission sur la question de la constitution du parti en Italie. Un noyau de camarades en France s'était opposé à la dissolution hâtive de la Fraction italienne et avait vu que les espoirs d'une reprise révolutionnaire qui étaient nés en 1943, s'étaient avérés sans fondement : l'issue de la guerre avait renforcé la défaite du prolétariat et, par conséquent, la tâche de l'heure n'était pas la formation d'un nouveau parti mais essentiellement la poursuite du travail de la Fraction. Un élément de cette orientation fut l'engagement de la GCF à poursuivre et à développer l'ensemble du patrimoine théorique de la Fraction et elle appliqua cette méthode à la question de la période de transition.
Comme l'avait fait la Fraction, le texte de la GCF renouait avec les critiques les plus approfondies de l'Etat, élaborées dans les écrits de Marx et Engels, montrant que le rapport entre le prolétariat et l'Etat – y compris l'Etat post-révolutionnaire – était très différent de celui qu'avaient avec lui les classes révolutionnaires précédentes dont la mission était d'introduire une nouvelle forme d'exploitation de classe. Mais alors que la Fraction avait repris, à la lumière de la dégénérescence de la révolution russe, les avertissements pleins d'intuition de Engels selon lesquels même l'Etat de transition devait être traité comme un "fléau" et où il insistait sur le fait que le prolétariat ne pouvait s'y identifier, la GCF accomplit un pas supplémentaire et conclut logiquement de cela que si le prolétariat ne pouvait s'identifier à l'Etat de transition, cela n'avait pas de sens de l'appeler prolétarien.
"L’obligation historique pour le prolétariat de se servir [de l'Etat] ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer : le prolétariat.
La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de 'l’État ouvrier', de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État…
…L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant." ("Thèses" de la GCF, reproduites ci-dessous)
Egalement, alors que la Fraction avait commencé à développer une compréhension de la tendance générale au capitalisme d'Etat dans la période de décadence de la société bourgeoise, le texte de la GCF l'exprime de façon bien plus explicite tout en rejetant en même temps les ambiguïtés de Bilan sur la survie d'une 'économie prolétarienne' dans l'URSS d'avant-guerre, qui aurait été incarnée par la collectivisation des moyens de production. Le texte de la GCF est très clair sur le fait que le capitalisme ne dépend en aucune façon de la propriété "privée" individuelle et est en fait tout à fait compatible avec la propriété d'Etat même sous une forme extrême et totalitaire : donc le système en URSS, basé sur l'extraction de la plus-value du prolétariat par une minorité de bureaucrates d'Etat, était totalement capitaliste. Le texte de la GCF rejette l'idée même d'une "économie prolétarienne" et considère en revanche la période de transition non comme un mode de production stable mais comme un champ de bataille entre le capitalisme et le mouvement vers le socialisme.
Néanmoins, dans certains domaines, la GCF en 1946 n'avait pas encore dépassé certains des points plus faibles de la position de Bilan.
- La notion selon laquelle les tâches économiques de la période de transition se centrent autour du développement des forces productives jusqu'au point où l'abondance peut être réalisée, des tâches conçues comme un processus d' "accumulation de valeurs", quoique ce processus soit marqué par un accroissement proportionnel du capital variable en opposition au capital constant, par un changement fondamental de la production de biens de production vers la production de biens de consommation. Cette démarche sous-estime la nécessité de lutter dès le début contre le travail salarié, même si la Fraction tout comme la GCF avaient raison de considérer que la loi de la valeur n'allait pas disparaître en une nuit. De plus, aujourd'hui, plus d'un demi-siècle après que le texte de la GCF a été écrit, il est plus évident que jamais que la tâche principale du prolétariat ne sera pas de "développer" la technologie jusqu'à rendre l'abondance possible, mais de réorganiser et de transformer les rapports sociaux de production afin de libérer le potentiel déjà existant pour l'abondance. 11
- Le texte parle toujours, comme la Fraction, de l'exercice de la dictature du prolétariat par le parti, même si la GCF et la Fraction mettaient en garde contre le danger d'identifier le parti et l'Etat. Chez la GCF, c'est peut-être encore plus contradictoire, puisque le texte de 1946 montre une plus grande compréhension du rôle central joué par les conseils ouvriers dans le processus de transformation économique et sociale et qu'il dit explicitement que le parti "dirigera" les conseils uniquement à travers son rôle politique et sa capacité à convaincre la masse des ouvriers.
"C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supérieurs pour faire triompher sa politique de classe." (Ibid.)
Tout aussi explicite est le rejet de tout rapport de violence au sein de la classe et même entre la classe ouvrière et les autres classes non exploiteuses qui seront intégrées dans le nouvel Etat à travers des organisations de type soviétique. La violence, tout en étant nécessaire et inévitable dans la lutte contre la classe exploiteuse, est rejetée comme méthode de transformation sociale parce qu'elle est en contradiction avec les buts du communisme, et cette position est d'autant plus renforcée par l'observation que l'Etat capitaliste, par-dessus tout dans son époque de décadence, a évolué d'instrument de violence au nom de la classe dominante en un instrument qui tend à perpétuer la violence dans son propre intérêt.
Etant donné ces contradictions, il n'est pas surprenant que l'idée selon laquelle c'est le parti qui exerce la dictature, ait été définitivement et plutôt rapidement rejetée, en partie grâce à la capacité de la GCF à assimiler la contributions d'autres fractions de gauche, de la gauche germano-hollandaise en particulier. Aussi en juin 1948 (dans Internationalisme n°38), la GCF publia un texte programmatique "Sur la nature et la fonction du parti politique du prolétariat" qui établit que :
"Au cours de la période insurrectionnelle de la révolution, le rôle du parti n'est pas de revendiquer le pouvoir, ni de demander aux masses de lui "faire confiance". Il intervient et développe son activité en vue de l'auto-mobilisation de la classe, à l'intérieur de laquelle il tend à faire triompher les principes et les moyens d'action révolutionnaire.
La mobilisation de la classe autour du parti, à qui elle "confie" ou plutôt abandonne la direction, est une conception reflétant un état d'immaturité de la classe. L'expérience a montré que, dans de telles conditions, la révolution se trouve finalement dans l'impossibilité de triompher et doit rapidement dégénérer en entrainant un divorce entre la classe et le parti. Ce dernier se trouve rapidement dans l'obligation de recourir de plus en plus à des moyens de coercition pour s'imposer à la classe et devient ainsi un obstacle redoutable pour la marche en avant de la révolution.
Le parti n'est pas un organisme de direction et d'exécution. Ces fonctions appartiennent en propre à l'organisation unitaire de la classe. Si les militants du parti participent à ces fonctions, c'est en tant que membres de la grande communauté du prolétariat." 12
L'insistance sur les conseils – que la Gauche italienne des années 1930 avait hésité à généraliser à partir de l'expérience russe – est également en contradiction avec une autre faiblesse du texte : son attente que les syndicats (ou plutôt une forme renouvelée de syndicats) joue un rôle-clé dans la défense de l'autonomie de classe au cours de la période de transition. Cela se basait sur l'idée que les syndicats, malgré leur tendance à la bureaucratisation et à l'engagement dans l'Etat bourgeois, restaient des organes de la classe. Cette idée allait rapidement être abandonnée, partiellement à la lumière de l'expérience directe de la lutte de classe (comme lors de la grève de Renault en 1947) et en partie de nouveau à travers les débats avec des courants comme la gauche germano-hollandaise qui avaient plus rapidement vu que les syndicats s'étaient irrémédiablement intégrés au capitalisme. Ceci dit, le point essentiel dans la partie sur les syndicats reste valable : même après la prise du pouvoir, le communisme n'est pas encore instauré et les ouvriers devront continuer à se défendre contre toute tendance au rétablissement des rapports sociaux capitalistes.
La GCF n'a jamais considéré son texte comme étant le dernier mot sur les problèmes de la période de transition. Mais ces Thèses sont un exemple brillant de la méthode théorique nécessaire pour traiter cette question et toutes les autres questions authentiques : se baser solidement sur les acquis du passé mais être prêt à critiquer et à dépasser les aspects du travail de nos prédécesseurs qui se sont avérés non valables ou que l'histoire a laissés derrière elle.
CDW
(Adoptées par la Gauche communiste de France, mars 1946)
1- L’État apparaît dans l’histoire sur la base de l’existence d' intérêts antagoniques divisant la société humaine. II est le produit, le résultat des rapports économiques antagoniques. Tout en jouant un rôle en tant que facteur réagissant au cours de l’histoire, il est avant tout un objet directement déterminé par le processus économique et au cours de celui-ci.
En apparence placé au-dessus des classes, il est en réalité l’expression juridique de la domination économique, la superstructure, le revêtement politique du règne économique d’une classe donnée dans la société.
Les rapports économiques entre les hommes, la formation des classes et la place qu’elles occupent dans la société sont déterminés par l’évolution, le développement des forces productives à un moment donné. La raison d'être de l’État est exclusivement dans la fonction de codifier, de légaliser un état économique déjà existant, de le sanctionner, de lui donner force de loi dont l’acceptation est obligatoire pour tous les membres de la société. Ainsi, l’État veille au maintien de l’équilibre, à la stabilisation des rapports entre les membres et les classes, rapports issus du processus économique même, en empêchant toute manifestation des classes opprimées, contre toute remise en question qui se traduirait par la perturbation et l’ébranlement de la société. Ainsi, l’État remplit une fonction importante dans la société assurant la sécurité, l’ordre indispensable à la continuation de la production, mais il ne peut le faire que par son caractère essentiellement conservateur. Au cours de l’histoire, l’État apparaît comme un facteur conservateur et réactionnaire de premier ordre, il est une entrave à laquelle se heurtent constamment l’évolution et le développement des forces productives.
2- Pour remplir son rôle double d’agent de sécurité et d’agent de réaction, l’État s’appuie sur une force matérielle, sur la violence. Son autorité réside dans la force de coercition. Il possède en monopole exclusif toutes les forces de violence existantes : la police, l’armée, les prisons.
De par le jeu de la lutte entre les classes, tout en étant le représentant de la classe dominante, l’État tend à acquérir une certaine indépendance. Avec le développement, la bourgeoisie déterminant des formations nationales, de vastes concentrations d’unités économiques, politiques, par le développement des antagonismes et des luttes des classes sur des échelles toujours plus grandes, par l’opposition aggravée contre les grands États capitalistes, l’État sera amené à pousser au paroxysme le développement de sa force coercitive afin de maintenir l’ordre à l’intérieur, en forçant le prolétariat et les autres classes travailleuses à subir et à accepter l’exploitation capitaliste tout en reconnaissant juridiquement et formellement la liberté de l’individu ; à l’extérieur, en garantissant les frontières des champs d’exploitation économique, contre la convoitise des autres groupes capitalistes et en tendant à les élargir aux dépens des autres États.
Ainsi, à l’époque capitaliste où la division horizontale et verticale de la société, et la lutte engendrée par cette division atteignent le point culminant de l’histoire humaine, l’État atteindra également le point le plus haut de son développement et de son achèvement en tant qu’organisme de coercition et de violence.
Ayant son origine dans la nécessité historique de la violence, trouvant dans l’exercice de la coercition, la condition de son épanouissement, l’État deviendra un facteur indépendant et supplémentaire de la violence dans l’intérêt de son autoconservation, de sa propre existence. La violence en tant que moyen deviendra un but en soi, entretenu et cultivé par l’État, répugnant de par sa nature même à toute forme de société tendant à se passer de violence en tant que régulateur des rapports entre hommes.
3- Dans la complexité des contradictions enchevêtrées et inextricables s’épanouissant avec le développement de l’économie capitaliste, l’État est appelé à s’immiscer à chaque instant dans tous les domaines de la vie : économique, social, culturel, politique, aussi bien dans la vie privée de chaque individu que dans ses rapports avec la société sur le terrain local, national et mondial.
Pour faire face à toutes ses obligations sociales immenses, l’État fera appel à une masse toujours plus grande de personnes, les enlevant à toute activité, à toute participation à la production, en créant ainsi un corps social à part, aux intérêts propres, ayant pour spécialité et pour charge d’assurer le fonctionnement de la machine étatique et gouvernementale.
Une fraction importante (10% et peut-être plus) de la société constitue ainsi une couche sociale indépendante, les politiciens, les hauts fonctionnaires, la bureaucratie, le corps juridique, la police et le militarisme ayant des intérêts économiques propres vivant en parasites de la société, ayant pour patrimoine et champ d’exploitation, réservé à eux, l’appareil étatique.
De serviteur de la société, au service de la classe dominante, ce corps social, de par sa masse et surtout de par sa place dans la société, à la direction du gouvernail étatique, tend à s’affranchir de plus en plus pour se poser en maître de la société, et en associé de la classe dominante. II possède en commun et en monopole exclusif les finances publiques, le droit de dicter les lois et de les interpréter, et la force matérielle de la violence pour les appliquer dans son intérêt.
Ainsi naît et surgit une couche sociale privilégiée nouvelle qui tire son existence matérielle de l’existence de l’État, couche parasitaire et essentiellement réactionnaire, intéressée à la perpétuation de l’État, relativement indépendante, mais toujours associée à la classe dont le système économique est basé sur l’exploitation de l’homme par l’homme, et dont le principe est le maintien et la perpétuation de l’exploitation humaine ainsi que la sauvegarde des privilèges économiques et sociaux.
4- Le développement de la technique et des forces productives ne peut plus être enfermé dans le principe bourgeois de la possession privée des moyens de production. Même la production capitaliste est obligée de porter atteinte à son principe sacro-saint de la possession privée des moyens de production, et de recourir à une nationalisation capitaliste de certaines branches de son économie, comme les Chemins de Fer, les PTT et, partiellement, l’aviation, la marine marchande, la métallurgie et les mines. L’immixtion de l’État se fera de plus en plus sentir dans toute la vie économique, évidemment et dans l’intérêt et pour la sauvegarde du régime capitaliste dans son ensemble. D’autre part, dans la lutte de classe entre les forces antagoniques de la société, classes et groupes économiques, l’État ne pourrait assumer son rôle de représentant et de “médiateur” qu’en s’appuyant lui-même sur une base matérielle, économique, indépendante et solide.
Dans cette évolution historique de la société capitaliste, l’État acquerra une figure de plus en plus nouvelle, un caractère nouveau, économique, d’État Patron. Tout en gardant sa fonction politique d’État capitaliste et en l’accentuant, il évoluera sur le terrain économique vers un capitalisme d’État. L’État prélèvera une masse de plus-value en tant que part d’associé dans les branches et secteurs où subsiste la possession privée des moyens de production, au même titre que tout autre capital (bancaire ou foncier), ou il exploitera directement les branches ou secteurs étatisés en unique patron collectif, en vue de la création de la plus-value. La répartition de cette plus-value se fait entre les fonctionnaires de l'Etat (sauf la partie qui est capitalisée en étant réinvestie dans la production) selon leur rang et les privilèges qu'ils ont obtenus.
La tendance économique vers le capitalisme d’État tout en ne pouvant pas s’achever dans une socialisation et une collectivisation complètes dans la société capitaliste, reste néanmoins une tendance très réelle affranchissant en quelque sorte l’État d’un rôle strictement instrumental, le fait apparaître dans son caractère économique nouveau de patron collectif anonyme exploitant et extirpant collectivement la plus-value.
La possession privée des moyens de production, tout en ayant été la base fondamentale du système économique du capitalisme et en subsistant encore aujourd’hui, peut parfaitement subir des modifications profondes dans la phase finale du capitalisme sans pour cela mettre en danger les principes mêmes de l’économie capitaliste. L’étatisation plus ou moins grande des moyens de production, loin de signifier la fin du système, s’accorde parfaitement avec ce système et peut être même la condition de son maintien, à condition que le principe fondamental du capitalisme persiste, à savoir l’extirpation toujours plus grande de plus-value des ouvriers se poursuivant au bénéfice d’une minorité privilégiée et puissante. L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et l’économie socialiste ne réside donc pas dans la possession privée des moyens de production. Si le socialisme est incompatible avec la possession privée des moyens de production, l’absence de cette dernière (tout en étant une condition indispensable pour l’instauration de l’économie socialiste) n’est pas forcément du socialisme, puisque la réalité nous démontre l’accommodation du capitalisme avec l’étatisation des moyens de production en s’acheminant vers le capitalisme d’État.
L’opposition fondamentale entre l’économie capitaliste et socialiste réside :
dans le moteur et le but de la production : le principe capitaliste a pour moteur et but la recherche de plus en plus grande de la plus-value, le principe socialiste, au contraire, a pour but la recherche de la satisfaction des besoins de la société et de ses membres ;
dans la répartition immédiate des produits et des valeurs créées, le principe capitaliste est caractérisé par une part de plus en plus réduite de la masse des valeurs créées laissées pour la consommation, la plus grande part servant au réinvestissement en vue de l’élargissement de la production, le principe socialiste réside dans l’accroissement proportionnel plus grand de la part des producteurs à la valeur produite pour la jouissance immédiate. La partie des valeurs produites directement consommables doit tendre à s’accroître par rapport à la partie destinée à être investie dans la production en vue d’une reproduction.
Ainsi la tendance grandissante de l’État à l’indépendance au sein du capitalisme, tendance non seulement politique mais aussi économique, loin de présenter un affaiblissement de la société capitaliste ne fait que transférer la puissance économique du capitalisme à l’État en érigeant ce dernier en la puissance, l’essence même du capitalisme. Face au prolétariat et à sa mission historique d’instauration de la société socialiste, l’État se présente comme le Goliath historique. De par sa nature, il présente toute l’histoire passée de l’humanité, toutes les classes exploiteuses, toutes les forces réactionnaires. Sa nature étant, comme nous l’avons démontré, conservatisme, violence, bureaucratisme, maintien des privilèges et exploitation économique, il incarne le principe d’oppression irréductiblement opposé au principe de libération, incarné par le prolétariat et le socialisme.
5- Toutes les classes jusqu’à ce jour n’ont fait que substituer leur domination, dans l’intérêt de leurs privilèges, à la domination des autres classes. Le développement économique des classes nouvelles se faisait lentement et longtemps avant d’instaurer leur domination politique au sein de l’ancienne société. Parce que leurs intérêts économiques coïncidant avec le développement des forces productives n’étaient que les intérêts d’une minorité, d’une classe, leur force s’accroissait au sein de l’ancienne société, économiquement d’abord. Ce n’est qu’à un certain degré de ce développement économique, après avoir économiquement supplanté, en partie résorbé l’ancienne classe dominante, que le pouvoir politique, l’État, la domination juridique, viennent consacrer le nouvel état de fait. La bourgeoisie s’est développée longuement économiquement, le capital marchand s’est affermi, et ce n’est que lorsque la bourgeoisie a dominé économiquement l’ancienne société féodale qu’elle a accompli sa révolution politique. La révolution bourgeoise doit briser la résistance des féodaux, la superstructure idéologique, le droit féodal devenus des entraves au développement des forces productives, mais elle ne brisa pas l’État. Le principe de l’État étant la sauvegarde de l’exploitation de l’homme par l’homme, la bourgeoisie n’a fait que s’emparer et continuer à faire fonctionner la machine de l’État pour son propre intérêt de classe. Le processus des révolutions des autres classes dans l’histoire se présente donc de façon suivante :
Édification et affermissement économique de la nouvelle classe au sein de l’ancienne société.
Domination économique, révolution économique pacifique.
Révolution politique violente consacrant le fait économique.
Maintien de l’appareil d’État en le faisant fonctionner dans l’intérêt de la nouvelle classe.
Résorption graduelle des anciennes classes dirigeantes qui survivent dans la nouvelle classe dominante.
6- Le prolétariat à l’encontre des autres classes dans l’histoire, ne possède aucune richesse, aucune propriété matérielle. Il ne peut édifier aucune économie, aucune assise économique dans l’enceinte de la société capitaliste. Sa position de classe révolutionnaire réside dans le déroulement objectif de l’évolution, rendant l’existence de la propriété privée incompatible avec le développement des forces productives, d’une part, et de l’impossibilité de la production de la plus-value, d’autre part [de poursuivre la reproduction élargie en une économie dont la base est la production de la plus–value d'autre part.]. [La société capitaliste] se heurte ainsi à l’absence du marché susceptible de réaliser cette plus-value. La nécessité objective de la société socialiste en tant que solution dialectique aux contradictions internes du système capitaliste trouve en le prolétariat la seule classe dont les intérêts s’identifient avec l’évolution historique. La dernière classe de la société ne possédant rien, n’ayant aucun privilège à défendre se rencontre avec la nécessité historique de supprimer tout privilège. Le prolétariat est la seule classe qui peut remplir cette tâche révolutionnaire de suppression de tout privilège, de toute propriété privée, pouvant développer les forces productives libérées des entraves du système capitaliste, au bénéfice et dans l’intérêt de toute l’humanité. Le prolétariat n’a et ne peut avoir, une politique économique au sein du régime capitaliste.***
Il n’a aucune économie de classe à édifier avant ou après la révolution. A l’encontre des autres classes, et pour la première fois dans l’histoire, c’est une révolution politique qui précède et crée les conditions d’une transformation sociale et économique. La libération économique du prolétariat est la libération économique de toute entrave d’intérêt de classe, la disparition des classes. II se libère en libérant toute l’humanité, et en se dissolvant dans son sein.
L’État, principe de domination et d’oppression économique de classe, ne peut être conquis dans le sens classique par le prolétariat. Au contraire, les premiers pas vers son émancipation consistent dans la destruction révolutionnaire de cet État. N’ayant aucune assise économique, aucune propriété, le prolétariat puise sa force dans la conscience qu’il acquiert des lois historiques, objectives du processus économique. Sa force est exclusivement sa conscience et son organisation. Le parti de classe cristallisant la conscience de la classe, présente la condition indispensable pour l’accomplissement de la mission historique au même titre que ses organisations unitaires de lutte représentent sa capacité matérielle et pratique de l’action.
Les autres classes dans l’histoire, parce qu’ayant une assise économique au sein de la société, pouvaient plus ou moins se passer d’un parti ; elles étaient elles-mêmes à peine conscientes de l’aboutissement de leur action, et elles s’identifiaient avec l’État, principe de privilèges et d’oppression. Le prolétariat se heurte, à chaque moment de son action en tant que classe, à l’État ; il est l’antithèse historique de l’État.
La conquête de l’État par une classe exploiteuse dans un pays donné marquait le terme historique, le dernier acte révolutionnaire de cette classe. La destruction de l’Etat par le prolétariat n’est que le premier acte révolutionnaire de classe ouvrant pour lui et son parti tout un processus révolutionnaire en vue de la révolution mondiale d’abord et ensuite sur le terrain économique en vue de l’instauration de la société socialiste.
7- Entre le degré atteint par les forces productives entrant en opposition avec le système capitaliste, et qui font sauter les cadres de ce système, et le degré de développement nécessaire pour l’instauration de la société socialiste, de la pleine satisfaction des besoins de tous les membres de la société, existe un décalage historique très grand. Ce décalage ne peut être effacé par une simple affirmation programmatique comme le croyaient les anarchistes, mais doit être comblé sur le terrain économique, par une politique économique du prolétariat. C’est en cela que réside la justification théorique de l’inévitabilité d’une phase historique transitoire entre le capitalisme et le socialisme. Phase transitoire ou la domination politique, et non économique, appartient à la classe révolutionnaire qui est la dictature du prolétariat.
La maturation des conditions économiques en vue du socialisme est l’œuvre politique du prolétariat, de son parti et ne peut être solutionnée sur le terrain national, mais exige des assises mondiales. Le capitalisme, s’il est un système mondial, ne l’est que dans la mesure de la domination mondiale du capital et le développement économique des différents secteurs de l’économie mondiale, de même que celui des différentes branches industrielles ne se fait que dans la limite compatible avec l’intérêt du Capital.
Autrement dit, le développement de différents secteurs et branches de l’économie mondiale a été profondément entravé. Le socialisme, par contre, trouve ses assises dans un très haut degré de développement économique de tous les secteurs de l’économie mondiale. La libération des forces productives des entraves capitalistes dans tous les pays par la révolution prolétarienne sur l’échelle mondiale est donc la première condition d’une évolution économique de la société vers le socialisme.
La politique économique du prolétariat se développe sur la base de la généralisation de la révolution à l’échelle mondiale et est contenue, non dans l’affirmation unilatérale de développement de la production, mais essentiellement dans le rythme harmonieux de développement de la production avec la progression proportionnelle du niveau de vie des producteurs.
La phase transitoire exprime sa filiation économique avec l’ère historique présocialiste, en ce sens qu’elle ne peut satisfaire tous les besoins de la société et contient la nécessité de la poursuite de l’accumulation. Toute politique qui misera sur la plus haute accumulation en vue de l’élargissement de la production n’exprimera pas une tendance prolétarienne, mais ne serait que la suite d’une économie capitaliste. Tandis que la politique économique du prolétariat s’exprimera par l’accumulation nécessaire, compatible et conditionnée avec l’amélioration des conditions de vie des ouvriers, avec l’augmentation relative et progressive du capital variable.
Après sa victoire sur la bourgeoisie, le prolétariat, d’une part, devient la classe dominante politiquement qui, à travers son parti de classe, assure pendant toute la phase transitoire la dictature de sa classe en vue d’acheminer la société vers le socialisme et, d’autre part, conserve sa position de classe dans la production ayant des intérêts économiques particuliers immédiats à défendre et à faire prévaloir au travers de ses organisations économiques propres, les syndicats et ses moyens de lutte : la grève durant toute la phase transitoire.
8- La destruction révolutionnaire de l’État capitaliste, instrument de la domination de classe, est loin de signifier la destruction des positions économiques de l’ennemi, et sa disparition. L’expropriation et la socialisation des principales branches clés de la production sont des mesures premières et indispensables de la politique économique du prolétariat. L’existence de secteurs économiques arriérés dans l’espace comme dans diverses branches de la production, et particulièrement l’agriculture, ne permet pas de passer immédiatement à une économie socialiste et à la disparition totale de la propriété privée. L’édification socialiste ne pouvant surgir d’une affirmation programmatique, est le fruit d’un long processus économique sous la direction politique du prolétariat durant lequel la gestion socialiste doit battre et vaincre la gestion capitaliste sur le terrain économique.
L’existence de ces secteurs économiques arriérés, la subsistance inévitable de la propriété privée présentent un danger redoutable, un terrain économique de conservation, de consolidation et de renaissance des forces sociales s’opposant à la marche vers le socialisme
La phase transitoire est la phase d’une lutte acharnée entre le capitalisme et le socialisme avec l’avantage pour le prolétariat d’avoir conquis une position politique dominante mais non définitive pouvant automatiquement assurer la victoire finale.
L’issue de la lutte, la garantie de la victoire finale réside pour le prolétariat exclusivement dans la force de sa conscience idéologique et dans l’aptitude à la traduire dans la politique pratique.
Toute faute politique, toute erreur tactique devient une position de renforcement de l’ennemi de classe. L’anéantissement des formations politiques de l’ennemi de classe, de ses organes, de sa presse, est une mesure indispensable pour briser sa force. Mais cela ne suffit pas. Le prolétariat doit avant tout veiller à l’indépendance de ses organismes de classe qui lui sont propres et empêcher leur altération en les exposant à des tâches et à des fonctions étrangères à leur nature. Le parti représentant la conscience de la mission historique de la classe et du but final à atteindre exercera la dictature au nom du prolétariat ; le syndicat, organisation unitaire de la classe exprimant sa position économique et ses intérêts immédiats qu’il est appelé à défendre ne peut s’identifier à l’État, ni s’intégrer à ce dernier.
9- L’État, dans la mesure où il est reconstitué après la révolution, exprime l’immaturité des conditions de la société socialiste. Il est la superstructure politique d’une structure économique non encore socialiste. Sa nature reste étrangère et opposée au socialisme. De même que la phase transitoire est une inévitabilité historique objective par laquelle passe le prolétariat, de même l’État est un instrument de violence inévitable -pour le prolétariat- dont il se sert contre les classes dépossédées mais avec lequel il ne peut s’identifier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il (l’Etat) est un fléau dont le prolétariat hérite dans sa lutte pour arriver à sa domination de classe. (Engels, Préface à La Guerre civile en France)
Dans sa nature en tant qu’institution sociale, l’État instauré après la victoire de l’insurrection prolétarienne, reste une institution étrangère et hostile au socialisme.
L’expropriation et la nationalisation, l’exclusivité de la gestion de l’économie, l’impréparation historique des classes travailleuses et du prolétariat à la direction de l’économie, la nécessité de recourir à des spécialistes techniciens, à des hommes venant des couches et des classes exploiteuses et de leurs serviteurs séculaires, l’état désastreux de l’économie à la sortie de la guerre civile, sont autant de faits historiques concourant à renforcer la machine d’État et ses caractères fondamentaux de conservatisme, de coercition. L’obligation historique pour le prolétariat de s’en servir ne doit nullement entraîner l’erreur théorique et politique fatale, d’identifier cet instrument avec le socialisme. L’État, comme les prisons, n’est pas le symbole du socialisme, ni de la classe appelée à l’instaurer : le prolétariat.
La dictature du prolétariat exprimant la volonté de la classe révolutionnaire de briser les forces et les classes hostiles, et d’assurer la marche vers la société socialiste, exprime également son opposition fondamentale à la notion et à l’institution de 1’État. L’expérience russe a mis particulièrement en évidence l’erreur théorique de la notion de "l’État ouvrier", de la nature de classe prolétarienne de l’État et de l’identification de la Dictature du prolétariat avec l’utilisation, par le prolétariat, de l’instrument de coercition qu’est l’État.
10- En se rendant maître de la société par la révolution victorieuse contre la bourgeoisie, le prolétariat hérite d’un état social nullement mûr pour le socialisme et qui ne peut atteindre cette maturité que sous sa direction. Il hérite dans tous les domaines, économique, politique, culturel, social, des États et des nations, des structures et des superstructures, des institutions et des idéologies extrêmement variées, arrièrées qu’il ne peut effacer de par sa simple volonté, avec lesquels il doit compter, dont il doit combattre et atténuer les effets les plus nuisibles. La violence n’est pas le moyen essentiel et ne doit être employée que strictement dans la limite de la violence employée par l’ennemi de classe, et pour la briser. La violence doit être absolument et catégoriquement exclue des rapports du prolétariat avec les classes laborieuses, et dans son sein. D’une manière générale, les moyens employés pour aller vers le socialisme relèvent et découlent du but à atteindre, c’est-à-dire du socialisme même.
Dans les premiers temps de la phase transitoire, le prolétariat sera obligé d’utiliser les instruments qui lui ont été légués par toute l’histoire passée, histoire de violence et de domination de classe. L’État est un des instruments de la force et le plus haut symbole de violence, de spoliation et d’oppression dont le prolétariat hérite, et dont il ne peut se servir qu’à la double condition :
de considérer et de proclamer la nature anti-socialiste de l’État avec lequel il ne peut jamais et à aucun moment s’identifier; en s’organisant et lui opposant constamment ses organismes de classe : parti et syndicats, en l’entourant du contrôle vigilant et de chaque instant de toute la classe.
"d’atténuer les plus fâcheux effets dans la mesure du possible, comme l’a fait la Commune." (Engels, Préface à La Guerre civile en France).
L’expérience russe nous prouve que la conscience qu’ils avaient du danger que continue à représenter l’État dans les mains du prolétariat, et les mesures nécessaires à prendre à son égard, préconisées par nos maîtres, n’étaient pas vaines.
Ces mesures - élection de représentants par les masses laborieuses, révocables à tout moment ; destruction de la force armée détachée du peuple et son remplacement par l’armement général du prolétariat et des classes laborieuses ; démocratie la plus large pour la classe et ses organisations ; contrôle vigilant et permanent de toute la classe sur le fonctionnement de l’État ; un salaire limité et ne dépassant pas celui de l’ouvrier qualifié pour les fonctionnaires de l’État - doivent cesser d’être des formules, mais être appliquées à la lettre et renforcées autant que possible par des mesures politiques et sociales complémentaires.
L’histoire et l’expérience russe ont démontré qu’il n’existe pas d’État prolétarien proprement dit, mais un État entre les mains du prolétariat, dont la nature reste antisocialiste et qui, dès que la vigilance politique du prolétariat s’affaiblit, devient la place forte, le centre de ralliement et l’expression des classes dépossédées du capitalisme renaissant.
11- Les syndicats, organismes unitaires et de défense des intérêts économiques du prolétariat, ont leur racine dans le mécanisme de la production. Ils surgissent de la nécessité où se trouve le prolétariat d’opposer une résistance à son exploitation économique, à l’extirpation d’une masse toujours plus grande de plus-value, c’est-à-dire à l’augmentation du temps de travail non payé.
Le développement de la technique, en augmentant la productivité, diminue le temps de travail nécessaire à l’entretien des producteurs. En régime capitaliste la plus grande productivité n’entraîne pas la diminution du temps de travail ni l’amélioration proportionnelle du niveau de vie des ouvriers, Au contraire le développement de la productivité poursuivi par les capitalistes est fait dans le but unique d’accroître la production de la plus-value.
L’opposition entre Capital et Travail, entre le capital constant et le capital variable, entre le capitalisme et le prolétariat, autour du problème économique : la part de chacun dans la production, est une opposition fondamentale engendrant une lutte de classe constante. C’est dans cette lutte contre le capital que le prolétariat donne le sens à son organisation de classe de défense de ses intérêts économiques immédiats, par l’association de tous les exploités : le syndicat.
Quelle que soit l’influence des agents de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la bureaucratie réformiste dans le syndicat et la politique qu’elle fait prévaloir, sabotant et dévoyant la fonction des syndicats, elle ne peut changer sa nature de classe qui reste telle tant que cet organisme reste indépendant, non rattaché à l’État capitaliste.
12- La révolution prolétarienne ne détruit pas d’emblée l’existence des classes dans la société et les rapports de production entre les différentes classes. La révolution victorieuse n’est que "l’organisation du prolétariat en classe dominante" qui au travers de son Parti ouvre un cours historique, imprime une tendance économique partant de l’existence de classes et de leur exploitation vers une société sans classe.
Cette phase transitoire du capitalisme au socialisme sous la dictature politique du prolétariat se traduit sur le terrain des rapports post-économiques par une politique énergique tendant à diminuer l’exploitation des classes, à augmenter constamment la part du prolétariat dans le revenu national, du capital variable par rapport au capital constant. Cette politique ne peut être donnée par une affirmation programmatique du Parti et encore moins être dévolue à l’État, organe de gestion et de coercition. Cette politique trouve sa condition, sa garantie et son expression dans la classe elle-même et exclusivement en elle, dans la pression qu’exerce la classe dans la vie sociale, dans son opposition et sa lutte contre les autres classes.
L’organisation syndicale en régime capitaliste est une tendance au groupement d’ouvriers contre leur exploitation, tendance qui est constamment empêchée, entravée par la pression et la répression de la bourgeoisie dominante. C’est seulement après la révolution que l’organisation syndicale devient réellement l’organisation unitaire groupant tous les ouvriers sans exception, et peut réellement prendre et imposer pleinement la défense des intérêts immédiats du prolétariat.
13- Le rôle de l’organisation syndicale après la révolution ne réside pas seulement dans le fait qu’elle est la seule organisation pouvant assurer la défense des intérêts immédiats du prolétariat, ce qui à lui seul suffirait à justifier la pleine liberté et l’indépendance totale des syndicats, le rejet de toute tutelle et immixtion de L’État, mais encore l’organisation syndicale est un baromètre vivant extrêmement sensible, reflétant instantanément la tendance qui prédomine dans la gestion et émane dans le sens du socialisme (augmentation proportionnelle du capital variable) ou dans le sens capitaliste (accroissement proportionnel plus grand du capital constant).
Dans l’oscillation de la gestion économique vers une politique capitaliste (déterminée par la pression économique de l’immaturité relative et par les classes non prolétariennes subsistantes), le prolétariat, au travers de l’existence de son organisation syndicale indépendante et de sa lutte spécifique, intervient, réagit et représente le facteur social exerçant la contre-pression dans le mécanisme économique en vue d’une gestion socialiste.
Attribuer aux syndicats la fonction de la gestion économique ne fait nullement disparaître les difficultés essentielles issues de la situation économique ni son immaturité réelle, et ne résout aucunement ses difficultés. Par contre, on aliène la liberté du prolétariat et de son organisation, on annihile la capacité de son organisation d’exercer la pression nécessaire dans le processus économique en vue d’assurer simultanément la défense de ses intérêts immédiats et la garantie d’une politique socialiste dans l’économie.
14- En régime capitaliste, l’organisation syndicale reflète très imparfaitement le degré de la conscience de classe. Cette conscience, le prolétariat ne peut l’acquérir pleinement qu’après la révolution, une fois libéré de toute entrave de la bourgeoisie et de ses agents : les chefs réformistes.
Les syndicats après la révolution, reflètent au mieux le degré de conscience atteint par l’ensemble de la classe et présentent le milieu, le terrain de classe où se fait l’éducation politique de la masse. Les communistes s’inspirent de ce postulat : le maintien de la révolution et l’édification du socialisme ne sont pas le fait de la volonté d’une élite mais trouvent uniquement leur force dans le degré de maturité politique des masses prolétariennes. La violence exercée contre ou sur les masses prolétariennes, même si elle a pour but de garantir la marche vers le socialisme, n’offre nullement cette garantie. Le socialisme n’est pas le résultat du viol sur le prolétariat, il est exclusivement conditionné par sa conscience et sa volonté.
Les communistes rejetteront la méthode de violence au sein du prolétariat comme étant en opposition avec la marche vers le socialisme, qui obscurcit et empêche la classe d’atteindre la conscience de sa mission historique. Au sein des syndicats, les communistes s’efforceront de maintenir la plus grande liberté d’expression, de critique, de vie politique. C’est devant le prolétariat organisé dans les syndicats qu’ils tenteront de faire triompher leur politique face aux autres tendances existantes, et traduisant l’influence bourgeoise, petite bourgeoise subsistant encore dans le prolétariat et dans certaines couches arriérées. La liberté de fraction, de tendance au sein des syndicats, la liberté de parole et de presse pour tous les courants à l’intérieur des syndicats, sont les conditions permettant au Parti de la classe de connaître, de mesurer le degré d’évolution de la conscience de la masse, d’assurer la marche vers le socialisme Par l’élévation de cette conscience au travers de l’éducation politique des masses, de vérifier sa propre politique et de la corriger. Le rapport entre le Parti et la classe n’est que le rapport entre le Parti et les syndicats.
15- Toute tendance à diminuer le rôle des syndicats après la révolution, qui sous prétexte de l’existence de “l’État ouvrier” interdirait la liberté d’action syndicale et la grève, qui favoriserait l’immixtion de l’État dans les syndicats, qui, au travers de la théorie en apparence révolutionnaire de remettre la gestion aux syndicats, incorporerait en fait ces derniers dans la machine étatique, qui préconiserait l’existence de la violence au sein du prolétariat et de son organisation, sous le couvert et avec la meilleure intention révolutionnaire du but final, qui empêcherait l’existence de la plus large démocratie ouvrière par le libre jeu de la lutte politique et des fractions au sein des syndicats, exprimerait une politique anti-ouvrière faussant les rapports du Parti et de la classe, affaiblissant la position du prolétariat dans la phase transitoire. Le devoir communiste serait de dénoncer et de combattre avec la plus grande énergie toutes ces tendances et d’œuvrer au plein développement et à l’indépendance du mouvement syndical, indispensable pour la victoire de l’économie socialiste.
16 - La gestion économique après la guerre civile est le problème le plus difficile, le plus complexe, auquel doit faire face le prolétariat et son Parti. Il serait puéril de vouloir donner la solution a priori de tous les aspects pratiques que présentent ces problèmes. Ce serait transformer la doctrine marxiste en un système de préceptes définitifs, valables et applicables à tout moment et cela sans tenir compte des situations concrètes, circonstancielles, variées se présentant différemment dans divers pays et dans divers secteurs de la vie économique.
C’est exclusivement dans l’étude pratique que nous dégagerons des situations, au fur et à mesure qu’elles se présenteront, la solution nécessaire contenue et donnée par les situations elles-mêmes. A l’instar de nos maîtres, nous pouvons seulement indiquer aujourd’hui, dans les grandes lignes, les principes généraux devant présider à la gestion économique dans la phase transitoire, et cela à la lumière de la première expérience donnée par la révolution russe.
17- L’avènement du socialisme exige un très haut développement de la technique et des forces productives. Le prolétariat, au lendemain de la révolution victorieuse ne trouve pas achevé le développement de la technique. Il ne résulte nullement de cette affirmation que la révolution soit prématurée, mais au contraire, le degré atteint par le développement se heurte à l’existence du capital isolé, justifiant l’affirmation de la maturité des conditions objectives de la révolution, c’est-à-dire de la nécessite de la destruction du capitalisme devenu une entrave au développement des forces productives. Il appartient au prolétariat de présider à une politique de plein développement des forces productives permettant au socialisme de devenir une réalité économique.
Le développement de la technique et des forces productives est la base de la politique du prolétariat nécessitant l’accumulation d’une partie de la valeur produite en vue d’améliorer, d’intensifier et d’assurer une reproduction élargie. Mais le socialisme n’est pas donné par la vitesse du développement des forces productives; le rythme est subordonné et limité aux possibilités concrètes issues de l’état politique et économique existant.
18- La gestion économique ne peut à aucun instant être séparée du développement de la lutte politique de la classe, et cela sur la scène internationale. La révolution victorieuse dans un seul pays ne peut s’assigner comme tâche le développement de son économie, indépendamment de la lutte du prolétariat dans les autres pays. La révolution russe a donné la démonstration historique que la poursuite séparée d’un développement économique de la Russie en dehors de la marche ascendante de la révolution dans les autres pays, a amené la Russie à une politique de compromission avec le capitalisme mondial, politique de pactes et d’accords économiques à l’extérieur qui se sont avérés autant de moyens de renforcement économique du capitalisme en pleine situation de crise, le sauvant de l’écroulement et, d’autre part, apportant un trouble profond dans les rangs du prolétariat en pleine lutte révolutionnaire (Accord de Rapallo 13).
Les accords économiques qui devaient avoir pour seul résultat la recherche du renforcement économique partiel du pays de la révolution, ont en réalité abouti à un renforcement économique et politique du capitalisme, à un renversement du rapport de forces dans la lutte de classes en faveur du capitalisme contre le prolétariat. Ainsi, le pays de la révolution victorieuse a accentué son isolement et perdait sa seule alliée, garantie du développement ultérieur : la Révolution Internationale, et devient une force économique et politique dévoyée et résorbée sous la pression grandissante de son ennemi historique : le capitalisme.
La politique économique du prolétariat dans un pays ne peut donc s’assigner comme but de résoudre les difficultés et de résorber le retard du développement de la technique dans le cadre étroit d’un pays. Le sort de l’économie et son développement sont indissolublement liés et directement subordonnés à la marche de la révolution internationale et doivent consister dans une politique en vue de l’attente provisoire à l’intérieur, et d’aide à la révolution internationale.
19- La poursuite du rythme accéléré non en proportion du développement de la capacité de la consommation aboutit, comme l’a démontré l’expérience russe, au développement de la production d’articles destinés à la destruction, suivant sur ce plan la tendance générale du capitalisme mondial qui, dans sa phase décadente, ne peut assurer la poursuite de la production que par l’instauration de l’économie de guerre.
En opposition à cette politique ayant pour but le plus grand rythme de développement industriel, sacrifiant les intérêts immédiats du prolétariat culbutant dans l’économie de guerre, la politique prolétarienne consistera dans un rythme proportionnel au développement de la capacité d’absorption des producteurs, et déterminant la production des articles de consommation immédiatement nécessaires pour satisfaire les besoins des travailleurs.
L’accumulation ne suivra pas le critère d’un plus grand rythme de développement industriel, mais exclusivement celui compatible avec la satisfaction progressive des besoins immédiats. La gestion économique aura pour base et pour principe, avant tout, la production des articles de première nécessité, l’harmonisation graduelle des diverses branches de la production, ensuite et particulièrement entre la ville et la campagne, entre l’industrie et l’agriculture.
20- Tant que les forces productives et la technique n’ont pas atteint un développement suffisamment haut, supplantant, partout dans toutes les branches de la production, la petite production, il ne pourra être question de la disparition complète des classes moyennes, de l’artisanat et de la petite paysannerie.
Le prolétariat après la révolution ne pourra collectiviser que la grande industrie développée et concentrée, les industries-clés, les transports et les banques, la grande propriété foncière. II expropriera la grande bourgeoisie. Mais la petite propriété privée subsistera et ne sera résorbée que par un long processus économique. A côté du secteur socialiste (collectif) dans l’économie, subsistera un secteur privé de petits producteurs, et les relations économiques entre ces divers secteurs se présenteront d’une façon variée, multiple, allant du socialisme au coopérativisme et à l’échange des marchandises entre l’État et les particuliers, aussi bien qu’entre les producteurs individuels et isolés. Comme dans la production, le problème de l’échange, des prix, du marché et de la monnaie aura une grande diversité, la politique économique du prolétariat consistera à tenir compte de cette situation, à rejeter la violence bureaucratique comme moyen de régulariser la vie économique et se basant seulement sur le terrain des possibilités réelles de résorption et de supplantation par le développement de la technique et tendra à liquider progressivement la petite propriété et la production isolée en incorporant ces couches de travailleurs dans la grande famille du prolétariat.
21- La vie et la gestion économique de la société exigent un organisme centralisé. La théorie consistant à laisser à chaque groupe de producteurs le souci de sa propre gestion est le rêve utopique d’un idéal petit bourgeois, réactionnaire. Le développement de la technique exige la participation des grandes masses de travailleurs, leur coopé ration dans la production.
La production de chaque branche est étroitement liée à l’ensemble de la production nationale. Elle exige la mise en mouvement de grandes forces, de grandes puissances, de plans d’ensemble que seule une administration centralisée peut assurer.
D’autre part, c’est vouloir transformer chaque membre et chaque groupe de la société en autant de petits propriétaires aux intérêts propres et opposés, et revenir à l’époque marchande que la grande industrie a depuis longtemps rayée de l’histoire. La société socialiste engendrera l’organe de l’administration sociale et de la gestion économique. A l’époque transitoire, cette fonction de gestion économique ne peut être assumée que par le pouvoir issu de la révolution qui, sous le contrôle de toute la population travailleuse, dirige et gère l’économie de la société.
La participation la plus large, effective, directe de tous les travailleurs à tous les échelons du nouveau pouvoir parait être le seul mode assurant la gestion de l’économie par les travailleurs eux-mêmes. La Commune de Paris nous a donné une première indication de ce nouveau type d’État, et la révolution russe en reprenant et reproduisant cette première ébauche lui a donné sa forme définitive par les organisations de représentants de tous les travailleurs sur leur lieu de travail et de localité : l’organisation des Conseils (Soviets).
22- Dans les élections aux organes de direction et de gestion, dans les conseils, participe tout homme qui travaille, et ne sont exclus que ceux qui ne travaillent pas ou vivent du travail d’autrui. Dans les Conseils se trouve l’expression des intérêts de tous les travailleurs, c’est-à-dire aussi des couches non prolétariennes. Le prolétariat de par sa conscience, sa force politique, la place qu’il occupe au cœur de l’économie de la société, dans l’industrie moderne, par sa concentration dans les villes et les usines, ayant acquis un esprit d’organisation et de discipline, joue le rôle prépondérant dans toute la vie et l’activité de ces Conseils, entraînant, sous sa direction et son influence, les autres couches de travailleurs.
C’est au travers de ces Conseils que les prolétaires, pour la première fois, apprennent, en tant que membres de la société, l’art d’administrer et de diriger eux-mêmes la vie de la société. Le Parti n’impose pas aux Conseils sa politique de gestion de l’économie par décrets ou en se réclamant du droit divin. II fait prévaloir ses conceptions, sa politique en la proposant, la défendant, la soumettant à l’approbation des masses travailleuses s’exprimant dans les Conseils (Soviets), et en s’appuyant sur les Conseils ouvriers et les délégués ouvriers au sein des Conseils supérieurs pour faire triompher sa politique de classe.
23- De même que les rapports du Parti avec la classe s’expriment au travers de l’organisation syndicale, de même les rapports entre le prolétariat et son Parti avec les autres classes travailleuses s’expriment au travers des Conseils (Soviets). De même que la violence au sein de la classe ne fait que fausser les rapports de celle-ci avec le Parti, de même la violence doit être rejetée dans les rapports entre le prolétariat et les autres classes ou couches travailleuses. Ces rapports devraient être assurés par la pleine liberté d’expression et de critique au sein des Conseils des députés ouvriers et paysans. D’une façon générale, la violence en tant que moyen d’action entre les mains du prolétariat sera indispensable pour briser la domination du capitalisme et de son État, et pour garantir par la force la victoire du prolétariat contre la résistance et la violence des classes contre-révolutionnaires pendant la guerre civile.
Mais en dehors de cela, la violence n’est d’aucun secours dans l’œuvre constructive d’édification socialiste et de la gestion économique. Au contraire elle risque de dévoyer l’action du prolétariat, de fausser ses rapports avec les autres couches laborieuses, et de déformer sa vision des solutions de classe qui sont contenues et garanties exclusivement par la maturation politique des masses et de leur développement.
Gauche communiste de France (avril 1946)
1 Voir notre livre La Gauche communiste d'Italie, page 193 et suivantes
2 Voir notre livre La Gauche hollandaise pages 243-249
3 La Gauche communiste d'Italie, pages 197-198
4 Ibid., page 215
5 Voir l'article : "Il y a soixante ans, une conférence de révolutionnaires internationalistes", Revue internationale n°132,
https://fr.internationalism.org/rint132/il_y_a_60_ans_une_conference_de_... [360]
6 Voir le livre La Gauche hollandaise, page 198 et suivantes. Le livre note que la façon dont Pannekoek traite les problèmes auxquels le prolétariat sera confronté immédiatement après la révolution est plus réaliste que les descriptions quelque peu idylliques du GIC dans les Grundprinzipien. Ce n'est pas surprenant étant donné que Pannekoek voyait alors l'Europe ruinée à la suite de l'affrontement impérialiste. Voir les deux précédents articles de cette série : "Bilan, la Gauche hollandaise et la transition au communisme" -I et II, Revue internationale n°151 et 152,
https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8652/bilan-g... [362]
7 Bordiga, dans un curieux parallèle avec Pannekoek (voir La Gauche hollandaise), s'abstint de rejoindre formellement l'organisation dont il avait inspiré la constitution, mais ses textes devinrent automatiquement des documents officiels du parti.
8 Brochure du PCI (Programme) : Les textes du Parti communiste international n° 6, page 52.
9 "Les années 1930 : le débat sur la période de transition" ("1934: la série Parti-État-Internationale"), Revue internationale n°127
https://fr.internationalism.org/rint127/communisme_periode_de_transition... [363]
10 Brochure du PCI (Programme) : Les textes du Parti communiste international n° 2, page 101 et 98
11 Nous projetons de revenir sur la question de l'accumulation dans une société communiste dans un article à venir dans la série sur l'écologie.
12 Le texte sur le Parti, les Thèses sur l'Etat et un certain nombre d'autres travaux fondateurs de la GCF ont été écrits par notre camarade Marc Chirik. Dans le prochain article de cette série, nous tenterons de donner plus d'explications sur la façon dont nous voyons le rôle qu'a joué Marc dans le mouvement politique prolétarien et, en particulier, dans le débat sur la nature de la révolution communiste qui est redevenu un sujet de débats passionnés au début des années 1970 quand les minorités révolutionnaires nées de la nouvelle génération de 1968 commencèrent à s'organiser de façon plus réfléchie et délibérée.
13 L'accord de Rapallo est un traité signé en 1922 entre l'Allemagne de Weimar et l'Etat soviétique comportant un volet militaire secret.
Depuis le 21 novembre, l'Ukraine vit une crise politique aux faux airs de la prétendue "révolution orange" de 2004. Comme en 2004, la fraction pro-russe est aux prises avec celle de l'opposition, partisane déclarée d'une "ouverture vers l'Ouest". Les mêmes tensions diplomatiques entre la Russie, les pays de l'Union Européenne (UE) et des Etats-Unis s'exacerbent.
Ce remake n'est cependant pas une simple copie. Si la contestation des élections archi-truquées de novembre 2004 avait alors mis le feu aux poudres, aujourd'hui, le rejet de l'accord d'association proposé par l'UE par le président Viktor Ianoukovitch est à l'origine de la crise. Ce pied de nez à l'UE, une semaine avant la date prévue de la signature, a aussitôt déclenché une violente offensive des différentes fractions pro-européennes de la bourgeoisie ukrainienne contre le gouvernement, criant à la "haute trahison" et demandant la destitution du président Ianoukovitch. Suite aux appels à "l'ensemble du peuple à réagir à cela comme il le ferait à un coup d’État, c'est-à-dire : descendre dans les rues," ([1]) les manifestants ont occupé le centre-ville de Kiev et la place de l'Indépendance, lieu symbolique de la révolution orange. La répression brutale, les affrontements et les nombreux blessés permirent au premier Ministre, Mykola Azarov, de déclarer : "Ce qui se passe présente tous les signes d'un coup d’État" et d'organiser des contre-manifestations. Comme en 2004, les médias des grands pays démocratiques ont monté au pinacle cette « volonté du peuple ukrainien » de se "libérer" de la clique inféodée à Moscou. En revanche, les photos et les reportages n'ont pas vraiment mis en avant la perspective démocratique mais plutôt la dictature et la violence des répressions de la fraction pro-russe, les mensonges de la Russie et les diktats de Poutine. Contrairement à 2004, l'espoir d'une vie meilleure et plus libre n'est plus étayé par la perspective d'une victoire électorale de l'opposition, aujourd'hui en minorité, contrairement à 2004, ou Victor Iouchtchenko était assuré de la victoire.
En 2005, nous écrivions à propos de la révolution orange : "Derrière tout ce battage, l'enjeu réel n'est nullement dans la lutte pour la démocratie. Il se trouve en réalité dans l'affrontement de plus en plus aigu entre les grandes puissances et particulièrement dans l'offensive actuelle menée par les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie dite du 'refoulement', contre la Russie avec la perspective de faire sortir l'Ukraine de la zone d'influence russe. Il est significatif que la grande colère de Poutine est dirigée essentiellement contre l'Amérique car c'est elle qui est derrière le candidat Iouchtchenko et son mouvement 'orange'. Depuis la dislocation de l'URSS et la constitution en catastrophe de la Communauté des États Indépendants en 1991, destinée à sauver les débris de son ex-empire, la Russie n'a cessé d'être menacée sur ses frontières, du fait même de la tendance permanente à l'éclatement qui lui est inhérente et sous la pression de l'Allemagne et des États-Unis. Le déclenchement de la première guerre tchétchène en 1992, puis de la deuxième en 1996, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, a exprimé la brutalité d'une puissance sur le déclin tentant de sauvegarder coûte que coûte sa mainmise sur la région du Caucase, stratégiquement vitale pour l’Etat russe. Il s'agissait pour Moscou de s'opposer par cette guerre aux menées impérialistes de Washington visant à déstabiliser la Russie et à celles de Berlin qui développait une agressivité impérialiste indéniable, comme on l'avait vu au printemps 1991 avec son rôle de premier ordre dans l'éclatement du conflit yougoslave. En 2003 les États-Unis continuent résolument à avancer leurs pions au Caucase. C'est le sens qu'il faut donner à l'éviction de Chevarnadzé en 2003 avec la 'révolution des roses' en Géorgie qui a porté une clique pro-américaine au pouvoir et renforcé son influence déjà présente au Kirghizistan et en Ouzbékistan, au nord de l'Afghanistan, venant renforcer leur présence militaire au sud de la Russie et leur menace d'encerclement de celle-ci. Avec la question de l'Ukraine, qui a toujours été, que ce soit pour la Russie tsariste ou soviétique, une pièce maîtresse, le problème se pose de façon bien plus cruciale. En effet, Moscou n'a pas d'accès direct à la Méditerranée, l'Ukraine est la seule et dernière voie qui lui reste vers l'Asie et la Turquie via la mer Noire où se trouvent en outre la base nucléaire russe de Sébastopol et la flotte russe. La perte de l'Ukraine reculerait de façon dramatique la position russe face aux pays européens, en premier lieu l'Allemagne et affaiblirait tout autant sa capacité à jouer un rôle dans les destinées de l'Europe et des pays de l'Est, pour la plupart déjà largement pro-américains. Mais de plus, il est certain qu'une Ukraine tournée vers l'Ouest (donc contrôlée par celui-ci et en particulier par les Etats-Unis), mettant plus à nu que jamais l'inanité grandissante du pouvoir russe, provoquerait une accélération du phénomène d'éclatement de la CEI, avec son cortège d'horreurs. Sans compter qu'il est plus que probable qu'une telle situation ne pourrait que pousser des régions entières de la Russie elle-même (dont les petits potentats locaux ne demandent qu'à ruer dans les brancards) à déclarer leur indépendance, encouragées par les grandes puissances déjà à l'œuvre."
La grande différence avec cette situation en 2004 provient de l'affaiblissement de la puissance américaine ([2]) qui s'est accéléré avec ses aventures guerrières, notamment au Moyen-Orient. Le recul de la Russie sur la scène internationale va alors s'atténuer, notamment avec la guerre Russo-Géorgienne en 2008. Ce conflit renverse la tendance au rapprochement avec l'OTAN de la Géorgie auquel l'Ukraine aspirait également. Ainsi, tandis que la première "révolution" était une offensive américaine contre la Russie, la deuxième est de toute évidence une contre-offensive de la Russie. C'est en effet le président Viktor Ianoukovitch qui a lancé les hostilités en annulant l'accord d'association avec l'UE au profit d'une "commission tripartite" incluant l'UE et la Russie. L'accord initialement prévu aurait permis d'établir une zone de libre-échange permettant à l'Ukraine d'entrer par la petite porte dans l'UE et ainsi de se rapprocher de l'OTAN. Bien sûr, ces tentatives de rapprochement avec l'UE sont perçues par Moscou comme des provocations puisqu'il s'agit d'arracher l'Ukraine à son influence. La situation en Ukraine est donc essentiellement déterminée par les conflits impérialistes.
L'origine immédiate de cette nouvelle crise remonte aux pressions exercées par les russes et les occidentaux sur la bourgeoisie ukrainienne dès la prise de pouvoir de la fraction pro-russe lors des élections de 2010. Dès cette époque, Angela Merkel s'était proposée de jouer les intermédiaires à propos des contrats gaziers signés par l'ancienne premier Ministre, Ioulia Timochenko, avec Moscou en 2009. Mais Moscou a aussitôt décliné l'offre, empêchant ainsi les Européens de mettre leur nez dans les affaires russo-ukrainiennes.
Trois mois avant le sommet de Vilnius qui devait aboutir à la signature de l'accord entre l'UE et l'Ukraine, la Russie a lancé un premier avertissement en fermant ses frontières aux exportations ukrainiennes. De nombreux secteurs, dont ceux du métal et des turbines, ont souffert. L'Ukraine a perdu 5 milliards de dollars dans cette affaire ; 400 000 emplois sont en jeu, comme de nombreuses entreprises qui travaillent uniquement avec le marché russe. Moscou a également exercé le chantage suivant : si l'Ukraine n’adhère pas à l'Union Douanière autour de la Russie, le Kremlin demandera aux autres membres de cette Union ([3]) de fermer leurs frontières.
Les cliques bourgeoises ukrainiennes sont fortement divisées face aux pressions. Certains oligarques, comme Rinat Akhmetov, étaient opposés à la signature de l’accord d’association à Vilnius. A présent, tous sont dans l’attente. Les oligarques pro-UE et ceux proches de la Russie craignent un face-à-face exclusif avec Moscou. Ils voudraient maintenir le plus longtemps possible la position de "neutralité" de l’Ukraine. Les oligarques veulent maintenir la stabilité et le statu quo jusqu’aux prochaines élections pour repousser l'affrontement avec la Russie. L'alignement exclusif de l'Ukraine sur la politique impérialiste de la Russie n'est donc pas accepté, y compris par la fraction pro-russe.
A l'opposé, les pressions de l'UE ne sont pas sans contradictions. Les principaux débouchés de l'industrie et de l'agriculture ukrainienne sont les pays de l'ancienne Union Soviétique. En revanche, l'Ukraine n'exporte presque rien dans les pays de l'UE, qui s’apprêtait donc à signer un accord de libre-échange pour des marchandises qui n'existent pas ! Pour que les marchandises ukrainiennes puissent s'aligner sur les standards européens, les industries devraient investir environs 160 milliards de dollars dans l'appareil de production.
En revanche, les occidentaux pourront se servir de l'Ukraine comme d'une aire d’influence supplémentaire. Or, les barrières douanières entre l'Ukraine et la Russie sont presque inexistantes ; il y a très peu de droits de douane. Ainsi, du point de vue occidental comme du point de vue de Moscou, cet accord reviendrait à ouvrir aux marchandises occidentales les portes de la Russie. Évidemment, ceci est inacceptable pour la Russie.
La bourgeoisie Ukrainienne ne peut s'affranchir de ces contradictions ; elle ne peut que jouer l'équilibriste en misant sur sa "neutralité" dans le rapport de force entre l'UE et la Russie.
L'Ukraine est traversée par des contradictions entre ses intérêts économiques et les pressions impérialistes. Cette impasse tend à faire éclater la cohérence de ses fractions bourgeoises dans une fuite en avant irrationnelle, notamment de la politique de l'opposition. Si le parti au gouvernement envisage plutôt l'option de la "neutralité" de l'Ukraine, l'opposition essaye de vendre à la population ukrainienne l'illusion d'un niveau de vie comparable à celui des européens si l'Ukraine signe l'accord d'association avec l'UE. Mais sa composition hétéroclite (contrairement à 2004) traduit à quel point la décomposition marque de son empreinte toute perspective politique. Les analystes européens les plus lucides ([4]) en principe partisan de l'orientation européenne de la politique internationale de l'Ukraine, ne s'en cachent pas : "Il est évident que si cette opposition prenait le pouvoir, je ne vois pas très bien comment une opposition composée d'un boxeur apparemment sympathique certes mais qui n'a pas tout à fait le niveau pour gouverner semble-t-il ! Ensuite la deuxième personne c'est l'équipe de Tchimosenko, tout le monde sait que c'est une équipe de mafieux au départ, il y a vraiment des questions à se poser sur l'honnêteté financière de cette équipe : c'est pour ça qu'elle est en prison. Puis le troisième volet c'est un volet Nazi. ([5]) Alors des Nazis plus des mafieux plus des gens incompétents ce serait une catastrophe : on retrouverait un gouvernement qui serait digne de certains États de l'Afrique subsaharienne." Nous pouvons ici vérifier que "le terrain où se manifeste de façon la plus spectaculaire la décomposition de la société capitaliste est celui des affrontements guerriers et plus généralement des relations internationales." ([6])
L'encadrement idéologique des différentes fractions de l'appareil politique ukrainien est miné par les contradictions. Le partage ordinaire du travail dans les démocraties des pays développés est fortement mis à mal. Cependant, cela n'empêchera en rien la mystification démocratique de jouer à plein régime contre la classe ouvrière, autant en Ukraine qu'au niveau international, sur le thème de la lutte de la démocratie contre la dictature et ses diktats. Par ailleurs, la bourgeoisie garde intacte la possibilité de jouer sur la fibre nationaliste soigneusement entretenue en Ukraine. Les intérêts de la "nation ukrainienne" revendiquée par la fraction pro russe font échos aux nombreux drapeaux nationaux déployés dans les manifestations.
La "vague orange" de 2004 fut le résultat de la division de la classe dominante qui a miné la position de Viktor Ianoukovitch. ([7]) Le contrôle de l’appareil d’État commençait à lui échapper. Le succès de son rival, Viktor Iouchtchenko, était en grande partie dû à la paralysie de l’autorité de l’État central mais surtout à sa capacité à utiliser les valeurs officielles du régime de Léonid Kuchma, président de 1994 à 2005 : le nationalisme, la démocratie, le marché et la prétendue "option européenne". Viktor Iouchtchenko devint le "sauveur de la nation" et l'objet d'un culte de la personnalité. Le mouvement "orange" n'a en rien différé de l'idéologie avec laquelle la bourgeoisie a lavé le cerveau de la population ukrainienne depuis 14 ans. Les masses qui ont soutenu Viktor Iouchtchenko ou qui se sont rangés derrière Viktor Ianoukovitch n'étaient que des pions, manipulés et baladés derrière l'une ou l'autre des fractions bourgeoises rivales pour le compte de telle ou telle orientation impérialiste. Aujourd'hui, comme nous l'avons montré, la situation n'est pas différente à cet égard. Le "choix démocratique" n'est qu'un leurre et un piège.
On peut ajouter que Viktor Iouchtchenko qui a pris, avec son clan, le pouvoir à la suite de la "révolution" orange, n'a pas plus manqué d'imposer des sacrifices et la répression à la classe ouvrière lorsqu'il était premier ministre et banquier du gouvernement de son prédécesseur pro-russe, Léonid Kuchma. Le clan Iouchtchenko, non seulement s'est servi des illusions de la population ukrainienne pour arriver au pouvoir, mais s'est considérablement enrichi sur le dos de l’État, ce qui lui a valu sa réputation de clique mafieuse et la détention de sa complice, Ioulia Timochenko.
Mais la même Ioulia Timochenko, héroïne de la démocratie et de la révolution orange, est à l'origine d'un crédit de 15 milliards de dollars au FMI qu'elle a négocié âprement pendant trois ans. En annexe de l'accord voici les conditions qu'elle a obtenues pour la classe ouvrière en Ukraine : augmentation de l'âge de départ à la retraite, augmentation des charges communales, du prix de l'électricité, de l'eau, etc.
En dépit de leurs désaccords sur les orientations impérialistes, les différentes fractions politiques de la bourgeoisie, de gauche ou de droite, n'ont pas d'autres perspectives que d'imposer la misère au prolétariat. Prendre parti dans les élections pour telle ou telle clan politique ne ralentira pas les attaques. Surtout, en se rangeant derrière une fraction politique de la bourgeoisie et derrière ses slogans démocratiques, les ouvriers perdent toute capacité à lutter sur leur terrain de classe.
L’Ukraine et tous les requins qui gravitent autour d'elle expriment la réalité d'un système capitaliste à bout de souffle. La classe ouvrière est la seule classe radicalement opposée à ce système. Elle doit avant tout défendre sa propre perspective historique et combattre les campagnes de recrutement qui visent à l'embrigader dans les combats que se livrent les cliques bourgeoises concurrentes toutes plus dans l'impasse les unes que les autres. La révolution prolétarienne ne s'opposera non pas à une clique bourgeoise particulière au profit d'une autre, mais à leur système : le capitalisme.
Sam (22 décembre 2013)
[1] Appel de l'opposante Ioulia Timochenko depuis sa prison, chef du clan au pouvoir de 2005 à 2009.
[2] La tendance à l'affaiblissement US depuis l'effondrement du bloc de l'Est en 1990 n'a cessé de se confirmer. Voir nos : Thèses sur la décomposition.
(https://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomposition_phase_ul... [364])
[3] Kazakhstan, Biélorussie et Arménie, principaux débouchés commerciaux de l'Ukraine avec la Russie.
[4] Voir l'interview d'Yvan Blot sur La Voix de la Russie à propos de l'opposition Ukrainienne.
(https://www.agoravox.tv/actualites/international/article/ukraine-intox-s... [365])
[5] Le parti Svoboda s'appelait : Parti national-socialiste d'Ukraine. Il se réclame historiquement de l'Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN), dont la branche armée (UPA) collabora activement avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et massacra les juifs de Galicie (ouest de l'Ukraine)
[6] Résolution sur la situation internationale, du XXe congrès du CCI.
(https://fr.internationalism.org/internationalisme/201310/8706/tensions-i... [366])
[7] Voir : A propos de la "révolution orange" en Ukraine : la prison de l'autoritarisme et le piège de la démocratie.
(https://fr.internationalism.org/rint126/orange.html#sdfootnote6sym [367])
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article de World Revolution, organe de presse du CCI en Grande-Bretagne sur l’histoire de la lutte des classes en Amérique.
« La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines et leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes Orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signaient l’ère capitaliste à son aurore. »1
Dans la mythologie bourgeoise, les pionniers de l’Amérique étaient des hommes et des femmes libres qui construisirent une société démocratique et égalitaire à partir du surgissement du Nouveau Monde.
La réalité est que le prolétariat Américain est né dans les entraves du travail et de l’esclavage, confronté à la barbarie des châtiments s’il résistait, obligé de lutter pour la défense de ses droits de base contre un règne capitaliste brutal qui ressemblait davantage à une prison sans murs.
Avides de récolter leur part du gâteau, à la fin du XVI° siècle, les capitalistes mercantiles du quartier des affaires de Londres commencèrent à piller les ressources naturelles du Nouveau Monde. Les premières colonies Anglaises en Amérique du Nord étaient des entreprises, capitalistes dès le départ, dans lesquelles, même les pèlerins Puritains qui embarquèrent sur le Mayflower espéraient tirer un profit de leurs investissements prometteurs. Mais, pour exploiter ce Nouveau Monde, le capital avait besoin de bras.
En Amérique Centrale et en Amérique du Sud, les Espagnols avaient réduit en esclavage des millions de personnes pour satisfaire leur soif d’or. Ne trouvant pas les richesses minières escomptées, le capital Anglais a été obligé de se tourner vers la culture des plants de tabac et pour cela, il avait besoin d’une main d’œuvre docile et très disciplinée. Les indigènes étaient trop difficiles à asservir en nombre suffisant et ils résistaient à l’invasion violente de leur terre natale, mais heureusement pour les marchands aventuriers, une réserve de travailleurs existait encore plus près de chez eux ; pendant les siècles précédents, la paysannerie anglaise avait été chassée de sa terre et comme Marx le décrit : « a été violemment expropriée et réduite au vagabondage, a été rompue à la discipline qu’exige le système du salariat par des lois d’un terrorisme grotesque ».2
Ces lois inhumaines ont été utilisées pour exiler les « crapules incorrigibles » et les envoyer « de l’autre côté des mers ». Cela signifiait que des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, dont on considérait qu’ils constituaient une menace contre l’ordre social et un surplus par rapport aux besoins du capital local ont été simplement évacués et embarqués pour aller travailler dans les champs de tabac de Virginie ; là, beaucoup sont morts au travail ou ont été torturés s’ils essayaient de s’échapper. Parmi les premiers à avoir été envoyés, il y avait des enfants, dont la moitié mourut au cours de la première année. Le groupe le plus important était celui des repris de justice ; et, comme la pendaison était la sanction habituelle pour les plus petites offenses, il n’y avait pas de pénurie de criminels qui auraient pu bénéficier d’une grâce royale en échange de l’émigration vers les colonies –même si le taux de décès était si important que certains aimaient mieux être pendus tout de suite. D’autres étaient en réalité des prisonniers politiques de la bourgeoisie Anglaise dans son combat impitoyable pour la suprématie des Iles Britanniques. Dans une opération qui offre des similitudes avec le goulag stalinien du XX° siècle, on se débarrassait des prisonniers de guerre de la royauté : les Quakers, les rebelles Anglais, les « Covenantaires » Ecossais, les catholiques Irlandais, les Jacobites et des dissidents de toute sorte étaient obligés de se laisser transporter en Amérique pour s’y épuiser jusqu’à la mort dans le travail d’esclave. L’Irlande a été longtemps distinguée par la classe dominante Anglaise pour ce genre de traitement et un nombre infini d’hommes, de femmes et d’enfants Irlandais ont été vendus comme esclaves avant et après la conquête sanglante de l’Irlande par Cromwell et le nettoyage ethnique.
Environ les deux-tiers de tous les immigrants blancs vers les colonies Américaines de l’Angleterre-quelque 350-375000 personnes- arrivèrent comme domestiques engagés sous contrat non résiliable, requis pour travailler pendant 3 à 11 ans ou plus afin de payer leur passage et subvenir à leurs besoins.
Le contrat « indenture » est souvent présenté comme un banal système contractuel équitable. En réalité, c’était une forme d’esclavage limité dans le temps, en même temps qu’une source de profits juteux pour les marchands concernés qui employaient des agents de recrutement pour débusquer, attirer ou enlever les personnes qui ne se doutaient de rien et les embarquer de force pour l’Amérique, où ils deviendraient le bien personnel de leur propriétaire et pourraient être achetés et vendus, punis pour toute désobéissance, fouettés et marqués au fer rouge s’ils s’enfuyaient. Beaucoup étaient des enfants. Même s’ils survivaient à la fin de leur contrat, ils étaient plus susceptibles de rejoindre les rangs du prolétariat que de devenir propriétaires d’un lopin de terre dans le Nouveau Monde.3
Dans son insatiable soif de profit, le capital a réduit en esclavage toute personne dont il pouvait s’emparer, sans discrimination : les Africains, les Indiens d’Amérique, les Anglais, les Écossais , les Irlandais, les Français, les Allemands, les Suisses… Les premiers esclaves Africains arrivèrent en 1619, mais jusqu’à la fin du XVIII° siècle, la majorité des esclaves en Amérique étaient Européens.
Tout d’abord, les esclaves Africains furent traités plutôt comme domestiques apprentis. Noirs et blancs travaillaient côte à côte dans les mêmes conditions. Il y avait une réelle tendance à la fraternisation entre les deux, confirmée par les premières lois passées pour l’interdire expressément. La classe dominante vivait dans la peur constante d’un soulèvement collectif de son armée d’esclaves, notamment dans les plantations de Virginie.
Malgré la dureté des punitions qu’ils ont dû affronter, les esclaves blancs et noirs ont montré leur refus de se soumettre en s’enfuyant ensemble, s’engageant dans des actes de sabotage, de grève, de diminution des cadences et autres formes de résistance, incluant des attaques contre leurs oppresseurs. Le mécontentement grandit. En 1663, les domestiques blancs et les esclaves noirs de Virginie fomentèrent une insurrection ayant pour objectif de renverser le gouverneur et d’instaurer une république indépendante.4 Cela se termina par un procès et l’exécution des dirigeants qui étaient d’anciens soldats de Cromwell tombés dans la servitude.
On a dit des vétérans de la « New Model Army » [armée instituée par Cromwell dans laquelle la priorité était donnée aux compétences et non à la naissance pour la nomination des officiers] qu’ils avaient été mêlés à tous les soulèvements de domestiques en Virginie5 et la persistance des idées radicales de la révolution Anglaise eut une influence importante sur les débuts de la lutte de classe en Amérique. « Le mot d’ordre d’Egalisation » (c’est-à-dire l’attaque contre la propriété des riches pour redistribuer aux pauvres) était derrière les actions spontanées des blancs pauvres contre les riches de toutes les colonies Anglaises, un siècle et demie avant la Révolution Américaine6. En 1644, par exemple, pendant une action commando dirigée par des Puritains dans le Maryland catholique, les maîtres et les esclaves, à la fois protestants et catholiques, saisirent l’opportunité d’exproprier les propriétaires fonciers et de se partager leurs propriétés pour leur propre usage7.
L’influence de la révolution Anglaise se voit clairement dans l’insurrection de Virginie en 1676, connue sous le nom de « Révolte de Nathaniel Bacon ». Environ un millier de blancs pauvres vivant à la frontière furent rejoints par des esclaves et des domestiques blancs et noirs. Ils marchèrent sur la capitale Jamestown ; ils y mirent le feu, renversèrent le gouvernement colonial, dénonçant ses dirigeants comme « traîtres au peuple » et s’emparèrent de leurs propriétés. Ce fut de loin le combat le plus important et le plus significatif dans l’Amérique coloniale avant la révolution de 1776, avec la menace importante de devenir une guerre civile totale et de s’étendre à toute la région du Chesapeake. De plus, l’Angleterre perdit le contrôle de sa colonie et dut envoyer des bateaux et dix mille hommes de troupe pour réimposer son joug impérieux. En une démonstration de force, 23 dirigeants furent pendus.
La cause immédiate de ce conflit était le refus par le gouvernement colonial d’user de représailles contre les attaques indiennes qui avaient lieu à la frontière, où étaient installés les colons. Les insurgés lancèrent de violentes attaques contre les tribus indiennes, même celles qui étaient pacifiques. Nathaniel Bacon lui-même était un propriétaire terrien et membre du Conseil du Gouvernement et la rébellion était dirigée par les planteurs qui trouvaient que leur prospérité économique était entravée par la clique de propriétaires fonciers corrompue et incompétente entourant le gouverneur royaliste. D’autres récriminations concernaient les taxes lourdes et inappropriées, le bas prix du tabac et les restrictions anglaises sur le commerce colonial (les « Navigation Acts »).
Mais la rébellion exprimait aussi le ressentiment des blancs pauvres de la frontière ; beaucoup d’entre eux étaient d’anciens serviteurs qui avaient été exclus de la distribution des terres riches par les gros propriétaires fermiers avides et avaient été obligés d’aller vers l’ouest, où ils entraient inévitablement en collision avec les Indiens. La peur profonde (et justifiée) de la faction dominante était que toute tentative de représailles risquait de provoquer un soulèvement armé des classes travailleuses qui, à cause d’une crise économique s’approfondissant, devaient faire face à la pauvreté et à la faim. Selon un membre de la classe dominante de cette époque : « la sympathie de la multitude » pour N. Bacon était due à « l’espoir de la répartition équitable des richesses ».
Les esclaves blancs et noirs, les domestiques, se joignirent à l’insurrection. Ils étaient parmi les derniers à tenir tête aux forces anglaises ; la reddition finale des rebelles eut lieu entre « quatre cents Anglais et Nègres armés » dans une garnison et trois cents « hommes libres et serviteurs sous contrat blancs et noirs » dans l’autre. Environ 80 esclaves noirs et 20 esclaves blancs refusèrent de rendre les armes.8 Mais il y eut aussi beaucoup de désertions dans les rangs des deux armées opposées, ce qui suggère que le prolétariat ne savait pas trop quel camp soutenir dans ce conflit.
Pour autant qu’elle ait eu une idéologie ou un programme cohérent, la direction de la « rébellion de N.Bacon » était très proche politiquement des Indépendants, l’aile gauche de la bourgeoisie dans la « Guerre Civile Anglaise »9 ; elle voyait l’insurrection comme une partie d’une attaque plus large contre la monarchie. N. Bacon lui-même semble avoir argumenté en faveur de l’expulsion des troupes anglaises, du renversement du gouvernement royal et de la fondation d’une république indépendante avec l’aide des Français et des Hollandais, rivaux de l’Angleterre.
Sans surprise, l’insurrection a été vue comme un élément précurseur de la Révolution Américaine et nous y reviendrons dans le prochain article. A l’époque, sa signification réelle était un signal d’alarme envers la classe dominante au sujet de la nécessité de tenir compte de la menace grandissante que constituait le prolétariat Américain. A cette fin, la faction dominante fut d’abord autorisée à porter sa vengeance sur les insurgés et à se permettre une orgie d’exécutions. Puis, une fois l’ordre rétabli et le prolétariat à nouveau réduit en esclavage, l’Etat Anglais l’exclut du pouvoir, réduisit l’autonomie politique de la colonie et imposa un gouvernement soutenu par l’armée directement contrôlé par Londres.
La classe dominante Américaine a été obligée de reconnaître que sa dépendance à l’égard du « travail forcé » [forme d’esclavage], combinée à l’avidité de la bourgeoisie foncière locale, assoiffée de bonnes terres, était en train de créer une classe toujours plus nombreuse et mécontente d’ouvriers agricoles sans terre, en Amérique. C’est pourquoi sa réponse à long-terme a consisté à instaurer une distance entre travailleurs blancs et noirs, en redéfinissant l’esclavage en des termes purement raciaux, établissant d’un point de vue juridique que les esclaves noirs étaient la propriété de leurs maîtres pour la vie, avec tout un attirail de châtiments barbares pour toute résistance ou tentative de fuite, incluant le fouet, les brûlures, la mutilation et le démembrement. Ayant institutionnalisé l’idée raciste que les blancs étaient supérieurs aux noirs, elle plaça les ouvriers dans une position de force vis-à-vis des noirs : des lois furent votées, donnant aux domestiques blancs sous contrat qui avaient fini leur engagement, le droit d’avoir une terre et des outils. Ces lois devaient encourager le développement d’une nouvelle classe moyenne de petits planteurs et de fermiers indépendants qui pourraient s’identifier sur un socle racial avec leurs exploiteurs. Cela constituerait un tampon contre les luttes des esclaves noirs, des Indiens de la frontière et des blancs très pauvres.
Ainsi, les divisions raciales entre noirs et blancs n’étaient pas basées sur de quelconques différences naturelles mais participèrent d’une stratégie délibérée mise en place par la classe dominante pour empêcher la menace réelle d’une lutte commune des ouvriers blancs et noirs contre leurs exploiteurs.
Le nombre d’esclaves africains grossit rapidement après 1680, stimulé par les énormes profits en perspective grâce au Commerce Triangulaire, le moindre coût pour les planteurs utilisant des esclaves noirs et la diminution du coût du travail sous contrat, dans un contexte où la révolution industrielle finissait d’absorber les travailleurs sans terre dans la production capitaliste locale. En 1750, les esclaves africains avaient quasiment remplacé les esclaves Européens. En fait, dans quelques colonies comme la Caroline du Sud, ils étaient plus nombreux que la population blanche et la classe dominante avait une conscience aigüe de sa situation précaire, qui requerrait non seulement la suppression impitoyable de tout signe de résistance mais aussi, un haut niveau de surveillance et de contrôle, avec l’aide de policiers désignés pour pérenniser la division de ses ennemis.
Les méthodes utilisées par la bourgeoisie pour contrôler son armée d’esclaves noirs ont été construites à partir des leçons tirées des précédentes vagues de luttes de serviteurs et d’esclaves. Ces leçons ont été affinées dans un système d’une barbarie toujours plus sophistiquée, élaboré pour aboutir à la destruction mentale et psychologique des esclaves, leur dégradation, leur humiliation de toutes les manières afin de les empêcher de reconnaître leurs propres intérêts contre leurs exploiteurs.
« On apprenait aux esclaves la discipline, on leur martelait l’idée de leur propre infériorité, d’ « où était leur place », à voir la négritude comme une marque de subordination, à être respectueux et craintifs vis-à-vis du pouvoir du maître, à confondre leur intérêt avec celui du maître, abolissant leurs propres besoins personnels. Pour accomplir ce dessein, il y avait la discipline du dur travail, la rupture des liens familiaux dans l’esclavage, les effets apaisants de la religion (qui parfois conduisaient à « une grande sottise » comme un propriétaire d’esclaves l’a rapporté), la création d’une désunion entre esclaves des champs et esclaves de maison privilégiés et finalement le pouvoir de la loi et le pouvoir direct du contremaître qui commandait le fouet, le feu, la mutilation et la mort. »10
Malgré tous ces obstacles à l’organisation de la résistance, il y a eu environ 250 soulèvements ou attentats incluant un minimum de dix mouvements d’esclaves africains avant la révolution Américaine. Ce n’étaient pas simplement des tentatives désespérées pour la liberté ; quelques-unes impliquaient également des travailleurs blancs et ont été rapportées comme ayant eu des buts politiques conscients comme la répartition équitable des richesses et le renversement de la classe des maîtres.11
Mais les efforts de la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière Américaine selon un axe racial a constitué un garde-fou : lorsqu’une vague de soulèvements d’esclaves noirs commença dans la première moitié du XVIII° siècle, elle a été effectivement isolée des luttes du reste du prolétariat et les petits colons blancs eux-mêmes étaient maintenant la cible de la colère noire.
Lors de la première révolte à grande échelle à New York en 1712, environ 25 à 30 esclaves armés firent feu sur un immeuble et tuèrent neuf blancs qui passaient par là. La plupart furent capturés par la troupe en moins de 24 heures et 21 furent brûlés vifs, pendus ou soumis au supplice de la roue ; un esclave fut suspendu vivant avec des chaînes pour servir de « châtiment exemplaire ».12
Des soulèvements organisés ou spontanés suivirent ultérieurement, particulièrement en Caroline du Sud et en Virginie, causés par la famine ou la dépression économique. Il y a aussi des récits de communautés issues d’esclaves Africains fugitifs et d'Indiens d’Amérique, établies dans des endroits reculés comme « Blue Ridge Mountain », qui ont été écrasées par la milice en 1729.
Le plus grand soulèvement d’esclaves noirs en Amérique avant la révolution de 1776 fut celui de Stono en 1739. Environ 20 esclaves armés, peut-être d’anciens soldats, rejoints par une centaine d’autres « appelèrent à la liberté, marchèrent avec les Couleurs affichées et deux tambours battants », se dirigeant vers la Floride Espagnole, jusqu’à ce qu’ils soient interceptés par la milice. Environ 25 blancs et 50 esclaves furent tués et les têtes des rebelles décapités furent piquées sur des poteaux le long des routes en guise d’avertissement.13
La classe dominante a délibérément provoqué une atmosphère de suspicion et de peur afin d’empêcher la fraternisation entre les prolétaires blancs et noirs, à tel point que, encore aujourd’hui, on ne sait pas quelles « conspirations » d’esclaves étaient réelles ou non. La répression, elle, était bien réelle :
« A New York en 1741, il y avait dix mille blancs dans la ville et deux mille esclaves noirs. L’hiver avait été rude et les pauvres – esclaves et hommes libres- avaient beaucoup souffert. Quand de mystérieux incendies éclatèrent, les blancs et les noirs furent accusés de conspirer. Une hystérie de masse se développa contre les accusés. Après un procès rempli d’accusations affreuses lancées par des indicateurs et de confessions forcées, deux hommes blancs et deux femmes blanches furent exécutés, 18 esclaves pendus et 13 esclaves furent brûlés vifs. »14
Il y eut ultérieurement d’autres rébellions d’esclaves organisées pendant les années 1740, mais un essoufflement se fit sentir, dû à la combinaison entre l’épuisement après l’échec des premières luttes et l’efficacité impitoyable de la classe dominante dans la répression et le contrôle de son armée toujours grossissante d’esclaves Africains.
Bien sûr, certains sont aussi allés en Amérique de leur propre volonté. A cause de la rareté de l’offre de travail, particulièrement le travail qualifié, les ouvriers pouvaient demander des salaires de 30 à 100% plus élevés qu’en Angleterre. Cela signifiait qu’il était souvent possible pour eux de demander et obtenir une paye plus élevée et de meilleures conditions. Et, s’ils ne les obtenaient pas, ils partaient chercher du travail ailleurs. Mais la peur de la révolte, les tentatives de la bourgeoisie de contrôler la classe ouvrière et d’imposer des bas salaires impliquaient que, surtout dans les villes, les travailleurs en lutte s’affrontaient rapidement à l’état :
« Dès 1636, un employeur de la côte du Maine rapporta que ses employés et ses pêcheurs avaient « déclenché une mutinerie » parce qu’il avait retenu leurs salaires. Ils avaient abandonné leur poste en masse. Cinq ans plus tard, des charpentiers du Maine, protestant contre une nourriture insuffisante, diminuèrent les cadences. Aux chantiers navals de Gloucester dans les années 1640, (…) les patrons empêchèrent les ouvriers d’entrer sur le chantier pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier Américain, quand les autorités dirent à un groupe de charpentiers de navires gêneurs qu’ils ne pouvaient pas « faire une grève de plus »
« Il y eut des grèves précoces de tonneliers, de bouchers, boulangers, protestant contre le contrôle du gouvernement sur les prix qu’ils pratiquaient. A New York dans les années 1650, les porteurs refusèrent de transporter le sel et les intermédiaires (les routiers, les équipiers, les transporteurs) qui se mirent en grève furent poursuivis pour n’avoir pas « respecté l’Ordre et fait leur Devoir comme il leur revenait de le faire pour rester à leur place ».
Les seules tentatives de mettre en place des organisations permanentes à cette époque furent les « sociétés amicales » fondées selon les métiers, comprenant souvent des employeurs aussi bien que des ouvriers. Cependant, la classe dominante les regardait avec beaucoup de suspicion et, dès 1680, une association de tonneliers de New York City fut poursuivie pénalement en tant qu’organisation criminelle.15
Avec l’émergence de la classe ouvrière urbaine dans les villes qui croissaient rapidement, la bourgeoisie déploya de manière toujours plus forte sa stratégie pour renforcer les divisions entre les ouvriers noirs et blancs, cultivant le soutien aux ouvriers blancs qualifiés en les protégeant de la compétition :
« Dès 1686, le Conseil de New York statua qu’ « aucun Nègre ou esclave n’est autorisé à travailler sur le pont en tant que porteur de marchandises importées ou exportées à l’extérieur ou dans cette ville. » Dans les villes du Sud, également, les artisans et les commerçants blancs étaient protégés de la concurrence nègre. En 1764, la législation de Caroline du Sud défendit aux maîtres de Charleston d’employer des nègres ou autres esclaves aux travaux de mécanique ou de commerce d’objets artisanaux. »16
En agissant ainsi, la bourgeoisie espérait développer une nouvelle classe moyenne blanche, à partir d’ouvriers qualifiés qui viendraient grossir la classe des petits planteurs et des fermiers indépendants, afin d’empêcher une lutte généralisée au-delà des barrières raciales.
Les premières colonies américaines de l’Angleterre ont été établies sur des bases capitalistes ; certainement, dans la vision de Marx, une société comme celle d’Amérique du Nord se développa dès le départ à un plus haut niveau et grandit plus vite qu’en Europe, où la montée du capitalisme était entravée par les liens sociaux de la féodalité sur le déclin17 (19). Que le prolétariat Américain fût né dans l’asservissement et soumis au travail forcé et aux traitements barbares n’avait rien d’exceptionnel au moment de l’aube rosée du mode de production capitaliste décrit d’une manière si vivante par Marx. Le capitalisme, à ses débuts en Amérique du Nord, était basé fermement sur le régime de contrôle du prolétariat naissant, déjà existant dans l’Angleterre des Tudor ; si Marx a passé tant de temps à rédiger le Volume I du Capital, faisant l’inventaire des « lois terrorisantes » qui accompagnaient l’expropriation de la paysannerie Anglaise et sa préparation au monde du travail salarié, c’est parce que l’Angleterre offrait le premier et le meilleur exemple de la genèse du capitalisme industriel. Pour le capital, l’usage systématique des méthodes les plus barbares était absolument nécessaire à sa survie en Amérique, compte-tenu de l’âpreté des conditions, de la pénurie chronique de travail et des menaces extérieures contre son existence.
Ce qui distingue la lutte de la classe ouvrière à ses débuts en Amérique, bien que ce ne soit pas la seule distinction, est l’institutionnalisation de l’esclavage noir Africain, qui a conduit à la division de la classe ouvrière naissante selon un axe racial et l’isolement de ses luttes qui en a été la conséquence. Cette division raciale est demeurée comme une barrière immensément efficace contre l’unification du prolétariat Américain et contre sa capacité à imposer ses intérêts communs de classe dans la société capitaliste.
Cependant, depuis sa naissance, le prolétariat Américain a montré sa volonté de se battre contre ce régime capitaliste de terreur. Il a affiché d’une part un courage parfois désespéré contre tous les abus ; d’autre part, il a montré une réelle solidarité, au-delà des barrières raciales, face à l’exploitation et à l’oppression partagées. Enfin, il a développé une conscience politique de soi et des buts ultimes pour son combat – ce qui est précisément la raison pour laquelle la classe dominante a été obligée d’adopter des stratégies et des tactiques sophistiquées pour diviser et régner.
Le prochain article examinera la lutte de classe en Amérique pendant la période conduisant à la Déclaration de l’Indépendance et la création des Etats-Unis d’Amérique.
MH (14 janvier 2013)
1 Le Capital Economie I, page 1212 la Pléiade
2 Chapitre XXVIII Economie I, page 1195 la Pléiade-
3 See D. Jordan & M. Walsh, White Cargo. The forgotten history of Britain’s white slaves in America, Mainstream, 2007.
4 Richard B. Morris, Government and Labor in Early America, Harper Torchbook edition, 1965, p.173.
5 Ibid., p.206.
6 Howard Zinn, A People’s History of the United States, Harper Perennial edition, 2005, p.42.
7 Edward Toby Terrar, “Gentry Royalists or Independent Diggers? The Nature of the English and Maryland Catholic Community in the Civil War Period of the 1640s,” Science and Society (New York), vol. 57, no. 3 (1993), pp. 313-348, www.angelfire.com/un/tob-art/art-html/18c-ar10.html [368].
8 Quoted in Zinn, Op. Cit., p.55
9 See the articles on the “Lessons of the English revolution” in World Revolution nos. 325 and 329.
10 Zinn, Op. Cit., p.35.
11 Herbert Aptheker, American Negro Slave Revolts, International Publishers edition, 1993, pp.162-163.
12 Ibid., pp.172-173.
13 Ibid., pp.187-189.
14 Zinn, Op. Cit., p.37.
15 Morris, Op. Cit., p.159.
16 Zinn, Op. Cit., p.57.
17 The German Ideology, Part I: Feuerbach. Opposition of the Materialist and Idealist Outlook. D. Proletarians and Communism, https://www.marxists.org/archive/marx/works/1845/german-ideology/ch01d.htm [369]).
Avec quelques camarades qui travaillent dans le "secteur social" et aux côtés de qui nous avons participé depuis des années aux luttes dans et hors de ce "secteur", avec des propositions pro-assemblées et de classe, en marge des syndicats officiels qui prétendent nous représenter et des partis qui soi-disant nous soutiendraient, nous voulons nous exprimer sur la situation en général et élever notre voix pour appeler au débat et à l’auto-organisation.
Nous ne nions pas les efforts de quiconque. Nous saluons, au contraire, les efforts honnêtes et courageux de tant de camarades. Ces efforts sont les nôtres (particulièrement ceux de DeM1), ce que nous voulons c’est contribuer à la critique qui aidera à approfondir et à avancer dans la lutte.
Cette éternelle crise capitaliste frappe tous ceux qui se trouvent sous son emprise. Le "secteur social" n’a rien de particulier. Ceux qui travaillent dans les "services sociaux" ou les usagers de ces services (travailleurs, retraités, avec ou sans pension) subissent tous la situation actuelle avec des coupes budgétaires de toutes sortes et sans retour.
Pour les travailleurs de ce secteur : des salaires impayés, des négociations à la baisse dans les conventions collectives, des conditions de travail qui empirent, des licenciements et, pour les usagers de ce secteur et leurs familles, des coupes, des tickets modérateurs, des suppressions d’aides et de services.
Tous, autant les travailleurs de ce "secteur" que leurs usagers sont touchés : le handicap et la maladie mentale, les mineurs, les toxicos, le troisième âge…
Nous pensons qu’il existe des catégories qui sont plus importants que d’autres (ou qui ont plus besoin d’attention) dans ce qu’on appelle le secteur social, mais il est triste de voir comment chacun essaye de tirer la couverture à soi (les Centres pour mineurs, les handicapés, la santé mentale, les toxicomanes et ainsi sans fin)... avec des luttes parcellaires pour quelques miettes dans un budget. Ce qui fait que à l'époque où nous vivons, on arrive à maintenir certains moyens aux dépens d’autres secteurs qui doivent fermer. Tout cela nous amène à perdre de vue la globalité, le fait que, pour nous, la lutte doit aller vers une société où les "services sociaux" ne sont plus nécessaires.
Ces derniers temps les mobilisations sont devenues de plus en plus visibles dans ce qu’on appelle le "secteur du handicap et de la dépendance". C’est une sous-catégorie qui englobe des travailleurs de centres et d’autres faisant partie des programmes pour des personnes victimes d'un handicap ou d'une maladie mentale et qui ont la même convention collective ; à ces mobilisations se joignent parfois des personnes dépendantes et leurs familles (très touchées par les coupes et les tickets modérateurs à répétition). Nous comprenons qu’il faut bien commencer quelque part et cette branche souffre de conditions particulièrement cruelles.
Cependant, si nous levons les yeux et regardons au-delà, nous verrons que d’autres "branches" reçoivent également des coups depuis longtemps. Le "secteur" des mineurs est particulièrement écrasé et vendu par des syndicats : alors que la branche du "handicap" est un peu combative, tout est fait pour empêcher celles des "mineurs" de bouger le petit doigt. De tous côtés, on débat sur les nouvelles conventions collectives. De tous côtés, arrivent des informations selon lesquelles tout se dégrade dans tous les sens. La situation des travailleurs est de plus en plus précaire et on ne fait que réduire les forfaits pour s’occuper des mineurs qui risquent l’exclusion. La nouvelle proposition de l’administration pour le travail dans ces services n’encourage pas le travail de qualité : la seule chose qu’on encourage, c’est de faire des économies sans prendre en compte les besoins des personnes. Et quand nous réagissons à de telles agressions, les seules réponses sont celles que nous avons entendues à foison dans les médias : ou bien céder, ou le service est fermé et tout le monde se retrouve au chômage. Voilà qui met au clair notre situation d’opprimés et d’exploités. Et, bien évidemment, on nous prend paquet par paquet et chacun aura ainsi sa petite convention collective.
Pour éviter ce genre de situations de désunion, il faut avoir une vision globale du collectif des travailleurs et des usagers et une organisation générale que les syndicats et leurs satellites font tout pour éviter, en nous divisant par secteurs, sous-secteurs et mini-secteurs, en séparant les travailleurs des usagers et leurs familles (des travailleurs eux aussi) pour ainsi signer, faire et défaire à leur guise, soi-disant pour nous mais sans nous et au final contre nous.
Notre condition fait de nous une pièce maîtresse dans le système social, et dans notre "secteur", c’est exactement la même chose.
Deux éléments nous rendent essentiels, indispensables :
Nous sommes la seule source d’extraction de profit. Nos salaires impayés et réduits font tenir les Institutions en minimisant les coupes budgétaires et les retards ; notre travail maintient les activités ordinaires des Centres et les extraordinaires ; nos mobilisations servent à faire pression pour que les différentes entités reçoivent les subventions que l’administration leur doit.
À partir de la lutte nous pourrons acquérir une conscience globale et nous unir avec d’autres travailleurs et usagers. A la différence des entreprises pour lesquelles nous travaillons, qui ne peuvent avoir qu’une conscience corporatiste et qui vivent dans la concurrence, en essayant de trouver des alliances avec l’État pour être favorisées, nous, les travailleurs, apportons une vision globale qui défend à la fois les postes de travail et le maintien des services gratuits et de qualité. Nous pouvons ainsi nous unir, nous, et unir nos revendications avec celles des familles et des usagers (qui sont de la même condition sociale que nous-mêmes)
Il y a une différence claire entre les intérêts de l’Administration et des Centres et ceux des travailleurs et usagers. D’un côté, il y a les Administrations dont le seul souci est de rentabiliser ce secteur, en tirant le plus de profit des subventions (moins de dépenses publiques et plus de profit privé) ; il y a aussi les Centres, qui ne représentent vraiment pas les familles et les usagers et qui dans la plupart des cas (avec quelques honnêtes exceptions) ne sont que de simples intermédiaires de l'Administration et non pas de véritables associations revendicatives, qui cherchent à survivre en équilibre entre leurs pactes avec l’Administration et l’utilisation des travailleurs comme instruments de pression. Et, à l’opposé, il y a nous les travailleurs, les familles et les usagers, qui désirons des services de qualité, gratuits, avec des conditions de travail dignes, participatives et intégrales. Il peut sembler à l’occasion, pour des raisons tactiques, que les Centres et les travailleurs ont des intérêts communs. Mais ce n’est que nous, les travailleurs, qui, au moment où nous développerons notre autonomie et notre organisation, pourrons mettre en avant des solutions définitives et favorables pour tous : les travailleurs, les familles et les usagers.
Les deux sont complémentaires et partent de la même nécessité, l’une sans l’autre perd son sens et sa profondeur.
La lutte immédiate se développe par la revendication des nécessités concrètes et contre les attaques les plus évidentes : contre les salaires impayés, pour le payement des salaires, contre les coupures de subventions et la fermeture des services, contre les licenciements et la dégradation des conditions de travail, contre les baisses de salaire dans les négociations des conventions collectives, contre les tickets modérateurs en tout genre. Une des pires difficultés dans cette lutte est le manque d’unité et le fait d’assumer la division imposée par l’Administration et les syndicats : des conventions différentes, des grilles de salaires différentes à l’intérieur d’une même convention, des critères différents de payement de la part de l’Administration… tout cela fait qu’on ne se reconnaît plus dans les mêmes problèmes et qu’ils n’apparaissent pas en même temps.
La lutte politique est la moins développée, c’est elle qui met en avant la nécessité de l’unité et de la confluence dans et "en-dehors" du secteur, c’est elle qui évalue et fait la critique de la globalité et nous fait prendre conscience. Pour réaliser un changement en profondeur qui nous permette des solutions réelles et à long terme, il est nécessaire de développer une lutte au-delà de l’immédiat. On sait par expérience que ce qu’on peut obtenir grâce à la pression de mobilisations (par exemple qu’on paye nos salaires) est une victoire temporaire et qu’on retombera sous peu dans une situation similaire ou même pire. Ce qui reste vraiment permanent des luttes, ce ne sont pas les acquis immédiats mais le fait que les travailleurs (avec les usagers et leurs familles) approfondissent leur unité, leur solidarité, leur empathie et leur soutien mutuel. Pour développer la lutte politique, la création des lieux de rencontre, de débat, de réflexion et de clarification est indispensable. Ne pas seulement nous rencontrer pour "lancer quelques cris" et rentrer à la maison, mais nous retrouver pour nous connaître, nous comprendre et créer un vrai mouvement.
Tout cela ne nous est pas exclusif. Les assauts que nous subissons s’étendent à toute la population. C’est pour cela que, en plus de briser le carcan de la sectorisation dans le "secteur social", nous devons lever encore plus la tête et nous regarder comme quelque chose de plus vaste : comme une classe, un collectif social majoritaire qui subit les mêmes conditions d’exploitation. Tant que nous n’aurons pas cette perspective nous serons facilement séparés les uns des autres et ignorés avec mépris par tous les "matraqueurs" de tel ou tel patron ou du gouvernement du jour.
Est-ce que quelqu’un peut vraiment voir une quelconque différence entre ce qui se passe dans notre "coin" et ce qui se passe dans l’éducation, dans la santé, les transports, les mines, les chantiers navals, les ouvriers du nettoyage…? Est-ce que nous ne sommes pas tous "punis" avec des conditions de vie et de travail de plus en plus mauvaises, avec des services de plus en plus chers et mauvais (que nous payons depuis des années), avec le chômage ou sa menace, avec la privation de besoins de base…?
Essentiellement, les différences entre nous viennent du fait que nous avons fini par accepter la séparation et la parcellisation de nos problèmes, comme si c’était quelque chose d’essentiel, alors que c’est justement quelque chose qui nous met tous sur le même plan commun, qui nous unit et qui peut se résumer dans le besoin de vivre malgré ce système.
Nous disions plus haut que dans ce que nous appellons "secteur" du handicap il y a depuis quelque temps des mobilisations (ce ne sont pas les premières, rappelons-nous, par exemple, il y a eu, à Alicante, des assemblées ouvertes de travailleurs et d’usagers du "social", avec une très large perspective) visibles surtout depuis les "marches du handicap". Nous, qui avons participé a ces mobilisations et ces marches, et qui nous sommes séparés du regroupement Discapacidad en Marcha [Handicap en Marche], avons des raisons pour ne pas être d’accord et critiquer avec la volonté d’avancer.
Les mobilisations, d’après nous, ne sont pas des fins en soi, mais des outils pour développer la conscience et le mouvement. Ces marches ne sont pas allées plus loin que leur aspect spectaculaire, devenant une fin en soi, une apparente accumulation de forces stérile, dont seulement ont tiré profit les interlocuteurs appointés (syndicats, associations…) et d’autres (partis de gauche qui rejoignent tout rassemblement pourvu qu’il y ait des votes à glaner pour se mettre à la place de la droite et faire la même chose).
Le contenu de ces mobilisations est toujours parcellaire et confus, mettant en avant des revendications justes (retrait du ticket modérateur et des coupes…) mais sans même mentionner la situation des travailleurs licenciés, impayés, ou avec de pires conditions de travail, ni les conventions qui se négocient à la baisse ou qui disparaissent. Lorsque les syndicats daignent "nous mobiliser", on dirait que les travailleurs (qui sont à la base de tout service) n’existent pas autrement que liés à leur Centre où nous existons séparément de toute la réalité vécue par les usagers et leurs familles. De même les messages "politiques" sont d’une pauvreté consternante : accuser le gouvernement autonome et central de la situation c’est cacher le fait que ces deux gouvernements ne sont que "le bras armé" de la politique économique capitaliste, laquelle ne comprend que le profit et méprise les besoins humains. Ni celui-ci ni aucun autre gouvernement ne fera qu’obéir à la voix de leur maître. Enfin, on continue à s’enfermer dans le "mini-secteur", en s’adressant "aux nôtres", en ne voyant pas la globalité du problème, en évitant la confluence et l’unité.
Pour nous la mobilisation est un outil pour développer la conscience et le mouvement, l’organisation réelle et unifiée des travailleurs depuis la base ; un outil qui puisse établir un changement dans les rapports de forces en faveur de l’immense majorité.
Un mouvement ouvert, d’assemblées et indépendant, mot d’ordre sur lequel s’est reconnue Discapacidad en Lucha, et non pas comme quelque chose de symbolique, mais parce qu’il exprime le besoin d’auto-organisation des travailleurs, le nécessité de diriger nos propres luttes et de les faire confluer dans une lutte de tous et pour tous.
Nous savons que ce n’est pas facile et face aux difficultés apparaîtra l’immédiatisme, le "faisons de suite quelque chose, quoi que ce soit". Mais sans un "pourquoi" et un "pour quoi faire", le "quoi que ce soit" ne sert à rien ou à ce que tout continue comme avant. Nous ne restons pas figés : débattre et encourager le débat c’est aussi faire, c’est participer dans le quotidien, et aussi dans les petites luttes ; et c’est cette perspective qui montre plus qu’un simple chemin, un chemin vers un mouvement organisé par tous et pour tous.
Colectivo Crítico de Trabajadores de programas, centros y servicios sociales [Groupe critique de travailleurs de programmes, centres et services sociaux]2.
Nous vous appelons à une assemblée ouverte pour débattre et réfléchir sur ces questions, le 9 janvier à 18H30 dans l’Ateneu la Escletxa à Alicante (Avd. de Alcoi 155, entresuelo). L’intention est d’avancer vers des positions propres en tant que travailleurs dans une perspective d’assemblées ouvertes et indépendantes. Cette réunion est ouverte à tous ceux qui veulent participer : travailleurs du secteur social, travailleurs en général, usagers et familles des services sociaux…
En mai 2011, nous avons vécu le mouvement des Indignés en Espagne et dans d’autres pays, ainsi que, par la suite, la grève des enseignants à Madrid et la lutte des étudiants à Valence3. Il y a cependant aujourd’hui une certaine apathie dans la lutte de classes mondiale, encore qu’il ne faille pas oublier les grèves massives à répétition qui se sont déroulées au Bangladesh depuis septembre 2013.
La lutte ouvrière, en général, ne suit pas une ligne continue, elle se déroule avec des hauts et des bas, et plus concrètement, elle traverse des moments d’agitation, d’auto-activité et d’auto-organisation suivis de longues phases de confusion et d’apparente résignation.
Il ne faut pas regarder la lutte du prolétariat avec des yeux de l'immédiatisme qui ne voit que ce qui se passe au moment même sans l’insérer dans la chaîne du passé et la perspective du futur. L’immédiatisme tombe dans l’euphorie lorsque les ouvriers prennent la rue et pense qu’ils sont prêts à prendre le Palais d’Hiver. Mais c’est avec la même absence de réflexion qu’il se noie dans le pessimisme le plus sombre quand les gens ne bougent plus, ce qui l’emmène à conclure que "le prolétariat n’existe pas", qu’"il n’y a pas d’issue", etc.
Le prolétariat est à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire. C’est pour cela que le résultat de la plupart de ses luttes est la défaite, une défaite qui s’ouvre sur des lendemains douloureux. Sa grande force est l’autocritique implacable de ses propres erreurs, "Les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIIIe siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, leurs effets dramatiques se surpassent, les hommes et les choses semblent être pris dans des feux de diamants, l'enthousiasme extatique est l'état permanent de la société, mais elles sont de courte durée. Rapidement, elles atteignent leur point culminant, et un long malaise s'empare de la société avant qu'elle ait appris à s'approprier d'une façon calme et posée les résultats de sa période orageuse. Les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIXe siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts, jusqu'à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta !"4.
Beaucoup de personnes engagées dans les mobilisations de 2011 et 2012 sont tombées dans l’illusion selon laquelle le mouvement pourrait se prolonger indéfiniment à base de volontarisme, en organisant des appels en tout genre, en proposant un éventail de mobilisations sans fin, en agitant sans répit des masses de plus en plus fatiguées et désorientées. Les forces d’encadrement de la bourgeoisie (syndicats, partis de gauche et d’extrême gauche) ont fomenté avec astuce cette orgie d’activisme, d'immédiatisme et de localisme qui a ont finalement réussi à décourager pas mal de monde.
Par contre, les auteurs de cet appel appartiennent à une minorité réfléchie et consciente qui met justement en avant de "Ne pas seulement nous rencontrer pour "lancer quelques cris" et rentrer à la maison, mais nous retrouver pour nous connaître, nous comprendre et créer un vrai mouvement", et, surtout, que, "face aux difficultés apparaîtra l’immédiatisme, le "faisons de suite quelque chose, quoi que ce soit". Mais sans un "pourquoi" et un "pour quoi faire", le "quoi que ce soit" ne sert à rien ou à ce que tout continue comme avant. Nous ne restons pas figés : débattre et encourager le débat c’est aussi faire".
Les camarades appellent à "lever la tête", à ne pas voir qu’un problème de secteur mais une crise du système capitaliste que dure depuis plus de quarante ans et dont le seul horizon est le chômage, la misère, la destruction de l’environnement, la barbarie morale, les souffrances sans fin. Lever les yeux et voir, non pas des "collectifs" et des "mini-collectifs" mais la classe prolétarienne, une classe qui éprouve beaucoup de difficultés pour se reconnaître comme telle et pour avoir confiance en ses propres forces, mais qui a entre ses mains l’avenir parce que c’est de son travail associé que jaillissent le fonctionnement même de cette société et les énormes richesses qui s’y produisent. Lever les yeux et ne pas se limiter à l’espace étroit et aliénant de la "nation espagnole", encore moins se perdre dans les royaumes de taïfas de Catalogne, de Valence ou d’Euskadi, mais comprendre que nous sommes face à une crise mondiale qui n’a qu’une solution mondiale, entre les mains de l’union des prolétaires du monde entier. Lever les yeux et ne pas rester dans le cercle asphyxiant de la lutte économique et assumer la lutte politique qui, pour le prolétariat et toutes les masses exploitées, ne consiste pas en ce labyrinthe de mensonges, intrigues et corruption qui caractérise la politique officielle, mais qui est basée sur la participation active de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Lever les yeux et débattre avec l’esprit ouvert aux énormes problèmes qui se posent à nous de sorte que, par la conscience, la solidarité et la lutte, ouvrir le processus long et difficile qui conduira l’humanité à se défaire du joug du capitalisme.
CCI
1Les camarades font référence au collectif Discapacidad en Movimiento (Handicap en Mouvement), qui s’est constitué dans la région de Valence. [NdR]
2 Si tu souhaites te mettre en rapport avec nous : [email protected] [370].
Pour un mouvement uni, conscient et d’assemblées des travailleurs
3 Lire notre tract international : "2011 : de l'indignation à l'espoir [288]".
Et aussi : (en esp.) "Solidaridad con la lucha de los trabajadores de la enseñanza [371]".
Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne)" https://fr.internationalism.org/icconline/2012/face_a_l_escalade_repress... [372]
et "Pourquoi nous considèrent-ils comme leurs ennemis ?", https://fr.internationalism.org/ri430/pourquoi_nous_considerent_ils_comm... [373]
4 Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum.htm [335]
Quand les troupes russes s’emparèrent des bâtiments stratégiques en Crimée, le secrétaire d'’État américain John Kerry prononça cette condamnation sans concession : "Au XXIe siècle, il est inconcevable de se comporter comme au XIX° siècle, en envahissant un autre pays, sous un prétexte totalement fallacieux."
Poutine, cependant, empruntant une expression à Tony Blair, insista sur le fait que la demi-invasion de l’Ukraine était une "intervention humanitaire" et que, de toutes façons, les forces qui ont pris possession du Parlement de Crimée étaient de simples "unités d’auto-défense" qui ont acheté leurs uniformes russes dans un magasin d’occasions.
Il n’est pas difficile de voir la vacuité et l’hypocrisie de ces représentants du capital. La déclaration de Kerry a été accueillie par un torrent de protestations à gauche : celle-ci a fait remarquer que le fait d’inventer des prétextes pour justifier l’invasion d’autres pays correspond exactement au comportement des États-Unis depuis les vingt dernières années et plus : il suffit de rappeler l’invasion en 2003 de l’Irak, justifiée par la suspicion de présence d’armes de destruction massive, ou le comportement des États-Unis au XIXe siècle. De même, l’appel de Poutine pour des motifs humanitaires porte le monde entier à se moquer de lui lorsqu'on pense à Grozny réduite à des décombres dans les années 1990 quand l’armée russe a réprimé sans ménagement les tentatives des Tchétchènes voulant rompre avec la Fédération de Russie.
Le comportement des États du XIXe siècle est une référence pour l’impérialisme. A cette époque de l’histoire du capitalisme, les grandes puissances ont construit des empires énormes en envahissant des pans entiers de l’espace pré-capitaliste, à la recherche de marchés. Les efforts désespérés pour s’emparer des espaces restants, s’y accrocher ou se les partager, furent un facteur décisif dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
De tous les marxistes et aussi de notre point de vue, Rosa Luxembourg avait la vision la plus clairvoyante des origines et de la nature de l’impérialisme. Elle a ainsi analysé la signification de cette transition de l’impérialisme du XIX° au XX° siècle : "Avec le degré d’évolution élevé atteint par les pays capitalistes et l’exaspération de la concurrence des pays capitalistes pour la conquête des territoires non capitalistes, la poussée impérialiste, aussi bien dans son agression contre le monde non capitaliste que dans les conflits plus aigus entre les pays capitalistes concurrents, augmente d’énergie et de violence. Mais plus s’accroissent la violence et l’énergie avec lesquelles le capital procède à la destruction des civilisations non capitalistes, plus il rétrécit sa base d’accumulation. L’impérialisme est à la fois une méthode historique pour prolonger les jours du capital et le moyen le plus sûr et le plus rapide d’y mettre objectivement un terme. Cela ne signifie pas que le point final ait besoin à la lettre d’être atteint. La seule tendance vers ce but de l’évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes." (R. Luxembourg, L’Accumulation du Capital, (1913) III- Les conditions historiques de l’accumulation, 31 : Le protectionnisme et l’accumulation)
Ces mots ont été écrits un an avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Et nous sommes toujours en train de vivre cette "période de catastrophes", marquée par une crise économique globale, deux Guerres mondiales, des guerres par procuration meurtrières (souvent menées au nom de la décolonisation) au cours de la guerre froide, puis les conflits exprimant le chaos qui a envahi le globe après la chute du vieux système des blocs Est/Ouest.
Dans ce conflit, l’impérialisme peut avoir changé de forme – le fait de garder des colonies, par exemple, comme dans le cas de la Grande-Bretagne et de la France, devenait le signe d’un déclin impérialiste plutôt que d’une force, et la nation capitaliste la plus puissante, les États-Unis, a supplanté les vieux empires en utilisant son immense force économique pour asseoir sa domination sur de larges pans de la planète. Mais, même les États-Unis ont été obligés encore et encore d’utiliser leur force militaire pour soutenir leur influence économique, y compris par l’invasion d’autres pays, de la Corée à Grenade et du Vietnam à l’Irak. De même leur principal rival durant la guerre froide, l’URSS, qui, du fait de sa faiblesse économique, utilisait un contrôle militaire brutal, seule façon de tenir la cohésion de son bloc : comme nous avons pu le voir avec les invasions de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Et bien que l’URSS n’existe plus, la Russie de Poutine ne lâche rien sur l’option militaire pour défendre ses intérêts nationaux.
En bref : l’impérialisme, loin d’être un phénomène du XIXe siècle, dirige toujours le monde. Et comme Rosa Luxembourg l’écrivait de la prison où elle était détenue pour s’être opposée au bain de sang de 1914 : "La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire." (Brochure de Junius, éd. Spartacus- 1994, p. 127)
En d’autres termes, toutes les nations sont impérialistes aujourd’hui, de la plus grande à la plus petite, toutes sont poussées par les exigences impérieuses de l’accumulation capitaliste à s’étendre aux dépens de leurs rivaux, à utiliser la guerre, le massacre et le terrorisme pour défendre leurs intérêts économiques et diplomatiques. De même, la phrase nationaliste "ne sert plus qu’à masquer tant bien que mal les aspirations impérialistes, à moins qu’elle ne soit utilisée comme cri de guerre, dans les conflits impérialistes, seul et ultime moyen idéologique de capter l’adhésion des masses populaires et de leur faire jouer leur rôle de chair à canon dans les guerres impérialistes." (Ibid., page 128)
R. Luxembourg, comme Lénine, Trotsky, Pannekoek, Rosmer et les autres, était une internationaliste. Elle ne considérait pas la société du point de vue de "son pays" mais de "sa classe", la classe ouvrière, qui est la seule classe réellement internationale parce qu’elle est exploitée et attaquée par le capitalisme dans tous les pays. Elle savait que le nationalisme avait toujours été une façon de cacher la réalité fondamentale selon laquelle la société capitaliste est divisée en classes –une qui possède l’économie nationale et qui contrôle l’État national, et l’autre qui ne possède rien d’autre que sa force de travail. Dans le passé, alors que le capitalisme venait d’émerger de la vieille société féodale, l’idéal de la libération nationale pouvait servir les intérêts de la révolution bourgeoise progressiste, mais, dans la période du déclin du capitalisme, rien de positif ne reste du nationalisme, si ce n’est d’entraîner les exploités dans la guerre, pour la survie de leurs exploiteurs.
C’est pourquoi les internationalistes, en 1914, ont défendu la poursuite et l’approfondissement de la lutte de classe contre leur propre classe dominante ; pour la solidarité avec les ouvriers des autres pays luttant contre leur classe dominante ; pour l’unification éventuelle des ouvriers du monde entier en une révolution contre la loi capitaliste en tout lieu. C’est pourquoi ils ont adopté la même position au moment de la Seconde Guerre mondiale, guerre de procuration entre les États-Unis et l’URSS, et c’est pourquoi nous adoptons la même position contre les guerres d’aujourd’hui. Nous ne cautionnons pas la politique "du moindre mal" contre "l’ennemi numéro un", nous ne défendons pas les "petites nations" contre les nations plus fortes. Nous ne soutenons pas non plus qu’il existe un "nationalisme des opprimés" qui serait moralement supérieur au "nationalisme de l’oppresseur". Toutes les formes de nationalisme aujourd’hui sont également réactionnaires et meurtrières.
Dans le conflit actuel en Ukraine, nous ne défendons pas la "souveraineté" de l’Ukraine, soutenue par l’impérialisme américain, pas plus que nous ne défendons le militarisme russe mobilisé contre les États-Unis ou l’influence européenne sur leur flanc sud. Nous ne sommes pas non plus "neutres" ou pacifistes. Nous sommes partisans de la lutte de classes dans tous les pays, même si, comme en Ukraine ou en Russie aujourd’hui, la lutte de classes est noyée dans les combats de fractions concurrentes de la classe dominante.
Contre les barricades des drapeaux nationaux, divisant les ouvriers d’Ukraine et de Russie, contre la menace que constitue l’intoxication patriotique, qui risque de les entraîner dans un massacre terrible, les internationalistes ne doivent pas perdre de vue le mot d’ordre du mouvement ouvrier :
"La classe ouvrière n’a pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"
CCI, mars 2014
Nous diffusons ci-dessous un article publié pour la première fois en juillet 1970 dans le journal Révolution internationale n°4 et réalisé par le groupe éponyme, groupe qui deviendra en 1975 la section en France du Courant Communiste International.
Le sommaire du journal présentait cet article ainsi : "La théorie est une des armes principales du prolétariat, car elle est la condition d’une révolution consciente".
"Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports forme ; la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s'élève un édifice juridique et politique, et à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression juridique. Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves.
Alors commence une ère de révolution sociale. Le changement dans les fondations économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ce bouleversement il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l'esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout." (Karl Marx, Critique de l'Économie politique, Avant-propos, trad. Rubel et Evrard, La Pléiade, Œuvres, t. 1, p. 272.)1
Si en dernière instance, c’est la forme d’organisation qui détermine l’ensemble de la société, les formes idéologiques jouent un rôle fondamental dans le maintient de cette première. En effet, dans la mesure où toutes les formes économiques ayant existé jusqu’à ce jour ont été et sont encore basées sur la division de la société en classes sociales aux intérêts antagonistes, la classe qui bénéficie de ces rapports de production, c’est-à-dire la classe exploiteuse, a besoin, pour imposer et maintenir son existence face aux classes exploitées, d’étendre sa domination à l’ensemble de la vie sociale. Cette domination s’exerce principalement dans le domaine politique pas sa main-mise sur le pouvoir d’État, c’est-à-dire la violence organisée. Elle s’exerce également dans les domaines juridiques, religieux, philosophiques et artistiques par l’élaboration de lois, mythes et systèmes de pensée, qui ont tous pour objet de justifier l’ordre social existant et de le faire accepter par les classes opprimées.
Chaque fois qu’une classe s’est attaquée à une forme d’organisation sociale, c’est-à-dire en premier lieu à une forme donnée des rapports de production, elle a dû étendre son offensive aux domaines politique et idéologique à travers lesquels la classe exploiteuse maintenait sa domination. Son affirmation comme classe dominante s’est accompagnée de l’élaboration de sa propre conception du monde opposée à la conception de la classe à renverser.
Ceci fut déjà valable pour la bourgeoisie : à l’époque où le mode de production capitaliste commençait à se développer aux dépends du mode de production féodal, elle a éprouvé le besoin d’étendre sa maîtrise du monde au domaine politique (révolution bourgeoise) mais simultanément ou même avant, aux différentes branches de la pensée : artistique (Renaissance), philosophique (Voltaire, Rousseau, Kant, Hegel….) et scientifique. Son incursion dans cette dernière branche a établi une distinction entre deux domaines :
Les sciences de la nature dans lesquelles la plus grande rigueur est nécessaire à la bourgeoisie car elles sont la condition même du développement de la technique et des forces productives.
Les "sciences sociales" et en particulier l’économie politique dont le développement se heurte à la mystification qu’elles sont chargées de perpétuer pour masquer la réalité de l’exploitation capitaliste. Les économistes bourgeois (Smith, Ricardo…) font œuvre révolutionnaire quand ils démontrent la supériorité du mode de production capitaliste sur le mode de production féodal mais leurs travaux perdent leur rigueur scientifique dès qu’ils se proposent de démontrer qu’il ne peut exister de meilleur mode de production que le capitaliste, ou plutôt que celui-ci est le mode "naturel" de production.
A l’instar des autres classes révolutionnaires, le prolétariat tend à travers sa lutte contre le capital, à définir sa propre conception du monde. Mais dans la mesure où le projet révolutionnaire prolétarien ne se propose pas d’instaurer une nouvelle exploitation de l’homme par l’homme mais au contraire l’abolition de toute exploitation, il peut et doit se passer de toute mystification. Il étend par conséquent la rigueur scientifique, que la bourgeoisie utilisait seulement dans la connaissance de la nature, au domaine de la critique de la société et principalement de l’économie politique.
C’est justement parce qu’ils se plaçaient du point de vue du prolétariat dans leur critique du capitalisme que les socialistes scientifiques (Marx, Engels…) ont pu en démasquer la nature profonde et les contradictions fondamentales. Puisqu’il n'a pas besoin de mentir aux autres classes et par conséquent de se mentir à lui-même, le prolétariat est la première classe révolutionnaire de l’histoire qui puisse s’élever à une compréhension claire et non mystifiée des moyens et des buts de sa lutte, qui puisse faire de sa théorie un instrument fondamental de son émancipation.
A la différence de la bourgeoisie qui a pu développer, à l’intérieur même du cadre de la société féodale, les bases matérielles économiques de sa domination, le prolétariat ne dispose dans la société bourgeoise d’aucune base matérielle de son futur pouvoir. Il n’existe à l’heure actuelle, dans le monde capitaliste, aucune organisation, aucun pays2 successible de servir de point d’appui au prolétariat pour un assaut contre l’édifice capitaliste.
La seule force matérielle du prolétariat est, outre son nombre, sa capacité à s’organiser de façon autonome au cœur même des lieux de production dans les moments de lutte révolutionnaire. Mais jusqu’à présent l’échec des différentes tentatives révolutionnaires a conduit à l’écrasement de ces organes de lutte : les conseils ouvriers, et chaque défaite prolétarienne a permis au capital de renforcer sa sur-exploitation et sa domination idéologique. Le seul acquis de ces luttes est donc d’ordre théorique : l’expérience des défaites du prolétariat d’hier permettra à celui d’aujourd’hui de ne pas commettre les mêmes erreurs, à condition seulement qu’il prenne connaissance de cette expérience.
Cet acquis ne peut à aucun prix être perdu : le rôle des révolutionnaires est donc de se l’approprier et de le traduire en activité révolutionnaire consciente dans l’actuelle lutte de classe.
La révolution prolétarienne est la première révolution de l’histoire qui réalise l’émancipation totale de l’homme de ses contraintes économiques, qui permet à l’humanité de "sortir du règne de la nécessité pour entrer dans celui de la liberté" (Engels, Anti-During). Dans la société sans classes, la satisfaction des besoins des hommes ne sera plus soumise aux lois aveugles de l’économie marchande : la production de valeurs d’échange dont le capitalisme a fait une loi universelle, aura disparu au bénéfice de la production de valeurs d’usage, ce qui signifie que l’activité productive et, par suite, l’ensemble des activités sociales des hommes deviendront des actes conscients.
L’édification de cette société et l’affrontement révolutionnaire qui l’aura permise ne pourront donc être que des activités conscientes.
En définitive, aussi bien l’absence de base matérielle actuelle pour le futur pouvoir prolétarien que le contenu même du projet révolutionnaire montrent que, non seulement le prolétariat pourra faire de sa théorie un instrument fondamental de son émancipation, mais que la condition sine qua non de cette dernière est justement qu’il formule et s’assimile au maximum sa théorie révolutionnaire.
Le rôle des révolutionnaires est donc, non seulement de s’approprier l’acquis théorique des luttes passées, mais encore de contribuer de façon décisive à l’élaboration du projet révolutionnaire prolétarien et, dans la mesure où toute la classe doit participer à la révolution et par conséquent faire sienne la théorie révolutionnaire, ils doivent la diffuser au maximum de leurs possibilités.
Contrairement à ce que pensaient Kautsky et Lénine, la conscience révolutionnaire n’apparaît pas en dehors et indépendamment des luttes prolétariennes, dans le cerveau d’un certain nombre d’intellectuels d’origine bourgeoise, dont la tâche serait d’introduire cette conscience à l’intérieur de la classe ouvrière, capable seulement par elle-même d’atteindre une "conscience trade-unioniste".
Ce qui rend le prolétariat révolutionnaire ce n’est pas l’intervention avisée du parti porteur de la "conscience de classe", c’est la place qu’il occupe dans les rapports capitalistes de production, place qui en fait l’ennemi irréconciliable de la classe des détenteurs des moyens de production, des exploiteurs. Le socialisme n’est pas une construction théorique élaborée en dehors de la lutte de classes par quelques spécialistes détenteurs de la Science, il est le but vers lequel tend de façon inéluctable toute lutte prolétarienne conséquente3. Ce qui a permis de donner pendant une longue période une apparence de rigueur aux idées de Kautsky et de Lénine ; c’est le fait que le but socialiste impliqué par la lutte prolétarienne, n’est pas immédiatement reconnu par ceux qui mènent cette lutte. Ce n’est que devant l’incapacité croissante du capital de satisfaire les exigences des travailleurs que ceux-ci prennent progressivement conscience de la nécessité du renversement de l’ordre existant, de la suppression du capitalisme et donc de l’édification de la société sur de nouvelles bases.
Le fait que des hommes comme Babeuf, Marx, Engels, etc., aient pu effectivement, grâce à leur situation culturelle privilégiée, appréhender et formuler explicitement les buts et les implications de la lutte qui se déroulait sous leurs yeux, et ceci avant que ce but n’apparaisse clairement aux protagonistes de celle-ci, ne signifie nullement qu’ils aient "inventé" le socialisme.
Cette conception est le vestige d’une époque de creux révolutionnaire (1871-1905) et de l’immaturité du mouvement ouvrier russe au début du siècle, vestige canonisé par la réussite momentanée de la Révolution d’Octobre 1917 et entretenus par la contre-révolution qui l’a suivie.
La dénonciation de cette conception n’implique cependant pas l’adoption de la conception symétrique dans laquelle on fait surgir de la conception révolutionnarisme de l’expérience parcellaire et individuelle de tel ou tel ouvrier dans telle ou telle usine. La conscience révolutionnaire s’élabore dans la classe et non dans une entreprise. En ce sens, le révolutionnaire qui milite pour la propagation de ses idées dans une usine (par exemple sur les Conseils ouvriers) n’apporte pas une conscience extérieure puisque celle-ci n’est que le résultat de l’expérience de la classe (qui est une) en d’autres lieux ou à d’autres époques.
Dans une telle conception, la conscience de classe est comprise comme somme des consciences des individus la composant ; alors qu’elle est en fait conscience collective, conséquence et facteur d’une lutte pour la défense d’intérêts communs à l’ensemble des membres de la classe.
La théorie révolutionnaire n’est pas produite de façon immédiate et empirique par les luttes sociales au fur et à mesure qu’elles se développent à une époque et en un lieu donnés. L’échelle qui lui convient est obligatoirement celle de l’histoire du mouvement ouvrier international. En d’autres termes, les révolutionnaires ne peuvent élaborer leurs positions politiques uniquement à partir de la simple participation aux luttes de leur époque ; la compréhension du sens de celles-ci implique la connaissance du cadre historique dans lequel elles s’inscrivent, donc de l’expérience des luttes passées de la classe.
Le décalage qui peut exister entre les conceptions d’un groupe révolutionnaire et la pratique de la classe à un moment donné de sa lutte, ne signifie pas forcément que ces conceptions soient fausses, il peut aussi indiquer que l’activité révolutionnaire de la classe n’a pas encore atteint le niveau de ses expériences antérieures.
Le fait que dans le prochain mouvement révolutionnaire la classe ouvrière devra, pour vaincre, dépasser le niveau de conscience atteint lors du mouvement précédent, implique donc la disparition à terme de ce décalage.
Le mouvement révolutionnaire se développe à l’intérieur de la société d’exploitation. Les individus ou groupes qui participent ne peuvent échapper à cette réalité. Ainsi, le fait qu’à l’heure actuelle, la plupart des groupes révolutionnaires soient composés en majorité "d’intellectuels" n’est pas en soi aberrant ou tragique, c’est le simple reflet de la situation qui prévaut dans la société de classe : à savoir l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel et l’existence de privilèges qui sont attachés à ce dernier. Les révolutionnaires devront surtout veiller à ce que ne s’établissent pas dans leur organisation des rapports hiérarchiques de soumission des "manuels" aux "intellectuels", ou à ce que ces derniers ne se livrent à l’attitude opposée qui consiste à abdiquer toute opposition critique à l’égard des membres ouvriers de cette organisation.
Cela dit, on ne peut considérer comme définitif ce rôle particulier joué par certains intellectuels à une époque comme la nôtre. L’extension et l’approfondissement du mouvement révolutionnaire, l’entrée sur la scène de l’histoire des masses prolétariennes, de même qu’ils permettront la jonction entre la théorie et la pratique, aboliront, avec les autres vestiges du vieux monde, cette tare.
La théorie ne sera plus le privilège d’une minorité composée essentiellement d’intellectuels, elle sera vécue et élaborée par les masses.
C’est entre autre par la connaissance d’un tel fait que pêche la théorie léniniste de la conscience et de l’organisation.
Traiter de "léninistes" ou "d’aspirants bureaucrates" ceux qui insistent sur le besoin de théorie est une aberration. De telles accusations nourrissent leur mauvaise foi dans la méconnaissance des idées suivantes :
1. Les conceptions de Lénine ne se distinguent pas de celles des révolutionnaires de son époque par le rattachement exceptionnel à la théorie : les écrits de Rosa Luxemburg, Mehring, Pannekoek, sont là pour le confirmer.
2. L’essentiel du pouvoir qu’exercent les dirigeants des bureaucraties pseudo-révolutionnaires sur leurs militants de base provient de l’imposition à ces derniers de toutes sortes "d’activités pratiques" (collages d’affiches, distributions de tracts, ventes militantes, etc.) et de la non-extension à l’ensemble des membres de l’organisation de la réflexion théorique.
3. Une des armes essentielles pour lutter contre les conceptions bureaucratiques est la mise à nu de leur incohérence théorique. Refuser de "faire de la théorie", c’est objectivement laisser le champ libre à ces conceptions.
Souvent les détracteurs de la théorie prônent comme moyen de lutte l’accomplissement "d’actes exemplaires" ; leur opposition aux conceptions léninistes les conduit alors à se replacer – la cohérence en moins – dans le cadre de ces mêmes conceptions pour lesquelles une minorité d’individus "entraîne" la grande masse amorphe.
Les partisans de la "pratique pure", vierge de toute théorie, se mentent à eux-mêmes comme ils mentent aux autres puisque leur conception même de la lutte est déjà une théorie, primaire il est vrai, de la révolution.
Alors qu’ils présentent la théorie comme un danger qui menace le mouvement ouvrier, ils ne se rendent pas compte du fait que ce sont leurs actes irréfléchis – puisque en principe exempts de toute théorie – qui risquent d’être dangereux ; tout acte illégal n’est pas forcément bon pour la révolution. Leur mépris de la théorie masque donc un mépris de la pratique.
La négation de la nécessité de la théorie est généralement le fait d’intellectuels : leur révolte contre l’oppression du savoir bourgeois déborde sur une négation du savoir lui-même.
Au contraire quand il se révolte contre l’exploitation et les institutions qui assurent le maintient de celle-ci, l’ouvrier éprouve le besoin de comprendre la situation qu’il se propose de changer : pour lui la connaissance et la réflexion théorique sont une nécessité immédiate de sa lutte, comme ils sont un premier pas vers une émancipation de sa soumission que lui impose le Capital.
L’actuel mépris pour la théorie qui se manifeste dans un certain nombre de milieux "gauchistes" provient essentiellement de la nature petite-bourgeoise de la plupart des luttes violentes qui ont jusqu’à présent secoué la société4 (étudiants, paysans, commerçants) ; luttes qui malgré les difficultés qu’elles peuvent créer à la bourgeoisie ne portent en elles aucunes perspectives historiques et ne peuvent par conséquent reconnaître de projet révolutionnaire propre. Suscité par l’absence de perspective, le désespoir et l’impatience de ces couches sociales se manifestent par des actes plus ou moins violents, quelques fois de caractère terroriste mais toujours minoritaires qui en fin de compte ne font pas avancer la condition fondamentale de la révolution communiste, la prise de conscience de la seule classe aujourd’hui révolutionnaire : le prolétariat.
Le fait que la théorie ne soit pas encore ressentie comme un besoin urgent de l’actuel lutte de classe est la marque des limites et des faiblesses que celle-ci (malgré un renouveau indiscutable) connaît encore après cinquante années de contre-révolution.
Ce fait traduit ainsi la domination que continue d’exercer l’idéologie bourgeoise – malgré sa décomposition actuelle – sur le prolétariat et dont les détracteurs de la théorie sont les agents objectifs, bien qu’inconscients.
Cinquante ans de défaite et d’apathie du mouvement ouvrier ont pratiquement anéanti tout développement de la théorie révolutionnaire : toutes les tentatives qui ont été faites pendant cette période se sont épuisées pour n’avoir pu être confrontées à une pratique.
Sortant de cette sombre période, le nouveau mouvement révolutionnaire qui aujourd’hui se dessine se voit donc confronté dès ses premiers pas, à un besoin immense de mise à jour de la théorie.
Parmi les tâches essentielles qui se présentent actuellement, on peut citer, de façon non limitative, les suivantes :
Compréhension du sens des luttes actuelles, indissociable d’une étude du capitalisme mondial.
Critique sans concessions des expériences révolutionnaires passées, ainsi que des conceptions idéologiques erronées qui y sont attachées (léninisme, anarcho-syndicalisme).
Critique des organisations présentes se réclamant de la révolution socialiste, de leurs programmes, de leurs formes d’organisation et d’action et étude de pourquoi de leur existence.
Réflexion sur le problème de l’organisation des révolutionnaires, tel qu’il s’est posé et tel qu’il se pose aujourd’hui et sur celui des nouvelles formes de lutte.
Ébauche du programme socialiste (c’est-à-dire de l’ensemble des mesures que devra prendre le pouvoir révolutionnaire) dont les expériences passées et les nouvelles caractéristiques de la société peuvent déjà donner quelques traits ; ce dernier travail, la formulation du projet révolutionnaire prolétarien, étant en fait celui qui rend possible tous les autres.
J.Fé (juillet 1970)
1 Nous ne reproduisons pas cette citation de Marx afin de nous retrancher derrière une quelconque "vérité révélée" et couper ainsi court à toute discussion. Mais puisque nous partageons ces mêmes idées, que nous en aurons besoin pour la suite du texte et que Marx leur a donné dans ce passage une formulation particulièrement claire et succincte, nous avons pensé qu’il valait mieux citer directement cet extrait en en indiquant l’origine, plutôt que de dire la même chose en d’autres termes qui eussent sans doute été plus lourds et plus confus.
2 Il y a longtemps que les révolutionnaires ont reconnu dans les syndicats des instruments de l’État bourgeois, et dans les pays "socialistes", des pays où le capitalisme loin d’être aboli, exerce une exploitation qui n’a rien à envier à celle des capitalismes libéraux.
3 "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux." Marx et Engels, le Manifeste Communiste, 1848.
4 Voir l’article sur le mouvement étudiant dans RI ancienne série n°3.
L'évolution de la situation au Venezuela après un mois d'affrontements et de manifestations de rues sporadiques n'a malheureusement pas confirmé les potentialités contenues à l'origine de ce soulèvement des jeunes, excédés et révoltés par la misère, la hausse du coût de la vie (avec un taux d'inflation atteignant officiellement 56%), la précarité, l'insécurité, la terreur permanente et l'avenir bouché en contradiction totale avec la propagande du régime post-chaviste. Si le bilan de la répression s'est depuis considérablement alourdi (18 morts et 260 blessés à la date du 5 mars) depuis les textes traduits ci-après, la bourgeoisie a opéré une véritable mise sous contrôle du mouvement, notamment au moyen de ses fractions d'opposition au régime, de gauche comme de droite. La classe dominante s'est employé a dénaturer ce mouvement sur le terrain du démocratisme et du nationalisme, ce dont témoignent les immenses drapeaux nationaux déployés dans les cortèges des manifestants. Les manipulations et les grandes manœuvres des intérêts impérialistes concurrents ont pris le pas sur la colère de la rue et le mouvement étudiant vénézuélien a démontré qu'il n'avait pas surmonté ses faiblesses de 2007 et s'est fait prendre une fois encore aux pièges qui lui étaient tendus et aux discours mensongers de l'opposition démocratique pour désamorcer son caractère explosif en le coupant de ses racines prolétariennes et en se livrant aux politiciens et à d'autres exploiteurs.
Nous publions ci-dessous la traduction de deux prises de position déjà publiées sur notre site en espagnol1 : il s'agit d'une part de la contribution d'un sympathisant proche du CCI qui a rédigé et distribué un tract "à chaud" dans les jours qui ont suivi la répression des jeunes le 12 janvier par le gouvernement Madero et ses sbires, l'autre un texte de présentation de ce tract écrit par notre section au Venezuela. Tous deux posent l'enjeu essentiel de la situation : le lien nécessaire et vital entre le mouvement de révolte des jeunes et le combat plus général de résistance du prolétariat sur son terrain de classe, même si ce lien a été saboté par l'union de toutes les forces de la bourgeoisie pour détourner la colère de la jeunesse de cet objectif et si le mouvement a été rapidement récupéré par la bourgeoisie.
Ces prises de position ont également le mérite de briser le relatif black-out qui a pesé en Europe pendant des semaines sur ce mouvement alors. La bourgeoisie cherchait à masquer une fois de plus le point de départ de cette rébellion massive des jeunes générations contre des conditions d'existence de plus en plus intolérables, préférant mettre l'accent sur la lutte entre "chavistes" et "ani-chavistes", entre le pouvoir et "l'opposition démocratique".
Le tract ci-dessous, écrit et diffusé par un sympathisant du CCI, prend position face à la brutale répression déchaînée par le régime chaviste (actuellement dirigé par le successeur de Chavez, Nicolas Maduro), contre une mobilisation massive appelée par les étudiants le 12 février dernier au centre de Caracas pour exiger la libération de quatre de leurs camarades emprisonnés et pour protester contre la pénurie, le coût élevé de la vie et l'insécurité dans les villes. L'action répressive du régime "social-bolivarien" s'est traduit à l'heure actuelle par un bilan de trois morts, des dizaines de blessés et d'arrestations.
La mobilisation des étudiants a été le détonateur d'une immense indignation qui fermentait depuis longtemps au sein des masses laborieuses et de la population durement frappées par la grave crise économique qui secoue le pays. De larges secteurs de la population au niveau national ont soutenu l'action décidée par les jeunes, s'unissant dans un mouvement de protestation généralisée contre le régime et pour manifester leur rage et leur indignation face au niveau élevé de l'inflation sans aucune compensation sur les traitements et les salaires des travailleurs ; la pénurie accrue des produits de première nécessité (alimentation, médicaments, produits d'hygiène, notamment) ; le haut niveau d'insécurité publique qui s'est sinistrement traduit par près de 200 000 assassinats pendant les quinze ans du régime chaviste ; la détérioration des services publics de santé, la précarité du travail et la grotesque propagande chaviste au niveau national et international pour essayer de vendre "les bienfaits" du "socialisme-boivarien". En réalité, cela illustre de façon tragique la barbarie et la misère que le capitalisme en décomposition offre à l'humanité2.
Comme cela s'est produit lors d'autres mouvements sociaux dans le monde, la bourgeoisie chaviste au pouvoir a eu recours à son moyen d'action préféré : la répression ouverte et impitoyable contre les manifestants ; utilisant non seulement les forces de répression de l'État mais aussi des milices civiles armées et rétribuées par l'État appartenant aux dénommés Comités bolivariens, chargés d'intimider, de créer un climat de terreur, y compris en tirant sur des manifestants désarmés. Ce sont eux les responsables de plusieurs morts et de plusieurs dizaines de blessés. En permettant à ces forces para-policières d'agir librement, l'État tente de masquer sa propre responsabilité dans la répression des manifestants. Ces actes de "révolutionnaires bolivariens" ne doivent pas nous surprendre. La bourgeoisie tout au long de son histoire a utilisé des éléments déclassés et lumpenisés pour renforcer ses troupes de choc contre le prolétariat : on l'a vu aussi bien avec les réseaux fascistes (les "chemises noires" de Mussolini, les "chemises brunes" du nazisme) que sous les régimes staliniens comme à Cuba avec les Comités de Défense de la Révolution (CDR) ou sous les régimes dictatoriaux des pays arabes (Libye, Syrie, Égypte,…) ou encore plus récemment dans les pays alliés au "Socialisme du XXIe siècle" comme au Nicaragua, en Équateur, en Bolivie, etc.
La bourgeoisie est consciente de la gravité de la crise économique du pays, manifestation de la crise économique que vit le capitalisme à l'échelle mondiale. Les moyens économiques du régime n'ont fait que précipiter une crise imminente. Malgré les importantes recettes pétrolières, le régime chaviste ne peut plus supporter le niveau abyssal des dépenses publiques qu'exige le maintien de sa politique populiste depuis quasiment trente ans, ni continuer à fournir du pétrole bon marché pour soutenir une géopolitique qui s'affaiblit chaque jour un peu plus. Dans ce contexte, les conditions sont remplies pour que chavistes et opposants convergent dans la protestation contre le régime. Pour essayer d'éviter cela, un black-out a été imposé aux médias et sur internet pour que ne soient pas divulguées les informations sur les mobilisations de protestation, pendant que les médias contrôlés par l'État cherchaient à monter la population pro-chaviste contre les étudiants et les mobilisations, criminalisant les protestataires et se présentant comme le garant de la "paix sociale".
Malgré les obstacles dressés par l'État, vu le contexte économique, politique et social, ce nouveau mouvement étudiant contient des potentialités qui lui permettraient de dépasser sa composante initiale en se propageant au niveau national.
Pour y parvenir, il doit éviter de tomber dans les mêmes pièges que le mouvement de 20073 qui a été dévoyé et affaibli par tous les faux amis que sont les partis et les forces d'opposition au régime, qui ne sont que l'autre face de la même pièce représentant l'appareil politique du capital national, mais qui ne représentent aucune sortie possible d'une crise qui nous enfonce dans la barbarie et la précarité. C'est pour cela que nous donnons notre plein accord avec le camarade qui a écrit ce texte quand il dit que la seule issue pour ce mouvement est l'union avec les secteurs ouvriers qui, malgré la répression et le harcèlement des syndicats, sont restés debout et en lutte au cours des dernières années : les travailleurs du secteur du fer, du secteur pétrolier, du secteur de la santé, les fonctionnaires, etc.
Comme nous le disions en 2007, nous saluons le surgissement spontané de ce nouveau mouvement de la jeunesse étudiante dont la confrontation avec l'État contient des éléments qui l'inscrivent parmi les luttes prolétariennes contre le système capitaliste. Ces éléments sont ceux qui étaient aussi présents dans les mouvements sociaux qui ont secoué le monde depuis le "printemps arabe" de 2011 jusqu'aux récents mouvements au Brésil et en Turquie, en passant par le mouvement des Indignados en Espagne et des Occupy aux États-Unis.4
Internacionalismo, organe de presse CCI au Venezuela, le 23 février 2014
Depuis peu, l'expérience la plus achevée du "Socialisme du XXIe siècle", selon le jugement des nostalgiques du stalinisme, est secouée par une vague d'émeutes qui s'est étendue dans toute la république et qui a comme acteur principal une masse de jeunes, issus de toutes les couches sociales, qui condense la nature opprimée d'une population attaquée par la décomposition d'un modèle social qui se nourrit de la forme la plus cruelle du capitalisme (le capitalisme d'État sous sa forme caricaturale) et qui a affecté la vie nationale au cours de ces 15 dernières années. La rage contenue à l'intérieur d'un cercle infernal délimité par l'insécurité, par la pénurie de quasiment tout ce qui est strictement nécessaire pour mener une vie plus ou moins décente, par l'absence d'un quelconque motif de rêver ou d'entretenir le moindre espoir d'amélioration des conditions de vie, par un sentiment de frustration que procure le confinement dans une réalité sociale où ont disparu les valeurs qui ont animé l'humanité pour poursuivre un cours qui lui permette de partir à l'assaut du ciel.
Le 12 février, plus que le hochet patriotique de la Journée de la Jeunesse, les jeunes ont appelé, en marge de toute action politicarde puante, à une manifestation pour réclamer la libération d'un groupe d'étudiants détenus dans la province de Tachira, enfermés dans des centres de détention de haute sécurité avec un motif d'inculpation les qualifiant de terroristes, démonstration de l'escalade répressive que le "socialisme bolivarien du XXIe siècle" est venu déchaîner contre les protestations qui ont pris corps tout au long de l'année 2013 sur tout le territoire national, incluant, de manière informelle, divers secteurs de la classe ouvrière et en particulier des travailleurs des industries de base (Sidor, Venalum, Alcasa, Ferrominera, Bauxilum, etc.) et plus récemment des ouvriers de l'industrie pétrolière de la raffinerie de Jóse qui ont été emprisonnés sous prétexte d'être des traîtres à la patrie. Les qualificatifs de traîtres, terroristes, apatrides, lèche-bottes des Yankees, agents de l'impérialisme, le chavisme et ses tueurs à gages des Comités les utilisent indistinctement contre n'importe quelle manifestation de mécontentement ou contre toute lutte revendicative que mènent les travailleurs, pas seulement contre les étudiants.
Le 12 février 2014, les jeunes qui protestaient se sont retrouvés pris dans la ligne de tir et le champ miné que le chavisme et son opposition capitaliste (le MUD5, Léopoldo Lopez et les fractions de gauche défroquées du stalinisme main dans la main aujourd'hui avec la droite) dans un partage des tâches non concerté, ont créés pour stériliser la contestation, les détournant des chemins qui pouvaient les conduire à se rassembler avec les secteurs prolétariens qui se trouvaient du même côté de la barricade que les étudiants et qui pouvaient apporter l'organisation politique et la direction capable de contenir la vague de répression et d'exploitation de l'État capitaliste bolivarien. Le régime craint le caractère explosif que prennent les luttes animées par de jeunes prolétaires et des mouvements étudiants, qui ont connu à travers des expériences récentes et particulièrement celles de 2007, la capacité et le renforcement croissant qu'offrent de telles mobilisations qui représentent un danger potentiel d'entraîner derrière elle le ras-le-bol et les frustrations d'une population bombardée par un déluge de mystifications que la propagande officielle a déversé à pleins seaux sur elle.
En 2007, le mouvement de protestation avait été poussé sur le terrain stérile de la défense d'une chaîne de télévision (RCTV), scénario dans lequel étaient en concurrence deux visions du capitalisme, et finalement le mouvement de protestation avait été réduit à une caricature dans laquelle le rôle principal a été tenu par la futilité propre aux vedettes médiatisées. Et finalement, la journée du 12 février 2014, le discours officiel, après avoir criminalisé avec son jargon habituel le mouvement de protestation des jeunes, a proposé le scénario suivant, en se partageant le travail avec l'opposition, pour essayer d'entraîner le mouvement dans la stérilité : le ministère de la Justice a lancé un mandat d'arrêt contre Leonardo Lopez en menaçant aussi de lever l'immunité parlementaire de l'opposante Corina Machado avec les charges d'association avec des délinquants en bande organisée et désigné une commission d'enquête criminelle pour avoir appelé les jeunes à la manifestation.
Ni Lopez, ni Machado n'ont appelé à la moindre mobilisation et leur présence fugace à la manifestation s'est réduite à chauffer leur voix d'orateur capitaliste pour essayer de surfer sur la combativité des jeunes, mais à l'instant même où la canaille chaviste, dans sa charge sanglante contre les manifestants, se déchaînait avec l'intervention concerté des Comités de la mort, de la Garde nationale bolivarienne (GNB) et de la police nationale bolivarienne (PNB), ils se sont volatilisés, on ne les a plus vus, ni eux ni les autres caïds de la MUD. La tâche pénible d'affronter la répression de l'État capitaliste bolivarien sur les barricades et de ramasser les cadavres, ce sont les jeunes qui les ont assumées. Les défenseurs du capitalisme de la MUD de même que les dirigeants chavistes se sont réservés, eux, le pompeux rôle principal à jouer auprès de médias.
À l'heure actuelle, le mouvement de protestation ne doit pas répéter les erreurs de 2007, développer sa lutte sur un terrain qui n'est pas le sien sous peine de se laisser entraîner dans le précipice de la frustration et de la défaite cuisante. Le seul milieu naturel dans lequel la protestation actuelle des jeunes pourrait prendre des forces serait en se reliant aux secteurs prolétariens de la société qui, tout au long de l'année 2013 se sont maintenus debout et ont lutté contre les attaques de l'État capitaliste bolivarien qui ne peut pas se généraliser sans poser le potentiel d'extension contenu dans le mouvement de protestation des jeunes. Ces secteurs renferment les germes d'un contenu révolutionnaire capable de féconder le mouvement actuel de protestation permettant la construction d'une solide plateforme politique et organisationnelle qui la transformerait en bastion de classe avec la force pour abattre ce système capitaliste pourri que le chavisme et ses acolytes s'efforcent de maintenir debout. Ces secteurs, ce sont les ouvriers des industries de base travaillant dans la région de Guayana, les travailleurs du pétrole disséminés sur tout le territoire national et les travailleurs du secteur public qui ont coupé les ponts avec le syndicalisme qui les reliait au chavisme. Voilà quel est le terrain sur lequel peut se livrer la meilleure bataille.
HS, 18 février 2014
1 es.internationalism.org
2 Voir l'article : Venezuela: avec ou sans Chavez, de plus en plus d’attaques contre les travailleurs,
[https://fr.internationalism.org/icconline/201304/6971/venezuela-ou-sans-... [376] (avril 2013) ou en espagnol : El Legado de Chávez: Un proyecto de defensa del capital. Un gran engaño para las masas empobrecidas. [https://es.internationalism.org/en/node/3694] [377]
Pour une vision plus générale, lire nos Thèses sur la décomposition
[fr.internationalism.org/book/export/html/805]
3 Voir notre article en espagnol : Movimiento estudiantes en Venezuela: los jóvenes intentan salir de la trampa de la polarización chavismo – oposición".
[https://es.internationalism.org/ccionline/2007/estudiantes_venezuela.htm] [378]
4 Pour un bilan de ces mouvements, voir notre "Dossier spécial sur le mouvement des Indignés et des Occupy", publié sur notre site le 6 juin 2011.
5 Mesa de la Unidad Democrática (Table de l'Unité Démocratique) : Coalition plus ou moins radicale de partis d'opposition à Chavez créée en janvier 2008 mais dominée par une tendance de centre gauche et social-démocrate, faisant aussi cause commune avec les partis de droite, traditionnellement opposés au populisme chaviste.
Malgré les difficultés rencontrées par la lutte de classe au niveau international, en particulier avec le confinement des grands mouvements sociaux de ces dernières années (le printemps arabe, les Indignados espagnols, etc.), et le poids du nationalisme qui a écrasé de nombreuses expressions de protestation et de mécontentement, comme récemment en Ukraine, ici ou là, le prolétariat oppose une certaine résistance, encore fragile, à l'encadrement de la bourgeoisie et de ses syndicats. Afin de rompre le black-out médiatique qui caractérise souvent ces luttes courageuses, dès lors qu'elles cherchent à mener un combat impliquant la classe ouvrière, nous publions la traduction d'un article rédigé par un sympathisant du CCI au Royaume-Uni sur le récent mouvement en Bosnie.
Le 24 août 2011, une grève éclatait à l'usine de production de détergents DITA à Tuzla, en Bosnie. Cette grève était spontanée et a surgit contre le non-paiement des salaires depuis plusieurs mois et des indemnités de déplacement au travail, ainsi que la diminution des pensions de retraite et de la prise en charge des soins des travailleurs. Elle dura sept mois, jusqu'en mars 2012. Contre le lock-out imposé par les patrons, les ouvriers en grève ont organisé un blocage permanent de l'usine, afin d'empêcher le démantèlement des équipements de l'usine, ce qui était déjà arrivé aux usines voisines. Le comité de grève organisa des piquets en direction des autres ouvriers et se déplaça sur d'autres sites et usines. D'autres ouvriers, dont certains déjà en grève ou dans une dynamique de protestation, vinrent aussi à l'usine DITA pour exprimer leur soutien et leur solidarité. Des agriculteurs du coin apportèrent de la nourriture aux piquets, ainsi que les mineurs et les ouvriers des boulangeries. Des travailleurs de la Santé et de la Poste vinrent aussi sur le site en solidarité. Un membre du comité de grève a souligné que "pas un seul syndicat local ne nous a soutenus" parce que la grève était considérée comme "illégale".1
Au début du mois de février 2014, victimes d'affronts et d'attaques semblables de la part de la bourgeoisie, la colère des ouvriers de Tuzla explosait. Des bâtiments du gouvernement, symboles de la misère des ouvriers, étaient attaqués et incendiés. Les protecteurs des patrons, la police, ayant été également attaqués, ont multiplié les provocations et se sont livrés ici et là à encore plus de bastonnades et de répression. 10% des cent mille habitants de Tuzla étaient dans la rue, incluant des étudiants qui ont rejoint les ouvriers, et des expressions de solidarité se sont produites dans les villes de Zenica, Mostar, Bihac, Sarajevo et dans la même région, là où le taux de chômage frise les 75% et où les salaires et les conditions de vie ont subi des coupes dramatiques. Malgré toutes ses faiblesses, le manque de direction et la confusion, le mouvement de Tuzla et ses alentours était, dans un premier temps, une expression de la classe ouvrière et, face aux dangers du nationalisme et du démocratisme, une manière pour les exploités de dire : "ça suffit !"
Le dépeçage impérialiste de la Bosnie, après la guerre, au début des années 1990, qui était lui-même une expression de la décomposition du capitalisme, a été initié par "l'envoyé de la paix," Richard Holbrooke, le digne successeur d'Henry Kissinger, lors des accords de Dayton en 1995, qui se sont tenus sous les auspices de l'impérialisme américain. Dans ce processus, la Bosnie a été divisée en deux entités et un district autonome, Brcko (où des protestations ont récemment eu lieu). La Fédération croato-bosniaque est divisée en dix cantons qui travaillent avec le gouvernement local. "Le résultat, dit The Economist du 15 février 2014, est un système qui paye de gros salaires aux politiciens dans un pays qui compte tout juste 3,5 millions de personnes." En d'autres termes, le système tout entier imposé par les principales puissances favorise la corruption, le népotisme et le vol organisé. Naturellement, beaucoup, parmi ces politiciens et hauts-fonctionnaires des Balkans qui composent la bourgeoisie locale sont de fieffés voleurs et trafiquants. La réalité a démontré à quel point tous ceux, de droite comme de gauche, qui soutenaient que cette guerre conduirait à une renaissance majeure de la région et qu'il y avait une "rationalité économique" derrière elle, se trompaient. Non seulement la guerre et l'accord de paix ultérieure ont préparé le terrain à l'irrationalité et au vol organisé qui ont suivi, ont laissé de vastes zones dévastées et parsemées de champs de mines, mais de plus, le chômage et les attaques sauvages contre les ouvriers sont présents partout. Au porte de l'Europe, on ne voit nullement la reconstruction, mais bien les ravages de l'impérialisme et la destruction par le capitalisme qui persistent et s'approfondissent.
Les différentes factions nationalistes ont mis en avant que les protestations étaient l'œuvre de "conspirations" ou les ont attribuées au travail de "hooligans" avec le Haut Représentant international en Bosnie, Valentin Inzko, menaçant les protestataires d'une intervention des troupes américaines (Malatesta's Blog, 12/02/14). Partant de l'idée juste que ces protestations n'ont pas mis en avant des demandes basées sur les divisions ethniques et qu'une certaine solidarité s'exprimait à travers les lignes inter-ethniques imposées par les accords de Dayton, un certain nombre d'intellectuels et d'académiciens, y compris Noam Chomsky, Tarik Ali, Naomi Klein, Slavoj Zizek et d'autres, ont écrit un certain nombre de lettres au Guardian (voir Balkans Insight, 13/02/14) "encourageant" les "citoyens" de la région. Mais ce soutien ressemble à celui de la corde qui tient le pendu. Ils en appelaient à "la communauté internationale" pour arranger les choses, cette même communauté internationale qui a d'abord provoqué la guerre et a imposé ensuite ces divisions et ces conditions. Par essence, ces gauchistes, suppôts du capitalisme, représentent simplement la queue des forces de la bourgeoisie en général et les machinations de l'Union Européenne contre les protestataires en particulier. Par exemple, l'appel de l'UE en faveur des dirigeants bosniaques "pour montrer plus de responsabilité et de transparence" (Agence Reuters du 17 février 2014) et l'appel du gouvernement bosniaque aux "ouvriers mécontents à chercher à faire respecter leurs droits à travers les institutions syndicales avec lesquelles le gouvernement a eu continuellement de bonnes relations" (WSWS, 06 février 2014). On a pu voir par-dessus-tout comment les syndicats, eux-mêmes divisés selon un axe nationaliste, ne sont pas seulement main dans la main avec l'Etat mais aussi ouvertement contre les luttes des ouvriers.
L'explosion de colère des ouvriers de Tuzla ne s'est pas produite à partir de rien. Il y a d'abord eu une grève des mineurs pour une augmentation de salaires en septembre dernier. En Bosnie, des manifestations ont défié les divisions ethniques et exprimé une inquiétude envers le chômage et l'avenir, mise en évidence par des mots d'ordre comme "A bas le nationalisme !", "Nous soutenons les combats partout dans le monde !", "L'école ne nous a jamais enseigné le chômage !", " Entubez-vous en trois langues !" Ces slogans étaient peints sur les murs des immeubles du gouvernement ou sur des affiches faites à la main portées par des manifestants de tous âges, y compris les chômeurs et les retraités. Des grèves et des barricades organisées par les ouvriers ont fleuri à Kraljevo en Serbie, et il y a eu des protestations à Belgrade et à Drvar, en République serbe de Bosnie. Plus tard et ailleurs, on a vu des manifestations contre le chômage à Skopje, en Macédoine (Bosnia-Herzogovia Protest Files, 18 février 2014) et de violentes manifestations d'étudiants contre le chômage ont été signalées à Pristina, au Kosovo (BBC News, 08 février 14).2
Il est clair que ce mouvement de petite échelle est vulnérable aux dangers de divisions, au nationalisme et à l'idéologie démocratique. Cette dernière peut être observée avec les "Assemblées plénières" qui ont appelé à la création d'un "gouvernement d'expert" et autres "gouvernement technique". Nous n'avons pas suffisamment d'informations sur ces organisations mais elles comportent le danger d'être transformées en appendices d'une démocratie bourgeoise soi-disant rénovée. Il existe par exemple des rapports selon lesquels le plenum de Tuzla a complètement ignoré les revendications des ouvriers !
Le danger pour ces luttes est d'être noyées dans la population en général, par des protestations anti-gouvernementales qui ne vont nulle part hormis vers la revendication de voir de nouvelles têtes au pouvoir. L'autre face des dangers du nationalisme est l'idée du "gouvernement technique" qui aspire à "aller de l'avant" et à prôner "la tolérance culturelle", afin de lâcher de la vapeur en vue de prévenir d'autres conflits ultérieurs. Contre tout cela, la classe ouvrière doit s'efforcer de développer son combat sur son propre terrain, même si, pour le moment, elle semble très confuse et fait face à de nombreux obstacles.
Mais, "Il y a quelque chose pour vous, grand-mère" : la Bosnie n'est pas l'Ukraine qui dès le départ a été le théâtre de confrontations bourgeoises et impérialistes.
Il n'y a pas de politiciens occidentaux, d'espions, d'ambassadeurs de délégations et de factures en dollars pour soutenir les luttes des ouvriers. Ces luttes s'inscrivent dans la lignée du combat et de la colère des Indignés en Espagne, des protestations en Egypte, en Turquie et au Brésil et elles sont vulnérables aux mêmes dangers ou à des dangers similaires. Mais le fait qu'elles aient lieu dans cette région décimée par l'impérialisme est important en soi. Et, si les ouvriers de DITA n'ont rien gagné de leur lutte, pas un centime (En fait, certains ouvriers ont terriblement souffert du froid sur les piquets de grève pendant des mois), leur combat est cependant une victoire pour la classe ouvrière, pour eux-mêmes qui se sont tenus debout dignement et pour la solidarité que ce mouvement a initiée et à laquelle il a contribué.
Baboon (19 février 2014)
1 Pour un compte-rendu complet de ce mouvement, voir la vidéo publié sur le fil de discussion du forum du site Libcom : " Protestation en Bosnie " par Ed, le 17 février 2014. La vidéo a un titre accrocheur proposé par un dirigeant de la grève : " Il y a quelque chose pour vous, grand-mère, merci, merci ! C'est grandiose ! " Cette vidéo est très intéressante et cela exprime un mouvement profond de la classe ouvrière.
2 Ce n'est sans doute pas une coïncidence : les troupes de la KFOR de l'OTAN ont été mobilisées pour un entraînement contre les manifestations dans leur QG de commandement multinational associé de Hehenful, en Allemagne.
Nous publions ci-dessous une déclaration rédigée par le KRAS, un groupe anarchiste internationaliste en Russie, et signée par divers autres groupes et individus. Nous pensons qu'elle répond au devoir élémentaire des internationalistes qui s'opposent à la guerre impérialiste, non en soutenant un camp contre l'autre mais en défendant les intérêts de la classe ouvrière internationale contre tous ses exploiteurs, et en dénonçant l'hystérie nationaliste que la classe dominante essaie toujours de provoquer quand la guerre menace ou éclate.
Nous ne pensons pas, contrairement à cette déclaration, que le conflit entre l'Ukraine et la Russie pourrait déclencher une troisième guerre mondiale. Les conditions d'un tel conflit ne sont nullement réunies aujourd'hui : aucun bloc impérialiste n'est constitué et la classe ouvrière n'a pas été défaite dans les pays centraux du capitalisme. Néanmoins, le conflit exprime bel et bien un grave approfondissement des tensions impérialistes mondiales et une nouvelle descente du capitalisme dans le chaos et le militarisme.
En plus de l'idée selon laquelle ce conflit pourrait être le point de départ d'une conflagration mondiale, la déclaration donne également l'impression que la motivation centrale de la Russie est de détourner ou prévenir une réponse prolétarienne à la crise. Le nationalisme est effectivement utilisé de cette manière dans les situations de guerre, mais ce n'est pas le danger de la lutte de classe qui pousse la bourgeoisie vers la guerre ; c'est même plutôt l'inverse qui est vrai.
En dépit de ces critiques, nous voulons affirmer notre solidarité avec les camarades du KRAS et ceux qui, en Ukraine, ont signé cette déclaration dans la mesure où ils sont confrontés à une situation particulièrement difficile, une atmosphère de nationalisme effréné, une répression étatique omniprésente contre les dissidents et la violence non officielle des gangs de la "nouvelle droite" qui n'est rien d'autre qu'une version réchauffée du vieux fascisme.
CCI.
La lutte de pouvoir entre les clans oligarchiques d'Ukraine menace de dégénérer en un conflit armé international. Le capitalisme russe a l'intention d'utiliser la recomposition du pouvoir d'État ukrainien pour mettre en œuvre ses aspirations impériales et expansionnistes à long terme en Crimée et en Ukraine orientale où il a des intérêts économiques, financiers et politiques importants.
Face au danger d'une crise économique imminente en Russie, le régime cherche à attiser le nationalisme russe pour détourner l'attention des problèmes socio-économiques croissants des ouvriers : salaires et pensions misérables, démantèlement de l'accès aux soins, à l'éducation et à d'autres services sociaux. Dans le tonnerre de la rhétorique nationaliste et militante, il est plus facile d'achever la formation d'un État-patron autoritaire basé sur des valeurs conservatrices réactionnaires et des politiques répressives.
En Ukraine, la crise économique et politique aiguë a conduit à une confrontation accrue entre les "nouveaux" et les "vieux" clans oligarchiques, et ces derniers vont jusqu'à utiliser des groupes d'ultra-droite et ultra-nationalistes pour faire un coup d’État à Kiev. L'élite politique de Crimée et d'Ukraine orientale n'a pas l'intention de partager son pouvoir et sa propriété avec la nouvelle classe dirigeante de Kiev et compte sur l'aide du gouvernement russe. Les deux camps ont eu recours à l'hystérie nationaliste effrénée, respectivement ukrainienne et russe. Il y a des affrontements armés et des effusions de sang. Les puissances occidentales ont leurs propres intérêts et aspirations, et leur intervention dans le conflit pourrait conduire à une troisième guerre mondiale.
Les cliques belligérantes des forces patronales, comme d'habitude, nous obligent à nous battre pour leurs intérêts, nous, les gens ordinaires : travailleurs salariés, chômeurs... En nous enivrant de la drogue nationaliste, ils nous montent les uns contre les autres, nous faisant oublier nos véritables besoins et intérêts : nous ne devons pas nous soucier de leur "nation" alors que nous sommes préoccupés par des problèmes plus essentiels et plus urgents, comme joindre les deux bouts dans un système qui nous opprime et nous réduit en esclavage.
Nous ne céderons pas à l'intoxication nationaliste. Au diable l'État et leur "nation", leurs drapeaux et leur administration! Ce n'est pas notre guerre et nous ne devons pas y prendre part, en payant de notre sang leurs palais, leurs comptes bancaires et le plaisir de s'asseoir sur les sièges confortables des autorités. Et si les patrons de Moscou, de Kiev, de Lvov, de Kharkov, de Donetsk et de Simferopol commencent cette guerre, notre devoir est d'y résister par tous les moyens à notre disposition !
Pas de guerre entre les "nations", pas de paix entre les classes !
KRAS, section russe de l'AIT,
Des internationalistes d'Ukraine, de Russie, de Moldavie, d’Israël et de Lituanie,
Fédération Anarchiste de Moldavie,
Fraction des Socialistes Révolutionnaires (Ukraine).
Nous publions cet article paru dans Acción Proletaria, organe du CCI en Espagne qui a une portée internationale, à la fois :
parce qu'il marque une étape importante dans le développement des luttes ouvrières actuelles, tout en démontrant qu'en Espagne même, subsiste une riche expérience "assembléiste" reprise et héritée du mouvement des Indignados, le plus important de ces dernières années pour le mouvement ouvrier mondial ;
aussi pour les enseignements indispensables que cet article tire des insuffisances et des faiblesses des luttes autour de Gamonal pour les luttes futures.
Jusqu'à il y a tout juste une semaine, les habitants du quartier ouvrier de Gamonal [dans la ville de Burgos, en Castille] sortaient dans la rue tous les jours pour exiger l'arrêt des travaux de réfection dans un boulevard. Le maire s'était toujours refusé à le faire, mais face aux manifestations continuelles et face à une solidarité qui s'est manifestée un peu partout en Espagne (dans une trentaine de villes au moins), il annonça d'abord l'arrêt temporaire des travaux pour, finalement, vendredi 17 [janvier], accepter leur arrêt définitif. Cependant, les habitants, réunis en assemblée samedi 18 décidaient de continuer la lutte, en exigeant la mise en liberté sans conditions de tous les détenus et le retrait de la police anti-émeutes.
Pourquoi et comment un tel mouvement est né ? Quelles leçons nous apporte-il ? Peut-on l'envisager comme faisant partie de la lutte internationale du prolétariat ?
Nous allons essayer de répondre à ces questions avec la volonté d'en débattre et de contribuer ainsi à la progression de la lutte du prolétariat.
Ceci dit, avant tout, nous voulons exprimer notre solidarité avec la lutte et avec ceux qui ont été emprisonnés.
En apparence, la lutte est née d'un fait mineur : la reconstruction d'un boulevard qui fait partie de ces travaux pharaoniques de nombreuses villes pour favoriser des intérêts urbanistiques inavouables, entachés de corruption et sans le moindre souci du mieux-vivre pour les habitants.
Mais il arrive que les apparences soient trompeuses et qu'une analyse sérieuse puisse faire apparaître un arrière-plan plus profond qui permet de comprendre les luttes et d'y contribuer. De la même manière, un mouvement social important avait surgi en Turquie à partir d'un petit détonateur : l'abattage des quelques arbres dans un parc d'Istanbul1
Gamonal est un quartier ouvrier de Burgos bâti à côté d'une zone industrielle du même nom pendant les années 1960. D'énormes bâtiments avec des malfaçons en pagaille, des cages à lapins entassés dans des bidonvilles verticaux. Mais si déjà de telles conditions de vie, subies pendant des années laisse un arrière-goût amer, les dernières années ont connu la montée spectaculaire du chômage, la disparition des services sociaux, l'augmentation exponentielle des impôts municipaux, les expulsions…, un cumul oppressant de souffrances qui modèle sur les visages des gens les marques de l'angoisse, des soucis, de la crainte d'un futur encore pire.
Dans ce contexte, la reconstruction du boulevard avec un gaspillage ostentatoire et un plan de parkings souterrains qui menaçait les fragiles fondations de nombreux bâtiments, tout cela a été vécu comme la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, un "vase" plein à ras bord de chômage, de no future, d'atomisation, d'angoisse vitale, ce qui n'est pas une "spécificité de Burgos", mais le calice amer que doivent avaler tous les jours des millions d'ouvriers et des exploités de par le monde.
La lutte de Gamonal n'avait rien de comparable avec ce genre de manifestations où les gens viennent pousser quelques cris et rentrent ensuite sagement au bercail, chacun calfeutré dans son univers d'atomisation et de solitude. Tous les jours sans exception, des assemblées se sont déroulées à midi et à 19 heures, celles-ci suivies de manifestations.
Les assemblées ont été le cœur et le cerveau du mouvement. Le cerveau, parce c'est en leur sein qu'on a réfléchi collectivement sur comment lutter, quelles actions il fallait mener ensuite, quelles décisions prendre. Le cœur, parce que l'assemblée a vraiment représenté le moyen pour communiquer, se comprendre, pour établir des liens, rompre la solitude et l'atomisation, qui sont les stigmates terribles de cette société où chacun est enfermé dans "son foyer" que la marchandise domine.
Comme il a été écrit sur un blog tenu par des gens qui ont participé activement à la lutte2 : "La déchéance des vieilles structures de pseudo-participation tels que les partis politiques et aussi l'ouverture de l'assemblée auto-organisée, sans leaders, d'égal à égal, ouvrent la voie vers un monde nouveau", mais encore plus importante a été l'insistance sur le fait que "nous sommes tous nécessaires, les aînés, les jeunes, les mères et les pères, les enfants" et c'est au sein de l'assemblée (méthode propre à la classe ouvrière) que tous trouvent leur place et peuvent rendre concrets les apports de chacun.
L'assemblée a encouragé la prise de conscience. Les luttes qui se succèdent depuis 2003 partout dans le monde surgissent dans un contexte de perte d'identité de la classe ouvrière, celle-ci ayant perdu confiance en elle-même et ne se reconnaissant pas comme telle3 . Nous y lisons cependant ceci : "aujourd'hui jeudi [16 janvier], on a libéré nos camarades emprisonnés. Des habitants, des parents, toutes sortes de gens solidaires sont venus les saluer à leur sortie de la prison de Burgos aux cris de 'vous n'êtes pas seuls !' et de 'vive la lutte de la classe ouvrière !'" Soyons réalistes, nous savons que cela n'est qu'un indice, mais de telles proclamations mettent en relief que, du moins, certaines minorités commencent à faire confiance à la force du prolétariat.
Un graffiti disait : "La barricade ferme la rue, mais ouvre le chemin! (Paris, Mai 68- Gamonal, janvier 14)". Répétons-le, il ne s'agit pas de pavoiser mais il faut souligner le rapport établi entre ce mouvement dans un quartier de Burgos et la lutte de Mai 68. Marx parlait de la maturation souterraine de la conscience dans la grande masse ouvrière comme une vieille taupe qui creuse son trou et avance dans les profondeurs de la terre. Aujourd'hui, la classe ouvrière parait être enterrée dans un puits sombre, mais la lutte de Gamonal montre les efforts de prise de conscience qui la traversent. "Nous portons dans nos cœurs un monde nouveau" rappelle-t-on dans le Diario de Vurgos.
Il est très significatif que le mouvement ne se soit pas arrêté à la suite de l'abandon définitif du projet, en ajoutant qu'il faut "aller bien plus loin vers l'extension de la lutte pour le logement, contre le travail-chômage-précarité,… et la création d'une communauté de lutte qui affronte les différentes agressions de l'État". "Il est toujours nécessaire d'entretenir la flamme d'un phénomène qui n'est pas du tout nouveau et qui fait partie du patrimoine collectif de tous les exploités et humiliés du monde".
L'État a répondu rapidement. Le quartier fut encerclé de tous côtés par la police anti-émeutes. C'était un état de siège masqué, avec des policiers contrôlant les identités, établissant des barrages partout, dissolvant tout groupe "suspect". Il y a eu 46 arrestations.
L'État démocratique, dont on nous raconte qu'il est le champion des droits et du respect humains, a traité à sa manière brutale et humiliante les détenus : "Lors de l'assemblée de ce midi [jeudi 16], un des jeunes qui a séjourné en prison a pris la parole pour raconter son séjour au commissariat et en prison. Au commissariat, ils ont été molestés (…) Lors de l'arrestation ce jeune portait un sac à dos que les policiers, par la suite, ont rempli de cailloux. Devant les protestations du jeune arrêté disant que ce n'était pas lui qui avait mis ces cailloux dans le sac, les policiers l'ont menacé de le mettre dans une cellule avec plus de policiers et de le passer à tabac comme ils avaient fait avec d'autres."
Les syndicats et les partis de gauche nous donnent une image fausse de l'État, ils reconnaissent qu'il y a en lui une face sombre (les politiciens, le gouvernement du moment, la police et ses excès), pour nous embobiner avec "l'autre face", celle des juges "stars" qui n'hésitent pas à mettre en examen même la fille du Roi ! Mais ces contes de fées s'évanouissent quand on regarde l'expérience concrète de Gamonal : "Ce matin, la juge du tribunal nº3 de Burgos a envoyé en prison quatre camarades, libérables sous versement d'une caution de 3000 euros, accusés de troubles contre l'ordre public dans la soirée du lundi. (…) Lors de son passage au tribunal, [ce jeune] raconte que la juge leur parlait en les insultant, les méprisant, n'écoutant même pas les déclarations sur ce qu'ils avaient subi dans le commissariat". Dans l'Etat, il n'y a pas de "face sombre" et de "face aimable", c'est une machine à réprimer au service de la classe exploiteuse et toutes ses institutions y participent depuis la police et l'église jusqu'aux juges et aux syndicats.
Contre la répression, la meilleure arme fut la massivité de la lutte et la recherche de la solidarité. L'assemblée demandait à chaque fois qu'après la manifestation les participants ne se dispersent pas chacun de leur côté individuellement, mais en groupes les plus compacts possible afin que les forces anti-émeutes ne profitent de la fin de la manif pour s'adonner à la chasse aux manifestants isolés. L'assemblée a essayé d'éviter les provocations de la police qui cherchait le corps à corps pour disperser les manifestants en groupes isolés face à la puissance policière. Diario de Vurgos le dit très justement : "la bataille d'aujourd´hui n'a pas été rangée ; elle a été psychologique : les forces de répression ont fait de l'intimidation pendant des heures, progressivement dans tout le quartier, avec leurs fusils, leurs matraques et leurs uniformes suintant la haine, en essayant d'envoyer le message : 'ici, c'est nous qui commandons'. Mais on n'est pas tombés dans le piège. Ils ne commandent pas, mais ils voudraient le faire. Aujourd'hui plus que jamais, la rue appartient toujours au quartier de Gamonal et c'est le quartier lui seul qui se donne le ton et le rythme de sa lutte. Et c'est seulement le quartier qui décide quand on rugit et quand on mord."
Ceci dit, Diario de Vurgos tombe dans une contradiction : "À Madrid, on sort dans la rue trois jours durant et on continue à charger [contre la police], à Saragosse, on construit des barricades, ainsi qu'à Valence et Alicante, à Barcelone, les vitres des banques tombent au milieu des barricades et le commissariat des Ramblas est attaqué. Il y a une vingtaine d'arrestations dans tout le pays. C'est maintenant à nous de montrer la solidarité avec tous ceux qui l'ont montré avec nous !" Auparavant, Diario de Virgos avait montré très clairement comment l'Assemblée de Gamonal avait évité le piège des affrontements isolés avec la police, et maintenant, il met en valeur de tels affrontements.
Nous apportons notre soutien aux 20 détenus. Nous ne condamnons pas leurs actes, bien au contraire, nous comprenons très bien leur rage et leur frustration. Ce que nous condamnons, c'est le piège que nous tend la bourgeoisie en nous faisant croire que la lutte se joue sur le terrain de la violence de rue minoritaire.
Quel est le "danger Gamonal" d'après le journal télévisé ? Il paraîtrait que ce qui fait trembler le ministre de l'Intérieur, ce seraient les encagoulés qui jettent des cailloux, les conteneurs brulés et les vitrines en miettes. Il y a sans doute quelques bourgeois stupides qui éprouvent des frissons face à des tels ''désordres''. Mais le Capital est une machine froide et impersonnelle et ses gestionnaires les plus intelligents (qui sont aussi les plus cyniques) savent parfaitement ce qui doit les préoccuper en vérité : c'est ce dont les médias dits de ''communication'' ne parlent pas vraiment lorsqu'ils font référence à Gamonal : le caractère massif et "assembléiste" de ce mouvement.
Jetons un coup d'œil à un blog qui s'appelle El Confidencial et qui s'est donné pour mission d'alerter les politiciens et le patronat. Sur Gamonal4, ce blog dit ceci: "Les emplois, le logement ou la participation des habitants, comme c'est le cas à Gamonal, ne se défendent plus sur la base de la même logique qu'il y a cinq ou six ans, alors qu'il n'y avait pas d'alternative au leadership des syndicats ou d'organisations en lien direct avec les partis politiques. Il y a eu depuis un processus de discrédit et de décomposition de ces agents sociaux en parallèle au succès des nouvelles formes d'organisation et de protestation, qui possèdent une moindre structure mais, par contre, une capacité évidente de mobilisation". Plus loin, ces messieurs donnent l'alerte: "Les nouvelles logiques de protestation ont pris tout le monde de court. Elles n'entrent pas dans la définition classique des organisations ou des mouvements sociaux, elles ne correspondent pas non plus à la manière d'être des associations de quartier, encore moins à celle des syndicats". Pas un seul mot sur le "terrible danger" contre lequel alertent, hystériques, le ministre de l'Intérieur ou la Déléguée du gouvernement de la région de Madrid (celle-ci considérée maintenant "progressiste" à cause de ses ''critiques'' à la loi Gallardón5).
La force de Gamonal repose sur deux piliers : les Assemblées et la solidarité. Solidarité avec les 46 emprisonnés au point qu'aujourd'hui lundi la lutte continue tant qu'ils ne seront pas libérés avec abandon des charges retenues contre eux. Mais il y a eu une solidarité bien plus importante grâce à l'extension que ce mouvement a entraînée partout en Espagne.
L'Assemblée de Gamonal avait décidé d'envoyer des délégués pour informer d'autres villes sur sa lutte, pour en expliquer les objectifs profonds et surtout mettre en avant le fait que les objectifs sont communs et qu'ils justifient une lutte commune. Ce germe a porté ses fruits et mercredi 14, à la Puerta del Sol de Madrid, 3000 personnes, pour la plupart des jeunes, se sont rassemblés en soutien à Gamonal. Jeudi et vendredi, les manifestations se sont multipliées tout en continuant dans la capitale du pays. On a dénombré des manifestations dans plus de 30 villes où ce sont surtout des jeunes qui se sont rassemblés en criant des mots d'ordre de soutien à Gamonal. Cette solidarité dans la rue a permis aux habitants de Gamonal de continuer à élargir la brèche. Les grandes expériences de 2011 ne sont pas tombées dans le panier percé de l'oubli6, leurs traces peuvent être perçues ici ou là. Il y a à peine deux mois, ce fut la grève du nettoyage à Madrid, une grève qui a pu amortir les coups qui lui étaient portés grâce aux expressions de solidarité d'autres secteurs ouvriers7. En novembre 2013, une grande vague de grèves a secoué le Bangladesh en solidarité avec les ouvriers du textile. Actuellement, les travailleurs des Lavanderías (blanchisseries) des hôpitaux de Madrid sont en lutte en marge et contre les syndicats. De même, les travailleurs de Tragsa (entreprise publique pour l'environnement composée de 4600 personnes en Espagne) ont rejeté l'accord signé par les syndicats qui impliquait 600 licenciements.
Mais surestimer ce mouvement serait cependant une erreur grave.
L'Assemblée de Gamonal a eu une dynamique propre que les partis d'opposition n'ont pas réussi à freiner (PSOE et IU8). Mais, si le PSOE a été rejeté, IU s'est mieux adaptée en utilisant le canal de l'association de quartier et même si par ce moyen elle n'a pas pu bloquer la lutte, elle a pu, par contre, freiner beaucoup la réflexion en son sein : en invoquant que la cause des problèmes serait le gouvernement actuel du PP, et que tout cela serait de la faute des privatisations au détriment du secteur public, elle a prétendu qu'il existerait "une alternative" avec des administrations municipales véritablement liées "au peuple". Pour ceux qui ne pensent qu'à "l'action" et pour lesquels ce qui serait important, c'est que "les gens bougent" sans savoir trop pourquoi, avec qui et pour quoi faire, se poser d'autres genres de questions, ce serait se compliquer la vie avec des sornettes.
En fait, cela sert à masquer que le besoin que nous avons tous, nous, les prolétaires, c'est de faire l'effort de la réflexion, de nous réapproprier notre expérience historique pour ne pas tomber dans les erreurs du passé, nous avons besoin d'une théorie révolutionnaire qui soit une véritable force pour l'action.
Cette difficulté pour se donner une orientation s'est concrétisée dans le fait que les manifestations en solidarité avec Gamonal ne sont pas parties d'assemblées, elles ne sont pas non plus terminées sur la base des assemblées générales. Ceci veut dire que, tout en étant très précieuse et prometteuse, la solidarité est restée au niveau du souhait sans se concrétiser et les manifestations ne sont pas allées plus loin que la simple protestation.
Malgré ce que le slogan "Vive la lutte de la classe ouvrière !" a signifié, le mouvement se voit encore comme une lutte "citoyenne et populaire" (on a souvent entendu dans les manifs : "Le peuple uni ne sera jamais vaincu"). C'est un terrain qu'imposent la bourgeoisie et ses partis (même les syndicats parlent de "protestation citoyenne").
Si nous nous considérons comme "des citoyens" ou "le peuple", nous devenons les frères de classe du politicien qui nous trompe, du policier qui nous frappe, de la juge qui nous emprisonne, d'Amancio Ortega, l'homme le plus riche d'Espagne, nous faisons tous partie de la "grande famille espagnole". Et si nous acceptons cette "Sainte Famille", nous ne pouvons qu'accepter la précarité, les coupes dans les budgets sociaux, les expulsions, exigés par la compétitivité du label "Espagne".9 C'est cela que le gouvernement, le patronat et la droite proclament avec toute leur cynique franchise et ce à quoi la gauche et les syndicats opposent une idyllique "marque de fabrique Espagne" sans coupes ni licenciements à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes comme on peut bien le vérifier lorsque la gauche est au gouvernement ou lorsque les syndicats signent les accords sur les licenciements et les baisses de salaire.
Comme nous le disions dans notre tract international de bilan des mouvements de 2011 : ''Et pourtant la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée (le prolétariat) qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l'évolution sociale n'est pas le jeu démocratique de "la décision d'une majorité de citoyens" (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe. Le mouvement social a besoin de s'articuler autour de la lutte de la principale classe exploitée (le prolétariat) qui produit collectivement l'essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste (...) Il n'existe pas d'opposition entre la lutte du prolétariat moderne et les besoins profonds des couches sociales spoliées par l'oppression capitaliste. La lutte du prolétariat n'est pas un mouvement particulier ou égoïste mais la base du 'mouvement indépendant de l'immense majorité au bénéfice de l'immense majorité' (Le Manifeste Communiste).''
Il est évident que tant que les luttes sont considérées comme faisant partie d'un "mouvement citoyen", elles ne seront pas dirigées contre l'État mais elles chercheront désespérément, en se heurtant encore et toujours au même mur de leur prétendue "reforme", qui revient au "il faut que tout change pour que tout puisse rester pareil", comme le disait le prince de Lampedusa. Au-delà des illuminations comme celle de voir le lien entre Gamonal, 2014 et Mai 68, si les luttes sont vues comme une "action populaire", elles n'arriveront pas à briser le carcan national et elle ne mettront pas en avant ce dont elles ont besoin : d'être des maillons actifs d'un grand mouvement international du prolétariat. Il est évident que tant que les luttes ne s'assument pas en tant que lutte de classes, elles ne combattront pas le système capitaliste mondial, mais elles finiront par se perdre en désignant tour à tour comme responsables, dans un dédale d'emboîtements du genre poupées russes, les spéculateurs, les banquiers, les politiciens corrompus et ainsi de suite.
Les assemblées, les débats, les discussions dans les rues, sur les lieux de travail, dans les écoles, doivent aborder ces dilemmes. Nous ne devons avoir peur ni des problèmes ni des critiques. "Reprenant de façon critique les expériences de deux siècles de lutte prolétarienne, les mouvements actuels pourront tirer profit des tentatives du passé de lutte et de libération sociale. Le chemin est long et hérissé d'obstacles, ce dont rendait bien compte un slogan répété maintes fois l'an dernier en Espagne : 'l'essentiel n'est pas qu'on aille vite ou pas, c'est qu'on aille loin.' En menant un débat le plus large possible, sans aucune restriction et sans ambiguïté pour ainsi préparer consciemment les futurs mouvements, nous pourront agir pour que devienne réalité cet espoir : une autre société est possible!" (Extrait de notre tract international déjà mentionné). Gamonal, avec ses assemblées et sa solidarité est un pas de plus sur ce chemin long et difficile.
Acción Proletaria (22 janvier 2014)
1 Voir : Mouvements sociaux en Turquie et au Brésil : l’indignation au cœur de la dynamique prolétarienne, sur : https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201309/8650/mouvements-sociaux-turquie-et-au-bresil-l-indignation-au-coeur-dyna [380]
2 Il s’agit du Diario de Vurgos (écrit volontairement avec un "v" ; car en espagnol le "b" et le "v" se prononcent de la même façon), collectif qui se présente comme "des habitants du Burgos souterrain", en opposition au Burgos officiel des partis, des syndicats, de l’église et autres "huiles", y inclus le journal de la ville Diario de Burgos. Leurs analyses sont très intéressantes et il semble qu’ils ont eu une influence positive sur la lutte. Leur e-mail est https://diariodevurgos.com/dvwps/ [381]
Sans autre référence, toutes les citations sont tirées de ce site Web.
3 Pour situer la lutte de Burgos dans la dynamique internationale de la lutte de classes, nous encourageons nos lecteurs à analyser la Résolution sur la situation internationale de notre dernier Congrès à partir du point 15 : https://fr.internationalism.org/revue-internationale/201401/8855/resolution-situation-internationale-20e-congres-du-cci [382]
4 https://www.elconfidencial.com/alma-corazon-vida/2014-01-19/de-los-ere-al-gamonal-los-nuevos-conflictos-y-el-cabreo-de-la-gente-comun_68995/ [383]
5 Ministre de la justice qui va proposer une loi très restrictive sur l’avortement [NdT].
7 Voir, en espagnol : es.internationalism.org/cci-online/201312/3961/la-fuerza-de-la-lucha-es-la-solidaridad-de-clase [384]
8 Le PSOE est le Parti socialiste espagnol. Depuis 2012 il est dans l’opposition. IU, Gauche Unie, est une coalition autour du PC (un peu comme le Front de Gauche en France), jouant le même rôle d’opposition démocratique "radicale". Le PP est le Parti populaire, droite, actuellement au pouvoir.
9 L’État espagnol a lancé une campagne avec ce label "Marca España" pour faire la promotion de ses produits.
Le général Jaruzelski est mort en mai dernier. Ce serviteur zélé de l’État s'était illustré en décembre 1981 par la répression sanglante de la classe ouvrière, suite aux grandes grèves d'août 1980 en Pologne. Ces grèves avaient mobilisé des millions d'ouvriers dans un mouvement massif, opposés aux terribles conditions d'exploitation de l’État stalinien. Des grèves qui avaient fortement inquiété la bourgeoisie internationale ! Afin de tenter de contrer la dynamique de cette lutte du prolétariat, la bourgeoisie faisait surgir le syndicat "indépendant" Solidarnosc. Cette organisation fut rapidement présentée comme une véritable "victoire" de cette grève massive, le nec plus ultra de la perspective ouvrière face au stalinisme.
Le général Jaruzelski ne portait peut-être pas dans son cœur l’URSS, mais il sut, sans état d’âme, lui faire allégeance. Il n’avait d’ailleurs pas le choix s’il voulait gravir les échelons pour asseoir sa stature nationale et étatique. C’est ce qu’il fit avec brio jusqu’à devenir ministre de la défense dès la fin des années 1960. En septembre 1980, il était promu chef du gouvernement, puis président de la République jusqu’en 1989 où il cédera sa place à Lech Walesa, le leader historique du syndicat Solidarnosc.
C’est comme ministre de la défense que ce général s'était illustré, bien avant décembre 1981 dans la répression sanglante des grèves de 1970 où des dizaines d’ouvriers tomberont sous les balles de l’armée polonaise. Dès septembre 1980 et la légalisation du syndicat Solidarnosc, c’est au titre de chef du gouvernement qu’il assumera la répression générale, ponctuée par le coup de force de décembre 1981.
Dans des interviews, jusque dans ses dernières années, Jaruzelski avait "déploré sincèrement" ce coup de force, l’état de siège, la répression sauvage, les internements par milliers, au nom de la "nécessité nationale" et sous peine de voir surgir les chars russes en Pologne pour le rétablissement de l’ordre stalinien. Jaruzelski ira jusqu’à affirmer que l’incertitude pour assumer la répression le taraudait, les jours précédant le coup de force, au point de "penser même au suicide" ! (sic).
Mais aux yeux de la bourgeoisie, il a "fait son devoir", et bien évidemment, son "honneur" est sauf ! C’est d’ailleurs à ce titre que sa mémoire est saluée par tous les bourgeois du monde qui lui savent gré d’avoir préservé l’ordre capitaliste, en jouant dans un premier temps le pompier social avec force négociations et hypocrisie, en assumant ensuite le rôle du bourreau, le "méchant" qui aurait réprimé à lui seul la lutte.
Car ce serait une grave erreur de croire que cette répression fut une décision de l’instant, sous sa seule responsabilité ou même celle de l’État polonais. Ce coup de force ne fut une surprise ni pour les bourgeoisies du monde entier, en particulier occidentales, ni même pour le syndicat Solidarnosc et son leader Lech Walesa. Au contraire, pendant un an et demi, tous ces acteurs démocratiques se sont employés à casser la combativité, briser la confiance de la classe ouvrière en Pologne, à crédibiliser l’orientation démocratique par un bourrage de crâne présentant le "syndicat libre" comme une arme de lutte et de résistance. Ce sont eux en réalité les vrais saboteurs, les véritables bourreaux politiques de la lutte !
En effet, pendant la lutte ouverte d’août 1980 qui a embrasé tout le pays en moins de 48 heures, il n'était pas question de réprimer directement : les ouvriers donnant au départ l’exemple de la grève de masse, de l’auto-organisation de la lutte, de la véritable solidarité ouvrière. Cette lutte risquait de faire tâche d’huile alors qu'elle avait un large écho de sympathie un peu partout en Europe. La détermination, le courage, la combativité exceptionnelle n'étaient d’ailleurs en rien une spécificité polonaise mais bien la marque propre de la classe ouvrière internationale quand elle se lève et s’impose face aux exploiteurs et aux forces de répression. Tous les regards ouvriers étaient tournés vers la Pologne et la bourgeoisie internationale le savait parfaitement. Il n’était donc pas question d’attiser la situation, de mettre le feu aux poudres. Il fallait plutôt agir autrement pour circonscrire l’incendie prolétarien, le désamorcer, l’abattre, si possible de manière spectaculaire et en faire un exemple d’impuissance, au bout du compte, aux yeux de la classe ouvrière.
Pour briser les luttes de masse, la bourgeoisie est capable d’une unité magistrale, taisant ses divergences idéologiques, laissant temporairement de côté ses confrontations impérialistes, soutenant financièrement et politiquement la bourgeoisie nationale "aux premières loges" de la confrontation avec la classe ouvrière. La Pologne n’a pas fait exception : partout, fut mise en avant la nécessité de "l’alternative démocratique", de la "liberté syndicale" pour "en finir avec l’oppression". De l’Europe entière, affluaient crédits, soutiens politiques, conseils et matériel syndicaux en tous genres pour mettre sur pied la structure Solidarnosc. La bourgeoisie française avait par exemple envoyé des conseillers de la CFDT, du matériel d’imprimerie pour faire "vivre la lutte".
Mais l’arme syndicale, libre ou non, comme Solidarnosc n’a jamais été une arme au service du prolétariat. Au contraire, Solidarnosc fut l’outil essentiel de la bourgeoisie pour pourrir la conscience ouvrière et préparer directement la répression en Pologne. Cela en sabotant toute possibilité réelle de solidarité internationale.
Quand Jaruzelski a dit vouloir apaiser le climat social afin de ne pas donner de justification à l’URSS pour intervenir, Walesa jouait en même temps le pompier social se déplaçant en hélicoptère dans tous les centres industriels où la lutte se maintenait, prétextant vouloir éviter le bain de sang, imposant le besoin de la structuration et la "légalisation" de la lutte pour asseoir sur le long terme les accords de Gdansk. Ceux-ci, contenant 21 points, étaient dans un premier temps clairement orientés vers la satisfaction de besoins économiques et alimentaires. Ces accords se vidèrent rapidement de leur substance et la propagande bourgeoisie inversa habilement les priorités en propulsant en avant la reconnaissance de Solidarnosc, sa légalisation, le besoin de démocratie parlementaire ; cela, au détriment des revendications économiques et politiques originelles du mouvement.
Concrètement, Walesa et Jaruzelski ont travaillé main dans la main pour écarter le prolétariat de son terrain de classe, le démobiliser, lui subtiliser sa prise en main de la lutte en la déléguant à Solidarnosc, préparant ainsi la répression de décembre 1981, étouffant toute possibilité de résistance majeure de la classe ouvrière au coup de force, toute possibilité de réelle solidarité active à l’échelle internationale.
De fait, ces deux artisans de la répression, Walesa et Jaruzelski, présentés comme "ennemis irréductibles", furent en réalité les têtes de pont de la défense de l’État capitaliste en Pologne, les défenseurs de l’ordre bourgeois sous le masque de l'idéologie démocratique. Ces deux sinistres complices incarnaient les deux faces de la même médaille pour piéger les ouvriers : Jaruzelski la dictature militaire et Walesa l'opposition démocratique.
Aujourd'hui, de l'eau a coulé sous les ponts : Walesa, leader historique du syndicat Solidarnosc s'est illustré lui-même comme président de la République polonaise entre 1990 et 1995, succédant ainsi à Jaruzelski. La boucle était ainsi bouclée.
A la mort de Jaruzelski, la bourgeoisie a su fêter un des siens, un épouvantail autrefois décrié qui devint finalement un de ceux qui auront "contribué à la mort du communisme" et au "renouveau démocratique national". La bourgeoisie révèle une nouvelle fois tout son cynisme.
Stopio (21 juin 2014)
Le 20 mai dernier, l'hystérie médiatique éclatait autour du "scandale" des "trains trop larges" suite aux pseudos-révélations du Canard enchaîné, prétendu défenseur des "sans-voix" et hypocrite pourfendeur des puissants. La SNCF avait, apprenait-on, commandé près de 2000 nouveaux TER trop larges pour entrer en gare. 1300 quais devaient être rabotés dans l’urgence pour un coût minimum de 80 millions d’euros. C’est du moins l’information qui a tourné en boucle pendant plusieurs jours sur les écrans de télévision, les Unes de journaux, à la radio, faisant des salariés de la SNCF la risée de "l'opinion", une bande d’incapables, d’incompétents, de pieds-nickelés.
Mais tout ceci n'est rien d'autre qu'une grossière mise en scène ! En réalité, la commande de ces "trains trop larges" est le résultat d'une harmonisation ferroviaire au niveau européen. Or, à l'image des travaux sur le réseau ferroviaire pour faire circuler le TGV, les évolutions du "matériel roulant" impliquent très régulièrement des modifications sur les voies et sur les quais. Dans le cas présent, le fameux "rabotage" était tout à fait anticipé par les autorités, comme en témoigne l'homologation des trains par l'Etablissement public de sécurité ferroviaire.
C’est donc délibérément que tous les médias de l’hexagone ont menti en chœur et sans vergogne, avec un but bien précis : humilier les travailleurs de la SCNF, ajouter du grain à moudre au moulin des préjugés presque quotidiennement véhiculés par la bourgeoisie.
Cette campagne a constitué le premier acte d'une manœuvre plus vaste. Le scandale a en effet opportunément éclaté afin de préparer le terrain à l'isolement des salariés de la SNCF et à la justification des "nécessaires changements structurels de modernisation de l’entreprise" que nous traduirons en termes plus clairs : une énième attaque des conditions de travail et de réduction des effectifs.
Au deuxième acte, les syndicats tinrent le premier rôle de cette triste mascarade. Comme le dénonçait déjà notre article intitulé Grèves à la SNCF, un travail de sape et de division des syndicats : "La grève que viennent d’organiser les syndicats de cheminots est un exemple parfait du sabotage de la combativité ouvrière dont sont capables ces officines du pouvoir bourgeois. (…) La grève a été déclenchée sur la base de revendications les plus spécifiques possibles : les attaques contre le statut des cheminots ne sont pas vraiment différentes des attaques que subissent les statuts des fonctionnaires de l’État, des collectivités, de la santé ou des entreprises publiques. Pourtant, c’est le statut des cheminots qu’il fallait défendre, et celui-là seul. Les craintes pour l’emploi que soulèvent le rapprochement entre la SNCF et RFF (l’entreprise qui gère le réseau ferré) n’ont rien qui les différencie fondamentalement des craintes pour l’emploi que soulèvent d’autres rachats et fusions, délocalisations, fermetures, dans le public comme dans le privé. Mais, selon les syndicats, il ne fallait se battre que pour la SNCF et RFF. (…) Comme si cet isolement ne suffisait pas, les syndicats poussèrent à une grève dure et longue, de celles qui pourrissent la vie des millions d’ouvriers qui dépendent du train pour travailler, étudier, récupérer leurs enfants à l’école… de celles qui épuisent les ouvriers grévistes eux-mêmes, sacrifiant des journées de salaire pour rien, rendus individuellement coupables des conséquences de leur mouvement."1
Le gouvernement a pu alors imposer l'implacable dénouement au troisième et dernier acte, en se donnant des airs de fermeté pour maintenir la réforme et condamner les grévistes.
Les médias aux ordres, les syndicats, véritables chiens de garde du capital, et le gouvernement ont donc une nouvelle fois marché main dans la main et de manière coordonnée contre la classe ouvrière. Car c’est bien toute la classe ouvrière qui, par cette manœuvre, a été attaquée. En isolant une partie des travailleurs, en les ridiculisant, en les faisant passer pour des égoïstes accrochés à des privilèges archaïques doublés d’incompétents notoires, en les épuisant dans une grève longue et impopulaire, en dressant contre eux les autres travailleurs, la bourgeoisie a tout fait pour inoculer dans les veines des salariés le poison du découragement et de la division. C’est une atteinte à toute la classe, un véritable travail de sape en profondeur de la confiance qu’elle doit avoir en elle-même, confiance indispensable pour avoir le courage de rentrer en lutte, unie et solidaire !
Mais si aujourd’hui le prolétariat doute effectivement de lui-même, la classe dominante, elle, sait parfaitement que la classe ouvrière n’est pas une somme d’individus isolés, abattus et incapables. Les luttes de 1848 et 1871 en France, la vague de grèves de masse de la Belgique à la Russie de 1892 à 1905, la révolution russe de 1917, les insurrections en Allemagne en 1919, 21 et 23, Mai 68, la Pologne en 1980…, tous ces grands évènements historiques ont marqué la mémoire de la bourgeoisie. Elle est parfaitement consciente qu’elle a en face d’elle le potentiel fossoyeur de son système d’exploitation. La classe ouvrière est capable de renverser le capitalisme et d’offrir à l’humanité un autre monde, sans exploitation ni frontières.
"Peu importe ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier imagine momentanément comme but. Seul importe ce qu'il est et ce qu'il sera historiquement contraint de faire en conformité de cet être."2
Laurette, le 17 juillet 2014
1 L'article est disponible sur le site internet du CCI [386] et dans le numéro 447 de Révolution Internationale.
2 Karl Marx, La Sainte Famille, 1844.
Dans les sociétés de classe, l'éducation est un outil de domination. La société capitaliste n'échappe guère à cette logique et amplifie même le phénomène en le rationalisant. Le système scolaire a pour fonction de former de futurs travailleurs dociles et utiles aux intérêts de la bourgeoisie. Pour ce faire, les établissements scolaires cherchent à formater idéologiquement les esprits des jeunes écoliers mais aussi à dresser les jeunes corps pour qu'ils soient adaptés aux exigences du travail salarié. L'école est donc un établissement disciplinaire à tous points de vue. En aucun cas, elle ne permet l'épanouissement personnel et le développement de l'esprit critique.1 L'enseignement de l'histoire-géographie-éducation civique dans le cycle secondaire montre par exemple à quel point le système éducatif bourgeois fait partie intégrante de l'idéologie dominante. Les programmes d'histoire ont toujours été construits pour et par la propagande d'État.2 Leur structure vise à ancrer la "réalité" de l'ordre social bourgeois. De fait, l'enseignement de cette discipline participe à la falsification du véritable passé des sociétés humaines. Ainsi, les jeunes générations d'ouvriers sont maintenues dans un climat d'ignorance favorable à la perte de l'esprit critique. Il s'agit donc de dénoncer la propagande appliquée par l'État bourgeois dans la formation des futurs ouvriers.
En tant que savoir académique, l'histoire débute avec l'apparition de l'écriture vers le milieu du IVe millénaire avant notre ère. En concordance avec cela, les savoirs sur les sociétés passées dans les programmes commencent approximativement à la même période puisque le premier chapitre d'histoire en classe de 6e porte sur les civilisations égyptienne et mésopotamienne. Ces sociétés ont déjà atteint un niveau de développement particulier :
- Elles sont inégalitaires et divisées en classes sociales.
- L’État a atteint un niveau de sophistication important.
- La prépondérance du roi et des prêtres en tant que symboles politiques et idéologiques est fortement ancrée.
Si l'on suit la logique des programmes, les sociétés humaines sont originellement organisées de cette façon. Sans raison apparente, ils offrent à penser à un jeune collégien que l'Égypte des pyramides ou les cités d'Ur ou de Babylone sont les premières traces de la vie des Hommes en société. Or, notre espèce est vieille de plusieurs centaines de millier d'années et le choix d'en rogner la quasi-totalité n'est en rien arbitraire. En prenant comme point de départ l'Égypte des pharaons et les cités de Mésopotamie, la bourgeoisie souhaite marteler le caractère déterministe des inégalités sociales. Il s'agit d'ancrer l'idée que les sociétés sont depuis "la nuit des temps" divisées entre dominants et dominés. Cette vision profondément conservatrice a pour fonction de légitimer l'ordre social capitaliste et de l'ancrer dans les esprits des jeunes collégiens. En simplifiant, voici le message que l’État demande au professeur de transmettre aux élèves : "les inégalités, la domination, l'État, les chefs ont toujours existé et il ne peut en être autrement dans le futur. Autrement dit, les hommes sont naturellement portés à se dominer les uns les autres."
Pourtant, les acquis de la science et du marxisme offrent une vision tout à fait différente des premiers temps de l'humanité. En effet, "durant la plus grande part de son histoire, pendant des centaines de milliers, peut-être des millions d'années, l'humanité a vécu dans une société sans classe, formée de communautés où l'essentiel des richesses était partagé, sans que n'interviennent ni échange, ni argent ; une société organisée non par les rois ou les prêtres, les nobles ou la machine étatique mais par l'assemblée tribale. C'est à un tel type de société que se réfèrent les marxistes, lorsqu'ils parlent de "communisme primitif."3 Cette vision est profondément déconcertante pour l'idéologie bourgeoise. Ainsi, à l'école comme ailleurs, le communisme primitif est nié ou minimisé dans le but d'affirmer que le communisme reste un idéal inatteignable dans la réalité. Sans les magnifier,4 ces sociétés nous donnent des indications inverses. A savoir que les hommes sont capables de mettre la solidarité, l'entraide et le partage au centre de l'organisation sociale.
Dans sa quête de vérité, le marxisme a permis de comprendre que l'émergence de l'exploitation est le résultat d'un processus historique. En niant le mouvement de l'histoire, la bourgeoisie falsifie l'évolution de l'humanité. Elle n'incite pas les jeunes générations à se questionner sur les origines de notre espèce. La classe dominante a bien conscience que sans comprendre notre passé il est très difficile d'entrevoir les possibilités d'une société future. Ainsi, elle fait tout pour brimer la curiosité et l'esprit critique des élèves sur ces questions.
Pour les marxistes, "l'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire de la lutte des classes."5 En effet, depuis plusieurs millénaires, les antagonismes de classes forment le "moteur de l'histoire", sa dynamique, son mouvement. Opprimeurs et opprimés mènent "une lutte ininterrompue, qui finit toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société toute entière, soit par la ruine commune des classes en lutte."6 Bien évidemment, le système scolaire bourgeois rejette totalement ce point de vue. Pour preuve, la place faite aux révoltes ou aux mouvements de renversement de l'ordre social au cours du temps est quasiment inexistante dans les programmes et les manuels scolaires. Les révoltes d'esclaves dans la société antique, les mouvements hérétiques ou les révoltes paysannes au sein de la société féodale, les luttes du mouvement ouvrier depuis le XIXe siècle sont loin de former le cœur des chapitres abordés au cours de l'année. Ou alors, ces événements sont traités par le biais d'une problématique qui en dévoie totalement la signification. Prenons l'exemple de la Commune de Paris de 1871. Cette question est abordée en classe de 4e dans le cadre du chapitre "L'évolution politique de la France (1815-1914)". L'objectif est de montrer la façon dont la République s'impose en France à partir de 1870. Premièrement, la place accordée à la Commune de Paris est infime. Deuxièmement, les causes de l'événement sont présentées comme une réaction à l'ordre ancien bonapartiste. Voici la façon dont un manuel (coll. Belin) présente les faits : "La République proclamée à Paris le 4 septembre 1870 apparaît bien incertaine car l'Assemblée nationale élue en 1871 est majoritairement royaliste. Le peuple de Paris, qui craint une restauration de la monarchie et veut continuer à se battre contre la Prusse, se révolte lors de la Commune de Paris : elle est réprimée dans le sang." Traduisez, les ouvriers parisiens se sont seulement révoltés contre la monarchie et l'envahisseur prussien (pour défendre la République et la Patrie) mais devant l'ampleur et les perspectives révolutionnaires qu'elle portait "elle est réprimée dans le sang". Si la bourgeoisie ne peut pas cacher cet épisode du mouvement révolutionnaire ainsi que sa terrible répression, elle peut en outre en détourner sa signification. Dans les programmes, la Commune est détachée du mouvement révolutionnaire international. Les documents mettent en avant les avancées sociales et démocratiques sécrétées par ce mouvement. Elle est présentée comme un laboratoire utile à la construction de la République. Mais la Commune de Paris ne se réduit ni à un mouvement patriotique, ni une lutte pour les libertés républicaines. C'est surtout la manifestation du rôle du prolétariat comme seule force capable de renverser le capitalisme.7 La bourgeoisie a bien conscience de cela et s'efforce de le cacher aux futurs ouvriers.
Même chose pour la vague révolutionnaire des années 1920 abordée en classe de 3ème. La révolution d'Octobre 1917 apparaît dans le programme et figure même dans la liste de repères historiques que le collégien doit retenir au cours de son cursus. Mais que retient-il en réalité ? Que cet événement est "un coup d'État organisé par Lénine, le chef du parti bolchévique"8 ou une "révolution bolchevik conduite par Lénine."9 Là encore, la bourgeoisie nie la force révolutionnaire des masses ouvrières et présente la révolution d'Octobre comme l’œuvre d'un Parti et d'un homme alors qu'elle fut la réalisation des masses ouvrières.
De plus, les programmes entretiennent le grand mensonge qui assimile le stalinisme au communisme. Jusqu'en 2013, cette falsification était clairement explicitée dans les directives officielles. L'URSS était présentée comme "un régime communiste, fondé par Lénine, qui veut créer une société sans classe et exporter la révolution (IIIe Internationale)." 10 Avec l'aménagement du programme de 3e à la rentrée 2013, cette directive n'est plus écrite "noir sur blanc" mais l'assimilation reste très présente en particulier dans les manuels scolaires : "Après la mort de Lénine en 1924, Joseph Staline se présente comme son unique héritier. Seul au pouvoir à partir de 1929, il décide d'accélérer la mise en œuvre du communisme en URSS et la transformation de l'économie."11 Or, les caractéristiques de la société stalinienne n'ont rien à voir avec la perspective (encore à l'ordre du jour) énoncée par le Manifeste communiste en 1848. Le vrai visage de l'URSS fut le capitalisme d'État dans lequel une nouvelle bourgeoisie poursuivit l'exploitation du prolétariat russe. Les moyens de production ne furent en aucun cas mis en commun et l'État ne fut en rien abolit mais au contraire utilisé jusqu'à son summum.
Présenter le communisme comme une société déjà advenue au cours du XXe siècle en URSS, à Cuba ou en Chine est une mystification encore très efficace même si la bourgeoisie juge utile de ne pas en faire son cheval de bataille. Ce mensonge insupportable, provoquant une grande confusion au sein de la classe ouvrière, doit être condamné et dénoncé, au nom même du but ultime du prolétariat : la réunification de la société humaine.
Mais l'arme la plus efficace contre la lutte de classe reste la propagande démocratique et citoyenne. Les programmes d'éducation civique du collège et du lycée sont destinés à marteler les "vertus" de la démocratie : "l'égalité républicaine est déterminante pour compenser et corriger les inégalités. Les lois protègent les biens et les personnes et fixent les cadres de la vie en société."12 Ou encore la nécessité d'être un citoyen responsable respectant ses droits et ses devoirs pour assurer l'harmonie sociale. Le rôle de l'État est dévoyé puisque on le présente comme une entité qui "organise la protection contre les risques majeurs et assure la sécurité sur le territoire."13 Ce que l'on cache aux élèves, c'est que l'État est un outil de conservation sociale qui permet à la classe dominante d'assurer ses intérêts. En classe de 4e, un chapitre est consacré à "l'exercice des libertés en France". Là encore, la bourgeoisie montre tout son cynisme et son hypocrisie puisque le programme se focalise sur la liberté d'opinion et de conscience (religion, laïcité...) mais l'exploitation de la classe ouvrière et son aliénation sont évidemment passées sous silence. Autant de mystifications qui formatent les élèves et broient leur esprit critique. Pour Jules Ferry, l'enseignement de l'éducation civique se devait d'assurer l'encadrement idéologique des fils d'ouvriers : "Non, certes, l’État n’est point docteur en mathématiques, docteur en lettres ni en chimie. […] S’il lui convient de rétribuer des professeurs, ce n’est pas pour créer ni répandre des vérités scientifiques ; ce n’est pas pour cela qu’il s’occupe de l’éducation : il s’en occupe pour y maintenir une certaine morale d’État, une certaine doctrine d’État, indispensable à sa conservation. […] Alors ne craignez pas d’exercer cet apostolat de la science, de la droiture et de la vérité, qu’il faut opposer résolument, de toutes parts, à cet autre apostolat, à cette rhétorique violente et mensongère, […] cette utopie criminelle et rétrograde qu’ils appellent la guerre de classe !" La bourgeoisie actuelle est beaucoup moins explicite lorsque qu'elle énonce officiellement ses projets en matière d'éducation. Pour autant, les mystifications démocratiques et citoyennes sont beaucoup plus complètes et beaucoup plus perfectionnées qu'au temps de Jules Ferry. Les programmes d'éducation civique sont élaborés afin que l'élève puisse ingurgiter tous les artifices qui masquent la lutte de classe. La complémentarité des programmes d'éducation civique et d'histoire vise à nier la nature de la bourgeoisie comme classe exploiteuse. Pour elle, le capitalisme s'est imposé et la démocratie représentative forme le plus parfait mode d'organisation sociale. En définitive, l'histoire est finie et c'est bien cela qu'il faut inculquer aux élèves. Pas besoin d'entrevoir d'autres perspectives, la société capitaliste et démocratique est la plus parfaite que l'homme soit capable de construire. Face à ces mensonges, l'expérience et les acquis théoriques du mouvement ouvrier permettent de dire la vérité. Non ! La société ne s'organise pas en une somme d'individus "libres et égaux" mais bien en classes antagonistes aux intérêts divergents. Partout dans le monde, y compris dans les pays démocratiques, les ouvriers sont exploités et brimés. Un profond sentiment de dégoût les assaille à la vue des passes droits et des malversations des patrons ou des hommes politiques. Et d'ailleurs, comme j'ai pu en faire l'expérience, les élèves ne sont pas dupes. Certains d'entre eux n'hésitent pas à dénoncer les corruptions et les inégalités quand on leur expose la société idéale dans laquelle nous sommes censés vivre. A croire que la réalité ne trompe pas ces jeunes esprits.
Dès les premiers temps de l'école républicaine, le patriotisme et le "roman national" prirent une place centrale dans les programmes. La Commune de Paris avait ébranlé la bourgeoisie qui réagit en amplifiant la chape de plomb idéologique sur la classe ouvrière. Elle souhaite briser l'internationalisme que le prolétariat français avait déployé en 1871. Pour le ministre de l'instruction Jules Simon, une des leçons de l' "épreuve" que la France vient de subir est qu'il faut que "la France connaisse la France aussi bien que peuvent la connaître les étrangers."14 Peut-être plus que les autres disciplines, l'histoire et géographie possède un rôle idéologique essentiel dans le système scolaire. A l'aube du XXe siècle, l'enseignement de l'histoire est dispensé à tous les niveaux de scolarité. Le chauvinisme, le nationalisme et le militarisme empoisonnent les esprits des futurs ouvriers. Entre 1871 et 1914, l'enseignement de l'histoire est conditionné par un esprit revanchard envers la Prusse après la défaite de Sedan en septembre 1870. Sur les cartes de France affichées dans les classes, les territoires de l'Alsace et la Lorraine (perdus en 1870 au profit de la Prusse) sont délimités par des pointillés afin de les exclure mais coloriés en violet de telle sorte que l'on retrouve l'hexagone. Progressivement, la bourgeoisie utilise l'école pour embrigader la classe ouvrière dans un conflit mondial inévitable et la diviser sur le plan international. Elle imprègne donc les esprits d'un idéal national mélangeant l'ardeur guerrière et la religion comme le dénonce Emile Zola dans son roman Vérité en 1903 lorsqu'il met en scène un instituteur et sa classe : "Quatre tableaux, violemment enluminés, accrochés au mur, l'irritaient : sainte Geneviève délivrant Paris, Jeanne d'Arc écoutant ses voix, Saint Louis guérissant des malades, Napoléon passant à cheval sur un champ de bataille. Toujours le miracle et la force, toujours le mensonge religieux et la violence militaire donnés en exemple, jetés en semence dans le cerveau des enfants."
Pour les pays de l'Entente, la victoire de 1918 permettra de contenir l'élan révolutionnaire de leur classe ouvrière. Et pour cela, la bourgeoisie va déployer tout son cynisme pour "souder la nation" en mêlant la compassion envers les morts, la fierté d'avoir défendu la patrie et la promotion de la coexistence pacifique. Très tôt, l'État instaure la commémoration obligatoire des élèves aux monuments aux morts. Dans le manuel Lavisse de 1934, la guerre est présentée comme une fatalité qui s'est imposée à la bourgeoisie : "de 1914 à 1918, les Français ont encore été forcés de faire la guerre à l'Allemagne comme en 1870." Le patriotisme n'a pas disparu des programmes jusqu'à aujourd'hui mais il a pris une dimension plus insidieuse puisque le sentiment patriotique n'apparaît pas en tant que tel. Désormais, les programmes du collège et du lycée présentent l'histoire de France au XIXe et XXe siècle comme l'avènement et la consécration de la démocratie et des "libertés" depuis 1789. C'est omettre que dans la société capitaliste, la seule liberté de la classe ouvrière est de vendre sa force de travail. D'autre part, pour légitimer le "bienfait" des nouvelles institutions mondiales (Union Européenne, ONU), l'État a inventé la notion de citoyenneté européenne voire de citoyenneté mondiale. Là encore, il s'agit de dévoyer le véritable rôle de ses institutions qui n'existent que pour apporter un semblant d'ordre dans un chaos généralisé. Par exemple, les élèves sont censés adhérer à l'idée selon laquelle la "création de l'ONU répond à une aspiration au maintien de la paix."15 Si la bourgeoisie adapte son idéologie, il n'en demeure pas moins que le patriotisme reste un puissant vaccin face à la progression de l'internationalisme dans les rangs de la classe ouvrière.
La mise en place des programmes ouvre la porte à l'idéalisme et à la disparition de l'esprit critique. Leur architecture se caractérise par un empilement d'événements ou de périodes abordés de façon thématique sans en expliquer les relations de cause à effet. On raconte l'histoire mais on n’analyse jamais la signification des faits ce qui occasionne une perte d'esprit critique. Les programmes encouragent à faire le récit du passé et non pas à le comprendre et à en tirer les leçons. La bourgeoisie a perdu toute vision cohérente et objective de l'histoire et cela se traduit par l'idéalisme des enseignements. Par exemple, prenons la façon d'enseigner l'histoire des religions. Seules les trois grandes religions monothéistes sont étudiées en détails et les directives imposent de s'appuyer sur les "récits sacrés" détachés de tout contexte. Au nom de la laïcité, il est impossible d'expliquer dans un cadre matérialiste l'apparition et la véritable nature des croyances divines.
L'école est un outil essentiel de la diffusion de l'idéologie dominante dans les rangs de la classe ouvrière. Au fond, son rôle est de voiler la réalité de la société capitaliste. Quelle peut être la réponse de la classe ouvrière face à cela ? Le développement de la solidarité et de l'unité dans les luttes. C'est par la pratique que les ouvriers découvrent qu'ils sont exploités par le capital. C'est par les humiliations subies au quotidien qu'ils découvrent que la vision du monde que la bourgeoisie leur présente ne correspond aucunement à la réalité. Comme l'a écrit Lénine, "seule l'action éduque la classe exploitée, seule elle lui donne la mesure de ses forces, élargit son horizon, accroît ses capacités, éclaire son intelligence et trempe sa volonté." (Lénine. Rapport sur 1905. 22 janvier 1917). La lutte "la contraint à comprendre la structure du système économique, à connaître ce qu'est la société, où se trouvent ses ennemis et ses alliés."16 C'est donc le développement de la conscience de classe qui immunise contre l'idéologie bourgeoisie et permet de prendre conscience de son identité et du rôle que l'on doit jouer pour dépasser la société actuelle. "C'est une conscience de soi. Et cette prise de conscience est toujours synonyme d'une lutte de classe. La conscience de classe c'est donc tout simplement l'affirmation du prolétariat comme classe révolutionnaire, l'être conscient."17
Dans sa prise de conscience, le prolétariat n'a pas besoin des falsifications historiques de l'école bourgeoise. Son éducation passe par la transmission de génération en génération d'une histoire, d'une expérience, d'une théorie, d'une morale, d'une identité qui appartiennent uniquement à la classe ouvrière. Car ne l'oublions pas, "l'émancipation des travailleurs est l'œuvre des travailleurs eux-mêmes".
Venceslas
1 "La suppression de l'histoire-géographie en Terminale S est une attaque économique et idéologique", Révolution Internationale, n° 408.
2 Ibid.
3 "Le communisme n'est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle", Revue Internationale, n°68.
4 Ibid.
5 F. Engels, K. Marx, Manifeste du parti communiste, chap. 1. A l'époque où fut écrit ce texte en 1847, les connaissances sur les sociétés préhistoriques étaient infimes. L'organisation sociale antérieure, basée sur la propriété commune de la terre, était inconnue.
6 Ibid.
7 Pour une analyse plus approfondie de la signification de la Commune de Paris voir : "La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat" in Internationalisme, n° 351.
8 Manuel Nathan du programme de 3e.
9 Manuel Magnard du programme de 3e.
10 Programme de 3e, Bulletin officiel spécial n° 6 du 28 août 2008.
11 Manuel d'histoire, géographie, éducation-civique, Nathan 2014.
12 Présentation du programme d'éducation civique de 5e. Bulletin Officiel Spécial n°6 du 28 aout 2008.
13 Bulletin Officiel Spécial n°6 du 28 août 2008.
14 Patrick Garcia, Jean Leduc, L'enseignement de l'histoire en France de l'Ancien Régime à nos jours, Armand Colin, 2003.
15Aménagement au programme d'histoire-géographique-éducation civique, septembre 2013.
16 "Idéologie et conscience de classe", brochure Organisation communiste et conscience de classe.
17Idem.
Tout au long du mois d’août, tandis que les roquettes du Hamas tombaient au gré des vents et des trêves de façades sur les populations terrifiées des villes israéliennes, le gouvernement meurtrier de Netanyahou a déversé sans aucun scrupule un tapis de bombes sur la bande de Gaza, suscitant une indignation légitime dans le monde entier. Les victimes innocentes de cet épouvantable massacre perpétré par un État démocratique sont innombrables : au plus fort de la crise, les morts s'entassaient officiellement par centaines chaque jour. Les blessés et les réfugiés ne se comptent plus, le chaos est indescriptible !
Comment ne pas être écœuré devant ces mères pleurant leurs enfants ensevelis sous les décombres, devant ces générations n'ayant connu, comme tant d'autres, que la guerre, la misère et la peur, devant toutes ces personnes piégées sur une petite bande de terre entre la fureur des armes de Tsahal et la terreur quotidienne imposée par une clique de terroristes fanatiques aussi anachronique que mafieuse ? Mais l'hypocrisie sans limite des brigands locaux, massacrant au nom de la "sécurité des civils" ou de la "libération du peuple opprimé", n'a d'égale que la comédie des grandes puissances impérialistes s'offusquant, côté pile, des "débordements scandaleux" et distribuant, côté face, les armes mêmes du carnage qu'elles n'hésitent bien entendu jamais à utiliser pour la défense de leurs propres et sordides intérêts impérialistes. Alors que la "communauté internationale" pleure toutes les larmes de crocodile de son corps, elle encourage dans le même temps les hécatombes ou organise directement les massacres en Ukraine, en Libye, en Syrie, en Centre Afrique, en Irak...1
En mobilisant très tôt ses réseaux gauchistes, la bourgeoisie a su canaliser l'indignation mondiale vers l'impasse du nationalisme. En France2, notamment, les manifestations ouvertement "pro-Gaza," c'est-à-dire pro-Hamas, se sont multipliées autour de la défense d'un camp impérialiste armé dans l'ombre par de grandes puissances, en particulier l'Iran, la Chine, la Russie et peut-être même la dernière "patrie du socialisme", la Corée du Nord. C'est cela la réalité d'une guerre que Besancenot nous vend sur tous les journaux télévisés comme un conflit entre un État riche et une population pauvre, soi-disant défendue par la Hamas transformé en héroïque "organisation de la résistance palestinienne."3
C'est d'ailleurs au nom de la défense des nations "opprimées" que la gauche de l'appareil politique bourgeois s'est toujours efforcée de désarmer le prolétariat face à la guerre : Algérie, Vietnam, Kosovo, Tchétchénie… et bien d'autres pays connus pour la tempérance bienveillante de leur bourgeoisie "opprimée". Cette théorie mensongère de la lutte entre nations impérialistes et nations opprimées, c'est-à-dire la défense d'un camp impérialiste contre un autre, n'a pas d'autres conséquences que de légitimer le chauvinisme belliqueux et la barbarie militaire. Lutte Ouvrière pousse même la logique jusqu'à l'absurde en défendant le droit des nations "résistantes" à disposer… de l'arme atomique ! "Notre refus de condamner par principe tout usage de l'arme nucléaire, ose Lutte Ouvrière, ne concerne d'ailleurs pas seulement le cas, pour le moment purement théorique, d'une révolution prolétarienne ayant à se défendre contre une intervention impérialiste. Cette question se pose aussi dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, où quelques grandes puissances impérialistes dictent leur loi à tous les peuples des pays sous-développés. Ces peuples ont bien évidemment le droit, s'ils veulent s'émanciper de cette dépendance, d'utiliser tous les moyens militaires qui sont à leur disposition."4 Si le capitalisme ne parvient pas à détruire la planète, il ne faut désespérer de rien car le "communisme" à la sauce trotskiste s'en chargera volontiers !
Derrière les mensonges et les pitreries théoriques du gauchisme, c'est bien la pesante idéologie nationaliste qui est à l'œuvre, celle qui ligote la classe ouvrière aux intérêts du capital national, celle qui la fait marcher au pas sous les drapeaux des régiments et, en d'autres termes, celle qui étouffe le combat des prolétaires de tous les pays pour le communisme.
Le gouvernement socialiste de Hollande n'a d'ailleurs pas hésité a faire monter la pression en interdisant certaines manifestations organisées par les partis va-t'en-guerre de "gauche" afin de renforcer la désorientation nationaliste des esprits, déplaçant la colère légitime contre la barbarie sur le terrain du soutien à la clique des brigands du Hamas. LO, le NPA et le Front de Gauche, tous auréolés de leur prétendue "résistance" aux mesures administratives du gouvernement et des échauffourées avec la police, ont ainsi pu matraquer leurs slogans nationalistes, poser le problème sur un terrain pourri d'avance : Pour la Palestine ou Pour Israël.
En fait, avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence, tous les États, petits ou grands et toutes les fractions politiques de la bourgeoisie sont devenus impérialistes et réactionnaires. A l'heure où l'alternative est soit la barbarie capitaliste, soit le développement de la lutte pour le socialisme, toute tentative de conciliation et de collaboration avec la classe dominante n'est rien d'autre qu'un piège, un abandon des buts historiques du prolétariat.
La bourgeoisie est parfaitement consciente que le développement de la conscience de classe est un danger mortel pour sa domination. C'est pourquoi elle met un zèle tout particulier à désorienter idéologiquement le prolétariat, en particulier au moyen du nationalisme, qui lui permet aujourd'hui de déchaîner toute sa violence militaire sans rencontrer de résistance sérieuse au nom de la défense des intérêts du "peuple" en général et de la "communauté nationale" rassemblée autour d'un État démocratique prétendument "au-dessus des classes".
Mais, objectera-t-on, il y a parmi les politiciens et les intellectuels des pacifistes qui ne désirent que la paix ! En fait, le pacifisme, cette doctrine aussi vieille que la guerre, a toujours fait le lit des pires boucheries. A chaque conflit impérialiste, les pacifistes en appellent au bon vouloir de la bourgeoisie en réclamant le désarmement, des traités de paix et la création de tribunaux d'arbitrage internationaux. Mais ce qu'ignore l'utopie pacifiste, c'est que l'impérialisme n'a rien de contingent, il est au contraire une tare congénitale du capitalisme décadent, un impératif pour l'ordre social existant. Que signifie le désarmement sinon exiger des nations qu'elles renoncent librement à l'essence même de leur politique extérieure, au moyen de subsistance de tout État, petit ou grand, dans l'arène de la concurrence mondiale ? En d'autres termes, le pacifisme consiste à solliciter poliment l’État pour qu'il consente à bien vouloir ne plus exister en tant qu’État sur le plan international.
A ce contexte historique de décadence du capitalisme se superpose celle de sa phase ultime de décomposition.5 Avec l'effondrement du bloc de l'Est et l'évaporation de facto de la discipline des blocs militaires, les appétits et les tensions impérialistes se sont fortement aiguisés, tout comme se sont multipliés les conflits locaux. Aucune superpuissance n'est désormais en mesure de modérer les ambitions de vassaux redevables d'une protection militaire face au péril "rouge" ou "impérialiste". Dans un contexte où les contradictions croissantes du capitalisme contraignent chaque nation à toujours plus d'agressivité impérialiste, la fin de la discipline de bloc n'a fait que renforcer la politique du "chacun pour soi" et le chaos généralisé. Les tensions au Proche-Orient, avec leurs enchevêtrements inextricables d'alliances de circonstance et de trahisons, ne font que confirmer cette analyse.
Comme la guerre est désormais une nécessité vitale pour chaque État et pour le capitalisme en général, la combattre sur le terrain de l'ordre social capitaliste est non seulement utopique mais également réactionnaire : la paix mais sans remettre en cause l'ordre social qui produit nécessairement les guerres ! Manifester contre la guerre mais sans opposer de véritable résistance à l’État qui l'organise ! Exiger la paix à la classe dominante mais lui laisser les mains libres pour préparer de nouveaux conflits !
Chercher une solution partielle ou provisoire à la guerre, comme le proposent les pacifistes, revient en définitive, et l'histoire l'a prouvé à d'innombrables reprises, à diluer le prolétariat dans la "communauté des citoyens", à assommer la conscience de la seule force sociale en mesure de mettre un terme, par son combat de classe, aux conflits guerriers, et, finalement, à pactiser avec telle ou telle fraction de la bourgeoisie au nom du "moindre mal", de la démocratie et de... la paix ! C'est pourquoi la lutte contre l'impérialisme doit nécessairement prendre la forme d'une lutte contre l'ordre capitaliste.
En Palestine, comme partout dans le monde, il n'y a strictement rien à espérer des "trêves humanitaires", des "accords" et des "traités de paix". Mais que faire, ici et maintenant, pour empêcher le massacre ? Nous sommes parfaitement conscients des faiblesses du prolétariat dans le monde entier, de son incapacité actuelle à s'élever à la hauteur des enjeux historiques. Il est évident que la classe ouvrière en Israël et en Palestine n'est pas en mesure de brandir l’étendard de la solidarité internationale des travailleurs par la grève de masse contre la barbarie militaire, pas plus que le prolétariat des pays centraux, en Europe ou aux États-Unis, n'est aujourd'hui capable d'apporter une solidarité autre que platonique aux populations victimes de la guerre.
Faut-il alors attendre patiemment, en spectateur, la prochaine vague de lutte ouvrière ? Pas du tout ! Partout où les ouvriers sont prêts à débattre pour comprendre les ressorts véritables des conflits impérialistes, la nature du capitalisme, de sa crise historique ou de la perspective du communisme, il faut débattre ! Une discussion n’arrêtera évidement ni les conflits au Proche-Orient, ni les massacres au quatre coins du monde. Mais elle participe à renforcer notre confiance et notre conscience de classe, condition absolument indispensable pour que se développe la seule alternative réaliste à la barbarie : la solidarité internationale des travailleurs et le combat résolu sur le seul terrain qui vaille, celui d'une société où jeter au profit d'une poignée de maîtres des masses d'êtres humains dans une abjecte danse de la mort ne serait pas seulement un crime mais une absurdité.
Truth Martini, 19 août 2014
1 D'ailleurs, loin d'être un conflit local, cette nouvelle vague de violence s'inscrit dans un contexte géostratégique en Orient relevant de la foire d'empoigne où s’enchevêtrent les intérêts impérialistes et les retournements de veste des puissances tant régionales que mondiales. Pour de plus amples explications, voir l'éditorial de Révolution internationale n°417
2 Si des manifestations ont été organisées partout dans le monde, c'est en France qu'elles ont visiblement rencontré le plus grand succès.
3 Gaza : Plutôt mourir que revenir à la situation antérieure, sur le site internet du NPA.
4 Contre les essais nucléaires français... et contre le pacifisme !, dans Lutte de Classe n°15 (Septembre-octobre 1995)
5 Cf. La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme, dans la Revue Internationale n°62 (3e trimestre 1990), également disponible sur le site Internet du CCI.
Il y a 150 ans, le 28 septembre 1864, naissait l'Association Internationale des Travailleurs au Saint-Martin's Hall à Londres. Après le long reflux de la lutte de classe suite à la défaite des grands soulèvements sociaux de 1848, le prolétariat d'Europe commençait à montrer des signes de réveil de sa conscience et de sa combativité. Le développement de mouvements de grève sur des revendications à la fois économiques et politiques, la formation des syndicats et des coopératives ouvrières, la mobilisation des ouvriers sur des questions de politique "étrangère" telles que le soutien à l'indépendance de la Pologne ou aux forces anti-esclavagistes dans la guerre civile américaine, tout cela a convaincu Marx que la période de défaite touchait à sa fin. C'est pourquoi il apporta son soutien actif à l'initiative des syndicalistes anglais et français de former l'Association Internationale des Travailleurs en septembre 1864. Comme le dit Marx dans le Rapport du Conseil Général de l'Internationale au Congrès de Bruxelles en 1868 : cette Association "n'est fille ni d'une secte, ni d'une théorie. Elle est le produit spontané du mouvement prolétaire, engendré lui-même par les tendances naturelles et irrépressibles de la société moderne". Ainsi, le fait que les raisons de beaucoup d'éléments qui formèrent l'Internationale n'aient pas eu grand-chose à voir avec les vues de Marx (par exemple, la principale préoccupation des syndicalistes anglais était d'utiliser l'Internationale pour empêcher l'importation de briseurs de grève étrangers), n'a pas empêché ce dernier d'y jouer un rôle prépondérant ; il a siégé au Conseil Général la plus grande partie de l'existence de celui-ci et a rédigé beaucoup de ses documents les plus importants. Comme l'Internationale était le produit d'un mouvement du prolétariat à une certaine étape de son développement historique, une étape où il était encore en train de se former en tant que force au sein de la société bourgeoise, il était à la fois possible et nécessaire pour la fraction marxiste de travailler dans l'Internationale à côté d'autres tendances de la classe ouvrière, de participer à leurs activités immédiates dans le combat quotidien des ouvriers, tout en essayant en même temps de libérer l'organisation des préjugés bourgeois et petit-bourgeois, et de l'imprégner autant que possible de la clarté théorique et politique requise pour agir comme avant-garde révolutionnaire d'une classe révolutionnaire.
C'est tout le sens de ce combat qu'illustre l'Adresse inaugurale rédigée par Marx à l'occasion du Congrès de création de l'Association, et dont les leçons restent parfaitement valables un siècle et demi après sa publication. Ce texte est empreint d'une remarquable combativité qui ne s'enferme ni dans la rage aveugle caractéristique de l'activisme sans lendemain, ni dans l'académisme pédant de ces Messieurs les docteurs dont il moque les "découvertes" avec beaucoup d'ironie. Mais derrière le mordant de l'ironie, apparaît aussi clairement l'indignation de l'auteur face à la misère -et particulièrement à la faim- infligée aux prolétaires et au cynisme inouï de la bourgeoisie. Les raisons de ce sursaut moral n'ont pourtant guère disparu de nos jours où la faim touche près d'un milliard de personnes, bien qu'une journée ne puisse passer sans que la classe dominante ne s'extasie encore devant "l'augmentation étourdissante de richesses et de puissance".
Face au cynisme de la bourgeoisie, Marx place également sans aucune ambiguïté la réponse du prolétariat au niveau international. Il n'y a rien de hasardeux dans le choix de reprendre la formule qui conclut seize ans plus tôt le Manifeste communiste : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !", car la solidarité internationale des travailleurs dont le socle se trouve dans le caractère associé de leur travail et de leur production est bien la condition sine qua non du triomphe de la révolution mondiale. La solidarité internationale n'est pas un vain mot ; elle ne se réduit nullement à une caisse de grève. Elle doit au contraire être mue par une dimension morale et politique déterminée. C'est pourquoi elle demeure actuellement l'atout majeur et essentiel, le moteur indispensable et déterminant du développement de la lutte de la classe exploitée contre la misère et la barbarie de ce système capitaliste aujourd'hui en pleine putréfaction.
En s'appuyant sur la dynamique de la lutte des classes depuis 1848, Marx inscrit également son analyse de la situation d'alors dans un contexte historique. Avec l'éclatement de la Commune de Paris en 1871, l'histoire prouva bientôt la validité de la méthode marxiste. L'approfondissement politique n'est à ce titre pas un "luxe" de révolutionnaires de salon mais une arme indispensable du prolétariat pour le développement de sa confiance en lui-même et dans la perspective du communisme. A l'heure où la décomposition du capitalisme pèse de tout son poids sur la société, où l'irrationalité et la pensée magique triomphent, ce combat pour la clarté théorique est plus que jamais valable.
RI
Ouvriers !
C'est un fait capital que la misère des masses travailleuses n'a point diminué de 1848 à 1864, dans cette période qui, pourtant, se distingue entre toutes par un accroissement inouï du commerce. En Grande-Bretagne, un organe modéré de la bourgeoisie, généralement bien informé, prédisait en 1850 que si les exportations et les importations s'élevaient de 50 %, le paupérisme tomberait à zéro. Hélas ! le 7 avril 1864, le chancelier de l'Echiquier affirmait, devant le Parlement ravi, que "le total des exportations et des importations se montait, en 1863, à la somme étonnante de 443 995 000 £, soit trois fois les chiffres de 1843, c'est-à-dire d'une époque assez récente". Il parlait pourtant avec la même éloquence de la "misère". "Pensez donc, s'exclama-t-il, à ceux qui sont au bord de la misère… aux salaires… qui ne se sont pas élevés, à la vie humaine qui, dans neuf cas sur dix, n'est qu'une lutte pour l'existence." Il ne parlait pas des Irlandais, qui sont peu à peu remplacés par des machines, au nord, par des troupeaux de moutons, au sud ; et pourtant le nombre de moutons diminuait dans ce malheureux pays – moins rapidement que les hommes, c'est vrai.1 Il n'a point répété ce que venaient de dévoiler, dans un violent accès de terreur, les représentants éminents de la haute société. Les étrangleurs semaient la panique. Un moment vint où la Chambre des Lords dut ordonner une enquêtes sur la déportation et les travaux forcés. C'est le gros Livre bleu2 de 1863 qui a vendu la mèche : il a prouvé, par des faits et des chiffres officiels, que les pires criminels des bagnes de l'Angleterre et de l'Ecosse travaillent bien moins durement et sont beaucoup mieux nourris que les travailleurs agricoles. Il y avait plus. La guerre civile en Amérique a eu pour conséquence de jeter sur le pavé les ouvriers du Lancashire et du Cheshire.3 Alors, la même Chambre des Lords a délégué un médecin dans les zones industrielles pour établir quelles quantités minimales de carbone et d'azote il faut administrer (sous la forme la plus simple et la moins coûteuse) à l'individu moyen "pour empêcher au moins les maladies entraînées par l'inanition". Le Dr Smith, médecin délégué, a calculé qu'en moyenne 28 000 grains de carbone et 1330 grains d'azote par semaine sont nécessaires pour maintenir un adulte ordinaire au-dessus du niveau d'inanition… Il a découvert en outre que cette dose, après tout, correspondait à la nourriture des ouvriers du coton ; et l'on sait en réalité à quelle portion misérable la détresse les a réduits.4 Mais attendez, il y a mieux. Ce même médecin, ce savant, a été chargé ensuite par le responsable médical du Conseil Privé, d'enquêter sur les conditions alimentaires des classes travailleuses les plus pauvres. Le Sixième rapport sur l'état de la santé publique, publié par ordre du Parlement dans le courant de l'année 1863, contient le résultat de ses recherches. Qu'est-ce qu'il a découvert, le docteur ? Que les tisserands en soie, les couturières, les gantiers, les tisseurs de bas, etc., ne reçoivent pas même, en moyenne, la misérable pitance des ouvriers du coton ; pas même la quantité de carbone et d'azote "strictement nécessaire pour prévenir les maladies d'inanition".
"En outre, (nous citons textuellement le rapport) l'examen de l'état des familles d'agriculteurs a démontré que plus du cinquième d'entre elles reçoit moins que le minimum d'aliments carbonés considéré comme suffisant ; plus du tiers reçoit moins que le minimum d'aliments azotés ; dans les districts de Berks, d'Oxford et de Somerset, l'insuffisance des aliments azotés est une constante du régime alimentaire local." "Il ne faut pas oublier, ajoute le rapport officiel, que la privation de nourriture est supportée de mauvais gré et qu'en règle générale ces grandes privations alimentaires ne font jamais que suivre bien d'autres restrictions… La propreté même est regardée comme une chose très chère et difficile et, quand le respect de soi-même s'efforce à l'entretenir, chacun de ces efforts représente une aggravation des affres de la faim." "Ce sont là des réflexions douloureuses, d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici, notons-le, d'une pauvreté méritée par la paresse ; dans tous les cas, nous parlons de la pauvreté des populations travailleuses. En vérité, le travail qui n'assure qu'une si maigre pitance est, en général, prolongé à l'excès." Le rapport révèle un fait étrange, et même inattendu : "De toutes les parties du Royaume-Uni", c'est-à-dire l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Ecosse et l'Irlande, "c'est la population agricole de l'Angleterre (c'est-à-dire de la partie la plus riche) qui est de loin la plus mal nourrie" ; quoique les journaliers eux-mêmes, dans les comtés de Berks, d'Oxford et de Somerset, soient mieux nourris que le grand nombre d'ouvriers qualifiés qui travaillent à domicile dans l'Est de Londres.
Telles sont les données officielles publiées par ordre du Parlement, en 1864, en plein millénium du libre-échange, au moment même où le chancelier de l'Echiquier raconte à la Chambre des Communes "que la condition des ouvriers anglais s'est améliorée, en moyenne, d'une manière si extraordinaire, que nous n'en connaissons point d'exemple dans l'histoire d'aucun pays, ni d'aucun âge". Mais un grincement vient de se faire entendre parmi ces congratulations officielles. C'est une remarque toute sèche du non moins officiel Rapport de la santé publique : "La santé publique d'un pays signifie la santé des masses, et il est presque impossible que les masses soient bien portantes si elles ne jouissent pas à tout le moins, jusqu'au plus bas de l'échelle sociale, d'une modeste prospérité."
Les statistiques dansent devant les yeux du chancelier. Ebloui par le "progrès de la nation", il s'écrie dans un délire extatique : "De 1842 à 1852, l'augmentation dans les revenus imposables de ce pays avait été de 6 % ; de 1853 à 1861, c'est-à-dire dans huit années, si l'on prend pour base le chiffre de 1853, elle a été de 20 % ! Le fait est si étonnant qu'il est presque incroyable !... Cette augmentation étourdissante de richesse et de puissance, ajoute M. Gladstone, est entièrement restreinte aux classes qui possèdent."
Si vous voulez savoir ce qu'il entre de santés brisées, de morale flétrie et de ruine intellectuelle dans cette "enivrante augmentation de richesse et de puissance, exclusivement restreinte aux classes possédantes" quand ce sont les classes laborieuses qui l'ont produite et qui la produisent, voyez la description des ateliers de tailleurs, d'imprimeurs et de modistes dans le dernier Rapport sur l'état de la santé publique ! Voyez le Rapport de la Commission d'enquête sur le travail des enfants où il est constaté, par exemple, que "comme classe, les potiers, hommes et femmes, représentent une population dégénérée au moral et au physique" ; que "les enfants mal portants seront un jour des parents mal portants" ; que "la dégénérescence de la race en est une conséquence absolue" ; que "la dégénération de la population du comté de Stafford serait beaucoup plus avancée, n'était le recrutement continuel dans les campagnes avoisinantes, et le croisement par mariage avec des races plus saines." Jetez les yeux sur le Livre bleu de M. Tremenheere sur les plaintes et doléances des journaliers de la boulangerie. Et qui n'a pas frémi d'indignation à la lecture des paradoxes des inspecteurs des fabriques, illustrés par le Registrar general : la santé des ouvriers du comté de Lancaster, alors même qu'ils en sont réduits à des rations de famine, s'est réellement améliorée, parce que le manque de coton les a chassés des filatures ; et la mortalité des enfants d'ouvriers a diminué, parce qu'enfin il est permis aux mères de leur donner le sein, au lieu de calmants opiacés.
Retournez la médaille encore une fois. Le relevé des impôts sur le revenu et sur la propriété, présenté à la Chambre des Communes le 20 juillet 1864, nous apprend que le 5 avril 1863, treize personnes ont grossi les rangs de ces heureux de la terre dont les revenus annuels sont évalués par le collecteur des impôts à 50.000 £ et plus : oui, leur nombre est monté, dans une seule année, de 67 à 80. Le même relevé laisse apparaître que 3000 personnes environ partagent entre elles un revenu annuel d'environ 25 millions de £, plus que le revenu total distribué annuellement entre tous les travailleurs agricoles de l'Angleterre et du Pays de Galles. Ouvrez le registre du cens de 1861, et vous trouverez que le nombre des propriétaires terriens du sexe masculin, en Angleterre et dans le Pays de Galles, s'est réduit de 16 934 en 1851 à 15 066 en 1861 ; qu'ainsi, la concentration des terres s'est accrue en dix années de 11 %. Si les terres de ce pays se concentrent dans quelques mains suivant le même rythme, la question agraire deviendra d'une simplicité singulière. Ce fut le cas dans l'Empire romain : ainsi Néron grinça des dents en apprenant que la moitié de la province d'Afrique était possédée par six chevaliers.
Nous nous sommes appesantis sur ces "faits si étonnants, qu'ils sont presque incroyables", parce que l'Angleterre est à la tête de l'Europe commerciale et industrielle. Il y a quelques mois, souvenez-vous en, un des fils réfugiés de Louis-Philippe félicitait publiquement les travailleurs agricoles anglais de la supériorité de leur sort sur celui, moins prospère, de leurs camarades d'outre-Manche. En vérité, avec un changement de couleur locale, et sur une échelle plus restreinte, la situation anglaise se reproduit dans tous les pays industriels qui progressent sur le continent. On assiste dans tous ces pays, depuis 1848, à un développement inouï de l'industrie ; leurs exportations et leurs importations prennent une ampleur dont on n'avait jamais rêvé. Partout "l'augmentation des richesses et de la puissance, exclusivement restreinte aux classes possédantes" a été véritablement "grisante". Là, comme en Angleterre, au sein des classes travailleuses, une minorité a obtenu un certain progrès du salaire réel ; alors que dans la plupart des cas la hausse des salaires en monnaie ne signifie pas un bien-être accru, pas plus que les pensionnaires de l'hôpital des pauvres ou de l'orphelinat ne se trouvent mieux de l'augmentation du coût de leur entretien (par personne, 9 £ 15 shillings 8 pence en 1862 contre 7 £ 7 sh. 4 p. en 1852). Partout on a vu le gros des classes travailleuses s’enfoncer plus profond, dans la même proportion, à tout le moins, ou les classes supérieures se sont élevées dans l'échelle sociale. Il y a une vérité que tout esprit non prévenu tient aujourd'hui pour démontrée, et que seuls dénient ceux-là qui ont intérêt à barricader les autres dans le paradis des imbéciles : cette vérité, c'est que dans tous les pays d'Europe, il n'y a pas de perfectionnement des machines, pas d'applications scientifiques dans la production, pas d'inventions pour communiquer, pas de colonies nouvelles, pas d'émigration, pas d'ouverture de marchés, pas de libre-échange, il n'y a là rien, et même si l'on met toutes ces choses ensemble, qui puissent mettre fin à la misère des classes laborieuses ; et qu'au contraire, sur cette base faussée, tout nouveau développement des forces productives doit aboutir à des contrastes sociaux plus vifs, à des antagonismes sociaux plus tranchés. Mourir de faim, mais c'est devenu une manière d'institution dans la métropole de l'Empire britannique, au cours de cette grisante époque de progrès économique. Cette époque est marquée dans les annales du marché mondial par la récurrence toujours plus rapide, par l'action toujours plus étendue, par les effets toujours plus mortels de cette peste sociale qu'on appelle la crise commerciale et industrielle.
Après l'échec des révolutions de 1848, une main de fer a broyé toutes les organisations et toute la presse de parti des classes travailleuses ; les plus éclairés des fils du travail perdirent tout espoir et se réfugièrent dans la république d'outre-Océan ; les rêves d'émancipation avaient été de courte durée : ils s'évanouirent devant la fièvre industrielle, le délabrement moral, la réaction politique. La défaite des classes travailleuses du continent, due pour une part à la diplomatie du gouvernement anglais qui, alors comme aujourd'hui, opérait dans une fraternelle solidarité avec le Cabinet de Saint-Pétersbourg, allait bientôt faire sentir ses effets de ce côté-ci de la Manche. Si la déroute de leurs frères du continent décourageait les travailleurs anglais, brisait la foi qu'ils plaçaient en leur propre cause, en revanche elle raffermissait chez les seigneurs de la terre et de la finance une confiance qui s'était trouvée quelque peu ébranlée. Ils retirèrent avec insolence des concessions qu'ils avaient déjà publiquement annoncées. On découvrait alors de nouveaux gisements d'or : l'exode fût immense, et laissa d'irréparables vides dans les rangs du prolétariat britannique. Certains de ses membres, autrefois actifs, se laissèrent prendre à une séduction pourtant bien passagère : travailler plus, gagner plus, et devenir politiquement des "jaunes". Tous les efforts pour maintenir le mouvement chartiste5, ou pour le refondre, connurent un échec retentissant ; les organes de presse de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses ; il faut dire que jamais la classe ouvrière d'Angleterre ne sembla si parfaitement résignée à l'état de nullité politique. Si donc, il n'avait point existé de solidarité d'action entre les classes travailleuses de l'Angleterre et du continent, il y avait, en tout cas, une solidarité de défaite.
Cependant la période qui a suivi la révolution de 1848 n'a pas été sans offrir quelques compensations. Contentons-nous d'y relever deux grands faits.
Après une lutte de trente ans, soutenue avec la plus admirable persévérance, les classes ouvrières de l'Angleterre, profitant d'un désaccord momentané entre les maîtres de la terre et les maîtres de la finance, réussirent à faire passer le bill6 de dix heures de travail. Les ouvriers des fabriques en retirèrent d'immenses avantages, physiques, moraux et intellectuels, qui depuis ont été enregistrés chaque semestre dans les rapports des inspecteurs des manufactures : on les reconnaît à présent de tous côtés. La plupart des gouvernements continentaux durent adopter la loi anglaise sur les fabriques, sous des formes plus ou moins modifiées, et le Parlement anglais lui-même se voit contraint d'étendre chaque année le champ d'action de cette loi.
Outre son importance pratique, autre chose encore relevait le merveilleux succès de cette mesure obtenue par les travailleurs. Par ses porte-parole scientifiques les plus fameux, tels le docteur Ure, le professeur Senior et autres sages de ce calibre, la classe moyenne avait prédit, et prouvé à qui mieux mieux, qu'à la moindre restriction légale des heures de travail, on allait entendre le glas funèbre de l'industrie anglaise. Car ce vampire ne pouvait vivre sans pomper le sang, et qui plus est, le sang des enfants. Au temps jadis, le meurtre des enfants était un rite mystérieux de la religion de Moloch ; mais il n'était pratiqué que dans certaines occasions tout à fait solennelles, peut-être une fois l'an ; et puis Moloch n'était pas exclusivement porté sur les enfants des pauvres.
Cette lutte pour la restriction légale des heures de travail se déchaîna d'autant plus furieusement, que tout en terrifiant l'avarice, elle intervenait dans la grande querelle entre l'aveugle loi de l'offre et de la demande, qui constitue l'économie politique de la bourgeoisie, et la production sociale dirigée par la prévision sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. C'est pourquoi le bill des dix heures n'a pas été seulement un succès politique ; il a été la victoire d'un principe. Pour la première fois, l'économie politique de la bourgeoisie succombait au grand jour devant l'économie politique de la classe ouvrière.
Mais il y avait en réserve une victoire plus grande encore de l'économie politique du travail sur l'économie politique du capital. Nous voulons parler du mouvement coopératif et surtout des manufactures coopératives montées, avec bien des efforts et sans aide aucune, par quelques "bras" audacieux. La valeur de ces grandes expériences sociales ne saurait être surfaite. Par des actions et non par des raisonnements, elles ont prouvé que la production sur une grande échelle, et en accord avec les exigences de la science moderne, peut marcher sans qu'une classe de maîtres emploie une classe de "bras" ; que les moyens de travail, pour porter fruit, n'ont pas besoin d'être monopolisés pour la domination et l'exploitation du travailleur ; et que le travail salarié, comme l'esclavage, comme le servage, n'est qu'une forme transitoire et inférieure, destinée à disparaître devant les travailleurs associés qui, eux, apporteront à leur tâche des bras bien disposés, un esprit alerte, un cœur réjoui. En Angleterre, la graine du système coopératif a été semée par Robert Owen. Les travailleurs du continent ont tenté des expériences qui donnaient une conclusion pratique à des théories qu'on n'a pas inventées en 1848, mais qu'on a alors préconisées bien haut.
Il y a une autre chose, que ces expériences faites entre 1848 et 1864 ont établie sans aucun doute possible : pour excellente qu'elle soit dans ses principes, et si utile qu'elle apparaisse dans la pratique, la coopération des travailleurs, si elle reste circonscrite dans un cercle étroit, si quelques ouvriers seulement font des efforts au petit bonheur et en leur particulier, alors cette coopération ne sera jamais capable d'arrêter les monopoles qui croissent en progression géométrique ; elle ne sera pas capable de libérer les masses, ni même d'alléger de façon perceptible le fardeau de leur misère. C'est sans doute pour cette raison-là que des lords à la langue dorée, des bourgeois philanthropes et sermonneurs, et même des économistes subtils nous ont servi des compliments nauséabonds sur ce même système coopératif qu'ils avaient cherché, vainement, à tuer dans l'œuf, qu'ils avaient tourné en dérision, pure utopie à leurs yeux, simple rêve ; ou qu'ils avaient stigmatisé chez les socialistes comme un sacrilège. Pour que les masses laborieuses soient affranchies, la coopération devrait prendre une ampleur nationale, et, par conséquent, il faudrait la favoriser avec des moyens nationaux. Mais ceux qui règnent sur la terre et sur le capital useront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leur monopole économique. Loin de faire avancer l'émancipation du travail, ils continueront à semer sur sa voie tous les obstacles possibles. Il faut se rappeler le persiflage de lord Palmerston, quand il repoussa les tenants du bill sur les droits des fermiers irlandais, à la dernière session du Parlement : "La Chambre des Communes, s'écria-t-il, est une chambre de propriétaires fonciers." Donc, la grande tâche des classes travailleuses, c'est de conquérir le pouvoir politique. Il semble qu'elles l'aient compris, car en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en France, on a assisté à des réveils simultanés ; et l'on est en train de faire des efforts simultanés pour réorganiser le parti des ouvriers.
Ils ont entre leurs mains un élément de succès : le nombre. Mais le nombre ne pèse dans la balance que s'il est uni par l'entente et guidé par la connaissance. L'expérience du passé a montré qu'un lien de fraternité doit exister entre les travailleurs des différents pays et les inciter à tenir bon, coude à coude, dans toutes leurs luttes pour l'émancipation, et que si l'on dédaigne ce lien, le châtiment sera l'échec commun de ces efforts sans cohésion.
C'est cette pensée qui a déterminé les travailleurs de différents pays, dans une assemblée publique, le 28 septembre 1864, à St-Martin's Hall, à fonder l'association internationale.
Une autre conviction animait cette assemblée.
Si l'émancipation des classes travailleuses ne peut se faire sans leur concours fraternel, comment vont-elles remplir cette grande mission quand la politique étrangère ne nourrit que des desseins criminels, quand elle joue des préjugés nationaux, quand elle gaspille dans des guerres de flibustiers le sang du peuple et ses trésors ? Ce n'est pas la sagesse des classes dirigeantes, mais bien l'héroïque résistance opposée par les classes travailleuses d'Angleterre à leur folie criminelle, qui a retenu l'Europe occidentale de se jeter tête baissée dans une croisade pour la perpétuation et la propagation de l'esclavage d'outre-Atlantique. L'approbation sans vergogne, les singeries de compassion, ou l'indifférence stupide, avec lesquelles les classes supérieures d'Europe ont contemplé la conquête de la forteresse montagnarde du Caucase7, et l'assassinat de l'héroïque Pologne par les Russes8 ; les vastes empiètements, jamais contrecarrés, de cette puissance barbare dont la tête est à Saint-Pétersbourg et dont les mains agissent dans tous les Cabinets d'Europe, tout cela appris aux travailleurs qu'ils ont un devoir : percer les mystères de la politique internationale, surveiller les agissements diplomatiques de leurs gouvernements respectifs, les contrecarrer au besoin, par tous les moyens qui sont en leur pouvoir ; et s'ils ne peuvent les empêcher, s'entendre pour les dénoncer en même temps, et pour revendiquer les lois élémentaires de la morale et de la justice qui doivent régir les relations entre particuliers, comme règle souveraine des rapports entre les nations.
La lutte pour une telle politique étrangère fait partie de la lutte générale pour l'émancipation des classes travailleuses.
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
1 Marx fait ici référence à la Grande famine (ou famine des pommes de terre) qui frappa très durement l'Irlande entre 1845 et 1851. Cette catastrophe, loin d'être "naturelle", fit près d'un million de victimes. La bourgeoisie britannique fit preuve d'un cynisme inouï et put même tirer de l'hécatombe de juteux bénéfices fonciers. (NDLR)
2 Désigne les rapports présentés par le gouvernement britannique au Parlement. (NdR)
Désigne les rapports présentés par le gouvernement britannique au Parlement. (NdRNdlr)
3 Pendant la guerre de sécession, l'Union mis en place un blocus des ports Confédérés, privant de coton l'industrie britannique du tissu. (NdRNDLR)
4 Il serait superflu de rappeler au lecteur qu'à part l'eau et quelques substances inorganiques, ce sont le carbone et l'azote qui constituent la matière brute de la nourriture humaine. Mais pour nourrir l'organisme humain, ces simples éléments chimiques doivent lui être fournis sous la forme des substances végétales et animales. La pomme de terre, par exemple, contient des substances carbonées et azotées dans des proportions convenables.
5 Mouvement politique et syndical né au Royaume Uni au cours du XIXe siècle. (NdRNdlr)
6 Désigne une réforme accordée par l'Etat britannique. (NdRNDLR)
7 Marx fait ici référence à la conquête russe du Caucase dans la première moitié du XIXe siècle. (NdRNDLR)
8 Il s'agit de l'écrasement de l'Insurrectionl'insurrection polonaise de 1861-1864 par l'armée russe. (NdRNDLR)
"Quiconque a vécu en tant qu'acteur politique la période qui s'est ouverte le 4 août 1914 pourra facilement se tromper sur le temps écoulé depuis cette date. (...) Dix ans ! Cela veut dire qu'une nouvelle génération est arrivée à maturité et est appelée à faire l'histoire. Cette génération doit connaître son passé pour connaître la totalité du présent. (...) Du point de vue prolétarien, il n'existe aucune synthèse sur cette période. Ce livre se veut donc un premier essai en vue de mener à bien cette tâche." Tel était le postulat de Paul Frölich quand il décida, en 1924, d'écrire l'une des premières synthèses sur la Première Guerre mondiale. Ce travail n'était pas destiné à "s'adonner à l'histoire au nom même de l'histoire" mais de "transmettre au travailleur tout ce qu'il devait savoir sur la guerre." Ainsi, Paul Frölich voulait établir une synthèse du conflit permettant au prolétariat de comprendre le processus historique qui a conduit à une telle boucherie. Il s'agissait de dénoncer la barbarie et le cynisme de la bourgeoisie internationale mais aussi la trahison de la social-démocratie qui, dans de nombreux pays, s'était rangée du côté des partis bourgeois au moment de signer les crédits de guerre.
Issu d'une famille ouvrière, Paul Frölich adhère au marxisme et rejoint très tôt le parti social-démocrate allemand (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Il suit les cours de Rosa Luxembourg à l'école du parti. En 1914, il critique la position du SPD en faveur des crédits de guerre et participe à la Conférence de Zimmerwald. Appartenant à la gauche radicale de Brême, il participe à la formation des Communistes Internationaux d'Allemagne. En 1918, il est membre du parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD). Ainsi, Paul Frölich est avant tout un militant révolutionnaire ayant participé aux combats majeurs de la classe ouvrière allemande au début XXe siècle.
Les réflexions qu'il mène dans ce livre réaffirment et complètent celles énoncées par Rosa Luxembourg dans sa Brochure de Junius en 1916. En s'appuyant sur des documents officiels de la bourgeoisie ainsi que sur la presse bourgeoise et socialiste, Frölich explique les causes de la guerre et décrit ses conséquences aux plans politique et économique. L'auteur décrit les conditions de vie du prolétariat allemand durant cette période et n'hésite pas à dénoncer l'exploitation accrue que ce dernier a dû subir au cours du conflit.
A l'heure de la "commémoration" de la guerre 14-18 au cours de laquelle la bourgeoisie entreprend résolument d’"héroïser" les millions d'ouvriers ayant servi de chair à canon pour les intérêts du capital, ce livre permettra au prolétariat du XXIe siècle de pouvoir critiquer les falsifications historiques distillées par la bourgeoisie au sujet de cette guerre. Le compte rendu qui suit vise à souligner les idées forces du livre et à montrer en quoi l'analyse de Frölich peut servir à aiguiser le niveau théorique du prolétariat actuel.
Dans le sillage de Rosa Luxembourg, Paul Frölich voit dans l'impérialisme la cause principale de la guerre 14-18. En effet, à la fin du XIXe siècle, le monde est trop étroit pour engloutir le flot béant de marchandises émises par la machine capitaliste. Les puissances impérialistes se font une concurrence acharnée pour contrôler les dernières zones de la planète pas encore sous la domination capitaliste. En effet, jusqu'aux années 1880, l'Angleterre "était le pays capitaliste par excellence" et pouvait écouler abondamment ses marchandises en Europe et dans les colonies. Mais cette situation se modifie avec l'émergence de nouvelles puissances capitalistes : l'Allemagne et les Etats-Unis. Le développement rapide de l'industrie dans ces deux pays offre à leur bourgeoisie respective des perspectives de profit important. Ainsi, les concurrences commerciales s'accroissent et chaque pays capitaliste souhaite maintenir ses territoires coloniaux, voire s'implanter dans de nouvelles zones afin d'écouler la production de marchandises. Ces tensions commerciales deviennent plus courantes dans les premières années du XXe siècle et tendent à se transformer en conflits armés. En effet, Paul Frölich montre que la course aux armements est consubstantielle au développement de l'impérialisme. Dans les dix années qui précèdent la Première Guerre mondiale, les politiques commerciales agressives menées par les puissances capitalistes dans les colonies manquent d'engendrer des guerres ouvertes. L'aventure chinoise à la fin du XIXe siècle, la concurrence entre l'Autriche-Hongrie et la Russie dans les Balkans, le conflit entre la France et l'Allemagne à propos du Maroc en 1911, … sont autant de signes annonciateurs d'un drame mondial sans cesse retardé par l'impréparation des différents acteurs sur le plan militaire. Mais en 1913-1914, la situation devient intenable, les manœuvres de l'impérialisme austro-hongrois dans les Balkans (soutenues par l'Allemagne) afin de maintenir ses intérêts commerciaux et briser l'élan d'indépendance de la Serbie déplaisent fortement à la Russie, l'Angleterre et la France regroupées dans une Triple Entente depuis 1907.
La bourgeoisie présente l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand comme l'événement déclencheur de la guerre afin de mieux cacher les vraies raisons qui ont plongé l'humanité dans quatre années de folie sanguinaire. Paul Frölich relativise cet épisode qui n'est qu'une étincelle ayant fait s'embraser un feu qui couvait depuis plusieurs années. Voici ce qu'il nous dit sur la portée de cet événement : "En Europe, on ne prêta guère plus d'attention à la nouvelle de l'attentat que celle qu'on accordait, en règle générale, aux sensationnelles nouvelles de cet importance." L'assassinat permit à l'Autriche-Hongrie de légitimer l'ultimatum puis la déclaration de guerre imposés à la Serbie. Le jeu des alliances impérialistes fit le reste comme l'indique Frölich : "Une guerre contre la Serbie signifiait donc une guerre contre la Russie. Et une guerre contre la Russie, c'était une guerre de toute l'Europe."
Pour les marxistes, la Première Guerre mondiale marque l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Les contradictions entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production sont telles qu'il n'est désormais plus possible à ce système de
permettre une évolution positive de l'humanité. L'impérialisme (identifié par Engels puis par Rosa Luxembourg) forme pour les marxistes la cause principale de la guerre. L'incapacité de la bourgeoisie à régler les contradictions du capitalisme (devant l'impuissance momentané du prolétariat à détruire ce système) laissait comme seule réponse une guerre généralisée : "Il y avait deux voies pour sortir de ce dilemme. La voie capitaliste, qui promettait d'apporter provisoirement un peu d'air à ceux qui se trouvaient désormais au bord de l'asphyxie : par la guerre, l'écrasement de l'adversaire et la destruction de ses forces productives, la redistribution du monde entre les vainqueurs. De là, nouvelle course effrénée et folle, nouvelle pression des forces productives, accroissement de la concurrence – jusqu'à ce que le monde soit redevenu trop étroit. Puis nouvelle guerre ; mais point de solution. L'autre voie, radicale et prolétarienne : abolition du mode de production dont le profit est le moteur et le régulateur ; destruction de l'exploitation et de la domination de classe." La guerre 14-18 marque donc l'entrée du capitalisme dans une impasse historique ne pouvant être surmontée que par l'abolition de ce dernier par le prolétariat.
Paul Frölich s'appuie sur les acquis théoriques du marxisme forgés par les grandes figures du mouvement révolutionnaire afin d'expliquer le processus historique qui a mené à cette guerre. Cette vision permet à la classe ouvrière actuelle de pouvoir réagir aux mystifications que la bourgeoisie distille à ce sujet. Cette dernière fait de ce premier conflit mondial une guerre justifiée par le désir de revanche de la France sur l'Allemagne. Parfois, elle n'hésite pas à en appeler au hasard, à faire de cet événement une parenthèse de l'histoire, un moment particulier dans lequel, l'humanité, l'espace de quatre années, a sombré dans la folie guerrière. Autant d'explications lamentables visant à rejeter la responsabilité du capitalisme dans le déroulement de cette boucherie insupportable.
Dans la période de décadence, la guerre est la seule alternative proposée par la bourgeoisie pour limiter les contradictions du capitalisme. Seul le prolétariat est porteur d'une autre perspective : le communisme. Ainsi, en 1914, l'une des tâches historiques du prolétariat était de s'opposer à la guerre et d'impulser un mouvement révolutionnaire : "Lutte contre la guerre voulait dire lutte de pouvoir contre la bourgeoisie dans tous les pays, autrement dit lutte révolutionnaire." Or, le prolétariat n'a pas été en mesure de briser l'ardeur barbare de la bourgeoisie. La défaillance des organisations révolutionnaires explique en grande partie cet échec.
Depuis 1889, la classe ouvrière s'était réorganisée au niveau mondial. La Deuxième Internationale se composait de partis nationaux indépendants de tendance marxiste. Pour autant, la vie de l'organisation fut sans cesse perturbée par des luttes internes entre le courant opportuniste et l'aile internationaliste. L'histoire de la Deuxième Internationale montre à quel point cette organisation fut gangrénée par l'esprit routinier du rouage parlementariste et par la contradiction constante entre les positions de principe et la pratique. Le simplisme et le manque de rigueur avec lesquels la question de la guerre est traitée lors des Congrès Internationaux illustre cette attitude. Avec le développement de l'opportunisme en son sein, la Deuxième Internationale s'éloignait de l'internationalisme et de fait, transigeait avec le refus catégorique de la guerre et surtout avec la transformation de la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire. Paul Frölich a identifié cette tendance à la dégénérescence de l'organisation : "Compte tenu de sa nature et de la façon dont elle était organisée, l'Internationale était condamnée à échouer lamentablement quand elle fut confrontée aux tâches immenses que la guerre exigeait d'elle." En définitive, la Deuxième Internationale "faisait grand cas de sa nature révolutionnaire, mais en réalité elle n'était pas révolutionnaire."
La fébrilité de la Deuxième Internationale fut renforcée par le développement progressif de l'opportunisme au sein de la social-démocratie des grandes puissances impérialistes (la SFIO en France, le SPD en Allemagne notamment). En effet, Paul Frölich démontre que, dans les pays traditionnels du capitalisme, le parlementarisme et le démocratisme ont facilité le basculement de la social-démocratie dans le camp de la classe dominante. "Les partis qui se sont effondrés, ce sont les partis où s'était manifestée la véritable nature de l'Internationale et qui avaient eu le temps, au cours d'une longue période de répit des luttes de classe, de constituer une politique nettement opportuniste ; ce sont aussi les partis des pays dans lesquels la bourgeoisie était assez riche pour entretenir et corrompre une aristocratie ouvrière.
Les partis qui se sont maintenus, ce sont les partis qui étaient soumis à une oppression constante, qui devaient être et rester révolutionnaires par la force des choses, qui ne laissèrent pas le temps à l'opportunisme de les avaler, qui s'appuyaient sur un prolétariat qui, effectivement, 'n'avait rien à perdre que ses chaînes'. Ces partis formèrent, avec les fractions révolutionnaires des grands partis, la base de la Troisième Internationale. Ici, dans l'effondrement de tout un monde, les forces se rassemblaient pour en construire un nouveau." Comme l'indique Paul Frölich, seuls les partis ouvriers des nations secondaires du capitalisme restèrent fidèles à l'internationalisme et luttèrent contre la guerre. Parmi eux, le parti bolchevik, le parti social-démocrate de Lituanie et de Pologne, le parti social-démocrate serbe, une fraction du parti socialiste italien, formaient le noyau dur de la gauche révolutionnaire dans l'Internationale. Mais la forte influence des partis traîtres sur les masses était un boulet trop lourd pour infléchir la conscience du prolétariat. Lorsque le 4 août 1914, le SPD en Allemagne et la SFIO en France votèrent les crédits de guerre, une partie non-négligeable de l'avant-garde du mouvement révolutionnaire "passa drapeau au vent dans le camp de l'ennemi". La classe ouvrière "perdait le fruit d'un demi-siècle de travail d'éducation socialiste, et seul un petit groupe, dispersé dans tout le pays, restait attaché au socialisme et à l'Internationalisme." La trahison des partis ouvriers n'est pas un événement anecdotique et doit
trouver un écho auprès de la classe ouvrière du XXIe siècle. Alors que la gauche de la bourgeoisie ne rate jamais une occasion de se réclamer de l'héritage politique du mouvement ouvrier, il est important de souligner que 1914 marque la chute irréversible de la social-démocratie dans le camp de la bourgeoisie. Autrement dit, en reniant l'internationalisme, ces organisations ont arrêté de servir les intérêts de la classe ouvrière. Cette trahison est largement passée sous silence par la bourgeoisie.
Pour autant, des membres de la social-démocratie sont restés dans le camp du prolétariat. En France, c'est le cas de Jean Jaurès qui paya de sa vie la défense de la cause ouvrière et son refus de la guerre. Même si la position de ce dernier restait ambiguë, il garda en lui la force morale pour ne pas trahir sa classe et dénonça âprement le malheur que laissait présager le conflit approchant. Seulement, à la guerre, Jaurès n'opposa que la paix. Des positions plus claires et plus lucides se faisaient entendre en Allemagne et en Russie au même moment : Rosa Luxembourg, Lénine et Martov opposaient à la guerre, non pas la paix, mais la révolution prolétarienne. Ces militants révolutionnaires ont été capables d'analyser avec clarté la situation historique et ainsi ont pu démontrer que l'humanité n'avait rien à gagner dans ce conflit généralisé. Mais si une personne illustre l'opposition à la guerre, c'est bel et bien Karl Liebknecht. Paul Frölich s'arrête sur l'action courageuse de ce dernier qui n'eut de cesse de dénoncer les horreurs de la guerre au parlement et dans la rue. Mobilisé en 1915, il mena le cortège lors de la manifestation des travailleurs berlinois le 1er mai 1916 et cria "A bas le gouvernement ! A bas la guerre !" avant d'être arrêté sur la Potsdamer Platz. Outre cet acte symbolique, Liebknecht porte en lui l'ardeur révolutionnaire, l'intransigeance face à l'opportunisme et au réformisme et la confiance dans le rôle historique de la classe ouvrière. Fusionnent en la personne de Liebknecht l'opposition à la guerre et la lutte révolutionnaire. Résonne dans l'attitude de ce révolutionnaire l'impératif moral qui l'appelait à s'indigner haut et fort face à la barbarie guerrière.
De fait, pour la bourgeoisie, le cas Liebknecht est irrécupérable. Contrairement à ce qu'elle veut nous faire croire, ce ne sont pas les réformistes qui se sont réellement opposés à la guerre mais bel et bien les militants révolutionnaires qui, comme l'ensemble de la classe ouvrière, portaient en eux l'espoir de l'avènement d'une société sans classe, sans exploitation, sans guerre.
Paul Frölich ne se contente pas d'analyser, de tirer les leçons d'un événement historique de grande ampleur dans la pure tradition marxiste. Ce dernier dénonce la barbarie de la guerre impérialiste, s'indigne face aux souffrances endurées par le prolétariat et accuse le cynisme de la bourgeoisie.
Durant les quatre années de guerre, la bourgeoisie a dû s'adapter aux nécessités d'un conflit impérialiste généralisé. Ainsi, la production d'armement et d'autres marchandises destinées aux secteurs militaires est devenue le cœur de l'activité économique. En Allemagne et chez les autres grandes puissances impérialistes, l'économie fut réorganisée en une "énorme usine de munitions", c'est-à-dire en une économie de guerre.
Frölich montre que les profits réalisés par la bourgeoisie allemande au sein de cette économie de guerre étaient basés "sur du vent". Ce mécanisme alliant État et grand capital montre toute l’irrationalité du militarisme dans la décadence du capitalisme : "Maintenant, il nous est possible de comprendre comment l'argent, le sang du grand corps capitaliste, circulait. Le Reich payait des prix élevés au moyen de papier-monnaie. Les prix élevés rapportaient des bénéfices élevés. Ils permettaient au capitaliste d'acheter des titres d'emprunt grâce aux bénéfices réalisés en papier-monnaie, et ainsi le Reich récupérait le papier-monnaie en retour, il pouvait de nouveau payer le capitaliste, faire des bénéfices, acheter des emprunts de guerre, etc. Le schéma est ici quelque peu simplifié, le procès général était bien plus complexe en réalité. En tout cas, il en tenait essentiellement ainsi, à une chose près ! A en juger par ce qu'on peut voir maintenant, les capitalistes se sont donc financés eux-mêmes et, ce faisant, ont financé la guerre. Avec quoi ? Avec du vent ! Et à cette occasion, ils ont ajouté à leur fortune les emprunts de guerre qui leur ont rapporté de jolis intérêts."
Le financement de la guerre reposait donc sur un cercle vicieux ne créant aucune richesse mais cela ne modifiait en rien la source du profit capitaliste : l'exploitation du prolétariat. Et dans une économie où la majeure partie de la production est destinée à être détruite, l'exploitation du prolétariat est accrue : "Les capitalistes ont en effet accru leur capital. Comment s'accomplit, en temps normal, cette accumulation de capital ? Le travailleur produit des marchandises, de la valeur ; plus de valeur que ce qu'il reçoit pour son travail. Il est exploité. L'employeur transforme, du moins en partie, la plus-value en capital. Pendant la guerre aussi, il ne tire des profits que du travail. Il fallait donc extorquer encore davantage des masses qui restaient employées, étant donné qu'une grande partie des produits étaient conçus pour être détruits tout en détruisant, qu'il fallait nourrir une gigantesque armée qui détruisait mais qui ne produisait rien, et que la promesse de très gros bénéfices pour les capitalistes était nécessaire afin que le Reich puisse sans cesse récupérer l'argent qu'il devait dépenser. Et ce fut bien évidemment le cas."
Ainsi, les conditions de vie du prolétariat allemand se dégradèrent considérablement. Les ouvriers mobilisés au front subissaient de plein fouet les horreurs de la guerre et ceux restés à l'arrière devaient résister aux réquisitions, à la cherté de la vie et à l'écart entre les prix et les salaires. Voilà comment Frölich décrit l'état déplorable du prolétariat allemand : "Les femmes se ruinaient la santé. Elles mangeaient moins. Elles mangeaient du pain fait de son, de pommes de terre et de navets (la falsification du pain était devenue un acte patriotique !) ; elles mangeaient de la graisse synthétique, du miel artificiel, des betteraves, de l'herbe, de la saleté. Leurs corps se desséchaient. Les enfants mouraient avant même d'avoir atteint la fleur de l'âge. Toute la classe ouvrière tombait malade. La grippe emportait des centaines de milliers de personnes (...) On assistait à une dégénérescence du peuple tout entier. De terribles épidémies faisaient des ravages. Au cours de la guerre, parmi la population allemande civile, on a compté 900 000 morts de plus qu'en temps normal : c'était dû à la famine." Dans tous les pays en guerre, la classe ouvrière a dû subir les mêmes conditions d'existence.
Un siècle après cette guerre, le climat de chaos s'est amplifié et généralisé à la planète toute entière. Ayant perdu tout rôle historique, la bourgeoisie est incapable de constater et d'expliquer cette descente dans la barbarie. Le marxisme a offert à la classe ouvrière les moyens de s'émanciper de l'idéologie bourgeoise en forgeant la vision dialectique de l'histoire. Cette méthode d'analyse a permis à Friedrich Engels en 1887 d'anticiper la Première Guerre mondiale : "Et enfin, il n'y a plus pour la Prusse-Allemagne, d'autre guerre possible qu'une guerre mondiale, et, à la vérité, une guerre mondiale d'une ampleur et d'une violence encore jamais vues. Huit millions de soldats s'entr'égorgeront ; ce faisant, ils dévoreront toute l'Europe comme jamais ne le fit encore une nuée de sauterelles. Les dévastations de la guerre de Trente ans, condensées en trois ou quatre années et répandues sur tout le continent ; la famine, les épidémies, la férocité générale, tant des armées que des masses populaires, provoquée par l'âpreté du besoin, la confusion désespérée dans le mécanisme artificiel qui régit notre commerce, notre industrie et notre crédit, finissant dans la banqueroute générale. L'effondrement des vieux États et de leur sagesse politique routinière est tel que les couronnes rouleront par douzaines sur le pavé et qu'il ne se trouvera personne pour les ramasser ; l'impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la lutte ; un seul résultat est absolument certain : l'épuisement général et la création des conditions nécessaires à la victoire finale de la classe ouvrière... La guerre va peut-être nous rejeter momentanément à l'arrière-plan, elle pourra nous enlever maintes positions déjà conquises. Mais si vous déchainez des forces que vous ne pourrez plus maitriser ensuite, quelque tour que prennent les choses, à la fin de la tragédie, vous ne serez plus qu'une ruine et la victoire du prolétariat sera déjà acquise, ou, quand même, inévitable."
Ce passage prophétique n'est pas dû au génie d'un homme mais bel et bien à la mise en pratique de la méthode marxiste afin d'éclairer la classe ouvrière, pour lui faire comprendre le monde chaotique qu'allait générer l'entrée du capitalisme| dans sa période de décadence. Aujourd'hui comme hier, la réflexion et l’effort d’approfondissement théorique, la dénonciation des mystifications et de l'idéologie bourgeoise font partie ´des tâches des révolutionnaires afin d'éviter au prolétariat de tomber dans les pièges tendus par la classe dominante. Quand la bourgeoisie nie sa totale responsabilité dans le déchaînement de violence qu'a subi l'Europe entre 1914 et 1918, il est de notre devoir de rétablir la vérité, de dénoncer la barbarie engendrée et de donner des cadres d'analyse permettant au prolétariat de se forger une vision claire de la
période qui s'ouvre à partir de 1914. C'est en partie en élaborant une juste analyse du passé que le prolétariat pourra rehausser son niveau de conscience et identifier son véritable bourreau : le capitalisme. Alors, la bourgeoisie pourra trembler devant la détermination du prolétariat à briser ses propres chaînes.
Jodorowsky
Nous publions ci-dessous une contribution signée par « Des camarades algériens (Lecteurs de RI) ». En partant d'un sujet tel que les problèmes de santé, les camarades posent un regard historique et critique qui amène de façon militante à la remise en cause du système capitaliste : « Les maladies ne sont pas des calamités de la nature mais des catastrophes sociales liées au mode de production capitaliste ». Nous partageons l'indignation des camarades, saluons leur volonté de faire appel à la réflexion, à la conscience révolutionnaire des ouvriers et encourageons à poursuivre ce travail précieux. Cependant, en dehors de critiques plus secondaires[1], notre principale critique porte sur la forme anaphorique de leur appel adressé dans cette contribution aux « prolétaires algériens ». Ce que décrivent les camarades dépasse en réalité le cadre de la situation en Algérie. Mais surtout, au-delà même, l'interpellation du prolétariat d'une nation, l'Algérie, ne nous semble pas la meilleure façon de procéder pour défendre au mieux l'unité internationale du combat et partir du mouvement comme un tout. Ceci tend à atténuer le réel souffle internationaliste de la contribution. Nous préférons donc conclure en soulignant davantage la formule sans ambiguïté de la fin du texte : « cette transformation communiste de la société ne peut se faire sans une révolution qui va permettre le renversement du capitalisme au niveau mondial ».
Selon l’OMS[2] « La santé est un état de complet bien-être physique [390], mental [391] et social [392], et ne consiste pas seulement en une absence de maladie [393] ou d'infirmité. »
Qu’en est-il de la santé des prolétaires algériens ?
Pour Hérodote[3], les Berbères[4] étaient une « race d’Hommes au corps saint, agile, résistant à la fatigue ; la plupart succombent à la vieillesse, sauf ceux qui périssent par le fer ou par les bêtes, car il est rare que la maladie les emporte »[5].
On voit bien, d’après Hérodote, que les berbères vivaient longtemps et mouraient de vieillesse et rarement de maladie. Quel est l’état de santé des prolétaires algériens aujourd’hui ?
Il ne s’agit pas de voir comment le système actuel de santé répond aux attentes des citoyens car nous savons, et nous allons le voir plus bas, qu’aujourd’hui, et cela est valable dans tous les pays capitalistes de ce monde, que la médecine ne peut rien face à ces maladies dites dégénératives.
Engagée dans un processus de développement dont l’ouverture à l’investissement étranger est le processus le plus visible, l’Algérie a pris certaines options sur les plans économique et social, ce qui a impliqué des mutations dans la structure sociale du pays et le chamboulement des habitudes et des comportements alimentaires. Bien entendu aux aspects que nous venons de citer, nous pouvons rallonger la liste de toutes les modifications et les chambardements vécus par la société algérienne.
Si ces mutations ont augmenté le niveau de vie des algériens, il en résulte des conséquences pour la santé de la population. La situation sanitaire mérite un examen attentif car si l’espérance de vie à la naissance s’améliore, l’état de santé se dégrade jour après jour.
La population algérienne est estimée, en 2012, à un peu plus de 38 millions d’habitants. Environ 60% de la population vit en milieu urbain. Mais aujourd’hui, il n’y a aucune différence entre la vie à la campagne et celle dans les villes ; les habitudes et les comportements alimentaires sont identiques ; on trouve dans pratiquement chaque maison au minimum un véhicule ce qui implique que les gens marchent peu et se déplacent en voiture.
Depuis le début des années 2000, les taux de prévalences des maladies chroniques sont en pleine hausse en Algérie. L’hypertension artérielle, les maladies cardiovasculaires, le diabète sucré, les affections respiratoires chroniques (asthme, bronchite chronique…), les maladies digestives (ulcères digestifs, lithiase biliaire, colopathies), l’insuffisance rénale chronique, les cancers, les maladies mentales, la maladie de Crohn (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin), demeurent les plus grandes menaces pour l'état de santé des algériens, s'ensuivent la morbidité liée à l’environnement social comme : les suicides, les accidents de la route et du travail.
On recense en Algérie près de 20 millions de malades chroniques dont 9 millions d’hypertendus soit un quart de la population et que 44,5 % des décès sont dus aux maladies cardiaques.
Le nombre des diabétiques est passé de un million de personnes en 1993, à plus de 2,5 millions personnes en 2007. En 2011, Le diabète touche 5,1 millions de personnes selon le ministère de la Santé et 7,1 millions selon la fédération des associations des diabétiques, dont 80 000 enfants. Le taux d’atteinte est de 1% chez les familles démunies et 3,5% chez les familles aisées.
Le président du réseau des associations des maladies chroniques a également estimé que plus de 5 millions de la population serait atteinte d’une hépatite.
Concernant le cancer, selon une conclusion du cabinet de consulting et de recherche l’OBG[6], les résultats sont alarmants. OBG a révélé que le taux de prévalence[7] du cancer est passé de 80 cas pour 100 000 personnes dans les années 1990 à 120 cas en 2008. Il devrait atteindre 300 cas pour 100 000 personnes au cours des dix prochaines années et enregistrer un taux comparable à ceux que l’on retrouve aux Etats-Unis (400 cas par 100 000), au Canada et en France (300 cas pour 100 000). En moyenne 40.000 nouveaux cas de cancer sont recensés annuellement. Il faut rappeler que les essais nucléaires effectués par la France[8] à Reggane[9] sont en partie responsable de certains cancers notamment le cancer du sein chez les jeunes femmes.
Le pays compte en parallèle 2,5 millions d’asthmatiques et 5 millions de personnes souffrant de rhinite allergique. L’asthme est la première maladie chronique de l’enfant. La prévalence de cette pathologie serait de 10 à 15% dans les pays développés et de 5 à 10% au Maghreb.
En 2007, l’Algérie compte près de 100 000 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, selon la société algérienne de neurologie, et près de 300 000 Algériens sont épileptiques.
Prolétaires algériens,
Ces chiffres démontrent à eux seuls, l’absence de prévention et de solutions efficaces afin d’inverser la tendance. Les victimes de ces maladies sont toujours les mêmes ; c’est les salariés : « Ces pensionnaires de l'asile, victimes des harengs infects ou du tord-boyaux frelaté, qui sont-ils ? Un employé de commerce, un ouvrier du bâtiment, un tourneur, un mécanicien : des ouvriers, des ouvriers, rien que des ouvriers. Et qui sont ces êtres sans nom que la police n'a pu identifier ? Des ouvriers, rien que des ouvriers ou des hommes qui l'étaient, hier encore. »[10]
Les maladies ne sont pas des calamités de la nature mais des catastrophes sociales liées au mode de production capitaliste qui induit des comportements et des habitudes alimentaires et autres. Pour se rendre compte de cette évidence, il suffit de regarder les statistiques : plus un pays est développé et plus le nombre de malades chroniques est élevé. Ou encore, il suffit de regarder les statistiques algériennes et vous verrez que le pourcentage de cancéreux algériens vivant en France ou au canada est plus élevé que ceux vivant en Algérie.
Le mode de vie (alimentation…), les facteurs environnementaux constituent des facteurs de risques importants des maladies non transmissibles. Selon l’OMS, il existe des facteurs déterminants qui influencent l’état de santé d'une population [394], on trouve :
- Le mode de vie comme l'activité physique, l'alimentation, le travail, les problèmes de toxicomanies. Les rythmes, les cadences de travail ; les gestes inadaptés sont des facteurs très importants sur la santé. Ils entraînent des troubles psychosomatiques et parfois des handicaps pour la vie.
- L’environnement qui est un déterminant majeur de la santé. La pollution [395] qu'elle soit biologique, chimique, due aux radiations ionisantes[11], aux nuisances sonores ou lumineuses, est une source importante de maladies.
Cette hausse des maladies chroniques ou, comme on les surnomme, les maladies dégénératives, est due à ces facteurs de risque, cités plus haut, qui engendrent la détérioration des mécanismes d’autoréparation de l’organisme. Les grandes villes (Alger, Constantine, Oran, Annaba…) et les villes disposant d’industries polluantes constituent des zones à risque pour le développement de ces maladies. Il est à noter que l’on retrouve ces maladies dans les milieux ruraux avec les mêmes proportions que les villes.
Les maladies sont donc, et même l’OMS qui est une organisation bourgeoise l’admet, déterminées par le mode et les conditions de vie (la cadence de travail, l’alimentation, le stress, l’air que l’on respire,..) qui sont eux même déterminés par les exigences de la production. Ce qui nous pousse à dire que chaque mode de production, et donc chaque forme sociale qu’il engendre, a ses propres maladies.
Les maladies comme (le diabète, le stress, l’hypertension, etc.) sont des facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer. En effet, l’Alzheimer apparaitrait suite à l’effet combiné de ces maladies, qui en franchissant un certain seuil, empêchent les mécanismes de réparation et d’auto-guérison du cerveau de fonctionner normalement.
Le capitalisme est responsable de toute ces maladies, c’est lui qui pollue, qui nous nourrit, qui augmente la cadence du travail et qui nous stresse : « Messieurs les Conseillers médicaux peuvent toujours rechercher au microscope le germe mortel dans les intestins des intoxiqués et isoler leurs " cultures pures " : le véritable bacille, celui qui a causé la mort des pensionnaires de l'asile berlinois, c'est l'ordre social capitaliste à l'état pur. »[12]
Nous vivons dans une société (mondiale) où tous les comportements et les marchandises tel que : la malbouffe, les logements pleins de produits toxiques (il suffit de penser à l’amiante), la pollution (l’air devient de plus en plus toxique), le dérèglement climatique…, sont déterminés par les nécessités de la production capitaliste. Une société stressée, un stress qui est généré par le travail salarié et une exploitation de plus en plus féroce des travailleurs.
Même la bourgeoisie est consciente de ce danger mais elle reste impuissante et elle essaye juste de limiter les dégâts. Elle ne peut pas faire de la prévention car faire de la prévention c’est se projeter dans le futur, or la société capitaliste est une société immédiatiste c'est-à-dire qu’elle n’a pas de programme et ne peut donc dominer son futur : « Dans la société bourgeoise, le passé domine donc le présent »[13]. Si le présent est dominé par le passé alors le futur est dominé par le présent.
La société bourgeoise agit en fonction des événements, elle n’est plus maîtresse de sa destinée, ce sont les lois du capitalisme qui dictent la voie à prendre. Vous allez nous dire que le capitalisme n’est pas une personne, certes, mais « Le capital n'est donc pas une puissance personnelle; c'est une puissance sociale »[14].
Alors qu’un disciple disait à Jésus : « Maître je te suivrai partout où tu iras, permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père » et Jésus de lui répondre : « Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts ». Cela veut dire beaucoup de choses. Ça veut dire qu’une société qui n’a pas de perspectives, qui ne peut se projeter dans le futur est une société morte. A l’époque, Jésus représentait la préfiguration de la société future et la société d’alors, qui représentait le présent, était déjà mourante.
De plus, pour la bourgeoisie l’homme n’est qu’une machine, elle a un mépris envers les prolétaires et la nature, cette idée est exprimée par Hobbes : « qu’est ce que le cœur, sinon un ressort, les nerfs, sinon autant de cordons, les articulations, sinon autant de roues ? »[15]. On voit bien le mépris qu’a Hobbes de l’homme. Ce Hobbes qui nous disait que l’homme est un loup pour l’homme.
Partant de cette idée, que l’homme est une machine, et en absence de toute perspective et de toute prévention, la médecine se contente de réparer les malades pour les exploiter par la suite. Tout comme le mécanicien qui répare les voitures en changeant des pièces pour qu’elle soit réutilisable par son propriétaire ; la médecine est réduite à la seule tâche de la maintenance pour que les travailleurs puissent être exploités à nouveau par leur propriétaire (patron).
Cela ne veut pas dire que la médecine n’est pas capable de faire de la prévention mais qu’elle ne peut pas car ce sont les exigences du capital qui déterminent le cheminement à suivre. Le développement de l'industrialisation est le seul facteur qui explique le développement de la santé publique : d'une part pour de simples critères de productivité des ouvriers, d'autre part par la pression des travailleurs.
Ceci prouve autre chose, que la science dans une société divisée en classes sociales est une science de la classe dominante (dans le sens qu’elle est orientée au service des intérêts de la classe qui domine). C’est ce que rappelle, à juste titre, Rosa Luxembourg en réponse au révisionnisme de Bernstein [396] : « Cette doctrine composée des fragments de tous les systèmes possibles sans distinction semble au premier abord complètement libre de préjugés. En effet, Bernstein ne veut pas entendre parler d’une " science de parti " ou, plus précisément, d’une science de classe, pas plus que d’un libéralisme de classe ou d’une morale de classe. Il croit représenter une science abstraite universelle, humaine, un libéralisme abstrait, une morale abstraite. Mais la société véritable se compose de classes ayant des intérêts, des aspirations, des conceptions diamétralement opposées, et une science humaine universelle dans le domaine social, un libéralisme abstrait, une morale abstraite sont pour le moment du ressort de la fantaisie et de la pure utopie. Ce que Bernstein prend pour sa science, sa démocratie, sa morale universelle tellement humaine, c’est tout simplement celles de la classe dominante, c’est-à-dire la science, la démocratie, la morale bourgeoises. »[16]
Prolétaires algériens,
Devant ce malheur qui nous tombe dessus, on va entendre deux voix qui vont essayer de nous consoler, elles vont nous apparaître différentes et opposées mais elles sont, en réalité, les deux faces d’une même médaille.
La première, c’est la voix des amis(es) du peuples, des opportunistes expérimentés, celle des bobos-gauchistes, les champions de l’individualisme tels que : Les trotskistes, maoïstes, staliniens, anarchistes, libertaires, écolos, ou autre Front de gauche. Cette voix nous dira : mangez bio est consommez moins et si on ne fait pas ça, elle nous taxerait de cons. Leur raisonnement absurde les a poussés à lancer un mot d’ordre réactionnaire et petit bourgeois : « Solution locale pour un désordre global», en gros : on s’occupe de notre petite vie et notre propre gueule et au diable le reste de l’humanité.
La deuxième, c’est celle du grand capital qui nous dira : ne vous inquiétez pas, faites confiance à la science, elle trouvera les solutions. Mais nous avons vu avec Rosa Luxembourg, qu’il n’y a pas de science universelle, que la science est une science au service des intérêts de classe dominante, et qu’elle répond aux impératifs de la production et à la logique du profit, en gros elle est au service du capital.
Cette deuxième voix va encore essayer de nous tromper en nous faisant miroiter que, grâce au progrès de la science et du capitalisme, la durée de vie des Algériens est passée de 50 ans en 1962 à presque 73 ans en 2010.
Pour répondre à ce mensonge longtemps véhiculé par la bourgeoisie, on aimerait laisser parler un chrétien qui a su déchiffrer les textes bibliques, au lieu de les prendre à la lettre comme le fait le religieux ordinaire ou les rejeter comme le fait le libre-penseur bourgeois ordinaire, voici ce qu’il dit :
« Il est encore une chose communément admise dans cette fin des siècles, c’est cet immense mensonge de plus de la part des scientifiques qui affirment avoir augmenté la durée de vie de l’homme de plus de trente ans ! De quarante ans, disent-ils, qui était sa durée de vie autrefois, nous l’avons portée à soixante-quinze ans aujourd’hui ! A la suite de quoi, vous dites : les scientifiques sont des dieux ayant le pouvoir de rallonger la vie des créatures ! Soutenons-les dans leurs recherches qui aboutiront à la vie éternelle.
Leur affirmation est une vanité et une confusion de plus car, dans les temps antiques, la durée de vie des hommes était égale à celle d’aujourd’hui. Moïse en témoigne dans le quatre-vingt-dixième psaume, lorsqu’il prie le Père de tourner ses regards sur eux. Il dit :
Tous nos jours disparaissent par ton courroux ;
Nous voyons nos années s’évanouir comme un son.
Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans,
Et, pour les plus robustes, à quatre-vingts ans ;
Et l’orgueil qu’ils en tirent n’est que peine et misère,
Car il passe vite, et nous nous envolons.
Puisque Moïse mentionne clairement que la durée de vie des hommes était autrefois de soixante-quinze ans en moyenne, et non de quarante ans, comment alors les scientifiques de ce jour osent-ils prétendre l’avoir portée à soixante-quinze ans ? Encore un peu, et ils affirmeraient sur les toits que les êtres sont les ouvrages de leurs mains !
Sachez également qu’avant Moïse les hommes déterminaient leur âge en années lunaires. A chaque nouvelle lune, ils ajoutaient une année au nombre de leurs années. Il suffit alors de diviser, disons, par treize (les treize mois lunaires) pour comprendre qu’Adam qui vécut neuf cent trente ans selon l’Écriture, vécut un peu plus de soixante et onze de nos années actuelles. Seth vécut neuf cent douze ans, soit : soixante-dix ans. Enosch vécut neuf cent cinq ans, soit : soixante-neuf ans et six mois. Et ainsi de suite pour tous les âges donnés en années lunaires. »[17]
On voit bien que non seulement le capitalisme n’a rien apporté à l’humanité en terme d’espérance de vie mais au-delà de ce mensonge que nous voyons s’effriter devant nos yeux, nous sommes en droit d’affirmer que ce système prive même ceux qui pourraient être en bonne santé de la possibilité de l’être, et les fins de vies arrivées comme l’aboutissement de la vitalité humaine et du passage de la vie vers la mort devient un exercice d’horreur et de souffrance et pour les mourants et pour leurs familles.
La citation qui va suivre est peut-être longue pour le lecteur, mais on n’a pas pu résister au désir de la citer en entier car elle nous parait résumer et projeter une lumière fulgurante sur l’état du monde dont lequel le capitalisme l’a mis « Oui, il se peut que vous y parveniez si les mensonges et les calamités du monde qui en sont les conséquences ne vous échappent pas :
Les intelligents règnent certes, mais les nations brûlent !
Les hommes s’entassent comme des sauterelles dans les villes et se corrompent ;
La violence progresse ;
Les pays se couvrent d’armes diaboliques et de militaires avides de sang ;
Les menaces s’accroissent, les guerres se multiplient ;
Les villes rongent les parties voisines en se développant comme des tumeurs ;
Des sites sont défigurés, d’autres contaminés ou interdits ;
Et la campagne effraie désormais.
La servitude s’intensifie ;
Les faibles sont méprisés, opprimés ou rejetés ;
Les pauvres sont délaissés, et les enfants manipulés ;
Les vieillards sont abandonnés ;
Des peuples entiers souffrent de famine.
Les espèces sont dénaturées par ceux qui ne font aucun cas de la création ;
Tout ce qui est naturel disparaît ou devient abominable aux yeux de tous.
La mer est pillée ;
La surface de la Terre est souillée et meurtrie, ses entrailles sont bouleversées ;
Les forêts disparaissent ;
Les cours d’eau se putréfient ;
L’eau potable diminue ;
Les machines de fer jettent les hommes et le bétail par-dessus bord, quand elles ne Les écrasent et les tuent ;
Les maladies prolifèrent, s’aggravent et augmentent leur étendue ;
Les espèces animales se raréfient, beaucoup ne sont plus que des souvenirs ;
L’ordre de la nature est gravement ébranlé.
Les valeurs de l’existence sont foulées au pied ;
La foi et l’espérance se sont envolées ;
La sagesse et le bon sens n’existent plus ;
Les jeunes gens se désespèrent, un grand nombre se donne la mort.
Et vous ne seriez pas en mesure de remettre en cause vos propres convictions ?
Ô ! Homme, où est ta gloire ? »[18].
Malgré son appartenance à la religion chrétienne, il n’en demeure pas moins que les faits et la description qu’il donne de notre monde colle comme un masque sur la réalité. C’est pour cette raison que nous sommes passés outre sa doctrine. La conclusion de cette citation envoie l’homme à un retour vers la gloire à travers la foi, mais vous le savez comme nous, chers prolétaires, que c’est ici bas, sur terre, que réside le combat de l’homme.
Prolétaires algériens,
Face à ce mensonge exprimé par les voix précédentes, il existe une autre voix, c’est la voix de la Gauche communiste, la voix du marxisme authentique, celle du marxisme révolutionnaire. La gauche communiste est anti-réformiste, antirévisionniste, antistalinienne et anti-trotskiste. Cette voix nous dit ceci : « Solution globale (qui est le communisme) contre le désordre global (qui est le capitalisme) ».
Dans la société communiste, « c'est le présent qui domine le passé. »[19] Et donc le futur va dominer le présent. La production sera orientée en fonction des besoins de l’humanité et non en fonction des besoins du capital et elle sera respectueuse de la nature et donc de l’homme : « Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d'elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s'attendre à jeter par là les bases de l'actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d'accumulation et de conservation de l'humidité. Les Italiens qui, sur le versant sud des Alpes, saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de soins sur le versant nord, n'avaient pas idée qu'ils sapaient par là l'élevage de haute montagne sur leur territoire; ils soupçonnaient moins encore que, ce faisant, ils privaient d'eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l'année et que celles ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d'autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu'avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofule. Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu'un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l'avantage que nous avons sur l'ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.»[20]
Les vêtements et les produits cosmétiques, par exemple, seront fabriqués en respectant les fonctions biologiques du corps comme la transpiration, de même pour la nourriture, les pesticides seront bannis. Le stress au travail sera éliminé car le travail ne sera plus une exigence du capital mais comme disait Marx « il sera le premier loisir de l’homme ». La diminution drastique du temps de travail permettra à chacun de consacrer du temps à la lecture et à d’autres loisirs tels que la pêche, la musique, le sport, les études, l’art,… Cela permettra la fin de la division sociale du travail qui était, à un moment de l’histoire, un moteur de développement mais qui, aujourd’hui, représente un frein pour l’humanité. Cela permettra aussi la fin de la spécialisation : il n y aura plus de maçon, de médecin, d’artiste, de prof… mais chacun d’entre nous pourra être tout ça à la fois. Dans la société communiste « la production sociale, dans laquelle production et répartition sont planifiées peut élever les hommes au dessus du reste du monde anima; au point de vue social de la même façon que la production en général les a élevés en tant qu'espèce. »[21]
Mais cette transformation communiste de la société ne peut se faire sans une révolution qui va permettre le renversement du capitalisme au niveau mondial.
La classe ouvrière, avec son parti politique de classe, est la seule classe capable de mener à bien la révolution communiste. La lutte révolutionnaire conduit nécessairement la classe ouvrière à une confrontation avec l’État capitaliste. Pour détruire le capitalisme, la classe ouvrière devra renverser tous les États et établir la dictature du prolétariat à l’échelle mondiale : le pouvoir international des conseils ouvriers, regroupant l’ensemble du prolétariat.
La transformation communiste de la société par les conseils ouvriers ne signifie ni «autogestion», ni «nationalisation» de l’économie. Le communisme nécessite l’abolition consciente par la classe ouvrière des rapports sociaux capitalistes : le travail salarié, la production de marchandises, les frontières nationales. Il exige la création d’une communauté mondiale dont toute l’activité est orientée vers la pleine satisfaction des besoins humains.
Le cancer est pour le corps ce que le capitalisme est pour la société.
Parce qu’en étant sortis de la nature, nous nous sommes dénaturés forcément.
Des camarades algériens (Lecteurs de RI[22])
[1] Notamment l’idée sous-jacente qui traverse la contribution selon laquelle l’espérance de vie n’aurait en rien progressé depuis l’époque de Moise. Cette vision schématique nous parait totalement erronée, réductrice et meme caricaturale, paraissant rejeter en bloc les progres de la médecine, y compris dans le capitalisme qui sont précisément, surtout aux 19e et 20e siécles réels et vérifiables.
[2] Organisation Mondiale de la Santé
[3] Hérodote né vers 484 avant notre ère [397] à Halicarnasse [398] en Carie [399] (actuellement Bodrum [400] en Turquie [401]), mort vers 420 av. J.-C. [402] à Thourioi [403], est un historien [404] grec [405]. Dans son quatrième livre, Hérodote énumère tous les peuples qui, selon lui, vivaient en Afrique du Nord et dans le Sahara.
[4] Les Berbères (Imazighen et au singulier Amazigh), sont un ensemble d'ethnies [406] autochtones d'Afrique du Nord [407]. Ils occupaient, à une certaine époque, un large territoire qui allait de l'ouest de la vallée du Nil [408] jusqu'à l'océan Atlantique [409], Les îles Canaries et l'ensemble du Sahara et y fondèrent de puissants royaumes, formés de tribus confédérées. Connus dans l'Antiquité [410] sous les noms de Libyens [411], Maures [412], Gétules [413], Garamantes [414] ou encore Numides [415]. . « Tout le pays qui s'étend depuis l'Egypte jusqu'au lac Tritonis est habité par des Libyens nomades […] Les peuples à l'occident du lac Tritonis ne sont point nomades. » Hérodote, IV, 186-187.
[5] Kaddache (Mahfoud), L’Algérie des Algériens, de la préhistoire à 1954, page 20.
[6] Oxford Business Group
[7] En épidémiologie [416], la prévalence est une mesure de l'état de santé d'une population à un instant donné.
[8] Dans les années 1960, l'armée française [417] réalisa les premiers essais nucléaires [418] au Centre Saharien d'Expérimentations Militaires (CSEM), situé dans la région de Reggane en Algérie
[9] Reggane est une commune [419] de la wilaya d'Adrar [420], située au nord du désert [421] du Tanezrouft [422].
[10] Rosa Luxemburg, Dans l'asile de nuit, 1er janvier 1912
[11] Un rayonnement ionisant est un rayonnement [423] capable de déposer assez d'énergie dans la matière [424] qu'il traverse pour créer une ionisation [425]. Ces rayonnements ionisants, lorsqu'ils sont maîtrisés, ont beaucoup d'usages pratiques bénéfiques (domaines de la santé [426], industrie [427]…) Mais pour les organismes vivants, ils sont potentiellement nocifs à la longue et mortels en cas de dose élevée.
[13] Marx/Engels Le Manifeste du parti communiste, 1848
[14] Marx/Engels , Ibid.
[15] Hobbes, Le Léviathan
[16] Rosa Luxembourg, Réforme sociale ou révolution, 2e partie, chapitre « L’effondrement [428] », 1898
[17] Le Livre de Vie de l'Agneau, Depuis le 15 décembre 2000, la version originale de cet ouvrage se trouve sur le site : www.lelivredevie.com [429]
[18] Ibid.
[19] Marx/Engels, Manifeste du parti communiste.
[20] Engels, « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme », in La dialectique de la nature 1876.
[21] Engels, Ibid .
[22] Révolution internationale (organe de presse du Courant Communiste International en France)
La grève des pilotes d'Air France du mois de septembre a fait les gros titres de la presse et chacun y est allé de sa traditionnelle tirade fustigeant la "grève des privilégiés", la "prise en otage des usagers", le "sabotage d'une compagnie qui sortait du rouge". Bref, rien de moins que le traditionnel bruit de fond des médias totalement aux ordres du Capital. Mais au-delà, quelles leçons peut-on retenir de ce conflit ? Pourquoi tant de publicité ?
Cette grève des pilotes, très suivie, a cloué au sol plus de la moitié de la flotte pendant 14 jours. Elle a impliqué une majorité de pilotes qui refusaient l'orientation donnée à Transavia, filiale d'Air France depuis 2007, fournissant surtout des vols charters ponctuels ou saisonniers, désormais appelée à se transformer en véritable compagnie low cost, capable de concurrencer les géants EasyJet et Ryanair.
De fait, Transavia Europe et France sont amenées à récupérer une partie croissante de l'activité d'Air France, avec délocalisation de l'emploi vers ces filiales aux conditions de travail et de rémunération nettement plus dégradées. Les personnels navigants (pilotes et hôtesses) de Transavia France sont déjà payés environ 20% de moins que ceux de la maison mère pour voler un nombre d'heures supérieur. La direction mise donc sur le développement du low cost pour employer des pilotes sous droit portugais, polonais ou autre, afin de réduire encore davantage les coûts du personnel.
Face à cette nouvelle attaque, les grévistes réclamaient la création d'un " contrat de pilote unique" pour que tous les pilotes du groupe travaillent aux conditions d'Air France, quelle que soit l'enseigne. La direction, évidemment, ne l'a pas entendu de cette oreille. Il n'y a pas trente-six solutions pour faire du low cost : pour une compagnie comme Ryanair, la masse salariale représente 13% des coûts contre 30% à Air France !
Pendant 14 jours, tout a été entendu de part et d'autres, donnant rapidement l'impression d'une confrontation très dure et sans issue. La réalité, c'est qu'un véritable partage du travail entre tous les acteurs officiels de la grève (direction et gouvernement) a fait pourrir la situation afin de torpiller la riposte légitime des pilotes. Chacun des protagonistes institutionnels s'est ainsi dressé pour contrer la colère des grévistes en multipliant les déclarations assassines. Celles bien sûr des médias classiquement défavorables à la grève, s'opposant au SNPL (Syndicat National des Pilotes de Ligne) majoritaire chez les pilotes, syndicat qui a joué la carte du faux radicalisme, du repli sur soi en affichant une détermination de façade. Beaucoup plus directement et frontalement face à ce SNPL, présenté comme "intransigeant", "jusqu'au-boutiste", la direction de la compagnie y est allée de son couplet sur le "désastre" d'une grève qui allait coûter les yeux de la tête et plomber à nouveau Air France ! Tout cela, appuyé encore par le gouvernement socialiste qui, semblant jouer le rôle d'un arbitre ferme, sommait les grévistes d'arrêter une grève "injustifiée". A leur tour, les autres syndicats de l'entreprise, généralement anti-grève (comme la CFDT) sont venus prêter main forte pour démoraliser et enterrer ainsi la combativité des pilotes. Tous ont été "solidaires" pour stigmatiser et isoler définitivement les pilotes, les dénoncer, cristalliser contre eux le mécontentement soigneusement attisé et entretenu, dénaturer complètement le sens de leur lutte. Un formidable isolement où les pilotes ont été présentés comme des "enfants gâtés" (sic) qui ne pensent qu'à leurs "privilèges", leurs "salaires de nababs" et avec lesquels aucune solidarité ne serait possible, ni même acceptable, aux dires de ces mêmes syndicats ! Pourtant, d'autres salariés d'Air France se sont posés la question de rejoindre le mouvement comme le personnel d'escale, par exemple. Mais pas question ! Les syndicats n'ont même pas joué l'illusion de l' "unité" ou exprimé une solidarité concrète aux grévistes comme ils savent si bien le faire pour mieux encadrer et isoler les luttes afin de les défaire : au contraire, c'était la CFDT ou la CGC qui jugeaient la grève "indécente" et accusaient les pilotes de "mettre en danger l'ensemble du personnel d'Air France". La CGT, premier syndicat d'Air France, elle, "ne condamne pas ce mouvement de grève sans pour autant soutenir le contenu ultracorporatiste de ses revendications". Plus hypocrite, tu meurs !
Les syndicats, champions toutes catégories du corporatisme et de la "spécificité catégorielle" dans les luttes, devenaient pour l'occasion les pourfendeurs de cet "ultra corporatisme" ! Pour renforcer la lutte ? L'étendre ? Pour crier "tous ensemble, tous ensemble" dans un vrai mouvement solidaire ? Pas du tout ! Pour mieux la diviser et l'enfermer…
Rien à voir donc avec une quelconque extension de la lutte ou la défense des intérêts ouvriers ! Unité, certes, mais contre la grève ! Les pilotes étant purement et simplement dénoncés comme de purs "égoïstes", aux conditions de travail et de salaires presque "honteuses" alors que des milliers d'ouvriers subissent la crise, eux ! Les pilotes ont été carrément dénoncés comme des "saboteurs de l'économie nationale" qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et ne sont en rien "solidaires" pour défendre l'économie de la nation. Et derrière toutes les déclarations gouvernementales et syndicales, on avait l'impression que les slogans staliniens des années 1930 étaient pratiquement remis à l'honneur : "La grève est l'arme des trusts", "il faut savoir arrêter une grève" !
Ce poison du nationalisme a été distillé du début jusqu'à la fin pour en faire la question centrale de la lutte : lutter oui… mais pour défendre l'économie nationale avant tout ! En clair, les pilotes devraient participer à "l'effort de la nation" comme tout le monde, eux encore plus que les autres vu leur niveau de salaires et leurs avantages… La seule solidarité possible serait celle qui s'applique à cet effort, celui du sacrifice ! Sans ce souci patriote, la lutte serait à rejeter ! Voilà, le vrai message.
Face à cette immonde propagande, le SNPL en a rajouté une couche, répliquant qu'au contraire, la revendication du "contrat unique" était la véritable défense de l'emploi "en France", la défense d'un low cost "made in France". Et le SNPL d'appeler ainsi les pilotes à revêtir la "marinière" nationale chère à l'ex-ministre Montebourg en gage de leur souci patriote. Bref, défense de l'intérêt national, maintenant et partout ! Le message s'adressait bien évidemment aux pilotes qui "plombaient" les comptes d'Air France de 20 millions d'euros par jour et "plombaient l'image de la France" face aux usagers étrangers, mais il s'adressait de manière encore plus sournoise à tous les ouvriers, employés, cadres, agents de l'Etat qui sont et seront amenés à réagir face aux attaques qui vont pleuvoir : la défense de vos conditions de vie, de travail, la défense de vos salaires… est "indécente" quand des millions de personnes sont dans une situation encore plus précaire et misérable que la votre ! Voilà encore le second message fort : la véritable solidarité avec les "autres couches sociales" c'est dans la contribution à l'effort national, dans la limitation des revendications catégorielles, qui ne doivent surtout pas entraver une exploitation accrue et jugée absolument nécessaire.
Et les pilotes dans tout cela ? Au-delà de tout ce qu'on a pu leur faire dire et essayé de leur faire croire, ils n'ont fait que réagir à une attaque qui concerne l'ENSEMBLE du personnel d'Air France, l'ENSEMBLE de la classe ouvrière, attaque qui n'est qu'une concrétisation supplémentaire des attaques plus générales sur les salaires et les conditions de travail en France comme partout dans le monde capitaliste. Sur son blog, un pilote témoigne : "Nous ne nous battons pas pour nous, surtout les vieux qui comme moi sont sur long courrier… Ce qui est sur la table n'est que la première étape d'un processus bien orchestré : la création d'une compagnie pan-européenne de droit portugais (très proche de l'irlandais) afin de délocaliser pour commencer les emplois les plus facilement délocalisables : les pilotes (…). Ensuite, ce sera le personnel de cabine (…). Ensuite, qu'est ce qui se passe ? Restent les non-délocalisables : le personnel au sol (…). Ils n'ont plus de boulot, puisque les escales de base sont maintenant nombreuses à l'étranger, bien installées en Tchéquie, Portugal, Grèce et, si ceux-ci deviennent trop chers, en Bulgarie, Roumanie (…) C'est cela que nous combattons, cet avenir, pour les jeunes pilotes, les enfants, les vôtres peut-être, qui souhaiteraient exercer ces métiers (…) Ceux qui ne comprennent pas cela aujourd'hui, ou ne veulent croire qu'à la propagande de nos élites dirigeantes devront s'en souvenir quand leur tour et celui de leurs enfants sera venu."
Tout le battage contre la grève s'est bien sûr cristallisé sur les salaires des pilotes ou commandants de bord grévistes. Il est évident que ces salaires ne sont pas du même ordre que le salaire minimum ou les salaires standards d'une majorité de salariés. Et les pilotes ne l'ont jamais nié. L'État, les syndicats, la presse ont eu beau jeu de s'appuyer sur les montants de ces salaires pour dénoncer les "nantis" face aux "vrais ouvriers" qui, eux, pourraient seuls avoir de véritables revendications. Tous ont bien fait passer le message que les pilotes ne sont pas des ouvriers ou employés, qu'ils n'appartiennent pas à la classe ouvrière.
A ce petit jeu du diviser pour mieux régner, la bourgeoisie sait faire depuis toujours. Pourtant, les pilotes n'ont que leur force de travail, comme la majorité des salariés et des chômeurs. Certes, cette force de travail est bien rémunérée jusque-là, avec des responsabilités et des contraintes que l'État sait leur faire payer, en cas de catastrophe aérienne, par exemple. Il en est de même d'une majorité d'ingénieurs et de "cols blancs" qui pendant longtemps ont été considérés comme privilégiés et qui maintenant commencent généralement leur carrière avec un emploi précaire et un salaire minimum.
Cette affirmation que les pilotes ne font pas partie de la classe ouvrière (comme c'est aussi le cas pour d'autres "cols blancs") est peut-être l'attaque la plus grave, la plus profonde, car elle sabote la notion d'identité ouvrière qui est essentielle pour la lutte, pour le combat prolétarien. La faiblesse de cette identité de classe aujourd'hui ne permet pas aux luttes prolétariennes, partout dans le monde, de se porter au niveau nécessaire pour déboucher sur la remise en cause du capitalisme et de sa barbarie. Cette faiblesse, malgré le développement des expériences, la réflexion bien réelle qui se mène dans les rangs ouvriers, ne permet pas encore d'envisager la transformation radicale de la société pour la satisfaction des besoins humains. Aujourd'hui, la bourgeoisie en ajoute une couche dans la division, dans la confusion ; poussant tous les ouvriers à s'opposer entre eux, à se méfier les uns des autres, à se considérer comme de simples "catégories socio-professionnelles" aux intérêts divergents, non comme des frères de classe dont l'intérêt est commun.
Le prolétariat a besoin de prendre conscience de lui-même, d'avoir conscience d'être une force sociale qui permet la lutte révolutionnaire et qui sait faire preuve de solidarité, d'unité face aux exploiteurs. Ceci est rendu très difficile depuis plus de deux décennies, la confiance ayant été attaquée en permanence, la bourgeoisie nous rabâchant que le communisme, que la classe ouvrière, étaient morts et enterrés sous les gravats du mur de Berlin ! La chanson dure encore et toute occasion est bonne pour affirmer une prétendue "disparition des ouvriers", pour profiter du manque de perspective autre que celui de la défense de l'État face à la crise.
Officiellement, Transavia Europe n'existe plus, la direction aurait reculé. Mais tout ceci est faux : Transavia France continue et officieusement, Transavia Company est une nouvelle entité économique low cost qu'Air France a enregistré au Portugal en plein milieu de la grève elle-même !
Le message, là-encore, est clair : la lutte ne paie pas, tout ça pour ça ? Sur un plan immédiat, la bourgeoisie a gagné.
Ce conflit va laisser des traces durables sur les relations entre les pilotes et les autres catégories de personnel alors que les nouvelles attaques vont tomber. Mais il n'y aura pas d'autre choix que de réagir, de tirer les véritables leçons de cette lutte pour repartir au combat et dépasser les divisions.
Stopio (13 octobre 2014)
Nous publions, suite à un premier courrier disponible sur le site du CCI,[1] la réponse des "camarades algériens" à notre principale critique qui portait sur la question du nationalisme. Nous saluons cette nouvelle contribution qui prend en compte les arguments avancés pour faire vivre et progresser le débat. Nous pensons que la confrontation des idées au sein du milieu révolutionnaire doit s'établir ainsi, sur des bases franches et directes, sans défense, ni attaque des personnes, afin de permettre une réelle clarification. Cette manière de débattre est vitale et constitue une des dimensions essentielles du combat pour la lutte de classe et le futur révolutionnaire.[2] La démarche des camarades dans cette nouvelle contribution est fructueuse parce qu'elle s'inscrit dans cette tradition en faisant référence à l'expérience du mouvement ouvrier et à l'histoire. Le regard critique qu'ils portent en revenant sans concession sur ce qu'ils reconnaissent comme une erreur de leur part nous conduit à la racine du problème. Comme le reconnaissent les camarades : "Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat". Ni les organisations communistes, ni les révolutionnaires ne sont, selon les termes des camarades, "étanches aux influences de notre société". L'organisation révolutionnaire est un corps étranger au sein du capitalisme, en guerre contre celui-ci. Elle subit de manière constante les pressions et les agressions de l'idéologie dominante.
En tentant d'approfondir la question, les camarades soulignent justement ceci : "nous avons réfléchi profondément à cette question et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires". Le nationalisme a, en effet, toujours été une idéologie étrangère très puissante et aucune organisation, ni aucun militant ne sont immunisés. Mais nous pensons que les camarades, entraînés par la dynamique de leur pertinente réactivité, adoptent une démarche un peu schématique lorsqu'ils affirment ceci : "Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays". Les camarades paraissent un peu prisonniers d'une vision statique et trop catégorique. Si bien des faiblesses ont présidé à l'émergence des trois Internationales ouvrières qui se sont succédées, ces dernières étaient avant tout et dès le départ le produit d'un effort et d'un combat internationaliste du prolétariat. Le fait qu'on puisse considérer que les Internationales n'étaient "pas aussi internationalistes que ça" risque, si on n'y prend pas garde, d'occulter la réalité historique de tout un combat en faveur de l'internationalisme. Le danger serait de rejeter certains apports du passé en projetant sur celui-ci le fruit de ce qui est davantage l'aboutissement d'un processus fait d'expériences organisationnelles que la Gauche communiste, en particulier la Gauche italienne, synthétisa plus tard. Ceci étant, les camarades ont tout à fait raison de souligner la réalité des faiblesses importantes qui pesaient sur les organisations du passé et leurs "partis nationaux" qui "n'étaient pas des sections des Internationales mais indépendants les uns des autres". Mais cela ne doit pas occulter la réalité d'un combat constant en faveur de l'internationalisme, même s'il a surtout été incarné par les minorités les plus claires et les plus déterminées qui se sont élevées contre le poison idéologique du nationalisme.[3] Tout ceci reste naturellement à approfondir. Mais le souci des camarades soulignant que "les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial" est aujourd'hui profondément valable.
La seconde partie de cette contribution revient de façon critique sur la question de la médecine qui avait été abordée pour insister sur le fait que le capitalisme traite les ouvriers comme des objets, comme de simples machines à produire et qu'il faut "réparer". Les camarades ont raison de dire : "Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre". Pour autant, il nous semble réducteur, et même erroné, de considérer que le capitalisme décadent cesse complètement de poursuivre ses avancées scientifiques, y compris sur le plan médical. Les camarades se sont expliqués en soulignant qu'ils avaient "trop exagéré". Nous comprenons ainsi mieux ce qu'ils veulent dire quand ils affirment que "les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine", bien loin de l'approche du célèbre Hippocrate. Les progrès réalisés aujourd'hui témoignent de tout un potentiel et il nous semble peut être plus juste de le considérer comme stérilisé par les limites du mode de production capitaliste. Soumises à la loi du profit, toutes les découvertes les plus impressionnantes sont nécessairement insuffisantes pour guérir les maux toujours croissants et insoutenables générés par la société bourgeoise. Sur ce plan, les camarades ont parfaitement raison. Seul le communisme pourra faire fructifier les connaissances en permettant à la société de réaliser un bond fantastique. C'est ce que suggèrent aussi les camarades avec leurs propres mots de conclusion que nous soutenons aussi. Nous encourageons bien entendu à poursuivre la réflexion et le débat sur ces questions qui touchent à la vie du prolétariat.
RI (décembre 2014)
Chers(es) camarades,
Tout d'abord, nous tenons à remercier les camarades du CCI d'avoir publié notre texte. Nous sommes aussi ravis des remarques et critiques qui nous ont été faites et que nous considérons comme importantes.
La première, la plus importante, celle concernant notre appel aux prolétaires algériens seulement. Ici la critique du CCI est capitale, mais notre geste s'explique facilement.
Paradoxalement, nous sommes profondément internationalistes et internationaux mais comme disait Marx/Engels, nous sommes les produits de notre temps et de notre espace. Malgré notre internationalisme intransigeant, on n'est pas étanche aux influences de notre société, comme disait Hegel : "tu ne peux pas être mieux que ton temps, mais au mieux, tu seras ton temps".
Individuellement, nous ne pouvons échapper à cette loi, le seul moyen d'y échapper c'est une organisation ou un parti. La preuve, nous avons commis une bêtise et on a été vite corrigé par une organisation. Chose qu'un individu peut ne pas remarquer. Nous profitons pour souligner que notre soucis, c'est le prolétariat mondial, et qu'il y a un prolétariat et il est mondial.
Nous sommes en Algérie, et le nationalisme algérien est l'un des plus puissants. On le retrouve partout, dans toutes les organisations politiques : chez les trotskistes, chez les staliniens, chez les islamistes, chez les démocrates, chez les maoïstes et surtout au sein de l'Etat, à la radio, à la télé, …etc. Le nationalisme est notre ennemi car il constitue une arme de division très puissante et un poison pour le prolétariat. Les trotskistes algériens (PT et PST) sont des fervents défenseurs du patriotisme économique, on vous laisse imaginer la conception des staliniens algériens. Comme nous sommes un petit groupe, même pas organisé, on tombe facilement dans les limites fixées par le capitalisme. Mais grâce à votre critique, nous avons réfléchi profondément à cette question, et nous considérons que le même problème a infecté les plus grands des révolutionnaires.
Nous avons cherché le fonctionnement des trois Internationales, et nous considérons qu'elles n'étaient pas aussi internationalistes que ça. Nous avons remarqué que les trois Internationales ne formaient pas un tout, mais un rassemblement de partis qui étaient indépendants les uns des autres et chaque parti représentait le prolétariat de son pays.
Inconsciemment, les communistes d'alors, même s'ils étaient profondément internationalistes, se sont organisés de manière nationale dans une Internationale. Les partis communistes ou socialistes de cette époque-là étaient des partis nationaux, des partis de telle ou telle nation et ils avaient une liberté vis-à-vis de l'Internationale et surtout, ils n'étaient pas des sections des Internationales mais des partis indépendants les uns des autres.
Seule la Gauche communiste d'Italie avait essayé de corriger ça en se donnant le nom du "Parti Communiste d'Italie" pour signifier que c'est une section locale de la 3ème Internationale, que les staliniens "Gramsci en tête" ont vite changé le nom en "parti communiste italien".
Nous pensons qu'à l'avenir, les communistes doivent s'organiser directement en parti communiste mondial et non en une Internationale, et que dans chaque pays, il y aura, non pas des partis indépendants les uns des autres mais, des sections locales du parti communiste mondial.
Donc, nous renouvelons cette phrase ; "prolétaires de tous les pays, unissez-vous".
Il est vrai que nous avons trop exagéré, peut-être parce que nous sommes algériens ou méditerranéens, en disant que la médecine n'a rien apporté à l'humanité avec l'avènement du capitalisme. Mais ce que nous voulons démontrer à travers les citations, et même la démographie le dit, c'est que, lorsqu'on dit que l'espérance de vie au Moyen-Age était de 40 ans, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des personnes qui vivaient jusqu'à 80 ans et plus, car l'espérance de vie est une moyenne qui va de la naissance, âge 0, jusqu'à la mort.
Nous voulons aussi montrer comment la bourgeoisie se ridiculise en se comparant au Moyen-Age, à l'Antiquité et aux hommes primitifs, alors qu'elle prétend que, grâce à elle, l'humanité a atteint le summum du progrès. Franchement elle ne se ridiculise pas ?
Pourquoi nous avons dit que la médecine n'a rien apporté pour l'humanité ?
Nous sommes convaincus que chaque mode de production engendre des maladies qui lui sont propres et qui sont liées à l'organisation même de la société qu'il engendre.
La médecine d'aujourd'hui a éliminé les maladies des anciens modes de production (les maladies infectieuses, même si certaines maladies reviennent et sévissent encore).
Par contre, concernant les maladies dites de la civilisation que le capitalisme a engendrées, la médecine reste impuissante et les médecins sont réduits à de simples Techniciens Supérieurs en Gestion et Maintenance Humaine.
Il y a 2500 ans, Hippocrate disait dans son article, Des airs, des Eaux et des Lieux : "Le médecin qui fait honneur à sa profession est celui qui tient compte, comme il convient, des saisons de l'année et des maladies qu'elles provoquent ; des états du vent propres à chaque région et de la qualité des eaux ; qui observe soigneusement la ville et ses environs pour voir si l'altitude est faible ou importante, si le climat est chaud ou froid, sec ou humide ; qui, en outre, note le genre de vie et, en particulier, les habitudes alimentaires des habitants, bref toutes les causes qui peuvent entraîner un déséquilibre dans l'économie animale.". Voilà ce que nous appelons médecine. Hippocrate savait que la santé et l'environnement sont liés. Ils forment un tout indissociable. Il y a une interaction entre biologie, écologie, le socio-culturel, les valeurs culturelles, le socio-économique, et le psychologique. Ils forment une chaîne associative complexe.
Mais l'idéologie du progrès dans la société capitaliste a limité la médecine au biologique, aux vaccins pour protéger les populations. On tombe malade puis on nous soigne (s'ils peuvent), le contraire d'Hippocrate. Pour la médecine d'aujourd'hui : "un facteur pathogène, une maladie".
La pensée des médecins d'aujourd'hui est biologique, celle d'Hippocrate est écologique, culturelle, environnementale, socio-culturelle, biologique, psychologique et socio-économique.
La pensée d'Hippocrate a toute son importance aujourd'hui avec l'apparition des maladies dites de civilisation pour ne pas dire les maladies du capitalisme. Mais comme capitalisme et environnement sont incompatibles, alors on est dans le caca.
Aujourd'hui, il y a de plus en plus de maladies qui surgissent et qui touchent une infime partie de la population et qu'on surnomme soit "maladies rares" soit "maladies auto-immunes".
Ces maladies seront les maladies de tout le monde demain. Ce sont des maladies modernes, générées par le capitalisme. Elles vont se généraliser, elles ne seront plus des maladies rares et ce jour-là, le cancer paraîtrait comme un rhume face à ces maladies ou comme un pipi de chat.
C'est en 1992 et face à l'apparition de ces maladies (rares et auto-immunes) et à la progression des maladies dites dégénératives comme le cancer, les dépressions, l'Alzheimer…etc. que l'OMS a recommandé le retour à la conception d'Hippocrate.
Engels avait émis une critique formidable de la ville industrielle, il a su anticiper les dangers de l'urbanisme moderne.
Le désordre et les maladies ont été expliqués par Engels par l'ordre capitaliste. Il a montré les effets néfastes : sur la santé physique (habitat insalubre, distance travail/résidence, fatigue), sur la santé morale (ségrégation, stress, monotonie…), sur la santé sociale (délinquance, violence, vandalisme, alcoolisme…).
Le cadre impersonnel et aride, la laideur, la grande mobilité résidentielle des personnes dans l'habitat insalubre, expliquent la vulnérabilité à la maladie, à la détresse morale et aux troubles psychologiques.
L'aliénation sociale explique la montée des suicides et de la violence contre les personnes.
Les conditions urbaines (manque d'espace, trop de travail, de bruit…) expliquent le stress qui surmène l'organisme et suscite des effets psychologiques qui peuvent engendrer : des ulcères d'estomac, des dépressions, des cancers, des maladies rares et des maladies auto-immunes, etc.
Enfin, dans la ville, il n'y pas de vie socio-affective, les gens sont atomisés, le cadre de vie est impersonnel et aride. L'enfant est à l'école ou à la crèche, l'adulte produit et le vieillard attend la mort dans une maison de retraite.
Seul une société communiste, débarrassée de la logique du profit, peut appliquer les principes d'Hippocrate en les combinant aux avancées de la médecine d'aujourd'hui grâce à la biologie.
Car Capitalisme = Pollution "Des Airs, des Eaux et des Lieux" = Maladies.
Salutations révolutionnaires. Amicalement,
Les camarades algériens, lecteurs de Révolution Internationale (RI)
[2] Lire notre article : ‘La culture du débat : une arme de la lutte de classe [189]’, Revue internationale n° 131.
[3] Lire l'article : ‘La nature de classe de la social-démocratie [431]’, Revue internationale n° 50.
Le 26 septembre dernier, dans l'État de Guerrero au Mexique, situé à environ 400 km au sud de Mexico, des étudiants de l'École Normale d'Ayotzinapa se sont rendus à Iguala, ville distante de 250 km, pour préparer avec d'autres une manifestation devant avoir lieu la semaine suivante, le 2 octobre, en mémoire du massacre des étudiants en 1968 sur la place des Trois-Cultures de la capitale (Tlatelolco). Cette commémoration se déroulait en parallèle à la mobilisation massive et spontanée des étudiants de l'École Polytechnique qui protestent actuellement contre une réforme du système éducatif qui, entre autres attaques, va les léser particulièrement en rabaissant leur future qualification professionnelle, et donc aussi leur futur salaire, en les faisant passer du statut d'ingénieur à celui de technicien.
Au retour, pour ne pas payer leur déplacement, les jeunes d'Ayotzinapa ont "emprunté" un autobus. Ils ont alors été pris en chasse et mitraillés par la police municipale d'Iguala. Cette fusillade a fait 6 morts parmi les jeunes. Quelques-uns ont pu s'enfuir mais les 43 autres ont été capturés et immédiatement livrés au gang mafieux "Guerreros Unidos"[1], sur ordre téléphonique du maire d'Iguala, membre du PRD[2] et sous le couvert du gouverneur de l'État, lui aussi membre du PRD. Les narcotrafiquants se sont alors chargés de "faire disparaître" les étudiants.
Quelques jours plus tard, à proximité du lieu de la fusillade, un charnier visiblement récent a été découvert, dans une fosse commune contenant une vingtaine de cadavres dont certains étaient calcinés — on avait brûlait vifs les corps — et d'autres étaient affreusement mutilés — la peau de leur visage était arrachée — indiquant que les victimes avaient subi les actes de torture et de barbarie les plus abominables qu'on puisse imaginer. Sous couvert de la longue procédure d'identification des corps, la bourgeoisie parle encore hypocritement de "recherche de disparus" alors que le sort de ces malheureux jeunes prolétaires — ils avaient tous entre 17 et 21 ans — ne fait aucun doute.
Depuis lors, c'est un battage quotidien écœurant et assourdissant : d'un côté le gouvernement Peña Nieto et sa clique au pouvoir (le PRI), comme son allié, le PAN, aux côtés du procureur de la République qui diligente l'enquête ont déclaré vouloir "faire toute la lumière" sur les événements et "châtier les coupables" en se posant comme les vrais et seuls défenseurs de la justice (le supposé chef des "Guerreros Unidos" a d'ailleurs été arrêté une quinzaine de jours plus tard avec un zèle triomphal !) tandis que le maire et le chef de la police locale sont en fuite et qu'une vaste campagne populaire et médiatique a été lancée pour réclamer la démission du gouverneur. D'un autre côté, les partis de gauche[3] y compris le PRD lui-même, les syndicats, les organisations gauchistes et une pléiade d'organisations humanitaires (des Droits de l'Homme aux ONG de tout poil) qui se sont lancés dans une vaste campagne de ravalement de façade, du style de l'opération "mains propres" en Italie pour réclamer la destitution de tel ou tel politicien convaincu de liens étroits avec les cartels, de tel ou tel policier corrompu, en profitant de l'indignation et de l'émotion suscitées par cet odieux massacre pour essayer d'entraîner derrière eux les parents des victimes, l'ensemble des étudiants, un maximum de prolétaires et la population en général dans un vaste mouvement pour redorer le blason de l'État et relancer les illusions sur un État propre, impartial, défenseur d'une justice au-dessus des classes et garant d'un "droit du peuple" et des exploités tandis que les dirigeants bourgeois et les médias aux ordres du monde entier font mine de s'indigner en pointant du doigt les "dérives" de leurs congénères mexicains et la collusion maintes fois avérée entre les politiques et les trafiquants de drogues pour mieux masquer le degré de pourriture de leur propre corruption et de leurs propres crimes.
En réalité, cet épisode tragique n'est nullement une manifestation aberrante d'une quelconque "dérive" de la bourgeoisie locale ou nationale mais bien une illustration du franchissement d'un pas supplémentaire dans la décomposition du système capitaliste au niveau mondial qui enfonce toute la société dans une barbarie et un chaos croissants, dans la même spirale que l'exacerbation actuelle des conflits impérialistes entre États qui utilisent et manipulent des milices tortionnaires armées, des bandes terroristes de "fous de Dieu" fanatisés, des hordes de nationalistes ou séparatistes rebelles, etc. Cela traduit une gangstérisation généralisée de l'appareil d'État, de la bourgeoisie et de tous ses représentants. La pègre, les bandes armées mafieuses, les narcotrafiquants sont devenus un bras armé régulier de l'État comme instrument de la violence de sa domination et surtout comme organe de répression sanguinaire des mouvements sociaux, comme la police et l'armée, s'exerçant en particulier contre la classe ouvrière et ses luttes, pour le maintien de l'ordre capitaliste. Il est tout à fait significatif que le narcotrafic ou le trafic d'armes qui ont pris une place prépondérante dans le commerce international et dans les économies nationales, installent des bandes armées de narcotrafiquants comme auxiliaires indispensables de toutes les fractions de la bourgeoisie pour assurer leur pouvoir contre leurs rivaux ou pour exercer une répression impitoyable envers toute tentative jugée susceptible de menacer l'ordre établi.
Mais cette évolution implique aussi le rejet absolu de toute valeur morale. Même dans la pègre et la sphère du grand banditisme, étaient conservées naguère, même sous une forme clanique et totalement réifiée un espèce de "code d'honneur", des tabous moraux. Aujourd'hui, ces éléments ont disparu, ils se sont dissous dans ce processus de décomposition sociale, de putréfaction du capitalisme, dominé par l'intérêt immédiat, le "chacun pour soi", la "guerre de tous contre tous", dans un déchaînement de violence, de terreur et de barbarie sans limites. Cette militarisation sociale, cette "banalisation du mal", selon l'expression de la philosophe Hannah Arendt, tend de plus en plus à échapper au contrôle de la bourgeoisie elle-même et prend un caractère irrationnel de plus en plus prononcé. Sous l'oppression et le conditionnement exercés en permanence par le système, elle tend à s'exprimer par l'explosion brutale de pulsions, de "folies" meurtrières, individuelles ou collectives, dans une barbarie aveugle et poussée à l'extrême, dont le Mexique avec ses milliers de "disparitions", ses centaines de fosses clandestines emplies de cadavres n'est qu'une illustration tragique.
Nous publions ci-dessous la traduction d'un tract réalisé au Mexique, rédigé, diffusé et signé par "des prolétaires communistes internationalistes". Nous partageons leur indignation et saluons leur saine réaction authentiquement prolétarienne et internationaliste ainsi que l'essentiel de leur prise de position politique.
CCI
La façon avec laquelle l'État a assassiné des dizaines de personnes à Igualada est déjà bien connue : la police du "mouvement progressiste" a encerclé et ouvert le feu contre les étudiants de l'École normale d'Ayotzinapa. Le reste de la besogne, qui a consisté à assassiner plus de 40 étudiants, à brûler et dissimuler les cadavres, a été mené à bien par un groupe armé lui aussi lié à l'État : le groupe narco, appuyé par la police de la commune d'Iguala. L'indignation et la rage devant cette atrocité est indescriptible, mais immense est aussi l'hypocrisie de tous les partis, ONG et instances officielles et non officielles de l'État.
L'étroite collaboration entre la police du "Mouvement progressiste" et les groupes armés du trafic de drogues ne signifie pas la "pénétration" du "crime organisé" dans l'État, mais révèle plutôt que la bourgeoisie, engluée dans la décomposition du capitalisme et toujours plus aux prises à des luttes internes, doit toujours plus recourir à une extrême violence et à des pratiques criminelles. Le trafic de drogues n'est pas un secteur séparé de la bourgeoisie et les intérêts du narcotrafic n'ont jamais cessé d'être présents dans l'appareil d'État, cette forme supérieure d'organisation de la classe des capitalistes contre la classe ouvrière.
La presse, une des armes de la bourgeoisie, essaie de renforcer l'idée que les policiers d'Iguala étaient le bras armé des "Guerriers Unis", mais qu'à présent, grâce à l'armée et à la gendarmerie, l'ordre était revenu dans les rues. Prolétaires, souvenons-nous ! L'État est une machine de répression d'une classe, une machine pour soumettre et exploiter une autre classe.
La gauche du capital poursuit une stratégie déterminée à travers les médias : laver l'image du PRD, du PT, de Morena, du "Movimiento ciudadano", en vue des prochaines élections. Alors même que les familles des disparus expriment leur souffrance, ces partis, véritables rouages de l'arsenal assassin de la bourgeoisie, montrent du doigt tel ou tel fonctionnaire, tel ou tel policier, mais se gardent bien de dire que l'État, dont ils font partie, est à l'origine de la barbarie que vivent les exploités jour après jour. Tous les partis qui font partie de l'État (et pas seulement le PRI et le PAN) ainsi que ceux qui aspirent à les rejoindre, tentent d'utiliser à leur profit le mécontentement social tout en le combattant par le sang, la mitraille et la prison quand l'occasion se présente.
Les porte-parole de l'État et leurs officines à visage "démocratique", à la solde du gouvernement ou "indépendants", nous rebattent les oreilles sur les "exécutions illégales" pour inculper tel ou tel fonctionnaire corrompu mais, surtout, pour disculper la bourgeoisie comme classe sociale ayant en charge les tribunaux, l'armée, la police et autres bandes criminelles. Pour ces défenseurs de la loi et de l'ordre bourgeois, il suffirait que les exécutions soient prononcées "dans le cadre de la loi". Ils dissimulent ainsi que la violence et la terreur sont en eux-mêmes la manière brutale dans laquelle l'État garantit le bon fonctionnement des affaires de la bourgeoisie.
Les soi-disant "droits de l'homme" se situent donc sur un terrain que la bourgeoisie contrôle de bout en bout. Peu importe qu'ils soient revendiqués par le corps enseignant, les appareils syndicaux, les prétendus "médias libres" ou les irréprochables normaliens. Il faut rompre avec cette vision bourgeoise des choses ! Pour cela, après les simulacres d' "enquêtes", il est important de prévoir les étapes du scénario gouvernemental afin de maintenir la fausse idée que la justice peut venir de la bourgeoisie.
L'essentiel pour la classe des capitalistes est de maintenir le "prestige" de l'État. La comédie des commissions d'enquête et des "droits de l'homme" suivra le même chemin que celui qu'a suivi la bourgeoisie tout au long de l'historique de ses entreprises criminelles : enquête — procès — appel — sentences – renforcement de l'État. Rappelons le massacre du village de Dos Erres au Guatemala en décembre 1982[4], où l'armée a assassiné plus de 500 hommes, femmes et enfants, où la conclusion de tout ce cirque bourgeois a été une sentence macabre, une vaste arnaque : un "monument" a été érigé par les assassins pour "maintenir la mémoire", des morceaux de papier au sceau de l'État pour acheter, faire taire et rendre complices les parents, et une loi dite de Réconciliation nationale, avec la participation de toute la faune d'organismes défenseurs des "droits de l'homme" et du gouvernement, autrement dit, une loi pour s'assurer de la soumission des parents des victimes à la collaboration de classes, à l'acceptation des termes imposés par les assassins. Une fumisterie pour permettre de laver les mains rougies de sang de l'État et de la classe qu'il sert : la bourgeoisie.
L'enlisement dans la misère et l'existence de la société bourgeoise sont la cause d'une décomposition plus grande du capitalisme, qui menace aussi de détruire avec elle les exploités. Pris dans cette situation, le prolétariat a rencontré d'énormes difficultés pour développer des luttes de ses propres mains, pour les étendre et pour rompre avec tout l'appareil politique du capital, qui ne se limite pas seulement à la "droite", mais qui intègre tous les partis, syndicats officiels ou "indépendants", groupes gauchistes qui maintiennent toute expression de lutte dans le cadre de la vision bourgeoise, enchaînant le prolétariat avec encore plus de puissance : le nationalisme, instrument idéologique sur lequel se fonde toute collaboration avec la bourgeoisie.
C'est cette gauche du capital que la classe ouvrière doit démasquer. Les méthodes menant aux impasses du gauchisme maintiennent isolées les luttes et, pour cela même, toute lutte des travailleurs est facilement soumise à la répression. L'impuissance des étudiants prolétaires à être reconnus comme une partie de la classe ouvrière et pour développer des formes propres de lutte, qui ne les isole pas en les séparant du reste de la classe travailleuse, est un autre obstacle à dépasser.
Le pacifisme social-démocrate et la violence minoritaire ont une même origine : la pensée petite-bourgeoise. La seule façon de faire face à la bourgeoisie est la lutte massive, consciente et organisée du prolétariat
La solidarité prolétarienne n'est pas le suivisme aveugle des manifestations et des mots d'ordre, mais la critique sans concession de tout ce qui empêche le développement de la lutte du prolétariat — comme une seule classe à l'échelle mondiale — contre la bourgeoisie, contre l'État, contre le capital. Il lui est indispensable de retrouver les méthodes de lutte qui lui sont propres, étrangères à la violence minoritaire et à l'organisation autoritaire et militariste. Il ne s'agit pas de savoir si les manifestations sont ou non "pacifiques". Il s'agit de leur contenu : savoir si elles contribuent ou non au développement d'une perspective autonome du prolétariat et à sa généralisation ; et par autonomie nous entendons non l'autonomie régionale du petit-bourgeois, mais l'autonomie du prolétariat face aux autres classes. Il s'agit de récupérer, dans l'histoire et l'expérience mondiale de la classe ouvrière, les formes de lutte et les méthodes qui développent vraiment la solidarité avec le reste de la classe ouvrière, sa réflexion et sa lutte sur un terrain de classe. Il est nécessaire, par conséquent, de rompre avec l'idéologie de la martyrologie et la discipline aveugle que prône la FECSM[5], avec le pacifisme social-démocrate des partis et ONG, avec l'isolement qu'imposent tant les syndicats officiels que les "indépendants" ou ceux "de base", avec la violence minoritaire des groupes qui prétendent donner "l'exemple" avec leurs actions individuelles ou minoritaires à ce qu'ils supposent être "de passifs et obéissants ouvriers", parce que l'origine de toutes ces pratiques est, finalement, dans la pensée petite-bourgeoise et dans le cadre de la gauche du capital.
Si la classe ouvrière ne s'organise pas elle-même, si, dès le départ, ne sont pas critiquées toutes les causes de la barbarie, alors toute l'indignation, toute la rage, toute la douleur, toute la force seront dévoyées vers le renforcement de l'État, vers le renforcement de la bourgeoisie.
La "justice" ne viendra pas de nos bourreaux que sont l'État et les multiples fractions de la bourgeoisie.
Il ne s'agit pas de demander justice à l'État, il faut le détruire !
Nous ne réclamons pas les "droits de l'homme", nous appelons à nous organiser nous-mêmes pour satisfaire nos besoins, contre le capitalisme et tout son appareil de gauche comme de droite !
En tant qu'exploités, la meilleure solidarité commence par nous reconnaître comme faisant partie d'une seule et même classe : le prolétariat.
Prolétarios Comunistas Internacionalistas
Avec très peu de ressources, nous faisons un effort pour développer et faire connaître une perspective prolétarienne. Lis, discute et reproduit ce tract.
Sur la perspective que nous défendons, voir sur Facebook :
Izquierda Comunista no es estalinismo ni trotskismo sino Revolución Mundial[6]
[1] Un des cartels de la drogue semant la terreur dans toute la région et déjà responsable de milliers de morts dans les règlements de compte entre gangs qui sévit avec encore plus d'intensité depuis 2006 et l'ère du gouvernement Calderon.
[2] Partido Revolucionario Democratico, parmi les trois grands partis politiques mexicains, c'est celui qui est réputé le plus a gauche, d'inspiration social-démocrate.
[3] Outre le PRD, on trouve Morena (Movimiento Regeneracion Nacional) de Andres Manuel Lopez Obrador, ancien candidat à la présidentielle remplissant comme le Front de gauche de Mélanchon en France ou Die Linke de Lafontaine en Allemagne une fonction de gauche plus radicale dans l'opposition par rapport au PRD, le Movimiento Ciutadino (Mouvement des Citoyens), d'étiquette plus libérale ou le gaucho-stalinisant PT qui se distingue seulement par sa phraséologie "anti-impérialiste" c'est-à-dire antiaméricaine plus virulente.
[4] Ce n'est qu'un exemple parmi les 626 massacres recensés de populations civiles perpétrés par les actions des forces spéciales "anti-insurrectionnelles" (déguisés en geurilleros) qui ont fait plus de 200 000 morts au Guatemala entre 1978 et 1983 (NDLR).
[5] Federacion de Estudiantes Campesinos de México (Fédération des Étudiants en milieu rural du Mexique), syndicat pour les étudiants de l'École Normale mexicaine qui existe depuis 1935
[6] La Gauche communiste ne se réclame pas du stalinisme ni du trotskisme mais de la révolution mondiale
La librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium a invité le CCI à tenir une discussion publique en septembre 2014 à Budapest, comme nous l'avions déjà fait les années précédentes.1 Le CCI a suggéré, pour cette année, de passer le film disponible sur notre site web : "Comment la classe ouvrière a mis fin à la Première Guerre mondiale".
Il y a 100 ans, la classe ouvrière – trahie par ses organisations, les syndicats et les partis socialistes – fut incapable d'empêcher l'éclatement d'une des guerres les plus terribles de l'histoire. Aujourd'hui, la commémoration de la Première Guerre mondiale est une occasion supplémentaire de propagande nationaliste dans ses versions libérales-démocratiques et très patriotiques, voire populistes. Ce qu'on laisse de côté dans la plupart des expositions, documentaires et articles sur la Première Guerre mondiale, c'est la réalité sur la fin de la guerre et sur les causes de l'armistice. Comme l'illustre le film, la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial est un exemple de "secret à la vue de tous". Le matériel pour le film provient de sources largement disponibles sur Internet ; beaucoup de photos viennent de Wikipedia et la vidéo originale de Youtube. Le fait qu'il y ait eu des grèves, des mutineries et des soulèvements à la fin de la Première Guerre mondiale n'est pas vraiment un secret. Le tourbillon révolutionnaire qui a conduit à l'effondrement de l'empire des Habsbourg et à ce que l'Allemagne se retire de la guerre a entièrement été traité par les historiens bourgeois. Le lien entre ces événements et la Révolution russe est aussi bien connu. Malgré cela, le simple fait qu'il y ait eu une vague mondiale de luttes ouvrières, comme le dit le film, "du Canada à l'Argentine, de la Finlande à l'Australie, de l'Espagne au Japon", et que ces luttes aient été d'une manière ou d'une autre, consciemment ou inconsciemment, inspirées par la prise du pouvoir politique par les ouvriers russes en octobre 1917 ; ce simple fait est encore un secret, un fait que la bourgeoisie mondiale fait toujours très attention de dissimuler. Pourquoi ? Parce que, comme le dit également le film, pendant quelques brèves années, ces luttes ont ébranlé le monde capitaliste jusque dans ses fondations. La bourgeoisie d'aujourd'hui, malgré toutes les difficultés du prolétariat, le manque apparent de luttes, l'avancée de la crise et de la décomposition, a toujours peur de ce que peut inspirer l'exemple de la première vague révolutionnaire.
Après avoir montré le film, nous avons proposé que la discussion ne porte pas que sur les événements historiques mais aussi sur les guerres dans la phase actuelle de l'ordre mondial capitaliste et sur le rôle de la classe ouvrière aujourd'hui. Les thèmes proposés pour le débat qui suivait étaient : nationalisme/internationalisme ; Est-ce qu'une nouvelle guerre mondiale est à l'ordre du jour ? Sommes-nous face à un futur avec moins de guerres ? Quelles sortes de guerres sont menées aujourd'hui ? Quelles ont été les faiblesses de la première vague révolutionnaire de 1917-23 ? Quelles sont les difficultés pour la classe ouvrière et ses militants révolutionnaires aujourd'hui ?
La débat a été, comme toujours à Budapest, très vivant et très imprégné du sérieux de l'audience. Ce n'est pas évident d'assister à une discussion publique sur les perspectives de société sans classe dans un pays dont les habitants ont subi pendant 40 ans un soi-disant socialisme (1949-1989) et dont le gouvernement actuel s'est, et cela depuis longtemps, ouvertement fondé sur le chauvinisme hongrois. S'intéresser à une telle réunion dans ces circonstances politiques générales demande d'avoir une attitude "à contre-courant". La situation économique en Hongrie est pire que dans la plupart des pays antérieurement "socialistes" en Europe de l'Est (Pologne, Pays baltes membres de l'UE, République tchèque, Slovaquie) et la combativité de la classe ouvrière n'est pas plus visible que dans les autres pays. L'assistance était donc plutôt politisée, "éduquée" politiquement et culturellement, au courant de l'histoire du mouvement ouvrier et en recherche de clarification dans un débat ouvert – d'un point de vue prolétarien.
Les questions sur la vague révolutionnaire
Les questions posées dans la discussion ont d'abord porté sur les faits historiques et l'évaluation politique des événements : sur le soulèvement de Shanghai en 1927, le conseil ouvrier de Limerick en Irlande en 1920, la République slovaque des Conseils en mai/juin 1919.
Le film dit : "en 1927, plus d'un million d'ouvriers à Shanghai ont déclenché une insurrection armée et ont pris le contrôle de la ville. L'insurrection est de nouveau brutalement écrasée par les nationalistes dans un bain de sang". Un participant voulait en savoir plus sur ces événements. La réponse donnée par le CCI a souligné le caractère de classe authentique de l'insurrection, isolée, mais héroïque, à Shanghai en mars 1927. Ces luttes, qui étaient encore une expression de la vague montante, un "dernier souffle de la révolution mondiale" comme nous le disons dans un article2, se sont déroulées au sein de la vaste étendue de la Chine dont la classe ouvrière passait par une phase de fermentation révolutionnaire. La politique de la faction dominante de Staline en Russie vis-à-vis du Parti Communiste chinois consistait en l'établissement d'un front "anti-impérialiste" avec le Kuomintang3 bourgeois luttant pour la "libération nationale" de la Chine. Sous la pression des staliniens, le PCC a ordonné aux ouvriers de donner leurs armes au Kuomintang qui, par la suite, a assassiné les ouvriers avec ces armes. Le Kuomintang a donc brutalement mis fin à l'émeute ouvrière de Shanghai, après que le PCC a dit aux ouvriers de faire confiance à l'armée nationale du leader du Kuomintang, Chang-Kai-Chek. Ce qui suivit, et que les maoïstes appellent la préparation de la "révolution" de 1949, n'a en fait été qu'une longue guerre entre différentes armées bourgeoises, qui ont conduit à la prise du pouvoir par Mao et le PCC en uniformes militaires.
Un camarade dans l'assistance a posé la question de pourquoi il n'y a rien dans le film sur le soviet de Limerick de l'été 1920. En fait, un film de 23 minutes sur toute la dimension internationale de la vague révolutionnaire ne pouvait être complet, il y a nécessairement beaucoup de luttes qui n'ont pu être citées et beaucoup de questions vitales qui n'ont pu être abordées – un film n'est ni un article ni un livre. Mais il vaudrait certainement le coup de tirer les leçons de l'exemple irlandais d'une lutte ouvrière auto-organisée – et du rôle du nationalisme (IRA, Sinn Fein) dans l'écrasement de ce mouvement.4
On peut dire la même chose à propos du soutien apporté à la république slovaque des conseils en juin 1919 par l'armée rouge hongroise. Ces événements sont bien enregistrés dans les mémoires des gens politisés en Europe centrale de l'Est, mais pas traités en profondeur dans le film. La délégation du CCI ne pouvait faire référence aux événements concrets en Slovaquie en 1919 du fait d'un manque profond de connaissance des faits historiques mais sur l'aspect militaire de la question, elle a insisté sur ce principe : les moyens militaires ne peuvent remplacer la conscience et l'activité propre de la classe ouvrière, comme l'a montré l'échec en 1920 de l'offensive de l'Armée Rouge (russe) en Pologne.
La social-démocratie avant 1914.
Une discussion plus longue a tourné autour de la nature de la social-démocratie avant 1914 et pendant la Première Guerre mondiale. Un camarade a résumé une critique faite par plusieurs participants à la position du CCI (présente aussi dans le film) sur la "trahison de la social-démocratie". Le CCI défend la position selon laquelle la plupart des partis membres de la deuxième Internationale ont trahi la classe parce que ces partis ouvriers du XIXe siècle ont déclaré à plusieurs reprises avant 1914 leur attachement au principe de l'internationalisme (défendre la classe et pas l'Etat national). Cependant, la plupart des leaders de la majorité de ces partis ont trahi ce principe en soutenant ouvertement leur bourgeoisie nationale les premiers jours d'août 1914 quand les crédits de guerre ont été votés au parlement et que le désastre a commencé. Contre cette vision des choses, le camarade qui défendait une position divergente, disait que la notion de trahison n'avait pas de sens, parce que la "social-démocratie n'a jamais été pour la révolution". Selon ce raisonnement, les partis de la IIème Internationale étaient des partis ouvriers, mais pas des partis révolutionnaires parce que la classe ouvrière dans cette période d'avant-guerre n'était pas révolutionnaire ; les partis sociaux-démocrates étaient une expression de la faiblesse de la classe à cette époque, et celle-ci n'était pas qu'une victime de la trahison mais y avait pris part. Un autre camarade s'est référé, dans la même discussion, à l'enthousiasme pour la guerre au début de la Première Guerre mondiale et au fait que le SPD (en Allemagne) était déjà lié à l'Etat capitaliste par sa fraction parlementaire importante.
Il y a des aspects différents dans cette discussion. Le CCI défend le cadre général de l'ascendance et de la décadence du capitalisme et de tâches différentes pour les révolutionnaires dans les différentes périodes. Les partis sociaux-démocrates de la période ascendante, qui finit avec la Première Guerre mondiale, luttaient pour des réformes au sein du capitalisme ET pour la révolution, comme Rosa Luxembourg l'a souligné en 1989 dans sa polémique "Réforme sociale ou Révolution ?" contre un camarade du parti, Edouard Bernstein. Les partis ouvriers de cette période comprenaient donc différents courants, depuis les ouvertement réformistes et étatistes jusqu'au courants révolutionnaires comme ceux autour de Luxembourg, Lénine, Pannekoek, Bordiga, etc. En 1914, les dirigeants de la plupart des partis sociaux-démocrates étaient effectivement du côté de la bourgeoisie nationale – et ont ensuite trahi en théorie et en pratique les principes internationalistes des congrès de Bâle et de Stuttgart de la IIe Internationale. Pendant la guerre, les fractions révolutionnaires ont préparé la formation de la IIIe Internationale puisque la seconde s'était effondrée dès le début de la guerre mondiale à cause de la trahison de la plupart de ses partis membres.
Un autre aspect de cette discussion est la question : dans quelle mesure nous considérons-nous nous-mêmes comme faisant partie de la tradition révolutionnaire de la période précédente ? Dans quelle mesure partageons nous un héritage commun de principes et de méthode, de concepts communs ?
Les camarades dans l'assistance qui ne partageaient pas le cadre historique de l'ascendance et de la décadence du capitalisme ont insisté sur le manque de "programme communiste" dans la social-démocratie, disant que même sans la trahison de ses dirigeants, elle aurait été liée au réformisme et à l’Etat capitaliste bourgeois. Mais malgré ce cadre historique différent, il y avait une préoccupation générale dans la discussion de voir la classe ouvrière et son avant-garde révolutionnaire dans leurs rapports mutuels : les faiblesses de la classe en ce qui concerne son auto-organisation, mais aussi les faiblesses théoriques des communistes et des anarchistes internationalistes de cette période.
Un jeune participant, qui se référait à la situation en Hongrie en 1919, a dit que la prise du pouvoir au nom de la classe ouvrière avait été accomplie par les dirigeants sociaux-démocrates et du Parti communiste et pas du fait de l'activité spontanée du prolétariat auro-organisé. Un autre participant à la réunion a souligné le fait que le parti communiste créé en Hongrie à l'automne 1918, était composé de courants très différents (marxistes, syndicalistes, prisonniers de guerre revenant de la Russie révolutionnaire et d'autres) et que son programme était éclectique.
Les guerres d'aujourd'hui
et les mouvements de classe
Dans la dernière partie de la discussion, des questions ont été soulevées sur les événements actuels. La plupart des participants au débat semblaient être d'accord pour estimer que le danger de guerre allait croissant aujourd'hui. La spirale de bains de sang qui enfle en Syrie, Irak, et Ukraine est trop évidente. Un participant a dit que la violence et la guerre renforcent leur emprise de la périphérie vers le centre du pouvoir capitaliste. S'il y avait une divergence dans cette partie de la discussion, c'était probablement sur la question de l'irrationalité croissante des guerres de la décomposition d'aujourd'hui, par exemple dans les zones revendiquées par l'État Islamique (EI), d'autres participants ont répondu que même ces guerres profitent à certains capitalistes et même au capitalisme dans son ensemble. Mais là, nous parlons de deux différentes sortes de rationalités : d'un côté, la rationalité du profit pour certains capitalistes particuliers, de l'autre, la rationalité d'une espèce qui a besoin de devenir pleinement humaine.
La dernière question soulevée dans la discussion était : pourquoi les ouvriers n'ont-ils pas rejoint le mouvement Occupy ? Notre réponse a été que même si beaucoup de gens qui se rassemblaient sous cette bannière, en 2011/2013, appartenaient à la classe ouvrière, le mouvement dans son ensemble ne pensait pas à étendre sa lutte à la classe ouvrière, sauf dans quelques cas limités en Espagne et en Californie. La plupart des manifestants Occupy ne se concevaient pas eux-mêmes comme des prolétaires, bien qu'ils l'aient souvent été. La difficulté de la classe à développer une identité de classe avait déjà été un thème de la discussion à Budapest en 2010. C'est une partie de la conscience au sein de la classe qui doit mûrir. Sans cette conscience de lui-même du sujet révolutionnaire, le saut vers une société nouvelle et réellement humaine ne sera pas possible.
Il est intéressant – de toute façon - que dans les discussions à Budapest, une question que nous entendons souvent en Europe de l'Ouest, c'est-à-dire la question de l'existence d'une classe ouvrière, ne soit jamais posée. Là, la nécessité d'une réponse de classe n'est jamais mise en question. Il semble qu'il y ait un concept commun de ce qu'est la classe ouvrière, de ses caractéristiques et de ses responsabilités.
Nous voulons encore remercier la librairie Gondolkodó Autonom Antikvárium pour l'invitation à mener une discussion publique et l'assistance pour le débat qui ne peuvent que renforcer mutuellement nos forces et nos capacités.
CCI, septembre 2014
1 Voir, par exemple, notre article de novembre 2010 : Réunion publique à Budapest : crise économique mondiale et perspective de la lutte de classe. [https://fr.internationalism.org/icconline/2010/12/reunion-publique-hongrie] [432]
2 Chine 1927 : Dernier souffle de la révolution mondiale. [https://en.internationalism.org/icconline/2007/china-march-1927] [433]
3(3) Parti nationaliste chinois
4(4) Le républicanisme irlandais : une arme du capital contre la classe ouvrière. [https://en.internationalism.org/wr/231_ira.htm] [434]
Le 7 janvier dernier, en exécutant les caricaturistes du journal satirique Charlie Hebdo, Daesh avait tué des « papys » 3 à tendance libertaire et marqués par le mouvement social de mai 68. Cette fois-ci, en s’attaquant à des lieux festifs et à la mode (le Stade de France de Saint-Denis, les bistrots et restaurants des Xe et XIe arrondissements de Paris, la salle de concert du Bataclan 4), Daesh a volontairement visé une génération qui commet à ses yeux l’horrible crime d’aimer se rencontrer, discuter, boire, danser et chanter librement, autrement dit : d’aimer la vie (ce que la bourgeoisie, profitant de l'émotion et du lavage de cerveau médiatique, cherche à identifier au patriotisme !). C’est cette même génération qui avait rêvé de reprendre le flambeau de mai 68 lors du mouvement social de 2006 en France 5 et qui avait justement exprimé sa solidarité avec les artistes assassinés de Charlie Hebdo en se mobilisant massivement lors des manifestations de janvier .6
Ces nouveaux crimes froidement planifiés, motivés par une idéologie obscurantiste et morbide, digne du nazisme, ne sont pas le fruit de quelques « monstres » qu’il suffirait d’éradiquer 7 ; cette logique est celle de la bourgeoisie. Elle ne sert qu’à justifier la guerre, à engendrer à son tour plus de haine et de crimes, et, surtout, à masquer les vraies causes de ces atrocités. Car, en réalité, à la racine de ces maux se trouve le système capitaliste tout entier, un système sans avenir, sans perspective, qui se décompose peu à peu en entraînant derrière lui toute l’humanité dans son engrenage meurtrier.
Daesh est une manifestation particulièrement révélatrice de cette dynamique suicidaire du capitalisme. L’État islamique est un pur produit de la décadence, directement secrété par la phase actuelle de décomposition du capitalisme.
Dans ce cadre, l'aggravation et la multiplication des conflits impérialistes, la déliquescence accélérée de la société ont pour principale racine l'absence de perspective sociale affirmée au niveau historique. Des deux classes fondamentales et antagoniques, ni la bourgeoisie ni le prolétariat ne parviennent à imposer leur projet historique, à savoir respectivement la guerre mondiale ou la révolution communiste. Depuis le milieu des années 1980, la société toute entière reste ainsi prisonnière de l'immédiat, apparaît sans avenir et pourrit peu à peu sur pied 8. L’effondrement de l’URSS en 1990-91, produit de cette dynamique, a exacerbé toutes les contradictions de ce système. Les expressions de cette phase de décomposition sont multiples : individualisme et chacun pour soi, gangstérisme, repli identitaire et sectaire, obscurantisme, nihilisme et, surtout, accentuation du chaos guerrier. Cela, au point de déstabiliser les États les plus faibles et de provoquer leur effondrement, poussant la logique des conflits à ravager des régions entières de la planète. Tout cela implique la responsabilité première des grandes puissances impérialistes, particulièrement en Afrique et au Moyen-Orient.
Un bref aperçu de l’histoire des conflits de ces régions durant les dernières décennies illustre parfaitement cette réalité. Depuis l’effondrement de l’URSS, les États-Unis ont de plus en plus de mal à s’imposer comme « gendarme du monde ». Cela peut paraître paradoxal, mais l’existence de l’ennemi russe imposait à ses adversaires de se protéger derrière la puissance américaine. Les nations du bloc de l’Ouest étaient donc contraintes d’accepter la « discipline de bloc » de l'Oncle Sam. Dès que l’URSS s’est effondrée, le bloc de l’Ouest s'est désagrégé et chacun a aussitôt tenté de jouer sa propre carte impérialiste. Les États-Unis ont donc dû s'imposer de plus en plus par la force leur leadership. Tel est le sens de l’immense démonstration militaire de la Guerre du Golfe en 1990, moment durant lequel la bourgeoisie américaine avait ponctuellement réussi à contraindre tous ses « alliés » à se joindre à elle. Mais la situation a continué à se dégrader pour les États-Unis et c’est de plus en plus isolés qu’ils ont dû mener la guerre en Afghanistan en 2001 puis en Irak en 2003, avec pour seul résultat la déstabilisation géopolitique de ces deux régions. Cette dynamique, nous l’annoncions dès octobre 1990 : « Ce que montre donc la guerre du Golfe, c'est que, face à la tendance au chaos généralisé propre à la phase de décomposition, et à laquelle l'effondrement du bloc de l'Est a donné un coup d'accélérateur considérable, il n'y a pas d'autre issue pour le capitalisme, dans sa tentative de maintenir en place les différentes parties d'un corps qui tend à se disloquer, que l'imposition du corset de fer que constitue la force des armes. En ce sens, les moyens mêmes qu'il utilise pour tenter de contenir un chaos de plus en plus sanglant sont un facteur d'aggravation considérable de la barbarie guerrière dans laquelle est plongé le capitalisme. » 9
Ainsi, l’intervention américaine en Irak en 2003, au-delà des 500 000 morts qu’elle a engendrés, a mis à bas le gouvernement sunnite de Saddam Hussein 10 sans être capable de le remplacer par un nouvel État stable. Bien au contraire, la mise à l’écart du pouvoir de la fraction sunnite et son remplacement par la fraction chiite a créé un chaos permanent. Ce sont sur ces ruines, sur le vide laissé par la déliquescence de l'État irakien qu’est né Daesh. Sa création remonte à 2006, lorsqu'Al-Qaïda forme avec cinq autres groupes djihadistes le « Conseil consultatif des moudjahidines en Irak ». Et le 13 octobre 2006, le Conseil consultatif proclame « l'État islamique d'Irak », lequel se considère à partir de cette date comme le « véritable État ». De nombreux ex-généraux de Saddam Hussein, compétents et hantés par l’esprit de revanche contre « l’Occident », ont rejoint durant cette période les rangs de ce qui allait devenir Daesh. La déstabilisation de la Syrie va ensuite être l’occasion d’un nouveau développement de l’État islamique. En 2012, il commence en effet à s'étendre en Syrie et, le 9 avril 2013, il devient « l'État islamique en Irak et au Levant ».
Chaque nouveau conflit impérialiste, dans lequel les grandes puissances jouent toutes un rôle incontournable, va chaque fois être l’occasion pour Daesh d’étendre son emprise en poussant sur le terreau pour lui fertile de la haine et de l’esprit de vengeance. Vont ainsi lui prêter allégeance plusieurs groupes djihadistes, tels Boko Haram dans le Nord-Est du Nigeria, Ansar Maqdis Chouras Chabab al-Islam en Lybie, Jund al-Khalifa en Algérie et Ansar Dawlat al-Islammiyya au Yémen. Indéniablement, la guerre impérialiste a nourri l’État islamique. C’est là un phénomène qui s’est développé et étendu depuis le milieu des années 1980 : sous le poids autant des contradictions économiques et politiques internes que des conflits impérialistes, les États les plus faibles s’effondrent. À l’Est dans les années 1990, particulièrement dans les Balkans, cela s’est concrétisé par un émiettement des nations et des conflits sanglants, telle l’explosion de la Yougoslavie. Du Caucase (Tchétchénie) jusqu’en Asie centrale (Afghanistan) ou en Afrique (avec l’ex-Zaïre, la Corne de l’Afrique etc.), l’instabilité étatique a laissé la place à l’apparition de proto-États parallèles et incontrôlables, dirigés par des seigneurs de la guerre. Daesh est une nouvelle expression de ce phénomène qui gangrène, mais à une échelle géographique inégalée à ce jour.
La responsabilité des grandes puissances ne s’arrête pas à la seule déstabilisation des régions par leurs interventions militaires d'ordre stratégique ou plus simplement pour la défense d'intérêts sordides. Elles sont aussi bien souvent directement à l’origine de la création de toutes ces cliques meurtrières et obscurantistes qu’elles ont cherchées à instrumentaliser. L’État islamique est composé des fractions les plus radicales du sunnisme et a donc pour ennemi premier la grande nation du chiisme : l’Iran. C’est pourquoi tous les ennemis de l’Iran (l’Arabie saoudite, les États-Unis 11, Israël, le Qatar, le Koweït…) ont tous soutenu politiquement, financièrement et parfois militairement Daesh. La Turquie a elle-aussi appuyé l’État islamique afin de s’en servir contre les Kurdes. Cette alliance de circonstance et hétéroclite montre que les différences religieuses ne sont pas le réel ferment de ce conflit : ce sont bien les enjeux impérialistes et les intérêts nationaux capitalistes qui déterminent avant tout les lignes de clivages et transforment les blessures du passé en haine moderne.
Quoi qu’il en soit, tous ont finalement été obligés de se raviser. L’Arabie saoudite a interdit toute aide financière à Daesh et condamné à la prison tous ceux qui continuaient à jouer les mécènes. Et pour lutter contre l’État islamique, les États-Unis ont officiellement amorcé un certain rapprochement avec… l’Iran ! Pourquoi un tel revirement ? La réponse en dit long sur l’état de déliquescence du système capitaliste. La dimension obscurantiste, religieuse et surtout destructrice de Daesh est telle que ce groupe échappe à tout contrôle. De tels États sans avenir et dominés par la Charia ont déjà existé, en Afrique centrale notamment, mais ils ont toujours été limités à une dimension régionale. Là, le phénomène Daesh touche une zone bien plus vaste et surtout la partie hautement géostratégique et névralgique du Moyen-Orient. 12
Les changements incessants d’alliances, cette politique à courte vue et chaque fois plus destructrice sont, tout comme l’existence de ce proto-État islamique, un révélateur de la décomposition du système tout entier, de l’impasse capitaliste, de l’absence de solution durable et de toute perspective pour toutes les nations.
Là aussi, la boussole du marxisme nous avait permis de comprendre dès 1990 que la société toute entière prenait ce cap : « Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d'empoigne, où jouera à fond la tendance au « chacun pour soi », où les alliances entre États n'auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d'ordre par l'emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire. » 13
Dernier changement de bord en date : aujourd’hui, la France est prête à soutenir, à travers son rapprochement avec la Russie, Bachar el-Assad (officiellement responsable de 200 000 morts depuis le début de la guerre civile !) contre Daesh alors qu’elle s’était engagée de tout son poids diplomatique depuis 2011 auprès de « l’opposition syrienne ». Poutine et ses exactions ignobles en Tchétchénie puis en Ukraine redeviennent « fréquentables » !
En menant toutes ces guerres, en semant la mort et la désolation, en imposant la terreur des bombes et en attisant la haine au nom de la "légitime défense", en soutenant tel ou tel régime assassin, selon les circonstances, en ne proposant aucun autre avenir que toujours plus de conflits, et tout cela pour défendre leurs seuls sordides intérêts impérialistes, les grandes puissances sont les premières responsables de la barbarie mondiale, y compris celle de Daesh. En cela, lorsque ce prétendu « État islamique » a pour sainte trinité le viol, le vol et la répression sanglante, lorsqu’il détruit toute culture (la même haine de la culture que le régime nazi 14), lorsqu’il vend des femmes et des enfants, parfois pour leurs organes, il n’est rien d’autre qu’une forme particulièrement caricaturale, sans artifice ni fard, de la barbarie capitaliste dont sont capables tous les États du monde, toutes les nations, petites ou grandes. « Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. » 15
Ce sont donc bien d’abord les grandes puissances qui déchaînent leur propre barbarie sur la terre et dans les airs des nations capitalistes plus faibles (toutes autant barbares). Et c’est cette même barbarie qui, finalement, échappe à leur contrôle et revient les frapper en plein cœur du système comme un boomerang. Telle est la réelle signification des attentats du 13 novembre à Paris. Ils ne sont pas seulement un énième acte terroriste ; ils révèlent qu’un pas supplémentaire a été franchi dans l'exacerbation des tensions impérialistes et dans le pourrissement de la société capitaliste. En effet, si des attentats déciment régulièrement les populations d’Afrique et du Moyen-Orient 16, l’atteinte du cœur historique du capitalisme est particulièrement significative de la dégradation de la situation mondiale. Lors des attentats qui avaient frappé Paris en 1985 et 1986, nous écrivions : « ce que traduit la vague actuelle d’attentats terroristes, c’est que cette décomposition de la société atteint aujourd’hui un tel niveau que les grandes puissances sont de moins en moins à l’abri de ses manifestations les plus barbares, qu’elles éprouvent de plus en plus de difficultés à contenir dans le Tiers-monde ces formes extrêmes de convulsions d’un système à l’agonie. De même que les métropoles capitalistes avaient pu, dans un premier temps, repousser vers la périphérie les manifestations les plus catastrophiques d’une crise qui trouve pourtant son origine dans le cœur même du système, dans ces métropoles, elles avaient repoussé vers ces mêmes pays périphériques les formes les plus barbares – et notamment les affrontements armés – des convulsions que cette crise engendre. Mais aujourd’hui, de même que la crise revient frapper avec une force décuplée les pays centraux du capitalisme, elle ramène avec elle une partie de cette barbarie qu’elle avait déchaînée dans le Tiers-monde. » 17
Ce processus à l’œuvre depuis le milieu des années 1980 et surtout depuis l'attaque des Twin Towers en 2001, n’a cessé de s’amplifier. Les attentats du 13 novembre viennent donc marquer un pas supplémentaire, qualitativement important, y compris par rapport aux attentats de Madrid (2004), Londres (2005) ou Boston (2013). Pour l’heure, le bilan provisoire s’établit à 130 morts et 351 blessés dont 98 graves. Cette hécatombe effroyable est parmi les pires qui aient frappées le cœur de l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, alors même que les attentats à la bombe du Stade de France ont échoué. 18 Mais la réelle différence ne se situe pas à ce seul niveau quantitatif, d’ailleurs les attentats de Madrid avait eux aussi été d’une immense ampleur (200 morts, 1400 blessés). Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un acte isolé et bref : l’État islamique est parvenu au contraire à multiplier les lieux d’attaques et à massacrer trois heures durant en plein Paris ! Il a ainsi importé en Occident, durant toute une soirée, l’atmosphère de guerre que vit quotidiennement la population en Syrie, en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, au Nigeria etc. (et qu’elle tente d’ailleurs désespérément de fuir). La mise en scène « minutieusement » 19 préparée de ces attentats a ainsi permis d’engendrer une véritable onde de choc et de panique. La retransmission en direct des événements par toutes les télévisions du monde, de ces images de guerre urbaine, l’incertitude quant au nombre de victimes, au nombre d’attaques et de terroristes impliqués… tout cela a créé un climat insoutenable de terreur. Par millions, les spectateurs impuissants sont restés scotchés devant leur écran et ont ensuite été incapables de fermer l’œil durant la nuit. L’État islamique est parvenu à faire ici la preuve qu’une grande puissance économique et militaire comme la France était incapable d’empêcher de tels actes. Et effectivement, l’État français, alors qu’il s’attendait à des attaques imminentes, s’est révélé impuissant à éviter la tuerie.
Pire encore, Daesh a pu s’appuyer sur des hommes et des femmes nés et vivant en France et en Belgique, capables de commettre les pires crimes au nom d’une idéologie irrationnelle, nauséabonde et morbide. Autrement dit, c’est d’abord la décomposition même de la société gangrenant le cœur du capitalisme qui a engendré directement une telle atrocité.
Nombreux sont les rescapés qui, ayant vu de près les terroristes, ont témoigné de l’apparence banale de leurs bourreaux : des jeunes entre 20 et 30 ans, tremblant de peur et dégoulinant de sueur, 20 mais déterminés, justifiant leurs actes meurtriers inqualifiables par la nécessité de « venger les crimes commis par l’armée française en Syrie ». Ces actes horribles n’ont pas été commis par des monstres mais par des êtres humains complètement broyés et endoctrinés, nés pour la plupart dans une Europe « civilisée ».
Un grand nombre des djihadistes européens, aujourd’hui en Syrie, sont issus de la petite-bourgeoisie qui, en l’absence de perspective autre que le déclassement, emplie de jalousie vis-à-vis des modèles de la grande-bourgeoisie et, surtout, étrangère à tout autre projet de société alternatif, est gangrenée par le nihilisme et la haine. C’est d’ailleurs cette même couche de la société qui avait constitué déjà, dans les années 1930 et 1940, le gros des troupes de choc du nazisme.
Une autre partie non négligeable de l’armée de Daesh, est issue des banlieues pauvres. Il s’agit de gamins au parcours chaotique, humiliés par un système les rejetant de sa sphère économique mais aussi culturelle et sociale. Là aussi, la volonté de vengeance d'un côté et le nihilisme de l'autre, expressions d'une société sans avenir, sont probablement les ressorts fondamentaux de leur trajectoire. Par ces massacres lâches, ignobles et absurdes, les plus radicaux ont l’impression d'exister enfin au prix, sans importance pour eux, de la mort et de s’en prendre au système qui les a exclus.
Une dernière partie enfin (surtout parmi les kamikazes) est directement recrutée dans la frange délinquante. Ce sont souvent eux qui, après avoir volé ou agressé à de multiples reprises se retrouvent quelques années plus tard la kalachnikov à la main à décimer, prétextant une idéologie d’inspiration religieuse des plus rigoristes.
Autrement dit, de l’Europe au Moyen-Orient, comme partout dans le monde, l’absence de perspective d’abord, puis ses conséquences les plus graves (la putréfaction sociale, le gangstérisme, le développement de la morale du lumpenprolétariat), forment le terreau de cette dérive morbide. La rencontre de ces jeunes nés en Europe et des groupes irakiens et syriens, obscurantistes et meurtriers, capables de déployer une stratégie et un véritable savoir-faire militaire, n’est donc en rien liée au hasard.
Pour résumer, l’impérialisme et la décomposition sont les deux parents qui, en s’accouplant, engendrent le terrorisme actuel. Guerre, no-future, peur et haine, effondrement moral, terrorisme… puis de nouveau la guerre. Il s’agit d’un cercle vicieux sans fin. Le capitalisme entraînera dans cet engrenage et dans sa chute l’humanité toute-entière, jusqu’à annihiler toute vie, s’il n’est pas détruit et dépassé par une autre société.
Ainsi quelle a été la réaction de toutes les grandes nations au soir-même des attentats du 13 novembre ? Les mots du Premier ministre français socialiste, Manuel Valls, prononcés dès le lendemain du drame sur la plus grande chaîne du pays donnent le ton : « volonté d’anéantir Daesh » ; « nous répliquerons coup pour coup » ; « nous serons impitoyables » ; « nous répondrons au même niveau » ; « nous sommes en guerre », une guerre qui « pourrait prendre des mois et peut-être même des années » et qui « nécessite des moyens exceptionnels », ajoutant : « je ferai tout pour que l’unité, pour que l’union sacrée soit préservée » et terminant par cet appel guerrier : « soyons des patriotes pour abattre le terrorisme ».
Et tous les journaux nationaux de reprendre en chœur « Maintenant c’est la guerre ! », « C’est la France qui est attaquée ! », etc. Cette campagne patriotarde, nationaliste a été relayée à l’échelle internationale, orchestrée autour du drapeau bleu-blanc-rouge et de la Marseillaise. Partout dans le monde, sur tous les grands monuments, mais aussi sur les réseaux sociaux, dans les stades de sport… a été brandi le drapeau français. Les paroles de la Marseillaise ont été publiées dans tous les journaux anglais afin que le public l’entonne le 18 novembre lors du match Angleterre-France à Wembley. Il n’y a là évidemment aucune solidarité réelle des grandes puissances envers la France, toutes ces nations se mènent une concurrence sans pitié, économiquement et parfois militairement. Non, chaque bourgeoisie nationale a simplement utilisé les 130 morts de Paris, et la peur engendrée, pour faire passer l’idée putride que l’unité nationale est la plus belle et la plus haute des unités possibles, celle qui fait le « vivre ensemble », celle qui nous protège de « l’extérieur ». Or, en vérité, les drapeaux nationaux sont toujours les drapeaux de la guerre ! Les drapeaux nationaux, c’est le symbole de l’idéologie qui soude les différentes classes de la nation contre les autres nations ; c’est fondamentalement la même idéologie que celle de l’État islamique ! Et en France, c’est aujourd’hui le Parti socialiste au pouvoir qui est à la pointe de cet esprit va-t-en-guerre. Résultats : l’état-major français a largué « en représailles aux attentats » des dizaines de bombes en quelques jours et a envoyé son porte-avion le Charles De Gaulle afin de tripler la capacité de frappe de l’armée française en Syrie. Ces attaques s’ajoutent, par exemple, aux 4111 cibles atteintes par l’armée russe ces quarante-huit derniers jours. Si la presse relate chaque jour les victimes « collatérales » liées à ces bombardements massifs 21, il est aujourd’hui impossible d’avoir accès à un bilan sérieux. Il en est ainsi de chaque guerre menée par les grandes nations démocratiques qui interviennent au nom de la « paix », de « l’humanitaire », de la « sécurité des peuples », etc. Et chaque fois, les bilans humains publiés quelques années après sont effroyables. Un seul exemple. Selon le rapport : Body Count, Casualty Figures after 10 years of the ’War on Terror ’22, la « guerre contre le terrorisme » lancée par les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 a causé en douze ans la mort d’au moins 1,3 million de personnes dans trois pays (Irak, Afghanistan et Pakistan), précisant qu’il s’agit là d’une « estimation basse » qui ne tient pas compte des autres conflits (Yémen, Somalie, Libye, Syrie). C’est l’Irak qui aurait payé le plus lourd tribut à la guerre contre le terrorisme, avec environ un million de morts, contre 111 000 selon les médias américains et 30 000 selon l’ex-président George W. Bush. Le rapport évoque un « crime contre l’humanité proche du génocide ». Voilà le vrai visage de la guerre impérialiste ! Voilà le véritable et lourd tribut des frappes « chirurgicales » !
Les frappes actuelles sur la Syrie mettront peut-être Daesh à mal, ce qui rendra, d'ailleurs, ce proto-État encore plus suicidaire et meurtrier, mais surtout elles vont alimenter dans ces régions, et partout dans le monde, la peur et la haine. Le phénomène que représente Daesh et qui lui a donné naissance en sortira donc, à terme, renforcé. La « riposte » des États face au « terrorisme » ne peut signifier qu’une escalade du militarisme et un déchaînement de la même barbarie de plus en plus irrationnelle, dans la spirale infernale d’un chaos sanglant.
Tirant les leçons des attentats du 7 janvier dernier contre Charlie Hebdo, où la bourgeoisie, surprise par les manifestations spontanées, avait été obligée de prendre rapidement le train en marche, l’État français a empêché cette fois-ci que puissent s'exprimer ces mêmes élans spontanés de solidarité qui favorisent la réflexion, les discussions et induisent potentiellement l'idée que "la rue" peut représenter une force politique. Au contraire, tout rassemblement a été interdit et chacun a été appelé à « rester chez soi » et à s'identifier à la « nation », à la « patrie », et à accepter la logique de guerre ! Aujourd'hui, l'idée même de service national et d'une « garde nationale » refont surface. Ne perdant pas une occasion, le Parti socialiste en France a aussi profité des attentats pour justifier le renforcement de l’arsenal répressif et de surveillance. En particulier, l’état d’urgence a été décrété puis prolongé de 3 mois, pour la première fois depuis la guerre d’Algérie (en 1958 et en 1961), sur tout le territoire métropolitain, comme sur les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, la Réunion et Mayotte). Cet état d’urgence est une situation spéciale, une forme d’état d’exception qui restreint les « libertés ». Il « confère aux autorités civiles, dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels », 23 comme, par exemple, la possibilité de réaliser des perquisitions massives. Il s’agit en fait d’habituer la population à ce renforcement drastique du flicage et de la répression que la bourgeoisie sait pertinemment pouvoir utiliser demain contre la classe ouvrière, et déjà quantité de lois sont en discussion pour renforcer la « sécurité nationale ». Cette même campagne sécuritaire est actuellement menée partout dans le monde.
Pour résumer, l’État profite du terrorisme pour se présenter comme le garant de la paix afin de mieux faire… la guerre, comme le protecteur des droits humains pour renforcer… le contrôle de la population et, évidemment, comme la caution de l’unité sociale pour attiser… les haines. Ainsi, en permanence sont incitées la xénophobie, la haine du musulman et toutes autres divisions permettant à l'ordre capitaliste de régner en maître sur ses exploités. Partout en Europe, les courants politiques bourgeois xénophobes connaissent une recrudescence. Des actes anti-immigrés se multiplient d'ailleurs un peu partout, comme en Allemagne, où des foyers ont également été incendiés et des ratonnades organisées. En France, les discours du Front national et d’une partie de la droite, à l’image de Nadine Morano, jouent sur les mêmes ressorts que ceux de l’État islamique : le repli, la peur, l’exclusion et la haine de l’autre.
Dans un tel contexte social, les quelques actes de solidarité réelle apparaissent héroïques. Le soir du 13 novembre, malgré les risques et le danger, des personnes ont porté immédiatement assistance et sont venues spontanément secourir les blessés. Dans les quartiers visés, des habitants n'ont pas hésité à ouvrir leurs portes pour prêter refuge à des gens paniqués dans la rue. Un peu partout, une brève tendance au rassemblement de solidarité et d’indignation s’est exprimée que les interdictions de manifester ont rapidement étouffé. Tout cela montre que « l’indifférence » et « l'ignorance de l'autre », qui en temps normal dominent dans la société capitaliste, peuvent être dépassées quand s'exprime la volonté consciente de solidarité, celle de porter assistance dans les coups durs. C'est ce que nous avons pu voir également ces derniers mois de la part d'une partie significative de la classe ouvrière avec l'accueil des migrants, notamment au début de leur arrivée en Allemagne. Mais comme le montre aussi la situation présente, cet élan fragile, du fait des faiblesses importantes de la classe ouvrière, peut être très facilement dévoyé sur le faux terrain du patriotisme et du nationalisme, derrière la logique meurtrière et in fine xénophobe des États les plus démocratiques. Le climat de terreur et de peur comme la propagande après les attentats de Paris pèseront lourdement sur la conscience de la classe ouvrière ; l’union sacrée réclamée autour de l’État et de la nation en danger ne peut que renforcer le poids des illusions mortelles sur la défense de la démocratie et la frénésie sécuritaire au niveau international. Ce qui participera à boucher encore un peu plus toute perspective et donc à renforcer les forces suicidaires de ce capitalisme pourrissant.
La seule véritable solidarité pour la classe ouvrière ne peut s'exprimer que de façon autonome, en dehors de toutes les influences de l'idéologie bourgeoise bien-pensante, notamment au moment de luttes ouvrières. La génération qui a été la cible première des attentats du 13 novembre avait d’ailleurs justement su, lors du mouvement social de 2006, initier un large élan de solidarité au sein de toute la classe ouvrière. Et quand quelques jeunes à la dérive, issus de banlieue pauvres, étaient venus racketter les manifestants, cette génération d’étudiants et travailleurs précaires avait refusé de tomber dans le piège de la division. Ils avaient été à la rencontre de ces mêmes jeunes dans les quartiers pour tenter de les gagner à la lutte générale. S’ils avaient eu cette intelligence, c’est parce que ce mouvement social avait su se doter d’assemblée générale permettant la réflexion, la discussion et l’élaboration collective, autrement dit l’élévation de la conscience politique. Telle est aussi la seule voie possible à emprunter face aux développements des pires effets de la décomposition : la solidarité dans la lutte, le débat franc et ouvert, le développement de la conscience ouvrière.
À terme, seule cette logique permettra de retrouver une identité politique de classe, la perspective historique d'une autre société. Alors s’ouvrira la possibilité d’un monde sans classes, sans guerres ni frontières, où la satisfaction des besoins humains (en particulier le goût pour l’art, la science et la culture) et non la recherche du profit seront au cœur de la communauté humaine mondiale. « Cette folie, cet enfer sanglant cesseront le jour où les ouvriers (...) se tendront une main fraternelle, couvrant à la fois le chœur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes en poussant le vieil et puissant cri de guerre du travail : prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » 24
CCI, 21 novembre 2015
1 Communiqué de Daesh revendiquant les attentats.
2 Une grande partie des victimes sont âgées de 25 à 35 ans. Lire par exemple : "A Paris, une génération visée", (Le Monde) ou : "La jeunesse qui trinque", (Libération du 15.11.2015).
3 Cabu (76 ans), Wolinski (80 ans), Bernard Maris (68 ans).
4 …« où étaient rassemblés des centaines d’idolâtres dans une fête de perversité », toujours selon le communiqué de Daesh.
5 Lire notre article disponible sur notre site web : "Salut aux jeunes générations de la classe ouvrière [435]".
6 Lire à ce sujet, "les portraits poignants des victimes du 13 novembre", publiés sur le site du journal Libération.
7 « Si l’ensemble des pays du monde n’est pas capable d’éradiquer 30 000 personnes, qui sont des monstres, c’est à n’y rien comprendre », Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères du gouvernement socialiste en France (déclaration sur la radio France Inter le 20 novembre).
8 "La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [190]", Revue Internationale n° 62, mai 1990.
9 "Militarisme et décomposition [436]", (Revue Internationale n°64, 1er trimestre 1991).
10 Rappelons que ce sont ces mêmes États-Unis qui avaient largement contribué à l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein en 1979 en Irak, en tant qu’allié contre l’Iran.
11 « Daesh dispose d'un véritable « trésor de guerre » (2 milliards de dollars selon la CIA), de revenus massifs et autonomes, sans comparaison avec ceux dont disposait Al-Qaïda. Daesh dispose d'équipements militaires nombreux, rustiques mais aussi lourds et sophistiqués. Plus que d'une mouvance terroriste, nous sommes confrontés à une véritable armée encadrée par des militaires professionnels. Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences : ce sont les États-Unis. Par intérêt politique à court terme, d'autres acteurs - dont certains s'affichent en amis de l'Occident - d'autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les États-Unis. » (propos tenus par le Général Vincent Desportes, professeur associé à Sciences Po Paris lors de son audition par le Sénat français au sujet de l’opération « Chammal » en Irak et disponible sur le site web du Sénat).
12 Le califat qu’il prétend conquérir par les armes comprend ainsi : l'Irak, la Syrie, le Liban, le Kurdistan, le Kazakhstan, les pays du Golfe, le Yémen, le Caucase, le Maghreb, l’Anatolie, l’Égypte, l’Éthiopie, la Libye, toute la corne d’Afrique, l’Andalousie et une partie de Europe. Ce projet irréalisable n’est rien d’autre qu’une entreprise suicidaire mais non moins dévastatrice.
13 "Militarisme et décomposition [436]".
14 Autre point commun avec l’État islamique, le régime nazi avait lui aussi un objectif de conquête et de politique irréaliste et suicidaire. C’est pourquoi le terme d’islamo-fascisme pour qualifier l’idéologie de Daesh est particulièrement adapté.
15 Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, 1915.
16 La liste macabre des attentats à travers le monde depuis ceux des Twin Towers en septembre 2001 serait interminable. Il suffit de mentionner l’attaque et la prise en otage de la clientèle internationale et du personnel local d’un hôtel au centre de Bamako au Mali par un groupe lié à Al-Qaïda une semaine après les massacres de Paris qui a rajouté au moins 27 morts.
17 Attentats terroristes en France : une expression de la barbarie et de la décomposition du système capitaliste (Révolution internationale n°149, octobre 1986).
18 L’ampleur des massacres qui frappent régulièrement les marchés du Moyen-Orient lors de ce même type d’attaques-suicides, laisse présager du terrible carnage si les terroristes étaient parvenus à pénétrer dans l’enceinte du stade.
19 Communiqué de Daesh revendiquant les attentats.
20 Ces kamikazes sont d’ailleurs souvent fortement drogués lors de leur passage à l’acte, comme ce fut le cas pour celui qui a commis le massacre de l’hôtel de Sousse en juin en Tunisie.
21 Un exemple parmi d’autres innombrables : « Hier, « Au moins 36 personnes, dont 10 enfants, ont été tuées et des dizaines d'autres ont été blessées lors de plus de 70 raids effectués par des appareils russes et syriens contre plusieurs localités de Deir Ezzor », selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'homme ». (L’express du 20 novembre).
22Publié par les organisations Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (IPPNW, prix Nobel de la paix en 1985), Physicians for Social Responsibility et Physicians for Global Survival.
23 Sénat, Étude de législation comparée no 156, janvier 2006, L'état d'urgence.
24 Rosa Luxemburg, Brochure de Junius, 1915.
De la gare du Nord au Midi, les rues étaient remplies de couleurs rouge, verte et bleue. Une collection hétéroclite d’environ 120.000 personnes de toutes les régions, dépassant les frontières linguistiques, marchait derrière le front commun syndical. C’était comme si ce jeudi 6 novembre, Bruxelles, le centre de l’Europe capitaliste, s’était transformé en une ville de travailleurs «socialistes».
Une délégation syndicale de la CSC, CGSLB et FGTB a exigé un entretien avec le sommet gouvernemental de la rue de la Loi. Elle voulait engager un débat avec les ministres sur «les mesures antisociales qui font mal aux familles et aux travailleurs». Au lieu de «forcer à avaler le saut d’index», elle avait l’intention de montrer au ministre Michel «où est l’argent» et de lui dire «va le chercher là où il est !» (discours à la fin de la manifestation du dirigeant syndical FGTB de Leeuw).
A première vue, langage dur et de gros bras des syndicats à cette première journée d’une série d’actions annoncée! Car ils planifiaient encore trois lundis de grèves régionales tournantes pour clôturer par une grève nationale de 24heures le lundi 15 décembre, encore juste à temps avant la trêve de Noël.
Les actions syndicales veulent donner une forme «appropriée» au profond mécontentement et indignation provoqués par les mesures drastiques du nouveau gouvernement fédéral Michel et celles des gouvernements régionaux. Ces mesures ne sont pas des moindres: saut d’index de 2% sur les salaires et les allocations sociales, relèvement de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et de l’âge de la retraite anticipée, démantèlement des allocations pour les chômeurs et les pensionnés, diminution des subventions pour les soins de santé, gardes d'enfants plus couteuses, forte restriction des subventions pour la culture, augmentation des frais d'inscription pour l'enseignement supérieur, dégressivité des crédits d’heure, du bonus logement, des réductions pour les transports publics, l'électricité et le gaz et toutes sortes de déductions fiscales, compromission du statut des dockers….
Le capitalisme est en crise et une guerre commerciale se mène au niveau international. Si la Belgique ne veut pas être écrasée sous le poids de cette concurrence mortelle internationale et être réduite à un désert industriel, elle doit prendre des mesures pour maintenir la capacité concurrentielle de son économie nationale. Les mesures d’austérité gouvernementales sont dans cette logique inévitables, par exemple, par la réduction des coûts salariaux. Le système de production capitaliste survit sur base de l’exploitation de la force de travail. Il presse comme un citron les travailleurs jusqu’à l’épuisement pour ensuite les jeter comme de vieux chiffons. Il les «récompense» juste le strict nécessaire pour tenir le coup aussi longtemps que possible mais pas avec un rond de plus.
Selon la commission européenne: «La faible croissance dans la zone euro et la crise des dettes souveraines ont eu de sérieuses conséquences sur la croissance et l'emploi dans une économie belge ouverte (…) elle est confrontée à une perte de parts de marchés à l'exportation consécutive à une diminution des parts d'exportation de produits, qui peut être attribuée entre autres aux coûts salariaux du pays et au niveau élevé de sa dette publique ». C’est pourquoi la Belgique doit selon l’Europe «poursuivre ses réformes structurelles de consolidation de la croissance et coordonner les adaptations nécessaires à tous les niveaux de pouvoir».
La bourgeoisie sait bien ce qu’il faut faire dans ces conditions, y compris dans les situations qui peuvent, par ces attaques, susciter des réactions de la part de la classe ouvrière ou d’autre partie de la population.
Les syndicats ont donné l’impression à Bruxelles qu’avec les actions de grève, on allait taper fort. Les ouvriers ne se laisseraient plus plumer. Selon les syndicats «cela suffit». Il est grand temps que les travailleurs fassent voir qu’ils ne plaisantent pas.
Mais la manifestation s’est avérée n’être rien d’autre qu’une grandiose manœuvre orchestrée pour piéger ces mêmes travailleurs.
Les semaines précédentes la manif du 6 novembre, les syndicats avaient la bouche pleine de «ce gouvernement des patrons», «ce gouvernement le plus à droite jamais vu». Ensemble, ils allaient déclarer la guerre contre ce gouvernement de « Monaco » qui leur aurait ôté le droit de codécision sur les plans gouvernementaux à venir. Mais malgré leurs chants de sirène, en réalité, il n’y a jamais eu question de mener une guerre contre ce gouvernement. Par contre, on a bien vu «une petite guerre» avec un groupe minoritaire de travailleurs provoqués, irrités à la fin de la manif quand ils ont réalisé que la résistance allait s’éteindre comme une bougie.
En route vers la manif, plusieurs groupes de membres syndicaux ont eu largement l’occasion de consommer gratuitement ou non des rafraichissements dont des boissons alcooliques. Dans le cadre de la même manœuvre, les manifestants pendant leur promenade de la gare du Nord vers la gare du Midi ont été immergés dans des vagues de musique assourdissante et de hauts parleurs hurlants. A aucun moment, ils n’ont eu l’occasion d’engager la discussion sur quoi faire après cette manif. Et ceci n’est pas un hasard.
Les syndicats ont orienté leur «campagne de guerre» essentiellement contre les dockers d’Anvers. Que les dockers d’Anvers (et les métallurgistes) se laisseraient tentés par l’utilisation de la violence n’était pas une évidence. Mais les forces unies du capital ont créé toutes les conditions pour que cette probabilité soit très grande.
Par la suite, ces mêmes syndicats n’ont évidemment pas hésité à agir comme des mouchards et ont livré au parquet un certain nombre de travailleurs pris au piège. « Evidemment, nous voulons témoigner. Ceci n’était pas une petite escarmouche comme on en a connu à l’époque. Ceci, nous ne pouvons vraiment pas le tolérer. », déclare le secrétaire nationale des ports Marc Soens du syndicat ACV. On est également disposé à regarder de plus près les photos des provocateurs! « Nous connaissons très bien nos dockers, on reconnaitrait immédiatement leurs visages » (idem).
Lorsqu’on déclare la guerre de classe au capitalisme, attiser la colère et la haine au sein de la classe est une entreprise très risquée. Les groupes et les éléments qui le propagent et le font et qui donc exaltent la violence, constituent un grand danger pour la lutte de la classe ouvrière. Ainsi, à la manifestation, quelques dizaines d’anti-syndicalistes, d’anticapitalistes, d’ultranationalistes se trouvaient côte à côte avec les travailleurs fâchés, provoqués, dans une et une même bataille face à la police.
Le caractère massif de la démonstration du 6 novembre à Bruxelles n’était pas l’expression de la combativité de la classe ouvrière. Les 120.000 manifestants ne marchaient pas ensemble, mais seulement les uns à côté des autres. Qu’une partie d’entre eux à la fin de la manifestation, par pure impuissance, ait laissé libre cours à leur colère n’est pas incompréhensible. Mais pouvons-nous nous contenter de ce déroulement comme semble l’affirmer la position d’un gourou anarchiste hollandais sur un forum Internet quand il déclare: «la manifestation nous montrait la colère (…) plus la volonté (…) des syndicats à donner l’espace nécessaire à l’expression de cette colère»(Ravotr), Non! Au contraire!
Avant même que les prochaines étapes de la série d’actions ne s’engagent, il était déjà clair combien l’ambiance parmi les travailleurs était infestée. En réaction au fait qu’ils se sentaient utilisés comme «têtes de turcs» des provocations syndicales et autres et considérés comme boucs émissaires, certains déclaraient qu’ils étaient prêts face à la provocation: «le 24 novembre, tu vas vraiment voir…»… On parlait même, à cette occasion, de « Zwartberg » où lors de la manifestation contre la clôture des mines en 1966, on déplorait plusieurs morts. « Alors; on va peut-être enfin nous écouter» (De Morgen, 10-11-2014).
Le but le plus important que la bourgeoisie veut atteindre avec la manœuvre du 6 novembre et les différentes grèves tournantes, est de bien faire avaler à chacun que:
-la lutte de classe n’existe plus: « On doit bien se rendre compte peu à peu que la lutte de classe est révolue» (lettre ouverte du parlementaire Jean-Marie Dedecker à Rudy de Leeuw);
-la lutte ouvrière est anti-démocratique, car elle n’a aucun respect de la volonté de la majorité de la population qui a élu ce gouvernement;
-la lutte ouvrière ne mène qu’à la violence, un moyen où une minorité impose sa volonté à la majorité de la population;
-les grèves mènent seulement à encore plus de dégâts économiques et donc entrainent encore plus de plans d’austérité: «par ta vision étroite, le train des grèves fera dévoyer davantage l’économie» (idem).
Pas de comparaison possible avec la manifestation de 1986
Tous les médias se sont accordés à l’unisson pour dire que c’est l’une des plus grandes manifestations en trente ans, dans le prolongement de celles de 1986 contre les mesures d’austérité du gouvernement d’alors. Mais est-ce que cette manifestation est comparable avec celle du 31 mai 1986 ?
Ce qui était caractéristique pour le mouvement de 1986, était qu’il se plaçait dans le contexte d’une vague de luttes internationale. Juste avant « En Norvège, 120.000 travailleurs entrent en grève ; en Finlande, ce sont 250.000 grévistes qui, ensemble, se sont opposés à l'État » (Internationalisme 111). Quand la lutte en Belgique tirait à sa fin, de nombreux autres mouvements de grève ont suivi encore dans plusieurs autres pays d'Europe occidentale.
Le mouvement de classe en Belgique de 1986, qui était une réelle expression de la force potentielle de la classe ouvrière, a commencé avec «le démarrage spontané des grèves qui a mis le feu aux poudres. .. la dynamique d'extension et d'unification a été poussée par les assemblées générales et les comités d'action qui ont surgi au cours de la grève. Ce sont les ouvriers eux-mêmes qui ont lancé l'idée d'une marche sur Bruxelles comme tentative d'unification» (Internationalisme 117).
Les seules similitudes entre la situation actuelle et d’alors est que les syndicats avaient aussi la tâche d'agir comme le fer de lance de l'Etat capitaliste, nichés dans le giron de la classe ouvrière.
Car, il n’y avait pas de syndicats ou de gauchistes, mais « des ouvriers même qui ont envoyé des délégations massives vers d'autres entreprises (mineurs, cheminots, STIB...). On a vu aussi des tentatives importantes de disputer aux syndicats le contrôle de la lutte et de le garder entre les propres mains des grévistes, comme par exemple avec la coordination d'enseignants en grève du "Malibran" à Bruxelles. (internationalisme nr 117).
« Ainsi se concrétise la volonté d'utiliser la rue comme lieu propice où peut se souder l'unité dans la lutte, actifs et chômeurs réunis. Hormis la manifestation du 31/5, pendant des semaines on a vu toute une série de rassemblements massifs dans les grandes villes industrielles, et ce malgré le travail incessant des syndicats pour maintenir les ouvriers isolés.» ( Internationalisme nr 111).
Les syndicats ne voulaient pas être mis hors-jeu. Ils ont tout fait pour mettre des bâtons dans les roues de la dynamique du mouvement, le détourner et l’entraîner vers une impasse. Avec l’aide du syndicalisme de base plus «radical», ils ont finalement réussi: «Ainsi, en reprenant les perspectives issues de la lutte (extension vers d'autres secteurs, auto-organisation, marche sur Bruxelles..) ils les ont peu à peu vidées de tout leur contenu de classe» (Internationalisme nr. 111).
En réalité, la grande manifestation du 31 mai 1986 était pour les syndicats la meilleure occasion
de sauter dans le train pour ensuite en reprendre la direction qu’ils avaient à moitié perdue. Les syndicats ont réussi dans leur manœuvre parce que la classe ouvrière, à la fin de la manifestation massive, ne savait plus très bien comment continuer. La seule option qui lui restait encore était une option politique, une attaque contre l’Etat mais cela ne lui est pas venu à l’idée.
Comparée à la manifestation massive en 1986, la combativité dans la dernière manifestation à Bruxelles, était totalement absente. La plupart des manifestants marchaient docilement derrière les slogans qui suggéraient plus souvent une question ou une demande qu’une une exigence: «Pourquoi travailler plus longtemps? Trois employés sur quatre sont (quand même déjà) malades avant leur 65 ans!,…«l'éducation est un droit» et maintes banderoles dans ce genre. Certains slogans officiels ont même appelé à faire payer la «communauté» pour la politique des entrepreneurs: «Aucun licenciement, surtout pas avec l'argent gouvernemental."
À l'heure actuelle, les travailleurs sont confrontés à un système caractérisé par une paupérisation croissante, de plus en plus de destruction de la nature, de plus en plus de guerres, de plus en plus d'indifférence et une exploitation de plus en plus impitoyable. Comment est-il possible que la classe ouvrière dans la période actuelle exprime tellement peu son mécontentement et à une si petite échelle et ne le transforme pas en une véritable confrontation avec les représentants d'un système qui n'a plus rien à offrir et fait apparaître constamment son caractère inhumain?
Essentiellement, parce que les conditions de vie et de luttes dans la période autour de la chute du mur de Berlin (qui est actuellement, à large échelle, si allègrement commémorée dans les médias) ont changé radicalement pour la classe ouvrière. Il y avait déjà des difficultés au niveau de la combativité, comme on l’a aussi un peu vu en Belgique après la manifestation massive de 1986. La classe ouvrière se heurtait aux manœuvres syndicales (comme le renforcement du corporatisme) et n’était pas capable de faire un pas qualitatif dans sa lutte en intégrant son caractère historique et sa dimension politique et culturelle.
Peu à peu, il y avait une sorte de blocage dans la lutte entre la classe ouvrière d’un côté et la classe capitaliste avec son état bourgeois de l’autre côté. Les deux ont échoué dans la mise en avant de leur perspective historique. Par la perte d’une cohérence interne, la société a commencé de plus en plus à se décomposer. Le «chacun pour soi» est devenu de plus en plus l’élément prépondérant du capitalisme décadent.
La chute du Mur et l'effondrement ultérieur de différents régimes en Europe orientale, ont fait un nouveau bond en avant. Tous les Etats ont commencé à s’effondrer et le chaos prit de plus en plus le dessus sur la scène mondiale. Seuls les grands Etats capitalistes démocratiques de l'Ouest les plus dictatoriaux pouvaient encore assurer une certaine forme de stabilité. La pratique quotidienne montrait clairement qu'il n'y avait réellement plus d'alternative possible pour le capitalisme démocratique.
Depuis ce moment, des campagnes se développent pour une démocratie directe et radicale. La démocratie bat son plein et affirme son influence de façon omniprésente. La démocratie est à partir de ce moment égale à la liberté absolue pour chaque individu et pour l'autonomie de toutes les minorités opprimées. Le communisme, perspective historique de la classe ouvrière, est depuis lors considéré comme anti-démocratique, relégué aux intrigues secrètes, pratiques sournoises, à des disputes sectaires et forces obscures.
L'effondrement des régimes staliniens en particulier «a provoqué un recul important du prolétariat, tant au niveau de sa conscience que de sa combativité. Ce recul était profond et a duré plus de dix ans» (Revue Internationale n°130, 3e trimestre 2007) avant que les travailleurs de nouveau aient commencé à construire un tant soit peu la résistance.
« Pourtant, au cours des années, la décomposition a posé à la classe ouvrière des difficultés importantes à la fois matérielles et idéologiques pour le développement de la lutte de la classe ouvrière:
-au niveau économique et social, les processus matériels de décomposition ont eu tendance à saper pour le prolétariat la conscience de son identité. De plus en plus les concentrations traditionnelles de la classe ouvrière ont été détruites ; la vie sociale est devenue de plus en plus atomisée (...) ; le chômage de longue durée, spécialement parmi les jeunes, renforce cette atomisation et défait encore plus le lien avec les traditions de combat collectif;
-les campagnes idéologiques incessantes de la classe dominante, vendant le nihilisme, l'individualisme, le racisme, l'occultisme, et le fondamentalisme religieux, tout ceci aidant à obscurcir la réalité de la société dont la division fondamentale reste la division en classes;
-la classe ouvrière est donc confrontée aujourd'hui à un grave manque de confiance - pas seulement en sa capacité à changer la société, mais même en sa capacité à se défendre elle-même au jour le jour. Ceci (,,,) a accrue la capacité du capitalisme à dévoyer les efforts des ouvriers pour défendre leurs propres intérêts vers tout un patchwork de mouvements "populaires" et "citoyens" pour plus de "démocratie". (Revue Internationale n°106, 3e trimestre 2001)
Les conséquences de cette décomposition ont conduit très régulièrement à des désarrois et même à la démoralisation. Elles ont marqué toute une génération de prolétaires.
La vie et les conditions de travail se sont déjà dramatiquement détériorées ces dernières années, comme en 2013 et les années d’avant. Selon les syndicats: «maintenant c'est tout ou rien: la vérité doit sortir de dessous de la table». Mais quelle vérité les syndicats veulent-t ’ils mettre sur la table?: celle des capitalistes ou celle de l’humanité? Les syndicats depuis le début de la première guerre mondiale, donc depuis plus de cent ans, jouent dans le jeu hypocrite du système actuel et certainement pas pour révéler la vérité d'un monde sans concurrence, sans classes, sans exploitation, sans oppression.
Non, cette fois-ci non plus, il ne s’agit pas de dévoiler la vérité. A la manifestation de Bruxelles, les syndicats ont lancé une offensive. A travers une série de grèves fragmentées, de manifestations muettes et bien d'autres actions spécifiques (telles que les manifestations les unes à part des autres des travailleurs sociaux, des étudiants et des conducteurs de train du11 Décembre), ils ont précipité la classe ouvrière dans l'abîme du désespoir. Leur seul but était d’ancrer encore plus profondément dans l’esprit des travailleurs actifs, des chômeurs et des employés, des étudiants, des jeunes et des retraités, que cette lutte ne mène nulle part, que les mesures d'austérité sont inévitables et donc ne peuvent être qu’avalées. L'acceptation donc de la logique capitaliste inhumaine, tombée dans la décomposition.
Nous ne devons donc pas seulement reprocher au gouvernement et aux entrepreneurs, soutenus par de larges campagnes médiatiques, de prendre des mesures d’austérité draconiennes sur notre dos, mais tout autant aussi aux syndicats, le véritable loup dans la peau du mouton. Comme tous les communistes de gauche le savent depuis la publication du programme de 1920, les syndicats «sont ainsi, à côté des fondements bourgeois, l'un des principaux piliers de l'Etat capitaliste».(Programme du "Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne" (KAPD) Mai 1920).
Depuis 100 ans déjà, les syndicats ne sont plus du côté de la classe ouvrière. Depuis un siècle déjà, les syndicats ne sont plus une organisation de combat des travailleurs. Si les syndicats momentanément montent le ton, ce n’est pas pour défendre les intérêts des travailleurs, mais ceux de l'Etat, du capital et de l'économie nationale. Pour paralyser la résistance avant même qu’elle devienne mûre et qu’elle prenne la forme d’un véritable combat contre les causes de toute cette misère.
Zyart/25.11.2014
Avant de faire un compte rendu de cette réunion, nous allons fournir un certain nombre d'éléments sur celui qui donnait la conférence, Philippe Bourrinet, présenté sur l'affiche annonçant la réunion comme "auteur de différents articles et livres sur le mouvement ouvrier révolutionnaire et membre des éditions Smolny" 1 [439]. En effet, ces éléments sont nécessaires pour comprendre tant le contenu de l'exposé présenté par Philippe Bourrinet que la discussion qui a suivi.
Paraphrasant Karl Marx dans sa fameuse polémique contre Proudhon 2 [440] nous pourrions écrire :
"Philippe Bourrinet a le malheur d'être singulièrement méconnu. Parmi ceux qui s'intéressent ou se réclament de la Gauche communiste, il passe pour un historien sérieux et honnête. Parmi les historiens, il passe pour un défenseur des idées de la Gauche communiste et un fin connaisseur de la principale organisation de celle-ci, le CCI, dont tout le monde sait qu'il fut membre pendant plus de 15 ans. Nous, en tant que militants du CCI et attachés, de ce fait, à une connaissance sérieuse et honnête de l'histoire (bien que nous ne prétendions pas être des historiens), nous avons voulu protester contre cette double erreur."
En avant-propos de notre protestation contre l'ignorance dont est victime Philippe Bourrinet, nous reviendrons sur quelques épisodes de sa trajectoire politique parce qu'ils permettent de réfuter beaucoup d'idées fausses qui circulent aujourd'hui sur son compte.
Après un court passage dans les rangs de l'organisation trotskiste Lutte Ouvrière, Philippe Bourrinet est entré au début des années 1970 dans le groupe Révolution internationale qui allait devenir peu après la section en France du CCI. Comme Philippe Bourrinet avait une bonne plume et qu'il avait des connaissances assez étendues, l'organisation lui a rapidement confié la rédaction d'articles pour sa presse, articles signés Chardin. Il a également été nommé dans l'organe central du CCI peu après la fondation de celui-ci, en 1975. Une des raisons de cette nomination était qu'il connaissait plusieurs langues, et notamment la langue allemande.
Philippe Bourrinet ayant commencé des études en histoire, le CCI et lui se sont mis d'accord pour qu'il consacre son mémoire de Maîtrise à une étude sur la Gauche communiste d'Italie qui serait publiée comme brochure de notre organisation. Pour ses travaux, dont lui-même tirait un avantage personnel pour son cursus universitaire, il a bénéficié d'un plein soutien de notre organisation, un soutien matériel mais aussi politique puisque notre camarade Marc Chirik 3 [441], qui avait été membre de la Gauche communiste d'Italie, lui a fourni une grande quantité de documents et d'informations de première main de même que des conseils précieux. Son mémoire, comme c'était prévu, a été publié en livre par notre organisation peu après. Comme ce document était considéré comme un travail du CCI exprimant les analyses politiques de celui-ci, il ne portait pas de signature au même titre que les brochures que nous avions publiées auparavant.
Après la publication de ce livre, nous avons encouragé Philippe Bourrinet à réaliser un travail similaire sur la Gauche communiste germano-hollandaise pour sa thèse de doctorat. Les premiers chapitres de cette étude ont été publiés dans la Revue Internationale du CCI (dans les numéros 45 à 50 et 52). Encore une fois, Philippe Bourrinet a pu s'appuyer sur le soutien politique et matériel du CCI pour ce travail 4 [442]. Il a soutenu sa thèse en mars 1988 et nous avons commencé un long travail de mise en forme et de maquettage de son document qui a finalement été imprimé en novembre 1990 alors que Philippe Bourrinet avait quitté le CCI quelques mois auparavant. Pour motiver son départ il n'avait pas évoqué la moindre divergence politique avec notre organisation. Il nous avait simplement dit qu'il n'avait plus envie de militer.
Deux années plus tard, nous avons reçu à notre boite postale, sans la moindre lettre d'accompagnement, une copie de deux documents [443]5 [444] surprenants. Le premier, daté du 21/08/1992, était un "Reçu de dépôt de manuscrit par Bourrinet Philippe d'un manuscrit intitulé La Gauche communiste hollandaise 1907-1950". Ce reçu émanait du Département du droit d'auteur de la Société des gens de lettres. L'autre document, daté du 27 juillet 1992, était pour nous plus surprenant encore. Il s'agissait d'un texte dactylographié intitulé "A PROPOS D'EDITIONS ANONYMES Effectuées par le groupe Courant Communiste International (CCI) en France et ailleurs".
Dans ce document on pouvait lire : "Le livre intitulé LA GAUCHE HOLLANDAISE, signé "Courant communiste international", imprimé en novembre 1990 par la "Litografia Libero Nicola, Napoli", et diffusé ensuite en France et Belgique, a été écrit entièrement par Philippe BOURRINET, docteur de l'université de Paris I – Sorbonne (22 mars 1988)". Ce passage était juste. Mais il y avait par ailleurs dans ce texte une série d'allégations contre le CCI, accusé notamment de "piratage", que nous avons voulu éclaircir avec Philippe Bourrinet. Une délégation du CCI l'a donc rencontré dans un café de la Place Clichy à Paris, près de son domicile d'alors. Cette délégation a fait, à son tour, une mise au point, rappelant à Philippe Bourrinet la vérité des faits, mise au point qu'il n'a pas essayé de contredire. Elle lui a demandé pourquoi, d'un seul coup, il faisait un scandale sur le fait que son nom ne figurait pas dans le livre sur la Gauche hollandaise, exigence qu'il n'avait jamais formulée auparavant. Il nous a dit que, pour le poste professionnel qu'il avait en vue, le fait qu'il soit l'auteur de ce document lui serait utile et qu'il souhaitait que, désormais, son nom figure sur les éditions du livre. Dans sa "mise au point", Philippe Bourrinet avait porté des attaques inqualifiables contre le CCI mais nous avons décidé de ne pas lui en tenir rigueur, par exemple en contrariant ses projets professionnels. Nous avons donc décidé d'accéder à sa demande mais, comme la version française avait déjà été imprimée, nous lui avons dit que c'était trop tard pour cette version, ce dont il a convenu. Nous nous sommes engagés à publier cette précision dans les futures éditions de "La Gauche hollandaise" réalisées par nos soins. La délégation a proposé d'insérer dans ces éditions un petit texte contenant les éléments suivants :
cet ouvrage a été rédigé par Philippe Bourrinet dans le cadre d'un travail universitaire mais en tant que militant du CCI et à la suite de discussions au sein de cette organisation ;
de ce fait, les orientations politiques exprimées dans cet ouvrage sont celles du CCI ;
comme Philippe Bourrinet a depuis quitté cette organisation, celle-ci ne saurait désormais être tenue pour responsable des positions politiques que Philippe Bourrinet sera amené à prendre.
Philippe Bourrinet a accepté cette proposition. 6 [445]
Pour le CCI, la question était donc réglée et nous ne nous sommes plus intéressés outre-mesure à ce que devenait le Docteur Bourrinet. 7 [446] Ce manque d'attention à son égard était notamment motivé par le fait que ses nouvelles productions littéraires étaient loin d'avoir la qualité et de présenter l'intérêt de ses deux écrits sur la Gauche communiste d'Italie et la Gauche germano-hollandaise. Nous avons évidemment relevé, en navigant sur Internet, le fait que le Docteur Bourrinet avait republié à son compte ces deux documents, avec quelques modifications par rapport au texte original publié par le CCI, des modifications allant dans le sens d'une plus grande proximité avec les positions du conseillisme. C'est ainsi que, dans l'"Avertissement final" de cette nouvelle édition de la Gauche germano-hollandaise, le Docteur Bourrinet écrivait :
"Dans la présente édition transparaissent des défauts inévitables pour un travail accompli dans un cadre universitaire. Transparaît aussi l'engagement de l'auteur dans le groupe mentionné [le CCI], sous la forme de traces d'idéologie s'éloignant d'une rigoureuse analyse marxiste du mouvement et de la théorie révolutionnaire. (…) Dans la mesure du possible, je me suis efforcé d'enlever ou de relativiser des passages qui sentaient trop une polémique anti-“conseilliste”, propre au groupe dont je subissais alors l'influence."
Ce passage nous apprenait plusieurs choses. D'une part, il avait fallu que le Docteur Bourrinet quitte le CCI pour qu'il accède enfin à "une rigoureuse analyse marxiste du mouvement et de la théorie révolutionnaire". Il oubliait de dire que c'est le groupe Révolution Internationale (future section du CCI en France) qui lui avait appris les fondements du marxisme alors qu'il venait juste de quitter Lutte Ouvrière, une organisation qui n'a rien à voir, même si elle s'en revendique, ni avec le marxisme ni avec le mouvement révolutionnaire. Il apportait aussi de l'eau au moulin à l'idée, propre au "marxisme" universitaire, que l'on peut être "marxiste" tout en restant à l'écart de toute organisation politique menant le combat pour la défense des principes prolétariens. Une idée bien proche du rejet par le conseillisme dégénéré de la nécessité de l'existence d'une telle organisation et qui explique que bien des "marxistes de la chaire" se trouvent des affinités avec le conseillisme. Une réponse que l'on peut opposer à la vision du Docteur Bourrinet nous est donnée par le militant du CCI... Philippe Bourrinet :
"À la différence du “conseillisme” des années 1920 à la Rühle et des années 1930 en Hollande, le courant conseilliste actuel est en rupture avec la tradition de la Gauche communiste, “communiste de conseils”. Il correspond beaucoup plus à une révolte de fractions de la petite bourgeoisie ou d’éléments du prolétariat méfiants à l’égard de toute organisation politique. Le danger conseilliste de demain ne surgira pas d’une défaite de la révolution, comme dans les années 1920 en Allemagne, il surgira au début de la vague révolutionnaire et sera le moment négatif de la prise de conscience du prolétariat." (Procès-verbal d'une journée d'étude tenue par la section en France du CCI en avril 1985 sur le thème "Le danger du conseillisme", p. 19)
"L’ouvriérisme coexiste très, très bien, on peut même dire totalement, avec l’intellectualisme. Et dans ce sens-là, on a vu effectivement une espèce d’anarchisme de type petit-bourgeois, au sens du rejet de toute forme d’autorité et d’organisation, etc., etc. ; un peu la vision de l’intellectuel ouvriériste que condamnait déjà Lénine dans Que Faire ?" (Ibid. p. 32)
Enfin, nous apprenions que si, à cette époque, le militant Philippe Bourrinet a commis des erreurs, c'est qu'il était "sous influence". Docteur Bourrinet, tu es (pour une fois) bien modeste ! 8 [447] Le militant Philippe Bourrinet ne se contentait pas de "subir l'influence du CCI", il était un défenseur déterminé et talentueux des positions et analyses de cette organisation dans son combat contre les dérives conseillistes en son sein. C'est d'ailleurs pour cette raison que le CCI lui avait confié la tâche de rédiger l'article de la Revue Internationale n° 40 qui engageait publiquement ce combat. (Voir "La fonction des organisations révolutionnaires : le danger du conseillisme")
Après que le Docteur Bourrinet ait révisé les deux textes sur la Gauche italienne et la Gauche germano-hollandaise, il en a fait imprimer de nouvelles versions papier qu'il a mises en vente sur Internet. Évidemment, ces textes comportaient un peu plus de matière et moins de coquilles que ceux publiés par le CCI. En outre, ils exprimaient mieux le nouveau positionnement politique du Docteur. Mais ces changements avaient pour lui une valeur considérable : alors que le CCI vendait le livre sur la Gauche hollandaise 12 Euros, le Docteur en demandait 75 [448]. De même pour la Gauche italienne, on passait de 8 Euros à 50 Euros [449] (40 euros [450] pour la version en anglais). 9 [451] C'est vrai que les versions vendues par le Docteur avaient une couverture en couleurs ! Dans une lettre célèbre du 18 mars 1872 à son éditeur français du Capital, Marx écrivait : "J’applaudis à votre idée de publier la traduction de Das Kapital en livraisons périodiques. Sous cette forme, l’ouvrage sera plus accessible à la classe ouvrière et, pour moi, cette considération l’emporte sur toute autre." De toute évidence, ce n'est pas ce type de considération qui "l'emporte sur toute autre" chez le Docteur Bourrinet qui, pour sa part, procède comme ces autres "Docteurs", les médecins, inscrits dans le Secteur 2 dont les tarifs, deux fois plus élevés que ceux du Secteur 1, non seulement leur permettent d'arrondir leurs revenus mais aussi les préservent d'une patientèle ouvrière, de "pue-la-sueur", beurk !
Est-ce par pingrerie que le Docteur Bourrinet a fixé à ce niveau exorbitant le prix de ses ouvrages ? Ce n'est pas totalement à exclure car déjà le militant Philippe Bourrinet était connu pour ce trait de caractère au sein du CCI, ce qui provoquait d'ailleurs les moqueries du camarade Marc Chirik, alors trésorier de la section en France. Cela-dit, il est peu probable que la radinerie du Docteur Bourrinet, pour maladive qu'elle soit, l'ait rendu complètement stupide. Même un imbécile peut comprendre qu'à ce prix les ouvrages imprimés sous la responsabilité de ce Docteur ne trouveront pratiquement pas d'acheteur (même en supposant que le CCI, comme le réclame à cors et à cris le Docteur, cesse de diffuser ceux édités par ses soins) 10 [452]. En fait, il est très probable que la hauteur vertigineuse des tarifs du Docteur Bourrinet est à l'image de ce qu'il pense de ses œuvres et de lui-même. Brader "à vil prix" ses productions littéraires (qu'il doit probablement considérer comme plus importantes que Das Kapital), c'est minimiser leur valeur, tout cela dans la logique bourgeoise la plus classique et méprisable telle qu'elle s'était déjà exprimée avec son appel à la "Société des gens de lettres". Si ces explications sont à côté de la réalité, nous engageons le Docteur Bourrinet à nous fournir sa propre explication. Nous ne manquerons pas de la publier comme d'ailleurs toute réponse qu'il souhaiterait apporter à cet article.
Cela-dit, la mesquinerie du Docteur Bourrinet et les petites contorsions marquées par la mauvaise foi que nous avons signalées plus haut, ne sont rien à côté des calomnies qu'il avait portées dès 1992 contre notre organisation, des calomnies que nous avions à l'époque décidé de ne pas relever publiquement mais auxquelles il est temps de répondre aujourd'hui car, depuis mars 2012, elles sont venues polluer Internet. En effet, sur le site www.left-dis.nl/f [453] il y a un lien intitulé "Une mise au point publique (Paris, décembre 91) sur le parasitisme 'instinctif' de la secte 'CCI'. Mars 2012". En cliquant sur ce lien 11 [454], on trouve un fichier Pdf reproduisant les documents reçus par le CCI en 1992 (évoqués plus haut) et sur lesquels nous revenons maintenant.
Dans la "mise au point" du 27 juillet 1992, on peut lire :
"À l'occasion de l'édition de sa thèse de doctorat, et de son précédent mémoire de maîtrise portant sur la Gauche communiste italienne (1926-1945)", effectuée sans l'accord de l'auteur, avec ajouts et retranchements arbitraires de ce groupe, qui croit en posséder la propriété sous prétexte que l'auteur soussigné a été membre dudit CCI, la mise au point suivante s'impose au lecteur :
Ce travail publié anonymement par le CCI en 1991, en français, l'a été sans l'accord, sans les révisions, sans l'avertissement de l'auteur, qui a été mis devant le fait accompli d'un véritable 'piratage'.
[Suit le passage déjà cité plus haut indiquant que Philippe Bourrinet était docteur de l'université Paris I et un autre passage où il donne des précisions sur les circonstances de la soutenance de sa thèse]
Ce livre prolonge celui sur LA GAUCHE COMMUNISTE ITALIENNE 1912-1945, travail de maîtrise du même auteur (Paris I - Sorbonne, 1980, sous la direction de Jacques Droz).
Ce mémoire de maîtrise a été publié en 1981 et 1984, anonymement - en français et italien - par le groupe CCI, avec l'accord tacite, et uniquement tacite, de l'auteur."
Commençons par "l'accord tacite, et uniquement tacite" du militant Philippe Bourrinet donné à la publication sans nom d'auteur du travail sur la Gauche communiste italienne. Docteur Bourrinet, espèce de faux-cul, c'est quoi cette embrouille ? Tu étais d'accord ou non que le texte que tu avais rédigé soit publié comme brochure du CCI ? C'est "tacitement" que tu as discuté longuement avec d'autres militants de l'organisation de la maquette et de la couverture de cette brochure, une couverture où, effectivement, il n'y avait pas de nom d'auteur ?
Quant au travail sur la Gauche germano-hollandaise, qui aurait été publié sans l'accord du tout nouveau Docteur Bourrinet, nous te posons cette autre question : Est-ce qu'il n'y avait pas de miroir chez toi te permettant de constater à quel point ton nez s'était allongé après que tu aies écrit une telle chose ? Tu es un fieffé menteur Docteur Bourrinet en prétendant que tu as été "mis devant le fait accompli". Et la preuve de notre accusation, elle nous est fournie par un article publié dans notre Revue Internationale n° 58 (3ème trimestre 1989) 12 [455] et intitulé "Contribution pour une histoire du mouvement révolutionnaire : histoire de la gauche germano-hollandaise". Dans cet article on peut lire : "L'histoire de la gauche communiste internationale depuis le début du siècle, telle que nous avons commencé à la relater dans les brochures sur La Gauche communiste d'Italie, n'est pas seulement un travail d'historien. Ce n'est que d'un point de vue militant, du point de vue de l'engagement dans le combat de la classe ouvrière pour son émancipation que peut être abordée l'histoire du mouvement ouvrier, histoire dont la connaissance, pour la classe ouvrière, n'est pas affaire de savoir, mais d'abord et avant tout une arme de son combat pour les luttes du moment et à venir, par les leçons du passé qu’elle enseigne.
C'est de ce point de vue militant que nous publierons, comme contribution pour une histoire du mouvement révolutionnaire, une brochure sur La gauche communiste germano-hollandaise, qui paraîtra dans le courant de cette année. C'est ce point de vue de comment nous avons abordé cette histoire qui est présenté ci-dessous dans l'introduction à cette brochure."
Mais qui est donc ce militant du CCI, ce salopard, qui justifie ainsi par avance le "piratage" de la thèse du Docteur Bourrinet, qui se rend complice de la manœuvre visant à mettre ce dernier "devant le fait accompli". L'article est signé Ch., c'est-à-dire Chardin, c'est-à-dire le militant... Philippe Bourrinet.
Ainsi, c'est le militant Philippe Bourrinet, probablement "sous influence", qui assume publiquement et par écrit l'ignominie que le CCI s'apprête à commettre à l'encontre du Docteur Bourrinet. Mais au moment où il écrit cet article, il a déjà reçu le titre de Docteur de l'Université Paris I - Sorbonne. En d'autres termes, un des principaux responsables des infamies commises contre le Docteur Bourrinet n'est autre que le Docteur Bourrinet lui-même. Le Docteur Bourrinet serait-il masochiste ? En tout cas, c'est un fieffé menteur, nous persistons et nous signons. Un menteur et un calomniateur méprisable.
Mais les agissements écœurants de mars 2012 du Docteur Bourrinet ne s'arrêtent pas à la publication de documents vieux de 20 ans. Il fallait que ce Docteur plonge encore plus dans la bassesse. C'est ainsi que plusieurs militants du CCI ont reçu une lettre recommandée [456] avec accusé de réception datée du 23 mars 2012 et envoyée par le Service juridique de la Société des Gens de Lettres. En voici l'essentiel :
"Nous intervenons au nom de Monsieur Philippe Bourrinet, membre de la Société des Gens de Lettres, au sujet de son mémoire et de sa thèse (…).
Nous sommes très surpris d'apprendre que ces deux ouvrages font régulièrement l'objet de contrefaçon, portant ainsi atteinte à la fois aux droits patrimoniaux et au droit moral de Monsieur Bourrinet.
Nous vous prions donc de cesser immédiatement toute exploitation de ces textes sur les différents sites Internet où ils peuvent se trouver, mais également dans toute édition d'ouvrages.
À défaut, l'auteur se réserve le droit d'agir par toutes les voies de droits qui lui sont offertes."
En d'autres termes, le Docteur Bourrinet se "réserve le droit" d'envoyer un juge aux fesses d'un certain nombre de militants du CCI si ce dernier continue à diffuser les livres sur la Gauche italienne et sur la Gauche germano-hollandaise. Le plus piquant de l'histoire, c'est qu'un des militants de notre organisation qui a reçu cette lettre de menaces est justement un de ceux qui s'est le plus impliqué dans le soutien matériel aux travaux du militant Philippe Bourrinet, notamment en photocopiant à son travail, au risque d'avoir de sérieux ennuis avec son employeur, voire d'être licencié, des centaines et des centaines de pages de documents (épreuves des écrits de Philippe Bourrinet afin qu'ils soient relus par d'autres militants, recueils de différentes publications de la Gauche communiste qui lui avaient été prêtés pour une courte période, exemplaires des mémoires de Maîtrise et de Thèse devant être fournis à l'Université).
Aujourd'hui, le Docteur Bourrinet, avec la lâcheté qui le caractérise, puisqu'il se protège derrière la Société des Gens de Lettres à qui il a raconté des bobards, menace de faire appel à l'État bourgeois pour défendre son "patrimoine" et faire respecter son "droit moral". Et avec ça, il continue de se réclamer de la Gauche communiste et "d'une rigoureuse analyse marxiste du mouvement et de la théorie révolutionnaire". Qu'auraient pensé les militants héroïques de ce courant s'ils avaient su comment le Docteur Bourrinet allait se servir de l'histoire de leur combat, écrite par le militant Philippe Bourrinet, d'une façon aussi mesquine et méprisable ?
Retranché derrière la barrière protectrice du droit bourgeois à laquelle il s'agrippe piteusement, le Docteur Bourrinet a la prétention insensée de s'arroger le droit de faire main basse sur le patrimoine de la Gauche communiste, sur des textes du mouvement ouvrier qui n'appartiennent à personne si ce n'est à la classe ouvrière et dont les organisations prolétariennes sont les dépositaires, les garants politiques et moraux. Ce philistin croit pouvoir se comporter comme le vulgaire capitaliste qui protège son "brevet industriel", en faisant croire que le produit de l'histoire universelle de la classe exploitée est une marchandise qui se réduit à sa misérable individualité et à sa "propriété intellectuelle". Il s'agit d'une pure escroquerie, d'une ridicule OPA hollywoodienne. La classe ouvrière ne secrète pas des individus-militants, mais des organisations révolutionnaires qui sont le produit d'un combat et d'une continuité historique. C'est d'ailleurs ce que rappellent déjà les statuts de l'AIT en 1864 : "Dans sa lutte contre le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct et opposé à tous les anciens partis politiques créés par les classes possédantes" (Art.7a). Les organisations ouvrières défendent des principes qui sont le fruit d'une expérience historique. En ce sens, le travail des militants s'inscrit dans un mouvement qui n'est pas et ne peut pas être leur "propriété personnelle". Visiblement, si cela avait été compris par le militant Philippe Bourrinet, le Docteur Bourrinet l'a complètement oublié. Les statuts du CCI précisent très clairement ce qui autrefois était une évidence morale dans le camp du prolétariat : "tout militant qui quitte le CCI, même au sein d'une scission, restitue à l’organisation la totalité des moyens matériels de celle-ci (argent, matériel technique, stock de publications...)" (souligné par nous).
Voilà donc le vrai visage du Docteur Bourrinet ! S'arroger un butin pour avoir recours à la justice bourgeoise par vengeance personnelle et pour flatter son orgueil blessé. Une telle transgression de l'engagement moral initial, lorsqu'il était militant, n'est pas seulement pitoyable. Il s'agit là d'un comportement totalement étranger au mouvement ouvrier. Une telle démarche légaliste de petit bourgeois revanchard n'a jamais été celle de la Gauche communiste que ce faussaire prétend défendre ! Comment qualifier le Docteur Bourrinet ? Une profusion de termes, tous moins obligeants les uns que les autres, nous vient à l'esprit. Devant une telle abondance de qualificatifs, on ne sait lequel choisir. Aussi, nous préférons dire qu'il est "inqualifiable".
Mais les exploits du Docteur Inqualifiable ne s'arrêtent pas là. Non seulement il fallait qu'il essaie, par les moyens les plus vils, de porter le plus de tort possible à son ancienne organisation, le CCI, mais il fallait qu'il s'attaque également à la mémoire du militant qui a joué un rôle déterminant dans la constitution de celui-ci, notre camarade Marc Chirik, décédé en décembre 1990.
Pour ce faire, il utilise une notice biographique [457]publiée sur son site Internet et qui reprend, en même temps que d'autres notices, celles qui se trouvent à la fin de sa nouvelle version du livre sur la Gauche italienne.
Dans la notice publiée à la fin du livre, il se permet une petite attaque mesquine contre Marc Chirik : "Pour Jean Malaquais, l'ami de toute une vie, il incarnait une certaine figure de 'prophète' politique". Sur le site Internet du Docteur Bourrinet, la phrase s'allonge et constitue une attaque beaucoup plus claire à la réputation de notre camarade : "Pour Jean Malaquais, l’ami de toute une vie, Marc Chirik incarnait une désuète figure de “prophète” politique, cherchant toujours à prouver et à se prouver qu’il ne “s’était jamais trompé”". On reconnaît là le style faux-cul du Docteur Bourrinet. On fait parler "l'ami de toute une vie" pour faire passer une image négative de Marc Chirik, sans préciser que si Malaquais était un bon écrivain et un bon polémiste, et qu'il partageait les positions de la Gauche communiste, il n'avait pas la personnalité d'un militant et qu'il n'avait fondamentalement pas compris ce qu'est le militantisme révolutionnaire. D'ailleurs, à une époque où il habitait à Paris et où il venait parfois à nos réunions publiques, il avait demandé à entrer dans le CCI, mais Marc Chirik n'avait pas eu de mal à convaincre les autres camarades qu'on ne pouvait accepter sa candidature car, souvent, il manifestait un mépris assez hautain envers les militants et envers les activités que nous menions.
Cette petite mesquinerie au sein de la notice biographique sur Marc Chirik publiée par le Docteur Bourrinet est loin d'être le pire. Le pire, c'est un ajout, sous la notice elle-même, où le Docteur reprend à son compte les calomnies les plus basses qui ont circulé contre notre organisation, notamment de la part de ce ramassis de voyous et de mouchards qui s'est donné le titre de "Fraction interne du CCI" :
"Très vite après son décès, dès 1991-1993, le groupe de Marc Chirik fut secoué par de furieuses “guerres des diadoques” ayant pour enjeu la succession des “chefs” à la tête des “masses” du CCI, en fait de dérisoires guerres picrocholines ayant pour scène une “maison d’aliénés”"
Puis, le Docteur Bourrinet fait parler les "adversaires" de notre camarade et de notre organisation pour déverser un tombereau d'ordures sur l'un et l'autre :
"Pour ses adversaires politiques, Marc Chirik restait une figure du passé, rattachée au courant léniniste et trotskyste, dans ses pires aspects, un lointain disciple d’Albert Treint, recourant aux manœuvres de type “zinoviéviste”, et n’hésitant pas, comme en 1981, lors d’une antépénultième scission, à recourir à des “raids tchékistes” contre les “dissidents”, pour “défendre l’organisation”, et “récupérer son matériel”.
Pratiquant un “contrôle monolithique” de “son” organisation, Marc Chirik aurait ainsi contribué à la faire très tôt sombrer sans retour dans une “psychose paranoïaque”. Une sombre réalité qui, pour nombre d’anciens militants, aurait déchiqueté l’organisation “chiriquienne”, dont les travers les plus visibles étaient : une malhonnêteté politique érigée en impératif catégorique, des “techniques policières de harassement”, une atmosphère soigneusement cultivée de paranoïa ultra-sectaire utilisant ad nauseam la “théorie des complots”, préconisant comme résolution des différends politiques une prophylaxie d’éradication du “parasitisme” des organismes “ennemis”.
Au final :
a) un retour triomphant (et assumé) du “refoulé” stalinien dans la “praxis” ;
b) un attachement de couverture aux “acquis du freudisme”, où “lutte entre prolétariat et bourgeoisie” côtoie la “lutte éternelle entre Éros et Thanatos”, ainsi que celle entre “le bien” et “le mal”, le bien étant la “morale prolétarienne” dont le CCI serait le dépositaire à travers ses “organes centraux” ;
c) un attachement quasi religieux au darwinisme, comme méthode de “sélection” des espèces politiques les mieux “adaptées”, sous couvert d’un développement de l’“instinct social”, dont le CCI serait l’ultime incarnation ;
d) sous le manteau “vertueux” de la “morale prolétarienne”, le triomphe en coulisses de l’immoralisme politique, “éternel retour” du “catéchisme de Netchaïev”, où tout est permis pour détruire l’adversaire politique".
Comme on peut le constater, les accusations rapportées par le Docteur Bourrinet ne concernent pas seulement celles ayant visé Marc Chirik ou le CCI du temps où il était parmi nous, mais aussi des accusations bien postérieures à son décès. Par exemple, le CCI n'a jamais discuté du darwinisme ou publié d'articles sur ce thème du vivant de Marc Chirik. Ce n'est qu'à partir de 2009, soit près de 20 ans après la mort de notre camarade, que cette question a été abordée dans nos discussions internes et dans notre presse. En fait, le Docteur Bourrinet veut "faire d'une pierre deux coups" : démolir Marc Chirik et démolir l'organisation dont il a été le principal fondateur, le CCI.
A la vérité, ce véritable "inventaire à la Prévert" nous donne un concentré de la "méthode Bourrinet". Pour respecter formellement les règles de l'historien, il fait suivre sa notice d'une bibliographie au sein de laquelle on trouve effectivement les origines de ces insanités. Mais cette bibliographie est tellement abondante, qu'elle noie les références des publications qui profèrent ces calomnies. De plus, il est particulièrement difficile, même pour un "spécialiste", d'accéder à nombre de textes référencés ce qui fait que la plupart des lecteurs ne se donneront pas la peine d'aller chercher "qui a dit quoi". Et c'est justement ça qui est important. Si dans une notice biographique de Trotski on insérait un paragraphe sur ce que disaient de lui ses "adversaires politiques" et que, parmi les accusations, il y avait celle qu'il était "un agent de Hitler", il est clair que le simple fait que l'on sache que cette accusation avait été portée par le procureur Vychinski lors des "Procès de Moscou" suffirait à lui enlever toute vraisemblance. Nous n'allons évidemment pas accabler le lecteur avec une réfutation systématique de toutes les calomnies proférées contre Marc Chirik et contre le CCI par les publications ou articles dont le Docteur donne la référence et qu'il colporte complaisamment. Disons simplement qu'elles émanent principalement d'ancien membres du CCI qui, pour différentes raisons, ressassement une haine tenace contre notre organisation. Certains d’entre eux étaient resté marqués par des visions anarchisantes qui les ont conduits, en fin de compte, à souscrire à la formule "Lénine=Staline". D’autres ont eu le sentiment que l’organisation ne les considérait pas à leur juste valeur ou bien n’ont pas supporté certaines critiques ce qui les a conduits à faire de leur orgueil blessé une cause plus importante à défendre que les positions communistes. D'autres, se sont distingués par des comportements de voyous en même temps qu’ils étaient prêts à faire appel à la police lorsque des équipes du CCI se sont présentés chez eux pour récupérer le matériel qu'ils avaient dérobé à l'organisation. D'autres enfin (ou les mêmes) continuent encore à défendre l'élément trouble Chénier, exclu en 1981, et qui a très rapidement fait carrière dans le parti socialiste alors au pouvoir.
Si le Docteur Bourrinet rapporte certaines accusations dont le caractère invraisemblable et délirant est évident, ce n'est probablement pas qu'il pense qu'elles puissent être prises pour argent comptant par les lecteurs mais parce qu'elles permettent d'instiller l'idée qu'il "n'y a pas de fumée sans feu", que "même si c'est exagéré, il doit y avoir quelque chose de vrai derrière". "Calomnions, calomnions, il en restera toujours quelque chose !"
Un dernier mot à propos de cet ajout. Parmi les nombreux militants de la Gauche communiste dont le Docteur Bourrinet a écrit la notice biographique, notre camarade Marc Chirik fait figure de privilégié. En effet, il est le seul qui ait droit à un ajout de ce type, le seul dont on peut connaître non seulement les détails de sa vie militante mais aussi le détail des accusations dont il a fait l'objet. Sans pour cela, évidemment, qu'on puisse trouver la moindre référence de tous les textes (articles, interventions sur les forums, etc.) qui réfutent ces accusations. Tout cela, évidemment, au nom d'un travail "sérieux" et "honnête" d'historien ! 13 [458]
Nous pouvons donc revenir sur l'idée suivant laquelle le Docteur Bourrinet serait "un historien sérieux et honnête". Il nous faut, comme disait Marx, "protester" contre une telle idée. Le Docteur, dans l'article qu'il avait écrit en 1989 pour la presse de notre organisation annonçant la prochaine publication par le CCI de la Gauche germano-hollandaise, faisait référence à un certain nombre d'historiens sérieux et honnêtes du mouvement ouvrier : Franz Mehring, Léon Trotski, qui tous deux étaient des militants révolutionnaires, mais aussi George Haupt, qui pourtant "était loin d'être révolutionnaire" suivant les mots du Docteur Bourrinet :
"Il vaut la peine, à ce propos, de citer l'historien Georges Haupt, disparu en 1980, qui s'est fait connaître par la probité de ses travaux sur la 2e et la 3e Internationales :
“À l'aide de falsifications inouïes, foulant aux pieds et méprisant les réalités historiques les plus élémentaires, le stalinisme a méthodiquement gommé, mutilé, remodelé le champ du passé pour le remplacer par sa propre représentation, ses mythes, son autoglorification. (…)”"
Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas "la probité" qui caractérise le Docteur Bourrinet. Comme on l'a vu, il n'hésite pas à proférer des mensonges énormes quand ça l'arrange, quand les réalités historiques ne lui permettent pas d'étayer son "autoglorification". Le Docteur Bourrinet a pu, quand il était militant du CCI, faire un travail intéressant, important et honnête. Depuis, il est possible que certaines études qu'il a produites soient, faute d'être particulièrement importantes ou intéressantes, conformes à cette "probité". Mais ce qui est sûr, c'est que sa probité s'envole lorsque les sujets qu'il traite sont trop près de ses obsessions haineuses : le militant Marc Chirik et le Courant communiste international. Après tout, certain "historiens" staliniens ont pu faire d'excellentes études sur la Commune de Paris, mais il ne fallait pas attendre d'eux qu'ils en fassent autant à propos de l'histoire des partis "Communistes".
Concernant les autres idées fausses à propos du Docteur Bourrinet suivant lesquelles il serait "un défenseur des idées de la Gauche communiste et un fin connaisseur de la principale organisation de celle-ci, le CCI", là aussi ce qui précède a démontré que nous étions bien loin de la vérité. Comme fin connaisseur du CCI, il y a mieux : soit il croit sur parole les insanités délirantes proférées par les "adversaires politiques" de Marc Chirik et du CCI, et alors ses "connaissances" sont dignes du magazine Closer ou du journal Minute, soit il n'y croit pas, et son cas est encore pire. Quant à la défense des idées de la Gauche communiste, il n'y a rien à attendre de quelqu'un dont la préoccupation obsessionnelle est la défense de... ses droits d'auteur, et qui, pour cela, menace de faire intervenir l'État bourgeois : quand on prétend défendre certaines idées, l'exigence élémentaire est de ne pas se comporter en contradiction totale avec ces idées. Il n'y a rien à attendre de quelqu'un qui, dévoré par la haine, couvre (ou laisse couvrir) d'immondices Marc Chirik, un des très rares militants de la Gauche communiste (sinon le seul) à avoir, contrairement à la majorité des autres militants de ce courant qui sont restés cramponnés à leurs positions initiales, réussi à s'approprier les apports essentiels, tant de la Gauche italienne que de la Gauche germano-hollandaise, et de les avoir défendus jusqu'à son dernier souffle.
Pour le Docteur Bourrinet, les idées de la Gauche communiste sont un simple fonds de commerce hérité du temps où il était un militant de ce courant et qu'il essaie, cahin-caha, de faire fructifier au service de son besoin de reconnaissance sociale officielle (faute de pouvoir le faire au service de son portefeuille).
Pour dernière preuve de cette affirmation, il vaut la peine de prendre connaissance de la notice biographique consacrée à Lafif Lakhdar, décédé en juillet 2013, sur le site Controverses qui se présente comme "Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste", une notice signée par Ph. B. (le Docteur Bourrinet himself) 14 [459]. Dans le chapeau de la notice, Lafif Lakhdar est présenté comme "intellectuel arabe, écrivain, philosophe et rationaliste, militant en Algérie au Moyen-Orient et en France. Surnommé le “Spinoza arabe”". Dans la notice elle-même, nous apprenons que, "Avec le philosophe Mohammed Arkoun (1928-2010), il avait participé depuis 2009 au programme Aladin de l’UNESCO, un “programme éducatif et culturel” lancé sous le patronage de l’UNESCO, de Jacques Chirac et de Simone Veil". Nous y apprenons aussi que "En octobre 2004, il a corédigé, avec de nombreux écrivains arabes libéraux un Manifeste publié sur Internet (www.elaph.com ; [460] www.metransparent.com [461]) demandant à l’ONU d’établir un tribunal international visant à poursuivre les terroristes, organisations ou institutions incitant au terrorisme." Franchement, on a beaucoup de mal à comprendre ce que cette biographie vient faire sur un "Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste" et pourquoi elle est rédigée par quelqu'un qui se réclame de cette même Gauche communiste. Tel qu'il apparaît dans ces lignes, Lafif Lakhdar était probablement un homme plein de bonnes intentions et qui ne manquait pas d'un certain courage face aux menaces des islamistes fanatiques, mais qui situait son action totalement dans le cadre du monde bourgeois "démocratique" et en défense des illusions grâce auxquelles la bourgeoisie perpétue sa domination. Quelqu'un qui, de près ou de loin, a à voir avec la Gauche communiste, s'interdirait absolument de demander à l'ONU, ce "repaire de brigands" (suivant le terme de Lénine à propos de la Société des Nations), "d’établir un tribunal international visant à poursuivre les terroristes". C'est comme si, face aux attentats terroristes, on demandait à l'État bourgeois de renforcer son arsenal judiciaire et policier. 15 [462] D'ailleurs, parmi les hauts faits de Lafif Lakhdar, il en est un que le Docteur Bourrinet ne mentionne pas (oubli ou dissimulation volontaire ?) : une lettre ouverte du 16 novembre 2008 au nouveau président des États-Unis Barack Obama, lui suggérant de "changer le monde en cent jours en scellant la réconciliation judéo-arabe" 16 [463]. Cette lettre contient les passages suivants :
"Résoudre ce conflit ou ce mélange du religieux et du politique de façon explosive serait une agréable surprise de votre part aux peuples de la région et du monde. Il s’ensuivra sans doute un impact psychologique salutaire pour toutes les autres crises, y compris pour la crise financière mondiale.
Comment y parvenir ? (...)
Envoyez une délégation américaine pour la paix ayant à sa tête le Président Clinton et le premier ministre israélien démissionnaire Ehud Olmert 17 [464], composée du prince Talal Ben-Abdul Al-Aziz, représentant symbolique de l’initiative de paix arabe, de Walid Khalid et Shibli Talham, représentants du peuple palestinien.
Et quelle solution ?
D’abord, l’application des paramètres de M. Clinton, qui a donné aux juifs ce qui leur avait manqué depuis la destruction du Temple en 586 avant J.-C., et aux Palestiniens ce qu’ils n’avaient jamais connu de toute leur histoire : un État indépendant. Ensuite, l’application de la “recommandation” faite par Ehud Olmert à son successeur, laquelle accorde aux Palestiniens l’essentiel de leurs revendications..."
Et la lettre se conclut ainsi :
"Président Barack Obama, on dit de vous que vous n’avez guère d’expérience ; en résolvant pendant les cent premiers jours de votre administration un conflit vieux d’un siècle, qui a provoqué cinq guerres et deux intifada sanglantes, vous démontreriez au monde que vous êtes un leader compétent et responsable, faisant ainsi un cadeau aux plus de 80% de la population mondiale qui ont prié pour votre succès et tant fêté votre victoire". Plus Gauche communiste que ça, tu meurs !
Sur le site Controverses, la notice sur Lafif Lakhdar rédigée par le Docteur Bourrinet est publiée dans la rubrique "Internationalistes". C'est qui un internationaliste ? C'est quelqu'un qui non seulement dénonce le chauvinisme et la barbarie guerrière mais qui défend avec détermination la seule perspective qui puisse mettre fin à cette dernière : le renversement du système capitaliste par la révolution prolétarienne mondiale. Et cette défense passe nécessairement par la dénonciation intransigeante de toutes les illusions pacifiste et démocratiques, de toutes les forces politiques de la bourgeoisie qui les véhiculent, aussi "démocratiques", "éclairées" et bien intentionnées qu'elles soient. Celui qui n'a pas compris cela se situe non pas sur un terrain prolétarien et communiste, mais sur un terrain bourgeois ou petit-bourgeois. De toute évidence, notre éminent Docteur (de même d'ailleurs que les responsables de Controverses), ne sait pas faire la différence entre un humaniste démocrate bourgeois et un internationaliste, c'est-à-dire un révolutionnaire. Et cela parce que le point de vue du Docteur Bourrinet n'est pas celui du prolétariat mais celui de la petite bourgeoisie. C'est déjà ce qui ressortait du récit que nous avons fait plus haut des comportements du Docteur depuis qu'il a quitté le CCI, mais la notice sur Lafif Lakhdar le confirme de façon on ne peut plus éclairante.
En réalité, la recherche fiévreuse de reconnaissance sociale officielle du Docteur Bourrinet, sa revendication de ses "droits d'auteur" auprès des institutions bourgeoises, sa défense de ses "droits patrimoniaux" y compris en faisant appel aux organes de l'État, sa mesquinerie, sa mauvaise foi, son recours au mensonge, sa lâcheté et enfin la haine qu'il porte à l'organisation et aux militants grâce à qui il a pu acquérir les moyens de rédiger ses deux livres, tous ces comportement méprisables du Docteur Bourrinet depuis 1992 ne sont pas seulement l'expression de traits de sa personnalité. Ils sont aussi et bien plus encore l'expression de son appartenance idéologique à la catégorie sociale qui concentre le plus tous ces travers moraux, la petite bourgeoisie.
Comme on va le voir, la conférence débat animée par le Docteur Bourrinet a constitué une claire illustration de ce que nous avons dit à propos de ce personnage.
Le Docteur Bourrinet a d’abord prononcé un long et soporifique discours introductif. La somnolence qui a envahi l'assistance (y compris le présidium) ne résultait pas seulement du charisme du Docteur Bourrinet comparable à celui d'une huître. Bien plus fondamentalement, c'était la conséquence d'un discours sans âme ni esprit de combat, qui a permis au présidium de déduire de tout ce fatras indigeste que : "le passé, c'est le passé" et "les questions se posent autrement aujourd'hui".
Suite logique de cela, ont alors été invoquées par les participants des problématiques "nouvelles" comme "la question des prisons", celle des "précaires," etc. Bref, le discours du Docteur Bourrinet a eu pour unique effet de faire passer la tradition de la Gauche communiste pour une chose sans intérêt pour le présent et pour l'avenir, issue d'une période révolue et dont parlent certains livres poussiéreux tout justes bons à traîner sur les étagères des bibliothèques à la disposition des chercheurs universitaires.
En d'autres termes, l'exposé du Docteur Bourrinet a constitué une confirmation de ce que l'ensemble de son comportement antérieur permettait déjà de constater : désormais, pour notre Docteur, l'histoire de la Gauche communiste est devenue une simple discipline académique et n'a plus rien à voir avec ce qu'en écrivait le militant Philippe Bourrinet sous le nom de Chardin :
"(...) d'abord et avant tout une arme du combat [de la classe ouvrière] pour les luttes du moment et à venir, par les leçons du passé qu’elle enseigne." (Revue Internationale n° 58, Ibid.)
Mais ce n’est pas tout ! Le Docteur Bourrinet ne s’est pas contenté d’endormir l’assistance, il a aussi glissé dans son histoire à dormir debout un certain nombre de falsifications historiques, ce qui, évidemment, est cohérent avec sa propension, qu'on a déjà vue, à "arranger" l'histoire à sa guise.
Il a ainsi décrit séparément les différentes Gauches communistes (d'Italie, d'Allemagne et de Hollande) comme si elles avaient existé de façon isolées, sans aucune interaction l'une sur l'autre. La vérité est toute autre ! C'est vrai qu'en 1926, la Gauche italienne avait opposé un refus à la proposition que lui avait faite Karl Korsch, animateur d'un regroupement en Allemagne autour de la revue Kommunistische Politik, de faire une déclaration commune des différents courants de gauche (Lettre de Bordiga à Karl Korsch du 28 octobre 1926). Mais la Fraction de gauche du Parti communiste d’Italie qui a publié Prometeo en italien à partir de 1929 puis Bilan en français à partir de 1933, non seulement a eu la ferme volonté de confronter ses positions avec celles des autres courants de gauche, principalement l’Opposition de gauche inspirée par Trotski et la Gauche germano-hollandaise, mais a repris à son compte certaines des positions de ce dernier courant. Ainsi, par exemple, l’analyse des luttes de libération nationale, telle qu’elle avait été élaborée avant 1914 par Rosa Luxemburg au sein de la social-démocratie allemande et polonaise, puis reprise par la Gauche allemande, fut intégrée dans les positions de Bilan à la fin des années 1930.
Plus fort encore : cet "expert" en Gauche communiste s'est même payé le luxe de ne pas évoquer une seule fois la Gauche Communiste de France (GCF). Comme sur les photos truquées du temps de Staline, où les présents disparaissaient au gré de chaque réécriture de l'histoire officielle, notre tribun, évoquant les Gauches germano-hollandaise et italienne, a "oublié" de mentionner ce groupe né à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944 ! Et pour cause : la GCF (dont la publication s’appelait Internationalisme) se distingue justement par son profond travail de synthèse des principales Gauches des différents pays, dans la droite ligne de Bilan. En s’inspirant des avancées théoriques de Bilan, mais plus encore de sa vision d’un marxisme vivant et non dogmatique, ouvert sur toutes les expressions prolétariennes à l’échelle internationale, la GCF a permis à ce petit groupe des années 1930 de ne pas sombrer dans l’oubli et de devenir au contraire une sorte de pont entre le meilleur des traditions du mouvement ouvrier du passé et l’avenir du combat prolétarien. Autrement dit, quand le Docteur Bourrinet efface la GCF du tableau noir de l’Histoire, il fait disparaître du même coup, d'une certaine façon, Bilan, il casse la continuité historique entre les différents groupes révolutionnaires et brise la transmission de la si précieuse expérience de nos illustres prédécesseurs. En un mot : il désarme le prolétariat face à l’ennemi de classe.
Tout cela, le Docteur Bourrinet le fait délibérément. Il connaît parfaitement l’existence de la GCF et sa place dans l’histoire. Il ne s’agit pas d’un oubli malheureux ou d’une simple méconnaissance mais d’une volonté de cacher volontairement une vérité historique qui le dérange, le fait que la GCF ait apporté une contribution de premier plan à la pensée de la Gauche communiste.
Pourquoi ? La réponse est simple : tout simplement par haine du CCI, c'est-à-dire la seule organisation qui se réclame explicitement de la GCF, et par haine du militant qui a joué un rôle décisif dans la formation du CCI et qui fut le principal animateur de la GCF, Marc Chirik.
Cette haine du Docteur Bourrinet, nous avions pu la constater dans les différents écrits de ce personnage mais lors de cette réunion publique elle s'est exprimée ouvertement et aux yeux de toute l'assistance.
Ainsi, lorsque la délégation du CCI présente à la réunion a voulu interpeller le Docteur Bourrinet sur ses falsifications et sur sa "défenses des droits d'auteur", il a lancé sur un ton hystérique, que tous les participants ont pu constater, une série d'attaques rageuses contre notre organisation : "vous êtes des escrocs, des terroristes ; vous avez contraint beaucoup de militants du CCI à démissionner en les étouffant", c'est-à-dire les calomnies des "adversaires politiques de Marc Chirik" qu'il rapportait de façon "objective" dans la notice biographique qu'il a consacrée à notre camarade.
Jusqu'à présent, pour répandre son venin, notre Docteur s'abritait derrière des organismes officiels, des notices biographiques "arrangées" ou des "mises au point" sur Internet. Cette fois-ci, c'est en public, et devant quatre militants du CCI, qu'il a osé se "lâcher". Un tel changement d'attitude mérite explication.
Comme on l’a vu, le Docteur Bourrinet est le prototype du petit-bourgeois : couard, malhonnête et peu enclin à assumer en pleine lumière tout son fiel, sauf quand il sent gonfler le souffle de la rumeur et entend monter des cris haineux contre le CCI. Alors s'empare de lui le "courage" enivrant d'assumer lui aussi les pires calomnies et les plus basses menaces contre notre organisation. Il en va ainsi de toutes les logiques d'appel aux pogroms depuis des siècles : chaque participant apporte sa désolante contribution selon ses propres motivations, différentes mais toutes minables et empreintes de haine. Presque à chaque fois, ce type de dynamique barbare est initié par un ou des excitateurs, professionnels ou amateurs – peu importe. Voilà précisément dans quoi notre Docteur a plongé. Après avoir lu la prose anti-CCI de l'officine policière nommée GIGC 18 [465] dans laquelle s'agite l’excitateur Juan, il s'est ragaillardi et semble répondre à cet appel crapuleux au déchaînement de haine.
Le 28 avril 2014, la GIGC 19 [466] a publié un article relevant du pire travail des agents provocateurs de la police. Ce texte calomnieux ayant pour titre : "Une nouvelle (ultime ?) crise interne dans le CCI !" 20 [467], annonçait de manière ironique et jubilatoire la disparition du CCI... dépêche qui se révéla être "grandement exagérée." 21 [468] Mais la seule idée, même infondée, d'un CCI affaibli, presque agonisant, a galvanisé tous ceux qui n'ont qu'une seule et obsédante espérance, nous savoir morts et enterrés. C’est donc parmi ces "courageux" que nous avons retrouvé le Docteur Bourrinet, tout agité à l'idée d'apporter lui aussi sa voix aux aboiements de la meute contre le CCI. Mais même alors, cet encouragement de type policier du GIGC n’était pas suffisant. Il lui fallait la présence physique d’un acolyte, présence encourageante et protectrice, celle d'un "costaud", petit esprit mais gros biceps, et surtout doté d'une mentalité de voyou prêt à toutes les vilenies et toutes les lâchetés contre le CCI, le dénommé Pédoncule 22 [469], qui ne manqua pas de rassurer et motiver notre Docteur lors de la conférence de Marseille. Le pedigree de cet individu, coutumier des querelles de petite frappe, est édifiant : il a par le passé bousculé brutalement une de nos ex-camarades en la projetant contre un mur ; il a agressé un autre membre de l'organisation et a tenté de sortir un couteau à cran d'arrêt qu'il portait toujours sur lui. Et il a déjà froidement menacé un de nos camarades de lui "trancher la gorge". 23 [470]
L'association entre le Docteur et le voyou (qui aurait pu faire le sujet d'un film à la française, avec Jean-Louis Trintignant et Depardieu dans les rôles-titre), pour paradoxale qu'elle soit, n'est pas faite pour nous surprendre. Le rapprochement entre la petite bourgeoisie intellectuelle et le lumpen ne date pas d'hier et, en général, il se fait face à l'ennemi commun, le prolétariat révolutionnaire. En 1871, la plupart des écrivains français (à l'exception notable d'Arthur Rimbaud, Jules Vallès et Victor Hugo) s'étaient retrouvée aux côtés des voyous parisiens dans leur soutien aux massacreurs versaillais de la Commune 24 [471] ; les premiers avec leur plume, les seconds "sur le tas" par le mouchardage et les assassinats. En 1919, les "honorables" dirigeants de la Social-démocratie d'Allemagne avaient fait appel au lumpen regroupé dans les "corps francs" pour assassiner des milliers d'ouvriers en même temps que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, deux des figures les plus lumineuses de la révolution prolétarienne. Aujourd'hui, le petit-bourgeois Bourrinet, Docteur de l'Université Paris I-Sorbonne, copine avec le candidat égorgeur Pédoncule, et c'est normal. C'est dans l'ordre des choses. Ils ont la même obsession : la haine du CCI ; la même volonté : que disparaisse le CCI, c'est-à-dire la principale organisation défendant les positions de la Gauche communiste à l'échelle internationale.
Pour notre part, nous continuerons à diffuser les deux livres sur La Gauche communiste d'Italie et La Gauche hollandaise, que cela plaise ou non au Docteur Bourrinet. Et nous encourageons nos lecteurs à lire ces ouvrages rédigés par Philippe Bourrinet, comme militant du CCI, et qui n'ont nullement perdu de leur valeur parce que ce militant, après que l'Université lui ait décerné le titre de Docteur, a trahi la cause qu'il avait embrassée dans sa jeunesse. Cela-dit, nous ne renoncerons pas à dénoncer les infamies commises par ce docteur, ses mensonges, ses calomnies et ses tentatives minables de faire appel aux institutions bourgeoises pour menacer nos militants et assouvir sa haine. Mais qu'il se rassure, nous n'enverrons pas de commando pour lui "trancher la gorge". Nous laissons ce genre d'intentions à son garde du corps, le nommé Pédoncule.
L'histoire du mouvement ouvrier est riche en exemples de militants qui, après qu'ils aient défendu les positions révolutionnaires du prolétariat, ont changé de camps en capitulant devant l'idéologie bourgeoise et en se mettant au service de la classe dominante. Mussolini, un des chefs de file de la gauche du Parti socialiste d'Italie avant la Première Guerre mondiale est devenu ce que l'on sait. Plekhanov, celui qui a fait connaître le marxisme en Russie et qui a combattu vigoureusement le révisionnisme de Bernstein à la fin du 19e siècle, s'est converti en 1914 en social-chauvin patenté. Kautsky, le "pape" du marxisme dans la 2e Internationale, compagnon d'armes et ami de Rosa Luxemburg jusqu'en 1906, a mis sa plume à partir de 1914 au service du soutien de fait à la guerre impérialiste et de la condamnation de la révolution de 1917 en Russie, tout en continuant à se réclamer formellement du marxisme jusqu'à sa mort, en 1938.
Aujourd'hui, le Docteur Bourrinet continue de se réclamer formellement de la Gauche communiste et des positions de ce courant. Mais c'est une escroquerie, comme était une escroquerie le "marxisme" de Kautsky. La Gauche communiste, ce n'était pas seulement des positions politiques. C'était une loyauté aux principes prolétariens, le refus de toute compromission, une volonté de combat pour la révolution, un courage immense, c'est-à-dire des qualités dont le Docteur Bourrinet est totalement dépourvu aujourd'hui. Oui il faut lire les livres sur la Gauche communiste d'Italie et la Gauche communiste germano-hollandaise, non pas comme "propriété intellectuelle" du Docteur Bourrinet, mais avec l'état d'esprit affiché par le militant Philippe Bourrinet il y a un quart de siècle : "Ce n'est que d'un point de vue militant, du point de vue de l'engagement dans le combat de la classe ouvrière pour son émancipation que peut être abordée l'histoire du mouvement ouvrier" (Revue Internationale n° 58, Ibid.).
Courant Communiste International (15/01/2015)
1 [472] Le collectif Smolny est une maison d'édition spécialisée dans la publication d'ouvrages du mouvement ouvrier, tout spécialement de la Gauche communiste. À son propos, lire notre article : "Les éditions Smolny participent à la récupération démocratique de Rosa Luxemburg [473]"
2 [474] "M. Proudhon a le malheur d'être singulièrement méconnu en Europe. En France, il a le droit d'être mauvais économiste, parce qu'il passe pour être bon philosophe allemand. En Allemagne, il a le droit d'être mauvais philosophe, parce qu'il passe pour être économiste français des plus forts. Nous, en notre qualité d'Allemand et d'économiste à la fois, nous avons voulu protester contre cette double erreur." (Misère de la philosophie)
3 [475] Voir notre article biographique publié dans les numéros 65 [476] et 66 [477] de la Revue Internationale.
4 [478] Ce soutien matériel comportait entre autres le remboursement d'une bonne partie des dépenses liées aux recherches de documents, notamment l'achat de microfiches auprès des fonds documentaires comme l'Institut international d'Histoire sociale d'Amsterdam.
5 [479]Certains documents cités dans ce texte sont joints en annexe et peuvent être visualisés en cliquant sur les liens qui y font référence, comme ici le texte « deux documents ».
6 [480] La version en Anglais de la Gauche hollandaise (The Dutch and German Communist Left), publiée en 2001, contient l'avertissement suivant :
"This book, which first appeared in French in 1990, is published under the responsibility of the ICC. It was written by Philippe Bourrinet in the context of his work for his university doctorate, but it was prepared and discussed by the ICC when the author was one of its militants. For this reason it was conceived and published as the collective work of the ICC, without an author's signature and with his total agreement.
Philippe Bourrinet has not been in the ICC since April 1990, and he has since published editions of this book under his own name, with the addition of certain 'corrections' linked to the evolution of his political positions.
For its part, the ICC fully intends to continue its policy of publishing this book. It should be clear that our organization cannot be held responsible for any additional or divergent political positions that Philippe Bourrinet might integrate into the editions produced under his own responsibility."
7 [481] C'est comme cela que nous allons désigner Philippe Bourrinet dans la suite de cet article. Le besoin de reconnaissance sociale officielle qui le tenaille ne pourra qu'en être satisfait.
8 [482] Et nous pourrions ajouter "bien faux-cul", mais ça, c'est une habitude et non une exception.
9 [483] On peut trouver ces indications à l'adresse left-dis.nl/f/livre.htm [484]. Au cas où ce lien deviendrait inactif (on ne sait jamais!), nous avons évidemment conservé une copie d'écran de ce qui apparaissait encore le 15 janvier 2015.
10 [485] Le CCI avait décidé de mettre en vente sur le site Amazon.co.uk la version en anglais des deux livres sur la Gauche italienne et sur la Gauche germano-hollandaise afin de leur donner une diffusion plus importante. En octobre 2009, nous avons reçu une lettre [486] de ce site nous informant qu’il avait retiré de la vente ces ouvrages suite à la réception d’une lettre du Docteur Bourrinet et qu’il ne reprendrait leur vente que si nous parvenions à un accord avec ce dernier. Dans la lettre à Amazon du 7 octobre 2009, signée "Docteur Philippe Bourrinet, historien", on pouvait lire : "Ma propriété intellectuelle a été violée par deux articles sur le site Amazon.co.uk. Cela concerne la vente commerciale sur votre site web de deux de mes livres (mon nom a disparu) par le soi-disant “Courant communiste international” qui, de façon claire, commet des actes de piratage intellectuel [suit le nom des livres]. Ces deux livres ont été publiés (version électronique et papier) sous mon propre nom sur mon site multilingue aux Pays-Bas (…) Ils sont depuis longtemps (1989) protégés par la loi sur la propriété intellectuelle. (…) Je suis le véritable propriétaire des deux livres mentionnés et autorisé à agir – ensemble avec la SDGL à Paris – en faveur des droits décrits ci-dessus." Le CCI a adressé une lettre [487] au Docteur Bourrinet le 24 octobre 2009. Dans cette lettre nous écrivions : "Nous devons dire que nous avons été assez surpris, premièrement du fait que tu as ressenti le besoin d’écrire à Amazon à ce sujet, et deuxièmement que tu ne nous aies pas fait part de tes intentions au préalable. En effet, nous pensions que la question de la ‘propriété intellectuelle’ des deux livres sur la Gauche italienne et la Gauche hollandaise/allemande avait déjà été réglée entre nous, à l’amiable, lors d’une rencontre au début des années 1990. (…) En tout état de cause, nous ne voulons pas que ce problème de ‘propriété intellectuelle’ ne vienne entraver la diffusion de ces histoires et de ces idées. Si tu le souhaites, nous sommes tout à fait disposés à faire apparaître le même avertissement cité ci-dessus [voir note 5] (ou une variante qui te conviendra), sur le site Amazon (nous pouvons également y faire figurer ton nom en tant qu’auteur) et sur notre propre site." Nous n’avons jamais reçu de réponse à cette lettre. Peut-être aurions-nous dû proposer en plus au Docteur de lui verser des droits d’auteur sur la vente de ces livres. Il faut quand même signaler que les versions en anglais des deux livres diffusées par le Docteur Bourrinet reprennent (à part les modifications qu’il a introduites depuis qu’il a quitté le CCI) les traductions réalisées par les militants de notre organisation. Mais nous tenons à le rassurer : nous n’allons pas lui réclamer des droits de traduction.
11 [488] www.left-dis.nl/f/puntofinal91.pdf [489]
12 [490] https://fr.internationalism.org/rinte58/gh.htm [491]
13 [492] Ces attaques crapuleuses contre la mémoire de notre camarade Marc Chirik sont proprement répugnantes. Auprès de la plupart des militants de la Gauche communiste du passé, Marc Chirik jouissait d'une grande estime malgré les désaccords qu'ils pouvaient avoir avec lui et même les critiques qu'il avait pu leur adresser. La profondeur et la rigueur de sa pensée, son dévouement à la cause révolutionnaire, sa force de caractère en même temps que l'estime et l'affection qu'il portait à ces militants qui avaient su résister à la contre-révolution, tous ces traits de sa personnalité politique forçaient le respect. Franchement, quand on lit les insanités déversées sur son compte par de petits cafards qui se réclament de la Gauche communiste, tout cela parce que leur orgueil a été égratigné ou parce que leurs "droits d'auteur" ont été ignorés, on ne peut qu'avoir envie de vomir. Face à ce type de campagne de dénigrement on ne peut pas ne pas penser à la campagne dont a été victime Trotski à partir du milieu des années 1920, avant même son exclusion du Parti bolchevique, de la part de la camarilla stalinienne, une campagne vigoureusement dénoncée par Bordiga, le principal animateur de la Gauche communiste italienne à cette époque, malgré les désaccords qu'il avait par ailleurs avec Trotski. Les cloportes serviles qui, par lâcheté ou arrivisme, se sont rangés dans le sillage de Staline : voilà le modèle dont s'inspirent les dénigreurs actuels de Marc Chirik.
14 [493] https://www.leftcommunism.org/spip.php?article368 [494]
15 [495] Que le Docteur Bourrinet ne trouve rien à redire face à une telle démarche n’est pas fait pour surprendre de la part de quelqu’un qui menace d’envoyer la justice bourgeoise contre des militants révolutionnaires.
16 [496] www.memri.org [497]
17 [498] Ehud Olmert : proche d'Ariel Sharon (le responsable des massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982), il est premier ministre d'Israël de janvier 2006 à mars 2009 et responsable de l'attaque israélienne contre le Liban de juillet 2006 qui fait plus de 1200 victimes civiles. En septembre 2009, il est jugé pour "fraude", "abus de confiance" et "dissimulation de revenus frauduleux". En septembre 2012, il est condamné à un an de prison avec sursis.
18 [499] Le "Groupe International de la Gauche communiste" (GIGC) est né en octobre 2013. Il est constitué de la fusion de deux éléments du groupe Klasbatalo de Montréal et d’éléments de l’ex-prétendue "Fraction Interne" du CCI (FICCI) qui ont été exclus du CCI en 2003 pour leurs comportements de mouchards.
19 [500] Nous renvoyons nos lecteurs non avertis aux articles publiés à l’époque dans notre presse : Défense de l'organisation : les méthodes policières de la "FICCI" [501], Les réunions publiques du CCI interdites aux mouchards [502], et : Calomnie et mouchardage, les deux mamelles de la politique de la FICCI envers le CCI [503].
20 [504] Lire notre réponse : Communiqué à nos lecteurs : Le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [505].
21 [506] C'est ainsi qu'en réponse à cette attaque aussi infâme que ridicule nous avons répondu dans notre article "Conférence internationale extraordinaire du CCI : la "nouvelle" de notre disparition est grandement exagérée ! [507]".
22 [508] Membre, comme le Docteur Bourrinet, du Collectif Smolny. Il a également été membre, pendant plusieurs années, de de ce groupe de mouchards et de voyous nommé FICCI.
23 [509] Lire notre article : Défense de l'organisation : Des menaces de mort contre des militants du CCI [510] (RI n° 354).
24 [511] Voir Paul Lidsky, "Les écrivains contre la Commune", La Découverte Poche, Paris 2010
Nous publions ci-dessous la “Résolution sur la situation sociale en France”, adoptée au XXIe congrès de Révolution internationale. Ce document permet de revenir sur l’analyse du rapport de forces entre les classes, en particulier pour dégager une meilleure compréhension des causes profondes du relatif calme social qui existe depuis le mouvement contre la réforme des retraites de l’automne 2010.
1. L’analyse de la situation de la lutte de classe en France, du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat ne peut être comprise que dans le contexte de la situation mondiale actuelle, même si, évidemment, le prolétariat de chaque pays est confronté à des spécificités économiques, politiques et idéologiques propres à ce pays. En ce sens, il est nécessaire d’analyser les grandes lignes de cette situation mondiale, notamment pour comprendre les difficultés que rencontre le prolétariat en France pour faire face et répondre aux attaques de plus en plus violentes que lui porte la classe dominante.
2. Dès septembre 1989, le CCI avait prévu que l’effondrement des régimes staliniens allait porter un coup très rude à la conscience du prolétariat mondial : “Avec le stalinisme, c’est le symbole et le fer de lance de la plus terrible contre-révolution de l’histoire qui disparaissent. Mais cela ne signifie pas que le développement de la conscience du prolétariat mondial en soit facilité pour autant, au contraire. Même dans sa mort, le stalinisme rend un dernier service à la domination capitaliste : en se décomposant, son cadavre continue encore à polluer l’atmosphère que respire le prolétariat. Pour les secteurs dominants de la bourgeoisie, l’effondrement ultime de l’idéologie stalinienne, les mouvements “démocratiques”, “libéraux” et nationalistes qui bouleversent les pays de l’Est constituent une occasion en or pour déchaîner et intensifier encore leurs campagnes mystificatrices. L’identification systématiquement établie entre communisme et stalinisme, le mensonge mille fois répété, et encore plus martelé aujourd’hui qu’auparavant, suivant lequel la révolution prolétarienne ne peut conduire qu’à la faillite, vont trouver avec l’effondrement du stalinisme, et pendant toute une période, un impact accru dans les rangs de la classe ouvrière. C’est donc à un recul momentané de la conscience du prolétariat (...) qu’il faut s’attendre. Si les attaques incessantes et de plus en plus brutales que le capitalisme ne manquera pas d’asséner contre les ouvriers vont les contraindre à mener le combat, il n’en résultera pas, dans un premier temps, une plus grande capacité pour la classe à avancer dans sa prise de conscience. En particulier, l’idéologie réformiste pèsera très fortement sur les luttes de la période qui vient, favorisant grandement l’action des syndicats” 1.
Le quart de siècle qui vient de s’écouler a amplement confirmé cette prévision avec, en particulier, le maintien d’un poids très fort des illusions démocratiques et un renforcement de l’emprise des syndicats, alors que ces derniers tendaient à être de plus en plus contestés au cours des luttes ouvrières des années 1980. Ainsi, les grèves lancées par les syndicats dans le secteur des transports en France, en Belgique et en Allemagne en 1995 avaient clairement participé, comme nous l’avions souligné à l’époque, à un regain de l’influence de ces organismes de contrôle de la classe ouvrière. De plus, le recul de la conscience de classe au sein du prolétariat s’est doublé d’un recul très marqué de sa combativité et de sa confiance en soi, de son identité de classe, phénomène qui a été aggravé par la disparition de larges secteurs industriels traditionnellement parmi les plus combatifs dans beaucoup de pays d’Europe occidentale (comme la sidérurgie, la métallurgie ou l’automobile). Enfin, les difficultés que rencontre la classe ouvrière, tant dans sa prise de conscience que dans sa confiance en elle-même, ont été aggravées par le poids croissant de la décomposition de la société capitaliste qui instille de façon de plus en plus délétère le poison du désespoir, du “no future”, du “chacun pour soi” et de l’atomisation.
3. En 1989, nous avions établi que : “… le rythme de l’effondrement du capitalisme occidental (...) va constituer un facteur déterminant du moment où le prolétariat pourra reprendre sa marche vers la conscience révolutionnaire. En balayant les illusions sur le “redressement” de l’économie mondiale, en mettant à nu le mensonge qui présente le capitalisme “libéral” comme une solution à la faillite du prétendu “socialisme”, en dévoilant la faillite historique de l’ensemble du mode de production capitaliste, et non seulement de ses avatars staliniens, l’intensification de la crise capitaliste poussera à terme le prolétariat à se tourner de nouveau vers la perspective d’une autre société, à inscrire de façon croissante ses combats dans cette perspective” 2.
Effectivement, depuis 1989, la bourgeoisie française, à l’image de ses consœurs européennes, a porté des attaques croissantes contre la classe ouvrière poussant cette dernière à résister et à soulever la chape de plomb qui pesait sur elle depuis la fin des années 1980. Un des moments de cette tendance du prolétariat à redresser la tête a été constitué par les mouvements sociaux qui ont eu lieu en 2003, notamment pour la défense des retraites en France et en Autriche. Ces mouvements ont été marqués par une reprise de la solidarité entre prolétaires, en particulier dans le secteur de l’automobile en Allemagne et même à New York, dans les transports. Ces luttes ouvrières n’étaient, bien évidemment, qu’un petit pas, encore très insuffisant, d’une dynamique vers le dépassement du profond recul subi par la classe ouvrière à partir de 1989. Le rythme lent du dépassement de ce recul de la lutte de classe (il s’est écoulé plus de 13 ans entre l’écroulement du bloc de l’Est et les grèves du printemps 2003) s’explique en bonne partie par le rythme encore lent du développement de la crise insurmontable de l’économie capitaliste, du fait de la capacité de la bourgeoisie, à freiner l’effondrement historique de son système économique. De plus, ces mouvements sociaux ont révélé l’extrême habileté de l’appareil politique et syndical de la classe bourgeoise, sa capacité à faire passer ses attaques et à démoraliser la classe ouvrière pour lui faire entendre que “ce n’est pas la rue qui gouverne” (comme l’avait dit le premier ministre Raffarin en 2003), à travers tout un arsenal de manœuvres sophistiquées, avec un partage du travail systématique et une étroite coopération entre le gouvernement qui cogne et les syndicats qui sabotent la riposte de la classe ouvrière.
Ainsi, les grèves du printemps 2003 dans le secteur public en France se sont heurtées à une stratégie de la classe dominante qui avait fait ses preuves en 1995 : à côté d’une attaque générale contre toute la classe ouvrière, la bourgeoise avait porté une attaque plus spécifique contre un secteur particulier qui était destiné, de ce fait, à constituer une sorte “d’avant-garde” du mouvement :
– en 1995, le plan Juppé attaquant la Sécurité sociale pour l’ensemble des salariés était doublé d’une attaque spécifique contre les régimes de retraite des travailleurs des transports ferroviaires ;
– en 2003, l’attaque contre les retraites de l’ensemble de la Fonction publique a été accompagnée d’une attaque spécifique visant les travailleurs de l’Éducation nationale.
Dans le premier cas, après plusieurs semaines de blocage complet des transports et une succession de manifestations massives, le gouvernement avait retiré sa mesure visant les régimes spéciaux des cheminots et des travailleurs de la RATP. Avec la reprise du travail dans ces secteurs, suite à ce retrait qui a été présenté comme une “victoire” par les syndicats, un coup fatal a été porté à la dynamique du mouvement, ce qui a permis au gouvernement Juppé de faire passer l’attaque générale contre la Sécurité sociale.
Dans le second cas, les travailleurs de l’Éducation nationale qui étaient entrés massivement en grève et constituaient la “référence” de la fonction publique, ont été conduits à poursuivre pendant des semaines un mouvement qui s’était épuisé dans les autres secteurs, et cela sous les “encouragements” des syndicats les plus “radicaux”, ce qui a provoqué un sentiment profond d’amertume et de découragement avec un message pour tous les travailleurs : non seulement “ce n’est pas la rue qui gouverne” mais aussi “ça ne sert à rien de lutter”.
4. Ce sentiment d’impuissance a pu, cependant, être surmonté 3 ans plus tard, au printemps 2006, par la mobilisation massive des jeunes générations de la classe ouvrière contre le Contrat première embauche (CPE) du gouvernement Villepin. Une mobilisation qui, cette fois-ci n’avait pas été prévue et planifiée par le gouvernement et les syndicats. Ces derniers ont fait le “service minimum” contre une mesure qui visait à accentuer encore plus la précarité des jeunes prolétaires (et que d’ailleurs le patronat estimait superflue). C’est la jeunesse scolarisée dans les universités et les lycées qui a engagé le combat, c’est-à-dire les masses immenses de futurs chômeurs et travailleurs précaires. Comme nous l’avions mis en évidence, ce mouvement contre le CPE fut un mouvement exemplaire. Il a su faire face (grâce notamment à ses assemblées générales quotidiennes ouvertes à toute la classe ouvrière, aux manifestations de rue massives et à l’incapacité des syndicats à les contrôler), aux différents pièges tendus par la bourgeoisie. Ce mouvement exemplaire risquait d’entraîner les secteurs de la classe ouvrière en activité, en particulier les ouvriers de l’industrie. C’est pour cette raison que, sur les conseils de Laurence Parisot (la patronne des patrons), le gouvernement a fini pas retirer le CPE. Ce recul du gouvernement Villepin a apporté un démenti à la déclaration de Raffarin en 2003 puisque, cette fois-ci, c’est la rue qui a eu le dernier mot. En plus de l’importance des assemblées générales massives et souveraines, ce mouvement contre le CPE avait mis en avant un autre élément essentiel du combat prolétarien : la solidarité entre les secteurs et entre les générations de la classe exploitée. La bourgeoisie française devait donc impérativement effacer les leçons de ce mouvement à l’occasion des nouvelles attaques rendues nécessaires par l’aggravation de la crise économique.
5. Cet “effacement” du “mauvais exemple” donné par le mouvement contre le CPE a comporté deux étapes décisives, accompagnant des attaques contre les retraites :
– les grèves de l’automne 2007 contre la suppression des régimes spéciaux ;
– le mouvement de l’automne 2010 contre le report de l’âge de la retraite.
Dans le premier cas, les syndicats ont joué à fond la carte de la division au sein de l’intersyndicale, division qui avait déjà été employée (en particulier en 1995 où la CFDT avait appuyé le “plan Juppé” contre la Sécurité sociale). Cette fois-ci, on a assisté à une destruction en règle du mouvement : dans un premier temps, le gouvernement, tout en maintenant l’ensemble de l’attaque, a donné satisfaction au syndicat corporatiste des conducteurs de train qui ont voté majoritairement pour la reprise du travail. Ensuite, c’est la CFDT qui a appelé à la reprise du travail, puis la CGT (ce qui a valu à Bernard Thibault, ancien cheminot, d’être traité de “traître” par les adhérents de base de la CGT). Quant à FO et SUD, leur rôle a consisté à appeler à la “poursuite de la lutte” afin d’écœurer les travailleurs les plus combatifs. Cette défaite a constitué une claque pour des millions de travailleurs puisque le mouvement bénéficiait de la sympathie de l’ensemble des secteurs de la classe ouvrière (notamment du fait que les cheminots réclamaient non seulement le maintien des 37 ans et demi pour eux-mêmes mais aussi le rétablissement de ces 37 ans et demi pour tous les secteurs). Mais la bourgeoisie a dû payer un prix pour obtenir cette victoire et faire passer cette attaque : celui d’une forte méfiance des travailleurs envers les syndicats jugés responsables de la défaite à cause de leur division et de leurs “querelles” dans les assemblées de l’intersyndicale.
La deuxième étape, la plus décisive, de “l’effacement” des leçons du CPE a été la décision du gouvernement Sarkozy de s’attaquer à un des “acquis” les plus significatifs des années de l’Union de la Gauche sous Mitterrand : la retraite à 60 ans. Pour la bourgeoisie française, il fallait “déverrouiller” cette échéance symbolique et commencer à rattraper le retard qu’elle avait pris sur les autres bourgeoisies européennes dans les attaques contre la classe ouvrière (du fait notamment de la crainte d’un retour à une situation sociale semblable à celle de Mai 68). De plus, la bourgeoisie française devait également alléger les déficits de l’État qui, comme partout ailleurs, s’étaient aggravés considérablement avec les mesures adoptées pour prévenir l’effondrement du système financier en 2008 et affronter la très forte récession qui a déferlé à partir de cette date. Il y avait donc pour la bourgeoisie française un double enjeu, économique et politique. La tactique employée par la classe dominante pour faire passer la mesure économique a été différente de celle utilisée lors des attaques précédentes. Il ne fallait surtout pas que les travailleurs sortent de l’affrontement avec une méfiance accrue envers les syndicats. C’est pour cela que ces derniers, y compris le syndicat des cadres, la CGC, ont joué jusqu’au bout la carte de l’“unité syndicale” en mettant en avant le slogan “Tous ensemble, tous ensemble !”. En même temps, au cours des journées d’action successives auxquelles ils ont appelé à l’automne 2010, ils ont polarisé l’attention sur un thème essentiel : la participation de plusieurs millions de travailleurs dans les manifestations de rue. Au final, la bourgeoisie n’a pas reculé, elle a fait passer intégralement son attaque économique (moyennant quelques aménagements pour les ouvriers ayant effectué un travail pénible) en même temps que son attaque politique et idéologique avec deux messages essentiels :
– “ce n’est pas la rue qui gouverne” ;
– lutter ne sert à rien, même quand les travailleurs sont des millions à manifester et même quand les syndicats sont unis.
Ainsi, les syndicats, cette fois-ci, ont réussi à épuiser la combativité de la classe ouvrière sans y laisser de plumes. De plus, puisque “lutter ensemble tous ensemble” ne sert à rien, c’est l’exigence de la solidarité qui a été atteinte.
C’est donc une défaite cuisante sur tous les plans qu’a subie la classe ouvrière en France à la fin 2010. L’épuisement de la combativité et la démoralisation de la classe ouvrière, suite à cette défaite, explique en partie le calme social depuis quatre ans et la très faible implication, en France, des jeunes générations dans le mouvement des Indignés qui s’est développé quelques mois plus tard dans toute l’Espagne et s’est propagé au niveau international.
Bien évidemment, dans cette offensive contre la classe ouvrière en France, la bourgeoisie de ce pays a pu bénéficier du plein soutien de ses consœurs européennes et en particulier de la bourgeoisie allemande, du fait de l’expérience historique de lutte du prolétariat en France 3.
6. Comme nous l’avons souvent signalé, le mouvement des Indignés a constitué la principale réaction prolétarienne aux soubresauts qui ont frappé l’économie capitaliste mondiale à partir de 2008. Cette réaction n’a pas pris la forme “classique” des grèves ouvrières ou même des manifestations de rue, à l’exception des pays européens les plus violemment touchés par la crise économique comme la Grèce ou le Portugal. Cette brutale aggravation de la crise capitaliste a eu pour conséquence une montée en flèche du chômage qui continue d’agir comme un facteur de paralysie de la grève : à quoi peut servir l’arrêt du travail quand l’entreprise ferme ses portes ? Par ailleurs, les campagnes idéologiques qui ont accompagné la crise des “subprimes” ont constitué un autre facteur de confusion des exploités et de leur sentiment d’impuissance. En fait, le vent de panique largement propagé par les médias sur la crise financière au cours des années 2008-2009, et qui a été clairement alimenté par les discours des “experts” et des autorités, a eu pour conséquence, quand ce n’était pas carrément son objectif, de provoquer un sentiment de sidération dans les masses ouvrières. Le message essentiel était le suivant : “Il faut se serrer la ceinture, accepter des sacrifices, car il n’y a pas d’autre issue pour pouvoir s’en sortir”. Enfin, un des messages essentiels était que la grande responsable de la crise était “la finance internationale”, et non le système capitaliste lui-même. Le Président Hollande n’avait-il pas dit, peu avant son élection, “Mon véritable adversaire [...] c’est le monde de la finance” 4. Le mouvement des Indignés, avec souvent beaucoup d’illusions démocratiques et de confusions sur “la Finance responsable de tous les maux” portait avec lui un rejet radical du capitalisme en faillite et affichait clairement la nécessité de la remplacer par une autre société (c’est pour cela que ce mouvement a été la proie des réformistes “altermondialistes” d’ATTAC avec leur slogan mystificateur : “un autre monde est possible”). Il exprimait le fait qu’il n’y a pas un trait d’égalité entre la conscience de classe et l’identité de classe du prolétariat. Les Indignés, dans leur revendication d’une autre société, n’avaient pas conscience que cette revendication appartenait exclusivement à la seule classe capable de construire cette autre société, le prolétariat. La majorité d’entre eux n’avait même pas le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière. Pourtant, ce mouvement a constitué une étape importante sur le chemin de la prise de conscience du prolétariat mondial, une étape qui a laissé des traces dans le cerveau de millions de jeunes travailleurs. Et c’est justement cette étape que le prolétariat en France n’a pu franchir suite à la défaite que lui ont infligé la bourgeoisie et ses syndicats à l’issue des journées d’actions et des manifestations organisées par les syndicats de l’automne 2010.
7. à l’heure actuelle, les attaques que subit la classe ouvrière en France et qui sont assénées par un gouvernement de gauche rencontrent une résistance pratiquement nulle malgré le très fort mécontentement social. C’est d’ailleurs le cas dans pratiquement tous les pays. Pour le moment, la bourgeoisie réussit à conserver un certain contrôle à la fois sur son appareil économique et sur la situation sociale grâce à la reprise en main des syndicats qui parviennent encore à enfermer les ouvriers dans des simulacres de lutte, insignifiantes et hyper corporatistes (et même très impopulaires pour monter les prolétaires les uns contre les autres, comme la grève de la SNCF de juin dernier pour la défense du statut des cheminots). Il faudra une dégradation encore plus importante des conditions générales d’existence et d’exploitation de la classe ouvrière pour que celle-ci puisse surmonter sa paralysie. Avec l’aggravation de la crise économique, ces attaques sont inévitables tout comme sont inévitables les réactions du prolétariat. Celui-ci doit affronter des obstacles considérables, à la hauteur des enjeux historiques qui se présentent devant la société. Elle doit faire face à une bourgeoisie très expérimentée pour affronter la lutte de classe, à des illusions démocratiques tenaces au sein du prolétariat, même si les institutions officielles de la démocratie bourgeoise sont particulièrement déconsidérées comme le montrent, entre autres, la progression des taux d’abstention aux élections, la côte de popularité nulle du président Hollande et le succès du Front national aux dernières élections européennes.
Ce succès du FN est une des manifestations de la décomposition, du pourrissement sur pied de la société capitaliste qui constitue une difficulté supplémentaire que le prolétariat doit affronter sur le chemin de son émancipation. L’avenir n’est pas écrit ; malgré les énormes difficultés que rencontre la classe ouvrière, en France comme partout, elle n’a pas subi de défaite décisive comme celle qu’elle a connue après la vague révolutionnaire des années 1917-23. Même si elle est pour le moment paralysée, elle n’est pas embrigadée derrière des drapeaux bourgeois comme elle l’était dans les années 1930, les drapeaux nationaux ou de l’antifascisme. De plus, et fondamentalement, tant le mouvement contre le CPE que celui des Indignés a révélé un processus de réflexion en profondeur et de maturation de la conscience de classe, parmi les jeunes générations de la classe ouvrière, sur la faillite du capitalisme qui ne peut leur offrir comme perspective que le chômage, la destruction de l’environnement, la guerre et la barbarie sous toutes ses formes. Cette réflexion porte évidemment avec elle la recherche d’une autre perspective pour la société ouvrant la voie pour le surgissement, à terme, d’une prise de conscience révolutionnaire, même si le chemin en est encore long.
RI
1 “Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l’Est”, Revue Internationale no 60.
2 Idem.
3 Journées de Juin 1848, Commune de Paris de 1871 et Mai 68.
4 Discours du Bourget, 22 janvier 2012.
A l'occasion du centenaire de la révolution russe de 1905, nous avions publié une série d'articles sur cet événement historique "aujourd'hui quasiment tombé dans l'oubli". Dix ans plus tard, ce constat reste tout à fait vrai. Si nous republions ces textes aujourd'hui, c'est donc en premier lieu pour continuer à faire vivre la mémoire de la classe. La révolution de 1905 témoigne encore aujourd'hui de la force historique et de la créativité du prolétariat dans un contexte où le manque de perspective pour la grande masse des ouvriers tend à réduire la pensée aux contingences immédiates. Il s'agit donc pour nous de mettre à nouveau en exergue ces leçons essentielles qui restent plus que jamais vitales pour le prolétariat.
Il y a 100 ans : la révolution de 1905 en Russie (I) [515], publié dans la Revue Internationale n°120 - 1er trimestre 2005 [516]
Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (II) [517], publié dans la Revue Internationale n° 122 - 3e trimestre 2005 [518]
Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (III) - Le surgissement des soviets ouvre une nouvelle période historique ... [519] , publié dans la Revue Internationale n° 123 - 4e trimestre 2005 [520]
Il y a 100 ans, la révolution de 1905 en Russie (IV) - Le débat dans l'avant-garde ... [521], publié dans la Revue Internationale n° 125 - 2e trimestre 2006 [522]
Les attentats sanglants et barbares qui se sont déroulés à Paris le mois dernier ont donné lieu à une indignation massive, à un dégoût et à un rejet généralisés. Tout cela s’est traduit par des rassemblements gigantesques dans toutes les grandes villes de France et dans de nombreuses grandes métropoles du monde. Des millions de personnes, des centaines de milliers de prolétaires ont voulu se retrouver pour exprimer ensemble le refus total de ces actes terroristes barbares. La solidarité avait pris spontanément possession des rues et des places. Mais cette saine et nécessaire réaction s’est immédiatement confrontée aux appels patriotiques à “l’union nationale” et à “l’union sacrée” de la part de la quasi-totalité de la bourgeoisie française. Une bourgeoisie profitant honteusement de l’émotion qui s’est emparée des populations en état de choc. A entendre tous les politiciens et les médias, la France venait “d’entrer en guerre”. L’État seul pouvait nous protéger ; il en allait de la “sécurité des Français”, de la défense de la “démocratie” et de “la liberté d’expression”. Et ce poison idéologique a été encore plus largement inoculé au Danemark après les récents attentats de Copenhague. La peur et l’angoisse savamment distillées à longueur de journée par tous les médias se devaient d’investir le cerveau de chaque prolétaire terrifié pour que l’État se fasse mieux passer pour un père de famille proposant au “bon peuple” son ombre bienveillante et protectrice.
Au-delà de ces apparences mystificatrices, des questions doivent se poser au prolétariat. A qui profitent vraiment les crimes odieux perpétrés contre les journalistes de Charlie-hebdo et les clients de la boucherie cachère ? Que signifient les propos doucereux du gouvernement ? Qu’est ce qui se cache derrière l’intense propagande médiatique sur le fameux “après-7 janvier”, qui n’est pas sans évoquer “l’après-11 septembre 2001” ? Les vérités cachées derrière les discours bourgeois doivent apparaître. Le prolétariat ne peut prendre naïvement pour argent-comptant tout ce que lui raconte l’État sous peine de le payer chèrement dans l’avenir.
La bourgeoisie française, dès les attentats commis, a affiché son unité. La guerre que ses différentes fractions et cliques concurrentes se livrent habituellement a soudain disparue comme par enchantement. Au nom de la défense de la “patrie attaquée”, du “peuple français en danger”, la “nation française” devait “faire bloc face à la menace terroriste”. Paré d’un humanisme de façade, faisant assaut d’hypocrisie et de mensonges, le loup impérialiste trouvait là un alibi démocratique en or à exploiter sans tarder pour justifier un engagement guerrier plus marqué dans le monde, afin que la France puisse “tenir son rang”. Sans attendre, le navire de guerre Charles-de-Gaulle devait partir aux avant-postes de cette nouvelle croisade. Disparu le rôle actif et militaire que joue l’impérialisme français dans nombre de guerres qui ensanglantent la planète et qu’il fallait s’efforcer de masquer par le passé en le drapant d’une justification “humanitaire” ! Effacé le rôle joué par la bourgeoisie française et son armée dans le génocide du Rwanda du temps d’un autre président socialiste dénommé Mitterrand. Tombées dans l’oubli, les déclarations de ce dernier selon lesquelles un génocide d’un million de morts dans ce pays-là n’est pas bien grave ! La barbarie extrême semble se donner tous les droits : celui de faire la guerre et de restreindre les prétendues “libertés”. Après les attentats, la bourgeoisie a donc enfilé sans complexe le costume de gardienne de l’ordre et de la sécurité. Face à une folie meurtrière irrationnelle, la barbarie ordinaire des États démocratiques doit être présentée comme “normale”. En serviteurs zélés, les médias, les écrans TV envahis d’images nauséabondes pouvaient alors exhiber un déploiement massif des forces de l’ordre sur le pied de guerre. Des milliers de policiers, gendarmes et militaires peuvent désormais quadriller tous les espaces publics. Et cela prétendument pour notre plus grand bien ! Une partie de la droite française avançait alors, sans retenue aucune, la nécessité de mettre en place un Patriot Act à la française. Ce que la gauche et le gouvernement se dépêchaient hypocritement de “rejeter” afin de mieux préparer activement des mesures qui y ressemblent comme deux gouttes d’eau. En effet, en matière de réponse idéologique et répressive, la similitude est très grande entre la politique appelée Patriot Act aux États-Unis et celle adoptée en France au cours du dernier mois. C’est d’ailleurs cette politique sécuritaire que le socialiste Hollande s’apprête à défendre comme fer de lance au sein d’une Union européenne déjà conquise et forcément séduite.
Il faut se rappeler comment le Patriot Act est apparu ! C’est le 11 septembre 2001 que deux avions percutent de plein fouet les tours jumelles à New York. Deux autres avions s’écrasent à Washington et en Pennsylvanie. Le bilan est terrifiant : plus de 3000 personnes sont tuées. Le doute persiste sur l’ampleur de la complicité de l’État américain dans ces attentats. Mais une chose est certaine, comme en France immédiatement après ceux-ci, l’appareil politique américain et ses médias ont été réquisitionnés afin de mobiliser la population derrière la mise en place d’un état de guerre sur le sol américain. Les visées impérialistes des États-Unis n’étaient pas absentes de ce calcul cynique et de l’orchestration de cette psychose de guerre. Pour la bourgeoisie américaine, il fallait profiter de ce dramatique événement pour effacer le “syndrome de la guerre du Vietnam”, justifier son intervention en Irak, au prix de mensonges grossiers, et préparer son entrée en Afghanistan. Tout attentat terroriste d’envergure sur son sol national est toujours utilisé par la bourgeoisie pour ses menées bellicistes guerrières. Non seulement toutes les mesures antiterroristes des États sont impuissantes à endiguer la montée du terrorisme mais elles font partie de l’escalade de la terreur. Elles alimentent en plus le climat de suspicion envers les autres en générant des divisions au sein des populations. La France n’échappe pas à cette règle. Si le terrorisme est de fait une arme de guerre de la bourgeoisie de n’importe quel pays et quelle que soit sa religion, il n’en est pas moins également une arme idéologique précieuse de celle-ci contre la classe ouvrière. C’est ainsi que la “croisade du bien contre le mal” lancée à l’époque par l’administration Bush lui a permis de mettre en place ce fameux Patriot Act, sans même avoir besoin de passer par le législateur. Il est alors devenu “normal” de surveiller les mails, le courrier, le téléphone de tout un chacun et de pouvoir entrer sans vergogne dans n’importe quel appartement, y compris pendant l’absence des occupants des lieux. Une fouille des gens allant au travail peut se faire sans explication. Quant à la police, elle s’est vue dotée d’une immunité presque totale. Les “assassinats” de plus en plus fréquents perpétrés par la police, notamment envers des Noirs, et ne donnant en général lieu à aucune poursuite judiciaire, en sont des manifestations concrètes. De fait, ce qui avait été présenté à ce moment-là comme des mesures ponctuelles et exceptionnelles est devenu permanent. Comme en Grande-Bretagne ou ce même prétexte a permis de justifier la mise sous surveillance par des caméras innombrables dans pratiquement toutes les rues et le métro des villes de ce pays. En démocratie, les lois d’exception sont devenues la norme.
Bien sûr, en France le prolétariat a une expérience toute autre qu’aux États-Unis. La Commune de Paris en 1871, Mai 1968 ne sont pas totalement effacés de la mémoire de la classe ouvrière. La bourgeoisie française le sait pertinemment et c’est pour cela qu’elle est malgré tout plus prudente. Elle avance davantage masquée que son homologue américain. Mais cela ne l’a pas empêchée deux semaines après les attentats à Paris, par l’entremise du Premier ministre Valls, de dévoiler toute une série de mesures soutenues par toute la bourgeoisie européenne et que même les dirigeants américains n’auraient pas désavoués. Ce même ministre qui a déclaré que devant “le défi redoutable auquel la France est confrontée, il s’imposait de prendre des mesures exceptionnelles”, dont on connaît en réalité la... pérennité. Le fardeau financier s’élèvera à 700 millions d’euros compensé par des coupes claires dans les dépenses publiques, déjà mises en mode de restriction avancée. Par contre, l’armée ne connaîtra pas les coupes budgétaires initialement prévues. Et les forces de gendarmerie et de police se verront renforcées massivement en hommes et en matériel. Des flics et des soldats surarmés vont ainsi patrouiller un peu partout et pas seulement devant les lieux “sensibles”. Le prolétariat ne doit pas être naïf. Un État qui montre ainsi sa force, c’est une forme directe d’intimidation. C’est un avertissement donné aux ouvriers. Il s’agit là de pouvoir surveiller et réprimer “en toute légalité républicaine”, non seulement tout ce qui dérange et n’est pas dans la norme, mais surtout de s’armer contre le prolétariat et ses luttes qu’il faudra criminaliser. Les lois du Patriot Act hantent de fait toutes les démocraties bourgeoises. Pour preuve, en France, même les enfants dès sept ou huit ans à l’école primaire n’échappent pas à une surveillance aussi étroite que possible. Et gare aux enseignants qui ne se plieraient pas à cette sale besogne et autre délation ! Au nom de la laïcité, le gouvernement veut que les enfants reçoivent à l’école un enseignement dit “civique” renforcé afin d’en faire des adorateurs de l’État totalement conditionnés et soumis. Et qui n’est de fait qu’un dressage aux règles et aux valeurs bourgeoises, ce masque mystificateur sous lequel se cache la dictature capitaliste de cette classe exploiteuse. Si le retour au service militaire n’est plus envisageable pour la bourgeoisie, gageons qu’un service civique renforcé sera bientôt adopté dans une belle unanimité.
La classe dominante, au-delà de ses propres divisions internes, a depuis toujours parfaitement compris quel était son fossoyeur. L’histoire de cette classe se confond avec les moyens qu’elle s’est systématiquement donnée pour faire face à son seul véritable ennemi : le prolétariat. En période révolutionnaire, l’État capitaliste ne s’embarrasse d’aucune légalité pour massacrer le prolétariat en lutte. Les cosaques pendant la révolution en Russie en 1917 ou les corps-francs en 1919 dans l’Allemagne sociale-démocrate en sont de sinistres exemples. Mais lorsque la classe ouvrière ne menace pas directement le pouvoir de la bourgeoisie, celle-ci se doit de cacher sa véritable nature exploiteuse derrière tout un fatras de mensonges idéologiques, derrière un paravent démocratique sophistiqué. Il y a maintenant près de 150 ans, au temps où les partis socialistes étaient de véritables organisations révolutionnaires, le chancelier de l’Empire allemand, Monsieur Bismarck, celui-là même qui avait aidé le très républicain chien sanglant Monsieur Thiers à massacrer la Commune de Paris, promulguait ses lois antisocialistes. La loi interdisait les organisations socialistes et sociales-démocrates, ainsi que toutes leurs activités au sein de l’Empire allemand. Cette loi répressive était accompagnée du renforcement de la présence militaire et policière au sein de toutes les grandes villes allemandes. Mais cette politique du “Talon de Fer” n’est pas l’apanage de cet Empire. En 1893-1894, dans la très démocratique Troisième République française, des lois entrées dans l’histoire sous le nom de “lois scélérates” furent adoptées. Elles visaient, sous couvert de lutter contre les malfaiteurs, directement les groupes anarchistes et menaçaient en même temps ouvertement toutes les organisations ouvrières. Être ne serait-ce que soupçonné d’avoir des sympathies pour l’anarchisme ou le combat ouvrier devenait un crime. Ces lois encourageaient également, comme aujourd’hui, la délation. En 1894, de retour de Carmaux où il avait soutenu la grève des mineurs qui avait donné lieu à une violente répression de la gendarmerie et de l’armée, Jaurès à la Chambre des députés s’élevait contre ces lois scélérates : “C’est ainsi que vous êtes obligés de recruter dans le crime de quoi surveiller le crime, dans la misère de quoi surveiller la misère et dans l’anarchie de quoi surveiller l’anarchie.” Les véritables scélérats se trouvaient à Paris, au sein même de ceux qui promulguaient ces lois. A Carmaux, un certain Tornade, actif lors des grèves de 1892, avait proposé aux mineurs en grève des fonds venant de Paris pour acheter de la dynamite et ouvrir ainsi directement la voie à la répression, justifiée immédiatement au nom de la “lutte contre le terrorisme”. Jaurès avait bien raison de dénoncer que c’était la lutte du mouvement ouvrier et la parole ouvrière qui était en réalité visée.
De ce point de vue, la “liberté d’expression” ou “de la presse”, tant vantée aujourd’hui après les attentats, n’a toujours été qu’une illusion savamment entretenue par la classe dominante. Non seulement parce que les médias et les discours officiels sont l’émanation et la propriété du capital, mais parce qu’ils font d’emblée pour cela allégeance à l’État bourgeois sans qu’il soit nécessaire pour ce dernier de les “téléguider” ou de dicter systématiquement le contenu de leur propagande 1. Le népotisme et le clientélisme connu chez bon nombre de journalistes, la collusion des médias avec les dirigeants politiques ne sont donc que des conséquences purement anecdotiques et non la cause de leur docilité. Toute réelle opposition critiquant et remettant en cause l’État capitaliste ne peut avoir sa place, ni être acceptée ou diffusée largement par les médias. La “liberté d’expression” se résume en réalité aux seules paroles soumises à l’État, aux lois et aux valeurs du capital.
La classe ouvrière en France comme au niveau international est dans une difficulté profonde. Mais le prolétariat est loin d’avoir rendu les armes. Dans une situation où la crise économique ne peut que continuer à s’aggraver et la dégradation des conditions de vie se poursuivre, la bourgeoisie sait pertinemment que viendra un temps où elle aura affaire à des luttes ouvrières d’ampleur. Plus elle s’y prépare et mieux elle se porte ! La classe dominante connaît depuis toujours le danger que représentent pour elle et son système le prolétariat révolutionnaire et ses organisations d’avant-garde. Sa conscience de ce danger, son unité face à lui et son machiavélisme n’ont pas de limite. Machiavel qui vivait à l’époque de la Renaissance a été dans ce domaine un précurseur éclairé de la bourgeoisie. Il déclarait que : “Le mensonge et la tromperie sont des moyens de gouverner que tout ‘Prince doit savoir manier avec un maximum d’efficacité.” En un mot, les moyens utilisés sont définis par le but à atteindre. Il n’y a aucun principe moral à respecter et la bourgeoisie actuelle a porté cette méthode de gouvernement à des sommets encore jamais atteints dans l’histoire. Le mensonge, la terreur, la coercition, le chantage, la “bouc-émissarisation”, le pogromisme, le complot et l’assassinat sont des moyens usuels de la gouvernance capitaliste. L’assassinat des révolutionnaires Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht en 1919 par la soldatesque aux ordres du gouvernement social-démocrate d’Ebert en Allemagne en est une expression des plus symboliques. Comme l’assassinat de Jaurès en juillet 1914 préparé par toute une campagne haineuse, patriotarde de la très démocratique république française, ne parlant que d’union sacrée et allant se vautrer dans la fange de la première boucherie mondiale. Le machiavélisme de la bourgeoisie n’est pas une perversion de la démocratie, c’est le produit de sa nature de classe capitaliste et dominante, la plus intelligente de l’histoire. Pearl Harbor est un exemple terrifiant de ce machiavélisme de la bourgeoisie. En 1941, les États-Unis sont pressés d’entrer en guerre contre le Japon et l’Allemagne. Pour le justifier, étant au courant de l’imminente attaque de l’aviation japonaise sur la base militaire de Pearl Harbour, l’État américain n’hésitera pas un seul instant à sacrifier sa flotte du Pacifique et des milliers de soldats volontairement désarmés et stationnés. Dans ce domaine, les exemples sont légions. Le renforcement du contrôle et de la surveillance policière, l’escalade dans le durcissement de l’arsenal répressif annoncés par le gouvernement du président Hollande ne sont qu’une des expressions de ce machiavélisme de la bourgeoisie. La volonté affichée de protéger la population française, les “citoyens”, n’est que de la poudre aux yeux, un simple alibi. La bourgeoisie face à la défense de ses intérêts capitalistes a toujours affiché un mépris total pour la vie humaine. La militarisation de la société est le renforcement direct du pouvoir totalitaire du capitalisme d’État. La démocratie n’est donc que le masque idéologique de la dictature du capital. Un masque hypocrite terriblement efficace de l’exploitation et de la terreur d’État qui détient à lui tout seul le monopole de la violence. Une violence étatique qui doit faire régner l’ordre public pour garantir l’exploitation sauvage du capitalisme. Un état de fait générant les brimades, les humiliations quotidiennes au travail, le chômage de masse et une paupérisation grandissante. Bref, une violence inouïe, face à laquelle il serait interdit de se révolter et qu’il faudrait accepter sans broncher, en “bon citoyen” ! Ne pas s’en rendre compte, croire dans la bonne volonté de l’État et dans l’humanitarisme de cette classe exploiteuse, ce serait se laisser désarmer politiquement. Les mesures de Valls et autre Hollande aujourd’hui, comme celles qui seront déployées ailleurs, préparent très sérieusement et activement la répression. Seul le prolétariat révolutionnaire en lutte pourra tenter de paralyser le terrible bras armé de la bourgeoisie et celui de ses États en affirmant sa perspective communiste.
Cyril, 10 février 2015
1 Ceci étant, le capitalisme d’État conduit souvent à contrôler et verrouiller totalement l’information dès que nécessaire, en particulier en temps de guerre. Il suffit de se rappeler de la première Guerre du Golfe où les médias étaient de simples toutous suivant docilement les opérations militaires et amplifiant le matraquage idéologique de l’état-major américain (lire notre brochure sur ce thème).
Fin août, le Groupe International de la Gauche Communiste (GIGC)1 a continué son attaque insidieuse contre le CCI. Cette fois-ci, il a utilisé d’une façon particulièrement ignoble le décès d’un des anciens fondateurs du GPI2 et de RM, l’ancien camarade Alberto, pour continuer à essayer de construire un cordon sanitaire autour du CCI en l’isolant ainsi du milieu politique prolétarien et de la classe, une entreprise qui survient on ne peut plus opportunément, en pleine offensive de l’État bourgeois contre les organisations politiques prolétariennes.
Alberto a joué un rôle positif dans la constitution de la section, mais, en même temps, il a été affecté par les faiblesses générales qui nous ont frappés tous (relents de passé gauchiste, tendance à la personnalisation dans les débats ou polémiques où l’on considère avant tout qui dit quelque chose au détriment de qu’est-ce qui est effectivement dit …). Mais dans l’article du GIGC, il n’y a pas la moindre critique sur sa trajectoire politique, ce qui est, pour le moins, une vision incomplète et idéaliste de l’individu et, dans le pire des cas, cela exprime ouvertement la tendance à un “culte a la personnalité”, une vision dithyrambique au goût rance de stalinisme.
Il est abject que le GIGC utilise la mort d’Alberto pour continuer à jeter ses propres ordures calomnieuses sur nous. Cette utilisation révèle une nouvelle fois la morale méprisable qui l’inspire, son absence totale de scrupules. Dénigrer quelqu’un derrière son dos est intolérable, mais parler au nom d’une personne décédée –donc, qui ne peut plus s’exprimer-, c’est le summum du cynisme.
Tous nos lecteurs peuvent consulter notre communiqué du mois de mai de 20143 où nous répondions à une attaque récente de ce groupe contre le CCI, une attaque perpétrée selon des méthodes policières évidentes, car ces gens-là n’ont pas lésiné dans leurs efforts pour essayer de semer la méfiance et inoculer le virus mortel de la suspicion autant à l’intérieur du CCI qu’à l’extérieur, autrement dit en direction du milieu politique prolétarien, des sympathisants et des contacts.
Ce n’est pas un hasard si les sections directement attaquées par ces Messieurs sont RI en France, première section du CCI par son importance, et RM, la “deuxième en ordre d’importance pour le CCI”, comme le dit cyniquement le GIGC dans son texte ; à cause de leur potentiel lié à la langue et aux forces militantes, il apparaît évident que pour n’importe quel agent provocateur, il est stratégique d’attaquer ces parties “les plus importantes” du CCI. Et nous posons ici la question : quelles données possède le GIGC pour savoir que la section de RM est la “deuxième en ordre d’importance pour le CCI” ? On aurait pu supposer que ces gens-là ne savent rien de la vie interne du CCI depuis au minimum douze ans ! Alors, d’où tiennent-ils ces renseignements “actualisés” pour connaître l’évolution interne du CCI ? D’autant que, d’après eux, en 2001, les meilleurs éléments de RM seraient partis avec la FICCI de sorte que, toujours selon leurs dires, la section serait restée depuis lors “orpheline” et, pourrait-on dire, sans “gourou”. Cette affirmation catégorique du GIGC nous rappelle une hypothèse que nous avancions dans notre “Communiqué à nos lecteurs”: “Mais nous ne pouvons pas écarter une autre hypothèse : l’un de nos ordinateurs a pu être piraté par les services de la police (qui surveille nos activités depuis plus de 40 ans). Et il n’est pas à exclure que ce soit la police elle-même (en se faisant passer pour une "taupe", militant anonyme du CCI) qui ait transmis à la FICCI certains de nos Bulletins internes sachant pertinemment que ces mouchards (et notamment les deux membres fondateurs de ce prétendu "GIGC") en feraient immédiatement bon usage.”
La distorsion des faits, le mensonge délibéré, voilà des attributs propres à la morale de la bourgeoisie. La morale prolétarienne, au contraire, cherche toujours la vérité ; la conscience de classe du prolétariat n’a pas besoin de mystifier la réalité parce que celui-ci n’est pas une nouvelle classe exploiteuse. Les agissements du GIGC sont le comportement même de la bourgeoisie ; ils n’ont rien à voir avec ceux d’un « groupe plus ou moins confus », un « groupe avec les meilleures intentions mais qui se trompe » ; pas du tout ! Son attitude préméditée de falsifier les faits est sa « méthode » pour attaquer le CCI et ces attaques sont aussi sa « raison de vivre ».
Le GIGC dit, par exemple : “Lors de la crise de 2001 du CCI, il [Alberto] fut parmi les quelques camarades de la section mexicaine qui refusèrent de céder à la panique, au chantage à la dissolution de la section, et aux ignobles provocations et mensonges que la nouvelle direction du CCI (envoyée sur place) exerça de manière scandaleuse sur la section et ses militants abasourdis lors d’une conférence ‘pan-américaine’”. Ce que les membres de la ex-FICCI et fondateurs du GIGC ne disent pas, c’est que ce qui allait devenir la FICCI travaillait déjà depuis pas mal de temps derrière le dos de la majorité des militants, clandestinement, en utilisant des canaux de correspondance secrète excluant le reste des camarades, faisant des réunions dont ils n’informaient pas les organes centraux, diffusant leurs calomnies sans autre limite que les oreilles complaisantes des camarades qui “refusèrent de céder à la panique, au chantage à la dissolution de la section”, d’après la pompeuse expression du GIGC.
Ces comportements conspiratifs et discriminatoires sont à l’opposé des méthodes du prolétariat, lesquelles sont basées sur la transparence et l’inclusion. Ce sont des comportements d’une organisation avec une vision bourgeoise qui la conçoit comme “une lutte entre factions qui la dirigent”. Il est significatif que ces tristes sires du GIGC ne parlent jamais de positions mais de “nouvelle direction”.
Il y a un proverbe qui dit : “Le voleur croit que tous les autres sont et font comme lui”. Le GIGC projette sur nous ses propres agissements nauséabonds. Les éléments qui allaient former la FICCI exercèrent une forte pression psychologique et affinitaire sur les éléments “abasourdis” de RM qui finirent par tomber dans leurs filets dont Alberto et Vicente, son frère. Ce dernier en est même arrivé à affirmer avec un aveuglement irrationnel que “même si l’organisation lui présentait une montagne de preuves, lui, il continuerait à soutenir les membres de la FICCI”. Voilà jusqu’où pouvait aller un état d’esprit où l’affinitaire règne en maître, où la seule chose qui comptait désormais était la ‘‘loyauté’’ vis-à-vis de ses amis au mépris des faits les plus évidents. Le même Vicente affirma avec un cynisme incroyable lors d’une Conférence de Revolución Mundial de février 2002 que “les statuts ne s’appliquent pas à la minorité, ce n’est que la majorité qui est obligée de les respecter” : un tel propos se passe de commentaires !
Et le GIGC poursuit : “Dans la débandade générale et la capitulation politique piteuse de la plupart, il fut donc parmi les rares qui restèrent fidèles aux orientations politiques ‘internes’ et externes adoptées” (il est ici fait référence aux orientations prises par le CCI entre 1996 et 2001). Ce que ceux du GIGC ne disent pas, c’est que les “orientations internes et externes” dont ils parlent, sont celles que les futurs membres de la FICCI défendaient à cette période, …période pendant laquelle ces petits Messieurs faisaient partie des organes centraux du CCI.
Ce qu’ils ne racontent pas, c’est qu’au sein de l’organisation –et plus concrètement lors du Congrès International qui a eu lieu en 2001– un désaccord s’est manifesté face à ces “orientations internes et externes” et qu’eux, au lieu d’accepter la discussion franche et ouverte, ont considéré que la critique qui leur était faite signifiait une offense à leur orgueil blessé et ils se sont mis à s’inventer une “guerre de chefs”, dans laquelle tous les moyens étaient permis pourvu qu’ils en sortent vainqueurs et, entre autres, ils se sont consacrés à violer sans retenue les Statuts du CCI.
Dans leur rage parce qu’ils “avaient perdu le contrôle de l’organisation”, ils sont allés encore plus loin : ils se sont mis à calomnier les camarades qu’ils considéraient comme responsables “d’avoir manipulé le troupeau de militants du CCI”; ils ont déversé des accusations fausses et ignominieuses contre une camarade et, dans leur escalade, ils ont fini par voler, moucharder et diffuser publiquement des documents internes de l’organisation.
Tout cela montre la vision politique bourgeoise et policière qui s’est emparée de ces gens-là. Dans une organisation politique prolétarienne, le débat n’est pas une mascarade qui sert à déguiser une lutte pour le pouvoir, mais le moyen normal pour rechercher les uns et les autres au maximum la clarification. Dans une organisation politique prolétarienne, les militants ne se laissent pas guider par des chefs mais par leurs critères propres à partir de la recherche des positions de classe du prolétariat. Dans une organisation politique prolétarienne, les organes centraux ne sont pas le monopole de quelques chefs qui se disputent le pouvoir4, mais l’expression de l’unité de l’organisation dont la fonction consiste à défendre les orientations élaborées par l’organe souverain de l’organisation : son congrès international. Le camarade Alberto, à qui ces gens-là font jouer le rôle de gentil de l’histoire, ne fut qu’une pauvre victime des méthodes et de l’idéologie de la FICCI, aujourd’hui cofondatrice du GIGC.
Le GIGC se met à défendre Alberto, autrefois militant que le CCI aurait “rejeté, calomnié et dénoncé publiquement”. Regardons de près quelques exemples concrets : en 2002 le CCI a organisé une Conférence internationale extraordinaire5 pour analyser sa crise interne et prendre position sur l’affaire de la FICCI. Au Mexique, il y avait un groupe de militants de RM qui étaient très liés à ce qui, plus tard, deviendrait cette FICCI, dont Alberto. En lien avec l’organe central international, RM décida d’envoyer à cette Conférence extraordinaire 5 camarades, dont deux d’entre eux proches de ce qui plus tard serait la FICCI pour qu’ils défendent devant la conférence leurs positions politiques. Le CCI paya les billets d’avion, mais, à leur arrivée en Europe, ces deux derniers, Alberto et S. (qui est mentionné dans le texte du GIGC), au lieu d’aller à la Conférence internationale extraordinaire, sont partis avec ceux qui allaient constituer plus tard la dite FICCI pour une réunion privée de cette bande.
C'est-à-dire que ces deux membres de RM qui faisaient partie d’une délégation élue par toute la section, ont décidé, avec le reste des membres qui allaient constituer la FICCI, de refuser de défendre leur position devant la Conférence, préférant se réunir entre eux pour suivre leurs propres objectifs de secte.
Voilà une attitude lâche et une attaque contre le débat, puisqu’une telle Conférence extraordinaire est justement le moment de défendre ce que l’on pense, quel que soit le degré de critique ou de désaccord qu’on puisse avoir. Voilà aussi un acte de déloyauté et de fraude : c’est le CCI qui avait payé les billets pour la participation à cette Conférence.
Le CCI exigea la restitution de l’argent des voyages et…ils refusèrent tout simplement ! Il s’agit d’un vol à l'organisation dont les ressources ne proviennent que de celles de ses militants et, par conséquent, de la classe envers qui ils sont redevables ; l’argent destiné à une tâche politique est une décision dont l’organisation comme un tout est responsable. Alberto et son camarade avaient le mandat de la section d’expliquer devant la conférence les positions de ce qui allait devenir la FICCI. Au lieu d’accomplir cette tâche, ils décidèrent de ne pas aller à la Conférence !… Et jusqu’à aujourd’hui, ils n’ont pas rendu l’argent.
Nous avons dénoncé ce lâche évitement du débat et ce vol sournois des ressources de l’organisation. En plus, ces individus liés à ce qui deviendrait plus tard la FICCI, qui d’après son avatar actuel, le GIGC, “ refusèrent de céder à la panique, au chantage à la dissolution de la section”, concrétisèrent leur posture si vaillante en n’assistant plus aux réunions de la section du CCI au Mexique, refusant de s’acquitter des leurs cotisations et en faisant carrément “bande à part”. Mais ils n’en sont pas restés là ! Ils ont volé à l’organisation des archives et les adresses des contacts auxquels ils ont envoyé pendant des années leurs ignobles calomnies contre le CCI. Pour résumer en quelques mots : la CCI n’avait pas encore de résolution sur ce qui deviendrait la FICCI, et déjà Alberto et ses compères avaient cessé de payer leurs cotisations, ils faisaient déjà des réunions d’où le reste de la section était exclue… La trajectoire du camarade Alberto restera marquée par sa contribution à la construction du CCI au Mexique, mais aussi par ses agissements aux côtés des mouchards de la FICCI.
Rappelons ici ce que nous avions dit en 2003 sur les méthodes policières de la dite FICCI : ‘‘Sur le site Internet de la FICCI, viennent d'être publiés deux textes qui en disent long sur les agissements destructeurs de cette prétendue "fraction". Le premier texte est la lettre que la section du CCI au Mexique a adressée le 15 novembre aux quatre membres de la prétendue "fraction" vivant dans ce pays. La publication du contenu de cette lettre ne nous pose évidemment aucun problème. Par contre, ce qui nous pose problème (et devrait poser problème à l'ensemble des groupes du courant de la Gauche communiste), c'est le fait que la FICCI ait rendu publique à l'avance la date à laquelle devait se tenir une réunion interne du CCI (la Conférence territoriale de notre section au Mexique). Dans cette lettre, la section du CCI au Mexique a en effet donné aux membres de la "fraction" la date de cette Conférence afin de leur permettre de se défendre et de faire appel devant celle-ci (ce qu'ils ont refusé de faire).
En publiant l'intégralité de cette lettre sur son site Internet, la camarilla des amis de Jonas a ainsi délibérément mis à la disposition de toutes les polices du monde la date à laquelle devait se tenir notre Conférence au Mexique en présence de militants venus d'autres pays (puisque notre presse a toujours signalé que des délégations internationales participaient à ce type de conférences). Cela signifie que les organes de police concernés pouvaient renforcer et cibler leurs contrôles et leur surveillance dans les aéroports et aux frontières. Cet acte répugnant de la FICCI consistant à faciliter le travail des forces de répression de l'État bourgeois contre les militants révolutionnaires est d'autant plus ignoble que les membres de la FICCI savaient pertinemment que certains de nos camarades ont déjà, dans le passé, été directement victimes de la répression et que certains ont été contraints de fuir leur pays d'origine’’6
Ce que nous ressentons clairement, c’est un fort dégoût produit par l’utilisation de la mémoire d’un ex-camarade pour faire monter encore des vagues et des vagues de dénigrements et de haine contre le CCI, poursuivant ainsi leur travail policier. Est-ce que le prolétariat et ses minorités ont quelque chose à gagner avec ces mensonges et ces calomnies contre le CCI ? Victor Serge, dans un livre bien connu et qui est une référence dans le mouvement ouvrier, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, souligne fortement comment la propagation de la méfiance est une arme privilégiée de l’État bourgeois pour détruire les organisations révolutionnaires : “la confiance dans le parti est le ciment de toute force révolutionnaire (…) ; les ennemis de l'action, les lâches, les bien installés, les opportunistes ramassent volontiers leurs armes dans les égouts ! Le soupçon et la calomnie leur servent à discréditer les révolutionnaires.”7
Le GIGC a consacré deux articles en quatre mois de cette année pour attaquer le CCI et ses militants. C’est un peu comme une “réactualisation” pour que tous nos nouveaux contacts aient des doutes sur les qualités morales du CCI… N’importe quel appareil policier de la bourgeoisie serait fier de ces élèves qui, payés ou pas, réalisent un tel sale travail et qui doivent être combattus pour ce qu’ils sont : des ennemis de classe.
L’histoire du mouvement ouvrier a démontré que ce qui, au début n’est qu’un amas de calomnies, de mensonges et de falsifications, suit la logique grandissante du pogrome qui peut aller jusqu’à l’assassinat. Quand Rosa Luxemburg et les Spartakistes en Allemagne en 1918 furent calomniés, discrédités et injuriés, cela ne fut que la préparation de leur mise à mort lors de la semaine sanglante à Berlin en janvier 1919. Nous devons nous rappeler en particulier de l’odieuse campagne contre Rosa Luxemburg, dont l’assassinat qui a suivi ne fut que le point culminant de cette campagne. Les calomnies préparent la répression. Ces gens-là voudraient voir le CCI rejeté, exclu et isolé de la classe comme par ses minorités révolutionnaires, de sorte que l’étape suivante serait une conclusion logique mais tragique pour tout le mouvement ouvrier et l’avenir de la révolution mondiale.
Revolución Mundial, section du CCI au Mexique, 17 janvier 2015
1Voir notre « Communiqué à nos lecteurs : Le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [505] », de mai 2014.
2 GPI: Grupo Proletario Internacionalista, constitué au milieu des années 1980, il est entré en contact avec le CCI et à la suite d’un processus de discussion en 1989, il a été à la base de la section du CCI au Mexique, Revolución Mundial.
3 Voir note nº 1
4On peut lire : ‘‘Problèmes actuels du mouvement ouvrier : la conception du chef génial’’- Extraits d'Internationalisme n°25 (août-1947) -, https://fr.internationalism.org/rint33/Internationalisme_chef_genial.htm [524]
5Voir : “Conférence extraordinaire du CCI : le combat pour la défense des principes organisationnels”, https://fr.internationalism.org/french/rint/110_conference.html [525]
6‘‘Défense de l'organisation : les méthodes policières de la ‘FICCI’’’, 2003, https://fr.internationalism.org/book/export/html/2192 [526]
7Cité dans l’article « Communiqué à nos lecteurs: Le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois », note 3.
“… Or, la social-démocratie allemande n’était pas seulement l’avant-garde la plus forte de l’Internationale, elle était aussi son cerveau. Aussi faut-il commencer par elle, par l’analyse de sa chute ; c’est par l’étude de son cas que doit commencer le procès d’auto-réflexion. C’est pour elle une tâche d’honneur que de devancer tout le monde pour le salut du socialisme international, c’est-à-dire de procéder la première à une autocritique impitoyable. Aucun autre parti, aucune autre classe de la société bourgeoise ne peut étaler ses propres fautes à la face du monde, ne peut montrer ses propres faiblesses dans le miroir clair de la critique, car ce miroir lui ferait voir en même temps les limites historiques qui se dressent devant elle et, derrière elle, son destin. La classe ouvrière, elle, ose hardiment regarder la vérité en face, même si cette vérité constitue pour elle l’accusation la plus dure, car sa faiblesse n’est qu’un errement et la loi impérieuse de l’histoire lui redonne la force, lui garantit la victoire finale.
“L’autocritique impitoyable n’est pas seulement pour la classe ouvrière un droit vital, c’est aussi pour elle le devoir suprême.”
Ainsi écrivait Rosa Luxemburg en 1915, dans La crise de la social-démocratie allemande, plus connue sous le nom de Brochure de Junius 1, travail de recherche sur les causes de la trahison de la majorité du SPD allemand et d’autres partis socialistes, confrontés à l’épreuve suprême de la guerre impérialiste mondiale. Dans ce passage, elle énonce clairement un élément central de la méthode marxiste : le principe de “l’autocritique permanente et impitoyable”, qui est à la fois possible et nécessaire pour le marxisme parce que c’est le produit théorique de la première classe dans l’histoire qui peut “hardiment regarder la vérité bien en face”.
Pendant et après la Première Guerre mondiale, cette tentative d’aller aux racines de l’effondrement de la Deuxième Internationale était une caractéristique de la démarcation entre les courants de la Gauche apparus en dehors des différents partis de la Deuxième Internationale mais qui ont formé une nouvelle Internationale explicitement communiste. Et quand la nouvelle Internationale, à son tour, a glissé dans l’opportunisme avec le reflux de la vague révolutionnaire d’après-guerre – une régression plus symboliquement exprimée dans la politique du Front Unique avec les traîtres social-démocrates – le même travail de critique a été réalisé par les fractions de la Gauche communiste au sein de la Troisième Internationale, en particulier les gauches allemande, italienne et russe.
En 1914, le mouvement anarchiste a également connu une crise suite à la décision de l’anarchiste très vénéré Pierre Kropotkine et de ses sympathisants de déclarer leur soutien à l’Entente impérialiste contre le bloc dirigé par l’Allemagne, et l’adoption de la même politique par “le syndicalisme révolutionnaire” de la CGT française 2. Dans les rangs du mouvement anarchiste, beaucoup sont restés fidèles à l’internationalisme et ont dénoncé farouchement l’attitude de Kropotkine et autres “anarcho-tranchéistes”. Sans doute, une minorité d’anarchistes refusa de participer à l’effort de guerre impérialiste. Mais, contrairement à la réponse de la Gauche marxiste, il y a eu peu d’effort pour entreprendre une analyse théorique de la capitulation d’une aile importante du mouvement anarchiste en 1914. Et, tandis que la gauche marxiste était en mesure de remettre en cause la méthode et la pratique sous-jacentes des partis sociaux-démocrates pendant toute la période qui a précédé la guerre, les anarchistes n’ont montré aucune capacité d’ “autocritique impitoyable”, car ils n’utilisent pas la méthode du matérialisme historique mais se fondent sur des principes plus ou moins intemporels et abstraits et sont imprégnés de l’idée qu’ils forment une sorte de famille unie autour de la lutte pour la liberté contre l’autorité. Il peut y avoir des exceptions, des tentatives sérieuses pour approfondir la question, mais, en général, elles viennent d’anarchistes qui ont été capables d’intégrer certains éléments de la théorie marxiste.
Cette incapacité à se remettre en cause profondément découle de la nature de classe d’origine de l’anarchisme, qui a émergé de la résistance de la petite-bourgeoisie, en particulier des artisans indépendants, au processus de prolétarisation qui a désintégré la structure de classe de l’ancienne société féodale au xix siècle. L’anarchiste français Pierre-Joseph Proudhon fut le fleuron de ce courant, avec son rejet du communisme en faveur d’une société de producteurs indépendants reliés par des relations de troc. Il est certainement vrai que les proudhoniens ont aussi exprimé un mouvement dans la direction du prolétariat en rejoignant la Première Internationale, cependant même avec les courants anarchistes les plus proches de positions prolétariennes, comme les anarcho-syndicalistes qui se sont développés vers la fin du xixe siècle, les attitudes incohérentes, idéalistes et a-historiques typiques de la conception du monde petite-bourgeoise n’ont jamais été totalement surmontées.
Cette incohérence a été chèrement payée par la nouvelle crise qui a balayé le mouvement anarchiste en réaction aux événements en Espagne, en 1936-1937. Les éléments importants du mouvement anarchiste qui n’avaient pas trahi en 1914, surtout la CNT espagnole, se sont ralliés à la défense d’un camp contre un autre dans la nouvelle guerre impérialiste, dans laquelle le camp républicain, dominé par l’aile gauche de la bourgeoisie, faisait face à son aile droite, dirigée par Franco, le tout constituant une partie d’un conflit impérialiste plus vaste mettant sur le devant de la scène les États fascistes allemand et italien contre l’impérialisme russe émergeant. Sous la bannière de l’unité antifasciste, la CNT a rapidement intégré l’état républicain à tous niveaux, y compris les gouvernements de Catalogne et de Madrid. Encore plus important, le rôle principal de la CNT a consisté à dévoyer ce qui avait été dans un premier temps une réponse authentiquement prolétarienne au coup d’État de Franco, une réponse qui avait utilisé les méthodes de la lutte de classe –grève générale, fraternisation avec les troupes, occupation d’usines et armement des ouvriers– vers la défense militaire de la république capitaliste. Compte tenu de la force de cette réaction prolétarienne initiale, non seulement les anarchistes mais aussi de nombreux courants marxistes en dehors du stalinisme ont été entraînés dans le soutien au front antifasciste, d’une manière ou d’une autre ; cela a inclus non seulement la tendance opportuniste autour de Trotski, mais aussi des éléments importants de la Gauche communiste, y compris une minorité au sein de la Fraction de la Gauche italienne. D’autre part, dans l’anarchisme, il y eut certainement des réactions de classe contre la trahison de la CNT, comme le groupe Los Amigos de Durruti et Guerra di Classe de Camillo Berneri. Mais la véritable compréhension de la nature de cette guerre a été le fait d’une petite minorité de la Gauche marxiste, surtout la Fraction italienne qui a publié Bilan. Cette dernière était presque seule à rejeter l’affirmation selon laquelle la guerre d’Espagne avait quelque chose à voir avec la défense des intérêts du prolétariat : au contraire, c’était une sorte de répétition générale avant le deuxième massacre impérialiste mondial. Pour Bilan, l’Espagne était un deuxième 1914 pour le mouvement anarchiste particulièrement. En 1939, face à la nouvelle guerre mondiale annoncée par Bilan, il y eut une majorité d’anarchistes, enivrés par l’antifascisme, qui suivirent la voie du ralliement à l’effort de guerre des Alliés, soit en rejoignant la Résistance, soit en s’enrôlant dans les armées officielles des Alliés ; à la tête du défilé pour la “libération” de Paris en 1944, il y avait une voiture blindée festonnée aux couleurs de la CNT, qui avait combattu à l’intérieur de la division de l’armée française libre dirigée par le général Leclerc. Encore une fois, des groupes anarchistes et des individus sont restés fidèles au principe de l’internationalisme prolétarien en 1939-45, mais il y a peu de preuves qu’ils aient effectué un examen systématique de la trahison historique de la majorité du mouvement dont ils se réclamaient encore.
Aujourd’hui, le prolétariat fait à nouveau face à la question de la guerre. Ce n’est pas une guerre mondiale entre des blocs déjà constitués, mais une descente chaotique et générale vers la barbarie militaire généralisée, comme on le voit en Afrique, au Moyen-Orient et en Ukraine. Ces guerres sont de nouveau des guerres impérialistes, au moyen desquelles les grandes puissances rivalisent derrière les différentes factions locales ou nationales et elles sont toutes l’expression de l’enfoncement irrésistible du capitalisme dans l’autodestruction. De nouveau, une partie du mouvement anarchiste soutient ouvertement ces conflits impérialistes.
En Russie et en Ukraine, il y a eu une croissance des groupes anarcho-nationalistes ou “ethno-anarchistes” qui fonctionnent ouvertement comme une aile “libertaire” de l’entraînement à la guerre dans chaque pays. Mais un groupe anarchiste plus “respectable” tel que le Syndicat des travailleurs autonomes, qui publie des documents sur Libcom et a tenu une réunion au Salon du livre anarchiste annuel en 2014, a également révélé des ambiguïtés profondes sur la guerre actuelle : dans certaines déclarations officielles, il semble prendre une position contre à la fois le régime ukrainien et les séparatistes pro-russes, mais les déclarations faites sur Facebook par certains de ses principaux membres racontent une histoire très différente, défendant apparemment le gouvernement de Kiev et sa guerre contre les incursions de Russie et appelant même au soutien de l’OTAN .
Au Kurdistan occidental (Rojava, nord de la Syrie), le Forum anarchiste kurde et le DAF (Action anarchiste révolutionnaire, Turquie) ont participé et fait de la propagande mondiale pour la soi-disant “révolution Rojava”, affirmant que la population locale s’organisait en communes indépendantes dans sa lutte contre le gouvernement syrien et surtout contre les djihadistes brutaux de l’État islamique. Le DAF offre de participer aux combats autour de la ville assiégée de Kobané, à la frontière turque. En réalité, ces communes sont étroitement contrôlées par le PKK, parti nationaliste kurde qui a opéré un revirement ces dernières années, du maoïsme vers le “municipalisme libertaire” de Murray Bookchin. Et, dans son conflit avec l’EI (État islamique), le PKK a agi plus ou moins ouvertement comme une force terrestre de la coalition “occidentale” dirigée par les États-Unis.
Des éléments anarchistes à l’ouest ont été également entraînés dans la campagne de “solidarité avec Kobané”, qui est dans les faits une campagne de solidarité avec le PKK. Le célèbre anarchiste David Graeber a publié un article dans The Guardian : “Pourquoi le monde ignore-t-il les révolutionnaires kurdes en Syrie ?” 3, qui décrit l’expérience du PKK en “démocratie directe” comme une “révolution sociale”. Il la compare aux collectifs anarchistes en Espagne en 1936 et en appelle à “la gauche internationale” pour éviter la répétition d’une même tragique défaite. Une perspective similaire est proposée par un internaute qui signe “Ocelot” sur Libcom, bien que ses arguments en faveur de l’antifascisme et des “Kurdes révolutionnaires” offrent une version plus sophistiquée de la même marchandise, dans la mesure où il est bien conscient de ce qu’il appelle la position “bordiguiste” sur le fascisme, à laquelle il est farouchement opposé . Mais, peut-être plus importante est la réponse que donnent les organisations anarchistes qui ont pignon sur rue. En France, par exemple, la CNT-AIT 4 participe aux manifestations de “solidarité avec Kobané” derrière une banderole qui dit : “Des armes pour la résistance kurde, Rojava c’est l’espoir, Anarchistes solidaires” (voir photo). On peut voir aussi les drapeaux de la Fédération anarchiste derrière la même banderole, tandis que l’Internationale des Fédérations anarchistes, à laquelle la Fédération anarchiste française et la Fédération anarchiste du Royaume-Uni sont toutes deux affiliées, et pour qui des organisations comme le DAF et le KAF sont proches de leurs positions, publie la plupart des articles du DAF sur la situation en Rojava sans faire de commentaire critique.
Il y a bien sûr des éléments au sein de l’anarchisme qui ont été très cohérents dans leur rejet du soutien au nationalisme. Nous avons déjà publié la déclaration internationaliste de la section russe de l’AIT, le KRAS, contre la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et nous avons cité un membre du KRAS, qui signe ses contributions “Foristaruso”, ayant mis en ligne sur le site Libcom des critiques très dures sur les positions de l’AWU (Autonomous Workers’ Union). Dans l’une des principales contributions sur la situation au Moyen-Orient, certains camarades ont dénoncé avec force la ligne pro-PKK, notamment un membre de la branche britannique de l’AIT (Solidarity Federation), qui signe “AES”. Le collectif qui gère le site de Libcom a présenté deux articles sur le PKK écrits dans la ligne de la Gauche communiste : l’avertissement du CCI contre la nouvelle image anarchiste que se donne le PKK et l’article “Le bain de sang en Syrie : guerre de classe ou guerre ethnique”, écrit par Devrim et publié dans un premier temps sur le site de la Tendance communiste internationaliste (ex-BIPR). Dans les commentaires qui suivent ce dernier article, il y a des réponses furieuses et calomniatrices d’internautes qui semblent être des membres ou des sympathisants du DAF turc.
A l’heure où nous écrivons, la FA du Royaume-Uni (AF) a publié un article qui ne se fait pas d’illusions sur la nature gauchiste, nationaliste du PKK et montre que le virage vers le “bookchinisme” et la “démocratie confédérale” a été lancé d’en haut par son grand dirigeant Ocalan, qui a également tenté de se rapprocher du régime d’Assad, de l’État turc et de l’islam. L’AF a le courage d’admettre que la position qu’elle adopte ne sera pas populaire étant donné le grand nombre d’anarchistes engagés dans le soutien à la “révolution de “Rojava”. Mais, là encore, nous voyons une incohérence totale dans la même tendance “internationale”. La déclaration de l’AF ne contient aucune sorte de critique du DAF ou de l’IAF et dans la liste des “actions concrètes” proposées à la fin de la déclaration, se trouve l’appel à “fournir une aide humanitaire à Rojava, via l’IAF”, qui est en contact direct avec la DAF. Cela semble être une concession à la pression du “nous devons faire quelque chose tout de suite”, qui est très forte dans le milieu anarchiste, même si l’aide (militaire ou humanitaire), organisée par un petit groupe en Turquie serait totalement inefficace à moins d’intégrer les activités d’organisations plus vastes, telle le PKK. Voilà ce que propose en réalité le DAF, dans la mesure où il a enrôlé des volontaires pour combattre avec les “unités de protection du peuple” (YPG). La FA écrit également que son but est d’“encourager” et soutenir toute action des ouvriers et paysans de la région de Rojava. Argumenter contre toute agitation nationaliste et pour l’unité des ouvriers et paysans kurdes, arabes, musulmans, chrétiens et yesidis. Toutes ces initiatives indépendantes doivent leur permettre de se libérer de la tutelle du PKK/PYD et aussi de l’aide des alliés occidentaux, de leurs clients, comme l’Armée syrienne libre, le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani et de l’État turc.” Encore faudrait-il aussi argumenter contre les positions pro PKK du DAF lui-même.
Il est certainement important que les analyses les plus consistantes sur la situation dans le Rojava viennent de la tradition de la Gauche Communiste. Ce qui caractérise la réponse plus générale des anarchistes est leur manque total de cohérence. Quand on étudie les sites Web de l’IWA, de la CNT-AIT ou de la Fédération Solidarité, ils restent sur un terrain économique, leurs écrits sont presque exclusivement composés d’articles traitant de luttes ouvrières particulières et locales, dans lesquelles ils ont été impliqués 5. Les grands événements économiques politiques et sociaux dans le monde sont à peine évoqués, et il n’y pas de signe de l’existence d’un débat sur une question fondamentale comme l’internationalisme et la guerre impérialiste, même s’il y a des différences profondes dans ce courant, allant de l’internationalisme au nationalisme. Cette absence de débat, cet évitement de la confrontation des positions – que nous pouvons également observer dans l’IAF – est beaucoup plus dangereuse que la crise qui a frappé le mouvement anarchiste en 1914 et en 1936, quand il était encore réactif à la trahison des principes au sein du prolétariat.
L’anarchisme reste une famille qui peut facilement accueillir des positions bourgeoises et prolétariennes et, en ce sens, elle reflète encore l’imprécision, les hésitations des couches sociales prises entre les deux grandes classes historiques de la société. Cette atmosphère est un véritable obstacle à la clarification, empêchant même les plus clairs des individus ou des groupes plus solidement internationalistes d’aller aux racines de ce dernier exemple de la collaboration de l’anarchisme avec la bourgeoisie. Mener leurs postions à leurs conclusions exigerait un réexamen approfondi des crises passées dans le milieu anarchiste, surtout celle de 1936, où, comme nous le démontrons dans nos récents articles parus dans la Revue internationale, les fissures fatales de l’anarchisme sont apparues sans fard. En dernière analyse, l’anarchisme a besoin de se critiquer lui-même, et d’assimiler réellement la méthode marxiste.
Amos, traduit le 21/12/14
1Éd. Spartacus 1993 p. 31-32.
2 Voir l’article sur la CGT [528] de notre série sur l’anarcho-syndicalisme [529].
3 Une réponse par la TCI peut être trouvée ici : http ://www.leftcom.org/en/arhttp ://www.thguardian.com/commentisfree/2014/oct/08/why-world-ignoring-revolutionary-kurds-syria-isisticles/2014-10-30/in-rojava-people%E2%80%99s-war-is-not-class-war [530]
4 L’AIT est l’Association internationale des travailleurs.
5 L’image de la bannière CNT-AIT présentée est typique de la démarche de cette dernière. Chaque fois que possible, les images veulent montrer le rôle crucial joué dans la lutte par ses militants – une approche conforme à leur notion d’organisation de la classe en syndicats révolutionnaires.
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde barbare en pleine décomposition, gavé de militarisme et de guerres : Irak, Syrie, Libye, Afrique de l'Est et de l'Ouest, Soudan, Yémen, tensions en Extrême-Orient, attaques terroristes en Europe et aux quatre coins du globe… A cette longue et incomplète liste des horreurs s'ajoute désormais le conflit ukrainien qui, situé à la périphérie de l'Europe, est l'expression d'une escalade militariste inquiétante et d'une menace croissante de la perspective guerrière dans les bastions historiques du capitalisme.
La région autour de la Crimée est une zone cruciale pour les intérêts stratégiques de la Russie, notamment la protection de ses pipelines (infrastructure essentielle de son économie) mais plus encore pour la marine russe dont la Mer Noire représente l'unique façade maritime en eau tiède où les ports ne sont pas gelés la moitié de l'année. La Russie a annexé la Crimée en mars 2014, tandis que naissait, à l'Est de l'Ukraine, dans la région du Donbass, la "Nouvelle Russie" (Novorossiya), Etat sécessionniste dont la bourgeoisie russe rêve depuis son opération militaire victorieuse en Tchétchénie en 1999. Novorossiya est une expression qui date des jours fastes de l'impérialisme russe du temps des tsars, quand ce dernier fit main basse sur la région du nord de la Mer Noire à la faveur de l'effondrement de l'Empire ottoman. Aujourd'hui, il tente d'imposer sa marque sur la "République populaire du Donetsk" et la "République populaire de Lugansk", incluant le nœud ferroviaire de Debaltseve et l'aéroport de Donetsk, une ruine fumante jonchée de corps sans vie.
Après l'effondrement de l’URSS en 1989, les velléités impérialistes de la Russie entrèrent dans une sorte de semi-hibernation avant de rapidement se réaffirmer avec plusieurs interventions hors de ses frontières : en Transnistrie, région de Moldavie, dès 1992, et surtout dans le Sud du Caucase, au Nagorno-Karabakh (Azerbaïdjan) puis en Abkhazie et en Ossétie du Sud (Géorgie), zone complexe où les conflits sont "gelés" mais où les forces russes sont présentes et constituent, sur fond de tensions avec les Etats-Unis, une armée d'occupation au milieu des mafias locales, des clans et autres seigneurs de guerre.
Le conflit en Ukraine est un pas supplémentaire dans la réaffirmation des ambitions impérialistes russes et dans l'escalade guerrière. Si les rebelles privilégient avant tout leurs propres intérêts impérialistes, c'est bien la Russie qui tire les ficelles et qui fournit massivement le matériel et les forces combattantes. Les derniers rapports soulignent d'ailleurs que la plupart des tirs mortels d'artillerie provenaient du territoire russe.
Dans le même temps, l'implication des pays occidentaux, notamment des Etats-Unis, dans le soutien au nouveau régime de Kiev est apparue explicitement. En 2013, les dirigeants occidentaux et leurs médias ont apporté tout leur soutien à la prétendue "révolution" de Maïdan (la Place de l'Indépendance), qui n'était rien de plus qu'un coup d'État militaire substituant aux gangsters pro-russes d'autres gangsters, plus ou moins à la solde de l'Ouest. La Russie ne peut pas permettre qu'une zone aussi stratégique pour elle que l'Ukraine soit incorporée à l'OTAN et voir des forces rivales massées à sa frontière. La guerre actuelle pourrait ainsi devenir une entreprise à long terme fournissant à la Russie une sorte de zone tampon dans laquelle elle pourrait à loisir attiser et éteindre le feu de la discorde pour déstabiliser le régime de Kiev soutenu par l'Occident. Ce jeu est d'autant plus dangereux que les événements ont tendance à créer leur propre dynamique irrationnelle et lourde de conséquences : la menace américaine de fournir à Kiev des armes meurtrières n'est plus seulement du bluff. Bien que, sur le plan du soutien diplomatique à Kiev, les déclarations contradictoires des chancelleries occidentales expriment probablement une réelle incertitude, l'OTAN a d'ores et déjà fourni un armement moderne aux pays de l'Est et a mis sur pied une force de réaction rapide (NRF). Il est déjà envisagé de doubler les effectifs de la NRF en les portant à 30 000 soldats, avec des unités stationnées en Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Roumanie. Selon le secrétaire général de l'OTAN, Jens Staltenburg, nous assistons au "plus grand renforcement de notre défense collective depuis la guerre froide" (The Guardian daté du 5 février 2015). Il n'existe pas une grande unité au sein de l’'OTAN et personne n'a forcément intérêt à la guerre, mais les impératifs impérialistes ont leur propre dynamique et il est très probable que les tensions et l'activité militaire vont s'aggraver prochainement. Ce constat est conforté par l'envoi en mars 2015 d'instructeurs militaires américains à Kiev dont la mission sera de former les forces locales pour "se défendre contre l'artillerie et les roquettes russes" (The Time du 12 février), selon un commandant militaire américain de haut rang en Europe, qui est loin de croire au "désengagement américain" dont parle une partie de la presse.
La guerre actuelle est totalement différente de la guerre des Balkans des années 1990 qui était l'expression des tensions impérialistes entre les pays de l'ex-bloc de l'Ouest et les États-Unis, défenseurs d'un "nouvel ordre mondial". Ces tensions, qui s'étaient traduites par des viols en masse, des massacres (Sarajevo, Srebrenica…) et la fragmentation des territoires, n'étaient pas une confrontation entre la Russie et l'Ouest mais plutôt l'expression de la défense des intérêts impérialistes de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis, à travers une guerre par procuration de tous contre tous. Une illustration concrète de cette réalité s'était produite à l'aéroport de Pristina, en juin 1999, à la suite de la guerre du Kosovo, où les troupes russes occupaient l'aéroport avant un déploiement de l'OTAN. Un général américain de l'OTAN, Wesley Clarke, avait ordonné que l'aéroport soit pris par les troupes britanniques alors sous son commandement. Le commandant militaire britannique, Mike Jackson, refusa les ordres de Clarke en disant : "Je ne vais pas prendre la responsabilité de commencer la Troisième Guerre mondiale." 1
Plus qu'au conflit dans les Balkans, la guerre en Ukraine ressemble à celle de Géorgie en 2008. La Russie avait alors gagné du terrain et les États-Unis, engagés sur d'autres fronts, furent contraints d'accepter le plan "européen" pour un cessez-le-feu.2 Maintenant, la Russie poursuit à nouveau ses intérêts impérialistes, comme aux plus beaux jours des régimes tsariste et stalinien. Elle le fait avec des moyens et des ambitions réduits par rapport à l’époque de la Guerre Froide, mais elle pousse la ligne de front vers l'Ouest.
Tout cela est très dangereux pour la classe ouvrière sur le continent et au-delà qui paye le conflit au prix fort. En plus des innombrables victimes et des atrocités de la guerre, la Russie et les pays européens souffrent énormément des sanctions imposées par les États-Unis. La chute des prix du gaz et du pétrole a également affaibli l'économie russe, et, en contrepartie, la Russie renforce ses forces de sécurité intérieure, ses réseaux d’espions et la répression à un niveau toujours plus important.
A Kiev, une grande partie de la population, poussée par l'Ouest et les cornes de brume de ses médias, a voté pour les crétins nationalistes et fascisants qui ont ensuite terrorisé les manifestants sincères de la place Maidan. Des deux côtés, les travailleurs sont maintenant démoralisés et incapables d'imposer une alternative prolétarienne à la guerre et à la misère qui l'accompagne. Dès son investiture en juin dernier, le nouveau président ukrainien, Porochenko, a promis la guerre et l'austérité. Il parle désormais d'introduire la loi martiale et des "réformes" afin de poursuivre la guerre. Le FMI, qui a déjà donné des milliards de dollars à Kiev, envisage de verser encore 17,5 milliards de dollars puis 40 milliards pour les quatre années à venir. En échange, Kiev s'engage à adopter de nouvelles "réformes" telles qu'une nouvelle baisse du salaire social et l'augmentation des prix des denrées de base. Cela se produira, de toute façon, que la guerre s'intensifie ou non. Et la classe ouvrière, particulièrement vulnérable, est dans l'impossibilité de fournir une quelconque opposition réaliste à ce qui se prépare.
Une question fréquemment posée : est-ce la Troisième Guerre mondiale qui commence ? La réponse est non ! Pour qu'une guerre mondiale éclate, deux conditions sont nécessaires : l'existence préalable de blocs militaires plus ou moins cohérents et surtout l'écrasement physique et idéologique de la classe ouvrière. Aucune de ces deux conditions n'est remplie pour le moment.
Sur le plan impérialiste, même s'ils s'opposent globalement à la poussée de l'impérialisme russe, il n'y a pas d'unité entre les pays de l'OTAN, où les tendances centrifuges dominent toujours. Tous les pays craignent une domination de l'Allemagne, nombreux sont ceux qui s'inquiètent de la domination américaine et ces craintes offrent à la Russie une brèche dans laquelle elle peut s'engouffrer. Quant à cette dernière, elle a pris des mesures pour avoir la Chine de son côté et fait des avances à d'autres pays qui refusent de céder à la pression des États-Unis : l'Égypte, la Hongrie et la Grèce par exemple, mais il n'y a aucune perspective de bloc militaire à l'horizon.
Sur le plan de l'embrigadement de la classe ouvrière, pour qu'un conflit mondial soit possible, la population doit être mobilisée pour la défense de la nation (c'est-à-dire des intérêts impérialistes) et prête à verser "du sang, de la sueur et des larmes". Dans le passé, lors de la Seconde Guerre mondiale, seul l'écrasement de la classe ouvrière a pu la réduire à l'impuissance politique et l'empêcher de réagir à son propre embrigadement dans la boucherie généralisée. Aussi terribles que soient la guerre et la destruction en Ukraine, il n'y a actuellement pas de perspective réaliste pour qu'elle se transforme en conflagration mondiale.
Toutefois, bien qu'elle ne soutienne pas la guerre en général, la classe ouvrière, en Ukraine de l'Est comme de l'Ouest, n'a pas suffisamment de force ni de moyens pour s'y opposer réellement et empêcher le glissement dans la barbarie, la destruction et la ruine à un niveau local. Dans l'Ouest du pays, une résistance plus importante s'est exprimée, causée par le coup de massue porté par Porochenko avec l'instauration de la loi martiale mobilisant 100 000 soldats supplémentaires de 16 à 60 ans (une mobilisation qui évoque l'action des nazis dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le Volksturm a été adopté, mobilisant les plus jeunes et les plus vieux). Des documents piratés au bureau du procureur militaire en chef de Kiev, Anatoli Matous, montrent que le nombre de victimes de la guerre est supérieur au chiffre officiel de 5400 (selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 8 février) : le service de Renseignements militaires allemand estime à 50 000 le nombre de tués. Les fuites indiquent également qu'il y a plus de 10 000 désertions, y compris au sein des cadres supérieurs de l'armée et des corps militaires d’élite, à tel point que le régime a, entre autres, mis en place des unités militaires spéciales pour traquer les déserteurs. Dans les territoires contrôlés par Kiev, des manifestations et des réunions se sont tenues dans les provinces d'Odessa et de Zaphorizia où les femmes se sont particulièrement illustrées en s'adressant à la foule pour dénoncer la guerre et le régime, en appelant à la solidarité. Mais cette résistance, pour autant qu'elle soit bienvenue, n'est nullement suffisante pour être le déclencheur d’un vaste mouvement anti-guerre ou anti-austérité.
Au début de la Première Guerre mondiale, bien que de rares mouvements anti-guerre existaient déjà, il fallut plusieurs années de destructions et de carnages, jusqu’en 1917, pour qu’un changement qualitatif se produise dans la classe ouvrière, un changement qui a contraint la classe dominante à arrêter la guerre. Les conditions sont très différentes aujourd’hui en Ukraine, en cela que la guerre ne provoque pas de mobilisation de masse contre elle et que le rôle des grandes puissances est plus indirect et masqué. Le danger existant est celui d’un enlisement dans une sorte de banalisation quotidienne des affrontements, d’un enfoncement dans une guerre rampante, typique des zones les plus caricaturalement touchées par la décomposition.
Cette situation est tout aussi dangereuse pour la classe ouvrière. Dans cette zone stratégique-clé entre l’Europe et l’Asie, avec la participation directe des forces russes et de celles de l’OTAN, même si ces dernières ne sont pas réellement unies, l’enfoncement dans la décomposition s’illustre parfaitement. Cela va probablement démoraliser la classe ouvrière des pays centraux, tout comme la répression du "Printemps arabe", avec la complicité notoire des grandes puissances, fut un facteur de démoralisation et ouvrit un boulevard à la "gauche" nationaliste (voir les exemples de la Grèce et de l’Espagne). Ce facteur de démoralisation pourrait faciliter l’ouverture d’une guerre plus large.
La tâche des révolutionnaires est ici de parler d'une seule voix contre la guerre impérialiste, tâche que la plupart des partis de la gauche prétendument "radicale" est bien entendu pathétiquement incapable de d’accomplir. Malgré tous leurs grands discours sur l' "internationalisme", leur responsabilité de fait dans cette situation a été honteusement esquivée.
Mais nous devons aussi garder à l’esprit qu’un très petit nombre de véritables révolutionnaires, internationalistes, ont su défendre la cause de la classe ouvrière avant et pendant la Première Guerre mondiale, au moment où un grand nombre d’ouvriers étaient mobilisés pour s’entretuer. Aujourd'hui encore, nous devons débattre, nous rassembler, dénoncer la guerre et mettre en évidence le poids central de l'expérience des ouvriers de l’Ouest pour le futur, maintenir nos principes avec le même état d’esprit que lors des conférences de Zimmerwald et de Kienthal et nous dresser comme un phare de l’internationalisme prolétarien face à la décomposition capitaliste et contre la guerre impérialiste
D'après WR (18 février 2015)
1 Jackson, partenaire occasionnel des beuveries des gangsters Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, a été par la suite promu à la tête du Haut Commandement militaire britannique.
2 Ex-président de Géorgie, Mikhail Saakashvili, l'homme de main des États-Unis recherché par les autorités géorgiennes, est maintenant devenu conseiller officiel du régime de Kiev.
Après avoir pris connaissance sur les pages web de la Tendance communiste internationaliste du communiqué du 12 avril 2014, intitulé : A proposito di alcune infami calunnie (Response to a Vile Slander), le CCI tient à apporter toute sa solidarité à cette organisation et à ses militants plus particulièrement visés face aux attaques dont ils sont la cible de la part de quelques anciens membres de la section en Italie de la TCI, le Partito comunista internazionalista.
Tous ceux qui se revendiquent du courant de la Gauche communiste ou qui s'intéressent à ce courant connaissent les désaccords existant entre le CCI et la TCI, des désaccords qui portent sur des questions d'analyse générale (comme celle du cours historique), d'interprétation de l'expérience historique (comme le travail de la Fraction italienne entre 1928 et 1945 ou la fondation du Partito comunista internazionalista en 1943-45) ou, et pour nous c'est le plus important, sur les rapports devant exister aujourd'hui entre groupes se réclamant de la Gauche communiste. Nous n'avons jamais caché ces désaccords ni renoncé à critiquer vigoureusement les positionnements politiques de la TCI (et du BIPR dans le passé) que nous jugeons néfastes pour le combat de la Gauche communistes. Mais cela ne doit pas, à nos yeux, affecter l'expression de notre totale solidarité envers la TCI ni la fermeté avec laquelle nous condamnons les calomnies dont cette organisation et certains de ses militants sont aujourd'hui la cible. C'est là une attitude qui appartient à la tradition du mouvement ouvrier.
Le CCI n'a pas connaissance de l'identité des éléments qui attaquent aujourd'hui le PCInt-TCI, ni des termes exacts de leurs allégations. Cependant, le CCI fait toute confiance au communiqué publié par cette organisation et considère comme véridiques les informations qu'il apporte. Cette confiance s'appuie sur les faits suivants :
- Nous ne pouvons pas imaginer qu'une organisation qui se réclame des positions de la Gauche communiste et qui a défendu ces positions pendant 70 ans puisse inventer les faits qui sont rapportés dans son communiqué.
- L'expérience du mouvement ouvrier (de même que l'expérience du CCI lui-même) atteste de la bassesse et de l'ignominie dans laquelle peuvent plonger d'anciens militants dès lors qu'ils développent des griefs envers leur ancienne organisation, qu'ils abandonnent le combat pour la défense de la perspective communiste pour engager le combat pour la défense de leur petite personne. La déception, la frustration, les blessures d'orgueil, la rancune deviennent alors les moteurs de leur comportement et non plus la révolte contre l'infâme société d'exploitation. Comme le dit le communiqué du PCInt ., "les attaques haineuses" contre leur ancienne organisation "sont devenues le centre de leur politique, sinon de leur vie" et non plus le combat contre le capitalisme dont ils deviennent alors, qu'ils le veuillent ou non, qu'ils en soient conscients ou non, les alliés.
- Un des moyens les plus sournois, mais malheureusement "classique", de la démarche destructrice de ces éléments envers leur ancienne organisation est de porter les accusations les plus sordides contre les militants les plus en vue de celle-ci, notamment celle d'être des "agents de l'État".
Ce type d'accusation doit être combattu et dénoncé avec la plus grande fermeté, notamment parce qu'elle introduit la suspicion au sein de l'organisation mais aussi dans l'ensemble du milieu prolétarien. C'est pour cela que le CCI affirme sa disponibilité pour apporter toute son aide à la TCI, dans les modalités que celle-ci jugera utiles, afin de démasquer les calomnies portées envers certains de ses militants et de rétablir leur honneur.
Le CCI appelle tous les éléments et groupes qui combattent sincèrement pour la révolution communiste, et particulièrement ceux qui se réclamant de la Gauche communiste (notamment ceux qui se rattachent au courant animé par Bordiga après 1952), à apporter une solidarité sans faille à la TCI face aux attaques sordides dont elle est la cible. C'est l'honneur de la Gauche communiste d'avoir combattu ce type de méthodes, dont le stalinisme fut le grand spécialiste, aux moments les plus noirs de la contre-révolution. Participer au combat de la Gauche communiste ne signifie pas seulement défendre ses positions politiques. Cela signifie aussi dénoncer des comportements politiques tels que les rumeurs, le mensonge, la calomnie, le chantage qui tournent le dos aux principes du combat du prolétariat pour son émancipation.
Le CCI, 17/04/2015
En Grèce, le triomphe électoral du parti Syriza a produit les réactions attendues de la droite à la gauche de l'échiquier politique bourgeois. Au Royaume Uni, le Times, pour la droite, écrivait : "la torche incendiaire de l'extrême-gauche vole vers la victoire", relayé par le Daily Mails qui renchérissait : "l'extrême gauche, poussée au pouvoir en Grèce, propage une onde de choc à travers toute l'Europe."
Contrairement à l'alarmisme de la droite, des groupes gauchistes ont bien-sûr quant à eux plébiscité l'arrivée de Syriza au pouvoir. En Allemagne, Die Linke se félicitait : "la Grèce a fait l'expérience d'un jour d'élections véritablement historique. Nous nous réjouissons avec vous. (…) Ce que Syriza a accompli est une grande réussite. En tant que parti de gauche pluraliste et moderne, vous avez réussi à devenir les porte-paroles de millions de gens qui vous font confiance parce que vous êtes cohérents et honnêtes et parce que vous leur rendez leur fierté." En France, le NPA saluait également : "la victoire de Syriza", cet "événement très positif, qui aidera à desserrer l'étau de l'austérité qui a provoqué une chute du niveau de vie de la population grecque. (…) Au niveau européen, c'est une défaite pour les gouvernements de droite et de gauche qui ne cessent de répéter qu'il n'y a pas d'alternative à l'austérité et à la destruction des acquis sociaux". Au Royaume-Uni, le Social Workers Party ajoutait : "les électeurs grecs ont délivré un message clair de rejet de l'austérité. (…) Le parti de la gauche radicale Syriza s'est emparé de la victoire, laissant les partis traditionnels sur le bas-côté."
Il est vrai que le schéma classique du partage de la diabolisation et de la célébration entre la droite et la gauche n'est cette fois-ci pas complètement respecté : certains partis de droite ont aussi encensé Syriza (et pas seulement pour leur coalition avec le parti d'extrême-droite ANEL). Marine Le Pen, du Front National, s'est déclarée "enchantée par l'énorme claque démocratique que le peuple grec a donnée à l'Union Européenne." Nigel Farage[1], du UK Independance Party, a vu dans le résultat de l'élection un cri à l'aide désespéré du peuple grec, des millions d'entre eux ayant été appauvris par l'expérience de l'euro.
Pourquoi faire ces citations ? Parce qu'elles rendent compte des différentes expressions de l'idéologie bourgeoise : la droite avertit qu'un changement dans la politique économique de la Grèce va déstabiliser d'autres économies en Europe, et peut-être même avoir un impact sur le fonctionnement du capitalisme au-delà ; la Gauche dépeint l'ascension de Syriza comme la preuve qu'une "alternative au libéralisme est possible", et se réjouit de l'émergence d'une nouvelle force sociale à laquelle les gens font confiance.
Il existe, à la gauche de l'appareil politique, une voix hypocritement dissidente : c'est celle de Lutte Ouvrière. Un article intitulé "Epreuve de force après la victoire de Syriza", tout en exprimant quelques sentiments familiers ("En votant massivement pour Syriza, les classes populaires ont dit qu’elles n’en pouvaient plus et ont exprimé leur rejet de ces politiques d’austérité", etc.), est également très critique. "Tsipras et Syriza n’ont jamais mis en cause l’ordre capitaliste. Ils ne prétendent pas le combattre et encore moins chercher à le renverser. Ils se situent entièrement sur le terrain de la bourgeoisie." De plus, en flattant les sentiments anti-allemands "Syriza situe son combat sur le terrain du nationalisme et se pose en champion de l’indépendance nationale de la Grèce." Mais, au bout du compte, LO apporte malgré tout son soutien à Syriza : "C’est une nécessité objective pour être en situation de lutter en solidarité avec le gouvernement de Tsipras tant que celui-ci s’en tient aux mesures favorables aux travailleurs qu’il avait promises et contre lui s’il tourne le dos à ses promesses." LO défend la position selon laquelle un gouvernement capitaliste en Grèce pourrait défendre en quelque sorte des intérêts qui ne seraient pas ceux de la bourgeoisie.
Syriza se situe entièrement sur le terrain du capitalisme d'Etat. Ce parti est soumis aux mêmes pressions que les autres bourgeoisies, et il n'est pas surprenant que Syriza, juste après son arrivée au pouvoir, ait commencé à faire des concessions allant à l'encontre de ses engagements antérieurs. Il s'est d'abord allié avec des dissidents du KKE et du PASOK (qui ont tous deux exercé le pouvoir, le premier pendant de nombreuses années et le second en coalition avec les conservateurs de la Nouvelle Démocratie). En tant que parti en lice pour le pouvoir, il se situait déjà sur le terrain capitaliste, différant des autres uniquement par la manière dont il a exprimé son nationalisme, et l'emphase particulière avec laquelle il a défendu sa politique capitaliste d'Etat.
Que les gauchistes décrivent Syriza comme une sorte d'alternative au capitalisme est totalement frauduleux. Juste avant les élections, un groupe de dix-huit économistes distingués (incluant deux lauréats du Prix Nobel et un ancien membre du Comité de politique monétaire d'Angleterre) a écrit au Financial Times en approuvant des aspects de la politique économique de Syriza : "Nous pensons qu'il est important de distinguer austérité et réformes : condamner l'austérité n'entraîne pas d'être anti-réformes. La stabilisation macro-économique peut être atteinte grâce à la croissance et à l'augmentation de l'efficacité dans la collecte de l'impôt plutôt que par une réduction des dépenses publiques qui a diminué le niveau de vie et conduit à une augmentation du taux d'endettement." La lettre est parue sous le titre : "Le nouveau départ de la Grèce va profiter à l'Europe", considérant la consécration de Syriza comme potentiellement bénéfique pour le capitalisme européen. Comme le fait remarquer un commentaire sur le site du magazine The New Statesman : "le programme de Syriza (…), c'est de la macro-économie classique. Le parti Syriza a simplement l'intention d'appliquer ce que les manuels suggèrent."
Et donc, suivant les manuels, Syriza a négocié avec les créanciers européens de la Grèce, en premier lieu pour prolonger le plan de sauvetage et ses conditions jusqu'au 30 juin. Ainsi, alors qu'il y avait des manifestations dans les rues d'Athènes contre le plan de sauvetage, Die Linke l'a voté au parlement allemand avec les partis au gouvernement. Habituellement, ils votaient contre les plans de sauvetage en raison des mesures d'austérité obligatoires qui accompagnaient ces plans. Cette fois, ils ont affirmé qu'ils votaient "par solidarité avec Syriza". Un dirigeant de Die Linke a même déclaré devant le Reichstag : "Maintenant, vous allez voir qu'un gouvernement de gauche peut arriver à quelque chose."
Dans un débat récent à Londres entre un membre dirigeant du Socialist Workers Party et Stathis Kouvelakis, du comité central de Syriza, ce dernier a déclaré : "Trente-deux grèves générales et des centaines de milliers de personnes n'ont pas réussi à empêcher l'application d'une seule mesure. Syriza a apporté l'imagination politique qui manquait et a traduit ces mouvements dans un défi au pouvoir. Et, quand on lui a fait remarquer que les demandes de Syriza étaient modérées, Stathis a rappelé à l'auditoire que la Révolution russe de 1917 a commencé avec des appels pour 'la paix, le pain et la terre'." Il est vrai que les grèves générales en Grèce ont été mises en scène par les différentes coordinations syndicales et ont ainsi joué le rôle d'exutoire à la colère des ouvriers contre les mesures d'austérité imposées par l'alliance gouvernementale de la Nouvelle Démocratie et du PASOK. Ils se sont assurés que l'opposition à l'austérité était contenue et détournée. L'imagination politique démontrée par Syriza consiste seulement à s'être coulé dans le moule pour prendre sa place dans l'appareil politique de l’État capitaliste. Il ne s'agit pas d'un défi au pouvoir mais d'une participation à la domination du capital et à l'exploitation de la classe ouvrière.
Il est potentiellement dangereux de faire référence à 1917 pour des gauchistes. La réalité de la révolution et la participation des révolutionnaires à cette réalité ont tendance à mettre à nu les (im)postures des partis comme Syriza. La Révolution russe a non seulement revendiqué "la paix, le pain et la terre", elle a aussi été caractérisée par le travail théorique de Lénine sur le marxisme et l’État, les Thèses d'avril et L’État et la Révolution. Une pierre angulaire du marxisme est que l’État existe à cause de l'impossibilité de faire disparaître les antagonismes de classe. En cela, il est tout à fait approprié pour Syriza de prendre sa place au sein de l’État et pour les gauchistes de tout poil d'entretenir les illusions sur les bienfaits de l’État capitaliste.
Car. (05/03/2015)
[1] Député populiste au Parlement européen, ancien membre du parti conservateur, il est connu pour ses discours provocateurs anti-Maastricht et sa grande admiration de Poutine.
A l’occasion des 70 ans de la défaite de l’Allemagne, nous republions ci-dessous un article paru dans Révolution Internationale n°15 en 1975.
Chaque fois, cet anniversaire est honoré par la bourgeoisie et ses médias aux ordres par une intense propagande qui vise à soigneusement entretenir le sentiment nationaliste et à travestir ce que fut réellement la Seconde Guerre mondiale : non pas une lutte entre l’humanité démocratique et la barbarie fasciste mais entre des nations capitalistes toutes prêtes, au nom de leurs sordides intérêts, à verser le sang des prolétaires, à exciter les haines et à commettre les pires atrocités.
Voilà ce que rappelle ce texte écrit par notre camarade Marc Chirik, ce militant de la Gauche communiste qui, durant la guerre, a défendu fermement le principe de l’internationalisme prolétarien, en appelant par tracts à la fraternisation des prolétaires de tous les pays.
Dans un grand nombre de pays, la bourgeoisie a mené grand battage autour du trentième anniversaire de la victoire sur l’Allemagne. Sa variété de gauche a été particulièrement virulente à cet égard : en Europe de l’Est, ce sont de grandes cérémonies qui ont célébré la date du 8 mai, et, là où le gouvernement a décidé de rayer cette date du calendrier officiel, la vestale du passé historique de la Patrie, le parti dit « communiste » a « engagé toutes les forces dans une bataille nationale de très grande ampleur », pour faire annuler cette décision « scandaleuse », « monstrueuse », « ignoble et infamante » (cf. L’Humanité du 12 mai 1975). Après avoir catalysé le chauvinisme entre les deux guerres autour de Jeanne d’Arc, le voici qui dispute à la bourgeoisie de droite la palme du culte nationaliste, dénonce la « politique anti-nationale de Giscard d’Estaing », « en appelle à toutes les forces nationales (sic) et démocratiques » pour faire de la lutte contre la décision de Giscard « un devoir national pour tous les patriotes » et rappelle que :
« Les communistes se sont retrouvés dans la Résistance avec les gaullistes. Ils ont pris les mêmes risques. Ils se sont faits ensemble une certaine idée de la France, de son rôle, de son avenir… »
pour en conclure que :
« la politique de M. Giscard d’Estaing conduit bien à trahir le combat commun que communistes et gaullistes ont mené contre le fascisme pour l’indépendance et la grandeur de la France.» (sic !)
Bien plus que les gaullistes à qui il tend la main, il n’y a que le PC pour atteindre aujourd’hui de tels sommets dans l’hystérie nationaliste la plus répugnante.
Pour la fraction de la bourgeoisie au chauvinisme le plus virulent, surtout quand elle se pare de l’antifascisme, l’heure est au recueillement, au souvenir. « Souvenez-vous, dit-elle aux prolétaires, combien vous avez été héroïques dans la défense de nos intérêts ».
Effectivement, SOUVENONS-NOUS !
D’abord, souvenons-nous de la cause de cette guerre, de la crise qui commence en 1929 et qui plonge le monde entier dans une misère insupportable à côté de stocks qui n’arrivent à s’écouler ! Souvenons-nous des dizaines et des dizaines de millions de chômeurs affamés, cherchant de villes en villes un emploi introuvable !
Souvenons-nous de la barbarie fasciste que la bourgeoisie oppose à cette crise ainsi que de l’hystérie antifasciste, qui, toutes deux conduisent les prolétaires d’Espagne, puis des principaux pays du monde au massacre !
Souvenons-nous des camps de concentration staliniens aussi bien qu’hitlériens, où c’est par dizaines de millions que sont exterminés des êtres humains !
Souvenons-nous du pacte de septembre 1939 entre les deux brigands, Hitler et Staline, entre l’Allemagne nazie et la Russie « socialiste », dont la première clause est le partage de la Pologne et qui débouche directement sur la guerre !
Souvenons-nous des massacres de 1939 à 1945 qui, avec 55 millions de morts, constituent de loin le plus grand holocauste de l’humanité !
Souvenons-nous de la façon dont cette guerre s’est terminée : par l’explosion de deux bombes atomiques qui, en une fraction de seconde, ont rasé deux villes japonaises, tuant sans distinction plusieurs centaines de milliers d’individus, immédiatement ou après une agonie atroce !
Souvenons-nous de la « Libération », de « l’épuration », et ses règlements de comptes sordides, des « à chacun son Boche ! », « plus forts les coups sur le Boche chancelant ! », « vive la France éternelle ! » du PCF, des cris de victoire « de la liberté », « contre le fascisme », des trotskistes et des anarchistes, lesquels s’enorgueillissaient du fait que les premiers tanks de la division Leclerc entrés dans Paris arboraient le portrait de Durruti !
Souvenons-nous de la « Reconstruction », de la surexploitation sauvage pour moins qu’une bouchée de pain avec des ministres staliniens disant aux travailleurs : « retroussons nos manches » et des militants du même parti faisant les flics dans les usines !
Prolétaires, souvenons-nous du rôle qu’ont joué les staliniens dans le passé comme bourreaux, flics, tortionnaires, exploiteurs et prenons garde à ce qu’ils nous réservent pour demain si nous ne déjouons pas leurs pièges, ni ceux de leurs compagnons de route « en antifascisme » et « en Résistance » : trotskistes et anarchistes !
Prolétaires, souvenons-nous du passé et regardons ce qui nous attend si nous nous écartons de notre terrain de classe par les chemins de l’antifascisme, du nationalisme, des illusions démocratiques, si nous ne sommes pas capables de nous unir à l’échelle internationale pour affronter et détruire l’État bourgeois !
C.M (mai 1975)
Un texte des ex-membres de la section du CCI en Turquie est disponible (en anglais) sur leur nouveau site web sous le titre : A propos de notre sortie du Courant Communiste International. (https://palebluejadal.tumblr.com/ [533])
Le Courant Communiste International regrette que ces camarades aient démissionné prématurément et n’aient pas attendu de répondre à nos demandes répétées de présenter leurs critiques à l’intérieur de l’organisation, conformément à la tradition historique des groupes de la Gauche communiste. Nous déplorons aussi que les camarades aient rejeté notre invitation à participer au prochain Congrès international du CCI qui est l’instance suprême de notre organisation pour défendre leurs positions, présenter et essayer de convaincre leurs autres camarades du bien-fondé de leurs critiques.
Nous devons dire clairement qu’en plus de ne pas avoir pris suffisamment leurs responsabilités pour mener un débat politique à l’intérieur de l’organisation, le texte publié aujourd’hui contient une version des faits pour le moins très différente de l’expérience qu’en ont tiré les autres membres du CCI.
Le CCI répondra de manière détaillée à ce texte d’ici quelques semaines.
Nous insistons à nouveau sur le fait que les ex-membres de la section en Turquie doivent avoir un débat sérieux avec nous.
CCI
Dire que le CCI "aura peut-être la prochaine fois davantage de raisons de jouer les victimes" ne peut s’interpréter que d’une seule façon : cet individu projette une agression ou une attaque contre nous. La menace est cependant plus virulente à l’encontre du camarade Stan, signataire de l’article, qui est prévenu "de sérieuses conséquences en ce qui concerne la santé et le bien-être général". Cet euphémisme hypocrite peut se traduire clairement : il veut faire mal au camarade.
Contre ce type de menaces et ce comportement indigne, nous voulons exprimer notre solidarité pleine et entière avec la camarade Stan, et bien entendu nous ne tendrons pas l’autre joue, nous nous défendrons et, pour commencer, nous tenterons de comprendre ce qu’il y a derrière ces menaces.
En septembre 2014, nous avons tenu une réunion publique à Madrid sur le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Dans l’assistance étaient présents cinq individus dont Monsieur John Henry dit que "quatre d’entre eux se revendiquaient de la Gauche italienne," "assistèrent à la réunion, s’assirent et défendirent leurs idées".
La façon de "défendre leurs idées" étaient plus proche d’un programme de télé-poubelle que d’un débat prolétarien, dans la mesure où les intervenants coupaient la parole, haussaient le ton et répétaient comme des perroquets les mêmes balivernes.
Le prolétariat est la première classe sociale de l’histoire dont les seules armes soient la conscience, l’unité, la solidarité et l’organisation, qui sont aussi les principes-mêmes de la société communiste qu’il aspire à instaurer. Le débat est fondamental pour le développement de la conscience. Un débat qui veut participer d’une recherche de la clarté exige une méthode, une organisation de la discussion, un tour de parole, une discipline pour respecter ce que disent les autres et pour exposer arguments et contre-arguments, en s’en tenant au thème en débat, et rejette la tendance à pouvoir dire à tout moment tout ce qui passe par la tête. Nous pouvons à ce titre voir l’expérience historique du prolétariat et concrètement de la Révolution russe où se tinrent de gigantesques débats dans les soviets comme dans les multiples autres organismes de masse (2).
Au lieu de participer au débat qui se proposait d’analyser les causes de la Première Guerre mondiale, de comprendre comment le prolétariat mit fin à la guerre, les méthodes de lutte qu’il employa et les transformations qu’elles signifièrent par rapport à la période antérieure, les "amis de John Henry" s’acharnèrent à répéter obstinément des idées qui étaient hors sujet sur "le besoin de syndicats de classe" et "l’organisation de la lutte immédiate" (3), la petite référence qu’ils firent à la guerre se limitant à deux absurdités : la première étant que la guerre est un montage fabriqué par la bourgeoisie pour résoudre la question de la surproduction et l’autre que la bourgeoisie peut entraîner le prolétariat vers la boucherie impérialiste à n’importe quel moment.
Ces éléments furent à maintes reprises invités à intervenir sur le sujet et dans le cadre du débat en cours, à quoi ils répondirent que c’était de la "philosophie" et du "travail d’érudits", qu’il fallait "en venir au présent" et "défendre les luttes immédiates". Cette attitude si définitivement "pratique" révèle une impatience immédiatiste et un aveuglement pragmatique qui sont aux antipodes de la méthode de la Gauche italienne dont "quatre d’entre eux" prétendent se réclamer.
Cette attitude constitue un obstacle à la clarification mais n’est cependant pas le plus grave. Les "quatre d’entre eux" ne cessèrent d’interrompre les camarades qui avaient la parole, en particulier un de nos militants. Nous avons compté pour le moins quatorze interruptions. Le ton était agressif et menaçant : s’adressant directement à un de nos camarades, l’un d’entre eux hurla que "face à la terreur blanche de la bourgeoisie, il fallait riposter par la terreur rouge de la dictature du prolétariat" (4).
Pourquoi adoptèrent-ils ce comportement ? Nous pensons qu’il y a deux explications possibles. La première, c’est que ces individus qui se réclament d’une "Gauche italienne" d’outre-tombe ne disposent dans leur répertoire que de quatre formules mal digérées qu’ils ânonnent comme des sourates coraniques. Quel que soit le sujet, qu’il s’agisse de la guerre, de l’autogestion ou de la culture du tapioca, leur contribution est toujours la même : "la nécessité d’un syndicat de classe", "l’aristocratie ouvrière est l’alliée de l’impérialisme" et quelques autres phrases du même genre. Leur contribution théorique majeure consiste à répéter inlassablement que les syndicats tels qu’ils sont dans la réalité actuelle "ne sont pas des syndicats" et qu’il faut construire un "vrai syndicat" (5).
Incapables de s’inscrire dans un débat où l’on argumente et réfléchit, qui est la condition pour éclaircir un problème et par conséquent développer la conscience de classe, ces individus sont convaincus que "l’apprentissage se fait à coups de trique" et réduisent le "débat" à des vociférations pour tenter d’atteindre le plus haut niveau de décibels. C’est donc cela les "arguments" et le "marxisme vivant" dont parle John Henry dans son texte !
Dans sa recherche du "marxisme vivant", ils ont certainement lu quelque part que le marxisme est intransigeant et combatif, et ils en ont déduit qu’il fallait être arrogant et imposer "la terreur rouge" par des hurlements et de grossières interruptions.
Il est donc nécessaire de rappeler que l’intransigeance et la combativité du marxisme n’ont rien à voir avec la contrainte et l’arrogance. Déjà en 1843, Marx signalait que "nous ne disons pas au monde : voici la vérité, agenouille-toi". Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des évènements les positions qu’elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base. "Certes, notre fraction se réclame d’un long passé politique, d’une tradition profonde dans le mouvement italien et international, d’un ensemble de positions politiques fondamentales. Mais elle n’entend pas se prévaloir de ses précédents pour demander l’adhésion inconditionnelle aux solutions qu’elle préconise pour la situation actuelle. Bien au contraire, elle convie les révolutionnaires à soumettre à la vérification des évènements les positions qu’elle défend actuellement aussi bien que les positions politiques contenues dans ses documents de base" (6). Cet extrait est une des plus claires expressions de cette Gauche italienne dont se réclament tant les "amis de John Henry". Dans sa recherche des principes, le marxisme argumente, examine de façon critique ses positions antérieures, cherche la cohérence et la clarté… exactement à l’opposé des formules simplistes défendues avec des méthodes de voyous.
La seconde explication, qui n’est pas en contradiction avec la première et peut la compléter, est que ces individus – au-delà de la conscience qu’ils peuvent en avoir – venaient faire une action-commando contre un lieu de débat prolétarien où se développait un effort de discussion honnête, patient, méthodique, basé sur l’écoute et le respect mutuel, conditions nécessaires pour une véritable clarification.
Face au spectacle pitoyable que donnèrent les amis de John Henry, pour défendre un lieu de débat prolétarien et se donner les moyens théoriques – qui se complètent nécessairement par des moyens pratiques –, il fut décidé au cours d’une réunion avec des sympathisants proches du CCI d’écrire l’article – que rédigea le sympathisant Stan – dont il est question et qui apportait des arguments sur la nécessité de la culture du débat et de la théorie comme armes indispensables dans la lutte contre le capitalisme.
Tout cela n’est pas du goût de John Henry qui, après l’action de sabotage de septembre, profite de la publication de cet article pour lancer des menaces et remplir son texte de toutes sortes d’insultes et de falsifications. Il parle de "débat endogamique", nous reproche de nous consacrer à des discussions avec des étudiants, et va même dans son délire jusqu’à affirmer que "face aux positions que nous défendions pendant le débat, il y avait celle où se rejoignaient le CCI, les anarchistes et les maoïstes". Soit John Henry était absent, soit il ment délibérément car aucun des présents ne s’est jamais réclamé de l’anarchisme ou du maoïsme (quoique par ailleurs nous soyons totalement disposés à écouter et débattre avec des camarades qui viendraient du camp maoïste ou anarchiste pour peu qu’ils respectent le cadre de la réunion : le sujet choisi, une façon sérieuse et responsable de s’exprimer, etc.).
Il faut choisir : soit le débat prolétarien qui exige un effort pour suivre une méthode organisationnelle, aborder patiemment les thèmes pour parvenir à des conclusions, qui peuvent parfaitement contenir des accords et des désaccords ou des points qui nécessitent une autre discussion, soit les méthodes des "amis de John Henry" qui sont monnaie courante dans les groupes bourgeois de toutes teintes, basées sur la concurrence, le pugilat, les menaces de violence physique, etc.
CCI, 9 mars 2015
1 Nous nous demandons pourquoi cet individu a choisi ce moyen plutôt que s’adresser directement au CCI pour expliquer ouvertement ses récriminations.
2 Deux livres, Histoire de la Révolution russe de Trotski et 10 jours qui ébranlèrent le monde, de John Reed, peuvent servir de référence.
3 Nous organisons des réunions publiques sur un thème particulier. Si les participants ont d’autres préoccupations, nous sommes disposés à organiser une autre réunion sur celles-ci, et d’ailleurs il leur fut proposé d’organiser une réunion pour traiter de la question syndicale et de la lutte revendicative.
4 Dans l’introduction de l’article : "Cultura de la teoría y cultura del debate: necesidades para la lucha contra el capitalismo [534]", nous disions que ces éléments agirent “de façon agressive en interrompant, en menaçant, en insinuant”. Pour être précis, disons que ce fut la seule menace indirecte, les menaces directes n’arrivant que par la suite avec le texte de John Henry.
5 La question syndicale, la négation de la lutte revendicative aux mains des syndicats, la nature du prolétariat, l’existence ou non d’une "aristocratie ouvrière" sont des sujets que nous sommes disposés à aborder avec quiconque est intéressé. On peut aussi lire notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière, notre série d’articles sur le syndicalisme révolutionnaire, notre article récapitulatif : Apuntes sobre la cuestión sindical. (https://es.internationalism.org/node/3103 [330]). En ce qui concerne l’aristocratie ouvrière, voir : L'aristocratie ouvrière : une théorie sociologique pour diviser la classe ouvrière. (https://fr.internationalism.org/rinte25/aristocratie.htm [535])
6 Introduction à Bilan no 1, organe théorique de la Fraction Italienne de la Gauche communiste, novembre 1933.
L'article qui suit révèle des aspects importants de l'intrigue. Nous invitons les lecteurs qui souhaitent préserver l'effet de surprise du film à nous lire après son visionnage.
Le film de Stéphane Brizé récompensé au Festival de Cannes par le prix d'interprétation masculine a rencontré auprès du public un succès inattendu. Il montre le parcours d'un chômeur en fin de droits, Thierry, interprété par Vincent Lindon, contraint d'accepter un emploi de vigile, sorte de "kapo" de supermarché, qui le placera face à de pénibles dilemmes moraux.
Artistiquement, La loi du marché est une réussite indéniable. La scène d'ouverture tranche d'emblée avec les canons cinématographiques : caméra à l'épaule, le film fait volontairement l'effet d'un documentaire et nous plonge brutalement dans le difficile quotidien d'un chômeur. Cette manière originale de réaliser, s'appuyant sur le jeu remarquable de Vincent Lindon et la présence d'acteurs amateurs exerçant souvent le métier qu'ils interprètent à l'écran, donne à l'œuvre un aspect criant de vérité.
La violence du chômage, les humiliations permanentes, l'infantilisation pernicieuse et la peur du lendemain sont parfaitement exposées. Nombreux sont les ouvriers sans emploi à avoir essuyé la condescendance d'un employeur, à se faire recaler pour des raisons stupides, ou à encaisser stoïquement les séances de "coaching" organisées par l'État pour apprendre aux "loosers" à "mieux se vendre", c'est-à-dire à intérioriser la responsabilité de "l'échec" des "entretiens d'embauches". Mais si ce réalisme a certainement contribué au succès du film, la succession de scènes où règnent uniquement le chacun pour soi et la lutte de tous contre tous est symptomatique des limites idéologiques desquelles, en dépit de ses qualités, le film ne peut s'extirper.
La même ambiguïté est visible dans la seconde partie du film, lorsque Thierry finit par décrocher un emploi dans un supermarché. La brutalité de ce secteur est de notoriété publique : l'arrogance, le cynisme et le machiavélisme des cadres très satisfaits d'eux-mêmes est une réalité qu'aucun ouvrier de la grande distribution ne niera. La scène où un DRH, pour déminer toutes expressions de solidarité, explique sans sourciller aux employés que le suicide d'une caissière, qui venait justement d'être licenciée, a pour origine ses problèmes familiaux, fait d'ailleurs échos aux manipulations bien réelles lors de la vague de suicides à France Télécom en 2009.1 Néanmoins, si la véracité de ces situations saute aux yeux, la réalité ne se réduit pas qu'à ce cri de désespoir.
Ce pessimisme et l'absence de perspectives relèvent d'une intention de Stéphane Brizé qu'il exprime très consciemment dans une réalisation, certes remarquablement maitrisée, mais pleine de sens. Pas un plan, hormis le dernier, où l'horizon reste néanmoins bouché par les boutiques dominant un parking, n'a une profondeur de plus de quatre ou cinq mètres. Thierry est littéralement dos au mur en permanence, dans une ambiance claustrophobe qui ne doit absolument rien au hasard et qui cherche à exprimer l'impuissance de la classe ouvrière.
D'ailleurs, la seule expression de lutte collective est présentée, au début du film, sous les traits du syndicalisme, et plus particulièrement, sous ceux de l'inénarrable Xavier Mathieu, le cégétiste vedette qui s'employa en 2009 à enfermer les ouvriers de l'usine Continental dans une lutte corporatiste, stérile et épuisante. Un peu par lassitude, en réaffirmant qu'il était resté aux côtés de ses collègues pour résister tout un temps à la pression destructrice de l'entreprise, Thierry est obligé de se justifier face à la détermination culpabilisante du leader syndical de service. Il fallait qu'à la dure réalité des humiliations notre héros finisse par défendre qu'il n'est pas un "traître" ! Et ce n'est que pour "sauver sa santé mentale" qu'il décide de prendre lui-même en main son sort. Finalement, après bien des déboires et les péripéties ordinaires dignes du parcours du combattant, il trouve la "perle rare" : un emploi précaire de vigile ! De cette histoire triste et banale, on est amené à déduire que la débrouille individuelle s'avère la meilleure conseillère face à la "Loi du marché", c'est à dire celle du système capitaliste". Et c'est d'ailleurs drapé de solitude, face aux injustices, aux humiliations, au flicage imposé à ses propres collègues par la direction que le personnage finit par exprimer son rejet de manière isolée.
C'est en effet totalement seul, dégoûté, en son "âme et conscience", qu'il finira par déposer l'"uniforme" en quittant l'entreprise par la petite porte des vestiaires. Ici, derrière les intentions et l'indignation bien réelle, se trouvent encore les propres limites du film, se heurtant aux préjugés moralisateurs du réalisateur. En effet, la façon de partir de ce cas de conscience moral au niveau individuel induit un choix sacrificiel et surtout sans aucune perspective. Il est certes clair que certains emplois destinés au flicage des bagnes industriels, assumés comme tels, ne conduisent qu'en dehors ou pour le moins à la marge du prolétariat et de sa lutte. Il est clair que pour un prolétaire conscient, certains emplois ouvertement au service de la répression posent en effet clairement ce cas de conscience. Et c'est à ce niveau que réside toute l'ambiguïté du film. La réaction individuelle est rendue presque inévitable, tant la fonction oppose aux autres membres du personnel. Elle s'avère légitime même si sans perspective parce que totalement isolée. Le prisme individuel par lequel le film enferme le personnage n'est absolument pas celui par lequel procède la conscience de la classe ouvrière, même. Dans la réalité, un tel refus est souvent un luxe qu'on ne peut s'offrir que difficilement du fait du contexte de simple survie en temps de crise économique aigüe : d'autant plus quand on a une famille à nourrir avec un enfant handicapé à charge, comme c'est le cas dans le film. Assumer ici un emploi de vigile complique la donne et introduit une notion ouvertement morale. Thierry est amené, en acceptant ce travail, à agir directement du point de vue de la classe dominante par la contrainte, en porte à faux vis-à-vis de ses collègues et même de sa propre nature de classe. Il n'en est pas de même lorsque le travail n'implique pas directement cette responsabilité et ces choix brutaux. Par exemple pour les usines d'armement, la production et l'usage des armes, même si elles posent un cas de conscience, sont les décisions uniques de la bourgeoisie. Ce que les ouvriers ont à produire, ils le ne le décident pas eux-mêmes. Le prolétariat qui, de façon paradoxale, se retrouve obligé par la même contrainte du marché à travailler dans ces usines garde donc sa capacité critique et reste surtout capable de lutter collectivement de manière indépendante.
Le refus individuel contextualisé par le film, qui ne peut inverser le cours des événements, débouche en fin de compte sur la révolte du prolétaire transformé en "citoyen héroïque", celle liée aux préjugés de l'idéal démocratique de la société bourgeoise et probablement du réalisateur. L'acte est autant le produit du refus et de l'indignation légitime que d'une confiance inexistante entre salariés, d'une absence totale de solidarité. Même si, en redevenant chômeur, le personnage regagne la dignité de sa classe, comme simple prolétaire, il disparaît par contre aussitôt de la scène et le film s'achève ainsi. La résistance collective du prolétariat, la lutte de classe, ... tout cela n'a pas sa place ! Après plus de deux décennies de campagnes idéologiques poststaliniennes, deux décennies de propagande martelant la "fin de la lutte de classe" et la "mort du communisme"2, on mesure le sens de cette intense polarisation individuelle. Que signifie la lutte de classe aujourd'hui ? Elle est au musée et dans les poubelles de l'histoire ! Voilà le message confirmé qu'on peut déduire en creux de ce film.
Finalement, il va dans le sens de ce que se plaisent à marteler la bourgeoisie et ses politiciens qui profitent au maximum des faiblesses et des difficultés de la classe ouvrière aujourd'hui. C'est probablement là une des clefs permettant, au-delà de la valeur artistique du film et de la prestation de l'acteur, d'expliquer les raisons de sa promotion très médiatisée.
Chew, 13 juin 2015
Nous avons publié récemment une ‘‘Réponse face aux menaces’’, menaces proférées par un individu qui se fait appeler “John Henry”1. Ce type poursuit son escalade de provocations en atteignant des niveaux répugnants. Dans un texte publié sur Facebook et qui parait avoir été effacé par l’administrateur de ce réseau à cause de son contenu inacceptable, il dévoile des détails intimes d’un camarade proche du CCI en le qualifiant de malade mental, concluant par un raisonnement tordu selon lequel le CCI utiliserait des jeunes inexpérimentés et des malades mentaux pour mener sa politique.
Diffuser publiquement des donnés intimes d’un camarade est une activité policière. Cela fait partie des pratiques les plus pourries du capitalisme. C’est une démarche de “débat” des plus viles et abjectes, pratiques très courantes de la concurrence électorale entre les partis bourgeois, mais intolérables dans le milieu prolétarien.
Nous voulons encore exprimer ici notre soutien total au camarade attaqué, nous lui exprimons notre solidarité la plus profonde et nous sommes conscients du traumatisme et de la déstabilisation qu’une telle attaque directe et brutale, de la part d’un individu nuisible comme John Henry peut provoquer.
Dans une véritable ruée de meute enragée, tout un milieu qui prétend se revendiquer du “communisme” lance contre le CCI les accusations les plus insensées. La dernière est celle de ce monsieur John Henry qui nous traite de ‘‘secte qui manipule des jeunes malades mentaux inexpérimentés’’. Une telle accusation ne peut venir que d’une tête pourrie par l’idéologie capitaliste la plus dégénérée. La caractéristique principale d’une telle accusation est le mépris vis-à-vis des camarades qui recherchent une clarification et se rapprochent du CCI. ‘‘Le salaud pense que tous les autres sont comme lui’’ pour reprendre un vieux proverbe castillan. La seule chose que ce sinistre sire John Henry peut imaginer, c’est un monde avec des manipulateurs et des manipulés, dans son sale cerveau, il n’y a de la place que pour ‘‘des jeunes inexpérimentés malades mentaux’’, proies faciles pour des monstres manipulateurs. Sa vision du monde est celle du capitalisme : pour celui-ci, les ouvriers sont une masse d’écervelés, de perdants et de moins que rien, qu’on peut manipuler à volonté pour les presser comme des citrons par le biais d’une exploitation féroce.
Chez John Henry il y a, en plus, une vision hygiéniste. Tout camarade qui souffrirait d’un quelconque trouble mental devrait être considéré comme inutile pour la lutte communiste. Seuls les ‘‘parfaits’’, ceux qui ne présentent pas la moindre tâche dans leur ‘‘dossier médical’’ seraient considérés ‘‘aptes’’. Voilà une sinistre vision qui en rappelle d’autres, comme celle du nazisme.
Cependant, si on regarde la réalité du capitalisme des cent dernières années, on s’aperçoit que le renforcement de l’exploitation, du totalitarisme étatique, lequel lorsqu’il est drapé de ses habits démocratiques est particulièrement cynique et manipulateur, l’extrême marchandisation de la société, ont eu comme conséquence la prolifération des maladies mentales. Selon les critères de John Henry, il faudrait exclure la plupart des militants communistes, parce que rare est celui qui n’a pas subi un trouble mental ou psychologique quelconque quand on voit les conditions d’exploitation et d’existence que nous subissons sous le capitalisme.
Une des raisons pour lesquelles le prolétariat est la classe révolutionnaire de la société est le fait que sur ses épaules se concentre, sous sa forme la plus extrême et universelle, le poids des souffrances psychiques et physiques causées jour après jour par le mode de production capitaliste. Contrairement à la vision qui peut se déduire du comportement de ce John Henry, les troubles psychiques, les maladies au sein du prolétariat, ne sont pas une cause d’exclusion ou de raillerie contre ceux qui en souffrent, mais un stimulant pour la prise de conscience, l’indignation, la lutte et la solidarité, qui sont les forces qui cimentent le combat historique de notre classe et qui seront la base de la société future qu’elle aspire à instaurer.
La dernière action de John Henry nous amène à poser une question à tous ceux qui se revendiquent de la Gauche Communiste et de la lutte du prolétariat. Jusqu’à quand va-t-on accepter ces comportements nauséabonds typiques du capitalisme ? Jusqu’à quand va-t-on tourner la tête de l’autre côté chaque fois que des types du genre John Henry se livrent à leurs provocations ?
Une déclaration claire et ferme, de la part de tous les groupes et des éléments qui se revendiquent de la Gauche communiste, est nécessaire face à de tels comportements. Quant à nous, nous les condamnons avec toute notre énergie et nous appelons à les rejeter et à ne pas accepter le moindre débat, ni le moindre rapport avec des individus qui dissimulent leur bassesse sous leur prétendu ‘‘communisme’’ pour mener leurs activités répugnantes.
Aujourd’hui, au sein de la Gauche communiste, on accepte n’importe qui proclamant quatre idées à consonance ‘‘communiste’’, sans s’arrêter pour réfléchir sur son comportement. On n’établit pas une frontière indispensable face à ceux dont la pratique est faite de calomnies, de provocations, d’accusations tous azimuts, de menaces, de travail policier en publiant des données personnelles de militants etc. Ces gens-là doivent être dénoncés sans ménagement parce qu’ils salissent avec leur vilenie l’ensemble de la Gauche communiste, en étant aussi un cheval de Troie du capitalisme qui sert à bloquer la clarification et l’avancée des positions communistes.
En 1914, les révolutionnaires d’alors –Lénine, Rosa Luxemburg, Trotski etc. – dessinèrent une ligne rouge définie par l’internationalisme, en rompant tout contact, en dénonçant sans concession tous ceux qui, au nom du mouvement ouvrier, soutenaient la guerre impérialiste. Il est aujourd’hui nécessaire d’expliciter clairement une autre frontière, une autre ligne de démarcation, celle qui sépare les révolutionnaires de ce grenouillage parasitaire qui utilise le nom de la Gauche communiste pour justifier ses comportements ignobles.
Sans cette claire démarcation, la Gauche communiste n’aura pas la conviction et la cohérence nécessaire pour défendre les positions du prolétariat et finira par être considérée comme les autres forces politiques qui défendent ce système pourri : des beaux idéaux dans les discours, mais des manœuvres et des actions indignes dans les faits.
La Gauche communiste lutte depuis presque 100 ans, d’abord en combattant contre la dégénérescence opportuniste des partis de l’Internationale Communiste, et par la suite, en tirant le bilan et les leçons de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23, en combattant toujours le stalinisme et tous les autres courants qui défendent le capitalisme au nom du “communisme”. Ce combat, avec tous les acquis qu’il nous a apporté, pourrait être complètement démoli si l’on tolère au sein de la Gauche communiste la présence de tout ce panier à vipères rempli de parasites, de supplétifs de police et autres individus méprisables dont John Henry est l’un des exemples le plus pestilentiel. Il faut les dénoncer, les exclure du terrain de la Gauche communiste et les remettre à leur place : celle de serviteurs du capitalisme.
Une réflexion finale nous parait indispensable. Dans les réseaux sociaux d’Internet pullulent toute une série de francs-tireurs embusqués qui font leur miel, des spectateurs pervers qui voient les rapports entre les groupes comme un match de boxe, des dilettantes en tout genre et des spéculateurs de salon. Ce moyen favorise l’irresponsabilité organisationnelle, l’absence d’engagement, il constitue un terrain où des parasites et des supplétifs de police, tel le sinistre John Henry, peuvent sévir sans contraintes. La Gauche communiste doit se donner des moyens propres et sérieux, la responsabilité et l’engagement exigés pour la défense des positions de la classe ouvrière.
CCI, 31-5-15
1 Article traduit en français : En défense du débat prolétarien : notre réponse face aux menaces, paru dans RI n° 452 (mai-juin 2015) et sur notre site : https://fr.internationalism.org/icconline/201505/9210/defense-du-debat-proletarien-notre-reponse-face-aux-menaces [537].
84 avions... c'est fait ! L'État français, dirigé par le Parti Socialiste, vient de vendre pour la première fois en 20 ans, le fleuron de sa production militaire, l'avion de chasse Rafale : tout dernièrement au Qatar pour 24 appareils, après en avoir également vendu 24 exemplaires à l'Égypte et 36 à l'Inde. Les politiciens et les médias n'ont pas eu de mots assez forts pour exprimer leur "fierté nationale" devant un tel événement. Car il est vrai qu'à l'exception de l'armée française, cet avion n'avait, jusqu'à présent, jamais trouvé preneur. Et à quel prix ! Pratiquement cent millions d'euros l'unité ! Ceci a rebuté pas mal de pays, les amenant à se tourner vers des appareils moins onéreux comme les avions américains, suédois, russes ou européens.
Cent millions d'euros, c'est à peu près 7800 années de salaire ouvrier investies dans un seul avion au service de la guerre. On a beau savoir que ce matériel hautement technologique a toujours coûté cher, il est effarant d'imaginer de telles sommes dépensées par les États capitalistes, avec des milliers et des milliers d'heures de recherche sur les matériaux, l'électronique, la physique, la chimie pour… la guerre.
Alors que le monde capitaliste en décomposition est miné par la crise économique, l'amorce d'un désastre climatique annoncé, où chaque journal télévisé relate des centaines de morts chez des migrants tentant de fuir des pays sinistrés par des conflits armés, nous voyons des milliards d'euros ou de dollars dépensés dans cette industrie de pointe dédiée à la destruction et à la mort. Un petit rappel quand même : les ventes d'armes par la France depuis le début de l'année représentent près de 15 milliards d'euros. Au niveau mondial, le chiffre du commerce des armes se monte, lui, à près de 100 milliards d'euros, en augmentation de près de 40% depuis ces 5 dernières années. Et ces chiffres, en croissance constante, n'incluent même pas la vente des munitions, drones ou autres hélicoptères, ni les activités civiles qui couvrent en réalité des objectifs militaires.
Malgré les sommes colossales déboursées par les gouvernements, on incite chacun d'entre nous, à longueur de temps, images atroces à l'appui, à faire des dons et réagir à telle ou telle catastrophe humanitaire, à participer financièrement à telle ou telle action contre la faim dans le monde, contre le handicap, pour tel programme sanitaire d'urgence. Cela, faute de moyens pour assumer ces interventions !1 Cette aberration répond néanmoins parfaitement à la logique du capitalisme décadent : c’est une priorité absolue pour chaque État d’assurer sa survie dans l'arène mondiale faite de rivalités, d'intérêts et de concurrence impérialiste exacerbée.
Une telle contradiction, une telle hypocrisie ne peut qu'amener au dégoût, à l'indignation. Face à un raisonnement à ce point inhumain, la dénonciation du militarisme et de la guerre viennent immédiatement à l'esprit. Et, de suite, nous sommes taxés d'irresponsables, d'inconscients face à ce monde instable où "la paix doit être préservée", où la force du "bien" doit être le "rempart contre le terrorisme international" ! Ne pas cautionner cet effort guerrier, douter de ces buts, c'est être considéré comme les "complices objectifs" des terroristes eux-mêmes, être, au mieux, le pire des "indifférents". Voilà le discours moralisateur et accusateur que l'on nous sert plus ou moins explicitement. Et cela, d'autant plus facilement, en France, depuis le 7 janvier et les attentats contre Charlie Hebdo.
Et si cela ne suffisait pas, on nous vante aussi les dizaines de milliers d'emplois qui sont à la clé de cette industrie d'armement. Selon une étude du ministère de la Défense et du Conseil des industries de défense (Cidef), fin 2014 : "les exportations de défense génèrent 40 000 emplois, soit 25% de l'ensemble du secteur (165 000), qui plus est non "délocalisables" et hautement qualifiés pour la plupart.".
Aux dires de tous les idéologues patentés, de gauche comme de droite, cette industrie guerrière serait une véritable "bouffée d’oxygène" pour une économie en crise. En réalité, outre la perte sèche et le gaspillage que la production d'armement génère du point de vue du capital global, cette question de l'emploi n'est ici qu'un alibi hypocrite, une sordide feuille de vigne destinée à masquer les objectifs guerriers de l'impérialisme français.
Ces "efforts" d'armement, demandés depuis des lustres par le capitalisme et tous ses partis politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche, se font toujours au nom de la "paix". Avec des trémolos dans la voix, au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin, de la sécurité de la "patrie", l'État cherche à nous enrôler grâce à un lavage de cerveau médiatique dans sa logique de concurrence et de confrontation meurtrière. Quand ce n'est pas sur le terrain économique et commercial, c'est directement sur celui du terrain armé où de jeunes gamins sont appelés avec force publicités pour servir la "paix" et trouver un "sens" à leur vie : "Pour moi, pour les autres, s'engager", "En plus d'apprendre un métier, vous apprendrez beaucoup sur vous-mêmes", "Devenez vous-même" !
Sur le plan idéologique, face à la classe ouvrière, tout est bon pour dénoncer les "vrais" fauteurs de guerre, les apprentis-sorciers dictateurs, les régimes corrompus non démocrates, etc. Les va-t'en guerre eux-mêmes ne cessent de clamer qu'ils ne veulent la guerre que pour mieux rétablir la "paix". La bourgeoisie française est la championne de ces discours humanitaires et plus particulièrement ses fractions de gauche qui sont les plus aptes à mettre en avant une idéologie "pacifiste" ou de "nobles causes" pour justifier, en définitive, l'injustifiable, comme, par exemple, sa responsabilité directe dans le génocide et les massacres au Rwanda en 1994 du temps d'un autre président socialiste nommé Mitterrand, ou les livraisons d'armes à Saddam Hussein, à Kadhafi, à l'époque où ils étaient des alliés et donc forcément "respectables".
Depuis quelques mois, le gouvernement français de gauche, après avoir tenté de faire applaudir, dans la manifestation du 11 janvier, flics et troupes de choc suite aux attentats, s'est permis de renforcer tout son effort guerrier contre le terrorisme de l’État islamique, de Boko Haram ou assimilés. Et par la même occasion, il se permet de narguer l'impérialisme américain du fait de ses tentatives de rapprochement avec l'Iran, en signant des contrats avec le Qatar, l'Égypte ou l'Inde. Si l'intervention militaire continue au Mali, elle a aussi repris en République Centrafricaine et les livraisons d'armes s'accélèrent au Liban ou en Égypte. Le porte-avions Charles de Gaulle a été envoyé dans le Golfe persique pour des bombardements intensifs sur la Syrie. Que ce matériel serve également à permettre la répression sanglante comme en Égypte, il y a quelques mois, ne fait apparemment "ni chaud ni froid" à la gauche au pouvoir en France. Cela n'est pas nouveau : les gouvernements de gauche ont toujours été aux avant-postes des aventures guerrières et ont mis le plus grand zèle militaire à défendre les intérêts impérialistes de la nation que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo, au Liban, en Libye, en Syrie et les expéditions guerrières en Afrique (au Tchad, RCA, Côte d'Ivoire, au Sahel...)
Et même quand le gouvernement français se drape d'une morale humanitaire de pacotille avec ses discours de fermeté, particulièrement adressés à d'autres pays européens ou aux États-Unis, en refusant de livrer deux bâtiments de guerre à la marine russe pour protester contre l'intervention russe en Ukraine, il ne fait que monter d’un cran les tensions impérialistes en Europe, en se mettant en avant comme acteur politique de premier plan avec lequel il faut compter.
Même s’il va lui en coûter financièrement d’assumer désormais deux navires dont personne d'autre ne veut, y compris la marine française, tout en remboursant la Russie avec les indemnités d'annulation, sa posture de fermeté par rapport à la Russie s'adresse avant tout aux autres grandes puissances concurrentes. Elle est dictée par une stratégie et un engrenage qui traduisent toute l'irrationalité du capitalisme décadent, une course folle qui ne peut qu’imposer la terreur et les destructions.
Tout cela est cohérent avec la logique de défense du capital national et la vertigineuse fuite en avant dans le militarisme, dans la domination du "chacun pour soi" lié à la concurrence impérialiste exacerbée.
François Hollande, le président qui proclamait "plus jamais ça !" lors de son investiture, a confirmé le budget militaire de 31,4 milliards prévus en 2015. Mais, cerise sur le gâteau, au nom de la "défense de la civilisation contre la barbarie", il a décidé une rallonge de 3,8 milliards d'euros jusqu'à la fin de la loi de programmation militaire en 2019.
Ainsi, tous les efforts demandés pour réduire les dépenses de fonctionnement de l’Etat face à la crise ne s’appliquent pas à la défense nationale : l’investissement militaire se renforce. L’Etat français fourbit ses armes, au sens propre et au figuré, pour faire valoir ses intérêts sur la scène mondiale, pour de nouvelles interventions armées prévisibles. Comme le dénonçait déjà Rosa Luxemburg dans sa Brochure de Junius publiée en 1916, en plein cœur de la Première Guerre mondiale : "Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment."
En fait, tout le monde capitaliste veut prétendument la "paix". Mais cette paix s'avère celle des tombes. Et cela vaut pour tous les pays, petits ou grands. Tous épousent cette même logique impérialiste. Mais les plus va-t'en-guerre sont désormais les grandes puissances "pacificatrices" : États-Unis, Chine, Grande-Bretagne, Russie et France en tête. Ils possèdent pour cela le meilleur alibi au monde : celui de la "lutte contre le terrorisme".
Stopio, 9 juin 2015
1 En sus de nous faire volontairement culpabiliser au nom du « il y a pire ailleurs » et de dévoyer la générosité et la solidarité ouvrières de la lutte de classe, vers des actions ne cherchant surtout pas à remettre en cause la source même de ces malheurs : le système capitaliste.
En fin d'année se tiendra à Paris un nouveau sommet international sur les changements climatiques. Sous le patronage du président français, François Hollande, presque l'ensemble des dirigeants de la planète devraient se réunir avec l'objectif "d'aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d'impulser/d'accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone." Depuis plusieurs décennies, les conférences environnementales "décisives" se succèdent, les promesses et les accords se multiplient sans qu'aucune mesure probante ne soit appliquée en faveur de l'environnement. Les "bons chiffres" et les réalisations parfois avancés pour justifier la bonne foi des États et des entreprises sont systématiquement tronqués, quand ils ne relèvent pas de la magouille pure et simple. La Conférence de Paris (COP 21) n'échappe bien entendu pas à cette logique. S'agirait-il de préserver l'atmosphère terrestre pour les générations futures ? Allons bon ! Même les médias bourgeois ne cachent pas que les gesticulations de François Hollande en vue de la COP 21 relèvent de la basse manœuvre politicienne et de la navrante campagne de com'.
Quelques faits suffisent d'ailleurs à mesurer la réalité de l'engagement de la classe dominante en faveur de l'environnement. En 1997, était signé à Kyoto un premier accord international, qualifié d'historique, visant la réduction de 5% de la concentration de gaz à effet de serre à l'horizon 2012. Ce ridicule et bien insuffisant objectif "historique", signé par 184 États, s'est conclu, en 2013, par un rapport de l'Organisation météorologique mondiale1 démontrant que la concentration de gaz à effet de serre n'avait jamais été aussi élevée dans l'atmosphère. Depuis 1990, année de référence du protocole de Kyoto, elle a même augmenté de 45% selon le GIEC !
Le climat n'est pas l'unique domaine environnemental où la bourgeoisie peut exercer ses talents de bonimenteur : selon l'Organisation des Nations unies, pour l'alimentation et l'agriculture, environ 13 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année sur terre, en dépit de la réglementation et des dispositifs prétendument "durables" de la gestion des ressources. De la même façon, selon une étude publiée en juin 2015 par des experts des universités américaines de Stanford, Princeton et Berkeley, la disparition d'espèces animales est telle que nous assisterions actuellement à la sixième vague d'extinction de masse après celle des dinosaures ! Pourtant, quel politicien n'a pas poussé son cri d’alarme en faveur des ours polaires ?
Gestion désastreuse des déchets, pollution à grande échelle des océans, pillage insensé des ressources naturelles, stérilisation des terres arables,… : nous pourrions multiplier les exemples de la nocivité du mode de production capitaliste pour la planète. Car, contrairement aux discours tranquillisants de la bourgeoisie assurant qu'il est encore possible de tout arranger avec un peu de bonne volonté et que la capitalisme aurait tout à gagner d'une "transition écologique", la réalité de la crise environnementale est extrêmement préoccupante et menace de plus en plus sérieusement la survie de l'espèce humaine.2 Avec la systématisation accélérée du pillage et l'exploitation à très grande échelle, la pollution et la destruction des ressources naturelles qui en découlent ont pris une dimension planétaire. C'est donc, non plus comme par le passé, à l'échelle d'un espace géographique ou d'une société que la menace environnementale pèse, mais bien sur l'ensemble de l'humanité.
Cependant, le développement des forces productives ne signifie pas nécessairement que l'humanité est intrinsèquement incapable de les maîtriser. Alors pourquoi se montre-t-elle à ce point impuissante ? En réalité, ce sont les contradictions du système capitaliste qui sont à l'origine des problèmes écologiques les plus déterminants, indépendamment de l'irresponsabilité ou de la bonne volonté de tel ou tel acteur bourgeois. Comme l'écrivait déjà au début du XXe siècle Rosa Luxemburg, le capitalisme n'existe que par la destruction de l'environnement : "la croissance incessante de la productivité du travail, qui est le facteur le plus important de l'augmentation du taux de la plus-value, implique et nécessite l'utilisation illimitée de toutes les matières et de toutes les ressources du sol et de la nature. Il serait contraire à l'essence et au mode d'existence du capitalisme de tolérer quelque restriction à cet égard."3 En effet, le capitalisme se développe sous la forme d'une accumulation toujours plus grande de marchandises qui a pour conséquence logique le pillage croissant des ressources naturelles à une échelle elle-même toujours plus grande. Un des effets notoires de ce mode de production est la surproduction et son corollaire de plus en plus choquant : le gaspillage généralisé des ressources.
Si les problèmes écologiques sont alarmants et coûteux, ils sont surtout instrumentalisés par l'Etat et ses cliques en vue de manœuvres commerciales et politiciennes. Plus encore, leur mise en avant permet seulement de relancer des campagnes médiatiques destinées à orchestrer un véritable enfumage de la conscience dans la classe ouvrière. Il faudrait, nous dit-on, plus de législations, plus de traités, de régulation. En réalité, l'État cherche à masquer qu'il est le principal responsable des catastrophes majeures ! S'il coordonne sa production, légifère, c'est toujours pour mieux défendre son capital national au sein de l'arène internationale et s'assurer le droit de polluer davantage (à condition, naturellement, de taxer davantage les populations !). Son but est essentiellement de mieux répondre à une concurrence exacerbée afin de protéger ses propres intérêts. Pour cela, il ne peut faire autrement que de continuer ses pillages, ses gaspillages et pollutions en tous genres. C'est ce que font tous les Etats industrialisés les plus démocratiques qui, au-delà des discours hypocrites, cherchent une issue désespérée face à la crise économique mondiale et à la faillite historique de leur système. Cela, ils le font au mépris total de l'humanité et de son avenir.
R.B. (23 juin)
1 Afin d'éviter toute contestation, l'article ne mentionnera que les données officielles validées par les institutions bourgeoises, bien que de nombreux scientifiques affirment régulièrement que ces chiffres sont en deçà de la réalité.
2 Cf. Le monde à la veille d'une catastrophe environnementale, Revue internationale n°135.
3 Rosa Luxemburg, L'accumulation du Capital (Les conditions historiques de l'accumulation. La reproduction du capital et son milieu)
« Et si le temps n'existait pas ? », le titre du livre1 du physicien Carlo Rovelli2 pose une question qui peut sembler de prime abord fort étrange, voire absurde. Chaque jour, l'homme perçoit, éprouve même, le temps qui passe. Les horloges, les réveils et les montres omniprésents et égrenant les secondes. Le train que l'on voit partir depuis le quai, tout essoufflé, plié en deux et les mains sur les hanches. Les enfants qui grandissent. Ou les rides aux coins des yeux. Tout, absolument tout, semble justifier sans discussion possible l'existence implacable du temps et de ses effets.
Vraiment ? Pour celui qui voyage peu, la terre ne semble-t-elle pas plate, ornée de quelques bosses et creux ? L'idée d'une terre ronde avec « dessous » des gens qui marchent « la tête en bas » sans « tomber », n'est-elle pas également contraire à l'intuition ? Et que dire de cette terre qui tourne autour du soleil alors que nous voyons tous et chaque jour, le soleil se « lever » à l'Est et se « coucher » à l'Ouest ?
L'histoire de la science a confirmé ce que les philosophes grecs avaient déjà compris il y a plus de 2500 ans : nos sens peuvent nous tromper ; il est nécessaire d'aller au-delà de la perception sensible immédiate pour accéder à la vérité. Alors peut-être l'hypothèse de Carlo Rovelli vaut-elle la peine d'être considérée sérieusement. Pour quelles raisons ce scientifique affirme-t-il que le temps n'est fondamentalement qu'une illusion ?
Depuis Einstein, l'humanité sait qu'il y a un hic au tic-tac de nos pendules : le temps est relatif. Il ne s'écoule pas partout de la même manière. Plus la vitesse de déplacement est grande ou la gravité forte, plus l'écoulement du temps ralentit. Le film à très grand succès de Christopher Nolan sorti en 2014, Interstellar, a justement mis au centre de son histoire cette découverte scientifique : les protagonistes vieillissent différemment selon qu'ils sont sur terre ou qu'ils voyagent dans l'espace ou qu'ils s'installent sur telle ou telle autre planète pourvue d’une gravité différente. Le héros, un cosmonaute envoyé dans l'espace en début de film, retrouvera ainsi à la fin de l'aventure sa fille restée sur terre sous les traits d'une très vieille dame, alors que lui-même n'a vécu que quelques mois. S'il s'agit là de science-fiction, il est néanmoins exact et vérifié expérimentalement que le temps est effectivement relatif. Par exemple : si deux horloges atomiques (les plus précises à l’heure actuelle) sont déclenchées simultanément, puis que l'une reste sur la terre ferme alors que l'autre part faire un tour en avion afin de s'éloigner de 10 km de la masse de la terre et de sa gravité, alors les cadrans indiqueront deux résultats différents, celle qui s'est momentanément éloignée aura « vécu » moins longtemps de quelques milliardièmes de secondes que son homologue.
Le temps n'est donc pas ce tic-tac régulier, immuable et implacable. Mais Carlo Rovelli va plus loin encore en avançant l'hypothèse que le temps en réalité n'existe pas : « ...nous ne mesurons jamais le temps lui-même. Nous mesurons toujours des variables physiques A, B, C,… (oscillations, battements, et bien d’autres choses), et nous comparons toujours une variable avec une autre. Et pourtant, il est utile d'imaginer qu'il existe une variable t, le 'vrai temps', que nous ne pouvons jamais mesurer, mais qui se trouve derrière toute chose. [...] Plutôt que de tout rapporter au 'temps', abstrait et absolu, ce qui était un 'truc' inventé par Newton, on peut décrire chaque variable en fonction de l’état des autres variables […]. Tout comme l’espace, le temps devient une notion relationnelle. Il n’exprime qu’une relation entre les différents états des choses. » Et donc : « L’espace et le temps usuel vont tout simplement disparaître du cadre de la physique de base, de la même façon que la notion de 'centre de l’Univers' a disparu de l’image scientifique du monde » (pp. 100 à 103). Le temps n'existerait pas fondamentalement, mais proviendrait d'une illusion due à notre connaissance ou à notre perception limitée de l'Univers : « ... le temps est un effet de notre ignorance des détails du monde. Si nous connaissions parfaitement tous les détails du monde, nous n'aurions pas la sensation de l'écoulement du temps. » (pp. 104-105).
Autrement dit, l'Univers est constitué d'interactions permanentes, d'une série infiniment complexe de causes et d'effets. A modifie B qui modifie à son tour C mais aussi peut-être A lui-même, etc. Ainsi l'Univers est en mouvement, se modifie sans cesse et ce sont ces changements, ces interactions que nous percevons. Seulement, notre existence se déroulant avec peu de variables fondamentales, toujours sur terre ou à proximité et à des vitesses extrêmement modestes comparées à celle de la lumière, toutes ces interactions nous apparaissent comme dictées selon une composante physique de l’Univers que l'homme a appelé « le temps ». A notre échelle, le tic-tac de la pendule est imperturbable ; nous ne percevons jamais les différences de quelques milliardièmes de seconde qui peuvent intervenir ici ou là sur terre selon notre vitesse de déplacement ou notre altitude. Newton lui-même a intégré cette notion « temps » comme une composante fondamentale de l'ensemble de sa physique. Seulement, ce que nous dit Carlo Rovelli c'est que, lorsque nous observons le pendule de l'horloge se balancer, nous avons l'illusion d'observer l'écoulement de « secondes » alors que nous ne faisons que mesurer un enchaînement d'interactions au sein du mécanisme de l'horloge. Et c'est pourquoi la physique moderne peut se passer intégralement de la notion « temps » au sein de ses équations : « au lieu de prédire la position d'un objet qui tombe 'au bout de cinq secondes', nous pouvons prédire sa chute 'après cinq oscillations du pendule'. La différence est faible en pratique, mais grande d'un point de vue conceptuel, car cette démarche nous libère de toute contrainte sur les formes possibles de l'espace-temps » (p. 115).
Il n'est ni de la compétence de l'auteur de cet article ni du rôle d'une organisation révolutionnaire comme le CCI de valider ou d’invalider une hypothèse en cours de débat dans le monde scientifique. En revanche, au-delà de l'intérêt nécessaire pour les avancées de la pensée en général, la méthode et l'approche de la science qui sous-tendent ces avancées sont aussi une base nécessaire à assimiler pour essayer de comprendre le monde et la société. Le temps existe-t-il ? Nous ne pouvons trancher mais la démarche de Carlo Rovelli est une source d'inspiration pour la réflexion. Car il y apparaît un trésor bien plus grand que le résultat de ses recherches, à savoir le chemin qui l'y a mené : une pensée en mouvement.
De la conception d'un univers en constante évolution constitué d'une série d'interactions d'une infinie complexité découle une vision dynamique de la science et de la vérité. Si l'Univers est en mouvement, pour le comprendre la pensée doit l'être aussi : « Avec la science, j’ai découvert un mode de pensée qui d’abord établit des règles pour comprendre le monde, puis devient capable de modifier ces mêmes règles. Cette liberté, dans la poursuite de la connaissance, me fascinait. Poussé par ma curiosité, et peut-être par ce que Frederico Cesi, ami de Galilée et visionnaire de la science moderne, appelait 'le désir naturel de savoir', je me suis retrouvé, presque sans m’en rendre compte, immergé dans des problèmes de physique théorique » (p. 5). Carlo Rovelli s’inscrit donc en faux contre une vision figée de la science, qui établirait des vérités absolues et éternelles. Au contraire, pour lui, « La pensée scientifique est consciente de notre ignorance. Je dirais même que la pensée scientifique est la conscience même de notre grande ignorance et donc de la nature dynamique de la connaissance. C’est le doute et non pas la certitude qui nous fait avancer. C'est là, bien sûr, l'héritage profond de Descartes. Nous devons faire confiance à la science non parce qu'elle offre des certitudes mais parce qu'elle n'en a pas » (pp. 70-71).
Carlo Rovelli nous montre ainsi que l'évolution de la pensée scientifique est absolument opposée à l’approche scientiste du XIXème siècle. Celle-ci a cru à une évolution continue jusqu’à la connaissance complète des lois de l’Univers. Ainsi dans la deuxième moitié du XIXème siècle, la plupart des scientifiques pensaient que toutes les lois fondamentales de la nature avaient été, pour l’essentiel, découvertes. Il ne suffisait plus qu’à déterminer quelques constantes universelles pour faire le tour définitivement des sciences physiques. Deux théories fondamentales vont balayer de fond en comble ce bel édifice presque parfait à peine cinq ans après le tournant du siècle : la théorie de la relativité restreinte (complétée par celle de la relativité générale) d’Einstein et celle de la mécanique quantique encore plus profonde en termes de remise en cause de l'appréhension du monde. Ainsi Carlo Rovelli nous montre que la méthode scientifique commence toujours par prendre en compte puis remettre en cause les bases des anciennes théories pour en élaborer de nouvelles, plus larges, plus profondes et plus générales. Les avancées permises par les nouvelles théories permettent un progrès. Ce dernier nous amène dans un nouveau contexte qui devient lui-même contradictoire dans son développement. Ainsi la mécanique quantique et la relativité générale ont ouvert la possibilité de mieux comprendre la dynamique de l’Univers inaccessible à la physique classique, cette dernière ne pouvant décrire qu'un état stable et définitif. Mais ces deux grandes théories n’ont pas apporté pour autant, elles non plus, un point final à l’histoire de la physique ni une réponse totale et définitive aux mystères de l’Univers. Bien au contraire. De nouvelles contradictions sont apparues : « La mécanique quantique, qui décrit très bien les choses microscopiques, a bouleversé profondément ce que nous savons de la matière. La relativité générale, qui explique très bien la force de la gravité, a transformé radicalement ce que nous savons du Temps et de l’Espace. […] Or, ces deux théories mènent à deux manières très différentes de décrire le monde, qui apparaissent incompatibles. Chacune des deux semble écrite comme si l’autre n’existait pas. Nous sommes dans une situation de schizophrénie, avec des explications morcelées et intrinsèquement inconsistantes. Au point que nous ne savons plus ce que sont l’Espace, le Temps et la Matière. […] Il faut, d’une façon ou d’une autre, réconcilier les deux théories. Cette mission est le problème central de la gravitation quantique » (pp. 10-13). Et gageons que si la théorie de la gravitation quantique atteint un jour sa mission historique, que s’offre ainsi à l’humanité la possibilité de comprendre « la fin de la vie d’un trou noir ou les premiers moments de la vie de l’Univers » (p. 11), alors de nouvelles questions émergeront à la conscience humaine. Et c’est justement l’existence même de ces contradictions infinies qui ont mené Carlo Rovelli à sa passion pour la science, cette immense et perpétuelle énigme : « Je pense que c'est précisément dans la découverte des limites des représentations scientifiques du monde que se révèle la force de la pensée scientifique. Celle-ci n'est pas dans les 'expériences', ni dans les 'mathématiques', ni dans une 'méthode'. Elle est dans la capacité propre de la pensée scientifique à se remettre toujours en cause. Douter de ses propres affirmations. N'avoir pas peur de nier ses propres croyances, même les plus certaines. Le cœur de la science est le changement » (pp. 56-57).
Mais cette approche relative de la vérité et de la science ne signifie nullement que Carlo Rovelli tombe dans le relativisme. Bien au contraire. Il montre dans quelles aberrations mène le relativisme en prenant l’exemple des États-Unis où le créationnisme fait d’énormes dégâts, en particulier dans l’enseignement : « Ces visions déformées de la science ont pour conséquences une diminution de son aura et la pensée irrationnelle gagne du terrain… Aux États-Unis par exemple (le Kansas ‘rural’ mais aussi la très civilisée Californie), les enseignants n’ont pas le droit de parler correctement de l’évolution à l’école. Les lois qui interdisent d’enseigner les résultats de Darwin sont justifiées par le relativisme culturel : on sait que la science se trompe, et donc une connaissance scientifique n’est pas plus défendable qu’une connaissance biblique. Interrogé récemment sur ce sujet, un candidat à la présidence des États-Unis a déclaré ‘qu’il ne savait pas si les êtres humains ont vraiment des ‘ancêtres communs’. Sait-il seulement si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou le soleil qui tourne autour de la terre ?» (pp. 53-54).
Plus généralement : « L’obsession scientifique de remettre toute vérité en question ne mène pas au scepticisme, ni au nihilisme, ni à un relativisme radical. La science est une pratique de la chute des absolus qui ne tombe pas dans le relativisme total ou le nihilisme. Elle est l’acceptation intellectuelle du fait que les connaissances évoluent. Le fait que la vérité puisse toujours être interrogée n’implique pas que l’on ne puisse pas se mettre d’accord. En fait la science est le processus même par lequel on arrive à se mettre d’accord » (p. 71).
Pour « se mettre d'accord », pour que nos connaissances aient une « nature dynamique », il est impératif que les hypothèses se confrontent, qu'un débat d'idées dans le seul but de faire progresser la vérité anime l'ensemble des sciences. C'est pourquoi tout au long de son livre, Rovelli fustige tous les scientifiques qui sabotent ce débat, préférant défendre leurs intérêts particuliers, en ne partageant pas leurs travaux et hypothèses, en concevant la recherche comme un terrain de course vers la renommée individuelle, en étant animés par l'esprit de concurrence, avec toutes les bassesses, la mauvaise foi et autres procédés déloyaux que cela implique : « Le monde de la science, comme j'ai pu le découvrir ensuite avec tristesse, y compris à mes dépens, n'a rien à voir avec un conte de fée. Les cas de vol d'idées d'autrui sont permanents. Beaucoup de chercheurs sont extrêmement soucieux d'arriver à être les premiers à formuler des idées, quitte à les souffler aux autres avant que ceux-ci ne parviennent à les publier, ou à réécrire l'histoire de manière à s'attribuer les étapes les plus importantes. Cela génère un climat de méfiance et de suspicion qui rend la vie amère et entrave gravement les progrès de la recherche. J'en connais beaucoup qui refuseront de parler à qui que ce soit des idées sur lesquelles ils sont en train de travailler avant de les avoir publiées » (p. 44).
La démarche de Carlo Rovelli est toute différente. Lui qui, étudiant en Italie dans les années 1970, s’est d’abord révolté contre les injustices de cette société avant de prendre conscience, comme une très large partie de sa génération, que la révolution n’était pas encore à l’ordre du jour, a choisi de ne pas abdiquer, de ne pas renoncer à ses rêves, mais d’investir ses aspirations aux changements dans la science : « Pendant mes études universitaires à Bologne, ma confusion et mon conflit avec le monde adulte ont rejoint le parcours commun d’une grande partie de ma génération. […] C’était une époque où l’on vivait de rêves. […] Avec deux de ces amis, nous avons rédigé un livre qui raconte cette rébellion étudiante italienne de la fin des années soixante-dix. Mais rapidement les rêves de révolution ont été étouffés et l’ordre a repris le dessus. On ne change pas le monde si facilement. A mi-chemin de mes études universitaires, je me suis retrouvé encore plus perdu qu'avant, avec le sentiment amer que ces rêves partagés par la moitié de la planète étaient déjà en train de s’évanouir […]. Rejoindre la course à l'ascension sociale, faire carrière, gagner de l'argent et grappiller des miettes de pouvoir, tout cela me semblait bien trop triste. […] La recherche scientifique est alors venue à ma rencontre – j'ai vu en elle un espace de liberté illimité, ainsi qu'une aventure aussi ancienne qu'extraordinaire […]. Aussi, au moment où mon rêve de bâtir un monde nouveau s'est heurté à la dure réalité, je suis tombé amoureux de la science. […] La science a été pour moi un compromis qui me permettait de ne pas renoncer à mon désir de changement et d'aventure, de maintenir ma liberté de penser et d'être qui je suis, tout en minimisant les conflits que cela impliquerait avec le monde autour de moi. Au contraire, je faisais quelque chose que le monde appréciait » (pp. 2-6). Chez Carlo Rovelli, l'esprit subversif, le désir de changement et la science s’entremêlent ainsi constamment : « Tandis que j'écrivais avec mes amis mon livre sur la révolution étudiante (livre que la police n'a pas aimé et qui m'a valu un passage à tabac dans le commissariat de police de Vérone) : 'Dis-nous les noms de tes amis communistes !'), je m’immergeais de plus en plus dans l'étude de l'espace et du temps » (p. 30) ; « Chaque pas en avant dans la compréhension scientifique du monde est aussi une subversion. La pensée scientifique a donc toujours quelque chose de subversif, de révolutionnaire » (p. 138).
Ce qui attire particulièrement Carlo Rovelli est la dimension internationale et cosmopolite de la « communauté » scientifique, se mettant parfois à rêver d'une association mondiale, désintéressée et s'enrichissant des différences : à l'Impérial Collège de Londres, « j'ai rencontré pour la première fois le monde coloré et international des chercheurs de physique théorique : des jeunes en costume-cravate se mêlaient avec le plus grand naturel à des chercheurs aux pieds nus et aux longs cheveux sortant de bandeaux colorés ; toutes les langues et toutes les physionomies de monde se croisaient, et l'on y percevait une espèce de joie de la différence, dans le partage d'un même respect de l'intelligence » (p. 34).
Pourtant, les îlots paradisiaques ne peuvent exister dans ce capitalisme barbare. Si elle révèle une profonde aspiration pour un monde réellement humain, uni et solidaire, cette vision est idéaliste, comme le reconnaît Carlo Rovelli lui-même dans son livre.
Et donc, pour porter la connaissance de la vérité plus loin, il prône le débat ouvert et franc, la confrontation saine, désintéressée des hypothèses :
« Je parle librement de mes idées à qui veut les entendre, sans rien cacher, et j'essaie de convaincre mes étudiants d'en faire autant » (p. 45).
« Pour peu qu'on reste dans une exactitude scientifique, la polémique, même rude, est un ingrédient à la fertilité et à l'avancement de la connaissance » (p. 125).
« Chaque chercheur a ses idées et convictions (j'ai les miennes) et chacun doit défendre ses hypothèses avec passion et énergie : la discussion animée est la meilleure façon de chercher la connaissance » (p. 128).
« Les règles de base de la recherche scientifique sont simples : tout le monde a le droit de parler. Einstein était un obscur commis au bureau des brevets lorsqu'il a produit des idées qui ont changé notre vision de la réalité. Les désaccords sont bienvenus : ils sont la source du dynamisme de la pensée. Mais ils ne sont jamais réglés par la force, l'agression, l'argent, le pouvoir ou la tradition. La seule façon de gagner est d'argumenter, de défendre son idée dans un dialogue et de convaincre les autres. Bien sûr, je ne suis pas en train de dépeindre ici la réalité concrète de la recherche scientifique dans sa complexité humaine, sociale et économique, mais plutôt les règles idéales auxquelles la pratique doit se rapporter. Ces règles sont anciennes ; nous les trouvons décrites avec passion dans la fameuse Septième Lettre de Platon, où celui-ci explique comment on peut chercher la vérité : 'Or, après beaucoup d'efforts, lorsque sont frottés les uns contre les autres ces facteurs pris un à un : noms et définitions, visions et sensations, lorsqu'ils sont mis à l'épreuve au cours de contrôles bienveillants et de discussions où ne s’immiscent pas l'envie, vient tout à coup briller sur chaque chose la lumière de la sagesse et de l'intelligence, avec l'intensité que peuvent supporter les force humaines'. » (pp. 136-137).3
« Galilée et Newton, Faraday et Maxwell, Heisenberg, Dirac et Einstein, pour ne citer que les exemples les plus importants, se sont nourris de philosophie, et n’auraient jamais pu accomplir les sauts conceptuels immenses qu’ils ont accomplis s’ils n’avaient eu aussi une éducation philosophique. » Effectivement. Et Carlo Rovelli lui-même a une approche de la science fortement « nourrie de philosophie ». C'est pourquoi il n'a pas adopté une vision statique pour comprendre le monde tel qu'il est (comme s'il examinait une photo) mais, au contraire, il a adopté une vision en mouvement pour comprendre le monde tel qu'il devient. La première approche voit les choses exister indépendamment les unes des autres, pour elles-mêmes et pour toujours ; il s’agit là de l’une des sources du mysticisme. La seconde voit les choses en termes de relations contradictoires, donc dans leur dynamique et leur devenir, ce qui ouvre la voie à la dialectique.
Carlo Rovelli tente d'user de cette même méthode pour comprendre aussi la société humaine. En racontant au début du livre sa jeunesse, sa révolte face aux injustices de cette société, en s'affirmant « révolutionnaire », il démontre qu'il ne croit pas en un capitalisme éternel. « Mon adolescence fut de plus en plus une période de révolte. Je ne me reconnaissais pas dans les valeurs exprimées autour de moi. [...] Le monde que je voyais autour de moi était très différent de celui qui m'aurait semblé juste et beau. […] Nous voulions changer le monde, le rendre meilleur » (pp. 2 et 3). Nous ne partageons pas les propositions politiques concrètes que Carlo Rovelli avance ensuite dans son livre. D’ailleurs, sur ce plan et comme il l’avoue lui-même, Carlo Rovelli tente d’explorer quelques pistes pour évoluer vers un monde plus humain non pas en s’appuyant sur une rigoureuse démarche scientifique mais selon ses « rêves » et ses « fantasmes » (p.146).4 Mais cela n’enlève rien à l’importance de ses recherches et de ses apports. User de la méthode scientifique pour comprendre l'homme et son organisation sociale est certainement ce qu'il y a de plus ardu ; toute réflexion sur la science, son histoire et sa méthode est donc pour cette raison aussi un bien extrêmement précieux. Voilà ce que nous dit à ce sujet Anton Pannekoek, astronome, astrophysicien et militant de la Gauche communiste de Hollande (1873-1960) : « La science naturelle est considérée avec justesse comme le champ dans lequel la pensée humaine, à travers une série continue de triomphes, a développé le plus puissamment ses formes de conception logique... Au contraire, à l’autre extrême, se trouve le vaste champ des actions et des rapports humains dans lequel l’utilisation d’outils ne joue pas un rôle immédiat, et qui agit dans une distance lointaine, en tant que phénomène profondément inconnu et invisible. Là, la pensée et l’action sont plus déterminés par la passion et les impulsions, par l’arbitraire et l’improvisation, par la tradition et la croyance ; là, aucune logique méthodologique ne mène à la certitude de la connaissance (...) Le contraste qui apparaît ici, entre d’un côté la perfection et de l’autre l’imperfection, signifie que l'homme contrôle les forces de la nature ou va de plus en plus y parvenir, mais qu’il ne contrôle pas encore les forces de volonté et de passion qui sont en lui. Là où il a arrêté d’avancer, peut-être même régressé, c’est au niveau du manque évident de contrôle sur sa propre 'nature' (Tilney). Il est clair que c’est la raison pour laquelle la société est encore si loin derrière la science. Potentiellement, l’homme a la maîtrise sur la nature. Mais il ne possède pas encore la maîtrise sur sa propre nature. »5 Et là n'est pas la seule raison de la difficulté à comprendre l'âme humaine et la société, s'ajoute la pression idéologique permanente pour justifier le statu quo, le monde tel qu'il est. Le capitalisme a besoin du progrès scientifique pour le développement de son économie et l'encourage donc dans une certaine mesure (dans une « certaine mesure » seulement car la recherche n'échappe pas à l'esprit borné de la concurrence et de l’intérêt particulier). Mais l'avancée de la pensée en ce qui concerne l'homme et sa vie sociale rentre immédiatement et frontalement en conflit avec les intérêts de ce système d'exploitation, particulièrement depuis que celui-ci est devenue décadent, obsolète et que l'intérêt de l'humanité exige sa disparition et son dépassement. Ainsi, la science de l'homme est sans cesse contenue par l'idéologie dominante qui tente de lui imposer ses propres œillères. C’est aussi pourquoi l'humanité a besoin de chercheurs et de scientifiques comme Carlo Rovelli, car ils lui fourbissent les armes de la critique, leurs travaux constituant une partie des flammes du feu de Prométhée. Cet ouvrage (comme le précédent) participe au développement d’une connaissance indispensable de l’histoire de la science et de la philosophie et permet donc non pas seulement de passer du bon « temps » mais aussi de nourrir la réflexion critique et révolutionnaire.
Ginette (juillet 2015)
1 Et si le temps n'existait pas ?, éditions Dunod, 2012. Nous avons déjà consacré un article au précédent livre de Carlo Rovelli, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique (article publié dans RI N°422 et disponible sur notre site Internet à cette adresse : https://fr.internationalism.org/ri422/la_pensee_scientifique_dans_l_hstoire_humaine_a_propos_du_livre_anaximandre_de_milet.html [542]). Carlo Rovelli vient aussi de publier un nouvel essai : Par-delà le visible : La réalité du monde physique et la gravité quantique », chez Odile Jacob.
2 Carlo Rovelli est le principal auteur, avec Lee Smolin, de la théorie de la gravitation quantique à boucles. Cette théorie propose une unification de la relativité générale et de la mécanique quantique. Derrière cette appellation, certainement barbare pour les néophytes, se cache le problème le plus fondamental de la science actuelle : rendre compatibles nos descriptions de l'infiniment grand et de l'infiniment petit.
3 Souligné par nous.
4 Les « rêves », comme la démarche artistique et nombre d’autres aspects de l’activité et de la pensée humaine, font partie intégrante des sources d’inspiration de ceux qui veulent changer le monde. Mais ils ne peuvent être à la fois le point de départ et le point d’arrivée de la conscience révolutionnaire ; ils ont à et peuvent s’intégrer et entrer en résonance avec la démarche scientifique. C’est alors que les rêves deviennent possibles.
5 Anton Pannekoek, Anthropogenesis, A study in Origin of Man, 1944. Traduit de l'anglais par nous et déjà cité dans notre article « Marxisme et Éthique » (https://fr.internationalism.org/book/export/html/2593 [543]).
Malgré le fait qu’elle ait été annoncée dans tous les sondages récents, l’élection de Jeremy Corbyn à la direction du Parti travailliste anglais a constitué une surprise pour beaucoup. Les dirigeants précédents, Kinnock, Blair et Brown, avaient tous prévenu que l’élection de Corbyn entraînerait une déroute du Parti travailliste aux élections législatives de 2020 et son incapacité à revenir au gouvernement pour une génération. Après son discours à la Conférence du Parti travailliste, Corbyn a été accusé de ne s’adresser qu’aux « activistes » et il a été souvent répété que, sous sa direction, le parti travailliste serait seulement réduit à un rôle de parti contestataire.
Pourtant, la promotion de Corbyn n’était pas un accident, elle répond en fait aux besoins politiques globaux du capitalisme britannique.
Lors des élections générales de mai dernier, les différences entre les programmes d’austérité des principaux partis était encore plus minces que d’habitude. Contre la politique proposée par la coalition des conservateurs et des libéraux, le parti travailliste proposait lui aussi un peu plus qu’une « austérité à minima ». Après les élections, le Parti travailliste a ouvertement soutenu au Parlement les nouvelles coupes dans les aides sociales mises en place par le nouveau gouvernement conservateur. Dans ce contexte, Corbyn s’est placé comme un adversaire de l’austérité, mettant en avant l’équité et l’égalité, ainsi que la perspective de croissance et l’intervention de l’État comme alternative à la brutalité d’un gouvernement qui favorise un petit nombre de personnes au détriment des masses.
Des comparaisons ont été faites avec le gouvernement populiste grec de Syriza. Syriza se fait également le champion de la lutte anti-austérité, bien qu’après avoir remporté une nette majorité contre les conditions du plan de sauvetage proposé par la « troïka », Syriza a accepté des conditions pires que celles qui avaient été acceptées par les précédents gouvernements de droite comme de gauche. Cependant, le sentiment que l’arrivée de Corbyn exprimait un rejet radical de l’austérité comme le rejet claironné par Syriza et par Podemos en Espagne, reste populaire. Ceci est lié à l’idée que l’austérité constitue un choix politique et non quelque chose qui est imposé à tous les gouvernements capitalistes par la réalité de la crise économique capitaliste.
Alors que le capitalisme d’État est au cœur des régimes régissant chaque pays du monde moderne, Corbyn et le chancelier de l’Echiquier du cabinet fantôme, John Mc Donnell, ont rendu explicite leur collaboration dans le renforcement du rôle de l’État capitaliste dans la vie sociale et économique au Royaume-Uni. Les plans d’investissement de l’État pour « faciliter la vie des gens », pour la nationalisation des banques, la renationalisation des chemins de fer et d’autres mesures similaires montrent que la domination du capital en Grande-Bretagne est entre de bonnes mains. Il est vrai que le ministre de l’énergie de ce cabinet fantôme a jeté une certaine ombre sur ce tableau en annonçant que le parti travailliste « ne veut pas nationaliser l’énergie. Nous voulons faire quelque chose de bien plus radical : nous voulons la démocratiser ». Mais cela signifie apparemment qu'« il ne faudrait pas empêcher toute entreprise privée dans ce pays de posséder sa propre source d’approvisionnement énergétique ».
Afin de prouver qu’ils ne sont pas des « négationnistes du déficit », la nouvelle direction Corbyn a même signé la charte budgétaire du chancelier George Osborne et insisté pour que la Grande-Bretagne « vive en fonction de ses moyens ». Corbyn et McDonnell ont aussi nommé un comité consultatif économique, comprenant le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, l’auteur à la mode Thomas Piketty et l’ancien membre du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre, Danny Blanchflower pour fournir des idées sur le thème de la réforme du rôle de l’État capitaliste. Cela ne peut signifier que de petites modifications formelles dans un système économique qui repose essentiellement sur l’exploitation de la force de travail de la classe ouvrière.
Au niveau de l’impérialisme britannique, Corbyn a été beaucoup critiqué pour avoir dit que s’il devenait Premier ministre, il n’aurait pas recours aux armes nucléaires. Mais cela doit être remis dans son contexte : dans son discours à la Conférence du Parti travailliste, il a dit « la Grande-Bretagne n’a pas besoin de forces militaires et de sécurité fortes et modernes » et « les valeurs britanniques (…) sont la raison fondamentale pour laquelle j’aime ce pays et son peuple. » Son patriotisme ne peut être contesté. Son soutien à « l’autorité du droit international et aux institutions internationales » démontre un attachement au fondement impérialiste qui est la base des relations internationales. Comme pour l’armement nucléaire, ses paroles favorables à la politique du président américain Barack Obama ne révèlent aucun antagonisme avec le commandant en chef de la plus grande force nucléaire de la planète.
Toutes les attaques reprise par les médias contre le nouveau chef du Parti travailliste, insistant sur les "dangers" de sa politique, ne servent qu’à valoriser son image radicale. Cela est renforcé par les discours de la gauche. À la Conférence du Parti travailliste, Matt Wrack, le secrétaire général du syndicat des sapeurs-pompiers, a déclaré que Corbyn et McDonnell « représentaient un sérieux défi pour l’ordre établi, en réalité pour la classe dominante » et que « les services secrets, le M15, la Special Branch et la CIA ont tous observé et analysé cette conférence et la formation d’un cabinet fantôme dans l’intention de saper ses effets. » Le Socialist Worker du 15 septembre 2015 a reconnu que « Corbyn affronte l’opposition de la grande majorité de ses collègues députés ainsi que celle de la classe dirigeante et de la majeure partie des médias. Ils vont tout tenter pour le faire tomber. » La gauche et la droite sont unanimes pour déclarer que Corbyn représenterait une menace pour le statu quo. Et beaucoup de gens ont été attirés par la Parti travailliste ou ont eu envie d’y revenir, parce qu’ils ont l’illusion que, d’une certaine façon, Corbyn apporterait un air plus frais de changement ou représenterait un retour aux valeurs fondamentales du socialisme, au lieu d’être un produit conformiste typique de l’appareil du Parti travailliste.
En réalité, un Parti travailliste dirigé par Corbyn va jouer un rôle très utile dans le cadre de l’appareil politique du capitalisme. Face à la nécessité d’opérer des coupes claires dans les services et autres attaques sur le niveau de vie, la classe dominante est consciente du mécontentement que cela peut entraîner chez ceux qui sont le plus touchés. Il n’est pas nécessaire d’en arriver tout de suite à la lutte ouverte pour que ce soit un sujet de préoccupation pour la bourgeoisie. Le Parti travailliste va être en mesure de se présenter comme une alternative radicale pour les victimes d’un programme continu d’austérité et de paupérisation. Au stade actuel, l’existence d’un "parti protestataire" (qui ne remet pas en cause les principes fondamentaux du système capitaliste, mais souligne seulement son impact négatif sur les ‘masses’) rendra bien service au capitalisme britannique.
Au cours des cent dernières années, le Parti travailliste a montré qu’il était un rouage essentiel de la superstructure du capitalisme, à la fois au sein du gouvernement et dans l’opposition.
En 1914, aux côtés des partis sociaux-démocrates d’Europe, le Parti travailliste, main dans la main avec les syndicats, est venu au secours de l’impérialisme britannique, en agissant en tant que recruteur pour le bain de sang de la Première Guerre mondiale et en veillant à ce que les actions ouvrières ne sapent pas l’effort de guerre. Face aux mutineries et à l’agitation qui ont suivi la guerre, le Parti travailliste a agi en parti « responsable » et, en 1918, il a adopté une constitution avec l’engagement explicite d'effectuer des nationalisations et autres mesures capitalistes d’État qui avaient déjà caractérisé la gestion de la vie sociale pendant la guerre. Contre les aspirations de ceux qui avaient été enthousiasmés par la Révolution russe, il offrait des garanties de stabilité, de contrôle de l’État et une opposition résolue à tout bouleversement social.
Tout au long de la période de l’entre-deux guerres, le Parti travailliste proposa une « planification socialiste » contre l’anarchie de la concurrence capitaliste. Dans les années 1930, aux côtés de francs-tireurs conservateurs comme Winston Churchill, il s’opposa à la politique d’apaisement et prépara la guerre contre l’impérialisme allemand. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Parti travailliste constitua une clé de la coalition d’union nationale, ce qui entraîna son incorporation "naturelle" dans les gouvernements d’après-guerre.
La période 1945-1951, avec le gouvernement de Clement Attlee, est souvent présentée comme l’âge d’or du Parti travailliste. En réalité, cette présidence a représenté une période de grande austérité où les forces de l’ordre ont été utilisées contre les ouvriers grévistes. Le rôle de l’État a été en même temps renforcé dans de nombreux domaines de la vie économique et sociale. Parallèlement, l’impérialisme britannique a continué à déployer ses forces militaires et s’est lancé dans le développement d’armes nucléaires, à une époque où la Grande-Bretagne était le plus fidèle lieutenant dans le bloc impérialiste dominé par les États-Unis.
Les gouvernements travaillistes ultérieurs de Wilson et Callaghan ont été capables de remplacer les administrations conservatrices dans tous les postes-clés de l’État. Le gouvernement travailliste de 1974 a été amené au pouvoir pour faire face à une vague de luttes, répandant l’illusion qu’il serait différent de ses prédécesseurs. En fait, dans les années 1970, les travaillistes et les syndicats ont fait baisser les salaires en imposant leurs conditions d’exploitation. Sous Callaghan commença la politique monétariste et le programme de réduction des dépenses publiques qui ont ensuite été repris par Margaret Thatcher. Les grèves et les manifestations de « l’hiver des mécontents », en 1978-79, s’opposaient à un gouvernement travailliste et non pas conservateur.
Dans les années 1980, parti d’opposition, le Parti travailliste critiqua d’une manière « radicale » le « thatcherisme », proposant une prétendue « alternative » à un moment où les ouvriers étaient engagés dans des luttes massives. Par la suite, les gouvernements de Blair et Brown ont joué leur rôle de gestionnaires de l’économie capitaliste ; au niveau des relations internationales, les interventions en Irak et en Afghanistan ont fourni une preuve supplémentaire de l’engagement ferme du Parti travailliste dans le noyau militariste des conflits impérialistes.
Ceci résume l’histoire de la défense des « valeurs britanniques » par le Parti travailliste au siècle précédent, comme parti de gouvernement et comme parti d'opposition. Dans la période à venir, quand les attaques contre la classe ouvrière vont conduire à une remise en question de la base-même de la société et pas seulement de la politique d'un gouvernement particulier, le Parti travailliste se révélera encore être une arme précieuse au service de la domination de la bourgeoisie en Grande-Bretagne.
WR, organe de presse du CCI au Royaume-Uni, 3 octobre 2015
Nous publions ici une lettre écrite par le CCI en réponse à un article publié sur le site Internet de la Ligue Communiste de Tampa, un groupe récemment apparu aux Etats-unis (« Pourquoi nous avons besoin d’un Parti mondial »). Dans l’intérêt du débat public entre révolutionnaires, les camarades nous ont demandé de publier notre lettre sur notre site et nous ont informés qu’ils travaillent à une réponse qui sera à son tour publiée sur leur site.
A la Ligue Communiste de Tampa de la part du Courant Communiste International :
« Chers camarades,
Nous suivons votre site avec intérêt. Nous sommes enthousiasmés par l’apparition d’un groupe qui, d’une certaine façon, se définit en accord avec les positions de la Gauche Communiste et qui énonce clairement le besoin pour les révolutionnaires de s’organiser politiquement.
Nous pensons qu’il serait utile d’engager un dialogue politique avec votre groupe et, compte-tenu de l’importance de la question organisationnelle pour les révolutionnaires, nous proposons comme point de départ de notre échange, le texte : Pourquoi nous avons besoin d’un Parti mondial. Nous comprenons que ce texte ne représente pas une déclaration « programmatique » de votre groupe et qu’il peut être l’objet de désaccords parmi vous : c’est une raison de plus, nous pensons, pour vous soumettre nos analyses sur ce texte et contribuer à la discussion.
Comme déjà mentionné, un texte qui appelle à la constitution d’un parti mondial semble aller à contre-courant dans un milieu dominé par l’anarcho-syndicalisme, le conseillisme, la théorie de la communication et toutes les variantes de l’individualisme qui fleurissent dans un monde de plus en plus régi par le principe bourgeois du « chacun pour soi ». L’affirmation assumée du besoin de se réunir et de s’organiser en groupes politiques distincts, non seulement pour les révolutionnaires, mais aussi pour préparer le futur parti révolutionnaire mondial est une position courageuse étant donné le poids énorme de la suspicion qui pèse sur la conception marxiste de l’organisation révolutionnaire. Des medias traditionnels aux anarchistes, l’idéologie dominante nous susurre que les organisations révolutionnaires ne peuvent dépasser le stade de la secte et qu’elles sont inexorablement entachées par l’expérience toxique du stalinisme. Cela ne doit pas nous surprendre, car tout comme la classe ouvrière est « une classe de la société civile qui n’est pas une classe de la société civile », l’organisation révolutionnaire, qui est un produit de celle-ci, est un corps étranger dans la société capitaliste, et ses militants ne doivent pas être rebutés par l’inévitable hostilité qu’ils rencontrent chez les représentants de l’idéologie dominante, sous toutes ses formes. Nous voyons donc un accord de principe se dégager dans le titre de votre article, et dans le thème du texte ainsi que dans les critiques que vous faites sur les arguments des anarcho-syndicalistes et conseillistes contre les organisations politiques et le parti politique. Nous avons quelques désaccords avec les formulations sur la possibilité de former des syndicats « révolutionnaires » mais c’est un problème que nous pourrons traiter plus tard, peut-être dans une discussion sur les « Positions communes » au sein du groupe Tampa.
Tout aussi important (car la classe ouvrière est une classe internationale et sa révolution ne peut vaincre qu’à l’échelle internationale) est le fait que le texte voit le parti comme un parti mondial, et qu’il doit se préparer dès aujourd’hui, à travers un processus de discussions et d’activités partagées au sein des groupes révolutionnaires partout dans le monde. Ainsi, alors que, comme vous le dites, il est parfaitement vrai que « former le parti mondial n’est pas réalisable immédiatement », il est vrai aussi que ce n’est pas un objectif purement abstrait qui se réalisera tout seul dans le futur : ce que les révolutionnaires font et disent aujourd’hui joue un rôle actif dans le processus qui mènera à la formation du parti (ou, négativement dans l’échec à former ce même parti, chose qui est certainement une possibilité et un danger). Cela ne signifie pas que nous soyons nécessairement d’accord sur le type d’organisation que nous devons développer maintenant (nous y reviendrons plus tard).
Tout d’abord, nous voulons relever quelques questions au sujet de conceptions du texte sur le parti qui nous semblent incorrectes. Premièrement, le texte parle de « parti de masse » comme opposé à l’idée de « parti de l’avant-garde » basé sur une « ligne idéologique/théorique serrée imposée aux militants ». De notre point de vue, l’idée d’un parti de masse, qui s’est développée dans le mouvement ouvrier à la fin du XIXe siècle était liée à la vision du parti comme une sorte de gouvernement en attente qui aurait pris en mains les rênes de la société, sans doute à la faveur d’élections parlementaires ; des idées similaires ont perduré dans le mouvement révolutionnaire qui a surgi à partir de la social-démocratie officielle pendant la Première Guerre mondiale. L’exemple le plus évident est le parti bolchevique, dans la Révolution russe, qui a pensé que son rôle était de former un gouvernement après avoir remporté la majorité dans les soviets.
N’êtes-vous pas d’accord avec l’idée que la conception du parti de masse développée au XIXe siècle était liée à la montée de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier ? Que la tentative de construire une base massive aussi vite que possible a conduit à la dilution des principes et à des compromis avec la classe dominante, à la fois dans les partis de la Deuxième Internationale et dans les partis communistes après 1920-21 ? Et nous ajouterons que ce n’était pas un hasard si les principaux adversaires de l’opportunisme dans les deux Internationales appartenaient à des courants qui avaient commencé à élaborer une critique de l’idée de parti de masse : premièrement les bolcheviks, après le fameux débat sur « qui est membre d’une organisation révolutionnaire » au congrès du POSDR en 1903 ; ensuite, les communistes de Gauche en Italie et en Allemagne dans la Troisième Internationale, qui prirent le meilleur du bolchevisme, en argumentant que, dans la nouvelle époque de révolution prolétarienne, le parti devait être constitué de révolutionnaires engagés sur la base d’une adhésion (non « imposée ») à un haut niveau d’unité programmatique. Dans la période allant jusqu’à et même pendant la révolution, une telle organisation serait nécessairement formée autour d’un noyau (une « avant-garde », si vous voulez) du prolétariat.
Nous pensons aussi que l’adhésion du texte à l’idée de parti de masse montre une régression vers les idées sociales-démocrates au sujet des relations entre le parti et les conseils, ou tout au moins à une position très ambigüe sur la prise du pouvoir par le parti. Le texte fait plusieurs références au parti prenant le pouvoir, à l’idée que « les règles du conseil sont essentiellement les règles du parti ». Bien que le danger de substitutionnisme soit identifié, le texte semble voir le principal remède à tout cela dans le fait que le parti « partage le pouvoir avec l’ensemble du mouvement révolutionnaire ainsi qu’avec d’autres tendances révolutionnaires avec lesquelles il peut être allié ».
Pour nous, cette vision n’échappe pas à la vision parlementaire des règles du soviet qui a paralysé le mouvement en 1917. Nous sommes totalement d’accord sur l’idée que le but du parti est de se battre pour son programme1 à l’intérieur des conseils, qui seront un champ de bataille entre différents points de vue politiques qui, tous, représentent en dernière analyse, des intérêts de classe différents ; ces points de vue peuvent aussi renfermer les confusions qui vont encore peser lourdement sur le prolétariat au cours de la révolution. Mais le rôle du parti n’est pas de prendre le pouvoir ou de mélanger sa fonction avec les organes réels du pouvoir : les conseils. N’êtes-vous pas d’accord que la leçon principale à tirer de la Révolution russe est la suivante : l’identification du parti bolchevique à l’État et sa tendance à substituer ses décisions à celles des Conseils a conduit à la dégénérescence non seulement du pouvoir des Soviets mais aussi du parti lui-même ? Nous pensons que la clarté sur cette question est maintenant un point-clé dans la plateforme de l’organisation révolutionnaire et donc finalement dans le parti lui-même. Nous vous renvoyons à une polémique que nous avions avec la CWO dans les années 1970 et serions intéressés par une réponse de votre part sur cette question.
Nous passons à la conception du texte sur le type d’organisation qui doit être construite aujourd’hui pour préparer le terrain pour le parti de demain : comme nous ne voyons pas le parti comme un parti de masse, mais comme une minorité organisée autour d’un programme clair, nous pensons que les organisations qui peuvent servir de pont vers le parti de demain doivent aussi avoir un niveau élevé de cohérence politique et théorique, basé sur une plateforme reconnue qui soit plus que seulement une liste de points élémentaires. Cela ne signifie pas que de telles organisations, pas plus que le futur parti, doivent être monolithiques ; au contraire, une organisation marxiste vivante est celle qui se livre à un débat interne permanent et aussi avec d’autres tendances dans le mouvement ouvrier. Mais nous pensons vraiment que ces organisations sont plus que des cercles de discussion et doivent être imprégnées de ce que Lénine appelait « l’esprit de parti », même si elles ne sont pas le parti. De plus, elles doivent être construites dès le départ sur une base internationale, parce que le futur parti n’est pas (comme cela avait été conçu dans le passé, même dans la Troisième Internationale jusqu’à un certain point) une fédération de sections nationales mais une organisation mondiale unique. De cette manière, l’expérience organisationnelle sera essentielle pour le fonctionnement du futur parti.
Cette vision des organisations actuelles comme un pont vers le futur Parti est fortement influencée par le concept de Fraction tel qu’il a été développé par la Gauche Italienne dans les années trente. La notion de Fraction est, tout d’abord, fondée sur la conviction que les organisations révolutionnaires ne viennent pas de nulle part, mais font partie d’une tradition dans le mouvement ouvrier, tradition sans laquelle elles n’existeraient pas ; cette réalité doit être assimilée en profondeur et en même temps, de façon critique, basée sur les nouveaux enseignements tirés de l’expérience de la lutte prolétarienne et de la pratique des organisations révolutionnaires du passé. Le but de ce travail est de préparer les principes programmatiques et organisationnels qui seront la base du nouveau parti. Nous pensons qu’une des faiblesses du texte sur la question du parti est précisément que, excepté quelques lignes à la fin, il ne fait pas suffisamment référence à l’expérience du passé et, plus important encore, aux tentatives des générations et des organisations révolutionnaires précédentes pour répondre à la question posée dans le texte : comment les révolutionnaires d’aujourd’hui vont ils s’organiser pour préparer le terrain du parti de demain ?
Nous avons récemment réédité ce que nous considérons comme être un texte important sur le Parti, écrit en 1948 par un groupe qui était l’héritier de la tradition de la Gauche italienne : la Gauche Communiste de France. Nous serions là aussi intéressés par vos réactions à ce texte, et aussi par vos réactions à la lecture des commentaires et critiques contenus dans cette lettre. Nous espérons sincèrement que cette lettre sera le point de départ d’une discussion fructueuse entre nous, qui permettra de clarifier les questions non seulement entre nos organisations mais aussi pour le mouvement politique prolétarien en général.
Salutations communistes.
Alf pour le CCI, 22 août 2015
1 En ce qui concerne la question du programme du Parti, les différents commentaires postés par les internautes à la fin de l’article indiquent qu’une certaine confusion a été causée dans le texte par l’idée que les mesures, telles la destruction de l’État bourgeois et la création d’un nouveau pouvoir prolétarien, feraient partie d’un « programme minimum ». Le dernier terme n’évoque-t-il pas le souvenir des anciens partis sociaux-démocrates avec leur programme de revendications à mettre en œuvre au sein de la société capitaliste ? Cependant, nous ne pensons pas que la question de la terminologie soit la plus importante : la vraie question concerne le contenu des mesures (qui nous semble correct) et le fait qu’elles seraient en effet constitutives d’un programme que le parti défend dans les assemblées et dans les conseils.
Pendant des milliers d’années, les gens ont été forcés de fuir la guerre, la persécution, la famine et les catastrophes naturelles telles que la sécheresse, les inondations, les éruptions volcaniques, etc… Mais ces mouvements n’étaient pas un phénomène permanent et ils affectaient le plus souvent une petite partie de la population déjà sédentaire. Avec le début de l’agriculture, la culture des plantes et la domestication des animaux, l’humanité a développé pendant des milliers d’années un mode de vie sédentaire. Sous le féodalisme, les paysans étaient attachés à la terre, et restaient serfs, de la naissance à la mort, sur la terre qui appartenait à leur seigneur. Mais, avec l’apparition du capitalisme, autour des XIVe et XVe siècles, les conditions ont changé radicalement.
Le capitalisme s’est propagé par la conquête, par la violence intense et massive à travers le globe. Tout d’abord en Europe, où le fait de clôturer les terrains communaux a forcé les paysans qui vivaient en autarcie à quitter la terre communale pour s’agglutiner dans les villes à la recherche d’un emploi dans les fabriques. Marx a décrit l’accumulation primitive comme le procès de « la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production… De grandes masses d’hommes ont été soudainement dépouillés de leurs moyens de subsistance et propulsés comme ‘vendeurs d’eux-mêmes’ sur le marché du travail ».1 Cette séparation du paysan d’avec son sol, d’avec ses moyens de production, a signifié le déracinement de millions de personnes. Parce que le capitalisme a besoin de « l’abolition de toutes les lois qui empêchent les travailleurs de se déplacer d’une sphère de la production à une autre et d’une production à une autre ».2
En même temps que le capitalisme en Europe obligeait les paysans à vendre leur force de travail, il a commencé à étendre son règne colonial dans le monde entier. Et, pendant des siècles, les chasseurs d’esclaves ont enlevé des millions de personnes, principalement en Afrique, afin de fournir de la main d’œuvre bon marché pour les plantations et les mines, principalement en Amérique. Lorsque l’esclavage a pris fin, beaucoup d’esclaves travaillant sur les plantations ont été remplacés par des travailleurs sous contrat. Tout au long de son expansion, le capitalisme a déraciné et déplacé des gens, soit en les forçant à quitter leur campagne pour trouver à vendre leur force de travail à un capitaliste, soit en enlevant la force de travail et en la transformant en esclaves bons à échanger sur un autre continent. De la même manière que le capitalisme a besoin d’une mobilité très grande sinon infinie pour ses produits, et du libre accès au marché, il imposa également la plus grande mobilité dans l’accès à la main-d’œuvre. Le capitalisme doit pouvoir mobiliser la force de travail mondiale sans restriction afin d’utiliser toutes les forces productives de la planète (dans les limites imposées par un système de production de plus-value). « Ces forces de travail, cependant, sont la plupart du temps liées aux traditions rigides des formes de production précapitalistes ; le capitalisme doit d’abord les en ‘libérer ‘ avant de pouvoir les enrôler dans l’armée active du capital. Le processus d’émancipation des forces de travail des conditions sociales primitives et leur intégration dans le système de salaire capitaliste sont l’un des fondements historiques indispensables au capitalisme ».3 La mobilité a une signification particulière pour le capitalisme. « Le capitalisme crée nécessairement de la mobilité au sein de la population, chose qui n’était pas requise dans les systèmes économiques précédents, et qui aurait été impossible à mettre en œuvre à une grande échelle ».4
Le prolétariat est ainsi obligé de se déplacer sans cesse, toujours à la recherche d’une occasion, d’un endroit pour vendre sa force de travail. Être un salarié implique d’être obligé de se déplacer sur de longues et de courtes distances, et même de se déplacer dans d’autres pays ou continents, partout où un ouvrier peut vendre sa force de travail. Que ce soit sous des formes violentes ou par « simple » coercition économique, le capitalisme, depuis ses débuts, a exploité la force de travail de l’ensemble de la planète, il a été global. En d’autres termes : la classe ouvrière, de par la nature des conditions du capitalisme, est une classe de migrants, et c’est pourquoi les ouvriers n’ont pas de patrie. Toutefois, les distances que doit parcourir un ouvrier migrant dépendent de la situation économique et d’autres facteurs tels que la famine, la répression ou la guerre.
Tout au long du XIXe siècle, dans la phase ascendante du capitalisme, cette migration avait lieu principalement vers les zones d’expansion économique. La migration et l’urbanisation allaient de pair. Dans de nombreuses villes européennes, au cours des années 1840-1880, la population doublait en 30-40 ans ; en quelques décennies et parfois moins, des petites villes concentrées autour de mines de charbon, de fer ou de nouvelles usines se gonflaient en villes énormes
Dans le même temps, alors que le capitalisme est en permanence en proie à des crises économiques, un « surplus » de force de travail grossit la masse de chômeurs à la recherche d’un emploi. Dans la phase ascendante, les crises du capitalisme étaient principalement cycliques. Lorsque l’économie entrait en crise, beaucoup de travailleurs pouvaient émigrer, et, quand une nouvelle phase d’expansion arrivait, l’industrie avait besoin de travailleurs supplémentaires. Des millions d’ouvriers pouvaient émigrer librement, sans restriction majeure (principalement parce que le capitalisme était encore en expansion), particulièrement aux États-Unis. Entre 1820 et 1914, quelque 25,5 millions de personnes en provenance d’Europe ont émigré aux États-Unis ; au total, environ 50 millions ont quitté le continent européen. Mais ces vagues de migrations principalement économiques ont ralenti considérablement avec la Première Guerre mondiale, avec la modification des conditions historiques globales, en particulier lorsque la crise économique (qui jusque-là était conjoncturelle) est devenue durable sinon permanente. De massive et presque sans entraves, la migration a été progressivement filtrée, sélectionnée, de plus en plus difficile, voire illégale. Depuis la Première Guerre mondiale, s’est ouverte une période de contrôles plus stricts aux frontières, pour les migrants économiques.
Pourtant, nous devons distinguer la migration économique et celle pour fait de guerre : chaque réfugié est un migrant, mais chaque migrant n’est pas un réfugié. Un migrant est quelqu’un qui quitte sa région à la recherche d’un travail. Un réfugié est quelqu’un dont la vie est menacée immédiatement et qui se déplace pour trouver un endroit où il sera plus en sécurité.
Les guerres et les pogroms ne sont pas un phénomène nouveau. Toute guerre implique la violence, obligeant les gens à fuir les lieux de combat pour rester en vie. Ainsi, les réfugiés de guerre existent depuis que les guerres existent et les réfugiés de guerre sont apparus bien avant que le capitalisme n’oblige les ouvriers à migrer économiquement. Cependant, la guerre a changé quantitativement et qualitativement avec la Première Guerre mondiale. Jusque-là, le nombre de réfugiés de guerre était relativement faible. Le nombre de victimes de pogroms, tels les pogroms contre les Juifs (en Russie ou ailleurs) était également assez faible. Dans les siècles précédents, le problème des réfugiés était un problème temporaire et limité. Depuis le début du XXe siècle, avec l’avènement de la décadence du capitalisme, à chaque guerre mondiale et, après 1989, avec la multiplication des guerres « locales » et « régionales » sans fin, la question des réfugiés de guerre a pris une autre dimension. Le nombre de réfugiés et de migrants économiques dépend ainsi des conditions historiques, des à-coups de la crise économique et à quel point la guerre se généralise.
Nous prévoyons de publier un certain nombre d’articles sur la question des réfugiés et des migrants, qui vont examiner ces questions sous plusieurs angles. Nous avons déjà publié un article sur la migration et nous avons le projet de revenir sur cette question de manière plus détaillée ultérieurement. Nous commençons cette série avec le développement de la spirale de violence au XXe siècle et ses conséquences qui se traduisent par une fuite en avant dans la guerre, en examinant plus précisément les différentes phases qui vont de la Première à la Seconde Guerre mondiale, et ce que cela a entraîné ; puis, nous examinerons la période qui va de la Guerre Froide à nos jours. Dans un autre article, nous examinerons de plus près la politique de la classe dirigeante et quelles sont les conséquences qui en découlent pour la lutte de la classe ouvrière.
1 Karl Marx, Le Capital, volume I, chapitre XXVI, Le secret de l’accumulation primitive.
2 Marx, Le Capital, volume III, chapitre X.
3 Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, chapitre XXVI.
4 Lénine, Le développement du capitalisme en Russie, La ‘mission’ du capitalisme.
« Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde (…) à la suite de l'éruption du volcan impérialiste, le rythme de l'évolution a reçu une impulsion si violente qu'à côté des conflits qui vont surgir au sein de la société et à côté des taches qui attendent le prolétariat socialiste dans l'immédiat, toute l'histoire du mouvement ouvrier semble n'avoir été jusqu'ici qu'une époque paradisiaque. » (Rosa Luxemburg Brochure de Junius, 1916)
L'impulsion brutale et violente du capitalisme décadent évoquée par Rosa Luxemburg se vérifie notamment par le sort tragique des populations civiles du XXe siècle soumises à des faits d'une ampleur sans précédent : enfermement dans les camps, déplacements, déportations et liquidations massives. L'effet combiné des guerres, de la crise économique et des conditions de l'oppression dans la décadence capitaliste ont libéré un engrenage irrationnel, une violence aveugle faite de pogromisme, de « nettoyages ethniques » et de militarisation à outrance. Le XXe siècle est bien un des plus barbares de l'histoire !
L'année 1914 et son hystérie chauvine ouvrent une spirale de violences sans précédent. Si, dans les sociétés du passé, les guerres conduisaient à des massacres souvent locaux et à l'oppression, jamais elles ne provoquaient les grands exodes massifs, le parcage des populations et la paranoïa poussant à vouloir à tout prix un contrôle absolu de ces dernières par les États. La guerre moderne est devenue totale. Elle mobilise désormais pendant des années la totalité de la population et la machine économique des pays belligérants, elle réduit à néant des décennies de travail humain, fauche des dizaines de millions de vies, jette dans la famine des centaines de millions d'êtres humains. Ses effets ne sont plus limités aux simples conquêtes, avec leurs cortèges de viols et de pillages, mais aux destructions gigantesques à l’échelle du monde entier. Au déracinement, à l'exode rural provoqués par les rapports sociaux capitalistes, la guerre totale ajoute la mobilisation et la plongée brutale de toute la société civile au service du front ou directement dans les tranchées. Il s'agit d'un véritable saut qualitatif. Les populations, dont une majeure partie de la jeunesse, se retrouvent déplacées de force comme soldats, contraintes de s'affronter dans un bain de sang. Les civils à l'arrière sont saignés à blanc pour l'effort de guerre et les prisonniers des nations ennemies se retrouvent dans les premiers camps. S'il n'existe pas encore durant la Grande Guerre de camps d'extermination, nous pouvons néanmoins déjà parler d'enfermement et de déportations. Tout étranger devient forcément suspect. Au Royaume-Uni, par exemple, des étrangers sont parqués dans le champ de course de Newbury ou sur l'ile de Man. En Allemagne, les prisonniers et les civils sont enfermés dans les camps d’Erfurt, de Munster ou de Darmstadt. En France, 70 camps d'enfermement sont en service de 1914 à 1920 sur le littoral ouest (comme dans la rade de Brest) et dans les départements du sud de l'hexagone. Il s'agissait au départ de bâtiments existants ou de périmètres surveillés et entourés de barbelés. Le transfert d'un camp à l'autre se faisait déjà dans des wagons à bestiaux et toute révolte était matée avec violence. Inutile de préciser que le moindre militant communiste était interné comme le furent par exemple des femmes « compromises avec l'ennemi » et autres « indésirables ». Un camp comme celui de Pontmain permettait d'enfermer des Turcs, des austro-hongrois ou des Allemands (les plus nombreux). Il s’agit d’une préfiguration de l'univers concentrationnaire qui allait se mettre en place dans les années 1930 et atteindre les sommets de la Deuxième Guerre mondiale. Alors qu'étaient encouragés les préjugés xénophobes, les indigènes des contrées lointaines étaient en même temps chassés vers l'Europe par les recruteurs, enrôlés de force et utilisés pour se faire trouer la peau. À partir de 1917-18, sous les ordres de Clemenceau en France, 190 000 Maghrébins seront envoyés au front. 170 000 hommes de l'Afrique de l'Ouest, les célèbres « tirailleurs sénégalais », seront la plupart du temps mobilisés de force. Des Chinois étaient aussi mobilisés par la France et des Britanniques. L'Angleterre enverra au casse-pipe Africains et Hindous (1,5 millions pour le seul sous-continent indien). Les belligérants, comme le montrent également les « divisions sauvages » du Caucase de l'armée russe, fabriqueront de la chair à canon spécialisée, avec tous ces « métèques », pour les entreprises militaires les plus périlleuses. En dehors des soldats déplacés, plus de 12 millions d'Européens seront amenés à fuir la guerre, à devenir des « réfugiés ».
Ce fut le cas des populations arméniennes qui subirent une des tragédies les plus marquantes de la guerre, considérée comme le premier véritable génocide du XXe siècle. Au cours du XIXe siècle déjà, la volonté d'émancipation des Arméniens (comme celles des Grecs) allait devenir un des principaux motifs de persécution de la part des Ottomans. Un mouvement politique, celui dit des « jeunes Turcs », s'accommodant d'un puissant nationalisme et de l'idéologie panturque, allait préparer cette terrible catastrophe. Devenu des boucs-émissaires tout désignés durant la guerre, notamment au moment de la défaite contre les Russes, les Arméniens furent la proie d'un massacre préalablement planifié et programmé d’avril 1915 à l'automne 1916. Après avoir arrêté les intellectuels dans un premier temps, le reste de la population arménienne fut systématiquement déporté et décimé en masse par l’États turc. Les femmes et les enfants étaient transportés par bateaux et noyés au large des côtes ou vendus comme esclaves. Le chemin de fer et la ligne vers Bagdad allaient servir à la déportation massive vers le désert ou les camps, dont certains allaient déjà être utilisés à des fin d'extermination. Bon nombre d'Arméniens finissaient par mourir de soif dans le désert de Mésopotamie. Ceux qui purent réchapper au massacre devenaient des réfugiés misérables, comprenant des milliers d'orphelins. Ils allaient constituer une véritable diaspora (un bon nombre se sont par exemple tournés vers les États-Unis où il existe aujourd'hui encore une communauté significative). Tout cela, bien entendu, fut très rapidement oublié par les « grandes démocraties ». Il y eut pourtant plus d'un million d'Arméniens tués !
L'effondrement des derniers grands empires, durant cette guerre terrible, allait générer une multitude de tensions nationalistes aux conséquences également désastreuses pour de nombreuses autres minorités. La formation des États-nations qui s'est achevée avant la Première Guerre mondiale s'accompagna ensuite d'une fragmentation des vieux empires moribonds. Ce fut notamment le cas pour les Empires austro-hongrois et ottoman aux populations bigarrées et réparties comme des mosaïques, entourées de vautours affamés comme l'étaient les puissances impérialistes européennes. En luttant pour leur propre survie, ces empires en ruines, dans un ultime sursaut, se sont mis à fortifier leurs frontières, à déployer des alliances militaires désespérées et à procéder à des échanges de populations, des tentatives d'assimilations forcées générant des divisions accrues et des « nettoyages ethniques ». Le conflit gréco-turc, souvent présenté comme la conséquence d'une réaction « spontanée » des foules turques, fut parfaitement orchestré par le nouvel État naissant et son dirigeant moderne Mustapha Kemal Atatürk. Il allait fonder une nation turque et mener une guerre longue et meurtrière contre les Grecs. Durant ce conflit, les Grecs s'étaient livrés à de véritables pillages, des groupes de civils allant même en bandes jusqu'à incendier les villages turcs et commettre toutes sortes d'atrocités contre leurs habitants. De leur côté, de 1920 à 1923, les forces turques commettaient également toutes sortes d'exactions et de massacres d'une grande cruauté contre les Grecs et contre les Arméniens. Dès le début, on assistait à des transferts de populations, de Grecs de Turquie et vice-versa (1 300 000 Grecs de Turquie contre 385 000 Turcs de Grèce). En 1923, le traité de Lausanne entérinait ces pratiques violentes par tout un ensemble de procédures administratives. Des milliers de Grecs et de Turcs étaient donc expulsés par cet échange officiel et bon nombre d’entre eux sont morts en plein exode.
Plus généralement, dans ces conditions, de tels déplacements et une concentration de populations affaiblies et affamées sur tout le continent, il n'est pas étonnant que des foyers d’infections pathogènes se soient multipliés. L'Europe centrale et orientale fut rapidement touchée par le typhus. Plus spectaculairement, le monde allait être foudroyé par la « grippe espagnole » qui, en se propageant rapidement du fait de la promiscuité occasionnée par la guerre, a fait de 40 à 50 millions de morts. Le pire souvenir avait été auparavant le choléra du XIXe siècle. Il fallait remonter au Moyen-Âge, avec la grande peste d'Occident, pour retrouver des épidémies de si grande ampleur (30% de la population avait été décimée).
Cette réalité barbare n'avait pu voir le jour que parce que la classe ouvrière avait été embrigadée dans le nationalisme et saoulée par le patriotisme. Et c'est face à ces conditions atroces que le prolétariat avait relevé la tête, avait prouvé par sa force que lui seul pouvait mettre fin au carnage en enrayant la machine de guerre. C'est suite aux mutineries de 1917 et à la vague révolutionnaire qui allait débuter en Russie, aux soulèvements ouvriers en Allemagne (révoltes des marins de Kiel en 1918 et soulèvements dans les grandes villes, comme à Berlin) que les principaux belligérants furent contraints de signer l'armistice. Il fallait donc mettre fin au conflit face à la menace d'une révolution mondiale imminente.
La classe dominante n'avait plus qu'une obsession face aux désertions, à la démobilisation et surtout au risque d'embrasement social : écraser les foyers de la révolution communiste. Pour écraser le prolétariat, une nouvelle vague de violence allait partout se déchaîner. Une haine puissante allait pousser la réaction à encercler la Russie bolcheviste avec les troupes de l'Entente. La terrible guerre civile des « armées blanches » était lancée. Les armées des États capitalistes d'Europe, des États-Unis et du Japon à travers leur guerre contre la classe ouvrière en Russie, tout cela faisait de nombreuses victimes. Un véritable blocus allait provoquer une grande famine en Russie même. Le prolétariat était devenu l'ennemi commun de toutes les puissances capitalistes. Devant la menace prolétarienne, il fallait « coopérer ». Mais contrairement à celle des pays vainqueurs, la bourgeoisie et surtout la petite-bourgeoisie des pays vaincus, comme en Allemagne, allaient développer un sentiment profond, celui d'avoir reçu un « coup de poignard dans le dos », d'avoir été « humiliés » par « l'ennemi de l'intérieur ». Les conditions drastiques du traité de Versailles allaient précipiter la recherche de boucs-émissaires conduisant au développement de l'antisémitisme et au déclenchement d’une véritable chasse à l'homme contre les communistes, eux aussi rendus responsables de tous les maux (comme la chasse ouverte aux Spartakistes). Le point culminant fut celui de la Commune de Berlin en 1919 et sa succession de massacres d'une extrême sauvagerie : « Ainsi couverts, les bouchers se mirent à l'œuvre. Alors que des pâtés de maisons entiers s'effondraient sous le feu de l'artillerie et des mortiers, enterrant des familles entières sous les décombres, d'autres prolétaires tombaient devant leurs habitations, dans les cours d'école, dans les écuries, fusillés, assommés à coups de crosse, transpercés par les baïonnettes, le plus souvent dénoncés par d'anonymes délateurs. Mis dos au mur, seuls, en couples, en groupes de trois et plus ; ou achevés d'un coup de revolver dans la nuque, en pleine nuit, sur les rives de la Spree. Pendant des semaines, le fleuve rejeta des cadavres sur les rives. »1
Les défaites ouvrières successives étaient ponctuées par l'assassinat des grandes figures du mouvement ouvrier dont les plus célèbres étaient Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Dans les années 1920, la répression féroce contre toute forme d'opposition se déploya d'autant plus facilement que la contre-révolution stalinienne, par les expulsions et le meurtre, la création de ses camps de travail et d'internement, les goulags, fera la chasse aux révolutionnaires et emprisonnera de plus en plus systématiquement les groupes et les ouvriers suspectés de « menées séditieuses ».
Dans le cadre de la décadence capitaliste et celui du contexte de cette contre-révolution, la haine du communisme et l'assimilation au Juif apatride allaient alors contribuer à un changement qualitatif des pogroms antisémites. Au XIXe siècle, il y avait déjà eu toute une série de pogroms contre les Juifs, en Russie notamment, suite à l'annexion de la Pologne. Des flambées de violences étaient par exemple récurrentes à Odessa contre les Juifs dans toute la première moitié du XIXe siècle. Entre 1881 et 1884, de violents pogroms aboutissaient à des massacres. Les populations locales étaient incitées et encouragées par les autorités à se livrer aux pillages, viols et assassinats. En 1903, une terrible vague de pogroms frappait la ville de Kichinev, les Juifs étant accusés de façon complétement irrationnelle et obscurantiste de « pratiquer des crimes rituels ». De 1879 à 1914, près de 2 millions de Juifs sont devenus des réfugiés. Au début des années 1920, une nouvelle vague de pogroms allait toucher l'Europe. Durant la guerre civile en Russie, des dizaines de milliers de Juifs étaient massacrés par les « armées blanches », en Ukraine et en Biélorussie, notamment, en particulier celle des troupes de Denikine.2 Durant cette période, les pogroms dans l’ex-empire Russe auraient fait entre 60 000 et 150 000 morts.3
La défaite du prolétariat en Allemagne allait générer des tensions croissantes envers les Juifs, comme un peu partout en Europe, poussant aux premiers exodes. Le programme du NSDAP (le parti nazi) datant du 24 février 1920 pouvait se permettre ainsi de souligner que « pour être citoyen, il faut être de sang allemand, la confession importe peu. Aucun Juif ne peut donc être citoyen ».
Avec la préparation et l'entrée dans la guerre, une nouvelle ère s'était ouverte : celle du capitalisme en déclin et sa tendance universelle au capitalisme d'État. Désormais, chaque État était amené à exercer un contrôle bureaucratique sur l'ensemble de la vie sociale. Au fur et à mesure, les durcissements aux frontières, les contrôles et les exactions contre les populations exilées et les réfugiés se multipliaient au nom des intérêts militaires ou de la sécurité des États. Contrairement à la période qui a précédé la Première Guerre mondiale, les migrations font désormais l'objet de restrictions. C'est à ce moment que se mettent en place les principaux outils administratifs anti-migrants. Les déplacements de populations pendant la guerre ont conduit les États à établir un véritable contrôle policier des identités et à systématiquement suspecter et ficher les étrangers. En France, par exemple : « la création d'une carte d'identité est en 1917 un véritable bouleversement des habitudes administratives et policières. Nos mentalités aujourd'hui ont intégré cet estampillage individuel dont les origines policières ne sont plus perçues comme telles. Il n'est pourtant pas neutre que l'institution de la carte d'identité ait d'abord concerné les étrangers, dans un but de surveillance, et ce en plein état de guerre ».4 D'emblée, les armées ont perçu les déplacements des civils (spontanés ou provoqués) comme une réelle menace, un « encombrement » pour l'activité des troupes et la logistique militaire. Les États ont dès le départ cherché à donner des ordres d'évacuation, instrumentalisant parfois le sort des civils ou réfugiés pour s'en servir d'arme de guerre, comme ce fut le cas lors du conflit gréco-turc. La « solution » qui tendait à se développer et à s'imposer de plus en plus était celle de la multiplication des camps d'enfermement, comme nous l'avons vu plus haut. Lorsque les réfugiés ont dû fuir les zones de combats (comme ce fut le cas des Belges en 1914 face à « l'envahisseur ») bien qu'ils aient pu bénéficier de la solidarité et du travail des associations, bon nombre de civils étaient directement sous la coupe des autorités et terminaient leur pénible exode dans des camps. Les prisonniers étaient répartis par nationalité ou « dangerosité » dans une grande promiscuité. Ce sont les décisions des États défendant leurs sordides intérêts capitalistes, les plus « démocratiques » en tête, qui furent les véritables bourreaux des populations civiles transformées en otages.
Au lendemain de la guerre, après la défaite idéologique et physique du prolétariat, un nouveau pas dans la vengeance allait ouvrir une période préparant un nouveau conflit encore plus barbare et meurtrier. Dans un champ de ruines, les États en Europe étaient dans une situation difficile du fait d'une importante destruction de leur force de travail. Des accords allaient donc permettre de favoriser l'émigration économique. Dans les années 1920, la France a par exemple recruté des immigrés italiens, polonais et tchécoslovaques, prélude à de nouvelles campagnes xénophobes du fait de la crise économique et de la terrible dépression qui allait suivre, juste avant le cours ouvert à une nouvelle guerre mondiale.
WH (28 juin 2015)
L'ouverture d'un deuxième holocauste mondial allait porter la barbarie à des sommets inouïs pour les populations civiles et les réfugiés. Dans une deuxième partie, nous aborderons cette tragédie.
1 Fröhlich , Lindau, Schreiner, Walcher, Révolution et contre-révolution en Allemagne 1918-1920, Ed. Science marxiste.
2 Suite à ces pogroms, notre camarade MC, par exemple, avait dû s'exiler avec une partie de sa famille pour se réfugier en Palestine (voir Revue internationale n°65 et n°66. 2e et 3e trimestre 1991).
3 Selon Le livre des pogroms, antichambre d'un génocide, sous la direction de Lidia Miliakova.
4 P.J Deschodt et F. Huguenin, La République xénophobe, Ed. JC Lattès)
Dans la lutte pour former un Parti communiste en Grande-Bretagne au cours de la vague révolutionnaire de 1917-23, l’aile gauche, dirigée par le petit groupe autour de Sylvia Pankhurst et du Workers’ Dreadnought1, était la plus clair sur le danger que représentait le Parti travailliste pour la révolution ouvrière.
Après quelques hésitations initiales en 1914, le Parti travailliste rejoignit les rangs des « social-chauvins » et devint le partisan de l'impérialisme britannique dans le massacre. Cet extrait d'un article2 écrit par Sylvia Pankhurst en 1920 qualifie toujours le Parti travailliste de « réformiste » plutôt que de parti capitaliste, mais il dénonce très clairement son rôle contre-révolutionnaire dans l'État capitaliste.
En opposition au programme social-patriotique du Parti travailliste, le Workers’ Dreadnought défendit le nécessaire renversement du capitalisme et la dictature de la classe ouvrière à travers les soviets comme une étape vers l'abolition du salariat et l’avènement du communisme.
« Les partis réformistes sociaux-patriotes, comme le Parti travailliste britannique, ont partout aidé les capitalistes à maintenir le système capitaliste, pour l'empêcher de se briser sous le choc de la Grande Guerre qu’il a causé et l'influence croissante de la Révolution russe. Les partis sociaux-patriotiques bourgeois, qu’ils appellent eux-mêmes travaillistes ou socialistes, travaillent partout contre la révolution communiste, et ils sont plus dangereux pour elle que les capitalistes agressifs parce que les réformes qu'ils cherchent à introduire peuvent maintenir le régime capitaliste pendant un certain temps. Lorsque les réformistes sociaux-patriotiques arrivent au pouvoir, ils se battent contre la révolution ouvrière avec une détermination aussi forte que celle affichée par les capitalistes, et même plus efficacement car ils comprennent les méthodes, les tactiques et certains idéaux de la classe ouvrière.
Le Parti travailliste britannique, comme les organisations social-patriotiques d'autres pays, parviendra, avec le développement naturel de la société, inévitablement au pouvoir. Il est nécessaire que les communistes bâtissent les forces qui renverseront les sociaux-patriotes, et dans ce pays nous ne devons ni retarder ni avoir la moindre hésitation face à cette tâche.
Nous ne devons pas dissiper notre énergie en permettant au Parti travailliste de se renforcer ; sa montée en puissance est inévitable. Nous devons nous concentrer sur la construction d’un mouvement communiste qui le vaincra.
Le Parti travailliste formera bientôt un gouvernement ; l'opposition révolutionnaire doit se préparer à l'attaquer. »
Extrait de : Vers un Parti communiste, Workers' Dreadnought, le 21 février 1920.
1 Le Workers' Dreadnought était un journal fondé par le courant de Sylvia Pankhurst et publié entre 1914 et 1924.
2 Traduit par nous de l’anglais.
A l'aube des années 1930, la défaite physique du prolétariat était bien assurée, la révolution mondiale avait été complétement écrasée. Les bains de sang successifs en Russie et en Allemagne après la défaite du prolétariat à Berlin en 1919, la recherche de boucs-émissaires, l'humiliation engendrée par le traité de Versailles et le besoin de revanche, tout cela provoquait un nouveau pas dans la spirale des horreurs capitalistes du XXe siècle.
En proclamant le "socialisme dans un seul pays", le nouveau régime stalinien en Russie était prêt à se lancer dans une course effrénée à l'industrialisation pour essayer de rattraper son retard. La planification de l'industrie lourde et la fabrication des armes renforçaient une exploitation extrême. Jusqu'à la terrible dépression des années 1930, les pays "vainqueurs" occidentaux cherchaient eux-aussi une main-d'œuvre à bas coûts qu'il fallait diviser et contrôler. Mais avec la crise économique et le chômage de masse, les migrants et réfugiés devenaient plus ouvertement "indésirables". Le mouvement des migrations allait ainsi être freiné assez brutalement dès 1929, notamment aux Etats-Unis (1). Lire notre article « L’immigration et le mouvement ouvrier », Revue internationale n° 140, 1er trimestre 2010
Ces derniers qui avaient adopté des quotas "filtraient" les migrants en les divisant, les séparant des autres prolétaires. Dans un tel contexte, les déplacements de populations, ceux des déportés et des réfugiés qui allaient s'effectuer de force le furent (pendant et après la guerre) dans des conditions terribles : souvent, ils se terminaient dans des camps de concentration qui commençaient à se généraliser un peu partout.
Alors que le développement des crises et que les tensions impérialistes devenaient croissantes, la classe ouvrière défaite ne pouvait opposer la force de sa résistance. Cela allait se traduire en Espagne, en 1936, par les débuts de l'embrigadement du prolétariat dans la guerre, au nom de "l'antifascisme". Cette nouvelle guerre totale mobilisait beaucoup plus brutalement et massivement les populations civiles (les femmes, les jeunes, les vieux) que la première Grande guerre. Elle allait s'avérer bien plus destructrice et barbare. L’Etat, en intervenant plus directement sur l'ensemble de la vie sociale, ouvrait une sorte d'ère concentrationnaire. Tout cela générait des déportations, des "nettoyages ethniques", des famines et des exterminations de masse.
La violence stalinienne, aussi brutale qu'imprévisible, en était un premier exemple. L'Etat n'hésitait pas lors des purges à arrêter les authentiques communistes, à exécuter 95% des dirigeants d'une région, à déporter des populations entières pour le contrôle et la maîtrise de son territoire. Dans les années 1931-1932, Staline allait utiliser froidement "l'arme de la faim" pour tenter de briser la résistance des Ukrainiens face à la collectivisation forcée. La terrible famine, provoquée de manière consciente, faisait en tout près de 6 millions de morts ! En Sibérie et ailleurs, des millions d'hommes et de femmes étaient condamnés aux travaux forcés. Pendant l'année 1935, par exemple, 200 000 détenus creusaient le canal Moscou-Volga-Don et 150 000 autres la deuxième voie du Transsibérien. La collectivisation brutale des campagnes, où plusieurs millions de koulaks étaient déportés vers des zones de colonisation inhospitalières, les plans de l'industrie lourde et l'exploitation à marche forcée où les ouvriers se tuaient au travail (au sens propre), permettaient de nourrir l'obsession de Staline consistant à vouloir "rattraper le retard sur les pays capitalistes" (2). Précisons que la Russie stalinisée elle-même était en fait un pays capitaliste, une expression caricaturale de la tendance au capitalisme d'Etat dans la décadence de ce système. Avant même son entrée dans la guerre, en 1941, l'Etat stalinien procédait à un véritable "nettoyage ethnique" sur ses frontières en vue d'assurer sa sécurité. Différentes populations étaient suspectées de "collaboration" avec l'ennemi allemand et allaient ainsi être soumises de force à de vastes déplacements collectifs. En 1937, la déportation vers l'Asie centrale de 170 000 Coréens, sur de simples motifs ethniques, conduisant à de lourdes pertes humaines, était un avant-goût de se qui se profilait. Parmi tous les déplacés qui suivirent, 60 000 Polonais étaient expédiés au Kazakhstan en 1941. Plusieurs vagues de déportations eurent lieu ensuite après la rupture du pacte germano-soviétique, en particulier pour les populations d’origine germanique, notamment dans les Républiques baltes devenus ouvertement "ennemis du peuple" : 1,2 millions d'entre eux se sont retrouvés du jour au lendemain exilés en Sibérie et en Asie centrale. Entre 1943 et 1944, c'était au tour des populations du Nord-Caucase (Tchétchènes, Ingouches...) et de Crimée (Tatars) d'être brutalement déplacées. Beaucoup de ces victimes affamées, criminalisées et bannies par l'Etat "socialiste" allaient mourir durant les transports dans des wagons à bestiaux (par manque d'eau, de nourriture ou par des maladies comme le typhus). Si généralement les populations locales témoignaient d'une grande solidarité à l'égard de ces malheureux proscrits, la propagande officielle entretenait contre ces nouveaux esclaves un climat de haine. Durant les transports, ils recevaient très souvent des jets de pierres accompagnés des pires insultes. A leur arrivée, selon un rapport de Beria datant de juillet 1944, "certains présidents de kolkhozes organisaient des passages à tabac destinés à justifier leurs refus d’embaucher des déportés physiquement dégradés" (3).
Isabelle Ohayon, La déportation des peuples vers l’Asie centrale. Le XXe siècle des guerres, Editions de l’Atelier, 2004.
Dans ces conditions extrêmes, ce sont finalement " dix à quinze millions de Soviétiques" qui ont été envoyés dans les "camps de rééducation par le travail", officiellement créés par le régime dès les années 1930 (4). Marie Jego, Le Monde, 3 mars 2003.
En Allemagne, au moment où les nazis arrivaient au pouvoir, bien avant l'entreprise d'extermination, les camps de concentration qui allaient se multiplier sur le territoire et surtout en Pologne étaient d'abord des camps de travail. Cette tendance au développement des camps qui allaient fleurir un peu partout, y compris dans les Etats démocratiques comme en France et aux Etats-Unis, pour les prisonniers ou réfugiés, avaient pour vocation, outre le contrôle sur la population, l'exploitation d'une force de travail quasi-gratuite. En vendant traditionnellement sa force de travail, le prolétaire permet au capitaliste d'extraire de la plus-value, c'est-à-dire du profit. Les termes de ce "contrat" assurent une exploitation poussant à la productivité maximale en garantissant par le bas niveau de salaire la simple reproduction de la force de travail. Dans les camps de concentration, la force de travail était exploitée de manière quasi-absolue. En Allemagne, les déportés travaillaient jusqu'à plus de 12 heures par jour, par tous les temps, sous les ordres de « kapos ». Des usines secrètes d'armements ou des filiales de grands groupes allemands se trouvaient dans les camps de concentration ou à proximité. Ces industries de guerre bénéficiaient d'une main-d’œuvre presque gratuite, très abondante et facilement renouvelable. La reproduction de la force de travail étant réduite à la simple survie du travailleur/prisonnier, la très faible productivité de cette main-d'œuvre était en partie compensée par des coûts d'entretien très bas. La nourriture était limitée au minimum vital, tout comme le transport, souvent réduit a l'unique déplacement vers un endroit reculé et isolé, celui du camp. Dans les Etats démocratiques, les camps allaient aussi être utilisés dans le cadre d'un renforcement du contrôle social étatique des populations prisonnières et/ou pour l'exploitation de leur force de travail. Ainsi, confronté à l'afflux des réfugiés espagnols (120 000 entre juin et octobre 1937. 440 000 en 1939) le gouvernement français agissait face à ces "indésirables" aux "agissements révolutionnaires". (5) P. J Deschodt, F. Huguenin, La République xénophobe, JC Lattès, 2001. En Afrique du Nord, 30 000 d'entre eux étaient utilisés pour des travaux forcés. Les réfugiés espagnols vivaient parqués sur le sol français dans des camps d'internement (les autorités parlent elles-mêmes de "camps de concentration") montés à la hâte dans le sud du pays (notamment sur les plages du Roussillon). Ces réfugiés atteignaient par exemple le nombre de 87 000 à Argelès, exploités comme main-d’œuvre servile, dans des conditions déplorables, dormant sur le sable, surveillés par les "kapos" de la garde républicaine ou des tirailleurs sénégalais. Entre février et juillet 1939, environ 15 000 réfugiés espagnols sont morts dans ces camps, la plupart d'épuisement ou du fait de la dysenterie.
Un peu plus tard, durant la guerre, parmi bien d'autres exemples, on pourrait relever celui des Etats-Unis qui ont aussi interné de mars 1942 à mars 1946 plus de 120 000 personnes. Il s'agissait d'une population nippo-américaine, parquée dans des camps de concentration au nord et à l'est de la Californie. Ces hommes furent traités de manière terrible au même titre que le sont les pires criminels et ceux qui subissent la xénophobie d'Etat. (6) Selon un vétéran de Guadalcanal : "le Japonais ne peut être considéré comme un intellectuel (...), c'est plutôt un animal » et un général des Marines a déclaré aussi : "tuer un Japonais, c'était vraiment comme tuer une vipère". Voir Ph Masson, Une guerre totale, coll. Pluriel.
Nous avons souligné que les camps de concentration en Allemagne étaient d'abord des camps de travail. Les plus gros déplacements de populations s'effectuaient en direction de l'Allemagne par la force, par des mesures telles que le STO (service de travail obligatoire) en France, le pillage, les déportations massives de Juifs et les rafles un peu partout en Europe. Dans les usines, l'agriculture ou l'exploitation minière, un quart de la force de travail était représentée par du travail forcé, notamment dans le cadre du "Generalplan Ost". Entre 15 et 20 millions de personnes étaient déportées en tout par l'Allemagne nazie en vue de faire tourner sa machine de guerre ! Une telle politique augmentait le nombre de réfugiés fuyant le régime et sa chasse à l'homme. Dans les années 1930, on comptait environ 350 000 réfugiés en provenance de l'Allemagne nazie, 150 000 en provenance de l'Autriche (après l'Anschluss) et des Sudètes (après le rattachement à l'Allemagne nazie).
A partir de l'année 1942 et son projet de "solution finale", les camps de concentration comme ceux d'Auschwitz-Birkenau, Chelmno, Treblinka, Belzec, Sobibor, Maidaneck... vont se transformer en camps d'extermination. Dans des conditions atroces, parmi les très nombreuses victimes, six millions de Juifs étaient acheminés par convois et massacrés, la plupart gazés et brûlés dans des fours crématoires. Le contingent sinistre le plus imposant de victimes était fourni par la Pologne (300 0000) et l'URSS (100 0000). Les camps d'exterminations comme ceux d'Auschwitz (1 200 000) et de Treblinka (800 000) tournaient à plein régime. Cette barbarie est bien connue du fait qu'elle a été longuement exhibée et exploitée idéologiquement jusqu'à la nausée après la guerre par les Alliés, servant ainsi d'alibi pour justifier ou masquer leurs propres crimes.
Une mentalité de pogrom s'était installée durant les années 1920, sanctionnant la défaite sanglante du prolétariat et de ses grandes figures révolutionnaires assimilées à la "juiverie" : "même si beaucoup de révolutionnaires israélites comme Trotski ou Rosa Luxemburg se veulent non-juifs (...) l'Israelite apparait comme le fourrier de la subversion, comme un agent destructeur vis-à-vis des valeurs fondamentales : patrie, famille, propriété, religion. L'enthousiasme de nombre de Juifs à l'égard de toutes les formes de l'art moderne ou des nouveaux moyens d'expression comme le cinéma justifie encore cette réputation d'esprit corrosif".(7) Ph. Masson, op cit En fait, la défaite de la révolution permettait aux grandes démocraties de voir en Hitler ni plus ni moins qu'un "rempart" efficace "contre le bolchevisme". Pour tous les Etats à l'époque, l'amalgame juif et communiste était très courant. Churchill lui même accusait les Juifs d'être les responsables de la Révolution Russe :"Il n'y a pas besoin d'exagérer la part jouée dans la création du bolchevisme et dans l'arrivée de la Révolution russe par ces Juifs internationalistes et pour la plupart athées".(8) Illustrated Sunday Herald , 8 février 1920, cité par Wikipédia. L'idée d'un complot "judéo-marxiste", d'abord véhiculé par les "troupes blanches", murissait sur la base d'un antisémitisme répandu : "est-il besoin de souligner que Hitler n'est pas à l'origine de cet antisémitisme (...) au lendemain de la Première guerre mondiale, cet antisémitisme habite la plupart des pays européens". (9) Ph Masson, op. cit. Les Juifs allaient donc systématiquement pouvoir être stigmatisés, marginalisés, devenir des boucs-émissaires sans que cela ne gêne outre-mesure les dirigeants démocrates, dont certains, comme Roosevelt, avaient déjà ouvertement des penchants xénophobes et antisémites. Une grande partie des Juifs qui se trouvaient en Pologne, en URSS et dans des ghettos, avaient en fait déjà été bien souvent obligés de fuir les pays démocratiques du fait de cet antisémitisme (contrairement à ce qu'on veut nous faire croire, l'antisémitisme du régime de Vichy, par exemple, n'est pas un phénomène spontané, ni qui lui est propre). Dès lors, les lois antisémites de Nuremberg en 1935 pouvaient, sans surprise, passer pratiquement inaperçues. En faisant des Juifs des citoyens à part et marginalisés, leurs biens allaient pouvoir être pillés en toute impunité, en toute bonne conscience, face à ceux qu'on percevait comme "des êtres nuisibles". C'est en réalité toute cette dynamique, tout ce terreau nauséabond qui faisait le lit de la propagande hygiéniste et eugéniste des nazis. Dès janvier 1940, l'"Aktion t4" en Allemagne préfigurait déjà l'holocauste, programmant méthodiquement l'élimination des handicapés physiques et mentaux. Face à la tragédie qui allait suivre, les Alliés refusaient l'aide aux Juifs "pour ne pas déstabiliser l'effort de guerre" (Churchill). Les Alliés se sont bien avérés comme les co-responsables et les complices d'un génocide qui était avant tout un produit du système capitaliste. Très tôt, les pays démocratiques se fermaient en refusant de porter assistance aux Juifs perçus comme des parias qu'on ne voulait pas chez soi (10) Lire notre brochure Fascisme et démocratie, deux expressions de la dictature du capital. Face à la répression nazie et aux persécutions, le gouvernement du Front populaire en France, par exemple, allait se montrer intraitable. Ainsi, derrière un vernis démocratique, une circulaire de la main de Roger Salengro, datée du 14 août 1936, soulignait : " ne plus laisser (...) pénétrer en France aucun émigré allemand et de procéder au refoulement de tout étranger, sujet allemand ou venant d'Allemagne, qui entré postérieurement au 5 août 1936, ne serait pas muni des pièces nécessaires..." (11) P. J Deschodt, F. Huguenin, op.cit.
Toutes les actions et mesures administratives destinées à déporter, chasser, exterminer les populations étaient bien plus imposantes et surtout avec des conséquences bien plus dramatiques qu'en 1914-1918. Le nombre de réfugiés/migrants a été sans commune mesure. La violence utilisée - à partir des camps de concentration et leurs chambres à gaz, les bombardements en tapis, les gaz de phosphore, les bombes nucléaires, l'utilisation d'armes chimiques et biologiques - a fait de nombreuses victimes et causé des souffrances durables après la guerre, avec une quantité indénombrable de traumatismes. Le bilan est terrifiant ! Les destructions ont provoqué au total près de 66 millions de morts (20 millions de soldats et 46 millions de civils) contre 10 millions pour 1914-1918 ! A la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fallait réinstaller 60 millions de personnes, soit dix fois plus que pour la Première Guerre ! Au cœur de l'Europe même, 40 millions sont morts. En Asie de l'Est, en Chine, plus de 12 millions de personnes sont mortes dans les confrontations militaires directes et on a dénombré près de 95 millions de réfugiés en Chine. Durant la guerre, un certain nombre de sièges et de batailles militaires ont été parmi les plus sanglantes de l'histoire. Pour donner quelques exemples : à Stalingrad, près d'un million d'hommes des deux camps sont morts sous un feu infernal. Dans un siège qui a duré près de trois ans, au moins 1 800 000 sont morts. La bataille autour de la prise de Berlin a coûté la vie à 300 000 soldats allemands ou russes et à plus de 100 000 civils). La célèbre bataille d'Okinawa a tué 120 000 soldats mais aussi 160 000 civils. Les troupes japonaises ont massacré 300 000 Chinois à Nankin ! Les bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki, selon l’historien Howard Zinn, auraient fait jusqu'à 250 000 morts ! Les terribles bombardements américains sur Tokyo, en mars 1945, provoquèrent 85 000 morts. En URSS, on compte 27 millions de victimes. L'Ukraine perdra 20% de sa population, la Pologne 15% (majoritairement des Juifs). Des centaines de villes en Europe étaient en partie dévastées ou quasiment détruites. En Russie, 1700 villes ont été touchées, 714 en Ukraine et on comptera près de 70 000 villages anéantis ! En Allemagne, les tapis de bombes incendiaires au phosphore des Alliés et du "Bomber Command" ont fait un nombre énorme de victimes, rasant les villes de Dresde et Hambourg (près de 50 000 morts). Une ville comme Cologne a été détruite à 70% ! On a finalement évalué qu’il y avait à la fin de la guerre en Allemagne entre 18 et 20 millions de sans-abris, 10 millions en Ukraine ! Le nombre d'orphelins de guerre a été aussi éloquent : 2 millions en Allemagne, plus d'un million en Pologne. Quelques 180 000 enfants ont été réduits à l'état de vagabonds dans les rues de Rome, Naples et Milan.
Les souffrances effroyables générées par ces destructions s'accompagnaient très souvent de vengeances terribles et d'actes de barbarie sur les populations, les civils et réfugiés terrorisés. Ce fut le cas des Alliés, présentés pourtant comme "grands libérateurs" : "l'hybris, la foudre de la vengeance s'abat sur les survivants ; la découverte des atrocités commises par le vaincu ne fait qu'alimenter la bonne conscience du vainqueur". (12) Voir Ph. Masson, op. cit.
L'accumulation de violence générée par le capitalisme décadent, une fois libérée, produit les scènes les plus atroces, celles "d'épuration ethniques" et d'actes d'une barbarie inimaginable. Pendant et après le guerre en Croatie, près de 600 000 Serbes, musulmans et Juifs étaient tués par le régime oustachi désirant "nettoyer" le pays entier. Des communautés grecques étaient massacrées par l'armée bulgare, des Hongrois faisaient de même pour les Serbes en Voïvodine. Pendant la guerre, les défaites s'accompagnaient toujours de migrations tragiques. Ainsi, par exemple, cinq millions d'Allemands fuiront devant l'Armée rouge. Beaucoup mourront, seront lynchés le long des routes. Il s'agissait là d'un des épisodes "héroïques" des "libérateurs", de ces "chevaliers de la liberté" qui prendront cyniquement après la guerre le rôle de procureur malgré leurs crimes impunis :"on ne peut encore oublier l'effroyable calvaire des populations, allemandes de l'est au moment de l'avancée de l'armée rouge (...) le soldat soviétique devient l'instrument d'une volonté froide, délibérée d'extermination (...) Des colonnes de réfugiés sont écrasées sous les chenilles des chars ou systématiquement mitraillées par l'aviation. La population d'agglomérations entières est massacrée avec des raffinements de cruauté. Des femmes nues sont crucifiées sur les portes des granges. Des enfants sont décapités ou ont la tête écrasée à coups de crosse, ou bien sont jetés vivants dans des auges à cochons (...) La population allemande de Prague est massacrée avec un rare sadisme. Après avoir été violées, les femmes ont les tendons d'Achille coupés et sont condamnées à mourir sur le sol d'hémorragie dans d'atroces souffrances. Des enfants sont mitraillés à la sortie des écoles, jetés sur la chaussée depuis les étages des immeubles ou noyés dans des fontaines ; au total, plus de 30 000 victimes (...) la violence n'épargne pas les jeunes auxiliaires des transmissions de la Luftwaffe jetées vivantes dans des meules de foin enflammées. Pendant des semaines, la Vltava (Moldau) charrie des milliers de corps ; certains par familles entières sont cloués sur des radeaux."(13) Voir Ph. Masson, op. cit.
Il est difficile de dire combien de femmes ont pu être violées par les soldats allemands pendant la guerre. Ce qui est certain, c'est que les forces des Alliés avançant et occupant le territoire «libéré», une autre épreuve les attendait. Il y eut un million de femmes violées en Allemagne par les troupes alliées. Rien qu'à Berlin, autour de 100 000 cas. Les estimations pour Budapest se situent dans une fourchette allant de 50000 à 100 000 viols.
Ce que nous voulons surtout souligner, c'est que loin d'être intervenus pour la "défense de la liberté", les Alliés et les grandes démocraties ne se sont impliqués dans la guerre que pour défendre des intérêts purement impérialistes. Le sort des populations et des réfugiés, ils s'en fichaient royalement tant qu'ils n'en avaient pas la charge et tant qu'ils ne pouvaient s'en servir pour exploiter leur force de travail. Ils ne faisaient jamais mention du sort des Juifs dans leur propagande durant la guerre, leur refusant même assistance, les abandonnant ainsi aux mains les nazis. Le motif d'entrée en guerre des Alliés était tout autre que celui d'une volonté de "libération". Pour la France et la Grande-Bretagne, il s'agissait en réalité de défendre "l'équilibre européen". Pour les Etats-Unis, de bloquer l'expansion et les menaces de l'URSS. Pour cette dernière, d'étendre son influence vers l'Europe de l'Ouest. Bref, des motifs et des raisons purement stratégiques, impérialistes et militaires. Rien de plus classique ! Ce n'est absolument pas pour "libérer l'Allemagne" de la "peste brune" qu'ils ont agi. Cette fable n'est qu'un montage diabolique qui a été théâtralisé au moment de la libération des camps. Tout avait été élaboré par l'état-major allié et ses politiciens soucieux de masquer leurs propres crimes (à moins d'avoir la naïveté de penser que les militaires et politiciens démocrates ne font jamais de propagande !). Si la "libération" a bien pu mettre fin aux pratiques tortionnaires de l'ennemi, c'est avant tout une conséquence indirecte de l’atteinte d’un objectif purement militaire et non pour des motifs "humanitaires". La meilleure preuve en est que les principales puissances démocratiques ont continué après la guerre à défendre des intérêts impérialistes générant de nouvelles victimes, des massacres coloniaux, de nouvelles fractures qui ont apporté aussi leurs lots de réfugiés et de miséreux.
WH (18 juillet 2015)
Dans les prochains articles, nous aborderons la même question, depuis la Guerre froide jusqu'à la chute du mur de Berlin et la période actuelle.
L'article qui suit, réalisé par Welt Revolution, organe de presse du CCI en Allemagne, est une contribution sur la question des réfugiés, telle qu'elle se pose aujourd'hui dans ce pays. Certains aspects de l'analyse ne sont pas facilement transférables à d'autres pays d'Europe. Par exemple le problème démographique traité dans cet article se présente autrement en Espagne ou en Italie où il existe un fort taux de chômage des jeunes malgré un faible taux de natalité. En raison du poids économique et politique de l'Allemagne dans l'Union Européenne et dans le monde, cet article a son importance en dehors des frontières nationales.
Lorsque, début septembre, la chancelière Merkel ouvrit largement, et de façon aussi fracassante que soudaine, les portes de la Terre promise allemande (plus ou moins ouvertes depuis) aux milliers de réfugiés campant dans des conditions indignes dans la gare centrale de Budapest et ses environs, lorsqu'elle défendit avec des paroles pleines d'émotion l'ouverture des frontières pour les réfugiés syriens face aux critiques émanant de son propre camp et qu'elle déclara malgré les protestations de plus en plus ouvertes de la part des communes littéralement débordées qu'il n'y avait pas de limite supérieure maximale à l'accueil de réfugiés politiques, le monde entier se demanda pourquoi Merkel, plutôt réputée "réfléchir en fonction des conséquences" et soupeser toutes ces conséquences avant d'agir, s'engageait dans cette "aventure". Car en fait, c'est une équation avec un bon nombre d'inconnues qui se présente à la Grande Coalition. Il se pose ainsi la question de comment stopper le flot des réfugiés ; il y a peu encore, il était question de 800 000 réfugiés devant arriver en Allemagne cette année ; des pronostics avançaient même qu'il s'agirait au moins d'un million et demi de réfugiés. Merkel semble également, ce qui est inhabituel, avoir mal calculé l'effet de la politique de la main tendue sur la population locale ; pour la première fois depuis une éternité, elle a, selon les sondages, régressé dans les faveurs de l'électorat et elle a même été dépassée par un social-démocrate (le ministre des affaire étrangères, Steinmeier). Elle rend un bien mauvais service à l'endiguement du populisme d'extrême-droite ; le flot sans fin des réfugiés majoritairement musulmans apportant de l'eau au moulin d'Alternative für Deutschland (AfD)1 qui a rattrapé dans les sondages, du moins en Thuringe, la troisième force politique, le SPD.
Pourquoi le gouvernement de coalition sous la direction de Merkel et Gabriel2 s'est-il engagé dans un jeu aussi périlleux ? S’agit-il d’une réponse au Merkel-bashing3 dans le contexte de la crise grecque pour améliorer son image ou même par pur sentimentalisme ? Peut-être l'attendrissement de Merkel, lors de son dernier "Townhall-meeting" concernant le sort de cette petite fille palestinienne menacée d'expulsion ou l'émotion débordante de Gabriel à propos du sort non moins cruel d'une famille syrienne dans le camp de réfugiés qu'il visitait en Jordanie, étaient-ils sincères. Même les politiciens bourgeois ont, c'est bien connu, une vie affective…
À notre avis, la politique de la porte ouverte a, de façon prépondérante, des causes de loin plus bassement matérielles. Elle a des motifs qui ne sont pas aussi altruistes et désintéressés que l'engagement des nombreux bénévoles au sein de la population, sans lesquels le chaos qui règne dans les centres d'accueils pour les demandeurs d'asile serait sans commune mesure encore bien plus grand. Ses mobiles ont une importance qui dépasse largement les risques et les effets induits d'une telle politique. Examinons en détail les objectifs secrètement poursuivis par la "politique de l'ouverture des frontières".
Depuis des années déjà, le thème du "problème démographique" hante les médias. D'après l'institut fédéral de statistiques, la République Fédérale est menacée par le vieillissement et la baisse de la population nationale qui décroîtrait de sept millions d'habitants pour tomber à 75 millions en 2050. Déjà, depuis la réunification en 1989, la population de l'ensemble de l'Allemagne a décru de trois millions, en particulier du fait de la chute dramatique du taux de natalité dans l'Est de l'Allemagne. Comme le montre la nombreuse littérature de ces dernières années s'y rapportant, il est clair pour la bourgeoisie allemande que si ce processus n'était pas enrayé et devait se poursuivre, il débouchera à long terme sur une considérable perte d'influence et de prestige du capitalisme allemand, tant sur les plans économique, militaire que politique.
Déjà aujourd'hui, le manque de main-d'œuvre bien formées constitue un frein à la conjoncture au demeurant forte de l'économie allemande. Dans environ un sixième de toutes les branches professionnelles, il y a un manque de personnel qualifié qui prend une telle tournure qu'il met à mal la compétitivité de bon nombre d'entreprises, à en croire les dires des cadres. Selon une étude de Prognos AG ("Arbeitslandschaft 2030") : "en 2015, il manque un bon million de diplômés du supérieur - 180 000 de plus que le nombre auquel s'attendaient les économistes pour cette même année, avant l'arrivée des réfugiés. Concernant la main-d'œuvre professionnellement qualifiée, le trou est toujours estimé à 1,3 million. Et il va même manquer aux entreprises environ 550 000 ouvriers sans qualification en 2015."4 En Allemagne de l'Est, le manque de personnel qualifié entraîne d'ores et déjà le cercle vicieux suivant : la fuite de la main-d'œuvre jeune vers l'Allemagne de l’Ouest, au taux constamment supérieur à celui des arrivants, provoque la fermeture de petites et moyennes entreprises, ce qui à son tour accélère encore le processus de départ.
Dans cette situation, le flux de nombreux réfugiés de guerre de ces dernières semaines constitue une véritable manne céleste pour l'économie allemande. Et cette dernière se montre très reconnaissante : Telekom offre son aide pour le logement et le ravitaillement des réfugiés ainsi qu’un soutien personnalisé vis-à-vis des instances officielles, Audi a dépensé un million d'euros dans des initiatives en faveur des réfugiés, Daimler et Porsche envisagent de créer des places d'apprentis pour les jeunes réfugiés, Bayer soutient les initiatives de ses employés en faveur des réfugiés. Il va de soi que la "responsabilité sociale" dont se targuent les entreprises sert en réalité leurs intérêts. Il s'agit tout bonnement de tirer profit du potentiel d'exploitation que recèlent les réfugiés.
En particulier, les réfugiés syriens représentent une source intéressante de capital humain dont les entreprises d'ici ont un besoin pressant. Premièrement, ils sont dans leur grande majorité jeunes ; ils pourraient ainsi contribuer à rajeunir la pyramides des âges dans les entreprises et - en général - faire baisser la moyenne d'âge de la société. Deuxièmement, les réfugiés syriens sont clairement mieux formés que d'autres réfugiés, comme le montrent les enquêtes de l'Office Fédéral pour la Migration et les Réfugiés.5 Plus d'un quart d'entre eux possède une formation de niveau supérieur et représente une source particulièrement lucrative de main-d'œuvre, dont les qualifications d'ingénieurs, de techniciens, de médecins, de personnel soignant entre autres sont ici ardemment recherchées. Les entreprises allemandes profitent même de ces réfugiés à un double point de vue : tout d'abord, cela leur permet de combler les déficits en main-d'œuvre ; ensuite le capital allemand tire avantage de l'effet (thématisé dans les années 70 sous le terme de "brain drain") de siphonage de la main-d'œuvre hautement qualifiée dans le tiers-monde permettant de s'épargner une part considérable de ses coûts de reproduction (c'est-à-dire les coûts d'éducation, d'école, d'université, etc.) au détriment des pays d'origine.
Venons-en au troisième avantage rendant les réfugiés syriens à ce point attractifs pour l'économie allemande. Il s'agit de l'extraordinaire motivation de ces êtres humains qui fascine tant les chefs de l'économie, tel le président de Daimler, Dieter Zetsche. La mentalité de ces êtres humains complètement impuissants, exposés durant des années à la terreur des bombes incendiaires d'Assad et à l'horreur de l'État Islamique, qui ont tout perdu de leur vie antérieure et vécu la terrible expérience de la fuite vers l'Europe, en fait des proies reconnaissantes pour le système d'exploitation capitaliste. Échappés de l'enfer, ils sont prêts à trimer durement pour de petits salaires, tout en pensant que, pour eux, tout ne peut aller que mieux. C'est exactement avec la même mentalité que les Trümmerfrauen ("les femmes des décombres")6 qui, plutôt que de se soumettre à la fatalité et de rester les bras croisés, ont déblayé et débarrassé de leurs ruines les villes allemandes dévastées à mains nues, prenant ainsi une part décisive à la reconstruction et au "miracle économique" allemand de l'après-guerre (Wirtschaftswunder)7 comme l'oublient volontiers les économistes bourgeois.
Cette énergie et cet esprit d'initiative incroyables dont témoignent aussi les réfugiés syriens offrent pour la bourgeoisie allemande une source de capital humain prometteuse de profits. En outre, tout comme les immigrés des années 1960 et 1970, ils risquent à court terme de servir de masse de manœuvre à la disposition du capital pour maintenir ou même augmenter la pression sur les salaires.
Mais les réfugiés syriens forment aussi une masse de manœuvre pour l'impérialisme allemand, comme cela s'est avéré dans les jours et semaines passés, dans le contexte de l'aggravation de la guerre civile. Et même à plus d'un point de vue. Ainsi, le gouvernement fédéral instrumentalise-t-il la question des réfugiés non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan politique, en clouant au pilori les autres pays mais aussi comme par hasard le pays traditionnels de l'immigration, notamment les États-Unis, pour leurs hésitations à accueillir des réfugiés. Ces derniers jours, nous avons pu voir de clairs indices indiquant que l'Allemagne donnait une nouvelle orientation à sa politique vis-à-vis de la Syrie. Reliant savamment le drame des réfugiés à une prétendue solution du conflit syrien, les principaux représentants de la politique étrangère allemande (Steinmeier et Genscher entre autres) en sont venus à souligner la nécessité d'intégrer la Russie, l'Iran, et même (temporairement) le massacreur Assad au processus de paix en Syrie. Bien plus, Berlin et le Kremlin sont unanimes pour faire reculer la guerre en Ukraine, afin que toutes les forces se concentrent sur la gestion de la situation en Syrie. Même le passage à l'acte de Poutine, déployant des forces militaires supplémentaires dans la ville syrienne de Lattaquié, n'a pas été une cause particulière d'irritation pour le gouvernement fédéral. Le ministre de l’Économie Gabriel réclamant même la fin des sanctions économiques envers la Russie, affirmant qu'on ne "pouvait pas d'une part maintenir à long terme les sanctions et, d'autre part, réclamer (...) la collaboration."
Avec cette réorientation, la politique allemande s'achemine, pour la première fois depuis la guerre en Irak, à nouveau vers la confrontation ouverte avec les États-Unis. Ces derniers, par le biais du Département d’État (le ministère des Affaires Étrangères) ont, ces derniers temps, haussé le ton vis à vis d'Assad et se sont montrés loin d'être amusés par la dernière offensive diplomatique de Poutine lors de la dernière assemblée générale de l'ONU. Leur attitude par rapport à l’État Islamique est en revanche pour le moins très ambivalente ; leur rôle dans la percée de l’État Islamique comme mouvement de masse a été extrêmement douteux, et la tiédeur avec laquelle les États-Unis s'y attaquent, pose toute une série de questions quant aux véritables intentions de l'impérialisme américain vis-à-vis de cette organisation terroriste.
Le changement de cours intervenu dans la politique extérieure allemande semble en partie résulter des interventions et de la pression de l'industrie allemande. Au sein de celle-ci les critiques envers les sanctions prises contre la Russie montent d'autant plus qu'il apparaît nettement que c'est l'économie allemande qui en supporte les dommages les plus importants, tandis que les grandes entreprises américaines comme Bell ou Boeing continuent à réaliser de brillantes affaires avec la Russie en dépit des sanctions. Alors que le volume des transactions de l'économie allemande dans le commerce avec la Russie s'est effondré de 30%, dans la même période le négoce entre les États-Unis et la Russie a augmenté de 6%. En plus de ces raisons économiques, des arguments politiques entrent également en ligne de compte pour le capitalisme allemand contre le maintien de l'embargo économique envers la Russie. Ne disposant pas d'un potentiel militaire de menace et de dissuasion comparable à celui des États-Unis, l'impérialisme allemand doit avoir recours à d'autres moyens pour faire valoir son influence sur le plan mondial. L'un de ceux-ci est sa puissance économique et industrielle que la politique allemande utilise pour forcer et contraindre le développement de relations commerciales. Un aspect qui montre le mélange de la politique et du business ainsi que l'instrumentalisation politique de projets économiques sont les visites d’État officielles dans des pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil ou la Russie où le chancelier (ou la chancelière) est systématiquement accompagné de tout une suite de hauts dirigeants de grandes entreprises allemandes, et même de représentants de la petite et moyenne industrie de la construction de machines-outils. En ce sens, la politique de sanction prive la bourgeoisie allemande de plus d'un contrat et va ainsi à l'encontre de ses intérêts impérialistes.
La masse de réfugiés syriens accueillie par l'Allemagne doit aussi être considérée comme un autre moyen de compenser sa faiblesse militaire - et là, la boucle est bouclée. Dans ce contexte, il ne faut pas sous-estimer l'effet politique à long terme de la pulsion profondément humaine de la reconnaissance et de la gratitude sur les relations entre des pays. L'évidente sympathie manifestée par les réfugiés profondément impressionnés par l'attitude secourable d'une grande partie de la population locale, est un point que la bourgeoisie allemande pourra faire prévaloir. Cette dette de remerciement, contractée à l'égard de l'Allemagne par bon nombre de ceux qui sont venus s'y échouer, peut à long terme devenir un sésame pour les intérêts de l'impérialisme allemand au Proche et au Moyen-Orient ; elle peut faire surgir des fractions pro-allemandes qui pourront faire du lobbying au profit des intérêts allemands dans leurs pays d'origine.
Ce qui saute immédiatement aux yeux, c'est le changement d'apparat du nationalisme allemand. Jusqu'à récemment encore (dans la crise grecque), qualifiée à l'étranger de "IVème Reich" et ses représentants volontiers caricaturés parés d'emblèmes nazis, présentés comme sans cœur et sans merci, l'Allemagne se repaît désormais de la gloire fraîchement acquise en tant que sauveuse des damnés de la terre. Les Allemands passent mondialement pour les "bons". Jamais depuis sa fondation, la réputation de la République Fédérale Allemande n'a été aussi bonne qu'aujourd'hui. En plus de son effet à l'extérieur, ce lifting exerce son rayonnement aussi vers l'intérieur, sous la forme du démocratisme. L’État allemand se donne en ce moment des allures de parangon en matière de proximité du citoyen, d'ouverture au monde et de tolérance, mettant ainsi en œuvre un processus funeste pour la classe ouvrière - de dissolution des classes sociales dans l'unité nationale. Et la chancelière Merkel, la froide physicienne, trouve visiblement un plaisir croissant dans son nouveau rôle de Sainte Mère, protectrice des demandeurs d'asile. Comment disait-elle déjà ? "Si maintenant, nous commençons à devoir nous excuser de montrer un visage amical dans les situations d'urgence, alors cela n'est pas mon pays."
On ne peut pas le dire de façon plus pertinente. Dans les faits, il s'agit exclusivement de montrer un visage sympa ; et derrière la mine amicale, on continue allègrement à traquer et à diviser. Ainsi, parallèlement à la "culture de la bienvenue", on effectue une division cynique entre les réfugiés de guerre et les "pseudo-demandeurs d'asile", une sélection sans merci des "réfugiés économiques", la plupart du temps des jeunes gens des Balkans sans perspective autre que la paupérisation. En vitesse, l’État fédéral et les Länder se sont mis d'accord pour déclarer de façon délibérée le Kosovo, la Serbie et le Monténégro être des pays sûrs et supprimer ainsi tout fondement à la demande d'asile de la part des personnes originaires de ces régions. Cependant, même les "vrais" demandeurs d'asile ne sont eux-mêmes pas épargnés par les attaques venimeuses du monde politique ou des médias, comme le montrent celles du ministre fédéral de l'Intérieur de Maizière contre des réfugiés récalcitrants.
En outre, certains médias, en dépit de toute la rhétorique jusqu’au-boutiste de la part de la chancelière ("On va y arriver !") sont infatigables pour attiser la panique et les angoisses au sein de la population nationale. On parle là de peuples entiers qui se mettraient en route vers l'Europe, ici on dénonce le péril d'attaques terroristes fomentées par les "taupes" islamistes venues avec l'armée de réfugiés et on se demande quand l'atmosphère au sein de la population va-t-elle "changer". Mais surtout, le chœur de ceux qui mettent hystériquement en garde contre le "débordement" de l'Allemagne par les masses de réfugiés et vocifèrent que la barque est pleine, prend de l'ampleur.
Il n'est pas très difficile d'apprécier laquelle des deux voies, l'ouverture ou la fermeture des frontières, finira par s'imposer. La politique des "frontières ouvertes" n'a été, on peut partir de ce principe, qu'un intermède exceptionnel, unique dans le temps ; le futur proche sera marqué par un nouveau verrouillage des frontières, aussi bien au plan national que dans l'UE. À l'avenir, comme le prévoient ses plans, la sélection des demandeurs d'asile "utiles" pour l'Allemagne doit s'opérer directement sur place, dans les pays d'origine. La campagne contre les passeurs est particulièrement perfide ; elle ne vise vraiment pas uniquement les bandes mafieuses, mais aussi tous ceux qui aident professionnellement les réfugiés à fuir sans en tirer profit. "L'Union Européenne, qui veut être un espace de liberté, de sécurité et de droit ainsi que ses États-membres ont créé un système qui rend presque impossible aux personnes poursuivies, torturées et opprimées qui ont un besoin urgent d'assistance de trouver protection en Europe sans recours à des passeurs professionnels. Traduire ces derniers devant les tribunaux et les mettre en prison, c'est hypocrite, contradictoire et profondément inhumain." écrit à ce propos le Republikanische Anwältinnen-und Anwälteverein (RAV) dans sa Lettre d'Information "Éloge des passeurs".
Il est incontestable que le monde vit avec la vague actuelle de réfugiés un drame d'une dimension qu'il n'avait encore jamais connue. En 2013, on comptait 51,2 millions de personnes déplacées, fin 2014 leur nombre atteignait 59,5 millions, soit la plus importante augmentation en l'espace d'une année et record absolu enregistré par le HCR des Nations Unies jamais atteint au niveau mondial. Il est indéniable que peu à peu les choses échappent à tout contrôle. Après la Syrie, la Libye menace aussi de déraper dans une guerre civile totale, avec toutes les conséquences identiques à la Syrie. Dans les camps de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie, où la grande majorité des réfugiés de guerre syriens ont trouvé asile, se profile la menace d'une prochaine migration de masse en direction de l'Europe, suite aux réductions drastiques de ses aides par l'ONU, la faim s'ajoutant désormais à l'absence désespérante de toute perspective.
Cependant les médias sont justement portés à sur-dramatiser les conditions déjà dramatiques et d'en rajouter encore une couche. Ainsi depuis quelques temps, le spectre d'une migration de peuples entiers hante le grand public, la télévision diffuse le scénario effroyable de millions d'Africains attendant, tous bagages prêts, de saisir la moindre occasion pour déferler et tenter leur chance en Europe. De telles assertions ne servent qu'à semer l'angoisse et la peur dans la population européenne, et, pour le moins, ne correspondent en rien aux faits. Si l'on examine de plus près les mouvements de réfugiés, on peut constater que la plus grande partie des réfugiés dans le monde cherche un abri dans les pays voisins du pays d'origine ; ce n'est que lorsque tout espoir de retour a disparu que ceux des réfugiés qui ont les moyens financiers de se le permettre, prennent la route longue et périlleuse vers l'Europe, l'Amérique du Nord ou l'Australie. La rumeur d'exodes de masse en provenance d'Afrique est jusqu’alors dépourvue de tout fondement ; les migrations sur le continent noir sont largement moins chaotiques que ne le font supposer les annonces épouvantables des médias. Fréquemment, des communautés villageoises entières vendent tous les biens et avoirs mobiliers pour financer le voyage vers l'Europe d'un seul jeune homme choisi par l'ensemble de la communauté, lequel est investi de la responsabilité de soutenir le village par la suite. Voilà quel est le modèle de migration du travail éprouvé depuis des décennies.
Cependant, effrayé par le nombre croissant de réfugiés, le gouvernement fédéral se voit contraint d'agir sur les causes profondes du drame des réfugiés, comme il dit. Mais la montagne accouche d'une souris. Tout ce qui vient à l'esprit de Merkel & Co en matière de solution sur le fond à ce problème global, ce ne sont que de belles paroles et quelques centaines de millions d'euros à sortir de la caisse pour financer les camps de réfugiés en Turquie et au Liban. Pas un mot sur la responsabilité des principales nations industrielles dans la destruction des bases d'existence de l'humanité dans le tiers-monde. Laissons encore une fois la parole au Republikanische Anwältinnen- und Anwälteverein (RAV) qui se rapproche des véritables causes de la misère des prétendus pays en développement, même s'il comporte d'une manière ou d'une autre une imprécision (que veut-on entendre par "les Européens", qui est ce "nous"?) : "L'Europe a, pour beaucoup de ces raisons, créé les causes et continue à le faire aujourd'hui encore. Les relations politiques que les puissances coloniales européennes ont laissé derrière elles après leur retrait, y inclus les tracés de frontières arbitraires, n'en sont qu'une partie. Du 16ème au 18ème siècle, les Européens ont envahi l'Amérique du Sud, pataugeant jusqu'aux cuisses dans le sang, dévalisé par bateaux entiers l'or et l'argent qui ont servi de capital de démarrage pour l'économie en train d'éclore. Les Européens ont transformé environ 20 millions d'Africains en esclaves pour les vendre dans le monde entier. Par la vampirisation de leurs matières premières, la surpêche à blanc de leurs mers, l'exploitation de leur main-d'œuvre pour la production à moindre coût et l'exportation de produits alimentaires hautement subventionnés qui anéantit l'agriculture de ces pays, nous nous trouvons aujourd'hui encore aux crochets de la population de la plupart des pays d'émigration." (Idem)
La formation des États nationaux dans les pays industrialisés au XIXe siècle reposait sur deux fondements. Le premier d'entre eux, la centralisation économique, était très rationnel ; en revanche l'autre était de nature complètement irrationnelle. La constitution en nation aux XVIIIe et XIXe siècles a eu lieu sur la base de mythes fondateurs pouvant contenir toutes sortes de récits mais qu'une idée fondamentale, un même mythe commun fictif unissait : la fable d'une grande communauté nationale, d'une famille même, se définissant par une origine commune (la "parenté du sang"), la culture et la langue. Ce trait caractéristique de la nation bourgeoise de se tourner vers l'intérieur, de se replier sur soi vis-à-vis de l'extérieur d'une part, et la tendance orientée vers l'extérieur de chaque capitaliste aspirant à la conquête du monde d'autre part, forme l'une des principales contradictions étreignant inextricablement le capitalisme.
L'actuelle crise des réfugiés montre à quel point il est délicat de concilier ces deux principes. S'il dépendait seulement des dirigeants de l'économie, le flot de réfugiés au meilleur âge de travailler ne devrait si possible jamais cesser. Cela ne leur poserait aucun problème qu'un million de réfugiés arrive annuellement. Cependant, ce qui a du sens au plan économique, peut avoir politiquement des conséquences fatales. Car, dans le capitalisme, les réfugiés ne sont pas seulement de pauvres va-nu-pieds mais en même temps des concurrents dans la lutte pour les logements, l'assistance sociale, les emplois. Ce qui n'est pas un motif d'appréhension pour les capitalistes en est un pour les allocataires Hartz IV8, les employés à bas salaire, les déracinés locaux.
Ce n'est, bien sûr, pas la première fois qu'une vague de réfugiés déferle sur l'Allemagne. Dans les cinq années de l'après-guerre (1945-50), plus de douze millions d'expulsés des anciennes provinces de l'Est et de Bohème-Moravie se dirigèrent vers l'Allemagne en ruines dont la population souffrait de privations. Il est évident qu'à cette époque, il ne pouvait être question de "culture de la bienvenue". Au contraire, les expulsés se heurtaient à une rancune, une haine et un rejet massifs de la part de la population locale. Finalement, l'intégration sociale et non seulement professionnelle des expulsés parvint à s'accomplir avec bien moins de difficultés qu'il n'était à craindre, ce qui tint à deux conditions : premièrement, au fait que les expulsés provenaient du même espace linguistique et culturel, deuxièmement, au contexte de la reconstruction qui s'enclencha (au moins en Allemagne de l'Ouest) avec la création de l'union monétaire qui aspira toute la main-d'œuvre disponible à tel point que c'étaient les patrons qui se faisaient concurrence pour la main-d'œuvre devenue rare. Aujourd'hui en revanche, les masses de réfugiés proviennent tous sans exception d'une zone culturelle et linguistique étrangère et se heurtent à une société qui, depuis de longues années, se trouve dans un mouvement de crise générale en constante aggravation où la guerre pour le partage du travail, des logements, de la formation a pris une envergure insoupçonnée, tout en catapultant des fractions de la population toujours plus importantes dans la paupérisation.
Lorsqu'à la crise générale s'ajoute le manque de perspective, l'absence d'un contre-projet social à la misère capitaliste, le populisme politique est à la noce, se nourrissant d'un phénomène que Marx a appelé "la religion de la vie quotidienne". Il s'agit de la mentalité des "petites gens" qui refuse de reconnaître que le capitalisme, à la différence des formes sociales du passé, est un système dépersonnalisé, chosifié au sein duquel le capitaliste particulier n'est pas un acteur souverain sur le marché, mais au contraire est mu par celui-ci ou, comme Engels le dit, est dominé par son propre produit, et dans lequel la classe politique est animée par les "nécessités" et non ses propres prédilections. C'est l'état d'esprit du petit-bourgeois philistin outragé qui s'insurge contre la classe dominante et vitupère "ses" représentants, mais qui finit par se jeter dans les bras de ceux qu'il invectivait il y a peu encore de "traîtres au peuple" dans l'espoir d'y trouver une protection contre les "étrangers". C'est une mentalité complètement réactionnaire célébrant le conformisme comme idéal suprême et désireuse de déchaîner des pogroms contre ceux qui pensent autrement, qui ont une autre couleur, contre tout ce qui est différent.
Le mouvement Pegida9, principalement établi dans l'Est de l'Allemagne est un exemple tout aussi parlant qu'abject de cet état d'esprit extrêmement étroit, intolérant et tartuffe. Son cri de guerre "Nous sommes le peuple" ignore complètement que la classe ouvrière, le "peuple" (pour reprendre son jargon), en Allemagne et ailleurs n'a jamais (et aujourd'hui moins encore) présenté une composition homogène telle que ce mouvement le fantasme. Son boycott de la "presse du mensonge" ainsi que ses glapissements furieux envers les partis établis (allant jusqu'à des menaces de mort envers des hommes politiques) n'illustrent que sa déconvenue quant à la "trahison" de la politique et des médias, comme si le but de ces institutions profondément bourgeoises était de restituer ou de représenter la "volonté du peuple". En réalité, leur haine débridée n’est pas dirigé contre la classe dominante mais contre les plus faibles de la société, comme le prouvent jour après jour leurs rassemblements devant les foyers de réfugiés, leurs lâches attaques contre les hébergements de réfugiés et d'étrangers. Ce qui est complètement typique du pogromisme, c'est que ce sont justement les parties de la population les moins en mesure de se défendre qui doivent leur servir de boucs-émissaires et faire les frais de leurs existences détraquées (Que l'on se réfère seulement au passé de petit criminel d'un Lutz Bachmann !)10.
Le problème du populisme et du pogromisme contraint les partis établis, en particulier les partis de gouvernement à jouer avec le feu. Ils ressemblent, dans leur action, au célèbre apprenti-sorcier qui laisse s'échapper de sa bouteille le (mauvais) génie de la panique et de la haine des étrangers, risquant ainsi d'en perdre le contrôle. Jusqu’à maintenant, au contraire de la plupart des autres États européens, la bourgeoisie allemande est parvenue à empêcher l'émergence d'un parti populiste, de gauche comme de droite, ce qui, en raison de son passé funeste, est une préoccupation particulièrement importante. Il va aussi dépendre de la manière dont la crise des réfugiés sera traitée que les choses demeurent ainsi. Tout semble indiquer que ce sont particulièrement les milieux populistes de droite qui profitent de la politique de Merkel. En plus d'AfD qui, comme nous l'avons mentionné en introduction, progresse actuellement dans les sondages d'opinion, le mouvement Pegida cité plus haut semble avoir le vent en poupe. Les "manifestations du lundi"11 à Dresde sont à nouveau fréquentées par des foules de plus de 10 000 personnes, dont le potentiel d'agression a clairement augmenté, tant par la parole que par les voies de faits.
Comment la bourgeoisie allemande s'y prend-elle avec ce problème ? Premièrement, il faut constater que, d'une part, la classe politique ne s'oppose plus aux attentats des « bas de plafond » d'extrême-droite en les banalisant et en en minimisant la gravité comme elle l'a fait jusqu'alors, mais en les qualifiant désormais de "terroristes". Cela est important dans la mesure où, en Allemagne, le terme de "terrorisme" provoque certains réflexes et des associations d'idées à la Seconde Guerre mondiale, où l'on procédait massivement à l'exécution pure et simple de prétendus saboteurs, ou bien éveille le souvenir de "l'automne allemand" de 197712 où l'on a élevé les terroristes de la RAF au rang « d'ennemi public n°1 » de l’État. En outre, en usant de l'accusation de terrorisme, l'État emploie les grands moyens pour empêcher que le harcèlement ne dépasse trop les bornes. En même temps l'AfD s'est divisée et en prend pour son grade dans les médias. Enfin, on a pu observer aussi comment politiciens et médias se sont efforcés de situer le mouvement Pegida dans la proximité du néonazisme, ce qui a toujours constitué un moyen éprouvé pour isoler socialement en Allemagne les mouvements de protestation, quelle qu'en soit la couleur.
D'autre part, les partis établis mettent tout en œuvre pour donner l'impression qu'ils comprennent les préoccupations et les angoisses de la population. Ainsi, le gouvernement fédéral tente-t-il, à coups de promesses financières et de pression morale, de décider d'autres pays de l'UE de délester l'Allemagne d'une partie des réfugiés syriens - pour l'instant sans succès. La Grande Coalition a concocté à toute vitesse une loi permettant la reconduite immédiate aux frontières ("beschleunigtes Abschiebeverfahren") et a réalisé le tour de force de commencer à l'appliquer avant même qu'elle n'entre en vigueur, uniquement dans le but de pouvoir prêcher auprès de l'électorat qu'on le protège contre la "sur-colonisation étrangère" (Überfremdung)13 . Au sein du gouvernement, il est déjà question d'un taux de reconduite aux frontières de 50% des réfugiés arrivant en Allemagne. Ce sont essentiellement le président de la CSU Seehofer et son secrétaire général Söder qui, dans ce processus où il existe un partage du travail, assument le rôle des "bad guys" et réclament avec véhémence la fermeture des frontières ainsi que la limitation du droit d'asile inscrit dans la Constitution.
En un certain sens, ces différentes conceptions au sein de la Coalition reflètent l'état d'esprit diffus existant dans la population, c'est-à-dire parmi les salariés et les chômeurs de ce pays. Il y a une minorité croissante et fortement bruyante au sein de la population en général et de la classe ouvrière en particulier, faisant plutôt partie de sa composante la moins qualifiée, le plus souvent socialisée dans le contexte de l'ex-RDA et/ou vivant des allocations étatiques, qui forme un terrain sensible aux campagnes antimusulmanes de certains chantres du monde de la politique ou de la culture (Sarrazin, Broder, Pirinçci, Buschkowsky, etc.) et dont les porte-paroles sont la CSU et certains secteurs de la CDU14. Et il y a la majorité silencieuse, qui, jusque lors avait laissé à de jeunes activistes, la plupart venant du milieu antifasciste, le soin de faire pièce au harcèlement raciste sous forme de blocages de rues et de contre-manifestations et qui s'est alors sentie obligée, au vu des images de misère des Balkans, d'exprimer fortement sa protestation contre l'inaction des États européens et son indignation vis-à-vis des exactions contre les étrangers à Dresde, Heidenau et Freital, applaudissant ostensiblement les réfugiés en leur faisant des haies d'honneurs à leurs arrivée dans les gares de Munich, Francfort ou d'ailleurs, ou en s'engageant par milliers en tant que bénévoles pour la gestion des masses de réfugiés ou en inondant les centres d'accueil de dons de toutes sortes.
La solidarisation spontanée de vastes parties de la population a, par sa force, surpris la classe dominante et l'a prise à contre-pied ; cette dernière n'étant pas disposée à promouvoir la sympathie envers les réfugiés de guerre mais plutôt à créer une atmosphère de panique et d'isolement. Cependant, Merkel révéla à nouveau son flair infaillible pour sentir les ambiances et les états d'âme au sein de la société. Exactement comme lors de l'accident nucléaire majeur (Grösster anzunehmender Unfall - GAU) de la centrale de Fukushima, où, pratiquement du jour au lendemain, elle s'est débarrassée des règles d'or des conservateurs en matière d'énergie atomique, Merkel a pris un même tournant abrupt en matière de politique d'asile résiliant au passage l'accord de Dublin qui avait jusque maintenant permis à la bourgeoisie allemande de se défausser élégamment de toute responsabilité par rapport aux réfugiés venus s'échouer en Italie et dans les autres pays de l'UE à 'frontières extérieures'.
Nous avons déjà mentionné quelques-uns des mobiles qui ont poussé Merkel à adopter sa "politique des frontières ouvertes". Il est cependant possible qu'un autre motif ait joué un rôle dans cette politique à risque. Depuis les élections au Bundestag de 2005, où la victoire qui lui paraissait acquise lui échappa parce que le chancelier en exercice Schröder était parvenu à instrumentaliser contre elle le tournant libéral qu'elle avait inauguré au congrès de Leipzig de la CDU en 2003, elle a appris quelles conséquences peut avoir la tendance des représentants politiques à ne pas tenir compte de l'état d'esprit "à la base". Imaginons quel impact auraient pu avoir les images de centaines de milliers de réfugiés abandonnés à la frontière hongroise, ainsi que les gros titres qui, dans cette éventualité, se seraient étalés pendant des mois, sur le comportement électoral de ceux qui souhaitent aujourd'hui la bienvenue aux réfugiés de guerre de Syrie.
Selon toute apparence, deux groupes dans la population sont particulièrement impliqués dans la solidarisation avec les réfugiés. D'une part des jeunes, qui, à d'autres moments et en autres lieux auraient tout aussi bien pu participer au mouvement anti-CPE ou à celui des Indignés. D'autre part, des gens plus âgés qui, ou bien du fait leur expérience propre, ou bien de par la tradition transmise par leurs parents concernant les expulsés à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, savent ce qu'est le sort des réfugiés et ne peuvent être indifférents aux camps, aux barbelés et aux déportations. Ayant grandi dans les sombres décennies du XXe siècle, cette génération est impulsivement poussée à agir différemment aujourd'hui. L'importante participation de retraités témoigne de quelque chose d'autre encore : le profond désir de rajeunissement de la société, de présence d'enfants et d'adolescents chez de nombreuses personnes âgées. Ce désir de rajeunissement se distingue de la demande de main-d'œuvre jeune de l'économie allemande. Le vieillissement de la société constitue un problème central non seulement pour le capitalisme mais tout bonnement pour l'humanité, car l'absence de jeunesse ne signifie pas seulement une privation d'une source de joie et vivre et de vitalisation pour les vieux mais bien plus la mise à mal de l'une des fonctions les plus importantes dans l'évolution de l'humanité : la transmission du trésor d'expériences à la génération des petits-enfants.
Au final, se pose la question si cette vague de solidarisation forme un mouvement de classe. Nous pensons qu'il n'en possède aucune des caractéristiques. Ce qui saute aux yeux, c'est son caractère complètement apolitique ; et, au contraire, la solidarité qui se manifeste a un caractère complètement caritatif. Il n'y a quasiment aucune discussion, aucun échange d'expériences entre jeunes et vieux, entre natifs et réfugiés (en dernier lieu aussi du fait de la barrière de la langue). Tout point de départ pour une auto-organisation, pour des structures autonomes, extra-étatiques fait défaut ; au lieu de cela, les centaines de milliers de bénévoles se font les hommes de peine d'un État qui, en dépit des gesticulations pour la galerie de Merkel, manque de tout et dont les représentants après avoir mené les bénévoles à l'épuisement par leur propre inaction rabâchent désormais leurs discours sur les "limite des capacités".
Encore une fois, la vague de solidarisation qui a traversé l'Allemagne les semaines passées ne s'est pas déroulée sur un terrain de classe. La population laborieuse, sujet principal de la solidarité, s'est dissoute presque sans laisser de traces dans le "peuple". C'était aussi le cas lors du mouvement mondial de solidarité en faveur des victimes du tsunami de 2004. Alors, comme aujourd'hui, la solidarité était dépourvue de tout caractère de classe et s'exprima dans le cadre d'une campagne interclassiste. Cependant, à la différence du tsunami qui s'est produit très loin en Asie, la misère des réfugiés se développe sous nos yeux à notre porte, si bien que la solidarité et tout ce qui la concerne prennent une toute autre dimension.
En fait, la crise des réfugiés qui ne fait que juste commencer peut devenir une question décisive pour la classe ouvrière. Il n'est pas encore fixé comment la classe ouvrière, ou plutôt ses parties prépondérantes au plan national comme international, vont régir à cet enjeu : par le développement de la solidarité ou par la démarcation et l'exclusion. Si notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d'une extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être épargné.
FT, 07/11/2015
1 Alternative pour l'Allemagne est un parti eurosceptique créé en 2013, suite aux politiques présentées comme sans alternatives menées lors de la crise de la dette dans la zone euro, il est surnommé le « parti des professeurs » car comptant parmi ses membres fondateurs de très nombreux professeurs d'économie, de finances publiques et de droit. Se présentant comme anti-euro mais pas anti-Europe, sa proposition phare est la dissolution progressive de la zone euro. Les membres du parti (qui se revendique d'être "ni de droite ni de gauche") sont unis par le sentiment que l'Allemagne a trop payé pour les autres, notamment dans les fonds de secours pour la zone euro, et réclament le retour du Mark. Il ne demande pas tant que l'Allemagne quitte la zone euro, mais que ceux qui ne respectent pas la discipline budgétaire puissent le faire (d’après Wikipédia). (NdT)
2 Ministre de l'Économie (NdT)
3 Angela Merkel étant la personnalité servant alors de cible favorite de toutes les critiques. (NdT)
4 Handelsblatt, 9 octobre 2015.
5 Bundesamt für Migration und Flüchtlinge - BAMF
6 Les femmes des décombres désignent les femmes allemandes et autrichiennes, souvent veuves ou dont les maris sont absents (soldats prisonniers, disparus ou invalides), qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, reprennent les villes en main et entreprennent leur déblaiement et la reconstruction du pays (d’après Wikipédia). (NdT)
7 Le Wirtschaftswunder (le « miracle économique ») désigne, dans l'histoire économique de l'Allemagne, la rapide croissance économique en Allemagne de l'Ouest (RFA) et en Autriche après la Seconde Guerre mondiale (d’après Wikipédia). (NdT)
8 Les réformes Hartz (du nom de leur inspirateur) sont les réformes du marché du travail prétendument « de lutte contre le chômage en vue d'améliorer le retour à l’activité des bénéficiaires d'allocations » adoptées entre 2003 et 2005 sous le mandat du chancelier socialiste G. Schröder et mises en place sous la forme de quatre lois dont la plus importante est la loi Hartz IV. (NdT)
9 Abréviation de « Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes » (Patriotes Européens contre l'Islamisation de l'Occident) , mouvement d'extrême- droite contre l'immigration islamique en Allemagne. Le mouvement a été lancé le 20 octobre 2014 par Lutz Bachmann et une douzaine de personnes. (d’après Wikipédia) (NdT)
10 Organisateur du mouvement anti-islamisation Pegida de 2014 jusque début 2015. Ancien braqueur, il est condamné à trois ans et demi de prison ferme pour seize cambriolages perpétrés dans les années 1990. Il s'enfuit en Afrique du Sud et prend une fausse identité avant d'être extradé. Il est ensuite condamné pour trafic de stupéfiants (d’après Wikipédia). (NdT)
11 Depuis le mois d'octobre 2014, le mouvement Pegida manifeste chaque lundi à 18h30 dans un parc de la ville de Dresde contre la politique d'asile du gouvernement et « l'islamisation de l'Allemagne ». (NdT)
12 L'automne allemand a été un ensemble d'événements de la fin de 1977 associés à l'enlèvement par le groupe terroriste Fraction Armée Rouge (RAF) de l'industriel et "patrons des patrons allemands" Hans Martin Schleyer et au détournement du Boeing de la Lufthansa "Landshut" par le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP). L'automne allemand a pris fin le 18 octobre avec la prise d'assaut par un commando des forces spéciales allemandes du "Landshut" sur l'aéroport de Mogadiscio, la mort de Schleyer et des figures de proue de la première génération de la RAF dans leur prison de Stammheim. Le chancelier social-démocrate Helmut Schmidt avait déclaré que "les ravisseurs [étaient] l'équivalent des nazis." (NdT)
13 Ce terme allemand difficile à rendre en français est souvent repris dans la presse tel quel sans le traduire. Dans le langage politique bourgeois, il a pris depuis les années 70 toute une palette de nuances. Actuellement, il prend plutôt l'acception de «proportion ‘excessive’ d'étrangers» et une nette coloration xénophobe. (NdT)
14 On appelle CDU/CSU la force politique formée en Allemagne au plan fédéral par les deux « partis-frères » de la droite démocrate-chrétienne et conservatrice, l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU), présente dans tous les Länder sauf en Bavière, et l'Union chrétienne-sociale (CSU), présente en Bavière seulement.
Il y a un siècle, le premier mai 1916, sur la place de Postdam à Berlin, le révolutionnaire internationaliste Karl Liebknecht donnait la réponse de la classe ouvrière à la guerre qui dévastait l’Europe et massacrait toute une génération du prolétariat. Devant une foule de quelques 10 000 ouvriers qui manifestaient en silence contre les privations qui étaient une des conséquences obligée de la guerre, Liebknecht décrit l’angoisse des familles de prolétaires qui sont confrontées à la mort au front, à la famine chez eux, en finissant son discours (qui avait aussi été reproduit et distribué dans la manifestation sous forme de tract) en brandissant le mot d’ordre « à bas la guerre » et « à bas le gouvernement », ce qui a immédiatement provoqué son arrestation malgré les efforts de la foule pour le défendre. Mais le procès de Liebknecht, le mois suivant, s’est accompagné d’une grève de 55 000 ouvriers dans les industries d’armement, menée par une nouvelle forme d’organisation sur les lieux de travail, les syndicats de base révolutionnaires. Cette grève, à son tour, a été défaite, beaucoup de ses meneurs étant envoyés au front. Mais cette grève et d’autres luttes qui bouillonnaient au sein des deux camps en guerre étaient les germes de la vague révolutionnaire qui allait éclater en Russie en 1917 et revenir en Allemagne un an plus tard, obligeant la classe dominante, terrifiée par la propagation du « virus rouge » à mettre fin à la tuerie.i
Mais ce n’était qu’un arrêt temporaire, parce que la vague révolutionnaire n’a pas mis fin au capitalisme déclinant et à sa dérive inévitable vers la guerre. L’accord de paix « des prédateurs » imposé à l’Allemagne par les vainqueurs mettait déjà en mouvement un processus qui – sous le fouet de la crise économique mondiale des années 1930 – allait plonger le monde dans un holocauste encore plus destructeur en 1939-1945. Même avant que cette guerre ne soit finie, les lignes de front d’une autre guerre mondiale étaient déjà fixées, avec l’Amérique d’un côté et l’URSS de l’autre, des blocs militaires rivaux établis qui allaient manœuvrer pendant les 4 ou 5 décennies suivantes pour des positions à travers toute une série de conflits locaux : Corée, Vietnam, Cuba, Angola, guerres arabo-israéliennes…
Cette période – la soi-disant « guerre froide » qui n’était pas si froide pour des millions de gens qui sont morts sous le drapeau de la « libération nationale », ou la défense du « monde libre contre le communisme » - fait partie de l’histoire, mais la guerre elle-même est plus répandue que jamais. La désintégration des blocs impérialistes après 1989 n’a pas, en dépit des promesses des politiciens et de leurs philosophes appointés, mené à un « nouvel ordre mondial » ou à la « fin de l’histoire » mais à un désordre mondial grandissant, à une succession de conflits chaotiques qui portent en eux une menace pour la survie de l’humanité, comme le spectre de la troisième guerre mondiale avec l’arme nucléaire qui pesait sur la période précédente.
Nous nous trouvons donc en 2016 confrontés à tout un éventail de guerres, de l’Afrique, jusqu’à l’Asie centrale, en passant par le Moyen Orient ; avec des tensions croissantes en Orient où le géant chinois se dresse contre ses rivaux japonais et surtout américain ; avec un feu actif qui couve en Ukraine où la Russie cherche à regagner la gloire impérialiste qu’elle a perdue avec l’écroulement de l’URSS.
Comme la guerre en ex-Yougoslavie, un des premiers conflits majeurs dans la période « post-blocs », la guerre en Ukraine a lieu aux portes mêmes de l’Europe, proche des bastions classiques du capitalisme mondial, et donc des plus importantes fractions de la classe ouvrière internationale. Les flux de réfugiés qui cherchent à s’échapper des zones de guerre en Syrie, Irak, Libye, Somalie ou Afghanistan, fournissent une preuve de plus que l’Europe n’est pas une île coupée du cauchemar militaire qui s’est abattu sur une grande partie de l’humanité. Au contraire, les classes dominantes des pays centraux du capitalisme, des « grandes démocraties », ont été un élément actif dans la prolifération des guerres dans cette période, avec toute une série d’aventures militaires à la périphérie du système, depuis la première guerre du golfe en 1991 jusqu’à l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak au début du 21ème siècle et aux campagnes de bombardements plus récentes en Libye, Irak et Syrie. Ces aventures ont en retour mis un coup de pied dans le nid de frelons du terrorisme islamique, qui n’a cessé de prendre une revanche sanglante contre les centres capitalistes, depuis les attaques contre les Twin Towers en 2001 jusqu’au massacre à Paris en 2015.
Si la crise des réfugiés et les attaques terroristes nous rappellent constamment que la guerre n’est pas une réalité « étrangère », l’Europe et les Etats-Unis apparaissent encore comme des « paradis » comparés à une bonne partie du monde. Cela se voit dans le fait même que les victimes des guerres en Afrique ou au Moyen-Orient – ou de la pauvreté qui les broie et des guerres de la drogue au Mexique et en Amérique Centrale – sont prêtes à risquer leurs vies pour accéder aux rivages de l’Europe ou à traverser la frontière américaine. Et certainement, malgré toutes les attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière qu’on a connues au cours des dernières décennies, malgré la croissance de la pauvreté et de l’exclusion liée au logement dans les grandes villes d’Europe et des Etats-Unis, les conditions de vie moyennes du prolétariat paraissent encore comme un rêve inaccessible à ceux qui ont été directement soumis aux horreurs de la guerre – un contraste frappant avec la période 1914-1945.
Est-ce parce que les gouvernants ont appris des leçons de 1914-18 ou de 1939-45 et ont constitué de puissantes organisations internationales, que la guerre entre les grands pouvoirs est impensable ?
Il y a eu bien sur d’importants changements dans le rapport de force entre grandes puissances depuis 1945. Les Etats-Unis sont sortis de la 2ème guerre mondiale comme les réels vainqueurs et ont été à même d’imposer leurs conditions aux puissances prostrées d’Europe : plus de guerres entre puissances d’Europe de l’Ouest, mais cohésion économique et militaire en tant que partie du bloc impérialiste sous la houlette des Etats-Unis pour faire face à la menace de l’URSS. Même si le bloc occidental a perdu cette raison majeure de son existence après la chute de l’URSS et de son bloc, l’alliance entre les ex-rivaux acharnés au cœur de l’Europe – France et Allemagne – s’est maintenue relativement fermement.
Tout cela et d’autres éléments entrent dans l’équation et on peut en prendre connaissance dans le travail des historiens académiques et des politologues. Mais il y a un élément clef dont les commentateurs bourgeois ne parlent jamais. C’est la vérité contenue dans les premières lignes du Manifeste Communiste : que l’histoire est l’histoire de la lutte des classes, et que toute classe dominante digne de ce nom ne peut se permettre d’ignorer la menace potentielle que constitue la grande masse de l‘humanité qu’elle exploite et opprime. C’est particulièrement pertinent quand il s’agit de faire la guerre, parce que la guerre capitaliste plus que toute autre chose, requiert la soumission et le sacrifice du prolétariat.
Dans la période avant et après 1914, les classes dominantes en Europe ont toujours eu l’inquiétude qu’une grande guerre n’entraine une réponse révolutionnaire de la classe ouvrière. Elles ne se sentaient assez confiantes pour faire les derniers pas fatals vers la guerre que quand elles avaient l’assurance que les organisations que la classe ouvrière avait construites pendant des décennies, les syndicats et les partis socialistes, n’allaient plus adhérer à leurs déclarations internationalistes officielles et allaient en fait les aider à envoyer les ouvriers sur les champs de bataille. Comme nous l’avons déjà souligné, la même classe dominante (même si elle devait, dans certains cas, prendre une nouvelle forme, comme en Allemagne, où les « socialistes » ont remplacé le Kaiser) a été obligée de mettre fin à la guerre pour bloquer le danger d’une révolution mondiale.
Dans les années 1930, une nouvelle guerre se préparait grâce à une défaite bien plus brutale et systématique de la classe ouvrière – pas seulement via la corruption des ex-organisations révolutionnaires qui s’étaient opposées à la trahison des socialistes, pas seulement grâce à la mobilisation idéologique de la classe ouvrière sur la « défense de la démocratie » et de « l’antifascisme », mais aussi grâce à la terreur non déguisée du fascisme et du stalinisme. L’imposition de cette terreur a été aussi prise en main par les démocraties à la fin de la guerre : quand les possibilités de révoltes de la classe ouvrière se sont vues en Italie et en Allemagne, les Anglais en particulier, se sont assurés qu’elles n’atteindraient jamais les sommets d’un nouveau 1917, avec des frappes aériennes massives sur des concentrations ouvrières ou en donnant du temps aux bourreaux fascistes pour éliminer le danger sur le terrain.
Le boom économique qui suivit la 2ème Guerre mondiale et le déplacement des conflits impérialistes aux marges du système signifiaient qu’un conflit direct entre les deux blocs dans la période allant de 1945 à 1965 pouvait être évité, même s’il a été dangereusement proche à certains moments. Dans cette période, la classe ouvrière n’avait pas encore récupéré de sa défaite historique et n’était pas un facteur majeur dans le blocage de la marche à la guerre. La situation a cependant changé après 1968. La fin du boom d’après-guerre a été confrontée par une nouvelle génération de la classe ouvrière qui n’était pas défaite et qui s’est engagée dans une série de luttes importantes, dont le signal a été la grève générale en France en 1968 et « l’automne chaud » en Italie en 1969. Le retour de la crise économique ouverte a aiguisé les tensions impérialistes et donc le danger d’un conflit direct entre les blocs, mais ni d’un côté ni de l’autre des camps impérialistes, la classe dominante ne pouvait être sure qu’elle serait capable de persuader les ouvriers d’arrêter de lutter pour leurs propres intérêts matériels et de tout abandonner pour une nouvelle guerre mondiale. La grève de masse en Pologne en 1980 l’a fortement démontré. Bien qu’elle ait été finalement défaite, elle montrait clairement aux fractions les plus intelligentes de la classe dominante russe qu’ils ne pourraient jamais compter sur les travailleurs de l’Europe de l’Est (et probablement pas sur ceux en Russie même, qui avaient aussi commencé à lutter contre les effets de la crise), pour faire partie d’une offensive militaire désespérée contre l’occident.
Cette incapacité à faire adhérer la classe ouvrière à ses projets de guerre a donc été un élément essentiel dans l’éclatement des deux blocs impérialistes et le report de toute perspective d’une 3ème guerre mondiale classique.
Si la classe ouvrière, même quand elle n’a pas encore pris conscience du réel projet historique qui lui soit propre, peut avoir un poids aussi important dans la situation mondiale, cela doit surement être pris en compte quand on considère les raisons pour lesquelles le flux des guerres n’a pas encore atteint les pays centraux du capitalisme ? Nous devons aussi considérer la question sous un autre angle : s’il y a tant de barbarie et de destructions irrationnelles qui déferlent sur l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale, n’est ce pas parce que la classe ouvrière y est faible, parce qu’elle a peu de traditions de lutte et de politique de classe indépendante, parce qu’elle est dominée par le nationalisme, par le fondamentalisme religieux – et aussi par les illusions qu’en parvenant à la « démocratie », un pas en avant serait fait ?
On peut mieux le comprendre en examinant le sort des révoltes qui ont balayé le monde arabe (et Israël…) en 2011. Dans les mouvements qui présentaient la plus forte empreinte de la classe ouvrière, même s’ils impliquaient différentes couches de la population, - Tunisie, Egypte et Israël – il y a eu des avancées importantes dans la lutte : tendances à l’auto-organisation et aux assemblées de rue, à abolir les divisions religieuses, ethniques et nationales. Ce furent ces éléments qui allaient inspirer les luttes en Europe et aux Etats-Unis la même année, et surtout le mouvement des Indignés en Espagne. Mais le poids de la classe dominante, l’idéologie sous la forme de nationalisme, de religion et les illusions sur la démocratie bourgeoise étaient encore très fortes dans chacune de ces trois de révoltes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les amenant à de fausses solutions, comme en Egypte où, après la chute de Moubarak, un gouvernement islamiste répressif a été remplacé par un gouvernement militaire encore plus répressif. En Libye et en Syrie, où la classe ouvrière est beaucoup plus faible et n’a eu que peu d’influence sur les révoltes au début, la situation a rapidement dégénéré dans des conflits militaires multiples, alimentés par des puissances régionales et mondiales qui cherchent à avancer leurs pions (comme on l’a décrit iciii, et iciiii). Dans ces pays, la société elle-même s’est désintégrée, démontrant de façon très illustrative ce qui peut arriver si les tendances d’un capitalisme sénile à l’autodestruction ne sont pas freinées. Dans une telle situation, tout espoir d’une réponse prolétarienne est perdu, et c’est pourquoi la seule solution pour tant de gens est d’essayer de s’en sortir, de fuir les zones de guerre, quels que soient les risques.
Dans la période entre 1968 et 1989, la lutte de classe a été un obstacle à la guerre mondiale. Mais aujourd’hui, la menace de guerre prend une forme différente et plus insidieuse. Pour embrigader la classe ouvrière dans deux grands blocs organisés, la classe dominante aurait besoin à la fois de briser toute résistance au niveau économique et d’entraîner la classe ouvrière derrière des thèmes idéologiques qui justifient un nouveau conflit mondial. En bref, cela exigerait la défaite idéologique et physique de la classe ouvrière, de façon similaire à ce que le capitalisme avait réussi à faire dans les années 30. Aujourd’hui, cependant, en l’absence de blocs, la propagation de la guerre peut prendre la forme d’un glissement graduel, sinon accéléré, dans une myriade de conflits locaux et régionaux qui impliquent de plus en plus de puissances locales, régionales et, derrière elles, mondiales, ravageant de plus en plus des parties de la planète et qui – combinés avec la destruction rampante de l’environnement naturel et du tissu même de la vie sociale – pourraient signifier une descente irréversible dans la barbarie, éliminant une fois pour toute et pour tous la possibilité de faire passer la société à un niveau supérieur.
Ce processus, que nous décrivons comme la décomposition du capitalisme, est déjà bien avancé dans des endroits comme la Libye et la Syrie. Pour empêcher que ce niveau de barbarie ne s’étende aux centres du capitalisme, la classe ouvrière a besoin de plus qu’une force passive – et plus qu’une simple résistance sur le plan économique. Elle a besoin d’une perspective politique positive. Elle a besoin d’affirmer la nécessité d’une nouvelle société pour le communisme authentique préconisé par Marx et tous les révolutionnaires dans son sillage. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait peu de signes de l’émergence d’une telle perspective. La classe ouvrière a traversé une longue et difficile expérience depuis la fin des années 1980 : des campagnes intenses de la bourgeoisie sur la mort du communisme et la fin de la lutte de classe ont été menées contre toute idée que la classe ouvrière puisse avoir son propre projet pour la transformation de la société. En même temps, l’avancée sans répit de la décomposition ronge les entrailles de la classe, sapant sa confiance dans le futur, engendrant le désespoir, le nihilisme, toutes sortes de réactions désespérées depuis l’addiction à la drogue jusqu’au fondamentalisme religieux et à la xénophobie. La perte d’illusions dans les partis « ouvriers » traditionnels, en l’absence d’alternative claire, a accru l’éloignement de la politique ou a donné un élan à de nouveaux partis populistes de droite et de gauche. Malgré une certaine revitalisation des luttes entre 2003 et 2013, le reflux de la lutte de classe et de la conscience de classe, qui était palpable dans les années 1990, semble maintenant encore plus enraciné.
Ce ne sont pas les seules difficultés auxquelles fait face la classe ouvrière. Aujourd’hui, le prolétariat, à la différence de 1916, ne fait pas face à une situation de guerre mondiale dans laquelle toute forme de résistance est obligée de prendre un caractère politique dès le début, mais à une crise économique qui s’approfondit lentement, managée par une bourgeoisie très sophistiquée qui a jusqu’à maintenant réussi à épargner aux ouvriers des centres du système les pires effets de la crise et, surtout, une implication massive dans un conflit militaire. D’ailleurs, quand il s’agit d’une intervention militaire dans les régions périphériques, la classe dominante des centres est très prudente, n’employant que des forces professionnelles et même en préférant ensuite les frappes aériennes et les drones pour minimiser la perte en vies de soldats qui peut mener à la contestation dans l’armée et chez elle.
Une autre différence importante entre 1916 et aujourd’hui : en 1916, des dizaines de milliers d’ouvriers ont fait grève en solidarité avec Liebknecht. Il était connu des ouvriers parce que le prolétariat, malgré la trahison de l’aile opportuniste du mouvement ouvrier en 1914, n’avait pas perdu le contact avec toutes ses traditions politiques. Aujourd’hui, les organisations révolutionnaires sont une minuscule minorité pratiquement inconnue dans la classe ouvrière. C’est encore un autre facteur qui inhibe le développement d’une perspective politique révolutionnaire.
Avec tous ces facteurs apparemment accumulés contre la classe ouvrière, est-ce que cela a encore un sens de penser qu’un tel développement est possible aujourd’hui ?
Nous avons décrit la phase actuelle de décomposition comme la phase finale de la décadence du capitalisme. En 1916, le système entrait seulement dans son époque de déclin et la guerre s’est produite bien avant que le capitalisme ait épuisé toutes ses possibilités économiques. Au sein de la classe ouvrière, il y avait encore de profondes illusions sur l’idée que si on pouvait seulement mettre fin à la guerre, il serait possible de revenir à l’époque du combat pour des réformes graduelles au sein du système – illusions sur lesquelles a joué la classe dominante en mettant fin à la guerre et en installant le parti social-démocrate au pouvoir dans un pays central comme l’Allemagne.
Aujourd’hui, la décadence du capitalisme est beaucoup plus avancée et le manque d’un futur assuré ressenti par beaucoup est une réelle réflexion sur l’impasse du système. La bourgeoisie n’a manifestement aucune solution à la crise économique qui traîne depuis plus de quatre décennies, aucune alternative au glissement dans la barbarie militaire et à la destruction de l’environnement. En bref, les enjeux sont encore plus élevés qu’ils ne l’étaient il y a cent ans. La classe ouvrière est face à un énorme défi – la nécessité de donner sa propre réponse à la crise économique, à la guerre et au problème des réfugiés, de donner une nouvelle vision des rapports de l’homme avec la nature. Le prolétariat a besoin de plus qu’une simple série de luttes sur ses lieux de travail – il a besoin de faire une critique totale de tous les aspects de la société capitaliste, à la fois théoriquement et pratiquement. Il n’est pas étonnant que la classe ouvrière, confrontée à la perspective offerte par la société capitaliste et à la difficulté immense de dégager sa propre perspective, tombe dans le désespoir. Et cependant, nous avons vu des lueurs d’un mouvement qui commence à chercher cette alternative, surtout le mouvement des Indignés en Espagne qui, en 2011, a ouvert la porte non seulement à l’idée d’une nouvelle forme d’organisation sociale – contenue dans le mot d’ordre « tout le pouvoir aux assemblées » - mais aussi à s’instruire lui-même sur le système qu’il remettait en question et avait besoin de remplacer.
La nouvelle génération de prolétaires qui ont mené cette révolte est sans doute encore extrêmement inexpérimentée, manque de formation politique et ne se voit pas elle-même comme classe ouvrière. Cependant les formes et les méthodes de lutte qui sont apparues dans ces mouvements – telles que les assemblées – étaient souvent profondément enracinées dans les traditions des luttes de la classe ouvrière. Et même plus important encore, le mouvement en 2011 a vu l’émergence d’un internationalisme authentique, expression du fait que la classe ouvrière d’aujourd’hui est plus globale qu’elle ne l’était en 1916 ; qu’elle fait partie d’un immense réseau de production, distribution et communication, qui relie toute la planète ; et qu’elle partage la plupart des mêmes problèmes fondamentaux dans tous les pays, en dépit des divisions que la classe exploiteuse essaie toujours d’imposer et de manipuler. Les Indignés étaient très conscients qu’ils repartaient de là où les révoltes au Moyen-Orient en étaient restées, et certains d’entre eux se voyaient même comme faisant partie d’une « révolution mondiale » de tous ceux qui sont exclus, exploités et oppressés par cette société.
Cet internationalisme embryonnaire est extrêmement important. En 1916-17, l’internationalisme était quelque chose de très concret et d’immédiat. Il prenait la forme de fraternisation entre soldats d’armées ennemies, de désertion de masse, de mutineries, de grèves et de manifestations contre la guerre sur le front intérieur. Ces actions étaient la réalisation pratique des mots d’ordre mis en avant par les minorités révolutionnaires quand la guerre a éclaté : « l’ennemi principal est dans notre pays » et « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile ».
Aujourd’hui, l’internationalisme commence souvent sous des formes plus négatives et abstraites en apparence : dans la critique du cadre bourgeois de l’Etat-nation pour résoudre le problème de la guerre, du terrorisme et des réfugiés ; dans la reconnaissance de la nécessité d’aller au-delà des Etats- nations concurrents pour surmonter les crises économiques et écologiques. Mais, à certains moments, il peut prendre une forme plus concrète : dans les liens internationaux à la fois physiques et numériques, entre participants des révoltes de 2011 ; dans des actes spontanés de solidarité envers les réfugiés de travailleurs dans les pays centraux, souvent en bravant la propagande xénophobe de la bourgeoisie. Dans certaines parties du monde, bien sûr, la lutte directe contre la guerre est une nécessité, et là où existe une classe ouvrière significative, comme en Ukraine, nous avons vu des signes de résistance à la conscription et des manifestations contre les restrictions causées par la guerre, bien qu’ici encore, le manque d’une opposition prolétarienne cohérente au militarisme et au nationalisme ait sérieusement affaibli la résistance à la marche à la guerre.
Pour la classe ouvrière des pays centraux, l’implication directe dans la guerre n’est pas à l’ordre du jour immédiatement, et la question de la guerre peut encore sembler éloignée des préoccupations de tous les jours. Mais comme l’ont déjà montré la « crise des réfugiés » et les attaques terroristes dans ces pays, la guerre va devenir de plus en plus un souci quotidien pour les ouvriers des pays centraux du capital, qui sont les mieux placés, d’un côté, pour approfondir leur compréhension des causes sous-jacentes de la guerre et de sa connexion avec la crise globale, historique, du capitalisme ; et de l’autre côté pour frapper la bête au cœur, les pays centraux du système impérialiste.
Amos, 16.1.16
i Pour une vision plus en profondeur de ces événements, voir la Revue Internationale n°133 : « Allemagne 1918-19. Il y a 90 ans, la révolution allemande : face à la guerre le prolétariat renoue avec ses principes internationalistes [548] »
Dans ses interventions, comme pour bien d'autres personnalités, le porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, disait à propos du mouvement contre la loi « Travail » de la ministre El Khomri : « on va peut-être vers un mouvement type CPE... » Cette référence au CPE est effectivement très présente dans les médias et dans certains discours de syndicalistes. Il y a tout juste 10 ans se déployait un vaste mouvement de la jeunesse ouvert aux salariés, chômeurs et précaires, contre le CPE, qui avait conduit, fait assez unique depuis des années, à un recul du gouvernement, l'obligeant même à abandonner son projet. Ce mouvement de 2006 fut un affront pour la bourgeoisie française. Depuis, elle fait tout pour en effacer les traces en dénaturant chaque fois que possible la signification de ce que fut cette lutte. Ces traces sont en effet porteuses d'expériences et ont marqué les mémoires au sein de la classe ouvrière : aujourd'hui encore, avec bonheur, ceux qui, à l'époque, y ont participé le commémore alors que les plus jeunes cherchent à savoir ce que fut cette expérience, et cela, toute proportion gardée, un peu comme pour Mai 68 qui a laissé son empreinte dans les esprits.
Il n'est ainsi pas étonnant que la référence au mouvement anti-CPE soit assortie de contre-vérités. Un tel battage publicitaire aujourd'hui, dans la bouche de nos ennemis de classe bourgeois, de ceux qui veulent cette « réforme » à l'encontre des exploités, ne sert qu'une propagande destinée à faire passer l'attaque et à dénaturer au passage les leçons de ce mouvement anti-CPE contre la conscience ouvrière.
La première contre-vérité, c'est que les conditions du développement de ce mouvement de 2016 seraient similaires à celles de 2006, que les syndicats auraient été les promoteurs combatifs du mouvement anti-CPE et qu'ils seraient finalement encore aujourd'hui les seuls garants d'une lutte « efficace » et « victorieuse ». Mensonges ! La réalité est que le mouvement anti-CPE avait spontanément été pris en main dès le début par les étudiants eux-mêmes, en dehors et contre les directives syndicales qui faisaient alors profil bas pour tenter de « prendre le train en marche » (bon nombre de jeunes bureaucrates syndicalistes, voulant animer les AG, se faisaient d’ailleurs souvent éjecter, parfois manu-militari, par les participants, sur décision des mêmes AG). En essayant de faire oublier cela et en vantant « l'exemplarité » de la lutte anti-CPE, les syndicats se présentent donc comme les véritables artisans de cette lutte, redorant frauduleusement leur image à bon compte.
La deuxième contre-vérité est celle qui consiste à faire croire qu'il serait possible, dans l'état actuel du rapport de force politique entre les classes, de faire reculer le gouvernement. Rien n'est plus faux que d'affirmer que ce dernier serait « acculé ». En réalité, l'initiative du mouvement par les centrales syndicales a non seulement pour objet de dénaturer la lutte anti-CPE, mais aussi de permettre aux syndicats de tenter faire oublier leur complicité avec le PS et le gouvernement Hollande dans toutes les attaques qui ont été menées. Contrairement à l'ère Sarkozy, où ils pouvaient jouer plus facilement leur rôle mystificateur d'opposants, les syndicats ont été jusqu'ici particulièrement discrets et bienveillants à l'égard du PS et de ses attaques contre les conditions de vie des ouvriers.
Pour ces raisons, nous jugeons important de réfléchir à nouveau sur l’expérience de 2006. Nous republions donc ici certains de nos articles qui tentaient à l'époque de tirer les premières leçons de cette lutte qui reste très importante pour le futur et la lutte de classe.
RI, 19/03/2016
France : Salut aux jeunes générations de la classe ouvrière [435]
Solidarité de tous les travailleurs salariés avec les étudiants et lycéens en lutte contre le CPE! [551]
Le mouvement contre le CPE en 2006 : une lutte exemplaire pour la classe ouvrière [552]
Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France [186]
Mon expérience dans le CCI de Devrim est parue d’abord sur le forum web anarchiste Libcom en 2012.1 C’était par définition un compte-rendu personnel, basé sur des anecdotes et des impressions sur la vie dans le CCI plutôt qu’une critique générale des principes politiques du CCI dans leur ensemble. Comme il ne pouvait y avoir d’argument sur des sentiments personnels, nous avons eu tendance à laisser passer les critiques, en particulier parce que Devrim avait déclaré qu’il ne voulait pas engager de débat sur ce compte-rendu. Il avait de toute façon quitté l’organisation sans justifier politiquement son départ.
Nous croyons maintenant que ces critiques personnelles demandent une réponse parce que les questions qu’elles soulèvent ont un intérêt général aujourd’hui, alors même que les conditions fondamentales du militantisme révolutionnaire sont remises en question, y compris parmi ceux qui se considèrent comme faisant partie de la Gauche Communiste.
Nous en sommes venus à réaliser que ce rapport personnel au CCI est supposé être une analyse politique en elle-même : une interprétation personnelle vue comme suffisante pour juger le CCI comme étant une organisation qui a fait son temps.
La critique de Devrim l’a donc amené à répéter en plusieurs occasions sa conviction que le CCI allait mourir. Dans un e-mail à un membre du CCI en 2013, il a écrit, en réponse à la critique qu’il devrait partir des principes politiques du CCI : « Je pense que le point de vue selon lequel on devrait aborder les positions politiques d’une organisation appartient à la façon de penser d’un âge révolu. Le CCI va mourir, et il le fera, pas parce que les gens s’engagent ou réfutent ses positions politiques, mais précisément pour la raison opposée : parce que les gens ne veulent pas même se soucier de le faire. Bien sûr, cela renvoie à un problème plus général de dépolitisation au sein de la société, mais pour un observateur extérieur, il semble que le CCI essaie activement de boucler le cercle de son isolement.»
Le CCI mourra, affirme-t-il, non pas parce que ses positions politiques ou ses principes seraient erronés ou seraient devenus démodés et auraient besoin d’être remplacés par d’autres qui correspondent à l’évolution des besoins et des objectifs de la lutte de la classe ; il va plutôt disparaitre à cause d’un désintérêt général pour les positions politiques elles-mêmes. L’incapacité du CCI à s’adapter à ce désintérêt et à l’ennui actuel vis-à-vis de la politique dans la population et même chez ceux qui voudraient être révolutionnaires, et le fait qu’il insiste au contraire sur la défense et l’élaboration de ses principes politiques, conduira à son complet isolement et à sa disparition. C’est la pensée essentielle de Devrim.
Dans son rapport Mon expérience…, Devrim, fidèle à sa vision, ne « prend pas en compte les positions politiques » du CCI, mais donne une série d’impressions et d’opinions, pour la plupart négatives, sur la vie dans l’organisation, sur son processus d’intégration de nouveaux membres, sur son mode de centralisation et ses débats. Nous reviendrons sur certaines de ces questions plus loin dans cet article. Mais d’abord, nous voulons examiner à quel point les positions politiques et les principes sont importants dans la conception d’une organisation révolutionnaire.
Dans le passé, les partis et organisations marxistes ont fréquemment disparus, quelquefois à un âge relativement jeune. L’exemple le plus évident est l’effondrement brutal de la IIe Internationale en 1914, après que les principaux partis qui la constituaient aient trahi leurs principes politiques internationalistes, rejoint leurs bourgeoisies impérialistes et contribué à envoyer des millions d’ouvriers se massacrer entre eux dans les tranchées. La IIIe Internationale a péri aussi après l’adoption du slogan : « pour le socialisme dans un seul pays », puisqu’elle devenait un instrument de l’État russe et préparait la classe ouvrière au carnage impérialiste de la Seconde Guerre mondiale.2
Dans ces deux exemples majeurs du mouvement marxiste révolutionnaire, l’organisation a disparu à cause d’un abandon progressif des principes politiques, en particulier du plus important pour la classe ouvrière – l’unité et l’action internationales face à la guerre impérialiste ou face à ses préparatifs. Ces organisations marxistes sont donc mortes (au moins pour autant que les intérêts de la classe ouvrière étaient concernés) non pas du fait d’un échec à s’adapter à la tendance générale de la société, mais à l’inverse parce qu’elles s’y étaient adaptées en cédant à la pression de la bourgeoisie internationale et avaient abandonné les positions politiques prolétariennes. Nous pensons donc que la réalité est diamétralement opposée à la logique de Devrim. En fait, si nous utilisons l’histoire révolutionnaire comme guide, le CCI disparaîtrait vraisemblablement s’il abandonnait ou minimisait l’importance de ses positions politiques comme une façon de s’accommoder au désintérêt de la politique qui prévaut et s’il échouait à rester ferme et à développer théoriquement celles-ci et d’autres principes fondamentaux par crainte de se retrouver isolé. Nous tirons donc une conclusion opposée à celle de Devrim.
Si le mouvement marxiste révolutionnaire a connu des périodes de trahison et de mort organisationnelle comme celles déjà mentionnées, il peut aussi offrir des exemples magnifiques de ces périodes dans lesquelles les minorités marxistes ont souffert de l’isolement le plus brutal pour maintenir les positions politiques et créer une corde de sauvetage pour les nouvelles organisations révolutionnaires de l’avenir. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg qui sont allés en prison (travaux forcés dans le cas de Liebknecht) et ont ensuite été assassinés à cause de leur combat internationaliste contre la Première Guerre mondiale, ont contribué à inspirer la Révolution d’Octobre et la formation de l’Internationale Communiste. Ou alors, les militants à peine connus de la Gauche Communiste qui se sont exposés (et en ont été souvent victimes) à la terreur à la fois de la Gestapo et des Résistants, pour défendre les principes internationalistes pendant la Deuxième Guerre mondiale, en maintenant en vie la tradition que nous défendons aujourd’hui.
Les organisations révolutionnaires d’aujourd’hui mériteraient difficilement l’appellation de « Gauche Communiste » si elles n’étaient pas capables de résister aux conditions relativement soft d’isolement qu’elles peuvent subir aujourd’hui face au dégoût général de la politique. Elles peuvent sûrement supporter la ridiculisation et l’ostracisme qui peuvent s’exercer sur les militants révolutionnaires aujourd’hui, quand on mesure les conditions terribles auxquelles ont été confrontés leurs prédécesseurs dans le passé.
La capacité de préserver et de développer une pensée politique révolutionnaire face à un isolement souvent extrême est importante pour évaluer si une organisation révolutionnaire mérite d’exister.
Le CCI mériterait donc de mourir en tant qu’authentique courant de la Gauche Communiste… s’il suivait les critiques de Devrim et sous-estimait l’importance des positions politiques en les prenant comme « façon de penser d’un âge révolu ». Le CCI se développe sur sa capacité à maintenir et développer les positions politiques appropriées pour la classe ouvrière dans la période actuelle et à venir. On reviendra aux conditions actuelles de la lutte de la classe ouvrière plus loin. D’abord, quelques observations générales sur l’importance des positions politiques.3
Marx, à la suite d’Aristote, le philosophe de la Grèce antique, a défini l’homme comme un animal politique : « L'homme est, au sens le plus littéral, un animal politique, non seulement un animal sociable, mais un animal qui ne peut se constituer comme individu que dans la société. » (Introduction générale à la critique de l’économie politique, 1857). Par extension, le terme « politique » a une signification générale (et va donc au-delà des machinations corrompues des partis de l’État bourgeois) : la tentative de l’homme de déterminer la direction de la société dans son ensemble et donc son propre futur.
Dans la longue histoire de la société divisée en classes, les masses exploitées ont été complètement exclues de sa direction politique. Cependant, dans le capitalisme, la dernière forme de société de classes, la classe ouvrière a été capable de s’imposer sur la scène politique et de former des partis politiques. Cette capacité d’exprimer ses intérêts sous une forme politique est en dernière instance un résultat du fait, qu’à la différence des classes exploitées précédentes, la classe ouvrière est une classe révolutionnaire qui porte en elle un mode de production entièrement nouveau pour remplacer le capitalisme.
La lutte de la classe ouvrière dans le capitalisme, quand elle est menée jusqu’à une conclusion couronnée de succès, mène au renversement de la bourgeoisie et à la dictature du prolétariat. L’acte politique suprême, l’arrivée au pouvoir politique de la classe ouvrière, est la condition pour l’établissement ultime d’une société sans classes – le communisme. Le développement de la conscience du prolétariat est la reconnaissance de ses intérêts politiques et historiques en tant que classe, exprimée, bien que non exclusivement, dans la formation de partis politiques. La classe ouvrière, ayant un besoin inné de mener la société au socialisme, doit s’unifier sur les définitions politiques de ce qu’elle est, de ce qu’elle doit faire en tant que classe. Les positions politiques sont les éléments constitutifs de la plateforme de l’organisation politique révolutionnaire – ce qui distingue les perspectives de la classe ouvrière des objectifs de la bourgeoisie et des autres classes dans la société. La nature précise de ce parti politique, quand il peut se former, le rôle qu’il joue dans la prise du pouvoir par le prolétariat, etc. a énormément évolué au cours des deux derniers siècles. Mais la conception marxiste de l’organisation révolutionnaire en tant qu’entité fondamentalement politique demeure.
C’est d’autant plus crucial quand on considère que la classe ouvrière, à la différence des classes révolutionnaires précédentes, ne peut pas construire une base de pouvoir économique dans la société existante, l’élaboration théorique et l’adoption de positions politiques prolétariennes deviennent donc d’autant plus vitales4. La formulation de positions politiques doit pour la même raison, précéder la prise réelle du pouvoir politique.
La classe ouvrière n’est donc pas simplement une catégorie économique ou sociologique au sein de la société bourgeoise, une classe exploitée comme les esclaves ou des serfs, mais surtout une classe historique avec un but révolutionnaire et donc une classe politique dans le sens le plus profond du terme. Le dédain pour l’importance centrale de la politique dans la lutte de la classe ouvrière, et pour les organisations qui affirment défendre ses intérêts, ne permet cependant pas d’éviter ou d’échapper aux pressions politiques, puisque la lutte entre les classes pour la direction de la société est invariablement un combat politique qui s’impose aux combattants qu’ils le veuillent ou non. L’apolitisme, en dépit de ses illusions d’y échapper, devient inévitablement politique... mais pas nécessairement d’une bonne façon. Au contraire, en raison de l’absence de positions et de principes clairs et développés, la démarche apolitique se met plutôt sous le joug des forces politiques dominantes de la classe au pouvoir.
Il n’y a nulle part de meilleur exemple que dans l’histoire de l’anarchisme et de ses tentatives d’apolitisme révolutionnaire. Dans les grands tests politiques de l’histoire, les anarchistes ont été pour la plupart incapables de résister aux pressions de la politique de la classe dominante et ont capitulé vis-à-vis d’elles, l’exemple le plus fameux étant celui de Pierre Kropotkine pendant la Première Guerre mondiale.
Kropotkine, Tcherkesoff et Jean Grave étaient les défenseurs les plus enthousiastes de la France : « ne laissez pas ces conquérants haineux balayer à nouveau la civilisation latine et le peuple français (…), ne les laissez pas imposer à l’Europe un siècle de militarisme ». (Lettre de Kropotkine à Jean Grave, 2 septembre 1914). C’est au nom de la défense de la démocratie contre le militarisme prussien qu’ils soutenaient l’Union Sacrée : « l’agression allemande a été une menace – réalisée – non seulement contre nos espoirs d’émancipation mais contre toute l’évolution humaine. C’est pourquoi nous, les anarchistes, nous, les antimilitaristes, nous les ennemis de la guerre, nous les partisans passionnés de la paix et de la fraternité entre les peuples, nous nous mettons du côté de la résistance et n’avons pas pensé séparer nos destinées de celles du reste de la population ». (Manifeste des Seize (le nombre de signataires, NdT), 28 février 1916.)5
Les principaux représentants de l’anarchisme se sont alignés derrière la politique de la classe dominante, comme l’ont fait les directions opportunistes des principaux partis sociaux-démocrates. Ces derniers ont abandonné les positions politiques internationalistes de la classe ouvrière ; les premiers, méprisant pour la plupart ces positions, ont découvert que leurs propres phrases qui sonnent bien mais creuses comme des coquilles vides sur la démocratie et l’émancipation, l’évolution humaine, contre la guerre, pour la paix et la fraternité, pouvaient être récupérées par la politique impérialiste de la bourgeoisie.6
Le dédain parmi les révolutionnaires eux-mêmes dans d’autres périodes comme celle d’aujourd’hui pour les positions révolutionnaires peut aussi être dommageable, même si elles sont moins décisives, en tendant à refléter, plutôt qu’à contrecarrer, la désorientation actuelle de la classe ouvrière.
Devrim dit qu’il y a un problème de dépolitisation dans la société. Certes ! Mais quelles sont les caractéristiques particulières de la dépolitisation aujourd’hui qui affecte la classe ouvrière et ses minuscules minorités révolutionnaires ?
Depuis la résurgence de la lutte de classe au niveau historique en 1968, mettant fin à la longue époque de contre-révolution, la classe ouvrière a rencontré beaucoup de difficultés à développer sa lutte sur son propre terrain politique. Elle est largement restée sur la défensive et sous le joug de la social-démocratie, du stalinisme et des syndicats. La classe dominante, pour sa part, a été capable d’étaler sa crise économique croissante, de manœuvrer politiquement et intelligemment contre la menace de « ceux d’en bas ». Le blocage qui en a résulté entre les deux principales classes antagonistes de la société capitaliste a ouvert une période de décomposition sociale du capitalisme qui a mené à une désorientation profonde au sein de la classe ouvrière.7
La claire ouverture de la période de décomposition a été marquée par l’effondrement de l’URSS et cela a été délibérément utilisé par la classe dominante pour renforcer cette désorientation. Les énormes campagnes idéologiques de la bourgeoisie internationale depuis 1989 sur « la mort du communisme », du « marxisme » et sur « la fin de la classe ouvrière » en tant que force politique dans la société, ne sont pas fortuites. Les minorités marxistes comme le CCI, même si elles n’étaient en aucune façon polluées par le stalinisme, ont néanmoins subi pleinement la force de cette tentative de la classe dominante de dépolitiser la classe ouvrière et d’utiliser ainsi la décomposition sociale de son système pour infliger un coup sévère à son adversaire de classe.
Devrim, dans son témoignage personnel, Mon expérience…, exprime son accord avec l’analyse du CCI sur la décomposition sociale du capitalisme que nous avons brièvement résumée ci-dessus : « Personnellement, je pense que beaucoup de ce qui a été dit est une bonne description de la nouvelle période qui a commencé avec la chute de l’Union Soviétique, mais ce doit aussi être compris comme un moyen de justifier les erreurs qui sont présentes dans ‘ le truc’ sur les années de vérité (référence à l’analyse que la CCI a faite pour décrire les enjeux des années 1980).» Devrim n’analyse pas quelles sont les parties des Thèses sur la décomposition avec lesquelles il est d’accord ou quelles sont les parties avec lesquelles il est en désaccord, ou la nature des erreurs que nous sommes supposés avoir faites dans l’analyse des années 1980, pas plus qu’il n’explique ce qui ne va pas dans l’analyse des Thèses sur la décomposition et qui prouverait qu’elles sont un moyen de justifier cette dernière analyse.8
Néanmoins, nous pouvons déduire que Devrim ne suit pas les conclusions les plus importantes des Thèses selon lesquelles cette nouvelle période allait créer de nouvelles difficultés pour le prolétariat et donc pour ses organisations révolutionnaires :
« 13) En fait, il importe d'être particulièrement lucide sur le danger que représente la décomposition pour la capacité du prolétariat à se hisser à la hauteur de sa tâche historique. De la même façon que le déchaînement de la guerre impérialiste au cœur du monde "civilisé" constituait "Une saignée qui [risquait] d'épuiser mortellement le mouvement ouvrier européen", qui "menaçait d'enterrer les perspectives du socialisme sous les ruines entassées par la barbarie impérialiste en fauchant sur les champs de bataille (...) les forces les meilleures (...) du socialisme international, les troupes d'avant-garde de l'ensemble du prolétariat mondial" (Rosa Luxemburg, La Crise de la social-démocratie), la décomposition de la société, qui ne pourra aller qu'en s'aggravant, peut aussi faucher, dans les années à venir, les meilleures forces du prolétariat et compromettre définitivement la perspective du communisme. Il en est ainsi parce que l'empoissonnement de la société que provoque la putréfaction du capitalisme n'épargne aucune de ses composantes, aucune de ses classes ni même le prolétariat. » (Thèses sur la décomposition)
Devrim n’a pas tiré de cette analyse la conclusion que l’organisation révolutionnaire, en tant qu’émanation de la classe ouvrière, doit résister à ce processus de dépolitisation et explorer de la façon théorique la plus profonde toutes les implications de la nouvelle période pour le prolétariat comme classe politique, pour préparer son futur réveil qui est encore possible en dépit du poids négatif de la décomposition.
Il tire plutôt la conclusion opposée : si la société et la classe ouvrière ont été dépolitisées dans cette période, les révolutionnaires doivent s’adapter à cette dynamique en réduisant ou en gommant la signification des intérêts historiques du prolétariat et donc réduire leur préoccupation pour les positions politiques concernées et ajuster leur langage pour être acceptables. Mais ne serait-ce pas un retour aux façons éculées et à la théorie confuse de l’apolitisme anarchiste ?
Nous devons rappeler que la tendance actuelle à la dépolitisation dans la classe ouvrière n’est ni permanente ni totale, pas plus que la putréfaction capitaliste n’a atteint ses conclusions ultimes. Les contradictions du capitalisme mondial continueront à obliger les travailleurs à penser de nouveau en termes politiques, peu importe à quel point un tel processus de renaissance sera être long et difficile.
C’est pourquoi il continue à y avoir une petite minorité d’individus attirés par la politique marxiste. Aussi, nous ne pensons pas que Devrim parle pour toutes les personnes ou pour tous les « observateurs extérieurs » du CCI qu’il suggère être tous rebutés ou ennuyés par les positions politiques. Ce serait tragique si les organisations révolutionnaires, bien qu’encore minuscules, échouaient aujourd’hui à faire face au défi de cette tendance, à aller vers des positions politiques de classe, et n’arrivaient pas à donner à ces dernières un contenu historique, une consistance globale et une cohérence, ainsi que leurs fondements théoriques les plus profonds.
En ce sens, la prédiction de Devrim sur la disparition du CCI à cause de ses préoccupations pour les principes politiques prolétariens, exprime au contraire, à sa manière, la tendance actuelle du capitalisme en décomposition à la destruction de la conscience de classe et par conséquence des minorités révolutionnaires qui essaient de la préserver et de l’enrichir.
Les considérations personnelles de Devrim dans : Mon expérience dans le CCI, ne traite pas des principes politiques de l’organisation, de sa plateforme et ne cite que très brièvement certains textes clefs d’analyse du CCI comme les Thèses sur le parasitisme et les Thèses sur la décomposition.
Ce rabaissement du cadre de l’existence du CCI est une conséquence logique de son idée, exprimée dans l’e-mail à un membre du CCI que nous avons cité au début de cet article, selon laquelle traiter de positions politiques dans la plateforme est l’expression de la pensée d’un âge révolu. Au lieu de cela, la mémoire de Devrim se focalise sur son expérience de la vie interne du CCI. Ici, de nouveau, il ne traite pas des principes politiques sous-jacents au fonctionnement interne du CCI, mais fonde ses critiques sur des impressions, des anecdotes personnelles et des ouï-dire (tels que « un membre de l’organe central m’a dit »… ou « J’ai entendu parler de cas où les intégrations ont pris des années. »)9
Néanmoins, un certain nombre de thèmes de base ressortent de son rapport critique qu’il serait intéressant de discuter d’un point de vue général.
« Le processus d’intégration au CCI est trop long et fastidieux… Fondamentalement, pour rentrer dans le CCI, vous devez être d’accord avec la plateforme et les statuts. J’ai entendu parler de cas au sein du CCI où ce processus a pris des années. Avec nous, cela a été plus rapide, mais c’était tout de même un processus de très longue durée… il semble que le CCI essaie activement d’éviter de recruter de nouvelles personnes10 en rendant l’intégration aussi difficile que possible. Le sentiment que j’ai eu a été que le centre ressentait que nous avions été intégrés trop rapidement, et qu’une partie du problème était que nous n’avions pas été d’accord avec eux sur certaines questions avant d’intégrer, en particulier sur les Thèses sur le parasitisme, mais aussi sur beaucoup d’autres. Cela représente une dichotomie pour le CCI parce que bien qu’être officiellement membre repose sur l’adhésion à la plateforme et aux statuts, il y avait de nombreux textes « supplémentaires » sur lesquels il était aussi suggéré de discuter. Mon sentiment est que dans le futur, le CCI insistera sur même plus d’autres textes, ce qui aura l’effet double, non seulement de rendre plus difficile de recruter des gens mais aussi signifiera qu’il y a moins d’idées neuves dans le CCI lui-même. »
« Le CCI se voit comme une organisation unique internationalement centralisée, et pas comme une collection de différentes sections nationales. Ceci dit, la quantité d’intervention de l’organe central dans la vie de tous les jours des différentes sections m’a semblé non seulement être excessive mais absolument autoritaire.
Sur le sujet du rapport entre les membres de l’organisation, j’ai le sentiment que celui qui existe au sein du CCI sert à affaiblir l’initiative des membres individuel et des sections aussi, en encourageant une culture organisationnelle qui, à mon avis, est trop fortement centralisée.
Bien que je considère un niveau extrêmement élevé d’accord politique comme étant un critère pour être membre, il me semble encore que, dans le CCI, les ordres viennent d’en haut et sont transmis à la base. Ce processus, c’est mon sentiment, agit dans le sens de décourager l’initiative des membres de l’organisation dans leur ensemble et, malgré les protestations du CCI qui soutient le contraire, tend à être le reflet des relations hiérarchiques qui prévalent dans la société toute entière. »
« Il y a trop de ‘débat’ dans le CCI ce qui tend à rendre toute discussion réelle impossible. Cela mène à un problème, qui est que rien que suivre les affaires internes du CCI demande une quantité de temps que, j’imagine, beaucoup de gens dans d’autres organisations politiques consacrent à l’ensemble de leur activité politique… Tout doit être discuté en interne avant que ce soit présenté à l’extérieur… Je pense que ça donne l’impression que le CCI est composé d’une poignée de robots qui répètent la même chose comme des perroquets. Cependant, que cela puisse être vrai ou pas, c’est certainement une impression qu’ont beaucoup de gens en dehors du CCI, et que le CCI n’a cure de dissiper. La seconde est que le CCI produit un immense volume de textes, beaucoup d’entre eux, ayant déjà été discutés, ne sont même pas lus par tous ses membres. Il doit y avoir sûrement certaines personnes en dehors qui pourraient être intéressées par certains d’entre eux. »
« La théorie du CCI est un ensemble de travail impressionnant, surtout à cause de sa cohérence en profondeur. Tout s’emboite parfaitement, chaque bloc ayant sa place dans la structure entière. Pour ceux qui recherchent la cohérence théorique, cela peut être certainement très attractif, en particulier pour les nouveaux groupes, comme nous l’étions à l’époque, l’adoption d’un seul coup d’un travail théorique dans son ensemble peut être perçue comme profondément attirante plutôt que de faire un travail théorique rigoureux, ce qui est l’alternative. Le problème est cependant que c’est un château de cartes où chaque partie dépend des autres pour empêcher l’édifice de s’effondrer. »
Pris dans son ensemble, si vous enlevez de son point de vue personnel les impressions personnelles désobligeantes, les métaphores dénigrantes et pas mal de petits mensonges, ce que Devrim critique dans le CCI, c’est de trop être une organisation politique révolutionnaire : l’accord politique demandé pour devenir membre est trop élevé, le CCI est trop centralisé à l’échelle internationale, il y a trop de débats théoriques internes, il se démarque trop des autres tendances politiques, il exige trop de passion politique de la part de ses membres et finalement, il est trop cohérent théoriquement.
C’est vraiment trop flatteur pour une organisation révolutionnaire ! L’histoire du CCI montre qu’il a eu de nombreuses difficultés. Néanmoins, malgré toutes les erreurs et les insuffisances du CCI, être capable pour une organisation révolutionnaire de s’accrocher, pendant 40 ans, à la lignée de la gauche marxiste (celle de la Ligue Communiste, la Ière , IIe et IIIe Internationale et de la Gauche communiste, elle-même) ; de fournir une analyse approfondie de la période historique (la décadence du capitalisme) et également des principales caractéristiques de sa dernière phase de décomposition ; d’offrir une plateforme qui met en avant la perspective communiste ; de maintenir son indépendance vis-à-vis de la bourgeoise y compris de son aile d’extrême-gauche ; de fournir des analyses régulières de l’évolution de la situation internationale dans ses dimensions de la crise économique, des conflits impérialistes et de la lutte de classe ; d’intervenir d’une seule voix sur tous les continents (malgré sa petite taille) ; de donner naissance au niveau de discussion interne requis pour présenter ses débats de façon claire à l’extérieur ; de survivre à ses crises politiques internes et d’avancer…, tout cela au moins montre que les préoccupations de principes politiques tendent à soutenir une organisation révolutionnaire plutôt qu’à conduire à sa disparition.
Mais cette ténacité politique n’est pas notre seule réalisation politique. Finalement, la capacité que le CCI a montrée est un reflet du potentiel latent dans la classe ouvrière en tant que classe politique révolutionnaire, de sa capacité à devenir hautement consciente de ses buts historiques et à s’unifier autour de ses intérêts face à tous les obstacles qu’il y a eu et qui seront mis en travers de sa route.
Malgré tout, c’est cette capacité très politique que Devrim pense vieillotte et qui mènera à la disparition du CCI, une destinée, c’est ce qu’il sous-entend, qui devrait s’accélérer. La politique basée sur des principes détruit prétendument l’individu et l’initiative locale, décourage le développement d’idées neuves et isole l’organisation des sources extérieures d’inspiration et empêche donc sa croissance. En bref, le CCI restreint la liberté personnelle, la liberté individuelle nécessaire pour une organisation pleine d’énergie et qui grandit, comme le dit Devrim. Le processus d’intégration des nouveaux membres, le rôle des organes centraux, le cadre du débat interne et ses buts théoriquement cohérents, son attitude vis-à-vis des autres parties du milieu politique, sont, en un mot, autoritaires.
Pour répondre à cette idée fausse que l’organisation marxiste révolutionnaire restreint la liberté de l’individu, nous devons essayer de clarifier quelques questions de façon à donner une certaine cohérence au problème.
Le désir de liberté, la capacité de forger sa propre destinée et d’être honnête avec soi-même est un des plus vieux besoins humains, un besoin intrinsèque à une espèce qui a la capacité d’être consciente d’elle-même et qui doit vivre en société. L’interaction entre les désirs les plus profonds de l’individu et les besoins des autres a toujours été un aspect fondamental de l’existence humaine.
Pendant une grande partie de l’histoire humaine précapitaliste, dominée par les classes et l’exploitation de l’homme par l’homme, le besoin spirituel de l’individu, de liberté personnelle et de contrôle sur son destin a été largement retourné contre lui par le spectre de « Dieu » et par les représentants auto-désignés de ce dernier sur terre qui, nullement par hasard, se trouvaient appartenir à la classe des propriétaires d’esclaves. La masse de la population qui produisait était enchaînée sur terre par la classe dominante et dans les cieux imaginaires par un tyran céleste.
La laïcisation et donc la politisation de la liberté personnelle et de la destinée, dans les révolutions bourgeoises – en particulier dans la révolution française de 1789-1793 – a été une étape fondamentale dans le progrès vers des solutions dans le monde réel de la liberté humaine. Mais c’est aussi parce qu’elle a ouvert la voie à la classe ouvrière pour s’imposer sur l’arène politique et se définir politiquement. Cependant, dans la déclaration des Droits de l’Homme de 1789, la bourgeoisie présentait sa liberté nouvellement gagnée comme une réalisation universelle qui profitait à tous. Cette tromperie résultait en partie de ses propres illusions et en partie des besoins de la bourgeoisie d’enrôler toute la population derrière ses drapeaux. Le concept de liberté restait une forme abstraite, mystifiée, qui cachait le fait que, dans la société capitaliste, les producteurs, tout en étant libres et égaux à leurs maîtres légalement, seraient alors enchaînés par une nouvelle forme d’exploitation, une nouvelle dictature. La bourgeoisie victorieuse a apporté avec elle la généralisation de la production de marchandises qui a accentué la division du travail, arrachant l’individu à la communauté. Les différentes formes du tissu social affrontaient l’individu comme une nécessité externe et faisaient de son semblable un concurrent. Paradoxalement, de cette atomisation et de cet isolement, a surgi la mystique de la liberté individuelle dans la société capitaliste. En réalité, seul le capitalisme était libre :
"Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité.
Et c'est l'abolition d'un pareil état de choses que la bourgeoisie flétrit comme l'abolition de l'individualité et de la liberté ! Et avec raison. Car il s'agit effectivement d'abolir l'individualité, l'indépendance, la liberté bourgeoises."
(Marx et Engels, Le Manifeste Communiste)
Le développement vivant, historiquement concret de la liberté individuelle dépend donc de la solidarité de la lutte prolétarienne pour l’abolition des classes et de l’exploitation. La liberté réelle n’est possible que dans une société où le travail est libre, ce qui sera le mode de production communiste, où l’abolition de la division du travail permettra le développement et l’épanouissement complet de l’individu.
La promotion de libertés politiques prolétariennes dont dépend cette transformation révolutionnaire de la société et que les organisations politiques communistes doivent défendre, implique nécessairement la lutte contre les revendications acharnées de liberté bourgeoise que la société capitaliste fait sans cesse naître.
Pour paraphraser le Manifeste Communiste : la bourgeoisie reproche aux conditions impérieuses du militantisme marxiste de restreindre la liberté de l’individu et ses initiatives. Avec raison. La prohibition des libertés et des initiatives individuelles bourgeoises visent sans aucun doute à cela.
Le principe politique d’opposition à la participation parlementaire, que le CCI partage avec le reste de la Gauche Communiste, empêche dans une grande mesure l’espèce de carriérisme et de prises de décisions hiérarchiques qui ont infecté les partis de la Deuxième Internationale et qui sont typiques de la vie politique bourgeoise. L’indépendance de principe vis-à-vis de l’appareil d’Etat bourgeois écarte la sorte d’ambition personnelle et d’aventurisme alimentés par l’attente d’argent facile qui anime les participants de la politique bourgeoise.
La lutte pour la liberté politique prolétarienne contre la liberté bourgeoise ne s’arrête pas là. Il y a ceux qui sont dégoûtés par le monde pourri de la politique bourgeoise, de gauche ou de droite, et qui veulent la combattre au sein d’une organisation révolutionnaire marxiste. Mais ils n’ont pas abandonné, au fond, le mot d’ordre vide et abstrait de « liberté individuelle » qui sert d’idéologie et de justification en dernier ressort au monde capitaliste.
Quand ils ne sont pas maîtrisés, ces restes de pensée bourgeoise conduisent, au sein de l’organisation, à une attitude de combat clandestin contre la prétendue rigidité des principes politiques prolétariens, la hiérarchie supposée de la centralisation, le « dogmatisme » du débat prolétarien, qui sont ressentis comme autant de restrictions des droits personnels, même si, superficiellement, on est d’accord avec ces vrais principes – la centralisaiton et la culture du débat. Cette attitude n’a pas d’alternative précise à proposer, pas de contours positifs distincts, mais se caractérise principalement par être contre, par le rejet de ce qui existe. Elle revendique le droit de ne pas attendre les décisions collectives, le droit de prendre des initiatives locales à l’encontre de celles du reste de l’organisation sans explication, le droit de ne pas être cohérent et surtout, de ne pas être tenu pour responsable de toute incohérence11.
Cette attitude anarchiste conserve la croyance bourgeoise dans la « liberté individuelle ». Elle rejette l’autorité des politiques capitalistes et l’exploitation mais finit aussi par rejeter tout autant l’autorité d’une alternative marxiste.
L’organisation révolutionnaire marxiste doit donc lutter aussi et se protéger contre cette défense creuse et plus diffuse de la liberté politique bourgeoise tout autant que contre son expression ouverte qu’on trouve dans les partis gauchistes et parlementaires.
Ce n’est pas par hasard, si dans l’histoire du mouvement ouvrier, la question de qui est et qui n’est pas un membre de l’organisation a pris une importance vitale. Au congrès de La Haye de la Première Internationale, les premiers jours ont été consacrés à la vérification de l’éligibilité des délégués, en particulier, parce qu’il y avait une cabale secrète au sein de l’organisation, l’Alliance de Bakounine.
Au Deuxième Congrès, du parti ouvrier social-démocrate de Russie en 1903, décisif pour sa constitution, une des principales divisions entre les bolcheviks et les mencheviks portait sur la définition de qui est membre, dans les statuts proposés.
Des conditions strictes pour être membres sont un moyen vital d’exclure à la fois les expressions classiques de la liberté politique bourgeoise comme l’aventurisme et le carriérisme, et les concessions à cette politique bourgeoise qui prennent la forme de l’opportunisme vis-à-vis des principes politiques généraux et qui favorisent la formation de cliques de personnes qui résistent à l’application rigoureuse des principes sur les questions organisationnelles.
Un manque de rigueur dans le processus d’intégration des militants est un bon moyen d’établir une hiérarchie au sein de l’organisation entre « ceux qui connaissent et ceux qui ne connaissent pas » les positions et les analyses de celle-ci. Evidemment, il n’est jamais possible d’éliminer complètement les inégalités et les différences de capacité entre militants, mais le « recrutement » sur des bases insuffisantes est le meilleur moyen de les renforcer plutôt que de les atténuer.
Tous les organismes ont besoin d’un certain niveau d’unité pour maintenir leur existence. C’est vrai dans la sphère politique comme dans les lois dialectiques de la nature. La centralisation est le principal moyen de garantir une unité complexe. C’est l’expression d’un argument universel fondamental : le tout est plus que la somme des parties. L’unité n’est pas le simple résultat de la collection ou de l’agrégation des différents constituants de l’ensemble. L’unité exige une autre qualité : la capacité de centraliser et de coordonner ces éléments par ailleurs disparates. Un orchestre a besoin d’un chef pour rassembler tous les musiciens, qui en retour, reconnaissent et respectent son rôle indispensable dans la création d’une œuvre d’art unifiée qui est qualitativement plus que le son de chaque instrument pris séparément.
Une organisation politique révolutionnaire est aussi plus qu’une collection d’individus qui se retrouvent en accord – elle exige aussi, de façon à se maintenir, une volonté d’unité et donc une volonté de centralisation de la part de chaque militant.
Le degré élevé de centralisation requis par les organisations politiques prolétariennes reflète le fait que le prolétariat n’a aucun intérêt économique ou politique différent en son sein, à la différence des autres classes. Cela exprime aussi un besoin important d’une classe exploitée : combattre le processus de division et d’atomisation que le travail salarié et la production généralisée de marchandises imposent au prolétariat et compenser l’absence de tout pouvoir économique pour consolider son combat.
La centralisation restreint nécessairement certaines initiatives individuelles – celles qui résistent au processus de centralisation et, à l’opposé, vont chacune dans une direction indépendante qui mène à une perte de cohésion et en définitive à la dissolution de l’ensemble. Mais la centralisation, au contraire, est entièrement dépendante des initiatives individuelles et de la diversité de tout l’organisme politique. La nature durable de la centralisation est précisément un résultat du besoin de résoudre collectivement des différences, de synthétiser les désaccords – la seule façon de resserrer l’ensemble et de l’enrichir dans une nouvelle unité.
Le concept marxiste de centralisation n’est donc pas monolithique. Il permet, en fait il exige, que les positions minoritaires s’expriment – avec pour objectif de gagner la majorité et qu’ainsi l’ensemble de l’organisation puisse s’orienter dans la bonne direction. La conception fédéraliste ou décentralisée selon laquelle la minorité ne devrait pas être ouverte à la critique, pas soumise à l’unité de l’organisation alors que le débat continue, est en fait autoritaire parce qu’elle signifie qu’une partie s’impose arbitrairement sur l’ensemble12.
La centralisation semble toujours être hiérarchique aux adeptes de la « liberté personnelle » parce qu’elle implique le principe de délégation. Les congrès, par exemple, qui formulent les buts généraux de l’organisation ne peuvent pas siéger de façon permanente et traiter l’énorme quantité des fonctions quotidiennes de l’organisation et, en particulier, son intervention au sein de la classe ouvrière. Ils doivent déléguer aux organes centraux la responsabilité de traduire leurs orientations dans la vie quotidienne de l’organisation. Mandater des organes centraux et la remise de leurs mandats par les organes centraux au congrès suivant pour être vérifiés sont une des marques d’authenticité des organisations politiques révolutionnaires marxistes.
Le principe de délégation et du maintien de l’unité pendant les débats sur des divergences n’est pas trop de centralisation, c’est la centralisation : le fluide vital de l’organisation révolutionnaire. L’hostilité vis-à-vis de ces principes représente finalement l’affirmation de la volonté unilatérale de l’individu ou d’une minorité par rapport aux intérêts de l’ensemble. C’est cela, et pas la centralisation, qui est autoritaire.
Un aspect intéressant du compte-rendu personnel de Devrim est qu’il critique le CCI parce qu’il y aurait trop de débats internes, donc, trop d’initiatives individuelles, de diversité, d’un côté, alors que de l’autre, il critique l’organisation comme étant trop cohérente théoriquement, où tout est à sa place, et ainsi, sans laisser aucune place pour l’initiative individuelle.
Devrim n’a cure de résoudre cette contradiction apparente dans son point de vue : qu’une organisation puisse être en même temps intensément autocritique et intensément unie13. En fait, il n’y a pas de contradiction entre ces deux aspects de notre fonctionnement – nous pensons qu’ils sont à la fois complémentaires et interdépendants.
La tradition de la Gauche Communiste, à laquelle appartient le CCI, a toujours été caractérisée par un esprit critique qui n’est pas seulement axé sur la bourgeoisie et la société capitaliste, mais aussi sur elle-même, ses propres partis et sur leurs concessions à la bourgeoisie, les erreurs d’analyse et les insuffisances d’approfondissement théorique face au changement de la période historique et au cours des événements. Les principes politiques que le CCCI défend, sont le fruit de longs efforts pour réexaminer et vérifier la véracité des principes ou de la conception de ces principes, ce qui a permis de nous faire découvrir des manques à la lumière de l’évolution continuelle de la réalité sociale et de la création de nouvelles situations, qui demandent de nouvelles réponses et de nouvelles analyses. La vision du CCI du rôle du parti ou de l’Etat dans la période de transition, par exemple, est le produit d’un long développement théorique tortueux au sein de la Gauche Communiste qui a requis des décennies de débats et de confrontation après la défaite de la Révolution d’Octobre.
Dans l’histoire du CCI lui-même, le débat interne a conduit au rejet des analyses jadis axiomatiques de la tradition marxiste comme la théorie du maillon faible de Lénine – le concept selon lequel la transformation révolutionnaire socialiste viendrait des pays périphériques du capitalisme. Le CCI est allé à l’encontre de cette vision en affirmant que c’était en Europe occidentale, avec les bastions les plus expérimentés de la classe ouvrière et devant faire face aux bourgeoisies les plus intelligentes, que réside la force centrale pour la révolution prolétarienne14. Une attitude critique constante vis-à-vis des acquis de la tradition marxiste à la lumière des nouveaux problèmes posés par l’évolution des événements est donc un aspect nécessaire de la théorie marxiste.
Cela implique que chaque militant prenne à cœur cette démarche, reconnaisse le besoin de penser par lui ou par elle-même, et refuse de prendre les choses pour argent comptant.
En même temps, la critique marxiste ne peut être qu’assez sévère et rigoureuse dans la mesure où elle implique la recherche d’une nouvelle cohérence. Ce n’est que la recherche de nouvelles synthèses qui soit enrichissent, soit démentent les anciennes et qui peut aller aux racines des choses. L’objectif marxiste est toujours de créer une vision unifiée politiquement et théoriquement qui trace « la marche » de la lutte de classe ouvrière parce que cette marche évolue avec le temps et les changements des conditions matérielles. La nécessité d’une conception théorique unifiée des intérêts du prolétariat est une contrepartie vitale de l’unité organisationnelle. L’unité théorique ou la cohérence, comme l’organisation centralisée, n’est pas la même chose que la soumission ou l’uniformité. Toute cohérence contient des contradictions potentielles. Et ces oppositions latentes amènent de nouveaux débats et, nécessairement, de nouvelles conclusions.
La diversité n’est donc pas un but en soi, la célébration des différences en elles-mêmes, comme les anarchistes le croient, mais le moyen d’une plus grande conscience du prolétariat en tant que classe révolutionnaire unifiée.
De la même façon, le but des débats dans l’organisation n’est pas de renforcer l’autorité d’un quelconque « leader » mais de permettre la plus grande clarté, la plus grande homogénéité au sein de l’organisation, ce qui signifie précisément combattre les conditions qui engendrent la nécessité de nouveaux « leaders ».
Le pouvoir des idées de l’organisation dans la classe ouvrière, qui doit se mesurer sur le long terme, n’existe pas grâce à la dilution de ses principes et de ses analyses ou à l’abandon de la cohérence, comme le pense Devrim, mais grâce à la plus grande concentration et à la plus grande profondeur de sa théorie.
Tout cela implique des exigences pour le militant révolutionnaire. Une des plus importantes est qu’il doit voir au-delà de son ressenti émotionnel et de ses impressions personnelles.
Mais tout le rapport de Devrim sur son expérience négative dans le CCI en reste aux premiers stades des impressions personnelles qui ne s’élèvent jamais au niveau d’un débat sur les principes politiques et organisationnels qui sont l’essence d’une organisation révolutionnaire marxiste.
Il n’y a pas de conception alternative détaillée de l’organisation révolutionnaire dans la critique de Devrim. Mais par déduction, sa critique du CCI veut dire que l’alternative devrait être qu’il soit moins strict dans ses intégrations de nouveaux membres, moins centralisé, qu’il laisse plus d’autonomie aux différentes parties de l’organisation. Il devrait passer moins de temps sur les débats théoriques internes, moins de temps à se démarquer des autres tendances politiques. Il devrait donner moins d’importance au développement collectif de positions politiques cohérentes et plus de poids aux impressions et aux sentiments personnels. En bref, l’organisation révolutionnaire devrait moins être une expression politique de la classe ouvrière et plus un reflet des envies de ses membres individuels.
Comme Devrim ne donne aucun modèle historique ou de référence sur ce à quoi ressemblerait une telle organisation, ou de comment elle éviterait les échecs passés basés sur le même manque de paramètres, son alternative semble extrêmement fumeuses et ses contours indéterminés.
En définitive, la critique de Devrim exprime une vision complètement différente du militantisme révolutionnaire de celle d’une approche méthodique marxiste. Alors que cette dernière voit le libre développement du militant comme un processus d’interaction avec ses camarades, c'est-à-dire, comme une question de solidarité organisationnelle, Devrim voit le révolutionnaire comme quelqu’un qui doit conserver son autonomie personnelle à tout prix, même si cela signifie quitter l’organisation et donc ses camarades.
Dans une période dans laquelle la classe ouvrière a besoin de retrouver son identité en tant que classe politique, la suggestion qu’une organisation politique révolutionnaire existante, celle qui peut fournir une perspective politique communiste valable, serait obsolète et devrait être remplacée par une alternative conçue de façon vague mais qui serait indifférente aux positions politiques – est vraiment dérisoire, pas seulement dérisoire mais néfaste.
Aujourd’hui, il y a des groupes et des individus qui planifient délibérément de détruire les organisations révolutionnaires et le CCI en particulier. Alors que Devrim n’est pas d’accord avec notre définition de ces éléments comme « parasites », il a néanmoins par le passé rejeté leur comportement et leur objectif comme étant « anti-classe ouvrière » – c’est, admet-il, une des raisons qui l’a attiré dans le CCI. Mais son attitude présente, exprimée dans sa critique personnelle, qui implique maintenant que le CCI ne vaut pas d’être défendu face à de telles attaques, ne peut, quelles que soient ses intentions, que stimuler les appétits destructeurs des parasites.
Sa préoccupation de « la liberté personnelle contre l’autorité » se trouve prise dans un no man’s land entre deux alternatives : la détermination politique du marxisme d’un côté et le pouvoir politique hostile de la bourgeoisie et de ceux qui se sont mis au service de cette dernière, de l’autre. En réalité, il n’y a pas de terrain neutre entre ces deux pôles politiques.
Lequel de ces deux camps doivent choisir les révolutionnaires authentiques est clair.
Como.
2 Nous voulons dire qu’elles sont mortes en tant qu’organisations du prolétariat, mais n’ont pas nécessairement disparu entièrement. Le parti social-démocrate d’Allemagne, par exemple, qui s’est uni à l’effort de guerre impérialiste avant 1914, existe encore aujourd’hui comme un des principaux partis bourgeois de l’État allemand. Nous ne faisons pas ici une comparaison stricte entre le CCI et sa faible influence et les IIe et IIIe Internationales. Mais, l’aspect central du positionnement politique pour la vie ou la mort des organisations révolutionnaires reste au fond complètement adapté à ces références historiques. Nous n’avons pas la place ici de prendre d’autres exemples moins connus.
3 Rien de cela n’implique que Devrim ait abandonné une position internationaliste ou d’autres positions fondamentales de la Gauche Communiste. Mais il ne lui a pas semblé utile de les réaffirmer dans ses impressions – probablement parce qu’il voit une telle prise de position comme relativement peu importante. Notre propos est plutôt de critiquer cette idée plutôt que de se préoccuper de savoir si de telles positions politiques sont le produit d’un âge révolu.
4 Parce que la théorie « devient une force matérielle dès qu’elle s’empare des masses », Marx, dans Une Contribution à la critique de la Philosophie du droit de Hegel, en parlant des masses de la classe ouvrière.
5 en.internationalism.org/2009/wr/325/anarchism-war1
6 D’autres anarchistes ont, bien sûr, dénoncé et combattu la guerre impérialiste en grande partie sur la base des mêmes phrases. Cela montre seulement que ces dernières ne sont pas suffisantes pour élaborer une position de classe claire à propos de la guerre impérialiste : pour l’élaborer, le marxisme et l’organisation marxiste révolutionnaire étaient et sont nécessaires.
7 Voir les Thèses sur la décomposition du CCI, Revue Internationale n°62, 1990.
8 Nous n’en déduisons pas que Devrim est personnellement incapable de développer une telle explication mais, que de son point de vue, il ne considère pas que c’est un effort valable puisque cela représenterait une préoccupation archaïque sur des positions politiques.
9 Ce serait trop fastidieux de les conter ici. Et de toute façon, cela nous conduirait à révéler chaque détail quotidien et personnel de la vie interne du CCI qui n’intéresse que les bavards… ou la police.
10 En fait, nous ne « recrutons » pas : c’est une vision militaire ou gauchiste. Devenir un militant est une des décisions volontaires la plus personnelle dans la vie de chacun.
1111 Cette conception négative de la liberté individuelle n’est pas sans rapport avec la vision du philosophe utilitariste John Stuart Mill qui a défini la liberté comme essentiellement due à une absence de contraintes. Marx a répondu dans la Sainte Famille dans sa bataille critique contre le matérialisme vulgaire français que l’homme n’est pas libre « par la force négative d'éviter telle ou telle chose, mais par la force positive de faire valoir sa vraie individualité », qui dépend du contexte social pour le faire.
12 « Rapport sur la structure et le fonctionnement de l’organisation révolutionnaire », point 3. Revue Internationale n° 33, en.internationalism.org/specialtexts/IR033_functioning.htm
13 Le compte-rendu de Devrim est suffisamment candide pour réfuter la vieille calomnie selon laquelle « le CCI supprime le débat interne ».
14 « Critique de la théorie des maillons faibles », Revue Internationale n °31, 1982, en.internationalism.org/ir/1982/31/critique-of-the-weak-link-theory
L’éditorial de notre premier numéro de la Revue Internationale, publié en 1975, établit clairement que le but du tout jeune CCI se définit ainsi : « Dans la période de crise générale, marquée par des convulsions et des bouleversements sociaux, une des tâches les plus urgentes et ardues qui se dresse devant les révolutionnaires est celle d’unifier et de souder ensemble les forces révolutionnaires qui émergent et qui sont aujourd’hui dispersées de par le monde. Cette tâche ne peut être entreprise qu’en la concevant dès le départ au niveau international. Ceci a toujours été une préoccupation centrale pour le Courant ». Pour une telle organisation, perdre un militant est un malheur. Perdre une section entière est un échec. Nous nous devons donc, pour nous même mais aussi pour tous ceux qui s’identifient avec la tradition de la Gauche communiste à la classe ouvrière en général, d’examiner cet échec avec un esprit critique impitoyable et d’exposer nos conclusions à nos lecteurs.
Cette nécessité est d'autant plus pressante au vu de la nature du texte écrit par nos ex-camarades de Turquie, que nous devons désormais appeler « Pale Blue Jadal » (PBJ). Il y a des points dans ce texte avec lesquels nous pouvons être d’accord, mais globalement on y trouve un tel fatras de demi-vérités, de distorsions, de récriminations et une telle confusion générale qu'il en devient à peine reconnaissable pour ceux d'entre nous qui ont vécu les événements qu'ils tentent de décrire, et cela doit certainement être complètement inintelligible pour qui que ce soit en dehors du CCI. Bien entendu, ceci n’empêchera pas le texte de BPJ d’avoir un certain effet : les couards y puiseront de nouveaux arguments pour nourrir leur scepticisme et nos ennemis (dont certains nous portent une haine qui relève plus du domaine de la psychopathologie que de la politique) y liront ce qu’ils ont envie d’y lire.
Pour répondre à chacune des accusations de PBJ, nous devrions entreprendre un examen approfondi, comparable à celui que fit Lénine du congrès du POSDR de 1903 dans Un pas en avant, deux pas en arrière, mais sur une période de presque dix ans : nous devrions citer en détails une masse de notes de conférences et de congrès, sans parler des correspondances et notes de réunion. Ceci serait trop long et mettrait à l’épreuve la patience de nos lecteurs. Et par-dessus tout, cela étalerait le fonctionnement interne de notre organisation au grand jour, ce qu’aucune organisation révolutionnaire de bon sens ne ferait aujourd’hui. Nous allons donc nous limiter à statuer sur notre cas de manière aussi claire que possible, et à corriger en passant, les erreurs et insinuations les plus flagrantes de PBJ.
Commençons par un point d’accord avec PBJ : notre intégration du groupe EKS comme section turque du CCI fut un processus infesté par l’opportunisme. Nous ne proposons pas d’en analyser les raisons maintenant : il suffit de dire que nous avons essayé de forcer le rythme de l’histoire et cela est une expression classique de l’opportunisme.
« Forcer le rythme » à notre propre et modeste niveau, bien sûr : principalement, cela entraînait la décision de « précipiter » les discussions avec le groupe EKS qui était sur le point de devenir notre section en Turquie. En particulier, nous avions décidé de :
Réduire drastiquement le temps passé à des discussions organisationnelles avec les membres d’EKS avant leur intégration, avec l’argument que l’art de construire une organisation s’apprend essentiellement de l’expérience.
Intégrer EKS en tant que groupe avec les individus qui le constituaient. Bien que nos statuts traitent de cette question, cela présentait le danger que les nouveaux militants ne se perçoivent pas, d’abord et avant tout, comme des militants individuels d’une organisation internationale, mais comme membres de leur groupe d’origine.
Avec du recul, notre approche de la question organisationnelle était à la fois incroyablement cavalière et impardonnable. Qu’était EKS, après tout ? Comme PBJ le dit, c’était « simplement un regroupement de cercles d’amis politisés », et de plus, des cercles issus du milieu politisé étudiant petit-bourgeois. Autrement dit, c’était précisément le genre de cercle que Lénine décrivait en 1903. Compte-tenu de notre expérience passée, de notre conscience que nos propres faiblesses passées découlaient, pour une grande part, des origines du CCI dans le mouvement étudiant des années 60-70, comment avons-nous pu oublier à ce point que la principale question qui se posait à nous avec l’intégration du groupe EKS était précisément celle de transmettre notre expérience organisationnelle ? Comment avons-nous pu perdre de vue notre propre critique de l’inanité et de la précipitation des intégrations opportunistes qui ont été pratiquées dans le passé par la TCI [556]1? En tant que telle, notre expérience avec la section en Turquie ne sert que de nouvelle confirmation – en admettant qu’elle ait été nécessaire – que cette critique est fondamentalement correcte et qu’elle s’applique à nous-mêmes aussi bien qu’aux autres.
L’article à propos de notre XXIe Congrès donne une réponse générale à ces questions : « Le Congrès a souligné que le CCI est toujours affecté par son ‘péché de jeunesse’, l’immédiatisme, qui nous a fait perdre de vue, de façon récurrente, le cadre historique et à long terme dans lequel s’inscrit la fonction de l’organisation ». Ces défaillances sont d’autant plus difficiles à dépasser qu’elles sont présentes dans l’organisation depuis ses origines1. Concrètement, cela ouvrait la porte à une illusion particulièrement répandue parmi des membres d’ EKS, suivant laquelle notre difficulté à faire passer nos positions parmi la jeune génération nouvellement politisée (en particulier par le média relativement nouveau du forum internet) était essentiellement une question de présentation2, et que nous pouvions augmenter notre influence en édulcorant notre insistance sur les principes organisationnels (ce que PBJ appelle « reconnaitre que nos traumatismes posent problème »). En conséquence, nous avons perdu de vue les fondements historiques et matérialistes de notre pratique organisationnelle incarnée par nos statuts, lesquels ne peuvent se comprendre que d’un point de vue historique, comme principes politiques3 et comme le résultat à la fois du mouvement ouvrier (les Internationales et les Fractions) et de notre propre expérience. Nous avons traité les statuts comme de simples « règles de comportement » et les « discussions » sur le sujet étaient bouclées en une journée (cela contraste avec les mois de correspondance et de discussion avec EKS sur les positions contenues par notre Plateforme). Il n’y a pas eu de discussion sur les « Commentaires sur les statuts » (un texte qui place nos statuts dans le contexte de l’expérience historique du mouvement ouvrier et du CCI lui-même), pas plus que sur les textes organisationnels de base. Nous n’avons pas non plus insisté pour que ces textes soient traduits en turc4.
Pour toutes ces raisons, nous le répétons, le CCI – et non les membres d’EKS – en porte l’entière responsabilité5.
Mais le résultat fut que l’attitude de la section turque à l’égard des statuts n’était pas celle de militants marxistes qui cherchent à comprendre et à mettre en pratique les principes qu’ils sous-tendent – ou si nécessaire d’argumenter l’idée qu’ils devraient être changés avec tout le débat international au sein de l’organisation que cela impliquerait : en pratique, c’était plus l’attitude du petit avocat de salon, sans scrupules, dont le seul intérêt est de disséquer chaque document pour le tourner à son propre avantage.6
Cela constitue, au final, la justification de PBJ pour leur démission : « nous devions partir ». Mais qu’est-ce que cela sous-entend exactement ? Après tout, les membres turcs n’étaient pas exclus, ni collectivement ni individuellement, pas plus qu’il n’y avait de sanction prise à leur encontre. Leurs « positions minoritaires » n’étaient pas étouffées – au contraire, ils étaient constamment poussés à exprimer leurs positions par écrit de manière à pouvoir les publier et les porter à la connaissance de l’ensemble de l’organisation.
Si nous essayons de dégager les points principaux du texte de PBJ, le tableau qui se dessine alors se compose des éléments suivants :
Le CCI souffre d’une « culture de l’accord », ce qui rend les débats difficiles. Là-dessus, nous pouvons être d’accord, au moins jusqu’à un certain point7. Nous reviendrons sur la « culture de l’accord » au sein de la section turque elle-même.
Les « vieux » militants essayaient d’imposer une « transmission unilatérale » de l’expérience aux jeunes.
« La section était dissoute ».
En bref, donc, « nous devions partir ».
Pour résumer, PBJ est la « gauche critique » du CCI, plus encore qu’il ne représente les « jeunes » qui refusent d’accepter la « transmission unilatérale », la « dictature » des vieux dont les « traumatismes » « posent problème ».
En effet, à peine quelques mois avant leur démission, la section s’est opposée à l’organisation avec une prise de position grandiloquente dans laquelle elle déclarait être « la gauche » au sein de l’organisation. Reprenons leurs propres mots et mesurons un instant ce que signifie être « la gauche » dans le contexte du CCI ?
De manière parfaitement consciente, le CCI déclare tirer ses origines de la Gauche communiste, mais plus explicitement, et d’autant plus en matière de questions organisationnelles, de la tradition de la Gauche communiste italienne. Qu’est-ce que cela signifiait, être une « fraction de gauche » du temps de la Gauche italienne, lors de la dégénérescence de l’Internationale communiste ? « La Fraction de Gauche se forme alors que le parti prolétarien dégénère sous l’influence de l’opportunisme, c’est- à- dire, par la pénétration de l’idéologie bourgeoise. Il est de la responsabilité de la minorité qui défend le programme révolutionnaire, de mener une lutte organisée pour sa victoire au sein du parti. (…) C’est la responsabilité de la Fraction de Gauche de continuer le combat au sein du parti aussi longtemps que demeure l’espoir de le redresser : c’est pourquoi, durant la fin des années 1920, et le début des années 30, les courants de gauche n’ont pas quitté les partis de l’IC, mais ils en furent exclus, souvent au moyen de sordides manœuvres ».8
En bref, la gauche se bat pour son organisation jusqu’au bout pour :
Convaincre, et étendre son influence dans l’organisation autant que possible ;
Sauver autant de militants que possible ;
Clarifier les raisons du déclin de l’organisation, pour eux-mêmes, pour les autres militants, et pour le futur.
Enfin, la gauche ne s’enfuit pas au premier signe de désaccord et d’opposition. Elle fait tout ce qui est possible pour rester dans l’organisation et pour défendre ses idées – jusqu’à son exclusion. Elle ne joue pas les saintes-nitouches en fuyant lamentablement.
La Fraction de la Gauche italienne se forma contre la dégénérescence de l’Internationale communiste lorsque les partis constituant celle-ci intégrèrent l’appareil politique de la classe dirigeante. Quels que soient nos défauts, ce n’est pas la situation du CCI et, d’ailleurs, la section en Turquie n’a pas fait de telle déclaration. Il n’y avait donc aucune raison de supposer que les nombreux désaccords exprimés par, ou au sein de la section puissent justifier la formation d’une « fraction » dans le CCI ; au contraire, nous pouvions espérer que la discussion ouverte au sein de l’organisation permettrait une clarification de ces désaccords, et peut être conduire à une position plus claire de l’ensemble de l’organisation.
Toutefois, le dernier point souligné reste valable. Il est de la responsabilité de la minorité au sein d’une organisation révolutionnaire de défendre ses positions aussi longtemps qu’elle en est capable, d’essayer au maximum de convaincre le reste de l’organisation de la validité de ses positions. Personne ne prétendra que c’est une chose facile – mais c’est l’unique moyen de construire une organisation révolutionnaire.
Pourquoi les camarades turcs ont-ils à ce point échoué ? Nous pouvons pointer deux principaux facteurs :
Le premier, et nous l’avions souligné en 2007 dans un texte sur la « culture du débat »9 qui posait la nécessité absolument vitale du débat au sein de l’organisation pour sa bonne santé interne : « La deuxième raison majeure pour que le CCI revienne sur la question de la culture du débat était notre propre crise interne au début des années 2000, caractérisée par le comportement le plus sournois que nous n’ayons jamais vu dans nos rangs (…) Une des conclusions à laquelle nous sommes parvenus est que la tendance au monolithisme a joué un rôle dans toutes les scissions dont nous avons souffert. Quand des divergences apparaissaient, certains membres ont commencé à affirmer qu’ils ne pouvaient pas travailler davantage avec les autres, et que le CCI était devenu une organisation stalinienne ou était dans un processus de dégénérescence. Ces crises ont éclaté en réponse à des divergences qui, en grande partie, auraient pu être parfaitement contenues au sein d’une organisation non monolithique, et dans tous les cas, devraient être discutés et clarifiés avant toute séparation ». Les camarades turcs se sentirent victimes de ce même « monolithisme de la minorité ».
Le second est que la conviction que l’organisation est une nécessité vitale, c’est une des pré-conditions pour que la gauche se battre jusqu’au bout plutôt que de quitter l’organisation en hâte. C’est précisément le problème dans le milieu politique aujourd’hui qui n’a pas d’expérience de la vie de parti (comme cela existait par exemple dans le parti bolchevik du temps de Lénine), pas d’expérience de l’agitation révolutionnaire par un parti avec une influence déterminante sur la lutte de classe. De plus, il est infesté non seulement par la vieille opposition conseilliste au Parti, mais plus largement, par une profonde suspicion contre toute forme organisée d’activité politique au-delà de celle de cercle en tant que tel. En fait, PBJ ne prend pas vraiment l’organisation au sérieux. C’est pour cela que PBJ est autant choqué par « les positions au sein de l’organisation qui développent l’idée que, si le CCI d’une manière ou d’une autre cessait d’exister, le parti ne pourrait pas être fondé, le prolétariat ne pourrait pas faire la révolution et le monde serait confronté à une inévitable ruine, [et] exprime l’espoir que nous ne serions pas seuls à poursuivre une activité communiste, s’il devait advenir une telle situation ». Nous devrions demander à PBJ : croyez-vous (comme vous deviez le croire lorsque vous avez rejoint le CCI) que l’existence d’une organisation politique révolutionnaire, internationale et centralisée, soit décisive pour le succès d’une future révolution ? Contrairement à certains, nous n’avons jamais prétendu être « le Parti », ni être le seul groupe au monde qui défend l’internationalisme prolétarien. Il y a trop peu de révolutionnaires dans le monde et, selon toute probabilité, cela sera encore le cas pour un bon moment. Le prolétariat a besoin de rassembler toutes les forces qu’il peut : l’existence d’une organisation révolutionnaire n’est pas une question d’individus mais un produit historique de la nature révolutionnaire du prolétariat. Comme Bilan l’avait souligné pendant la guerre d’Espagne dans les années 1930, s’il n’y a pas de parti – pas d’organisation politique reconnue comme sienne par la classe ouvrière internationale – il n’y a alors pas de révolution. Et pourtant, une telle organisation ne va pas surgir par un quelconque processus mystique de génération spontanée. Construire une organisation est immensément difficile et nécessite des années d’efforts laborieux, et pourtant, elle reste toujours fragile au point de pouvoir être démolie en quelques mois, ou même quelques semaines. Si le CCI, qui est aujourd’hui la plus grande organisation de la Gauche communiste10, venait à faillir dans sa tâche, qu’y aurait-il pour la remplacer ? Comment et sur quelles bases serait construite l’organisation internationale ? A ces questions, PBJ peut seulement répondre « nous espérons que nous ne serions pas seuls ». « L’espoir fait vivre », comme on dit, mais ici, la superficialité règne en maître.
Nous voulons conclure ce point en répondant à la prétendue « dissolution de la section turque ». Il n’y a pas de doute que des erreurs ont été commises des deux côtés, dans le processus qui a conduit au départ de la section ; il ne fait aucun doute qu’une certaine méfiance s’est développée et que nous avons été incapables de la dissiper11. Il n’est pas vrai, dans tous les cas, de suggérer que la section a été « dissoute ». Cette déclaration est basée sur deux points :
Premièrement, qu’il a été demandé à la section par une résolution de l’organe central, de remplacer ses propres réunions par la participation de tous ses membres (via internet) à des discussions avec d’autres sections du CCI.
Deuxièmement, qu’il a été demandé à la section de traduire tous ses articles en anglais et de les soumettre au BI avant de les publier.
Prenons-les dans l’ordre.
Comme dit le propre texte de PBJ, la participation des membres de la section turque à d’autres réunions était une tentative de casser le localisme dans lequel se retranchait la section – et qu’ils ne peuvent nier. Ce qu’ils ont oublié de mentionner, c’est que la même mesure était appliquée dans d’autres sections peu avant le congrès du CCI. Le but était d’ouvrir la vie locale des sections à la discussion internationale, pour faire rentrer de l’air frais et permettre à tous les camarades d’avoir une vision de la vie de l’organisation comme un tout, au-delà de leurs propres préoccupations immédiates, avant que les délégations n’arrivent au Congrès. À l’origine, cette mesure n’était pas prévue pour durer au-delà du Congrès lui-même. C’est par la suite – ce que PBJ oublie de dire à ses lecteurs-, une fois que la section turque était clairement en désaccord avec la mesure proposée (parce qu’ils ne la comprenaient pas), qu’elle a été retirée par l’organe central : la discipline communiste n’est pas une chose qui peut être imposée d’une manière bureaucratique.
En ce qui concerne la presse, nos statuts établissent sans ambiguïté que (même en Turquie) « les publications territoriales sont confiées par le CCI aux sections territoriales et plus spécifiquement à leurs organes centraux qui peuvent nommer des comités de rédaction à cette fin. Cependant, les publications sont l’émanation de la totalité du Courant et non des sections territoriales particulières. De ce fait, le B.I. (Bureau International) a la responsabilité d’orienter et de suivre le contenu de ces publications ». Étant donné que le BI en général ne parle pas turc et que la section – comme PBJ pourrait difficilement nier – n’était pas complètement en accord avec le reste du CCI sur toute une série de points (incluant par exemple l’analyse de la « révolte sociale » en Espagne, Égypte, Turquie et au Brésil), il n’était certainement pas irresponsable de la part du BI de demander que les articles lui soient soumis avant publication : dans tous les cas, le BI était pleinement dans ses droits statutaires en le demandant. Pour voir à quel point le BI avait raison, les lecteurs peuvent juger par eux-mêmes sur la base de l’article à propos du désastre de la mine de Soma, article dont PBJ souligne particulièrement qu’il n’a pas été publié. Dans cet article, nous lisons par exemple que « la mort d’ouvriers des chantiers navals ou de sur des sites de construction comme dans les guerres surviennent parce que la bourgeoisie souhaite consciemment qu’elles arrivent ; le massacre à Soma qui a été appelé accident, a été consciemment orchestré », et il poursuit en disant que « sur un champ de bataille ou sur leur lieu de travail, les ouvriers ont de la valeur s’ils meurent pour le capitalisme. » Même pour un spécialiste adepte du matérialisme vulgaire (et les membres de la section turque déclaraient à cette époque, être marxistes, nous régalant jusqu’à l’indigestion de leçons sur la « loi de la valeur »), c’est un sacré non-sens : les ouvriers ont de la valeur pour le capital s’ils produisent de la plus-value, ce qu’ils peuvent difficilement faire s’ils sont morts.
Loin de « dissoudre » la section, l’organisation avait tout intérêt à ce qu’elle participe à la vie internationale du CCI, incluant en particulier son congrès international. Certains auraient pu s’attendre à ce que « la gauche » saute sur l’occasion pour s’exprimer au congrès, d’autant plus que nos statuts exigent explicitement la surreprésentation des positions minoritaires. Mais pas pour PBJ : ses membres ont non seulement démissionné précipitamment avant le congrès, mais ont également rejeté notre invitation à y participer et à parler en tant que groupe extérieur. Ils étaient trop occupé par un « travail important » à faire – nous laissons nos lecteurs juger par eux-mêmes le résultat du « travail important » de PBJ sur leur propre site web. Après tout, « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ».
PBJ parlait beaucoup de prétendus « camarades conservateurs »12, qui « mettaient en avant que la génération de 68 devait transmettre son expérience aux jeunes de manière unidirectionnelle. Cette insistance présupposait que les jeunes camarades étaient dépourvus de toute expérience sur la question de l’organisation ». Que « les jeunes camarades étaient dépourvus de toute expérience sur la question de l’organisation » est un état de fait 13, mais il vaut la peine de reprendre cette question avec un peu plus de profondeur, ce que PBJ peine à faire.
« Chaque génération constitue un maillon dans la chaîne de l'histoire de l'humanité. Chacune d'elle fait face à trois tâches fondamentales : recueillir l'héritage collectif de la génération précédente, enrichir cet héritage sur la base de son expérience propre, le transmettre à la génération suivante de sorte que cette dernière aille plus loin que la précédente.
Loin d'être faciles à mettre en œuvre, ces tâches représentent un défi particulièrement difficile à relever. Ceci est également valable pour le mouvement ouvrier. La vieille génération doit offrir son expérience. Mais elle porte aussi les blessures et les traumatismes de ses luttes ; elle a connu des défaites, des déceptions, elle a dû y faire face et prendre conscience du fait qu'une vie ne suffit souvent pas pour construire des acquis durables de la lutte collective. Cela nécessite l'élan et l'énergie de la génération suivante mais également les questions nouvelles qu'elle se pose et la capacité qu'elle a de voir le monde avec des yeux nouveaux.
Mais même si les générations ont besoin les unes des autres, leur capacité à forger l'unité nécessaire entre elles ne va pas automatiquement de soi. Plus la société s'éloigne d'une économie traditionnelle naturelle, plus le capitalisme "révolutionne" de façon constante et rapide les forces productives et l'ensemble de la société, plus l'expérience d'une génération diffère de celle de la suivante. Le capitalisme, système de la concurrence par excellence, monte aussi les unes contre les autres les générations dans la lutte de tous contre tous. »14
Schématiquement, nous pouvons dire qu’il y a trois réactions possibles à ce besoin de transmission de l’expérience propre à toute société humaine :
L’autorité du Maître ne peut être remise en cause, chaque génération doit souvent s’approprier et répéter les leçons de la précédente. Ceci est l’attitude caractéristique des vieilles sociétés asiatiques, qui a infecté le mouvement prolétarien sous la forme bordiguiste caricaturale de dévotion à l’intouchable travail du Maître.
La contestation qui dominait dans le mouvement de la jeunesse des années 1960, condamné – parce qu’il échoua à apprendre de ses prédécesseurs – à répéter leurs erreurs dans leurs moindres détails.15
Enfin, nous avons l’appropriation critique, scientifique et marxiste de l’expérience du passé. Comme montrait un article précédent16, c’est cette capacité à s’approprier le travail et la pensée des générations précédentes et de les développer de manière critique, qui caractérisa l’émergence de la pensée scientifique dans la Grèce antique.
Les exemples d’une telle réappropriation critique par une nouvelle génération de militants ne manquent pas dans l’histoire du mouvement ouvrier. Nous pouvons citer celui de Lénine à l’égard de Plekhanov, ou plus frappant encore, celui de Rosa Luxemburg au regard de Kautsky et du SPD en général, aussi bien qu’envers les théories de Marx qu’elle a à la fois critiquées et développées dans L’accumulation du capital. Ces exemples nous montrent qu’une des préconditions pour la critique est précisément l’appropriation des idées de nos prédécesseurs, c’est-à-dire la capacité à les comprendre – et une capacité à comprendre est dépendante d’une capacité à lire (alors que la moitié de la section ne lisait d’autres langues que le turc, ceci était clairement une impossibilité physique). Ce n’est qu’après avoir compris les idées que l’on peut les critiquer, particulièrement dans le contexte d’une organisation où le but est de convaincre les autres camarades, en polémiquant avec eux, ce que les membres de la section turque n’ont pas réussi à faire. PBJ prétend que ce n’est pas vrai17. Et pourtant, ils auraient du mal à pointer un seul texte sur la question organisationnelle (en dehors de « l’infâme » position sur le parasitisme) qui soit en prise avec les documents de base du CCI, internes ou externes. Si nos lecteurs ont besoin de se convaincre de la vacuité de la compréhension organisationnelle de PBJ, nous les invitons à consulter le texte de Jamal (Text by Jamal [557]), un contributeur régulier sur le forum du CCI) que PBJ a publié sur son site web sans le moindre commentaire critique : il se lit comme une sorte de manuel pour manageur produit par le service des ressources humaines d’une nouvelle start-up.
Maintenant, nous voulons faire un pas en arrière et revenir à notre citation au début de cet article. « Une des tâches les plus urgente et ardue qui se dresse devant les révolutionnaires est celle d’unifier et de souder ensemble les forces révolutionnaires qui émergent et qui sont aujourd’hui dispersées de par le monde ». Face aux défaillances du CCI (et nul ne le sait mieux que nous), il est bien trop aisé d’oublier combien une telle tâche est difficile et ambitieuse. Rassembler des militants de toutes les parties du monde, d’origines et de cultures très différentes, au sein d’une même association internationale capable de s’impliquer, de prendre part et de stimuler la réflexion du prolétariat mondial (fort de plusieurs milliards) afin qu’il s’unisse - non dans une homogénéité sans vie mais dans un tout où l’unité d’action se fonde sur la diversité du débat au sein d’un cadre politique accepté -, c’est une entreprise gigantesque. Certainement, nous sommes loin de la réalisation de nos ambitions – mais nous devons seulement inciter à prendre en considération combien nos ambitions sont différentes de la mentalité de cercle qui dominait EKS, comme ses membres le reconnaissent eux-mêmes.
En fait, les membres de la section turque n’ont jamais compris la différence fondamentale entre être un cercle et être des militants d’une organisation révolutionnaire, en particulier une organisation internationale. Ce n’est pas entièrement leur faute, dans la mesure où nous avons échoué à leur transmettre nos conceptions organisationnelles – en partie parce que, jusqu’un certain point, nous les avions nous-mêmes perdues de vue.
Nous avons déjà largement traité de la question que Lénine appelle « l’esprit de cercle »18. Nous nous contenterons ici de rappeler quelques points essentiels.
Tout d’abord, le cercle se caractérise par une adhésion basée sur un mélange d’amitiés personnelles et d’accords politiques. Il en résulte que les conflits personnels et les désaccords politiques sont amalgamés – une recette infaillible pour la personnalisation des arguments politiques. Il est peu surprenant que la vie de la section en Turquie ait été marquée par une série d’animosités personnelles amères conduisant à des divisions et à des périodes de « paralysie ».
Pour maintenir sa cohésion, le cercle se referme vis-à-vis de l’extérieur, comme une huître. Cela devient alors une recette de la personnalisation des antagonismes entre le cercle et le reste de l’organisation : « Sous le nom de ‘minorité’, des éléments hétérogènes se regroupent au sein du parti s’unissent, mus par le désir, conscient ou non, de maintenir leur relations de cercle, formes d’organisations préalable au parti ».19 L’esprit de cercle au sein d’une organisation mène à une attitude de « eux et nous », le cercle contre les « organes centraux » ; le cercle perd complètement la vision de l’organisation comme un tout, et devient obsédé par les « organes centraux ». Un exemple que nous pouvons citer parmi bien d’autres est le texte écrit par un des membres de la section : Y a-t-il une crise dans le CCI ? ; la critique exprimée dans ce texte a été reprise et développée par une autre section qui y a également répondu, bien que cette réponse ait été complètement ignorée. Seuls « les organes centraux » sont jugés dignes de considération.
Le cercle maintient sa cohésion en s’opposant en bloc au reste de l’organisation, alors qu’il évite simultanément tout débat au sein du cercle sur ses propres divergences. Ceci était très flagrant dans le débat sur l’éthique et la morale engagé au sein du CCI où un camarade développait des arguments critiques (voir notes plus haut) qui étaient d’une certaine manière directement inspirés par les propres textes de l’organisation, alors qu’un autre mettait en avant une position qui bien plus redevable à Hobbes qu’à Marx – et pourtant, nous n’en avons jamais entendu la moindre critique de la part des autres camarades de Turquie20.
Un cas plus flagrant de cette fermeture au reste de l’organisation apparaît avec le débat sur les événements autour des manifestations massives de Gezi Park à Istanbul. D’après PBJ, « il a été dit que la section n’avait pas informé l’organisation de ses désaccords pendant le mouvement de Gezi alors qu’au plus chaud des événements, la section a eu une réunion avec les camarades du secrétariat pour tenter d’expliquer ses désaccords. » Il est certainement vrai qu’il y a eu une longue discussion entre les membres du secrétariat international et les membres de la section turque sur la modification éditoriale de leur article à propos des événements de Gezi. Il est également vrai que les membres du secrétariat international ont eu des difficultés à comprendre les tenants et les aboutissants de ces « désaccords », et cela pour une bonne raison : à la conférence de la section tenue peu après, il est devenu évident qu’il y avait au moins deux, sinon trois, différentes positions au sein de la section elle-même. Les membres de la section se sont engagés à écrire leurs différentes positions pour mener la discussion au sein de l’ensemble de l'organisation – nos lecteurs seraient étonnés d’apprendre que ces documents n’ont toujours pas vu le jour.
Les ex-camarades de Turquie restent encore silencieux sur un autre de leurs désaccords internes, à propos du « ton » de notre "Communiqué à nos lecteurs : le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois [505]". D’après PBJ, « néanmoins, les membres de la section dans l’organe central du CCI n’ont pas manqué de critiquer le ton extrêmement virulent du communiqué écrit en réponse à cette attaque. » Parfaitement vrai. Mais le texte oublie de mentionner que deux autres membres de la section ont trouvé le communiqué tout à fait approprié, et l’on dit sans ambiguïté pendant une réunion tenue en juillet 2014 avec des membres de la section en France.
Nous avons déjà mentionné (voir la note 6), l’insistance de L. et Devrim pour poursuivre leurs débats sur les forums sans aucune restriction. Ceci rappelle, une fois de plus, les paroles de Lénine : « Certains militants éminents des vieux cercles les plus influents, n’étaient pas habitués aux restrictions organisationnelles que le Parti doit imposer, sont mécaniquement enclins à confondre les intérêts généraux du Parti et leurs intérêts de cercle qui peuvent coïncider pendant la période des cercles. » Ils « brandissent naturellement l’étendard de la révolte contre les restrictions indispensables de l’organisation et ils établissent leur anarchisme spontané comme un principe de lutte (…) montrant des exigences en faveur de la ‘tolérance’, etc. »21
« Une image vaut mille mots », comme dit le proverbe, et cela est certainement valable pour PBJ. Grace à la magie technique d’internet, nous avons découvert que l’image que PBJ a choisie pour représenter le groupe vient directement du monde « sentimental hippiedom.22 »
Leurs « principes politiques » sont dénués de toute référence à la Gauche communiste, ou encore de tout héritage du passé. PBJ déclare être un nouveau groupe basé seulement sur lui-même, sur l’ignorance et sur un amalgame de ressentiments, de mécontentements et de loyautés personnelles23.
Il n’y a par ailleurs aucune référence à la décadence du capitalisme, qui est pour le CCI qu’ils viennent tout juste de quitter, le fondement matérialiste de ses positions politiques. PBJ ne fait aucune critique de ses fondements théoriques, pas plus qu’il n’a d’alternative à donner. Les membres de PBJ n’en ont peut-être pas conscience, mais en évacuant toute référence au passé et toute tentative de donner une base matérialiste à leurs positions, ils compromettent déjà le processus de « discussion politique » qu’ils prétendent avoir engagé.24 Dans la liste des sujets de discussions proposés dans la « feuille de route » de PBJ (qui devrait les tenir occupés pendant les vingt prochaines années au moins), il vaut la peine de remarquer la présence de « La question nationale au Moyen-Orient »... et l'absence complète sur le site de PBJ du moindre commentaire sur la situation concrète en Turquie, la continuité de la guerre d'Erdogan contre les Kurdes, la résurgence du nationalisme kurde et la crise des réfugiés syriens, l'attaque à la bombe de Suruç, etc., etc.
Nous avons dit plus haut que l'existence d'une organisation révolutionnaire internationale est une condition préalable pour la réussite du renversement du capitalisme. Si le prolétariat se montre un jour capable de « se lancer à l’assaut du ciel » (pour utiliser une expression de Marx), alors sa force décisive proviendra de ces pays munis d’une classe ouvrière forte et d’une certaine expérience historique. La Turquie, passerelle entre l’Europe et l’Asie, est l’un de ces pays et un mouvement prolétarien montant produira nécessairement une expression politique qui ne peut être fondée que sur l’héritage de la Gauche communiste. En tournant le dos à cet héritage, les membres de PBJ se disqualifient pour participer à une telle expression politique, et ceci est leur tragédie.
Terminons tout de même sur une note optimiste. Toute notre expérience passée indique que PBJ est condamné à suivre la voie des cercles précédents - ceux qui refusent d'apprendre de l'histoire (et vous ne pouvez pas apprendre de l'histoire, si vous ne savez rien à son sujet) sont condamnés à la répéter. Mais restons ouverts à la possibilité que nous pouvons avoir tort et que PBJ, en dépit de toutes les apparences, pourra encore produire quelque chose d'utile pour le prolétariat et pour la révolution. Pour ce faire, ils devront trouver leur chemin pour revenir vers l’héritage révolutionnaire théorique et organisationnel de la Gauche communiste.
CCI, novembre 2015
1 La TCI-Tendance Communiste Internationaliste (ex-BIPR-Bureau International pour le Parti Révolutionnaire) offre une autre illustration frappante de cette extrême difficulté à dépasser les erreurs qui sont, pour ainsi dire, installées dans les gènes de l’organisation : ces origines dans le profond opportunisme qui présidait à la création du Partito Comunista Internazionalista en 1943 [558] dont elle est issue, ont toujours hanté cette organisation depuis lors.
2 Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de nier que nous avons fait des erreurs dans ce domaine également, en grande partie comme résultat de notre tendance au schématisme.
3 C’est pourquoi nos statuts font explicitement partie de notre plateforme et ils constituent une partie des bases sur lesquelles les militants sont intégrés dans l’organisation.
4 Le manque de traductions en turc est devenu critique uniquement lorsque la section (sans demander l’opinion à qui que ce soit d’autre sur le sujet) a intégré des nouveaux membres qui ne pouvaient pas lire l’anglais.
5 Le lecteur attentif aura remarqué que notre vision de l’opportunisme du CCI en matière d’organisation est très différente de celle de PBJ. Au risque d’éprouver la patience de nos lecteurs, nous voulons répondre brièvement à l’un des petits « mythes » de PBJ (pour reprendre leur expression) : selon lequel « l’exemple le plus évident de l’opportunisme dans le processus d’intégration de la section, était que des camarades en désaccord avec la plateforme et les statuts étaient acceptés dans l’organisation. » À quoi cela se réfère-t-il exactement ? En fait, il y avait deux désaccords possibles soulevés par le processus de discussion. Le premier était un désaccord de Devrim sur l’interdiction par nos statuts d’être membre d’un syndicat (étonnamment, PBJ ne voit visiblement rien de malhonnête dans le fait d’accepter d’intégrer dans une organisation un élément qui est en désaccord avec les positions de celle-ci … ), le second se réfère à une camarade qui était en désaccord avec l’interdiction par les statuts d’appartenir à toute autre organisation politique. Prenons ces désaccords un à un.
Exclure l’appartenance à un syndicat vise toute concession à « l’entrisme » (l’idée qu’il serait possible d’influencer positivement les syndicats de l’intérieur, ou bien que l’on pourrait intervenir « plus efficacement » en étant membre d’un syndicat) ou au « syndicalisme rouge » selon sa variante bordiguiste, ou encore à son cousin, le syndicalisme révolutionnaire. Toutefois, les statuts l’autorisent pour des exceptions dues à des « contraintes professionnelles ». Cette disposition fut ajoutée pour prendre en compte les travailleurs des industries « closed-shop » (système d’affiliation obligatoire aux syndicats, NdT), où l’appartenance à un syndicat est une condition d’embauche – une situation très courante dans les années 1970 en Angleterre, mais aussi dans quelques industries dans d’autres pays (par exemple, l’industrie française de l’imprimerie lorsqu’elle était complètement dominée par la CGT). L’objection de Devrim était que les travailleurs pouvaient être forcés, pas nécessairement dans un « closed-shop » à se syndiquer pour accéder à la sécurité sociale, à un système de protection sociale ou d’assurance ou d’autres avantages critiques tels que la représentation légale dans une dispute personnelle ; à aucun moment (à notre connaissance), aussi bien aujourd’hui qu’à l’époque de l’argumentation de Devrim, cela ne fut en faveur de l’entrisme ou bien en faveur du syndicalisme révolutionnaire, et nous avions considéré (comme nous le lui avions expliqué) que les cas qu’il citait, dans les conditions des années 2000, tombaient dans la définition de ce que l’on nomme « des contraintes professionnelles ».
Dans le second cas, la camarade en question participait à un groupe de femmes et était réticente à l’abandonner. Nous avons demandé de quelle sorte de groupe il s’agissait. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’un groupe de femmes qui se rencontraient pour discuter spécifiquement des problèmes de femmes (politiques et sociaux) et préféraient le faire sans la présence des hommes – ce qui est parfaitement compréhensible dans les conditions d’un pays tel que la Turquie. Ce groupe – pour autant que nous pouvions comprendre – n’avait pas de plateforme politique, ni même d’ordre du jour politique en tant que tel ; sur cette base, nous avons conclu qu’il ne s’agissait pas d’un groupe politique tel que défini dans les statuts mais plutôt d’un groupe de discussion et qu’en conséquence, non seulement nous ne pouvions avoir d’objection à sa participation mais qu’au contraire, nous considérions cela comme une partie de l’intervention de l’organisation.
6 Nous nous limiterons à un seul exemple. Selon nos statuts, le débat au sein de l’organisation est rendu public seulement lorsqu’il a atteint un degré de maturité tel que, premièrement, l’ensemble de l’organisation soit consciente des débats et de leurs implications, et deuxièmement, qu’il était possible de l’exprimer avec une clarté suffisante pour qu’il contribue à cette clarification et non à la confusion. Ces dispositions, rappelons-le, sont dans les mêmes statuts auxquels tous les membres d’EKS ont adhéré. Quoi qu’il en soit, deux d’entre eux ont continué à débattre entre eux en public sur divers forums internet qu’ils avaient l’habitude de fréquenter, sans jamais, à aucun moment, penser nécessaire de tenir informé le reste de l’organisation que ce soit de leur intervention ou de leurs désaccords. Lorsqu’il leur a été montré que c’est en contradiction directe avec à la fois la lettre et l’esprit des statuts, ils ont répondu que les statuts avaient été écrits avant l’existence d’internet, et que ces règles pouvaient uniquement être applicables à la presse imprimée.
Maintenant bien sûr, quelqu’un pourrait parfaitement argumenter sur ce point – mais ce que l’on ne peut pas faire, quand on accepte les statuts d’une organisation comme le CCI, c’est de tout simplement les ignorer lorsqu’ils ne nous conviennent pas et de tenter de se justifier a posteriori en pinaillant sur la différence entre la presse imprimée et la presse électronique.
7 L’article sur le Congrès parle de « dimension intellectuelle » de la crise du CCI et de la lutte nécessaire contre le « routinisme, la superficialité, la paresse intellectuelle, le schématisme, … ». Mais les membres de PBJ, peuvent-ils honnêtement prétendre être eux-mêmes à l’abri de ces défauts ?
8 Revue Internationale n° 90, La fraction italienne et la Gauche Communiste de France [559], voir également le « Rapport sur la Fraction » pour le XXIe Congrès du CCI.
9 Revue Internationale n° 131, La culture du débat : une arme de la lutte de classe [189].
10 Plus important encore, le CCI est actuellement la seule organisation dont les positions viennent de la synthèse des principales avancées des différents courants de la Gauche communiste. Les autres groupes s’identifient exclusivement soit à la Gauche germano-hollandaise, soit à la Gauche italienne.
11 PBJ mentionne une réunion du Bureau international dans laquelle le droit de participation du délégué de la section turque a été remis en question par une des autres délégations. Ceci était assurément une sérieuse erreur de la part de la délégation en question, mais aussi un indicateur de cette atmosphère de méfiance qui s’est développée dans l’organisation – mais comme PBJ le met en avant, l’idée que le délégué de la section turque ne devrait pas être admis a été fermement rejeté par le BI, comme étant contraire à nos statuts et à notre conception de l’organisation.
12 PBJ est très habitué à la « personnalisation » qui était supposée caractériser notre approche. Pourtant, tout au long de leur texte, les militants sont décrits comme étant « expansionniste s» ou « conservateurs », complètement indépendamment des arguments politiques invoqués. Laissons PBJ se préoccuper de la poutre dans leurs yeux, avant de se soucier de la paille dans les yeux des autres.
13 Certains militants de la section turque avaient une longue expérience organisationnelle avant de rejoindre le CCI… dans des sectes gauchistes. Mais quelles que soient les intentions conscientes de ces membres, ces groupes sont fondamentalement bourgeois et en tant que tels, ils sont profondément imprégnés de l’idéologie bourgeoise : c’est notre expérience avérée – confirmée à la lettre par PBJ – que, pour un ex-gauchiste, être militant dans une organisation communiste signifie avant tout désapprendre toutes les attitudes et pratiques acquises dans le gauchisme. Ceci est bien plus difficile que de venir au communisme sans expérience antérieure.
14 La culture du débat, 2007, op. cit
15 Dans la chanson Les bourgeois du chanteur belge Jacques Brel, trois étudiants se moquent du ridicule des « bourgeois » provinciaux… jusqu’à ce qu’eux-mêmes vieillissent et se retrouvent devant la police pour se plaindre de l’intolérable insolence des jeunes étudiants. Brel aurait pu écrire pour Joschka Fischer, Daniel Cohn-Bendit et tous les autres leaders politiques issus du mouvement étudiant de 1968.
16 Notes de lecture sur marxiste et science [560] (disponible uniquement en anglais).
17 Selon PBJ, « l’affirmation selon laquelle un texte interne sur l’éthique écrit par un membre de la section ignorait les textes écrits auparavant par l’organisation sur ce sujet était une autre légende parce que le texte en question ét)ait en fait écrit en réponse au texte d’orientation de l’organisation sur cette question. » En retour, nous pouvons citer une réponse au texte en question que PBJ a publié trop précipitamment : « Une précondition pour la ‘culture du débat’ est qu’il devrait y avoir un débat : cela signifie que les positions opposées doivent se répondre. Bien que le texte de L. commence par une brève citation du texte sur « Marxisme et éthique [149] » sur la définition de l’éthique et de la morale, et nous dit que ‘de ces définitions découlent toute une série de confusions, et de nombreuses autres erreurs’, ceci est l’unique endroit dans son texte où il fait référence à Marxisme et éthique, nous sommes laissés dans l’obscurité sur ce que sont exactement ces ‘erreurs et confusions’, et de quelle manière elles sont le résultat des idées avancées dans Marxisme et éthique. De plus, il est clair pour nous que des parties du texte de L. sont en accord ou sont directement inspirées par Marxisme et éthique, et pourtant, ces zones d’accord ne sont pas plus claires. »
18 Notamment dans La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI [561], Revue Internationale n° 109
19 Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, cité dans le texte sur le fonctionnement organisationnel.
20 Pour donner une idée de l’influence de la philosophie de Hobbes de ce texte, nous en citons ce court passage : « La relation entre les êtres humains est une relation inégale. Cette inégalité découle de la valeur d’usage et de la valeur d’échange produite par les êtres humains [visiblement ici l’auteur n’a pas conscience des dizaines de milliers d’années de l’histoire de l’humanité où la valeur d’échange n’existait pas]. Cette réelle base matérielle détermine complètement les relations humaines de tout temps [l’objection bourgeoise classique à la possibilité du communisme]. Et cette inégalité produit une tendance à dominer. Pour les êtres humains, cette tendance émerge de la survie dans des conditions naturelles. De manière primordiale, c’est la tendance de chacun pour assurer sa propre survie ». Autrement dit, l’homme est un loup pour l’homme et la société humaine, c’est la guerre de chacun contre tous, comme l’énonçait Hobbes, etc. etc.
21 Citation de Lénine.
22 Ceux que cela intéresse peuvent trouver l’original ici : markhensonart.com/galleries/new-pioneers. Elle est accompagnée de l’édifiant texte suivant : « Le drame épique de la vie, de la mort, de la guerre, de la paix et le droit inaliénable de choisir est représenté dans un immense panorama. Des réfugiés sortent d'une zone de guerre, un pionnier arrive à un mur de graffitis où les choix sont rayés. Nous voulons tous vivre en paix, mais en quelque sorte, beaucoup sont attirés par des valeurs qui sont totalement différentes et la guerre semble être la seule option pour une humanité devenue folle. Les pionniers et les réfugiés vont, eux, vers un nouveau monde de la conscience éveillée. »
23 Il vaut la peine de noter qu’un camarade, dans sa lettre de démission, n’exprime absolument aucun désaccord politique avec l’organisation.
24 Nos lecteurs peuvent juger des limites dans lesquelles PBJ est engagé dans un processus de discussion et de clarification d’après leur refus, suite à notre invitation pour participer au dernier congrès du CCI, soit au titre de membres de l’organisation soit comme éléments extérieurs à celle-ci.
Il y a aujourd’hui 40 ans que se sont déroulés les événements de Vitoria de 1976, dans un contexte d’importantes mobilisations ouvrières partout en Espagne, pour la défense des conditions de vie face à la dévalorisation des salaires due à la crise économique. Les manifestations dans cette ville étaient devenues de plus en plus massives, s’unifiant dans des assemblées générales, en élisant un Comité de délégués révocables. Et c’est justement au moment où allait avoir lieu une assemblée générale dans l’église de San Francisco, que la répression policière s’est abattue sur les ouvriers. Le ministre de l’Intérieur d’alors, Fraga Iribarne, fondateur et président du parti de droite espagnol (Parti populaire), jusqu’à son décès, et toujours salué comme un grand « démocrate », donna l’ordre de tirer sur les travailleurs. Il y eu 5 morts et beaucoup de blessés.
La réponse ouvrière fut très puissante, partout dans le pays il y eu des manifestations de solidarité, des assemblées massives se sont organisées à l’échelle d’une ville entière comme à Pampelune, exprimant ainsi une dynamique de lutte de masses, unifiant les revendications et refusant tout retour au travail jusqu’à ce que ces revendications aient été satisfaites. L’État a dû céder partiellement.
Début mars dernier, dans de son premier discours parlementaire lors du premier essai d’investiture de Pedro Sánchez (du Parti socialiste), Iglesias (chef de Podemos)1 a voulu s’appuyer sur cet anniversaire pour avaliser ses propositions d’un « renouvellement démocratique » et de « justice sociale ». Mais ce que les ouvriers, en 1976, avaient en face d’eux ce n’était pas tant un gouvernement post-franquiste agonisant, mais un projet de transition démocratique organisé avec le soutien international des vieilles démocraties européennes qui faisaient à ce moment-là partie du bloc américain (l’Allemagne et la France, en particulier), pour essayer de contenir le grand malaise existant en Espagne et les luttes. Les Pactes de la Moncloa, un an plus tard, montrèrent l’unité de toute la bourgeoisie pour attaquer le prolétariat sous le couvert idéologique de la réforme démocratique. Si Vitoria 76 a bien un rapport avec les assemblées massives du 15 M [pour 15 mai 2011], avec la dynamique de la lutte de masse (même si en 2011 n’a pas pu surgir clairement une identité prolétarienne)2; le parti d’Iglesias n’a rien à voir avec tout cela3.
Avant de passer à la lecture de cet article de 1976, nous voudrions faire part à nos lecteurs du regard critique que nous portons aujourd’hui à son contenu. Cet article fut rédigé alors que la section du CCI en Espagne n’était pas encore constituée4. L’inexpérience et les difficultés pour assimiler nos positions ont eu une influence sur la prise position que nous présentons ci-dessus. Aujourd’hui, 40 ans plus tard, nous la considérons toujours parfaitement valable, surtout sur les points suivants :
Avoir dénoncé la grande manœuvre du « rétablissement de la démocratie » en Espagne dont nous vivons encore les conséquences mensongères ;
Avoir démasqué la convergence contre le prolétariat, des agissements de toutes les forces politiques de la bourgeoisie, surtout de celles qui proclament être de gauche et d’extrême-gauche ;
Avoir défendu les moyens de lutte du prolétariat, en particulier, les Assembles générales et l’unification des luttes ;
Avoir défendu la perspective communiste du prolétariat, seule alternative face aux prétendues reformes d’un système qui fait plonger dans la misère, la guerre et la barbarie la grande majorité du genre humain.
Ceci dit, cet article contient des passages qui révèlent une surestimation des possibilités réelles immédiates du prolétariat. On y dit, par exemple : « Et, la prochaine fois, ce sera les commissariats, les casernes, la poste et le téléphone ». Ceci est bien l’expression d’une surestimation des possibilités que la situation offrait à ce moment-là qui est presque considéré comme un moment pré-révolutionnaire. La situation internationale du prolétariat était vraiment loin de rendre possible une telle proposition car les luttes étaient fortement retombées après les déflagrations de 1968 en France, 1969 en Italie et 1970 en Pologne, réalité ignorée tout en disant le contraire : « Aujourd’hui, partout dans le monde des grèves apparaissent contre les conditions de vie que la crise fait subir, et, même si elles sont réprimées, elles ressurgissent avec une combativité de plus en plus forte ». Mais, plus généralement, le prolétariat était bien loin de se donner les moyens de conscience et de politisation de son combat pour se mettre à réaliser une telle proposition.
On affirme aussi dans l’article que « les moyens de l’unité, de la conscience et de l’organisation, nous les avons grâce à l’expérience de cette vague de luttes » ; même s’il est vrai que l’unité s’est développée et que la multiplication des assemblées fut impressionnante, il n’y avait pas du tout, loin de là, une conscience claire pour comprendre la nécessité de la révolution prolétarienne mondiale et l’absence des moyens pour aller vers elle. Même l’unité de la classe ouvrière n’était pas comprise dans tout ce qu’elle implique. Pesaient encore sur elle très fortement les divisions sectorielles, régionales, etc. Les assemblées générales elles-mêmes n’avaient pas assumé toutes les conséquences et les implications de leur fonction dans la classe et les comités de délégués commençaient à être récupérés et manipulés par les syndicats et les forces de l’extrême-gauche de la bourgeoisie.
L’inexpérience et les difficultés dans l’assimilation des positions de classe auxquelles avait adhéré la jeune section du CCI, s’est exprimé, par exemple, dans la vision qu’on a eue sur l’insurrection ouvrière des Asturies de 1934 comme si elle avait été une « révolution ». Malgré l’énorme combativité déployée à l’époque par les mineurs asturiens, la lutte est restée totalement enfermée dans le périmètre régional et elle fut plus la réponse à une provocation qui entraîna les mineurs vers l’insurrection qu’une action consciemment décidée par eux. Par ailleurs, la situation mondiale était faite d’une accumulation de défaites physiques et idéologiques de la classe, du triomphe de la contre-révolution, de préparation de la deuxième boucherie impérialiste, tout ce qui empêchait que les luttes prennent la moindre perspective révolutionnaire. L’insurrection des Asturies doit être placée sur le même chapitre que la provocation dans laquelle les sociaux-démocrates autrichiens embarquèrent les ouvriers de ce pays en février 1934 qui les amena à une terrible défaite. Les collègues socialistes espagnols de ceux-là, avec Largo Caballero en tête, qu’on a eu le culot de présenter comme « le Lénine espagnol » (alors qu’il avait été au Conseil d’État sous la dictature de Primo de Rivera), amenèrent les mineurs dans une souricière en les laissant en plan, en sabotant toute tentative de solidarité à Madrid et ailleurs5.
Rosa Luxemburg disait que « l’autocritique, la critique cruelle et implacable qui va à la racine du mal, est la vie et l’air pour le prolétariat ». Le fait de bien montrer ces erreurs nous aide à la clarté et à la conviction dans notre combat.
CCI, mars 2016
La bourgeoisie n’a pas caché son inquiétude face à la force déployée par les travailleurs dans ces trois premiers mois de l’année. On voit cela dans la phraséologie de la presse et dans les déclarations des personnalités publiques : pour le cardinal primat « des jours d’incertitude sont proches pour l’Espagne », Ricardo de la Cierva voit que « l’horizon est si noir que je n’arrive pas à voir ». Le journal Informaciones, face à l’avalanche de grèves se demande : « sommes-nous face à une tentative révolutionnaire de base ? ».
Nos grèves ont secoué le pays tout entier, toutes les branches de production. Salamanque ou Zamora, « où il ne se passe jamais rien », ont connu des grèves dans le bâtiment et les industries métallurgiques ; même les aveugles ont fait des arrêts de travail et ont manifesté dans la rue.6
Même avant-guerre, on n’avait pas vu un mouvement aussi général ! Rien qu’en janvier, il y a eu plus de grèves que pendant toute l’année 1975. Une si énorme mobilisation doit nous faire prendre conscience de la force que nous possédons et que cette force ouvrière est sur le bon chemin pour en finir avec une exploitation capitaliste de plus en plus insupportable.
Voilà la première leçon à tirer, qui, avec plus ou moins de clarté, a été présente lors des dernières luttes : Pampelune, Vitoria, Elda (Alicante), Vigo, le bâtiment à Barcelone... C’est pour cela que nos camarades [de Vitoria] ont organisé les grèves par le moyen des assemblées générales, les ont unifiées dans un Comité de délégués avec aussi une Assemblée générale de ville ; ils ont cherché la solidarité de tous les travailleurs dans la rue ; et, soutenus par cette force accumulée et cette organisation autonome, ils ont occupé la ville, fermant des bars, des commerces, des banques, des établissements de l’administration...
Parler de communisme, d’émancipation ouvrière, ce n’est plus vu comme de l’utopie. On sait que le jour de la révolution est encore bien loin, mais, pour l’atteindre, nous possédons quelque chose de très solide sur laquelle nous appuyer : l’expérience de nos frères de Vitoria, Pampelune, Vigo etc., les moyens pour nous unifier, pour nous affronter au pouvoir bourgeois, pour le détruire et nous libérer. Cette expérience fait partie du resurgissement actuel du prolétariat dans le monde entier et qui reprend le flambeau révolutionnaire qui embrasa l’Europe au cours des années 1917-1921 en atteignant son sommet avec les Soviets de 1917 en Russie et les Conseils Ouvriers de 1918 en Allemagne.
Il faut perfectionner ces expériences, les généraliser partout, en leur donnant une organisation consciente réalisée par les ouvriers eux-mêmes. Les moyens sont clairs :
La grève générale.
L’occupation de villes, en fermant et en paralysant les commerces, les bars, les établissements de l’administration, et, la prochaine fois, les commissariats, les casernes, la poste et les téléphones...
L’organisation autonome de notre classe en Assemblées unifiées en Comités de délégués ouvriers.
La défense de nos Assemblées et nos manifestations contre les attaques des corps répressifs de l’État.
Le chemin est long, difficile, mais nous ne partons pas de zéro, nous avons les expériences de deux siècles de luttes ouvrières. Aujourd’hui, partout dans le monde, surgissent des grèves contre les conditions imposées par la crise, grèves qui, même réprimées, ressurgissent avec encore plus de combativité.
Nous avons les moyens de l’unité, de la conscience et de l’organisation grâce à l’expérience de cette période de luttes, mais il est aussi vrai que la bourgeoisie est puissante et a à sa disposition des moyens pour nous défaire, nous diviser et nous empêcher d’avancer sur notre chemin.
Il faut que nous ayons une très claire conscience de quels moyens va utiliser la bourgeoisie pour écraser notre lutte. On peut les résumer en deux : répression et démocratie.
En moins de deux semaines, le gouvernement pré-démocratique de Fraga a assassiné plus d’ouvriers que le gouvernement fasciste de Carrero Blanco en deux ans... Face à la force incontrôlable des luttes ouvrières de Vitoria, Elda, Vigo, Pamplona etc, ce gouvernement ne pouvait avoir d’autre réponse que la répression la plus brutale et la même chose aurait été faite par un gouvernement fasciste que par un autre démocratique ou encore un gouvernement prétendument « ouvrier et révolutionnaire ». Le capitalisme (sous toutes ses formes d’État) aura toujours le même langage. L'histoire en offre trop d’exemples : en 1919, le social-démocrate Ebert écrase dans le sang les ouvriers de Berlin, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés; en 1921, le gouvernement bolchevique utilise les bombardements de l’aviation pour en finir avec l’insurrection ouvrière de Kronstadt ; en 1931, le gouvernement conservateur suédois tua neuf mineurs à Adalen ; en 1933, sous la République espagnole, le progressiste Azaña n’hésita pas à se salir les mains avec le sang des anarchistes de Casas Viejas, et de son côté, l’ultra-droitier profasciste Gil Robles (aujourd’hui démocrate) écrasa en 1934 l’insurrection ouvrière dans les Asturies avec les légionnaires. Après la 2ème Guerre mondiale, les tueries ont continué de plus belle : en Italie 1947 sous la démocratie-chrétienne, à Berlin 1953 et en Hongrie 1956 sous des gouvernements « communistes » ; Pologne en 1970 ; en Afrique du Sud où 12 mineurs ont été assassinés pendant une grève générale en 1972 ; en Argentine, sous le régime militaire avec des travailleurs tués à Cordoba, Tucuman...
Les crimes de Vitoria ne sont pas le fait d’une fraction ultra-droitière de la bourgeoisie, comme le dit l’OICE7 dans son journal Revolución nº 7, mais la réponse obligatoire et consciente que donnent et donneront les capitalistes face à la menace prolétarienne, quelle que soit la forme de gouvernement ! Carrillo aurait fait la même chose que Fraga !
Mais la répression n’est pas suffisante lorsque la classe ouvrière ne cesse d’avancer après chaque lutte et d’apprendre après chaque défaite. Il faut reformer les institutions de l’État bourgeois pour qu’elles puissent encadrer la lutte ouvrière, la diviser et l’enfermer derrière des objectifs qui, loin de détruire le système, le consolident.
Les événements de Vitoria n’ont pas amoindri la volonté de réforme de la part du gouvernement. Ils n’ont pas ouvert la voie au retour du redouté « bunker ».8 Le conseil des ministres a fait la déclaration suivante : « Le gouvernement (face aux événements de Vitoria) est disposé à agir en conséquence, pas seulement pour maintenir fermement l’ordre public, mais aussi pour créer les conditions objectives permettant une paix sociale réelle. (...) Les événements comme ceux de Vitoria sont particulièrement lamentables, avec lesquels on essaie clairement d’entraver le programme de réformes que le peuple espagnol désire et auquel le gouvernement d’est pas disposé à renoncer ».
Il n’y a aucune contradiction dans la combinaison de la démocratie avec les assassinats. Les bains de sang ne sont pas le monopole des fascistes. Toutes les fractions du capital utilisent les mêmes armes contre la révolte ouvrière. Mais, pour la bourgeoisie espagnole, il est indispensable d’écraser par le feu et par le sang toute lutte ouvrière indépendante et, en même temps, de créer les institutions politiques démocratiques (syndicats, partis, suffrage universel, « libertés ») pour éviter les affrontements directs comme celui de Vitoria, en enlevant tout le sens des luttes ouvrières contre l’exploitation.
Le vote, le syndicat et les partis ont une fonction : celle d’encadrer la classe ouvrière, en neutralisant toute propre initiative, en l’enfermant dans le cadre de l’entreprise et la nation, en dévoyant le chemin de sa lutte vers des reformes « socio-politiques » : l’autodétermination des peuples, l’autogestion, l’antifascisme. C’est un effort tenace et résolu celui qui est fait par les politiciens du Capital pour empêcher qu’on prenne conscience du fait que la seule solution possible à nos problèmes est celle d’en finir avec l’exploitation.
Face à un gouvernement incapable de contrôler la situation dont le seul langage connu, c’est : crime-arrestations-provocations, l’opposition démocratique de droite (libéraux, démocrates-chrétiens, etc.) s’unit à la gauche et à l’extrême-gauche dans la même entreprise : canaliser le mouvement des grèves vers une réforme démocratique.
Dans un article paru dans Mundo Diario avec le titre « L’urgence d’un pacte politique », Solé Tura, porte-parole du PC de Catalogne tire les conclusions suivantes des luttes de Vitoria, Pampelune, Sabadell : « Il faut être aveugle pour ne pas voir que nous sommes sur le point de perdre une grande occasion d’établir et de stabiliser une démocratie dans notre pays », en finissant avec la proposition suivante d’action immédiate : « Ou bien on arrive rapidement à un accord qui englobe l’opposition et les réformistes conséquents9 pour rendre faisable une alternative démocratique ou bien on atteindra bientôt la limite. Et au-delà de cette limite, les choses seront bien plus difficiles pour tous, c’est-à-dire pour le pays ».
On ne peut être plus clair. Un parti qui se dit « ouvrier » et « communiste » évalue des luttes en fonction des intérêts de la « Nation », autrement dit des propriétaires de la patrie : les capitalistes. Les groupuscules à la gauche du PC sont moins directs parce qu’ils disent parler au nom de la « classe ouvrière et du peuple », mais leur intervention est encore plus criminelle parce qu’ils présentent les mêmes reformes défendues par les PC et le reste des partis bourgeois, comme « des grandes conquêtes du peuple travailleur » !, alors qu’au moins, le PC a l’aplomb de parler clairement au nom de la bourgeoisie et de la nation !
L’ORT, le MCE et le PTE10 dans une déclaration commune, après avoir bien pleurniché sur le sort des ouvriers assassinés et avoir déclamé « qu’est-ce qu’il est méchant et fasciste le roi Juan Carlos ! », la concluent en affirmant la nécessité « d’une véritable unité des forces démocratiques qui lutte de façon conséquente pour la démocratie contre le fascisme, face à la désunion et aux hésitations bourgeoises de la Junta et de la Plataforma »11.
LC12, dans sa publication Combate nº 40 critique Ruiz Giménez et Tierno Galván13 parce qu’ils ne sont pas allés à la manifestation pro-amnistie à Madrid le 20 janvier, en ajoutant que « les milliers de manifestants n’avaient pas besoin de leur présence pour défendre l’amnistie et autres aspirations démocratiques des masses qu’ils ne savent pas réellement défendre ». Donc, si les bourgeois ne savent pas lutter pour la démocratie dont ils ont besoin, alors la LC se chargera d’amener les ouvriers à leur tirer les marrons du feu !
Pour la très gauchiste OICE, le bilan de Vitoria est le suivant : attribuer les crimes à une fantomatique fraction prétendue « d’extrême-droite » de la bourgeoisie ; elle en arrive même à considérer l’autodéfense ouvrière à travers les manifestations et les assemblées générales comme de la provocation et de l’aventurisme; elle considère la classe « immature » pour accomplir une « rupture socialiste »; et elle finit par profiter des événements pour faire du bluff en s’attribuant ‘‘l’honneur » d’avoir dirigé la lutte. Cette organisation soi-disant « anticapitaliste » et représentante de la « Gauche communiste » ne dit pas un mot sur la valeur que cette lutte a eu pour l’avancée du mouvement ouvrier, elle ne tire la moindre leçon montrant les succès et les erreurs afin de se préparer pour des luttes futures, elle ne la resitue pas non plus dans le cadre de la situation mondiale et de la lutte générale de la classe. Pas un mot sur tout cela ; toute l’obsession de l’OICE est de montrer « son sens des responsabilités » et de ne pas tomber dans les « provocations ».
Nous ne donnons-là qu’un petit aperçu des différentes réactions des fractions de droite, de gauche et d’extrême-gauche vis-à-vis des événements de Vitoria non pas, une fois celles-ci mises à nu et dénoncées, pour pouvoir déballer ensuite à notre tour notre propre marchandise idéologique et la vanter comme étant la meilleure sur le marché.
Nous et tous ceux qui mettons en avant la nécessité d’une lutte permanente, collective et organisée contre le Capital, nous avons besoin de nous regrouper dans une organisation politique où l’on puisse forger un programme communiste et une intervention cohérente dans les luttes. Le problème qui se pose est celui de savoir si ces organisations de gauche et d’extrême-gauche qui se présentent comme l’avant-garde du prolétariat, sont réellement ou pas un instrument utile dans la lutte pour le communisme.
Notre réponse est non. Nous ne pouvons pas trouver cet instrument ni dans le programme, ni dans l’organisation, ni dans la conscience de ces groupes :
L’objectif de leurs programmes n’est jamais le communisme, pas plus leurs moyens pratiques de lutte pour l’atteindre, la conscience et l’organisation. Au contraire, ils défendent les « libertés » (les uns les appellent démocratiques, les autres « politiques »), le syndicat « ouvrier », l’autogestion, le contrôle ouvrier..., c’est-à-dire une espèce de programme minimum de reformes du capitalisme, alors que nous savons bien à travers l’expérience historique de notre classe et à travers l’expérience des pays démocratiques que ce programme n’est pas « un pas en avant », mais une impasse qui nous affaiblit, nous divise et nous amène à la défaite.
Leur organisation est un modèle de bureaucratie et de hiérarchisation, où toute discussion politique, même entre militants, est entravée par des raisonnements du genre « l’unité », ne pas tomber dans « l’anarchie », ne pas être « dogmatiques », ni « puristes »... En fait, ce qu’il est important d’en retenir, c’est le schéma organisationnel qu’ils proposent à la classe ouvrière, basé sur la division entre lutte économique et lutte politique. En effet, la gauche en général et l’extrême-gauche avec un jargon encore plus confus ont insisté sur cette division en disant que les luttes sont des luttes « économiques » (Camacho14 n’a pas cessé de le répéter partout durant le mois de janvier). Ce qui est le plus cocasse, c’est qu’ils utilisent le même raisonnement spécieux que la droite, laquelle dit : « grèves économiques, oui, grèves politiques, non ! » (… « parce qu’elles seraient contrôlées par Moscou... ou par la CGT française » !!!). La gauche rejette l’accusation de politisation, en faisant une séparation (un peu à la manière de la théologie médiévale et en déni de toute réalité) entre économique et politique. Tout simplement, parce que pour elle, la seule politique que les ouvriers peuvent faire est celle de la bourgeoisie d’opposition... Voilà, « circulez, il n’y plus rien à voir ni à discuter ! » Mais, dans quelle tête a pu germer l’idée saugrenue que de simples ouvriers puissent lutter politiquement de façon autonome ? Quant à l’extrême-gauche, elle nous ressort les plus mauvais textes de Lénine pour justifier, en fin de compte, la même idée contre-révolutionnaire : les ouvriers ne peuvent atteindre qu’un niveau de conscience « trade-unioniste » (syndicale et économiste) de la lutte...
Personne ne peut nier le fait que la conscience est un processus qui a tout un chemin à parcourir et que le plus souvent les grèves éclatent pour des questions économiques. Ce que, par contre, nous refusons totalement et que nous affirmons être contre-révolutionnaire, c’est de placer des frontières infranchissables avec le « politique », de nier les évidences, de proclamer des vérités décrétées d’en haut, en niant que la conscience s’enrichit dans l’action et qu’entre la conscience économique et la conscience politique, il y a un mouvement de constants allers-retours.
« Mais quand il s'agit de rendre compte avec exactitude des grèves, des coalitions et des autres formes dans lesquelles les prolétaires accomplissent devant nos yeux leur organisation comme classe, les uns sont saisis d'une crainte réelle, les autres affichent un dédain transcendantal. (…) Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps. » (Marx, Misère de la philosophie).
On a dit que les morts de Vitoria, il faut les mettre sur le compte du bunker qui, par ses provocations continuelles, a amené les ouvriers à une boucherie. Les ouvriers ne voulaient que la réintégration des 22 licenciés de [l’entreprise sidérurgique] Forjas Alavesas, l’attitude provocatrice de la police et sa violence exacerbée entraînant la tragédie. Tout cela ne serait qu’une manœuvre du bunker pour bloquer la démocratisation.
Le gouvernement a suivi heure par heure les événements et l’ordre de tirer est venu du préfet d’Alava [province dont le chef-lieu est Vitoria], après consultation du ministère de l’Intérieur. Dans le quartier de Zaramaga où la tragédie a eu lieu, une conversation fut interceptée sur la radio de la police entre le chef des forces de police et le préfet où celui-ci ordonnait expressément de ne pas hésiter à tirer.
Le préfet d’Alava n’avait pas la réputation d’être d’extrême-droite, c’était un homme de confiance de Fraga, qui l’avait nommé. Par ailleurs, la Garde Civile –nid de l’ultra-droite– n’a pas du tout été mêlée au conflit.
Une autre cause qui a été mise en avant a été l’entêtement du patronat d’Alava, se refusant à négocier avec les ouvriers. Forjas Alavesas et d’autres entreprises isolées ont fini par accepter une partie très substantielle des revendications, avec la volonté claire de diviser et de négocier entreprise par entreprise. Mais les ouvriers ont refusé une telle manœuvre. Ils voulaient qu’on leur donne une réponse globale sans licenciements ni arrestations. C’était une décision politique qui mettait en avant l’unité de la classe face à la négociation et face à quelques améliorations qu’on considérait comme pas très sûres. Lors des assemblées, il y a eu des débats houleux où l’on a discuté sur tout cela et, à la fin, c’est la position « ou tous ou personne » qui a prévalu. Dans Forjas Alavesas, le patron a tout octroyé, l’assemblée d’usine décida de retourner au travail, alors que l’assemblée générale commune lui demanda de reconsidérer sa position et de reconduire la grève. Ceux de Forjas ont accepté cette décision.
Ceci est une leçon d’une grande valeur. Cela veut dire mettre en priorité l’unité de la classe face à la négociation, face à de possibles améliorations dans une seule entreprise, signifie comprendre la nature politique (affrontement direct contre le capital et son État) du combat pour nos revendications ; cela signifie reconnaitre le pouvoir de l’Assemblée Commune des entreprises en lutte, en tant que mouvement général de la classe.
Lorsqu’on nous parle du bunker ou de l’irresponsabilité du patronat d’Alava, on est en train de nous inventer des boucs- émissaires. On voit la cruauté de l’aile fasciste du capital, mais on met un voile sur la cruauté de l’aile démocrate. En définitive, on est en train de nous masquer le fait que nos intérêts de classe se heurtent directement à l’ordre capitaliste dans son ensemble et que face à nos luttes, tout gouvernement bourgeois n’hésitera pas à employer les mêmes méthodes criminelles.
Vitoria est un exemple de lutte consciente et organisée du prolétariat contre le pouvoir bourgeois. Elle montre que là on a compris que nos revendications n’avaient pas de solution à l’intérieur des institutions capitalistes (conventions collectives, négociations, syndicat…), signifiant qu’il est nécessaire de se préparer pour affronter dans les meilleures conditions possibles l’inévitable affrontement contre le capital et son État.
Mettre en avant des boucs-émissaires a un but précis. Il s’agit de nous faire croire qu’une lutte syndicale est viable et aussi de nous faire croire que c’est un secteur réactionnaire et « bunkériste » contre lequel il faudrait diriger tous nos efforts. En même temps, on essaie d’occulter tout le contenu révolutionnaire que Vitoria contient et d’éviter que l’on se mette en face de la réalité : si nous généralisons notre lutte et l’unifions de façon autonome avec des organes de classe, toute la répression de l’État nous tombera dessus, ce qui veut dire qu’il est indispensable de se poser la question d’une défense organisée et consciente de nos assemblées et de nos manifestations.
La solidarité avec Vitoria ne pouvait pas se réduire à une protestation contre les crimes du gouvernement, elle devait se comprendre dans le sens de comment s’unir à la lutte des ouvriers de Vitoria en soutien à leur affrontement conscient et autonome contre le pouvoir bourgeois.
Dans certains endroits du pays (Navarre, Tarragone) il y a eu une réponse de classe, alors que dans d’autres (Pays basque, Catalogne) la gauche a tiré profit des morts pour mettre en avant son alternative démocratique- nationaliste, tout en noyant la lutte dans la pleurnicherie envers ces crimes.
Madrid a représenté une sorte de cas à part. La fatigue de la récente grève générale a beaucoup pesé, il y a eu des endroits avec des arrêts de travail symboliques de 5 minutes, tandis que dans d’autres entreprises (Torrejón, Intelsa et Kelvinator à Getafe) il y a eu grève et sortie dans la rue avec la volonté d’étendre la lutte, mais sans succès.
En Navarre, l’ambiance était favorable à la lutte lorsqu’on a appris les événements de Vitoria. Le mercredi 3 mars même, les industries textiles étaient arrêtées, tandis que 300 entreprises étaient en grève pour la Convention Générale de Navarre afin de favoriser les petites entreprises. Dans ces actions, le Conseil de Travailleurs15 (qui avait été noyauté depuis longtemps par les candidats des Commissions Ouvrières liées au parti stalinien), malgré son « efficacité », fut débordé par les ouvriers qui avaient élu une assemblée de délégués d’entreprise. Et ils étaient justement réunis ce mercredi dans l’après-midi lorsqu’on a su ce qui s’était passé à Vitoria ; 160 délégués d’usine ont alors décidé de proposer une grève générale à leurs assemblées. Le matin du lendemain, des entreprises ont commencé à se mettre en grève, surtout celles du Polygone Landaben. La décision principale prise dans la quasi-totalité de ces assemblées était de sortir dans la rue, d’étendre la grève, de paralyser la ville. Des piquets et des manifestations, surtout animés par les ouvriers de Superser, Torfinasa, Perfil en Frío, Inmenasa..., encourageaient les autres à sortir des usines, en allant dans la rue, en fermant des commerces et des bars. Comme lors de la grève générale de 1973, on a repris la chanson : « Une chanson traverse les rues, lève le poing… Travailleur, laisse les machines, sort de l’atelier, viens dans la rue en clamant d’une même voix : Révolution!, Révolution! »16
Après avoir hissé des barricades et résisté aux dures attaques de la flicaille, les travailleurs atteignirent le centre de Pampelune, où ils ont été rejoints par une multitude d’employés du commerce et des banques. Les cris le plus entendus étaient : « Nous sommes des ouvriers, rejoins-nous ! », « Vitoria, Solidarité ! », « A Vitoria, ce sont nos frères, on ne vous oublie pas ». Les quartiers ouvriers se sont mobilisés à fond, tout le monde sortant dans la rue. Ceci s’est surtout produit à Rochapea, San Juan, Chantrea,... mais il y a eu aussi la même chose dans des villages de Navarre, comme à Lesaca, où ceux de Laminaciones, une fois le bourg paralysé, sont partis à pied par la route vers Irun, mais la Garde Civil les dispersa à coups de fusil. À Estella, à Tafalla, à Tudela, la grève a tout paralysé... Le mouvement a duré jusqu’à la fin de la semaine. Pour en finir, les patrons ont fait de nouvelles propositions économiques pour la Convention générale. Par ailleurs, le Conseil des Travailleurs a mis en avant la réadmission des travailleurs licenciés à la suite du conflit de Potasas (1975), ce que le patron (pris de panique à cause de la situation) accepta de négocier.
Ces concessions ont eu raison de la lutte, ainsi que le travail de sape des Commissions Ouvrières (contrôlées, dans ce cas précis, non pas par le PC, mais par l’ORT et le MC) qui ont proposé « d’attendre », de « garder des forces » pour la journée de lutte convoquée partout au Pays basque qui devait avoir lieu le 8 mars. Mais, ce jour-là il n’y a eu que très peu d’arrêts de travail en Navarre.
À Tarragone, dans la raffinerie où travaillaient 3 000 ouvriers, ceux-ci se sont proposés de donner une réponse de classe. Le jeudi, l’ambiance était effervescente, mais rien ne s’est concrétisé. Cependant, vendredi, les ouvriers de certains chantiers ont commencé à sortir et à rallier des travailleurs d’autres chantiers de sorte qu’en une heure tout le monde était réuni en assemblée générale. On y a lancé l’idée de faire une marche jusqu’au centre-ville (plus de 10 kilomètres), en essayant de proposer que les travailleurs de toutes les usines de la zone industrielle les rejoignent. Il y a eu des avis contraires, mais, à la fin, les deux-tiers des personnes rassemblées ont décidé de s’y rendre. La tentative s’est soldée par un échec : très peu d’ouvriers d’autres entreprises ont rejoint ceux des chantiers de la Raffinerie. Des groupes d’ouvriers demandaient néanmoins aux manifestants un rendez-vous sur les Ramblas du centre de Tarragone pour y aller à la sortie du travail. Il y a eu aussi beaucoup de personnes du quartier de Buenavista. Sur les Ramblas, il y a eu beaucoup d’échauffourées pendant tout l’après-midi. Un ouvrier marocain fut tué par la police, laquelle a réprimé avec une sauvagerie inouïe.
L’expérience de Tarragone nous montre que les choses n’arrivent pas du premier coup, mais c’est en essayant encore et encore qu’on ouvre le chemin. Les ouvriers d’une entreprise avec un niveau de conscience plus élevé ne doivent pas concentrer leurs forces sur les luttes de « leur » entreprise, mais leur conscience plus grande doit les encourager à faire leur la tâche d’étendre et de généraliser l’action ouvrière. Dans presque toutes les zones il y a eu des exemples d’usines qui ont été le moteur du mouvement : Kelvinator à Getafe, Superser à Pampelune, Standard à Madrid, Duro-Felguera à Gijon ...
Au Pays basque, toutes les organisations politiques et syndicales ont appelé unitairement à une journée de lutte pour le 8 mars. Elle a été suivie par quelques 500 000 personnes. Un succès en nombre, mais un échec du point de vue de la lutte consciente de la classe ouvrière. Comment expliquer, par exemple, que le lundi on avait tué un ouvrier à Basauri (Bilbao) et que personne ne bouge même pas le petit doigt le lendemain pour protester contre un tel crime ?
Les journées de lutte ont signifié toute une série de choses pour le mouvement ouvrier qu’il faut critiquer et démystifier :
D’abord, s’arrêter 24 heures et retourner au travail le lendemain comme si rien n’était passé. Cela sert à habituer les ouvriers à l’idée que leurs armes de lutte (la grève, la manifestation) ne sont pas des moyens de libération qui se forgent au fur et à mesure notre unité, mais des formes démocratiques de régulation de la vie sociale ;
En second lieu, les journées de lutte sont en fait des démonstrations de force et un moyen de pression des partis de gauche pour que l’État et d’autres fractions traditionnelles de la bourgeoisie prennent en considération leur capacité de mobilisation et d’encadrement afin qu’ils leur laissent une place de choix dans le jeu politique. Même si c’est avec des moyens différents que ceux de la politique parlementaire, ils ont les mêmes objectifs : instrumentaliser la lutte ouvrière dans les conflits qui opposent des fractions du capital entre elles.
En lien avec ce que veut dire journée de lutte, il y a aussi le fait de poser la question à l’échelle du Pays basque, avec une propagande qui insistait sur le fait que les morts étaient des « Basques » assassinés par le centralisme « espagnoliste ».
Et la gauche de tout le pays a scandaleusement tiré profit de ces morts pour faire passer l’idée dans la population de la nécessité d’une vraie démocratie. C’est ainsi que lors de leurs funérailles, la plupart des cortèges ont été placés sous le signe de la protestation contre la « violence de ce gouvernement » pour réclamer « un autre régime démocratique qui en finisse avec toutes sortes de violence »...
Accion Prolétaria, organe du CCI en Espagne, mars 1976
1 Iglesias n’a pas été le seul à « rendre hommage » aux cinq ouvriers tués pour la « démocratie » et la « justice sociale ». Vitoria étant une ville basque, la représentante de la gauche nationaliste basque (suite « légale » de l’ETA) a lâché elle-aussi son laïus d’anniversaire, présentant ainsi les assassinats de ces prolétaires comme des sacrifiés sur l’autel de la « démocratie » pour l’un et, implicitement, de « la patrie basque » pour l’autre. Cette utilisation de l’assassinat des prolétaires par la démocratie naissante en Espagne et non pas pour ce régime d’exploitation, est exécrable. Ces événements sont lointains et ces vendeurs de la camelote faisandée du national-gauchisme en profitent. On peut par ailleurs lire : Podemos, des habits neufs au service de l’empereur capitaliste (Mars 2016). https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201603/9315/podemos-des-habits-neufs-au-service-l-empereur-capitaliste [563]
2 Voir notre tract international : 2011, de l’indignation à l’espoir. https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [288]
3 Comme nous l’avons analysé dans un article de dénonciation de la mystification de Podemos que nous avons publié (en espagnol) [564] dans Acción Proletaria (2014).
4 Il y eu un premier noyau, constitué de quelques éléments en 1973, qui participa au processus de discussions qui amena à la fondation du CCI en 1975. Ce noyau s’est écarté de ce processus en 1974 à cause de divergences activiste et ouvriériste, ses éléments s’éloignant de toute activité politique. Un nouvel ensemble de militants prit contact avec le CCI en 1975 et après une série de discussions, il s’est intégré définitivement en septembre 1976.
5 Voir notre livre en espagnol : 1936: Franco y la República masacran al proletariado. https://es.internationalism.org/booktree/539 [565]
6 Il s’agit de la ONCE, à l’origine association à but non lucratif devenue entreprise bien lucrative, toujours existante, qui emploie des aveugles, notamment, pour vendre des jeux de loterie dans les rues. [NdT, 2016]
7 L’OICE, ou Organisation de la Gauche communiste d’Espagne, dont la revue s’appelait Revolución, était, en réalité, une des organisations d’extrême-gauche des années 70, dont les principaux militants ont fini en passant par d’autres partis ou groupuscules gauchistes qui foisonnaient alors, par atterrir dans d’autres partis « plus conventionnels » du capital (PSOE, …). Elle se revendiquait de quelques positions politiques de la Gauche communiste, mais pour les dénaturer et ainsi pouvoir encadrer des mouvements autonomes du prolétariat afin de les emmener dans des impasses. [NdlR, 2016]:
8 C’est avec cette éloquente expression que l’on nommait en ce temps-là la partie de l’État qui voulait rester ancrée dans le franquisme. [NdlR, 2016]
9 Cela voulait dire, à l’époque, ceux issus du franquisme favorables aux changements, contrairement au « bunker ». [NdlR, 2016]
10 ORT, Organisation Révolutionnaire de Travailleurs ; MCE, Mouvement Communiste d’Espagne ; PTE, Parti des Travailleurs d’Espagne, étaient à l’époque trois organisations gauchistes, aujourd’hui disparues [ NdT, 2016].
11 La « Junta » s’est formée autour du PCE, en 1974 pour préparer la transition, un regroupement allant de partis d’extrême-gauche à la droite. De suite après, c’est autour du PSOE que s’est formée la « Plataforma », dont l’obsession était de ne pas laisser le PCE apparaître comme la force principale de l’anti-franquisme. [NdT, 2016]
12 LC : Liga Comunista, groupe trotskiste.
13 Deux politiciens de cette « Plataforma », le premier démocrate-chrétien (et ancien ministre de Franco) et le second étant une personnalité professorale membre du PSOE.
14 Camacho, militant du PCE, (1918-2010) fut l’organisateur du dévoiement vers le terrain syndical des initiatives des commissions ouvrières créées dans les luttes, vers une perspective capitaliste d’une organisation permanente déjà du temps du franquisme. C’est ainsi que naquit le syndicat Commissions Ouvrières (CO), dont il fut le secrétaire général pendant des années.
15 Ce « conseil » était un organe du syndicat dit « vertical » franquiste, qui était encore en vigueur pendant ces mois-là.
16 Cruza las calles una canción, alza el puño trabajador; deja las maquinas, sal del taller, ven a la calle a una sola voz, ¡Revolución!, ¡Revolución!
Dernièrement, est sorti un petit livre, aux éditions Flammarion, titré : On Vaut Mieux Que Ça. Ce livre a été rédigé par un collectif du même nom fondé par plusieurs Youtubeurs1 à l’occasion de la loi El Khomri : « Il faut remercier le projet de loi El Khomri. Il a été la goutte d'eau qui a fait éclater notre indignation et il nous a réuni avec d'autres autour de l'initiative : On Vaut Mieux Que Ça. Alors que nous étions révoltés mais isolés, ce fut l'occasion d'inscrire notre projet collectif dans un mouvement plus vaste dont il ne fut ni l'initiateur, ni le moteur, ni le cerveau, mais un carburant parmi d'autres ». L’autre « carburant » de ce « projet collectif » fut sans doute l’extraordinaire publicité qu’en fit l’ensemble des partis de « gauche » et la presse bourgeoise alors que le mouvement contre la loi El Khomri n’avait pas encore débuté. Comme la mode est à « l’apolitisme », On Vaut Mieux Que Ça affirme n’avoir aucun « lien avec les politiciens ».2 Que cette affirmation soit sincère ou non, le discours du collectif est quant à lui parfaitement politisé et s’inscrit dans la droite ligne de ¡Democracia Real Ya!, d’ATTAC et toute la joyeuse compagnie des réformistes « radicaux » de l’appareil politique bourgeois. Leur ouvrage ne déroge malheureusement pas à la règle.
Pour montrer ce que vivent des millions de gens, les auteurs décrivent les angoisses de ceux qui travaillent, des précaires, de ceux qui sont au chômage, angoisses qui conduisent certains au suicide. La description de ce que vit une grande partie de la population est très parlante. Par contre, on ne trouve pas une seule fois ni le mot « prolétaires », ni le terme « classe ouvrière ». En fait, pour le collectif, les travailleurs, les salariés, n'appartiennent pas à une classe sociale. Ils ne sont que des « citoyens » au même titre qu'un commerçant, un patron ou un politicien. Sur le site internet du collectif, il est d’ailleurs souligné : « on invite tout le monde à témoigner : les salariés, les travailleurs, les auto-entrepreneurs, les entrepreneurs, les patrons des petites et moyennes entreprises ». La classe ouvrière délayée dans le grand fourre-tout national n’a plus qu’à se constituer, bras dessus bras dessous avec ses exploiteurs (seulement ceux qui respectent la législation en vigueur !), en somme de « citoyens » inoffensifs.
Quelle est la cause de cette vie indigne et inhumaine où nous ne sommes plus que des choses, un chiffre, une variable qu'on jette comme des kleenex, où l'on nous demande de tenir des cadences qui nous cassent les reins, le dos et qui nous stresse ? Le livre tente d’y répondre mais pas une seule fois on ne trouve une référence ou une dénonciation du système capitaliste. Par contre, on retrouve le même discours que les instigateurs des Nuits debout3, de DRY, d’ATTAC, du Front de Gauche, etc. C'est ainsi qu'on peut lire : « Beaucoup ont cru – même à moitié – que les politiciens (avec leurs discours si bien écrit) seraient nos défenseurs et qu'ils tiendraient les promesses faites la main sur le cœur au moment de nous convaincre de leur confier le pouvoir. Ils allaient sauver le climat, protéger notre santé, assurer notre sécurité, faire reculer le chômage et le monde de la finance. Qu'ont-ils faits ? Ce n'est pas qu'ils ont perdu la bataille contre les banques, les lobbies et les grandes entreprises, c'est qu'ils ont refusé de combattre. Pire, ils ne se cachent même plus, aujourd'hui, pour sabrer le champagne avec ceux qu'ils qualifiaient, parfois, hier, d'adversaires ». Mais pourquoi l’État irait-il mener une « bataille » contre sa raison d’être, la défense à tous prix des rapports de domination capitalistes ? En réalité, On Vaut Mieux Que Ça véhicule l’image d’un « État neutre », « au-dessus des classes » et qui pourrait, à force de bonne volonté, mener la « bataille » pour le bien de… la nation : « Nous rêvons d'un pays qui place ses citoyens au-dessus des critères d'équilibre budgétaires. Nous rêvons d'un pays qui garantisse à tous un environnement sain et durable. Nous rêvons d'un pays construit sur le bon sens, ou la valeur des gens passe avant celles des choses. Nous rêvons d'un pays qui protège tous ses enfants sans distinction. Nous rêvons d'un pays qui donne à tous les meilleurs soins, la meilleure nourriture, la meilleure éducation. Nous rêvons d'un pays qui nous encourage à donner le meilleur de nous-mêmes ».
On Vaut Mieux Que Ça, demande ensuite : « Que faire vis-à-vis d'un système bancal, ou nous ne pouvons plus avoir confiance dans les politiciens pour rendre plus digne et plus humaine nos vie ? » Pour le collectif, cela passe par des gestes et des actes de solidarité sur les lieux de travail et dans la vie de tous les jours. Le livre démontre que cette entraide se développe de plus en plus et qu'à travers cette solidarité « on est de plus en plus nombreux à comprendre qu'on rend déjà le monde plus vivable que ce à quoi leurs décisions nous destinent. Et un plus, on commence à se croiser les uns les autres. Certes, on peut parfois avoir l'impression d'être seul dans cette réalité, mais il suffit de lever les yeux pour reconnaître tous ceux qui la vivent aussi. Notre exaspération et nos aspirations, loin d'être marginales, sont en réalité partagées par une très grande majorité de personnes qui s'y reconnaissent. Nous commençons à comprendre : nous ne sommes pas seuls, nous sommes le monde qui tourne, nous sommes déjà ensemble. En prenant conscience, en nous reconnaissant dans l'autre, nous devenons plus qu'une somme d'individus esseulés. Nous devenons une force créatrice ». Si cette entraide peut permettre de ne pas se sentir seul, de se reconnaître dans l'autre parce qu'il vit la même galère, de développer des initiatives créatrices, cela suffit-il à rendre plus digne et plus humaine la vie des exploités ? En tant que révolutionnaires, nous ne le pensons pas. Retrouver de la dignité, avoir une vie véritablement humaine n’est possible qu'en luttant dans le but de détruire les rapports sociaux capitalistes, les nations, l'exploitation d'une classe par une autre, qui sont à la base de cette indigne et inhumaine existence. On Vaut Mieux Que Ça nous appelle à défendre des valeurs qui ne sont ni plus ni moins que celle de la bourgeoisie : la démocratie, la fausse solidarité de la citoyenneté et de la nation. Une réelle perspective ne passe que par la lutte unie de la classe ouvrière à l’échelle internationale pour une société sans classes : le communisme.
Cealzo, le 24 mai 2016.
1 Il s’agit de vidéastes publiant en ligne (sur la plateforme YouTube) des vidéos sur des sujets culturels, scientifiques, de divertissement, etc.
2 Cf. le site internet du collectif.
3 Voir notre article : Quel est la véritable nature du mouvement Nuits debout ? (RI n° 458)
Lorsqu’on pose des questions à un lycéen sur la révolution russe de 1917, il répondra sans doute qu'il s'agissait d'un coup d’État bolchevique, que l’expérience, malgré les bonnes intentions des protagonistes, a fini en cauchemar : la dictature soviétique, le goulag, etc.
Et si on lui demande ensuite ce qui est arrivé le 15 Mai 2011, il est possible qu’il réponde qu’il s’agit-là d’un mouvement pour une « démocratie véritable » et qu’il est très lié au parti politique Podemos.1
Quiconque recherche la vérité ne se contentera pas de ces réponses simplistes qui n’ont rien à voir avec ce qui s’est réellement passé, imprégnées du « bon sens commun », de l’enseignement déformé qu’on subit et du matraquage des « moyens de communications », bref, de l’idéologie dominante de cette société.
Il est vrai que le prolétariat se trouve actuellement dans une situation de profonde faiblesse. Mais l’histoire de la société est celle de la lutte de classe et l’État capitaliste sait parfaitement que le prolétariat pourrait reprendre sa lutte. C’est pour cela qu’il l’attaque sur ses flancs les plus sensibles : l’un de ceux-ci est sa mémoire historique. La bourgeoisie a un très grand intérêt à détruire cette mémoire en réécrivant les expériences passées de notre classe. C’est comme si elle formatait un disque dur en y installant un système opérationnel radicalement opposé.
La réécriture la plus intelligente est celle qui se fait en tirant profit des faiblesses réelles et des erreurs des mouvements prolétariens. Ceux-ci traînent toujours un important magma d’erreurs qui permettront à posteriori leur réécriture dans un sens diamétralement opposé à ce qu’ils recherchaient.
Marx, en commentant la différence entre la lutte de la bourgeoisie et celle du prolétariat, met en avant le fait qu’alors que « les révolutions bourgeoises, comme celles du XVIIIe siècle, se précipitent rapidement de succès en succès, (…) les révolutions prolétariennes, par contre, comme celles du XIXe siècle, se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles, reculent constamment à nouveau devant l'immensité infinie de leurs propres buts ».2
C’est ainsi que, pour le prolétariat, « le chemin pénible de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait s'instruire de ses propres erreurs. Pour le mouvement prolétarien, l'autocritique, une autocritique sans merci, cruelle, allant jusqu'au fond des choses, c'est l'air, la lumière sans lesquels il ne peut vivre. »3 Il ne s'agit pas dans cet article de faire une analyse critique de la révolution de 19174. Nous n’allons faire qu’un petit récapitulatif du mouvement des Indignés de 2011, le 15-M5. Cette réécriture, se basant surtout sur ses difficultés et ses aspects le plus faibles, nous allons commencer par ceux-ci.
Après la longue nuit de la contre-révolution qui écrasa la révolution de 1917, le prolétariat reprit sa lutte en 1968. Mais cette renaissance ne parvint pas à se politiser dans un sens révolutionnaire. En 1989, la chute des régimes prétendument « communistes » entraînait un recul important dans la conscience et la combativité dont les effets sont toujours présents aujourd’hui.6
A partir de 2003, les luttes reprirent de l’élan, mais elles concernaient surtout les nouvelles générations de la classe ouvrière (étudiants, chômeurs, précaires), alors que les travailleurs des grands centres industriels restaient passifs et que leurs luttes demeuraient sporadiques (la peur du chômage étant un élément central d’une telle inhibition). Il n’y eu pas de mobilisation unifiée et massive de la classe ouvrière, mais seulement d'une partie, la plus jeune. La révolte de la jeunesse en Grèce (2008), les mouvements en Tunisie et en Égypte (2011), ont à ce titre été les expressions d’une vague de fond dont les points culminants ont été la lutte contre CPE en France (2006) et le 15 M.7
Malgré les aspects positifs et prometteurs (nous en parlerons plus loin), ces mouvements eurent lieu dans un contexte de perte d’identité de la classe ouvrière et de manque de confiance en ses propres forces. La perte d’identité signifie que la grande majorité de ceux qui participent aux luttes ne se reconnaissent pas comme faisant partie de la classe ouvrière, ils se voient plutôt comme des citoyens. Même en se disant « ceux d’en bas », en affirmant être traités comme des « deuxième classe », ils ne brisent pas le cordon ombilical avec la dite « communauté nationale » car, « même si le slogan 'nous sommes 99% face à 1%', si populaire dans les mouvements d'occupation aux États-Unis, révèle un début de compréhension du fait que la société est cruellement divisée en classes, la majorité des participants dans ces mouvements se voyaient eux-mêmes comme des 'citoyens de base' qui veulent être reconnus dans une société de 'citoyens libres et égaux' ».8 Cela empêche de voir le fait que « la société est divisée en classes, une classe capitaliste qui possède tout et ne produit rien et une classe exploitée, le prolétariat, qui produit tout et possède de moins en moins. Le moteur de l’évolution sociale n’est pas le jeu démocratique de 'la décision d’une majorité de citoyens' (ce jeu est plutôt le masque qui couvre et légitime la dictature de la classe dominante) mais la lutte de classe. »9 Il y a donc deux faiblesses fondamentales au sein du mouvement du 15-M qui se renforcent mutuellement et qui permettent leur actuelle falsification : la plupart de ses protagonistes se concevaient comme des citoyens et aspiraient à un « renouveau du jeu démocratique ».
À cause de cela, le mouvement, malgré ses débuts prometteurs, ne s’est pas articulé « autour de la lutte de la principale classe exploitée qui produit collectivement l’essentiel des richesses et assure le fonctionnement de la vie sociale : les usines, les hôpitaux, les écoles, les universités, les ports, les travaux, la poste... »10, mais il a fini par se diluer dans une protestation impuissante de « citoyens indignés ». Malgré quelques timides tentatives d’extension aux centres de travail, cela fut un échec, le mouvement restant de plus en plus limités aux places. Malgré les sympathies qu’il avait suscitées, il perdit de plus en plus de force jusqu’à être réduit à une minorité de plus en plus désespérément activiste.
En plus, la difficulté à se reconnaître comme classe fut renforcée par le manque de confiance en ses propres forces, ce qui a donné un poids démesuré aux couches de la petite bourgeoisie radicalisée qui se sont jointes au mouvement en renforçant la confusion, l'inter-classisme et la croyance dans les pires formulations de la politique bourgeoise, telles que « la fin du bipartisme », « la lutte contre la corruption », etc.
Ces couches sociales ont fortement contaminé le mouvement avec cette idéologie qui réduit le capitalisme « à une poignée de 'méchants' (des financiers sans scrupules, des dictateurs sans pitié) alors que c’est un réseau complexe de rapports sociaux qui doit être attaqué dans sa totalité et non pas se disperser en poursuivant ses expressions multiples et variées (les finances, la spéculation, la corruption des pouvoirs politico-économiques). »11
Malgré quelques réponses solidaires basées sur l’action massive contre la violence policière, c’est la « lutte » conçue comme pression pacifique et citoyenne sur les institutions capitalistes qui amena le mouvement très facilement vers l’impasse.
Comme l’affirme notre section en France.12 « Nuit debout n’a rien de spontané. C’est un mouvement mûrement réfléchi, préparé et organisé de longue date par des animateurs et défenseurs radicaux du capitalisme. Derrière ce mouvement prétendument 'spontané' et 'apolitique' se cachent des professionnels, des groupes de gauche et d’extrême-gauche qui mettent en avant 'l’apolitisme' pour mieux contrôler le mouvement en coulisses. »
Le but de ce montage est celui d’encadrer la protestation sociale sur le terrain de la « 'pression' sur les 'dirigeants' et les institutions étatiques afin de promouvoir un capitalisme plus démocratique et plus humain »13, car, comme le dit un tract du collectif qui l’anime, Convergence des luttes : « L’humain devrait être au cœur des préoccupations de nos dirigeants... » Ce joli « vœux pieux » ne fait que transmettre l’utopie réactionnaire de gouvernants qui s’occuperaient des êtres humains, ce qui sert à occulter que la seule chose dont ils s’occupent, ce sont des nécessités et des problèmes du capital. Demander à l’État de défendre les intérêts des exploités c’est comme demander à un voleur de s’occuper de notre maison.
Les revendications mises en avant dans Nuit debout sont toutes allées dans le sens de semer l’illusion qu'un capitalisme qui nous dépouille de plus en plus de tout pourrait nous offrir encore quelque chose. On exige un « revenu de base universel », une alimentation plus saine, un plus grand budget pour l’éducation et bien d’autres « reformes » qui se retrouvent systématiquement dans le catalogue des promesses électorales qui ne se réalisent jamais.
La revendication la plus « ambitieuse » que mettent en avant les promoteurs de Nuit debout est celle de la « république sociale » qui consisterait à « revenir aux idéaux révolutionnaires de 1789 » lorsque la bourgeoisie a démoli le pouvoir féodal au cri de « Liberté, Égalité et Fraternité ». On essaye de nous vendre l’utopie réactionnaire de la réalisation « d'une 'vraie démocratie' telle que la Révolution française de 1789 l’avait promis ; seulement ce qu’il y avait de révolutionnaire il y a deux siècles et demi, à savoir instaurer le pouvoir politique de la bourgeoisie en France, dépasser le féodalisme par le développement du capitalisme, bâtir une nation... tout cela est aujourd’hui devenu irrémédiablement réactionnaire. Ce système d’exploitation est décadent, il ne s’agit plus de l’améliorer, cela est devenu impossible, mais de le dépasser, de le mettre à bas par une révolution prolétarienne internationale. Ainsi, est semée l’illusion que l’État est un agent 'neutre' de la société sur lequel il faudrait 'faire pression' ou qu’il faudrait protéger des 'actionnaires', des 'politiciens corrompus', des 'banquiers cupides', de 'l’oligarchie' ».14
Le vrai antagonisme, celui entre le capital et le prolétariat, est remplacé par un 'antagonisme' imaginaire entre, d’un côté, une minorité supposée de corrompus, de financiers et de politiciens véreux et de l’autre côté de la barricade, une immense majorité où pourraient rentrer les bons politiciens, les capitalistes entrepreneurs, les militaires, le peuple et tous les citoyens… Le prolétariat est dévoyé de son terrain de la lutte de classe vers le scénario d’un affrontement de 'tous les citoyens' contre la poignée fantomatique des méchants d'un film.
Plus encore, de la même façon que le populisme de Trump ou du FN met tous les maux sur le compte de personnes et non pas sur les rapports sociaux de production, les « radicaux » de Nuit debout mettent en avant un projet bien répugnant : la personnalisation. Ceux-là proposent comme bouc émissaire les migrants, ceux-ci proposent quelques banquiers ou quelques politicards. C’est la même logique réactionnaire : les problèmes du monde seraient réglés en éliminant quelques personnes désignées comme étant la cause de tous les maux.
Nous avons vu la réécriture, le formatage du disque dur proposé par les promoteurs dans l’ombre du mouvement Nuit debout. Mais, alors, que reste-il du mouvement 15 M ? Que peut-on retenir pour les luttes futures ?
Nous reprenons ici ce que nous disions dans notre tract international de bilan du mouvement des Indignados, d’Occupy et d’autres :
« Les assemblées massives sont la concrétisation du slogan de la Première Internationale (1864) : 'L'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ou elle ne sera pas'. Elles s'inscrivent dans la continuité de la tradition du mouvement ouvrier qui démarre avec la Commune de Paris et prend son expression la plus élevé en Russie en 1905 et en 1917, se poursuivant en 1918 en Allemagne, 1919 et 1956 en Hongrie, 1980 en Pologne.
Les assemblées générales et les conseils ouvriers sont les formes distinctives de l'organisation de la lutte du prolétariat et le noyau d'une nouvelle organisation de la société.
Des assemblées pour s'unir massivement et commencer à briser les chaînes qui nous accrochent à l'esclavage salarié : l'atomisation, le chacun pour soi, l'enfermement dans le ghetto du secteur ou de la catégorie sociale.
Des assemblées pour réfléchir, discuter et décider, devenir collectivement responsables de ce qui est décidé, en participant tous, autant dans la décision que dans l'exécution de ce qui a été décidé.
Des assemblées pour construire la confiance mutuelle, l'empathie, la solidarité, qui ne sont pas seulement indispensables pour mener en avant la lutte mais qui seront aussi les piliers d'une société future sans classes ni exploitation. »15
Les futures assemblées devront se renforcer avec un bilan critique des faiblesses apparues :
- Elles ne se sont étendues que très minoritairement vers les lieux de travail, les quartiers, les chômeurs… Si le noyau central des assemblées doit être l’assemblée générale de ville, en prenant les places et les bâtiments, il doit se nourrir de l’activité d’un large réseau d’assemblées dans les usines et lieux de travail principalement.
- Les commissions (de coordination, culture, activités etc.) doivent être sous le contrôle strict de l’assemblée générale devant laquelle elles doivent rendre des comptes scrupuleusement. Il faut éviter ce qui est arrivé lors du 15-M où les commissions sont devenues des instruments de contrôle et de sabotage des assemblées manipulées par des groupes en coulisse tel que DRY (Democracia Real Ya).16
La société capitaliste dégouline par tous ses pores « la marginalisation, l'atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l'exclusion des personnes âgées, l'anéantissement de l'affectivité et son remplacement par la pornographie », c’est à dire, « l'anéantissement de tout principe de vie collective au sein d'une société qui se trouve privée du moindre projet, de la moindre perspective. »17 Un témoignage barbare de cette décomposition sociale est la haine envers les migrants encouragée par le populisme, qui a obtenu un triomphe spectaculaire avec le récent Brexit en Grande-Bretagne.
Face à tout cela, le mouvement 15 M (comme Occupy) a semé une première graine : « il y a eu des manifestations à Madrid pour exiger la libération des détenus ou empêcher que la police arrête des migrants ; des actions massives contre les expulsions de domicile en Espagne, en Grèce ou aux États-Unis ; à Oakland 'l'assemblée des grévistes a décidé l'envoi de piquets de grève ou l'occupation de n'importe quelle entreprise ou école qui sanctionne des employés ou des élèves d'une quelconque manière parce qu'ils auraient participé à la grève générale du 2 novembre'. On a pu vivre des moments, certes encore très épisodiques, où n'importe qui pouvait se sentir protégé et défendu par ses semblables, ce qui est en fort contraste avec ce qui est jugé «normal» dans cette société, autrement dit le sentiment angoissant d'être sans défense et vulnérable. »
Cette forteresse (ne vaut-il pas mieux dire expérience ?) pourrait être emportée par la puissance de la vague populiste actuelle (soutenue en fait par ses prétendus 'antagonistes' de l’État démocratique). La solidarité prolétarienne doit encore acquérir des racines solides.18
La société actuelle nous condamne à l’inertie du travail, à la consommation, à la reproduction des modèles à succès qui entraînent des milliers d’échecs, la répétition de stéréotypes aliénants qui ne font qu’amplifier, ânonner l’idéologie dominante. Face à cela, autant de fausses réponses enfoncent encore plus dans la putréfaction sociale et morale, se font jour « la profusion des sectes, le regain de l'esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux 'scientifiques' et qui prennent dans les médias une place prépondérante notamment dans des publicités abrutissantes, des émissions décervelantes ; l'envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l'horreur, du sang, des massacres, y compris dans les émissions et magazines destinés aux enfants ; la nullité et la vénalité de toutes les productions 'artistiques', de la littérature, de la musique, de la peinture, de l'architecture qui ne savent exprimer que l'angoisse, le désespoir, l'éclatement de la pensée, le néant ».19
Contre ces deux pôles de l’aliénation capitaliste, dans les mouvements comme le 15-M ou Occupy « des milliers de personnes ont commencé à rechercher une culture populaire authentique, construite par elles-mêmes, en essayant de forger ses propres valeurs, de manière critique et indépendante. Dans ces rassemblements, on a parlé de la crise et de ses causes, du rôle des banques, etc. On y a parlé de révolution, même si dans cette marmite on a versé beaucoup de liquides différents, parfois disparates ; on y a parlé de démocratie et de dictature, le tout synthétisé dans le slogan de ce distique aux deux strophes complémentaires : ‘'ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas!, C’est une dictature mais ça ne se voit pas!'. On a fait les premiers pas pour que surgisse une véritable politique de la majorité, éloignée du monde des intrigues, des mensonges et des manœuvres troubles qui est la caractéristique de la politique dominante. Une politique qui aborde tous les sujets qui nous touchent, pas seulement l’économie ou la politique, mais aussi l’environnement, l’éthique, la culture, l’éducation ou la santé. »20
L’importance de cet effort, même timide et lesté par des faiblesses démocratistes et des approximations petites-bourgeoises, est évident. Tout mouvement révolutionnaire du prolétariat ne peut que s’appuyer sur un débat de masse, sur un mouvement culturel basé sur la discussion libre et indépendante.
La Révolution russe de 1917 a eu comme colonne vertébrale le débat et la culture massive. John Reed rappelle que « la soif d'instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d'un véritable délire. Du seul Institut Smolny, pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l'eau. Et ce n'était point des fables, de l'histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché — mais les théories sociales et économiques, de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol et Gorki. ».21
Le prolétariat est une classe internationale avec les mêmes intérêts dans tous les pays. Les ouvriers n’ont pas de patrie et le nationalisme (sous toutes ses variantes) est la tombe de toute perspective possible de libération de l’humanité.
Le capitalisme actuel est pris d’assaut par une contradiction : d’un côté, l’économie est de plus en plus mondiale, la production est de plus en plus entremêlée et interdépendante. Mais, d’un autre coté, tous les États sont impérialistes et les conflits guerriers deviennent de plus en plus destructeurs ; l’environnement se détériore à cause de la barrière infranchissable que tous les capitaux nationaux érigent, en commençant par les plus puissants, les Etats-Unis et la Chine. Face à l’internationalisation patente de la vie économique, sociale et culturelle, se dresse un repli aveugle et irrationnel de prétendues communautés nationales, raciales, religieuses…
Ces contradictions ne pourront être dépassées que par la lutte historique du prolétariat. Le prolétariat est la classe de l’association mondiale. Il produit par-delà les frontières, lui-même est une classe de migrants, un creuset de races, de religions, de cultures. Aucune production, depuis un bâtiment jusqu’à une fraiseuse, ne peut être réalisée par une communauté isolée d’ouvriers enfermée dans un cadre national, encore moins local. La production a besoin de matières premières, de transports, de machines, qui circulent mondialement. Elle ne peut être réalisée que par des ouvriers instruits dans une culture universelle, dans les échanges incessants à une échelle internationale. Internet n’est pas seulement un instrument culturel, mais, surtout un moyen sans lequel la production capitaliste actuelle serait impossible.
En exprimant encore vaguement ces réalités et ce qu’elles peuvent signifier pour la lutte prolétarienne, en 2011, « le mouvement d’indignation s’est étendu internationalement. Il a surgi en Espagne où le gouvernement socialiste avait mis en place un des premiers plans d’austérité et un des plus durs ; en Grèce, devenue le symbole de la crise économique mondiale à travers l’endettement, aux États-Unis, temple du capitalisme mondial, en Égypte et en Israël pays pourtant situés de chaque côté du front du pire conflit impérialiste et le plus enkysté, celui du Moyen Orient.
La conscience du fait qu'il s'agit d'un mouvement global commence à se développer, malgré le boulet destructeur du nationalisme (présence de drapeaux nationaux lors des manifestations en Grèce, en Égypte ou aux États-Unis). En Espagne, la solidarité avec les travailleurs de Grèce s'est exprimée aux cris de 'Athènes tiens bon, Madrid se lève !' Les grévistes d'Oakland (États-Unis, novembre 2011) proclamaient leur 'solidarité avec les mouvements d'occupation au niveau mondial'. En Égypte a été approuvée une Déclaration du Caire en soutien au mouvement aux États-Unis. En Israël, les Indignés ont crié 'Netanyahou, Moubarak, Assad, c'est la même chose' et ont pris contact avec des travailleurs palestiniens. »22
Aujourd’hui, cinq ans après, ces acquis semblent avoir disparus sous des tombereaux de terre. Ceci est l’expression d’un trait indissociable des luttes prolétariennes mis en relief dans la citation de Marx cité au début de cet article : Elles « paraissent n'abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d'elles. »
Il existe, cependant, une tâche vitale que doivent mener les minorités avancées du prolétariat : tirer les leçons, les inscrire dans un cadre théorique marxiste en développement. Voilà la tâche à laquelle nous appelons tous les camarades intéressés et engagés : « En menant un débat le plus large possible, sans restriction ni entrave aucune, pour préparer consciemment de nouveaux mouvements, nous pourrons faire devenir réalité une autre société, différente du capitalisme ».
Acción Proletaria, section du CCI en Espagne, 06 juillet 2016.
1 Alors que le rôle de Podemos fut de neutraliser et faire dérailler tout ce qu’il y avait d’authentiquement révolutionnaire dans le mouvement des Indignés, ce que nous avons montré dans l’article : Podemos : des habits neufs au service de l’empereur capitaliste.
https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201603/9315/po... [563]
2 Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte.
3 Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie.
4 Voir notre brochure : Octobre 1917, début de la révolution mondiale.
5 Nous avons beaucoup écrit sur cette expérience dans laquelle participèrent activement nos militants, non seulement de la section d’Espagne, mais aussi d’ailleurs. Les 3 documents, entre autres, qui résument notre position sont :
- La mobilisation des indignés en Espagne et ses répercussions dans le monde : un mouvement porteur d'avenir.
https://fr.internationalism.org/node/4752 [567]
- Mouvement des indignés en Espagne, Grèce et Israël : de l’indignation à la préparation des combats de classe.
https://fr.internationalism.org/rint147/mouvement_des_indignes_en_espagn... [568]
- 2011 : de l'indignation à l'espoir.
https://fr.internationalism.org/isme354/2011_de_l_indignation_a_l_espoir... [334]
Voir aussi notre « dossier spécial ». https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes.html [569]
6 Voir : Effondrement du bloc de l'Est : des difficultés accrues pour le prolétariat (1990).
7 Des échos plus faibles de ces mouvements ont eu lieu en 2012 au Canada, au Brésil et en Turquie, en 2014 à Burgos, en 2015 au Pérou.
8 Extrait de notre tract international cité plus haut.
9Idem.
10Idem.
11Idem.
12 Voir : Quelle est la véritable nature du mouvement Nuit debout ?
https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201605/9369/qu... [571]
13Idem.
14Idem.
15 Tract international du CCI déjà cité.
16 Voir : Le mouvement citoyen 'Democracia Real Ya !' : une dictature sur les assemblées massives.
https://fr.internationalism.org/icconline/2011/dossier_special_indignes/... [166]
17 Voir : La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste (mai 1990). Ce texte expose notre analyse sur la période historique actuelle, une période qui se caractérise par la continuité d’un capitalisme caduc et décadent que le prolétariat n’a pas encore réussi à éradiquer de la planète.
18 Voir notre texte d’orientation : Confiance et Solidarité.
19 La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste (mai 1990).
20 Tract international
21 John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde.
https://www.marxists.org/francais/reed/works/1919/00/01.htm [572]
22 Tract international
Le dernier film de Ken Loach Moi, Daniel Blake, a déjà fait couler beaucoup d’encre. D’abord parce que c’est le film d’un cinéaste habitué à la critique sociale du monde capitaliste et très expressif dans son art. Ensuite parce qu’il a été propulsé Palme d’Or au festival de Cannes, à la surprise presque générale. Depuis, la presse a multiplié les articles pour encenser ou descendre ce film considéré par les uns comme un véritable brûlot social ou à l’inverse comme un mélodrame alarmiste destiné à faire pleurer dans les chaumières…
Il n’est pas question de faire de Ken Loach le nouvel Eisenstein1 ou de donner à ce film la valeur d’une sorte de nouveau Manifeste communiste, ni à l’inverse d’en faire l’expression d’un cinéma larmoyant ou même du Parti travailliste anglais, comme certains journalistes se sont plu à le faire. Même si Ken Loach dénonce la « cruauté consciente » et libérale de David Cameron et s’illusionne sur le nouveau leader travailliste, Jeremy Corbyn, peu nous importe en vérité ; une œuvre artistique échappe parfois à son auteur, comme se dotant d'une vie indépendante.
Dans son films, Ken Loach s’insurge contre la destruction de pans entiers d’activité tout en réclamant des chômeurs qu’ils se débrouillent pour « trouver un travail qui n’existe plus ». Cette réalité de la désindustrialisation et cette pratique de l’État, existent bel et bien. Ken Loach a le mérite de le montrer, sans s’arrêter à un simple constat émotionnel misérabiliste, mais en stimulant l’indignation chez le spectateur. Il a la qualité assez rare de donner, d’abord, une image lucide et dynamique de la crise capitaliste, ses conséquences, en Grande-Bretagne, mais que l’on peut facilement transposer ailleurs, ensuite de montrer le vrai visage totalitaire de l’État : exclusion et répression sociales, déshumanisation.
Tous les passages du film montrant le « traitement » du chômage par des « professionnels de santé » opérant par téléphone, transformés en garde-chiourmes du système, seraient risibles d’absurdité s’ils n’étaient pas, hélas, bien réels. Cette facette de l’État démocratique, sa dictature en fait, que certains ont dénoncé comme caricaturale, n’est pourtant pas une fiction : le système capitaliste, ses institutions démocratiques, y compris celles destinées à soi-disant soutenir ou protéger les personnes fragilisées, âgées, licenciées, malades... agissent comme des rouleaux-compresseurs et outils d’exclusion. Rechercher le minimum vital devient un parcours du combattant où la moindre erreur d’écriture, d’attitude se paie cash et signifie souvent la fin de tout droit sinon celui de crever de faim. Katie, l’amie de Daniel, y est presque acculée quand on la voit se jeter de manière instinctive sur une boîte de conserve au moment de retirer son sac dans une banque alimentaire !
Mais l’enjeu de ce film « social », comme de tous les autres, est la manière d’envisager la perspective pour résister, lutter contre la crise, contre le moloch capitaliste : cette lutte est-elle possible ? Qui peut la mener ? C’est sur ce plan que se jouent les qualités ou non de ce type de film et rares sont ceux qui sont à la hauteur. La plupart en restent à un constat d’impuissance crasse sous couvert d’idéal éthéré.
Sur la première question, le film de Ken Loach exprime toutes les difficultés de la classe ouvrière à résister, combattre et se confronter à l’État. Actuellement, toutes les tentatives pour résister, maintenir la tête hors de l’eau, restent cantonnées à la débrouille individuelle ou limitées à l’entraide réduite. Le titre du film lui-même, Moi, Daniel Blake, annonce déjà la couleur : l’affirmation de soi comme seule possibilité !
Nous sommes effectivement loin, très loin, d’une solidarité de classe offensive, collective, véritable arme de combat pour lutter et offrir une perspective à plus long terme de dépassement de la société capitaliste. Ce n’est certes pas la trame du film mais aucune question ou réaction en ce sens n’est posée par les personnages. La seule situation un peu collective s’exprime au moment où Daniel réagit en taguant les murs du job center. Réactions enthousiastes, applaudissements des passants : ils comprennent l’action de Daniel, vivent peut-être la même situation, mais à aucun moment ils ne seront solidaires en venant parler avec lui ou en s’opposant aux flics qui viennent l’embarquer. Ils ne restent que des spectateurs impuissants. Seul un individu réagit plus ouvertement ; c’est un SDF, qu'on imagine alcoolisé, marginalisé, tout un symbole, d’impuissance encore.
Mais le film fourmille, c’est vrai, de petits moments, certes très limités, de réactions d’humanité, d’écoute, de souci de l’autre, d’entraide, de plaisirs à partager. Entre Daniel et Katie, ses enfants, avec un ancien collègue, le voisin de palier, l’employée du job center qui aimerait vraiment aider mais se fait taper sur les doigts suite à ses initiatives, chacun d’entre eux est source d’humanité, sans savoir comment aller plus loin.
En clair, derrière l’impuissance immédiate à changer les choses, on sent poindre toutes ces étincelles de vie, ces potentialités susceptibles un jour de transformer les rapports humains, les liens sociaux. Rien à voir avec le film de Stéphane Brizé La loi du marché2 où derrière un même constat de difficultés sociales, de réalité du chômage, le nihilisme le plus effarant est affiché : aucune lueur, aucun espoir, aucune perspective, une vision totalement statique du monde social d’où ne peut émerger que la mort, un no future de première classe !
Un autre aspect émerge de manière très forte dans ce film : la dignité des personnages, leur amour-propre. C’est une des qualités du film. Le propre même de tout prolétaire qui se respecte est d’avoir des valeurs morales, de défendre sa dignité malgré les circonstances. La défense de cette moralité prolétarienne est l’expression même de la possibilité d’un futur où l’humanité pourra se défaire de la barbarie, du chacun pour soi. Daniel Blake l’exprime quand il découvre que Katie a dû passer par la prostitution pour ne pas mourir de faim : cela le désole plus que tout, plus que son propre drame. Dignité encore dans l’éloge funèbre où Daniel affirme qu’ « on est foutu si on perd son amour-propre ».
Mais cette dignité prolétarienne est carrément mise en pièces par les propos prêtés à Daniel dans l’éloge funèbre : « Moi, Daniel Blake, je suis un homme, pas un chien. Je suis un citoyen. Rien de plus mais rien de moins non plus. » Daniel se considère avant tout comme un citoyen avant d’être un prolétaire. Être citoyen signifie appartenir avant tout à une nation, pas à une classe sociale. La différence est fondamentale, particulièrement pour les prolétaires. C’est toujours au nom de la défense de la citoyenneté, la défense de la République ou de la démocratie que l’idéologie dominante appelle à se mobiliser pour la défense de ses intérêts de classe dominante. C’est le terrain bourgeois par excellence. La défense de cette logique, de la citoyenneté, n’est pas la nôtre. Elle ne mène qu’à la division, à la confrontation, à la concurrence, au chacun pour soi et à la perpétuation du monde capitaliste.
Comme Daniel Blake l’exprime, sa situation est vécue par des millions de prolétaires exploités, précarisés, exclus par le système capitaliste. Que ce soit en Grande-Bretagne, en France, en Chine ou partout dans le monde, les lois capitalistes soumettent à l'enfer du salariat, à la violence et à l'exclusion. Même sous son visage démocratique, le capital broie, divise et tue.
La véritable solidarité de classe, incontournable pour le futur de l’humanité, doit avant tout s’exercer par la lutte : une lutte collective, consciente et qui dépassera les frontières. La phrase du Manifeste Communiste, « les prolétaires n’ont pas de patrie », n’est pas un rêve : elle est la clé pour la transformation du monde.
Stopio, 15 décembre 2016
1 Eisenstein, cinéaste russe de la première partie du XXe siècle, eut une influence majeur dans l'histoire du cinéma. Si son œuvre a pu exprimer le souffle de la révolution de 1917, sa compromission avec le stalinisme en fit également un pionnier de la propagande cinématographique.
2 Lire notre article « A propos du film La loi du marché : une dénonciation sans réelle alternative ».
Avec le retour de la crise économique au milieu des années 1970, la politique d'immigration devait se réduire fortement. Les politiques migratoires devenaient beaucoup plus restrictives concernant les admissions aux frontières. Le capital continuait bien à embaucher une main-d’œuvre immigrée bon marché, malgré le chômage devenu massif, mais ne pouvait plus absorber toute la masse des étrangers se dirigeant vers les grands centres industriels.
Dès la fin des années 1980 et au début des années 1990, des charters entiers reconduisaient les immigrés vers leur pays d'origine. Cela, alors que le contexte d'exacerbation des conflits et l'approfondissement de la crise économique multipliaient en même temps le nombre de candidats aux migrations. Un nouveau phénomène allait ainsi partout exploser dans le monde : celui des « clandestins ». Avec la fermeture des frontières, l'immigration illégale, difficile à quantifier, s'accroissait de façon spectaculaire. Toute une économie mafieuse, faite de réseaux transnationaux pouvait alors se déployer en toute impunité, favorisant des rabatteurs sans scrupules, permettant d'alimenter toutes les formes d'esclavage moderne, comme la prostitution, mais aussi d'alimenter le marché du travail au noir et sous payé, en particulier dans le bâtiment et l'agriculture. Les États-Unis eux-mêmes allaient profiter de cette situation pour surexploiter la sueur des migrants illégaux venus surtout d'Amérique latine. Ainsi, par exemple, « le nombre de Mexicains enregistrés à l’extérieur de l’Amérique latine (la plupart aux États-Unis) a triplé entre 1970 et 1980, atteignant plus de deux millions. Si l’on considère l’énorme nombre de migrants clandestins, le chiffre exact est donc beaucoup plus élevé : entre 1965-1975, le nombre de clandestins a fluctué autour de 400 000 par an, pour atteindre entre 1975 et 1990 environ 900 000 migrants »1.
La chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide et celle des régimes staliniens quasi autarciques accéléraient ce processus et ouvraient une nouvelle spirale de guerres, de chaos, de crises et de bouleversements inédits. Alors qu'après 1945 les déplacements étaient essentiellement ceux des victimes de guerre, principalement des Allemands expulsés, puis des gens fuyant le régime de la République démocratique allemande avant la construction du mur en 1961, les migrations après 1989 étaient plutôt le fait de nouveaux flux internationaux. Jusqu'en 1989, les migrants d'Europe de l'est avaient été bloqués par le rideau de fer. Les flux migratoires s'orientaient donc plutôt du sud vers le nord, notamment en provenance de l'Afrique du nord et des pays de la Méditerranée vers les grands centres urbains des pays européens. Après la chute du mur de Berlin et avec l'intégration des pays d'Europe centrale dans l'Union Européenne (UE), une main-d’œuvre des pays de l'est pouvait de nouveau s'orienter vers les pays de l'ouest. A la même période, la croissance rapide et massive en Chine entraînait le début de la plus grande migration interne, attirant des centaines de millions de personnes venus des campagnes vers les villes. En raison de la croissance de l'économie chinoise, ces masses pouvaient être absorbées. A contrario, avec la crise avancée dans les pays en Europe et aux États-Unis, les flux provenant d’autres pays se restreignaient du fait des refoulements.
La dynamique du militarisme et du chaos mondial qui faisait suite à la dislocation du bloc de l'Est et à la désintégration des alliances autour des États-Unis aggravait le chacun pour soi et les tensions entre les différentes nations, poussait les populations à fuir les combats et/ou la misère croissante. Le véritable fossé qui séparait l'est et l'ouest, qui avait eu pour objectif non seulement de démarquer la frontière sur le plan impérialiste, mais aussi de contenir les migrants, disparaissait en laissant place aux angoisses des gouvernements de l’Europe de l’ouest face à la menace présumée d'une « immigration massive » des pays de l'est. Après 1989, un flot de migrants s'était bien dirigé vers l'Occident, notamment venant de Roumanie, de Pologne et d'Europe centrale, à la recherche d'un travail, même misérablement payé. En dépit de l'épisode tragique de la guerre des Balkans entre 1990 et 1993 et du récent conflit en Ukraine, les flux migratoires au sein de l'Europe furent relativement « maîtrisés ». Cela, alors que la pression migratoire à la périphérie devenait en même temps de plus en plus forte sur l'UE.2
Au début des années 1990, les nouvelles guerres semant le chaos au Moyen-Orient, dans les Balkans, dans le Caucase et en Afrique, provoquaient des nettoyages ethniques et des pogroms de toutes sortes (Rwanda, Congo, Soudan, Côte d'Ivoire, Nigeria, Somalie, Irak, Syrie, Myanmar, Thaïlande, etc.). Des millions de personnes devaient chercher refuge mais la plupart des réfugiés demeuraient encore dans leur région. Seul un nombre limité d'entre eux s'orientaient vers l'Europe de l'ouest. Pendant la première guerre du Golf, la « coalition » dirigée par les États-Unis instrumentalisait ainsi sur place les populations kurdes et chiites pour son intervention qui fit au moins 500 000 morts et de nouveaux réfugiés.3 L'alibi « humanitaire » et/ou « pacificateur » avait permis de couvrir les pires exactions impérialistes au nom de la « protection des réfugiés » et des populations, en particulier les minorités kurdes. La bourgeoisie avait alors promis une ère de « paix », de « prospérité » et le triomphe de la démocratie. En réalité, comme on peut le voir aujourd'hui, les grandes puissances et tous les États allaient être entraînés par la logique du militarisme, celle d'un système dont la spirale est toujours plus meurtrière et destructrice. La guerre revint d’ailleurs rapidement en Europe, dans l’ex-Yougoslavie, faisant plus de 200 000 morts. En 1990, 35 000 Albanais du Kosovo commençaient à fuir vers l'Europe occidentale. Une année après, suite à la déclaration d'indépendance de la Croatie, 200 000 personnes quittaient l'horreur du conflit et 350 000 autres étaient déplacées au sein de l'ancien territoire morcelé. En 1995, la guerre s’étendit en Bosnie et chassa 700 000 personnes supplémentaires, notamment à la suite des bombardements quotidiens sur Sarajevo.4 Un an plus tôt, le génocide du Rwanda, également avec la complicité de l'impérialisme français, fit près d'un million de victimes (principalement au sein de la population d’origine tutsie, mais aussi des Hutus), provoquant l'afflux massif et tragique de réfugiés rwandais rescapés vers la province du Kivu au Congo (1,2 million de déplacés et des milliers de morts à cause du choléra, des règlements de comptes, etc.). A chaque fois, les réfugiés étaient otages et victimes des pires exactions. Au mieux, considérés comme des « dommages collatéraux », de simples objets gênants aux yeux de la logistique militaire.
Nombreux étaient prêts à croire que le spectre de la guerre s’était éloigné, mais dans la réalité et la logique du capitalisme, la spirale guerrière ne pouvait que poursuivre sa folie destructrice. Des zones entières de la planète se retrouvaient souillées par des seigneurs de guerre et l'appétit des grandes puissances, pourchassant et terrorisant les populations obligées de fuir toujours plus les zones de combat et la barbarie, les atrocités des gangs et des mafias, comme en Amérique latine face aux narcotrafics, ou celles des résidus laissés par l'effondrement d’États en lambeaux, comme en Irak autour des nébuleuses Al-Qaïda puis Daech et son « État islamique », de même en Afrique, où les tensions inter-ethniques et les bandes armées de terroristes égorgent, multiplient les attentats et sèment un peu partout le chaos. Les interventions des grandes puissances, notamment des États-Unis en Irak en 2003 puis en Afghanistan, réveillèrent les ambitions des puissances régionales, déstabilisaient davantage ces pays extrêmement fragilisés, dévastaient des zones encore plus grandes en les livrant à la guerre. Tout cela aggravant le phénomène des réfugiés, multipliant les camps et les tragédies. Les réfugiés étaient la proie des mafias, subissaient des sévices, des vols, des viols ; les femmes étaient souvent enrôlées ou enlevées par des réseaux de prostitution.5
Un peu partout sur le globe, ces mêmes phénomènes se conjuguent, fortement alimentés par la guerre sur les points les plus chauds, comme au Moyen-Orient, condamnant des familles entières à errer dans l'exil ou à croupir dans des camps.
Jusqu'à cette période, la plupart des victimes des guerres réfugiées autour de l'Europe, restaient dans leur région. Or, depuis quelques années, face des zones de guerre de plus en plus étendues, notamment au Moyen-Orient et en Afrique, un nombre bien plus élevé de réfugiés se dirige vers l'Europe de l'ouest ; cela, en plus des migrants « économiques » de l'Europe de l'est, des Balkans, des pays méditerranéens ou autres secoués par la crise économique et le chaos. Il en va de même pour le continent américain : en plus des émigrés venant du Mexique, un nombre grandissant de réfugiés fuient la violence en Amérique centrale, essayant de s'échapper vers le Mexique pour se rendre aux États-Unis.
L'Irak, la Libye et la Syrie sont désormais la proie d'un chaos incontrôlable qui pousse encore plus les populations à fuir massivement. En même temps, des milliers de personnes sont pris en otages par les rivaux impérialistes sur place, comme à Alep par exemple, où ils sont condamnés à mourir sous les bombardements massifs et les balles, à crever de faim et de soif. Environ 15 millions de personnes sont aujourd'hui déplacées rien qu'au Moyen-Orient. En 2015, plus d'un million de personnes se sont exilées, rien qu'en comptant les afflux vers l'Allemagne ! Pour la première fois depuis 1945, des vagues de réfugiés victimes de la guerre et des bombardements se dirigent massivement vers une Europe-forteresse perçue comme un « eldorado », mais qui les repousse brutalement. En Ukraine, la guerre a fait son retour et des milliers d'Ukrainiens ont fui les combats, demandant l'asile dans les pays voisins, notamment la Pologne de plus en plus hostile aux réfugiés.
Entre les années 2000 et 2014, 22 400 personnes sont mortes ou disparues en Méditerranées6 en tentant de regagner cette Union européenne idéalisée, malgré les dispositifs policiers rendant l'accès aux frontières très difficile, facilitant en cela le travail des passeurs mafieux, sans scrupules, dont les organisations prospèrent à une échelle devenue industrielle. Les États les plus riches deviennent de ce fait de véritables bunkers multipliant les murs, les barbelés, les patrouilles et les effectifs policiers qu'il faut contourner au prix le plus élevé : souvent la mort. Ironie du sort, les États-Unis, champions des « libertés démocratiques », qui n'avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser le « mur de la honte » à Berlin, ont construit eux-mêmes un mur géant à leur frontière sud pour barrer la route des « chicanos » !7
Dans beaucoup de pays, les réfugiés sont devenus non seulement des indésirables, mais sont aussi présentés comme des criminels ou des terroristes potentiels, justifiant une paranoïa sécuritaire entretenue à dessein pour diviser, contrôler les populations et préparer la répression des futures grandes luttes sociales. A la répression policière s'ajoutent, outre la faim et le froid, le harcèlement administratif et bureaucratique. Les grandes puissances ont ainsi déployé tout un arsenal juridique destiné à filtrer les « bons migrants » (ceux qui peuvent être utiles pour valoriser le capital, notamment les cerveaux, le « Brain Drain »), les « demandeurs d'asile » et les « mauvais migrants », tous les crève-la-faim majoritaires, sans qualification, qui doivent... « crever chez eux ». En tout cas, ailleurs ! Selon les besoins démographiques et économiques, les différents États et capitaux nationaux « régulent » ainsi le nombre de réfugiés susceptibles d'intégrer le marché du travail.
Bon nombre sont refoulés brutalement. Hommes, femmes et enfants, notamment dans les camps en Turquie8, sont victimes des policiers qui, si les décharges électriques, coups de bâton, etc. ne suffisent pas, n'hésitent plus à leur tirer dessus de sang-froid. L'UE, parfaitement au courant de ces pratiques terrifiantes et des cadavres qui continuent de s'échouer sur les plages de la Méditerranée, laisse non seulement faire froidement, mais organise tout un appareil militaire et de chasse à l’homme pour refouler les réfugiés. C'est, pour elle, au-delà de la lâcheté et de l'hypocrisie, le simple prix à payer pour dissuader les candidats à l'exil !
Avec ce tableau très général de l’histoire des réfugiés et les flux migratoires, nous avons essayé de montrer que le capitalisme a toujours utilisé la force et la violence, que ce soit de manière directe ou indirecte pour contraindre les paysans d’abandonner leur terre et vendre leur force de travail, là où ils le peuvent. Nous avons vu que ces migrations, leur nombre, leur statut (clandestins ou légaux), leur orientation, dépendent des fluctuations du marché mondial et changent selon la situation économique. La guerre, qui devient de plus en plus intense, fréquente et répandue pendant le XXe siècle, fait que le nombre de réfugiés et victimes de guerre a constamment augmenté. Avec les conflits récents, ce flux se dirige dans des proportions nouvelles vers l’Europe et les autres grands centres industriels. S’ajoute à cela, depuis un certain temps de plus en plus de réfugiés liés aux destructions de l’environnement. Aujourd'hui, les changements climatiques et désastres écologiques s'ajoutent à tous ces maux. En 2013, on comptait déjà 22 millions de réfugiés climatiques. Selon certaines sources, ils seraient trois fois plus nombreux que les réfugiés de guerre. Pour 2050, l'ONU prévoit l’afflux de 250 000 réfugiés climatiques, un chiffre fantaisiste et forcément sous-évalué quand on voit qu'aujourd'hui déjà certaines zones ou villes (comme Pékin ou New-Delhi) sont devenues irrespirables. La convergence de ces facteurs combinés augmente les tragédies. Un nombre croissant de réfugiés que le capital ne peut plus intégrer de façon suffisante dans la production du fait de sa crise historique.
Aussi, le sort tragique des réfugiés pose désormais un vrai problème moral pour la classe ouvrière. En effet, le système capitaliste pratique la chasse aux illégaux, le refoulement, la déportation, l’emprisonnement dans les camps, multiplie les campagnes xénophobes, nourrit finalement la préparation d'une violence en tous genres contre les migrants. En plus, en cherchant à dissocier les « vrais demandeurs d'asile » devenus très rapidement trop nombreux des « réfugiés économiques » indésirables, la bourgeoisie accentue les divisions. Face à la réalité de la crise économique, un peu partout en Europe, exploitant de nouveau les peurs et le contexte du terrorisme, elle induit la nécessité d'une « solution raisonnable », laissant planer avec un savant dosage la panique et le souffle de la xénophobie sur une partie de la population. Cela, tout en présentant l’État comme le seul rempart pouvant garantir la stabilité face aux menaces « d'invasions » et prétendument permettre de « lutter contre la xénophobie ». La propagande accentuant la crainte de la mise en concurrence pour le travail, le logement et la santé par les réfugiés, favorise une mentalité réactionnaire et pogromiste de plus en plus présente aujourd'hui. Tout cela constitue le sol fertile pour l’épanouissement du populisme.9
La bourgeoisie, nous l'avons vu, ne cesse de diviser les ouvriers et les populations entre elles, d'attiser et d'exploiter les sentiments xénophobes qui s'enkystent à travers le populisme, notamment contre les migrants. C'est ce qu’a confirmé la montée des partis politiques ultra-conservateurs contre les immigrés en Europe et aux États-Unis depuis quelques années, infestant notamment les parties du prolétariat le plus marginalisé dans les régions anciennement industrialisées. Le résultat du referendum en Grande-Bretagne, avec le Brexit, comme le phénomène Trump en Amérique, confirment cela de manière évidente. Particulièrement avec la question épineuse des migrants, la classe ouvrière doit désormais assumer des responsabilités croissantes, il lui faudra nécessairement bannir les discours haineux qui considèrent d'un côté qu'il faut « jeter dehors les immigrés » et ceux qui, dans leur élan patriotique et démocratique, pensent qu'« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il faut déjouer les pièges de la propagande officielle, les contraintes qui font obstacle à l'affirmation de la nécessaire solidarité comme expression consciente de ce combat moral. Si le chiffre des migrants explose, traduisant toujours plus de souffrances, il ne représente pourtant que 3% de la population mondiale. La bourgeoisie, qui craint à terme de perdre le contrôle d'une situation de plus en plus chaotique, entretient donc volontairement les peurs, exerce un climat de terreur poussant les individus isolés à s'en remettre à la « protection de l’État ». Derrière les discours officiels anxiogènes et les mesures sécuritaires des appareils étatiques, les prolétaires doivent absolument agir de manière consciente et rejeter les réflexes de peur conditionnés par les médias, prendre conscience que les réfugiés sont avant tout des victimes du capitalisme et des politiques barbares de ces mêmes États. C'est ce qu'a tenté de montrer notre série d'articles. La classe ouvrière devra, à terme, être capable de percevoir que derrière la question des migrants se pose l'unité internationale du combat révolutionnaire contre le système capitaliste.
« Si notre classe parvient à retrouver son identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d’une extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur ne saurait être épargné »10.
WH, novembre 2016
1 Véronique PETIT, Les migrations internationales, publié dans : La population des pays en développement.
2 Pour cette raison, l'UE créa un espace unique (l'espace Schengen) permettant un contrôle drastique et un flicage plus serré aux frontières (tout en permettant la « libre circulation » de la force de travail à l'intérieur de cet espace).
3 Voir notre brochure : La Guerre du Golfe.
4 Lors d'une offensive serbe dans l'enclave de Srebrenica, les militaires français de la FORPRONU, sous l'ordre de leur état-major, gardaient leur « neutralité », permettant le massacre de plus de 8000 Bosniaques...
5 Le phénomène de la prostitution, exposant en première ligne les mineurs, est en pleine expansion dans le monde. On compte environ 40 millions de prostituées provenant du monde entier, souvent déplacées de force.
6 Fatal journeys,tracking lives lost during migration, Organisation internationale pour les migrations.
7 Voir nos articles : Migrants et réfugiés : la cruauté et l'hypocrisie de la classe dominante, RI n°454, sept./oct. 2015 et : Prolifération des murs anti-migrants : le capitalisme, c'est la guerre et les barbelés, RI n°455, nov./déc. 2015
8 La Turquie et le Mexique occupent une place cruciale pour les États-Unis et l’UE en raison de leur place stratégique pour retenir le plus grand nombre de réfugiés/migrants.
9 Voir nos articles sur ce sujet dans la Revue Internationale n°157.
10 La politique allemande et le problème des réfugiés : un jeu dangereux avec le feu, RI n° 457
Nous publions ci-dessous la traduction d'une contribution d'un contact proche du CCI aux États-Unis. Réalisé et posté sur notre site en langue anglaise avant la victoire de Trump, cet article présente un intérêt pour poursuivre la réflexion sur les élections américaines. L'article se penche sur les difficultés actuelles de la bourgeoisie américaine, révélées par la candidature de Trump et la montée du populisme. Bien qu’il ait été écrit avant le scandale concernant l’attitude insultante de Trump à l’égard des femmes, cet épisode confirme un point central de l’analyse de l’article : l’existence d’une tentative concertée au sein des fractions les plus sérieuses de la classe dirigeante, malgré les divisions du parti, d’empêcher Trump d’accéder à la Maison Blanche.
A mesure que la campagne présidentielle approche de sa conclusion, les médias nous promettent que cette élection sera la plus importante dans l’histoire des États-Unis. L’emphatique milliardaire Donald J. Trump, représentant le Parti républicain, et l’ancienne Première Dame au casier judiciaire chargé et Sénatrice démocrate de New York, Hillary Clinton, s’affrontent dans une épreuve de force tragique au milieu d’un spectacle médiatique conçu pour convaincre la population de la nécessité impérieuse de participer au processus électoral, même si aucun des deux candidats n’est particulièrement inspirant.
Pour la grande majorité des experts, commentateurs et analystes intervenant sur la télévision câblée chaque soir et dont les articles fournissent les ordures dont se nourrit Facebook, il est impératif pour les Américains de vaincre la menace raciste, xénophobe et même « fasciste » représentée par Trump, même si cela implique de voter pour la candidate Clinton qui n’a rien d’une sainte. Pendant ce temps, la minorité des têtes pensantes qui travaillent pour Trump implore l’électeur américain de rejeter la politique du statu quo, de courir le risque de voter pour un homme nouveau et d’abattre Clinton la criminelle, dont ils disent qu’elle mérite la prison de toutes façons. Cette rhétorique est exacerbée au maximum dans le but de faire croire à l’importance des enjeux de cette élection pour le pays et même pour le monde entier. Le thème principal mis en avant par les médias jour après jour est qu’une véritable crise existentielle de la civilisation mondiale nous tomberait dessus si jamais Trump gagnait les élections.
De notre point de vue, nous devons une nouvelle fois affirmer catégoriquement la position (éprouvée et confirmée par la réalité) de la Gauche communiste selon laquelle la classe ouvrière n’a rien à gagner à participer au cirque électoral. Que ce soit pour voter Clinton et empêcher le pays de tomber entre les mains d’un tyran dangereux faisant monter les enchères pour sortir du statu quo et « renouer avec la grandeur de l’Amérique », ou pour voter Trump, candidat minoritaire de son parti, pour manifester son dégoût des autres options, le vote ne sert qu’à attirer la classe ouvrière sur le terrain politique de la bourgeoisie et à la détourner de son combat autonome de défense de ses conditions de travail et de vie.
Au bout du compte, quel que soit le gagnant des élections et le futur président des États-Unis, les problèmes fondamentaux et sous-jacents de la société dans le capitalisme en décomposition, qui sont la cause de l’approfondissement des problèmes de la vie politique bourgeoise, seront toujours présent. L’élection de Clinton pourrait empêcher Trump de nuire, mais cela n’arrêtera pas les bouleversements économiques, sociaux et culturels qui font le lit du « trumpisme » (et plus largement la montée du populisme). Élire Trump pourrait empêcher Clinton, candidate ténébreuse, corrompue et néo-libérale d’entrer en fonction, mais est-ce que l’ancienne star de la TV réalité et politicien néophyte ne se tournerait pas comme avant vers la vieille clique d’ « experts » ? Et voter pour un le candidat d'un parti mineur comme Jill Stein (Parti Vert) ou Gary Johnson (Libertariens) permettra à certains de se sentir bien un petit moment, donnant l'impression de contester les deux candidats principaux, mais la constatation que seuls Trump ou Clinton peuvent être président sera une désillusion. Alors, qu’a-t-on à gagner d’aller voter ?
Non, la seule voie réelle pour lutter contre tout cela pour la classe ouvrière est de retourner sur son terrain de classe : défendre ses conditions de vie et de travail loin de tout ce sinistre cirque électoral et en dehors du contrôle des différents partis bourgeois de droite, du centre et de gauche. Alors que nous constatons que les conditions présentes peuvent certainement entraver ce processus et que, par conséquent, de nombreux pans de la classe ouvrière peuvent être entraînés sur le terrain électoral d’un côté ou de l’autre, il n’y a aucune raison de changer notre défense du principe d’abstention concernant les élections bourgeoises, principe qui a été une position fondamentale de la Gauche communiste au siècle dernier.
Nous devons également dire que, sur un plan objectif, l’évolution de la scène politique américaine ces dernières années a brutalement confirmé l’analyse que nous avons développée depuis au moins l’élection présidentielle ratée de 2000 qui a conduit Georges W. Bush à la Maison Blanche au lieu de Al Gore, contre le souhait des principales fractions de la bourgeoisie américaine. Selon cette analyse, les conditions de la décomposition sociale capitaliste exercent un effet sur la classe dominante elle-même, rendant de plus en plus difficile pour la bourgeoisie le contrôle de son appareil électoral afin d’obtenir les résultats escomptés. L’élection ratée de 2000 a conduit à huit ans de présidence Bush ; ces huit ans ont vu les attaques du 11 septembre 2001 qui ont donné aux États-Unis l’opportunité d’envahir l’Irak de manière unilatérale et sans précaution, conduisant à un déclin précipité du prestige des États-Unis au plan international et à l’échec de ses objectifs impérialistes.
Alors que la bourgeoisie américaine a été temporairement capable de tenir la barre des élections avec le premier président afro-américain Obama en 2008, revivifiant l’image internationale de l’État américain, renforçant les illusions électoralistes chez des millions de personnes, particulièrement les jeunes générations, et fournissant une réponse mesurée à l’éclatement de la grande récession de 2008, ces gains ont été désespérément éphémères. La présidence d’Obama a servi à initier une résistance féroce de l’aile droite sous la forme du Tea Party, et au cours de ce mandat, le Parti républicain est de plus en plus tombé sous l’influence idéologique incohérente d’une faction dirigée par des extrémistes de droite en qui il est impossible d’avoir confiance pour prendre les rênes du gouvernement fédéral.1
Au début de son mandat, Obama a été capable de mettre en place un plan de réforme des soins de santé, qui a jusqu’à présent réussi à survivre aux contestations judiciaires de la droite, comme sa présidence l’a montré ; cependant, il est devenu évident pour de larges pans de l’opinion publique qui ont voté pour lui qu’il ne serait pas le président du changement annoncé pendant sa campagne : il a poursuivi les programmes de surveillance de masse de son prédécesseur, il a intensifié agressivement les opérations de drones à l’étranger, a très peu fait pour réduire les inégalités de richesses, les expulsions d’immigrants, et s’est dès le début entouré d’anciens de Wall Street.
De plus, bien qu'Obama ait jusqu’ici évité de mêler l’État américain à des aventures de cow boy style Bush à l’étranger, sa politique internationale déclarée de « diriger depuis les coulisses » n’a pas plu aux va-t-en guerre de chaque parti, et il a été durement critiqué pour ne pas avoir tenu tête à Poutine, laissant Assad franchir la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques en Syrie sans se soucier des conséquences, pour avoir regardé la Libye sombrer dans le chaos et ne pas avoir bombardé suffisamment l’État Islamique. Sur le plan intérieur, le continuel accroissement des inégalités de revenus, l’érosion continue des revenus de la classe moyenne et l’échec à apporter une réponse satisfaisante à la question de l’immigration ont nourri un rejet « populiste » de la présidence d’Obama par un nombre important d’« ouvriers blancs ».2
Ce surgissement populiste, couplé à la tentation croissante du Parti républicain de défendre des positions idéologiques qui en proviennent, a créé une situation dangereuse pour la bourgeoisie américaine à la fin du mandat d'Obama. Les factions principales de la bourgeoisie américaine ne peuvent plus faire confiance au Parti républicain pour assurer des fonctions officielles et sont obligées de compter uniquement sur le Parti démocrate comme parti de gouvernement national. La difficulté croissante à manipuler les résultats des élections et l’existence d’institutions centenaires toujours en fonction ont fait qu'Obama a été obligé de composer avec un Congrès Républicain pendant une bonne partie de son mandat. Cela a augmenté la pression sur le Parti démocrate traditionnellement « Parti de la classe ouvrière » afin qu’il devienne un parti néo-libéral de gouvernement technocratique et qu’il montre de plus en plus cette nouvelle face au public américain.
En conséquence, au cours du mandat d'Obama, le Parti démocrate lui-même s’est dévoilé de plus en plus comme un parti « néo-libéral », attaché aux mêmes intérêts capitalistes que les Républicains (ce qui l’a discrédité aux yeux de millions d’Américains), particulièrement chez les ouvriers blancs et les ouvriers indépendants qui ont été séduits par le populisme de Trump, mais également chez les jeunes générations, dont beaucoup étaient attirées par la candidature « rebelle » du « démocrate socialiste » Bernie Sanders pendant les primaires de la campagne.
Telles sont les principales lignes de failles qui ont marqué la campagne présidentielle de 2016 pour la bourgeoisie américaine. D’un côté on a un personnage dangereux que les principales factions de la bourgeoisie ne peuvent tout simplement pas laisser prendre les rênes du pouvoir ; de l’autre côté, on a une représentante de la vieille garde politique, largement discréditée, méprisée par une large partie de la population, à droite comme à gauche, pour des raisons différentes. Comment la bourgeoisie peut-elle gérer une pareille situation ? Nous allons maintenant examiner cette question en détail.
Une chose est certaine dans ces élections : les factions principales de la bourgeoisie américaine ne veulent pas de Trump à la tête de l’État. Cela est vrai indépendamment des partis politiques. L’élite du Parti républicain a aussi peur de la victoire de Trump que celle du Parti démocrate. Des représentants importants du Parti républicain comme la famille Bush ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas Trump. Des articles de la presse du « mouvement conservateur » comme la National Review s’opposent activement à lui et des candidats Républicains au Congrès et au Sénat gardent leurs distances de peur de s’aliéner l’important électorat indécis. Alors que Trump peut compter sur le soutien de quelques figures Républicaines soucieuses de leur avenir politique, et qui ne veulent pas aller à l’encontre du surgissement populiste, il est clairement considéré au sein du Parti républicain comme un personnage louche.3 Autrefois démocrate, il a soutenu le droit à l’avortement et la médecine sociale, il a même chanté les louanges des Clinton dans le passé, et son revirement social-conservateur laisse sceptique. De plus, sa volonté de liquider la guerre en Irak, de détruire la famille Bush, de courtiser le président Poutine ne va pas dans le sens des stratégies néo-conservatrices du Parti républicain en politique étrangère. Alors, comment se fait-il qu’il ait gagné les primaires du Parti républicain comme candidat à la présidentielle ?
La réponse se trouve autant dans l’histoire du Great Old Party lui-même que dans le personnage Trump. Pendant la présidence d’Obama, le Parti républicain (déjà sous le choc de la deuxième présidence désastreuse de Bush) adopta une position de plus en plus hostile au président. Lors des élections de mi-mandat en 2010, une nouvelle vague d’idéologues purs et durs associés au mouvement du Tea Party furent élus au Congrès, obligeant l‘establishment du Parti républicain à s’adapter à une aile droite de plus en plus bruyante et allergique aux compromis et même à toute gouvernance.
De l’opposition violente à la réforme d’Obama sur les soins médicaux aux fermetures de l’État imposées au gouvernement et même à la menace de faire défaut sur la dette nationale des États-Unis, l’insurrection du Tea Party procura au Parti républicain une nouvelle vie électorale, dans le sillage de la victoire enivrante d’Obama, tour en menaçant la stabilité des institutions du Great Old Party. Depuis 2009, le Parti républicain a joué un jeu dangereux avec le Tea Party grâce auquel il a engrangé des forces agressives en vue d’un succès électoral. Cela présentait le risque de la mainmise d’une hydre virtuelle issue de la droite dure dans ses propres rangs. Le porte-parole de la Chambre des représentants, John Boehner, a ainsi été obligé de jouer au jeu délicat du chat et de la souris avec ces « insurgés », cherchant l’équilibre entre les succès électoraux et politiques selon les besoins du moment de la gouvernance de l’État, qui nécessite sans arrêt des compromis avec les partenaires. Finalement, Boehner se lassa de contenir les insurgés du Tea Party et laissa en 2014 la place à l'ex-candidat à la vice-présidence de Mitt Romney, Paul Ryan4, qui prit le poste à contrecœur.
Au fur et à mesure du déroulement de la présidence Obama, il devint de plus en plus évident pour les principales factions de la bourgeoisie américaine que l’on ne pouvait pas faire confiance au Parti républicain pour contenir ses radicaux et c’est pourquoi ce n’était pas une option viable que de mettre un Républicain à la Maison Blanche. Avec un choix entre l’impasse et l’incertitude quant à ce qu’un Tea Party au pouvoir était capable d’apporter au Parti républicain, les factions principales de la bourgeoisie choisirent la deuxième option. C’est dans ce contexte que la bourgeoisie américaine commença à préparer le terrain pour Hillary Clinton, à l’époque secrétaire d’État, pour succéder à Obama.
Cependant, ce n’est pas parce que les principales factions de la bourgeoisie ont décidé de soutenir un candidat que la campagne est terminée. L’État doit encore glaner des candidats des principaux partis afin de préserver sa façade démocratique. Et même si, historiquement, l’État américain a su remarquablement manipuler le processus électoral pour produire les résultats escomptés, particulièrement à travers l’utilisation de la presse, le processus ne marche pas à tous les coups, comme l’élection de 2000 l’a montré. En politique, comme dans la vie, des accidents arrivent. A chaque élection existe le risque que le mauvais candidat gagne et la bourgeoisie américaine se retrouve coincée avec un boulet à la Maison Blanche. Dans le passé, cela n’a pas posé de problème dramatique, dans la mesure où les candidats étaient pilotés par les institutions d’État (la bureaucratie permanente) pour mener des politiques ayant l’aval des principales factions de la classe dominante ; aujourd’hui, la décadence du Parti républicain complique les choses, rendant encore plus nécessaire la victoire finale du candidat Démocrate.
Historiquement, le long processus pour sortir des primaires a été l’outil principal par lequel la bourgeoisie pouvait imposer son choix de candidats pour chaque parti important. La fonction des primaires est clairement d’éliminer les électrons libres et les rebelles, et de favoriser les candidats de la classe dirigeante ayant le soutien politique et financier de la hiérarchie du parti. Cependant, tout comme en 2012, la primaire 2016 du Parti républicain s’ouvrit dans une ambiance de carnaval. Avec 17 candidats représentant les différentes sensibilités du Parti, y compris le milliardaire frondeur Donald J. Trump, la primaire du parti ressemblait à un concours dont l’enjeu était de voir qui allait perdre l’élection générale contre Clinton.
Cependant, même si les principales factions de la bourgeoisie étaient généralement groupées derrière Clinton, il était nécessaire pour elles de mettre en avant un Républicain qui présenterait une alternative crédible si un « accident » arrivait ou si les ennuis judiciaires de Clinton s’avéraient être un handicap trop important. Ont été désignés pour cette tâche l’ancien gouverneur de Floride (frère et fils d’anciens présidents) Jeb Bush, Marco Rubio (un Hispanique favorable à la réforme de l’immigration), et le gouverneur du Wisconsin, Scott Walker (un chouchou du Tea Party qui a néanmoins réellement gouverné, qui a eu à faire face à des protestations de masse contre sa loi sur le droit du travail de 2011 et a survécu à une tentative de destitution). Chacun de ces candidats avait son propre bagage politique mais s’était aussi montré souple par rapport à la nécessité d’un consensus politique des principales factions de la bourgeoisie.
Cependant, la primaire républicaine de 2016 n’a pas tourné comme celle de 2012, lorsque le candidat désigné par l’élite républicaine Mitt Romney (considéré comme une bonne alternative à Obama) avait résisté à une série d’adversaires pour consolider sa nomination. Le contexte de 2016 a vu Trump éliminer systématiquement ses rivaux sur le terrain des insultes personnelles et le rappel embarrassant de faiblesses politiques. Bush et Rubio ont été dénoncés pour leur faiblesse à l’égard de l’immigration, pendant que Scott Walker était décrit comme ayant conduit son État au désastre fiscal.5 Aucun de ces candidats de l’Institution n’a réellement menacé Trump, clouant le bec aux experts politiques et semblant répandre l’effroi dans le cœur des institutions bourgeoises. Le seul rival sérieux de Trump au Tea Party, le bouillonnant Ted Cruz, était lui-même un outsider radical méprisé par l’élite politique qui ne l’a soutenu que pour empêcher Trump d’aller plus loin.
Quand Trump a accepté sa nomination comme candidat à la présidentielle pour le Parti républicain à la convention de juillet, ç’a été l’acmé de quelques-unes des pires peurs des principales factions de la bourgeoisie américaine (en dehors de la révolution prolétarienne) : un personnage imprévisible, désordonné, dangereux, considéré par certains comme un messie, qui a usurpé le manteau de l’un des deux principaux partis politiques. Du point de vue des principales factions de la bourgeoisie, le système des deux partis était désormais en danger, et peut-être même l’appareil démocratique lui-même. Il n’y avait rien à faire, à part s’opposer furieusement à Trump dans l’élection générale, une chose que, comme nous allons le voir, les principales factions de la bourgeoisie avaient déjà tenté en choisissant Hillary Clinton comme candidate démocrate.
Comment a-t-il fait ? Comment a-t-il réussi là où tant de campagnes d’excités avaient échoué avant ? C’est une question sur laquelle vont se pencher beaucoup de chercheurs académiques en science politique pour les années à venir. Ce qui paraît évident, c’est que la conquête par Trump du Parti républicain est la résultante de son adhésion à une vague internationale de politique populiste associée à sa personnalité charismatique et sa richesse personnelle. N’étant pas dépendant de soutiens financiers ni de structures politiques de partis institutionnels, Trump était libre de mener une campagne de franc-tireur reprenant les thèmes du populisme politique qui émergent aujourd’hui au sein du vieux monde industriel : une critique des politiques néo-libérales, la promesse de défendre les industries locales et les emplois contre la délocalisation et la conclusion de marchés internationaux, un engagement pour renforcer le filet de sécurité concernant les travailleurs déplacés et une opposition farouche à l’immigration, vue par beaucoup de blancs de « classe inférieure » comme la cause de salaires plus bas, de la baisse du niveau de vie et de la désintégration de la vie sociale.6
Sur le fond, pour beaucoup, cette politique a des attraits, même si c’est seulement parce qu’elle semble à l’opposé de ce qui est défendu par la politique bourgeoise consensuelle des deux principaux partis au cours des dernières décennies. Imitant en partie le style du fascisme italien, Trump a bâti un culte de la personnalité virtuel autour de sa personne (quelque chose qui renvoie à ses jours de gloire comme icône de la pop-culture dans la télé-réalité) ; ce procédé a attiré l’attention de millions d’Américains qui sont complètement dégoûtés par la politique du consensus néo-libéral et ont envie d’essayer un homme dont les médias responsables et les experts disent qu’il est une catastrophe. De toutes façons, du point de vue de la base de Trump, le désastre est déjà advenu, il continue juste à s’approfondir et aucun des candidats « responsables » n’a l’air de s’en émouvoir. La candidature de Trump est en grande partie une révolte nourrie par le désespoir de millions d’ouvriers dont les emplois relativement stables d’avant et l’espoir d’une amélioration sociale ont été déçus précisément par le genre de politique libérale que l’élite consensuelle leur a vendue en disant que c’était leur intérêt (mondialisation, externalisation, libre-échange, etc…).
Pourtant, même si les préférences politiques énoncées par Trump ne sont pas conformes à celles des principales factions de la classe dominante aujourd’hui, il doit être clair que, en aucune façon, elles ne sortent de la sphère politique bourgeoise. En fait, il est probable que les positions politiques déclarées par Trump sont tout simplement incompatibles avec la réalité économico-politique du capitalisme aujourd’hui. S’il venait par hasard, contre toute attente, à gagner les élections, la classe ouvrière doit être convaincue que cela ne changerait pas sa vie pour revenir au bon vieux temps de l‘après-Deuxième Guerre mondiale et de la reconstruction. Au contraire, il échouerait plutôt lamentablement dans l’application de sa politique à cause de la résistance des autres factions bourgeoises, ou alors nous finirions par découvrir que son élection n’était qu’un gigantesque canular et qu’il a laissé le pouvoir exécutif réel aux politiciens professionnels et aux conseillers politiques de ces mêmes factions de la classe dominante qu’il dit haïr.7 Et, bien sûr, s’il parvenait à mettre en œuvre sa politique, cela rendrait les choses encore plus difficiles pour la majorité de la classe ouvrière, comme les ouvriers Britanniques en ont fait l’expérience, avec une chute de la livre sterling et la hausse abrupte de l’inflation qui en a été la conséquence. Le populisme dans le style de Trump n’est pas une réponse aux maux de la classe ouvrière.
Comme nous l’avons vu, le Parti républicain est devenu trop instable pour que les principales factions de la bourgeoisie puissent lui confier l’exécutif sur le long terme. Cependant, la descente aux enfers du Parti républicain a eu des effets sur le Parti démocrate, de sorte que celui-ci est de plus en plus amené à se défaire de son vernis de « parti de la classe ouvrière » et se révèle être une institution capitaliste néo-libérale. Ce processus s’est accéléré pendant la campagne 2016 et a été particulièrement visible dans l’épreuve de force qui a eu lieu entre Clinton, la candidate de l’establishment, et Sanders, le parvenu contestataire, le Sénateur « socialiste démocrate » du Vermont.
Au début de la saison des primaires 2016, les principales factions de la bourgeoisie avaient déjà choisi Hillary Clinton comme candidate préférée pour succéder à Obama à la Maison Blanche. Quelle qu’ait été leur rivalité féroce pendant les primaires de 2008, où l’on a vu Obama mettre un frein aux ambitions présidentielles de Hillary Clinton, les principales factions de la bourgeoisie pensaient que la présidence de Clinton permettrait une transition en douceur vers une nouvelle administration et ferait perdurer l’illusion électorale démocratique. Ayant élu le premier président afro-américain en 2008, le peuple américain allait maintenant avoir l’opportunité d’élire la première femme présidente. Étant supposés avoir éradiqué le racisme en 2008, les électeurs allaient maintenant apporter une grande victoire à la cause féministe. Ainsi, cette primaire démocrate était censée couronner la reine Hillary, vu qu’elle semblait ne devoir faire face à aucun candidat sérieux ; en fait, beaucoup d’experts craignaient que le manque de candidat sérieux à la primaire ne la mette hors-jeu, alors que la vraie campagne commençait en juillet contre un candidat Républicain aguerri au combat.
Hélas, le couronnement a été long à venir. La campagne de Clinton a dû se confronter à un candidat pugnace et étonnamment fort issu de la gauche, le Sénateur « démocrate socialiste » du Vermont, Bernie Sanders. La campagne gauchiste de Sanders n’avait pas été anticipée par les instances dirigeantes, qui pensaient probablement qu’il mènerait une campagne de protestation molle et qu’il gagnerait peu de voix. Cependant, quand Sanders a réussi à faire jeu égal avec Hillary dans l’état-pivot de l’Iowa et a réussi à lui passer devant dans la primaire du New Hampshire, les instances dirigeantes (à travers les institutions du Parti démocrate et les médias libéraux) ont quelque peu paniqué.
Porté par le soutien massif de la « génération du Millénaire », de jeunes électeurs qui voient en Clinton une représentante de la vieille garde discréditée des politiciens néo-libéraux hors du coup par rapport au consensus « progressiste » émergeant, Sanders menaçait de jouer son propre jeu. Même s’il n’a en fin de compte pas gagné la primaire, sa présence prolongée, la gestion d’une véritable campagne dans laquelle il a correctement et efficacement dépeint Clinton comme une amie néo-libérale de Wall Street, menaçait d’affaiblir la candidate préférée de la tête du Parti à l’élection générale. Risquant déjà des poursuites judiciaires à cause du scandale des emails, et déjà détestée par beaucoup d’électeurs après des années d’attaques de l’aile droite, Clinton ne pouvait accepter de perdre cette génération du Millénaire (si critique lors de la victoire d’Obama) au bénéfice du candidat d’un troisième parti ou d’un abstentionnisme de protestation.
Ce qui a suivi a tout d’un cauchemar politique pour le Parti démocrate et ses alliés des médias : on a apparemment utilisé tous les moyens pour faire gagner Clinton. Les médias ont promptement dénoncé Sanders comme un rêveur utopique en dehors de la réalité, et dépeint ses partisans comme des marmots privilégiés, blancs pour la plupart, qui voulaient tout simplement pouvoir disposer de tout gratuitement. La campagne de Clinton a employé une véritable armée d’opérateurs salariés afin de patrouiller dans les médias sociaux pour « corriger » les messages anti-Hillary et salir Sanders. Les partisans masculins de Sanders ont été taxés de « Bernie Bros » misogynes, tandis que Sanders lui-même était accusé de ne pas se sentir concerné par les inégalités économiques et de classe, et de desservir les positions du Parti démocrate sur les questions de race, de genre et d’orientation sexuelle. C’était évidemment une façon de calomnier Sanders et ses partisans en les dépeignant comme des Blancs hors du coup, aveuglés par la défense de leurs « privilèges de Blancs ». La campagne de Clinton a certainement rallié des soutiens afro-américains, comme l’ancien activiste des Droits civiques devenu membre du Congrès, John Lewis, qui a délégitimé Sanders comme militant pour les droits civiques dans les années 1960, alors qu’il était étudiant à l’Université de Chicago.
Par un bizarre concours de circonstances, avant que la primaire ne soit terminée, la campagne Clinton, ses substituts, le Parti démocrate lui-même et les médias libéraux ont tous critiqué le New Deal de Roosevelt, au motif que celui-ci était basé sur la défense des privilèges des Blancs, et que beaucoup de ses structures n’étaient plus adaptées à la réalité d’aujourd’hui.8 Clinton a critiqué la médecine sociale, la comparant à la « grande œuvre » de l’administration Obama, l’Obamacare, qui laisse encore des millions d’Américains sans assurance-maladie, et avança contre la proposition de Sanders sur la gratuité de l’enseignement dans les universités d’État qu’elle était tout simplement pratiquement impossible à mettre en œuvre. Plutôt que de lancer une campagne du type « espoir et changement » ou « yes we can » comme Obama en 2008, qui a gagné beaucoup de voix chez les jeunes, Hillary a été obligée de lancer le message « acceptez et soyez satisfaits » et « non, nous ne pouvons pas ». Loin de se présenter comme une candidate de la transformation et du changement progressiste, elle et son parti se sont révélés être des éléments de l’infrastructure capitaliste, des politiciens inutiles comme tous les autres politiciens, et ce pour des dizaines de milliers de jeunes gens qui ont été séduits par le message de Sanders sur l’expansion de la démocratie sociale et la mobilisation politique, dans le contexte de l’émergence de quelque chose qui ressemblait à une culture du mouvement.
Au fur et à mesure de l’avancement de la primaire, on a constaté des irrégularités de votes ; les partisans de Sanders ont fini par être convaincus que le Parti démocrate était en train de leur voler l’élection de leur candidat et de donner les voix de Sanders à Clinton, dans une sorte de coup d’État légal. Ces suspicions se sont trouvées confirmées l’été suivant quand Wikileaks a publié une série de courriels piratés du Comité national démocrate (DNC), montrant que les instances du Parti avaient en fait conspiré pour vaincre Sanders et assurer à Clinton l’investiture du Parti démocrate. Cependant, quelle que soit la véracité des allégations formulées par les partisans de Sanders au sujet du trucage des élections par le Parti démocrate, le fait que beaucoup y croient est un signe de mauvais augure. Le Parti démocrate et sa candidate apparaissent comme des magouilleurs à beaucoup de jeunes, ils semblent également fonctionner comme une dictature du Tiers-Monde. L’appareil électoral démocratique est maintenant remis en question à cause de la conduite déplorable du Parti pendant la primaire pour s’assurer à tout prix que Clinton serait la candidate du Parti.
Bien sûr, le Parti démocrate n’aurait pas engagé la campagne de Clinton dans de telles tactiques s’il avait pensé avoir à y perdre et en effet, tout cela était trop difficile à surmonter pour Bernie Sanders. Car quelle que soit la force du ralliement des jeunes électeurs et des libéraux et progressistes, déçus par l’héritage Obama, derrière Sanders, Sanders ne pouvait tout simplement pas réaliser de progrès important chez les vieux électeurs des minorités, les femmes âgées et les différents niveaux des « classes professionnelles », qui sont devenus la base électorale du Parti démocrate. La campagne électorale de Clinton a joué en sa faveur auprès des minorités déjà acquises, dans une sorte de complément absurde à la démagogie raciale de Trump. Lors d’un débat, Clinton promit de ne pas expulser les immigrants illégaux non criminels, une promesse dont quelques observateurs sérieux pensent qu’elle la tiendra si elle est élue.9 Le nouveau discours progressiste de Clinton sur les questions de race est en flagrante contradiction avec les propos qu’elle tenait en tant que Première Dame quand elle traitait les jeunes noirs de « super prédateurs » ou lors de la primaire démocrate de 2008, quand sa campagne attaqua Obama sur le terrain racial, alors qu’il était allé assister à l’office du controversé révérend Jeremiah Wright.10
La politique à géométrie variable de Clinton sur les questions raciales est apparue à beaucoup d’observateurs comme un autre exemple de sa volonté de « trianguler », ce qui veut dire que l’on se satisfait de ce qui convient politiquement à un moment donné pour un public particulier. Loin de représenter la candidate optimale pour un lendemain meilleur, Clinton est arrivée à se faire mépriser par la plupart des électeurs éventuels du Parti démocrate, qui la considèrent comme une femme politique habile mais sans épaisseur, qui dira tout ce qui peut servir ses intérêts dans sa quête du pouvoir politique. Beaucoup semblent la détester encore plus que Trump, ne serait-ce que parce qu’ils estiment que Trump est sincère dans son sectarisme, alors que Clinton cache ses idées politiques réactionnaires derrière de belles paroles profondément malhonnêtes en réalité.
En fin de compte, les avantages de Clinton étaient trop importants pour être surmontés par le parvenu Sanders et Clinton a été en mesure d’obtenir l’investiture démocrate à la convention du parti en juillet 2016. Pourtant, en ayant remporté 45% des voix dans la primaire, le sénateur Sanders avait accumulé un capital politique considérable au sein du Parti démocrate. Alors que l’élite du Parti doit le haïr, elle sait aussi qu’elle a besoin de lui pour continuer le combat afin de placer Clinton à la Maison Blanche. Que peut faire Sanders ? Va-t-il se fâcher et courir tout seul comme le candidat d’un troisième parti, saboter le vote Démocrate et laisser Trump entrer à la Maison Blanche ? Va-t-il soutenir le candidat du Parti vert, Jill Stein, avec le même résultat ou va-t-il être beau joueur, accepter sa défaite et travailler à faire échouer le diable Donald J. Trump ?
Tous ceux qui ont suivi la carrière de Sanders depuis le début connaissent la réponse. Bien qu’apparemment indépendant politiquement, Sanders a toujours fait bloc avec les Démocrates au Congrès. Il a fait campagne pour Bill Clinton en 1996 et a publiquement critiqué les candidats d’un troisième parti dans le passé. Même si sa défaite politique cuisante est due au non-respect des règles par sa rivale, Sanders a néanmoins appliqué les règles du Parti et a soutenu le vainqueur de la primaire, et promis de tout faire pour empêcher Trump de devenir président. Il a prononcé un vibrant discours devant la convention Démocrate, martelant avec conviction (après avoir dit le contraire pendant des mois) que Clinton serait une « grande présidente ». Sanders est ainsi passé du statut de dangereux révolté menaçant de faire dérailler les plans de son parti, à celui d’« idiot utile », mais néanmoins personnalité incontournable de l’élection générale, chargée de rallier les jeunes électeurs à la cause de Clinton.
Le problème pour la classe dominante, était que, pour beaucoup de supporters de la première heure de Sanders, cette volte-face soudaine n’allait pas de soi. Comment le bien-aimé et incorruptible Bernie pouvait-il passer en une nuit de la critique impitoyable de cette va-t-en-guerre à sa célébration en vue de l’investiture démocrate ? Beaucoup ont refusé de le croire ou ont pensé qu’on avait fait pression sur Sanders. De quoi a-t-on pu le menacer ? Une dure leçon de la réalité de la politique électorale bourgeoise a été donnée à cette occasion. D’autres encore ont simplement abandonné le navire du Parti démocrate et ont conclu que Bernie était un homme politique vénal lui aussi, qu’il avait empoché des millions de dollars en dons modestes et qu’il avait promis monts et merveilles seulement pour défendre les intérêts de clique qu’il prétendait mépriser. Beaucoup de ces électeurs se sont tournés vers de verts pâturages (sans jeu de mots), tel le candidat du Parti vert, Jill Stein ; d’autres, séduits par la position du candidat du Parti libertarien, Gary Johnson, sur la légalisation de la marijuana, portent maintenant sa bannière.
De toutes façons, les difficultés récurrentes de Clinton avec les nouveaux électeurs sont maintenant un problème majeur pour les principales factions de la bourgeoisie. La fascination des « Millenials » pour Barack Obama était la principale cause de ses deux victoires électorales. Huit ans après cette élection historique, beaucoup de jeunes ont complètement abandonné le Parti démocrate, le voyant comme l’institution néo-libérale corrompue qu’il est vraiment. Dans leur quête immédiate pour l’élection de Clinton contre Trump, les principales factions de la bourgeoisie ont déchaîné une campagne massive afin de mobiliser les jeunes par tous les moyens. Cela a pris la forme d’une campagne anti-fasciste classique tentant de les convaincre que, quel que soit le désastre attendu avec Clinton, ce serait pire avec Trump. Le fascisme doit être arrêté même si cela implique de voter pour une clique méprisable.
Mais la campagne de propagande ne s’est pas arrêtée là. Une campagne d’une violence insidieuse et honteuse s’est développée sur les réseaux sociaux et dans les médias, montrant du doigt quiconque s’aviserait de dire qu’il voterait pour un tiers ou s’abstiendrait en novembre. Ces électeurs ont été dénoncés comme « corrompus », « privilégiés », ou ont été simplement harcelés comme hommes blancs intouchables. Les porte-parole de la classe dominante se sont engagés dans une intense campagne afin de discipliner la jeune génération et lui inculquer les règles propres à la démocratie bi-partite. Dans le système uninominal à un tour des États-Unis, la loi de Duverger11 s’applique : on a seulement deux choix. Le fait de voter pour le candidat d’un parti minoritaire ou de rester chez soi profitera uniquement au populisme néo-fasciste incontrôlable qui est en train de mûrir aujourd’hui. Si Trump gagne, ce sera la faute de cette jeune génération, ou la faute de Sanders, ou celle des politiciens « puristes », trop bons pour voter pour un mauvais candidat. Suivant cette campagne idéologique, si la nation et le monde entier sont obligés de supporter Trump, ce sera la faute de tout le monde sauf du Parti démocrate et de Clinton.
Alors qu’il est raisonnable de penser que la campagne de culpabilisation anti-fasciste aura le succès escompté, et que la plupart des anciens partisans de Sanders vont voter Clinton en novembre, beaucoup cependant ne le feront qu’à contre-cœur. Pour beaucoup de ces électeurs désenchantés, le Parti démocrate s’est révélé être une institution méprisable, indigne de loyauté électorale à long terme en l’absence d’une menace fasciste comme Trump. S’il y avait un autre candidat Républicain contre Hillary aujourd’hui, elle pourrait très bien perdre.12 Pour les principales factions de la bourgeoisie, cette situation est vraiment périlleuse. Au fur et à mesure que le Parti républicain dégringole dans l’idéologie, l’incohérence et une conduite imprévisible, le Parti démocrate doit montrer qu’il est le parti de la cohérence, de la responsabilité et de la rationalité, apte à remplir les fonctions de gouvernement. Cependant, à force de remplir ce rôle, sans autre parti crédible pour l’équilibrer, son vernis idéologique comme parti de la classe ouvrière et des opprimés va continuer à se révéler être une illusion, ce qui laisse augurer un avenir de crise pour l’idéologie électorale de la bourgeoisie.
Henk, 10 octobre 2016
1 Voir notre article : Le Tea Party, l’idéologie capitaliste en décomposition.
2 Nous ne prétendons pas qu’il n’y ait pas une bonne dose de bon vieux racisme derrière la colère contre Obama, parmi les ouvriers blancs, mais il est clair aussi qu’une partie des ouvriers blancs qui ont voté pour lui pendant la crise économique de 2008 ont été déçus par son incapacité à améliorer leur niveau de vie ; il a juste mis en place un plan bancal de réforme de santé qui n’a pas empêché la hausse des soins médicaux dans le seul grand pays au monde dépourvu de programme de santé publique.
3 Il est vrai qu'alors que beaucoup de Républicains de la première heure ont ouvertement rejeté Trump, les dirigeants des instances du Parti, tel le président du comité national républicain Reince Priebus, ont été obligés de se ranger derrière lui. La bourgeoisie a craint une possible division du Parti républicain pendant toute la campagne des primaires. Il était nécessaire pour la survie du système bi-partite qu’un fois que Trump avait gagné l’investiture, le Parti ne s’oppose pas à lui frontalement. Bien sûr, le risque d’éclatement du parti existe toujours, même s’il est mis en veilleuse.
4Paul Ryan est une figure du Tea Party. (NdT)
5 Le pauvre Rand Paul (un chouchou des libertariens, bien qu’il n’a jamais été un candidat sérieux pour la présidentielle) a été mis hors-jeu quand Trump a simplement laissé entendre qu’il est laid.
6 Bien sûr Trump, en course comme Républicain, a dû également s’approprier un certain nombre de positions standard du Parti et a adhéré du bout des lèvres à certaines positions conservatrices au sujet de l’avortement. On ne sait pas dans quelle mesure il croit vraiment à ce qu’il a défendu, mais en tout cas, il a activement courtisé le vote LGBTQ (Lesbiennes-Gays-Transsexuels-Questionneurs) dans le sillage de la tuerie d’Orlando, qu’il a dénoncée comme étant un produit de l’homophobie islamique, une tactique inhabituelle dans la politique américaine de droite, mais typique des façons de faire des différents partis populistes d’Europe.
7 Il apparaît que c’est exactement ce que Trump avait prévu de faire lorsqu’on a su qu’il avait proposé à son ancien rival John Kasich de concourir avec lui comme vice-président. Selon certains rapports, Trump avait promis à Kasich de lui laisser la politique étrangère et intérieure, se gardant un rôle d’ambassadeur du « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Si le fait que Dick Cheney était aux commandes sous l'administration de G.W. Bush était plus ou moins un secret de Polichinelle, il est évident que, compte-tenu de la personnalité et du tempérament de Trump, un tel arrangement aurait été une bonne chose pour l’État américain.
8 Voir les commentaires de la « Left Business Doug henwood » à ce sujet.
9 Pour être juste, Sanders a fait la même promesse, la différence étant qu’il était probablement sincère.
10 Beaucoup de personnes à Droite ont suggéré que c’est au cours de la campagne de 2008 qu’a émergé la « conspiration raciste autour de la naissance », contestant la légitimité d’Obama pour la présidence. Alors que la campagne elle-même n’utilisa jamais cette arme contre Obama, la preuve a été faite que cela avait effectivement été suggéré par un stratège de campagne comme un outil pour invalider sa candidature.
11 Concept de la science politique universitaire, la loi de Duverger établit que la nature du système électoral d’un pays détermine le nombre de partis nationaux viables. Le système à un tour garantit généralement que seuls deux partis peuvent concourir pour l’élection. Dans cette configuration, voter pour un troisième parti favoriserait la victoire du parti le moins bien placé pour gagner.
12 Un bruit a circulé, qui a alimenté les théories du complot : la candidature de Trump serait un canular basé sur un pacte avec les Clinton afin de faire exploser le Parti républicain et assurer la victoire de Hillary en novembre. Pendant ce temps, Trump obtient une énorme exposition médiatique gratuite pour nourrir son ego et valoriser sa famille. Bien qu’il n’y ait aucun élément permettant d’accréditer cette thèse, la façon extrêmement bizarre dont Trump a dirigé sa campagne depuis son investiture soulève réellement des questions sur son sérieux. En fait, ce ne sont pas seulement des obsédés de la conspiration qui ont insinué cela : un des rivaux malheureux de Trump, Jeb Bush, l’a également suggéré.
En février 1917, les masses russes renversent le régime tsariste, synonyme de tout ce qui est réactionnaire et rétrograde, et ouvrent la voie à la prise du pouvoir par les travailleurs en octobre de la même année.
Aujourd'hui, la révolution a été reléguée en toute sécurité aux livres d'histoire et aux documentaires télévisés, et c'est là que les classes dirigeantes voudraient qu'elle reste.
Mais en réalité, le problème posé en 1917 demeure le problème de notre époque. En plongeant le monde dans une guerre d'une barbarie inimaginable, la classe capitaliste démontra que sa domination n'avait rien à offrir à l'humanité que le sang et l'horreur. Les ouvriers russes ont montré la voie vers un renversement mondial du capitalisme, et ce sera leur mérite éternel.
En 1917 la question a été posée : socialisme ou barbarie ? Quand nous regardons le monde d'aujourd'hui, qui peut douter que cette question demeure la plus fondamentale de notre temps, même si ses termes ont changé ? En ce sens, l'avenir appartient encore à la révolution russe.
Le prolétariat d'aujourd'hui frappe autant les claviers que le métal. Mais c'est plus que jamais une classe internationale, associée dans un processus mondial de production. La révolution russe de 1917 appartenait au prolétariat de l'époque. La révolution mondiale à venir sera l'œuvre de ses héritiers, le prolétariat mondial de l'avenir.
Un panorama de la situation internationale montre l'accentuation de la barbarie et du chaos mondial. La série impressionnante d'attentats durant cet été, frappant de nouveau le cœur du monde capitaliste, ajouté à la guerre au Moyen-Orient, en sont des illustrations tragiques.
Quelles que soient les cliques au pouvoir et leurs mesures sécuritaires, elles étalent leur impuissance et la vacuité de leurs promesses lorsqu'elles prétendent vouloir améliorer notre quotidien et notre sécurité. En réalité, leurs conduites sont totalement dictées par des objectifs inverses : assurer l'exploitation maximale du travail salarié en temps de crise et défendre des intérêts impérialistes où les civils sont otages de quadrillages militaires et policiers. Tout ceci confirme l'impasse historique d'une classe dominante bourgeoise à bout de course, soufflant la peste et le choléra pour maintenir ses privilèges et son mode de production obsolète. Au quotidien, la corruption, l'aggravation des tensions entre fractions et cliques bourgeoises, la spirale de la violence, le chômage massif et la paupérisation sont les œuvres majeures d'une crise économique chronique, expression d'un mode de production capitaliste dont l'agonie prolongée menace aujourd'hui l'espèce humaine. Malgré les tentatives désespérées de la part de la classe dominante pour faire émerger des fractions plus lucides, responsables et présentables, comme ce fut le cas en France avec la tentative malgré tout réussie de mettre au pouvoir un Macron, le discrédit politique des partis traditionnels et les personnalités en panne d'inspiration conduisent le plus souvent les moins aptes à la "gouvernance" pour défendre les intérêts supérieurs du capital: incapacité d'entreprendre de réelles politiques globales et cohérentes, d'avoir une vision en profondeur sur le long terme (autre que celle du profit et de la rentabilité immédiate). Ce phénomène est alimenté par le "populisme", un produit de la décomposition capitaliste qui s'est enkysté insidieusement dans la société. Dans plusieurs pays, la classe dominante en vient de ce fait à perdre graduellement le contrôle des rouages politiques qu’elle a durant des décennies utilisé pour tenter de freiner les effets politiques les plus néfastes et délétères du capitalisme en faillite. L’État et les fractions les plus conscientes de la bourgeoisie tentent bien de réagir, ponctuellement avec quelques succès, comme on vient de le souligner pour le cas Macron, mais ceci ne fait que retarder ou ralentir ce processus, sans vraiment pouvoir l'enrayer définitivement. Ce dernier s'aggrave au contraire en détériorant la situation. Et en effet, depuis le Brexit et l'élection de Trump, les incertitudes, les revirements et l'imprévisibilité la plus totale n'ont fait que donner un coup de fouet à la dynamique du "chacun pour soi" et à la barbarie croissante. Un peu partout dans le monde, les hommes politiques, au centre des grandes décisions, tendent à exprimer la part la plus sombre de leur personnalité. On observe un Poutine manipulateur et paranoïaque, tout comme Érdogan en Turquie est adepte du culte de la personnalité, un Maduro jusqu'au-boutiste prêt à tout "brûler" au Venezuela, s'agrippant coûte que coûte au pouvoir, un Duterte dirigeant les "escadrons de la mort" et prêt à tuer n'importe quel opposant et à s'en vanter ouvertement, un Kim-Jong-Un, colérique et provocateur, véritable psychopathe..., la liste est trop longue pour continuer. Le plus frappant, c'est surtout qu'au cœur même de grandes nations, notamment de la première puissance mondiale, les États-Unis, on trouve des personnalités comme par exemple un Trump, totalement narcissique, pétri lui aussi de brutalité et d'imprévisibilité. En Grande-Bretagne, les volte-face de Theresa May rendent l'avenir de l''UE très incertain. Comment expliquer la simultanéité de ces profils, aussi multiples que tristement semblables, auparavant l'apanage de quelques "républiques bananières" ?
Tout cela n'est pas le fruit, selon nous, d'un simple hasard, mais un produit de la période historique actuelle. La phase ultime de décomposition du mode de production capitaliste marque l'histoire et la personnalité des hommes de son empreinte. Elle exprime leurs limites en dictant presque leurs actes, ceux de l'impuissance marquée par le sceau de l’aveuglement, de l'irresponsabilité, de l'immoralité et quasiment une soif de répression et de terreur, en se déclarant prêts à faire couler le sang... Parmi les réflexions les plus remarquables du mouvement ouvrier sur le sujet, on peut se remémorer les écrits de Trotski : "certains traits de ressemblance sont, naturellement, dus au hasard et n'ont, dans l'histoire, qu'un intérêt anecdotique. Infiniment plus importants sont les traits greffés ou directement imposés par de toutes puissantes circonstances, qui jettent une vive lumière sur les rapports réciproques de l'individu et des facteurs objectifs de l'histoire".1 Exprimant tout en finesse par un cadre théorique les portraits et les destins croisés du tsar Nicolas II de Russie et du roi Louis XVI en France, Trotski a su parfaitement dépeindre les marques du déclin historique sur ces célèbres figures de l'aristocratie :"Louis et Nicolas étaient les derniers rejetons de dynasties dont la vie fut orageuse. En l'un et l'autre, un certain équilibre, du calme, de la "gaieté" aux minutes difficiles exprimaient l'indigence de leurs forces intimes de gens bien éduqués, la faiblesse de leur détente nerveuse, la misère de leurs ressources spirituelles. Moralement castrats, tous deux, absolument dénués d'imagination et de faculté créatrice, n'eurent que tout juste assez d'intelligence pour sentir leur trivialité et ils nourrissaient une hostilité jalouse à l'égard de tout ce qui est talentueux et considérable. Tous deux se défendirent contre l'invasion d'idées nouvelles et la montée de forces ennemies. L'irrésolution, l'hypocrisie, la fausseté furent en tous deux l'expression non point tant d'une faiblesse personnelle que d'une complète impossibilité de se maintenir sur des positions héritées."2Et il ajoute ceci : "les déboires de Nicolas comme ceux de Louis provenaient, non de leur horoscope personnel, mais de l'horoscope historique d'une monarchie de caste bureaucratique. Tous deux étaient, avant tout, les rejetons de l'absolutisme."3 Avec la phase de décomposition du capitalisme, on atteint une dimension supplémentaire car les deux dernières classes fondamentales de l'histoire : la bourgeoisie et le prolétariat, dans leur confrontation réciproque, ne parviennent pas pour l'instant à affirmer une perspective ouverte au sein de la société, à donner un sens visible pour notre futur. Notre époque trouve aussi ses "rejetons", des Louis XVI et des Nicolas II à foison presque plus caricaturaux... Porteurs d'idéologies de plus en plus marquées par la décomposition et du fait de l'absence d'une alternative révolutionnaire pour l'instant, les dirigeants bourgeois ne nous offrent que l'odeur de la terre brûlée. La société est comme bloquée, enfermant l'humanité dans la prison tragique de l'immédiat, plongeant ainsi le monde dans la le chacun pour soi, la rapine, le chaos et la barbarie croissante.
Depuis l'élection de Trump, la situation mondiale s'est fortement dégradée. De par le contexte historique particulier, les actes d'un tel personnage, inspirés par ses vues étriquées de dirigeant d’entreprise despote et mégalomane, animé par une sorte de révolte sournoise, obscurantiste et paradoxalement "anti-élite" qui s'était déjà installée comme référent au sein de la société civile, le pousse à rompre avec les traditions et les codes d'un ordre établi de plus en plus rejeté.
On peut en illustrer les conséquences. On a vu la politique américaine de Trump mettre de l'huile sur le feu en entrant dans le jeu des surenchères militaires avec la Corée du nord, soulignant en arrière-plan un réel bras de fer de plus en plus tendu et dangereux avec la Chine et d'autres puissances asiatiques. Autre exemple significatif parmi tant d'autres, la conduite de Trump au Moyen-Orient, remettant en cause la politique traditionnelle des États-Unis par des revirements diplomatiques brutaux, notamment contre l'Iran, jetant aussi de l'huile sur le feu de cette poudrière. Du coup, les États-Unis, puissance déclinante, apparaissent encore moins "fiables", d'autant qu'ils sont eux-mêmes aspirés par la dynamique des tensions militaires, poussés à faire usage des armes sans pouvoir freiner la spirale de guerre. Il en est ainsi à Mossoul, où la guerre entre la coalition et Daesh se soldent par 40 000 morts civils, annoncés en catimini par les média, sans qu'une alternative visible au chaos et aux cendres n'apparaisse pour cette région. Alors que le but affiché était de "lutter contre le terrorisme", le résultat a été contraire : une vague d'attentats accrue, ponctuée par exemple par les tragiques événements de Barcelone et par la recrudescence d’un flux de réfugiés tentant de fuir la guerre et la misère au péril de leur vie. Ces derniers sont, soit refoulés vers des camps, soit livrés à la mort en Méditerranée. L'absence totale de vision politique, l'enlisement dans une logique de guerre ne font que généraliser la violence et les mécanismes de vengeances, diffuser les métastases du terrorisme, diluer et généraliser l'influence de l'idéologie djihadiste vers des zones géographiques plus large et étendues, comme en Afghanistan.
Ces tensions au Moyen-Orient, porteuses de guerre, ne sont pas uniques. Dans le même sens, les annonces de Trump d'une possible intervention militaire américaine au Venezuela n'ont fait que durcir la position de Maduro au lieu d'apaiser la situation, ce dernier instrumentalisant cette menace américaine pour justifier sa politique (cf. notre article sur Venezuela). Sur le plan de la politique intérieure aux États-Unis, les déclarations et les actes politiques de Trump n'ont fait que s'accumuler, là aussi, aiguisant les tensions et le discrédit gouvernemental, par exemple les sympathies affichées par le président envers les activistes les plus racistes de l’extrême-droite après les récents incidents de Charlottesville, en Virginie. Tout ceci n'a fait qu'exacerber les tensions au sein même de l'État, ce qui affaiblit d'autant l'image des États-Unis et surtout de son chef dans le monde.
Mais ces tensions politiques et militaires aggravées ne sont pas les seules expressions de l'impasse historique dans laquelle nous plongent le capital et ses dirigeants corrompus. Les décisions prises alimentent aussi la guerre commerciale. Le renforcement du protectionnisme et du "chacun pour soi" économique, malgré une sonnette d'alarme comme celle de la crise financière de 2008, la politique de fermeture exclusive "America First", ne peut que plonger davantage le monde dans la crise globale, le chômage massif et la misère sociale. La guerre commerciale exacerbée génère en plus des désastres écologiques. Les déclarations de Trump, dépassant les plus audacieuses revendications des lobby du pétrole, révélant sa froide désinvolture vis-à-vis du réchauffement climatique, ironisant sur les accords de Paris (COP 21) qui avaient pourtant permis à la bourgeoisie de s'acheter une bonne conscience, traduisent bien la folie du capital. Malgré les beaux discours "green washing" dont nous ont abreuvés les média, la réalité du système capitaliste plonge le monde dans un environnement de plus en plus dégradé.
Bref, ce que nous pouvons observer, c'est que les superstructures idéologiques de la société bourgeoise, qui sont affectées par la réalité et l'impasse du mode de production capitaliste en décomposition, agissent elles-mêmes comme forces matérielles de destruction. L'absence de perspective qui affecte la société constitue une lourde entrave pour la seule classe potentiellement capable d'opposer une véritable alternative révolutionnaire, le prolétariat. Le fait de sa perte d'identité de classe et de la propagande cherchant à dénaturer et attaquer son combat révolutionnaire, oblige le milieu politique prolétarien et une organisation révolutionnaire comme le CCI à un très grand esprit de responsabilité. Parce qu'elle est porteuse d'un programme et dotée d'une expérience liée à celle de toute l'histoire du mouvement ouvrier, l'organisation révolutionnaire est indispensable pour favoriser la réflexion et permettre à la classe ouvrière de renouer avec son passé, en particulier celui de la vague de luttes internationales des années 1920, notamment le combat des bolcheviks qui a permis la victoire de l'Octobre rouge. Au moment du centenaire de la Révolution de 1917 en Russie, il s'agit de renouer avec les leçons fondamentales de cette expérience irremplaçable. C'est en s'appropriant ce passé de façon critique, avec un esprit de combat, que le prolétariat pourra préparer à nouveau un futur digne de la communauté humaine mondiale. C'est en combattant pour cette perspective que les révolutionnaires doivent se donner les moyens de défendre les principes du communisme : une société sans classe et sans exploitation.
WH, 28 août 2017
1 Léon Trotski, Histoire de la Révolution russe, Tome 1, Collection Points, Ed. du Seuil, p. 134).
2 Idem, p. 135.
3 Idem, p. 136.
Depuis la fin du mois d’août, l’armée birmane persécute, torture, viole et tue des milliers d’habitants de l’État de Rakhine (traditionnellement dénommée Arakan) issus de la minorité musulmane rohingya, une région particulièrement pauvre à l’ouest de la Birmanie, dans un État où la population est en grande majorité bouddhiste. Rejetés et privés de droits civiques depuis des décennies, les Rohingyas ont été victimes d’une poussée de violence extrême suite à l’attaque d’une trentaine de postes de police par un groupe armé autoproclamé : Armée du salut des Rohingyas de l’Arakan (ARSA). Dans cette confrontation où la population paie comme toujours le prix fort, les intérêts impérialistes contradictoires n’ont fait qu’attiser la violence : au nom de la “lutte contre le terrorisme”, le pouvoir central birman a saisi l’occasion de reprendre le contrôle d’une région stratégique, riche en minerais, convoitée par les vautours impérialistes les plus divers : États-Unis, Inde, Chine, Royaume-Uni...
Les rebelles eux-mêmes, comme l’ethnie entière, n’ont jamais été que des pions, manipulés par telle ou telle puissance présente dans la région. Cette minorité avait en effet servi de soutien et de force “loyaliste” au XIXème siècle et jusqu’en 1948 à l’impérialisme britannique en Birmanie contre les indépendantistes. Aujourd’hui, les rebelles sont largement suspectés d’être financés par l’Arabie Saoudite, tout comme le ralliement à la cause des Rohingyas, propagé dans l’ensemble du monde musulman, de l’État du Maroc au régime iranien en passant par l’Indonésie, apparaît hautement intéressé.
Après ce mois de violences, on dénombre officiellement plus de mille morts et quelque 500 000 personnes contraintes à fuir vers le Bangladesh voisin. Ils s’ajoutent aux 300 000 autres réfugiés Rohingyas qui vivent déjà dans les camps miséreux et insalubres du Bangladesh après avoir fui la Birmanie en raison de précédentes violences. Cette minorité, méprisée puis persécutée par le pouvoir birman, n’a fait que subir en permanence la violence du capitalisme, comme en 2012, par exemple, où la répression militaire fut terrible. Elle s’ajoute à la longue liste des minorités ayant subi la violence de l’État. Depuis 1948, c’est par exemple la minorité tibéto-birmane Karen qui a enduré les foudres de la persécution, au point qu’il n’est pas exagéré de parler de génocide.
La Birmanie elle-même n’est en rien une exception quand on parle de persécutions et de massacres de masse. L’histoire est pleine d’exemples les plus horribles, de la colonisation de l’Afrique par les nations européennes, celle de l’Asie par l’Empire britannique, en passant par la constitution-même des États-Unis avec le génocide des Amérindiens ou l’extermination méthodique des Juifs et des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale. L’extermination de populations entières caractérise la vie du capitalisme depuis ses origines. Si toutes les démocraties ont pu clamer en chœur après la Shoah : “plus jamais ça !”, remplir les manuels scolaires d’appels à ne “jamais oublier”, se faire les championnes de la défense de “libertés publiques” face aux persécutions du totalitarisme hitlérien ou stalinien, les “nettoyages ethniques” n’ont jamais cessé et se sont multipliés depuis : Arménie, Tchétchénie, Darfour, Yougoslavie, Rwanda, Tamouls au Sri Lanka... pour ne citer que les plus emblématiques, les plus abjects d’atrocité et d’hypocrisie de tous les États démocratiques face à cette barbarie.
La décadence et l’état de décomposition du capitalisme aujourd’hui n’ont fait qu’accélérer et amplifier ce processus de destruction et de mort de peuples et d’ethnies accusées à chaque fois d’être la source de tous les maux sociaux, politiques, accusés de freiner le bon développement de la “civilisation” contemporaine. Ce sont des boucs émissaires faciles dont aucun État ne s’est jamais privé pour arriver à ses fins et asseoir sa domination.
Depuis un mois, toute la presse bourgeoise, nombre de figures politiques, religieuses, artistiques, en ont appelé à la responsabilité d’Aung San Suu Kyi, au pouvoir depuis avril 2016, pour faire cesser le massacre. Ce fut dans un premier temps, le silence absolu de ce prix Nobel de la Paix en 1991, opposante “irréductible” de la junte militaire birmane pendant près de quinze ans, auréolée de son emprisonnement, et enfin libérée pour, dit-on, engager l’“ouverture démocratique” de son pays. Quand elle prit la parole mi-septembre, ce fut pour réfuter la réalité des massacres et dénoncer la “désinformation” de la presse occidentale sur la situation et les violences en cours. Celle que la bourgeoisie présentait encore hier comme la “Nelson Mandela asiatique”, le chevalier blanc de la démocratie, pouvait bien déclarer qu’elle est née pour “protéger les droits humains” ou que “toutes les lois répressives doivent être révoquées. Et les lois doivent être introduites pour protéger les droits du peuple”, elle tombe aujourd’hui du piédestal sur lequel elle “rayonnait”. Du milieu humanitaire et diplomatique, en passant par le rock et son incontournable champion humanitaire, Bono, par le cinéma et ses réalisateurs, Luc Besson ou John Boorman, en passant par les anciens dirigeants du monde entier comme Bill Clinton, Jimmy Carter ou Jacques Delors, chacun se devait pourtant de saluer la “Mère courage” et sa détermination.
Rappelons cette déclaration, parmi tant d’autres, emblématique de l’hommage international dont Aung San Suu Kyi était l’objet : “On ne dit pas assez à quel point la stratégie de non-violence active (une des racines de l’écologie) portée par Aung San Suu Kyi et ses partisans, est la vraie réussite de cette histoire. Persévérance, patience, volonté de compréhension et de réconciliation, capacité de compromis… mais aussi fermeté et inflexibilité sur l’objectif, tout chez Aung San Suu Kyi rappelle ce qu’ont porté avant elle Gandhi, Martin Luther King, Mandela, Vaclav Havel… et aujourd’hui le Dalaï-Lama. (...) Face au totalitarisme, la paix et la démocratie sont possibles, un jour ou l’autre, surtout quand “l’on sait que c’est le plus patient qui gagne à la fin”. En effet, aujourd’hui, l’évolution de la Birmanie, et la liberté d’expression et d’action de “La Dame de Rangoon”, sont des signes d’espoir pour toute l’Asie, et pour tous les combats non-violents de la planète. Des signes d’espoir, pour la liberté, pour la solidarité, pour l’écologie”.(1 [576]) On croit rêver !
La brave “Dame de Rangoon” aurait-elle trahi, renié ses principes ? Est-elle une personnalité ayant abusé le monde entier ? Même pas... La réalité est plus simple et plus prosaïque : Aung San Suu Kyi n’est qu’une représentante du monde capitaliste, une expression de la classe bourgeoise, ni plus ni moins. Ce prix Nobel de la Paix est bien la fille du général Aung San, protagoniste de l’indépendance du pays et chantre du nationalisme birman, écartant la plupart des différentes composantes ou minorités ethniques du pays. Continuité, filiation et tradition…dans la boue et le sang ! Elle-même l’affirme fièrement : “J’ai toujours été une femme politique. Je n’ai pas débuté en politique comme défenseur des Droits de l’Homme ou comme travailleur humanitaire, mais comme dirigeante d’un parti politique”. Cela a le mérite d’être clair. Effectivement, l’icône de la paix assume aujourd’hui son rôle à la tête de l’État birman, composant sans états d’âme avec la soldatesque qui l’a emprisonnée puis portée au pouvoir.
Certains, assez lucides sur sa place de vitrine civile “politiquement correcte” de l’État birman, attendaient au moins un mot de compassion, un “appel à la raison” face à la tuerie en cours. Que nenni : l’armée (qu’elle salue) réprime et tue en prétendant éradiquer le terrorisme au nom de l’intérêt général ! Dans la bouche de la bourgeoisie, défendre l’intérêt général c’est défendre l’intérêt de la nation, c’est-à-dire défendre l’État capitaliste et sa violence, démocratique ou non. Aung San Suu Kyi a toujours été et reste fidèle à sa cause, le capitalisme, à sa classe, la bourgeoise. Au fond, le communiqué effarant d’EELV est dans le vrai : Aung San Suu Kyi porte en elle ce qu’ont porté avant et après elle Gandhi, Martin Luther King, Mandela, Lech Wałęsa, Desmond Tutu, Yasser Arafat, Jimmy Carter ou Obama, présentés comme les apôtres de la paix, de la transformation du monde capitaliste. Qu’on en juge avec quelques exemples :
Avec l’arrivée au pouvoir de Mandela, emprisonné 27 ans, libéré pour enfin “jeter les bases d’une nouvelle Afrique du Sud démocratique”, prix Nobel de la paix en 1993, l’Afrique resta “un État du “tiers-monde” dérivant dans un océan de pénuries, de corruption, de misère sociale et de violence dans lequel surnagent quelques secteurs ultra-performants, mais de plus en plus réduits, le plus souvent dirigés par des Blancs(…). Le climat social est empoisonné par les criantes inégalités nourries par les “Black Diamonds”, ces nouveaux riches noirs, profiteurs insatiables et corrompus qui ont fait main basse sur l’économie du pays, affichant avec insolence un luxe ostentatoire”.(2 [577]) Sans commentaires...
La victoire “historique” d’Obama, le “premier Président Noir des États-Unis d’Amérique” devait être du même tonneau : enfin un Noir aux commandes d’un pays ravagé par les inégalités sociales et le racisme : “Ensemble, nous changerons ce pays et nous changerons le monde”. Le 10 décembre 2009, Barack Obama reçoit le Prix Nobel de la Paix à Oslo. Huit ans plus tard, d’après l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les États-Unis demeurent l’un des pays où l’écart entre riches et pauvres est le plus important ! Plus de 30 000 personnes meurent encore sous les balles chaque année aux États-Unis, très souvent des Noirs... Sur le plan militaire, Obama a poursuivi la politique impérialiste américaine en Afghanistan, en Syrie, en Irak et a engagé son pays sur de nouveaux terrains où il était jusque-là presque absent : au Maghreb, en Libye, au Mali et au Nigeria ; il a fait installer des bases de drones au Niger, frontalier du Mali, du Nigeria et du Cameroun, tandis que des frappes “ciblées” étaient menées en Somalie et ailleurs.
A chaque fois, ces icônes propulsées comme autant d’espoirs et d’hommes/femmes providentiels, n’ont abouti qu’à illusionner davantage les exploités et les détourner de la véritable prise en charge collective, consciente de la lutte contre le capitalisme et sa barbarie.
Il est nécessaire de s’arrêter sur la dimension religieuse de la situation en Birmanie. En effet, le rejet le plus violent des musulmans rohingyas s’exprime dans la population bouddhiste, majoritaire en Birmanie. Les moines bouddhistes eux-mêmes attisent cette haine et poussent au pogrom. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à jouer eux-mêmes du bâton et de l’agression physique, entraînés par un moine ultra-nationaliste et anti-musulman Wirathu (qui a inspiré le long-métrage : Le vénérable W). Ce personnage a passé plusieurs années en prison à l’époque de la junte, pour ses appels à la haine, avant d’être amnistié.
Qu’à cela ne tienne ! Aung San Suu Kyi a ses défenseurs, contre vents et marée : “La grande dame, elle, suit une voie bouddhiste très pure, et qui fait de son mieux malgré toutes les insultes et les mensonges propagés par les médias atlantistes à son encontre… Que peut-elle faire ? Favoriser une minorité qui met en danger la majorité ? Laisser les États-Unis déstabiliser le pays avec les Rohingyas qui, pour beaucoup sont certainement en fait des Bengalis? Non, elle fait ce qu’il y a de mieux pour son pays et la majorité des habitants et n’est certainement pas responsable des crimes que l’on lui reproche”.(3 [578])
En réalité, la « pureté » du bouddhisme en Birmanie n’est utilisée que dans l’intérêts de l’Etat capitaliste, un Etat basé sur une identité religieuse et un chauvinisme national. Mais là encore, ce n’est pas une surprise. Tout comme de nombreuses religions dans le monde, le bouddhisme trouve son origine dans la révolte des opprimés contre l’ordre existant, en particulier le système des castes hindoues. Par conséquent, tout comme la religion de l’ancien Israël, le proto-christianisme ou l’islam, il était caractérisé par des valeurs morales élevées basées sur la vision qui émergeait d’une humanité commune. Mais, incapable d’offrir une véritable solution aux souffrances de l’humanité, ces mouvements ont été transformés en religions d’Etat exprimant les intérêts de la classe dominante et même leurs meilleurs visions éthiques se sont transformées en justifications de la préservation de l’ordre existant divisé en classes. Dans le capitalisme décadent entré en décomposition, cependant, les religions dans le monde sont devenues de plus en plus de pures et simples apologies du racisme, de l’exclusion et de la guerre. Le bouddhisme, pourtant largement réputé comme une religion tolérante et pacifique, n’a pas pu échapper à ce destin.
En perspective, la situation en Birmanie n’est hélas qu’un épisode de plus de l’agonie sanglante du capitalisme. Derrière toutes les clameurs internationales indignées du monde bourgeois, se poursuivent toutes les confrontations, les rapports de forces et les tractations de la concurrence impérialiste : concrètement, malgré les exactions dénoncées, le soutien à l’État birman et à son armée reste entier de la part des États occidentaux dans la mesure où ils peuvent freiner la progression de l’impérialisme chinois dans la région, lequel essaie de s’ouvrir un accès vers le Golfe du Bengale et, de là, vers une mer ouverte afin de mettre en place sa nouvelle « route de la soie » vers l’Europe.
Seule la lutte de classes, avec le développement de la solidarité de classe internationale, peut en finir avec les pogroms et le nettoyage ethnique. Le chemin est encore long, très long, mais il n’y en a pas d’autre.
Stopio, 2 octobre 2017
1 [579] Europe Écologie-Les Verts (EELV), communiqué de juin 2012.
2 [580] Commission économique de l’Afrique (ONU), 2013.
3 [581] Alter Info, septembre 2017.
Nous publions ci-dessous un article écrit par nos camarades d’Internacionalismo, section du CCI au Venezuela, dans lequel notre organisation prend position du point de vue de l’internationalisme prolétarien sur la grave crise que traverse ce pays. Nous y dénonçons l’hypocrisie de la bourgeoisie mondiale et sa complicité avec les cliques bourgeoises aussi bien chavistes que d’opposition qui plongent le prolétariat comme l’ensemble de la population dans la barbarie. Nos camarades analysent comment le chavisme, produit et expression de la décomposition du système capitaliste, utilisant l’escroquerie idéologique du « socialisme du 21e siècle », s’est installé sur la base d’une attaque contre les conditions de vie, la conscience et la combativité du prolétariat. De même, ils analysent comment les tensions inter-impérialistes sont un facteur qui a contribué à aggraver la crise. L’article pose comme perspective que la seule issue possible à la situation de barbarie que connaît le Venezuela et le monde entier continue à demeurer entre les mains du prolétariat qui, à travers sa lutte consciente, peut parvenir à renverser le système capitaliste qui nous plonge dans le chaos et le désespoir.
Quotidiennement, la presse mondiale et un nombre illimité de sites sur internet et sur les réseaux sociaux nous abreuvent de nouvelles sur la situation dramatique vécue au Venezuela : aggravation de la pénurie et du désapprovisionnement en nourriture, médicaments et produits de bases ; hausse incontrôlée des prix sur le peu de produits qui restent disponibles, réduisant maintenant une partie de la population à souffrir de famine ; mort par dénutrition d’enfants et de malades à cause de la dégradation du système hospitalier et de santé… A cette situation s’ajoutent plus de 120 morts à ce jour, des milliers de blessés et de détenus, résultats de l’affrontement entre les factions rivales du capital vénézuélien dans leur lutte pour le pouvoir, à cause de la brutale répression des forces policières et militaires du régime chaviste de Maduro au cours des manifestations appelées par l’opposition et des protestations de la population entre les mois d’avril et de juin de cette année.
Le désespoir de la population est tel que des milliers de personnes cherchent les moyens de fuir le pays. Les gouvernements de Colombie et du Brésil évoquent l’arrivée de dizaines de milliers de migrants vénézuéliens, certains d’entre eux vivant de manière misérable dans les rues des villes les plus proches de leurs frontières respectives. L’augmentation des tensions politiques comme l’accentuation de la crise économique menacent de créer une vague de réfugiés semblable à celle produite par les exodes de populations en provenance de Syrie, d’Afghanistan ou de certains pays africains fuyant la barbarie guerrière ou la misère.
Cependant, les médias, conformément à leur rôle idéologique, transmettent une vision totalement déformée de la réalité, qu’ils prennent parti pour l’une ou l’autre des fractions bourgeoises, pro-chaviste ou d’opposition, qui sont en lutte pour le pouvoir au Venezuela. D’autre part, un grand nombre de gouvernements latino-américains et dans le monde rivalisent entre eux pour monter au créneau en dénonçant la « crise humanitaire » et la répression contre la population, qualifiant de dictature le régime de Maduro, exigeant le respect de « la démocratie » et « des Droits de l’Homme ». Ils veulent nous faire oublier que la plupart d’entre eux, il y a encore quelques années, encensaient et saluaient avec enthousiasme le gouvernement de Chavez pour avoir « pris en considération » le sort des masses déshéritées marginalisées et, selon leurs dires, avoir sorti des millions de Vénézuéliens de la pauvreté grâce à une prétendue « redistribution de la richesse sociale » et que l’ONU rendait hommage aux réussites du gouvernement vénézuélien pour avoir rempli les objectifs du Millénaire. Ce qu’exprime ces gouvernements et ces organismes, c’est l’immense hypocrisie de la classe bourgeoise au niveau mondial : de même que les fractions bourgeoises chavistes (regroupées dans le GPP- Grand Pôle Patriotique ) et les forces d’opposition (rassemblées autour de la MUD- Mesa de la Unidad Democratica-)1 de la bourgeoisie vénézuélienne en lutte pour le pouvoir, les classes dominantes au niveau régional comme mondial ont leur part de responsabilité dans la barbarie où sont plongés la population et le prolétariat au Venezuela.
Pour neutraliser cette campagne idéologique, il est nécessaire que le prolétariat puisse élucider les causes de cette tragédie, en ayant en premier lieu présent à l’esprit qu’il ne doit prendre parti pour aucune des fractions bourgeoises qui s’affrontent dans leur lutte pour le contrôle de l’État. Cette crise est un pur produit de la décadence et de la décomposition d’un système capitaliste qui n’est plus un facteur de développement des forces productives, en particulier de la force de travail ; la société s’enfonce plutôt chaque jour davantage dans la misère et la barbarie. D’autre part, face à cette impasse historique, la seule chose qui importe aux fractions du capital (que ce soient celles qui défendent des modèles de gauche-prétendument « socialistes » comme le régime de Chavez-Maduro ou des modèles néolibéraux de centre-droit comme ceux que défendent les forces d’opposition), c’est de se maintenir au pouvoir à tout prix et, dans leur folle soif de pouvoir, ils se fichent éperdument, que la population travailleuse pouvant les suivre de façon circonstancielle tombe comme des mouches par centaines ou par milliers, à cause de la faim ou de la répression.
La crise que traverse le Venezuela est l’expression du fait qu’aucun pays ou région du monde ne peut échapper aux effets de la décomposition du système capitaliste. Les raisons de cette crise sont les mêmes que celles qui provoquent la barbarie qui règne en Syrie, en Afghanistan ou dans nombre de pays africains ; ou celles qui prévalent pour les attentats terroristes qui se succèdent à une fréquence chaque fois plus élevée en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays centraux. Le monde se trouve dans une situation d’impasse, à la merci des comportements des fractions les plus irrationnelles de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie.
L’unique voie de sortie réelle de cette situation est entre les mains du prolétariat, qui à travers son combat, sa conscience de classe, son union et sa solidarité, peut arriver à servir de référence pour canaliser l’indignation et la rage des masses désespérées de la population qui voudraient sortir de la misère et de la barbarie où les tient enchaînés ce système capitaliste en décomposition.
Des analystes et des intellectuels sollicités pour donner leur avis sur la situation au Venezuela, essaient d’expliquer pourquoi ce pays, après avoir été un pays “riche” et stable parmi les pays d’Amérique latine, a chuté de manière brutale à l’aube du XXIe siècle dans une situation de pauvreté et soumis à un chaos politique qui menace de devenir ingouvernable. Certains évoquent le régime de Maduro comme l’expression d’un État en faillite, d’autres le désignent comme l’échec d’une autre dictature « castro-communiste ». En bons défenseurs de l’ordre bourgeois, ils ne perdent pas l’occasion d’alimenter la répugnante campagne qui assimile les régimes totalitaires de type stalinien au communisme. Ils essaient de masquer que le régime imposé par Chavez, dont Maduro est le successeur est un nouveau rejeton du système capitaliste en décomposition qu’eux-mêmes alimentent avec leurs prétendues « analyses ».
Les causes du surgissement du projet chaviste, nous les avions analysées dans un article publié en 20132, écrit peu après la mort de Chavez :
« L’émergence de Chavez dans l’arène politique date de sa tentative de coup d’État à la tête d’un groupe de militaires contre le social-démocrate Carlos Andrés Pérez en 1992. Depuis, sa popularité n’a jamais cessé de grandir de manière vertigineuse jusqu’à son arrivée à la présidence de la république au début de l’année 1999. Durant cette période, il a réussi à engranger les fruits du mécontentement et de la méfiance de larges secteurs de la population vis-à-vis des partis social-démocrate (gauche) et social-chrétien (droite) qui faisaient l’alternance au pouvoir depuis la chute de la dictature militaire en 1958, surtout auprès des masses les plus paupérisées du Venezuela touchées par la crise économique des années 1980 et qui furent les protagonistes des révoltes de 1989. Ces deux partis étaient entrés dans un processus de décomposition caractérisé par une corruption généralisée et l’abandon des tâches de gouvernement, ce qui n’était que l’expression de la décomposition qui embrassait l’ensemble de la société, surtout au sein des classes dominantes, au point que celles-ci ont été incapables de donner un minimum de cohésion à leurs forces pour garantir la ‘paix sociale’. »
Maduro a reçu en héritage de Chavez un pays et un projet politique affectés par une terrible crise économique et par la décomposition. Chavez et les hauts dirigeants civils et militaires ont toujours sous-estimé le poids de la crise économique mondiale pendant que les prix du pétrole restaient élevés, que les caisses de l’État n’avaient pas encore été vidées par les nouveaux propriétaires du pays et que l’État avait la capacité de s’endetter. Déjà en 2012, alors que Chavez était encore au pouvoir et que le prix du baril de pétrole dépassait 100 dollars américains, commençait la pénurie et le désapprovisionnement de différents aliments et des produits de première nécessité. La baisse de prix du pétrole à partir de 2013 a contribué à aggraver la situation. Donc depuis, le gouvernement Maduro, comme l’ont fait les autres gouvernements producteurs de pétrole de la région (Équateur, Colombie, Mexique, etc.), tous ont utilisé la baisse des prix du pétrole comme prétexte pour accentuer la détérioration des conditions de vie de la population et des masses travailleuses. Dans le but de donner une coloration « socialiste » à ces mesures, le régime Maduro a entamé une campagne idéologique qui continue jusqu’à aujourd’hui à prétendre que la baisse des prix du pétrole est due à une « guerre économique” déchaînée par « l’impérialisme nord-américain » allié à l’oligarchie bourgeoise du Venezuela dans le but d’affaiblir et d’attaquer la « révolution bolivarienne ». Cependant, la crise économique mondiale et la baisse des prix du pétrole ne suffisent pas en elles-mêmes à expliquer la gravité de la situation au Venezuela. La mise en œuvre des mesures économiques, politiques et sociales requises par le projet chaviste de « socialisme du XXIe siècle » comme l’avancée accélérée de la décomposition qui se traduit à tous les niveaux de la société ont aussi contribué à un tel dénouement :
- à la différence d’autres gouvernements de gauche alliés avec le chavisme (Bolivie, Équateur, etc.), Chavez a développé un modèle capitaliste d’État totalitaire de type stalinien. Il a progressivement pris des mesures pour affaiblir et exclure les secteurs du capital privé et de la vieille bureaucratie étatique qui contrôlait les institutions et les entreprises de l’État. A travers des expropriations dans l’industrie et l’agriculture, des nationalisations et des mesures économiques (le contrôle des changes et des prix, entre autres) l’infrastructure productive du pays a été démantelée. Cette politique économique, comme dans d’autres pays où elle a été appliquée, a créé des distorsions dans l’économie qui, jointe à une gestion irresponsable des caisses de l’État et à une corruption effrénée ont amené le pays à un effondrement économique.
La précédente bureaucratie étatique a été remplacée par une nouvelle caste hégémonique, à prédominance militaire, qui a pris d’assaut les institutions de l’État mais sans aucune expérience en matière de gestion économique comme administrative. La nomenklatura chaviste a pratiquement abandonné la gestion économique de l’État et s’est dédiée principalement à dilapider à son gré les ressources nationales, s’en servant pour s’enrichir et créer des réseaux de corruption qui ont amassé d’immenses fortunes placées dans des paradis fiscaux, ce qui montre de façon pathétique le degré de décomposition atteint par les secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie vénézuélienne.
- le caractère populiste de gauche du projet chaviste afin d’enrôler une masse de pauvres et de prolétaires qui lui ont servi de base électorale, en transformant les programmes sociaux (appelées « missions ») sous les drapeaux du « socialisme bolivarien » dans le but prétendu de « surmonter la pauvreté ». Maduro a poursuivi la même politique économique que son mentor en maintenant une hausse des dépenses publiques, facteur déterminant de l’aiguisement de la crise économique que vit aujourd’hui le Venezuela 3.
-les coûts élevés qu’implique le développement d’une politique impérialiste dans l’intention de faire du Venezuela une puissance régionale à l’intérieur d’un monde multipolaire qui a amené le régime à rivaliser avec les États-Unis et d’autres pays de la région. Dans ce but, il a développé une stratégie de vente « bon marché » aux pays de la région, principalement ceux des Caraïbes et d’Amérique centrale ; il a augmenté l’achat en armements militaires ; il a dédié des ressources considérables à développer des moyens de communications de portée internationale et pour intervenir dans différents pays de la région et du monde dans le but de soutenir des partis et des groupes de gauche opposés aux intérêts des États-Unis et d’autres puissances.
-pour renforcer sa politique populiste, Chavez avait avancé l’idée à diverses occasions que son gouvernement n’allait pas « réprimer les pauvres qui volaient par nécessité ». Sur cette base, le régime a développé une politique sous-tendue par l’impunité, le « laisser-faire » vis-à-vis de la délinquance de droit commun comme par rapport aux groupes armés constitués par des éléments lumpenisés formés par son propre régime, il a diminué la surveillance policière, principalement la nuit, laissant la population à la merci de bandes de gangsters qui ont imposé leurs propres lois. De cette manière, il s’est servi et a accentué le niveau de décomposition sociale qui existait déjà avant son arrivée au pouvoir pour installer dans le pays un couvre-feu de nuit comme en partie de jour, non pas imposé par la terreur étatique directe mais par la terreur semée par les éléments du lumpen. Cette politique a démultiplié les taux de criminalité qui ont placé le Venezuela4 comme un des pays les plus dangereux de la planète ; et cette situation a aussi contribué à augmenter le taux d’émigration.
Le chavisme a façonné un État soumis à la décomposition : un État gangster, dominé par des comportements de lumpen au sein des secteurs de la petite-bourgeoisie et de la nouvelle bourgeoisie « bolivarienne » ; il a renforcé un État de mollahs, qui ne paie pas les dettes intérieures comme extérieures qu’il a contractées avec ses congénères capitalistes, qui ne paie pas non plus les contrats passés avec les travailleurs à travers les conventions collectives. Le mensonge et l’impunité sont la norme au sein de cet État. Le chavisme, aidé par les mécanismes propres à la démocratie bourgeoise est parvenu à implanter une véritable mafia au cœur du pouvoir d’État vénézuélien.
Le projet chaviste se concevait comme un projet régional et mondial. Il s’est nourri du fait que depuis l’effondrement du bloc russe en 1989, le monde a cessé d’être régi par les deux grands pôles impérialistes, les Etats-Unis et l’URSS, et il est devenu un monde multipolaire. Le régime de Chavez s’est développé avec la vision de pouvoir constituer un de ces pôles régionaux en profitant de la position géographique stratégique du Venezuela en Amérique du Sud, du fait de sa puissance pétrolière et de l’affaiblissement des États-Unis comme puissance mondiale. Avec cet objectif, le chavisme a développé une politique impérialiste agressive au niveau régional de confrontation avec les États-Unis et d’autres pays de la région. Pour cela, il a utilisé le pétrole comme arme pour jouer un rôle dans la géopolitique régionale, principalement visant principalement les îles des Caraïbes et d’Amérique centrale. Sa politique s’est nourrie d’un anti-américanisme radical et pour cela, il a cherché des alliances avec d’autres gouvernements de la région comme au niveau mondial qui rejetaient la politique impérialiste des États-Unis.
Dans ce but, il a resserré les liens avec Cuba qui avait besoin d’approvisionnement en pétrole et en capital après l’effondrement du bloc impérialiste autour de l’URSS. Avec Cuba, il a formé le groupe des pays de l’ALBA pour concurrencer l’ALCA5 promue par les États-Unis ; il a resserré des alliances avec Lula au Brésil, les Kirchner en Argentine, les mouvements indigénistes de la Cordillère (Bolivie, Pérou, Équateur), le mouvement sandiniste au Nicaragua, etc… Il a aussi largement ouvert la porte au capital chinois, à la Russie (principalement à travers les achats d’armements), à l’Iran et jusqu’aux représentants du prétendu « socialisme-arabe » d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Ainsi, comme l’avait fait Cuba pendant des années, Chavez a développé une stratégie où il s’est érigé en victime par rapport aux États-Unis, accusant de façon permanente ce pays de vouloir s’approprier le pétrole vénézuélien et de conspirer contre « la pseudo-« révolution bolivarienne » depuis l’époque de George W. Bush. En effet, depuis les débuts de l’administration Obama, les États-Unis ont développé une politique contre le régime de Chavez et contre son influence dans la région à travers l’OEA6, qui n’avait pas pu en obtenir des conditions avantageuses. Cependant, Obama avait pu affaiblir l’influence des gouvernements de gauche de la région (au moyen de sa stratégie de « lutte contre la corruption et le trafic de drogues »), ce qui s’est traduit par les changements de gouvernement à tendance de droite au Brésil et en Argentine et par le rapprochement de la politique américaine avec Cuba.
Avant les dernières élections aux États-Unis et après le triomphe de Trump, il y a eu une période de plusieurs mois de blocage de la politique nord-américaine dans la région, se concentrant principalement sur la question de la construction du mur à la frontière du Mexique ; période au cours de laquelle on ne savait pas clairement quel serait le positionnement du nouveau gouvernement par rapport à la situation au Venezuela. A la mi-juillet, avant l’appel de Maduro au vote pour une nouvelle Assemblée nationale constituante7, l’administration Trump a repris l’initiative d’actions contre le Venezuela à travers une politique agressive dirigée contre le régime en déclarant qu’il utiliserait tous les moyens pour l’affronter, y compris le recours à la « force militaire, si c’était nécessaire », ce qui montrait un changement par rapport à la politique plus prudente d’Obama. Le gouvernement Maduro a profité des déclarations de Trump et de son impopularité internationale pour se poser en victime et pour essayer de rallier du soutien, tant au niveau intérieur du territoire qu’à l’extérieur.
Aujourd’hui, la configuration géopolitique régionale a changé et a affaibli de manière significative l’influence du chavisme : l’Argentine et le Brésil ne sont plus ses alliés, il semble que le nouveau gouvernement en Équateur mènera une politique différente de son prédécesseur Correa qui soutenait pleinement le régime Maduro. D’autre part, des États importants de la région comme le Mexique, le Pérou et la Colombie ont pris une part plus active dans la politique régionale en soutien à la politique américaine. La tendance est à l’isolement du régime Maduro. D’autant plus que plusieurs hauts dirigeants de tous ces États ont été sanctionnés par le gouvernement Trump pour violation des Droits de l’Homme, narcotrafic ou blanchiment de capitaux. De la même manière, l’Espagne et les pays de l’Union européenne exercent une pression pour le « retour de la démocratie » au Venezuela. L’appui des pays de l’OEA s’affaiblit aussi petit à petit.
Tout semblait indiquer que le régime de Maduro n’avait pas d’autre issue que de s’incliner face aux pressions de l’intérieur aussi bien que de l’extérieur du pays. Mais il n’en est pas ainsi. Le régime a relevé le défi : il a profité des menaces de Trump pour rechercher un appui international. Maduro a déclaré qu’il était prêt à repousser par les armes l’agression impérialiste et il a prétendu avoir conclu des alliances militaires avec la Russie pour assurer sa défense. Même s’il apparaît difficile que la Chine et la Russie puissent intervenir directement dans un conflit armé dans la propre « arrière-cour » des États-Unis, il est certain que ces États sont intervenus depuis des années en soutien du régime de Chavez et de Maduro avec leur fourniture d’armes, leurs aides financières, leurs denrées alimentaires, etc. et au nom du « droit à l’autodétermination des peuples », ils bloquent aussi toute action du Conseil de Sécurité de l’ONU contre le Venezuela.
La radicalisation du régime de Maduro est en train de créer une situation de déstabilisation dans toute la région à travers l’émigration de Vénézuéliens vers d’autres pays voisins. D’autre part, l’impopularité du gouvernement Trump au niveau mondial pourrait permettre que des éléments radicalisés de gauche, y compris des partisans du djihadisme, puissent entrer au Venezuela pour soutenir le régime Maduro en perpétrant des actions terroristes ou alimenter des guérillas.
La situation au Venezuela est imprévisible. Le gouvernement Maduro a déclaré qu’il ferait usage de ses armes pour s’imposer et, d’un autre côté, il est possible que les secteurs de l’opposition appellent à nouveau à des manifestations de rue, tout en sachant que le gouvernement y répondra en accentuant la répression. Toutes les cliques concurrentes de la bourgeoisie au Venezuela sont prises dans un engrenage qui les incite à porter leur stratégie d’affrontement jusqu’à leurs ultimes conséquences, et jusqu’à présent, elles ont montré qu’elles n’ont ni la volonté ni la capacité d’arriver à un accord minimum pour pouvoir gouverner. Apparemment, les pressions internationales n’ont aucun effet sur le régime Maduro. Pire, elles lui servent de prétexte pour intensifier la répression contre les opposants et la population en général. Un facteur important qui augmente encore le niveau d’incertitudes, ce sont les actions impérialistes imprévisibles de Trump dont l’engagement dans une action militaire unilatérale serait un facteur d’aggravation de la crise (comme d’une certaine manière ce qui se passe en mer de Chine avec le bras de fer engagé entre les États-Unis et le régime de la Corée du Nord).
Comme dans d’autres conflits en jeu au niveau mondial, ce serait la population vénézuélienne qui paierait les pots cassés d’une confrontation militaire. D’ores et déjà, elle est soumise à la bruyante campagne idéologique du régime contre « l’impérialisme nord-américain ». L’anti-américanisme est le bouc-émissaire qu’utilisent les fractions de gauche et gauchistes au niveau mondial pour semer la confusion dans la population et au sein du prolétariat : cela leur sert d’alibi pour soutenir d’autres régimes aussi despotiques et impérialistes comme ceux de Chine, de la Corée du Nord ou de Cuba. Cela leur permet aussi de masquer les politiques tout autant impérialistes de régimes de gauche, comme celui de Chavez et de Maduro qui, à son tour, impose son propre modèle local du système d’exploitation et réduit la population à des conditions de misère identiques, voire pires, que celles sous des gouvernements de droite.
Le projet chaviste reposait sur une attaque idéologique soutenue et sur une attaque contre les conditions de vie du prolétariat. Comme pour les autres projets de la classe capitaliste, le prétendu « socialisme du XXIe siècle » est nourri par une paupérisation et une précarisation de la force de travail. Le régime a effectué un travail systématique pour diminuer le salaire et les avantages sociaux que recevaient les travailleurs sous contrat ; cela a commencé avec les travailleurs du secteur pétrolier et des industries de base productrices des matières premières, après ont suivi les employés du secteur public. Les plans sociaux du chavisme, utilisés pour la répartition des miettes au « peuple » furent financés principalement par la réduction des salaires et la diminution des prestations sociales de travailleurs sous contrat. A la mort de Chavez, il laissait une masse de travailleurs appauvris et une plus grande masse de gens encore plus misérables et trompés recevant chaque fois moins des subsides de l’État. De même que, sur le plan économique, Maduro n’a fait qu’appauvrir davantage les masses travailleuses jusqu’au point que les salaires et les prestations sociales ne parviennent plus à couvrir les besoins alimentaires et chaque fois les pauvres qui reçoivent des sacs de provisions que leur vend le gouvernement à des prix conventionnés sont de moins en moins nombreux, pendant que les membres de la nomenklatura chaviste vivent comme des rois.
La bi-polarisation politique a été une stratégie maintenue et alimentée en permanence par le régime chaviste jusqu’à nos jours ; cela a constitué le facteur déterminant dont les effets se sont répercutés sur toute la vie sociale et qui a conduit aux niveaux d’anarchie qui existent à l’heure actuelle. Chavez a pu alimenter sa politique de bipolarisation en raison de l’appui des masses les plus démunies, des parias exclus de la société qui virent en lui un nouveau messie qui leur offrait les dons d’un État bienfaiteur que, 4 décennies auparavant, leur avait offert aussi les partis sociaux-démocrates et sociaux-chrétiens. Mais le chavisme avait besoin d’embrigader à son profit la masse des travailleurs qui s’était constituée durant ces années, alors il commença à mettre sur pied une stratégie politique de division et de bipolarisation au sein de la classe ouvrière vénézuélienne. A travers l’idéologie du “socialisme du XXIe siècle”, il développa une attaque contre la conscience, la combativité et la solidarité au sein du prolétariat vénézuélien. A la campagne nocive de la bourgeoisie mondiale proclamant « la mort du communisme » après l’effondrement de l’ex-bloc russe, il proposa le bobard du « socialisme bolivarien ». Le chavisme, avec l’aide des partis de gauche locaux comme d’autres pays, principalement le parti communiste cubain, développa un véritable laboratoire de pièges contre le prolétariat : autogestion, contrôle ouvrier, etc. pendant que, de manière progressive mais systématique, il accentuait la division dans les rangs ouvriers et précarisait les conditions de vie des secteurs les plus avancés de la classe ouvrière vénézuélienne.
Malgré cette attaque idéologique, les travailleurs, depuis les débuts du régime chaviste, ont développé des luttes importantes contre l’État sur leur terrain de classe mais ces mêmes travailleurs ont été systématiquement confrontés aux syndicats contrôlés par le chavisme ou quand ceux-ci n’étaient pas assez efficaces, à la répression des forces policières et militaires (de la même manière que le firent les précédents gouvernements avec à leur tête les partis qui se sont opposés au régime) ou celle des bandes armées lumpenisées formées par le chavisme. Jusqu’à aujourd’hui, il y a un nombre incalculable d’expressions de lutte et de mécontentement des travailleurs de différents secteurs, mais ces luttes apparaissent sectorielles, atomisées et elles restent asphyxiées par la bipolarisation politique. Cette situation a permis à la petite-bourgeoisie de jouer un rôle politique, depuis ses secteurs radicalisées de gauche qui, en majorité, ont appuyé le chavisme et ont encouragé un plus grand contrôle par l’État jusqu’à ceux qui défendent ouvertement des politiques néo-libérales.
A cause de la gravité de la crise économique, de la pénurie et du désapprovisionnement en produits de base et de l’incessante augmentation des prix, la popularité du gouvernement Maduro a progressivement baissé. Cette situation a été mise en évidence lors des élections parlementaires de décembre 2015 dans lesquelles l’opposition a largement triomphé et a pris le contrôle de l’Assemblée nationale, ce qui a représenté la déroute électorale la plus cinglante qu’ait reçue le chavisme au cours de ses 16 ans d’existence. Depuis lors, l’affrontement politique s’est exacerbé à cause du fait que le régime s’est vu sous la menace de perdre la pouvoir. Sa réaction, telle celle d’une bête sauvage blessée, a été de chercher le moyen de se maintenir au pouvoir à tout prix.
Pour sa part, l’opposition regroupée dans la MUD se présente aujourd’hui comme le véritable défenseur de la constitution chaviste de 2000 qu’elle avait rejetée pendant des années. Comme les partis politiques officiels, elle se présente comme le véritable défenseur de la démocratie. Les uns et les autres se battent pour montrer qui sera le plus démocrate : tous savent très bien que le mot d’ordre de « lutte pour la démocratie » représente une puissante arme idéologique pour le contrôle de la population et du prolétariat, et pour leur reconnaissance comme tel au niveau international.
Les deux bandes rivales disent chacune à la population qu’on en est arrivé à la phase finale de la confrontation entre «la dictature » et « la démocratie ». La réalité, c’est que chacune de ces deux cliques défendent la dictature du capital que ce soit par les voies de la démocratie républicaine ou par la voie de la démocratie totalitaire du régime chaviste. D’autre part, l’opposition vénézuélienne et celle des autres pays mettent en avant que l’échec du gouvernement Maduro représente l’échec du « castro-communisme » et se revendiquent de la politique néolibérale à « visage social », c’est-à-dire la vieille recette de prétendre instaurer un capitalisme à visage humain. Ils mettent en avant que Maduro a installé un régime « communiste » similaire à celui de Cuba. La Gauche Communiste a démontré depuis le début de la prétendue « révolution cubaine » que ce qui règne dans ce pays depuis plus de 50 ans est un capitalisme d’État de style stalinien. Maduro et ses alliés tentent d’appliquer le même modèle à travers le grand mensonge du « socialisme du 21ème siècle».
Les milliers de personnes qui protestent aujourd’hui contre le régime de Maduro montrent l’indignation, le désespoir et la colère d’une population qui ne veut plus continuer « à survivre » dans des conditions misérables. Bien que beaucoup d’entre eux aient des illusions dans les propositions de la MUD, beaucoup d’autres utilisent leur appel à manifester pour exprimer le mécontentement mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils soient partisans de ce regroupement oppositionnel bourgeois ; c’est ce qui s’exprime principalement à travers les mouvements de résistance dans leur majorité formés par des jeunes dont beaucoup ont été lâchement assassinés par les forces de répression du régime ou par les tueurs à la solde du régime pendant que d’autres ont été emprisonnés après avoir été livrés aux tribunaux militaires . De façon hypocrite, les dirigeants de la MUD les présentent comme des « martyrs de la cause démocratique » et ils leur servent de chair à canon qu’ils utilisent pour tenter d’imposer leur modèle capitaliste néolibéral qui ne représente en rien une issue à la crise que vit la population.
La difficile et dangereuse situation que vit le Venezuela est l’expression de la décomposition du système capitaliste comme un tout, qui s’exprime dans ce pays de manière caricaturale. Différentes bourgeoisies dans cette région comme dans le monde montrent aujourd’hui du doigt le régime chaviste de Maduro comme ce qu’on ne doit pas faire en matière de gouvernement. Dans la situation actuelle du capitalisme, il n’y a pas de garanties sur ce qui peut arriver dans des situations telles que celles du Venezuela où une poignée d’aventuriers qu’ils soient de gauche ou de droite, rancuniers et lumpenisés, assument le contrôle de l’État et soumettent la population comme le prolétariat au chaos et à la barbarie. De fait, les États-Unis, la principale puissance économique et militaire de la planète, ont comme chef de l’État un aventurier populiste de droite dont la seule différence avec un Chavez est que ce dernier se proclamait de gauche et qu’il mettait en avant un projet impérialiste marqué par « l’amateurisme ».
Aucune nation ne peut échapper à la décomposition, qui est l’expression du fait que le monde est entré dans une phase avancée de la décadence du capitalisme dans laquelle l’avenir de l’humanité se voit sérieusement menacé par les guerres, la pauvreté, la famine, les désastres écologiques et la barbarie. Cette impasse est la conséquence d’une situation dans laquelle les deux principales classes sociales, la bourgeoisie et le prolétariat, n’ont pas été capables d’imposer leur « solution » respective : soit faire subir à l’humanité une nouvelle guerre mondiale de la part de la bourgeoisie, soit la révolution communiste mondiale dans la perspective de la classe ouvrière. Une telle impasse plonge la société dans une perte de repères croissante et un pourrissement de tout le corps social.
Le Venezuela comme la Syrie ou d’autres pays du Moyen-Orient, d’Asie ou d’Afrique sont le miroir dans lequel se reflète ce que nous, les prolétaires du monde, devons voir ; ils montrent ce que nous prépare le capitalisme si nous n’en finissons avec ce système. La décomposition depuis des années frappe à la porte des pays plus développées d’Europe, d’Asie et d’Amérique à travers l’avancée du terrorisme.
Le régime populiste gauchiste installé par Chavez est la démonstration que ni la gauche du capital, ni la droite, ni les secteurs les plus radicaux de ces expressions bourgeoises, ne représentent une quelconque issue pour sortir de l’exploitation et de la barbarie capitaliste : de droite ou de gauche, les deux doivent être rejetés et combattus consciemment par le prolétariat et par les minorités de la classe qui se battent contre l’ordre existant. Le « socialisme du 21ème siècle » et la prétendue « révolution bolivarienne » n’ont rien à voir avec le socialisme. Il s’agit d’un mouvement patriotique et nationaliste. Comme défenseurs conséquents du socialisme, nous avons avant tout présent à l’esprit que le Manifeste Communiste, le premier programme politique du prolétariat, met en avant depuis 1848 que “les prolétaires n’ont pas de patrie ni d’intérêts nationaux à défendre”.
Nous devons prendre conscience de la force que représente le prolétariat parce qu’il est la classe productrice dont l’exploitation produit toute la richesse sociale. L’indignation dont font preuve les prolétaires et la majorité de la population vénézuélienne qui luttent pour une vie décente, impossible sous le règne du capitalisme, doit servir d’encouragement pour développer ce sentiment d’indignation parmi les prolétaires du monde entier, pour prendre conscience que la révolution prolétarienne est l’unique voie de sortie nécessaire et possible à la barbarie que nous réserve le capitalisme. Pour en finir avec cette barbarie qui menace l’ensemble de l’humanité, il est nécessaire de détruire l’appareil d’État bourgeois, soutien d’une classe exploiteuse minoritaire qui montre chaque fois davantage son incapacité à diriger, appareil d’État qui, jour après jour, se renforce et impose sa terreur à l’ensemble de la société. C’est seulement le prolétariat qui à travers sa lutte consciente et sa solidarité internationale peut mettre fin à cette situation dramatique.
C’est une réalité qu’à l’heure actuelle le prolétariat mondial n’a pas la force de freiner l’avancée de cette barbarie. Cependant, malgré la bipolarisation politique par les fractions de la bourgeoisie, qu’elles soient de droite ou de gauche, il existe au Venezuela comme dans d’autres pays, une immense masse de la population qui ne croit plus aux “sorties de crise” proposées par ces fractions. D’autre part, beaucoup de ceux qui se retrouvent de façon honnête derrière les bannières des unes ou des autres de ces cliques sont confrontés à la réalité qu’ils ne peuvent voir aucune issue à la situation. De même, même s’ils ne représentent qu’une minorité de la classe, il existe des éléments à la recherche d’une perspective prolétarienne face à la barbarie dans laquelle nous vivons.
C’est pour cela qu’il est urgent qu’en tant que minorité révolutionnaires de la classe ouvrière, nous intervenions dans le sens de la récupération de la conscience politique et de l’identité de classe du prolétariat. Nous devons reprendre le chemin de la lutte pour le véritable communisme comme l’ont fait le parti bolchevique et les Soviets il y a cent ans, ces protagonistes de la première grande tentative de développement de la révolution mondiale : la révolution russe d’Octobre.
Ni “socialisme du 21ème siècle”, ni démocratie, ni populisme de droite du style Trump, ni populisme de gauche du style Chavez ou Maduro. Le prolétariat doit chercher sa propre perspective hors du capitalisme en reprenant le chemin de ses luttes sur son propre terrain de classe.
Internacionalismo, section du Courant Communiste International au Venezuela (25 septembre 2017)
1 Le Grand Pôle Patriotique (GPP) regroupe les forces politiques qui ont donné leur appui au projet dirigé par Chavez. Il est formé de plusieurs partis parmi lesquels prédomine le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) fondé par Chavez ; il est aussi composé par d’autres partis minoritaires de gauche comme le Parti Communiste du Venezuela (PCV), la Patrie Pour Tous (PPT), etc. ; La Mesa (Table) de la Unidad Democratica (MUD) est une coalition de partis qui s’opposent au GPP, formé par les partis sociaux-démocrates, sociaux-chrétiens de droite et du centre et les libéraux.
2Le legs de Chavez à la bourgeoisie: un programme de défense du capital, une grande mystification pour les masses appauvries, article dont de larges extraits ont paru en français en juin 2013 et dont nous recommandons la lecture pour mieux comprendre la crise actuelle au Venezuela :
fr.internationalism.org/./legs-chavez-a-bourgeoisie-programme-defense-du- capital-grande- ou https://es.internationalism.org/en/node/3694 [582]
3 Les indicateurs économiques montent aujourd’hui une économie effondrée : une récession économique qui sévit depuis 2014 avec des chutes plus fortes d’une année sur l’autre, à tel point qu’entre 2014 et 2017 l’économie a perdu un tiers de son PIB, le déficit budgétaire s’est accru de 15% en 2016 (un des plus élevés du monde) dont le financement a engendré une surproduction de masse monétaire qui ont fait s’envoler les taux d’inflation qui seraient estimés à 1000% cette année et supérieurs à 2000% pour l’année 2018 ; le paiement de la dette publique estimée à autour de 95% du PIB, fait débourser une partie importante des rentrées de devises dans le pays qui, à 96% dépend des exportations pétrolières, lesquelles diminuent chaque année à cause de la diminution de la production ; la politique du gouvernement de réduire les importations (qui ont chuté de 75% au cours des 4 dernières années dans un pays où 70% des produits de consommation sont importés) a accentué le déficit en matières premières pouvant assurer le maintien l’appareil productif à un niveau opérationnel minimum et a accru la pénurie en intrants pour la production agricole et industrielle.
4 L’Observatoire vénézuélien sur la violence donne le chiffre de 28 479 morts violentes en 2016, soit un taux de 91,8 morts violentes pour 100 000 habitants. Selon ce rapport, « le Venezuela vient au deuxième rang mondial des pays où sont enregistrés le plus de violences mortelles, derrière le Salvador ». On estime à 283 000 le nombre d’homicides au cours des années gouvernementales de Chavez et Maduro. L’ONG COFAVIC estime à 98% le taux d’impunité de cette criminalité. Voir l’article en espagnol Incremento de la violencia delictiva en Venezuela: Expresión del drama de la descomposición del capitalismo accesible sur notre site internet : https://es.internationalism.org/cci-online/201206/3417/incremento-de-la-violencia-delictiva-en-venezuela-expresion-del-drama-de-la-d [583]
5 ALBA : Alternative Bolivarienne pour les Amériques à laquelle participent également entre autres l’Équateur, le Nicaragua, la Bolivie et Cuba ; ALCA : Aire du Libre Commerce des Amériques, projet qui est né de la proposition d’élargir le traité de libre-échange pour l’Amérique du Nord pour englober les autres pays du continent américain, à l’exception de Cuba.
6 L’Organisation des Etats américains créée depuis 1948 permettant la mise sous tutelle et d’exercer le contrôle du continent américain (en particulier des pays d’Amérique latine) par la Maison Blanche (Note du traducteur).
7 Ce coup de force de Maduro lui a permis d’exclure purement et simplement les partis d’opposition de cette institution (Note du traducteur).
Nous publions ci-dessous la traduction d’un article d’Acción Proletaria, organe de presse du CCI en Espagne. Le blocage du conflit catalan a lieu alors que le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien jette de l’huile sur le feu au Moyen-Orient et que l’affrontement entre deux abrutis grandes gueules (celui de la Corée du Nord et celui des États-Unis) alimente les menaces nucléaires. Tout cela exprime une dégradation croissante dans la situation impérialiste.
La montée en puissance de l’indépendantisme catalan est une crise très importante pour la bourgeoisie espagnole. Elle témoigne des difficultés PP (Partido Popular, de droite) au pouvoir et, plus généralement, de tout l’appareil d’État pour affronter ce problème. C’est un catalyseur qui fait exploser en vol le “consensus de 1978”,1 un consensus déjà fortement affaibli par la crise du bipartisme et les difficultés pour ouvrir une alternative à la suite de la formation de nouveaux partis (Podemos et Ciudadanos).2 Les causes immédiates d’une telle situation sont l’intensification des conflits entre les différentes fractions de la bourgeoise et la tendance à l’irresponsabilité de ces mêmes fractions qui mettent en avant leurs intérêts particuliers aux détriments des intérêts globaux de leur État et, donc, de leur capital national.3
En l’absence momentanée d’une alternative prolétarienne à la situation de crise du capitalisme, les travailleurs n’ont rien à gagner dans cette affaire et beaucoup à perdre. Les mobilisations en Catalogne, l’encerclement du Conseil [ministère catalan] de l'économie et les affrontements avec la guardia civil (police de l’État central espagnol) à la suite des arrestations de plusieurs dirigeants du gouvernement catalan (Generalitat), ou le refus des dockers du port de Barcelone de décharger les bateaux de la police, tout cela n’exprime en rien la force des travailleurs. Au contraire, ceux-ci sont poussés :
– par les partis ouvertement indépendantistes à la défense des hauts responsables du gouvernement autonome, ce même gouvernement et ces mêmes responsables qui réduisent leurs salaires et qui attaquent leurs conditions de vie, ces dirigeants du PdCat (Parti démocrate européen catalan) ou ERC (Gauche républicaine de Catalogne), partis patentés de la bourgeoisie, qui ne sont pas meilleurs que leurs rivaux du PP ou de Ciudadanos parce qu’ils sont Catalans ;
- par Podemos ou la mouvance autour de Colau4 à la “défense de l’État démocratique” contre la répression du PP.
Autrement dit, le danger est que les ouvriers soient entraînés en dehors de leur terrain de classe vers le terrain pourri des affrontements entre fractions de la bourgeoisie et soient enchaînés à la défense de l’État démocratique qui n'est que l’expression de la dictature de la bourgeoisie. La barbarie morale, la destruction écologique, les guerres vont-elles par hasard changer en quoi que se soit parce que la démocratie s’habille du jaune-rouge espagnol ou du rouge-jaune catalan ?
En Espagne n’existe pas un problème de “prison de nationalités”5, mais un problème de mauvaise soudure du capital national.6 Le capitalisme s'est développé en Espagne en traînant un fort déséquilibre entre des régions plus ouvertes au commerce et à l’industrie (celles du littoral) et le reste du territoire, beaucoup plus enfermé dans l’isolement et l’arriération économique. Le pays est entré dans la période de décadence du capitalisme (en 1914, avec la Première Guerre mondiale) sans que la bourgeoisie ait pu trouver de solution à ce problème. Au contraire, face aux assauts de la crise, les tensions, particulièrement entre les secteurs de la bourgeoisie en Catalogne et au Pays basque avec la bourgeoisie centrale, n’ont fait que s’exacerber. Chaque fois que le capital espagnol a mis en avant la nécessité de restructurer son organisation économique ou politique, les fractions séparatistes ont fait valoir leurs aspirations par tous les moyens à leur portée, s’il le faut par la violence et le terrorisme (l’ETA au Pays Basque ou encore Terra Lliure en Catalogne) et en essayant d’utiliser le prolétariat comme chair à canon.
C’est ainsi que l’organe de la Gauche Communiste italienne, Bilan, analyse le séparatisme catalan et les événements de 1936 : “les mouvements séparatistes, loin d’être un élément de révolution bourgeoisie, sont les expressions des contradictions insolubles et inhérentes à la structure de la société capitaliste espagnole qui réalisa l’industrialisation à la périphérie pendant que les plateaux centraux restaient soumis au retard économique. Le séparatisme catalan, au lieu de tendre vers l’indépendance totale, reste pris par la structure de la société espagnole en faisant en sorte que les formes extrêmes dans lesquelles il se manifeste s’adaptent aux nécessités de canaliser le mouvement prolétarien”. En fait, les rapports entre le séparatisme catalan et le prolétariat, en dépit des discours “de gauche” actuels de la CUP (Candidature d'unité populaire), n’ont jamais été l’expression d’un quelconque point commun mais celui d’un antagonisme de classes. Macià, fondateur de l'ERC, venait du carlisme réactionnaire (une trajectoire que, des années plus tard, suivra le nationalisme basque) et intégrait au nationalisme catalan des éléments du discours idéologique stalinien. Son parti, entre autres, organisa, pendant la République, une milice spécialisée dans la chasse et la torture de militants ouvriers : les Escamots.7 Cambò, dirigeant de la Ligue Régionaliste, établit des pactes avec la bourgeoisie centraliste pour affronter les grèves qui, en Espagne, correspondirent à la vague révolutionnaire mondiale en 1917-19, et il soutint la dictature de Primo de Rivera. Companys fit en 1936 de la Généralité de Catalogne autonome le bastion qui maintint l’État national et qui mobilisa les ouvriers sur le front de la guerre impérialiste contre Franco, en les dévoyant la lutte de classe contre l’État franquiste et en faveur du camp républicain au sein de la Généralité8. Et Tarradellas, alors leader de l’ERC, fit un pacte en 1977 avec la droite post-franquiste pour la restauration de la Généralité.
Le cadre que la transition démocratique avait donné au problème des séparatismes est celui des Autonomies, qui, sans atteindre le projet d’un État fédéral, octroyait des compétences en matière de recouvrement des impôts, de santé, d’éducation, de sécurité, etc., aux différentes régions, particulièrement à la Catalogne et au Pays Basque. Le pilier de cette politique fut le Parti socialiste (PSOE) qui su se donner une structure “fédérale”, en maintenant des organisations régionales disciplinées. Le parti nationaliste basque (PNV) et le parti catalan CiU ont rejoint, convenablement poussés, cette structure. 9 Autant le PNV que la CiU ont fini par jouer le rôle de tampon, en canalisant les revendications des secteurs nationalistes des plus modérés aux plus anachroniques sur le terrain de la négociation, jouant la muleta surtout entre les mains des gouvernements de droite, mais aussi du PSOE lorsqu’ils en ont eu besoin pour gouverner.10
Mais cela ne signifie pas que la mer des conflits nationalistes était parfaitement calme. Sous la façade du fairplay parlementaire du PNV, l’indépendantisme intransigeant de HB et de l’ETA ont grandi, de même pour CiU avec ERC. Par ailleurs, au sein du PSOE, se sont développées des baronnies régionales qui ont mis de plus en plus en question la discipline centralisée. Les secteurs du nationalisme basque ont utilisé les attentats de l'ETA dans leurs négociations de la même manière qu’ils ont été sous la pression de HB et de l’ETA pour mettre en question le cadre de “l’État des autonomies” et pour avancer vers l’indépendance.
Cela va plus loin : les éléments du problème du séparatisme en Espagne, à la fois insoluble et qui ne cesse de s’aggraver, ajoutés à l’impact de l’aggravation de la crise et de la décomposition, ont produit le phénomène “d’une spirale croissante des bravades de plus en plus hardies, qui vont vers des impasses de plus en plus aveugles, de plus en plus difficiles à éviter par le capital espagnol”, où, en plus, les “secteurs les plus radicaux (de l’abertzalisme11 au nationalisme espagnol le plus rance) au lieu de perdre en importance reprennent de plus en plus de vigueur”.12 Au Pays Basque, le plan Ibarretxe13, qui était une véritable déclaration d’indépendance, fut la confirmation de cette dynamique. L’État central, cependant, arriva à désactiver ce défi séparatiste, faisant croire que ce plan pourrait être intégré dans la légalité constitutionnelle. Ibarretxe présenta son plan devant le Parlement, où il fut méprisé et rejeté sans complaisance.
En Catalogne, le regroupement de deux formations au sein du gouvernement autonome tripartite (celles de Maragall et de Montilla14), l’usure de la droite catalane (CiU) et l’implication de celle-ci dans des affaires de corruption ont fait monter la popularité des indépendantistes radicaux. Face à la perte évidente de soutien électoral et, entre la montée d’ERC et l’impact du déclin du “pujolisme”, face au danger même de disparition à moyen terme, CiU recyclée en PdCat pour masquer son implication dans des affaires de corruption, a lancé une OPA hostile contre l’indépendantisme d’ERC ; mais il en a résulté qu’au lieu de reprendre le terrain électoral perdu au profit d’ERC, le PdCat est devenu l’otage de l’ERC , et par ricochet de la CUP.
De son côté, le PSOE avait entrepris une manœuvre de “reforme des autonomies” qui s’est soldée par un échec retentissant et a fini par affecter la cohésion même du parti. Dans la Résolution sur la situation nationale que nous avons publié dans notre journal en espagnol, Accion Proletaria nº79, nous avons rendu compte de ce fiasco : “la réalité, c’est que ce réputé bon sens de Zapatero n’a pas réussi à faire baisser les prétentions souverainistes du nationalisme basque, bien au contraire, car Ibarretxe a confirmé son pari face au nationalisme espagnol. On peut en dire autant de la situation en Catalogne, où les tentatives de contrôler les secteurs les plus radicaux d’ERC à travers le gouvernement tripartite dirigé par Maragall est en train de donner lieu au fait que Maragall apparaît (de gré ou de force, difficile à savoir) comme l’otage de l’ultranationaliste Carod Rovira. Les problèmes de cohésion du capital espagnol tendent à s’aggraver, de sorte que la politique de “gestes” de Zapatero, sans contenter les nationalistes basques et catalans (qui qualifient sa proposition de réforme constitutionnelle de fraude), sert plutôt à stimuler dans d’autres nationalismes périphériques ce même sentiment d’“irrédentisme”, de “préjudice comparatif”, etc., ce qui à son tour ne fait que remettre en marche la lourde machine du nationalisme espagnol qui ne se limite pas au PP, mais qui compte aussi des branches importantes à l’intérieur du PSOE”. Les deux tripartites catalans ne servirent ni à calmer les ardeurs indépendantistes en Catalogne, ni à brider l’ERC laquelle, au contraire, s’est radicalisée sur le plan du “souverainisme”, et finirent par disloquer la branche catalane du PSOE qui perdit une grande partie de sa fraction pro-catalaniste. Ils amenèrent, en fait, à installer les prémices de l’énorme radicalisation actuelle.
Tout cela ne fait que confirmer ce que nous avons affirmé dans les Thèses sur la décomposition : “Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l'évolution de la situation sur le plan politique. (…) L'absence d'une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l'indiscipline et au sauve-qui-peut”. Cela a conduit à la situation présente dans laquelle le gouvernement du PP et plus généralement la bourgeoisie espagnole ont largement sous-estimé le défi du 1er octobre. L’impression que cela donne, c’est que ces forces-là, à la suite du plan Ibarretxe, ont pensé qu’elles pourraient aussi manœuvrer avec le défi indépendantiste catalan et qu’à la suite du referendum de 2014, les secteurs indépendantistes feraient marche arrière. Au contraire, ceux-ci ont accru leur détermination. En plus, la bourgeoisie nationalise espagnole a été et est incapable, par définition, de tenir compte de l’impact de la décomposition sur l’appareil politique de l’État, qui s'exprime notamment par :
– la crise du PSOE, un parti divisé en baronnies régionales et qui a perdu une partie de sa capacité d’initiative politique et de structuration de l’ensemble des partis du capital national ;
– La dérive indépendantiste de la CiU : ce parti a de plus en plus été contrôlé par une bande de fanatiques ultranationalistes, installés dans les contrées les plus arriérées de Catalogne, ce qui l’a amenée à purger le parti de tous ceux qu’on a suspecté “de penchant espagnoliste” : ce fut d’abord Duran i Lleida et, par la suite, tous ceux qui préconisaient la vieille politique du cri nationaliste et de l’action collaborationniste avec l’ensemble du capital espagnol ;
– L’ERC, un vieux parti indépendantiste qui, cependant, a rendu de grands services au capital espagnol (voir ci-dessus), arbore le drapeau de la réalisation immédiate de l’indépendance (auparavant, il s'agissait un objectif “historique”), en développant un discours nationaliste et xénophobe,15 ce qui pourra le faire devenir le pivot central de l’éventail politique catalan à la place la vieille CiU, aujourd’hui PdCat.
– L’irruption de la CUP, un mélange indigeste de staliniens, anciens terroristes catalanistes et anarchistes, qui pratique un discours de catalanisme extrême, endogamique, d’exclusion, à la limite de la purification ethnique et de la xénophobie, qui met en avant des “Pays Catalans” indépendants et républicains et dont l’action principale consiste à compromettre le duo ERC- PdCat pour les obliger à aller toujours le plus loin possible dans leurs défis à la bourgeoisie centrale espagnole.
Le plan Ibarretxe a fait long feu et, apparemment, la “tranquillité” est revenue, le PNV devenant un “bon élève” sous l’autorité d’Urkullu [actuel chef du gouvernement basque]. Ceci a fait que la bourgeoisie centrale espagnole a fini par croire que ce serait la même chose avec le défi catalaniste. Pour commencer, les Catalanistes n’ont pas commis l’erreur grossière d’Ibarretxe de présenter son projet devant le Parlement espagnol. Ils ont suivi la seule voie possible qui est celle du référendum unilatéral, ce qui ne laissait aucune marge de manœuvre à la bourgeoisie centrale espagnole étant donné que la constitution ne permet pas de “compromettre la souveraineté nationale” dans les régions autonomes.
Nous assistons en fait à la crise du “consensus de 1978”, ces accords qu'ont signés toutes les forces politiques pour assurer un fonctionnement démocratique du pays dont la clef de voûte était jusqu’à très récemment, le bipartisme, l’alternance entre PSOE et PP, avec, cependant, un poids politique et une capacité d’orientation bien plus important chez le premier. Tout cela a volé en éclats et la bourgeoisie espagnole se retrouve face au danger que la première région économique d’Espagne (qui représente 19% de son PIB) puisse échapper à son contrôle. Elle a tout misé sur la riposte répressive : mesures judiciaires, arrestations, menace de suspension de facto de l’autonomie catalane... Autrement dit, elle est incapable de mettre en place des alternatives politiques permettant un contrôle de la situation. Les partisans de cette voie (Podemos, le parti d’Ana Colau,...) manquent de forces suffisantes pour la mettre en pratique. Ils sont par ailleurs eux-mêmes divisés par des tendances contradictoires. Le partenaire de Podemos, IU16, a déclaré être clairement contre le référendum catalan et pour la défense inconditionnelle de “l’unité de l’Espagne”. En plus, Iglesias [chef de Podemos] est confronté à la rébellion de sa branche catalane, qui tend à donner un soutien “critique” à l’indépendantisme. De son côté, Colau joue la médiatrice, obligée de faire d’invraisemblables équilibres entre les uns et les autres, ce qui lui a valu le surnom comique de “la Cantinflas17 catalane”. Le PSOE lui-même est incapable d’avoir une politique cohérente. Un jour, il soutient le gouvernement allant jusqu’à défendre l’article 155 de la constitution qui permet de mettre sous tutelle l’autonomie catalane ; le jour suivant, il proclame que l’Espagne est une “nation de nations”. Sa proposition d’une “commission parlementaire pour établir un dialogue sur la question catalane” a été rejetée avec dédain par ses différents adversaires.18
Cependant, l’échec de la vie politique n’a pas comme cause principale la maladresse des uns ou des autres, mais l’exacerbation même de la situation, l’impossibilité de trouver une solution. Et cela ne peut s’expliquer que par l’analyse mondiale que nous avons développée sur la décomposition du capitalisme. L’appareil politique espagnol, face à cette accentuation de sa crise générale, ne peut qu’en sortir encore plus désagrégé. Même si la situation est très différente, on observe la même dynamique au Venezuela : aucune de deux bandes opposées n’est capable de gagner la partie. On le voit aussi sur le plan des conflits impérialistes où l’autorité des États-Unis tend à s’affaiblir en tant que gendarme du monde (et encore plus avec le triomphe de Trump), ce qui produit des situations insolubles dans un grand nombre de conflits de par le monde.
La cohorte indépendantiste est confronté à une sorte de “plafond de verre” : sa force se trouve dans les pays catalans de l’intérieur, mais elle est plus faible dans les grandes villes et, surtout, dans la grande ceinture industrielle de Barcelone. La haute bourgeoisie catalane la regarde d’un mauvais œil, parce qu’elle sait très bien que ses affaires sont liées à l’Espagne honnie. La petite-bourgeoisie est plutôt divisée, même si, évidemment, dans les contrées de la “Catalogne profonde” elle soutient massivement la “déconnexion d’avec l’Espagne”. Mais l’énorme concentration économique de Barcelone (plus de 6 millions d’habitants) tend à pencher plutôt vers l’indifférence. Cette concentration possède tout sauf la “pureté raciale catalane”, c’est un grand melting pot où vivent ensemble des gens de plus de soixante origines nationales différentes.
Il faut compléter cette analyse en insistant sur l’importance de ces tendances centrifuges, endogamiques, identitaires, en “petites communautés fermées”, que la décomposition capitaliste nourrit sans cesse. Le capitalisme décadent tend fatalement “à la dislocation et à la désintégration de ses composantes. La tendance du capitalisme décadent est au schisme, au chaos, d'où la nécessité essentielle du socialisme qui veut réaliser le monde comme une unité”19. Le désarroi croissant, exacerbé par la crise, conduit à “s’accrocher comme à un clou brûlant à toutes sortes de fausses communautés, comme la communauté nationale, qui fournit une sensation illusoire de sécurité, de soutien collectif”.20 On voit cela clairement dans les trois partis catalanistes. La propagande absurde qui présente la Catalogne “libre” comme un oasis de progrès et de croissance économique “parce qu’on se serait débarrassé du fardeau de Madrid”, la chasse aux touristes encouragée par la CUP parce qu’ils “renchérissent la vie en Catalogne”, les allusions sans vergogne aux immigrants et autres andalous, tout cela montre que des tendances xénophobes et identitaires sont à l’œuvre, des tendances qui n’ont rien à envier aux prêches populistes de Trump, de Marine Le Pen ou d’Alternative pour l’Allemagne. Ces tendances à l’exclusion sont présente dans la société mais sont impulsées avec cynisme par les deux partenaires de Junts pel Si,21 même si c’est la CUP qui gagne le pompon à ce sujet.
Toutefois, les catalanistes n’ont pas le monopole de ces tendances abjectes. Leurs rivaux “espagnolistes” pratiquent un double discours : les grands dirigeants ont la bouche pleine de “constitution”, de “démocratie”, de “solidarité entre Espagnols”, du “vivre ensemble” etc., mais, en sous-main, ne font qu’attiser la haine contre “les Catalans”, ils préconisent des boycotts des produits “catalans”, appellent à “renforcer l’identité du peuple espagnol” et leur politique anti-immigration est chargée de racisme.
En réalité, ce conflit de racailles de bas-étage entre nationalistes espagnols et catalans démontre à nouveau, de chaque côté, ce que Rosa Luxemburg avait brossé d’une façon si forte et claire : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu'elle est. Ce n'est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l'ordre, de la paix et du droit, c'est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l'anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l'humanité qu'elle se montre toute nue, telle qu'elle est vraiment”.22
La situation montre le véritable visage de l’État démocratique. Toutes les forces politiques en scène se revendiquent de la démocratie, de la liberté, des droits de l’Homme, qui seraient le patrimoine de l’État. Les uns au nom de la “défense de la constitution” et de la “souveraineté nationale” (PP, Ciudadanos, PSOE). Les autres au nom de la “liberté démocratique” d’organiser un référendum mais aussi de la constitution (Podemos, indépendantistes). Mais le discours démocratique officiel dissimule la distribution de coups bas, des scandales de corruption que l’on cherche et que l’on fait éclater lorsque cela convient aux uns ou aux autres, des manœuvres, des pièges, etc. Les uns distribuent des “coups” dans le sens le plus concret du terme, en envoyant la gardia civil et la police (même dans des bateaux peints avec des dessins de cartoons!),23 les autres distribuent des “coups de théâtre” ; mais ce qui compte, ce n’est ni les urnes (et pourtant elles sont bel et bien recherchées !), ni les votes, mais les rapports de force, les chantages, dans le plus pur style mafieux. En ce sens, les “anti-système” de la CUP ne restent pas non plus à la traîne, en organisant des manifestations devant des domiciles privés pour intimider, en placardant des affiches de délation montrant du doigt les maires qui s’opposent au référendum dans la meilleure tradition pogromiste. Voilà le véritable fonctionnement de l’État démocratique. Ses rouages ne fonctionnent pas grâce aux votes, aux droits, aux “libertés” et autres mensonges, mais par les manœuvres, les coups bas, les conspirations secrètes, les calomnies, les campagnes de harcèlement et par la répression …
Le prolétariat est désorienté. Sa perte d’identité, le ressac, le reflux du mouvement du 15 Mai [pour 15 mai 2011], un mouvement très faible certes mais avec des perspectives de futur,24 l’a conduit à la confusion, à une difficulté pour s’orienter selon ses intérêts de classe. Le plus grand danger est que toute sa pensée reste enfermée dans ce cloaque pestilentiel qu’est le conflit Catalogne/Espagne, l’obligeant à raisonner, à ressentir, selon ce faux dilemme “soit avec l’Espagne, soit avec l’indépendance”. Les sentiments, les pensées, les aspirations ne tournent plus autour de la lutte pour les conditions de vie, le futur des enfants, sur l’avenir du monde, etc., des pensées qui sont celles du terrain de classe prolétarien, même s’il est encore embryonnaire, mais sont polarisées sur “Madrid nous vole” ou “l’Espagne nous aime”, sur “drapeau jaune-rouge à bandes équivalentes et une étoile” ou “jaune-rouge à trois bandes”, sur une toile d’araignée de concepts bourgeois : démocratie, droit à l’autodétermination, souveraineté, constitution... La pensée du prolétariat dans la plus grande concentration ouvrière d’Espagne est l’otage de ce tas d’ordures conceptuel issu du passé, de la réaction et de la barbarie. Dans ces conditions, les mesures répressives adoptées le 20 septembre par le gouvernement central peuvent provoquer une série de martyrs, peuvent nourrir la victimisation irrationnelle, et ainsi pousser à une situation émotionnelle de haute tension pour “choisir” la meute nationaliste derrière laquelle se ranger.
Ceci dit, le plus grand danger pour les prolétaires est d’être dévoyés vers la défense de la démocratie. La bourgeoisie espagnole a une longue expérience, dans son affrontement avec le prolétariat, de dévoiement sur le terrain de la défense de la démocratie pour mieux le massacrer ou renforcer l’exploitation. Rappelons-nous comment la lutte, initialement prolétarienne, du 18 juillet 1936 face au soulèvement de Franco, fut déviée sur le terrain de la défense de la démocratie face au fascisme, où le choix entre deux ennemis, la République et Franco, s’est soldé par un million de morts. Rappelons-nous aussi comment en 1981, face aux risques que représentaient les derniers restes du franquisme, le “putsch” du 23 février permit une large mobilisation démocratique du “peuple espagnol”. En 1997, les pas significatifs pour isoler l’ETA furent les mobilisations massives “pour la démocratie contre le terrorisme”.
L’imbroglio catalan est dans l’impasse, avec ou sans référendum ; l’affrontement entre indépendantistes et “espagnolistes” ne fera que se radicaliser et, comme les deux personnages cloués dans la fange du tableau de Goya, Duel à coups de bâton, ils vont continuer à se donner des coups sans retenue, ce qui ne fera que disloquer encore plus le corps social, en exacerbant la division et les affrontements les plus irrationnels. Ce qui est le plus dangereux, c’est que le prolétariat soit englué dans cette bataille rangée, surtout parce que tous les adversaires ne vont pas arrêter d’utiliser l'arme de la démocratie pour légitimer leur propos, en demandant de nouvelles élections, de nouvelles lois et encore de nouveaux “droits à revendiquer”.
Nous sommes conscients de la situation de faiblesse que traverse aujourd’hui le prolétariat. Cela ne nous empêche pas de reconnaître que seule de sa lutte de classe autonome peut surgir une solution. Contribuer à cette orientation signifie s’opposer aujourd’hui à la mobilisation démocratique, au faux choix entre Espagne ou Catalogne, au terrain national et au nationalisme sous toutes ses formes. La lutte du prolétariat et le futur de l’humanité ne peuvent se résoudre qu’en dehors et contre ces terrains pourris.
Acción Proletaria, 27 septembre 2017
1 Autrement dit les règles que l’État s’était donné depuis la mort de Franco en 1975 et la transition démocratique.
2 Nous avons déjà publié plusieurs articles au sujet de Podemos. Ciudadanos est, avec Podemos, l'un des deux partis récemment entrés en force au Parlement espagnol. Il est de centre-droit, parfois plus à droite encore que le PP. Concernant le PSOE (parti social-démocrate), on peut lire : Espagne: qu’arrive-t-il au PSOE ? [584], ainsi que les analyses que nous avons développées dans : Referéndum catalán: la alternativa es Nación o lucha de clase del proletariado [585].
4 Ada Colau est la maire de Barcelone. Son groupe En Comú Podem est allié à Podemos, qui est d’ailleurs déjà une coalition. Toutes ces alliances tendent souvent à la dislocation.
5 Expression utilisée autrefois pour se référer à des nations créées artificiellement pour des intérêts impérialistes.
6 Nous avons déjà cité dans d’autres articles (Acción Proletaria nº 145, Ni nacionalismo vasco, ni nacionalismo español; autonomía política del proletariado !) ce que disaient Engels et Marx au XIXème siècle : “Comment rendre compte de cet étrange phénomène qui consiste en ce que, presque trois siècles après une dynastie des Habsbourg suivi de celle des Bourbons (chacune d’elles étant capable toute seule d’écraser un peuple) les libertés municipales survivent en Espagne justement dans le pays, entre tous les États féodaux, qui a vu surgir la monarchie absolue dans sa forme la moins mitigée et ou, malgré cela, la centralisation n’ait pas réussi à s’enraciner ? La réponse n’est pas difficile. Les grandes monarchies se sont formées au XVIème siècle et se sont installées partout avec la décadence des classes féodales antagoniques. Mais dans les autres grands États d’Europe, la monarchie s’est présentée comme foyer civilisateur, comme le promoteur de l’unité sociale. (…) En Espagne, par contre, tandis que la noblesse sombrait dans la dégradation sans perdre ses pires privilèges, les villes perdirent leur pouvoir médiéval sans pour autant gagner en importance moderne. Depuis l’établissement de la monarchie absolue est advenue la ruine du commerce, de l’industrie, de la navigation et de l’agriculture. Avec le déclin de la vie industrielle et commerciale des villes, le trafic intérieur est devenu de plus en plus rare et le mélange des habitants des différentes régions encore moins fréquents. (…) La monarchie absolue trouva en Espagne une base matérielle qui, par sa propre nature, rejetait la centralisation et elle-même fit tout pour que des intérêts communs, basés sur une division nationale du travail et une multiplication du trafic intérieur, ne surgissent pas. (…) Aussi, la monarchie espagnole, malgré sa ressemblance superficielle avec les monarchies absolues européennes devrait être plutôt classée avec les formes asiatiques de gouvernement. Comme la Turquie, l’Espagne a continué à être un conglomérat de républiques mal régies avec un souverain nominal à leur tête. Le despotisme présentait des caractères divers dans les différentes régions à cause de l’interprétation arbitraire de la loi générale des vice-rois et des gouverneurs ; malgré son despotisme, le gouvernement central n’a pas empêché le maintien dans plusieurs régions des droits et coutumes différents, des monnaies et régimes fiscaux différents. Le despotisme oriental ne s’attaque pas à l’autogouvernement municipal tant que celui-ci ne s’oppose pas à ses intérêts et permet volontiers à ces institutions de continuer leur vie tant qu’elles libèrent ses épaules délicates de la fatigue de toute charge et de la gêne d’une administration régulière” (traduit de la version en espagnol de Revolución en España).
7 Ces trois forces catalanes sont peu ou prou les descendantes directes des partis qui depuis la Generalitat avaient organisé (avec le soutien du PSOE et du gouvernement central de la République, et le “retrait” de la CNT “officielle”) la répression sans concession des prolétaires qui, en mai 1937, s’étaient soulevés contre le choix criminel : République ou rébellion franquiste. À l’époque, la Généralité était dirigée par Companys, du parti de la petite-bourgeoisie catalaniste (un peu l’ancêtre du PdCat) ; le ministre de l’Intérieur, Tarradellas, appartenait à l'ERC d’aujourd’hui, qui a travaillé la main dans la main avec les sbires staliniens du PSUC (dont la CUP peut être considérée comme le descendant patenté) pour mater le soulèvement prolétarien, dernier soupir de la résistance prolétarienne face à la contre-révolution. Par ailleurs, autant la CUP que l’EDC ont récupéré l’héritage des gauchistes et même de groupes terroristes (le PSAN) des années 80-90. Au sein de la CUP, il y a aussi des “anarchistes”, des “altermondialistes”, autrement dit cette “nouvelle gauche” dont est issue Podemos.
8 Nous avons publié en espagnol la brochure : España 1936: Franco y la República masacran al proletariado [587].
9 Entre 1993 et 1996, CIU, le parti de Pujol dont a hérité aujourd’hui Puigdemont, a soutenu le gouvernement du PSOE et entre 1996 et 2000 le gouvernement du PP.
10 Il faut se rappeler que lorsque ces partis manifestaient une certaine rébellion ou essayaient d’aller trop loin dans leurs prétentions “souverainistes”, le PSOE arrivait toujours à les recadrer en exerçant une pression sur eux, par exemple, face aux Catalanistes de Pujol en leur jetant à la figure le scandale de la Banca Catalana qui dû être mise sous tutelle ou avec une affaire de machine à sous qui obligea le PNV à se plier à une coalition avec les socialistes.
11 Abertzlale : expression du patriotisme basque en général et revendiqué particulièrement aujourd’hui par la gauche nationaliste et indépendantiste basque prétendument “révolutionnaire”.
12 https://es.internationalism.org/accion-proletaria/200602/572/el-plan-ibarretxe-aviva-la-sobrepuja-entre-fracciones-del-aparato-polit [588]
13 Ibarretxe a été le chef du gouvernement basque au début des années 2000. En 2005 il présenta un projet devant le Parlement espagnol pour la souveraineté du Pays Basque qui fut rejeté.
14 Tous deux présidents socialistes de la Generalitat : Maragall, (2003-06) et Montilla (2006-10) avec une coalition de gauche (ERC et ICV, anciens staliniens et Verts)
15 L’actuel chef de l’ERC, Oriol Jonqueras, a écrit “dans le quotidien Avui un article très sérieux glosant les différences qui, d’après ce qu’il parait savoir, distinguent la structure de l’ADN propre aux Catalans des formes des hélices de l’acide désoxyribonucléique caractéristiques des homo sapiens originaires du reste de la péninsule ibérique”, article qu’il titra avec le vieux proverbe catalaniste xénophobe “bon vent i barca nova”, utilisé pour inviter les étrangers non désirés a déguerpir. L’un de ses inspirateurs est un ancien président du parti, Heribert Barrera, qui affirmait que “les Noirs ont un coefficient intellectuel moindre que les Blancs”. [tiré de https://www.elmundo.es/cataluna/2017/09/17/59bd6033e5fdea562a8b4643.html [589]]
16 Izquierda Unida (Gauche Unie) est le dernier avatar du PCE. Elle est en coalition avec Podemos au sein de “Unidos Podemos”. [NdT]
17 Personnage comique du vieux cinéma mexicain parlant beaucoup pour ne rien dire, toujours très populaire dans les pays de langue espagnole. [NdT]
18 Cet article a été rédigé la semaine précédant le référendum du 1er octobre et avant la répression qui a eu lieu en Catalogne. Le groupe parlementaire du PSOE voulait voter une motion de “réprobation” contre la vice-présidente du gouvernement à la suite de sa gestion désastreuse et répressive. Mais d’autres voix au sein du PSOE, en particulier la “vieille garde” de l’époque de González ont exprimé leur soutien plein au gouvernement et le mépris qu’ils portent à la direction actuelle du PSOE. Ce qui règne au sein de ce parti est une inaudible cacophonie. [NdT]
19 Internationalisme, (publication de la Gauche Communiste de France) “Rapport sur la situation internationale”, 1945
20 La barbarie nacionalista [590].
21 “Ensemble pour le Oui”, coalition de la droite (PDCat) et de la gauche (ERC).
22 La crise de la Social-démocratie.
23 On a logé les forces de la police nationale au port de Barcelone dans un bateau peint avec des dessins géants de Bip-Bip et Titi. Cela peut rappeler le film de Blake Edwards, Operation Petticoat (Opération Jupons), où un sous-marin américain peint en rose lance du linge féminin à la place des torpilles, ce qui rend perplexes les cuirassés japonais ; cette anecdote montre le degré d’improvisation du PP au fur et à mesure qu’il comprenait que le défi catalan lui échappait.
24 Cf. Le mouvement du 15 Mai [15-M] cinq ans après [591] (2016)
Il y a 72 ans, en août 1945, les deux premières bombes atomiques de l’Histoire étaient lâchées au-dessus d’Hiroshima et Nagasaki. Suite aux énormes destructions déjà perpétrées pendant la Deuxième Guerre mondiale, avec toutes sortes d’armes, notamment les bombes incendiaires, l’utilisation d’armes nucléaires a inauguré une nouvelle ère dans la capacité de destruction menaçant toute vie humaine sur terre.
Le 9 septembre 2017, à l’occasion de la commémoration de l’avènement du régime nord-coréen, les médias nous ont montré un gigantesque raout organisé par l’État et un Kim Jong-Un radieux, vantant la bombe à hydrogène dont venait de se doter le pays comme un “accomplissement extraordinaire et une grande avancée dans l’histoire de notre peuple”. La Corée du Nord a mené à bien l’explosion d’une bombe nucléaire, dont la puissance a dépassé de loin les essais précédents, rejoignant ainsi le club très fermé des puissances nucléaires. L’annonce de cette nouvelle étape dans l’enfoncement de la société bourgeoise dans la barbarie n’est pas arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel d’azur : le macabre triomphe du régime stalinien de Pyongyang dans la technologie de destruction de masse est le point culminant de mois de menaces mutuelles entre les États-Unis et la République Populaire Démocratique de Corée. La Corée du Nord a déjà effectué dix-sept tests de missiles balistiques cette année, plus que tous les tests précédents réunis. Avec la menace d’attaquer l’île américaine de Guam dans le Pacifique ou de viser des cibles américaines sur le continent en utilisant des missiles qui survoleraient le Japon et la menace d’employer l’arme atomique en cas d’attaque américaine, l’épreuve de force entre la Corée du Nord et les États-Unis a atteint une nouvelle dimension. Les États-Unis se disent prêts à riposter avec leur arsenal militaire, économique et politique, le président Trump parlant même de riposter par “le feu et la fureur” si les États-Unis ou l’un de leurs alliés étaient attaqués. Le risque d’utilisation de l’arme atomique met la barre beaucoup plus haut que jamais et constitue une menace directe pour certaines des plus grandes métropoles d’Asie (Séoul, Tokyo, etc.). Les dernières avancées militaires des États-Unis et de leurs alliés, la Corée du Sud et le Japon (en particulier l’installation du nouveau système de missiles THAAD (Terminal High Altitude Area System), ont exacerbé la confrontation entre les États-Unis et la Chine et ont attiré d’autres pays dans la tourmente.
Comment peut-on expliquer les événements de Corée et que signifient-ils pour l’humanité ?
Durant des décennies, au cours de la guerre froide, ce sont principalement les grandes puissances qui possédaient la bombe atomique. Mais, après 1989, un certain nombre d’autres pays y ont eu accès ou sont en train d’accéder à cette technologie qui rend la menace de destruction mutuelle toujours plus imprévisible. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour comprendre comment les “seconds couteaux” comme la Corée du Nord ont pu devenir une menace nucléaire. Cette évolution ne peut se comprendre qu’à la lumière d’un contexte historique et international plus large.
Après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée qui l’a presque aussitôt suivie, le Nord et le Sud ont dû compter sur leurs “protecteurs” pour leur reconstruction : la Corée du Nord est devenue dépendante de la Chine et de la Russie, deux pays gouvernés par des régimes staliniens incapables d’être compétitifs sur le marché mondial, tant ils étaient en retard sur les pays capitalistes les plus développés. La Russie est devenue une tête de bloc suite à la défaite de l’Allemagne nazie, mais elle est sortie très affaiblie de la guerre et a dû consacrer une grande part de ses ressources à la course aux armements initiée par la guerre froide. Le secteur civil était très en retard sur le secteur militaire. Le contraste entre les blocs se manifestait dans le fait que la Russie exsangue dut récupérer des usines en Europe centrale et orientale, tandis que les États-Unis finançaient généreusement la reconstruction de l’Allemagne et de la Corée du Sud (plan Marshall).
La reconstruction de la Corée du Nord a suivi le modèle stalinien. Alors qu’elle était plus développée économiquement que la Corée du Sud avant 1945, et mieux équipée en matières premières et ressources énergétiques, elle a souffert d’un retard similaire, typique des régimes étouffés par le militarisme et dirigés par une clique stalinienne. De la même façon que l’Union soviétique était incapable de devenir économiquement compétitive sur le marché mondial et était lourdement dépendante de l’utilisation ou de la menace d’utilisation de ses capacités militaires, la Corée du Nord était incapable de développer sa compétitivité. Son principal produit d’exportation, ce sont les armes, quelques matières premières et plus récemment des produits textiles fabriqués à bas prix, ainsi qu’une partie de sa force de travail, que le régime nord-coréen vend sous la forme de “travailleurs contractuels”. (1)
Dans le même temps, la dépendance à l’égard de ses protecteurs que sont la Chine et la Russie a tellement augmenté que 90 % du commerce extérieur de la Corée du Nord se fait avec la Chine. Dirigée par une dictature de parti qui contrôle étroitement l’armée et dans laquelle toutes les factions bourgeoises rivales ont été éliminées, le régime a les mêmes faiblesses congénitales que tous les régimes staliniens(2), mais il a survécu à des décennies de pénurie, de faim et de répression. L’appareil militaire et policier a su empêcher tout soulèvement de la population, en particulier de la classe ouvrière. Par rapport aux règnes d’autres dynasties dans d’autres pays en retard, la Corée du Nord détient le record de longévité d’une dynastie (Kim Il-sung, Kim Jong-il, Kim Jong-un) terrorisant la population depuis plus de soixante ans et lui faisant courber l'échine au nom d’un culte de la personnalité grotesque.
Face aux ambitions nationalistes du Sud, face aux intérêts impérialistes des États-Unis, incapable de compter sur sa force économique, le régime ne peut que se battre pour sa survie en usant d’une répression féroce à l’intérieur et d’un chantage militaire à l’extérieur. A l’ère des armes nucléaires, le chantage doit être suffisamment terrifiant pour dissuader ses ennemis. Kim Jong-un voit la bombe nucléaire comme son assurance-vie. Comme il l’a déclaré lui-même, il a tiré les leçons de ce qui s’est passé en Ukraine et en Libye d’une part, au Pakistan d’autre part. Après l’effondrement de l’URSS, l’État ukrainien nouvellement formé a été obligé, non seulement par Moscou mais aussi par Washington, de remettre son arsenal nucléaire aux Russes. De même pour la Libye, qui a accepté d’abandonner ses velléités d’acquérir la bombe nucléaire en échange de la fin de l’isolement international du régime de Kadhafi à Tripoli. L’Irak a connu un sort similaire, Saddam Hussein ayant abandonné son programme nucléaire suite aux menaces principalement américaines.(3) Le Pakistan par contre, a réussi à acquérir la bombe. Ce qui frappe, à travers ces exemples, c’est la façon dont sont traités des pays selon qu’ils possèdent ou non une capacité nucléaire. A ce jour, les États-Unis n’ont jamais menacé le Pakistan militairement, et cela malgré le fait que le régime de Lahore demeure un défenseur des Talibans en Afghanistan, ait hébergé Ben Laden et se soit rapproché de la Chine, principal rival des États-Unis. Inversement, l’Ukraine, dépouillée de ses armes nucléaires, a été attaquée par la Russie, et la Libye par la France et la Grande-Bretagne (avec les États-Unis en arrière-plan). La leçon est claire : aux yeux de leurs dirigeants, la bombe est peut-être le meilleur moyen pour les puissances faibles d’éviter d’être trop malmenées, voire envahies par les États plus forts. Cette politique est bien entendu considérée comme inacceptable par les grandes puissances, qui disposent elles-mêmes depuis des décennies d’un arsenal nucléaire et utilisent la menace atomique pour défendre leurs propres intérêts impérialistes. Malgré la fin de la guerre froide, toutes les puissances nucléaires de l’époque (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France) ont gardé un énorme arsenal nucléaire estimé à 22 000 bombes nucléaires.(4) Parmi les puissances nucléaires existantes, jusqu’à présent, seuls les missiles russes et chinois pouvaient atteindre le territoire américain, les missiles iraniens (équipés ou non d’ogives nucléaires), ne le peuvent pas. La Corée du Nord serait le premier État “fou” à pouvoir le faire. C’est insupportable pour les États-Unis. Depuis 1989, la prolifération nucléaire a donc permis à d’autres pays d’accéder à cette technologie ou de produire rapidement des bombes. Personne ne peut, par ailleurs, exclure le risque que ces armes ne tombent entre les mains de groupes terroristes. La menace d’un holocauste “bipolaire” a cédé la place au cauchemar encore pire d’un génocide “multipolaire”.
Mais cette nouvelle escalade ne saurait être expliquée uniquement par les spécificités du régime nord-coréen et sa lutte pour la survie. Le conflit en Corée lui-même a une autre dimension due à sa position géostratégique et à son importance pour les États-Unis et la Chine dans l’exaspération de leurs rivalités impérialistes globales.
La Corée a toujours été la cible des ambitions impérialistes de ses voisins. Comme nous l’écrivions dans notre numéro spécial de la Revue Internationale consacré à l’Extrême-Orient : “Les raisons sont évidentes : entourée par la Russie, la Chine et le Japon, la position géographique de la Corée en fait un tremplin pour une expansion des pays limitrophes. La Corée est inextricablement logée dans un casse-noix, entre l’empire de l’archipel du Japon et les deux empires continentaux de la Chine et de la Russie. La maîtrise de la Corée permet le contrôle de trois mers : la Mer du Japon, la Mer Jaune et la Mer de Chine Orientale. Sous le contrôle d’un pays, la Corée pourrait être le couteau dans le dos d’autre pays. Depuis les années 1890, la Corée a été la cible des ambitions des trois grands requins impérialistes de la région : la Russie, le Japon et la Chine avec le soutien et la résistance respectifs des requins européens et américain agissant en arrière-plan. Même si, en particulier, la Corée du Nord a d’importants gisements de matières premières, c’est avant tout sa position stratégique qui fait de ce pays une pierre angulaire essentielle pour l’impérialisme dans la région”. Surtout, depuis la partition du pays au cours de la guerre de Corée, la Corée du Nord sert de tampon entre la Chine et la Corée du Sud et, en conséquence, entre la Chine et les États-Unis. Si le régime du Nord tombait, non seulement les troupes sud-coréennes, mais aussi les troupes américaines se trouveraient encore plus près de la frontière chinoise, un cauchemar pour la Chine. Ainsi, la Chine est condamnée à soutenir le régime de Corée du Nord afin de défendre ses frontières, avant tout contre les États-Unis. Compte-tenu de la tendance du régime nord-coréen à agir de manière imprévisible et incontrôlable, la Chine doit appliquer certaines sanctions contre Pyongyang, mais elle s’oppose à l’étranglement complet du régime. Pour la Chine, la politique agressive de Pyongyang est à double tranchant : d’une part, elle provoque une réponse militaire plus véhémente des États-Unis, de la Corée du Sud et du Japon, affaiblissant la position chinoise au nord, tout en laissant plus de marge de manœuvre au sud (par exemple en Mer de Chine méridionale). Mais l’effondrement du régime nord-coréen la rendrait beaucoup plus vulnérable vis-à-vis des États-Unis et de son ennemi historique, le Japon. Les conséquences d’un éventuel effondrement de la Corée, telles un afflux de réfugiés via ou vers la Chine, seraient extrêmement déplaisantes pour Pékin.
Bien que leur position soit menacée et compromise, les États-Unis peuvent, paradoxalement, tirer parti des menaces nord-coréennes, car elles sont une justification bienvenue au renforcement de leur présence militaire ou à celle de leurs alliés autour de la Chine. On peut supposer que si Pyongyang n’avait pas agi de manière aussi provocante, les États-Unis n’auraient pas pu installer aussi facilement leur nouveau système d’armes THAAD en Corée du Sud. Toute arme stationnée en Corée du Sud peut facilement être utilisée contre la Chine, et ainsi ce système, qui est présenté comme une arme “défensive” pour la Corée du Sud, est en même temps une arme “offensive” contre la Chine.
Le conflit est aggravé par la nouvelle répartition des forces en Extrême-Orient. Presque en même temps que son ascension économique dans les années 1990, la Chine a également commencé à développer de nouvelles ambitions impérialistes. Ainsi, nous avons vu la modernisation de son armée, l’établissement des bases navales du “collier de perles” autour de son territoire et dans les eaux de l’Océan Indien et de l’Asie du Sud-Est, une occupation militaire dans quelques parties du Sud de la Mer de Chine, la construction d’une base militaire à Djibouti, l’accroissement de son poids économique en Afrique et en Amérique Latine, des manœuvres communes avec la Russie en Mer Baltique, en Méditerranée et en Extrême-Orient, etc. Les États-Unis ont déclaré que la Chine était la menace n°1 à contenir. C’est pourquoi le processus de réarmement du Japon (peut-être même en ce qui concerne l’armement nucléaire), comme les efforts militaires accrus en Corée du Sud, font partie d’une stratégie globale tant pour protéger la Corée du Sud que pour contenir la Chine. Bien sûr, cela a donné un coup de pouce supplémentaire à l’industrie américaine de l’armement. Avec l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud est devenue l’un des clients les plus importants de l’industrie d’armement américaine. Sa contribution au financement de l’énorme appareil militaire des États-Unis est aujourd’hui considérable.
En même temps, compte-tenu du fait que la Corée du Nord a maintenant une capacité nucléaire, il est beaucoup plus difficile pour l’impérialisme américain de se retirer militairement de cette région et il est susceptible de réagir encore plus fermement contre la Chine dans d’autres endroits stratégiques. Toute confrontation directe avec la Corée du Nord déclencherait une dynamique de destructions des deux côtés. La moitié de la population de Corée du Sud vit dans la région de Séoul et un grand nombre des 250 000 Américains qui vivent en Corée du Sud habitent aussi dans cette zone à portée du tir des missiles nord-coréens. Les menaces de “fureur et de feu” de Trump entraîneraient la mort non seulement d’un très grand nombre de Coréens, mais aussi de beaucoup de citoyens américains. L’anéantissement du régime du Nord ne pourrait se faire qu’au prix de destructions gigantesques en Corée du Sud, sans même parler de l’escalade que cela entraînerait au niveau impérialiste mondial.
La vision qui domine sur ces événements dans la presse bourgeoise est qu’ils seraient la conséquence de la folie du régime nord-coréen, ou l’expression du narcissisme et de l’irrationalité à la fois de Kim Jong-un et de Donald Trump. Il est vrai que les deux dirigeants présentent de nombreuses caractéristiques intéressantes pour une étude psychiatrique et que leur façon de parler et d’agir donne à la montée en puissance des tensions un ton spectaculaire et presque hystérique. Mais, comme nous l'avons souligné, du point de vue de la défense de son Capital national, la politique nucléaire de Kim Jong-un est tout à fait cohérente. La véritable irrationalité se situe à un autre niveau : dans la compétition entre États nationaux à l’ère de la décadence avancée du capitalisme. La course aux armements en Extrême-Orient n’est qu’une expression du cancer du militarisme qui se répand, l’inéluctable conséquence d’un système social pris au piège d’une impasse historique. Aucun politicien, quel que soit son profil psychologique, ne peut échapper à la logique mortelle de ce système. Le très intelligent et cohérent Barack Obama avait promis de réduire le désastreux engagement de l’administration Bush au Moyen-Orient, et pourtant, s’il a retiré des troupes d’Irak ou d’Afghanistan, il a été obligé d’augmenter la présence américaine en Extrême-Orient. Trump a critiqué ses prédécesseurs pour leur incapacité à éviter de s’engager dans des guerres “à l’étranger”, surtout au Proche-Orient, mais il est maintenant obligé d’augmenter la présence américaine pratiquement partout, y compris au Proche-Orient. En réalité, Obama et Trump ont tous deux démontré que l’emprise du militarisme est plus forte que les déclarations ou les désirs de politiciens individuels.
L’Histoire a montré que la Chine a payé un prix élevé dans sa lutte pour la Corée. Pendant la guerre de Corée, les troupes de Mao Tse Toung ont organisé leur première invasion à l’étranger, subissant de lourdes pertes ; depuis la Deuxième Guerre mondiale et encore plus après la guerre de Corée, les États-Unis ont su utiliser la menace chinoise pour justifier le maintien de leurs énormes bases dans la région. De plus, pèse sur la région la rivalité entre la Chine et le Japon. Dans un tel contexte, comme il n’est pour le moment pas question pour la Chine d’employer la force contre la Corée du Sud, elle utilise l’arme économique. Son but est de rendre la Corée du Sud le plus dépendante possible de l’économie chinoise. Aujourd’hui, le principal marché d’exportation de la Corée du Sud est la Chine (environ 23 %), plus que les États-Unis (12 %). La Corée du Sud est le quatrième marché à l’exportation pour les produits chinois. L’installation du système anti-missile THAAD en Corée du Sud a été symboliquement un grave revers pour la politique chinoise. Pékin s’est sentie obligée de réagir immédiatement par la menace de sanctions économiques contre Séoul. La politique de Pékin à l’égard de Pyongyang, depuis quelque temps, consiste à tenter de la persuader de suivre son exemple ou celui du Vietnam : privatisation des entreprises publiques et ouverture aux investissements étrangers tout en maintenant le parti stalinien au pouvoir. Kim Jong-un s’est montré beaucoup plus réceptif à cette suggestion que son père. On évalue entre 30 et 50 % la part de l’économie qui serait aujourd’hui passée dans le secteur “privé”, ce qui, comme l’ont montré les expériences des pays de l’Europe de l’est, de la Russie et de la Chine, signifie principalement : dans les mains de membres du parti ou de l’armée elle-même. Même si ces privatisations ne sont pas officielles (elles n’ont pas de base légale, ce qui fait qu’elles peuvent être annulées à tout moment), elles semblent avoir rendu certaines branches de l’économie plus efficaces. Un système de téléphonie mobile national, avec un million d’utilisateurs, a été mis en place (avec l’aide d’une société égyptienne).
Mais, malgré cela, les relations entre Pékin et Pyongyang se sont régulièrement détériorées ces dernières années, et le degré d’influence de la première sur la seconde a beaucoup diminué. Le principal sujet de discorde est le programme nucléaire. Tout en suivant dans une certaine mesure les propositions chinoises de développement économique, Kim Jong-un a toujours insisté sur le fait que sa première priorité est “la bombe” et non l’économie. Pour lui, la bombe est la garantie de la survie de son régime. La bombe des Kim n’est donc pas seulement le symbole des limites de l’influence chinoise, elle montre aussi combien les intérêts militaires l’emportent sur les intérêts économiques.
Le fait que la Chine ne soit pas une tête de bloc impérialiste et ne puisse imposer aucune “discipline” à la Corée du Nord, ajoute un élément supplémentaire dans lequel la tendance au chacun pour soi rend la situation encore plus imprévisible. Enfin, il faut souligner que, si Kim Jong-un et son armée luttent pour leur survie à l’aide de la bombe en comptant sur l’espoir qu’ont les États-Unis d’éviter un conflit nucléaire, un tel calcul n’a jamais empêché les dirigeants capitalistes de mener une politique de la terre brûlée en risquant leur propre anéantissement pour garder le pouvoir ou simplement par désir de vengeance. Hitler a-t-il hésité à commander des massacres et des exécutions jusqu’à son dernier souffle ? Assad n’a-t-il pas accepté la destruction de vastes zones de son pays pour en garder le contrôle ?
En Extrême-Orient, on peut voir nettement l’exacerbation des tensions entre les principaux rivaux que sont la Chine et les États-Unis, la Russie et le Japon s’acoquinant avec l’un ou l’autre. Mais aucune des deux puissances n’a réuni un bloc militaire derrière elle. Le Japon et la Corée du Sud soutiennent les États-Unis dans la mesure où ils peuvent recevoir un certain niveau de protection contre la Corée du Nord et la Chine ; mais ils ne sont pas des laquais des États-Unis et cherchent constamment une marge de manœuvre à leurs dépens. La Corée du Sud et le Japon ont également des conflits territoriaux entre eux au sujet de certaines îles. Pendant ce temps, d’autres pays, qui dans le passé ont soutenu les États-Unis, comme les Philippines qui comptent sur le soutien militaire des États-Unis pour lutter contre les terroristes de toutes sortes dans le pays, ont menacé de prendre parti pour la Chine dans le conflit autour de la Mer de Chine du Sud, et Duterte a également évoqué la possibilité d’acheter des armes russes et chinoises au lieu de se fournir en Occident. En Corée du Sud elle-même, bien que les États-Unis demeurent un garde du corps indispensable, les Américains ne peuvent pas compter sur une loyauté inconditionnelle de la part des factions dirigeantes, dont certaines pensent qu’elles ne sont que des pions sur un échiquier pour les États-Unis.
Parce que les deux Corées sont des tampons essentiels entre les principaux rivaux, tous les requins impérialistes de la région ont intérêt à ce que la Corée reste divisée. Il en va de même pour la Corée du Nord. Cependant, la classe dirigeante de Séoul a toujours rêvé et périodiquement émis le souhait d’une réunification. La “politique du soleil qui brille”, qui préconise une coopération croissante avec Pyongyang, est une tentative d’ouvrir la voie à un règlement à long terme avec l’espoir final d’une réunification. Ce rêve, au sein de la classe dirigeante sud-coréenne, est devenu plus audible après la réunification de l’Allemagne en 1990. Cela a donné un coup de fouet aux aspirations du Sud pour remettre l’unification de la Corée à l’ordre du jour de la politique mondiale. A la suite de l’exemple allemand, les politiciens sud-coréens ont commencé à exprimer leur politique “du soleil qui brille” comme une sorte de version coréenne de l’Ostpolitik du chancelier d’Allemagne de l’Ouest Willy Brandt dans les années 1970. Son objectif était de créer une dépendance économique et “humanitaire” du Nord comme moyen de préparer la réunification. Une fois que les deux États coréens se furent reconnus diplomatiquement, ils sont tous les deux devenus membres des Nations Unies en septembre 1991. Trois mois plus tard, ils ont signé un accord sur “la réconciliation, la non-agression, le commerce et la collaboration”. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un traité de paix, cet accord a mis officiellement fin à l’état de guerre entre les deux Corées. Comme l’a souligné le gouvernement sud-coréen à l’époque, le traité de paix auquel il aspirait avait été bloqué par le refus des États-Unis de reconnaître diplomatiquement la Corée du Nord. Cette attitude de Washington a sapé la politique du “soleil qui brille” de sorte qu’un nouveau président, Kim Young-sam, avec l’appui du président Bill Clinton, est revenu à la politique de confinement agressif du Nord. Cette dernière politique prend comme modèle la doctrine Kennan développée par les États-Unis contre l’URSS au cours de la guerre froide. Elle signifie l’encerclement militaire et l’étranglement économique de son ennemi, afin de mettre son régime à genoux. En 1994, en réponse aux mesures nord-coréennes pour développer ses armes nucléaires, le président américain Bill Clinton avait envisagé une attaque préventive contre les centrales nucléaires du pays. Malgré l’abandon du projet nucléaire par la Corée du Nord lors des accords de Genève en automne 1994, les États-Unis ont durci leur position contre la Corée du Nord. La nouvelle aggravation du conflit entre les deux Corées a certainement accentué la famine qui a affligé la Corée du Nord entre 1995 et 1998. Cette catastrophe, à son tour, a été utilisée par les tenants de la politique du “soleil qui brille” pour regagner un peu d’influence.
Le fondateur du consortium géant Hyundai, Chung Ju Yung, aurait remis en question la politique économique de l’étranglement de la Corée du Nord par le gouvernement de Séoul, en 1998, en offrant symboliquement un millier de vaches au Nord. Au début des années 2000, Kim Dae Jung, le principal défenseur de la politique du “soleil qui brille”, qui avait remporté les élections présidentielles sur cette base, a rencontré son homologue du Nord Kim Jong-Il (le père de Kim Jong-un). La réticence du Nord à participer à ce sommet “historique” avait été surmontée à l’aide d’un paiement de 186 millions de dollars fourni par le géant Hyundai, un accord avec l’aide du chef des services secrets sud-coréens. Cela fut suivi, en 2004, par une entreprise audacieuse : l’établissement, à Kaesong, en Corée du Nord, d’une zone économique spéciale, sur le modèle chinois, où les entreprises sud-coréennes pouvaient investir et exploiter la très peu coûteuse force de travail nord-coréenne. Pour sa politique du “soleil qui brille”, Kim Dae-jung a reçu le prix Nobel de la Paix. Mais elle lui a également apporté, ainsi qu’à son successeur Roh Moo-hyun, l’hostilité de ses rivaux et des États-Unis.
La Corée du Nord était furieuse du retour triomphant des partisans du “Soleil qui brille” dans le Sud. Afin d’en comprendre la raison, il suffit de regarder ce qui s’est passé en Allemagne : l’Allemagne de l’Est, dirigée par les staliniens, a été avalée toute crue en 1990. Devant une telle situation, les staliniens nord-coréens auraient risqué non seulement de perdre le pouvoir, comme cela s’est produit à Berlin-Est, mais aussi la vie. L’approche plus conciliante de Séoul n’a pas suffi à calmer les dirigeants de Pyongyang qui sentaient que cela pouvait devenir le début de la fin de la Corée du Nord. Les espoirs de “Soleil qui brille” selon lesquels le régime du Nord pourrait soutenir sa politique de “transformation par la coopération” semblent avoir été déçus et n’a reçu aucun soutien de Washington.
Après l’intermède Park Gyun-he,(5) partisane d’une course à la confrontation avec le Nord, Moon Jae-in a gagné les élections présidentielles en 2017. Moon est venu au pouvoir en tant que défenseur de la doctrine du “Soleil qui brille”. Il aurait été indigné par la nouvelle escalade entre la Corée du Nord et les États-Unis. Il a au moins au départ mis en question la décision de Donald Trump (prise apparemment sans consulter le gouvernement de Séoul) d’installer le système THAAD en Corée du Sud, une étape déjà prévue sous Park Gyun–he, la présidente destituée. Au lieu de prendre le parti de Trump dans le conflit actuel, le gouvernement de Séoul a initialement appelé à la retenue des deux côtés. Cependant, après les derniers essais et les menaces nucléaires, Ban Ki Moon a soudain demandé le déploiement des armes atomiques américaines et imposé l’installation du nouveau système THAAD en Corée du Sud. En outre, le rayon d’action des missiles sud-coréens (jusqu’à présent limité à 800 km), et leur capacité de charge de 500 kg devraient être considérablement augmentés. Il est trop tôt pour conclure que tout cela signifie un irrémédiable abandon de la politique du “Soleil qui brille”, mais il y a certainement un risque.
Dans tous ces pays, la classe dirigeante essaie d’attirer la classe ouvrière sur un terrain nationaliste. Mais elle doit refuser de se laisser entraîner dans ce piège. Certes, la combativité et la conscience de la classe en Corée du Nord sont difficiles à évaluer. Face à la surveillance quotidienne et à la terreur, toute résistance devrait être massive d’emblée et se confronterait aussitôt à l’État et à son appareil militaire et policier. Cela semble peu probable dans l’immédiat. De plus, les sanctions de l’ONU n’étrangleront pas le régime nord-coréen ; mais elles toucheront surtout la population. Chaque fois que les dirigeants saluent des tests de missiles réussis, les travailleurs et les paysans savent que de nouvelles sanctions sont à l’horizon, pour lesquelles ils devront payer la note. Ils savent aussi que leurs dirigeants n’ont que faire du risque de famine.
Le poids le plus lourd repose sur les épaules de la classe ouvrière en Corée du Sud et en Chine. Bien que des décennies de “campagnes anti-communistes” aient déformé le point de vue de nombreux travailleurs sur le communisme, les travailleurs sud-coréens et chinois ont, au cours des dernières décennies, participé à des nombreuses luttes militantes et massives, ce qui indique qu’ils ne sont pas prêts à se sacrifier dans une guerre impérialiste pour les intérêts de leurs exploiteurs. Quel que soit le degré de résistance du prolétariat, pour faire face à la guerre, il est essentiel que s'exprime une voix défendant le vieux principe et le slogan le plus ancien de la classe ouvrière : “Les prolétaires n’ont pas de patrie”. C’est pourquoi nous soutenons et avons publié publions également le texte écrit par le groupe coréen International Communist Perspective [593] (ICP).
Nous avons quelques critiques à faire sur cette déclaration, en particulier son insistance sur l’installation des THAAD qui pourrait suggérer l’idée qu’une campagne contre un objectif précis pourrait être l’équivalent de la lutte des ouvriers pour défendre leurs intérêts contre les exigences de la machine de guerre. Ce n’est pas en faisant campagne contre telle ou telle arme de guerre particulière que la classe ouvrière peut développer sa conscience. La tâche des révolutionnaires est de démontrer l’impasse de l’ensemble de ce système, en participant aux luttes qui présentent des revendications de classe, qui peuvent permettre de déchirer le voile d’illusion d’une “unité nationale” et développer une réelle solidarité avec les travailleurs des autres pays. Néanmoins, il faut débattre des différents points de vue entre internationalistes, et cela ne doit pas nous empêcher de défendre ensemble les principes qu’ils partagent. Il nous faut nous rappeler que Lénine et Rosa Luxemburg, après l’éclatement du premier conflit mondial, se sont battus ensemble contre la guerre impérialiste, mais débattaient chaudement sur la question nationale. C’est sans réserve que nous nous tenons solidairement aux côtés des camarades du ICP et de tous ceux qui luttent pour un réel internationalisme dans cette région.
CCI, le 18 septembre 2017
1 Les ouvriers gagnent entre 120 et 150 dollars par mois, travaillant comme des esclaves et n’ayant qu’un jour ou deux de congé par mois.
2 Cf. Thèses sur la crise économique et politique en URSS et dans les pays de l’Est [594] (Revue Internationale, n° 60, 1er trimestre 1990, et dans notre brochure "Effondrement du Stalinisme").
3 Le secrétaire américain aux Affaires étrangères, Powell, et le Premier Ministre britannique, Blair, ont tous deux alerté sur le fait que Saddam Hussein détenait l’arme nucléaire ; cela s’est révélé être une fausse information qui servit de prétexte pour envahir l’Irak.
4 Les États-Unis, en tant qu’unique super-puissance, bien qu’affaibli et défié partout dans le monde, ont néanmoins permis à leur vieil allié israélien et à l’Inde de s’équiper de la bombe nucléaire, dans la mesure où cela pouvait servir leurs intérêts (dans le cas de l’Inde, c’est un contrepoids face à la Chine et au Pakistan). Ainsi, les États-Unis eux-mêmes contribuent à la prolifération de l’arme nucléaire.
5 Les raisons de la destitution de Park Gyun-he étaient multiples : d’un côté il y avait la lutte pour le pouvoir entre “Soleil qui brille” et les “va-t’en–guerre” : ces derniers ont participé à la campagne contre Park Gyun-he. En même temps, l’indignation de la population face à l’ampleur de la corruption de la classe politique a également contribué à sa disgrâce. A tous les niveaux cela a servi à redorer le blason de la démocratie.
Dans une émission TV de 1965, le physicien Robert Oppenheimer, un des scientifiques chargés de travailler sur le développement de la bombe atomique pour le compte des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, raconta ce qu'il ressentit lorsqu'il assista au premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945 : “On a su que le monde ne serait plus le même. Quelques personnes ont ri, d'autres ont pleuré mais la plupart sont restées silencieuses. Je me suis rappelé la phrase de l’Écriture hindoue, le Bhagavad Gita ; Vishnu tente de persuader le Prince d'accomplir son devoir et, afin de l'impressionner, prend sa forme aux bras multiples et dit: “Maintenant je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes”. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre”. (1)
Avant le capitalisme, plusieurs sociétés avaient développé des mythologies sur la fin des temps. L'Apocalypse annoncée par le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, vue comme la destinée finale de ce monde, était perçue comme précédant l'avènement d'un nouveau paradis et d'une nouvelle Terre qui dureraient éternellement et pour tous ; alors que dans la vision hindoue, de nouveaux mondes et mêmes de nouveaux univers renaissent sans fin, disparaissant et réapparaissant dans un grand cycle cosmique.
Mais si l'idée de l'apocalypse n'est pas nouvelle, ce qui est inédit dans le mode de production capitaliste est, tout d'abord, que le monde occupé par l'humanité depuis des centaines de milliers d'années peut être détruit par les technologies que les êtres humains eux-mêmes ont créées plus que par des êtres surnaturels ou un destin inexorable. Ensuite, une telle destruction ne serait pas le prélude d’un monde meilleur mais de son anéantissement pur et simple.
La bombe atomique testée dans le désert en juillet 1945 sera, un mois plus tard, expérimentée sur des dizaines de milliers d'êtres humains à Hiroshima et Nagasaki. Le monde ne sera en effet plus jamais le même. La bombe A était la preuve “scientifique” de quelque chose que beaucoup avaient déjà commencé à suspecter à l'aube de la Première Guerre mondiale. Sigmund Freud déclarait en 1929: “Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la Nature qu'avec leur aide, il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier. Ils le savent et c'est de là que provient une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse.” (2)
Les psychanalystes du futur, si l'humanité survit au capitalisme, écriront peut-être des traités sur l'énorme coût psychologique que signifie de vivre non seulement avec la menace de sa propre mort mais également avec celle de l'humanité tout entière, et avec elle de très nombreuses autres formes de vie sur Terre. Il est déjà possible de discerner de multiples manifestations de ce fardeau mental : la plongée dans le nihilisme et autres formes d'autodestruction, la quête vaine d'un espoir émergeant des mythes anciens sur l'Apocalypse, particulièrement présents dans les “fondamentalismes” chrétien et musulman.
Pour Jung, le rival de Freud, la vague d'apparition d'OVNI à la fin des années 1940 était une transposition moderne de ces vieilles histoires : "“soumis à l'insoutenable réalité posée par la menace nucléaire, il y eut une tendance marquée de projeter les peurs réelles sur des “choses vues dans le ciel”, souvent accompagnées par l'espoir que des êtres plus sages viendraient nous sauver de notre propre folie.” (3)
Qui s'étonnera dès lors que durant la guerre de Corée, dont beaucoup craignaient qu'elle ne vire à la Troisième Guerre mondiale, les camarades de la Gauche Communiste de France faisaient remarquer que “l'aliénation mentale sous toutes ses formes est à notre époque ce que les grandes épidémies étaient au Moyen-Age.”(4)
La classe dominante des pays démocratiques justifia les atrocités d'Hiroshima et Nagazaki en déclarant qu'en contrepartie, cela avait sauvé des vies, avant tout américaines, car elles avaient évité l'invasion militaire du Japon. En réalité, la bombe était un avertissement dirigé moins contre une armée japonaise en déliquescence que contre l'URSS qui avait tout récemment déclaré la guerre au Japon et affirmait sa présence en Extrême-Orient. Par conséquent, Hiroshima était plus le premier acte de la “Troisième Guerre mondiale” que le dernier de la Seconde. Cette Troisième Guerre mondiale, compétition entre les deux blocs américain et russe, est restée une “guerre froide”, dans le sens où elle n'a jamais pris la forme d’un conflit ouvert. Elle fut plutôt menée à travers une série de guerres par procuration entre États locaux et autres “mouvements de libération nationale” accomplissant la sale besogne alors que les deux super-puissances fournissaient les armes, le renseignement, le support stratégique et la justification idéologique.
A certains moments, cependant, ces conflits prirent le chemin d'une escalade pouvant déboucher sur un conflit nucléaire, en particulier durant la guerre de Corée au début des années 1950 et la crise de Cuba en 1962. Et, pendant ce temps, la “course aux armements” signifiait que les deux blocs militaires investissaient lourdement, orientaient d'énormes quantités de travail et de recherche (ce qui en termes capitalistes signifie d'énormes quantités d'argent) dans le perfectionnement d'armes pouvant détruire plusieurs fois l'humanité. Les politiciens tentèrent de rassurer la population mondiale avec la notion de “Destruction Mutuelle Assurée” (DMA), signifiant qu'une Guerre Mondiale était impensable à l'âge nucléaire du fait que personne ne pourrait la gagner. Par conséquent, la meilleure garantie de “paix” était de maintenir et continuer à développer ce gigantesque arsenal de mort. En d'autres termes, le message était le suivant : “Une épée de Damoclès demeure suspendue au-dessus de vos têtes ? Vous feriez mieux de vous y habituer car c'est la seule manière de vivre désormais”.
Après l'éclatement du bloc russe à la fin des années 1980 (5), les politiciens optèrent pour une autre rhétorique : la fin de la guerre froide signifierait un “Nouvel Ordre Mondial de paix et de prospérité”. Près d'un quart de siècle s'est écoulé et ces mots de George Bush père, le président qui a “offert” la victoire au bloc de l'Ouest dans la guerre froide, sonnent particulièrement creux. La prospérité demeure une chimère pour des millions de personnes et cela dans un monde constamment menacé par d'énormes tempêtes financières comme celle de 2008. Quant aux promesses de paix, l'effondrement de la discipline en vigueur dans les anciens blocs a engendré une série de conflits armés toujours plus chaotiques, particulièrement au Proche et Moyen-Orient, dans la zone située aux alentours de la bataille biblique d’Armageddon.
Cette région (qui avait déjà connu les guerres arabo-israéliennes, celle du Liban, irano-irakiennes ainsi que la bataille pour l'Afghanistan) n'a pour ainsi dire presque pas connu de jour sans être déchirée par la guerre depuis la première aventure militaire inaugurée par les États-Unis après l'effondrement du bloc de l'Est (la Guerre du Golfe en 1991) jusqu'au cauchemar militaire actuel qui se répand à travers la Syrie et l'Irak. Ce conflit, peut-être encore plus que tous les autres, révèle la profonde irrationalité ainsi que la nature incontrôlée des guerres de la phase actuelle.
Contrairement aux guerres par procuration entre les deux blocs qui dominaient la période précédente, nous avons désormais une guerre avec tant de camps différents et d'alliances mouvantes qu'il devient de plus en plus difficile de les dénombrer. Afin de garder le pouvoir, le président syrien Bachar al Assad a dévasté des pans entiers de son propre pays alors que l'opposition à sa domination se divise entre factions d'islamistes “radicaux” et “modérés”, chacune prête à sauter à la gorge de l'autre à tout moment. La coalition soutenue par les États-Unis contre l'État islamique (EI) en Syrie et en Irak est déchirée par des rivalités entre les milices chiites et les Peshmergas kurdes, plus particulièrement suite au référendum controversé sur l’indépendance du Kurdistan qui menace de désintégrer le fragile État irakien ; des puissances régionales comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, l'Iran et la Turquie jouent leurs propres cartes, plaçant leurs pions et changeant les alliances en fonction de leurs intérêts immédiats. Pendant ce temps, la vaste majorité de la population est soit forcée de fuir vers la Turquie, la Jordanie ou l'Europe, alors que ceux qui restent tentent de survivre physiquement et psychologiquement dans des cités en ruine comme Alep, Raqqa ou Mossoul.
En outre, ces conflits sont liés à d'autres guerres tout autant insolubles, de la Libye à la corne de l'Afrique, du Yémen jusqu'à l'Afghanistan et le Pakistan. Les grands centres de la “civilisation” occidentale ne sont désormais plus à l'abri de ces fléaux guerriers. Le contrecoup de l'engagement des puissances occidentales dans ces guerres se traduit par des vagues de réfugiés se dirigeant vers ce “paradis” qu'est l'Europe et par les efforts de groupes terroristes comme l'EI pour exporter la guerre sur les terres des “Infidèles”.
Ces guerres nous fournissent déjà un aperçu terrifiant de ce qui attend le monde si les tendances destructrices au sein du capitalisme sont amenées à se réaliser jusqu'à leur terme. Mais il y a également un autre aspect de l'extension du “chacun pour soi” : la réapparition de la menace nucléaire sous une forme nouvelle. Sous le règne des blocs, les deux super puissances avaient un intérêt réel et la capacité à limiter l’expansion des armes nucléaires pour elles-mêmes et à un petit nombre des régimes auxquels elles pouvaient faire confiance pour obéir à leur commandement. L'armement nucléaire de la Chine dans les années 1960 fut une rupture dans cette chaîne de commandement car la Chine s'était déjà détachée du bloc russe ; et depuis la disparition des blocs, la “prolifération nucléaire” n'a cessé d'augmenter. L'Inde et le Pakistan, deux États qui se sont déjà faits la guerre à plusieurs occasions et vivent dans un état permanent de tensions, ont désormais leurs missiles pointés l'un vers l'autre. L'Iran a fait un pas en avant significatif pour se doter d'armes de ce type et une multitude d'autres régimes, même des groupes terroristes, cherchent à rejoindre ce club.
Par-dessus-tout, aujourd'hui, il faut souligner l'acquisition et les tests pirates d'armes atomiques par le régime stalinien de Corée du Nord alors que la première puissance militaire mondiale, les États-Unis, est aux mains d'un chef narcissique imprévisible qui a accédé au pouvoir en surfant sur la vague populiste. Ces deux formes de régimes-voyous émettent, chaque semaine qui passe, de nouvelles menaces de feu et de fureur entre eux et il n'est pas possible d'affirmer que tout cela n'est que de l'esbroufe. Il existe certes, dans les deux camps, des facteurs qui les empêchent de déchaîner un holocauste nucléaire. Trump, par exemple, n'a pas entièrement le champ libre car il a de puissants opposants à peu près à chaque tournant au sein même de son propre appareil militaire et sécuritaire.
Cependant, ces conflits internes, comme la vague populiste elle-même, indiquent une perte de contrôle politique par la bourgeoisie, ce qui favorise les décisions imprévisibles et imprudentes. De plus, derrière le conflit entre les États-Unis et la Corée du Nord, se cache une rivalité plus grande encore, celle entre la Chine et les États-Unis. Pendant ce temps, la Russie, qui demeure le second État au monde le plus lourdement armé sur le plan nucléaire, a recouvré en partie la puissance impérialiste qu'elle avait perdue suite à la chute de l'URSS et adopte une politique étrangère toujours plus agressive, surtout en Ukraine et en Syrie. Si le risque d'un holocauste nucléaire planétaire s'est éloigné avec l'incapacité de la bourgeoisie à enrôler le prolétariat dans une Troisième Guerre mondiale, l'éventualité d'un conflit nucléaire régional causant des millions de morts n'est malheureusement pas à écarter.
Durant la période de la guerre froide, majoritairement caractérisée par la croissance économique qui suivit la Seconde Guerre mondiale, la conscience de l'impact qu'aurait cette croissance sur l'équilibre entre l'Homme et le reste de la Nature était faible. Mais les dernières décennies ont montré combien est limité le “contrôle humain sur les forces de la Nature” dans la course capitaliste au profit, où la dévastation, le gaspillage et la destruction ont toujours dominé ce que Marx appelle l'“échange métabolique” de l'Homme avec la Nature.
Le 19 octobre, The Guardian [595] annonçait que “les populations d'insectes volants ont diminué de trois-quarts ces vingt- cinq dernières années, selon une nouvelle étude qui a choqué les scientifiques. Les insectes sont partie intégrante de la vie sur Terre comme pollinisateurs et comme proies pour d'autres espèces et l'on savait déjà que certaines espèces comme les papillons étaient en déclin. Mais la révélation de l'échelle à laquelle l'ensemble des insectes disparaissent a provoqué des mises en garde sur le fait que le monde est en route vers un “Armageddon écologique” avec de profonds impacts sur la société humaine.” Nous étions déjà informés, bien sûr, du déclin alarmant des populations d'abeilles. Ceci n'est qu'une partie de la tendance à l'extinction de masse qui touche d'innombrables espèces vivantes, engendrée par l'empoisonnement de l'air et des mers par les pesticides, les émissions industrielles et des transports ainsi que le fléau des déchets plastiques. Et les nuages toxiques tuent également de plus en plus d'êtres humains. Le jour suivant la parution de l'article sur le déclin des insectes, le même Guardian [596] publiait en effet un nouveau rapport estimant que 9 millions de personnes meurent chaque année directement à cause de la pollution. Ajoutez à cela la fonte des glaces, le déchaînement de super-tempêtes, les sécheresses et les incendies, tous liés au changement climatique dû au capitalisme (donc à l'Homme) et à son incapacité à agir durablement sur l’enfoncement alarmant dans la destruction environnementale dans lequel il a plongé l’humanité et qu’il n’a au contraire fait que considérablement aggraver. La menace d' “Armageddon écologique” ressemble de plus en plus à ces histoires anciennes d'un monde disparaissant sous les eaux et les flammes.
Par conséquent, à la menace d'une destruction par la guerre impérialiste, la question écologique en rajoute une autre non moins effrayante mais ces deux cavaliers de l'apocalypse ne chevaucheront pas séparément. Bien au contraire : un monde capitaliste caractérisé par un amenuisement des ressources vitales, qu'on parle d'énergie, de nourriture ou d'eau, est plus enclin à traiter le problème à travers une compétition exacerbée entre nations, le pillage militaire et le brigandage (dans des guerres économiques et impérialistes à court terme) plutôt qu'à travers une coopération rationnelle à l'échelle planétaire qui seule pourrait apporter une solution à ce nouveau défi pour la survie de l'humanité.
Si l'on regarde d'un seul côté, ce résumé de la situation ne peut qu'engendrer du désespoir. Mais il existe une autre facette : si les produits des mains de l’Homme les rendent capables de “s’exterminer les uns les autres jusqu’au dernier”, réalisant les cauchemars apocalyptiques les plus sombres, les mêmes forces de production pourraient être utilisées pour réaliser un autre rêve ancien : un monde d’abondance dans lequel aucun secteur de la société n’aurait besoin d’en dominer un autre, un monde qui aurait dépassé les divisions qui sont au cœur des conflits et de la guerre.
C’est une des contradictions de l’évolution du capitalisme, que précisément au moment où un tel monde devient possible (nous dirions au début du XXème siècle), cet ordre social plonge l’humanité dans les guerres les plus barbares de l’Histoire. A partir de ce moment, la survie même du capitalisme devient de plus en plus antagonique à la survie de l’humanité. C’est la preuve frappante que le capitalisme, malgré toutes ses capacités intactes à innover, développer, trouver des remèdes à sa crise, est devenu obsolète, l’obstacle principal à l’avancée future de notre espèce.
Cette prise de conscience de la réalité est un facteur-clef de la conscience révolutionnaire parmi les masses exploitées qui sont toujours les premières victimes des crises et des guerres du capital. La compréhension que le capitalisme, en tant que civilisation mondiale, était entré dans sa période de décadence, fut un facteur décisif dans le développement des événements provoqués par la Révolution russe en 1917 durant la vague révolutionnaire internationale qui a forcé la bourgeoisie à mettre un terme au massacre de la Première Guerre mondiale et qui, durant une période bien trop brève, porta avec elle la promesse du renversement du capitalisme et l'avènement d'une société communiste à l'échelle planétaire.
Aujourd'hui, il semble que de tels espoirs révolutionnaires appartiennent au passé. Mais contrairement à l'idéologie et à la propagande active de la bourgeoisie, la lutte de classe n'a pas disparu de l'histoire et, avant même de prendre une forme révolutionnaire consciente et généralisée, a toujours un énorme impact sur la situation mondiale. Durant la guerre froide, comme nous l'avons vu, la classe dominante a tenté de nous convaincre que la doctrine de destruction mutuelle assurée' allait préserver la planète d'une Troisième Guerre mondiale. Ce qu'elle ne nous dira jamais, c'est qu'il y avait un facteur puissamment dissuasif à l'avènement d'une guerre mondiale après que le capitalisme est entré dans sa présente phase de crise économique ouverte à la fin des années 1960. C'est un facteur qui n'était pas présent durant les années 1930, lorsque la Grande Dépression conduisit rapidement à la guerre : une classe ouvrière invaincue plus prompte à défendre ses intérêts qu'à rallier les ambitions guerrières de la bourgeoisie.
Aujourd'hui, la disparition des blocs et l'accélération du chaos impérialiste est un autre facteur qui rend le scénario d'une Troisième Guerre mondiale de style classique plus improbable. Ce n'est cependant pas forcément en faveur du prolétariat car la menace d'un conflit à l'échelle planétaire a été remplacée par un glissement plus insidieux dans la barbarie qui, comme nous l'avons expliqué dans cet article, n'a pas du tout fait disparaître le danger d'un conflit nucléaire. Mais la lutte de classe (et sa montée vers la révolution) demeure l'unique barrière à l'enfoncement dans la barbarie, le seul espoir que l'humanité non seulement empêche l'apocalypse que réserve le capitalisme mais réalise enfin tout son potentiel encore inexploité d’un monde libéré de ses chaînes et capable de se guider en fonction des besoins humains.
Amos, 21 octobre 2017
1 J. Robert Oppenheimer sur le test de Trinity (1965) Archives atomiques, récupéré le 23 mai 2008.
2 Malaise dans La Civilisation.
3 Carl Jung, Soucoupes volantes, un mythe moderne sur les choses vues dans les cieux.
4 L’évolution du capitalisme et la nouvelle perspective [597], Internationalisme (1952).
5 L’effondrement de “L'Union Soviétique” était en effet en partie le résultat de l’énorme fardeau représenté par les dépenses d’armement sur une économie structurellement beaucoup plus faible que celles des États-Unis ; mais, pour une analyse plus complète des racines de la crise dans le bloc de l’Est, voir : Thèses sur la crise économique et politique dans les pays de l’Est [598].
“Même selon les standards moyen-orientaux marqués par l'irrationalité, la destruction gratuite, les machinations et les guerres impérialistes constantes et croissantes, l'attaque dirigée par les Saoudiens contre le Yémen plus tôt cette semaine atteint de nouveaux degrés d'absurdité surréaliste : les Saoudiens dirigent une coalition sunnite de dix nations, dont le Pakistan non arabe et doté de l'arme nucléaire, dans une offensive contre le Yémen. Des bandits locaux comme les Émirats Arabes Unis, le Koweït et le Qatar sont impliqués, ainsi que le dictateur égyptien al-Sisi et la clique génocidaire d'al-Bashir au Soudan. Tous ces despotes sont soutenus par les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont offert à la coalition un soutien “logistique et de renseignement””. C'est ce que nous écrivions en avril 2015 dans un article intitulé : Militarisme et décomposition au Moyen-Orient, juste après le lancement de ce que les Saoudiens ont appelé avec optimisme “l'Opération tempête décisive”. La guerre au Yémen s'est depuis lors considérablement aggravée et, après la Syrie, ce territoire est en train de devenir un théâtre crucial dans l'évolution des rapports impérialistes au Moyen-Orient, notamment à travers la rivalité entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, leurs “alliés” respectifs et les grandes puissances.
Dans l'un des pays les plus pauvres du monde, peuplé de quelque 23 millions d'habitants, la “coalition” saoudienne (dont le Pakistan s'est discrètement esquivé) a déversé des bombes américaines et britanniques pour ce qui reste essentiellement une confrontation avec l'Iran pour l'influence régionale. Un coup d'œil à la carte du Moyen-Orient montre l'importance géostratégique du Yémen et la place qu'il occupe désormais dans les rivalités locales et mondiales. Dix mille personnes ont été tuées par les bombardements et les frappes aériennes qui ont touché des hôpitaux, des écoles, des zones résidentielles et des mosquées. Trois millions de maisons ont été détruites et des bâtiments antiques réduits en poussière dans ce que les Romains appelaient “l'Arabie Heureuse”. En plus des bombardements, les Saoudiens ont imposé un blocus, que la Croix-Rouge a qualifié de “siège médiéval”, sur l'aide d'urgence et les importations commerciales causant des dizaines de milliers de morts supplémentaires. Quatorze millions de personnes n'ont pas accès à l'assainissement et à l'eau potable et les cas de choléra ont atteint le million. Le développement de la famine et de la malnutrition s'accompagne également d'une propagation de la diphtérie, maladie ancienne qu'il est pourtant simple de prévenir, ainsi que d'une augmentation de la dengue et du paludisme. En trente longs mois depuis sa déclaration de guerre, la coalition saoudienne, avec l'aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne, a réduit la vie d'un nombre toujours plus grand de civils, les réduisant à vivre comme des animaux et nourrissant sûrement la prochaine vague de réfugiés fuyant cet enfer à travers la péninsule arabe ou via la route africaine vers l'Europe.
Ce que les Saoudiens et leurs commanditaires craignent le plus et ce qui, dans la “logique” impérialiste à laquelle ils ont contribué, est un accroissement de l'influence iranienne, non seulement au Yémen, mais aussi par le biais d'un “encerclement” du territoire saoudien à travers la connexion terrestre, le long de la frontière turque, entre l'Iran, la Syrie, l'Irak et le Liban, et le contrôle du golfe d'Aden au Yémen. Ils craignent également le renforcement des intérêts et ses forces iraniennes en Afrique. (1 ) Le développement des intérêts et de l'influence régionale iranienne n'a jamais été aussi vaste et puissante qu'aujourd'hui, et ce malgré les tentatives récentes des États-Unis pour les contrecarrer à chaque tournant. L'Iran contrôle désormais effectivement un couloir terrestre qui va de Téhéran à Tartus en Syrie, sur la côte méditerranéenne, “lui donnant accès à un port maritime très éloigné à l'ouest, et loin des eaux du golfe Persique fortement surveillées par les patrouilles”. (2) Plus les États-Unis se sont affaiblis et s'affaiblissent au Moyen-Orient, plus l'Iran s'est renforcé. La position de la Russie s'est également renforcée, mais l'Iran n'est pas un simple pion de la Russie.
Les forces houthistes au Yémen combattant actuellement les milices soutenues par les Saoudiens ont pris le pouvoir et ont dominé la vague de manifestations antigouvernementales et anticorruption qui a éclaté dans le pays dans le cadre du Printemps arabe en 2011. Le houthisme a débuté comme un obscur mouvement chiite revivaliste dans les années 1990 appelé Forum des Jeunes Croyants, radicalisé par l'invasion américaine de l'Irak en 2003. Il bénéficie par ailleurs d'un large soutien parmi de nombreux sunnites, ce qui montre qu'il ne s'agit pas, bien que l'irrationalité de la religion joue un rôle, d'une simple division sunnite/chiite (il n'y a jamais eu de clivages ethniques ou religieux significatifs au Yémen, sauf ceux que les grandes puissances, y compris la Grande-Bretagne, ont suscités). Les Iraniens l'appellent le mouvement Ansarallah (les partisans d’Allah) et malgré ses liens avec l'Iran, son histoire est plus que celle d'un simple pion. Vers la fin de 2014, une grande partie du pays a été prise par les houthis et, au fur et à mesure que la guerre se poursuivait, les liens entre les houthis, les Iraniens et le Hezbollah libanais, forgés dans le conflit, se sont renforcés. En décembre, lorsque le chef et seigneur de guerre yéménite, Saleh, s'est détourné de l'Iran et des houthis pour se tourner vers l'Arabie Saoudite, il a été tué sans pitié, ce qui rappelle les assassinats de la CIA dans les années 1960, méthode avec laquelle le Hezbollah est également familier.
Selon des informations récentes, l'Iran aurait envoyé des armes de pointe et des conseillers militaires aux houthis, y compris ses mercenaires afghans endurcis au combat.(3) Ces derniers sont probablement surestimés par l'Occident, mais les Iraniens pensent à long terme comme ils l'ont fait avec l'édification du Hezbollah, qui est devenu la tête de pont de l'Iran contre Israël et fait partie intégrante de sa stratégie de renforcement au Moyen-Orient. Les missiles balistiques visant des cibles saoudiennes suggèrent l'implication du Hezbollah. Ce sont des armes parfaites pour les houthis qui visent des cibles saoudiennes de grande valeur et l’une d’elles finira bien par être touchée un jour ou l'autre, elles sèment, en attendant, la terreur et l’insécurité parmi les Saoudiens, comme les V2 nazis l'ont fait pour Londres. Quoi qu'il en soit, le dirigeant houthi, Abdul-Malik al-Houthi, s'adressant au dirigeant du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l'été dernier, a déclaré: “Votre pari sur les Yéménites est juste” et il a poursuivi en disant que les forces militaires conjointes contre Israël réintroduisaient la question palestinienne. Ces démarches ne pourront être soutenues que par la politique étrangère de Trump et son soutien israélo-saoudien.
Il vaut la peine de prendre un peu de recul pour voir comment les choses ont évolué dans le panier de crabes impérialiste du Moyen-Orient : il n'y a pas si longtemps, les forces militaires américaines et iraniennes agissaient de concert et de façon significative en Irak jusqu'à et y compris des actions militaires coordonnées et conjointes contre l’État islamique (EI). Mais il était clair pour tout le monde qu'une fois l'EI vaincu, de nouvelles tensions éclateraient. Encore une fois, même au Yémen, le Commandement des forces spéciales américaines (SOCOM) a préféré travailler avec les houthis dans la lutte contre Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et l'EI : les généraux américains ont déclaré que l'action saoudienne au Yémen était “une mauvaise idée” (4), étant donné l'implication des services secrets yéménites soutenus par l'Arabie Saoudite, qui sont profondément liés aux terroristes. Tandis que Washington arrosait le gouvernement yéménite par un soutien politique et financier, l'ancien président Saleh, un allié des Saoudiens, manipulait l'activité des terroristes pour obtenir le soutien de Washington au nom de la “guerre contre le terrorisme”.
Le conseiller à la sécurité nationale de Trump, H.R. McMaster, a déclaré en octobre : “Ce qui est le plus important pour toutes les nations, c'est de faire face au fléau du Hezbollah, des Iraniens et des gardes révolutionnaires iraniens.”(5) Personne ne peut deviner comment les Américains envisagent de faire cela sans exacerber et déstabiliser davantage le Moyen-Orient. La volte-face des États-Unis sur l'accord nucléaire iranien a, entre autres, provoqué une grave rupture avec l'Europe (et n'incitera pas les Nord-Coréens à “s’asseoir à table des négociations”), en particulier les trois grands pays actifs dans la région, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. La reconnaissance incendiaire par Trump de Jérusalem en tant que capitale d'Israël (un geste totalement stupide et inutile qui plaira principalement à sa base évangéliste) ne peut que contrecarrer les réels intérêts impérialistes américains. Elle attisera les flammes du nationalisme israélo-palestinien et, en dépit des mises en scène à l'ONU, en particulier celle du président turc Erdogan, suscitera des protestations plus globales contre les États-Unis de la part des fractions tant chiites que sunnites. Elle offre également aux djihadistes de l'EI et d'al-Nosra une bouffée d'air frais (l'un des plus puissants thèmes de campagnes de recrutement de Ben Laden était l'oppression des Palestiniens) et rend plus difficile pour l'Arabie Saoudite et ses alliés de travailler avec Israël et les États-Unis, servant ainsi davantage les intérêts de Téhéran.
La situation du régime saoudien est plus fragile depuis le soutien affiché de Trump qui a été suivi par une importante querelle avec le Qatar, la purge de ses adversaires (y compris ceux hostiles à Trump) et la curieuse convocation du président libanais Hariri et du dirigeant palestinien Abbas à Riyad. Le prince saoudien, le dirigeant effectif du pays a déclaré en avril dernier, qu'il “voulait sortir” de la guerre au Yémen et n'avait aucune objection à ce que les Américains intercèdent auprès de l'Iran à cette fin. Quels que soient ses souhaits ou ceux de toutes les parties impliquées, l'impérialisme, la décomposition et l'irrationalité sont les forces motrices de la catastrophe yéménite et, avec l’influence grandissante de l'Iran, elles ne feront que se renforcer.
Boxer, 22 décembre 2017 (Traduction d'un article de World Revolution, section du CCI au Royaume-Uni)
1 L'Iran s'intéresse de plus en plus au Nigeria, au Cameroun et au Soudan, entre autres. Les Saoudiens ont répondu par un plan du prince héritier Mohammed ben Salmane visant la mise en place d'une coalition militaire islamique fournissant logistique, renseignement et formation à une force “antiterroriste” du G5 sahélien remaniée après des discussions avec la France à la mi-décembre (Cf. Reuters du 14 décembre 17).
2 The Guardian du 8 octobre 2016.
3 New York Times du 18 septembre 2017.
4 Al Jazeera, le 15 avril 2017
5 Patrick Cockburn, The Independent du 9 décembre 2017.
Comme nous l’avons montré dans notre article « Manifestations en Iran, force et limites du mouvement », bien qu’existe des signes prometteurs de la capacité à rebondir pour la classe ouvrière, le danger non seulement d’une répression sanglante mais aussi de la manipulation de la colère populaire par les différentes fractions de la classe dominante est bien réel. Le vieux conflit entre les “réformateurs” et les “durs” au sein de la “République Islamique” est entré dans une nouvelle phase. Les réformateurs autour du président Rohani sont convaincus qu’un changement majeur dans la politique est nécessaire pour consolider les acquis considérables obtenus récemment par l’Iran. Ces acquis concernent essentiellement deux niveaux : d'une part, sur le plan de la politique étrangère, les milices chiites et d’autres forces soutenues par Téhéran ont fait d’importantes avancées en Irak, en Syrie, au Liban (la soi-disant faucille révolutionnaire de l’Iran vers la Méditerranée) et au Yémen. Sur le plan diplomatique, le régime a pu conclure un “accord atomique” avec les grandes puissances, ce qui a conduit à la levée de certaines sanctions (en échange d’une renonciation formelle à l’acquisition d’une bombe atomique Iranienne). Aujourd’hui, ces avancées sont menacées de tous les côtés. L’une de ces menaces est l’alliance contre l’Iran que les États-Unis essaient de construire, sous la direction de Trump, avec Israël et l’Arabie Saoudite. D'autre part, sur le plan de la situation économique, contrairement au niveau militaire ou diplomatique, le capitalisme iranien n’a fait aucun progrès ces dernières années, au contraire. L’économie ploie sous le joug du coût militaire des opérations de l’impérialisme iranien à l’étranger et elle est affaiblie par les sanctions internationales. Les États-Unis n’ont pas levé les sanctions économiques contre l’Iran, comme ils l’avaient promis dans le cadre de l’accord nucléaire. Au lieu de cela, ils ont entravé les investissements des entreprises européennes en Iran. Maintenant, avec Trump, les sanctions américaines seront même renforcées. Il y a un autre problème, très important : la compétitivité du capital national iranien est étranglée par la bureaucratie théocratique-cléricale profondément anachronique, qui ne sait pas gérer une économie capitaliste moderne, et par le système kleptomane des “Gardiens de la Révolution”. Du point de vue du président Rohani, briser ou au moins affaiblir la domination de ces structures serait une bonne chose pour les intérêts du capitalisme Iranien. Cela donnerait également de l’Iran une image plus libérale, mieux adaptée pour contrer les sanctions, la diplomatie et la rhétorique de ses ennemis à l’étranger.
Mais, en raison de la position dominante des tenants de la ligne dure au sein des forces armées, les réformateurs n’ont pas une grande marge de manœuvre légale pour imposer leur politique. C’est pourquoi le président Rohani a commencé à appeler la population dans son ensemble à formuler ses critiques sur la politique économique actuelle et sur la corruption des Gardiens et la défense de leurs intérêts commerciaux. Les réformateurs ont essayé d’utiliser le mécontentement populaire comme levier contre les “durs”. Une telle politique est dangereuse et révèle le retard et le manque de souplesse de la bourgeoisie en Iran, qui est incapable de régler ses problèmes en interne. C’était d’autant plus dangereux quand on considère que Rohani savait parfaitement que le boom économique promis après la levée des sanctions ne se produirait pas. De plus, Rohani ne fut pas le seul à prendre des risques : le président lui-même a accusé ses opposants intransigeants d’avoir organisé la première manifestation à Mashhad, qui est le bastion d’ Ibrahim Raisi, le candidat des “durs” lors des élections présidentielles de mai 2017. Le slogan principal de cette manifestation aurait été : “A mort Rohani !”. Mais, au fur et à mesure que la protestation s’amplifiait, d’autres slogans ont été entendus, tels que “A mort Khamenei !” (le chef d’État religieux de tendance “dure”), “A bas la dictature !”, ou “Qu’est-ce qui est gratuit en Iran ? Le vol et l’injustice !” L’apparition de tels slogans dirigés contre le régime dans son ensemble montre que les deux fractions bourgeoises principales ne peuvent pas manipuler la colère populaire à leur gré, contre l’autre fraction.
Cependant, cela ne diminue en rien le danger pour la classe ouvrière d’être manipulée par la classe dominante. Il est important, à cet égard, de se souvenir de ce qui s’est passé en Égypte, où les manifestations populaires (Place Tahrir), impliquant des rassemblements et des manifestations de masse, mais aussi des grèves ouvrières, ont balayé le régime Moubarak. C’était au début du “printemps arabe”. Mais cela a été rendu possible parce que les militaires ont laissé faire (le président Moubarak avait l’intention de diminuer l’influence des généraux sur le plan politique et surtout sur l’économie). En Iran (comme en Égypte à l’époque), les puissances étrangères étaient également impliquées. Les dirigeants religieux d’Iran ont prétendu que les manifestations en Iran ont été provoquées par des puissances étrangères (États-Unis, Israël, Arabie Saoudite), ce qui a enragé de larges secteurs de la population, car cette prétention nie avec arrogance toutes leurs souffrances réelles et leur capacité à prendre eux-mêmes des initiatives. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que ces puissances rivales et d’autres n’essaient pas de déstabiliser le régime iranien. Lors d’un entretien donné en avril 2017, le prince héritier Ben Salman déclarait que le conflit entre son pays et son voisin persan serait réglé “en Iran, pas en Arabie Saoudite”. L’un de ses groupes de réflexion à Ryad lui a conseillé de susciter le mécontentement au sein de la minorité sunnite en Iran ainsi que parmi les minorités ethniques (un tiers de la population en Iran n’est pas d’origine persane). En Égypte, après la chute de Moubarak, la guerre civile entre les principales fractions de la bourgeoisie, les forces armées et les Frères Musulmans, n’a été évitée qu’à cause de la féroce répression de ces derniers contre les premiers. En Syrie, les protestations sociales ont déclenché une guerre impérialiste qui fait toujours rage. Que ce soit en Égypte, Syrie ou Iran, la classe ouvrière n’est pas seulement relativement faible, elle est aussi isolée internationalement, à cause de l’actuel reflux de la lutte de classe, du recul de la conscience et de l’identité de classe à l’échelle mondiale. Sans le soutien du prolétariat mondial, les difficultés et les dangers pour nos frères et sœurs de classe sont d’autant plus grands.
Steinklopfer, 9 janvier 2018
Le scandale Lactalis a éclaté lorsque plusieurs cas de salmonellose(1) ont été détectés chez des nourrissons suite à la consommation de produits fabriqués par ce groupe, un des leaders mondiaux des produits laitiers. Le 11 janvier, on annonçait pas moins de 37 cas de contaminations en France, d’autres ayant été recensés en Espagne, en Grèce , etc., et bon nombre d’enfants risquant des complications sévères devaient être hospitalisés. Les enquêtes diligentées en décembre par le ministère de la Santé et celles des services vétérinaires départementaux (DDCSPP) et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirmaient cette contamination industrielle, notamment celle de l’usine Lactalis à Craon en Mayenne.
Bon nombre de témoignages de parents et de consommateurs en colère ont révélé que tous les acteurs étaient mouillés dans l’affaire : le groupe Lactalis qui a tardé et traîné les pieds pour retirer les lots incriminés afin de ne pas fragiliser sa compétitivité, la grande distribution qui a continué à commercialiser dans ses rayons les produits potentiellement contaminés à la salmonelle, malgré les rappels successifs, pour ne pas subir de pertes financières, l’État qui s’est présenté comme le grand “justicier” après une période d’inertie jugée coupable. Avant que l’affaire n’éclate au grand jour, le ministère de l’Agriculture niait en effet avoir été mis au courant de tests positifs alors que l’entreprise soulignait [599] au contraire que “toutes ces analyses ont été transmises aux autorités compétentes dès le début”. Les services sanitaires de l’État jugeaient pourtant en septembre que le niveau d’hygiène était “très satisfaisant” alors que l’entreprise avait elle-même décelé des traces de salmonelle lors d’un contrôle interne, peu de temps auparavant, au mois d’août.
Dans une émission sur la chaîne de télévision France 2, le 13 janvier dernier, un ancien salarié témoignait [600] aussi : “On est nombreux dans le service à n’être absolument pas surpris de ce qui se passe aujourd’hui. Quand vous voyez des tamis au sol, quand vous voyez des brosses qui finissent au sol ou qui côtoient toutes les poussières d’une semaine de production et dont on se sert pour nettoyer l’intérieur des tuyaux... Effectivement, il ne faut pas être surpris qu’on puisse contaminer un circuit de poudre”. Il ajoute surtout ceci “la priorité était clairement la production”.
Comme le souligne un avocat, Me. Bouzrou, cité par Le monde.fr : “Force est de constater que les fonctionnaires de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Mayenne n’ont volontairement pas effectué de contrôles sur la production de lait infantile”. Priorité à la production, au marché, au profit ! Pour l’ensemble des principaux acteurs, les nourrissons ne représentent qu’une cible commerciale chiffrée, les jeunes enfants contaminés devenant même des obstacles gênants pour l’image de l’entreprise. Dans “les eaux glacée du calcul égoïste” (2) leur santé, les industriels, politiciens et autres marchands s’en fichent comme d’une guigne ! Cette cynique indifférence est tellement visible qu’un conseiller en communication, Guillaume Foucault [601], s’en est même offusqué : “Vous noterez aussi qu’à la première question qui lui est posée, le président de Lactalis, ce fameux milliardaire, oublie juste une chose : c’est d’avoir un peu de sentiment, d’être un peu dans le pathos”. Bref, les vrais professionnels de la “com”, eux au moins, savent qu’il faut faire semblant !
Bien entendu, au-delà des froids calculs des uns et des autres, comme lors de tous les scandales sanitaires auxquels nous sommes de plus en plus confrontés, tout est orchestré pour désigner “le” ou “les” coupables, bien souvent des lampistes et/ou des acteurs subalternes, certes sans scrupules, mais qui servent d’autant plus aisément de boucs-émissaires ! Outre les médias et les institutions qui engagent les victimes dans cette logique de recherche de “coupables” pour les “faire payer”, le grand artisan de cette manœuvre est l’État lui-même, cherchant toujours à éviter la question centrale, celle de la répétition du phénomène et de ce qui en est la source : le système capitaliste et sa logique de profit.
A chaque fois, la logique barbare purement marchande et les pratiques de l’État bourgeois qui l’incarnent sont très soigneusement épargnées. Systématiquement, la loi du profit est préservée et l’attention détournée vers des symboles : tel “industriel sans foi ni loi”, tel “banquier véreux”, tel “politicien corrompu” ou tel “haut fonctionnaire magouilleur”, c'est-à-dire sur les symptômes et non la véritable cause.
Concernant Lactalis, le coupable idéal est très rapidement identifié : son “PDG milliardaire” avec sa “culture du secret” a servi de catalyseur idéal permettant de détourner l’attention de tout l’engrenage capitaliste qui a permis un tel scandale. De même, les enseignes de la grande distribution servaient aussi de coupables tout désignés. Cette fois encore, ce ne pouvait évidemment pas être la faute du capitalisme, la véritable maladie qu’il ne faut surtout pas mettre sous les yeux des prolétaires, mais quelques “brebis galeuses” faciles à identifier et à désigner à la vindicte. Tous les médias et l’État lui-même se sont montrés de zélés accusateurs, comme si ce dernier était “extérieur” à l’affaire. C’est ainsi que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, parlait avec sévérité d’un “manquement” et annonçait que “la Justice n’épargnera personne”.
Pourtant, si le lien n’est pas toujours direct ou apparent aux premiers abords, l’État et le gouvernement sont toujours au cœur des décisions qui poussent vers la logique du profit et la concurrence maximale avec pour conséquences des scandales à répétition. La réalité est que “le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaire communes de la classe bourgeoise toute entière.”(3) C’est donc hypocritement que l’État et ses politiciens interviennent de nouveau comme “justiciers”, eux qui, de manière chronique , s’autorisent les pires exactions qu’ils attribuent généralement aux autres.
D’ailleurs, rappelons-nous le scandale du sang contaminé dans les années 1980 où les laboratoires, de manière consciente et avec la bénédiction du gouvernement de l’époque, faisaient inoculer du sang non chauffé et donc empoisonné dans les veines de centaines de personnes par pur souci d’économie. De même, si on se penche sur le scandale du Mediator, on retrouve toutes les accointances qui unissaient les laboratoires pharmaceutiques et des partis politiques impliquant des personnalités au sein de l’appareil d’État. A l’époque, la polarisation s’opérait exclusivement sur les dirigeants du laboratoire Servier dont des organisations gauchistes comme LO martelaient qu’ils avaient “un porte-monnaie à la place du cœur”. Mais aussi cupides qu’aient été ces industriels, ils n’étaient en réalité que de cyniques créatures produites et intégrées aux rouages de la logique marchande, celle d’un système barbare qu’il faut absolument détruire. Telle est le principal enseignement politique de cette sinistre affaire pour le prolétariat.
WH, 30 janvier 2018
1La bactérie salmonelle peut provoquer des gastro-entérites et des complications très graves chez le nourrisson.
2Expression employée dans le Manifeste du Parti communiste (1848).
3Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels (1848).
Le développement du populisme a touché de nombreux pays. S'il a pu être contenu dans certains, comme en France avec la défaite du Front national aux dernières élections présidentielles, il a causé de sérieux problèmes ailleurs, comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne par exemples. En Allemagne, après les élections fédérales de septembre 2017, l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti qui a vu le jour seulement en 2013 et dont le programme consiste à réclamer la souveraineté allemande tout en exacerbant le sentiment de fierté nationale, est passé de 0 à 94 sièges. Il est devenu le troisième parti le plus important du pays. En Autriche, Sebastian Kurz s'est présenté lui-même comme une force pour le changement même si son parti est au pouvoir depuis 30 ans. Il pourrait être obligé de former une coalition avec le néo-Nazi Parti de la Liberté. Comme l'écrivait The Economist du 19 octobre 2017 : “l'Europe se demande si le jeune prodige de la politique autrichienne va repousser le soulèvement populiste ou si, au contraire, il se prépare à en prendre la tête”. En Espagne, dans le conflit qui oppose Madrid et la Catalogne, les divisions dans les rangs de la bourgeoisie se sont aggravées et ne permettent pas d'envisager une stabilité satisfaisante pour le Capital dans ce pays.
Les divisions qui existent au sein de la bourgeoisie sont naturelles pour une classe marquée par la concurrence à tous les niveaux, des entreprises individuelles à la guerre impérialiste. Cependant, lorsqu'elle doit faire face à une menace impérialiste, des difficultés économiques ou à la résurgence de la lutte de classe, la classe dominante a tendance à faire front commun dans l'intérêt national. Mais depuis les années 1990, la décomposition du capitalisme fait ressortir toujours plus la tendance à la division au sein de la bourgeoisie, y compris aujourd'hui une tendance à la perte du contrôle politique parmi les bourgeoisies même les plus expérimentées.
Le référendum de 2016 en Grande-Bretagne sur l'appartenance à l'UE a produit un résultat contraire à ce que les factions centrales de la bourgeoisie considéraient comme leur meilleur intérêt. La marée populiste internationale a été amplifiée par l'élection de Trump et les difficultés politiques spécifiques au gouvernement britannique ont été exacerbées par les élections générales de juin 2017. Convoquées à la base pour renforcer la majorité conservatrice au pouvoir et asseoir sa position dans les négociations sur le retrait britannique de l'UE, les élections ont engendré une perte de sièges et la nécessité de former une alliance avec le DUP d'Irlande du Nord. Loin d'améliorer la position du gouvernement britannique et de l'aider dans les négociations avec l'Europe, la perte de contrôle s'est manifestée dans les intrigues entre différentes factions, des divisions qui vont bien au-delà des “Pour” ou “Contre” le Brexit ou des “modérés” contre les “radicaux”, ainsi qu'un désordre général au sein d'une classe dominante qui semble ne pas avoir de plan cohérent et tend à improviser à chaque tournant. Ainsi, la bourgeoisie britannique fait face à de réelles difficultés dans les négociations sur le Brexit, apparaissant déjà comme incapable de reprendre les rênes et de tirer le meilleur d'une situation épineuse. Les conséquences économiques du Brexit seront aggravées par ce désarroi politique. Le contraste entre la puissance passée de la bourgeoisie anglaise et sa situation actuelle est dramatique. La longue expérience de cette classe dominante signifiait auparavant qu'elle était capable de s'unir durant les périodes de guerre impérialiste, de faire face aux crises économiques et d'adopter une stratégie appropriée pour contrer les luttes ouvrières.
En 1974, en pleine crise économique et avec une grève de mineurs qui était la dernière expression d'une vague de militantisme ouvrier, des élections furent convoquées avec comme résultat, un gouvernement travailliste qui se révéla beaucoup plus efficace dans sa gestion du conflit de classe grâce à l'ampleur des illusions existant sur le Labour et les syndicats. Dans les années 1980, alors que le gouvernement conservateur dirigeait les attaques sur les salaires, les emplois et les conditions de vie de la classe ouvrière, les Travaillistes dans l'opposition se sont présentés comme les amis des ouvriers. Avec l'aide des syndicats, le Labour a présenté des stratégies économiques capitalistes alternatives et, par divers biais, récupéré et/ou détourné le militantisme ouvrier. En plus d'avoir su utiliser de différentes manières le parti Travailliste contre le prolétariat, la bourgeoise britannique a très bien su gérer les antagonismes en son propre sein. En 1990, l'attitude de Margaret Thatcher envers l'Europe fut jugée inappropriée dans une période où les blocs dominés par les États-Unis et l'URSS étaient en train de se désintégrer. Les “éminences grises” on su écarter Thatcher sans tergiverser en dépit de son autorité.
Il y a encore aujourd'hui des manœuvres de ce type au sein de la bourgeoisie britannique et particulièrement dans les rangs du parti Conservateur mais, loin de conduire à des politiques cohérentes ou, pour le moins, à la position dominante d'une faction, les dissensions qui agitent la classe dominante montrent tous les signes d'un développement accru des tensions. La Grande-Bretagne fut l'un des pays les plus durement touchés par les secousses économiques de 2008 et l'effritement au sein des Tories contribue à empirer la situation. Cependant la faiblesse de la bourgeoisie ne représente pas nécessairement une opportunité pour le prolétariat.
La position de nombreux gauchistes est résumée par le Socialist Workers Party quand il affirme : “Les Tories sont à terre mais pas encore éliminés. C'est à cette tâche que nous devons nous atteler” (Socialist Worker du 4 juillet 2017). Ils constatent les problèmes qui agitent le parti conservateur et déclarent: “Nous avons besoin d'une résistance telle qu'elle nous permettra de nous débarrasser de Theresa May et du reste de la bande” (4 octobre 2017). Ceci est le prélude à un gouvernement travailliste, bien que “Un gouvernement dirigé par Corbyn ne ferait pas de la Grande-Bretagne un pays socialiste. Mais des millions de personnes se sont réjouis de ses promesses de taxer les riches, de re-nationaliser les industries et d'investir plus d'argent dans les services publics” (3 octobre 2017). Cela signifie que beaucoup ont des illusions sur les Travaillistes et l'une des fonctions du gauchisme est de renforcer les illusions sur ce parti fondamental du capitalisme d’État britannique.
Car, 21 octobre 2017
Afin de comprendre la signification de l’escalade des événements qui ont suivi le referendum de septembre 2017 sur l’indépendance kurde en Irak et les réactions des gouvernements de la région et du monde entier, nous devons revenir sur les développements historiques qui ont eu lieu depuis plus d’un siècle. Cet article est publié en même temps que “La nouvelle Turquie” d’Erdogan : une illustration majeure de la sénilité du capitalisme [602] (en anglais) ; nous vous recommandons de lire les deux articles à la suite.
Comme nous l’avons développé dans l’article cité ci-dessus et dans un article traitant du conflit impérialiste au Proche-Orient [603] dans la Revue Internationale n° 117, à la fin du XIXème siècle, l’Empire ottoman est entré dans un long processus de déclin et de désintégration. Déjà, avant la Première Guerre mondiale, lors des guerres balkaniques, la Bulgarie, l’Albanie, la Thrace occidentale (et Salonique) sont sorties de l’Empire ottoman. La seconde phase de fragmentation advint après que l’Empire ottoman a pris le parti de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale : les puissances européennes, la France, la Grande- Bretagne et la Russie, élaborèrent un plan pour diviser à leur profit les composantes restantes de l’Empire ottoman. En 1916, sur la base du traité secret Sykes-Picot, la France devait recevoir le Liban et la Syrie, la Grande-Bretagne devait contrôler l’Irak (sauf Mossoul), la Jordanie, la Palestine et l’Égypte, ainsi que la Péninsule arabique (aujourd’hui Arabie Saoudite). La Russie tsariste devait mettre la main sur la plupart des régions du nord du Kurdistan et le Tsar espérait aussi utiliser les Arméniens pour ses ambitions. Cependant, à la suite de la révolution en Russie de 1917, le pouvoir soviétique a renoncé à toute ambition impérialiste. En 1920, d’après le traité de paix de Sèvres (à Paris), ce qui restait du territoire turc devait être partagé entre les puissances coloniales, la France et la Grande-Bretagne. De vastes zones devaient être transférées à la Grèce, un État indépendant de la Turquie était prévu pour l’Arménie en Turquie orientale et les Kurdes devaient recevoir un statut autonome dans le sud-est. Seule une petite partie du centre de la Turquie devait rester turque. Le général Mustapha Kemal refusa le traité et commença à organiser la résistance militaire. Les Arméniens et les Grecs furent rapidement vaincus, le sultanat aboli et Kemal devint le chef du nouvel État “croupion” turc. Après le dépeçage de l’Empire ottoman et la mise en place de nouvelles entités “nationales” (Syrie, Jordanie, Irak) par les puissances coloniales, la population kurde, qui vivait dans un Kurdistan ottoman depuis plusieurs siècles, fut divisée sur le territoire de cinq États (Turquie, Irak, Syrie, Iran, Arménie/ Russie). Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, la population kurde vit encore dans un tiers du territoire turc, dans la partie nord de l’Irak (Mossoul, Kirkouk, Erbil, etc.), dans la partie occidentale de l’Iran, dans le nord-est de la Syrie et un petit nombre en Arménie.(1) La façon dont les résidus de l’ancien Empire ottoman ont été partitionnés par les deux vainqueurs de la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne, montre qu’il n’y avait aucun espace pour la création d’un État kurde viable. En même temps, les germes du nationalisme kurde sont apparus dans ce processus. En fait, la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran ont toujours eu peur et ont toujours combattu les aspirations des Kurdes à la formation d’un État kurde souverain. Ce spectre a hanté en particulier les États turc et irakien, car tout État séparé aurait entraîné une large amputation du territoire de ces pays (30% dans le cas de la Turquie). Au cours du siècle dernier, tous les gouvernements turcs ont averti qu’ils ne toléreraient jamais la formation d’un État kurde en dehors du territoire turc.
Historiquement, les régions kurdes ont toujours été en retard par rapport aux autres régions. Des proportions importantes de ces populations vivent dans les montagnes, où le développement économique est beaucoup plus lent qu’ailleurs. La structure sociale est dominée par les chefs tribaux et les clans. En dehors du pétrole, qui a été découvert au début des années 1920, il n’y a pratiquement pas de matières premières et, depuis plus d’un siècle, il n’y a pas eu véritablement d’industrialisation. En conséquence, une grande partie de la population survit grâce à l’agriculture, en migrant plus loin ou en cherchant du travail en Europe ou ailleurs. Alors que les quatre pays ayant des minorités kurdes (Turquie, Irak, Syrie et Iran) ont tous un intérêt commun (empêcher la formation d’un État kurde séparé et indépendant) la situation des Kurdes et l’intensité des conflits entre les Kurdes et ces pays n’ont jamais été les mêmes. A l’intérieur de chaque zone à dominante kurde, les factions de la bourgeoisie kurde luttant pour les intérêts kurdes ont toujours été profondément divisées, soit en raison de leur domination sociale par divers clans ou tribus, soit en raison de leurs intérêts économiques et sociaux opposés. En particulier, les factions de propriétaires fonciers n’ont jamais manifesté la moindre sympathie pour les populations les plus pauvres et leurs doléances économiques et sociales. Durant toute cette période, les forces nationalistes kurdes ont eu recours systématiquement à la violence contre les autres groupes kurdes ou contre les Arméniens.(2) Les groupes nationalistes kurdes ont régulièrement essayé d’imposer l’identité kurde aux minorités vivant dans les zones à majorité kurde. Toute la région kurde est “cernée” par d’autres pays et n’a pas d’accès à la mer, ce qui rend les Kurdes entièrement dépendants de la “bonne volonté” et des négociations avec les autres pays. Ceux-ci peuvent à leur tour exercer un chantage et extorquer des taxes élevées pour autoriser le transit du pétrole kurde par pipeline ou en camion à travers le territoire turc. Au niveau économique, un État kurde indépendant ne sera jamais viable.
Les aspirations à l’indépendance se sont exprimées pour la première fois au moment de l’apparition des fissures dans l’Empire ottoman, avec Ubeydullah, en 1880, qui exigeait l’autonomie politique ou l’indépendance pure et simple pour les Kurdes et la reconnaissance d’un État kurde. Les dirigeants ottomans ont rapidement et facilement écrasé cette révolte. Avant la proclamation de la république turque en 1923, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les puissances coloniales française et anglaise ont fait semblant d’offrir leur aide aux Kurdes dans leur lutte pour l’indépendance alors qu’en réalité, elles avaient divisé la région de telle sorte qu’il n’y ait pas de place pour un État kurde. En 1925, à peine deux ans après la formation de la république turque, a lieu le premier soulèvement kurde significatif, organisé par Sheik Saïd, à forte connotation religieuse. L’État turc, qui avait acquis de l’expérience dans l’expulsion et la déportation des populations grecques et arméniennes, lança une sévère répression et déporta massivement les Kurdes. Entre 1927 et 1930, il y eut à nouveau des soulèvements kurdes répétés dans la région du Mont Ararat. Le régime kémaliste dénonça ces soulèvements, principalement du fait de leur coloration religieuse, qui lui permettait de justifier sa “politique laïque”. En 1930, l’Iran et la Turquie signèrent un traité dans lequel l’Iran acceptait de fermer ses frontières, empêchant ainsi l’exode des réfugiés et des combattants kurdes armés. Après les soulèvements dans la province de Dersim entre 1936 et 1938, qui furent tous écrasés dans le sang avec de nombreux massacres, il y a eu une période d’accalmie pendant plus de vingt ans, au cours de laquelle il n’y a presque pas eu de tentative armée kurde pour obtenir plus de libertés de la part de la Turquie. Pourtant, en 1960, quand l’armée organisa un coup d’État en Turquie, une des justifications en était le danger représenté par les velléités d’indépendance kurde. Une fois de plus, l’usage de la langue, de l’habillement, du folklore et des noms kurdes fut interdit. La répression sans trêve mena à la réémergence du nationalisme dans les années 1960 et 1970. Dans les années 1970, un nouveau groupe se fit le porteur du nationalisme kurde : le Partiya Karkeren Kurdistan (PKK) ou Parti des Travailleurs du Kurdistan, fondé en 1978. Le PKK prétendait s’opposer aux autorités locales et aux propriétaires terriens dominés par des clans et leurs chefs. Le PKK finance ses activités par des dons, des souscriptions et, nonobstant son verbiage gauchiste, par le recours au chantage, à l’extorsion de fonds, le trafic de drogues et d’armes, et, plus récemment, par le trafic de réfugiés. A partir de 1984, le PKK a initié une guérilla insurrectionnelle jusqu’au cessez-le-feu de 1999.(3) En 1999, son dirigeant Ocalan a été arrêté et condamné à mort.(4) Suite à l’appel d’Ocalan, demandant au PKK d’arrêter la lutte armée en Turquie, le PKK a suspendu ses activités militaires jusqu’en 2004. Cela a conduit à des attaques militaires répétées de l’armée turque contre le PKK dans le nord de l’Irak, jusqu’en 2011. Comme nous le verrons, ce n’est qu’en 2012 que les zones kurdes connaîtront une courte période de calme relatif, à cause des mouvements militaires stratégiques d’Erdogan ! Si l’on regarde en arrière, on voit que les gouvernements turcs ont pratiqué une politique d’alternance entre des concessions limitées et, plus souvent, une très dure répression, avec des vagues de résistance militaire croissante de la part des forces armées kurdes, à savoir le PKK.
Sur le territoire irakien, les conditions étaient différentes. Forts de leur expérience en Inde et dans les autres colonies, les Britanniques ont concédé quelque autonomie à la région kurde dans le nord de l’Irak, et ont reconnu ses aspirations nationalistes avec l’arrière-pensée de devancer les efforts nationalistes kurdes sur le sol irakien. En plus de leur politique de “diviser pour mieux régner” et de leur soutien aux éléments réactionnaires kurdes, les Britanniques, face à une résistance à grande échelle, ont également développé une politique de terreur avec des bombardements aériens, Churchill approuvant l’utilisation de gaz toxiques. Entre-temps, la Constitution irakienne provisoire de 1921 accordait des droits égaux à deux minorités ethniques (les Arabes et les Kurdes) et les Britanniques ont appliqué la même politique de “diviser pour mieux régner” : les tribus kurdes du pays ont bénéficié d’une juridiction particulière et d’avantages fiscaux spéciaux ; on leur garantissait informellement des sièges au Parlement et elles étaient en dehors de la juridiction des tribunaux nationaux. Les propriétaires kurdes en retour devaient collecter les taxes pour les dirigeants britanniques.
En 1932, l’Irak accéda à l’indépendance. Tout au long des années 1950, Bagdad a réprimé les droits politiques kurdes, interdit les partis politiques nationalistes, détruit les villages kurdes, militarisé la région et imposé le repeuplement (en particulier dans les régions riches en pétrole). En 1961, les Kurdes irakiens ont commencé à se révolter contre Bagdad. Le parti Baas, arrivé au pouvoir en 1963, lança une sévère répression. Le gouvernement irakien et les dirigeants kurdes signèrent un accord de paix en 1970. Aucune des promesses (autonomie gouvernementale kurde, reconnaissance du caractère bi-national de l’Irak, représentation politique au gouvernement central, reconnaissance officielle de la langue kurde, liberté d’association et d’organisation) n’a été tenue. Au cours des années 1970, les Kurdes irakiens ont cherché à obtenir une plus grande autonomie et même une indépendance totale vis-à-vis du régime du Parti Baas ; mais en même temps, les deux principaux groupes kurdes, autour de Talabani et Barzani, s’affrontaient continuellement. Les deux groupes faisaient partie de la même classe dominante et n’ont jamais été séparés par une frontière de classe. Tous deux pourraient un jour se battre en étant soutenus l’un par le gouvernement de Téhéran et l’autre par celui de Bagdad, et inversement le lendemain. Déjà, dans les années 1960, l’Iran pesait de façon importante dans les mouvements autonomistes kurdes d’Irak. Téhéran et Bagdad avaient un conflit frontalier dans le Chatt-el-Arab et l’Iran fournissait des armes et de l’argent au groupe kurde irakien dirigé par Barzani. A la suite d’un rapprochement entre Bagdad et Moscou en 1972 et de la nationalisation de l’industrie pétrolière, les États-Unis tentèrent de se servir des Kurdes irakiens pour déstabiliser l’Irak. Lors de l’affrontement militaire de 1974-75, au nord de l’Irak, entre les troupes kurdes emmenées par Barzani et l’armée irakienne, l’aviation iranienne détruisit un avion irakien. A la suite d’un marché au sujet de la frontière entre l’Iran et l’Irak, l’Iran cessa son soutien aux Kurdes. De nouveau, une vague de répression et de déplacements forcés eut lieu. Les Peshmergas se retirèrent en Iran, des dizaines de villages kurdes furent détruits. Entre 1972 et 1982, les affrontements entre les organisations kurdes atteignirent leur sommet.
Pendant la guerre Iran-Irak (1980-88), l’Iran essaya de monter les Kurdes irakiens contre Bagdad. Ce dernier riposta en 1988 : dans le conflit contre les combattants kurdes du Patriotic Union of Kurdistan (PUK) et les troupes iraniennes en mars 1988, Bagdad ordonna le massacre des Kurdes de la ville de Halabja, où des armes chimiques furent utilisées indistinctement. Entre 1986 et 1989, les troupes et milices irakiennes ont tué entre 50 000 et 180 000 Kurdes, dont beaucoup de civils. Environ 1,5 million de personnes ont été déplacées.
Après la première Guerre du Golfe en 1991 et la victoire rapide des troupes américaines contre Saddam Hussein, les troupes kurdes espéraient plus d’indépendance. C’est dans ce processus entièrement dominé par l’impérialisme que certains groupes politiques, notablement le Groupe Communiste Internationaliste (GCI) ont vu un soulèvement “révolutionnaire” et prolétarien. Comme dans le Rojava aujourd’hui, la classe ouvrière était totalement absente et cela montre plutôt la faiblesse du GCI qui soutient des mouvements nationalistes et des pions sur l’échiquier impérialiste.(5)
Au cours de cette période, l’OTAN a mis en place des zones d’exclusion aérienne au-dessus de régions kurdes, ce qui leur a apporté une certaine protection contre Bagdad et a contraint Saddam Hussein à leur concéder une autonomie relative. Le gouvernement régional kurde a été fondé en 1992. De nouveau, entre 1994 et 1998, les groupes kurdes du nord de l’Irak se sont affrontés à plusieurs reprises, tandis que Bagdad et Ankara intervenaient aussi militairement.
Après l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, la région fut déclarée autonome avec quelques libertés de gouvernement. Cette autonomie limitée (plus importante en Irak qu’en Turquie) aurait été impensable sans l’invasion américaine de 2003. Ces structures étatiques contrôlées par les Kurdes sont toujours actives aujourd’hui.
Cent ans d’histoire des populations kurdes montrent que les Kurdes en Irak ont subi le plus de massacres et de déplacements forcés, ont été les plus coincés dans les luttes entre factions bourgeoises rivales, qui ont pris part ou ont été utilisées par Bagdad ou Téhéran. La Turquie a également utilisé l’influence kurde irakienne en Turquie pour saper la position du PKK.
Bien qu’en 1920 la Grande-Bretagne ait “arraché” un mandat en Iran à la Société des Nations, l’Iran, contrairement à l’Irak ou à la Syrie, n’était pas un “nouveau venu” dans la région. Après les convulsions de la Première Guerre mondiale, un chef de tribu kurde, Ismail Agas (alias Simko), réussit à rallier autour de lui les nationalistes kurdes du triangle formé par la Turquie, l’Iran et l’Irak. Il reçut le soutien de Kemal en Turquie et, en 1920, il combattit sous le drapeau turc avec le soutien de Kemal contre les troupes de Téhéran.(6) Jusque dans les années 1930, Téhéran s’est débrouillé pour attacher la population kurde à l’État iranien à travers les structures tribales encore très présentes en Iran. Malgré les tentatives conjointes de l’Irak, de l’Iran et de la Turquie pour réprimer les velléités nationalistes kurdes dans la région, les nationalistes kurdes ont commencé à se mobiliser dans la petite ville de Mahabad. Comme dans les autres pays, les aspirations nationalistes étaient portées surtout par les chefs tribaux, qui n’avaient aucun intérêt aux “réformes sociales”. En 1942, la Russie essaya d’infiltrer le milieu kurde en Iran. En décembre 1945, la République de Tabriz du peuple azéri était proclamée avec le soutien de la Russie. Une “République kurde” a été proclamée en janvier 1946, qui a été écrasée par Téhéran en décembre 1946, après que la Russie eût abandonné son soutien en échange de concessions pour l’exploitation du pétrole. Contrairement à d’autres pays, les Kurdes d’Iran étaient libres de publier des informations culturelles et historiques dans leur propre langue. Cependant, dans les années 1960, le régime iranien commença à supprimer de nombreux droits civils. Comme nous l’avons montré plus haut, l’Iran est intervenu à plusieurs reprises en Irak pour encourager ou “freiner” les Kurdes irakiens au gré de ses propres intérêts. Après la proclamation de la République islamique le 1er avril 1979, les milices kurdes et chiites (Pasdaran) se sont affrontées. La prééminence accordée à la religion chiite dans la Constitution iranienne est considérée comme une pierre dans le jardin de la population kurde sunnite. Le gouvernement iranien fait face depuis 2004 à une guérilla larvée de la part du Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK). Le PJAK est étroitement lié au PKK de Turquie. Face à l’existence de plusieurs groupes ethniques en Iran, Téhéran est déterminé à empêcher toute évolution des Kurdes vers un processus d’autonomie.
Ces mouvements nationalistes et ces manœuvres impérialistes sont bien souvent des loups parés de la peau de mouton des “intérêts” ouvriers ou révolutionnaires. Cette imagerie radicale adoptée par les éléments kurdes et iraniens repose en fait sur une convergence entre le stalinisme iranien et le nationalisme kurde, les deux répondant aux besoins de la bourgeoisie. Le groupe de guérilla Komala, lié au Parti Communiste d’Iran [604], s’est montré suffisamment “radical” pour tromper pendant un moment le groupe révolutionnaire Bureau International du Parti Révolutionnaire. Sur fond de près d’un siècle de tentatives ratées pour gagner plus d’autonomie ou pour créer un État kurde indépendant, le referendum tenu récemment en Irak a été organisé dans le contexte de rivalités impérialistes de plus en plus complexes et imbriquées de cette région.
Nous regarderons de plus près trois facteurs qui ont déclenché les revendications renouvelées d’indépendance dans la région, le développement en Irak, en Syrie et en Turquie même.
Enver, novembre 2017
1 Il y a entre 24 et 27 millions de Kurdes, environ : la moitié vivent en Turquie, un peu plus de 4 millions en Irak, 5 à 6 millions en Iran, autour de 1 million en Syrie ; on estime à environ 700 000 le nombre de Kurdes vivant en Europe de l’Ouest ; ils sont environ 400 000 dans l’ex-URSS.
2 Kurds in Turkey atone for their role in the Armenian genocide [605], Fréderike Geerdink, PRI.
3 Avec environ 700 000 soldats, la Turquie avait la deuxième armée de l’OTAN, après les États-Unis. Environ 300 000 soldats et membres des forces de police ont combattu dans les zones kurdes, contraignant 2500 villages à être évacués ou laissés en ruines ; environ 3 millions de Kurdes ont été déplacés. Les montagnes inhospitalières du Kurdistan sont devenues le refuge du plus grand nombre de réfugiés.
4 Sa condamnation à mort a été commuée en prison à vie en 2002.
5 A lire sur le site internet du CCI : Comment le Groupe Communiste Internationaliste crache sur l'internationalisme prolétarien [606] (2007).
6 Simko était un chef de tribu et n’avait aucune sympathie pour la culture et la population urbaines. Il a été assassiné en Iran en 1924.
Nous publions ci-dessous la deuxième partie de notre article sur le nationalisme kurde.
Nous avons montré dans d’autres articles comment toute la spirale du chaos impérialiste avait été déclenchée dans les années 1980, suite à l’effondrement du régime du Shah en 1979 qui, jusque-là, avait été avec la Turquie un poste avancé du bloc de l’Ouest contre la Russie. Les États-Unis ont réagi entre autres en encourageant la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988), ce qui a conduit à des tensions croissantes entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Au Proche-Orient, dès les années 1980, les conflits n’étaient plus marqués par la confrontation entre les deux blocs, mais exprimaient de plus en plus une plongée dans le “chacun pour soi” impérialiste. Du Liban dans les années 1980 à l’Afghanistan, plusieurs zones de conflit ont émergé, où la guérilla locale et les forces terroristes combattaient la Russie impérialiste (avec le soutien des États-Unis) ou contre les États-Unis avec le soutien de l’Iran. Des conflits et des fronts ont émergé dans lesquels les rivaux régionaux et les terroristes sont devenus actifs avec le soutien d’autres États. La tentative initiale de la politique américaine de “combattre les flammes de la guerre avec la guerre” a mis de l’huile sur le feu au lieu d’éteindre l’incendie.
A l’époque de la première Guerre du Golfe en 1991, les États-Unis voulaient et sont parvenus à éviter une partition de l’Irak, même au prix de laisser le pouvoir à Saddam Hussein. Lors de la seconde Guerre du Golfe en 2003, les États-Unis ont prétendu que Saddam avait acquis l’arme nucléaire. Après la rapide victoire américaine et l’élimination de Saddam Hussein, il y eu un profond remaniement du pouvoir.
Après l’occupation de l’Irak, les Américains ont imposé une administration directe et ils ont désarmé la plupart des partisans de Saddam Hussein. Beaucoup appartenaient à l’armée et à la police et ont joué un rôle-clé dans la formation de l’État islamiste (EI). Au lieu de les intégrer dans l’appareil répressif qu’ils mettaient en place, les Américains les ont exclus et ont ainsi fait germer ce qui est devenu l’EI.
Le clan à dominante sunnite autour de Saddam a été évincé et remplacé par des gouvernements dirigés par les Chiites, qui à leur tour, ont favorisé l’accroissement de l’influence iranienne en Irak. En outre, une politique répressive contre la population sunnite a aiguisé la division au sein de la population irakienne, facteur supplémentaire qui a conduit beaucoup de gens dans les bras de l’EI. Au même moment, les Kurdes au nord de l’Irak se voyaient accorder une sorte de relation privilégiée avec Bagdad, alors que la violence terroriste se répandait partout en Irak.
Quand l’EI a conquis de vastes zones de l’Irak en juillet 2014, en particulier la deuxième plus grande ville d’Irak, Mossoul, les peshmergas kurdes, qui agissaient plus ou moins comme une force d’État dans le nord de l’Irak, ont été les premiers à se mobiliser contre lui, alors que de larges pans de l’armée irakienne s’étaient enfuis. Les Américains et d’autres États occidentaux ont accru leur soutien militaire à la fois à Bagdad et aux peshmergas kurdes.(1) En bref, les Américains (et autres pays occidentaux) ont fourni des armes et une formation militaire. Principalement, les avions américains ont bombardé les positions de l’EI, pendant que les peshmergas servaient de chair à canon.(2) Ni les États-Unis, ni aucune autre puissance occidentale ne voulait engager un grand nombre de soldats sur le terrain à cause des fiascos antérieurs en Afghanistan et en Irak et à cause de l’impopularité généralisée de la guerre.
L’échec global des États-Unis à stabiliser la situation en Irak (et en Afghanistan) a permis la résurgence des ambitions nationalistes kurdes en Irak. La nécessité pour la coalition menée par les États-Unis de soutenir et d’armer les peshmergas kurdes a conduit ces derniers à entrer en conflit avec tous les gouvernements de la région.
La guerre en Syrie qui a débuté en 2011 est devenue un autre facteur nourrissant les ambitions kurdes. La stratégie turque visant à accroître son influence dans la région nécessitait des liens plus forts avec la Syrie. Jusqu’en 2011, la Syrie et la Turquie avaient réussi à améliorer leurs relations. Mais peu de temps après les débuts de la guerre en Syrie, Assad, de plus en plus assiégé, réagit en faisant un geste stratégique astucieux : l’armée syrienne a “abandonné” en 2012 le territoire kurde en Syrie aux Kurdes, sachant que cela mettrait la Turquie sous pression pour contrecarrer toute avancée kurde. Au même moment, la Turquie tolérait les “éclaireurs” de l’EI qui géraient des agences de recrutement en Turquie, Erdogan voulant tirer les marrons du feu de la lutte de l’EI contre les Kurdes en Syrie. A cause des pressions occidentales, et suite à la publication par des journalistes de la tolérance secrète des Turcs envers la contrebande d’armes ou la révélation selon laquelle les agences d’État turques les livraient directement et facilitaient le passage de terroristes de Turquie vers la Syrie, Erdogan a été contraint de proclamer son opposition à Assad et à s’engager dans un combat déterminé contre l’EI. En rétorsion, l’EI a commencé à viser des cibles en Turquie, là même où auparavant cette organisation avait bénéficié d’une totale “liberté de mouvement”.
En même temps, plus l’EI conquérait du territoire en Irak et en Syrie, plus les Kurdes commençaient à gagner de l’importance comme outil des puissances occidentales intervenant d’une manière ou d’une autre en Irak et en Syrie. Vers la fin de l’année 2013, les Kurdes syriens avaient réussi à établir une “zone libre” (libre du contrôle d’Assad ainsi que de l’EI), appelée Région autonome du Rojava. Quand les forces de l’EI ont commencé à assiéger la ville frontalière de Kobane, dominée par les Kurdes, le 15 septembre 2014, la détermination de la Turquie à empêcher la marche vers l’autonomie kurde ne laissait aucun doute quant aux priorités turques. Bien que l’armée turque ait été présente en force le long de la frontière turque à portée de Kobane, l’armée turque n’est pas intervenue pour protéger les Kurdes contre l’EI. Ce n’est qu’après les intenses bombardements américains et le nombre important de victimes kurdes, tant civiles que militaires, que l’EI a été défait à Kobane en février 2015, par les YPG, le PKK d’autres milices et des peshmergas kurdes du nord de l’Irak. Cet épisode illustre le sort des Kurdes : leur ville, Kobane, dans les mains kurdes, mais en ruines, et les forces kurdes, entièrement dépendantes du soutien américain contre une Turquie impitoyablement déterminée. Pour les Kurdes de Syrie, la question est maintenant de savoir comment les États-Unis se positionneront à leur égard, car sans assistance militaire en leur faveur, ils ne pourront pas tenir. Kobane et l’idée d’une “révolution du Rojava” posent beaucoup de problèmes au milieu anarchiste [607] aujourd’hui, liés au tournant “libertaire” du PKK.
Afin de “contenir” et d’attaquer les enclaves kurdes sur le territoire syrien, la Turquie a commencé à occuper des parties du territoire syrien occidental entre août 2016 et mars 2017 (opération “Bouclier de l’Euphrate”). Ces opérations militaires turques vont à l’encontre des intérêts d’Assad, de la Russie et de l’Iran. En réponse, malgré l’amélioration des liens entre la Russie et la Turquie, la Russie a offert une sorte de “protection” aux Kurdes, afin d’éviter qu’ils ne soient anéantis par l’armée turque et afin de défendre les intérêts d’Assad.
En Syrie occidentale, les troupes russes se sont déplacées dans une autre zone située le long de la frontière syro-turque, faisant barrage aux forces turques et américaines dans la région. En août 2017, les Unités de Protection du Peuple kurde (YPG), ont conclu un accord avec les forces russes, visant à fournir un tampon entre elles et les troupes turques dans et autour de la ville d’Afrin au nord-ouest de la Syrie. Le fait que l’armée turque, dans sa détermination à éliminer les enclaves kurdes, “se débrouille seule”, contre les intérêts de tous les autres requins de la région, a également renforcé les zones de frictions entre les États-Unis et la Turquie.(3) Certains groupes kurdes en Syrie sont devenus méfiants vis-à-vis des plans de la coalition dirigée par les États-Unis.
La phase suivante du conflit a commencé (celle de poser les revendications), maintenant que le “califat” de l’EI a été éradiqué de la région et sera juste capable de lancer des attaques terroristes ici et là sans aucun contrôle sur le territoire. Alors que les États-Unis ont encore besoin des Kurdes comme chair à canon pour lutter contre ce qui reste de l’EI dans la région, après l’expulsion de l’EI de l’Irak, les Kurdes d’Irak ont estimé que le moment était venu de proclamer leur indépendance.
Enver, novembre 2017
1 En Syrie, le plus grand parti kurde est le Parti de l’Union démocratique (PYD) ; son bras militaire est les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de défense des femmes (YPJ). À l’automne 2015, les unités de défense kurdes ont conclu une alliance avec d’autres milices dans les Forces démocratiques syriennes (SDF). La branche militaire du PKK est HPG.
2 L’Allemagne a formé quelques 14 000 combattants peshmergas. L’Allemagne a également livré environ 32 000 armes de petit calibre, 20 000 grenades à main et beaucoup d’autres armes. Les États-Unis ont payé directement les “salaires” de 36 000 peshmergas. Ceux-ci ont alors commencé à devenir les mercenaires de différents impérialismes, américain et autres. Les avions britanniques Tornado ont soutenu des combattants kurdes et la Grande-Bretagne leur a fourni des missiles antichars, des radars et d’autres équipements militaires ainsi que des “conseillers” et des forces spéciales britanniques. Selon Downing Street, tout cela est fait pour des raisons “humanitaires” (Daily Mail, du 15 août 2014).
3 Les premiers échanges de tirs ont eu lieu entre les troupes américaines et les troupes soutenues par la Turquie près de Manbij en Syrie, qui a été un point focal pour les tensions latentes entre les factions soutenues par les États-Unis et la Turquie.
“Mon objectif est simple, c’est la compréhension totale de l’Univers, comprendre pourquoi il est comme il est et pourquoi il existe”. Le célèbre astrophysicien Stephen Hawking est mort le 14 mars à l’âge de 76 ans à Cambridge. Il était l’un des plus grands spécialistes des trous noirs. Au-delà de ses découvertes théoriques, de l’explication de l’existence même des trous noirs, qui laissait pourtant sceptique la communauté scientifique jusque dans les années 1960, aux “radiations de Hawking” (selon cette hypothèse, les trous noirs émettraient un rayonnement de corps noir), ce cosmologiste est aussi devenu mondialement célèbre en rendant accessible au plus grand nombre les mystères scientifiques de l’univers. Son ouvrage publié en 1988, Une brève histoire du temps, est un best-seller qui ravit encore aujourd’hui tous ceux qui veulent essayer de comprendre la beauté de la voie lactée.
Mais Stephen Hawking, c’est aussi cet être qui combattit dès l’âge de 21 ans une sclérose latérale amyotrophique (SLA [608]), une terrible maladie qui conduit, en général, à une paralysie complète et à la mort en seulement quelques années. Cette maladie a pourtant joué un rôle immense dans sa façon de percevoir le monde et sa place dans l’humanité. Dans son autobiographie publiée en 2013, La brève histoire de ma vie, il nous raconte : “Sans savoir ce qui allait m’arriver, ni à quelle vitesse la maladie risquait de progresser, j’étais désemparé. Les médecins me dirent de retourner à Cambridge et de poursuivre les recherches que je venais de commencer sur la relativité générale et la cosmologie. Mais je ne progressais pas, faute d’avoir les bases mathématiques suffisantes ; de toutes façons j’avais du mal à me concentrer alors que je ne vivrais peut-être pas assez longtemps pour finir ma thèse. J’avais l’impression d’être un personnage de tragédie. Je me suis mis à écouter du Wagner (…) ; à l’époque, mon sommeil était passablement perturbé. Avant qu’un diagnostic ait été prononcé sur mon état, la vie me paraissait d’un ennui profond, et rien ne semblait valoir la peine. Mais peu après ma sortie de l’hôpital, j’ai rêvé que j’allais être exécuté. Soudain, je compris qu’il y avait bien des choses intéressantes à faire avant de mourir. Un autre rêve se manifestait de façon récurrente : je sacrifiais ma vie pour sauver les autres. Après tout, puisque ma vie allait prendre fin à un moment ou à un autre, autant la consacrer à faire le bien.” Stephen Hawking nous dit une chose fondamentale. A 21 ans, les médecins ne lui donnaient que quelques années à vivre, au mieux. Il aurait pu alors brûler la chandelle par les deux bouts en ne pensant qu’à lui et à l’instant présent ; c’est d’ailleurs plutôt ainsi qu’il vivait quand il était un étudiant en bonne santé. Il choisit néanmoins une autre voie : celle de se raccrocher à un ensemble bien plus vaste, l’humanité et son avenir : “Autant se consacrer à faire le bien”. Pour lui, ce bien était de participer au développement général de la connaissance du monde et de la science.
En conclusion de son autobiographie, il explique l’épanouissent moral et intellectuel que lui a procuré ce sentiment d’être l’un des maillons d’une longue chaîne, d’avoir contribué du mieux de ses capacités au bien de tous : “Quand j’ai contracté la maladie de Charcot ou SLA, j’ai trouvé cela très injuste. Pourquoi moi ? A l’époque, je croyais que ma vie était finie et que je ne pourrai jamais exploiter tout le potentiel que je pensais avoir en moi. Mais maintenant, cinquante ans après, je peux être satisfait de ma vie. (…) J’ai beaucoup voyagé. Je suis allé sept fois en Union soviétique. (…) Je suis également allé six fois au Japon, trois fois en Chine, et j’ai visité tous les continents, y compris l’Antarctique, à l’exception de l’Australie. (…) Mes premiers travaux ont prouvé que la relativité générale classique ne marchait pas pour les singularités du Big Bang et des trous noirs. Par la suite, j’ai montré que la théorie quantique était capable de décrire ce qui se passe au début et à la fin du temps. Quelle expérience formidable cela a été que de vivre et de faire de la recherche en physique théorique ! Je suis heureux si j’ai pu contribuer à notre compréhension de l’Univers”.
Aujourd’hui, l’ensemble de l’humanité semble frappé d’un mal profond et potentiellement mortel : elle ne croit plus en son avenir. Plus exactement, la classe ouvrière a oublié qui elle était, ce dont elle était capable, la perspective d’un autre monde dont elle est porteuse. Cette perspective reste enfermée dans le présent, où le chacun pour soi, l’irrationnel et les peurs affectent les cerveaux chaque jour un peu plus. L’état d’esprit de Stephen Hawking doivent être source d’inspiration : même confronté au pire, à la mort imminente (croyait-il) dans d’atroces souffrances, il rejeta l’illusion de l’égoïsme de l’instant présent pour se projeter dans le vaste avenir de l’humanité par la recherche scientifique.
Il reste néanmoins aujourd’hui nécessaire d'aller bien au-delà de démarches individuelles. Si la science porte en elle potentiellement cette dimension de “faire le bien” commun, il revient au prolétariat, comme classe révolutionnaire, organisée, solidaire et consciente, l’immense tâche de faire sortir l’humanité de sa préhistoire en la libérant des chaînes du joug de l’exploitation capitaliste. Quelles que soient les plus grandes découvertes scientifiques à l’avenir, seul la victoire internationale du prolétariat permettra l’épanouissement du genre humain.
Sosso, 18 mars 2018
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Dans les EHPAD, les hôpitaux, à Air France, à Carrefour, chez les éboueurs, dans les Universités, chez les cheminots… les journées de grève se multiplient depuis plusieurs semaines. Il faut dire que le président Macron et son gouvernement frappent fort. Hier la “loi travail”, aujourd’hui la réforme de la SNCF, demain une nouvelle attaque généralisée contre le régime des retraites. Partout et pour tous les travailleurs et leur famille : baisse des salaires et des prestations sociales, suppressions de postes et augmentation des cadences, flexibilité et précarité, paupérisation des retraités et chasse aux chômeurs.
TOUTE LA CLASSE OUVRIERE EST ATTAQUÉE !
Comment faire face à cette nouvelle dégradation de nos conditions de vie ? comment nous organiser ? Comment développer notre unité et notre solidarité ?
Ces 15 dernières années, la seule fois où la classe dominante, son gouvernement et son État démocratique ont vraiment reculé, c’était lors du mouvement contre le CPE (1) au printemps 2006. Pourquoi ? Ce mouvement social, initié par les étudiants conscients d’être de futurs travailleurs précaires, s’est développé de manière spontanée en plaçant au centre de ses mobilisations la solidarité entre les générations ouvrières. La jeunesse précarisée y a redécouvert l’importance vitale des Assemblées Générales souveraines et autonomes. Grâce à ses débats très animés, elle a pris conscience que son combat n’était pas un combat particulier mais qu’il appartenait à toute la classe ouvrière. C’est pourquoi les étudiants en lutte ont ouvert leurs AG aux lycéens, aux chômeurs, aux travailleurs et aux retraités. A chaque manifestation, les cortèges étaient ainsi plus imposants. A chaque manifestation, d’autres secteurs de la classe ouvrière rejoignaient le combat. Les slogans qui fleurissaient alors étaient révélateurs de cette recherche de l’unité : “Jeunes lardons, vieux croûtons, la même salade” ; “Étudiants, lycéens, chômeurs, travailleurs précaires, du public et du privé, même combat contre le chômage et la précarité !” Le mouvement des étudiants contre la précarité commençait à gagner les travailleurs du secteur privé, obligeant le gouvernement Villepin à retirer le CPE.
Voilà ce qui a fait peur à la bourgeoisie en 2006 : l’extension de la lutte et la solidarité de toute la classe ouvrière, toutes générations confondues. Cette dynamique de prise en main de la lutte par les étudiants (obligés pour la plupart de faire des petits boulots pour survivre et financer leurs études), le développement de la solidarité, les assemblées générales massives, les mots d’ordre mettant en avant l’unité de toute la classe ouvrière, la contestation des syndicats… voilà ce qui fait la force de la classe exploitée.
Le mouvement social actuel s’inspire-t-il de cette victoire de 2006, de ce qui a fait notre force, notre unité dans la lutte ? En apparence, on veut nous le faire croire. Les assemblées générales des cheminots dans les gares sont médiatisées. Les syndicats se présentent “unis”, “combatifs” et même “imaginatifs” (la trouvaille de la grève “perlée” !). On nous promet la victoire, voire un nouveau “Mai 68" !
Est-ce la réalité ? Non ! Parce que derrière la façade de “l’unité syndicale” se cachent les pires divisions corporatistes et sectorielles : les grèves sont isolées les unes des autres ; chaque secteur met en avant “ses” mots d’ordre particuliers, ses propres journées d’action.
Parce que derrière “l’inventivité syndicale” de la grève “perlée” se cache le poison de la division : le but recherché par les syndicats est de rendre cette grève de cheminots impopulaire, de monter les travailleurs les uns contre les autres, d’exaspérer à terme ceux qui ne peuvent pas se rendre à leur travail ou rentrer chez eux le soir “à cause de la grève des cheminots”. C’est une vieille tactique qu’on connaît bien et qui vise uniquement à empêcher toute expression de solidarité avec les grévistes qui “foutent le bordel” (comme le disait si bien le président Macron, peu de temps après son arrivée au pouvoir et qui persiste et signe en déclarant aujourd’hui “Il faut cesser de prendre les gens en otage !”).
Parce que derrière les “caisses de solidarité” mises en place par les syndicats se cache une attaque contre la solidarité réelle des travailleurs : la solidarité active dans la lutte est remplacée par un soutien platonique “par procuration” en vue d’une grève “perlée” longue.
Enfin, parce que derrière “la combativité syndicale” se cache en réalité un mouvement impuissant et épuisant : totalement isolés du reste de leur classe, les cheminots risquent de subir d’importantes pertes de salaire et surtout la démoralisation liée à la défaite.
Face au mécontentement social grandissant, la bourgeoisie a isolé un secteur clé et symbolique, celui des cheminots, pour lui imposer encore une fois une défaite visible par tous et ainsi propager son message : lutter ne sert à rien. La lutte ne paie pas.
Il s’agit là d’un piège maintes fois utilisé pour diviser les travailleurs par secteurs, par corporations et épuiser leur combativité pour faire passer les attaques et autres “réformes” du gouvernement et du patronat.
Souvenons-nous de la grève des cheminots en 1986-87. Après plusieurs semaines de paralysie des transports, les ouvriers isolés et enfermés dans leur “secteur” par les syndicats ont repris le travail sans avoir rien obtenu.
Rappelons-nous les grèves et manifestations de 2003 dans le secteur de l’Education Nationale. Pendant plusieurs longues semaines, les enseignants se sont battus. Mais cette mobilisation, au lieu d’être une locomotive pour une lutte plus globale, est restée totalement isolée du fait de son très fort encadrement syndical. Une cuisante défaite s’en est suivie, ce qui a permis au gouvernement Raffarin d’affirmer cyniquement : “Ce n’est pas la rue qui gouverne !”
Cette même stratégie avait été utilisée en 2010-2011 : tout le secteur public avait été soigneusement coupé du privé grâce au sale travail des syndicats. Durant des mois, les cortèges syndicaux, forts parfois de plusieurs centaines de milliers de manifestants, se sont succédé. Véritables défilés stériles et impuissants face auxquels le président Sarkozy avait pu souligner que le pouvoir n’était pas dans la rue (en ne se privant pas de rappeler également qu’il fallait “en finir avec l’esprit de 68” !).
Aujourd’hui, c’est le même piège qui nous est tendu. Ce que veut la classe dominante c’est empêcher le très fort mécontentement social contre les “réformes” de Macron d’exploser. Ce qu’elle vise, c’est étouffer dans l’œuf cette colère pour pouvoir faire passer toutes les réformes et attaques planifiées dans la feuille de route du président Macron.
Il doit être clair que confier notre lutte aux syndicats, ne peut que nous conduire vers la défaite. Nous devons discuter et réfléchir au sale travail des syndicats, ces diviseurs professionnels qui s’unissent contre nous en utilisant aujourd’hui la colère légitime des cheminots. Nous devons dénoncer leur pratique anti-ouvrière, leur duplicité et complicité avec le gouvernement et le patronat.
La grève “perlée” que les grandes centrales syndicales comme la CGT, CFDT, FO ont organisée (en “négociant” dans le dos des travailleurs, dans le secret des cabinets ministériels) ne permet pas de développer la lutte. Bien au contraire, elle vise à la saboter ! La grève “reconductible”, isolée et “illimitée”, préconisée par SUD-Rail, est tout aussi néfaste. Elle nous coupe de toute solidarité en empêchant l’unification de notre combat. La fameuse “convergences des luttes”, chère au syndicalisme “radical”, n’est qu’une variante du corporatisme pour nous maintenir isolés les uns des autres. Cette idée de “convergence”, mise en pratique dans certains cortèges qui se rejoignent par une simple juxtaposition, s’oppose radicalement à la nécessaire unification des luttes. L’unification, signifie combat unitaire, par-delà les secteurs, brisant toutes les barrières édifiées par les syndicats. Cette unification des luttes passent nécessairement par les Assemblées Générales massives où tout le monde peut participer, sur les lieux de travail, dans la rue, sur les places publiques, dans les quartiers, dans les universités.
Contrairement à ce que veulent faire croire les syndicats et toute la bourgeoise, la classe ouvrière est parfaitement capable de prendre elle-même ses luttes en main sans avoir à la confier à des “spécialistes”. Toutes les grandes expériences du passé en sont la preuve… En Mai 1968, les ouvriers avaient été capables de lutter massivement, spontanément, en s’opposant aux syndicats et en déchirant leur carte syndicale. Les étudiants qui ont organisé le mouvement massif contre le CPE en 2006 n’ont pas laissé les syndicats leur confisquer leur lutte. En Pologne en août 1980, les ouvriers des chantiers navals de Gdansk ont été capables de développer une grève de masse qui s’est étendue à tout le pays, sans aucun syndicat, avec des délégués élus et révocables à tout moment par les Assemblées Générales. Seule la classe ouvrière peut défendre elle-même ses propres intérêts contre ses exploiteurs.
Aujourd’hui, face à cette nouvelle manœuvre de la bourgeoisie et de ses syndicats pour saboter toute velléité de lutte et toute réflexion sur les expériences du passé, non seulement en France mais aussi dans d’autres pays, les ouvriers les plus combatifs et conscients doivent chercher à se rassembler. Ils doivent discuter, réfléchir ensemble à la situation de plus en plus dramatique que nous impose le capitalisme. Cela quelle que soit la clique au pouvoir. Quel avenir ce système d’exploitation peut-il offrir aux ouvriers et à leurs enfants ? Rien d’autre qu’une misère croissante et une barbarie sans fin. Comment peut-on lutter non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les générations futures ?
Autant de questions qui ne peuvent trouver de réponse pratique que dans la discussion et la réflexion collective.
Le seul avenir possible pour la société est entre les mains de la classe ouvrière, une classe qui n’a rien à perdre que ses chaînes et un monde à gagner.
Révolution Internationale, section du CCI en France, 19 avril 2018
1 Contrat Première Embauche, rebaptisé par certains étudiants “Contrat Poubelle Embauche”.
En raison de la manifestation du 26 mai, l'horaire de notre réunion publique du même jour à Paris est modifié. Nous invitons les participants à rejoindre notre intervention sur la manifestation avant la réunion publique qui commencera à 18h.
Lors de celle-ci, une petite restauration sera offerte.
Dans l’État et la Révolution, Lénine écrivait : “Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de “consoler” les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire”. Effectivement, du vivant de Marx, la bourgeoisie a tout fait pour l’empêcher d’agir en le diabolisant, en le persécutant de son arsenal policier.(1) Après sa mort, elle a tout fait pour dénaturer son combat pour détruire le capitalisme et permettre l’avènement du communisme.
L’ensemble des publications, des émissions de radio ou de télévision, produites à l’occasion du 200e anniversaire de la naissance de Marx, ne dérogent pas à la règle. De nombreux universitaires saluent désormais les apports de Marx à l’économie, à la philosophie ou à la sociologie, tout en le présentant comme un penseur “hors de la réalité”, totalement “dépassé” ou qui se serait complètement trompé sur le terrain politique : il ne s’agit ni plus ni moins que d’émousser son “tranchant révolutionnaire” et militant ! Un des arguments mis en avant aujourd’hui est le fait que Marx ne serait qu’un “penseur du XIXe siècle”,(2) son œuvre ne permettrait donc pas de comprendre l’évolution ultérieure des XXe et XXIe siècles. Une perspective révolutionnaire n’aurait donc, aujourd’hui, aucune validité. La classe ouvrière n’existerait d’ailleurs plus et son projet politique ne pourrait mener qu’à l’horreur stalinienne. Tout l’aspect politique de l’œuvre de Marx serait finalement à jeter aux poubelles de l’histoire.
Mais un volet plus subtil de cette propagande affirme qu’il faudrait piocher chez le Marx, le Marx “actuel”, ce qui pourrait en fin de compte valider la défense de la démocratie, du libéralisme et la critique de l’aliénation. Au fond, il s’agirait de comprendre Marx, non comme le militant révolutionnaire qu’il était, mais comme un penseur dont certain aspects de l’œuvre permettraient de “comprendre” et d’améliorer un capitalisme qui, livré à lui-même, “non régulé” par le contrôle de l’État, engendrerait des inégalités et des crises économiques. Au sein de la bourgeoisie, la plupart préfèrent ainsi récupérer Marx en le présentant comme un “économiste de génie”, qui aurait pressenti les crises du capitalisme, qui aurait prédit la mondialisation, l’accroissement des inégalités, etc.
Parmi les thuriféraires de Marx, nombreux aussi sont ses soi-disant héritiers qui, depuis un siècle, des staliniens aux gauchistes, y compris les trotskistes, n’ont cessé, dans le même sens, de défigurer, de dénaturer, de salir le révolutionnaire Marx en le transformant, comme le dénonçait justement par avance Lénine, en icône quasi-religieuse, en le canonisant, en lui dressant des statues. Tout cela, pour présenter mensongèrement, comme du socialisme ou du communisme, la poursuite de la domination du capitalisme dans sa période de décadence, à travers une défense particulière et inconditionnelle de la forme prise par la contre-révolution, celle de la domination du capitalisme d’État selon le modèle édifié en URSS, dans les pays de l’ex-bloc de l’Est ou la Chine.
Avant tout, il est nécessaire de dire avec Engels que Marx était d’abord un révolutionnaire, c’est-à-dire un combattant. Son travail théorique est incompréhensible sans ce point de départ. Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde, mais seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Dès sa participation au groupe des jeunes hégéliens à Berlin en 1842, la vie de Marx est un combat contre l’absolutisme prussien. Ce combat devient un combat pour le communisme lorsqu’il chercha à comprendre les causes de la misère d’une partie considérable de la société et qu’il ressentit avec les ouvriers parisiens les potentialités que recèle la classe ouvrière. C’est ce combat qui fit de lui un exilé chassé d’un pays à l’autre et qui le poussa dans une misère qui causa notamment la mort de son fils. Il est, à ce propos, véritablement obscène d’attribuer, comme l’a laissé entendre une émission d’Arte, la misère de Marx au fait que ni lui ni sa femme ne savaient gérer le budget familial parce qu’ils étaient originaires de couches sociales aisées. En réalité, tout imprégné de la solidarité prolétarienne, Marx usait régulièrement de ses faibles revenus pour les besoins de la cause révolutionnaire !
Par ailleurs, et contrairement à ce que dit Jonathan Sperber, Marx n’est pas un “journaliste”, mais un militant qui savait que le combat, d’abord contre la monarchie autoritaire prussienne, puis contre la bourgeoisie, exige un travail de propagande qu’il assumera dans La Gazette Rhénane, puis dans La Gazette allemande de Bruxelles et Les Annales franco-allemandes, enfin dans La Nouvelle Gazette Rhénane. Comme combattant, Marx s’investit dans le combat de la Ligue des Communistes et répondit à un mandat donné par la Ligue pour l’écriture d’un texte majeur du mouvement ouvrier : le Manifeste du Parti communiste. C’est aussi parce qu’il est un lutteur (comme l’indique le titre de la biographie réalisée par Nicolaïveski et Maechen-Helfen) que la préoccupation du regroupement des révolutionnaires et de leur organisation sera au cœur de son activité. De la même manière, l’ensemble de son œuvre théorique a pour moteur le combat au sein de la classe ouvrière.
Marx a pu développer une immense élaboration théorique car il est parti du point de vue la classe ouvrière, classe n’ayant rien à défendre dans le capitalisme et n’ayant “à perdre que ses chaînes” par sa lutte contre son exploitation. C’est en partant de ce postulat qu’il a compris que ce combat contenait potentiellement la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme dans laquelle l’humanité se débat depuis l’apparition des classes sociales et que la libération de la classe ouvrière permettrait l’avènement de l’humanité réunifiée, c’est-à-dire dire du communisme. Lorsque Jacques Attali affirme que Marx est un “père fondateur de la démocratie moderne”, il n’est qu’un falsificateur au service de la bourgeoisie qui nous présente la société actuelle comme la meilleure qui soit. Le but de cette propagande est d’empêcher la classe ouvrière de comprendre que la seule perspective possible pour sortir de l’horreur du capitalisme agonisant est le communisme.
C’est aussi en partant des besoins de la classe ouvrière que Marx a établi une méthode scientifique, le matérialisme historique, permettant à la classe ouvrière d’orienter son combat. Cette méthode critique et dépasse la philosophie de Hegel, tout en remettant “sur ses pieds” ce qu’avait découvert ce dernier, à savoir que la transformation de la réalité est toujours un processus dialectique. Cette méthode lui a permis de tirer les leçons des grandes luttes de la classe ouvrière comme celles de 1848 et de la Commune de Paris. Sa transmission aux générations suivantes de révolutionnaires, comme à celles de la Gauche Communiste, a également permis de tirer les leçons de l’échec de la vague révolutionnaire de 1917. La démarche de Marx est vivante : c’est en examinant la réalité avec sa méthode et en la confrontant aux résultats obtenus que les révolutionnaires peuvent enrichir la théorie.
En partant du point de vue de la classe ouvrière, il a également pu saisir qu’il était essentiel de comprendre contre quoi la classe ouvrière se bat et ce qu’elle doit détruire pour se libérer de ses chaînes. Il s’est donc engagé dans l’étude des fondements économiques de la société pour en faire la critique. Cette étude lui a permis de montrer que le fondement du capitalisme est l’échange marchand et que c’est l’échange qui est à la base du rapport salarial, c’est-à-dire du rapport d’exploitation de l’homme par l’homme dans le capitalisme. Il est intéressant de comparer ce résultat fondamental avec ce qu’en fait Libération dans sa célébration de l’anniversaire de sa naissance : Karl Marx “montre que l’achat de la force de travail par le capitaliste pose un problème d’incertitude quant à la réalité de l’effort fourni par les salariés” ; en d’autres termes, si on pouvait mesurer le travail de l’ouvrier pour que son effort soit supportable, l’exploitation de l’homme par l’homme serait une bonne chose ; voilà un bon exemple de la façon dont Marx est utilisé pour justifier le capitalisme ! Cela, alors que pour Marx “l’achat de la force de travail” signifie “production de plus-value” et donc exploitation !
C’est aussi à travers l’aspect profondément militant de ses travaux théoriques que Marx a pu dégager, d’une part que le capitalisme n’est pas éternel et que, comme les modes de production qui l’ont précédé, ce système rencontre des limites et entre historiquement en crise car “à un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une période de révolution sociale” (Contribution à une Critique de l’économie politique). D’autre part, Marx démontre que le capitalisme produit son propre fossoyeur : le prolétariat, qui est à la fois la dernière classe exploitée de l’histoire, dépossédée de tout et la seule classe sociale potentiellement révolutionnaire par la nature associée et solidaire de son travail, une classe qui, en s’unissant au-delà des frontières, est la seule force capable de renverser le capitalisme au niveau mondial pour établir une société sans classes et sans exploitation.
En fin de compte, les “grandes analyses” du XXe et du XXIe siècle qui prétendent, en restant à la surface des événements, soit que la pensée de Marx est dépassée, soit qu’elle est toujours d’actualité parce qu’elle serait “économiste”, celle d’un “précurseur génial” des théories altermondialistes actuelles pour “corriger les excès” du capitalisme, n’ont pour but que de masquer la nécessité de la lutte pour la révolution prolétarienne.
L’identification de la classe ouvrière comme le seul acteur ayant la possibilité de renverser le capitalisme et permettre l’avènement du communisme allait de pair, pour Karl Marx, avec la nécessité pour le prolétariat de s’organiser. Sur ce plan, comme sur les autres, la contribution de Marx est essentielle. Dès 1846, il s’investit dans un “comité de correspondance” afin de mettre en rapport des socialistes allemands, français et anglais parce que, selon ses propres mots, “au moment de l’action, il est certainement d’un grand intérêt, pour chacun, d’être instruit de l’état des affaires à l’étranger aussi bien que chez lui”. La nécessité de s’organiser va se concrétiser dans sa participation constante aux luttes pour la constitution et la défense d’une organisation révolutionnaire internationale au sein du prolétariat. La lutte pour le communisme et la plus profonde compréhension de ce représentera cette lutte le poussera à mener le combat pour la transformation de la Ligue des Justes en Ligue des Communistes en 1847, ainsi qu’à la clarification du rôle que cette organisation devait jouer au sein de la classe ouvrière. C’est parce qu’ils avaient une conscience aiguë de ce rôle que Marx et Engels défendront la nécessité d’un programme au sein de la Ligue des Communistes, ce qui aboutira à l’écriture du Manifeste du Parti Communiste en 1848.
La Ligue des Communistes ne résistera pas aux coups de la répression après la défaite des révolutions de 1848. Mais dès que les luttes reprendront au début des années 1860, d’autres efforts d’organisation vont se manifester. Marx va s’investir, dès ses débuts, dans l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) en 1864. Il aura un rôle majeur dans la rédaction de ses statuts et sera l’auteur de l’Adresse inaugurale. Sa conviction sur l’importance de l’AIT et sa clarté théorique vont faire de lui la personne centrale de l’organisation. Tant dans la Ligue des Communistes que dans l’AIT, il mena une lutte déterminée pour que ces organisations assument leur fonction. Ses préoccupations théoriques n’ont jamais été séparées des besoins de la lutte. C’est pour ces raisons que, dans la Ligue des Communistes, il s’exclamera face à Weitling “Jusqu’à présent, l’ignorance n’a servi à personne” parce que ce dernier prônait une vision utopiste et idéaliste du communisme. C’est aussi pour cela qu’il luttera au sein de l’AIT contre Mazzini qui voulait que l’organisation ait pour objectif la défense d’intérêts nationaux et contre Bakounine qui complotait pour prendre le contrôle de l’AIT et l’entraîner dans des aventures conspiratives se substituant à l’action de masse du prolétariat.
L’élaboration théorique réalisée par Marx est une formidable lumière éclairant la société bourgeoise tant au XIXe siècle que dans les deux siècles suivants. Mais si on considère cette élaboration uniquement comme “compréhension du monde” à l’instar de tous les pseudo-experts de la bourgeoisie qui célèbrent cette année sa naissance, son œuvre restera entourée d’un halo de mystère. Au contraire, alors que la bourgeoisie cultive le no future, la classe ouvrière doit se libérer de ses chaînes. Pour cela, elle doit non seulement se servir des découvertes théoriques de Marx, mais s’inspirer de sa vie de lutteur, de militant. Les moyens qu’il a su développer étaient toujours en plein accord avec le but même de la lutte prolétarienne : “transformer” le monde !
Vitaz, 15 juin 2018
1 Ainsi, Engels a déclaré lors des funérailles de Marx : “Marx était l’homme le plus haï et le plus calomnié de son temps. Les gouvernements absolutistes ou républicains l’ont déporté. Bourgeois, conservateurs ou démocrates se sont unis contre lui”.
2 Notamment dans la récente biographie de l’universitaire américain Jonathan Sperber, qui a bénéficié d’une large promotion dans les médias, précisément intitulée Karl Marx, homme du XIXe siècle.
Face au torrent de “célébrations” sur la façon dont les femmes (ou quelques femmes) ont obtenu le droit de vote en 1918, nous sommes heureux de publier la traduction de la courte réponse d’un camarade qui s’est rapproché des positions de la Gauche Communiste, et ainsi des idées de Sylvia Pankhurst en 1918 qui a démontré que l’acquisition du droit de vote n’était qu’une tromperie visant à endiguer le flot révolutionnaire provoqué par les horreurs de la Première Guerre mondiale.
CCI
La Fédération Socialiste des travailleurs est apparue d’abord sous le nom de Fédération de l’Est de Londres de l’Union Sociale et Politique des Femmes (WSPU), principale organisation pour le droit de vote des femmes, dirigée par Emmeline et Christabel Pankhurst. À l’inverse du WSPU, la Fédération de l’Est de Londres (UPMS) était composée d’une grande majorité de femmes de la classe ouvrière (opposées aux classes moyennes), et ouverte aux hommes. Sylvia Pankhurst était donc concernée par les réformes sociales et l’action industrielle pour l’amélioration des conditions de vie désastreuses de la classe ouvrière, alors que le WSPU avait fait de la lutte pour le droit de vote féminin son cheval de bataille et visait à attirer les femmes de la classe moyenne. La nature ouvrière et la radicalité réformatrice de la Fédération de Londres-Est entraîna son expulsion du WSPU en 1914.
Pendant la Première Guerre mondiale, la plus grande partie du mouvement international pour le suffrage féminin (par exemple le WSPU en Grande Bretagne ou la National American Woman Suffrage Association aux États-Unis) s’est ralliée au soutien à l’effort de guerre de leur pays, s’engageant dans une propagande patriotique/nationaliste pro-guerre. La guerre a exacerbé la pauvreté et les difficultés de la classe ouvrière dans l’Est de Londres et Sylvia Pankhurst avait tenté vainement d’alléger les souffrances des travailleurs par la charité et en faisant pression pour des réformes et des coopératives.
La révolution russe a conduit à un changement radical de la politique de Sylvia Pankhurst. En effet, le nom de son organisation a évolué de “Fédération des Suffragettes de l’Est de Londres” en “Fédération pour le Suffrage des Femmes”, puis en “Fédération pour le Suffrage des ouvriers” et enfin “Fédération Socialiste des Ouvriers”. Le nom de son journal est passé de : La menace féminine, à : La menace ouvrière, ce qui a illustré ce changement de politique, passant des “femmes” (une catégorie interclassiste), aux “femmes ouvrières”, et enfin à la “classe ouvrière” en général et son rejet ultime de la politique du suffragisme réformiste au profit du communisme.
En 1918-1919, Sylvia Pankhurst a reconnu qu’il était inutile et en fait réactionnaire de faire campagne en faveur du droit de vote au milieu d’une vague révolutionnaire mondiale et prolétarienne. À une époque où la classe ouvrière révolutionnaire remettait en question l’existence même des Parlements et des États-Nations, la question du vote des ouvriers, des femmes ou des femmes de la classe moyenne à ces mêmes parlements bourgeois, avait perdu toute pertinence. Les parlements n’étaient plus un lieu de contestation politique important pour le prolétariat, l’avenir était à chercher dans la forme des soviets territoriaux (conseils ouvriers).
“Le Parti Communiste, estimant que les instruments de l’organisation et de la domination capitaliste ne peuvent être utilisés à des fins révolutionnaires, s’abstient de toute participation au parlement et au système de gouvernement local bourgeois. Il ne manquera pas d’expliquer sans relâche aux ouvriers que leur salut ne réside pas dans les organes de la “démocratie” bourgeoise, mais dans les Soviets Ouvriers.
Le Parti Communiste refuse tout compromis avec les socialismes de droite ou centriste. Le parti travailliste britannique est dominé par les opportunistes réformistes, les social-patriotes et les bureaucrates syndicaux, qui se sont déjà alliés au capitalisme contre la révolution ouvrière dans leur pays et à l’étranger. La construction et la constitution du parti travailliste britannique est telle que les masses ouvrières ne peuvent pas s’exprimer à travers lui. La classe ouvrière est et restera affiliée à la Deuxième Internationale, aussi longtemps que cette Internationale existera”. (Résolutions provisoires pour la constitution du programme du Parti Communiste, 1920).
Cette grande campagne médiatique autour de la célébration du suffragisme, et la tentative de présenter Sylvia Pankhurst comme une suffragette, plutôt que comme la militante communiste anti-parlementaire qu’elle est devenue, tout cela procède d’une offensive idéologique de la classe dirigeante : récupérer ce qui peut l’être, dissimuler ce qui ne peut être récupéré, pour réécrire l’Histoire, en laissant de côté tous les éléments révolutionnaires. D’une manière générale, il s’agit de saper la mémoire historique du mouvement de la classe ouvrière au moment du centenaire de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-1923.
Pourquoi la classe dirigeante fait-elle tant de bruit autour de la commémoration de la Loi sur la représentation du peuple (People Act) de 1918, la présentant comme un grand moment de l’histoire britannique ? Pourquoi présente-t-elle les suffragettes comme des héroïnes nationales ? Qu’aurait pensé la Communiste de Gauche Sylvia Pankhurst de cette fête nationale ?
“Il est intéressant de noter que les obstacles juridiques qui ont été opposés à la participation des femmes au parlement et à ses élections n’ont été levés que lorsque le mouvement pour l’abolition du Parlement a été fortement encouragé par le spectacle de l’effondrement du parlement russe et la création des Soviets.
Les événements de Russie ont suscité une réponse à travers le monde, pas seulement parmi la minorité qui était favorable à l’idée du Communisme des Conseils, mais aussi parmi les tenants de la réaction. Ces derniers étaient parfaitement conscients de la croissance du soviétisme lorsqu’ils ont décidé de jouer la carte de la vieille machine parlementaire en accordant à certaines femmes à la fois le droit de vote et le droit d’être élues”. (La menace ouvrière, 15 décembre 1923).
N’est-il pas vrai que tous ceux qui célèbrent le droit de vote sont englués dans la défense de la démocratie ?
“Même s’il était possible de démocratiser les rouages du parlement, il garderait son caractère intrinsèquement anticommuniste : le roi pourrait être remplacé par un président, toute trace du Bureau actuel abolie, la Chambre des Lords pourrait disparaître ou être transformée en Sénat, la Premier ministre choisi par un vote majoritaire au parlement ou élu par un référendum populaire, le Cabinet pourrait être choisi par référendum ou devenir un Comité exécutif élu par le parlement. Les lois parlementaires pourraient être ratifiées par référendum…, malgré tout cela, le parlement resterait une institution non communiste.
Sous le communisme, nous n’aurons pas un tel mécanisme de législation et de coercition. L’activité des Soviets sera d’organiser la production et la fourniture de services pour tous ; ils ne peuvent avoir aucune autre fonction durable”. (S. Pankhurst, 1922)
Craftwork, 12 février 2018
L’histoire de la Turquie, particulièrement dans la période récente, est complexe et nous ne pouvons pas traiter ce sujet dans un seul article. Nous avons publié un autre article sur la “question kurde” inséparable de cette thématique, dans laquelle nous montrons que la revendication pour l’auto-détermination nationale était déjà un anachronisme au tournant du siècle précédent.
Si nous jetons un œil sur quelques exemples significatifs des opérations menées par l’État turc depuis sa création, et particulièrement depuis les années 1990, le développement général de la crise économique, de la répression, du militarisme et de l’irrationalité, facteurs qui ont marqué le XXe siècle et le début du XXIe, sont clairement identifiables. Quels ingrédients de la décadence du capitalisme ? Quels éléments spécifiques au passé de la Turquie affectent et influent la situation présente de cet État totalitaire, militarisé et toujours plus islamisé ? La gravité de cette situation est-elle le résultat de l’ambition débridée d’un seul homme et de sa “vision” ou ne reflète-t-elle pas plutôt les dernières contorsions de l’impérialisme turc dans le chaos grandissant au Moyen-Orient, imposé par le capitalisme en décomposition ?
Tout d’abord, revenons presque 1000 ans en arrière avec la bataille de Manzikert en 1071, où une tribu turcique originaire d’Asie Centrale mis en déroute les chrétiens à Byzance, provoquant une chaîne d’événements qui permirent aux Turcs seldjoukides de prendre possession des terres correspondant au territoire de la Turquie moderne et de créer un empire s’étendant jusqu’à la Palestine actuelle, l’Irak, l’Iran et la Syrie, jetant dès lors les bases pour la construction du grand Empire ottoman transcontinental. La bataille de Manzikert (fait pour le moins obscur) est importante pour notre investigation car elle a été de nombreuses fois mentionnée récemment par Erdogan, le président de la Turquie. Que cette histoire ne soit en grande partie que mensonges, exagérations et idées chimériques lui importe peu, tout comme à n’importe quel autre politicien calomnieux qui voudrait nous transporter vers le mythique “passé glorieux de la nation”. Cela n’empêchera pas Bilal Erdogan, le fils de Recip, en charge de la politique éducative en Turquie (qui à cause de ses tractations financières – et celles de sa famille – avec Daesh, a gagné le surnom de “ministre du pétrole de l’État islamique”), de marteler l’exemple de Manzikert dans les désormais très islamisées écoles turques.
Les écoles religieuses, les Imam Hatip Lisesi (IHL), sont passées de 23 000 à plus d’un million d’élèves en l’espace d’un an. Dans la plupart des cas, la théorie de l’évolution et la physique ont été abandonnées ou reléguées au second plan, avec des milliers d’enseignants intimidés, limogés ou emprisonnés afin que le djihad puisse être enseigné, sous la surveillance d’une police religieuse, à ce que le président Erdogan appelle désormais la “génération pieuse”. Le Wall Street Journal a d’ailleurs récemment appelé la Turquie “l’autre État islamique”.
En dehors des préparatifs d’Erdogan pour le millième anniversaire de 1071, il a également exposé sa vision des défis à venir pour la “Nouvelle Turquie” dans les deux prochaines décennies. Lors de manifestations férocement nationalistes, imprégnées des attributs de l’Empire ottoman, incluant des soldats en tenue traditionnelle s’exerçant au maniement du cimeterre alors que d’autres jouaient sur des instruments ottomans, Erdogan a parlé de l’émergence de la “Nouvelle Turquie” ainsi que des projets pour les vingt prochaines années, tout cela basé sur la “Grande Vision” qu’il a présentée au 4e Congrès de son Parti de la Justice et du développement (AKP). Il a par conséquent prédit que la Turquie deviendrait l’“épicentre” d’un nouveau Moyen-Orient dans lequel elle aura un rôle central de modèle : “Une grande nation, un grand pouvoir (…) où les frères et sœurs arabes soudés par une même civilisation et une histoire commune […] travailleront ensemble”.
Erdogan est souvent enclin aux vociférations, à la versatilité et l’exagération mais il n’y a aucun doute sur le fait que, sous son règne, l’impérialisme turc va tenter de se réaffirmer au Moyen-Orient et au-delà.
La louange du passé par Erdogan jette les bases de sa vision du nouvel “Empire” turc. Le centenaire de la fondation de l’État turc en 2023, thème très souvent vanté par Erdogan et au sujet duquel il fait lui-même campagne, porte l’idée que son pays deviendra aussi puissant et influent que l’Empire ottoman l’était durant son apogée. Aujourd’hui, la Turquie devient bel et bien “l’épicentre” mais l’épicentre de la décomposition capitaliste où les tendances centrifuges, la corruption, l’utilisation cynique des réfugiés, la dette et la guerre prédominent.
La Turquie est à la fois une barrière et un pont entre deux continents, au centre même des rivalités impérialistes qui remontent bien avant l’existence de ce pays. Par ailleurs, sa position géographique ainsi que sa taille lui permettent de façonner les événements se produisant au Moyen-Orient, dans les Balkans et le Caucase. Son emplacement la rend apte à retenir la Russie car elle bloque le passage entre la mer Noire et les eaux chaudes de la Méditerranée.
Ce point fut d’une importance capitale au XIXe siècle pour la France et la Grande-Bretagne dans leur rivalité avec l’État tsariste. Cela était en effet un élément déterminant durant la guerre de Crimée qui se solda par la défaite russe et la signature du traité de Paris en mars 1856. Cette guerre marqua l’ascendance de la France comme grande puissance et la poursuite du déclin de l’Empire ottoman qui connut néanmoins un bref répit grâce à la Grande-Bretagne qui souhaitait le maintenir contre la Russie. Ce fut également le début de la fin pour le régime tsariste.
La Grande-Bretagne parvint à réduire et confiner la flotte russe à la mer Noire et eut le champ libre pour contrôler les mers durant les deux ou trois décennies suivantes. La guerre accéléra la décadence des parties eurasiennes et africaines de l’Empire ottoman, avec la montée des ambitions nationalistes dans les différentes parties qui le constituaient, soutenues ou influencées par la Grande-Bretagne et la France. L’Empire avait déjà été affaibli dans les années 1820 par la décadence interne de sa propre classe dominante, cette dernière trouvant son origine dans des entraves plus apparentées à du despotisme asiatique qu’à du féodalisme pré-capitaliste. Il fut incapable d’arrêter la marée du capitalisme dont le cadre est l’État-Nation et les mouvements nationalistes, qui entraînèrent l’indépendance de la Grèce en 1832, de la Serbie en 1867 et de la Bulgarie en 1878 et accélérèrent plus encore le déclin de l’Empire.
Il y existait également des tensions au sein de l’appareil d’État ottoman lui-même, avec des éléments favorables au développement du capitalisme qui, une fois implantées, fit surgir des luttes ouvrières à partir des années 1860 jusqu’au début des années 1900 [613], comme celles des ouvriers chrétiens et musulmans des chantiers navals luttant ensemble à Kasimpasha (dans l’actuelle Turquie) et des grèves de plus grande importance à Constantinople dans différentes industries impliquant des ouvriers d’ethnies et de religions différentes combattant côte à côte. Le démantèlement ultérieur de l’Empire, depuis la Bulgarie jusqu’à l’Arabie, sera exploité par les grandes puissances pendant et après la Première Guerre mondiale et, à l’image de sa décadence, l’impérialisme établira les nouvelles frontières. Le conflit mondial fut en fait le coup de grâce. La Turquie entra en guerre aux côtés de l’Allemagne après que ses ressources eurent été en grande partie appauvries durant la guerre des Balkans de 1912-13.
L’influence allemande sur les Ottomans se faisait déjà ressentir avant la guerre avec la construction de la ligne de chemin de fer Berlin-Bagdad et, de fait, l’attaque que ces derniers menèrent contre la Russie en tant que membres des Empires Centraux amena les nouveaux alliés de la Russie, la France et la Grande-Bretagne, à leur déclarer la guerre en novembre 1914.(1)
La montée du nationalisme kurde est entièrement liée à la dissolution de l’Empire ottoman. Il fit son apparition en 1880, lorsque les dirigeants ottomans usèrent principalement de forces kurdes pour protéger leurs frontières contre la Russie. Dans ce but, ils cooptèrent de puissants leaders kurdes dans leur gouvernement et ceux-ci apportèrent un soutien considérable au régime, participant au massacre des Arméniens à la fin du XIXe siècle et combattant pour lui durant la Première Guerre mondiale.
Les velléités d’indépendance kurde, encouragées par les Britanniques dans leurs propres intérêts impérialistes, furent anéanties par le traité de Lausanne en 1923. L’indépendance kurde ne pouvait survivre au choc de la Première Guerre mondiale ni à ses convulsions ultérieures et plusieurs milliers de Kurdes furent déplacés et périrent, suivant le modèle qui avait précédé la guerre.
Les Kurdes étaient majoritairement contre les politiques de laïcisation de Kemal Atatürk et son nouveau régime. De nombreuses révoltes kurdes furent brutalement réprimées par l’État turc tout au long des années 1920 et 1930.
Les restes de l’Empire ottoman en décomposition furent désossés par les puissances coloniales européennes. En 1916, les Français et les Britanniques, avec le consentement de la Russie impériale, signèrent les accords secrets de Sykes-Picot. Ces accords prévoyaient une division selon des zones d’intérêts et imposaient des frontières arbitraires, donnant ainsi naissance à la Palestine, la Syrie, l’Irak, l’Arménie, le Liban et permettant la formation de l’État turc moderne, la République de Turquie, fondée par son premier président Mustafa Kemal Atatürk en 1923. Les termes de la mise en place de la République furent codifiés par les principales puissances à travers le Traité de Lausanne en juillet 1923. Il consacra la fin officielle des conflits liés à la “Grande Guerre” et définirent les frontières de la Turquie ainsi que ses relations avec ses voisins. Celle-ci devait en outre abandonner tout droit de regard sur les restes de l’Empire ottoman.(2)
La dissolution de l’Empire, entraînant la création de “nations” sur ses cendres, illustre l’inéluctable dynamique propre à la décadence du capitalisme et son basculement total dans l’impérialisme, comme le soulignait Rosa Luxemburg en 1915 dans sa Brochure de Junius : “La politique impérialiste n’est pas l’œuvre d’un pays ou d’un groupe de pays. Elle est le produit de l’évolution mondiale du capitalisme à un moment donné de sa maturation. C’est un phénomène international par nature, un tout inséparable qu’on ne peut comprendre que dans ses rapports réciproques et auquel aucun État ne saurait se soustraire”.
De fait, le nouvel État turc naquit sur les cendres de l’Empire ottoman et fut aussitôt entraîné dans le tourbillon décadent du capitalisme, un tourbillon de violences, de guerres, de capitalisme d’État et de nettoyages ethniques. Un des premiers génocides capitalistes eut lieu sous le nouveau régime, avec la mort d’un million et demi d’Arméniens à travers les marches forcées, les viols et les meurtres en mai 1915. Un nombre similaire de Grecs furent tués par les Turcs et plus de 250 000 Assyriens à la fin de la Première Guerre mondiale. Des pogroms eurent lieu également en Turquie, comme ceux contre l’importante minorité alévie.(3)
La religion était réprouvée par la nouvelle classe dominante, la bourgeoisie naissante, ses cadres dirigeants qui avaient lutté contre l’ancien régime. Le Califat ottoman fut aboli en même temps que les tribunaux islamiques. Ils mirent à bas tous les attributs des oulémas (chefs religieux islamiques), les exclurent de l’appareil d’État et transférèrent leurs richesses et leurs propriétés vers le Trésor public.
Le combat du kémalisme contre la religion était également celui mené contre l’ancien régime. Kemal faisait partie de ceux qui, dès le début, étaient farouchement déterminés à écraser toute tentative de résistance kurde. “Il n’y eut aucun représentant kurde à la conférence de Lausanne et les Kurdes n’eurent aucun rôle à jouer parmi les minorités non-musulmanes en Turquie, c’est-à-dire les Arméniens, les Grecs et les Juifs”. Le régime de Kemal Atatürk fut renforcé par le soutien des Bolcheviks dans leur désastreuse politique étrangère qui fut rendue officielle en 1921.(4)
La république laïque était une expression des débuts du capitalisme d’État et elle fut une réponse au besoin de survie et de lutte des derniers partisans du vieil Empire. La concentration précoce du pouvoir dans l’État laïc turc explique pourquoi l’armée a toujours été centrale dans la vie politique turque.
Les kémalistes furent dans l’obligation de créer une Turquie laïque qui existait à peine dans les esprits. Il fallut donc du temps pour que celle-ci se stabilise et son emprise était loin d’être solide. La ferveur religieuse qui marqua l’incident de Menemen, une révolte d’inspiration islamiste en 1930 et les divers soulèvements kurdes, sont des exemples de ces soubresauts. Les kémalistes autorisèrent deux partis d’opposition officiels (Le Parti Républicain Progressiste en 1924, et le Parti Républicain Libre en 1930) mais les deux comportaient de nombreux et puissants éléments religieux [614] en leur sein et furent rapidement dissous par l’État.
Concernant le prolétariat, ce dernier poursuivit et accentua les luttes qui avaient émergé sous l’ancienne classe dominante ottomane. L’apparition d’une Gauche communiste, l’aile gauche du Parti communiste de Turquie, accompagna le développement de ces luttes et les deux prirent place dans un contexte très dangereux voire mortel pour les révolutionnaires et les ouvriers. C’était une expression de la vague révolutionnaire qui avait embrasé le monde et certains des militants de l’aile gauche avaient été impliqués dans les soulèvements spartakistes en Allemagne et la Révolution russe. La réalité de la situation dans laquelle se trouvaient les prolétaires démontra qu’ils étaient désormais clairement confrontés à la nature réactionnaire de la “libération nationale” et, cela, dès le début. Le 1er mai 1920 et durant une grande partie des années 1920, les grèves et les manifestations éclatèrent parmi les ouvriers de Turquie avec, fréquemment, des slogans internationalistes et des drapeaux brandis en solidarité avec les luttes de classe partout dans le monde.(5)
La Turquie demeura un puissant élément de l’impérialisme jusqu’à et pendant la Seconde Guerre mondiale. Du fait des conditions historiques, les tensions impérialistes s’étaient d’abord accentuées en Extrême-Orient et commençaient juste à resurgir en Europe. C’est pourquoi dans les années 1930, la politique de Kemal Atatürk put rester à l’écart de toute intervention étrangère, lui laissant le champ libre pour asseoir son propre pouvoir. En 1937-38, il risqua cependant la guerre avec la France en tentant d’annexer la province d’Alexandrette appartenant à la Syrie et sous contrôle français. Il y eut également des conflits avec Mossoul comme enjeu principal, mais sa politique de “non-intervention” perdura après sa mort et durant la guerre de 1939-45.
Avant cela, des factions au sein de la bourgeoisie turque désiraient s’aligner sur l’Allemagne et il y eut un pacte de non-agression entre les deux pays, mais il existait également des accords et des pactes secrets avec les Britanniques. Les Alliés furent en général satisfaits de la neutralité turque durant la guerre et de sa position empêchant à l’Allemagne l’accès au pétrole du Moyen-Orient. La Turquie refusa également que l’Allemagne puisse accéder à ses vastes ressources en chrome, élément vital pour la production militaire que les Alliés se procuraient en grande quantité ailleurs.(6) En février 1945, elle déclara la guerre aux puissances de l’Axe.
L’importante position géostratégique de la Turquie au début de la décadence du capitalisme se confirma encore davantage durant la guerre froide. Sous les auspices américaines et britanniques, la Turquie devint un des membres originels des Nations Unies en 1945, combattit pour le bloc de l’Ouest en Corée et dès 1952 était membre de l’OTAN. Juste après la Seconde Guerre mondiale, la Russie fit lourdement pression sur la Turquie afin d’établir des bases militaires sur son territoire et que sa marine puisse librement accéder aux détroits des Dardanelles et du Bosphore (la dénommée “Crise des Détroits”). Cette manœuvre fut contenue par la doctrine Truman en 1947 par laquelle l’Amérique garantissait la sécurité de la Grèce et de la Turquie contre la Russie. S’ensuivit une aide américaine considérable, à la fois économique et militaire qui fit de la Turquie un allié sûr du bloc de l’Ouest. La Turquie fut ainsi l’un des premiers pays à prendre part à l’opération Stay-behind, une structure clandestine rattachée à l’OTAN, en lien avec les services secrets, les élites bourgeoises et le crime organisé.
La classe des marchands et des petits producteurs turcs s’enrichit grâce à la guerre et leurs intérêts s’élevèrent contre les impératifs capitalistes d’État des kémalistes. Leur capacité à investir et à accumuler était entravée par les restrictions que leur imposait la mainmise centralisée des kémalistes sur le pouvoir. Consécutivement à cela se développa l’opposition légale du Parti démocratique, détrônant le Parti républicain du peuple (kémaliste) qui avait dominé la “période du parti unique” de 1923 à 1945. Le premier était en partie composé d’éléments du second et bien qu’il ait facilité le développement de l’Islam, il ne fit rien qui puisse compromettre l’appartenance de la Turquie à l’OTAN et encouragea même les rapprochements avec l’Ouest. De même, il ne soutint pas le nationalisme kurde. Les difficultés et les pénuries provoquées par la guerre couplées aux mesures d’urgence du gouvernement, affectèrent gravement de larges couches de la paysannerie. Le nouveau processus électoral donna au vote rural un poids notable.
Le seul élément de différence entre les deux partis était la position du Parti démocrate à l’égard de la religion, ce dernier exigeant un plus grand respect dans ce domaine et moins d’interférence de la part de l’État. Cela mobilisa de larges proportions de la population rurale, dont des éléments islamistes. Le PRP fut obligé d’aller courtiser les électeurs ruraux et religieux et cela entraîna un assouplissement dans la relation de l’État avec la religion.
Le bail du Parti démocrate au pouvoir prit fin avec le coup d’État de 1960, le premier d’une série de “réajustements” opérés par l’État turc entre 1960 et 1997. Le coup d’État fut mené par des éléments militaires issus de la cellule turque stay-behind. Un des héritages que légua le Parti démocrate fut le renforcement et l’expansion de l’islamisme en Turquie, phénomène également lié à l’augmentation de la production agricole, de la prospérité des marchands et de la petite bourgeoisie ainsi que du poids du vote rural. Ces derniers éléments se servirent de l’Islam comme cri de ralliement contre le régime et ils se rassemblèrent finalement en fondant le Parti du salut national en 1972.
Alors que la crise économique frappait à la fin des années 1960 et que l’aide américaine se réduisait, la rapide industrialisation et l’exode rural en Turquie entraîna des vagues toujours plus fortes de manifestations et des mouvements d’occupation de travailleurs agricoles. L’Islam non-officiel se développa parallèlement à sa version “officielle”, créant des madrasas, des clubs de jeunesse, des associations et de nombreuses publications. Divers confréries religieuses prospérèrent et des affrontements de rue armés eurent lieu entre celles-ci, les forces de sécurité, et des groupes fascistes comme gauchistes. C’est à cette époque que les Frères musulmans(7) firent leur première apparition en Turquie.
La classe ouvrière, de manière significative, resta à l’écart de ce terrain empoisonné, prenant en main ses propres moyens de lutte, les grèves et les manifestations, etc. malgré l’emprise plus ou moins grande des syndicats.
Un événement dans les années 1970 laissa présager la période à venir de décomposition dans laquelle les structures des blocs devaient devenir de plus en plus instables et les tendances centrifuges prévaloir. La Turquie envahit en effet la République de Chypre en 1974, donnant naissance à la République turque de Chypre du Nord, reconnue seulement par la Turquie à ce jour. Cela fut significatif dans la mesure où c’était une guerre entre deux pays membres de l’OTAN. C’était déjà une indication de la manière dont les tendances au “chacun pour soi” allaient s’imposer par l’éclatement du bloc russe quinze ans plus tard.
Un autre signe annonciateur de la décomposition, qui n’était pas lié directement aux ambitions impérialistes de l’État turc, fut la “troisième voie” (entre les deux blocs)” prônée par des groupes maoïstes turcs. Ces forces menèrent une “guerre populaire” dans les années 1970 et 1980, influencèrent le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) kurde et (ce ne serait pas la dernière fois) rassemblèrent des éléments de la gauche capitaliste et du fondamentalisme islamique.
Le coup d’État militaire de 1971 avait pour but la gestion d’un état de chaos qui englobait à la fois une agitation ouvrière et la montée de mouvements fascistes et islamistes foncièrement agressifs. Le haut commandement militaire prit le pouvoir avec le soutien des États-Unis et poursuivi la guerre de classe contre les travailleurs tout en établissant des politiques visant à juguler les groupes gauchistes et séparatistes kurdes.
La Turquie devint particulièrement importante pour les États-Unis dans la région suite au renversement d’un de ses pions majeurs dans la région, le Shah d’Iran, à la fin des années 1970, tout en étant elle-même proche du chaos avec à la fois les manifestations et grèves ouvrières, une inflation à trois chiffres, l’agitation maoïste et la montée du groupe fasciste les “Loups Gris” travaillant ouvertement main dans la main avec l’État. Le 1er mai 1977 sur la place Taksim, un demi-million de personnes manifesta. La répression d’État fit des dizaines de morts, de nombreux blessés et des milliers d’arrestations. Ces bouleversement amenèrent le coup d’État militaire de 1980 appuyé par les États-Unis et la Grande-Bretagne et impliquant la CIA, la firme américaine ITT et des forces de la cellule stay-behind. L’ordre militaire fut restauré. En 1997, la Turquie possédait alors la deuxième plus grande armée de l’OTAN avec plus de 700 000 soldats.
Le reste des années 1980 montra une bourgeoisie turque contrôlant relativement la situation, procédant même à une demande d’adhésion à la CEE (dont elle était un membre associé depuis 1963). L’événement principal de cette période (que nous détaillons dans un autre article) fut l’insurrection du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) fondé en 1978 et la réponse musclée que l’État turc offrit à la terreur que le PKK propagea. (A suivre…)
Boxer, 25 novembre 2017
1 L’analyse de Rosa Luxemburg sur la Question Polonaise [615] en 1896 est à ce titre éclairante, ainsi que des passages de sa Brochure de Junius. Tout aussi pertinente est La Guerre des Balkans, 1912-1913 par Léon Trotski.
2 Erdogan a récemment exprimé [616] son “amertume pour ce que nous avons perdu à Lausanne” et a déclaré que le traité “n’était pas irréfutable” tout en l’estampillant de “honte pour la nation”.
3 Les Alévis forment environ un quart de la population turque. C’est une branche étendue et plutôt souple de la religion chiite, qui n’accepte pas la Charia et dans laquelle les femmes bénéficient d’une plus grande égalité que dans l’Islam traditionnel. Sa direction a eu tendance à soutenir des éléments laïques en Turquie, plus pour se protéger que pour autre chose.
Plusieurs pogroms éclatèrent contre eux dans les années 1980 et 1990. Erdogan déclara qu’il les soutiendrait (tout comme il le prétendit pour les Kurdes) mais, au lieu de cela, il les a marginalisés et isolés davantage.
4 Cette politique désastreuse de l’IC conduisit à livrer les communistes turcs pieds et poings liés à Kemal Atatürk qui a mené très rapidement une politique de répression impitoyable contre eux, mettant le PC hors-la-loi et jetant ses membres par milliers dans les geôles du pays ou en les faisant pendre.
5 Voir brochure du CCI en anglais sur l’aile gauche du Parti Communiste turc : The Left Wing of the Turkish Communist Party.
6 La Turquie possède les plus larges stocks de chrome, essentiel pour renforcer l’acier et par conséquent indispensable pour la production d’armement. Pour une étude plus approfondie, voir : The Sinews of War : Turkey, Chromite and the Second World War.
7Les Frères Musulmans sont une branche dure de l’Islam sunnite qui, depuis au moins les années 1930, a construit la base de son pouvoir à travers les œuvres de “charité” islamiques. L’administration Trump tente actuellement de la faire reconnaître comme “organisation terroriste étrangère” alors que le gouvernement britannique l’a reconnue et l’a supportée jusque très récemment. Elle était à la base financée par les Saoudiens mais ils ne la reconnaissent plus désormais. Erdogan était proche des Frères Musulmans lorsque ceux-ci furent élus en Égypte en 2012. Par la suite, leur éviction du pouvoir eut un coût élevé en vies humaines, a fait s’abattre une nouvelle vague de répression et coûta cher aux Saoudiens. L’élection du président Mohamed Morsi des Frères Musulmans secoua l’Occident. Ce fut à la fois une expression de l’affaiblissement des États-Unis dans la région et de l’irrationalité grandissante du capitalisme. La Confrérie demeure influente au Qatar, où la Turquie possède une base militaire et au sein du Hamas, duquel Erdogan fut l’un des principaux soutiens.
La première partie de cet article brossait un panorama de l’histoire de la Turquie, État issu de la décadence et dont l’importance géostratégique joua un rôle important dans les conflits impérialistes du XXe siècle. Dans cette seconde partie, nous verrons comment les enjeux autour de la Turquie ont évolué depuis 1989 et l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition.
L’éclatement du bloc russe en 1989 marqua également la fin des deux blocs et cela eut de profondes répercussions pour la Turquie au regard de son histoire et son poids géostratégique. Tous les facteurs de la décomposition entrèrent en scène et empirèrent la situation : chaos militariste, ambitions impérialistes dans un contexte de chacun pour soi, irrationalité du fondamentalisme religieux montant, renforcement des tendances totalitaires, répression pure et simple à l’encontre de revendications nationalistes impossibles à satisfaire, comportement sans cesse changeant à l’égard des autres pays et l’arrivée de millions de réfugiés et de déplacés, conséquence de tous ces facteurs et qui avait été utilisée comme arme impérialiste. La “nouvelle” et forte Turquie émergente est par conséquent une illustration particulière de la faiblesse du capitalisme et de sa décomposition.
Au lieu de la “victoire” du capitalisme et de sa super-puissance dominante, les États-Unis, on observe l’affaiblissement de ces derniers face à l’instabilité politique et économique, l’irrationalité et l’imprévisibilité, ce que le Moyen-Orient, avec la Turquie en acteur central, illustre particulièrement.
Durant la guerre froide, la Turquie était le principal bastion de l’Ouest contre la Russie. Une fois l’URSS dissoute (et avec elle la menace qu’elle représentait pour la Turquie), cet État n’avait plus autant besoin de l’OTAN. Même la récente annexion de la Crimée en 2014 par la Russie ne semble pas avoir menacé la Turquie. En fait, les relations grandissantes entre la Turquie et la Russie sont quelque peu problématiques pour l’Occident. La Turquie a bénéficié de l’invasion russe de la Crimée au point qu’elle a pu obtenir, suite aux sanctions économiques des Occidentaux, de l’énergie à bas prix. De son côté, la Russie compte toujours sur la Turquie pour laisser ses détroits ouverts, permettant à sa marine d’accéder aux eaux des mers chaudes. La Russie ne menaçant désormais plus ni sa frontière Est, ni celle de l’Ouest (des arrangements entre les deux pays, bien que non gravés dans le marbre, ayant été conclus au sujet de la frontière avec la Syrie), la dépendance de la Turquie envers l’OTAN s’est amoindrie. Sur son flanc oriental, la Turquie a intensifié ses relations avec l’Azerbaïdjan dont le pétrole et le gaz manquent à la Turquie. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, la Turquie a développé des liens étroits sur les plans culturels, économiques et militaires avec l’Azerbaïdjan et a soutenu ce dernier en 2016 dans sa guerre contre l’Arménie (elle-même soutenue par les Russes), refusant toujours de reconnaître la “République indépendante du Haut-Karabagh”.
Mais, par-dessus tout, alors que la dépendance de la Turquie envers l’OTAN a diminué, celle de l’OTAN envers la Turquie s’est accentuée. A travers la poursuite de ses ambitions propres (ce qui signifie ne plus se soumettre à une quelconque alliance militaire, discipline ou à divers arrangements) la Turquie n’est pas seulement devenue peu fiable mais également imprévisible. Déjà en 2003, quand les États-Unis firent face aux problèmes en Irak, le Parlement turc a refusé le stationnement des troupes américaines en Anatolie orientale, que ces dernières avaient espéré pouvoir utiliser comme base militaire. Se retrouver engagée à faire face à la Russie devient un fardeau aussi inutile qu’indésirable pour la Turquie et au lieu de cela, on observe des tendances inverses à travers le rapprochement avec la Russie, ce qui fait de la Turquie une force en soi, ébranlant et affaiblissant l’OTAN. Si la Russie parvient à ramener la Turquie dans son orbite aux côtés de l’Iran, cela la renforcera considérablement. Poursuivant dans cette direction, la Turquie vient de finaliser l’achat de missiles russes S-400 et a discuté de la situation en Syrie avec la Russie à la mi-novembre avant une nouvelle entrevue à venir à Sotchi à ce sujet avec Poutine et l’Iran.
Au vu du grand nombre et de la forte concentration de travailleurs émigrés turcs et kurdes dans le monde, particulièrement en Allemagne et dans le reste de l’Europe, il y a clairement un danger que ces éléments soient mobilisés derrière des intérêts nationalistes. L’impérialisme turc possède les moyens de faire la propagande de ses intérêts perçus en direction de sa diaspora à travers l’organisation Milli Görüs (qui propage une vision nationaliste et religieuse), formée en 1969.(1)
Cela prit un certain temps, comme pour beaucoup de politiciens occidentaux, de comprendre les conséquences de la chute de l’URSS. L’économie turque se portait relativement bien, malgré une dette croissante. À la fin des années 1990, la Turquie rejoignit l’union douanière de l’Union Européenne et en 2005 engagea des négociations sur son adhésion à L’UE. Durant cette période, le coup d’État kémaliste/laïc de 1997, finalement occasionné par une manifestation anti-Israël arborant des images du Hamas et du Hezbollah, évinça le leader islamiste Erbakan et força l’interdiction des expressions et institutions religieuses. L’armée turque réalisa par conséquent un autre de ses “ajustements équilibrés”.
Cette période marqua l’ascension parallèle de l’ex-footballeur et ancien maire d’Istanbul, Recip Erdogan qui, bien que toujours écarté de la vie politique pour ses penchants islamistes, participa à la formation du Parti de la Justice et du développement (AKP) en 2001. Il déclara que le parti n’adopterait pas un axe islamique.
L’AKP vint au pouvoir en Turquie en 2002 par une victoire écrasante après que les chamailleries entre différentes factions de la classe dominante eurent mené le pays au bord de la faillite, forçant le FMI à le renflouer l’année précédente. Erdogan devint Premier ministre en 2003 alors que l’émigration des travailleurs turcs, une puissante soupape de décompression pour l’économie nationale, était en train de ralentir et que, de manière générale au Moyen Orient, il y avait un affaiblissement des pouvoirs laïcs et une montée du fondamentalisme religieux. Grâce à un mélange de structures de type mafieuses, de corruption et de clanisme, Erdogan devint Premier ministre et mit immédiatement en avant ses fortes ambitions et projets nationalistes : modernisation de l’infrastructure, création d’emplois (même s’ils étaient mal payés) grâce à l’endettement et aux investissements étrangers, tout cela baignant dans un fondamentalisme islamique toujours plus profond et ambitieux reposant sur des éléments arriérés. Afin d’affaiblir l’emprise de l’armée, qui demeurait une menace pour l’AKP, Erdogan conclut une alliance tactique avec le puissant responsable religieux Fethullah Gülen, le leader du pragmatique et transnational Hizmet islamiste (dit le “Service” ou “Confrérie Gülen”), mouvement solidement implanté dans la police turque, l’éducation, la presse et la justice. Gülen servit bien Erdogan, affaiblissant l’armée et la laïcité à travers son influence sur les tribunaux et toutes sortes d’intrigues et de manœuvres obscures. Mais les deux hommes, pris dans une lutte opposant différentes factions de la bourgeoisie turque, finirent par s’affronter à travers le scandale de corruption touchant directement Erdogan, et réciproquement par les accusations d’infiltration de la confrérie Gülen dans les services de renseignement turcs (MIT).(2) L’État turc a depuis désigné Gülen et son organisation comme “terroristes”. Erdogan a demandé l’extradition de Gülen des États-Unis pour son supposé rôle dans la tentative de coup d’État de 2016 mais les États-Unis ne sont pas disposés à accéder à cette requête, au vu du poids que représente la confrérie Gülen pour l’impérialisme américain et le message que cela représenterait pour tout “exilé” utile au Département d’État.
Depuis les années 1980 en particulier, il y a eu une montée de l’influence islamique et le renforcement du fondamentalisme religieux dans tout le Moyen-Orient. Par exemple, lors de la campagne pour les élections de 1987, le port du voile par les femmes dans les lieux publics comme les écoles, les hôpitaux et les bâtiments officiels, fut une question récurrente. Une des nombreuses parades utilisées par l’armée fut de s’opposer en 1997 aux plans d’Erkaban en refusant de donner aux lycées Imam Hatip (Imam Hatip Lisesi – IHL – en turc) le statut d’école publique. En conséquence, le nombre d’étudiants des IHL chuta de 500 000 en 1996-1997 à environ 100 000 en 2004-2005. En 1998, Erdogan fut condamné à 10 mois de prison (il fut relâché au bout de 4 mois) pour “incitation à la haine religieuse”. Il lui fut également interdit de se présenter à des élections et d’occuper une fonction politique. En mars 2008, le procureur général de l’État, avec le soutien de l’armée, planifiait de déclarer l’AKP illégal car ce dernier devenait un “point de cristallisation d’activités anti-laïques”, suite à la fin de l’interdiction de porter le voile dans les universités. Peu de temps après, la Cour Suprême rejeta le plan du procureur général.
Suite à cela, l’AKP d’Erdogan devint plus que déterminé à diminuer le pouvoir de l’armée. Cependant, depuis la rupture entre Gülen et Erdogan, il y a désormais encore plus de divisions entre Turcs “blancs et noirs”, les “kémalistes” et les “religieux”. De plus les groupes islamiques sont désormais divisés en deux branches.
Depuis la proclamation de la République turque en 1923, toutes les tentatives de “contenir” l’influence des forces islamiques ainsi que leur pénétration au sein des structures de l’État ont échoué ; de fait, depuis les années 1980 (comme ailleurs avec la montée des Moudjahidines et Khomeini en Iran à la fin des années 1970), cette montée du fondamentalisme islamique, sous différentes formes, reflète une tendance globale vers un militantisme religieux extrêmement réactionnaire.(3) Dans un même temps, l’armée ayant réprimé d’une main de fer durant une décennie tous les groupes d’opposition (qu’ils soient islamiques, kurdes ou autres), cela a établi une polarisation factice entre une armée présentée comme “anti-démocratique” et les forces “démocratiques” comme l’AKP qui n’étaient pas moins autoritaires.
Aujourd’hui, le clan Erdogan dirige l’État comme sa propre entreprise, toutes les charges de corruption contre celui-ci ayant-été abandonnées depuis belle lurette et les personnes impliquées dans la procédure judiciaire qui le visait ont été purgées. Mais, derrière le clan Erdogan, repose une forme particulière de totalitarisme d’État, basée sur une exclusion religieuse réactionnaire, des discours nationalistes enragés et de fortes ambitions impérialistes.
Une nouvelle preuve de l’importance de sa position géostratégique est que la Turquie représente également une tête de pont pour tous les réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient. Mais les réfugiés sont également utilisés dans un cynique exercice de chantage face à l’Union Européenne. L’UE a payé de fortes sommes à l’AKP d’Erdogan pour qu’il retienne les réfugiés et Erdogan a souvent menacé de les laisser partir pour l’Europe. Dans ce but, la Turquie a de nouveau demandé 3 milliards d’euros à l’Europe pour 2018.
La bourgeoisie turque a également tiré profit de l’organisation du trafic de migrants de l’Afrique vers l’Europe, ce qui éclaire un peu plus les visées impérialistes de la Turquie sur ce continent. Les ambassades turques, consulats, entreprises et autres ont fleuri dans toute l’Afrique, tout comme la compagnie aérienne Turkish Airlines. À travers des vols peu onéreux, subventionnés, les candidats à l’émigration peuvent voyager depuis l’Afrique du Nord et sub-saharienne jusqu’à la Turquie. De là, ils sont amenés jusqu’aux frontières de l’Europe avec l’appui nécessaire de réseaux du crime organisé qui sont incorporés dans l’État turc. Erdogan a mentionné plusieurs fois la création d’une zone exempte de visas pour les ressortissants des pays musulmans, une sorte de “Schengen islamique” que l’Europe voit d’un très mauvais œil.
Aux côtés des Mili Görüs mentionnés précédemment, la Turquie dispose de nombreuses ONG qui servent ses intérêts impérialistes. Parmi celles-ci se trouve la Fondation pour l’aide humanitaire (IHH) qui supervise des programmes sanitaires majeurs dans de nombreux pays africains et qui est présente dans des dizaines d’autres. Sa montée en puissance coïncida avec les nombreux voyages d’Erdogan en Afrique et le développement général du soft power turc qui s’étend au-delà du continent africain. L’IHH est structurée selon les lignes directrices des œuvres caritatives des Frères Musulmans et contient de fait des cadres de l’organisation. C’est cette organisation qui, sous la direction d’Erdogan, lança la “Flottille pour Gaza” en 2010, incluant des éléments de la gauche du capital qui n’eurent aucun problème à se mêler à leur équipage fondamentaliste islamique.(4) La plupart des médicaments que la flottille transportait durant cette farce impérialiste avaient expiré avant que celle-ci ne soit stoppée par le blocus israélien.
La pratique du soft power turc s’étend à son allié pakistanais ou à son ONG, Kizilay, qui a construit des mosquées dans le style ottoman près de la frontière indienne. Erdogan a soutenu le Pakistan sur la question du Cachemire et en retour, le régime pakistanais a facilité la purge des “gulénistes” au sein des établissements scolaires turco-pakistanais. Les deux pays ont en effet besoin l’un de l’autre pour défendre leurs intérêts contre les États-Unis.
Après s’être affiché comme “ami” et “défenseur de la paix” auprès des Kurdes, Erdogan, une fois à la tête de l’État, fut contraint de tomber le masque à cause du succès électoral du Parti démocratique des peuples pro-Kurde (HDP) qui menaçait la majorité de l’AKP au parlement. Mais ce volte-face fut principalement dû aux succès des Unités de protection du peuple kurdes qui gagnèrent des pans de territoire le long de la frontière turco-syrienne.
Tout comme la bourgeoisie israélienne souhaiterait se débarrasser des Palestiniens, la Turquie souhaite se débarrasser des Kurdes. En juillet 2015, l’armée turque lança une guerre-éclair contre les positions séparatistes kurdes dans le sud-est, détruisant les zones civiles étendues qui abritaient les combattants kurdes.
L’AKP qui avait remporté une victoire écrasante en 2011 avec 49,8 % des voix, ne récolta que 40,9 % à l’élection de juin 2014. De surcroît, le (HDP) fit un score de 13,1 % et put ainsi siéger au parlement. Le résultat signifia qu’Erdogan ne put atteindre la majorité nécessaire de deux-tiers pour modifier la constitution.
Obsédé par le fait de devenir le “nouveau Sultan” du nouvel Empire ottoman, l’AKP ordonna à l’appareil judiciaire de mettre l’HDP hors-la-loi.
Sous les effets combinés de la terreur d’État, des attaques terroristes de Daech et du PKK, une part importante de la population intimidée se jeta dans les bras d’Erdogan et à l’élection de novembre 2015, l’AKP disposa enfin de la majorité nécessaire. À nouveau la répression contre les Kurdes se renforça à mesure que le parti gagna en puissance. Erdogan consolida encore sa position en gagnant le référendum de 2017, changeant ainsi la constitution et concentrant ainsi un pouvoir toujours plus large entre ses mains.
Malgré l’élection orchestrée par l’AKP au pouvoir, Erdogan l’emporta seulement avec une courte majorité de 51 % des voix. Significativement, les trois plus grandes villes de Turquie, Istanbul comprise, votèrent contre lui mais, selon le Washington Post du 17 avril 2017, il fit mieux que prévu auprès des électeurs kurdes (probablement terrifiés par la tournure des événements). Ce n’est pas la première fois qu’Erdogan s’en sort de justesse : il se produisit la même chose durant le putsch raté de 2016.(5)
Erdogan sortit renforcé de cet épisode et de la purge (dans le plus pur style stalinien) qui s’ensuivit et qui sévit encore jusqu’à ce jour : des torrents de propagande contre les “comploteurs” et les “terroristes” sont diffusés depuis continuellement par l’État, alors que toute contestation est systématiquement écrasée.
Par le développement particulier de son capitalisme d’État teinté de fondamentalisme religieux, la Turquie s’est éloignée de l’Union Européenne. Son rôle déjà fragile au sein de l’OTAN est devenu incertain et, tout en étant impliquée dans des querelles diplomatiques avec les États-Unis et l’OTAN au point de se retirer de manœuvres opérées par cette dernière, elle a opté provisoirement pour des relations plus amicales, quasi-stratégiques et également très imprévisibles avec la Russie.
Même si les médias présentent Erdogan comme le “nouveau Sultan” et que lui-même se présente comme l’architecte de la nouvelle “Turquie islamique moderne” (après la “Turquie moderne et laïque” d’Ataturk), différente du “modèle” iranien théocratique, ce projet ne reflète pas uniquement, loin s’en faut, l’ambition d’un leader mégalomane. Comme nous l’avons évoqué précédemment, il représente la résurgence des ambitions impérialistes d’une Turquie au sein d’un noyau impérialiste toujours plus chaotique et en pleine fragmentation. En fait toutes les composantes de la classe dominante sous l’AKP ont été impliquées dans ce processus.
Erdogan intensifie son projet avec l’ambition de faire de la Turquie une super-puissance d’ici 20 à 30 ans. Ce qui apparaît comme une lubie ne tient pas compte de la présente irrationalité du capitalisme en décomposition. Pour que ce nouveau “Sultanat” prenne forme, la “question kurde” doit être réglée une fois pour toutes et les relations avec la Russie doivent s’intensifier.
Avec ses pouvoirs grandissants, Erdogan s’est éloigné de l’OTAN, a pris ses distances avec l’Europe et l’Allemagne et voit les États-Unis comme une puissance hostile. La Turquie n’est pas en état de guerre ouverte avec une autre puissance mais elle est impliquée dans des opérations militaires en dehors de son territoire et se retrouve être de plus en plus le théâtre d’affrontements entre l’armée turque et les groupes que celle-ci a combattus au sein ou en dehors des frontières mêmes de la Turquie (PKK ou Daech). Le pays lui-même risque de s’engouffrer dans une spirale de chaos militariste tout en étant entouré par des millions de réfugiés et une instabilité impérialiste globale.
Il y a cependant des facteurs imprévisibles en jeu. La nature de la politique extérieure américaine sous Trump, les tensions grandissantes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et leurs répercussions sur le Liban avec la possibilité d’une intervention militaire israélienne dans la région, tous ces facteurs auront vraisemblablement un retentissement sur des zones représentant des intérêts importants pour la Turquie : la Syrie, l’Irak, le Liban,(6) Gaza, etc.
Les impressionnantes performances économiques de la Turquie ces dernières années, qui renforcent la “popularité” d’Erdogan, semblent se placer sur le court terme et sont sous la menace d’une instabilité géopolitique, ce qui signifie que cet avantage s’estompera au moment même où la soupape de sécurité de l’émigration cessera de fonctionner et où la dette augmentera. Aucune campagne d’intoxication religieuse ou aucun délire sur le “nouvel Empire” ne pourront compenser cela.
Le poids de l’économie de guerre, qui engloutit d’énormes quantités d’argent, aura vraisemblablement des répercussions sur les conditions de vie du prolétariat. Les manifestations du Parc Gezi en 2013 suivirent une vague de protestations contre la guerre et le gouvernement dans le sud et rassembla des manifestants au-delà des divisions religieuses, sexuelles et ethniques. La classe ouvrière était présente dans ces manifestations mais pas avec un fort sentiment d’appartenance de classe.(7)
Est-ce que le prolétariat est prêt à être asservi et à mourir pour les projets d’Erdogan ? Le prolétariat turc a montré historiquement une solide tradition de lutte et de militantisme. Il doit absolument rester sur son terrain de classe et développer ses luttes de manière autonome tout en refusant d’être entraîné dans des campagnes nationalistes et pro ou anti-Erdogan.
Boxer, 25 novembre 2017
1 Milli Gorus est une organisation pro-musulmane et anti-occidentale. Elle possède environ 2 500 groupes locaux, construit environ 500 mosquées et crée de nombreuses fondations. Elle n’inclut pas seulement des Turcs islamiques mais également des Sunnites d’Asie centrale et du Caucase. Son épicentre se trouve en Allemagne et elle possède des ramifications dans de nombreux pays européens mais également en Australie, au Canada et aux États-Unis. L’organisation fut fondée par Necmettin Erbakan, islamiste, anti-européen, anti-kémaliste qui fut Premier ministre de la Turquie de 1996 à 1997. On dit qu’Erdogan reprend l’héritage d’Erbakan et qu’il utilisera probablement la Mili Gorus pour le diffuser.
2 Gulen réside désormais aux États-Unis et est généralement dépeint en occident comme un simple prédicateur. En fait, il est assis sur une vaste et pénétrante organisation multi-milliardaire. Il est proche du clan Clinton et des Démocrates.
3 Selon le Middle East Quarterly, hiver 2009, (pp 55-66) : en 2008 “on recensait en Turquie plus de 85 000 mosquées, une pour 350 habitants (en comparaison il y avait un hôpital pour 6000 habitants) le plus élevé par tête au monde avec 90 000 imams, un nombre supérieur à celui des médecins ou des enseignants”.
4 Il y a quelques années en Grande-Bretagne, il y eut de nombreuses manifestations à l’appel de la gauche qui soutenaient les attaques contre Israël et marchaient côte-à-côte avec des éléments du Hamas, scandant l’odieux slogan de “We are all Hamas”. Cela ne différait pas tant que ça de la politique extérieure officielle de la Grande-Bretagne à l’époque qui soutenait activement les Frères Musulmans.
5 Erdogan échappa de justesse à une unité de commando envoyée par les forces impliquées dans la tentative de coup d’État de juillet 2016 alors qu’il était en vacances dans la station de Marmaris et une fois en sûreté à bord de son jet, il échappa à nouveau à deux chasseurs-bombardiers F-16 sous le contrôle des putschistes qui tentaient de le pourchasser (Agence Reuters du 17 juillet 2017). Mais tout comme une part importante des coulisses du coup d’État, tout ceci reste nimbé de mystère.
6 Les obligations de visas entre la Turquie et le Liban ont été abolies et plusieurs protocoles d’accords et de coopération établis.
7 Lire notre article “Mouvement social en Turquie : le remède à la terreur d’État n’est pas la démocratie” dans Révolution Internationale n°439 (février – avril 2013).
Il y a 170 ans, était publié le Manifeste du parti communiste : “au congrès du parti à Londres, en 1847, Marx et Engels furent chargés de mettre sur pied la publication d’un programme théorique et pratique complet. Rédigé en allemand, le manuscrit fut imprimé à Londres en janvier 1848, quelques semaines avant la révolution française du 24 février. Une traduction française parut peu avant l’insurrection parisienne de juin 1848” (Préface d’Engels à l’édition de 1888).
Depuis ce temps, on ne compte plus les publications ni les traductions de cet ouvrage, un des plus célèbre au monde. Aujourd’hui, avec le relatif regain d’intérêt qu’il suscite au sein de petites minorités combatives en recherche d’une perspective révolutionnaire, la propagande officielle de l’État bourgeois se doit de continuer à discréditer fortement l’idée du communisme faisant par contrecoup du Manifeste l’œuvre sinistre et tragique d’un passé sanglant révolu. En assimilant frauduleusement et mensongèrement la contre-révolution stalinienne à l’avènement d’un prétendu “communisme” qui aurait fait faillite, le Manifeste incarnerait donc un projet “obsolète”, voire “dangereux”. Finalement, comme aux yeux des pires réactionnaires du XIXe siècle, le Manifeste du parti communiste reste encore aujourd’hui “l’œuvre du diable”.
Au sommet de la vague révolutionnaire mondiale des années 1917-1923, c’est-à-dire bien avant l’effondrement du bloc de l’Est et la prétendue “mort du communisme”, le Manifeste était déjà calomnié et combattu armes à la main par la classe dominante qui encerclait la Russie des soviets. A cette époque, le Manifeste restait pour les révolutionnaires plus que jamais une véritable boussole permettant de guider le prolétariat en vue du renversement du capitalisme pour son projet révolutionnaire mondial. Dans les conférences faites en 1922 par Riazanov sur la vie et l’activité de Marx et Engels, le Manifeste était considéré comme un pur produit d’un combat de la classe ouvrière. C’est ce que montre ce passage citant Engels lui-même : “les ouvriers se présentèrent et invitèrent Marx et Engels dans leur union ; Marx et Engels déclarèrent qu’ils n’y entreraient que lorsqu’on accepterait leur programme ; les ouvriers consentirent, organisèrent la Ligue des Communistes et, immédiatement, chargèrent Marx et Engels d’écrire le Manifeste du parti communiste”. Ce “consentement” ne fut pas l’objet d’un coup de tête, d’une faiblesse cédant à une “crise autoritaire” et encore moins d’une sorte de “coup de force” de la part de Marx et Engels. Il était au contraire l’objet d’une véritable maturation de la conscience ouvrière et fruit d’un long débat, un produit militant lié à l’activité organisée de la Ligue des Communistes : “les débats durèrent plusieurs jours, et Marx eut beaucoup de peine à convaincre la majorité de la justesse du nouveau programme. Ce dernier fut adopté dans ses traits fondamentaux et le congrès chargea spécialement Marx d’écrire au nom de la Ligue des Communiste non pas une profession de foi mais un Manifeste…”(1) Il est très important de bien souligner que le Manifeste était avant toutes choses un mandat que Marx avait reçu du congrès en tant que MILITANT et non une simple production écrite lui appartenant en propre. À ce titre, une lettre envoyée par le comité central au comité régional de Bruxelles, datée du 26 mars, sur la base d’une résolution adoptée le 24 janvier, devait d’ailleurs lui être transmise pour lui demander des comptes sur ses travaux. Marx risquait même des sanctions au cas où il n’assumerait à temps son mandat pour rédiger le Manifeste : “le comité central, par la présente, charge le comité régional de communiquer au citoyen Marx que, si le Manifeste du Parti communiste dont il a assumé la composition au dernier congrès n’est pas parvenue à Londres le 1er février de l’année courante, des mesures en conséquence seront prises contre lui. Au cas où le citoyen Marx n’accomplirait pas son travail, le comité central demandera son retour immédiat des documents mis à la disposition de Marx.
Au nom et sur mandat du comité central : Schapper, Bauer, Moll”.
Marx, nous le savons, a réussi à terminer son travail en temps et en heure. Parallèlement à ce travail militant, Marx comme Engels n’avait cessé en amont d’agir dans le sens de développer l’unité du prolétariat en faisant également tout un travail organisationnel exemplaire dont le Manifeste lui-même est à la fois le produit et l’outil en permettant la poursuite : “Les historiens ne se sont pas rendu compte de ce travail d’organisation de Marx, dont ils ont fait un penseur de cabinet. Et ainsi, ils n’ont pas vu le rôle de Marx en tant qu’organisateur, ils n’ont pas vu un des côtés les plus intéressants de sa physionomie. Si l’on ne connaît pas le rôle que Marx (je souligne Marx et non Engels) jouait déjà vers 1846-47 comme dirigeant et inspirateur de tout ce travail d’organisation, il est impossible de comprendre le grand rôle qu’il jouera dans la suite comme organisateur de 1848-1849 et à l’époque de la Première Internationale”.
Tout ce travail militant, au service de l’unité et du combat du prolétariat, se retrouve dans les formulations même du Manifeste qui définit la position des communistes comme “avant-garde” et partie non séparée de la classe ouvrière : “les communistes ne forment pas un parti distinct (…) ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat”.(2)
Les bolcheviques considéraient en leur temps eux-aussi que le Manifeste du parti communiste constituait une véritable “boussole”. Voici ce que Lénine disait lui-même du Manifeste : “cette plaquette vaut des tomes : elle inspire et anime jusqu’à ce jour tout le prolétariat organisé et combattant du monde civilisé.”(3) La force théorique du Manifeste n’a été possible, au-delà du propre génie indéniable de Marx, que par le contexte lié à un moment décisif dans l’histoire de la lutte de classe, celui d’une période où le prolétariat commençait à se constituer comme classe indépendante de la société. Ce combat allait permettre au communisme lui-même de dépasser ainsi l’idéal abstrait élaboré par les utopistes pour devenir un mouvement social pratique basé sur une méthode scientifique, dialectique, celle du matérialisme historique. La tâche essentielle était alors d’élaborer la vraie nature du communisme, de la lutte de classe, et les moyens d’y parvenir pour atteindre ce but qui devait être formulé dans un Programme. Il y a vingt ans, nous affirmions à propos du Manifeste : “il n’existe pas aujourd’hui de document qui trouble plus profondément la bourgeoisie que le Manifeste communiste, pour deux raisons. La première parce que sa démonstration du caractère historique temporaire du mode de production capitaliste, de la nature insoluble de ses contradictions internes que confirme la réalité présente, continue à hanter la classe dominante. La seconde, parce que le Manifeste, déjà à l’époque, a été précisément écrit pour dissiper les confusions de la classe ouvrière sur la nature du communisme”.(4) Le Manifeste est un véritable trésor pour le mouvement ouvrier. En “avance sur son temps”, il donne toutes les armes nécessaires pour combattre l’idéologie dominante aujourd’hui. Par exemple, la critique du socialisme “conservateur ou bourgeois” de l’époque, toute proportion gardée, s’applique tout à fait au stalinisme du XXe siècle et permet de comprendre ce que veut réellement dire l’abolition de la propriété privée : “(…) Par transformation des conditions de vie matérielles, ce socialisme n’entend nullement l’abolition des rapports de production bourgeois, qui ne peut être atteinte que par des moyens révolutionnaires ; il entend par là uniquement des réformes administratives, qui s’accomplissent sur la base même de ces rapports de production sans affecter, par conséquent, les rapports du capital et du travail salarié, et qui, dans le meilleur des cas, permettent à la bourgeoisie de diminuer les frais de sa domination et d’alléger le budget de l’État”. Bien au-delà de ces éléments critiques qu’il est possible d’utiliser comme une arme toujours actuelle, le Manifeste affirme par ailleurs plusieurs éléments essentiels qui restent pleinement valables pour orienter la lutte aujourd’hui :
— la première, c’est de démontrer la crise du système capitaliste, la réalité de la “surproduction”, le fait que le capitalisme et la société bourgeoise sont condamnés par l’histoire : “La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie ; c’est-à-dire que l’existence de la bourgeoisie et l’existence de la société sont devenues incompatibles”.
— le deuxième élément essentiel, alors que la bourgeoise ne cesse de dire mensongèrement que le prolétariat a “disparu” et que seules sont valables les réformes “démocratiques” bourgeoises, soi-disant “pour” le “peuple”, le Manifeste dégage au contraire une perspective révolutionnaire en soulignant nettement ceci :"le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire”. Expression d’une classe universelle par nature à la fois exploitée et révolutionnaire, travaillant de manière associée et solidaire dans les rapports capitalistes de production, son combat s’inscrit et se développe non seulement par rapport à la nécessité mais aussi dans la capacité de mener à bien ce projet. Une des principales clarifications contenues dans le Manifeste réside dans le fait qu’il affirme beaucoup plus clairement qu’auparavant que l’émancipation de l’humanité est désormais dans les mains du prolétariat. Ce dernier doit inexorablement s’affronter à la bourgeoisie sans aucun compromis, il ne peut pas faire cause commune avec elle. Un aspect qui n’était pas si clair que ça jusqu’en 1848 et qui d’ailleurs ne l’a pas toujours été par la suite. Rappelons que le mot d’ordre de la Ligue des Justes (“Tous les hommes sont frères”) exprimait encore toute la confusion qui régnait dans le mouvement ouvrier. Le Manifeste affirme au contraire l’antagonisme irrémédiable entre le prolétariat et la bourgeoisie. En cela, il est en fait l’expression d’un pas décisif franchi dans la conscience de classe.
— le troisième porte sur la nature et le rôle des communistes qui doivent être “la fraction la plus résolue (…) qui entraîne toutes les autres : théoriquement ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien”.
— le dernier point, last but not the least, c’est l’affirmation par le Manifeste du caractère internationaliste du combat de classe : “les ouvriers n’ont pas de patrie” qui a toujours été et reste plus que jamais la pierre de touche de la défense des positions de classe, totalement à l’opposé du nationalisme de l’ennemi de classe. Le fait que le Manifeste se termine sur cet appel vibrant : “prolétaires de tous les pays unissez-vous !” en est l’expression la plus forte qui traduit la dimension intrinsèquement internationaliste du combat prolétarien et de la défense de son principe fondamental.
Nous pourrions souligner encore bien d’autres aspects importants déjà présents dans le Manifeste mais nous souhaitons conclure ce bref hommage militant au Manifeste en revenant à ses premières lignes, celle de la non moins célèbre formule elle aussi toujours actuelle selon nous : “Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme”. Et en effet, nous affirmons que malgré les difficultés qu’il connaît et traverse aujourd’hui, le prolétariat international garde toujours ses capacités et la force de pouvoir mettre à bas l’ordre capitaliste pour le remplacer par une société sans classe, sans guerre ni exploitation. Ce “spectre”, n’en déplaise aux bourgeois, est bel et bien encore et toujours présent !
WH, 3 juin 2018
1Riazanov, Marx et Engels.
2Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
3Lénine, Karl Marx et sa doctrine.
41848 – Le manifeste communiste : une boussole indispensable pour l'avenir de l'humanité [618] (Revue Internationale n° 93).
Récemment, s’est tenu le XXIIIe congrès de Révolution internationale (RI), section du Courant communiste international (CCI) en France. Les travaux de ce congrès ont notamment abouti à l’adoption de la résolution sur la situation en France que nous publions ci-dessous.
1/ 1968-2018 : il y a cinquante ans, en Mai 1968 en France, près de dix millions d’ouvriers étaient en lutte. C’était la plus grande grève de l’histoire ! Le prolétariat reprenait le chemin du combat après quatre décennies plongées dans la nuit noire de la contre-révolution. Cette dynamique, qui s’est confirmée notamment par “l’automne chaud” italien de 1969 et par les luttes de l’hiver 1970-71 des ouvriers de Pologne allait porter le prolétariat partout dans le monde jusqu’à la fin des années 1980.
Mai 68 est marqué aussi par la réapparition de minorités révolutionnaires dans tous les pays d’Europe occidentale et en Amérique du Nord. Ce processus avait débuté avant même la grève généralisée de mai 1968 mais cette dernière lui a donné un élan considérable. Ce n’est évidemment pas un hasard si c’est en France que s’est constitué, en juin 1968, le groupe le plus important et le plus solide de la Gauche communiste, Révolution Internationale qui a bénéficié de la clarté politique et de l’expérience de militants d’un petit groupe du Venezuela, Internationalismo, formé autour de Marc Chirik, un militant historique de la Gauche communiste. Il ne s’agit pas là d’un événement anecdotique mais la marque de l’être historique du prolétariat : une classe qui porte, en elle, le projet révolutionnaire et dont les organisations, aussi petites soient-elles, représentent la continuité et l’histoire.
2/ En France, la vague de luttes inaugurée par Mai 68 va se concrétiser par des mouvements importants dans les principaux centres industriels et notamment dans la sidérurgie à la fin des années 1970, dans les transports (SNCF) fin 1986, dans le secteur hospitalier en 1988. Au-delà de la forte combativité d’alors, ces luttes étaient aussi marquées par une confrontation de plus en plus ouverte avec les syndicats officiels ce qui a conduit les secteurs d’extrême-gauche de la bourgeoisie à promouvoir une forme de syndicalisme de base, les “coordinations”. Ce n’est pas le fait du hasard si le prolétariat en France a été à l’avant-garde du déclenchement du mouvement de luttes ouvrières qui s’est développé internationalement par la suite. L’échelle exceptionnelle de la grève de 1968 est en partie la conséquence de maladresses politiques du pouvoir gaulliste mais cela correspond aussi à une tradition séculaire du prolétariat de ce pays. C’est une des spécificités de la classe ouvrière en France, relevée déjà par les marxistes au XIXe siècle, suite à la révolution de 1848 et de la Commune de Paris, le caractère explosif et hautement politique de ses luttes. Ainsi, on pouvait lire sous la plume de Kautsky, lorsqu’il était encore révolutionnaire : “Si en Angleterre, dans la première moitié du XIXe siècle, c’était la science économique qui était la plus avancée, en France c’était la pensée politique ; si l’Angleterre était régie par l’esprit de compromis, la France l’était par celui du radicalisme ; si en Angleterre le travail de détail de la lente construction organique prédominait, en France c’était celui que nécessite l’ardeur révolutionnaire”. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le prolétariat français a perdu ce rôle d’avant-garde politique du prolétariat européen (et donc mondial) au bénéfice du prolétariat allemand puis du prolétariat russe. Mais la terrible chape de plomb de la contre-révolution a affecté tout particulièrement les secteurs de la classe ouvrière qui étaient allés le plus loin sur la voie révolutionnaire, justement ceux d’Allemagne et de Russie. Mai 68 a fait la preuve que, d’une certaine façon, le prolétariat français avait retrouvé, provisoirement, ce rôle d’avant-garde. La bourgeoisie internationale est d’ailleurs bien consciente de cette spécificité et c’est pour cela qu’elle accorde toujours une attention particulière aux mouvements sociaux en France. Il est donc probable que le prolétariat français tiendra une place importante dans les combats à venir de la classe ouvrière mondiale.
3/ Mai 68 et les combats qui se sont déroulés par la suite internationalement, ont représenté un pas immense pour le prolétariat mondial : la fin de la contre-révolution qui s’était abattue sur lui à la fin des années 1920. Mais ce n’était qu’un premier pas sur le chemin de la révolution communiste. Le pas suivant n’a pas pu être franchi, sinon de façon très réduite et sans lendemain : celui de la politisation de sa lutte, de la conscience que celle-ci devait s’inscrire dans la perspective du renversement du capitalisme. C’est un élément fondamental pour comprendre les difficultés actuelles du prolétariat. Les différents mouvements de grèves sont restés essentiellement des luttes défensives. Pour paralyser ainsi la conscience ouvrière, la bourgeoisie a utilisé tout son arsenal de mystifications. Les syndicats sont remis en cause ? Les organisations de gauche et d’extrême-gauche de crier en chœur “Vive le syndicalisme de base !”. Le sabotage de l’extension des luttes par les syndicats est trop visible ? Les mêmes de clamer “Vive les coordinations !”, comme à la SNCF et chez les infirmières, pour mieux enfermer les ouvriers dans le corporatisme et les conduire à la défaite. Et lorsqu’en Pologne en 1980, le prolétariat se dressant face au stalinisme et ses syndicats policiers commence à s’auto-organiser et à inspirer les travailleurs du monde entier, toujours les mêmes experts en sabotage ont accouru des pays démocratiques, et tout particulièrement de France (CFDT en tête), pour expliquer au prolétariat (et à la bourgeoisie polonaise) les bienfaits de livrer la conduite de sa lutte à un “syndicat libre”. Et de scander tous “Vive Solidarnosc !”.
Le prolétariat s’est également confronté aux différentes composantes des organisations de la gauche du capital (partis socialiste et communiste, groupes trotskistes…) colportant l’illusion réformiste de la possibilité d’améliorations des conditions de vie au sein du capitalisme, d’un capitalisme mieux géré et plus humain et utilisant cette illusion pour dévoyer les luttes dans l’impasse électorale.
Ce faisant, la classe dominante est parvenue à contenir et enfermer l’action et la conscience du prolétariat dans les limites des rapports sociaux d’exploitation de la société capitaliste. Pris dans ces pièges idéologiques, ce mouvement allant de 1968 à la fin des années 1980 s’est ainsi essoufflé. Même s’il a commencé à développer une méfiance envers les syndicats officiels, le prolétariat n’a pas été capable d’exprimer une alternative au capitalisme dans son combat, de s’imposer en tant que classe porteuse d’un projet révolutionnaire et montrer à l’ensemble de la société que sa lutte offrait la perspective d’une société sans classe, le communisme. Si la classe ouvrière n’a pas été en mesure de mettre en avant un nouveau projet de société, la bourgeoisie de son côté n’a pas pu répondre par la guerre mondiale à la crise historique de son système comme elle l’avait fait dans les années 1930. Cette situation de blocage où aucune des deux classes fondamentales de la société n’a pu mettre en avant sa propre perspective à la crise sans issue de l’économie capitaliste : la révolution pour la classe ouvrière, la guerre généralisée pour la bourgeoisie, s’est traduite par un pourrissement sur pieds de la société, par l’entrée du capitalisme dans la phase ultime de sa décadence, la phase de décomposition.
4/ La fin des années 1980 a donc été difficile pour le prolétariat. Le “no future”, l’absence d’un espoir pour l’avenir, les tendances au repli sur soi, à l’atomisation, se sont répandus dans tous les pays, et c’est dans ce contexte qu’est intervenue la chute du mur de Berlin puis l’effondrement du bloc de l’Est. Une campagne aussi assourdissante que mensongère s’en est suivie : la faillite du prétendu “socialisme” (une des formes les plus caricaturales du capitalisme d’État) a été présentée frauduleusement et honteusement comme “la mort du communisme”, la fin de toute possibilité de remplacer le capitalisme par une autre société.
Le coup porté était particulièrement violent. Les journalistes et les experts en tous genres se sont répandus sur les atrocités et la barbarie réelles du stalinisme. Des campagnes redoutablement efficaces allant même jusqu’à susciter dans le prolétariat un sentiment de honte. Honte de son passé, un passé qu’il ne comprend plus et finit par rejeter, puis oublier. Honte de lui-même, au point de nier son existence. Ainsi, depuis les années 1990, le prolétariat a été confronté à un handicap supplémentaire : la perte croissante de son identité de classe.
C’est pourquoi plus encore aujourd’hui que par le passé, il repose sur les épaules des minorités révolutionnaires une grande responsabilité : celle de maintenir la mémoire de ce qu’est la classe ouvrière, de son projet révolutionnaire, de son passé, des leçons qu’elle a tirées de ses nombreux combats.
5/ Au cours de ces dernières années, à l’échelle mondiale, le tissu social a connu une aggravation significative de sa décomposition. L’irrationalité et la peur de l’autre grignotent des franges toujours plus larges de l’humanité. En France, les exactions nauséabondes et haineuses se multiplient : meurtres antisémites par des éléments du lumpen, agressions homophobes et violences de milices anti-immigrés constituées par des éléments de l’extrême-droite (à Calais et à la frontière franco-italienne).
La manifestation politique de ce pourrissement est le développement spectaculaire du populisme. La bourgeoisie elle-même est en partie happée, au point que des dirigeants populistes (ou instrumentalisant le populisme) sont parvenus au pouvoir gouvernemental, y compris à la tête de la première puissance mondiale, les États-Unis, avec son inénarrable Trump !
En France, le succès du parti symbolisant cette vague populiste, le Front National, a une origine plus ancienne. Très faiblement connu en 1981, il a bénéficié d’un énorme soutien de la part du parti socialiste alors au gouvernement : l’instauration de la représentation proportionnelle aux élections législatives lui a permis en 1986 d’envoyer un nombre significatif de députés à l’Assemblée nationale lui donnant pignon sur rue. L’objectif du parti socialiste, à l’époque, était d’affaiblir la droite traditionnelle et aussi de détourner vers l’antifascisme tout un questionnement présent au sein de la classe ouvrière, et notamment parmi les jeunes, concernant les mesures d’austérité prises par le gouvernement socialiste. Dans un premier temps donc, la bourgeoisie a pu contrôler le FN et l’utiliser. Cela dit, le phénomène du populisme ne peut se résumer à des manœuvres politiciennes de tel ou tel secteur de la bourgeoisie. Tout particulièrement, depuis dix ans et l’accélération de la crise économique de 2008, il est devenu un produit significatif de la décomposition qui vient troubler le jeu politique avec pour conséquence une perte de contrôle croissante de l’appareil politique bourgeois sur le terrain électoral. Autrement dit, produit du développement de la décomposition, le populisme est devenu à son tour un facteur actif de déstabilisation et de chaos. C’est ainsi que la montée du Front National est de moins en moins contrôlée par la bourgeoisie et son État : le FN est devenu, lors des élections régionales de 2015, le premier parti de France au point de mettre en danger la bourgeoisie française et donc l’UE (l’Union européenne) par une possible victoire aux présidentielles de 2017. De même, le populisme a gangrené en partie la droite dite “classique”. Dans les pas de Nicolas Sarkozy, une partie de ses plus hauts représentants rivalise en effet de déclarations xénophobes et violentes, espérant ainsi reconquérir l’électorat parti vers le FN. Mais cette instrumentalisation du populisme à des fins électorales est un jeu dangereux pour la bourgeoisie car, in fine, elle le nourrit et participe donc à son développement.
6/ L’arrivée de Trump à la présidence des États-Unis, la victoire du Brexit en Grande-Bretagne et la possibilité d’un succès du FN aux dernières élections présidentielles en France expriment donc la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. Mais, dans ce contexte, la fraction le plus éclairée et consciente de la bourgeoisie ne reste pas sans réagir, au contraire. Les élections de 2017 en France ont ainsi montré comment la bourgeoisie française, dans le cadre du capitalisme d’État, et aidée par la bourgeoisie européenne et notamment l’Allemagne, a su faire face avec succès à cette montée du populisme, en choisissant l’option qui correspondait le mieux aux intérêts du capital français (tant sur le plan national qu’international, en particulier européen) : Emmanuel Macron. Elle est parvenue à le mener au pouvoir avec une image “d’homme providentiel”, une très large majorité parlementaire et un mouvement politique, En Marche, construit pour lui.
7/ La victoire de Macron a provoqué une recomposition de l’appareil politique en France. “Il faut des hommes nouveaux, il faut refonder la politique”, tel est le message qu’a porté la bourgeoisie pour ouvrir la porte à une recomposition des partis politiques, avec comme toile de fond “du passé faisons table rase”. Nous avons assisté à l’affaiblissement considérable du PS, à la division et à la lutte à mort des clans au sein de la droite classique et au ratage électoral du FN avec la large défaite de Marine Le Pen au second tour des présidentielles, plongeant à son tour ce parti dans la crise. A la place de ces vieux partis, et aux côtés donc du tout nouveau, tout beau parti de Macron En marche, sort victorieux le parti de Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise (FI), qu’a rejoint l’instigateur et théoricien du mouvement “Nuit debout” (qui s’était manifesté en parallèle des mouvements sociaux contre la “loi travail” de Hollande), François Ruffin. Ces deux organisations, “En marche” et “FI”, ont ceci en commun de vouloir se présenter non comme des partis mais comme des “mouvements”. C’est ici aussi la marque de l’intelligence de la bourgeoisie et de sa capacité d’adaptation, qui perçoit l’écœurement de la classe ouvrière et de l’ensemble de la population vis-à-vis de la politique traditionnelle et donc qui s’efforce de lui présenter un nouveau visage.
Second point commun, elles sont toutes deux portées par un leader charismatique, qui concentre entre ses mains tous les pouvoirs de décision. Il s’agit là, par contre, d’une faiblesse potentielle.
La situation politique de la bourgeoisie française est donc complexe. À court et moyen terme, elle est parvenue à faire face aux dangers populistes, à porter au pouvoir la fraction la plus claire sur la politique nationale et européenne à mener aujourd’hui (comme elle était parvenue à porter au pouvoir De Gaulle en 1958) et à pousser en avant un mouvement de gauche, la France insoumise et ses alliés, particulièrement efficace pour attirer à lui les mécontentements ouvriers et les pousser dans de vieilles impasses qui sont tout simplement relookées. C’est là une victoire pour la bourgeoisie française, qui redore sensiblement son blason sur l’arène internationale. Macron est devenu “l’homme politique de l’année”, au succès mondial. Mais en même temps, sur le long terme, elle se retrouve avec un parti au pouvoir reposant sur l’image d’un homme unique (comme l’était le gaullisme), avec un seul parti d’opposition captant la colère ouvrière sans que celui-ci ne représente une alternative crédible pour le pouvoir.
Ce double niveau de lecture est nécessaire pour comprendre les contradictions de la situation présente : la bourgeoisie, à travers le capitalisme d’État, se mobilise face aux conséquences de l’impasse historique de son système, cependant elle ne peut à long terme réellement endiguer l’avancée lente mais fondamentalement inexorable de la décadence du capitalisme et donc de la plongée de la société dans la décomposition.
8/ Forte de son succès politique récent, la bourgeoisie française veut se poser en leader de l’Europe, Macron mettant tout particulièrement en avant les capacités militaires de la nation. Mais la France ne peut s’engager dans une politique européenne offensive sans l’Allemagne. Face aux difficultés politiques qui surgissent dans de nombreux pays de l’UE (gouvernements populistes en Pologne, Hongrie, Autriche, Slovaquie et montée du populisme en Italie), le renforcement du couple franco-allemand représente l’alternative la plus forte en Europe pour tenter d’imposer une stabilité et pour endiguer les forces centrifuges. Cela dit, face aux ambitions françaises, l’Allemagne veut évidemment conserver son leadership, et si elle souhaite une bourgeoisie française maîtrisant sa situation sociale et économique, elle ne peut supporter ses nouvelles prétentions. Là encore, la situation est donc marquée par des forces contradictoires.
9/ Sur le plan impérialiste, la France est la tête de file de l’UE, sa force la plus active et efficiente. Les autres nations, y compris l’Allemagne, ont besoin de cette puissance militaire mais, en même temps, elles admettent difficilement cette suprématie. Cela d’autant plus qu’au sein de l’UE, les différents pays ont souvent des intérêts et des options impérialistes très différents, voire contradictoires. Par exemple, vis-à-vis de la Russie, l’Allemagne et la France ne sont pas du tout sur la même ligne, ce qui se ressent dans les choix militaires opérés en Syrie par exemple. L’opération séduction de Macron aux États-Unis a elle aussi été très mal perçue en Allemagne, ce que Merkel a fait clairement savoir.
En Afrique, l’influence française est chaque année plus remise en cause. Les États-Unis et la Chine, à travers le projet de route de la soie de cette dernière, s’y livrent une guerre impitoyable. La Russie n’est pas en reste et avance ses pions, sa présence sur ce continent devenant une priorité. De nouveaux venus semblent aussi intéressés par l’Afrique pour contrer le projet chinois, notamment l’Inde et le Japon.
Mais là aussi, la bourgeoisie française ne reste pas sans réaction. Elle a mis en place le “G5 Sahel”. Dans ce cas, l’alliance franco-allemande dans le cadre de l’UE prend toute son importance. La France tente aussi de réaffirmer sa présence au Moyen-Orient, où Macron se présente en “leader” de l’UE en prônant un discours de paix face à Trump et à la Russie, mais aussi en affichant une politique interventionniste dans la situation en Syrie. La France n’a d’ailleurs pas ménagé son engagement militaire dans la lutte contre Daesh.
Toutes ces interventions participent activement au développement du chaos. Cette politique de l’impérialisme français s’inscrit en effet dans les traces de ses opérations militaires en ex-Yougoslavie et au Rwanda dans les années 1990 ou plus récemment en Lybie ; chaque fois, celles-ci ont contribué à la déstabilisation de ces régions et à l’accroissement de la barbarie. Aujourd’hui, la décomposition continue d’avancer au Mali par exemple, où l’État est exsangue et où les forces liées au terrorisme restent toujours incontrôlables, malgré la forte présence continue de l’armée française.
10/ Cette situation de décomposition qui touche de plein fouet l’Afrique, le Proche – et le Moyen-Orient pousse des masses croissantes de la population à fuir, notamment les jeunes. Face à ces migrations massives, se développe une politique toujours plus répressive.
Contrairement à l’Allemagne qui, durant un très court laps de temps, a joué la carte de la “terre d’accueil”, la France a toujours maintenu le cap d’un contrôle drastique de ses frontières, n’hésitant pas à bâtir des camps de réfugiés et autres centres de rétention, une politique répressive qui s’aggrave actuellement sous le gouvernement Macron tout comme la propagande alimentant la peur et la haine des migrants qualifiés de “hors-la-loi”, de “profiteurs” et de “délinquants”.
11/ Sur le plan économique, la politique actuelle de la bourgeoisie française constitue une accentuation des politiques menées par les précédents gouvernements, notamment au cours de la présidence Hollande. Bénéficiant d’un contexte momentané de “croissance”, Macron fait flèche de tout bois pour être attractif vis-à-vis des investisseurs, en continuité avec son prédécesseur. Le gouvernement met l’accent sur la modernisation de l’industrie française et l’orientation vers le numérique, l’intelligence artificielle et les biotechnologies. D’autre part, il s’attelle à assouplir le marché du travail pour faire baisser la masse salariale. Cela concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé. Cette politique comporte cependant un revers : elle provoque une difficulté pour les entreprises de certains secteurs à recruter pour des emplois qui exigent une certaine compétence.
L’autre stratégie se situe au niveau international : par une hausse d’acquisitions d’entreprises pour attirer des entreprises étrangères en France. Fort de sa présente popularité, notamment dans les pays anglo-saxons, Macron entend attirer les investissements étrangers et se présente comme un ardent défenseur de la mondialisation, pratiquant une ouverture à l’opposé du repli protectionniste mis en œuvre par Trump.
Pour mener cette politique, Macron a besoin de l’Union européenne et il doit dynamiser celle-ci pour réussir et pour couper court au discours populiste anti-européen. L’alliance avec l’Allemagne constitue un élément-clé de la réussite de cette politique, notamment pour garantir une stabilité au sein de la zone euro même si, évidemment, la concurrence entre ces deux pays continue d’exister avec même des intérêts carrément divergents, l’Allemagne ayant à ménager sa politique vis-à-vis de l’Est de l’Europe.
12/ Cette politique de la bourgeoisie française passe nécessairement par de nouvelles attaques contre la classe ouvrière. Ces derniers temps, ces attaques se sont amplifiées et accélérées.
Que ce soit au niveau des salaires, des pensions, des allocations chômage, de l’augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG), de l’augmentation de certains prix comme l’essence, les transports, des licenciements importants, le gouvernement assume de manière déterminée ses attaques. C’est la concrétisation de la volonté du gouvernement de rendre plus compétitive l’économie française et “d’assouplir” le marché du travail. Au-delà de la suppression des dizaines de milliers de postes dans la fonction publique, les hôpitaux, les écoles, les services des impôts, la poursuite de la suppression des contrats aidés pendant toute l’année 2018, ce sont des dizaines de milliers de suppressions d’emplois qui restent au programme pour les mois à venir. À cela s’ajoutent les licenciements pour “motifs personnels” (disciplinaires, “faute”, inaptitude professionnelle, refus d’une modification substantielle du contrat de travail) ou par le biais des “ruptures conventionnelles” et un nombre indéterminé de suppressions d’emplois sous forme de “départs volontaires”. Il faut rajouter à cela les attaques contre le statut des cheminots et, par la suite, la mise en place de la réforme du statut de la fonction publique. Tout cela s’inscrit dans la continuité du démantèlement de l’État – providence qui se traduit aussi par des attaques contre les allocations chômage, contre les retraites, contre la sécurité sociale, les réductions des allocations logement et autres prestations familiales. Ce démantèlement de l’État-providence s’est accéléré sous le gouvernement Macron venant aggraver encore la pauvreté. Ainsi, selon l’Observatoire des inégalités, cinq millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, soit 600 000 de plus qu’il y a dix ans.
13/ La violence de ces attaques pose la question de la capacité de la classe ouvrière à y faire face. La résolution sur la situation internationale du 22e congrès du CCI nous fournit le cadre d’une telle analyse : “Après 1989, avec l’effondrement des régimes “socialistes”, un facteur qualitatif nouveau a surgi : l’impression de l’impossibilité d’une société moderne non basée sur des principes capitalistes. Dans ces circonstances, il est bien plus difficile pour le prolétariat de développer, non seulement sa conscience et son identité de classe, mais aussi ses luttes économiques défensives. De plus, en œuvrant d’une façon plus sournoise, l’avancée de la décomposition en général et “en elle-même” a érodé dans la classe ouvrière son identité de classe et sa conscience de classe.”
“Comme le CCI l’avait prévu dans la période immédiatement après les événements de 89, la classe allait entrer dans une longue période de recul. Mais la longueur et la profondeur de ce recul se sont même avérées plus grandes que ce à quoi nous nous étions attendus. D’importants mouvements d’une nouvelle génération de la classe ouvrière en 2006 (le mouvement anti-CPE en France) et entre 2009 et 2013 dans de nombreux pays à travers le monde (Tunisie, Égypte, Israël, Grèce, États-Unis, Espagne…), en même temps qu’une certaine résurgence d’un milieu intéressé par les idées communistes, ont rendu possible de penser que la lutte de classe allait de nouveau, une fois de plus, occuper le centre de la scène, et qu’une nouvelle phase du développement du mouvement révolutionnaire allait s’ouvrir. Mais de nombreux développements au cours de la dernière décennie ont justement montré à quel point les difficultés auxquelles sont confrontées la classe ouvrière et son avant-garde sont profondes”.
Cette situation a affecté le prolétariat en France au même titre que partout ailleurs. Mais, pour les raisons qu’on a vues plus haut, celui-ci a conservé un potentiel de combativité plus élevé que dans la plupart des autres pays, une combativité qui s’est exprimée de façon massive en 1995 (loi Juppé contre la sécurité sociale), en 2003 (face aux attaques contre les retraites), en 2006 (mobilisation contre le CPE), en 2010 (face à de nouvelles attaques contre les retraites) et en 2016 (“loi travail”). Ces mobilisations correspondaient souvent (notamment en 1995 et 2010) à des manœuvres destinées, soit à redorer le blason des syndicats (1995), soit à tuer dans l’œuf la combativité ouvrière (2010 notamment) mais, par elle-même, la multiplication des manœuvres indiquait la préoccupation de la classe dominante face aux potentialités que continue de porter en elle la classe ouvrière en France.
Le mouvement de luttes enclenché au mois d’avril 2018, avec comme points saillants les grèves à la SNCF et les mobilisations étudiantes, s’inscrit dans ce contexte. Il existe un profond mécontentement dans de nombreux secteurs de la classe ouvrière, retraités, hospitaliers, SNCF, étudiants… Un mécontentement qui contient le risque d’aboutir à une explosion sociale majeure face aux futures attaques planifiées par la bourgeoisie. Celle-ci en est consciente et c’est pourquoi elle a lancé une manœuvre pour canaliser ce mécontentement en focalisant le combat sur la SNCF. On assiste à un bras de fer spectaculaire et à une surenchère entre le gouvernement et les syndicats de la SNCF, sur fond de campagnes de dénigrement instrumentalisant la colère des usagers. La stratégie de la bourgeoisie est d’infliger une défaite aux cheminots pour tenter de démoraliser le reste de la classe et de préparer d’autres attaques, notamment contre le statut des fonctionnaires. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si un magazine britannique a représenté en première page Macron en Margaret Thatcher.
Il faut d’ailleurs souligner la détermination de l’État à utiliser la plus vigoureuse répression : état d’urgence permanent, évacuation musclée des facultés en grève, arrestations et poursuites judiciaires contre ceux qui occupaient les universités…
Si le mécontentement est énorme, la réalité des luttes en France est qu’elles sont dominées pour le moment par l’encadrement syndical ; la classe peine à esquisser une prise en main de ses luttes. C’est le tribut que le prolétariat en France paye à la faiblesse générale du prolétariat mondial. En même temps, le succès des manifestations promues par les “insoumis” de Mélenchon-Ruffin dans lesquelles le mot de “révolution” (évidemment associé à celle de 1789 et non aux révolutions prolétariennes du XXe siècle) revient fréquemment, sont le signe qu’un nombre significatif de prolétaires aspire au renversement du capitalisme.
14/ La question de la perspective est au cœur de la capacité du prolétariat à retrouver le chemin de luttes massives, autonomes et conscientes. Si de nombreux prolétaires ont bien compris que le système capitaliste ne peut leur offrir que toujours plus de privations, de précarité, de chômage, de misère et de souffrances, ils sont encore loin d’envisager la possibilité de le renverser. La classe ouvrière doit affronter de nombreux obstacles avant que de pouvoir envisager une telle perspective. D’une part, elle doit surmonter un profond sentiment d’impuissance résultant de la perte de son identité de classe. D’autre part, lorsqu’elle tente de marquer son hostilité aux partis traditionnels de la bourgeoisie responsables des politiques d’austérité de plus en plus rudes, elle doit affronter des pièges redoutables. Le “dégagisme”, l’idée qu’il faut se débarrasser de l’emprise de ces partis sur la vie politique, est exploité tant par des secteurs “de gauche” que d’extrême-droite et son courant populiste. Cela dit, même si de nombreux ouvriers dans le désespoir donnent leur vote au Front national, on n’a pas assisté en France, contrairement à d’autres pays d’Europe, à des mobilisations ou des actes de violence contre des immigrés. La seule manifestation importante contre un foyer devant accueillir des sans-abris a eu lieu en mars 2016 dans le 16e arrondissement de Paris et elle était menée par des bourgeois qui habitent le quartier ! En réalité, le sentiment le plus répandu parmi les masses ouvrières en France est celui d’une compassion vis-à-vis de ces êtres humains qui affrontent les pires dangers pour fuir l’enfer qu’ils connaissent dans leur pays.
Les difficultés principales que doit affronter la prise de conscience du prolétariat sont et seront les manœuvres des “spécialistes” en sabotage que sont les syndicats et les gauchistes. Pour y faire face, l’expérience accumulée par le prolétariat durant les années 1970 et 1980 devra absolument être ravivée dans les mémoires. Cette capacité à politiser la lutte et à développer la conscience en récupérant les leçons de l’histoire du mouvement ouvrier est l’enjeu des futurs grands mouvements sociaux. Par rapport à cette perspective, il convient de signaler l’impact actuel de deux mouvances qui se réclament de “l’anticapitalisme” et de cette nécessaire politisation des luttes mais qui en réalité constituent des impasses : le mouvement “zadiste” et celui des “black blocs”, tous deux de nature petite-bourgeoise.
Le “zadisme” a pour politique d’occuper les “zones à défendre” (ZAD) menacées par les appétits du capital et de la finance, comme par exemple le territoire destiné à recevoir un nouvel aéroport pour la métropole de Nantes. Ce mouvement est monté en épingle par la bourgeoisie et ses fractions d’extrême-gauche et est composé d’éléments anarchisants. Le mouvement “zadiste” prend souvent la forme de la défense de la petite propriété agricole, du “produire et consommer local”, avec tout ce que cela implique d’échanges marchands. Comme ce mouvement est souvent présenté comme une vraie opposition au capitalisme, il risque d’avoir un impact sur des éléments et des minorités qui tentent de réfléchir sur une autre alternative au capitalisme et de stériliser cette réflexion.
Le mouvement des “black blocs” est également animé par des éléments de la mouvance anarchisante (et il lui arrive de “prêter main forte” aux “zadistes”). Il mise sur le fait que des actions violentes contre les symboles du capitalisme (la police, les banques, les entreprises multinationales) affaiblit celui-ci et que la répression que leur action provoque va entraîner les masses dans la lutte violente contre l’État. C’est là une illusion dramatique qui, non seulement est dangereuse pour ceux qui s’y laissent prendre, mais qui est récupérée par l’État capitaliste pour discréditer les manifestations ouvrières et justifier le renforcement de son arsenal répressif. Tout comme le “zadisme”, ce mouvement qui se veut “anticapitaliste” ne peut que faire obstacle à une véritable prise de conscience de la perspective révolutionnaire.
En 1968, la perspective de la révolution était au cœur des discussions et des réflexions, même si cette perspective ne pouvait pas encore se concrétiser du fait, notamment, du faible niveau de la crise économique : le capitalisme n’avait pas encore fait la preuve qu’il ne pouvait pas surmonter ses contradictions. La révolution apparaissait comme possible mais non pas nécessaire. La situation est tout autre aujourd’hui : la nécessité du remplacement du capitalisme par une autre société est ressentie par un nombre croissant d’exploités mais la révolution prolétarienne apparaît comme impossible. Cela dit, tous les éléments qui se posent le problème du renversement du capitalisme ne sont pas happés par les impasses que constituent le “zadisme” et ses variantes ou par la violence gratuite des “black blocs”, deux expressions de la perte de tout espoir d’une véritable révolution prolétarienne. Il existe dès à présent, notamment en France, une tendance à une réflexion plus profonde, avec des blogs, des lieux de rencontre, une tendance animée par des éléments qui essaient de se placer sur le terrain de la lutte de classe, confus sur beaucoup de questions, mais avec la volonté de trouver un terrain prolétarien.
L’aggravation inexorable de la crise du capitalisme, la perte des illusions envers les courants politiques dont la fonction, même quand elle n’est consciente, est de stériliser cette réflexion, ouvrent la possibilité que celle-ci prenne dans les années à venir une plus grande ampleur et c’est la responsabilité d’une organisation communiste comme le CCI d’intervenir activement dans ce processus.
Révolution internationale, juin 2018
Le mercredi 1er août, un énorme incendie se déclarait dans une usine de recyclage d’Athis-Mons (Essonne), site qui avait déjà vu ses déchets en plastique partir en fumée en 2011. Le même jour, les stocks de l’usine Environnement Recycling à Montluçon (Allier) prenaient également feu, mobilisant 140 pompiers et libérant un impressionnant nuage de fumée sur la région. Environnement Recycling avait déjà empoisonné ses employés et l’atmosphère lors de l’incendie de plusieurs tonnes de plastique en 2014. Depuis, visiblement, aucune mesure sérieuse de sécurité n’a été prise et c’est, selon l’entreprise, pas moins de cinq-cents tonnes de plastique, de batterie et de matériel électrique qui ont flambé. La faute, selon la direction, aux batteries au lithium qu’Environnement Recycling a cru pouvoir bazarder sans conséquence sous le soleil d’août, mettant en péril la vie et la santé de la population et, plus encore, de ses salariés dont les conditions de travail, révélées par de multiples scandales, laissent déjà deviner le profond cynisme de la direction !
Cette entreprise “modèle”, “à la fois performante, responsable et citoyenne” (selon son site internet) emploie en effet des personnes handicapées ou “en rupture sociale” (ce qui permet surtout de faire subventionner le coût de la main d’œuvre par l’État) qu’elle expose en permanence à un nuage de poussière toxique contenant une proportion élevée de plomb et autres métaux lourds. Du chantage à l’emploi au prix de la santé d’ouvriers forcément précarisés, c’est ce qu’Environnement Recycling appelle un “engagement en faveur de l’accès à l’emploi et de l’accompagnement” (toujours selon son site internet). Dans ces conditions, répandre une immense fumée empoisonnée plusieurs jours durant sur toute une région relève au mieux, pour Jérôme Auclair, le gérant d’Environnement Recycling qui s’est exprimé dans la presse locale, d’un simple “risque connu”.
Face à ces catastrophes industrielles que personne n’attende de réponse de l’État ; il fera son travail : protéger la rentabilité de la propriété privée ! Déjà, la machine de propagande et de mensonges est en branle. Tandis que la population suffoquait sous un épais nuage toxique, les autorités déclaraient sans sourciller : “le seuil olfactif (expression novlangue pour dire que ça pue méchamment) est atteint, mais il n’y a pas de risques toxiques ni de pollution aquatique ”.(1) Nous voilà rassurés ! En plus : “des prélèvements ont été effectués dès mercredi, pour écarter tout risque de pollution”. Même les grossiers mensonges sur le nuage radioactif de Tchernobyl en 1986 étaient plus convaincants !
Face à la banalisation cynique des méfaits quotidiens du capitalisme, face à la multiplication des catastrophes prétendument naturelles, à celle des catastrophes industrielles, la bourgeoisie n’a pas d’autre explication que la fatalité ou l’origine accidentelle malencontreuse, ni d’autre message que des communiqués stéréotypés des “autorités” pour prévenir la panique et, surtout, désamorcer la colère comme les interrogations des riverains. Pourtant, le stockage peu coûteux de gros tas de détritus indistincts et inflammables est systématique et parfaitement cautionné par les autorités. Tout le monde sait que ces pratiques sont dangereuses (un “risque connu”), que ce type d’incendie met plusieurs jours à s’éteindre, dégageant dans l’atmosphère et dans nos poumons, y compris ceux des enfants et des personnes fragiles, une pollution dont chacun a pu mesurer l’ampleur par le seul “seuil olfactif”. Si la santé et la vie de la population peuvent être mises en péril, le profit, lui, est protégé de ces aléas !
Léo, 3 août 2018.
1 “Incendie à Environnement Recycling (Allier) : la dernière cellule en passe d’être éteinte”, La Montagne du 2 août 2018.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, le mondial de football vient de s’achever sur la victoire retentissante de l’équipe de France. Les différents États et leur appareil médiatique n’ont pas manqué cette belle occasion pour attiser le sentiment patriotique de “l’unité nationale” en appelant à soutenir leurs équipes tout au long de l’événement. Cela a donné lieu à une “liesse nationale” avec, le jour de la finale, des dizaines de milliers de supporters français descendus dans les rues pour clamer leur joie chauvine sous des milliers de drapeaux bleu-blanc-rouge.
De la mi-juin à la mi-juillet, les caméras du monde entier étaient braquées sur la Russie pour couvrir l’événement. En France, à chaque victoire des “Bleus”, les autres sujets d’actualités étaient relégués au second plan, si ce n’est complètement occultés par les principaux médias. Au fil du parcours de l’équipe nationale dans la compétition, les gros titres et les journaux télévisés laissaient une place croissante à ce sujet d’une importance capitale pour… l’unité nationale ! Quelques jours avant la coupe du monde, dans une interview donnée au siège de l’équipe de France à Clairefontaine où il se rendit début juin pour motiver les troupes, Emmanuel Macron déclarait : “C’est toute une nation de football qui est derrière cette équipe.” Ou encore : “le sport permet la cohésion nationale”. Dans cette démarche qui évoque celle d’un général passant en revue ses troupes avant le combat, l’objectif était parfaitement clair. Il s’agissait, en quelque sorte, du coup d’envoi d’une campagne nationaliste à grande échelle : guirlandes tricolores dans les bars, les restaurants et dans certains grands magasins, bandeau sur internet, le drapeau accroché aux fenêtres des maisons ou aux rétroviseurs des voitures, etc. Certaines écoles primaires ont même mis en place une “fan zone”(1) pour les élèves, d’où ces derniers sortaient marqués d’un signe tricolore sur le visage ou en chantant la Marseillaise. Il faut dire que le succès de l’équipe de France fut un atout majeur pour cette campagne nationaliste et l’État a très bien su tirer profit du calendrier de la coupe du monde. En particulier, la fête nationale du 14 juillet, se tenant juste après la victoire de l’équipe de France en demi-finale et à la veille même de la finale, donna lieu à un impressionnant déballage de patriotisme, une “communion” orchestrée derrière les “Bleus”. A maintes reprises, des références ont été faites à la “victoire de 98”.(2) En particulier, nous avons vu des tentatives pour reprendre le thème hypocrite de la France “black-blanc-beur”, comme symbole de l’unité nationale, pour mieux endormir la classe ouvrière avec des slogans interclassistes. L’unité nationale repose sur le mythe de l’union du grand patron avec l’ouvrier, indispensable aux intérêts du capital national. Dans tous les pays où l’équipe nationale participait à la compétition, la bourgeoisie s’est servie du Mondial pour gommer et rejeter les antagonismes de classe et distiller la propagande qu’“ensemble”, “soudée pour défendre et encourager son équipe”, chaque nation est plus forte et par la même induire que l’ouvrier d’ici est nécessairement en concurrence, en rivalité, avec l’ouvrier de là-bas.
L’utilisation du sport comme vecteur du nationalisme n’est pas un fait nouveau. Le premier exemple qui vient à l’esprit, sans doute le plus marquant, est celui des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, où la volonté du IIIe Reich était clairement affichée : “le jeune sportif allemand devait être “résistant comme le cuir, dur comme l’acier de Krupp””.(3) Cela présageait ce qui allait suivre. Durant la guerre froide, l’agressivité des sportifs d’URSS comme des États-Unis n’avait d’égale que celle de l’impérialisme de leur pays respectifs… De la même manière, en 1969, le match de football opposant le Honduras au Salvador pour la qualification en coupe du monde l’année suivant fut un prélude à la guerre qui ne tarda pas à éclater entre ces deux pays. On peut également rappeler le match qui opposa le Dynamo de Zagreb au Red Star de Belgrade en 1990 débouchant sur une bataille rangée qui fit des centaines de blessés et plusieurs morts, contribuant à envenimer les tensions nationalistes déjà existantes qui allaient déboucher sur la guerre en ex-Yougoslavie. Parmi les supporters serbes les plus radicaux, on remarquait le chef de guerre Arkan, spécialiste de “l’épuration ethnique”, nationaliste recherché plus tard par l’ONU pour “crime contre l’humanité” !(4) Nous pourrions remplir nos pages d’exemples de ce type.
Lors de ce Mondial, certains joueurs se sont fait directement les porte-paroles de ces tensions impérialistes et de la haine qu’elles véhiculent. Lors du match Suisse-Serbie, deux joueurs suisses originaires du Kosovo (ancienne province Serbe majoritairement albanaise) ont célébré leurs buts en mimant avec leurs mains l’aigle albanais, adressant un véritable message de défiance vis-à-vis des Serbes. On voit bien à quel point les compétitions sportives internationales sont la forme refoulée des champs de bataille.
Par conséquent, il est indispensable de dénoncer le piège que constituent ces “rencontres” sportives ultra médiatisées pour la conscience et pour l’unité internationale du prolétariat mondial. La ferveur nationaliste, l’hystérie chauvine, outil indispensable au développement de l’impérialisme, y est alors attisée par tous les moyens. Le battage médiatique qui accompagne les principaux événements sportifs a vocation à “améliorer le moral des ménages”, favorisant ainsi la consommation mise à mal par l’enfoncement du capitalisme dans sa crise historique. Dans la dynamique de la société capitaliste qui entraîne l’ensemble de l’humanité vers la barbarie et le chaos, tout cela évoque la formule de la Rome antique : Panem et circenses (du pain et des jeux) !
La classe ouvrière doit rejeter fermement le poison nationaliste sous toutes ces formes qui mène inévitablement à des guerres fratricides. Face à la misère que sème le capitalisme, elle ne doit pas se laisser happer par le cirque orchestré par la bourgeoisie, mais elle doit chercher la solidarité au delà des frontières nationales, elle doit défendre le caractère international de la perspective communiste. C’est l’unique voie pour mener l’humanité vers un monde sans exploitation, sans misère, sans guerres, et sans frontières !
Marius, 20 juillet 2018
1Zone spéciale réservée aux supporters les plus fanatiques.
2La coupe du monde de football de 1998 organisée et gagnée par la France avait également donné lieu à une assourdissante campagne nationaliste.
3Lire notre série d’articles publiés en 2012 et 2013 : Le sport, le nationalisme et l’impérialisme (Histoire du sport dans le capitalisme), Révolution Internationale n° 437, 438, 439.
4Le sport, un concentré de nationalisme, Révolution Internationale, juin 2010.
Inexorablement, les massacres se succèdent dans l’interminable conflit israélo-palestinien. Une fois encore, l’État d’Israël a tiré sur des milliers de personnes et en a assassiné plusieurs dizaines d’autres. De l’autre côté, c’est une fraction de l’État adversaire, le Hamas, à la tête des territoires de Gaza, qui a soutenu et encouragé une manifestation en sachant pertinemment qu’en face, l’armée israélienne allait tirer pour tuer. Le bilan de cette “grande marche du retour” s’élève à 130 morts et près de 4 000 blessés, selon les dernières informations.
Cet énième épisode de déchaînement de violence montre que la Bande de Gaza est devenu un ghetto de misère et d’obscurantisme religieux, dans laquelle la population ne cesse de subir les pires souffrances. Le seul avenir réservé aux habitants de ce territoire, c’est toujours la mitraille, la faim, la misère.
Alors que le 14 mai, un parterre de politiciens célébraient, le sourire aux lèvres, l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, bien que son statut de capitale de l’État d’Israël ne soit pas reconnu sur la scène internationale, au même moment, quelques dizaines de kilomètres plus loin, soixante personnes étaient assassinés par des soldats tirant sur des manifestants sans défense. Ces victimes, chaire à canon d’une cause qui n’est pas celle des exploités, tentaient de promouvoir aux yeux du monde la reconnaissance d’un État, la Palestine, que de moins en moins de gouvernements ont désormais envie de soutenir. Face à la réalité de la barbarie impérialiste, les déclarations d’indignation de nombreux responsables politiques ne sont que des protestations hypocrites : si certains désapprouvent l’attitude irresponsable de Trump et condamnent “les violences des forces armées israéliennes”, si les dignes représentants de l’Union européenne ont cyniquement demandé, le jour-même du massacres, “à toutes les parties d’agir avec la plus grande retenue afin d’éviter des pertes de vies humaines supplémentaires”, ils ne stigmatisent la politique meurtrière de Trump, d’Israël ou du Hamas, que pour masquer le ur propre implication dans la défense d’intérêts impérialistes non moins sordides. En fait, tous les États, puissants ou faibles, alimentent sans la moindre considération pour la vie humaine, les tensions guerrières dans cette région qui est déjà une véritable poudrière depuis plus d’un siècle.
En attendant, les fractions politico-religieuses de Gaza qui ont organisé “la marche du retour” ont poussé sans aucune vergogne toute une population désorientée, parfois fanatisée, à aller se faire massacrer. Le Hamas a même poussé les enfants à se déplacer pour ne pas qu’ils oublient que “l’ennemi, c’est Israël” : huit enfants de moins de 16 ans sont ainsi morts sous les balles israéliennes ! Pour le Hamas et ses fractions concurrentes, pousser des êtres humains à se faire massacrer est le fruit d’un calcul politique froid, cyniquement justifié par la recherche de soutiens en provoquant des réactions dans les populations des pays de la région pour qu’elles fassent pression sur leur gouvernement afin de soutenir la cause palestinienne. L’envoi de missiles depuis Gaza sur le territoire israélien ne fait que confirmer la réalité d’un engrenage meurtrier qui ne peut qu’alimenter l’esprit de vengeance. Derrière les attentats terroristes dans les rues d’Israël et les massacres des populations de Gaza par la soldatesque israélienne, il y a la même logique, celle de “la loi du talion”, la volonté barbare de “rendre coup pour coup”. Dans cette escalade, le nombre de morts comptabilisé par chaque camp sert à justifier par avance l’horreur des assassinats et l’ampleur du massacre à venir.
Cette région du Moyen-Orient était un enjeu stratégique pour les puissances coloniales bien avant que l’on s’intéresse au pétrole.(1) Le partage de cette région a connu plusieurs épisodes marquant au cours et à la suite de la Première Guerre mondiale qui a vu l’Empire Ottoman s’effondrer et de nouveaux États apparaître. La Palestine, sous protectorat britannique, avait alors à sa tête une bourgeoisie nationale incapable de créer une nation indépendante. Tandis que la bourgeoisie arabe s’opposait à la présence britannique, émergeait un rival sioniste utilisé par l’impérialisme anglais pour se maintenir durablement. Le Royaume-Uni avait ainsi promis la Palestine à la fois aux sionistes et à la bourgeoisie pan-arabe naissante, une politique couronnée de succès jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et bien après.
Au cours de la période de décadence du capitalisme, les nations nouvellement créées dans cette région, comme partout ailleurs, sont aussitôt devenues des pions au service d’impérialismes rivaux. L’histoire du XXe siècle montre ainsi que les nationalismes sioniste et arabe ont tous deux été amenés à jouer un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient en tant qu’idéologies servant dans l’équilibre complexe des forces entre les grandes puissances impérialistes. Ils ont également constitué de véritables armes contre la menace représentée par les luttes de la classe ouvrière dans la mesure où celle-ci était poussée à prendre parti pour un camp, ce qui ne pouvait que la désarmer et la faire sombrer dans la division. Cette idéologie a pu également être propagée par les milieux gauchistes contre la classe ouvrière des pays développés, notamment par le biais de prétendues “luttes de libération nationale” qui n’ont fait qu’alimenter les massacres impérialistes. Prendre parti pour un camp impérialiste, c’est encore et toujours ce que nous demandent les gauchistes comme LO ou le NPA. Ces va-t’en-guerre justifient leur soutien à l’un des camps belligérants avec les mêmes arguments depuis des décennies : parce qu’il aura été “dépossédé de sa terre”, le “peuple palestinien” doit, selon cette logique, être soutenu contre Israël, “l’avant-poste de l’impérialisme occidental”.
Ce conflit de longue date s’enlise dans une région en proie à un chaos guerrier croissant et qui ne cesse de s’étendre. Aujourd’hui, cette région du monde et sa population sont livrées à la barbarie guerrière, à la terreur et à la misère mais bon nombre de puissances impérialistes, petites ou grandes, se trouvent plongées plus ou moins directement dans cet imbroglio qui dépasse l’héritage de ce conflit permanent. C’est une expression de l’impasse du monde capitaliste dans laquelle nous vivons. L’extension du chaos guerrier qu’il génère menace l’humanité entière d’être engloutie en sombrant dans un océan de barbarie si le prolétariat, particulièrement celui des pays les plus développés, n’avait pas la force d’imposer sur le terrain de la lutte de classes sa propre perspective révolutionnaire : le renversement du capitalisme. Face à toute la barbarie du conflit israélo-palestinien, les mots de la Gauche Communiste dans les années 1930 résonnent toujours par leur actualité : “Pour le vrai révolutionnaire, naturellement, il n’y a pas de question “palestinienne”, mais uniquement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, arabes ou juifs y compris, qui fait partie de la lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste”.(2)
Seb, 25 juin 2018.
1Notes sur l’histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, [622] Revue internationale n° 115.
2La position des internationalistes dans les années 30, Bilan n° 31 (1936).
Dans son nouveau film, En guerre, ovationné lors de sa projection au dernier festival de Cannes, Stéphane Brizé traite une nouvelle fois de la question sociale en portant un regard toujours aussi critique sur l’inhumanité du système capitaliste et les effets dévastateurs de la concurrence sur la vie des ouvriers. Cette fois-ci, le cinéaste a choisi de traiter la lutte d’ouvriers contre la direction d’une usine automobile de province ayant décidé de fermer le site. Face aux accords bafoués et à la parole non-respectée, les 1100 salariés de l’usine, très en colère, décident de mener la guerre que leur impose le patronat. Parmi eux, un leader se distingue, Laurent Amédéo, délégué d’un syndicat minoritaire et radical, joué par Vincent Lindon.
Même si le film ne semble pas avoir connu le même succès que le précédent(1) auprès du grand public, sa promotion dans les médias et sa diffusion dans les rangs ouvriers(2) suscitent une interrogation. Pourquoi promouvoir largement une œuvre cinématographique qui, a priori, flingue sans retenu la société capitaliste ?
Comme dans La loi du marché, Stéphane Brizé porte un regard acerbe, virulent et indigné sur le monde du travail, les ouvriers étant traités comme des moins que rien par des chefs d’entreprises qui décident de délocaliser l’usine afin de préserver leurs intérêts. Le film montre bien l’état d’esprit avec lequel la bourgeoisie assure sa survie. Sans la moindre compassion, cynique et égoïste, elle plonge des milliers de salariés et leurs familles dans le désespoir et la misère. Le film met bien en évidence ces figures de la bourgeoisie industrielle, du petit directeur de l’usine au PDG allemand, en passant par la directrice des ressources humaines, mais il les réduit à leur dimension individuelle sans véritablement montrer qu’ils incarnent avant tout la classe dominante de la société capitaliste dont l’état d’esprit n’a pas pris une ride depuis près de 170 ans. En son temps, Engels écrivait à propos de la bourgeoisie : “Je n’ai jamais vu une classe si profondément immorale, si incurablement pourrie et intérieurement rongée d’égoïsme. (…) Pour elle il n’existe rien au monde qui ne soit là pour l’argent, sans l’excepter elle-même, car elle ne vit que pour gagner de l’argent et pour rien d’autre, elle ne connaît pas d’autre félicité que de faire une rapide fortune, pas d’autre souffrance que de perdre de l’argent. (…) Le bourgeois se moque éperdument de savoir si ses ouvriers meurent de faim ou pas, pourvu que lui gagne de l’argent. Toutes les conditions de vie sont évaluées au critère du bénéfice, et tout ce qui ne procure pas d’argent est idiot, irréalisable. (…) Le rapport de l’industriel à l’ouvrier n’est pas un rapport humain, mais une relation purement économique”.(3)
L’une des forces du film est de mettre en lumière cette gestion inhumaine du capital par la bourgeoisie, cette façon bien à elle de piétiner sans cesse des producteurs déjà écrasés et brisés par les efforts consentis pour préserver leurs emplois, seul moyen de survivre dignement dans cette société en putréfaction. Sur ces aspects-là, le film touche au plus près de la réalité. Un réalisme renforcé par les plans serrés, l’authenticité des personnages et le mélange entre la fiction et le reportage. Mais un réalisme qui n’arrive pas à s’élever au-delà des apparences et qui réduit la lutte de classes à un combat d’individus arbitré par l’État incarné ici par le porte-parole du gouvernement dont la neutralité n’est qu’un vulgaire trompe l’œil.
Ce film reprend le stéréotype même du combat perdu d’avance. Puisque la lutte des “Perrin”, totalement isolée, se résume à la quête d’obtention de négociations avec les responsables de l’entreprise et les représentants de l’État. Bien sûr, les ouvriers se font prendre au jeu du pourrissement. Bientôt, la lassitude et le désespoir gagnent leurs rangs du fait de tensions entretenues et de la grande faiblesse de cette lutte isolée. D’un côté, les jusqu’au-boutistes, amenés par Laurent Amédéo, bien décidés à ne rien lâcher jusqu’à ce qu’on garantisse le maintien de leur poste. De l’autre, les “modérés” qui acceptent de reprendre le travail afin de faire augmenter la prime de licenciement. La radicalisation des jusqu’au-boutistes atteint son paroxysme avec le lynchage du grand patron du groupe allemand après l’échec des négociations et le discrédit total (largement alimenté par les médias) du “combat des Perrin”. Ce qui consacre la division chez les ouvriers qui finissent par s’engueuler, s’insulter et se battre entre eux, comme des hyènes devant un morceau de viande pourrie. Rejetant leur frustration sur un bouc-émissaire, Laurent Amédéo, véritable coupable idéal de cette débâcle, accusé à tort de penser qu’à lui et de profiter de la situation (même s’il a largement contribué à mener la lutte droit dans le mur en tant que dirigeant syndical). Celui-ci finit par s’immoler devant le siège de l’entreprise en Allemagne en véritable martyr ; suite à cela les treize ouvriers poursuivis par la justice pour agression seront relaxés et la direction du groupe accepte de reprendre les négociations. Que dire de cette scène finale qui sombre dans le glauque et le vulgaire ? Comment ne pas voir ici la mort symbolique d’une classe, la victoire et le règne d’une société où les individus totalement broyés préfèrent écourter leur souffrance plutôt que de lutter collectivement pour un autre monde ?
Si le film donne l’image d’une réalité de la lutte actuelle dans le secteur industriel, il est incapable d’esquisser ce que pourrait être une lutte se développant sur un terrain de classe. A l’inverse, c’est un tableau très noir et empreint de désespoir qui est délivré ici. Les ouvriers sont incapables d’opposer leurs seules armes (la solidarité, l’unité) pour lutter contre la concurrence effrénée de la production capitaliste. Au contraire, ces aspects ne cessent de se déliter au fil de l’histoire. La classe comme un tout n’existe pas, n’existe plus. Incapables de s’unir, condamnés à se battre pour quelques miettes, les ouvriers placent leurs maigres espérances dans les actes héroïques de quelques-uns d’entre eux. Dès lors, ce film nie totalement la capacité encore vivante de la classe ouvrière à donner une autre perspective à l’humanité.
Il va sans dire que ce film est une fois de plus du pain béni pour la bourgeoisie. Il n’est guère surprenant qu’il soit promu largement par le biais des grands canaux médiatiques et culturels. En guerre est l’expression de ce monde sans avenir où l’immédiat et l’apparence l’emportent sur le futur. La lutte ne sert plus à rien ! La classe est condamnée à résister dans une guerre qu’elle ne gagnera pas, ne pouvant que s’efforcer de limiter les “excès” d’un capitalisme triomphant. D’un certain côté, ce film exprime les confusions et le propre désespoir de son auteur. Sa démarche individuelle l’empêche de saisir les potentialités révolutionnaires toujours existantes de la classe ouvrière. Incapable de comprendre cette essence, il reste fixé sur l’apparence d’une classe en pleine agonie, sur une vision purement photographique du monde. Mais au-delà du cas de conscience d’un individu, les visions sous-jacentes du film sont les reflets de la période que nous traversons. Stéphane Brizé et son dernier opus servent in fine de relais au message que la bourgeoisie et ses politiciens ne cessent de marteler en direction des prolétaires, à savoir qu’une société sans inégalité et sans exploitation est impossible, que le combat de la classe ouvrière pour un autre monde est impossible, perdu d’avance.
Joffrey, 5 juillet 2018
1Voir : “À propos du film La loi du marché : une dénonciation sans réelle alternative”, Révolution Internationale n° 453, ainsi que notre réponse à un courrier de lecteur sur ce sujet dans le numéro suivant.
2Une projection-débat a été organisée à Blanquefort (Gironde) à l’initiative du collectif des ouvriers de l’usine Ford en présence de Stéphane Brizé et de Xavier Matthieu, ancien leader syndical sorti de l’ombre lors de la lutte des ouvriers de l’usine Continental de Clairoix.
3Engels, La situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.
Nous publions ci-dessous la traduction d’un tract diffusé par nos camarades au Pérou.
Une fois de plus, nous, les ouvriers, sommes victimes et témoins du vrai visage de la classe politique péruvienne, considérée comme l’une des pires dans la région et dans le monde. Cette mafia est composée, entre autres, des voleurs d’ARPA,(1) des Fujimoristes,(2) de ce qui reste des partisans de PPK,(3) de ceux du parti APP(4) qui revendiquent cyniquement “l’argent comme terrain de jeu”, et bien sûr, des ineffables partis de la gauche du capital (qui vont du Frente Amplio et du Nuevo Perú jusqu’aux maoïstes recyclés du Movadef).(5) Tous, sans exception, sont les produits de la décadence du capitalisme et de sa phase actuelle de décomposition. Non seulement ils se sont révélés assoiffés d’argent comme l’a révélé le Lava jato(6) mais maintenant aussi avec la mise à jour des honteuses “conversations enregistrées”, emplies de témoignages sur les privilèges et les pots-de-vin en faveur des juges et des procureurs. Ces scandales sont la preuve la plus grossière du déclin du système capitaliste ainsi que de la démocratie et ses institutions.
La démocratie, avec ses élections et ses caquètements sur les droits des citoyens, n’est rien d’autre que la dictature du capitalisme sur le prolétariat, la légalisation de l’exploitation des ouvriers par les capitalistes ; c’est la vraie et horrible face d’un ordre social que la presse nous vend comme le meilleur du monde.
Toute cette pourriture que nous voyons aujourd’hui fait partie de la décomposition du capitalisme.(7) La fameuse corruption n’est pas un “défaut”, cela fait partie intégrante de l’ordre social bourgeois, et cela ne se “guérit” pas ni ne se “nettoie” avec de nouvelles élections, en réclamant la dissolution du parlement, en demandant “qu’ils s’en aillent tous” ou en organisant des marches citoyennes appelant à réformer la justice, autant de propositions utopiques et petites-bourgeoises que nous vendent les collectifs de citoyens, la gauche, les syndicats, IDL(8) et les ONG, et qui ne vont pas à la racine du problème. Le vrai problème n’est pas quelques “pommes pourries”. C’est le système dans son ensemble qui est bouffé par les mites et qui craque un peu plus à chaque scandale découvert. La seule solution, c’est la destruction du capitalisme par son ennemi historique, la classe ouvrière, les travailleurs conscients et auto-organisés politiquement, porteurs d’une autre société, sans exploiteurs ni exploités, où la pourriture politique cessera enfin d’exister et où prendront fin toutes les souffrances auxquelles l’ordre actuel nous soumet.
La bourgeoisie n’a pas laissé échapper l’occasion, à travers le parlement, d’approuver ou maintenir les lois ayant permis de générer tant de profits depuis les années 1990, au détriment de la surexploitation des travailleurs agricoles ou de l’agro-industrie par exemple. Mais comme l’économie ne s’est pas développée comme l’espérait le président Vizcarra, il s’agit maintenant de faire payer aux travailleurs les conséquences de la crise et le déficit fiscal à travers la hausse de l’ISC(9) et du prix de l’essence qui sont une attaque directe de l’État et de la bourgeoisie contre les ouvriers et leurs conditions de vie déjà très mauvaises et précaires. L’inflation et la hausse du chômage sont les conséquences de la crise.
À Arequipa, Puno et Cajamarca, la population a bloqué les routes et paralysé les commerces. A Lima des grèves se sont développées dans différents secteurs (éducation, santé, industrie). Dans ce scénario de confrontation, la bourgeoisie péruvienne a mobilisé son appareil d’État et a joué à nous diviser en jetant dans la balance tous les instruments politiques et syndicaux permettant de contenir le mécontentement des travailleurs. Par exemple, tandis que le gouvernement réprimait les manifestations à coups de gaz lacrymogènes, les centrales syndicales se réunissaient au Palais du gouvernement avec Vizcarra. À côté de ça, la lutte s’est poursuivie cependant, bien qu’il n’y ait pas eu de réponse profonde et efficace de la classe ouvrière contre ses exploiteurs. Notre classe, continue d’être la proie de l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise, à travers une situation d’extrême faiblesse et de manque d’organisation consciente non seulement au Pérou mais au niveau planétaire. Mais cette situation ne sera pas éternelle comme le souhaiteraient les hommes politiques et les idéologues du capitalisme. Le cas des ouvriers en Russie et de leurs Soviets en 1917 ou le resurgissement des luttes ouvrières de Mai 1968 sont des exemples historiques dont on peut tirer des leçons, et face à l’épais brouillard de la décomposition sociale, le grand navire de la classe ouvrière mondiale ne peut que continuer à avancer en se battant pour l’avenir.
Ouvriers ! Voici ce qui doit servir de boussole pour nos luttes :
– Mobilisons-nous contre toutes les attaques contre nos conditions de vie et contre le paquet de mesures prises par le gouvernement. Que personne ne reste à la maison ! Gagnons la rue !
– Organisons-nous pour diriger nous mêmes nos luttes à travers des Assemblées générales ouvertes à tous (ouvriers, étudiants, chômeurs, retraités) !
– Solidarité avec tous les travailleurs en grèves, rompons l’isolement et le corporatisme ! Toute lutte ouvrière est aussi la nôtre.
– Non à la xénophobie qui se développe contre nos frères vénézuéliens ! Eux aussi ce sont des ouvriers, des prolétaires, qui sont arrivés en fuyant le cauchemar chaviste et qui sont et seront avec nous dans les luttes contre le capital et son État.
Internationalismo, section du Courant Communiste International au Pérou.
1APRA : Alliance populaire révolutionnaire américaine, un parti bourgeois fondé par Victor Haya de la Torre qui dans sa démagogie a flirté avec le stalinisme. Actuellement en train de se décomposer.
2Fujimoristes : membres du parti représenté par Alberto Fujimori, un parti initialement appelé Cambio 90, qui est actuellement dirigé par la fille d’Alberto, Keiko Fujimori.
4César Acuña Peralta, homme d’affaire et politicien péruvien, fondateur du parti APP (Alliance Pour le Progrès), ancien maire de Trujillo (2007-2014) visé par des accusations de blanchiment d’argent. Il est notamment convaincu d’avoir acheté ses élections en payant ses votes et en les recrutant auprès les masses les plus déshéritées. Il revendique lui-même la devise “l’argent comme terrain de jeu” pour la gestion et la transformation du pays. C’est pourquoi il est au centre des campagnes anti-corruption qui le désignent comme bouc-émissaire.
5Movadef : Mouvement pour l’amnistie et les droits fondamentaux, est le bras politique du groupe terroriste Sentier lumineux.
6La Commission Lava Jato est une commission d’enquête nommée au sein du parlement péruvien, qui enquête sur les actes de corruption parmi les hauts fonctionnaires de l’État, par exemple ceux liés à des grandes entreprises brésiliennes comme Odebrecht.
7Voir les Thèses sur la décomposition [190].
8IDL : Instituto de Defensa Legal, association pour la défense des droits de l’homme, qui se présente comme championne de la démocratie et du respect de la légalité et des institutions.
9 ISC : Taxe sélective à la consommation qui est un impôt indirect qui, contrairement à la TVA, ne taxe que certains biens (il s’agit d’une taxe spécifique) ; l’un de ses objectifs est de décourager la consommation de produits supposés générer des “effets négatifs” sur le plan individuel, social et environnemental, comme les boissons alcoolisées, les cigarettes et les carburants.
Dans une région marquée par la guerre impérialiste et les divisions sectaires, les manifestations sociales récentes en Iran, Jordanie et Irak mettent en avant la nécessité pour le prolétariat au niveau mondial de construire une autre perspective : celle de la lutte unie des exploités contre le capital et sa violence brutale. Cet article, écrit par un sympathisant proche du CCI, examine les manifestations massives qui ont balayé l’Irak.
Débutant le 8 juillet, un bon nombre de protestations spontanées ont éclaté en Irak central et dans le sud du pays, impliquant des milliers de manifestants. Ce mouvement s’est répandu très rapidement dans huit provinces méridionales et, environ quinze jours plus tard, dans les rues de Bagdad. Il prenait le relais de manifestations significatives en Jordanie et en Iran exactement sur les mêmes questions. Le mouvement en Irak devait être au courant de ces manifestations et inspiré par elles, étant données leurs similitudes fondamentales.
La classe ouvrière en Irak est numériquement et généralement plus faible que dans les deux autres pays et bien qu’il y ait des rapports sur des rencontres de manifestants et d’ouvriers du pétrole, le contenu et le contexte de ces rassemblements ne sont pas connus. Mais les forces motrices des manifestations sont des questions de classe :
Le religieux chiite le plus vieux d’Irak, Ali al-Sistani, a pressé le gouvernement d’accepter les revendications des manifestants. Un “soutien” analogue des protestations est venu du religieux populiste chiite, Muqtada al-Sadri (3), qui a gagné les élections du 12 mai (sujettes à un nouveau décompte) avec l’aide du stalinien Parti communiste iranien. Le premier ministre du Parti islamique Dawa, Haider al-Abadi, a promis des fonds et projette de répondre aux protestataires. Même les Saoudiens, flairant une occasion de contrer l’influence iranienne, ont promis de “l’aide”.
Les bâtiments municipaux et gouvernementaux n’ont pas été les seules cibles des attaques des manifestants, mais l’ont été aussi les institutions chiites, ce qui était un démenti à leur “soutien” hypocrite à la vague de manifestations. Le populiste radical, Al-Sadr, a vu sa délégation auprès des manifestants attaquée et éconduite. Chaque institution chiite majeure a été rejetée et ses bureaux attaqués. Ce qui rend cela même plus important, c’est que les attaques sont venues de leurs propres rangs au cœur des zones chiites, avec les manifestants qui utilisaient ironiquement le terme “Séfévides” pour décrire leurs leaders, une expression se référant aux dynasties chiites du passé souvent utilisée comme une injure par les Sunnites. Les avions iraniens ont été pillés à l’aéroport de la ville sainte chiite, Najaf, et le quartier général de la milice pro-iranienne, y compris les Unités de Mobilisation Populaire ont été ciblées et brûlées en même temps que les bureaux du gouvernement. Selon le Kurdistan News 24, du 14 juillet 2018, l’armée régulière irakienne s’est jointe aux manifestants au moins dans une province. Quand les manifestations ont fait un pas de plus et ont touché Bagdad, le Middle East Eye, du 19 juillet 2018 rapporte que le slogan “ni Sunnite, ni Chiite, laïc, laïc !” venait de foules massives.
Le premier Ministre Al-Abadi a renvoyé un ministre et quelques officiels et a promis des réformes mais la réponse dominante de l’État a été la répression, les encerclements, les arrestations et la torture, alors que des manifestations ultérieures ont vu la libération des détenus. Le gouvernement a déclaré “l’état d’urgence” et a imposé très tôt un blocage d’Internet, et les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les munitions réelles ont été utilisées contre les manifestants et des unités anti-terroristes ont été mobilisées contre les manifestants à Bagdad, impensable sans le feu vert du haut commandement américain et britannique dans “la zone verte”. Quatorze personnes au moins ont été tuées, 729 blessées, selon Human Rights Campaign du 20 juillet 2018. Mais les manifestations, qui ont duré pendant trois semaines, ont continué jusqu’au ce week-end du 28/29 juillet, quand les forces de sécurité ont attaqué les manifestants à l’extérieur du conseil provincial et du domaine pétrolier de Qurna, Basra.
Comme en Iran et comme en Jordanie, ces émeutes sont dirigées contre une économie de guerre et tous ses déchets parasites. Comme en Iran et comme en Jordanie, les manifestations de 2018 ont été plus étendues et plus profondes que les explosions précédentes (en 2015 dans le cas de l’Irak), et il est tout à fait clair que les leaders religieux ont un peu moins d’influence. Les promesses du gouvernement et l’influence des leaders religieux perdent de leur emprise quand le prolétariat et les masses combattent pour leurs propres intérêts contre le capital et son économie de guerre.
Baboon, 30 juillet 2018
1 Une bonne partie de cet empoisonnement de masse provient des bombardements de la coalition États-Unis/Grande-Bretagne, et particulièrement à travers la propagation d’uranium appauvri. Les niveaux les plus élevés de dommages et de difformités se situent dans les endroits les plus bombardés : Fallujah et Basra. À Londres, le ministre de la défense utilise la vieille ligne de conduite selon laquelle : “il n’y a pas de preuve”, et les politiciens britanniques qui sont prompts à dénoncer les attaques chimiques des autres, n’ont rien à dire sur leurs propres atrocités.
2 Ce n’est pas seulement au Moyen-Orient qu’il y a un manque d’eau potable ; selon l’Agence de protection de l’Environnement américaine, plus de cinq millions d’Américains sont susceptibles de boire de l’eau qui contient des toxines à des taux supérieurs à ceux tolérés. À un niveau plus large, si Trump a en général rejeté la réalité du changement climatique, le Pentagone ne l’a pas fait, et, entièrement dans les intérêts de l’impérialisme américain, il voit cela, y compris les restrictions d’eau, comme un danger potentiel.
3 Al-Sadr a été vendu par l’Occident comme “le nouveau visage de la réforme”. (New York Times, 20 mai 2018)
Le 8 septembre dernier, le régime sandiniste de Daniel Ortega a mobilisé ses partisans pour célébrer le “septembre victorieux” parce qu’il a pu déjouer, selon lui, une “tentative de coup d’État”. Cette victoire du régime a laissé des séquelles terribles : environ 450 morts,(1) des dizaines de disparus, des milliers de blessés, des centaines de détenus et l’exode de milliers de Nicaraguayens. C’était le corollaire de cinq mois de protestations contre les mesures anti-ouvrières et la répression féroce, similaire ou pire que celles subies sous la dictature de Somoza.(2)
Ces morts ne sont pas seulement imputables au régime d’Ortega et de ses sbires, qui ont fait le sale boulot de pourchasser, blesser, tuer ou emprisonner la population, principalement des jeunes. Ils sont également imputables au clergé et aux capitalistes privés (anciens alliés du régime), ainsi qu’aux forces politiques de l’opposition regroupées dans l’Alliance civique pour la justice et la démocratie, qui ont noyé et contenu le mouvement en encourageant un “dialogue national” avec le gouvernement, tout en armant sa stratégie sanglante de répression. De même, la soi-disant communauté internationale a aussi sa part de responsabilités, puisqu’elle apporte son soutien aux diverses factions bourgeoises en conflit au sein du capital nicaraguayen : certaines, comme l’ONU, l’OEA, l’UE, le Groupe de Lima, les États-Unis, qui ont nourri (et continuent à nourrir) les illusions de solutions démocratiques et électorales à la crise politique ; d’autres, comme la Russie, la Chine, Cuba, la Bolivie et les autres pays se déclarant “ennemis de l’impérialisme yankee” qui cachent leur soutien au sandinisme(3) en prétendant que la situation au Nicaragua est une question de “politique intérieure”.
La situation de la population nicaraguayenne est dramatique ; elle est soumise aux accords qui peuvent être conclus entre les bureaucrates bourgeois sandinistes qui contrôlent l’État et les capitalistes privés. Aujourd’hui, sous la terreur de l’État, le régime sandiniste a la possibilité d’imposer les mesures anti-ouvrières qu’il a tenté d’appliquer en avril dernier. Face à cette barbarie, la seule option qui s’offre au prolétariat nicaraguayen est de combattre sur son propre terrain de classe, d’affronter les factions du capital officiel et de l’opposition et de devenir une référence pour la population exploitée. Sinon, la terreur d’État et l’émigration massive seront imposées ; une situation similaire à celle que connaissent actuellement des pays comme le Venezuela, la Syrie ou plusieurs pays africains.
Les manifestations ont commencé le 18 avril 2018 avec l’annonce d’un décret modifiant la loi sur la sécurité sociale qui augmente les cotisations des assurés, augmente les cotisations patronales et réduit les pensions des retraités, qui est entré en vigueur le 19 avril. Dans un article publié sur notre site Internet, nous décrivions et analysions les événements.(4) Nous disions qu’au moment même où les protestations ont commencé, le Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP) avait fait une déclaration qualifiant la réforme de forme “d’impôt supplémentaire” et garantissant que cette mesure entraînerait une augmentation du chômage et une diminution des salaires…
L’indignation face à l’agression des organes de répression et de l’armée sandiniste contre les étudiants et les retraités a généré un mécontentement général parmi la population exploitée et précaire, qui a réagi spontanément en descendant dans la rue. Dans l’article précité, nous dénoncions comment le capital privé et l’Église s’étaient unis pour contrôler et noyer la mobilisation : le 21 avril, la COSEP avait appelé une marche pour le 23. Il faut rappeler qu’Ortega a annoncé l’abrogation du décret le 22, afin d’apaiser le mécontentement social, mais cela n’a pas empêché la marche appelée par les hommes d’affaires de rassembler des dizaines de milliers de personnes… L’Église catholique, avec sa grande influence, avait joué un rôle encore plus actif dans la “critique” du gouvernement. Elle appelait à participer à une manifestation le 29 avril qui aura été la plus massive enregistrée et où les revendications contre l’attaque sur les pensions ont été laissées à l’arrière-plan pour mettre en avant l’appel à la “réconciliation nationale”, à la “démocratisation”, au “dialogue”, etc.
L’entrée en lice sur le terrain politique des “critiques” du COSEP ou de l’Église catholique n’a pas signifié un renforcement du mouvement mais bien une manœuvre pour y mettre fin. Ce qu’Ortega et ses bandes armées n’ont pas réussi à réaliser avec leur répression sanglante a été réalisé par le COSEP et surtout par l’Église catholique avec ses appels “à l’apaisement des tensions sociales”. On peut dire que le capital a utilisé ses “deux mains” pour briser la protestation : l’une était la main meurtrière du FSLN,(5) l’autre la “main secourable” de l’Église.
L’article montrait aussi les faiblesses du prolétariat nicaraguayen, qui s’est laissé piéger derrière les factions bourgeoises dans leurs luttes entre fractions officielles et d’opposition, et derrière les menées nationalistes de ces factions comme celles de la petite bourgeoisie.
La situation au Nicaragua est un exemple dans la région, avec celle du Venezuela, d’une part de l’incapacité des classes dirigeantes à trouver un terrain d’entente minimum pour gouverner ; et, d’autre part, de l’incapacité de la classe ouvrière à servir de référence aux masses exploitées pour sortir de la barbarie imposée par un capitalisme en décomposition.
Cette année encore, le régime a réformé le système des pensions en raison de l’aggravation de la crise économique au Nicaragua. Le régime d’Ortega ne bénéficie plus de l’aide économique que le régime de Chavez lui avait fournie depuis 2008, qui était venue apporter un ballon d’oxygène à la faible économie de ce pays, par l’incorporation du Nicaragua aux pays de l’ALBA,(6) une alliance de pays créée à l’initiative de Cuba et du Venezuela pour s’opposer à l’ALCA(7) (promue par les États-Unis pour préserver son influence en Amérique latine). Par le biais de divers accords, le régime Chavez, en plus de fournir du pétrole subventionné, a contribué pour plus de quatre milliards de dollars au régime sandiniste. On estime qu’un tiers de ces ressources a servi à financer des programmes sociaux, qui ont servi au FSLN pour le contrôle social et apporter un soutien massif au régime sandiniste.
À partir de 2014, après la mort d’Hugo Chávez et la chute du prix du pétrole brut, les relations commerciales avec le Venezuela ont commencé à décliner, réduisant les exportations avec ce pays à zéro au cours du premier trimestre de cette année. Jusqu’à la fin de 2016, la dette accumulée par l’intermédiaire de la société ALBANISA, créé avec un apport de 51 % du capital vénézuélien, était de trois milliards de dollars, soit 24 % du PIB. Les relations commerciales ont été fortement affectées par les mesures que l’administration Trump a imposées à PDVSA, une compagnie pétrolière publique que Chávez et Maduro ont d’abord utilisée pour financer les projets impérialistes du Venezuela dans la région. Aujourd’hui, la majeure partie du pétrole est importée des États-Unis et aux prix du marché international, et non avec l’avantage que le régime sandiniste trouvait avec la “révolution bolivarienne” à travers laquelle il payait 50 % de la facture en nature.
La réforme du système des retraites, que le régime a annulée sous la pression des protestations, était un moyen de faire face aux dépenses fiscales et au paiement de la dette extérieure. Les programmes sociaux ne peuvent plus être maintenus, ce qui entraînera une détérioration du niveau de vie des masses appauvries du pays.(8) Les cinq mois de protestations ont accentué la crise économique. Les protestations ont principalement affecté le commerce, le tourisme et la construction ; on estime que le chômage a augmenté d’environ 5 %, ce qui équivaut à environ 85 000 emplois. Les projections de croissance économique ont été revues à la baisse à 1 % et il pourrait même y avoir une récession économique si la crise politique se poursuit. La ressemblance avec la situation au Venezuela n’est pas le fruit du hasard.
Suite aux protestations au Nicaragua et à la répression féroce du régime, la division qui existait déjà dans les rangs du FSLN s’est accentuée. Plusieurs des dirigeants sandinistes qui ont combattu aux côtés d’Ortega contre la dictature Somoza et ont fait partie de son premier gouvernement (1984-1990), le dénoncent aujourd’hui et le considèrent comme un traître aux idéaux du sandinisme original en disant qu’ “il n’est plus un gouvernement progressiste et de gauche”, etc.(9)
En fait, après avoir perdu les élections du FSLN en 1990, Daniel Ortega a mené un processus de lutte qui l’a amené à désorganiser le Front et à ériger une faction dominante, écartant d’autres dirigeants qui l’avaient éclipsé. Il a développé des alliances avec le Parti libéral d’Arnoldo Alemán, avec l’Église et a consolidé un contrôle des organisations sociales sous la bannière du FSLN. Il a ainsi jeté les bases d’une nouvelle présidence en 2006 et s’est maintenu au pouvoir depuis, avec l’appui de Cuba et de la “Révolution bolivarienne” de Chávez.
C’est un gros mensonge de prétendre qu’il y a deux visages du sandinisme.
Certains critiques d’Ortega l’accusent d’avoir pratiqué une vaste opération de “coup de balai” comme l’a fait la dictature de Somoza contre la population. En fait, la gauche et les organisations gauchistes utilisent les mêmes ressources que la droite pour soumettre le prolétariat et la population ; la seule différence réside dans l’utilisation d’un verbiage “révolutionnaire”, au nom du “marxisme-léninisme”, qu’elles déclarent “anti-impérialiste " car elles” sont opposées aux États-Unis, mais en même temps elles s’acoquinent et pactisent avec d’autres puissances ou pays impérialistes, comme l’avait fait le FSLN en 1982 à travers ses accords conclus avec l’URSS.
L’accentuation de la décomposition dans les rangs des partis et organisations de la bourgeoisie au niveau mondial, qu’ils soient de droite ou de gauche, s’exprime dans les régimes de gauche comme ceux du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, de Syrie, de Chine, de Corée du Nord, comme le fait le sandinisme aujourd’hui. Le prolétariat et sa lutte doivent mettre fin au mythe de l’existence d’une prétendue gauche révolutionnaire dont la meilleure définition est d’être la gauche du capital.
La situation au Nicaragua aggrave la situation régionale. Les mesures américaines contre les hauts dirigeants du régime sandiniste et les blocus financiers, en plus d’être utilisées par le régime pour unifier ses partisans et rejeter la responsabilité de la crise politique et économique sur les États-Unis, se retournent contre la population et deviennent un facteur aggravant de la crise. D’autre part, la menace de ne pas écarter les options militaires (comme c’est le cas au Venezuela) aide plutôt ces mêmes dirigeants à asseoir leur pouvoir en se faisant passer pour des victimes afin d’obtenir un soutien aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cette situation est mise à profit par des puissances impérialistes comme la Chine, la Russie, Cuba, le Venezuela, l’Iran, etc. pour intervenir, afin de perturber l’arrière-cour des États-Unis.
Le chaos et l’émigration,(10) causés non seulement par la terreur d’État ou les menaces de guerre civile, mais aussi par la crise économique, progressent.
En raison de l’aggravation de la crise économique et de l’affrontement politique, l’évolution de la situation devient encore plus compliquée. Les accords entre les factions du capital ont été rompus. Les manifestations de force du régime sandiniste le placent dans une situation où il peut imposer des mesures pour tenter d’atténuer la crise économique. D’autre part, comme dans le cas du Venezuela, il existe une forte probabilité que le blocus financier contre le régime s’accentue.
Cette situation représente un énorme défi pour le prolétariat nicaraguayen et mondial, car elle entraînera une accentuation des mesures contre les conditions de vie de la classe ouvrière déjà précaire. La capacité de réponse du prolétariat est minée à la fois par la bipolarisation politique de la bourgeoisie et par sa faiblesse historique. D’autre part, les émigrations sont utilisées par des secteurs de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie pour attaquer la solidarité et en particulier celle qui doit exister entre prolétaires. Nous voyons déjà des manifestations de xénophobie au Costa Rica. Ce scénario terrible signifie une accentuation du chaos dans la région qui ne peut qu’accentuer la pauvreté chronique de la région et risque de déstabiliser ce pays qui, jusqu’à présent, a été le moins agité de la région d’Amérique centrale.
La situation au Nicaragua, qui rejoint celle du Venezuela, de la Syrie et d’autres pays, soulève l’urgence avec laquelle le prolétariat doit reprendre sa lutte sur son terrain de classe à l’échelle internationale pour qu’elle serve d’incitation à développer les conditions qui lui permettront à terme de détruire les conditions d’exploitation de ce système capitaliste en décomposition qui plonge l’humanité dans la misère et la barbarie.
Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique (25 septembre 2018)
1Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), le nombre de tués au cours de ces cinq mois d’affrontements serait de 322, plus de 450 d’après les organisations humanitaires ; 198 selon le gouvernement.
2Anastasio Somoza Debayle qui a exercé le pouvoir entre 1967 et 1979, est le dernier représentant d’une famille de dictateurs qui a érigé un pouvoir absolu pendant plus de 40 ans sur le pays (depuis 1937) à travers une féroce répression contre l’opposition comme sur l’ensemble de la population.
3Le “mouvement sandiniste” se réclame d’Augusto Sandino (1895-1934) qui avait pris la tête en 1927 d’un petit mouvement nationaliste anti-américain, l’Armée de Défense de la Souveraineté Nationale, après l’intervention militaire des États-Unis, pratiquant la guérilla (recrutant ses troupes parmi les paysans pauvres) et refusant de déposer les armes contre le gouvernement conservateur soutenu par les États-Unis. Son assassinat par la Garde nationale de l’aîné de la dynastie Somoza en a fait un héros des “luttes de libération nationale” du XXe siècle et sa “tactique de guérilla” un modèle de référence pour tous les gauchistes.
4Voir notre article en espagnol “El abril sangriento de Nicaragua : Sólo la lucha autónoma del proletariado puede acabar con la explotación y la barbarie represiva [624]”.
5Front sandiniste de Libération nationale : organisation politico-militaire fondée en 1961 préconisant la lutte armée sous forme de guérilla contre la dictature des Somoza, qui a pris le pouvoir en 1979 puis en a été évincé lors des élections de 1990. Cette coalition regroupant trois grandes tendances rivales a été reprise en mains par Daniel Ortega qui est parvenu à coups d’intrigues et de nouvelles alliances à revenir au pouvoir depuis 2006.
6Alianza Bolivariana para los Pueblos de Nuestra América (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) créée en 2004.
7Área de Libre Comercio de las Américas (Aire de libre-échange des Amériques) en fonction des accords signés en 1994.
8Entre 29,6 %, selon la Banque mondiale et 40 %, d’après la Banque Interaméricaine de Développement (BID) de la population au Nicaragua vit sous le seuil de pauvreté et le dénuement (définie comme extrême pauvreté) affecte 14,6 % d’entre elle, selon la BID.
9Ces “critiques” sont notamment relayées par l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramirez.
10Selon l’ONU, 23 000 Nicaraguayens se sont enfuis au Costa Rica depuis avril dernier.
L’un des fléaux qui affectent les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste est le fait que beaucoup de leurs militants sont passés auparavant par des partis ou des groupes de gauche et d’extrême gauche du capital (PS, PC, trotskisme, maoïsme, anarchisme officiel, la soi-disant “nouvelle gauche” de Syriza ou Podemos). Cela est inévitable pour la simple raison qu’aucun militant ne naît avec une clarté d’emblée toute faite. Cependant, cette étape lègue un handicap difficile à surmonter : il est possible de rompre avec les positions politiques de ces organisations (syndicalisme, défense de la nation et du nationalisme, participation aux élections, etc.), mais il est beaucoup plus difficile de se débarrasser des attitudes, des modes de pensée, des façons de débattre, des comportements, des conceptions que ces organisations inoculent de force et qui constituent leur mode de vie.
Cet héritage, que nous appelons le legs dissimulé de la gauche du capital, contribue à provoquer au sein des organisations révolutionnaires des tensions entre camarades, de la méfiance, des rivalités, des comportements destructeurs, des blocages du débat, des positions théoriques aberrantes, etc. qui, combinées à la pression de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie, leur font beaucoup de mal. L’objectif de la série que nous commençons ici est d’identifier et de combattre ce lourd fardeau.
Depuis son premier congrès (1975), le CCI s’est penchée sur le problème des organisations qui prétendent se revendiquer du “socialisme” et pratiquent une politique capitaliste. La Plateforme adoptée lors de ce congrès [625], dans son point 13 met en avant : “L’ensemble des partis ou organisations qui aujourd’hui défendent, même “conditionnellement” ou de façon “critique”, certains États ou certaines fractions de la bourgeoisie contre d’autres, que ce soit au nom du “socialisme”, de la “démocratie”, de “l’antifascisme”, de “1'indépendance nationale”, du “front unique”, ou du “moindre mal”, qui fondent leur politique sur le jeu bourgeois des élections, dans l’activité anti-ouvrière du syndicalisme ou dans les mystifications autogestionnaires sont des organes de l’appareil politique bourgeois : il en est ainsi, en particulier, des partis “socialistes” et “communistes””.
Notre plateforme se concentre également sur le problème des groupes et des groupuscules qui se placent “à gauche” de ces deux grands partis, qui en font souvent des “critiques incendiaires” et adoptent les poses les plus “radicales”: “L’ensemble des courants, soi-disant révolutionnaires, tels que le maoïsme (qui est une simple variante des partis définitivement passés à la bourgeoisie), le trotskisme (qui après avoir constitué une réaction prolétarienne contre la trahison des partis communistes, a été happé dans un processus similaire de dégénérescence) ou l’anarchisme traditionnel (qui se situe aujourd’hui dans le cadre d’une même démarche politique en défendant un certain nombre de positions des partis socialistes et des partis communistes, comme, par exemple, les alliances antifascistes), appartiennent au même camp que celui du capital. Le fait qu’ils aient moins d’influence ou qu’ils utilisent un langage plus radical n’enlève rien au fond bourgeois de leur programme et de leur nature, mais en fait d’utiles rabatteurs ou suppléants de ces partis”.
Pour comprendre le rôle de la gauche et de l’extrême gauche du capital, il faut se rappeler qu’avec le déclin du capitalisme, l’État “exerce un contrôle toujours plus puissant, omniprésent et systématique sur tous les aspects de la vie sociale. À une échelle bien au-delà de la décadence romaine ou féodale, l’État de la décadence capitaliste est devenu une machine monstrueuse, froide et impersonnelle qui a fini par dévorer la substance de la société civile”.(1) Cette nature s’applique autant aux régimes à Parti unique ouvertement dictatoriaux (staliniens, nazis, dictatures militaires) qu’aux régimes démocratiques.
Dans ce cadre, les partis politiques ne sont pas les représentants des différentes classes et couches de la société, mais les instruments totalitaires de l’État pour soumettre l’ensemble de la population (et principalement la classe ouvrière) aux impératifs du capital national. Ils deviennent également la tête de réseaux clientélistes, de groupes de pression et des sphères d’influence qui mêlent l’action politique et économique et deviennent le terreau d’une corruption inéluctable.
Dans les systèmes démocratiques, l’appareil politique de l’État capitaliste est divisé en deux ailes : l’aile droite, liée aux fractions classiques de la bourgeoisie et responsable de l’encadrement des couches les plus arriérées de la population,(2) et l’aile gauche (la gauche avec les syndicats et une série d’organisations d’extrême gauche) consacrée essentiellement au contrôle, à la division et à la destruction de la conscience de la classe ouvrière.
Les organisations du prolétariat ne sont pas exemptes de dégénérescence. La pression de l’idéologie bourgeoise les corrode de l’intérieur et peut les conduire à un opportunisme qui, s’il n’est pas combattu à temps, aboutit à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.(3) L’opportunisme fait ce pas décisif lors d’événements historiques cruciaux de la vie sociale capitaliste : les deux moments clés, jusqu’à ce jour, ont été la guerre impérialiste mondiale et la révolution prolétarienne. Dans la Plateforme, nous essayons d’expliquer le processus qui mène à cette étape fatale : “Il en a été ainsi des partis socialistes lorsque, dans un processus de gangrène par le réformisme et l’opportunisme, la plupart des principaux d’entre eux ont été conduits lors de la Première Guerre mondiale (qui marque la mort de la IIe Internationale) à s’engager, sous la conduite de leur droite “social-chauvine”, désormais passée à la bourgeoisie, dans la politique de “défense nationale”, puis à s’opposer ouvertement à la vague révolutionnaire d’après guerre jusqu’à jouer le rôle de bourreaux du prolétariat comme en Allemagne en 1919.
L’intégration finale de chacun de ces partis dans leurs États nationaux respectifs prit place à différents moments de la période qui suivit l’éclatement de la Première Guerre mondiale. Mais ce processus fut définitivement clos au début des années 1920, quand les derniers courants prolétariens furent éliminés ou sortirent de leurs rangs en rejoignant l’Internationale Communiste.
De même, les Partis communistes sont à leur tour passés dans le camp du capitalisme après un processus similaire de dégénérescence opportuniste. Ce processus, engagé dès le début des années 1920, s’est poursuivi après la mort de l’Internationale Communiste (marquée par l’adoption de la théorie du “socialisme en un seul pays” en 1928), jusqu’à aboutir, malgré la lutte acharnée de leurs fractions de gauche et après l’élimination de celles-ci, à une complète intégration dans l’État capitaliste au début des années 1930 avec leur participation aux efforts d’armement de leurs bourgeoisies respectives et leur entrée dans les “fronts populaires”. Leur participation active à la “Résistance”, durant la Seconde Guerre mondiale et à la “reconstruction nationale”, après celle-ci, les a confirmés comme de fidèles serviteurs du capital national et comme la plus pure incarnation de la contre-révolution”.(4)
En l’espace de 25 ans (entre 1914 et 1939), la classe ouvrière perdit d’abord les Partis socialistes, puis, dans les années 1920, les Partis communistes et enfin, à partir de 1939, les groupes de l’Opposition de gauche de Trotski qui ont soutenu la barbarie encore plus brutale de la Seconde Guerre mondiale. “En 1938, l’Opposition de gauche est devenue la Quatrième Internationale. C’est une aventure opportuniste car il n’est pas possible de constituer un parti mondial en situation de marche vers la guerre impérialiste et donc de défaite profonde du prolétariat. Les résultats seront désastreux : en 1939-40, les groupes de la soi-disant IVe Internationale prirent position en faveur de la guerre mondiale sous les prétextes les plus divers : la majorité soutenant la “patrie socialiste” russe, mais il y même eu une minorité soutenant la France de Pétain (elle-même satellite des nazis).
Contre cette dégénérescence des organisations trotskistes, les derniers noyaux internationalistes restants ont réagi : en particulier la compagne de Trotski et le révolutionnaire d’origine espagnole Munis. Depuis lors, les organisations trotskistes sont devenues des agences “radicales” du capital qui tentent d’attirer le prolétariat avec toutes sortes de “causes révolutionnaires” qui correspondent généralement à des factions “anti-impérialistes” de la bourgeoisie (comme le célèbre sergent Chavez d’aujourd’hui). De même, ils récupèrent les travailleurs qui sont dégoûtés du jeu électoral en les faisant voter de façon “critique” pour les “socialistes” pour ainsi “fermer le chemin à la droite”. Enfin, ils ont toujours le grand espoir de “récupérer” les syndicats par le biais de “candidatures combatives”.(5)
La classe ouvrière est capable de générer des fractions de gauche au sein des Partis prolétariens lorsqu’ils commencent à être affectés par la maladie de l’opportuniste. Ainsi, au sein des partis de la IIe Internationale, les bolcheviques, le courant de Rosa Luxemburg, le tribunisme hollandais, les militants de la Fraction abstentionniste italienne, etc., se sont distingués. L’histoire des combats menés par ces fractions est suffisamment connue parce que leurs textes et leurs contributions se sont concrétisés dans la formation de la IIIe Internationale.
Et, dès 1919, la réaction prolétarienne face aux difficultés, aux erreurs et à la dégénérescence ultérieure de la Troisième Internationale s’est exprimée dans la Gauche communiste (italienne, néerlandaise, allemande, russe, etc.) qui a conduit (avec beaucoup de difficultés et malheureusement très dispersée) à une lutte héroïque et déterminée. L’Opposition de gauche de Trotski est née plus tard et d’une manière beaucoup plus incohérente. Dans les années 1930, l’écart entre la gauche communiste (principalement son groupe le plus cohérent, Bilan, représentant de la gauche communiste italienne) et l’Opposition de Trotski est devenu plus évident. Tandis que Bilan voyait les guerres impérialistes localisées comme l’expression d’une course vers la guerre impérialiste mondiale, l’Opposition s’est empêtrée dans des divagations sur la libération nationale et le caractère progressiste de l’antifascisme. Tandis que Bilan voyait l’enrôlement idéologique pour la guerre impérialiste et l’intérêt du capital derrière la mobilisation des travailleurs espagnols vers la guerre entre Franco et la République, Trotski voyait dans les grèves de juillet 1936 en France et dans la lutte antifasciste en Espagne le début de la révolution… Cependant, le pire, c’est que, même si Bilan n’était pas encore clair sur la nature exacte de l’URSS, il était évident pour lui qu’il ne pouvait la soutenir en aucun cas et que l’URSS était un agent actif dans la guerre en préparation. Trotski, par contre, avec ses spéculations sur l’URSS comme “État ouvrier dégénéré”, ouvrait en grand les portes pour le soutien à l’URSS, ce qui fut un moyen de soutenir la deuxième boucherie mondiale de 1939-1945.
Depuis 1968, la lutte prolétarienne renaissait dans le monde entier. Mai 68 en France, “l’Automne chaud” italien, le “cordobazo” argentin, l’octobre polonais, etc., sont les expressions de ce combat vigoureux. Cette lutte a fait surgir une nouvelle génération de révolutionnaires. De nombreuses minorités de la classe ouvrière surgissaient partout et tout cela constitue une force fondamentale pour le prolétariat.
Cependant, il est important de noter le rôle des groupes d’extrême gauche dans la destruction de ces minorités : le trotskisme dont nous avons déjà parlé, l’anarchisme officiel(6) et, enfin, le maoïsme. En ce qui concerne ce dernier, il faut noter qu’il n’a jamais été un courant prolétarien. Les groupes maoïstes sont nés des conflits et des guerres d’influence de type impérialiste entre Pékin et Moscou qui ont conduit à la rupture entre les deux États et à l’alignement de Pékin sur l’impérialisme américain en 1972.
On estime que vers 1970, il y avait plus de cent mille militants dans le monde qui, bien qu’avec une énorme confusion, se prononçaient en faveur de la révolution, contre les partis traditionnels de gauche (PS, PC), contre la guerre impérialiste et cherchaient à faire avancer la lutte prolétarienne en gestation. Une écrasante majorité de cet important contingent a été récupérée par cette constellation de groupes d’extrême gauche. La présente série d’articles va essayer de démonter minutieusement tous les mécanismes par lesquels ils ont exercé cette récupération. Nous parlerons non seulement du programme capitaliste drapé dans des étendards radicaux et ouvriéristes, mais aussi des méthodes d’organisation, du débat, du fonctionnement, de la morale, qu’ils ont utilisé.
Ce qui est certain, c’est que leur action a été très importante pour détruire le potentiel de la classe ouvrière pour construire une large avant-garde pour sa lutte. Les militants potentiels ont été détournés vers l’activisme et l’immédiatisme, canalisés vers des combats stériles au sein des syndicats, des municipalités, des campagnes électorales, etc.
Les résultats ont été concluants :
– La majorité a quitté la lutte profondément déçue et est tombée dans un scepticisme sur la lutte ouvrière et la possibilité du communisme ; une partie non négligeable de ce secteur est tombée dans la drogue, l’alcool, le désespoir le plus absolu ;
– Une minorité est restée en tant que troupe de base des syndicats et des partis de gauche, propageant une vision sceptique et démoralisante de la classe ouvrière ;
– Une autre minorité, plus cynique, a fait carrière dans les syndicats et les partis de gauche, et même certains de ces “gagnants” sont devenus membres des partis de droite.(7)
Les militants communistes sont un atout vital pour le prolétariat et c’est une tâche centrale des groupes de la Gauche communiste actuels, qui sont aujourd’hui les héritiers de la trajectoire de Bilan, d’Internationalisme, etc. de tirer toutes les leçons de ce qui a permis l’énorme saignée des forces militantes que le prolétariat a dû supporter depuis son réveil historique en 1968.
Pour effectuer leur sale travail d’encadrement, de division et de confusion, les partis de gauche et d’extrême gauche propagent une fausse vision de la classe ouvrière. Elle imprègne les militants communistes en déformant leur pensée, leur conduite et leur approche. Il est donc vital de l’identifier et de la combattre.
Pour la gauche et l’extrême gauche, les travailleurs ne forment pas une classe sociale antagoniste du capitalisme mais une somme d’individus. Ils sont la partie “inférieure” de la “citoyenneté”. En tant que tels, les travailleurs individuels devraient aspirer à une “situation stable”, à une “juste rétribution” pour leur travail, à un “respect de leurs droits”, etc.
Cela permet à la gauche de cacher quelque chose d’essentiel : la classe ouvrière est une classe indispensable à la société capitaliste parce que sans son travail associé, elle ne pourrait pas fonctionner, mais en même temps elle est une classe exclue de la société, étrangère à toutes ses règles et normes vitales, et c’est donc une classe qui ne peut se réaliser en tant que telle qu’en abolissant la société capitaliste de bas en haut. À la place de cette réalité, apparaît l’idée d’une classe “intégrée” qui, par des réformes et la participation aux institutions, pourrait satisfaire ses intérêts.
Cette vision dissout ensuite la classe ouvrière dans la masse amorphe et interclassiste de la “citoyenneté”. Dans un tel magma, l’ouvrier est assimilé au petit bourgeois qui l’arnaque, au policier qui le réprime, au juge qui le condamne à l’expulsion, au politicien qui le trompe et même aux “bourgeois progressistes”. Les notions de classes sociales et d’antagonismes de classe disparaissent pour faire place à la notion de citoyens de la nation, à la fausse “communauté nationale”.
Une fois que la notion de classe a été effacée de l’esprit de la classe ouvrière, la notion fondamentale de classe historique disparaît également. Le prolétariat est une classe historique qui, au-delà de la situation de ses différentes générations ou lieux géographiques, a entre les mains un avenir révolutionnaire, l’établissement d’une nouvelle société qui dépasse et résolve les contradictions qui conduisent le capitalisme à la destruction de l’humanité.
En balayant les notions vitales et scientifiques de classes sociales, d’antagonisme de classes et de classe historique, la gauche et l’extrême-gauche du capital ramènent la révolution au rang d’un vœu pieux qu’il faut laisser entre les mains “expertes” des politiciens et des Partis. Ils introduisent la notion de délégation de pouvoir, concept parfaitement valable pour la bourgeoisie, mais absolument destructeur pour le prolétariat. En fait, la bourgeoisie, une classe exploiteuse qui détient le pouvoir économique, peut confier la gestion de ses affaires à un personnel politique spécialisé qui constitue une couche bureaucratique avec ses propres intérêts dans l’enchevêtrement des intérêts du capital national.
Il n’en va pas de même pour le prolétariat, qui est à la fois une classe exploitée et révolutionnaire, qui n’a pas de pouvoir économique, mais dont la seule force est sa conscience, son unité et sa solidarité, sa confiance en soi, c’est-à-dire des facteurs qui sont radicalement détruits s’il s’appuie sur une couche spécialisée d’intellectuels et de politiciens.
Armés de cette délégation, les partis de gauche et d’extrême gauche défendent la participation aux élections comme un moyen de “bloquer le chemin de la droite”, c’est-à-dire qu’ils détruisent dans les rangs des travailleurs l’action autonome en tant que classe pour se transformer en une masse de citoyens votants. Une masse individualisée, chacun enfermé dans ses “intérêts propres”. L’unité et l’auto-organisation du prolétariat est ainsi écrasée.
Finalement, c’est ainsi que les partis de gauche et d’extrême gauche appellent le prolétariat à se réfugier entre les mains de l’État pour “atteindre une nouvelle société”. Ils réalisent ainsi le tour de passe-passe de présenter le bourreau capitaliste, l’État, comme “l’ami des ouvriers” ou “son allié”.
La gauche et les syndicalistes propagent une vision matérialiste vulgaire des travailleurs. Selon eux, les travailleurs sont des individus qui ne pensent qu’à leur famille, à leur confort, à obtenir la meilleure voiture, la maison la plus luxueuse, et, noyés dans ce consumérisme, ils n’ont pas “d’idéal” de lutte, préférant rester à la maison pour regarder le football ou aller au bar avec leurs amis. Pour boucler la boucle, ils affirment qu’étant donné que les travailleurs sont endettés jusqu’au cou pour payer leurs caprices consuméristes, ils sont incapables de mener la moindre lutte.(8)
Avec ces leçons de morale hypocrite, ils transforment la lutte ouvrière, qui est une nécessité matérielle, en un idéal volontariste, alors que le communisme, but ultime de la classe ouvrière, est une nécessité matérielle en réponse aux contradictions insolubles du capitalisme.(9) Ils séparent et opposent la lutte revendicative à la lutte révolutionnaire, alors qu’il y a unité entre les deux, puisque la lutte de la classe ouvrière est, comme l’avait dit Engels, à la fois économique, politique et un combat d’idées.
Priver notre classe de cette unité conduit à la vision idéaliste d’une lutte “sale”, “égoïste” et “matérialiste” pour les besoins économiques et une lutte “glorieuse” et “morale” pour la “révolution”. Cela démoralise profondément les travailleurs qui se sentent honteux et coupables de se soucier des besoins de leur survie, ceux de leurs enfants et de leurs proches, d’être des individus rampants qui ne penseraient qu’à leurs petits sous. Avec ces fausses approches, qui suivent la ligne cynique et hypocrite de l’Église catholique, la gauche et l’extrême gauche sapent de l’intérieur la confiance des travailleurs en eux-mêmes en tant que classe et tentent de les présenter comme la partie la plus “basse” de la société.
Ce faisant, ils convergent avec l’idéologie dominante qui présente la classe ouvrière comme la classe des perdants. Le fameux “bon sens commun” dit qu’un travailleur est un individu qui est resté un travailleur parce qu’il n’est pas assez bon pour autre chose ou qu’il ne s’est pas battu assez fort pour progresser dans l’échelle sociale. Les travailleurs seraient les paresseux, ceux qui n’ont pas d’aspirations, qui n’ont pas “réussi”…
C’est vraiment le monde à l’envers ! La classe sociale qui produit par son travail associé la principale richesse de la société serait composée par les plus mauvais éléments de celle-ci. Puisque le prolétariat regroupe la majorité de la société, il semblerait alors que celle-ci se compose fondamentalement de fainéants, de perdants, d’individus sans culture ni motivation. La bourgeoisie n’exploite pas seulement le prolétariat, mais se moque aussi de lui. Elle qui est une minorité qui vit des efforts de millions d’êtres humains a l’audace de considérer les ouvriers comme de gens indolents, sans réussite, inutiles et sans aspirations.
La réalité sociale est radicalement différente : dans le travail associé mondial du prolétariat, se développent des liens culturels, scientifiques et, simultanément, des liens humains profonds, la solidarité, la confiance et un esprit critique. Ils sont la force qui fait bouger silencieusement la société, la source du développement des forces productives.
L’apparence du prolétariat est celle d’une masse anonyme, insignifiante et silencieuse. Cette apparence est le résultat d’une contradiction subie par le prolétariat en tant que classe exploitée et révolutionnaire. D’une part, c’est la classe du travail mondial associé et, en tant que tel, c’est elle qui fait fonctionner les rouages de la production capitaliste et a entre ses mains les forces et les capacités de changer radicalement la société. Mais d’un autre coté, la concurrence, la marchandise, la vie normale d’une société où prévaut la division et le tous contre tous, l’écrasent comme une somme d’individus, chacun impuissant, avec le sentiment d’échec et de culpabilité, séparé des autres, atomisé, forcé de se battre seulement pour soi-même.
La gauche et l’extrême gauche du capital, en complète continuité avec l’idéologie bourgeoise, veulent qu’on ne voie que cette masse amorphe d’individus atomisés. De cette façon, ils servent le capital et l’État dans leur tâche de démoraliser et d’exclure la classe ouvrière de toute perspective sociale.
Nous retrouvons ici ce que nous avons dit au début : la conception du prolétariat comme une somme d’individu. Cependant, le prolétariat est une classe et agit en tant que telle chaque fois qu’il réussit à se libérer des chaînes qui l’oppriment et l’atomisent avec une lutte conséquente et autonome. Ainsi, nous ne voyons pas seulement une classe en action, mais nous voyons aussi chacune de ses composantes se transformer en êtres qui agissent, se battent, pensent, prennent des initiatives, développent la créativité. On l’a vu dans les grands moments de la lutte des classes, comme les révolutions en Russie de 1905 et 1917. Comme Rosa Luxemburg l’a souligné si bien dans Grève des masses, Parti et syndicats, “… dans la tempête révolutionnaire, le prolétaire, le père de famille prudent, soucieux de s’assurer un subside, se transforme en “révolutionnaire romantique” pour qui le bien suprême lui-même (la vie) et à plus forte raison le bien-être matériel n’ont que peu de valeur en comparaison de l’idéal de la lutte”.
En tant que classe, la force individuelle de chaque travailleur se libère, se défait de ses entraves, développe son potentiel humain. En tant que somme d’individus, les capacités de chacun sont annihilées, diluées, gaspillées pour l’humanité. La fonction de la gauche et de l’extrême gauche du capital est de maintenir les travailleurs dans les chaînes de la citoyenneté, c’est-à-dire la somme des individus.
D’une manière générale, à l’époque ascendante du capitalisme et plus particulièrement à son apogée (1870-1914), la classe ouvrière pouvait se battre pour des améliorations et des réformes dans le cadre du capitalisme, sans envisager immédiatement sa destruction révolutionnaire. Cela impliquait, d’une part, la formation de grandes organisations de masse (partis socialistes, syndicats, coopératives, universités de travailleurs, associations de femmes et de jeunes, etc.) et, d’autre part, des tactiques de lutte, y compris la participation aux élections, les actions de pression, les grèves planifiées par les syndicats, etc.
Ces méthodes ont commencé à devenir de plus en plus inadéquates au début du XXe siècle. Dans les rangs révolutionnaires, il y avait un large débat qui opposait, d’une part, Kautsky, un partisan de ces méthodes, et, d’autre part, Rosa Luxemburg(10) qui, tirant les leçons de la révolution russe de 1905,(11) montrait clairement que la classe ouvrière s’orientait vers de nouvelles méthodes de lutte qui correspondaient à la nouvelle situation qui s’annonçait, avec des guerres généralisées, la crise capitaliste, etc., c’est-à-dire, la chute du capitalisme dans sa décadence. Les nouvelles méthodes de lutte étaient basées sur l’action directe de masse, sur l’auto-organisation du prolétariat dans les Assemblées et Conseils ouvriers, sur l’abolition de l’ancienne division entre le programme minimum et le programme maximum. Ces méthodes se sont heurtées de front au syndicalisme, aux réformes, à la participation électorale, à la voie parlementaire.
La gauche et l’extrême gauche du capital concentrent leurs politiques sur l’enfermement de la classe ouvrière dans ces vieilles méthodes qui sont aujourd’hui radicalement incompatibles avec la défense de leurs intérêts immédiats et historiques. Ils ont arrêté la pendule de l’histoire d’une manière intéressée dans les années “dorées” de 1890 à 1910 avec toutes leurs routines de plus en plus démobilisatrices de participation électorale, d’actions syndicales, de présence passive aux actes du “Parti”, de manifestations programmées à l’avance, etc., un mécanisme qui fait des travailleurs de “bons citoyens travailleurs”, c’est-à-dire des êtres passifs et atomisés qui se soumettent avec discipline à tout ce dont le capital a besoin : travailler dur, voter tous les quatre ans, user leurs chaussures dans les marches syndicales, continuer sans remettre en question les dirigeants autoproclamés.
Cette politique est défendue sans vergogne par les partis socialistes et communistes, tandis que ses annexes “d’extrême gauche” la reproduisent avec des touches “critiques” et des surenchères “radicales”. Tous défendent une vision de la classe ouvrière comme classe pour le capital, qui devrait se soumettre à tous ses impératifs et se contenter de l’attente de quelques miettes hypothétiques qui, de temps en temps, tombent de la table dorée de ses banquets.
C. Mir 18-12-17
1 Point 4 de notre Plateforme
2 Les partis classiques de droite (conservateurs, libéraux, centristes, progressistes, démocratiques, radicaux) complètent leur partie du contrôle de la société par des partis d’extrême droite (fascistes, néonazis, populistes de droite, etc.). La nature de cette dernière est plus complexe, voir à cet égard : “Contribution sur le problème du populisme [626]”, Revue Internationale n° 175.
3 Pour une étude sur comment l’opportunisme pénètre et détruit la vie prolétarienne de l’organisation, avec toutes les conséquences néfastes que cela entraîne, voir “Le chemin vers la trahison de la Social-démocratie allemande [627]”, Revue Internationale n° 152.
4 Point 13 de notre Plateforme.
5 Voir l’article en espagnol : “¿Cuales son las diferencias entre la Izquierda Comunista y la IVª Internacional? [628]”
6 Il ne s’agit pas ici des groupes les plus minoritaires de l’anarchisme internationaliste, qui, malgré ses confusions, se revendiquent de beaucoup de positions de la classe ouvrière, se manifestant clairement contre la guerre impérialiste et pour la révolution prolétarienne.
7.Il y a une foule d’exemples. Durão Barroso, ancien président de l’Union Européenne, fut maoïste dans sa jeunesse. Cohn-Bendit est député du parlement européen et conseiller de Macron ; Lionel Jospin, ancien Premier ministre français, fut trotskiste dans sa jeunesse...
8 Il faut reconnaître que le consumérisme (promu depuis les années 1920 aux États-Unis et après la Seconde Guerre mondiale) a contribué à miner l’esprit revendicatif au sein de la classe ouvrière, puisque les besoins vitaux de chaque travailleur sont déformés par le parti pris consumériste, transformant ses besoins en une affaire individuelle où “tout peut être réalisé par le crédit”.
9 Voir notre série : “Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessité matérielle”.
10 Voir le livre (en espagnol): “Debate sobre la huelga de masas” (textes de Parvus, Mehring/ Luxemburg/ Kautsky/ Vandervelde [629]/Anton Pannekoek [630]).
11 Voir : “Grève de masse, parti et syndicats [631]” de Rosa Luxemburg.
Un mal se manifeste et se répand dans différents pays du monde et il n’est certainement pas dû au phénomène migratoire. Personne n’est originaire d’aucun lieu. L’humanité, depuis ses origines est migrante, bien que les raisons de l’émigration soient effectivement distinctes à chaque époque et pour des motifs différents ; ce que vivent aujourd’hui des milliers de familles vénézuéliennes, syriennes, nicaraguayennes, du Moyen-Orient… sont les répercussions de la décomposition du système capitaliste au niveau mondial que l’ensemble de la bourgeoisie est incapable d’arrêter. Néanmoins, les États vérolés les utilisent pour attiser la haine, l’arrogance, la xénophobie et le nationalisme. L’humanisme, que tel ou tel gouvernement démocratique tente de manier face aux migrants, comme c’est la cas en Colombie, en Allemagne, en Équateur, en France, au Pérou, etc. est faux, tout comme sont faux les discours des gouvernements dictatoriaux du Venezuela ou du Nicaragua.
Le Venezuela et le Nicaragua sont les expressions les plus désastreuses de la bourgeoisie et un clair reflet de ce qui pourrait arriver à l’ensemble de l’humanité si la décomposition s’accélère et si la force de la classe ouvrière ne l’arrête pas.
Dans les décennies des années 1970 et 1980, l’émigration des Argentins, Chiliens, Uruguayens, Colombiens et de ceux qui vivent en Amérique centrale, a été motivée par la répression des gouvernements militaires, apparus dans le cadre de l’affrontement des blocs impérialistes (URSS-USA) et dans lequel, les USA, en particulier, ont renforcé le contrôle sur la région latino-américaine à travers l’utilisation de dictatures sanguinaires, comme celle de Pinochet. Ces dictatures ont obligé des centaines de personnes à fuir. Mais cette lutte impérialiste quand elle s’est terminée avec des guerres civiles, comme cela est arrivé en Colombie et en Amérique Centrale, a aussi entraîné la mobilisation de populations voulant s’éloigner des centres de conflits. Aujourd’hui, l’émigration de milliers de Vénézuéliens ou de familles originaires du Moyen-Orient, est due à trois facteurs effrayants qui sont inhérents au capitalisme et qui se sont aggravés dans sa phase actuelle de décomposition : la faim, l’insécurité et les maladies.
L’indolence de la bourgeoisie, misant à chaque fois sur le “sauve-qui-peut”, exprime clairement que le capitalisme n’a aucun avenir à offrir à l’humanité. Aucun État n’est intervenu face à ce phénomène, si ce n’est pour obtenir des bulletins de vote ou en se cachant derrière un humanisme factice, ils ont sélectionné des secteurs de populations migrantes pour les utiliser comme force de travail bon marché.
La classe ouvrière étant actuellement dans une situation de faiblesse, la bourgeoisie utilise l’immigration pour relancer des campagnes haineuses et nationalistes, accusant les migrants d’être un danger, une menace pour sa nation et son système.
Face à ce sinistre panorama, les travailleurs des pays sud-américains, européens, nord-américains ou asiatiques, ne peuvent pas tomber dans le piège du “sauve-qui-peut” et se laisser entraîner derrière les campagnes de la bourgeoisie. Il faut comprendre que, bien que la décomposition se manifeste crûment dans des pays comme le Venezuela ou le Nicaragua, c’est un processus dans lequel est embarqué l’ensemble du système capitaliste ; c’est pour cela que la classe ouvrière mondiale est la seule qui puisse stopper son avancée destructrice, en détruisant le capitalisme. Le premier acte authentique, propre à la classe ouvrière, est la solidarité, le travail associé et son organisation indépendante.
Dans ce terrain boueux et putride de la décomposition, le prolétariat devra se ressaisir, et nous sommes sûrs qu’il le fera parce qu’il est l’unique classe révolutionnaire de la société capitaliste ; cependant, pour changer le cours de l’histoire, il ne suffit pas que le prolétariat le veuille ; il doit aussi être convaincu qu’il peut changer le cours de l’histoire comme l’a fait le prolétariat dans la Révolution russe de 1917, lorsqu’il est allé jusqu’à stopper la Première Guerre mondiale. Le prolétariat devra apprendre que l’État, la démocratie, le parlementarisme et le syndicalisme, ne peuvent pas être utilisé pour transformer la réalité bourgeoise ; de même, pour affronter la décomposition capitaliste dans tous les pays, il ne pourra pas le faire en utilisant les formes prostituées de la bourgeoisie. La classe ouvrière doit débattre et s’organiser comme classe indépendante et ainsi élaborer son programme historique et atteindre son unité afin de construire la véritable communauté humaine mondiale, sans États, sans classes sociales, sans exploitation et sans guerre.
Dans n’importe quelle partie du monde, deux frères prolétariens ou plus qui se réunissent pour discuter des problèmes de leur classe, est une avancée significative pour les perspectives de l’humanité.
Internacionalismo Perou
Internacionalismo Venezuela
Internacionalismo Equateur
Noyau du Brésil
Septembre 2018
Nous publions ci-dessous la traduction de larges extraits de l’article paru dans la presse territoriale de la section du CCI au Mexique.
La campagne électorale, menée entre 2017 et juin de cette année, a été si accablante et envahissante qu’elle a réussi à déplacer vers les urnes plus de 56 millions de personnes, soit 63,4 % des électeurs, ce qui représente le taux de participation le plus élevé de l’histoire du pays. Le rite sexennal(1) de promesses de changement pour inciter à voter a cette fois débouché sur la victoire inédite du candidat “de gauche” Lopez Obrador (AMLO, comme il est communément nommé d’après ses initiales). Tout a été fait pour alimenter et recrédibiliser le terrain électoral et la démocratie parmi la population, en particulier parmi les exploités. Pour cela, la bourgeoisie a joué sur la désorientation des travailleurs dans la période actuelle et leurs difficultés à s’exprimer comme classe exploitée avec des intérêts opposés au système capitaliste. Même si la bourgeoisie, elle aussi, a connu davantage de divisions et de problèmes pour parvenir à des accords et pour définir ses choix à la tête de son appareil d’État (comme on peut le voir à travers les fractures au sein du PRI et du PAN, le démembrement du PRD,(2) la virulence des prises de position au sein même des milieux d’affaires, la violence des affrontements entre clans politiques et le grand nombre de candidats menacés ou assassinés pendant la campagne électorale), elle a pu exploiter ses propres difficultés en les retournant contre les exploités, transformant ces mêmes problèmes en arguments supplémentaires pour pousser la population vers les urnes.
Pour cette raison, même si López Obrador n’était pas au départ le candidat le mieux accepté par les clans détenant le pouvoir économique et politique, l’ensemble de la bourgeoisie a profité de son discours anti-corruption et patriotique pour faire miroiter l’illusion d’un changement et ainsi réhabiliter un terrain électoral auprès d’une population excédée par la violence, l’insécurité permanente, la fraude et la corruption.
La bourgeoisie, à travers ses candidats, ses institutions et ses médias, a martelé, à maintes reprises, l’idée que le vote est le moyen de choisir et de faire respecter la volonté individuelle, cherchant ainsi à faire croire qu’un individu dans la solitude de l’isoloir, armé de sa “liberté citoyenne”, peut transformer la société, alors que le travailleur atomisé est ainsi réduit à maintenir le système qui l’exploite. La bourgeoisie prétend que la voix d’un ouvrier aurait autant de poids que celle d’un magnat capitaliste et que, par conséquent, le gouvernement qui en résulte serait le produit d’une décision collective et de la “volonté du peuple”.
C’est précisément à cause de cette image trompeuse que les élections et la démocratie sont les meilleures armes de soumission à la classe dirigeante, cherchant à faire oublier ce que Lénine rappelait au sujet de la république démocratique, à savoir qu’elle n’est rien d’autre qu’ “une machine gouvernementale faite pour opérer l’écrasement du travail par le capital” et que “tous ces cris en faveur de la démocratie ne servent en réalité qu’à défendre la bourgeoisie et ses privilèges de classe exploiteuse” “(Thèses et rapports sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, 1919).(3)
Chaque discours et chaque appel au vote s’est accompagné d’invocations à la “responsabilité citoyenne” et de phrases faisant allusion à la “patrie”, injectant avec ce langage un poison nationaliste pour chercher à anesthésier les travailleurs et les enfoncer dans une plus grande confusion qui les empêche de se reconnaître non seulement comme une classe affectée par la misère et condamnée à l’exploitation, mais aussi comme le “fossoyeur du capitalisme”. C’est pour cela que le discours nationaliste et l’utilisation des “symboles patriotiques” ont été à la base de la campagne électorale, de Meade (candidat du PRI) et Anaya (candidat du PAN) à Obrador, en passant par tous les autres candidats officiels, et jusqu’aux campagnes les plus marginales comme celle de l’EZLN(4) à travers sa candidate Marichuy.
Lopez Obrador (se présentant pour la troisième fois à la présidence, cette fois sous la bannière de son nouveau parti MORENA)(5) a donc bénéficié du mécontentement de la population en raison de la violence généralisée, de la précarité des conditions de vie et de la corruption ouverte étendue à tous les niveaux des gouvernements précédents, c’est-à-dire de la lassitude et du ras-le-bol à l’égard des partis traditionnels. Jamais auparavant n’avait autant dominé et pesé un tel état d’esprit sur les élections, ni en 2000 dans le “combat pour l’alternance” qui a amené le PAN au gouvernement, avec Vicente Fox comme président, ni en 2012, avec les mobilisations anti-PRI, qui ont été menées par le mouvement #yosoy132.
Le contexte dans lequel des élections ont eu lieu au Mexique est, comme partout dans le monde, fortement affecté par le poids de la décomposition capitaliste, caractérisé, d’une part, par la tendance de la bourgeoisie à perdre le contrôle de son appareil politique, marqué par de profondes fractures internes et une lutte de concurrence acharnée au sein de chaque grand parti, ce qui rend son unité difficile ; d’autre part, une classe ouvrière déboussolée qui a du mal à retrouver le chemin pour développer sa lutte contre le capital.
Tout cela a été utilisé et exploité par la bourgeoisie contre les travailleurs, renforçant son appareil de gauche et les poussant à s’en remettre à un personnage charismatique et démagogique.
Pour convaincre l’ensemble de la bourgeoisie de son sérieux pour gouverner, il a profité de ces fractures politiques, en tendant la main à divers groupes capitalistes avec lesquels il était en concurrence, obtenant même le soutien de secteurs d’affaires qui, lors des précédentes campagnes électorales auxquelles il participait, l’accusaient d’être “un danger pour le Mexique”. Certains hommes d’affaires, regroupés au sein du Conseil mexicain des affaires (CMN), se sont acharnés jusqu’à récemment, en maintenant de vives attaques contre AMLO, mais ces attaques ont été contre-productives car elles l’ont finalement fait apparaître comme une victime et ont crédibilisé son rôle et son image “d’avocat des pauvres et des opprimés”.
En permettant aux différentes fractions du capital national de parvenir à un consensus, le candidat élu a recherché des accords pour coopérer avec les grandes entreprises et ses concurrents politiques, en mettant l’accent dans ces accords sur la lutte supposée contre la corruption (tout en promettant de “passer l’éponge” sur certains actes délictueux ou sur des malversations passées avérées) et, surtout, la promotion de l’unité nationale. De cette manière, AMLO a non seulement conclu des accords avec une large liste d’employeurs, mais aussi avec des structures de contrôle syndicales telles que la CNTE.(6) Ce n’est évidemment pas une solution durable, mais elle permet à l’État mexicain d’être mieux préparé à mener à bien, par exemple, les négociations de l’ALENA(7) et, dans la perspective d’une intensification de la guerre commerciale, de pouvoir en faire subir les conséquences et de justifier ses attaques à venir contre les travailleurs. La bourgeoisie a donc été majoritairement convaincue qu’un nouveau recours à la fraude électorale était inutile et risqué ; il était plus commode d’accepter son triomphe électoral et celui du nouveau parti de gauche.
Le triomphe électoral de celui qui a été présenté comme une “lueur d’espoir” ne changera pas d’un iota la situation des millions de personnes exploitées qui ont voté pour lui. L’exploitation des travailleurs ne va en aucun cas être modifiée et, au contraire, le nouveau gouvernement, invoquant la défense de l’économie et de la souveraineté nationale, va tenter de justifier des politiques qui aggravent leurs conditions de vie, ou des mesures qui revendiquent la nécessité d’une “austérité républicaine”, justifier des licenciements et d’autres mesures contre les travailleurs. La seule chose qui aura changé, c’est donc le représentant de la bourgeoisie placée à la tête de l’État ; mais le mandat qu’il doit défendre est le même que celui défendu par Peña Nieto et tous les gouvernements du monde, qu’ils soient de droite ou de gauche : maintenir et protéger le système d’exploitation capitaliste.
Comme dans tout scrutin électoral, c’est la bourgeoisie qui a remporté l’élection, mais les résultats de cette élection en particulier ont permis de renforcer les sentiments patriotiques : la prolifération des drapeaux nationaux et des cris patriotards “Vive le Mexique !”, présents tout au long des élections et intensifiés après l’annonce de la victoire d’AMLO, montrent qu’il y a bien une instrumentalisation des émotions derrière la victoire d’une fraction de gauche afin d’impliquer les travailleurs dans la défense du capitalisme, en imposant la défense de l’unité nationale.
A cette occasion, d’une manière particulière, les élections ont approfondi la confusion des travailleurs et la bourgeoisie se prépare à en profiter pour consolider son contrôle et sa domination de classe.
Les conditions d’existence subies par les exploités dans les villes et les campagnes, marquées par la violence des mafias, de la police et de l’armée, ainsi que la dégradation de leur niveau leur vie causée par l’avancée de la crise économique mondiale a permis le développement des illusions envers Lopez Obrador ainsi que l’idée mensongère que le capitalisme pourrait être “amélioré” par la simple mise en place d’un nouveau gouvernement.
Les partisans d’AMLO se prétendent “radicaux” en défendant l’affirmation selon laquelle le principal problème du système serait la corruption plutôt que l’exploitation. Il n’est pas surprenant qu’une fraction bourgeoise cherche à masquer que le capitalisme n’est pas autre chose qu’un système d’exploitation ; mais elle masque aussi que la corruption, qui est le thème central de la propagande de MORENA ne peut être éradiquée au sein du capitalisme, parce que la corruption, la fraude et la violence sont le mode de vie permanent du capitalisme et plus particulièrement dans la phase actuelle de décomposition du système capitaliste.(8)
Même les groupes de gauche qui se présentent comme critiques ou sceptiques sur les promesses du candidat vainqueur, collaborent à renforcer cette illusion, parce qu’ils présentent comme contradictoire la devise d’AMLO “les pauvres d’abord” avec le fait qu’il forme une équipe (d’abord pour mener sa campagne et maintenant pour gouverner) avec des hommes d’affaires, pour établir des alliances avec des groupes “conservateurs”, ou pour renforcer les liens avec les personnages les plus pourris du PRI et du PAN comme des syndicats ou pour s’engager à suivre des orientations économiques et politiques “néolibérales”. Ces observations illustrent certes le pragmatisme avec lequel il agit et son recours systématique au mensonge et à l’hypocrisie, mais elles cachent la nature bourgeoise de MORENA et de son représentant AMLO. Si nous nous en tenons là, Lopez Obrador continuerait bien à être un représentant des classes exploités, mais qui s’est avéré être “un renégat” ou “un traître”, alors qu’en réalité, il n’a jamais cessé d’être une expression de la même bourgeoisie exploiteuse et corrompue.
La critique la plus vive contre AMLO était celle de l’EZLN qui, à la mi-juillet, faisait référence au changement d’équipe gouvernementale en ces termes : “le contremaître, les majordomes et les chefs d’équipe peuvent bien être changés, mais le propriétaire de l’hacienda reste le même”. Avec cette déclaration, l’EZLN tente de se démarquer des autres cliques de la politique bourgeoise, mais la guérilla elle-même a été un produit et fait partie intégrante du système qu’il prétend critiquer. Rappelons seulement qu’au milieu des années 1990, l’EZLN voilait son soutien au candidat du PRD, Cuauhtémoc Cárdenas, mais il a aussi exprimé son “respect” pour la chambre des députés (dans l’enceinte duquel il a même pris la parole en 2001) et autres institutions bourgeoises, et a tenté de participer aux dernières élections…
Alors qu’AMLO, il y a quelques années, prétendait envoyer les institutions au diable, il a confirmé sa position de défenseur du capitalisme, et c’est afin de mieux le défendre, qu’il affirme qu’il est nécessaire de renforcer la démocratie, ses institutions et le gouvernement, parce que cela permet en fait de renforcer les instruments d’exploitation et de contrôle de la bourgeoisie. Quand il parle aujourd’hui de défense de l’économie nationale, il montre sa détermination à perpétuer le capitalisme et pour poursuivre cette tâche, il reprend, en les dépoussiérant un peu, les discours et les promesses que le PRI prononce depuis des années.
Lopez Obrador, avec son discours de gauche, promet une “quatrième transformation” qui n’est rien de plus que des illusions et des promesses derrière lesquelles se cache l’effort pour soutenir et maintenir le système capitaliste, cela derrière un rideau de fumée qui sème davantage de confusion parmi les travailleurs et les exploités.
Mais la confusion répandue parmi les prolétaires aujourd’hui ne signifie pas que leur capacité de réflexion et leur combativité ont été éliminées, bien que la bourgeoisie va tout faire pour que les illusions démocratiques et nationalistes restent dans les têtes et la conscience des ouvriers, nous savons que la crise économique mondiale va se charger de montrer que les discours et les promesses d’AMLO sont de purs mensonges, mais surtout qu’elle devra pousser les travailleurs à se battre, car tant que le capitalisme existera, que ce soit sous un gouvernement de gauche ou de droite, l’exploitation et la misère des prolétaires vont non seulement continuer mais ne peuvent que connaître une aggravation et les pousser vers la reprise de leur combat de classe pour se défendre. Le prolétariat n’a pas d’autre voie face à ce nouveau gouvernement que de retrouver le chemin de la lutte sur son terrain de classe.
D’après Revolucion Mundial, organe du CCI au Mexique), 20 juillet 2018
1 Les élections présidentielles ont lieu tous les six ans au Mexique (le président sortant n’a pas le droit de se représenter). En même temps, est procédé à l’élection des députés et des sénateurs, ainsi qu’au renouvellement d’une partie des gouverneurs à la tête des États fédéraux.
2 PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) : fraction au pouvoir presque sans interruption depuis la “révolution nationale” de 1910 ; PAN (Parti d’Action Nationale), de droite, partisan d’une alliance plus étroite avec les États-Unis ; PRD (Parti de la Révolution Démocratique) : scission “de gauche” du PRI mais largement discrédité par le pacte d’union nationale qu’il a signé avec le précédent gouvernement très impopulaire de Pena Nieto (comme le PAN) dès l’investiture de ce dernier.
3 Ce document rédigé par Lénine en mars 1919 a été adopté par le Premier Congrès de l’Internationale Communiste (IIIe Internationale). Nous l’avons republié dans le n° 100 de notre Revue Internationale (1er trimestre 2000) sous le titre : La démocratie bourgeoisie, c’est la dictature du capital.
4 EZLN : Armée zapatiste de libération nationale, animateurs d’une guérilla dirigée par le sous-commandant Marcos qui, après avoir tenté un soulèvement armé infructueux dans le Chiapas, au sud du pays, en 1994 au nom de la prétendue défense des droits des paysans locaux et de la cause indigène, a organisé une marche en 2001 pour signer un accord avec le gouvernement “paniste” de Fox signifiant son retour dans le cadre légal, institutionnel et parlementaire.
5 Ce mouvement est apparu au Mexique dans le cadre des élections de 2012. Il a été lancé par des étudiants d’universités privées, puis rejoint par des étudiants d’universités publiques. Se présentant comme un “mouvement citoyen”, il a revendiqué une “démocratisation des médias” en s’élevant contre la propagande d’Enrique Peña Nieto, candidat du PRI. MORENA est l’abréviation de Mouvement pour la Régénération Nationale, significatif de sa forte connotation patriotique qui montre à quel point il est éloigné des préoccupations et des intérêts de la classe ouvrière et s’identifie au contraire à ceux de la bourgeoisie.
6 Coordination Nationale des Travailleurs de l’Éducation : syndicat enseignant dont l’ex-secrétaire générale (mais aussi ancienne députée et sénatrice du PRI), Alba Esther Gordillo (emprisonnée entre 2013 et 2018 entre autres chefs d’inculpation pour “blanchiment d’argent sale”), a été désignée parmi les dix personnalités les plus corrompues du pays.
7 La remise en cause par Donald Trump et la renégociation en cours des accords de l’ALENA (traité de libre-échange nord-américain) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique en vigueur depuis 1994 implique notamment un énorme bras-de-fer engagé entre les États-Unis et le Mexique, en particulier dans le secteur agricole et l’automobile.
8 Par exemple, rappelons-nous que l’opération “mains propres” en Italie qui avait provoqué une crise politique très aiguë entre 1992 et 1994 n’a nullement mis fin à la corruption, mais l’a au contraire approfondie et généralisée. La lutte contre la corruption était aussi l’un des motifs pour lesquels Lula et Dilma Rousseff ont été portés au pouvoir au Brésil, et nous avons vu que ces mêmes personnages ont été plus tard impliquées dans les affaires de corruption.
On estime qu’entre 300 et 500 personnes ont été massacrées par l’armée le 2 octobre 1968 sur la place Tlatelolco (Place des Trois Cultures). Alors que le nombre exact et, encore moins, la liste officielle des victimes ne sont pas connus jusqu’à aujourd’hui, la bourgeoisie a su utiliser et exploiter ses propres crimes. Quelques années après le massacre, la bourgeoisie mexicaine a commencé à considérer cette date comme le point de départ de l’avancée de la démocratie, comme si le sang versé avait nettoyé les traces de l’existence de ces crimes et relégué l’autoritarisme et la répression dans un passé révolu.
Actuellement, à la suite de ces discours, les célébrations du cinquantenaire du massacre sont utilisées pour relancer la campagne démocratique et, en faisant le lien avec les élections passées, ils prétendent démontrer que l’État mexicain aurait changé de visage parce que la démocratie est arrivée au pouvoir, permettant même l’alternance des gouvernements. La bourgeoisie relance ainsi ses lamentations hypocrites et laisse couler ses larmes de crocodile pour tenter de se démarquer des crimes de 1968 et profiter du souvenir et de l’indignation encore présents chez les exploités.
Les mobilisations que les étudiants mexicains ont menées entre juillet et octobre 1968 sont, sans aucun doute, l’expression du fort mécontentement social qui, même si leurs revendications étaient limitées par le désir de “libertés démocratiques” et si la scène politique était occupée par une masse socialement hétérogène, traduisaient une certaine continuité de la combativité réveillée par la grève des cheminots en 1958 et des médecins en 1965. Ces mobilisations n’ont pas réussi à intégrer des revendications propres au mouvement et à s’orienter sur un terrain prolétarien, mais elles ont réussi à déployer et à éveiller une grande force de solidarité. C’est pourquoi, 50 ans après les événements et le massacre, il est nécessaire d’y réfléchir en cherchant à dépasser la bonne conscience affichée par l’État mexicain pour “célébrer” (1) le massacre de Tlatelolco et la campagne de mystification créée par la bourgeoisie à travers ses “intellectuels” et son appareil politique de gauche.
En 1968, l’État mexicain expliquait les mobilisations étudiantes comme le produit d’une “imitation” du Mai 68 parisien, qui devait être propagée par l’incitation et l’activisme d’agents “de l’étranger infiltrés”. Un mois avant que le gouvernement Díaz Ordaz ne procède au massacre des étudiants, la centrale syndicale officielle, CTM, a répété cette idée : “Les étrangers et les mauvais Mexicains, agissant comme des agents actifs du communisme, ont profité des bagarres sans importance de deux petits groupes d’étudiants, pour déclencher l’attaque la plus grave contre le régime et les institutions du pays, adoptant pour la circonstance des tactiques qui sont une imitation des systèmes adoptés par les extrêmistes de ces tendances, dans les autres enceintes et, très récemment dans les émeutes de Paris…” (“Manifeste à la Nation”, 2 septembre 1968). Bien qu’il y ait effectivement eu une tendance mondiale à l’agitation sociale influencée par les mobilisations parisiennes, il est faux de prétendre que les manifestations se sont développées comme “une mode”, et avec une volonté d’imitation.
C’est le retour de la crise économique sur la scène mondiale qui a conduit à la riposte ouvrière de Mai 68 (2) et c’est ce même élément déclencheur qui a ouvert la perspective des ripostes ouvrières en Italie (1969), en Pologne (1970-71), en Argentine (1969) et même au Mexique et qui, sans être une source de mobilisation ouvrière, a suscité des mécontentements sociaux de grande ampleur.
Il est également vrai que dans le cadre de la guerre froide, les factions impérialistes dominantes et concurrentes (États-Unis et URSS) ont utilisé l’espionnage et la conspiration, mais jusqu’à présent aucune preuve n’a été trouvée pour prouver que le gouvernement de l’URSS était impliqué, et encore moins celui de Cuba, qui avait conclu un accord avec le Mexique pour ne soutenir aucun groupe d’opposition ; et le Parti dit “communiste” (PCM), d’obédience stalinienne, bien qu’il soit un pion de l’URSS, n’avait ni la force ni la présence suffisantes pour diriger les mobilisations.
D’autre part, les États-Unis ont gardé un œil sur leur “arrière-cour” et ont pris une part active à la répression,(3) pendant ces années comme pendant toute la période de la guerre froide.
Pour expliquer l’origine des mobilisations et la force qu’elles ont démontrée, il faut aller au-delà des accusations du gouvernement, mais aussi au-delà de l’argument simpliste qui fait référence à un “conflit de générations” ou à l’absence de “libertés démocratiques”.
Les étudiants, en tant que masse sociale dans laquelle diverses classes sociales sont impliquées, mais dans laquelle l’idéologie petite-bourgeoise domine, ont certes été piégés par leurs illusions envers la démocratie.(4) Mais un autre élément a poussé les étudiants, souvent d’origine prolétarienne, vers la politisation : l’incertitude croissante qu’ils ressentaient dans l’avenir qui les attendait. La promesse de “promotion sociale” que l’industrialisation des années 1940 jusqu’aux années 1960 offrait aux étudiants des universités apparaissait de façon de plus en plus évidente comme un leurre, étant donné que, malgré l’augmentation des profits capitalistes, la vie des travailleurs ne s’améliorait pas et menaçait au contraire de s’aggraver sous la pression du ressurgissement d’une crise économique mondiale qui commençait déjà à s’affirmer. Mais en plus de cette incertitude, les ripostes répressives de l’État contre les manifestations des travailleurs qui réclamaient de meilleurs salaires ont exacerbé la colère. Les balles et la prison furent les mêmes ripostes à répétition de l’État face aux ouvriers des mines de Nueva Rosita dans la province de Coahuila (1950-51), aux grèves des cheminots (1948 et 1958), à celle des instituteurs (1958) ou des médecins (1965). Il était évident que même en augmentant les cadences de production, le capitalisme ne pouvait pas offrir des améliorations durables à la nouvelle génération.
Dans ces conditions, les mobilisations étudiantes ont été nourries par le courage et l’indignation des travailleurs qui, les années précédentes, avaient aussi été réprimés par l’État.
Des années 1940 aux années 1970, la bourgeoisie mexicaine a mené une intense propagande pour faire croire que l’industrialisation, moteur de la croissance économique et de la stabilité des prix, allait améliorer le niveau de vie de la population active. Dans ce processus d’industrialisation, l’État a joué un rôle fondamental en prenant en charge une partie des investissements directs et en soutenant le capital privé par la vente, en dessous de leur prix, des ressources énergétiques, mais surtout par une politique de maîtrise des salaires combinée à des subventions pour les biens de consommation des travailleurs, de telle sorte qu’avec ces mesures, il se présentait avec l’image d’un “État providence”, tout en réduisant le coût du travail pour les hommes d’affaires, favorisant ainsi la croissance des bénéfices capitalistes.
Dans ce processus d’industrialisation, il y avait un besoin croissant de main-d’œuvre qualifiée, de sorte que l’État a encouragé l’augmentation des inscriptions dans les universités et les écoles d’enseignement supérieur, ce qui a fait croître la masse des étudiants d’origine prolétarienne, faisant ainsi des universités un pôle de tension sociale.
En ce sens, le mouvement étudiant de 1968 au Mexique, organisé au sein du Comité national de grève (CNH), représentait une force importante, mais il était structuré autour de visions oppositionnelles qui n’ont jamais dépassé le stade des exigences démocratiques, ni pu se libérer de ses liens avec l’idéologie nationaliste. Cependant, il y avait un certain instinct de classe qui avait germé dans le feu des mobilisations et qui poussait les jeunes étudiants à chercher un rapprochement avec les ouvriers par la présence continue de “brigades d’information” dans les zones industrielles et les quartiers ouvriers, réussissant ainsi à éveiller une force de solidarité entre ouvriers ; mais cette force sociale potentielle était contenue et même annulée par le même manque de perspectives politiques du CNH.
Dès les premières manifestations étudiantes, fin juillet, les forces anti-émeutes des granaderos et la police ont agi avec une grande férocité. Le chef de la police de Mexico, le général Luis Cueto, dans une conférence de presse a justifié la répression en disant que c’était “un mouvement subversif” qui tendait “à créer une atmosphère d’hostilité envers notre gouvernement et notre pays à la veille des XIXe Jeux Olympiques” (El Universal, 28 juillet 1968).
Une période de combats de rue continus s’est ainsi ouverte, au cours de laquelle la police anti-émeute est numériquement dépassée et les troupes de l’armée sont mobilisées, décuplant ainsi la répression. Dès les premiers jours des mobilisations, l’armée a attaqué avec une grande bestialité, au point que dans la nuit du 30 juillet, elle a tiré un projectile de bazooka sur un lycée. Au fur et à mesure que la police et l’armée intensifiaient la sauvagerie de leurs interventions, la solidarité entre les travailleurs s’accroissait, mais elle ne prenait pas de forme organisée pour affirmer sa présence sur la scène sociale.
Cette sympathie acquise parmi les travailleurs s’est traduite par leur présence individuelle ou en petits groupes dans les manifestations de rue. Ce sont précisément les travailleurs qui, les années précédentes, avaient déjà été réprimés pour avoir manifesté leur soutien ou leur participation directe aux mouvements sociaux. Des tentatives ont également été faites pour exprimer ouvertement leur solidarité avec les étudiants : le 27 août, les médecins de l’Hôpital général ont organisé une grève de solidarité. Le lendemain (28 août), les travailleurs municipaux de la capitale, contraints de participer à un acte officiel visant à discréditer les manifestations étudiantes, ont spontanément exprimé leur rejet du gouvernement en scandant “nous sommes des moutons”, pour faire comprendre qu’ils étaient obligés d’être présents et saboter ainsi leur participation à cette manifestation, ils sont donc réprimés avec vigueur par la police anti-émeute.
Le mouvement étudiant a réussi à susciter la sympathie et la solidarité et bien que de nombreux groupes aient crié dans les rues et peint sur les murs : “nous ne voulons pas des Jeux Olympiques, nous voulons la révolution”, il est vrai que les mobilisations n’ont pas avancé de perspectives réelles. Ce n’est pas à cause d’une “erreur stratégique”, mais à cause de l’absence de la classe ouvrière en tant que telle sur la scène sociale. Il ne suffisait pas d’être présents individuellement ou d’exprimer sa solidarité de manière isolée, en n’occupant que formellement le terrain social, tout en laissant de côté leurs propres perspectives politiques. En 1968, bien qu’une grande masse d’étudiants étaient d’origine prolétarienne et que les ouvriers eux-mêmes aient manifesté leur sympathie envers les jeunes, le prolétariat ne s’est pas retrouvé comme une force organisée, armée de sa conscience, pour affronter le capitalisme.
Au mois de septembre, les ripostes de l’État ont été de plus en plus agressives, le 18 septembre l’armée a occupé les installations de l’UNAM, reportant l’essentiel de l’activité politique sur l’IPN(5) et les quartiers environnants ; pour cette raison, quatre jours après, les installations de l’École polytechnique ont été attaquées, non sans livrer les combats les plus violents qui se sont produits au cours de cette période, dans lesquels la solidarité s’est à nouveau développée, avec même une présence remarquable, en y intégrant des élèves des lycées et avec le soutien renforcé des habitants des quartiers… Le massacre était en préparation.
Le 2 octobre, à l’issue d’une manifestation sur la place Tlatelolco, des escadrons militaires et paramilitaires attaquent les étudiants, montrant dans leur forme la plus crue ce que signifie la domination du capitalisme.
La sauvagerie de cette riposte de l’État est souvent présentée comme un coup de folie du ministre de l’Intérieur de l’époque, Luis Echeverría, qui nourrissait la paranoïa du président Díaz Ordaz, mais cette brutalité dans la répression n’est ni accidentelle ni le produit de la pathologie d’un individu, elle fait partie de l’essence du capitalisme. Les appareils répressifs sont l’un des principaux supports de l’État. Pour nourrir la réflexion nécessaire à ce sujet, il ne faut pas oublier que tant que le capitalisme existera, des massacres comme celui d’il y a 50 ans se répéteront.
La violence étatique n’est pas un problème du passé, elle fait partie de l’essence même du capitalisme, comme l’analysait déjà Rosa Luxemburg : “Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment”. (“La Crise de la social-démocratie”, 1916)
Bien que la bourgeoisie ait besoin de justifier idéologiquement son existence comme classe dominante et présente son système comme l’expression parfaite de la démocratie, la vérité est qu’elle fonde son existence sur l’exploitation, ce qui implique son usage permanent d’une violence et d’une terreur qui se répète quotidiennement pour pouvoir maintenir son pouvoir et sa domination, mais l’usage de la répression sanglante fait aussi partie de son mode de vie.
Tatlin, septembre 2018 (Revolucion Mundial, section du CCI au Mexique)
1) De manière prétentieuse, les autorités de l’Université (UNAM) ont fièrement annoncé qu’elles avaient planifié une série d’événements commémorant le 2 octobre, au cours desquels elles dépenseraient 37 millions de pesos (environ 2 millions de dollars).
2) Voir notre article : “Cinquante ans depuis Mai 68” et notre brochure : “Mai 68 et la perspective révolutionnaire”, disponibles sur notre site Internet.
3) L’ancien agent de la CIA Philip Agee, dans son livre “Inside the Company : CIA Diary”, nomme comme des collaborateurs directs de la CIA les présidents mexicains López Mateos, Díaz Ordaz et Luis Echeverría, mais aussi des membres de la police politique comme Gutiérrez Barrios et Nazar Haro.
4) C’est pourquoi le discours de Barros Sierra, recteur de l’UNAM, dans lequel il appelait à la défense de la Constitution, de l’autonomie et de la liberté d’expression, et injectait des sentiments nationalistes en levant le drapeau en berne et en chantant l’hymne national, a été généralement utilisé comme référence par le mouvement étudiant, le 30 juillet.
5) L’Université nationale autonome du Mexique (UNAM) et l’Institut national polytechnique (IPN) sont les principaux centres d’enseignement supérieur du secteur public.
Notre camarade Elisabeth nous a quittés à l’âge de 77 ans. Elle est décédée, suite à une détresse respiratoire qui a provoqué un arrêt cardiaque, dans la nuit du samedi au dimanche 18 novembre.
Elisabeth est née pendant la Seconde Guerre mondiale, le 19 mai 1941, à Bane, un village du Jura aux alentours de Besançon. Son père était propriétaire d’une scierie et sa mère était mère au foyer. Elisabeth a grandi, dans une fratrie de neuf enfants, en milieu rural et dans une famille catholique relativement aisée. C’est sa tante, institutrice, qui a fait son éducation scolaire primaire avant qu’Elisabeth ne soit placée dans un pensionnat dirigé par des religieuses, à Besançon puis à Lyon, pour y poursuivre sa scolarité secondaire1. Elle est ensuite entrée à l’université à Lyon et s’est passionnée pour l’océanologie. En 1968, à l’âge de 27 ans, elle s’est installée à Marseille, en louant une vieille maison avec un petit jardin et une terrasse sur le toit, à deux pas de la mer. Elisabeth a été embauchée au Centre d’Océanologie du CNRS à Marseille, après avoir passé un an au Canada. Elle a passé sa thèse de doctorat en 1983, ce qui lui a permis d’être chargée d’enseignement et de diriger les travaux de recherche de ses étudiants.
Elisabeth faisait partie de cette génération de jeunes éléments en recherche d’une perspective révolutionnaire, dans le sillage du mouvement de Mai 68. Elle a commencé à se politiser, quand elle était encore étudiante, en adhérant d’abord au Parti Socialiste Unifié à Lyon2.
C’est à Marseille qu’elle découvre que la classe ouvrière est la seule force de la société capitaliste capable de transformer le monde. Elisabeth avait rencontré, dans une manifestation, Robert, un jeune élément qui s’était politisé, avant 1968, dans la mouvance anarchiste. Elle va participer, aux réunions du groupe Informations et Correspondances Ouvrières (ICO) avec Robert qui publiait, depuis 1968, « Les Cahiers du Communisme de Conseils ». C’est ainsi qu’Elisabeth a découvert le mouvement ouvrier, le marxisme et la perspective révolutionnaire du prolétariat. Ayant reçu une éducation catholique, elle a rompu avec la religion et est devenue athée, tout en gardant des liens très étroits avec sa famille.
En 1972, le groupe des Cahiers du Communisme de Conseils fusionne avec le groupe qui publiait la revue Révolution Internationale (RI), le nouveau groupe conservant le titre RI ; et c’est en 1973 qu’Elisabeth devient sympathisante de RI. En 1974, elle adhère à ce groupe, qui va devenir la section du CCI en France.
Elisabeth était présente à la Conférence Internationale de fondation du CCI en 1975 et au premier congrès de notre organisation en 1976. Avec sa disparition, c’est donc un membre fondateur du CCI, et une militante de la première génération, qui vient brusquement de nous quitter.
Elisabeth avait assumé des responsabilités importantes dans l’organisation toujours avec un dévouement sans faille. Elle écrivait régulièrement des rapports sur la lutte de classe internationale. Elle a beaucoup voyagé dans le CCI et avait appris l’italien pour pouvoir participer au travail de l’organisation en Italie. Connaissant très bien l’anglais, elle faisait de nombreuses traductions, sans jamais concevoir cette tâche comme une activité routinière ou ennuyeuse. Au contraire, en traduisant les textes pour nos Bulletins de discussion interne, Elisabeth était l’une des premières camarades francophones à connaitre les prises de position et contributions de ses camarades de langue anglaise. Et surtout, Elisabeth a contribué à construire le noyau du CCI à Marseille. Pendant 45 ans, et aux côtés d’un autre camarade, elle a maintenu la présence politique du CCI dans cette ville.
Ce qui animait son engagement militant, c’était sa révolte contre la barbarie du capitalisme, sa volonté de mener le combat contre ce système décadent, sa passion du communisme et sa conviction du rôle fondamental de l’organisation révolutionnaire pour l’émancipation du prolétariat. Son activité militante était au centre de sa vie. Elisabeth avait un attachement très profond non seulement à l’organisation mais aussi à ses camarades de lutte.
Malgré son statut social de chercheuse au CNRS, Elisabeth était extrêmement modeste. Elle acceptait la critique politique, sans jamais avoir de réaction d’orgueil blessé, en cherchant constamment à « comprendre » et à mettre les intérêts généraux de l’organisation au-dessus de sa propre personne. Malgré ses diplômes universitaires, son titre de docteur, et sa grande culture générale, elle n’était pas une « universitaire », une « intellectuelle » marquée par ce que Lénine appelait (dans son livre « Un pas en avant, deux pas en arrière »), « l’anarchisme de grand seigneur », caractéristique de la petite-bourgeoisie.
Elisabeth n’a jamais ressenti son engagement militant au sein du CCI comme un « carcan » ni comme une entrave à l’« épanouissement » de sa vie personnelle. Elisabeth aurait pu faire carrière dans le milieu universitaire, publier des articles et des livres scientifiques, dans son domaine de compétence, car elle en avait les capacités et aimait beaucoup son métier. Mais comme Marx et d’autres militants, elle a choisi de consacrer sa vie à la cause du prolétariat. On peut ajouter qu’elle avait aussi, comme tous ses camarades du CCI, la même conception du « bonheur » que Marx : la lutte !3
Ainsi, à la fin de sa vie, loin d’être « usée » ou « abîmée » par le militantisme, Elisabeth faisait encore preuve d’un dynamisme étonnant. Malgré son insuffisance respiratoire et la fragilisation de son état de santé (en particulier depuis sa fracture du col du fémur peu de temps après son dernier anniversaire), elle a participé avec enthousiasme, au dernier week-end d’Étude et de Discussion internationale du CCI. Lors de cette réunion, elle est intervenue dans le débat de façon très claire et pertinente. Avant de se séparer de ses camarades pour rentrer à Marseille, Elisabeth avait accompagné certains d’entre eux, notamment des camarades d’autres pays, visiter le cimetière du Père Lachaise ; elle leur a montré le mur des Fédérés. C’était 15 jours avant son décès.
Tous les militants du CCI ont donc été sous le choc de la tragique nouvelle de sa disparition soudaine. Aucun camarade ne pouvait imaginer qu’elle allait nous quitter aussi vite, sans « prévenir ». Car elle n’avait pas d’âge. Malgré ses 77 printemps, elle avait gardé la fraicheur de sa jeunesse (elle avait aussi des amis personnels dans la jeune génération).
Elisabeth adorait les enfants. L’un des plus grands regrets de sa vie de femme était de n’avoir pas eu d’enfant. C’est, entre autres, pour cela qu’elle avait noué des liens d’amitié avec les enfants de ses camarades qu’elle accueillait toujours dans sa maison avec beaucoup d’affection.
Elisabeth était une personne extrêmement chaleureuse et accueillante. Elle avait un sens profond de l’hospitalité. Sa vieille maison, dont elle était locataire depuis 45 ans, était un lieu de passage où ses camarades non seulement de la section du CCI en France, mais des autres sections territoriales étaient, avec leur famille, toujours les bienvenus. C’est toujours avec joie qu’elle accueillait tous les militants du CCI sans exception. Elisabeth détestait la propriété privée. Lorsqu’elle s’absentait de son domicile, elle laissait toujours une clef à la disposition de ses camarades (en s’excusant parfois de n’avoir pas eu le temps de faire le ménage !).
Elisabeth avait, évidemment, aussi des défauts. Mais elle avait les défauts de ses qualités. Elle avait son « petit caractère ». Il arrivait parfois à « notre Elisabeth nationale » qui a toujours eu un esprit profondément internationaliste, de se disputer avec certains camarades (y compris ceux qui lui étaient les plus proches). Mais elle savait passer l’éponge, en recherchant toujours la réconciliation car elle ne perdait jamais de vue ce qui unit les militants du CCI : une plateforme et des principes communs, le combat qu’ils mènent tous ensemble contre le capitalisme et contre la pression de l’idéologie dominante. Elisabeth avait une profonde estime politique pour les militants du CCI, y compris ceux dont elle n’appréciait pas le « style » ou le caractère. Dans nos débats internes, elle écoutait attentivement toutes les interventions, tous les arguments, prenant souvent ses propres notes personnelles pour pouvoir approfondir sa réflexion et, comme elle le disait, par « besoin de se clarifier ».
Elisabeth était aussi très sentimentale et avait tendance à concevoir l’organisation des révolutionnaires comme une grande famille ou un groupe de « copains ». Elle avait un peu l’illusion que le groupe Révolution Internationale à laquelle elle a adhéré (dans une période très marquée par le mouvement estudiantin de Mai 68) pouvait devenir une sorte d’ilot de communisme. Ce qui a permis à Elisabeth de dépasser cette confusion, ce sont nos Journées d’Étude et de Discussion sur l’esprit de cercle dans le mouvement ouvrier, de même que nos débats internes sur les difficultés qu’a eu notre section en France, à passer « d’un cercle d’amis au groupe politique »4.
Grâce à sa capacité de réflexion, Elisabeth a pu comprendre que l’organisation des révolutionnaires, bien qu’étant le « début de la réponse » aux rapports sociaux capitalistes, ne peut pas être déjà « la réponse » (selon l’expression de notre camarade MC), un petit ilot de communisme au sein de cette société. C’est son engagement indéfectible à la cause de la classe ouvrière, son dévouement désintéressé au CCI qui ont permis à Elisabeth de « tenir » et de résister, avec patience, à toutes les crises qu’a traversé le CCI depuis sa fondation. Malgré son approche « sentimentale » de l’organisation et le déchirement qu’elle éprouvait face à la désertion de certains de ses amis, Elisabeth ne s’est pas laissé entrainer en dehors du CCI par loyauté à leur égard. À chaque fois qu’elle se trouvait confrontée à un « conflit de loyauté », Elisabeth a toujours tranché en faveur du CCI et de sa lutte pour le communisme (contrairement à d’autres militants qui ont quitté l’organisation par fidélité envers leurs amis et avec une hostilité envers le CCI). Elle n’a pas perdu ses convictions. Elle est restée jusqu’au bout loyale et fidèle au CCI.
Jusqu’à son dernier souffle, Elisabeth est restée une vraie combattante de la cause du prolétariat, une militante qui a donné le meilleur d’elle-même au travail collectif et associé du principal groupe de la Gauche communiste.
Elisabeth aimait la lecture. Elle aimait la mer, les fleurs, et l’art. Elle aimait la musique baroque, la littérature, la peinture... Mais elle aimait par-dessus tout l’espèce humaine. Son amour de l’humanité était l’épine dorsale de sa passion du communisme et de son engagement militant au sein du CCI.
La disparition de notre camarade nous laisse aujourd’hui un grand vide. Pour le CCI, chaque militant est un maillon irremplaçable. Elisabeth est donc irremplaçable. Le seul moyen de « combler » ce vide, de rendre hommage à sa mémoire est, pour nous, de continuer notre combat, son combat.
Elisabeth avait donné son corps à la science. Elle nous a quittés sans fleurs ni couronnes.
À son frère Pierre et à toute sa famille ;
à ses amis Sara et Fayçal qui nous ont immédiatement prévenus de son décès ;
à ses amis de Marseille, Chantal, Dasha, Josette, Margaux, Marie-Jo, Rémi, Sarah…, qui nous ont aidés, en faisant du rangement dans sa maison, dans le plus grand respect de son activité politique et de ses dernières volontés,
nous adressons toute notre sympathie et solidarité.
Au revoir Elisabeth ! Tu es partie, par une nuit de novembre, seule dans cette maison, qui va aussi nous manquer. Mais tu n’étais pas seule. Pour chacun d’entre nous, tu resteras vivante, dans nos cœurs comme dans nos pensées et notre conscience.
Le CCI organisera, au mois de janvier, une réunion d’hommage politique à notre camarade. Nos lecteurs, sympathisants et compagnons de route, de même que les militants des groupes de la Gauche communiste qui connaissaient Elisabeth, peuvent adresser un courrier au CCI s’ils souhaitent participer à cet hommage qui aura lieu à Marseille.
Révolution Internationale, section du CCI en France (24 novembre 2018)
1 Elisabeth avait d’ailleurs gardé un très mauvais souvenir de sa scolarité chez les « bonnes » sœurs.
2 PSU : Parti fondé en 1960 et dissout en 1989 regroupant, à sa fondation, des membres du Parti socialiste opposés à ce parti sur sa politique colonialiste, des chrétiens de gauche ainsi que des éléments venant du trotskisme et du maoïsme, et dont l’un des principaux dirigeants était Michel Rocard avant qu’il ne rejoigne le Parti socialiste pour y prendre la tête de son aile droite. Dans le mouvement de Mai 1968, le PSU avait pris une position beaucoup plus « radicale » que celle du PCF et il a prôné « l’autogestion ».
3 Voir « La confession de Karl Marx » publiée par David Riazanov en 1923 (https://www.marxists.org/francais/riazanov/works/1923/00/confession.htm#... [634])
4 Cette formule se trouvait dans une contribution très importante au débat interne de notre camarade MC en 1980 et dont le passage suivant a été publié en note dans notre texte « La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI » (Revue Internationale n° 109, https://fr.internationalism.org/rinte109/fonctionnement.htm [561])« C’est dans la dernière moitié des années 1960 que se constituent de petits noyaux, de petits cercles d'amis, dont les éléments sont pour la plupart très jeunes, sans aucune expérience politique, vivant dans le milieu estudiantin. Sur le plan individuel leur rencontre semble relever d'un pur hasard. Sur le plan objectif - le seul où l'on peut trouver une explication réelle - ces noyaux correspondent à la fin de la reconstruction de l'après-guerre, et des premiers signes que le capitalisme rentre à nouveau dans une phase aiguë de sa crise permanente, faisant resurgir la lutte de classes. En dépit de ce que pouvaient penser les individus composant ces noyaux, s'imaginant que ce qui les unissait était leur affinité objective, l'amitié, l'envie de réaliser ensemble leur vie quotidienne, ces noyaux ne survivront que dans la mesure où ils se politiseront, où ils deviendront des groupes politiques, ce qui ne peut se faire qu'en accomplissant et assumant consciemment leur destinée. Les noyaux qui ne parviendront pas à cette conscience seront engloutis et se décomposeront dans le marais gauchiste, moderniste ou se disperseront dans la nature. Telle est notre propre histoire. Et c'est non sans difficultés que nous avons suivi ce processus de transformation d'un cercle d'amis en groupe politique, où l'unité basée sur l'affectivité, les sympathies personnelles, le même mode de vie quotidienne doit laisser la place à une cohésion politique et une solidarité basée sur une conviction que l'on est engagé dans un même combat historique : la révolution prolétarienne. »
Il y cent ans, nous étions au cœur de la vague révolutionnaire mondiale, plus précisément de la révolution en Allemagne, un an après la prise du pouvoir politique par le prolétariat en Russie, en octobre 1917.
Comme en Russie, la classe ouvrière en Allemagne avait fait surgir des conseils ouvriers, organes d'unification de tous les ouvriers et de la future prise du pouvoir politique. Alors qu'elle éclate dans le pays le plus industrialisé du monde capitaliste, avec la classe ouvrière la plus nombreuse, la révolution en Allemagne ouvre la possibilité de rompre l'isolement du pouvoir prolétarien en Russie et d'extension de la révolution à l'Europe. La bourgeoisie ne s'y est d'ailleurs pas trompée puisqu'elle met fin à la guerre impérialiste en signant l'armistice du 11 novembre 1918 alors que, justement, la poursuite de celle-ci constituait un facteur de radicalisation des masses, de démystification de toutes les fractions de la bourgeoisie, les plus "à gauche" en particulier, comme cela avait été les cas en Russie dans les mois qui suivirent la révolution de février 1917. De plus, alors que la plupart des fractions de droite de l'appareil d'État étaient en pleine dislocation du fait du désastre militaire, la bourgeoisie allemande a su tout miser sur la social-démocratie traître pour affaiblir et écraser la révolution et la classe ouvrière en Allemagne. C'est un enseignement fondamental pour la révolution du futur, laquelle trouvera sur son chemin toutes les fractions de la gauche et de l'extrême gauche du capital qui feront tout pour défaire le prolétariat.
Nous publions un nouvel article sur ce thème :
Révolution en Allemagne : il y a 100 ans, le prolétariat faisait trembler la bourgeoisie [635]
Nous recommandons aussi à nos lecteurs des articles plus anciens :
"Il y a 90 ans, la révolution allemande" : série de 5 articles, dont le premier fut publié dans le n° 133 de la Revue internationale et le dernier dans le n° 137 : Face à la guerre le prolétariat renoue avec ses principes internationalistes [548] ; 1918 - 19 : De la guerre à la révolution [636] ; 1918-19, la formation du parti, l'absence de l'Internationale [637] ; La guerre civile en Allemagne (1918-1919) [638] ; La terreur orchestrée par la social-démocratie fait le lit du fascisme [639].
"Révolution allemande" : série de 13 articles, dont le premier fut publié dans le n° 81 de la Revue et le dernier dans le n° 99 : les débuts de la révolution [640] (I) ; les débuts de la révolution [641] (II) ; L'insurrection prématurée [642] ; fraction ou nouveau parti ? [643] ; Du travail de fraction à la fondation du K.P.D [644] ; L'échec de la construction de l'organisation [645] ; La fondation du K.A.P.D [646] ; Le putsch de Kapp [647] ; L'action de mars 1921, le danger de l'impatience petite-bourgeoise [648] ; Le reflux de la vague révolutionnaire et la dégénérescence de l'Internationale [649] ; La gauche communiste et le conflit croissant entre l'État russe et les intérêts de la révolution mondiale [650] ; 1923. Une défaite qui signe la fin de la vague révolutionnaire mondiale [651].
Le mythe du Père Noël remonte à la nuit des temps. Noël fut autrefois une fête païenne destinée à célébrer le solstice d’hiver, avant que le christianisme n’en fasse le jour de la naissance du petit Jésus.
C’est à partir du XVIIIe siècle qu’est laïcisé en Europe, (d’abord en Allemagne, puis en France au début du XXe siècle), ce personnage joufflu et débonnaire qui, chaque année, descend du Ciel pour offrir des “joujoux” aux enfants. En 1863, aux Etats-Unis, Saint Nicolas (le Santa Claus des Flamands) endosse le costume rouge pour donner naissance à la figure du Papa Noël, avec sa hotte remplie de jouets. Il va partir à la conquête du monde avec son traîneau tiré par ses rennes nordiques (le Père Noël résidant en Laponie, paraît-il).
En France, l’exploitation commerciale du Père Noël commence avec le développement du capitalisme, à partir du milieu du XVIIIe siècle. Noël devient le jour sacré de la famille dans l’aristocratie, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie (notamment chez les artisans).
À la fin du XIXe siècle, l’arrivée des grands magasins, (comme Le Bon Marché à Paris – “Au bonheur des Dames” d’Émile Zola), va propulser le Père Noël en star du capitalisme. Aux États-Unis, de nombreux patrons vont aussi récupérer ce personnage légendaire pour faire du profit (Colgate, Waterman,… et à partir des années 1920, Coca-Cola).
Au début des années 1920, le Père Noël devient le symbole des pères de famille tués sur le front pendant la Première Guerre mondiale. La bourgeoisie a ainsi introduit dans le monde imaginaire des enfants orphelins, ce gros Barbu joufflu censé prendre la place du papa “Poilu” disparu. De même, en 1946, la chanson populaire “Petit Papa Noël”, interprétée par Tino Rossi (un tube qui a fait le tour du monde en plusieurs langues), fut dédiée aux enfants dont les pères ont été sacrifiés sur l’autel du Capital pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le Père Noël serait-il une ordure (comme l’affirme la célèbre pièce de théâtre) ?
C’est dans l’entre-deux guerres que le Père Noël devient véritablement populaire et commence à s’intéresser vraiment aux enfants de prolétaires en mettant dans leurs chaussons une orange (qui restera la friandise des pauvres jusque dans les années 1950). Le cynisme de la classe dominante n’a pas de limite : non seulement la bourgeoisie a envoyé au massacre des millions de très jeunes pères de famille, mais elle n’a eu aucun scrupule à les “récompenser” post mortem en offrant une aumône à leurs orphelins comme cadeau de Noël.
Après la guerre, grâce au plan Marshall, la bourgeoisie américaine a envoyé en France son Père Noël “made in USA” en remplissant sa hotte de bouteilles de Coca-Cola (symbole du développement économique de la première puissance mondiale et de l’expansion de son impérialisme).
Grâce au grand boom de l’industrie du jouet, le Ministre des PTT en France, Jacques Marette, a pu créer le “secrétariat du Père Noël” en 1962. Tous les enfants de France et de Navarre sont ainsi invités à écrire chaque année, dans leur fameuse Lettre au Père Noël, une liste de cadeaux dont ils rêvent et ce sont des fonctionnaires des PTT qui sont chargés de leur répondre.
À la fin de la période de reconstruction et des Trente Glorieuses, grâce aux mass media et au développement de la publicité, puis à la vente massive de télévisions en couleur, le Père Noël devient une vedette dont la hotte dégorge de cadeaux-marchandises.
Mais, là encore, le bon Papa Noël ne récompensera que les “enfants sages”, les plus “sages” étant bien sûr les enfants aisés de la petite et grande bourgeoisie. Ces inégalités se manifestent à l’école : les enfants pauvres des familles ouvrières côtoient des “enfants sages” qui ont eu la “chance” d’avoir été plus gâtés qu’eux par le Père Noël.
Le sentiment d’injustice se transmet ainsi, dès l’âge de 3 ans, grâce au Père Noël.
Aujourd’hui, malgré sa longue carrière au service de la classe exploiteuse, ce bonhomme rondouillard à la barbe blanche n’a même pas le droit de prendre sa retraite. Avec l’aggravation de la crise économique et de la guerre commerciale, le Capital lui impose encore plus de cadences infernales. Il est maintenant obligé d’aller jusqu’en Chine, le mythe du Père Noël ayant fait un tabac chez les enfants de l’Empire du Milieu. Fort heureusement, avec le décalage horaire, il pourra arriver à temps ! Le Père Noël est devenu une institution et un symbole du capitalisme décadent, y compris en Chine.
Ce n’est pas un pur hasard si, à moins de trois semaines de Noël, sur un rond-point occupé par des “gilets jaunes” (qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois), on a pu voir une petite fille brandir une pancarte affichant le slogan : “Bonbons trop chers !”.
Marianne, 17 décembre 2018
Dès le départ, le mouvement des “gilets jaunes” s’est proclamé “apolitique”. Aucune représentation officielle, aucune reconnaissance de ce que la bourgeoisie nomme les “corps intermédiaires” (partis ou syndicats), n’ont eu le droit de se proclamer les porte-paroles du mouvement. Aucune forme de représentation traditionnelle ne s’y est d’ailleurs vraiment risquée. Lorsque le Premier ministre a cherché des “interlocuteurs”, il s’est retrouvé devant un vide… vite comblé par quelques individus autoproclamés dont le gilet n’était plus reconnu et faisant l’objet d’intimidations, voire de menaces sérieuses. Les “gilets jaunes” s’exprimant de plus en plus sur les plateaux de télévision n’osaient généralement pas aller plus loin que quelques déclarations “en leur propre nom”.
Comment expliquer une telle méfiance ? Totalement dégoûtés par des décennies de mensonges de la part des partis bourgeois officiels, par des tas de promesses jamais tenues suivies d’attaques systématiques bien réelles, par des affaires en tous genres et une corruption croissante, sans parler de la langue de bois des démagogues et la froideur des technocrates, cette partie de la population qui compose les “gilets jaunes” s’est sentie non seulement paupérisée mais aussi méprisée. Par un rejet quasi instinctif vis-à-vis des “politiques”, les “gilets jaunes” entretiennent finalement l’illusion qu’ils ne sont animés d’aucun “parti pris” politique, et se considèrent seulement comme de simples “citoyens” excédés par la misère et les taxes en tous genres. Ils ne chercheraient uniquement qu’à se défendre et à manifester leur colère. Au sein même des “gilets jaunes”, la moindre allusion à une idée politique est en général immédiatement suspectée, d’une volonté de “récupération” pour le compte d’intérêts qui ne seraient pas les leurs. C’est ce qu’on peut nettement ressentir, par exemple, dans les propos d’un des porte-paroles du mouvement à Obernai, Dominique Balasz [654] (employé chez Peugeot), à propos des figures politiques qui tentent de les courtiser (FO, France insoumise, Rassemblement national, etc.) : “Ils peuvent venir, mais on ne montre aucune étiquette, les gilets jaunes sont apolitiques”. Autrement dit, on ne se laissera pas “embobiner”, ils peuvent toujours “causer”.
Pourtant, malgré l’illusion “apolitique” largement répandue en leur sein, le mouvement est en réalité… très politique ! Derrière tous les chevaliers jaunes de “l’apolitisme” se cache en fait une “Union sacrée” respectueuse de la “citoyenneté” bourgeoise, par définition très conformiste et attachée aux valeurs du capitalisme. Derrière “l’apolitisme” affiché se cache traditionnellement les idées les plus conservatrices de la droite et de l’extrême-droite. Les slogans accompagnant les revendications diverses autour du “pouvoir d’achat” sont en fait très grandement portés sur des questions relatives au pouvoir politique : “Macron démission !”, “dissolution de l’assemblée !”, “le peuple veut la chute du régime !”, etc.
Qui peut sérieusement prétendre que ces slogans sont “apolitiques” ? En réalité, dans le mouvement composite et interclassiste des “gilets jaunes” n’existe pas une, mais des expressions politiques diverses et variées, un véritable kaléidoscope reflétant les nuances multiples provenant des couches intermédiaires que forment notamment la petite bourgeoisie et dans laquelle se sont égarés beaucoup d’ouvriers qui, en raison du vide laissé par la classe ouvrière, sont réduits à rester de simples “citoyens” attachés à la “nation”.
Si certains gilets jaunes sont d’ardents défenseurs de la démocratie bourgeoise, réclamant comme ils l’ont fait symboliquement le 13 décembre à Versailles la légalisation “du référendum d’initiative citoyenne” (le fameux “RIC”, revendication qu’on a vu fleurir après le discours de Macron en pancartes sur les ronds-points comme lors des derniers actes de gilets jaunes), d’autres, comme Maxime Nicolle, alias “Fly Rider”, propagent toutes sortes de théories fumeuses et réactionnaires typiques de l’extrême-droite : ses visions nationalistes ou bien sa manière de fustiger le récent “pacte de Marrakech” sur les migrations, etc.
En fait, on voit bien que le mouvement lui-même a fait surgir des figures qui, par la parole et par le geste, jouent les apprentis politiciens !
D’Eric Drouet, le sans-culotte, appelant à envahir le palais du monarque républicain, à Christophe Chalençon et ses prises de paroles labellisées extrême droite, en passant par Jacline Mouraud, l’accordéoniste hypnothérapeute, dont les discours “insurrectionnels” ont laissé la place à l’appel au “respect des institutions de la Ve République, de l’ordre public, des biens et des personnes” ! Désormais tout ce beau monde se trouve à l’aise comme un poisson dans l’eau dans le bocal médiatico-politique et ambitionne même de monter une liste aux élections européennes. “On a envie d’investir le champ politique” lançait Hayk Shahinyan. “Sans structure, on ne sera jamais entendu. Il faut respecter les institutions et investir la sphère politique”, surenchérit l’accordéoniste hypnotiseur. Cette évolution, fruit de la fragmentation des “gilets jaunes”, est activement encouragée par l’ensemble de l’appareil d’État qui voit ici un bon moyen de faire barrage à une probable nouvelle percée du Rassemblement national.
Une chose est certaine, le prétendu “apolitisme” n’a malheureusement pas d’autre effet que de déposséder les ouvriers mobilisés et de les diluer dans un magma informe, allant du lumpen proletariat aux petits patrons, en les privant de leur autonomie de classe et de leurs propres moyens de lutte. Comme elle n’est pas un mouvement de la classe ouvrière, cette protestation n’a pu prendre que la forme disséminée de piquets, d’attroupements, de poussées violentes et aveugles, de guérillas urbaines, de casse et de pillages sur fond de chants nationalistes et même parfois de propos xénophobes. Qu’un tel mouvement puisse s’accommoder d’expressions politiques réactionnaires et xénophobes de la pire espèce, de chants patriotiques et nationalistes sur les Champs-Élysées notamment, sans s’en démarquer ni les rejeter fermement de manière explicite, témoigne de la souillure morale qu’un tel mouvement, au-delà de sa colère légitime, peut véhiculer. Même si la période est totalement différente aujourd’hui, le prolétariat ne doit pas oublier que c’est au nom de “l’apolitisme” que le fascisme s’est imposé dans les années 1930.
Dans un contexte où la classe ouvrière a perdu pour l’instant son identité de classe, sans pour autant avoir subi une défaite, de telles effluves nauséabondes ne peuvent que présenter de très grands dangers : naturellement, ceux de la division entre les fractions qui cèdent aux pires sirènes nationalistes et xénophobes d’un côté, et de l’autre, ceux qui s’accommodent de l’idéologie démocratique, c’est-à-dire du masque hypocrite de la dictature capitaliste, un système qui n’a d’autre possibilité à offrir qu’une barbarie croissante.
La réalité, c’est que la classe ouvrière a besoin d’une réelle politisation de sa lutte ! Elle a besoin de renouer avec ses propres méthodes de combat, son propre projet politique révolutionnaire. Comme nous le soulignions au sujet du mouvement des “Indignés” en Espagne : “Oui, il faut s’intéresser à la “politique” ! Confronter les idées politiques dans les assemblées générales est le seul moyen de démasquer nos faux amis, de déjouer leurs pièges et de ne pas se laisser confisquer nos luttes par des politicards “spécialistes” de la négociation et de la magouille. C’est dans la confrontation et le débat politique, notamment au sein des assemblées souveraines, que les exploités en lutte peuvent faire la distinction entre les groupes politiques qui défendent vraiment leurs intérêts et ceux qui jouent le rôle de “chiens de garde du Capital”. La lutte de la classe exploitée contre la classe exploiteuse est toujours un combat politique. C’est uniquement dans ce combat, à travers le débat le plus large possible que les exploités peuvent construire un rapport de force en leur faveur face à l’ignominie du Capital et de ses politiciens de tous bords. C’est dans ce combat politique, dans la rue et au sein des assemblées massives, qu’ils peuvent retrouver leur identité de classe, développer leur solidarité, leur unité, et retrouver confiance en leur propre force” (voir RI n° 424 juillet-août 2011). Cela ne peut se faire, bien évidemment, que par le biais d’une lutte réellement autonome, clairement distincte des autres couches de la société. Le prolétariat ne doit donc pas se fourvoyer dans des pratiques de guérilla urbaine enfermée par les slogans nationalistes de la petite bourgeoisie haineuse et révoltée, mais au contraire s’ouvrir sur un mouvement massif à vocation internationale, un mouvement unitaire dont la perspective est l’abolition consciente des rapports sociaux capitalistes. Un combat historique et mondial dont l’objectif politique est l’abolition des classes sociales et la réunification de l’humanité.
WH, janvier 2019
Parmi les “gilets jaunes”, les syndicats n’ont pas la cote. Malgré les innombrables et souvent vaines tentatives de la CGT ou de Solidaire pour “soutenir” le mouvement, l’hostilité envers ces derniers ne s’est jamais démentie. Mais loin d’assister à une riposte de la classe ouvrière contre le sabotage systématique des luttes, le profond mécontentement des citoyens en “gilet jaune” envers les syndicats s’est entièrement confondu avec l’idéologie réactionnaire de ceux qui ont lancé le mouvement : petits patrons, commerçants, artisans et toutes les couches intermédiaires appauvries et aveuglées par leur haine revancharde de l’ “assistanat” et des syndicats qui défendraient, selon eux, les prétendus privilèges des salariés du privé et, pire encore, des fonctionnaires qui bénéficieraient d’un statut ou de contrat “protecteur” et ne prendraient aucun “risque” pour gagner leur vie. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir la droite et l’extrême droite soutenir depuis le début ce mouvement “antisyndical”.
Contrairement à ce que pensent les petits patrons en gilets jaunes, les syndicats ne sont pas les ennemis de la propriété privée et de l’exploitation. Au contraire, depuis la Première Guerre mondiale et avec l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, les syndicats sont devenus de véritables chiens de garde de l’État bourgeois, des organes destinés à encadrer la combativité ouvrière, à diviser et pourrir chaque lutte pour empêcher la classe exploitée de les prendre elle-même en main et de se dresser ainsi contre ses exploiteurs. (1)
Le mouvement des “gilets jaunes” est venu conclure une année (après tant d’autres !) de sabotage systématique des luttes marquées par d’innombrables petites grèves que les syndicats ont isolées les unes des autres, par de nombreuses “journées d’actions” stériles et démoralisantes. La division corporatiste et la dispersion ont d’ailleurs commencé à questionner dans les rangs des travailleurs : face aux attaques du gouvernement, ne devrions-nous pas lutter tous ensemble ? C’est pourquoi, lors des grèves contre la réforme du statut des cheminots, au mois de mai, les syndicats ont sorti de leur chapeau le simulacre de la “convergence des luttes” où, en réalité, chaque secteur, chaque branche, chaque entreprise étaient soigneusement cloisonnés et enfermés derrière “sa” banderole et “son” mot d’ordre avec la sono syndicale à fond pour empêcher un peu plus toute discussion. Surtout, avec la trouvaille de la “grève perlée” de la SNCF, les syndicats ont épuisé les grévistes dans une lutte longue et stérile, coupée des autres secteurs de la classe ouvrière, tout en présentant les travailleurs de la SNCF comme le secteur le plus combatif capable de faire, à lui seul, reculer le gouvernement, cela pour mieux démoraliser l’ensemble du prolétariat. C’est aussi pour isoler et démoraliser que la CGT a mis en place sa “caisse de solidarité” qui n’est rien d’autre qu’un appel à lutter par procuration.
C’est justement à cause de ce sabotage syndical des luttes ouvrières que le prolétariat n’a pas été en mesure de se mobiliser pour riposter massivement aux attaques du gouvernement Macron. C’est à cause de la paralysie du prolétariat et sa grande difficulté à briser le carcan syndical que le mouvement citoyen et interclassiste des “gilets jaunes” a pu surgir en occupant tout le devant de la scène sociale. Cette situation de substitution momentanée de la révolte populaire des “gilets jaunes” à la lutte de classe ne pouvait que renforcer le désarroi du prolétariat et créer un rideau de fumée venant obscurcir sa conscience. C’est à cause de cet affaiblissement politique du prolétariat que les syndicats, CGT en tête, peuvent continuer à lancer des appels à des journées d’action stériles.
Quant à la gauche “radicale” de l’appareil politique bourgeois, elle n’a cessé, tout au long de l’année, de distiller son poison mystificateur avec le slogan ouvriériste hérité des staliniens : “De l’argent, il y en a dans la poche du patronat !” Il n’est à ce titre pas étonnant de voir que les pancartes “Macron, rend l’argent !” étaient présentes partout où un groupe de “gilets jaunes” se mobilisait. Oui, il y a de l’argent “dans la poche” du patronat, dans celle des actionnaires et dans les caisses de l’État. Suffirait-il alors de “redistribuer les richesses” pour que tout aille mieux ? Quelle fumisterie ! Le problème, ce n’est pas la distribution “équitable” des richesses, c’est l’exploitation de la force de travail, l’existence même de la marchandise, de la monnaie et de la propriété privée, celle d’une classe exploitée par une classe exploiteuse. Comme l’écrivaient déjà Marx et Engels dans le “Manifeste du Parti communiste” à propos des “socialistes bourgeois” : “Une autre forme de socialisme bourgeois (…) essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire, en leur démontrant que ce n’était pas telle ou telle transformation politique, mais seulement une transformation des conditions de la vie matérielle, des rapports économiques, qui pouvait leur profiter. Notez que, par transformation des conditions de la vie matérielle, ce socialisme n’entend aucunement l’abolition du régime de production bourgeois, laquelle n’est possible que par la révolution, mais uniquement la réalisation de réformes administratives sur la base même de la production bourgeoise, réformes qui, par conséquent, ne changent rien aux rapports du Capital et du Salariat et ne font, tout au plus, que diminuer pour la bourgeoisie les frais de sa domination et alléger le budget de l’État”. (2)
En soutenant le mouvement des “gilets jaunes” et en appelant les lycéens à y participer, les partis de la “gauche radicale” (Besancenot a notamment soutenu le mouvement lors de son passage dans l’émission télévisée de Laurent Ruquier), les ont sciemment envoyés au casse pipe et se faire tabasser par les flics.
Depuis 1914, les syndicats ne correspondent plus au besoin du prolétariat et sont devenus de véritables rouages de l’État capitaliste, des organes d’encadrement des luttes et de police dans les entreprises. Dès la Première Guerre mondiale, les syndicats se sont tous rangés derrière les intérêts de leur État national au nom de “l’Union sacrée” dans l’effort de guerre. Pendant la révolution allemande, en 1918-1919, main dans la main avec les sociaux-démocrates du SPD, ils s’emploient partout à briser les grèves et empêcher le prolétariat de développer sa lutte révolutionnaire en faisant tout pour semer la division et détruire l’unité de la classe ouvrière.
En 1979, en France, face à l’éclatement de grèves dans de nombreux secteurs, particulièrement dans la sidérurgie, les syndicats entreprennent un habile travail de division et d’isolement. Ils font d’abord reprendre le travail dans d’autres secteurs en lutte (postes, hôpitaux, banques, SFP...) avant d’organiser, sous la pression des ouvriers, la marche des sidérurgistes sur Paris, le 23 mars, qui sera sabotée par l’alliance des forces de l’ordre et des syndicats.
En 1983, en Belgique, c’est de la même façon que les syndicats sont parvenus à empêcher toute unification entre les ouvriers du secteur public et du secteur privé, en organisant un quadrillage du mouvement grâce à la vieille tactique de la division entre les différents syndicats en organisant, dans le même temps, des manifestations par secteur, par région, par entreprise, par usine.
Autre exemple : en 1986, en France, face au discrédit des syndicats lors de la lutte des cheminots de la SNCF, les organisations trotskistes Lutte ouvrière et l’ancêtre du NPA (la LCR) mettent aussitôt en avant le piège du “syndicalisme de base” qui a alors accompli le même sale boulot que les syndicats traditionnels en enfermant les cheminots dans la corporation ou le secteur pour empêcher toute extension de la lutte, notamment au moyen de services d’ordre musclés qui interdisaient l’accès des AG aux “éléments extérieurs à la SNCF”.
Voilà plus d’un siècle que pèse sur le prolétariat le poids des méthodes et de l’idéologie des prétendus “amis” de la classe ouvrière que sont les syndicats et les partis de gauche et d’extrême gauche de l’appareil politique de la bourgeoise. C’est ainsi qu’en dépit d’un rejet quasi unanime des syndicats, le mouvement des “gilets jaunes” n’a fait que… reproduire toutes les impasses dans lesquelles les syndicats, et notamment la CGT, plongent les luttes depuis des décennies : blocage des routes ou des sites prétendument stratégiques avec les éternels pneus incendiés et autres barrages filtrants. Ces blocages ne servent à rien d’autre qu’à diviser les prolétaires entre ceux qui luttent et ceux qui sont contraints d’aller bosser. Ils ne sont qu’une piqûre de moustique sur la peau d’éléphant du capitalisme et ces méthodes n’ont jamais constitué une réelle menace pour le gouvernement et encore moins pour l’État.
Le sabotage permanent des syndicats n’a fait que préparer le terrain au dévoiement de la combativité d’une partie de la classe exploitée sur le terrain du patriotisme “citoyen” des “gilets jaunes”. Grâce à leurs bons et loyaux services, la bourgeoisie, son État et son gouvernement, ont pu jusqu’à présent paralyser le prolétariat et maintenir la “paix sociale” pour défendre l’ordre du Capital. Cet ordre ne peut engendrer que toujours plus de misère, d’exploitation, de répression, de chaos social et de barbarie si le prolétariat se laisse confisquer sa lutte par les syndicats et par la petite bourgeoisie.
EG, 18 décembre 2018.
1) Voir la brochure du CCI : “Les syndicats contre la classe ouvrière”.
2) Si un “socialiste bourgeois” comme Proudhon avait l’avantage, en dépit de ses errements politiques et ses conceptions réformistes, d’avoir été un combattant sincère de la classe ouvrière, les partis gauchistes du NPA et de LO ne sont que des organisations de l’extrême gauche du Capital dont la fonction est de mystifier la classe ouvrière, d’encadrer ses luttes et de la dévoyer sur le terrain bourgeois et réformiste des élections.
La révolte populaire des “gilets jaunes” n’appartient pas au combat de la classe ouvrière. Au contraire, ce mouvement interclassiste, n’a pu surgir et occuper tout le terrain social, pendant plusieurs semaines, que sur le vide laissé par les difficultés du prolétariat à engager massivement la lutte, sur son propre terrain de classe, avec ses propres méthodes de lutte, face aux attaques économiques du gouvernement et du patronat.
Dans la révolte des “gilets jaunes”, se sont mobilisés, derrière les mots d’ordre dont se revendiquent aussi des petits patrons et des artisans, les secteurs les plus périphériques et inexpérimentés de la classe ouvrière, vivant dans les zones rurales et périurbaines. Le fait que de nombreux travailleurs salariés parmi les plus pauvres se soient embarqués dans ce mouvement interclassiste, initié sur les réseaux sociaux, les a rendus particulièrement vulnérables aux idéologies les plus réactionnaires et anti-prolétariennes : le nationalisme patriotard, le populisme de l’extrême droite (avec son programme politique “franchouillard” et anti-immigrés), et finalement la revendication du Referendum d’Initiative Citoyenne (RIC). Ce n’est pas un pur hasard si le parti du Rassemblement National de Marine Le Pen (de même que toute la droite) a soutenu les “gilets jaunes” depuis le début !
Le prolétariat n’a rien à gagner à se rallier à ce mouvement de “citoyens français”, défendant le drapeau tricolore et chantant La Marseillaise. Il ne peut que perdre encore plus son identité de classe révolutionnaire en se mobilisant à la remorque des couches sociales sans devenir historique, telle la petite bourgeoisie paupérisée et “révoltée” par l’augmentation des taxes sur le carburant et la baisse de son pouvoir d’achat (petits patrons, artisans, agriculteurs, etc.).
Ce mouvement des “gilets jaunes” n’est, au mieux, rien de plus que la manifestation la plus visible et spectaculaire de l’énorme colère qui gronde au sein de la population et particulièrement dans toute la classe exploitée face à la “vie chère” et aux mesures d’austérité du gouvernement Macron. Il n’est, au mieux, rien d’autre qu’un signe annonciateur des futurs combats de classe du prolétariat.
La révolte populaire des “gilets jaunes”, du fait qu’elle véhicule en son sein les stigmates nauséabonds de la décomposition de la société capitaliste (les préjugés xénophobes, la peur de l’invasion des migrants qui viennent “manger le pain des Français” et “profiter de nos impôts”…), constitue un appel à la responsabilité du prolétariat face à la gravité des enjeux de la situation historique actuelle.
Si la classe exploitée ne parvient pas à surmonter ses difficultés à s’affirmer sur la scène sociale, avec ses propres mots d’ordre (y compris la solidarité avec les immigrés), avec ses propres méthodes de lutte (notamment les Assemblées générales massives et souveraines), si elle ne parvient pas à desserrer l’étau des manœuvres de sabotage syndical, la société ne pourra que s’enfoncer dans le chaos, continuer à pourrir sur pied, avec une misère sans fond et une répression implacable pour les exploités.
C’est seulement lorsque la classe des prolétaires se reconnaîtra, dans la lutte, comme classe distincte et indépendante, qu’elle pourra intégrer dans son combat contre le capitalisme les autres couches sociales non exploiteuses. Ce phénomène d’ “inclusion” ne peut se développer que si le prolétariat, en prenant la tête d’un vaste mouvement contre l’exploitation et la misère, est capable d’exclure et de rejeter, sans concession, toute idéologie et toute méthode de lutte qui tournent le dos à ses principes, hérités du mouvement ouvrier.
Le rejet du nationalisme et l’affirmation de l’internationalisme sont la pierre angulaire qui doit ouvrir la voie à la politisation des luttes futures du prolétariat.
Le mouvement interclassiste, nationaliste et réformiste des “citoyens” en “gilets jaunes” est une impasse ; il ne peut ouvrir aucune perspective pour la société. Seule la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat est porteuse d’avenir pour l’humanité. Le but ultime de la lutte de la classe exploitée n’est ni une répartition “plus juste” des richesses, ni une amélioration de la démocratie bourgeoise, mais l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la dictature du capital dans tous les pays du monde.
Contre toutes les formes de nationalisme, contre la xénophobie et la mentalité de “bougnat maître chez soi”,
VIVE LA LUTTE DE CLASSE INTERNATIONALISTE DU PROLETARIAT !
55 compagnies de CRS, 100 escadrons de gendarmerie, la brigade anticriminalité, la police des transports, la police pour la lutte contre l’immigration irrégulière et de la sécurité de proximité, des dizaines de milliers de fonctionnaires des commissariats et de la police judiciaire. Au final, près de 90 000 fonctionnaires du maintien de l’“ordre public” ont été mobilisés, samedi 8 décembre, pour “sécuriser” la manifestation des “gilets jaunes” à Paris et dans toute la France. Tout cela pour 125 000 manifestants ! Ce gigantesque déploiement de CRS, de gendarmes, de policiers… a même été protégé par une quinzaine de véhicules blindés de la gendarmerie destinés à déblayer les barricades. Un dispositif “exceptionnel” et inédit dans l’histoire de la République française.
Le gouvernement a donc mobilisé la quasi-totalité de ses forces de répression disponibles en s’imaginant que le mouvement des “gilets jaunes” avait déclenché une situation “insurrectionnelle”. Les scènes d’émeute et de pillage qui ont explosé une semaine plus tôt dans la capitale étaient une curiosité française pour les touristes étrangers. La “plus belle Capitale du monde” avec ses illuminations de Noël sur les Champs-Élysées, s’est transformée en champ de bataille et en véritable zone militarisée. Pendant une semaine, les médias nous ont inondés d’images du déchaînement de la violence des “insurgés”. Sur la scène internationale, le gouvernement Macron donne une image peu reluisante de la France : son ordre public fait plutôt désordre !
La haine était dans les deux camps de ce match entre l’équipe des “casseurs” en “gilet jaune” et celle des matraqueurs en uniformes. Les “casseurs” en gilet jaune ont seulement marqué un but face aux CRS. L’heure de la revanche est arrivée après le retour d’Emmanuel Macron de son voyage en Argentine. “Tolérance zéro pour les casseurs ! Il faut intervenir plus vite, plus fort”, a vociféré le chef du syndicat UNSA-Police. Tout au long de la première semaine de décembre, les médias n’ont d’ailleurs cessé d’entretenir la peur d’affrontements mortels si la manifestation des “gilets jaunes” prévue pour le 8 décembre n’était pas annulée.
La mobilisation de cette armada républicaine n’avait pas d’autre but que de mettre en scène une impressionnante démonstration de force de “dissuasion”, après les violences policières contre de jeunes lycéens dont la grande majorité ne faisaient “rien de mal”, et n’avait pas du tout envie de mettre le feu ni aux poubelles, ni aux voitures, ni à leur lycée ! À Mantes-la-Jolie, 148 jeunes âgés de 12 et 20 ans ont été alignés à genoux, mains derrière la tête, gardés par des policiers comme de véritables prisonniers de guerre. Face à la pénurie de menottes, les “keufs” (“verlan” des gamins “pauvres” des banlieues défavorisées) ont trouvé cette astuce pour les immobiliser et les empêcher de fuir (en attendant l’arrivée des “paniers à salades” ?). Plusieurs adolescents ont écopé de 6 mois de prison ferme. Le même jour, plusieurs mineurs étaient défigurés par des tirs de flash-ball. Dans le Loiret, un lycéen grièvement blessé s’est trouvé entre la vie et la mort. Finalement, le proviseur du lycée est passé à la télévision pour annoncer que sa vie n’était plus en danger.
S’agit-il de simples “bavures” ou d’ordres reçus par les “dignes” représentants de la classe dominante et son gouvernement ? Ce gouvernement n’a pas hésité à employer les grands moyens. Il a fait preuve de la plus grande “fermeté” (comme l’a également exigé notre blafarde Ministre de l’Injustice) suite aux violences qui ont traumatisé les fonctionnaires de l’Ordre Public obligés de battre en retrait, sous l’Arc de Triomphe, face à la fronde des “gilets jaunes”. C’est cette “reculade” qui est “intolérable” pour le “Président des riches” et son Sinistre de l’Intérieur. Quand on choisit d’entrer dans la police ou dans l’armée, ce n’est pas pour le plaisir de porter un uniforme. Le passage à tabac d’un CRS fait partie des risques du métier. Monsieur Castaner ne nous fera pas pleurer après les 10 000 grenades lacrymogènes balancées sur les “citoyens” en “gilet jaune” (et aussi sur des adolescents rebelles atteints par la “fièvre jaune”).
Le Président Macron et ses sbires se sont posés en défenseurs de la République, après la “profanation” de l’Arc de Triomphe, un des temples sacrés de la Nation française, construit pour commémorer les victoires de Napoléon Bonaparte. Heureusement qu’un groupe de “gilets jaunes” a protégé la tombe du Soldat Inconnu, en chantant toujours la Marseillaise. (Quel “sang impur” doit encore “abreuver nos sillons” ?). Qui est donc ce mystérieux Soldat Inconnu ? Quel âge avait-il ? Peut-être à peine 18 ans ? S’il avait survécu, peut-être aurait-il été une de ces “Gueules Cassées” de la Première Guerre mondiale à qui la “Patrie reconnaissante” a offert un orgue de barbarie pour qu’elles puissent faire la manche dans la rue après leur retour du front ? À l’époque, il n’y avait pas de “gilets jaunes” pour demander au Président Raymond Poincaré d’accorder une pension d’invalidité à ces prolétaires en uniforme, embrigadés comme chair à canon et sacrifié sur l’autel du Capital. Ce qu’ils ont vécu dans les tranchées à Verdun était autrement plus “intolérable” que le match entre les CRS et les “gilets jaunes” ; les uns ont le droit de lancer des grenades lacrymogènes et les autres n’ont pas le droit d’apporter des boules de pétanque ! Il n’y a décidément aucune Justice dans cet État de droit.
Surtout, les représentants de la bourgeoisie et de la “patrie reconnaissante” ont célébré (quelques semaines avant le cassage de gueule du “samedi noir”), le centenaire de la fin de la Première boucherie mondiale, avec tambours et trompettes. Pure hypocrisie ! Le combat au corps à corps des deux camps (à cause de la suppression de l’Impôt sur la Fortune et, surtout, des violences et provocations policières) est quelque peu indécent. Dommage que la tombe du Soldat Inconnu n’ait pas été déplacée au Cimetière du Père-Lachaise, au milieu des Communards fusillés et de la fille de Karl Marx, Laura Lafargue .
Après le fiasco, le 1er décembre, du maintien de l’“ordre public” devant la tombe du Soldat Inconnu, l’objectif du déploiement de la nouvelle armada républicaine était clair : essayer de contenir la violence des “casseurs” en “gilets jaunes” et montrer que “nous sommes les plus forts” face à tous ceux qui seraient tentés de troubler encore l’Ordre Public : “gilets jaunes”, “casseurs”, black-blocks, groupes extrémistes d’ultra-droite, “maximalistes bobo” d’ultragauche, etc. Au total, la police a procédé à l’arrestation de 2000 personnes, pour 1700 gardes à vue. Mais les bandes de “black-blocks” ont réussi à échapper à cette pêche miraculeuse. Qui sont-ils et d’où viennent-ils ? La police qui veille sur le “peuple” ne le sait pas !
La nouvelle stratégie du Ministère de l’Intérieur a été plus efficace pour tenter de reprendre la situation en main. Et aussi venger l’orgueil blessé d’Emmanuel Macron qui, contrairement à Edouard Philippe et Christophe Castaner, ne peut pas reconnaitre avoir commis lui aussi des “erreurs” de gestion du capital national. Le Napoléon de la République en marche a fait un parcours sans faute depuis 18 mois !
Le 8 décembre, les forces de rétablissement de “l’ordre public” ont réussi à éviter que la situation ne dégénère. Malgré “quelques heurts” et blessés, nous étions loin du chaos du samedi précédant. Tout le monde a bien compris que seul le renforcement de l’État policier peut protéger la population, les monuments historiques et les commerces contre les “casseurs” et les pilleurs. Aujourd’hui tout est propre et net pour l’arrivée du Père Noël sur les Champs-Élysées. Mais la trêve des confiseurs ne signifie pas que toutes les brèches ont été colmatées. Les “gilets jaunes” ont annoncé qu’ils étaient prêts à tenir jusqu’au bout (comme la petite chèvre de Monsieur Seguin) même s’ils doivent passer Noël sur les ronds-points.
La bourgeoisie et son gouvernement ne baisseront plus la garde. Les mesures “exceptionnelles” déployées par le Ministère de l’Intérieur ne peuvent que devenir la règle. Puisque la fonction de l’État est de maintenir la cohésion de la société face aux antagonismes de classes. La bourgeoisie, son patronat, son gouvernement, ses syndicats, et tous les lèches-bottes et valets du Capital veillent sur le “peuple” pour que chacun puisse fêter Noël et le Nouvel An en famille et entre amis.
Si les quelques milliers de “gilets jaunes” s’imaginent que leur fronde pourra faire “dégager Macron” ils se font des illusions. “Capitalisme dégage !” était un slogan du mouvement des Indignés en Espagne en 2011. Ce n’est pas parce que deux ex-ministres Nicolas Hulot et Gérard Colomb ont préféré démissionner plutôt que de continuer à gouverner avec Macron que le Président va “dégager”. Et encore moins si les “pauvres” adoptent les mêmes mœurs que les “riches”. La classe ouvrière n’a jamais pu obtenir satisfaction de ses revendications avec des boules de pétanque et autres projectiles de ce genre.
Les plus fidèles chiens de garde de l’Ordre capitaliste, ce sont les médias qui n’ont cessé de nous inonder d’images tournant en boucle sur toutes les chaînes, pour rassurer la classe exploiteuse et intimider la classe exploitée. Ce que redoute la bourgeoisie, ce n’est pas le mouvement “citoyen” des “gilets jaunes” mais la lutte de classe du prolétariat, de tous les travailleurs salariés, précaires ou au chômage qui “réfléchissent” et ne savent pas encore comment défendre leurs conditions de vie et l’avenir de leurs enfants. Tout le monde a pu assister au déferlement ad nauseum de la propagande “sécuritaire” sur les chaînes de télévision ! Sauf ceux qui n’ont pas les moyens de s’acheter une télévision, un smartphone ou un ordinateur (ou préfèrent lire Le Canard Enchaîné que Le Figaro).
Les médias n’ont cessé d’exhiber la “fermeté” du gouvernement Macron et sa majorité parlementaire. Tous ces défenseurs irréductibles des Institutions républicaines et démocratiques ne vont pas rater l’occasion de déchaîner encore leur campagne idéologique contre un prétendu “péril révolutionnaire”, justifiant le blindage de l’État policier. La violence exercée par les forces de répression lors du mouvement contre la loi Travail en 2016 ou lors du 1er mai 2018 participait de la même logique. Il s’agit de donner aux troupes d’intervention davantage de liberté dans l’exercice de la répression, de réduire la possibilité de se rassembler pour discuter et réfléchir, et aussi d’accroître le contrôle et le fichage de tous ceux qui préfèrent s’intéresser aux débats politiques plutôt qu’aux matchs de football. Évidemment, les organisations révolutionnaires marxistes sont aussi la cible de cette propagande contre le “péril révolutionnaire” (qui n’est pas du tout imminent !). Les journalistes de la Presse officielle devraient lire le reportage écrit par un journaliste américain, John Reed, qui a été un témoin direct de la Révolution prolétarienne d’Octobre 1917 en Russie. Il a donné comme titre à son reportage : “Dix jours qui ébranlèrent le monde”. Rien à voir avec les dix jours qui ont ébranlé le pouvoir macronien où il n’y avait aucun “péril révolutionnaire” !
Grâce aux médias, notre Ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a pu, comme le Gaulois Obélix, mener la “guerre psychologique” avec son gros gourdin. Il aura donc le droit de manger du sanglier à Noël ! (Cf. la collection de BD “Astérix le Gaulois”)
L’usage de la violence aveugle et débridée des blacks-blocks et des “casseurs” a toujours été du pain béni pour la classe dominante et son appareil de répression. En amalgamant la violence des “gilets jaunes” (excités par les provocations et violences policières) avec les grandes luttes historiques du prolétariat, la propagande des médias n’a cessé de chercher à discréditer la classe ouvrière. Les idéologues de l’intelligentsia petite-bourgeoise (historiens, sociologues, philosophes, économistes, etc.) s’imaginent que la révolution prolétarienne est le fruit d’un complot, ourdi dans l’ombre, par des groupuscules ou “petite secte” de soixante-huitards retraités.
Ce n’est pas un hasard si, au cours des débats télévisés qui ont rythmé les dernières semaines, les références et les parallèles douteux se sont multipliés entre les barricades des “gilets jaunes” avec celles des journées de juin 1848, des insurgés de la Commune de Paris en 1871, des “enragés” de Mai 1968. Ces étudiants “enragés” (la “chienlit”, dixit le gaulois Charles De Gaulle) n’ont fait qu’annoncer le mouvement prolétarien de 9 millions de travailleurs salariés dont la mobilisation massive avait permis que le SMIC soit augmenté de 35 % et tous les autres salaires de 10 %. Mais les beaux jours des Trente Glorieuses sont terminés depuis longtemps. L’État Providence a cédé la place à l’État Policier.
Une fois de plus, la bourgeoisie française, grâce à ses médias aux ordres, veut nous rappeler que “ce n’est pas la rue qui gouverne” (comme le disait si bien le Sinistre Raffarin). Emmanuel Macron est prêt maintenant à reprendre le gouvernail. Même si (par orgueil ou conviction ?) il ne veut pas changer de cap. Tant pis si la République française devient le radeau de la Méduse !
On nous a fait voir aussi un “gilet jaune” présenter aux CRS un bouquet de roses jaunes, sans aucun commentaire. Petit cadeau pour remercier les CRS d’avoir bien fait leur travail le samedi 8 décembre ? Ou pour s’excuser de les avoir terrifiés lors du “cassage de gueule” devant la tombe du Soldat Inconnu ? Ce “gilet jaune” est peut-être tout simplement un marchand ambulant qui vend des roses à l’unité dans la rue, dans les bistrots et restaurants de Paris pour gagner quelques euros ? Les Restaurants du Cœur et l’Armée du Salut n’ont pas assez de soupes populaires pour faire face à la misère croissante dans certains arrondissements de la “plus belle Capitale du monde”. Les médias vont-ils nous montrer des clochards et autres sans abri en “gilets jaunes” défiler dans les quartiers où vivent les “riches” ? Maintenant que les “gilets jaunes” sont devenus pacifistes et ont des représentants, ils pourraient organiser un grand carnaval sur les Champs-Élysées pour favoriser “l’industrie du tourisme” ou monter une troupe de théâtre avec les différents “Actes” d’Éric Drouet ? La Révolution prolétarienne a besoin d’artistes et d’humoristes car “l’humour et la patience sont les principales qualités des révolutionnaires” (disait l’abominable “fomenteur d’insurrections” Lénine).
Les médias bourgeois ont également passé en boucle les images des “gilets jaunes” agenouillés les mains sur la tête devant les cordons de CRS, comme les gamins de Mantes-la-Jolie le 6 décembre. Les appareils d’intoxication idéologique de la classe dominante ont tenté, dans un premier temps, de cacher et censurer les images des jeunes de Mantes-la-Jolie. Mais comme elles avaient déjà circulé sur tous les réseaux sociaux, les chaînes de télévisions ont été obligées de les diffuser avec toutes sortes de commentaires essayant de justifier cette exaction et, notamment, les commentaires de deux sommités du monde de la Presse :
– Christophe Barbier : ex-directeur de l’hebdomadaire L’Express, puis chroniqueur politique à BFMTV : “Ce qui s’est passé (à Mantes-la-Jolie), c’est tout-à-fait normal. Et c’est même pour protéger les lycéens qu’il faut les traiter comme ça. Il faut vraiment être un cœur d’artichaut et bien-pensant pour s’offusquer de ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie” (matinale de BFMTV le 7 décembre) ;
– Franz-Olivier Giesbert, ex-directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, puis du quotidien Le Figaro, et ensuite directeur de l’hebdomadaire Le Point :“Il n’y a pas eu de blessés ! Ils auraient pu être massacrés… ! C’est pas parce que c’est des lycéens qu’ils ont le droit de faire n’importe quoi” (matinale de LCI du 7 décembre).
Effectivement, ces grands patrons de la médiasphère ne sont pas des “cœurs d’artichaut” ni des “bien-pensants”. Ils sont les “dignes” représentants médiatiques “d’un monde sans cœur” et de “l’esprit d’une époque sans esprit” (selon l’expression de Karl Marx, à propos de “l’opium du peuple”, dans son livre “Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel”).
On ne peut que conseiller à tous les “cœurs d’artichaut” de lire la prose d’un journaliste français, Prosper Olivier Lissagaray, qui a raconté, jour après jour, les événements de la “semaine sanglante” lors de la répression de la Commune de Paris en 1871. Le “citoyen” Lissagaray rapporte dans son livre, “Histoire de la Commune de 1871”, une scène où le 26 mai 1871, sur les marches du Panthéon, un Député sympathisant de la Commune, Jean-Baptiste Millière, a été forcé de se mettre à genoux, avant d’être fusillé par la soldatesque du gouvernement de la République française siégeant à Versailles. Beaucoup de “citoyens” de la Commune de Paris (qui n’ont même pas osé toucher à l’argent de la Banque de France alors que la bourgeoisie les a traités de “voleurs” !) ont été contraints par la force de se mettre à genoux avant d’être fusillés par les hordes sanguinaires des troupes républicaines “tricolores”. Simplement parce qu’ils crevaient de faim et avaient osé monter à “l’assaut du Ciel” !
Les jeunes du lycée de Mantes-la-Jolie n’ont pas été “massacrés”, mais simplement obligés eux-aussi de se mettre à genoux comme leurs ancêtres de la Commune de Paris. “C’est tout à fait normal” : la mise à genoux des Gavroche des temps modernes exprime la haine revancharde de la bourgeoisie et son besoin d’humilier toute cette “racaille” (comme disait l’ex-Président Nicolas Sarkozy) qui ne respecte pas les privilèges des “riches”.
Les manifestations des lycéens sur tous les territoires français (sans gilet jaune ni drapeau tricolore, ni hymne national) ont été étrangement très peu médiatisées. Il y eu très peu de “casse” et d’affrontements violents. On a pu quand même entendre à la télévision une prolétaire, enseignante de l’Éducation Nationale, affirmer que ce qu’il faudrait faire c’est une “grève générale” et pas des journées d’action (comme celles organisées par les pompiers sociaux que sont les syndicats : CGT, CFDT, FO, Solidaire…).
Voilà pourquoi la bourgeoisie, son gouvernement, son Parlement, son patronat, et ses médias, ont tout intérêt à ne pas identifier qui sont ces “black-blocks” et autres “casseurs” : pour pouvoir justifier le blindage de l’appareil policier contre la lutte massive du prolétariat qui, un jour ou l’autre, va resurgir face à la généralisation de la pauvreté.
Ce jour-là, il n’y aura pas assez de prisons pour enfermer tous les “gaulois réfractaires” à la suppression de l’ISF et autres injustices. Il vaudrait mieux reconstruire des camps de concentration : ça coûtera moins cher à l’État et on pourra y parquer beaucoup de monde !
L’Ordre Public de la bourgeoisie, avec son “État de droit” policier, et sa “paix sociale”, c’est l’ordre de la Terreur !
Hans, 10 décembre 2018
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Le Président de la République Emmanuel Macron est sorti de son silence en s’adressant aux Français, le 10 décembre à 20h, sur toutes les chaînes de télévision : “Françaises, français, nous voilà ensemble au rendez-vous de notre pays et de l’avenir. Les événements de ces dernières semaines (…) ont mêlé des revendications légitimes et un déchaînement de violences inadmissibles. (…) Ces violences ne bénéficieront d’aucune indulgence. Aucune colère ne justifie qu’on s’attaque à un policier, à un gendarme ; qu’on dégrade un commerce ou des bâtiments publics. (…) Quand la violence se déchaîne, la liberté cesse. C’est donc désormais le calme et l’ordre républicain qui doivent régner. Nous y mettrons tous les moyens. (…) J’ai donné en ce sens au gouvernement les instructions les plus rigoureuses.
Mais, au début de tout cela, je n’oublie pas qu’il y a une colère, une indignation. Et cette indignation, beaucoup d’entre nous, beaucoup de français peuvent la partager (…) Mais cette colère est plus profonde, je la ressens comme juste à bien des égards, et elle peut être notre chance (…) Ce sont quarante années de malaise qui resurgissent.
Sans doute n’avons-nous pas su, depuis un an et demi, y apporter une réponse rapide et forte. Je prends ma part de responsabilité. Je sais qu’il m’est arrivé de blesser certains d’entre vous par mes propos. (…) Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé lors des crises. Nous sommes à un moment historique de notre pays. Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde. Que nous abordions la question de l’immigration”.
Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie, en effet, que des policiers tirent avec des balles de flashball sur des adolescents (sans casque ni bouclier) mineurs, scolarisés, et dont les traumatismes sont autrement plus profonds que ceux des policiers agressés, le samedi 1er décembre, devant la tombe du Soldat inconnu. Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des policiers bombardent de grenades lacrymogènes des manifestants marchant paisiblement sur l’avenue des Champs-Élysées, des manifestants parmi lesquels il y avait des personnes âgées (dont beaucoup de femmes). Aucun “maintien de l’ordre républicain” ne justifie que des adolescents soient estropiés, la main arrachée par l’explosion d’une grenade offensive (une arme non utilisée dans les autres pays d’Europe).
Quand la violence policière se déchaîne contre des adolescents, cela ne peut que provoquer des émeutes urbaines (comme en 2005), cela ne peut qu’aggraver le chaos social. La violence ne peut engendrer que la violence ! Tirer sur des adolescents est un crime. Si les fonctionnaires du maintien de “l’ordre républicain” tuent les enfants (comme cela a failli arriver avec ce lycéen grièvement blessé dans une commune du Loiret), cela signifie que cet ordre républicain n’a aucun avenir à offrir à l’humanité ! Ces violences policières infanticides sont ignobles et révoltantes ! Ce n’est certainement pas avec l’intimidation et les menaces que le “calme” et la “paix sociale” vont revenir.
Le discours du Président de la République ne s’adresse qu’aux “Françaises et aux Français” alors que beaucoup de travailleurs et travailleuses qui paient leurs impôts ne sont pas “Françaises ou Français”. Nos ancêtres n’étaient pas des “Gaulois” mais des Africains (n’en déplaise à la Gauloise Madame Le Pen !) : l’Afrique est le berceau de l’espèce humaine, comme le savent les scientifiques, anthropologues et primatologues. Il n’y a que les Églises qui affirment encore que Dieu a créé l’homme. Comme le disait le philosophe Spinoza : “l’ignorance n’est pas un argument”.
Tous les indicateurs économiques sont de nouveau dans le rouge. Dix ans après la crise financière de 2008 qui a davantage aggravé la dette souveraine des États, les menaces d’une nouvelle crise financière se profilent à nouveau avec le risque d’un nouveau krach boursier. Mais voilà que le “peuple” se révolte ! Car, c’est au “peuple” que tous les gouvernements ont fait payer la crise de 2008 avec des plans d’austérité dans tous les pays. On a exigé des prolétaires d’accepter des sacrifices supplémentaires pour sortir “tous ensemble” de la crise (depuis 2008, la perte moyenne du pouvoir d’achat des travailleurs est de 440 euros par ménage). L’État devait nous “protéger” du risque de faillites en chaîne des banques où le “peuple” a placé ses petites économies pour pouvoir assurer ses vieux jours. Ces sacrifices, notamment sur le pouvoir d’achat des ménages, devaient permettre un retour de la croissance et protéger les emplois.
Après dix ans de sacrifices pour sauver les banques de la faillite et éponger le déficit budgétaire de l’État national, il est normal que le “peuple” ne puisse plus joindre les deux bouts et soit indigné de voir les “riches” vivre dans le luxe alors que les “pauvres” n’ont plus assez de sous pour remplir le frigidaire ou acheter des jouets pour leurs enfants à Noël.
Le Président a donc tout-à-fait raison de décréter l’ “État d’urgence économique et social”. Il a absolument besoin de nouveaux “pompiers sociaux” pour éteindre l’ “incendie” de la lutte de classe, les grandes centrales syndicales ayant soigneusement fait leur sale travail pour saboter les luttes revendicatives des travailleurs salariés afin d’aider le gouvernement et le patronat à faire passer leurs attaques contre nos conditions de vie.Les “riches”, ce sont ceux qui exploitent la force de travail des “pauvres” pour faire du profit, de la plus-value, et maintenir leurs privilèges. C’est ce que Karl Marx avait clairement expliqué en 1848 dans le “Manifeste du Parti communiste”.(1)
Pour sortir de la crise du pouvoir exécutif et ouvrir le “dialogue”, “notre” Président a annoncé les mesures suivantes : augmentation du SMIC de 100 euros par mois, annulation de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui touchent moins de 2 000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires. Il a aussi demandé aux patrons qui le peuvent, de verser des primes de fin d’année à leurs salariés (prime qui sera aussi défiscalisée). “Notre Président de La République En Marche” a donc fait “un pas en avant”. La leçon à tirer serait donc que seules les méthodes de lutte “modernes” (et pas “ringardes”) des citoyens en “gilet jaune” payent et peuvent faire “reculer” le gouvernement !
Pour notre part, nous restons des “ringards”, convaincus que les boules de pétanque et autres projectiles pour riposter aux bombardements intensifs de grenades lacrymogènes, sont totalement inefficaces et ne peuvent que contribuer à l’escalade de la violence, au chaos social et au renforcement de l’État policier. La lutte de classe du prolétariat n’est pas une fronde. Les principales armes du prolétariat demeurent son organisation et sa conscience. Car “lorsque la théorie s’empare des masses, elle devient une force matérielle”, disait encore Karl Marx. Contrairement au mouvement des “gilets jaunes”, notre référence “Gauloise” n’est pas la Révolution Française de 1789 (avec sa guillotine, son drapeau tricolore et son hymne national “ringard”), mais la Commune de Paris.
Depuis le “samedi noir” du 1er décembre, les médias nous ont fait vivre en direct, sur tous les écrans de télévision et les réseaux sociaux, un véritable feuilleton à suspense : le “Président des riches”, Emmanuel Macron, va-t-il finir par “reculer” sous la pression du mouvement des “gilets jaunes” ? Va-t-il céder face à la détermination des “gilets jaunes” qui campent sur les ronds-points et ont suivi les mots d’ordre d’Éric Drouet, figure de proue et initiateur du mouvement ?
La marche des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées, le samedi 1er décembre s’était transformée en véritable guérilla urbaine tournant à l’émeute avec des scènes de violence hallucinantes sous l’Arc de triomphe comme dans les avenues Kléber et Foch du 16e arrondissement. Deux semaines plus tôt, le 17 novembre, les “forces de l’ordre” n’avaient déjà pas hésité à envoyer des gaz lacrymogènes et à foncer sur des groupes de “citoyens”, hommes et femmes en gilets jaunes, marchant tranquillement sur les Champs-Élysées en chantant La Marseillaise et en brandissant le drapeau tricolore. Ces provocations policières ne pouvaient qu’attiser la colère des citoyens en “gilet jaune” contre le citoyen en costard cravate du Palais de l’Élysée. L’appel à l’ “Acte III” des “gilets jaunes” a ainsi provoqué une émulation parmi les éléments déclassés du “peuple” français. Les bandes organisées de casseurs professionnels, black blocs, nervis d’extrême-droite, “anars” et autres mystérieux “casseurs” non identifiés ont profité de l’occasion pour venir semer la pagaille sur la “plus belle avenue du monde”.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est une erreur de “stratégie” du Ministère de l’Intérieur dans le maintien de l’ordre : la mise en place d’une “fan zone” sur une partie des Champs-Élysées, pour sécuriser les beaux quartiers. Au lendemain du “samedi noir”, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner a reconnu son erreur : “On s’est planté !”. Autre erreur reconnue également : le manque de mobilité des CRS et des gendarmes, complètement dépassés par la situation (malgré leurs canons à eau et les tirs incessants de grenades lacrymogènes), terrorisés par le passage à tabac de l’un d’entre eux et par les jets de projectiles qui les ont assaillis. Les médias n’ont cessé pendant toute la semaine de passer en boucle sur les écrans de télévision cette scène ubuesque de CRS obligés de battre en retraite face à des groupes de “gilets jaunes” autour de l’Arc de Triomphe. Les propos enregistrés et très peu diffusés par les médias : “Samedi prochain, on revient avec des armes !”, de même que la colère des commerçants et habitants des beaux quartiers contre l’incurie des forces de l’ordre ont été clairement entendus par le gouvernement et l’ensemble de la classe politique. Le danger d’enlisement de la République française dans le chaos social a encore été renforcé par la volonté d’une partie de la population des 16e et 8e arrondissements de se défendre elle-même si la police n’était pas capable de la protéger de l’engrenage de la violence lors de la quatrième “manifestation” des “gilets jaunes” prévue le samedi 8 décembre (l’Acte IV avec le mot d’ordre puéril : “Tous à l’Élysée !”).
L’événement le plus spectaculaire de la crise du pouvoir exécutif est la perte de crédibilité de l’ “État protecteur” et de son appareil de “maintien de l’ordre”. Cette faille du pouvoir macronien (et la sous-estimation de la profondeur du mécontentement qui gronde dans les entrailles de la société) ne pouvait que donner des ailes non seulement aux “gilets jaunes” “radicaux”, mais aussi à tous ceux qui veulent “casser du flic”, mettre le feu partout face à l’absence d’avenir, notamment parmi les jeunes générations confrontées au chômage et à la précarité. Beaucoup de jeunes sortant des universités avec des diplômes ne trouvent pas d’emplois et sont obligés de faire des “jobs alimentaires” pour survivre.
Face au risque de perte de contrôle de la situation et de débandade du gouvernement, le Président Macron, après être venu constater les dégâts (y compris sur le plan du “moral des troupes” des CRS choqués par la guérilla urbaine à laquelle ils n’étaient pas préparés) a pris la décision de s’enfermer dans son bunker élyséen pour “réfléchir” en mouillant toute la classe politique et en envoyant “au front” son Premier ministre, Edouard Philippe, épaulé par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.
En plus de la morgue affichée par le plus jeune Président de la République française, celui-ci est apparu comme un lâche qui se “planque” derrière son Premier ministre et se trouve incapable de sortir de l’ombre pour “parler à son peuple”. Les médias ont même répandu la rumeur qu’Emmanuel Macron allait utiliser Edouard Philippe, voire le Ministre de l’Intérieur comme “fusibles”, c’est-à-dire leur faire porter le chapeau pour ses propres fautes.
Dans toute la classe politique, après le “samedi noir”, c’était la curée contre son bouc émissaire, Jupiter Macron, désigné comme seul et unique responsable du chaos social. Le “Président pyromane” aurait allumé le brasier avec son “péché originel” : la suppression de l’impôt sur la fortune et son attitude arrogante et provocatrice. L’annonce des dernières mesures d’austérité (augmentation des taxes sur le carburant, du gaz et de l’électricité) n’aurait été que l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. De l’extrême droite à l’extrême gauche, toutes les cliques bourgeoises ont crié à hue et à dia et ont cherché à se dédouaner. Toutes les cliques de l’appareil politique bourgeois qui ont “soutenu” le mouvement citoyen des “gilets jaunes” ont lâchement abandonné le petit Président et l’ont appelé à enfin entendre le cri du “peuple” qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Certains ont réclamé un référendum, d’autres la dissolution de l’Assemblée nationale. Tout le monde a appelé le Président à assumer sa responsabilité. Les chefs d’État des autres pays (Trump, Erdogan, Poutine…) ont également commencé à tirer à boulets rouges sur le jeune Président de la République française en lui mettant un bonnet d’âne pour avoir fait preuve de trop grande répression contre son peuple. C’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité, le déchaînement du chacun pour soi et Dieu pour tous !
Dès le mardi 3 décembre, le Premier ministre avait annoncé trois mesures pour sortir de la crise, “apaiser” la tension sociale et éviter l’escalade de la violence : la suspension pour six mois de la taxe sur les carburants, la suspension pendant trois mois de l’augmentation du prix du gaz et de l’électricité et la réforme du contrôle technique des véhicules qui, au nom de la “transition écologique”, condamnait beaucoup d’entre eux à la casse. Mais ce “scoop” n’a fait qu’aggraver la colère des travailleurs pauvres en gilets jaunes. Personne n’était dupe : “Macron cherche à nous entuber !” “Il nous prend pour des cons !”. Même le PCF a entonné son couplet : “On n’est pas des pigeons à qui on donne des miettes !” On n’éteint pas un incendie avec un compte-gouttes (ni avec des canons à eau).
Face au tollé provoqué par cette “annonce”, le Premier ministre Edouard Philippe, est revenu le lendemain, avec un remarquable sang-froid, parler au “peuple” français pour annoncer que, finalement, les hausses des taxes sur les carburants ne seraient pas suspendues mais carrément annulées. Après l’annonce du dernier “pas de côté” du gouvernement de la République en marche (la défiscalisation des primes sur les heures supplémentaires), le “gilet vert” Benoit Hamon a affirmé que “le compte n’y est pas !”. Le gouvernement n’avait pas d’autre alternative que de lâcher du lest pour “apaiser” les esprits et éviter que la guérilla urbaine qui s’est déroulée sur les Champs-Élysées ne s’intensifie encore, alors même que cette violence ne parvenait pas à discréditer le mouvement des “gilets jaunes”.
Depuis le “samedi noir”, le gouvernement a manié le bâton et la carotte. Ces petites concessions diplomatiques ont été accompagnées d’un gigantesque battage médiatique sur le déploiement “exceptionnel” des forces de l’ordre pour l’“Acte IV” des “gilets jaunes”, le samedi 8 décembre. Pour ne pas écorner la “démocratie” bourgeoise, le gouvernement n’a pas interdit le rassemblement. Pas question non plus de décréter l’État d’urgence (comme cela avait été envisagé et même réclamé par certains secteurs de l’appareil politique).
Après avoir examiné le “problème” avec tous les hauts fonctionnaires chargés de la sécurité du territoire, notre débonnaire Ministre de l’Intérieur a cherché à rassurer “tout le monde” en annonçant qu’une autre stratégie de maintien de l’ordre public avait été élaborée avec la collaboration du Ministère de la Justice. Les forces de l’ordre ne devaient plus battre en retraite dans la capitale comme sur tout le territoire. L’État d’urgence n’était pas nécessaire : il n’y avait pas de “péril imminent” pour la République.
Ce qui s’est passé dans les beaux quartiers de Paris, notamment les pillages, s’apparente davantage aux émeutes de la faim, comme celles en Argentine en 2001, et aux émeutes des banlieues comme celles de 2005 en France. Le slogan “Macron démission !” est de même nature que le “dégagisme” du Printemps arabe de 2011 qui a circulé sur tous les réseaux sociaux. C’est pour cela qu’on a pu lire aussi sur des pancartes en carton : “Macron dégage !”.
Ce déploiement exceptionnel des forces de l’ordre n’est pas parvenu à rassurer “tout le monde”, à tel point que le ministre de l’Intérieur a dû expliquer patiemment sur les écrans de télévision que les blindés de la gendarmerie ne sont pas des chars d’assaut mais simplement des véhicules destinés à déblayer les éventuelles barricades et à protéger les forces de l’ordre dans leur mission. Objectif d’un tel dispositif : éviter les morts tant du côté des manifestants que de celui des forces de l’ordre, même s’il y a eu de nombreux blessés et 1 723 arrestations (sans compter les dégâts matériels).
Le Président a donc beaucoup “réfléchi” avec le soutien de sa garde rapprochée de “spécialistes” et “conseillers” et, en coulisse, avec celui de tous les “corps intermédiaires” et pompiers sociaux professionnels que sont les syndicats. La grève illimitée des routiers appelée par la CGT a été annulée 48 heures plus tard, la ministre des Transports ayant immédiatement accordé aux chauffeurs routiers la garantie du maintien de la majoration des heures supplémentaires avant même qu’il ne se soient mis en grève !
Le Président de la République était devant un “casse-tête” chinois. En étant obligé de lâcher (trop tardivement !) du lest face au “cri du peuple”, il a ouvert une boîte de Pandore : tout le “peuple” risque de se mobiliser, comme on l’a vu aussi avec les manifestions massives des lycéens (sans “gilets jaunes” ni drapeau tricolore) contre la réforme du Bac et le Parcours Sup. Mais si Emmanuel Macron continuait à refuser de lâcher du lest, il prenait le risque d’un raz de marée de “gilets jaunes” réclamant sa démission.
Comment le gouvernement va-t-il maintenant fermer cette boîte de Pandore ? Le gouvernement s’est trouvé face à un autre dilemme qu’il devait résoudre rapidement pour endiguer le danger d’un engrenage de la violence, avec des morts, lors de la manifestation du 8 décembre. Après les attaques des CRS obligés de reculer devant l’Arc de triomphe, la priorité était de montrer que “force doit revenir à la loi” et rétablir la crédibilité de l’État “protecteur” et garant de “l’unité nationale”. Le gouvernement Macron ne pouvait pas prendre le risque de faire apparaître l’État démocratique français comme une vulgaire république bananière du “tiers monde” qui ne tient qu’avec une junte militaire musclée au pouvoir.
Cette focalisation sur le jour “J” et sur le problème de la violence devait permettre au gouvernement de ne pas “reculer” sur une des questions centrales : celle de l’augmentation des salaires. Surtout, le “Président des riches” est resté “droit dans ses bottes” concernant la suppression de l’Impôt sur la Fortune vécue comme une injustice profonde. Il est hors de question de “détricoter ce que nous avons fait pendant 18 mois !”, selon ses propres mots relayés par les médias.
Ce qui a permis, à la veille du jour “J”, à Marine Le Pen de faire une nouvelle déclaration pour parler encore de Macron, “cet homme” dont la fonction “désincarnée” montre qu’il est “dénué d’empathie pour le peuple”. Pure hypocrisie ! Aucun chef d’État n’a d’ “empathie pour le peuple”. Si Madame Le Pen (qui aspire à être un jour “cheftaine d’État”) a tant d’ “empathie pour le peuple”, pourquoi a-t-elle déclaré devant les plateaux télévisés qu’elle n’était pas favorable à l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les petits patrons des PME (qui constituent une partie de sa clientèle électorale) ? Tous ces partis bourgeois qui soutiennent les “gilets jaunes” et focalisent toute l’attention sur la personnalité détestable de Macron veulent nous faire croire que le capitalisme est personnifié par tel ou tel individu alors que c’est un système économique mondial qu’il faut abattre. Cela ne se fera pas en quelques jours, vu la longueur du chemin qu’il reste encore à parcourir (nous ne croyons pas au mythe du “grand soir”). La démission de Macron et son remplacement par un autre “guignol de l’info” ne changera rien à la misère croissante des prolétaires. La misère ne peut que continuer à s’aggraver avec les secousses d’une crise économique mondiale sans issue.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” ne pouvait que se fractionner, entre les “extrémistes” et les “modérés”. Éric Drouet, initiateur du mouvement sur les réseaux sociaux, a cru pouvoir monter une pièce de théâtre avec ses différents “Actes”. Invité sur les plateaux télévisés, il a clairement affirmé que son appel à l’ “Acte IV” du samedi 8 décembre était destiné à entraîner les “gilets jaunes” à se rendre au Palais de l’Élysée pour un face à face avec le “Roi” Macron. Ce petit aventurier mégalomane s’imaginait peut-être que les “gilets jaunes” pourraient faire le poids face à la Garde républicaine qui protège le palais présidentiel. On n’entre pas à l’Élysée comme dans un vieil immeuble où il n’y a ni concierge ni digicode ! Les pendules ayant été remises à l’heure, le “Roi” allait pouvoir donner la fessée au leader des “sans culottes”.
À la veille de la manifestation du 8 décembre, on a appris que ce jeune chauffeur routier allait faire l’objet d’une enquête judiciaire pour “provocation à la commission d’un crime ou d’un délit”, ce qui pourrait lui coûter cinq ans de prison ! Les méthodes aventuristes et activistes d’Éric Drouet (et ses “amis” virtuels) sont typiques de la petite bourgeoisie. Elles révèlent le désespoir des couches sociales “intermédiaires” (situées entre les deux classes fondamentales de la société : la bourgeoisie et le prolétariat) frappées aussi par la paupérisation.
Le gouvernement a également essayé de reprendre le contrôle de la situation grâce à la constitution d’un collectif des “gilets jaunes libres” qui se sont démarqués des “radicaux” ralliés derrière le drapeau du “mauvais citoyen” Éric Drouet. Les trois principaux représentants de ce “collectif” de gilets jaunes “modérés” se sont désolidarisés de leurs “camarades” après avoir assisté ou participé au “samedi noir”. Qui sont ces trois nouvelles stars en “gilet jaune” ?
— un artisan forgeron, Christophe Chalençon qui avait appelé à la démission du gouvernement et suggéré de nommer le général De Villiers comme Premier ministre (après avoir annoncé le 28 juin 2015 sur Facebook, qu’il était contre les immigrés et avait songé à adhérer au Front National, avant de devenir “macroniste”, puis candidat malheureux aux dernières élections législatives) ! ;
— une femme, Jacline Mouraud, hypnothérapeute libérale et accordéoniste ;
— un cadre dynamique et proche de l’extrême-droite, Benjamin Cauchy.
Ces “gilets jaunes libres” sont devenus plus royalistes que le roi. Alors que le gouvernement n’avait pas interdit la manifestation du 8 décembre à Paris, ce triumvirat autoproclamé a appelé les “gilets jaunes” à ne pas y participer (pour ne pas faire le “jeu de l’Éxécutif” !). Ces trois porte-paroles du mouvement ont été reçus (avec quatre autres) par le Premier ministre comme interlocuteurs privilégiés des “gilets jaunes libres”. Ils ont montré leur patte blanche de “bons citoyens”, responsables, ouverts au dialogue et prêts à collaborer avec le gouvernement pour qu’ “on puisse se parler”. Comme l’a déclaré Jacline Mouraud après avoir rencontré Edouard Philippe à Matignon : le Premier ministre “nous a écoutés”, a reconnu que le gouvernement a fait des erreurs et “on a pu parler de tout”.
On a pu voir également à la télévision, après le “samedi noir”, des “gilets jaunes” affirmer vouloir maintenant protéger les CRS contre les “casseurs”. C’est le monde à l’envers ! Sur les écrans de télévision, a également été diffusé le spectacle pitoyable d’un groupe de “gilets jaunes” venu offrir des croissants au poste de police de Fréjus et à la gendarmerie pour faire “ami-ami” avec les forces de l’ordre. Le gendarme qui les a accueillis a été interloqué d’entendre ces “gilets jaunes”, penauds et repentis, s’excuser pour les violences du “samedi noir” : “on aurait bien voulu que vous soyez avec nous, mais comme ce n’est pas possible, on a voulu vous dire (avec des croissants) qu’on est avec vous et qu’on se bat aussi pour vous”. Que dans un mouvement social, les manifestants essaient de démoraliser les forces de répression, voire de les appeler à changer de camp, c’est de bonne guerre, comme le confirment de nombreux exemples dans l’Histoire. Mais jamais on a vu les réprimés s’excuser auprès des répresseurs ! La police s’est-elle déjà excusée pour les multiples bavures qu’elle a commises, comme celle qui a grièvement blessé d’une balle de flashball un jeune lycéen dans le Loiret, sans parler de la mort de deux enfants à l’origine des émeutes des banlieues à l’automne 2005 ?
Ce sont ces bavures policières qui ont attisé la haine du flic et l’envie des adolescents de venir “casser la gueule aux keufs”, en mettant le feu non seulement aux poubelles mais aussi aux établissements scolaires. Ces émeutes du désespoir contiennent l’idée que “ça ne sert à rien d’aller à l’école” pour pouvoir avoir un métier puisque papa est au chômage et que maman est obligée de faire des ménages pour pouvoir faire bouillir la marmite et mettre un peu de beurre dans les épinards. Un marché parallèle continue à se développer dans certains quartiers populaires de Paris avec les petits trafics en tous genre, les vols, et maintenant les pillages de magasins ! Sans compter ces enfants migrants qui vivent à la rue dans le ghetto de la “Goutte d’Or” (sic !) du 18e arrondissement de Paris, sans famille, sans pouvoir être scolarisés et qui sont de vrais “délinquants” (mais ce n’est pas “génétique” comme se l’imaginait l’ex-Président Nicolas Sarkozy).
Alors que certains secteurs de la petite bourgeoisie paupérisée plongent dans les actes de violence, d’autres ont maintenant le doigt sur la couture du pantalon. En fin de compte, dans les circonstances actuelles, cette couche sociale intermédiaire instable et opportuniste ne bascule pas du côté du prolétariat, comme elle a pu le faire à d’autres moments de l’Histoire, mais du côté de la grande bourgeoisie.
C’est justement parce que le mouvement des “gilets jaunes” est interclassiste qu’il a été infiltré non seulement par le poison idéologique du nationalisme patriotard mais aussi par les relents nauséabonds de l’idéologie populiste anti-immigrés. On peut en effet, trouver au milieu de la liste (à la Prévert !) des “42 revendications” des “gilets jaunes” celle de la reconduction aux frontières des immigrés clandestins ! C’est d’ailleurs pour ça que “notre” Président s’est permis dans son discours du 10 décembre de faire une petite gâterie aux “gilets jaunes” membres ou sympathisants du Rassemblement national (ex-FN) de Marine Le Pen en évoquant la question de l’immigration (alors que ce parti a gagné 4 % dans les sondages depuis le début du mouvement).
Cette “révolte populaire” de tous ces “pauvres” de la “France qui travaille” et n’arrivent plus à “joindre les deux bouts” n’est pas, comme tel, un mouvement prolétarien, malgré sa composition “sociologique”. La grande majorité des “gilets jaunes” sont effectivement des travailleurs salariés, exploités, précaires dont certains ne touchent même pas le SMIC (sans compter les retraités qui n’ont pas même droit au “minimum vieillesse”). Vivant dans les zones péri-urbaines ou rurales, sans aucun transport en commun pour se rendre à leur travail ou accompagner leurs enfants à l’école, ces travailleurs pauvres sont obligés d’avoir une voiture. Ils ont donc été les premiers frappés par la hausse des taxes sur le carburant et la réforme du contrôle technique de leurs véhicules.
Ces secteurs minoritaires et dispersés du prolétariat des zones rurales et périphériques n’ont aucune expérience de la lutte de classe. La grande majorité d’entre eux sont, pour la plupart, des “primo manifestants” n’ayant jamais eu l’occasion de participer ni à des grèves ni à des assemblées générales ni à des manifestations de rue. C’est pour cela que leur première expérience de manifestations dans les grandes concentrations urbaines, et notamment à Paris, a pris la forme d’un mouvement de foule, désorganisé, errant à l’aveuglette sans aucune boussole et découvrant pour la première fois in vivo les forces de l’ordre avec leurs grenades lacrymogènes, canons à eau, tirs de flashball ainsi que les blindés de la gendarmerie. Ont-ils vu aussi ce snipper armé d’un fusil à lunette et posté sur le toit d’un immeuble, le jour du “samedi noir” ? (image diffusée par l’agence Reuters)
L’explosion de colère parfaitement légitime des “gilets jaunes” contre la misère de leurs conditions d’existence a été noyée dans un conglomérat interclassiste d’individus-citoyens prétendument libres. Leur rejet des “élites” et de la politique “en général” les rend particulièrement vulnérables à l’infiltration des idéologies les plus réactionnaires, notamment celle de l’extrême droite xénophobe. L’histoire du XXe siècle a largement démontré que ce sont les couches sociales “intermédiaires” (entre la bourgeoisie et le prolétariat), notamment la petite-bourgeoisie, qui ont fait le lit des régimes fasciste et nazi (avec l’appui des bandes du lumpen, haineuses et revanchardes, aveuglées par des préjugés et des superstitions qui remontent à la nuit des temps).
C’est uniquement dans les situations de luttes massives et pré-révolutionnaires, où le prolétariat s’affirme ouvertement sur la scène sociale comme classe autonome, indépendante, avec ses propres méthodes de lutte et d’organisation, sa propre culture et morale de classe, que la petite-bourgeoisie (et même certains éléments éclairés de la bourgeoisie) peut abandonner son culte de l’individualisme et “citoyen”, perdre son caractère réactionnaire en se ralliant derrière la perspective du prolétariat, seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’espèce humaine.
Le mouvement des “gilets jaunes”, de par sa nature interclassiste, ne peut déboucher sur aucune perspective. Il ne pouvait que prendre la forme d’une fronde désespérée dans les rues de la capitale avant de se fracturer en différentes tendances, celles des radicaux, “amis” d’Éric Drouet, et celle des modérés du “Collectif des gilets jaunes libres”. En endossant le gilet jaune, les prolétaires pauvres qui se sont engagés à la remorque des mots d’ordre de la petite-bourgeoisie se trouvent maintenant comme les dindons de la farce (ou les cocus de l’histoire, dont le jaune est aussi la couleur). Ils ne voulaient pas de représentants qui négocient dans leur dos avec le gouvernement (comme l’ont toujours fait les syndicats) : le gouvernement a refusé tout enregistrement des discussions avec les “porte-parole” des “gilets jaunes”.
Maintenant, ils ont des représentants (qu’ils n’ont pas élus) : notamment le “Collectif des gilets jaunes libres”. Ce mouvement informel, inorganisé, initié par les réseaux sociaux, a commencé à se structurer après le 1er décembre. Les principaux représentants autoproclamés de ce mouvement prétendument apolitique ont envisagé de présenter une liste aux élections européennes. Voilà donc la petite-bourgeoisie en “gilet jaune” qui rêve de pouvoir jouer dans la cour des grands !
Avant même que l’ “ordre public” ne soit revenu, était mise en avant (par Emmanuel Macron lui-même), l’idée d’organiser des conférences “pédagogiques” en province sur la “transition écologique”. Les citoyens des “territoires” pourront apporter leurs idées dans ce vaste débat démocratique qui doit contribuer à remettre la République en marche, après une période de “blocage” du pouvoir exécutif. Ce mouvement citoyen soi-disant apolitique est truffé de syndicalistes, de membres d’organisations politiques et toutes sortes d’individus pas très nets. N’importe qui peut mettre le gilet jaune (y compris des casseurs). La majorité des citoyens en “gilet jaune” constitue la clientèle électorale de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. Sans compter les trotskistes, notamment le NPA d’Olivier Besancenot et Lutte ouvrière. Ces organisations trotskistes nous racontent toujours la même fable : “il faut prendre l’argent dans la poche des riches”. Le prolétariat n’est pas une classe de pickpockets ! L’argent qui se trouve dans “la poche des riches”, c’est le fruit de l’exploitation du travail des “pauvres”, c’est-à-dire des prolétaires. Il ne s’agit pas “de faire les poches” des riches, mais de lutter aujourd’hui pour limiter ce véritable vol que signifie l’exploitation capitaliste et, ce faisant, de ramasser les forces pour abolir l’exploitation de l’homme par l’homme.
Lors de la Marche pour le climat à Paris, le 8 décembre, de nombreux “gilets jaunes” se sont mêlés au cortège des “gilets verts” avec une prise de conscience, surtout parmi les jeunes manifestants, que “les fins de mois et la fin du monde”, “tout ça, c’est lié”. Dans la marche des “gilets jaunes”, certains ont décidé de mettre le feu à leur gilet et à leur carte d’électeur. Il est vrai que les fins de mois difficiles et la fin du monde sont liés, ce sont les deux faces d’une même réalité, celle d’un système qui est basé sur le profit d’une petite minorité et nullement sur les besoins de l’espèce humaine.
Après le “samedi noir”, un syndicat de la police nationale a évoqué une “grève illimitée” des fonctionnaires de la police qui veulent aussi endosser l’uniforme jaune ! Ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts et en ont marre des “cadences infernales”, du burn-out dû au stress et à la peur de se prendre une boule de pétanque sur la tête. Il fallait donc que le gouvernement débloque des fonds pour offrir une prime de Noël aux CRS et autres catégories professionnelles chargées du maintien de l’ordre. Le gouvernement va devoir créer de nouveaux emplois dans ce secteur totalement improductif, et donc creuser encore les déficits, pour tenter de maintenir l’ordre dans une société en pleine décomposition où les fractures sociales ne peuvent que s’aggraver avec la détérioration des conditions d’existence et le renforcement de la répression. Tout le monde sait que les flics Gaulois ne font pas dans la dentelle : ils cognent d’abord et ils “discutent” après !
Ce qui a inquiété le gouvernement et toute la classe bourgeoise, c’est le fait que, malgré le déchaînement de violence des casseurs en gilets jaunes lors du “samedi noir”, la cote de popularité de leur mouvement n’a pas faibli : après le 1er décembre, les sondages ont annoncé que 72 % de la population française continuait à soutenir les “gilets jaunes” (même si 80 % condamnent les violences et que 34 % les comprennent). Les “gilets jaunes” sont même devenus une star mondiale : en Belgique, en Allemagne, au Pays-Bas, en Bulgarie et même en Irak, à Bassorah, on a enfilé le gilet jaune ! Quant au gouvernement égyptien, il a décidé de restreindre la vente de gilets jaunes par peur de la “contamination” ; pour en acheter un, il faut l’autorisation de la police !
Une telle popularité s’explique essentiellement par le fait que toute la classe ouvrière, qui constitue la majorité du “peuple”, partage la colère, l’indignation et les revendications économiques des “gilets jaunes” contre la vie chère, contre l’injustice sociale et fiscale. Après avoir fait ses classes avec l’ex-Président de gauche, François Hollande, notre Président de la République a exposé avec sa langue de bois une théorie totalement incompréhensible pour le “peuple” : la théorie du “ruissellement”. D’après cette “théorie”, plus les “riches” ont de l’argent, plus ils peuvent le faire “ruisseler” vers les “pauvres”. C’est l’argument des dames patronnesses qui font bénéficier les miséreux de leur générosité en puisant un tout petit peu sur leur magot. Ce qu’on oublie de dire, c’est que la richesse des nantis ne tombe pas du ciel. Elle provient de l’exploitation des prolétaires.
Cette théorie macroniste s’est concrétisée par la suppression de l’ISF : ce cadeau fiscal permettrait aux “riches” (en fait à la grande bourgeoisie), d’utiliser l’argent qui leur a été restitué pour qu’ils fassent des investissements qui, finalement, créeront des emplois, résorberons le chômage et, donc, profiteront aux prolétaires. Ainsi, ce serait dans l’intérêt de la classe ouvrière que l’ISF aurait été supprimé ! Les “pauvres” en gilet jaune ont parfaitement compris, en dépit de leur “illettrisme” de “gaulois réfractaires”, que le macronisme cherche à les “entuber” (comme l’a dit une retraitée en gilet jaune interviewée à la télévision). En attendant que la suppression de l’ISF profite aux prolétaires, il faut encore leur demander de se serrer la ceinture pendant que la classe capitaliste continue à se vautrer dans le luxe. Il n’est pas surprenant qu’on ait pu lire, sur une pancarte en carton, dans la manifestation du 8 décembre : “Nous aussi on veut payer l’ISF ! Rends l’argent !”
Malgré la colère générale de tout le “peuple” de la “France qui travaille”, les prolétaires, dans leur grande majorité, ne veulent pas rejoindre les “gilets jaunes” même s’ils peuvent avoir de la sympathie pour leur mobilisation. Ils ne se reconnaissent pas dans les méthodes de lutte d’un mouvement soutenu par Marine Le Pen et par toute la droite. Ils ne se reconnaissent pas dans les violences aveugles des black blocks, les menaces de mort, la mentalité pogromiste, les agressions verbales xénophobes et homophobes de certains “gilets jaunes”.
La popularité de ce mouvement, y compris après les violences du “samedi noir”, est significative de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société. Mais, pour le moment, la grande majorité des prolétaires (ouvriers de l’industrie, des transports ou de la grande distribution, travailleurs de la santé ou de l’enseignement, petits fonctionnaires des administrations ou des services sociaux…) sont encore paralysés par la difficulté à retrouver leur identité de classe, c’est-à-dire la conscience qu’ils appartiennent à une même classe sociale subissant la même exploitation. La grande majorité en a assez des “journées d’action” stériles, des manifestations balades appelées par les syndicats et autres grèves “perlées”, comme celle des cheminots au printemps dernier. Tant que le prolétariat n’aura pas retrouvé le chemin de sa lutte et affirmé son indépendance de classe autonome, développé sa conscience, la société ne peut que continuer à s’enliser dans le chaos. Elle ne peut que continuer à pourrir dans le déchaînement bestial de la violence.
Le mouvement interclassiste des “gilets jaunes” a révélé au grand jour un danger qui guette aussi le prolétariat en France comme dans d’autres pays : la montée du populisme de l’extrême-droite. Ce mouvement des “gilets jaunes” ne peut que favoriser une nouvelle poussée électorale, notamment aux prochaines élections européennes, du parti de Marine Le Pen, principale et première supporter du mouvement. Cette avocate plaide la cause d’un “protectionnisme hexagonal” : il faut fermer les frontières aux marchandises étrangères et surtout aux “étrangers” à la peau sombre qui fuient la misère absolue et la barbarie guerrière dans leurs pays d’origine. Le parti de Marine Le Pen avait déjà annoncé que pour augmenter le pouvoir d’achat des français le gouvernement doit faire des “économies” sur l’immigration. Le parti du Rassemblement national va pouvoir trouver un autre argument pour refouler les migrants : notre “peuple” qui n’arrive pas à joindre les deux bouts “ne peut pas héberger toute la misère du monde” (comme l’avait dit le Premier ministre socialiste Michel Rocard, le 3 décembre 1989, à l’Émission “7 sur 7” animée par Anne Sinclair) !
Les agressions verbales xénophobes, la délation aux forces de police de migrants clandestins cachés dans un camion-citerne (car c’est encore avec nos impôts qu’on va payer pour ces “enculés”, dixit un “gilet jaune” !), la revendication de certains “gilets jaunes” de reconduire les migrants clandestins hors de “nos” frontières, ne doivent pas être banalisées ! L’empathie que tout le monde ressent pour ce mouvement social ne doit pas aveugler le prolétariat et ses éléments les plus lucides.
Pour pouvoir retrouver son identité de classe, et le chemin de sa propre perspective révolutionnaire, le prolétariat en France comme partout ailleurs ne doit pas fouler au pied (ou enfouir sous le drapeau tricolore) le vieux mot d’ordre “ringard” du mouvement ouvrier : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !”.
Dans l’atmosphère de violence et d’hystérie nationaliste qui a pollué le climat social en France, une petite lueur a pu néanmoins surgir après le “samedi noir”. Cette petite lueur, ce sont les étudiants pauvres, obligés de faire des petits boulots, qui l’ont allumée en mettant en avant, dans leurs mobilisations et assemblées générales, la revendication du retrait de l’augmentation des frais d’inscription pour leurs camarades étrangers n’appartenant pas à la communauté européenne. À la faculté de Paris Tolbiac on a pu lire sur une pancarte : “Solidarité avec les étrangers !”. Ce slogan, à contre-courant du raz de marée nationaliste des “gilets jaunes” montre au prolétariat la voie de l’avenir.
C’est grâce à leur “boite à idées” que les étudiants en lutte contre le Contrat première embauche du gouvernement de Dominique de Villepin, ont pu, en 2006 retrouver spontanément les méthodes du prolétariat. Ils se sont organisés pour ne pas être agressés par les petits “casseurs” des banlieues. Ils ont refusé de se laisser happer dans l’engrenage de la violence qui ne peut que renforcer l’ordre de la Terreur.
Face au danger du chaos social en plein cœur de l’Europe, aujourd’hui plus que jamais, l’avenir appartient à la lutte de classe des jeunes générations de prolétaires. C’est à ces nouvelles générations qu’il reviendra de reprendre le flambeau de la lutte historique de la classe exploitée, celle qui produit toutes les richesses de la société. Non seulement les richesses matérielles, mais aussi les richesses culturelles. Comme le disait Rosa Luxemburg, la lutte du prolétariat n’est pas seulement une question “de couteaux et de fourchettes” pour remplir les estomacs.
Les prolétaires en France ne sont plus des “sans culottes”. Ils doivent continuer à donner l’exemple à tous leurs frères et sœurs de classe des autres pays, comme leurs ancêtres l’avaient fait pendant les Journées de Juin 1848, pendant la Commune de Paris de 1871, ainsi qu’en Mai 1968. C’est le seul moyen de retrouver leur dignité, de continuer à marcher debout pour regarder loin, et non pas à quatre pattes comme les bêtes fauves qui veulent nous imposer la loi de la jungle.
Face au danger du chaos social provoqué par l’ “union sacrée” de tous les exploiteurs et casseurs:
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Marianne, 10 décembre 2018
1) Ouvrage dans lequel se trouve un chapitre intitulé : “Bourgeois et Prolétaires”.
Nous invitons nos lecteurs à participer à nos réunions publiques sur le thème :
« Mouvement des « gilets jaunes » : Pourquoi les prolétaires doivent défendre leur autonomie de classe ? ». Ces réunions publiques se tiendront au mois de janvier (les dates seront annoncées ultérieurement sur notre site).
Nous encourageons également nos lecteurs à nous adresser des courriers de prise de position et critiques de notre premier article d’analyse du mouvement des « gilets jaunes » ainsi que de notre tract réalisé à partir de cet article. Ces courriers de lecteurs seront publiés dans notre presse accompagnés de notre réponse. Bonne réflexion à tous !
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L’ampleur de la mobilisation des “gilets jaunes” témoigne de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment au sein de la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron.
Selon les données officielles de la bourgeoisie, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À la hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la généralisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, le prix inabordable du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir pour nos enfants. Les plus touchés par cette misère croissante, ce sont les travailleurs actifs, les précaires, les retraités qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois.
Les médias et le gouvernement ont mis en avant les destructions et les actes de violences sur les Champs-Élysées pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”, alors que ce sont, en réalité, les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs-Élysées.
Malgré la colère légitime de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement, en tant que tel, n’a aucune perspective et ne peut pas faire reculer les attaques du gouvernement et du patronat. Une partie de la classe ouvrière s’est, en fait, engagée à la remorque des petits patrons et des auto-entrepreneurs (chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers) en colère face à l’augmentation des taxes et du prix du carburant, avec des méthodes de lutte totalement inefficaces, menant dans des impasses (telle la pétition lancée par Priscillia Ludosky, le blocage et l’occupation des ronds-points préconisés par Éric Drouet). Ce n’est pas un hasard si, parmi les huit porte-paroles des “gilets jaunes” désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Mais, pire encore, ceux qui ont lancé le mouvement ont embarqué les ouvriers derrière l’idéologie bourgeoise du nationalisme et de la “citoyenneté”. Les travailleurs parmi les plus pauvres se sont mobilisés en tant que “citoyens” du “peuple de France”, “méprisés” et “pas entendus” par “ceux d’en haut” et non pas en tant que membres de la classe exploitée.
Le mouvement des “gilets jaunes” est à ce titre très clairement un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches intermédiaires et exploitées de la société, qui ne défendent pas les mêmes intérêts. Se retrouvent, ensemble, prolétaires (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, petits commerçants, agriculteurs asphyxiés par les taxes). Les ouvriers les plus pauvres se sont mobilisés contre leur misère croissante, contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi, tandis que les petits patrons protestent seulement contre l’augmentation du carburant et des taxes. Focalisée sur l’augmentation des taxes, la colère des petits bourgeois est uniquement motivée par le fait que le gouvernement les a laissés pour compte, Macron ayant favorisé la grande bourgeoisie avec, notamment, la suppression de l’impôt sur la fortune. Bon nombre de petits patrons ne sont pas intéressés par l’augmentation des salaires, en particulier du SMIC ! Les petits patrons utilisent ainsi la colère des ouvriers en gilets jaunes pour faire pression sur le gouvernement et obtenir gain de cause : la baisse des taxes qui asphyxient leur entreprise. C’est pour cela que Marine Le Pen, tout en soutenant de façon spectaculaire le mouvement depuis le début, a clairement affirmé sur les plateaux de télévision qu’elle était contre l’augmentation du SMIC pour ne pas pénaliser les PME !
Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège où la plupart des partis de l’appareil politique de la bourgeoisie se retrouvent bien sûr comme “supporters”. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez (et même Brigitte Bardot !), “tout le monde” est là pour soutenir ce mouvement interclassiste et son poison nationaliste. Les ouvriers doivent refuser l’union sacrée de toutes les cliques politiques “anti Macron” ; ces partis bourgeois manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections et défendre le capital national en appelant les prolétaires à se rallier derrière le drapeau tricolore de leurs exploiteurs ! Si tous ces partis utilisent les “gilets jaunes” pour affaiblir Macron, c’est qu’ils savent parfaitement que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.
Dans ce mouvement soi-disant “apolitique” et “non syndical”, les méthodes de lutte de la classe ouvrière sont totalement absentes. Il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour que les travailleurs puissent discuter et réfléchir ensemble aux actions à mener afin de développer et unifier la lutte contre la dégradation de leurs conditions de vie, discuter et réfléchir à des mots d’ordre unitaires et à l’avenir ! Pourtant, seules ces méthodes de lutte de la classe ouvrière peuvent freiner les attaques et faire reculer le gouvernement et le patronat !
La lutte des ouvriers n’est pas la lutte de “tous les pauvres” contre les “riches”. C’est la lutte d’une classe exploitée, qui vit de la vente de sa force de travail, contre la classe bourgeoise qui réalise ses bénéfices en exploitant la force de travail des prolétaires. C’est cette exploitation qui est à l’origine de l’appauvrissement croissant de la classe laborieuse !
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, indépendante des autres classes et couches sociales comme la petite bourgeoisie. Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte, ses propres mots d’ordre unitaires et, finalement, son propre projet révolutionnaire de transformation de la société.
En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés massivement en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien. Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte comme classe indépendante, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme. Au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “les prolétaires n’ont pas de patrie” comme l’affirme le mouvement ouvrier depuis ses origines au XIXe siècle. Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d'agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, les prolétaires veulent exprimer leur profonde colère mais ils ne savent pas comment lutter efficacement pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie et son gouvernement. Beaucoup d’ouvriers retraités ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats, comme ils l’avaient fait en Mai 1968. Les jeunes ouvriers n’ont pas encore assez d’expérience de la lutte de classe et ont encore des difficultés à déjouer les pièges des défenseurs du système capitaliste.
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats leur “inertie”, ils leur reprochent de ne pas “faire leur boulot”. C’est pour cela que la CGT, pour faire concurrence aux “gilets jaunes”, essaie de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre, le même jour que le troisième rassemblement des “gilets jaunes” sur les Champs-Élysées. Face à la méfiance envers les syndicats qui commence à resurgir dans la classe ouvrière, on peut être sûr que la CGT, et les autres syndicats, vont encore “faire leur boulot” (avec la complicité des trotskistes du NPA et de “Lutte Ouvrière”) : encadrer, éparpiller, diviser, saboter et épuiser la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané et unitaire des prolétaires sur leur terrain de classe.
N’oublions pas toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes, comme on l’a encore vu avec la longue “grève perlée” à la SNCF dirigée par les syndicats. N’oublions pas leurs multiples “journées d’actions” stériles et leurs manifestations ballades dans la dispersion et la division, comme la plate mobilisation contre la politique du gouvernement du 9 octobre dernier, suivie, la semaine suivante, par celle des retraités et, trois jours plus tard, par la grève dans l’Éducation nationale.
Le profond mécontentement de nombreux ouvriers envers les syndicats a été récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement des “gilets jaunes”, avec le soutien actif de tous les partis politiques bourgeois. Le message que tous les “supporters” hypocrites des ouvriers en “gilet jaune” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte de la classe ouvrière (grève, manifestations massives, assemblées générales souveraines avec des délégués élus et révocables à tout moment, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faudrait donc faire confiance maintenant aux petits patrons pour trouver d’autres méthodes de lutte prétendument radicales et rassembler “tout le monde”, tous les “citoyens”, tout le “peuple de France” contre le “dictateur” et “Président des riches”, Macron.
La classe ouvrière ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout ce joli monde, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher les ouvriers de se mobiliser massivement, de développer une lutte autonome, solidaire et unie contre les attaques de la bourgeoisie, derrière des mots d’ordre communs à tous : contre la “vie chère”, contre le chômage et la précarité, contre l’augmentation des cadences, contre la baisse des salaires et des pensions de retraite, etc.
Pour pouvoir développer sa lutte, construire un rapport de forces capable de freiner les attaques de la bourgeoisie et la faire reculer, la classe ouvrière ne doit compter que sur elle-même. Elle doit retrouver son identité de classe et ne pas se dissoudre dans le “peuple français”. Elle doit reprendre confiance en ses propres forces, en engageant la lutte, sur son propre terrain, au-delà de toutes les divisions corporatistes, sectorielles et nationales.
Pour préparer les luttes futures, tous les ouvriers combatifs qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper pour discuter ensemble, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier. Ils ne doivent pas laisser le terrain libre aux syndicats ni se laisser endormir par les chants de sirènes des mobilisations “citoyennes”, “populaires” (et populistes !) et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
Malgré toutes les difficultés du prolétariat, l’avenir appartient toujours à sa lutte de classe !
Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International en France
29 novembre 2018
Le 10 octobre dernier, deux chauffeurs routiers de Seine-et-Marne lancent sur Facebook un appel à manifester pour le 17 novembre intitulé : “Blocage national contre la hausse du carburant”. Rapidement, leur message est relayé sur tous les réseaux sociaux, rassemblant jusqu’à 200 000 personnes “intéressées”. Les initiatives et appels se multiplient. Sans syndicat ni parti politique, de façon spontanée, s’organise la programmation de toute une série d’actions, de rassemblements et de blocages. Résultat : le 17 novembre, selon le gouvernement, 287 710 personnes, réparties sur 2 034 points, paralysent carrefours routiers, ronds-points, autoroutes, péages, parkings de supermarchés… Ces chiffres officiels (et d’une précision admirable !), émanant du ministère de l’Intérieur, sont largement et volontairement sous-estimés. Les “gilets jaunes” estiment, quant à eux, qu’ils sont deux fois plus nombreux. Les jours suivants, certains blocages sont maintenus, d’autres se font plus ponctuels et aléatoires, mobilisant quelques milliers de personnes chaque jour. Une dizaine de raffineries Total sont perturbées, par une action simultanée de la CGT et des “gilets jaunes”. Une nouvelle grande journée d’action est lancée pour le 24 novembre, baptisée : “Acte 2 : toute la France à Paris”. L’objectif est de bloquer les lieux prestigieux et de pouvoir de la capitale : l’avenue des Champs-Élysées, la place de la Concorde, le Sénat et, surtout, l’Élysée. “Il faut mettre un coup de grâce et tous monter sur Paris par tous les moyens possibles (covoiturage, train, bus, etc.). Paris, parce que c’est ici que se trouve le gouvernement ! Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”, proclame ainsi Éric Drouet, le chauffeur routier de Melun, co-initiateur du mouvement et figure de proue de la mobilisation. Finalement, ce grand rassemblement unitaire n’aura pas lieu, de nombreux “gilets jaunes” préférant manifester sur le plan local, souvent à cause du coût des transports. Surtout, la mobilisation est en forte baisse. Seulement 8 000 manifestants à Paris, 106 301 dans toute la France et 1 600 actions. Même si ces chiffres émanant du gouvernement sous-estiment fortement la réalité de la mobilisation, la tendance est clairement à la décrue. Pourtant, dans le mouvement, nombreuses sont les voix affirmant être en train de remporter une victoire. Le plus important pour les “gilets jaunes”, ce sont ces images des Champs-Élysées “tenus, occupés durant toute une journée”, témoignant de “la force du peuple contre les puissants”.(1) Ainsi, le soir-même, est lancée, toujours via Facebook, l’appel à une troisième journée d’action, prévue pour le samedi 1er décembre : “Acte 3 : Macron démissionne !”, en mettant en avant deux revendications “La hausse du pouvoir d’achat et l’annulation des taxes sur le carburant”.
Tous les journalistes, les politiciens et autres “sociologues” mettent en avant la nature inédite du mouvement : spontané, hors de tout cadre syndical ou politique, protéiforme, organisé essentiellement via les réseaux sociaux, relativement massif, globalement discipliné, évitant généralement les destructions et les affrontements, etc. Ce mouvement est qualifié, à longueur de colonnes des journaux et de plateaux de télévision, “d’ovni sociologique”.
Initié par des chauffeurs routiers, ce mouvement mobilise, comme l’écrit son initiateur Éric Drouet, “camions, bus, taxis, VTC, agriculteurs”, mais pas seulement. De nombreux petits-entrepreneurs “écrasés par les taxes” sont également présents. Des ouvriers salariés, précaires, chômeurs ou retraités, endossent le “gilet jaune” et constituent le contingent le plus important. “Les “gilets jaunes”, c’est plutôt une France d’employés, de caissières de supermarchés, de techniciens, d’assistantes maternelles, qui entendent défendre le mode de vie qu’ils se sont choisi : vivre un peu à l’écart, au calme, avec des voisins qui leur ressemblent, dans un pavillon avec jardin et pour qui toucher à la voiture, en augmentant les taxes sur le gazole, c’est comme remettre en cause leur espace privé”, analyse Vincent Tiberi. Selon ce professeur de Sciences Po. Bordeaux, les “gilets jaunes” ne “représentent pas seulement la France périphérique, la France des oubliés. Ils incarnent davantage ce que le sociologue Olivier Schwartz appelle les petits moyens. Ils travaillent, paient des impôts et gagnent trop pour être aidés et pas assez pour bien vivre”.(2)
En réalité, l’ampleur de cette mobilisation témoigne avant tout de l’immense colère qui gronde dans les entrailles de la société, et notamment dans la classe ouvrière, face à la politique d’austérité du gouvernement Macron. Officiellement, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, le revenu annuel disponible des ménages (c’est-à-dire ce qui reste après impôts et cotisations) a été rogné de 440 euros en moyenne entre 2008 et 2016. Ce n’est là qu’une toute petite partie des attaques subies par la classe ouvrière. À cette hausse généralisée des taxes en tous genres, s’ajoutent la montée du chômage, la systématisation des emplois précaires, y compris dans la fonction publique, l’inflation touchant particulièrement les denrées de première nécessité, les prix inabordables du logement, etc. La paupérisation s’aggrave inexorablement et, avec elle, la peur de l’avenir. Mais, plus encore, ce qui nourrit cette immense colère selon les “gilets jaunes”, c’est “le sentiment d’être méprisés”.(3)
C’est ce sentiment dominant d’être “méprisés”, ignorés par les gouvernants, l’envie d’être entendus et reconnus par “ceux d’en haut”, pour reprendre la terminologie des “gilets jaunes”, qui explique les moyens d’action choisis : être vus en portant des gilets jaunes fluo, en bloquant les routes, en allant au Sénat ou à l’Élysée sous les fenêtres des grands bourgeois, en occupant “la plus belle avenue du Monde”.(4)
Les médias et le gouvernement mettent en avant les destructions et les violences pour faire croire que toute lutte contre la vie chère et la dégradation des conditions d’existence des exploités ne peut mener qu’au chaos et à l’anarchie avec des actes de violence aveugle et de vandalisme. Les médias aux ordres de la bourgeoisie, spécialistes des amalgames, veulent faire croire que les “gilets jaunes” sont des “extrémistes” qui veulent aussi “casser du flic”.(5) Ce sont les forces de répression qui, avant tout, agressent et provoquent ! À Paris, le 24 novembre, les tirs de grenades lacrymogènes ont été incessants, comme les charges des CRS sur des groupes d’hommes et de femmes marchant calmement sur les Champs Élysées. D’ailleurs, il y a eu très peu de vitrines brisées,(6) contrairement à la célébration de la Coupe du monde de football, au même endroit, quatre mois plus tôt. Même si certains “gilets jaunes” masqués étaient des excités qui veulent en découdre avec les forces de l’ordre (“black-blocks” ou nervis “d’ultra-droite”), la grande majorité ne veut pas casser ou détruire. Ils ne veulent pas être des “casseurs”, mais seulement des “citoyens” “respectés” et “entendus”. C’est pourquoi l’appel à “l’Acte 3” met en avant qu’il “faudra faire ça proprement. Aucune casse et 5 millions de Français dans la rue”. Et même : “Pour sécuriser nos prochains rendez-vous, nous proposons de mettre en place des “gilets rouges”, qui auront la responsabilité de sortir les casseurs de nos rangs. Il ne faut surtout pas se mettre la population à dos. Faisons attention à notre image, les amis”.
Le mouvement des “gilets jaunes” a, en revanche, un point commun, révélateur, avec la célébration de l’équipe de France de football championne du monde : la présence partout du drapeau tricolore et des drapeaux régionaux, de l’hymne national entonné régulièrement, de la fierté palpable d’être “le peuple français”. Un “peuple français” qui, uni, serait capable de faire ployer les puissants. La référence dans beaucoup de têtes est la Révolution française de 1789 ou même la Résistance de 1939-1945.(7)
Ce nationalisme exacerbé, cette référence au “peuple”, cette imploration adressée aux puissants, révèlent la nature réelle de ce mouvement. La très grande majorité des “gilets jaunes” sont des travailleurs actifs ou à la retraite et paupérisés, mais ils sont là en tant que citoyens du “peuple de France” et non pas en tant que membres de la classe ouvrière. Il s’agit très clairement d’un mouvement interclassiste où sont mélangées toutes les classes et couches non exploiteuses de la société. Se retrouvent ensemble ouvriers (travailleurs, chômeurs, précaires, retraités) et petit-bourgeois (artisans, professions libérales, petits entrepreneurs, agriculteurs et éleveurs). Une partie de la classe ouvrière s’est engagée à la remorque des initiateurs du mouvement (les petits patrons, chauffeurs de camions, taxis, ambulanciers). Malgré la colère légitime des “gilets jaunes”, parmi lesquels de nombreux prolétaires qui n’arrivent pas à “joindre les deux bouts”, ce mouvement n’est pas un mouvement de la classe ouvrière. C’est un mouvement qui a été lancé par des petits patrons en colère face à l’augmentation du prix du carburant. Comme en témoignent ces mots du chauffeur routier qui a initié le mouvement : “Nous attendons tout le monde, camion, bus, taxis, VTC, agriculteurs, etc. Tout le monde !”. “Tout le monde” et tout le “peuple français” derrière les camionneurs, chauffeurs de taxi, agriculteurs, etc. Les ouvriers se retrouvent là, dilués dans le “peuple”, atomisés, séparés les uns des autres comme autant d’individus-citoyens, mélangés avec les petits patrons (dont beaucoup font partie de l’électorat du Rassemblement national – ex-FN – de Marine Le Pen).
Le terrain pourri sur lequel un grand nombre de prolétaires, parmi les plus paupérisés, a été embarqué n’est pas celui de la classe ouvrière ! Dans ce mouvement “apolitique” et “anti-syndical”, il n’y a aucun appel à la grève et à son extension dans tous les secteurs ! Aucun appel à des assemblées générales souveraines dans les entreprises pour discuter et réfléchir ensemble des actions à mener pour développer et unifier la lutte contre les attaques du gouvernement ! Ce mouvement de révolte “citoyenne” est un piège pour noyer la classe ouvrière dans le “peuple de France” où toutes les cliques bourgeoises se retrouvent comme “supporters” du mouvement. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot, en passant par Mélenchon et Laurent Wauquiez, “tout le monde” est là, de l’extrême droite à l’extrême gauche du capital, pour soutenir ce mouvement interclassiste, avec son poison nationaliste.
C’est en effet la nature interclassiste du mouvement des “gilets jaunes” qui explique pourquoi Marine Le Pen salue un “mouvement légitime” du “peuple français” ; pourquoi Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, soutient ce mouvement : “Il faut bloquer toute la France (…), il faut que la population française dise à ce gouvernement : maintenant ça suffit !” ; pourquoi Laurent Wauquiez, président de Les Républicains qualifie les “gilets jaunes” de “personnes dignes, déterminées, et qui demandent juste qu’on entende les difficultés de la France qui travaille” ; pourquoi le député Jean Lassalle, à la tête de Résistons, est l’une des figures du mouvement et arbore son gilet jaune à l’Assemblée nationale comme dans la rue. La droite et l’extrême-droite reconnaissent clairement dans les “gilets jaunes” un mouvement qui ne met nullement en péril le système capitaliste. Elles y voient surtout un moyen très efficace d’affaiblir leur principal concurrent pour les prochaines élections, la clique de Macron, dont l’autorité et la capacité à gérer la paix sociale sont grandement mises à mal.
Quant à la gauche et l’extrême-gauche, elles dénoncent la récupération de la droite et de l’extrême droite, rejettent les “fachos qui polluent le mouvement”, et soutiennent, elles aussi, plus ou moins ouvertement, le mouvement. Après s’être montré frileux, Jean-Luc Mélenchon, à la tête de La France insoumise, y va maintenant de toute sa gouaille en saluant “Le mouvement révolutionnaire en jaune”, mouvement “populaire” et de “masse”. Il faut dire qu’il est là comme un poisson dans l’eau, lui et sa “FRANCE insoumise”, ses drapeaux bleu-blanc-rouge, son écharpe tricolore sortie à chaque occasion, et sa volonté de “fédérer le peuple contre l’oligarchie” par les urnes.
Le soutien de tous les bords de l’échiquier politique bourgeois,(8) et surtout de la droite et de l’extrême-droite, montre que le mouvement des “gilets jaunes” n’est pas de nature prolétarienne et n’a rien à voir avec la lutte de classe ! Si tous ces partis de l’appareil politique de la bourgeoisie utilisent les “gilets jaunes” afin d’affaiblir Macron, espérant en cueillir les fruits électoraux, ils savent que ce mouvement ne renforce en rien la lutte du prolétariat contre son exploitation et son oppression.(9)
Dans ce type de mouvement interclassiste, le prolétariat n’a rien à gagner car c’est toujours la petite-bourgeoisie qui donne sa couleur au mouvement (le jaune est d’ailleurs la couleur des briseurs de grève !). D’ailleurs, parmi les huit porte-paroles qui ont été désignés le 26 novembre, on compte une écrasante majorité de petits patrons ou d’auto-entrepreneurs.
Ainsi, ce sont les objectifs de la petite-bourgeoisie, ses mots d’ordre, ses méthodes de lutte qui s’imposent à tous. En apparence, cette couche sociale affiche une très grande radicalité. Parce qu’elle est écrasée, déclassée par le Capital, sa colère peut exploser violemment, en dénonçant l’injustice et même la barbarie de la grande bourgeoisie et de son État. Mais au fond, ce à quoi elle aspire c’est de pouvoir être “reconnue”, et ne pas être “méprisée” par les élites d’“en haut”, ou mieux, pour certains de ses membres, elle rêve de s’élever vers les couches supérieures de la bourgeoisie, et pour cela il faut que leur affaire puisse être florissante. Voilà ce qui explique ses revendications à travers le mouvement des “gilets jaunes” : un gazole moins cher et moins de taxes pour que leurs entreprises fonctionnent et se développent, des actions de blocage des routes tout de jaune vêtue pour être vue et honorée, une focalisation sur la personne de Macron (“Macron démissionne !”) symbolisant l’envie d’être Calife à la place du Calife, et une occupation de “la plus belle avenue du monde”, véritable vitrine du luxe capitaliste.
Ce mouvement des “gilets jaunes”, est aussi infiltré, même si ce n’est pas massivement, par l’idéologie du populisme. Un mouvement “inédit”, “protéiforme”, qui se dit contre les partis politiques, dénonçant l’inertie des syndicats et… soutenu depuis le début par Marine Le Pen ! Ce n’est pas un malheureux hasard, ou le fruit d’un petit groupe d’individus à contre-courant du mouvement, si, le 20 novembre, des “gilets jaunes”, en découvrant des migrants cachés dans un camion-citerne, les ont dénoncés à la gendarmerie. Certains manifestants ont voulu sauver ces migrants qui risquaient leur peau ainsi enfermés ; mais d’autres les ont sciemment “balancés”. Les propos tenus par certains “gilets jaunes” lors de l’arrestation filmée et diffusée donnent la nausée : “T’as le sourire enculé !”, “Quelle bande d’enculés !”, “Ça va encore être pris sur nos impôts !”, etc.
L’ampleur de ce mouvement interclassiste s’explique par la difficulté de la classe ouvrière à exprimer sa combativité du fait de toutes les manœuvres syndicales de sabotage des luttes (comme on l’a encore vu récemment avec la longue “grève perlée” à la SNCF).. C’est pour cela que le mécontentement contre les syndicats qui existe au sein de la classe ouvrière est récupéré par ceux qui ont lancé le mouvement. Ce que beaucoup de supporters du mouvement des “gilets jaunes” veulent faire passer, c’est que les méthodes de lutte des salariés (grève, assemblées générales souveraines et manifestations massives, comités de grève…) ne mènent à rien. Il faut donc faire confiance maintenant aux petits patrons (qui protestent contre les taxes et l’augmentation des impôts) pour trouver d’autres méthodes de lutte contre “la vie chère” et rassembler tout le “peuple de France” !
Beaucoup d’ouvriers en “gilets jaunes” reprochent aux syndicats de ne pas “faire leur boulot”. Maintenant on voit la CGT essayer de rattraper le coup en appelant à une nouvelle “journée d’action” pour le 1er décembre. On peut être sûr que la CGT et les autres syndicats vont encore “faire leur boulot” d’encadrement de la combativité ouvrière pour empêcher tout mouvement spontané sur un terrain de classe.
De nombreux ouvriers se sont mobilisés contre la pauvreté, les attaques économiques incessantes, le chômage, la précarité de l’emploi… Mais en rejoignant les “gilets jaunes”, ces ouvriers se sont momentanément égarés, ils se sont mis à la remorque d’un mouvement menant dans une impasse.
La classe ouvrière doit défendre ses conditions de vie sur son propre terrain, en tant que classe autonome, contre l’union sacrée de tous les “anti-Macron” qui manipulent la colère des “gilets jaunes” pour rafler le maximum de voix aux élections ! Elle ne doit pas déléguer et confier sa lutte ni à des couches sociales réactionnaires, ni aux partis qui prétendent la soutenir, ni aux syndicats qui sont ses faux amis. Tout “ce joli monde”, chacun avec son credo, occupe et quadrille le terrain social pour empêcher la lutte de classe autonome des prolétaires de s’affirmer.
Quand la classe ouvrière s’affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une partie de plus en plus large de la société, derrière ses propres méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires, et finalement son propre projet révolutionnaire de transformation de la société. En 1980, en Pologne, un immense mouvement de masse était parti des chantiers navals de Gdansk suite à l’augmentation des prix des denrées de première nécessité. Pour affronter le gouvernement et le faire reculer, les ouvriers s’étaient regroupés, ils s’étaient organisés en tant que classe face à la bourgeoisie “rouge” et son État stalinien.(10) Les autres couches de la population avaient largement rejoint cette lutte massive de la classe exploitée.
Quand le prolétariat développe sa lutte, ce sont les assemblées générales massives, souveraines et ouvertes à “tout le monde” qui sont au cœur du mouvement, des lieux où les prolétaires peuvent ensemble s’organiser, réfléchir aux mots d’ordre unitaires, à l’avenir. Il n’y a alors pas de place pour le nationalisme mais, au contraire, les cœurs vibrent pour la solidarité internationale car “Les prolétaires n’ont pas de patrie”.(11) Les ouvriers doivent donc refuser de chanter la Marseillaise et d’agiter le drapeau tricolore, le drapeau des versaillais qui ont assassiné 30 000 prolétaires lors de la Commune de Paris en 1871 !
Aujourd’hui, la classe exploitée a une difficulté à se reconnaître comme classe, et comme seule force de la société capable de développer un rapport de force en sa faveur face à la bourgeoisie. La classe ouvrière est la seule classe de la société capable d’offrir un avenir à l’humanité, en développant ses luttes, sur son propre terrain, au-delà de toutes divisons corporatiste, sectorielle et nationale. Aujourd’hui, les prolétaires bouillent de colère mais ils ne savent pas comment lutter pour défendre leurs conditions d’existence face aux attaques croissantes de la bourgeoisie. Ils ont oublié leurs propres expériences de lutte, leur capacité à s’unir et s’organiser sans attendre les consignes des syndicats.
Malgré la difficulté du prolétariat à retrouver son identité de classe, l’avenir appartient toujours à la lutte de classe. Tous ceux qui ont conscience de la nécessité de la lutte prolétarienne doivent essayer de se regrouper, discuter, tirer les leçons des derniers mouvements sociaux, se repencher sur l’histoire du mouvement ouvrier et ne pas céder aux sirènes, en apparence radicales, des mobilisations “citoyennes”, “populaires” et interclassistes de la petite-bourgeoisie !
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes et couches de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe” (Plateforme du CCI)12
Révolution Internationale, Organe de presse du CCI en France, 25 novembre 2018
1Témoignage recueillis par les militants du CCI sur les Champs-Élysées.
2“Les gilets jaunes, un mouvement inédit dans l’histoire française”, Le Parisien (24 novembre 2018).
3Cette idée est omniprésente sur les réseaux sociaux.
4Titre décerné aux Champs-Élysées.
5Il faut souligner que ce n’est, en général, pas de façon directe qu’un tel message est passé mais de façon “subliminale” : sur BFM-TV, par exemple, pendant que les journalistes et “spécialistes” insistent sur le fait qu’il faut distinguer les “vrais gilets jaunes” des “casseurs”, on passe en boucle les images des dégradations sur les Champs Élysées.
6Les détériorations sont surtout liées à la construction de barricades de fortune à partir du mobilier urbain et aux projectiles tirés par la police.
7Sur les Champs-Élysées, on a pu même entendre un “gilet jaune” affirmer qu’il “faut faire avec Macron comme la Résistance avec les Boches, le harceler tous les jours jusqu’à son départ”.
8Y compris le NPA et LO.
9Seul le monde syndical a fortement critiqué les “gilets jaunes”, tout comme les “gilets jaunes” rejettent pour une très grande partie toute emprise syndicale.
10Voir notre article dans la Revue Internationale n° 27, “Notes sur la grève de masse [658]”.
11L’un des principaux slogans des Indignés en 2011 était ainsi “De la place Tahrir à la Puerta del sol”, soulignant ainsi le sentiment des manifestants en Espagne d’être liés à ceux qui se mobilisaient quelques semaines auparavant dans les pays arabes, au péril de leur vie.
12Plateforme du CCI : https://fr.internationalism.org/plateforme-cci [659]
Le CCI tient à adresser ses plus sincères remerciements à toutes les personnes, sympathisants, compagnons de route du CCI et ami(e)s de notre camarade Elisabeth qui ont participé physiquement ou en pensée à la cérémonie politique que nous avons organisée le samedi 12 janvier en hommage à notre camarade. Nous avons reçu de nombreux courriers très chaleureux et émouvants qui ont été lus lors de cette réunion. Nous adressons un remerciement particulier aux membres de la famille d’Elisabeth qui étaient présents à cet hommage politique. De même, nous tenons à remercier les camarades brésiliens ayant été militants du groupe OPOP qui nous ont adressé un courrier ainsi que les camarades du courant « bordiguiste » (ex-militants du Parti Communiste International - Le Prolétaire) qui ont publié, jusqu’au milieu des années 1990, avec d’autres camarades du même courant, la revue Les cahiers du marxisme vivant. Par leur présence à cette cérémonie, et dans la tradition du mouvement ouvrier, ces camarades appartenant au camp prolétarien ont pu témoigner leur solidarité au CCI au-delà de leurs divergences politiques avec notre organisation. Comme l’a exprimé, au cours de cet hommage, deux camarades, ex-militants du PCI :
« Moi, personnellement, je n’étais pas d’accord avec les idées politiques de la camarade défunte, mais chaque fois que quelqu’un qui a la sincérité de son engagement pour le communisme disparaît, je considère que c’est une goutte du sang prolétarien qui se perd. Voilà».
« J’ai, avec Élisabeth et son groupe, des divergences politiques. Je pense que c’est important de le dire.(…) Sans m’en apercevoir, au cours des rares moments où on était ensemble, souvent ici d’ailleurs, dans des réunions, on parle de politique et pas beaucoup de relations personnelles. C’est très rare. (…) Il a fallu cet instant (d’hommage) pour que je comprenne que je l’aimais bien, et que j’avais du respect, un lien amical au-dessus de nos divergences politiques. »
La classe dirigeante est dans le pétrin à propos du Brexit. Deux mois et demi avant l’échéance du 29 mars, le vote sur l’accord de retrait s’est soldé par un refus significatif avec un record de 230 voix contre. Le Parlement n’est pas le seul à être divisé sur la question : les partis travailliste comme conservateur le sont également. Tandis que le Parlement se bat pour exercer plus fortement son pouvoir sur le gouvernement (par exemple, le Président Berkow a autorisé le dépôt d’un amendement priant le Premier ministre de revenir au Parlement trois jours après avoir perdu le vote, muni d’un plan alternatif, alors que ce n’est pas conforme à la législation), Jacob Rees-Mogg, lui, a proposé que le Parlement soit suspendu. Deux mois avant l’échéance du Brexit, les entreprises se plaignent de l’incertitude sur ce qui risque de se passer, en particulier au cas où le pays sortirait de l’UE sans accord. Comment une telle situation a-t-elle pu frapper une bourgeoisie stable jusqu’ici, réputée pour le contrôle de son appareil politique ? Pour The Economist, “la crise dans laquelle se trouve la Grande-Bretagne reflète en grande partie les problèmes et les contradictions inhérents à l’idée même de Brexit” (19 janvier 2019). Mais cela n’explique guère pourquoi elle s’est exposée à ces problèmes et à ces contradictions, pourquoi le gouvernement Cameron, qui, malgré les divisions au sein du Parti conservateur, était fermement favorable au maintien dans l’UE, devait organiser un référendum pour ou contre, les deux partis étant d’accord pour accepter le résultat quel qu’il ait été. Quelque chose a changé lorsque le gouvernement de John Major1 a été confronté aux “bâtards” eurosceptiques qui ont rendu les liens avec l’UE plus compliqués, mais n’avaient jamais pu changer fondamentalement la politique de maintien dans l’UE. Depuis, nous avons assisté à la montée en puissance du populisme de droite à l’échelle internationale, avec son idéologie ultra-nationaliste, anti-immigration et “anti-élites”. Ce sont des thèmes clairement bourgeois, utilisés par les gouvernements de gauche comme de droite (rappelons la campagne du gouvernement Blair contre les “faux” demandeurs d’asile et l’infâme déclaration d’un “environnement hostile” face à l’immigration illégale par le gouvernement May). Mais les forces populistes sont irrationnelles et perturbatrices, comme nous l’avons vu en Italie avec l’actuel gouvernement populiste, aux États-Unis avec la présidence Trump et avec le Brexit. En France, le populisme a fortement influencé le mouvement des “gilets jaunes”. Le populisme a pris en Grande-Bretagne la forme majeure du Brexit et de l’UKIP2 et a trouvé un écho substantiel aussi bien dans le parti travailliste que dans le parti conservateur à cause des divisions apparues avec le déclin du Royaume-Uni, rétrogradé du statut de principale puissance impérialiste mondiale à celui de “second couteau” au cours des cent dernières années (voir le “Rapport sur la situation en Grande Bretagne, World Revolution, janvier 2019). Si la classe dirigeante se dirige vers le Scylla du Brexit, c’est avant tout pour éviter le Charybde du populisme.
Chaque parti peut critiquer l’accord de retrait de May. Les brexiters n’apprécient pas que les réglementations britanniques soient alignées sur celles de l’UE, pour éviter une frontière irlandaise trop imperméable (certains se satisferaient d’une absence d’accord). Corbyn veut faire l’impossible en maintenant une union douanière avec l’UE tout en évitant la libre circulation des travailleurs ; certains pro-Européens souhaitent un nouveau “vote populaire” dans l’espoir d’abandonner le Brexit. Yvette Cooper demande un délai afin que le gouvernement et le parlement trouvent un accord. Quelques brexiters “durs”, tels que Rees-Mogg, se sont exprimés pour défendre la possibilité d’un nouvel accord. Mais, au cas où l’accord ne serait pas réalisé, la décision finale reviendrait, non pas à la Grande-Bretagne mais aux 27 pays de l’UE.
L’incertitude règne au sein de la bourgeoisie. Les entreprises ont besoin de stabilité pour pouvoir se projeter. Les responsables du département de la santé, le NHS, se concertent sur la gestion de l’approvisionnement en médicaments. La Confédération britannique de l’industrie met en garde contre un no deal, qui entraînerait une perte de 8 % du PIB, et la directrice générale, Carolyn Fairbairn, a déclaré : “Lors des réunions à Davos, on a reconnu que les causes de la vulnérabilité de l’économie mondiale incluent désormais le Brexit” (The Guardian, 24 janvier 2019). Elle a poursuivi en soulignant que cela conduisait à une dévalorisation du label “Royaume Uni” sur le marché mondial et a souligné la nécessité de ne pas sortir de l’UE sans accord afin de protéger les emplois et les investissements. Les entreprises, y compris le NHS, ont en effet besoin d’une politique d’immigration post-Brexit pour assurer l’entrée dans le pays de travailleurs de l’UE acceptant des salaires inférieurs à 30 000 £.
L’insistance de l’UE pour garder ouverte la frontière irlandaise, ce qui cause beaucoup de tourments aux brexiters qui ne veulent pas s’aligner sur les réglementations européennes, est un des piliers de l’Accord du Vendredi Saint.(3) Étant donné que le partage du pouvoir est en panne depuis des mois, que le DUP4 et le Sinn Fein n’arrivent pas à se mettre d’accord, la frontière est la seule chose qui reste acquise. Comme pour rappeler à tout le monde ce qui est en jeu, la nouvelle IRA a fait exploser une voiture piégée devant un tribunal de Derry le 19 janvier 2019.
Le problème du Brexit est en train de creuser les divisions au sein des partis conservateur et travailliste. L’aile dure des brexiters est plus visible chez les conservateurs. Cependant, il ne faut pas oublier qu’en 2016, un vote de défiance envers Jeremy Corbyn a été organisé par le groupe parlementaire du Parti travailliste à cause de son attachement à l’Europe. Il a été largement blâmé pour le résultat du référendum. Les divisions au sein du Parti travailliste ont même menacé son unité en 2016 et les élections de 2017 ont réconcilié provisoirement le Parti travailliste progressiste (PLP) avec Jeremy Corbyn. Les difficultés du Parti travailliste ne sont pas surprenantes quand on regarde ce qui se passe en Europe : les partis socialistes en France et en Espagne ont été largement éclipsés respectivement par La France Insoumise et Podemos ; on a vu également en Allemagne la mauvaise performance du SPD après des années de grande coalition autour d’Angela Merkel.
Une des raisons pour lesquelles Theresa May a persisté à refuser d’organiser un deuxième référendum, malgré l’impasse dans lequel se trouve l’accord de sortie de l’UE, l’affaiblissement de l’économie britannique, comme de sa place dans le monde et la probabilité d’un revirement d’opinion est essentiellement la peur que cela n’entraîne une méfiance envers la démocratie et que cela n’ouvre la porte à une agitation sociale influencée par le populisme.
Alors que le gouvernement craint plus que tout le populisme, il est “l’organe exécutif” d’une classe capitaliste qui n’oublie jamais la menace que représente la classe ouvrière. On l’a bien vu quand le parti travailliste s’est temporairement réconcilié avec Jeremy Corbyn, suite au résultat meilleur que prévu des élections, qui avait montré sa capacité à mobiliser un nombre non négligeable de jeunes ouvriers jusque-là indifférents à la politique. On le voit aussi quand Theresa May, après avoir perdu le vote concernant l’accord sur le Brexit, a essayé de rencontrer toutes les personnalités politiques importantes pour discuter des prochaines étapes, notamment la secrétaire générale du Trades Union Congress, Frances O’Grady et les dirigeants de UNITE, GMB et UNISON. Non pas que les syndicats parlent pour la classe ouvrière (ils ne le font pas). Ils jouent pleinement leur rôle, celui de comprendre l’état d’esprit des travailleurs, jauger jusqu’où ils peuvent supporter l’austérité et les licenciements avant de réagir et cantonner les luttes dans des limites acceptables. Le fait que les syndicats aient été consultés et que May ait eu tant à cœur de préserver les droits des ouvriers montre que la bourgeoisie n’oublie pas le fossé existant entre les deux classes, malgré son souci immédiat du populisme.
Ce serait une grave erreur, cependant, de croire que le désarroi de la classe dominante face au populisme soit un atout pour la classe ouvrière. Actuellement, le nombre de grèves est historiquement au plus bas et la classe ouvrière a même du mal à se reconnaître en tant que classe. Elle risque de se faire avoir et de tomber dans le piège de la division selon les lignes des différentes idéologies mises en avant par la classe dominante. Aucune de ces idéologies, favorables ou non au Brexit, pour un nouveau référendum ou le vote du Parlement, n’a quelque chose à offrir à la classe ouvrière. Quelle que soit l’issue du Brexit, la crise économique continuera à s’approfondir et toutes les fractions de la bourgeoisie seront obligées de réagir avec des mesures d’austérité et de nouvelles attaques. Le résultat d’un nouveau référendum sera à coup sûr rendu responsable de cet état de fait, même si des attaques similaires ont lieu dans d’autres pays à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE.
Afin de résister aux attaques, les ouvriers doivent s’unir et lutter ensemble. Le capital ne peut que nous diviser : les tenants du “non” contre les tenants du “oui”, “classe ouvrière blanche” au Nord contre “classe ouvrière cosmopolite” à Londres ; les vieux contre les jeunes qui doivent vivre avec les conséquences du vote, les “natifs” contre les “migrants”.
N’oublions pas que le camp travailliste comme celui des conservateurs sont tous les deux favorables à l’alignement de la politique d’immigration sur les besoins du capital, tous les deux sont également capables de rejeter la responsabilité du manque d’écoles et de services de santé sur les “nouveaux arrivants” après les avoir surexploités pendant des décennies. Avant tout, nous ne devons pas nous laisser embarquer dans les campagnes pour ou contre le populisme.
Le nationalisme ouvert et la volonté évidente de diviser les travailleurs entre “natifs” et “migrants” montrent le danger de se faire happer par le populisme (voir l’affiche de l’UKIP montrant des migrants en Europe afin de faire peur aux gens et de les inciter à voter “non”). Au niveau international, on peut voir la même chose en Allemagne avec l’AfD, aux États-Unis avec Trump et ses “bad hombres”, et en Italie avec le refus d’accueillir les migrants. On voit les mêmes thèmes en France avec les manifestations des “gilets jaunes” qui ont commencé une “révolte populaire” qui sape, en réalité, la capacité des ouvriers à lutter. L’explosion de colère légitime des “gilets jaunes” contre leurs conditions de vie misérables a été noyée dans un conglomérat interclassiste de soi-disant citoyens individuels et libres. Le rejet des “élites” et de la politique en général les rend particulièrement perméables aux idéologies les plus réactionnaires, notamment la xénophobie d’extrême-droite.
La division que nous impose le populisme n’implique pas que nous devrions tomber dans l’anti-populisme, avec ses illusions sur la démocratie libérale, ou nous rallier au Parti travailliste qui a aussi attaqué la classe ouvrière chaque fois qu’il était au gouvernement (même le gouvernement Atlee avec sa création du service de santé, le NHS) et restreint l’immigration quand le capital n’avait pas besoin de main-d’œuvre supplémentaire. Nous ne devons pas nous laisser aller à soutenir un mensonge idéologique de l’État capitaliste contre un autre. Avant tout, nous devons éviter de fustiger la partie de la classe ouvrière sur laquelle pèse fortement le poids du populisme ; nous devons nous rappeler que, que l’on soit victime du chômage dans une zone industrielle délabrée, embauché à zéro heure de travail par jour dans une des nouvelles entreprises Internet, coincé par les dettes en tant qu’étudiant ou obligé de vivre avec une pension de retraite en baisse, etc., nous faisons tous partie de la même classe. L’État capitaliste et toutes ses forces politiques sont notre ennemi.
Alex, (26 janvier 2019)
D’après World Revolution, organe du CCI en Grande-Bretagne
1Premier ministre entre 1990 et 1997 (NdT).
2Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni, fondé en 1993 et rassemblant dès cette époque les franges les plus hostiles à l’Union Européenne qui a connu un succès historique devant les partis « traditionnels » aux élections européennes de 2014 avec 27, 49 % de voix et 27 députés sur 73 (NdT).
3L’Accord du Vendredi saint, (ou accord de Belfast) signé en 1998, avait mis fin à trente années de conflits sanglants en Irlande du Nord (NdT).
4Democratic Unionist Party : fraction protestante traditionnellement « dure » en Irlande du Nord qui, depuis plus d’une décennie, cogère et prône, au sein d’une alliance avec les Tories, le maintien de l’Ulster dans le Royaume-Uni (NdT).
Avant d’apparaître sous forme d’album, les aventures de Tintin, créées par Hergé, étaient publiées dans la presse catholique belge. C’est ainsi que le célèbre reporter à la houppette fit ses débuts, le 10 janvier 1929, dans le supplément jeunesse du journal ultraconservateur : Le Vingtième Siècle, dirigé par un curé antisémite et admirateur de Mussolini, Norbert Wallez.
Armé d’un pamphlet “anticommuniste” (Moscou sans voiles), en guise de guide touristique, Hergé, dans son premier album Tintin au pays des soviets, choisit d’envoyer son jeune reporter affronter d’innombrables dangers dans ce territoire hostile qu’était la Russie stalinienne. C’est sans doute le contexte de la très pieuse Belgique du début du XXe siècle, et son entourage de bigots peu fréquentables, qui firent naïvement confondre au jeune reporter la barbarie de l’État stalinien et les authentiques révolutionnaires bolcheviks de 1917.
Sans cesse pourchassé par la police secrète de Staline, Tintin crut ainsi identifier derrière chacune de ces brutes, un communiste. Un indice aurait pourtant pu mettre le vaillant reporter sur la bonne piste : les barbouzes sanguinaires étaient déjà une spécificité de tous les États capitalistes, y compris de la démocratique Belgique. Alors que la contre-révolution triomphait après la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-1923, les véritables communistes, eux, furent inlassablement pourchassés. Ce fut le cas, entre autres, de Léon Trotsky, stigmatisé comme persona non grata dans la Russie stalinienne avant d’être sauvagement assassiné par un agent de la Guépéou.
Les mêmes préjugés semèrent le trouble dans l’esprit de Tintin lorsqu’il assista à un simulacre de soviet où trois apparatchiks se firent réélire “à l’unanimité” en terrifiant la foule. Tintin crut, là encore, assister à un véritable conseil ouvrier. Dans Dix jours qui ébranlèrent le monde, un autre reporter plus lucide, John Reed, a pourtant donné une image saisissante de ce qu’étaient réellement les soviets : des organes révolutionnaires débordant de vie, de débat et d’audace !
Le pauvre Tintin crut encore découvrir par hasard “la cachette où Lénine, Trotsky et Staline ont amassé les trésors volés au peuple”. Dans cette base secrète, Staline entassait, semble-t-il, “d’immense quantités de blé” à exporter “pour attester de la soi-disant richesse du paradis soviétique”. Rien à voir, donc, avec la solidarité et le dévouement des prolétaires en Russie qui, pour soutenir la révolution en Allemagne en 1918 et leurs frères de classe, acheminèrent par train d’énormes quantités de blé vers la frontière. Cela, alors qu’ils étaient soumis de fait à un blocus des armées blanches et de l’Entente qui générait déjà de nombreuses privations.
Dans ses aventures russes, nul doute que Tintin s’est fourvoyé par naïveté, victime de la propagande anticommuniste de la bourgeoisie qui n’a cessé d’identifier Staline à Lénine. Mais Hergé a été néanmoins capable de jeter sur son travail un regard critique. Voici ce qu’il déclarait en 1971 : “Pour “Tintin au Congo”, tout comme pour “Tintin au pays des soviets”, j’étais nourri des préjugés du milieu bourgeois dans lequel je vivais.” Et d’ajouter : “Si j’avais à les refaire, je les referais tout autrement, c’est sûr.” (1) Ce jugement fut probablement l’une des raisons qui poussa Hergé à ne pas coloriser cette première aventure de Tintin et à empêcher toute republication.
C’était sans compter les “conseillers en communication”, les “responsables du marketing”, tous ces moussaillons, ces bachi-bouzouks et ces bougres d’ostrogoths qui s’occupent de l’image de Tintin depuis sa mise au placard en 1983 ! Contre la volonté d’Hergé qui voulait que Tintin au pays des soviets reste en dehors de la véritable série, Casterman réédite l’album pour les 70 ans du reporter.
Mais c’est en 2017, à l’occasion du centenaire de la Révolution russe, que l’éditeur belge décide de contribuer davantage à la campagne assimilant le stalinisme au communisme : l’album est imprimé en couleur. Le reportage de Tintin se prête évidemment à une telle propagande. Mais le silence de Casterman face à la critique qu’Hergé lui-même avait faite de son premier album, relève de la pure malhonnêteté. Si Tintin était encore en activité, nul doute qu’il dénoncerait fermement de tels agissements !
SC, 27 janvier 2019.
1Numa Sadoul, Entretiens avec Hergé (1971).
Crise économique, spectre d'une répression aggravée, approfondissement de la misère, envolée de l'insécurité, attaques anti-ouvrières profondes en prévision, menaces de guerre, risques de chaos liés à la personnalité même du nouveau président, Bolsonaro, qui a pris ses fonctions le 1e janvier 2019. Au-delà de la personne de Bolsonaro qui symbolise à lui seul ce que l'époque que nous vivons peut produire de plus sinistre et répugnant, il est une loi dont on peut être sûr qu'elle va encore être vérifiée : quelle que soit l'étiquette politique du nouveau président et de ses ministres, quelle que soit sa personnalité, celui-ci ne manquera pas de faire payer aux exploités, plus encore que ses prédécesseurs, la crise du capitalisme qui ne fait que s'approfondir.
Face à tous ces périls, seule la classe ouvrière, à travers ses luttes de résistance est à même de s'opposer à la logique de mort du capitalisme et d'ouvrir une autre perspective. Tout en partageant les difficultés du prolétariat mondial à se reconnaître comme classe aux intérêts antagoniques à ceux du capitalisme, c'est en s'appuyant sur des expériences de lutte d'un passé parfois récent que le prolétariat devra riposter à des attaques qui s'annoncent drastiques, et ce, dans le contexte social très difficile d'une société en décomposition[1]. Mais plus la conscience du prolétariat sera libérée de toutes les tromperies et mystifications de la classe bourgeoise, de droite comme de gauche, plus son combat pourra se renforcer, et plus il lui sera possible, dans le futur, de réaffirmer explicitement le but de ce combat, l'instauration d'une autre société sans classes ni exploitation.
La délinquance et la criminalité sont évidemment fondamentalement la conséquence de la misère économique et morale de la société, produit du pourrissement sur pied de la société capitaliste. Ses niveaux actuels rendent la vie quotidienne invivable dans certains pays d'Amérique latine comme le Honduras et le Venezuela ; ils y constituent souvent la première cause d'émigration massive et sauvage. La situation s'est gravement détériorée sur ce plan au Brésil ces dernières années, propulsant le pays, et certaines de ses villes en particulier, très haut dans le classement mondial de la criminalité. Les statistiques ci-dessous donnent une idée concrète de l'enfer quotidien auquel sont exposées les parties de la population les plus défavorisées.
"Le Brésil est l'une des capitales mondiales de l'homicide, avec 60 000 homicides par an sur une population de près de 208 millions d'habitants. Chaque année, 10 % des personnes tuées dans le monde sont des Brésiliens. Près de 50 millions de Brésiliens âgés de 16 ans ou plus - soit près d'un tiers de la population adulte - connaissent quelqu'un qui a été assassiné, selon une recherche menée pour "Instinto de Vida" (Instinct de vie) (…). Près de 5 millions de personnes ont été blessées par des armes à feu et environ 15 millions connaissent quelqu'un qui a été tué par la police, l'une des forces les plus meurtrières du monde." (Brazil’s biggest problem isn’t corruption — it’s murder [662] ; Le plus grand problème du Brésil n'est pas la corruption, c'est le crime)
"Selon une autre étude, le taux d'homicides en 2017 est de 32,4 pour 100 000, avec 64 357 homicides. En 2016, le Brésil a enregistré un nombre record de 61 819 meurtres, soit 198 meurtres par jour en moyenne, soit un taux d'homicides de 29,9 pour 100 000 habitants. Sept des vingt villes les plus violentes du monde sont au Brésil en raison de l'augmentation de la violence dans les rues." (Crime in Brazil [663] ; La criminalité au Brésil).
La criminalité et l'insécurité croissantes plongent des parties de plus en plus importantes de la population dans une impasse totale, dans le désespoir le plus profond. Ce fléau qui ronge la société n'a pas de solution possible sous le capitalisme, même pas la moindre possibilité d'atténuation[2].
Dans la campagne électorale de Bolsonaro figuraient, en priorité de ses promesses, la lutte contre la violence et corruption. Il s'engageait à les "combattre radicalement", à travers des mesures qui portent lourdement la marque de fabrique du personnage. Derrière ses promesses électorales déclarant la guerre à la criminalité, la perspective réelle est en fait celle d'une aggravation de la barbarie. Tirant le bilan critique des politiques menées jusqu'alors, il s'exprime en ces termes : "on ne combat pas la violence avec des politique de paix et amour", il faut donc "accroître la performance de la police", "doubler le nombre de personnes tuées par la police". On imagine le carnage en perspective alors que, "de 2009 à 2016, 21,9 mille personnes ont perdu la vie suite à des actions de la police. Presque toutes sont des hommes entre 12 et 29 ans, les 3/4 sont des Noirs." (Guaracy Mingardi, ex- spécialiste des questions de sécurité et secrétaire national de la Sûreté Publique, dans un entretien au HuffPost Brasil).
En fait, non seulement la criminalité ne sera pas réduite mais les victimes de la police vont augmenter. Et les premières victimes en seront d'abord ceux des quartiers miséreux qui sont déjà les premiers à souffrir de la délinquance[3].
Il y a de plus tout à craindre que l'accentuation de la violence ne soit pas seulement le fait des délinquants ou de la police mais aussi de la part de ce sinistre et classique appendice de l'extrême-droite que sont les bandes recrutées parmi le lumpen, qui existent au Brésil depuis longtemps.
Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, Bolsonaro a d'amblée pris une "mesure forte" consistant à nommer comme ministre de la justice l'ex-juge anticorruption Sergio Moro, formé par la CIA pour l'opération "Lava Jato" (de 2014 à 2016) qui a ciblé particulièrement certaines personnalités politiques tout en épargnant d'autres tout autant corrompues, voire plus.
L'élection de Bolsonaro s'inscrit dans la dynamique globale, vérifiable à l'échelle internationale, à l'ascension de "leaders forts et d'une rhétorique belliqueuse", comme l'avait caricaturalement illustré, par exemple, l'élection de Duterte aux Philippines. C'est là une conséquence de la décomposition du capitalisme, empêtré dans ses contradictions inextricables. Le phénomène est on ne peut plus palpable au Brésil, à travers l'insécurité et la criminalité, et les peurs que cela engendre font le lit de l'ascension au pouvoir de personnages comme Bolsonaro.
Néanmoins, pour important qu'il soit, ce facteur n'a pas été déterminant dans l'élection de Bolsonaro. Et la preuve en est qu'un autre candidat, qui a été le meilleurs politicien au service du capital national brésilien depuis Vargas, aurait été, selon tous les sondages, élu au premier tour des élections, s'il avait effectivement pu se présenter, et cela malgré l'accusation de corruption qui le visait. Il s'agit de Lula, qui a été mis et maintenu en prison pour éviter qu'il ne se présente.
Comment expliquer la persistance d'une telle popularité de Lula ? Tout simplement par le fait qu'il n'est pas apparu comme étant aussi véreux que tous les autres politiciens en lice pour les élections et venant de tous bords. Ce qui est plus précisément apparu, et qui est conforme à la réalité, c'est que l'accusation et la sanction à son encontre avaient été particulièrement sévères, compte tenu des charges retenues contre lui et en comparaison avec le sort réservé à d'autres hommes politiques immergés dans les scandales et qui s'en sont très bien sortis, comme Michel Temer du PMDB (Partido do Movimento Démocratico Brasileiro) et Aécio Neves du PSDB, par exemple.
Le très bon score de Lula dans les sondages ne signifie pas que son image ne s'était pas érodée au fil du temps, au sein de la classe ouvrière notamment, à cause des attaques antiouvrières qu'il a portées durant ses deux mandats successifs[4]. Mais il est largement apparu comme un moindre mal, compte-tenu de sa stature, face à tous les autres candidats. Sa popularité était plus grande que celle de son propre parti, le PT (Parti des travailleurs), ce dont souffrira le candidat qui sera présenté par ce parti une fois que Lula aura définitivement été mis dans l'impossibilité de se présenter. En effet, alors que Lula aurait battu Bolsonaro au premier tour, Haddad, le candidat du PT, a été largement battu par Bolsonaro au deuxième tour. Cette différence entre Lula et le PT n'est pas étonnante, quand on sait que, durant trois mandats successifs, ce dernier a été mouillé dans beaucoup d’affaires de corruption mais également a soutenu toutes les politiques d'austérité : celles de deux mandats de Lula et celles encore plus drastiques de Dilma Rousseff, lors de son premier mandat et des quelques mois de son second mandat avant qu'elle ne soit destituée[5].
Le contraste est frappant entre l'habilité politique de Lula d'une part et l'incapacité notoire qui semble affecter Bolsonaro d'autre part. Pourquoi la bourgeoisie réserve-t-elle donc un tel sort à l'un des siens alors qu'il fait figure à ce jour de principal acteur (durant ses deux mandats de 2002 à 2010) de l'émergence du Brésil sur la scène internationale et du deuxième miracle brésilien[6]. En fait, l'éviction de Lula faisait partie d'une stratégie au sein de laquelle les États-Unis ont joué un rôle majeur et visant à ramener le Brésil sous leur influence directe, alors que la 7e puissance économique mondiale n'avait cessé de se dégager de celle-ci depuis le premier mandat de Lula (Les gouvernements qui l'ont précédé étaient totalement soumis aux États-Unis).
Depuis bien longtemps avant la formation des deux blocs antagoniques rivaux après la Deuxième Guerre mondiale, respectivement l'américain et le russe, l’Amérique latine avait constitué le pré carré des États-Unis jusqu'à ce que, avec l'effondrement du bloc de l'Est, celui de l'Ouest disparaisse à son tour. Jusqu'en 1990, l'Oncle Sam pouvait défendre avec efficacité sa chasse gardée contre toute tentative d’intrusion du bloc impérialiste rival. De la même manière, il intégrait les différents pays du continent sud-américain dans des réseaux d’accords commerciaux bi- ou multilatéraux bénéficiant en premier lieu aux États-Unis. Pour servir ses intérêts, l'Oncle Sam faisait et défaisait à sa guise les gouvernements en instaurant, par exemple, des dictatures d'extrême-droite pour lutter contre toute tentative d'instauration de gouvernements de gauche pouvant relayer l'influence du bloc adverse. Ce fut le cas en particulier en Argentine, au Chili et au Brésil dans les années 1960 et 70. De la même manière, lorsqu'une telle menace s'éloignait, les États-Unis pouvaient aussi bien appuyer le processus démocratique mettant fin à une dictature. Ce fut le cas au Brésil en 1984 pour obtenir d'un gouvernement démocratique qu'il mette un terme aux excès de rigidité dans la gestion du capital national de la part de l'État dirigé par les militaires, le rendant ainsi plus propice à la pénétration américaine[7]. C'est d'ailleurs cette gestion de l'État par les militaires qui avait alors inspiré Bolsonaro quand, en 2000, il défendit l'idée que soit fusillé le président Fernando Henrique Cardoso pour avoir privatisé", alors qu'il s'agit à présent d'une mesure phare de son gouvernement.
Suite à la dissolution du bloc de l'Ouest, le Brésil, comme d'autres pays d'Amérique du Sud ou dans le monde, a mis à profit le relâchement de la pression des États-Unis pour jouer sa propre carte géopolitique. Ainsi, il a pu prendre des distances vis-à-vis des États-Unis sur le plan économique comme politique. En effet, durant toute la période correspondant à la présidence Lula (2003-2006 ; 2007 – 2010), le pays s'est distingué par un développement économique important mais aussi par certaines prises de position politiques opposées à celles des États-Unis. En particulier, l'opposition du gouvernement Lula fut cruciale pour faire avorter en 2005 le projet nord-américain ALCA (zone de libre-échange des Amériques), accord multilatéral de libre-échange qui couvrait tous les pays du continent américain, à l'exception de Cuba. Une telle opposition s'est également manifestée à travers la promotion de pays non alignés sur les États-Unis, en Amérique latine et ailleurs. Ainsi, en 2010 le Brésil s'opposait aux États-Unis sur la question de l'Iran. En même temps, ce pays établissait des relations économiques internationales (BRICS) qui fortifiaient son indépendance vis-à-vis des États-Unis. Fait marquant de cette trajectoire de distanciation par rapport aux États-Unis, la Chine est devenue, en avril 2009, le premier partenaire commercial du Brésil, à la place des États-Unis.[8] Ce faisant, le Brésil acquérait une position de plus en plus hégémonique sur tout le continent sud-américain, grâce à sa puissance économique et diplomatique. Si bien que, durant le gouvernement Lula, le Brésil devint le principal concurrent des États-Unis dans la région. Concurrent, mais pas ennemi déclaré. En fait, Lula a su établir des relations avec à la fois les États-Unis et la Chine, mais favorisant clairement la Chine, d'autant plus aisément que ce puissant "partenaire" était éloigné géographiquement, contrairement aux États-Unis.
Expression et facteur de la montée en puissance du Brésil au niveau économique, de grandes entreprises brésiliennes, dynamisées par des investissements de la part des banques d'État[9], se sont imposées sur la scène internationale notamment dans les secteurs de l'énergie, l'alimentation, la construction navale, l'armement, les services, etc...
Parmi celles-ci figuraient Petrobras (production de pétrole et dérivés), BRF (production de protéines animales, viande et dérivés), Odebrech (construction lourde, armement et services rendus à Petrobras), … Ainsi, par exemple, grâce à un financement public intensif, la BRF est devenue le principal producteur et exportateur de protéines animales dans le monde, présent dans plus de 30 pays. La multinationale brésilienne, Odebrecht (12e entreprise mondiale), qui avait des activités dans presque tous les pays d'Amérique du Sud, dans quelques anciennes colonies portugaises en Afrique et même au-delà, a quant à elle certainement constitué un vecteur important de la pénétration économique du Brésil hors de ses frontières en Amérique du Sud.
Par ailleurs, des mesures protectionnistes étaient également à l'œuvre visant à imposer la présence des entreprises brésiliennes en différentes circonstances : coopération obligée des firmes étrangères venant extraire du pétrole sur le territoire brésilien avec les firmes brésiliennes ; toute fourniture au Brésil de biens d'équipement devant nécessairement intégrer des composants fabriqués au Brésil, dès lors qu'ils existaient ou pouvaient exister au catalogue.
Un autre type de mesure protectionniste favorisant les grandes entreprises brésiliennes était également mis en œuvre, "illégal" celui-ci, même s’il est pratiqué partout dans le monde. Odebrecht, par exemple, avait un service spécialisé dans l'attribution des pots-de-vin pour l'obtention des gros contrats, et cela dans tous les pays où elle opérait. Cette entreprise, de même que d'autres dont AOS, se sont organisées en cartel dans le BTP, rétribuant les cadres du groupe public pétrolier Petrobras et des politiciens complices, par le biais de surfacturations estimées entre 1 % et 5 % de la valeur des contrats. Il s'était mis en place un système de détournement de fonds de plusieurs milliards de Reais (réaux, le réal étant la monnaie brésilienne) à des fins de financement de partis politiques et/ou d’enrichissement personnel ("Brésil : tout comprendre à l’opération "Lava Jato" [664], Le Monde, publié le 26 mars 2017 et mis à jour le 4 avril 2018).
Aucun des rivaux économiques des États-Unis ne peut évidemment s'opposer au fait que la première puissance mondiale tire économiquement parti de son rang dans le monde au détriment de tous ses concurrents, en particulier du fait que sa monnaie est également la monnaie d'échange internationale. Par contre, les États-Unis se montrent particulièrement vigilants à faire en sorte que soit durement sanctionné tout pays coupable de non observance des lois de la concurrence. C'est ainsi que les tricheries brésiliennes ont servi de prétexte et de cible à une vaste offensive visant au démantèlement de toute l'organisation économique sur laquelle elles s'appuyaient. Les représailles ont été d'autant plus draconiennes qu'il s'agissait à travers elles, non seulement d'infliger des sanctions économiques pour des manquements à la loi de la concurrence, mais surtout de désorganiser toutes les mesures protectionnistes de l'économie brésilienne (légales ou non, comme l'attribution systématique de pots-de-vin), et de ramener docilement le Brésil sous influence américaine exclusive en neutralisant ses forces politiques les plus influentes et hostiles à une telle orientation. En témoigne le traitement réservé à l'homme politique le plus populaire au Brésil, Lula, condamné à 12 années d'emprisonnement au terme d'une procédure expéditive et manquant significativement de preuves concernant un prétendu enrichissement personnel. Il n'est d'ailleurs pas anodin que ce soit l'accusation la plus difficile à fonder, celle de l'enrichissement personnel, qui a néanmoins été retenue contre Lula, car elle était la plus à même de le déconsidérer auprès de son électorat, alors que d'autres accusations - attestées par de nombreux témoins - relatives à des malversations au bénéfice de l'État brésilien semblent ne pas avoir été prises en compte.
Le nom "Lava Jato" fait sa première apparition publique en mars 2014 et celle-ci est alors suivie de peu par des fuites relatives à des aveux d'un ex-haut dirigeant de l'entreprise Petrobras, concédés dans l'espoir d'une remise de peine, concernant l'existence d'un vaste système de pots-de-vin versés à des cadres de cette entreprise, ainsi "achetés" pour attribuer des contrats. À la suite de quoi, l’hebdomadaire d’opposition Veja évoque le nom d’une quarantaine d’élus suspectés issus de la coalition de centre gauche au pouvoir, membres essentiellement du PMDB, du PT et du PSB (Partido Socialista Brasileiro).
Des faits de corruption remontant à 2008 avaient motivé la mobilisation d'organes de contrôle de l'État bourgeois. Celle-ci accouchera de l'opération "Lava Jato" dont le groupe de travail était constitué d'agents de la police fédérale, de membres du ministère public et de juges. Pour son travail, cette task force fit appel à des tribunaux chargés de vérifier les comptes de l'État, au pouvoir judiciaire, au ministère public et à la police fédérale, avec la constitution de groupes spéciaux de cette dernière destinés à "combattre" la criminalité organisée sous ses diverses formes.
Des éléments solides laissent à penser que cette mobilisation judiciaire a été effectuée en interaction forte avec les plus hautes instances des États-Unis, voire même qu'elle soit le produit de l'ingérence ouverte de ces derniers. Ainsi des documents divulgués par Wikileaks font état de la tenue à Rio de Janeiro en octobre 2009 d'un séminaire de coopération avec la présence de membres sélectionnés de la Police Fédérale, de la Justice, du Ministère public et de représentants des autorités nord-américaines[10]. En fait, un tel séminaire n'a rien d'étonnant quand on sait à quel point, d'une part, les États-Unis y avaient intérêt mais aussi étant donné ce fait que, depuis les années 1960, les ténors du pouvoir judicaire et du ministère public brésiliens se sont avérés d'ardents défenseurs des institutions américaines qui leur dispensent cours, formations, conférences, assistance aux enquêtes… Une telle coopération n'est d'ailleurs pas niée par le procureur général de la République, Rodrigo Janot, personnage central de "Lava Jato", lorsqu'il explique que les "résultats brésiliens" sont le résultat "d'un échange intense avec les États-Unis, qui ont fourni au Brésil des cours de formation et de recyclage pour les chercheurs brésiliens, en plus de la technologie et des techniques de planification de la recherche". Et le procureur de ponctuer : "Tout cela fait que le Brésil a une relation d'égal à égal avec les autres États."[11] Au cas où on aurait douté du contraire concernant la relation avec les États-Unis ! On ne résiste pas ici à citer le titre d'un autre article : "Le FBI est présent dans l'opération "Lava Jato" depuis le début et s'enorgueillit de cela dans le monde entier".[12]
Dans le contexte de cette pression des États-Unis sur le Brésil, il faut également signaler cet épisode d'enregistrements en 2011 par la NSA des conversations présidentielles, de certains ministres, d'un directeur de la banque centrale, des diplomates, des chefs militaires.[13]
On ne doit pas s'étonner de la divulgation des premiers résultats de "Lava Jato" en 2014 à propos de l'existence d'un système de pots-de-vin versés à Petrobras. En effet, ceux-ci "arrivent au bon moment" pour fragiliser Dilma Rousseff et le PT dans la campagne pour la réélection incertaine de la présidente sortante, alors que, dans la période concernée par les premiers résultats en question, celle-ci était présidente du conseil d’administration de Petrobras, de même que le PT était alors impliqué, à travers certains de ses membres, dans la gestion de cette entreprise d'État.
Néanmoins cette première rafale de révélations de "Lava Jato" ne suffit pas à écarter Dilma Rousseff et le PT de la conduite des affaires du pays. En effet, la présidente sortante est réélue contre un candidat du PSDB, Aécio neves, qui par la suite eut sa réputation politique salie pour la même raison. Cependant, le fait qu'elle ait alors été réélue dans ce contexte témoigne de la confiance que lui témoignait alors encore une partie importante de la bourgeoise pour assumer la défense des intérêts du capital national. En effet, pour cette consultation électorale, comme pour les précédentes, elle a pu disposer d'un niveau significatif de ressources financières provenant de grandes entreprises industrielles, financières et de services.
Cependant, elle s'est rapidement discréditée plus profondément encore du fait des mesures antiouvrières sévères qu'elle a alors été amenée à prendre (reniant par là-même ses promesses électorales) dont en particulier celles restreignant l'accès à l'assurance chômage. Elle a aussi de nouveau été contestée dans la rue dans les premiers mois de 2015, à travers des manifestations à l'initiative d'organisations de droite évitant d'apparaître comme des partis politiques. Dans ces manifestations, qui rassembleront des millions de personnes, on trouve aussi bien des conservateurs, des libéraux que des partisans de la prise du pouvoir par les militaires. Il vaut ici la peine de signaler que ces manifestations serviront de tremplin à la promotion d'un discours en défense de la candidature du capitaine de réserve et notoirement homophobe, Bolsonaro.
Les "alliés" d'alors de Dilma Rousseff constituent, sans elle ni le PT, une nouvelle et écrasante majorité parlementaire en s'alliant avec les partis d'opposition, en particulier le PSDB (Parti de la Social-Démocratie Brésilienne) et des secteurs de partis tels que le PMDB, le PDT (Partido Democrático Trabalhista), le PSB (Partido Socialista Brasileiro), l'ensemble du DEM (DEMocratas) et d’autres partis mineurs. Dilma Rousseff est destituée en août 2016 par un vote du Sénat au terme d'une procédure controversée.
Toutes les formations politiques brésiliennes d'importance ont été touchées par les révélations de "Lava Jato". De grandes figures de la bourgeoisie brésilienne ont été la cible de ses enquêtes, voire même humiliées (en particulier à la tête d'Odebrecht) par les révélations tapageuses de soupçons, de preuves à leur encontre immédiatement jetés en pâture à la presse qui les relayait. Les journaux télévisés et émissions spécialisées devenaient le théâtre de "délibérations judiciaires populaires" auxquelles était convié le spectateur. Le pouvoir judiciaire "tout puissant" semblait trôner à la tête de l'État, à même de soumettre quiconque (nul chef ou cadre supérieur d'entreprise ou cacique de parti ne pouvait se sentir à l'abri).
Mais, loin de renforcer l'image des institutions et de la démocratie, "Lava Jato" les a discréditées encore d'avantage. Si la corruption et la pourriture ont effectivement été livrées publiquement à la honte, les moyens utilisés à cette fin étaient au moins tout autant discutables : l'institutionnalisation et la banalisation de la dénonciation[14]. De plus, il est rapidement apparu que tous les prévenus n'étaient pas égaux devant la justice de "Lava Jato" et que les sanctions les plus lourdes s'appliquaient à ceux qu'on voulait écarter du pouvoir. L'exemple de Lula résume à lui seul cette situation.
On retrouve la même "iniquité" concernant les sanctions infligées aux entreprises brésiliennes ayant "fauté". Dans ce cas, ce sont les États-Unis qui "punissent", pouvant le cas échéant accepter "généreusement" des arrangements pour éviter à certaines des "amendes" colossales. Ainsi, par exemple, le gouvernement américain a exigé que l'entreprise J & F (BRF) transfère son contrôle opérationnel en se constituant comme entreprise américaine si elle voulait éviter les sanctions. Odebrecht, quant à elle, fut très lourdement sanctionnée.
Durant sa campagne électorale, Bolsonaro a envoyé un signal très fort aux États-Unis et à la Chine qu'il romprait avec cette dernière s'il était élu, en effectuant une visite officielle à Taiwan. Il affichait ainsi clairement les orientations que "le candidat de Washington", soutenu par une partie de la bourgeoisie brésilienne, allait mettre œuvre après son élection devenue certaine après l'éviction de Lula. Ainsi c'en était fini de la position du Brésil en équilibre inégal mais relativement confortable entre États-Unis et Chine[15].
"Lava Jato", qui a constitué un maillon essentiel de la "récupération" du Brésil par les États-Unis, a démantelé toutes les protections économiques - légales et illégales - et les subventions étatiques favorisant les entreprises brésiliennes. Les conséquences vont être très lourdes pour le Brésil. En effet, la suppression de ces protections a déjà commencé à exposer dangereusement les entreprises brésiliennes à la concurrence des États-Unis. Cela ne va qu'empirer avec le renforcement de la "coopération" économique entre les deux pays. À cela s'ajoute que, dans un contexte économique mondial de plus en plus difficile, il va aussi falloir payer l'addition des conséquences ravageuses de la politique d'endettement du pays sous Lula et Dilma Rousseff.
Sur le plan des relations internationales, tel un petit chien, Bolsonaro emboite les pas de Trump et de sa diplomatie délirante en décidant, en signe de soutien à Israël, le transfert de l'ambassade du Brésil à Jérusalem. Plus récemment, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, qui avait fait le déplacement au Brésil pour l'investiture de Bolsonaro, a dans un entretien avec le nouveau président, évoqué une "opportunité de travailler ensemble contre les régimes autoritaires", allusion à Cuba et au Venezuela, et référence voilée à la nécessité de freiner l'expansionnisme chinois. Le Brésil se retrouve ainsi de plain-pied dans le tourbillon impérialiste mondial comme l'illustre encore plus clairement ce tweet de l'ancienne ambassadrice des États-Unis à l'ONU, Nikki Haley : "Il est bon d'avoir un nouveau dirigeant pro-américain en Amérique du Sud, qui se joindra aux combats contre les dictatures au Venezuela et à Cuba et qui voit clairement le danger de l'influence croissante de la Chine dans la région" ("Le Brésil de Bolsonaro et les États-Unis pour une relation "transformée"").
Avec l'élection de Bolsonaro, les États-Unis récupèrent en effet la domination impérialiste dans leur pré carré, puisque le Brésil, en plus d'occuper près de la moitié du continent sud-américain, avec une frontière avec la plupart des autres pays du continent, est la principale puissance militaire de la région. Et le Brésil va désormais jouer un rôle de premier plan dans la stratégie des États-Unis pour tenter de mettre fin au régime de Maduro au Venezuela. À la suite du gouvernement Trump qui a immédiatement reconnu le nouveau président autoproclamé Juan Guaidó, Bolsonaro faisait de même. De cette façon, le Venezuela se trouve pratiquement confiné derrière ses frontières "murées" par les gouvernements de droite de Colombie et du Brésil. Cette situation crée un climat d'affrontement dans la région avec des conséquences imprévisibles sur le plan militaire, puisque le gouvernement de Maduro est prêt à résister avec le soutien de la Russie, de la Chine et de Cuba ; mais aussi sur le plan social, car cela ne ferait qu'aggraver les conditions terribles dans lesquelles vit la population vénézuélienne, provoquerait un nouvel exode de la population, source d'instabilité dans les villes frontières des trois pays, en plus du Guyana.
Au moyen d'une vaste entreprise s'étalant sur plusieurs années, mobilisant des moyens propres importants (sans compter ceux mobilisés au Brésil par "Lava Jato"), les États-Unis sont finalement parvenus à leur fin, à savoir réintégrer pleinement le Brésil sous leur influence. C'est donc un succès de la diplomatie américaine et de tous les services qui vont avec : pouvoir judiciaire, FBI, espionnage, … Le succès n'est néanmoins peut-être pas complet.
La dernière étape de la manœuvre consistait à doter le Brésil, aux prochaines élections, d'un candidat qui soit porteur de la nouvelle orientation. Le candidat a été trouvé, il a gagné les élections[16] grâce aux manœuvres que l'on sait. Mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas très "présentable". C'est vrai qu'il n'y avait pas réellement le choix vu que "Lava Jato" a rendu inutilisables pour un certain temps les formations et forces politiques traditionnelles, encore plus discréditées qu'auparavant, et vu également que quelqu'un comme Lula, incomparablement plus expert et fin politicien, était incompatible avec la nouvelle orientation.
Si pendant un certain temps Bolsonaro pourra peut-être séduire une frange de la population qui a voté pour lui aux élections, il peut aussi devenir un point faible du dispositif s'il ne change pas de style.
Le personnage Bolsonaro, misogyne et homophobe décomplexé, est une caricature. Il est un nostalgique de la dictature militaire telle qu'elle a existé au Brésil entre 1964 et 1985. Il a promis de nettoyer le pays des "marginaux rouges". Son clan politique familial fait également partie du décor. L'un de ses fils, Edouardo Bolsonaro (député fédéral de l'État de São Paulo) marche d'un pas décidé sur les traces du "papa", mais en mieux, en "plus excessif" : il veut faire qualifier de "terrorisme" les actions du Mouvement des Travailleurs sans Terre et, pour lui "quel est le problème ?", si pour cela "il est nécessaire d'emprisonner 100 000 personnes". Il veut également faire qualifier le communisme de crime.
Ambitionnant de surfer sur l'effet "Lava jato", Bolsonaro s'était lui-même préparé à enfiler le costume politique de chevalier blanc incorruptible. À cet effet, Il avait commencé par prendre soin de quitter en 2016 son ancien parti, le Parti Progressiste (PP), le parti le plus impliqué dans les scandales qui secouent le pays (des 56 députés affiliés au PP, 31 sont sous le coup d'accusation de corruption). Mais son premier faux pas n'aura pas attendu l'investiture. Parmi les personnalités politiques qu'il a choisies pour faire partie de son futur gouvernement, certaines se trouvaient déjà sous le coup d'accusation de corruption. C'est comme ça que Monsieur Propre a déjà taché ses beaux habits blancs présidentiels avant même d'avoir pris ses fonctions. Pire, l'absence totale de "tenue" et de "retenue" de son clan[17] l'ont déjà fait passer pour un sinistre pitre. En informant de désaccords existant dans le propre camp de Bolsonaro, un de ses fils est allé jusqu'à nous "régaler" de détails sordides. Les désaccords y sont tels, nous dit-il, qu'"il y en a qui souhaiteraient la mort de Bolsonaro". Que ce soit du bluff, l'expression de la bêtise ou la réalité, ces propos en disent long sur l'hypocrisie du clan Bolsonaro, ses liens avec les milices criminelles de Rio de Janeiro [665] ou encore l'implication du fils, Flávio, dans des transactions bancaires suspectes (L'affaire Queiroz [666]). Il s'agit là d'une nouvelle démonstration claire de la pourriture qui prévaut au sein du clan qui a été porté à la tête de l'État.
On ne doit malheureusement pas se réjouir de la bêtise épaisse de Bolsonaro et d'une partie de son entourage en pensant qu'il risque d'être un bien piètre défenseur des intérêts de la bourgeoisie. Soit il ne sera qu'une marionnette téléguidée depuis les coulisses, soit ses dérapages, notamment sur le plan des tensions impérialistes, pourraient avoir des conséquences funestes pour une partie de la population.
Ce sont de rudes épreuves qui attendent la classe ouvrière au Brésil du fait des attaques économiques déjà ou pas encore annoncées. La première d'entre elles, la réforme des retraites, est "le premier et plus grand défi" comme l'a annoncé le ministre de l'économie, Paulo Guedes, lors de son investiture et elle est caractérisée par les médias comme "L'épineuse refonte d'un régime très coûteux pour l'État, réclamée avec insistance par les marchés" ("Brésil : le gouvernement Bolsonaro en place, salué par la Bourse").
La difficulté générale actuelle de la classe ouvrière au niveau mondial à se reconnaître comme une classe aux intérêts antagoniques à ceux du capitalisme ne manquera pas d'affecter ses capacités de réaction face au déluge d'attaques qui vont s'abattre sur elle au Brésil. Mais c'est aussi à travers la nécessaire riposte, la critique de ses propres faiblesses qui ne manqueront pas de se manifester à cette occasion, qu'elle pourra de nouveau faire des pas en avant vers une lutte plus unie, plus massive, plus solidaire et débarrassée de mystifications qui pèsent sur sa conscience en particulier celles plus pernicieuses véhiculées par la gauche (PT, ...) et l'extrême-gauche du capital (trotskistes, …). C'est pour cela qu'il faut se réapproprier les expériences passées. Souvenons-nous en particulier :
De nouvelles difficultés qui vont probablement émerger comme conséquence de la situation actuelle sont susceptibles de se mettre en travers de la lutte de classe au Brésil. Il est important de s'y préparer.
Bolsonaro est tellement détestable qu'il est capable de polariser sur sa personne la colère provoquée par les attaques économiques. Le danger sera alors de ne voir que la personne et non pas le capitalisme en crise qui est derrière les attaques. Il existe la possibilité d'un danger similaire concernant l'orientation politique de Bolsonaro, l'extrême-droite, que la gauche ne manquera pas de désigner comme responsable de l'aggravation des conditions de vie. On ne peut écarter que Lula et le PT soient de nouveau, dans le futur, amenés à assumer la fonction de dévier vers une alternative de gauche un mécontentement à l'encontre de la droite et de l'extrême-droite. Il faudra alors garder clair à l'esprit que tout parti, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, accédant à la tête de l'État a pour responsabilité de défendre les intérêts du capital national et que cela se fait nécessairement au détriment de la classe exploitée. De plus, il faudra se souvenir que l'attaque flagrante contre Lula par "Lava Jato", alors que beaucoup de ses "collègues", politiciens véreux notoires ont été relativement épargnés, ne signifie en rien que l'ancien métallurgiste sorti du rang puisse être caractérisé d'honnête et encore moins de défenseurs des ouvriers.
De même, il ne va pas manquer de voix pour tenter dévoyer la colère légitime des ouvriers vers "l'impérialisme yankee qui oppresse le Brésil" et dont il faudrait se libérer. C'est une impasse tragique qui a déjà fait ses preuves. Elle implique la mobilisation du prolétariat aux côtés d'une partie de la bourgeoisie brésilienne contre la bourgeoisie américaine. Le prolétariat n'a pas de patrie à défendre, seulement ses intérêts de classe. Face à une telle mystification, un seul mot d'ordre : lutte de classe dans tous les pays contre le capitalisme !
Cela ne peut être qu'une perspective, un but non atteignable immédiatement, mais c'est toujours ce but et cette perspective qui doivent guider l'action du prolétariat, laquelle devant le plus possible être conçue comme un maillon de la chaîne qui mène à la révolution prolétarienne mondiale.
Revolução Internacional (06/02/2019)
[1] La décomposition de la société concerne tous les pays, même si c'est de manière inégale, et s'exprime à travers un ensemble de phénomènes différents concourant à rendre de plus en plus difficile la vie en société de même que l'émergence d'une perspective au renversement et au dépassement du capitalisme. Parmi ses manifestations les plus saillantes, nous avons déjà souvent avancé le développement, comme jamais auparavant, de la criminalité, de la corruption, du terrorisme, du crime, de l'usage de la drogue, des sectes, de l'esprit religieux, du chacun pour soi… Comme conséquence de l'approfondissement de ce phénomène de décomposition de la société, se trouvent également les catastrophes "naturelles", "accidentelles" aux conséquences de plus en plus ravageuses. Une illustration récente en a été donnée par la tragédie causée par la rupture du barrage de Vale à Brumadinho (Brésil) constitué par des milliers de mètre cubes de résidus miniers, provenant de l'exploitation de la mine de fer voisine. Bilan, environ 200 morts ou disparus, une illustration parmi des milliers d'autres dans le monde des conséquences de l'irrationalité mortifère du capitalisme à bout de souffle.
[2] Selon une certaine propagande de la bourgeoisie, il existerait la possibilité de faire baisser les chiffres de la criminalité comme l'illustre le cas de la Colombie grâce à l'élimination des principaux cartels de la drogue. Le problème est que l'exemple de la Colombie n'est pas généralisable, en particulier du fait que dans la plupart des pays où la criminalité atteint des sommets, celle-ci est essentiellement le fait d'une multitude de petits gangs et surtout d'individus isolés.
[3] C'est peut-être la raison pour laquelle le score de Bolsonaro aux dernières élections a été très faible (bien en deçà de 50%) dans les quartiers les plus pauvres.
[4] Les mesures sociales destinées à soulager la misère des couches les plus pauvres, un coût infime dans le budget de l'État et financé au moyen d'une accentuation de l'exploitation des travailleurs, eurent un impact très important en ce sens qu'elles ont renforcé le prestige de Lula parmi ces couches de la population.
[5] En fait la dureté des attaques portées par les gouvernements Dilma Rousseff a participé à estomper le souvenir de celles "moins brutales" des gouvernements Lula précédents.
[6] En référence à ce qui est communément appelé le "miracle brésilien" où, entre 1968 et 1973, le taux de croissance moyen de l'industrie était passé à près de 24%, le double de celui de l'économie en général dans ce pays. Le premier "miracle" fut financé par la dette, si bien qu'au début des années 1980, le Brésil sera "au bord de la faillite".
[7] Lire, "Entenda a influência dos EUA na crise política e econômica no Brasil [670]." "Comprendre l'influence des États-Unis dans la crise politique et économique du Brésil".
[8] "Pour la première fois dans l'histoire du Brésil, la Chine est devenue, en avril 2009, son premier partenaire commercial, à la place des États-Unis. Elle était déjà devenue, un mois plus tôt, le premier importateur de biens brésiliens. (…) Depuis les années 1930, les États-Unis s'étaient solidement installés en première position. (…) Ce changement de situation tient d'abord à la contraction du commerce américain avec le reste du monde, liée à la crise économique. Un phénomène qui affecte aussi les pays de l'Union européenne dans leurs relations avec le Brésil. Mais il traduit surtout une hausse forte et continue des achats de la Chine. Les exportations du Brésil vers la Chine ont, en valeur, été multipliées par quinze entre 2000 et 2008. Elles ont progressé de 75 % entre 2007 et 2008. Cette augmentation a permis au Brésil de dégager, pendant les quatre premiers mois de l'année 2009, un surplus commercial double de celui enregistré pendant la même période en 2008. Les trois premiers partenaires du Brésil sont désormais, dans l'ordre, la Chine, les États-Unis et l'Argentine. " (La Chine est devenue le premier partenaire commercial du Brésil [671] ; Le Monde du 8 mai 2009)
"De 2003 à 2018, les entreprises chinoises ont investi au Brésil 54 Mds de $ sur une centaine de projets (ministère brésilien de la Planification). Pour la seule année 2017, les investissements chinois se sont élevés à près de 11 Mds$. Au 1er trimestre 2018, les exportations vers la Chine représentaient 26 % des exportations brésiliennes, contre 2 % en 2000 (ministère du Développement et du Commerce extérieur du Brésil). Un afflux massif de capitaux bienvenu pour ce pays dont l’économie a été fragilisée par une récession historique en 2015-2016 et une dette publique qui a pris énormément d’ampleur ces dernières années." ("La Chine à la conquête du Brésil")
[9] C'est la BNDES (Banco Nacional de Desenvolvimento) qui distribuait les financements aux entreprises bénéficiant ainsi d'un régime de faveur. C'est Lula qui dirigeait directement le lobby, certains dirigeants du PT étant associés aux représentants des corporations.
[10] Ces documents divulgués par Wikileaks rapportent en particulier qu'une équipe de formation américaine a enseigné aux élèves brésiliens (et également d'autres nationalités) les secrets des "enquêtes et sanctions dans les affaires de blanchiment de capitaux, notamment la coopération formelle et informelle entre pays, la confiscation des avoirs, les méthodes de collecte des preuves, la négociation de plaintes, le recours au contrôle comme outil et les suggestions concernant la manière d'aborder les organisations non gouvernementales (ONG) soupçonnées de financement illicite". Le rapport cité conclut que "Le secteur judiciaire brésilien est manifestement très intéressé par la lutte contre le terrorisme, mais il a besoin d'outils et de formation pour engager efficacement ses forces." Wikileaks: EUA criou curso para treinar Moro e juristas [672]" (Les États-Unis ont créé une formation pour Moro et les juristes). L'article de Wikileaks cité est le suivant "BRAZIL: ILLICIT FINANCE CONFERENCE USES THE "T" WORD, SUCCESSFULLY [673]".
[11] "A Lava Jato aos olhos dos americanos [674]". L'opération "Lava Jato" aux yeux des Américains.
[12] "FBI atua na “lava jato” desde o seu começo e se gaba da operação pelo mundo [675]" Le FBI est présent dans "Lava jato" depuis le début et s'en vante dans le monde entier.
[13] WikiLleaks: Dilma, ministros e avião presidencial foram espionados pela NSA [676] "Dilma : Ses ministres et l'avion présidentiel ont été espionnés par la NSA"
[14] Ainsi, par exemple, les 77 cadres d’Odebrecht entendus par la justice ont dénoncé 415 responsables politiques appartenant à 26 partis (sur 35) dans 21 États (sur 26 au sein de la Fédération). Parmi eux, 5 ex-présidents du Brésil : MM. José Sarney, Fernando Collor de Mello, Fernando Henrique Cardoso, Luiz Inácio Lula da Silva et Mme Dilma Rousseff. M. Temer est également cité à de nombreuses reprises, mais il ne put être mis en cause pour des actes antérieurs à son mandat, selon la Constitution. Au cours de sa déposition, M. Marcelo Odebrecht a déclaré avoir versé 100 millions d’euros entre 2008 et 2015 au Parti des travailleurs (PT, gauche), en plus des contributions officielles lors des campagnes électorales. "Les anciens présidents Lula et Dilma Rousseff étaient au courant de notre appui, même s’ils n’ont jamais demandé d’argent directement", a-t-il précisé. "Au Brésil, les ramifications du scandale Odebrecht [677]", Le Monde diplomatique, septembre 2017.
[15] On ne sait évidemment pas combien de temps durera ce mariage forcé ni quelles en seront les péripéties. Une chose est certaine est qu'il est dans l'intérêt de la première puissance mondiale de ne pas prendre le risque d'une nouvelle distanciation du Brésil qui, inévitablement, laisserait de nouveau la porte ouverte aux intentions de la Chine de s'installer en Amérique du Sud, et la possibilité que cela constitue une menace directe et périlleuse pour la suprématie américaine, sur un plan économique mais surtout militaire.
Cependant, il ne faut pas perdre du vue que l'opération "récupération du Brésil" a pour l'essentiel été gérée pendant des années par l'administration Obama. Trump l'imprévisible sera-t-il capable de ne pas la compromettre ? Par ailleurs, même si la Chine a reçu des signaux très forts, de la part de Bolsonaro et de l'administration Trump, que c'en était fini pour elle de sa relation privilégiée avec le Brésil, il est évident qu'elle ne va pas se retirer complètement, loin s'en faut. Tout d'abord, sur un plan économique, c'est impossible car cela aurait des conséquences dramatiques pour l'économie brésilienne que, même les États-Unis, ne peuvent pas souhaiter. Par ailleurs, il est évident que la Chine est loin d'accepter son éviction comme en témoigne le fait qu'elle s'est déjà portée candidate pour l'acquisition d'entreprises brésiliennes qui vont être privatisées par Bolsonaro.
[16] Avec l'appui officiel, ouvert ou non, de tous les partis de droite.
[17] Constitué en particulier par tous les fils de Bolsonaro qui ont fait carrière dans la politique et soutiennent le "papa".
Dans la première partie de cette série,1 nous avons vu que les partis de gauche et d’extrême-gauche du capital ont un programme qui défend le capitalisme au nom d’une “nouvelle société” qui n’est rien de plus qu’une reproduction idéalisée du capitalisme lui-même.2 Pire encore, ils inoculent une vision de la classe ouvrière qui la nie complètement.
Dans ce deuxième article, nous verrons quelle est la manière de penser et quelle méthode d’analyse est développée dans ces partis, en particulier dans ceux qui se présentent comme les “plus radicaux”.
Dans le premier article, nous dénoncions le fait que, après avoir démonté le programme de défense du capital que ces mystificateurs mettent en avant, il est nécessaire de faire face à un autre problème : leur façon de penser, les liens qu’ils établissent entre camarades, leurs méthodes d’organisation, leur vision de la morale, leur conception du débat, leur vision du militantisme, enfin tout le vécu au sein de ces partis. Se débarrasser de leur manière d’envisager ces questions est encore plus difficile que de mettre en lumière les mystifications politiques qu’ils colportent, parce qu’elle conditionne les actions, empoisonne les comportements, en se propageant dans le fonctionnement organisationnel.
Les organisations révolutionnaires de la Gauche communiste, fragiles et très minoritaires, ont dû faire face à ce problème crucial. Elles ont été capables de rejeter le programme de ces organisations de gauche et d’extrême-gauche du capital, mais ce que nous appelons la face cachée de celles-ci, c’est-à-dire leur façon de penser, leur fonctionnement et leur comportement, leur vision morale, etc., tout cela, qui est aussi réactionnaire que leur programme, est sous-estimé et n’est pas soumis à une critique implacable et radicale. Il ne suffit donc pas de dénoncer le programme des groupes de gauche et d’extrême-gauche du capital ; il faut aussi dénoncer et combattre cette face cachée organisationnelle et morale qu’ils partagent avec les partis de droite et d’extrême-droite.
Une organisation révolutionnaire est bien plus qu’un programme ; elle est la synthèse unitaire du programme, de la théorie et du mode de pensée, de la morale et du fonctionnement organisationnel. Il y a une cohérence entre ces quatre éléments. “L’activité de l’organisation des révolutionnaires ne peut être comprise que comme un ensemble unitaire, dont les composants ne sont pas séparés mais interdépendants : 1. son activité théorique, dont l’élaboration est un effort constant, et le résultat ni figé, ni achevé une fois pour toutes. Elle est aussi nécessaire qu’irremplaçable ; 2. l’activité d’intervention dans les luttes économiques et politiques de la classe. Elle est la pratique par excellence de l’organisation où la théorie se transforme en arme de combat par la propagande et l’agitation ; 3. l’activité organisationnelle œuvrant au développement, au renforcement de ses organes, à la préservation des acquis organisationnels, sans lesquels le développement quantitatif (adhésions) ne saurait se changer en développement qualitatif”.3
Il est évident qu’on ne peut pas lutter pour le communisme avec des mensonges, des calomnies et des manœuvres. Il y a une cohérence entre les quatre aspects que nous avons mentionnés plus haut. Ils annoncent tous le mode de vie et l’organisation sociale du communisme et ne peuvent jamais être en contradiction avec celui-ci. Comme nous le disons dans le texte “Le fonctionnement organisationnel du CCI” :
“Toute une série d’aspects essentiels de ce qui sous-tend la perspective révolutionnaire du prolétariat sont concentrés sur les questions d’organisation : 1. les caractéristiques fondamentales de la société communiste et les relations établies entre ses membres ; 2. l’être du prolétariat comme la classe porteuse du communisme ; 3. la nature de la conscience de classe, les caractéristiques de son développement, son approfondissement et son extension au sein de la classe ; 4. le rôle des organisations communistes dans le processus de prise de conscience du prolétariat.”4
On peut dire que les groupes de gauche et d’extrême-gauche du capital sont des prestidigitateurs de la politique. Ils doivent faire passer des positions politiques du capital avec une enveloppe “prolétarienne” et “marxiste”. Ils doivent faire dire à Marx, Engels, Lénine et autres militants prolétariens le contraire de ce qu’ils voulaient dire. Ils doivent tordre, tronquer, manipuler les positions que ceux-ci ont pu défendre à un moment donné du mouvement ouvrier, pour en faire leur contraire le plus absolu : prendre des citations de Marx, Engels ou Lénine, leur faire dire que l’exploitation capitaliste, c’est bien, que la nation, c’est le bien le plus précieux, que nous devons nous laisser embrigader dans la guerre impérialiste, que l’État est un père bienfaiteur et protecteur, etc.
Marx, Engels, Lénine, qui se sont battus pour la destruction de l’État, deviennent, par le tour de magie de ces groupes, des défenseurs enthousiastes de l’État. Marx, Engels, Lénine, qui se sont battus inconditionnellement pour l’internationalisme, deviennent des champions de la “libération nationale” et de la patrie. Marx, Engels, Lénine, qui ont animé la lutte défensive du prolétariat, deviennent les champions du productivisme et du sacrifice du travailleur sur l’autel des besoins du capital.
L’instrument d’avant-garde de cette entreprise de falsification fut le stalinisme5. Il a effectué méthodiquement cette transformation répugnante. Pour illustrer cela, nous utiliserons le livre d’Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant6, qui décrit en détail ce processus qui se déroule à partir du milieu des années 1920 : “Le régime social très particulier qui se développait en Russie soviétique avait tendance à créer sa propre idéologie dans toutes les branches scientifiques. En d’autres termes, il a essayé de fusionner sa propre conception du monde avec celle de l’ancienne science, ainsi qu’avec l’idéologie traditionnelle du marxisme et les nouvelles découvertes scientifiques” (page 103 de l’édition PDF en espagnol). Pour l’expliquer, il rappelle que “Hegel (qui) avait démontré qu’un phénomène peut conserver sa forme tout en transformant complètement son contenu ; Lénine n’avait-il pas dit que souvent le destin des grands hommes est de servir d’icônes après leur mort, alors que leurs idées libératrices sont falsifiées pour justifier une nouvelle oppression et un nouvel esclavage ?” (page 109).
Lors de son passage à “l’Académie communiste” de Moscou, il constate qu’ “On modifiait chaque année les programmes, on falsifiait de plus en plus insolemment les faits historiques et leur appréciation. Cela se faisait non seulement avec l’histoire récente du mouvement révolutionnaire en Russie, mais aussi avec des événements aussi éloignés que la Commune de Paris, la révolution de 1848 et la première Révolution française. (…) Que dire de l’histoire du Komintern ? Chaque nouvelle édition donnait une version nouvelle, à beaucoup d’égards tout à fait opposée aux précédentes” (p. 100), “Comme on introduisait ces falsifications en même temps dans toutes les branches de l’éducation, je suis arrivé à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’accidents isolés, mais d’un système qui transformait l’histoire, l’économie politique et les autres sciences selon les intérêts et la vision du monde de la bureaucratie (…) En fait, une nouvelle école, l’école bureaucratique du marxisme, se formait en Russie.” (p. 101)
Suivant ces méthodes, les partis de gauche et d’extrême-gauche utilisent trois procédés :
– profiter des erreurs commises par les révolutionnaires ;
– défendre, comme si elles étaient toujours valables, des positions qui étaient justes au moment où elles ont été défendues par les révolutionnaires, alors qu’elles sont devenues contre-révolutionnaires ;
– émousser le tranchant révolutionnaire de leurs positions en faisant d’elles une abstraction inoffensive.
Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg, n’étaient pas infaillibles. Ils ont fait des erreurs.
Contrairement à la vision mécanique de la pensée bourgeoise, l’erreur est souvent inévitable et peut être un pas nécessaire vers la vérité qui, d’autre part, n’est pas absolue, mais qui a un caractère historique. Pour Hegel, l’erreur est un moment de vérité nécessaire et évolutif.
Ceci est d’autant plus clair quand on considère que le prolétariat est à la fois une classe exploitée et une classe révolutionnaire et qu’en tant que classe exploitée, elle souffre de tout le poids de l’idéologie dominante. Par conséquent, lorsque le prolétariat – ou du moins une partie de celui-ci, ose penser, formuler des hypothèses, mettre en avant des revendications, se donner des objectifs, il s’élève contre la passivité et l’abrutissement imposés par le bon sens capitaliste, mais, en même temps, il peut tomber dans des approximations erronées, dans des idées que l’évolution sociale elle-même ou la dynamique même de la lutte de classe dépassent ou laissent de côté.
Marx et Engels croyaient qu’en 1848 le capitalisme était assez mûr pour être remplacé par le communisme et prônaient un programme encore capitaliste “intermédiaire” qui servirait de plate-forme pour le socialisme (la théorie de la “révolution permanente”).
Cependant, leur esprit critique les a amenés à rejeter cette spéculation, qu’ils ont abandonnée en 1852. De même, ils pensaient que l’État capitaliste devait être pris et utilisé comme levier de la révolution, mais l’expérience vivante de la Commune de Paris les a convaincus de cette erreur en concluant que l’État capitaliste doit être détruit.
Nous pourrions continuer avec beaucoup d’autres exemples, mais ce que nous voulons développer ici, c’est comment les groupes gauchistes utilisent ces erreurs pour donner un blanc-seing à leur programme contre-révolutionnaire. Lénine était un internationaliste conséquent, mais il n’avait pas suffisamment de clarté sur la question de la libération nationale et commit de graves erreurs sur ce point. Ces erreurs sont extraites de leur contexte historique, séparées de la lutte internationaliste qu’il a menée, deviennent ainsi des “lois” valables pour toujours7. Ces erreurs sont transformées en moyens hypocrites de défense du capital.
Comment peuvent-ils opérer une telle falsification ? L’un des moyens le plus important est de détruire l’esprit critique des militants. Les marxistes cohérents partagent avec la science ce que celle-ci a de meilleur : l’esprit critique, c’est-à-dire la capacité de remettre en question des positions qui, pour diverses raisons, entrent en conflit avec la réalité et les besoins de la lutte du prolétariat. Le marxisme n’est pas un ensemble de dogmes produit par des cerveaux géniaux et qui ne pourraient pas être modifiés ; c’est une méthode combative, vivante, analytique, en développement constant et pour cela l’esprit critique est fondamental. Raboter cet esprit critique est la tâche principale des groupes gauchistes, à l’instar de leurs maîtres staliniens qui, comme le dit Ciliga lors de son passage à “l’Université communiste” de Leningrad, les étudiants, futurs cadres du parti, “ce qui n’était pas écrit dans le manuel n’existait pas pour eux. Jamais de questions en dehors du programme officiel. Leur vie spirituelle était parfaitement mécanisée. Lorsque je m’efforçais de les pousser au-delà de l’étroit horizon du programme, d’éveiller leur curiosité et leur sens critique, ils restaient sourds. On aurait dit que leur sens du social était émoussé.” (p. 98).
Ainsi, face au suivisme aveugle prôné par les groupes gauchistes (des staliniens aux trotskistes en passant par la plupart des anarchistes) les militants prolétariens, les groupes révolutionnaires, doivent lutter pour garder vivant l’esprit critique, la capacité de se remettre en question, la volonté permanente d’être attentifs aux faits pour savoir, à partir d’une analyse historique, comment reconsidérer des positions qui ne sont plus valables.
Une autre caractéristique de la méthode gauchiste est l’utilisation des positions justes des révolutionnaires qui ont été invalidées ou rendues contre-productives par l’évolution historique. Par exemple, le soutien de Marx et Engels aux syndicats. Le gauchisme conclut que, si les syndicats étaient des organes du prolétariat à l’époque de Marx et Engels, ils ne peuvent l’être qu’en tout temps. Ils utilisent une méthode abstraite et intemporelle. Ils cachent le fait qu’avec la décadence du capitalisme, les syndicats sont devenus des organes de l’État bourgeois contre le prolétariat.8
Il y a des militants révolutionnaires qui rompent avec les positions de gauche, mais ne parviennent pas à rompre avec leur méthode scolastique. Ainsi, par exemple, ils se limitent simplement à inverser la position gauchiste à l’égard des syndicats : si la position gauchiste affirme que les syndicats ont toujours été au service de la classe ouvrière, ces militants révolutionnaires concluent alors que les syndicats ont toujours été contre elle. Ils font de la position sur les syndicats une position intemporelle, valable pendant des siècles, de sorte que, s’ils ont rompu avec le gauchisme, en fait ils en restent prisonniers.
Il en va de même pour la social-démocratie. Il est difficile d’imaginer que les partis socialistes d’aujourd’hui pendant la période de 1870 à 1914, aient été des partis de la classe ouvrière, qu’ils aient contribué à son unité, à sa conscience et à la force de ses luttes. Face à cela, les gauchistes, en particulier le trotskisme, concluent simplement : les partis sociaux-démocrates ont toujours été des partis ouvriers et ne cesseront jamais de l’être, malgré tous leurs agissements contre-révolutionnaires.
Cependant, il y a des révolutionnaires qui disent la même chose, mais dans l’autre sens : si les trotskistes parlent de la social-démocratie comme d’un parti qui est et sera toujours “ouvrier”, ils concluent que la social-démocratie est et a toujours été capitaliste. Ils ignorent que l’opportunisme est une maladie qui peut affecter le mouvement ouvrier et qui peut conduire ses partis à la trahison et à l’intégration dans l’État capitaliste.
Enfermés dans leur héritage gauchiste, ils remplacent la méthode historique et dialectique par la méthode scolastique. Ne pas comprendre que l’un des principes de la dialectique est la transformation des contraires : ce que peut être une chose peut se transformer et agir dans le sens contraire. Les partis prolétariens, à cause de la dégénérescence due au poids de l’idéologie bourgeoise et de la petite bourgeoisie peuvent se transformer en leur contraire qui leur est diamétralement opposé : devenir des serviteurs inconditionnels du capitalisme9.
Nous voyons là une autre des conséquences de la méthode gauchiste : on rejette la vision historique des positions de classe et de leur processus d’élaboration. Cela ampute une autre des composantes essentielles de la méthode prolétarienne. Chaque génération de travailleurs repose sur les épaules de la génération précédente : les leçons produites par la lutte de classe et par l’effort théorique en son sein, donnent lieu à des conclusions qui servent de point de départ, mais qui ne sont pas le point d’arrivée. L’évolution du capitalisme et les expériences mêmes de la lutte de classe rendent nécessaires de nouveaux développements ou des rectifications critiques des positions précédentes. C’est une continuité historique critique que le gauchisme nie en propageant une vision dogmatique et anhistorique.
Aux XVIIe et XIXe siècles, les penseurs qui annonçaient la révolution bourgeoise ont développé un matérialisme qui était en son temps révolutionnaire parce qu’il soumettait l’idéalisme féodal à une critique implacable. Cependant, une fois le pouvoir pris dans les principaux pays, la pensée bourgeoise est devenue conservatrice, dogmatique et anhistorique. Le prolétariat, par contre, a dans ses propres gènes une pensée critique et historique, une capacité de ne pas rester prisonnier des situations d’une époque donnée, aussi importantes soient-elles, et d’être guidé non pas par le passé ou le présent mais par la perspective de l’avenir révolutionnaire dont il est porteur. “L’histoire de la philosophie et l’histoire de la science sociale montrent en toute clarté que le marxisme n’a rien qui ressemble à du “sectarisme” dans le sens d’une doctrine repliée sur elle-même et ossifiée, surgie à l’écart de la grande route du développement de la civilisation universelle. Au contraire, Marx a ceci de génial qu’il a répondu aux questions que l’humanité avancée avait déjà soulevées.”10.
Comme la pensée bourgeoise, l’idéologie gauchiste est dogmatique et idéaliste d’une part, et relativiste et pragmatique d’autre part. Le gauchiste lève la main gauche et proclame des “principes” élevés au rang de dogmes universels, valables pour tous les mondes possibles et pour tous les temps. Mais, de la main droite, invoquant des “considérations tactiques”, il garde ces principes sacrés dans sa poche car “les conditions ne sont pas là”, “les ouvriers ne comprennent pas”, “le moment est mal choisi”, etc.
Le dogmatisme et la tactique ne sont pas opposés mais complémentaires. Le dogme qui oblige aujourd’hui à participer aux élections est complété par la “tactique” de “les utiliser” pour “se faire connaître”, “barrer le chemin à la droite”, etc. Le dogmatisme apparaît comme quelque chose de théorique, mais, en réalité, c’est une vision abstraite, placée en dehors de l’évolution historique. La “tactique”, cependant, semble “pratique” et “concrète”, est en fait une vision grossière et crétinisante qui ne part pas des positions cohérentes mais d’une action quotidienne, purement adaptative et opportuniste, typique de la pensée bourgeoise.
Cela nous amène à comprendre la troisième caractéristique de la méthode de la pensée gauchiste : elle doit nécessairement abstraire et décontextualiser les positions justes des révolutionnaires pour, comme le disait Lénine, émousser leur tranchant révolutionnaire, les rendre inoffensives pour le capital en les présentant comme des “principes” abstraits et inopérants. Ainsi, le communisme, la dictature du prolétariat, les conseils ouvriers, l’internationalisme… deviennent une grande rhétorique, un verbiage cynique auquel les dirigeants ne croient pas du tout, mais qu’ils utilisent sans gêne pour manipuler leurs fidèles. Ciliga, dans le livre précité, soulignait “le talent de la bureaucratie communiste à faire le contraire de ce qu’elle proclamait, à déguiser les pires crimes sous le masque des slogans les plus progressistes et des phrases les plus éloquentes” (page 52).
Dans les organisations gauchistes il n’y a pas de principes. Leur vision est purement pragmatique et évolue en fonction des circonstances, c’est-à-dire en fonction des besoins politiques, économiques et idéologiques du capital national qu’elles servent. Les principes sont à géométrie variable et on les garde pour des moments spécifiques : lors des fêtes du parti et des grandes célébrations ; comme prétexte pour persécuter des militants en les accusant d’avoir “transgressé les principes" ; ils sont aussi utilisés comme des armes dans les querelles entre factions.
Cette vision des “principes” est radicalement opposée à celle d’une organisation révolutionnaire. Celle-ci est basée sur “l’existence d’un programme valable pour toute l’organisation. Le programme en tant que synthèse de l’expérience du prolétariat dont l’organisation est une partie et parce qu’il relève d’une classe n’ayant pas seulement une existence présente mais aussi un devenir historique, exprime ce devenir par la formulation des buts de la classe et du chemin à suivre pour les atteindre ; il rassemble les positions essentielles que l’organisation doit défendre dans la classe ; il sert de base d’adhésion.”11
Le programme révolutionnaire est la source de l’activité de l’organisation, son corps théorique source d’inspiration, son guide pour l’action. Il doit donc être pris très au sérieux. Le militant qui vient du gauchisme et ne sait pas comment s’en séparer, croit, souvent inconsciemment, que le programme est une pantomime, des simples paroles qui sont invoquées dans des moments solennels, et il cherche donc “la pratique” en appelant constamment à laisser tomber les trucs “rhétoriques”. D’autres fois, lorsqu’il est en colère contre un camarade ou qu’il se croit marginalisé par les organes centraux, il essaie de “les prendre en faute”, en utilisant le programme comme une pierre qu’on jette au visage.
Contre ces deux fausses visions, nous revendiquons la fonction essentielle du programme dans une organisation prolétarienne, comme arme d’analyse partagée par tous les militants et dans laquelle tous sont engagés pour son développement ; comme moyen d’intervention dans la lutte du prolétariat, comme orientation et contribution active à son avenir révolutionnaire.
Les sophismes pragmatiques et “ingénieux” du gauchisme font beaucoup de mal car ils rendent difficile une pensée globale capable de passer du général au concret, de l’abstrait à l’immédiat, du théorique au pratique. La méthode gauchiste brise le lien qui unit ces deux facettes de la pensée prolétarienne, en empêchant de vivre concrètement l’unité entre le concret et le général, l’immédiat et l’historique, le local et le global. La tendance et la pression vont vers la pensée unilatérale. Le gauchiste est localiste tous les jours, mais affiche un discours “internationaliste” les jours fériés. Le gauchiste ne voit que l’immédiat et le pragmatique, mais l’embellit avec quelques références “historiques” et met chapeau bas devant “les principes”. Le gauchiste est minablement “concret” lorsqu’il s’agit de développer une analyse abstraite et il part dans les brumes abstraites lorsqu’une analyse concrète est nécessaire.
On a vu, d’une manière très synthétique, quelques-uns des traits de la pensée gauchiste et de ses conséquences sur la position des militants communistes.
Voyons quelques-unes de ces dernières. La Troisième Internationale a utilisé une formule qui n’a de sens que dans certaines conditions historiques : “derrière chaque grève se profile l’hydre de la révolution”.
Cette formule n’est pas valable si les rapports de force entre les classes sont favorables à la bourgeoisie. Ainsi, par exemple, Trotsky l’a utilisé de manière schématique, estimant que les grèves de 1936 en France et la réponse courageuse du prolétariat de Barcelone en juillet 1936 contre le coup d’État fasciste “ouvraient les portes vers la révolution”. Elle ne tenait pas compte de l’imparable course vers la guerre impérialiste, de l’écrasement du prolétariat russe et allemand, de l’engagement des ouvriers sous la bannière de l’antifascisme. Il a laissé de côté cette analyse historique et mondiale et n’a appliqué que la recette vide de “derrière chaque grève il y a l’hydre de la révolution”.12
Une autre conséquence est un matérialisme vulgaire imprégné d’économisme jusqu’à la moelle. Tout serait déterminé par l’économie, celle-ci comprise avec la plus grande myopie mentale. Des phénomènes tels que la guerre sont niés dans leur racine impérialiste, stratégique, militaire, pour essayer de trouver les explications économiques les plus fantaisistes. Ainsi, l’État islamique, un gang mafieux, sous-produit barbare de l’impérialisme, serait une compagnie pétrolière.
Enfin, une autre conséquence de la manipulation faite par le gauchisme de la théorie marxiste est celle de sa conception comme une affaire de spécialistes, d’experts, de chefs géniaux. Tout ce que vomissent ces chefs éclairés devrait être suivi au pied de la lettre par les “militants de base” qui n’auraient aucun rôle dans l’élaboration théorique car leur mission serait de distribuer des tracts, vendre la presse, porter les chaises pour les meetings, coller des affiches… c’est-à-dire servir de main-d’œuvre ou de chair à canon aux “leaders bien-aimés”.
Cette conception est nécessaire au gauchisme puisque sa tâche consiste à déformer la pensée de Marx, Engels, Lénine, etc. et pour cela ils ont besoin de militants qui croient aveuglément leurs histoires à dormir debout. Cependant, elle est néfaste et destructrice lorsqu’une telle conception s’infiltre dans les organisations révolutionnaires. L’organisation révolutionnaire d’aujourd’hui “est plus impersonnelle qu’au XIXe siècle, et cesse d’apparaître comme une organisation de chefs dirigeant la masse des militants. La période des chefs illustres et des grands théoriciens est révolue. L’élaboration théorique devient une tâche véritablement collective. À l’image des millions de combattants prolétariens “anonymes”, la conscience de l’organisation se développe par l’intégration et le dépassement des consciences individuelles dans une même conscience collective.”13
C Mir, 27 décembre 2017
1“Le legs dissimulé de la gauche du capital (Partie I) – Une fausse vision de la classe ouvrière [679]” (2018).
2La gauche et l’extrême-gauche du capital auraient pu correspondre à ce passage que le Manifeste communiste consacre au socialisme bourgeois : “Ils veulent la société actuelle, mais expurgée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. La bourgeoisie, comme de juste, se représente le monde où elle domine comme le meilleur des mondes. Le socialisme bourgeois systématise plus ou moins à fond cette représentation consolante. Lorsqu’il somme le prolétariat de réaliser ses systèmes et d’entrer dans la nouvelle Jérusalem, il ne fait que l’inviter, au fond, à s’en tenir à la société actuelle, mais à se débarrasser de la conception haineuse qu’il s’en fait (…) Car le socialisme bourgeois tient tout entier dans cette affirmation que les bourgeois sont des bourgeois… dans l’intérêt de la classe ouvrière.”
3“Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires – Conférence internationale du CCI [680]” (janvier 82).
5À son tour, le stalinisme s’est inspiré du sale travail de la social-démocratie qui trahit le prolétariat en 1914. Rosa Luxemburg, dans Notre programme et la situation politique ; Discours au Congrès de fondation du Parti Communiste Allemand (Ligue Spartacus), 31 décembre 1918, premier janvier 1919, en a fait la dénonciation : “Vous voyez d’après ses représentants où en est ce marxisme aujourd’hui : il est asservi et domestiqué par les Ebert [681], David [682] et consorts. C’est là que nous voyons les représentants officiels de la doctrine que, pendant des dizaines d’années, on a fait passer pour le marxisme pur, véritable. Non, ce n’est pas là que menait le marxisme, à faire en compagnie des Scheidemann, de la politique contre-révolutionnaire. Le marxisme véritable combat également ceux qui cherchent à le falsifier”.
6Ante (ou Anton) Ciliga (1898-1992), d’origine croate, rejoint le Parti communiste de Yougoslavie et vit en Russie à partir de 1925 où il prend conscience de la dégénérescence contre-révolutionnaire de l’URSS. Il rejoint l’opposition de gauche de Trotsky. Arrêté pour la première fois en 1930, il fut envoyé en Sibérie et finalement libéré en 1935. Dès lors, il s’installe en France où il écrit un témoignage très lucide sur tout ce qui s’est passé en URSS, dans la Troisième Internationale et dans le PCUS, dans le livre cité. On peut consulter la version PDF en espagnol, dont nous avons traduit les citations, sur : https://marxismo.school/files/2017/09/Ciliga.pdf [683]. Par la suite, Ciliga s’est de plus en plus éloigné des positions prolétariennes en évoluant vers la défense de la démocratie, surtout après la Seconde Guerre mondiale.
7Voir à ce sujet : “Les communistes et la question nationale (1900-1920) 1ère partie [684]” (1983).
8Voir notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière [37] et le texte en espagnol Apuntes sobre la cuestión sindical [685].
9Voir “Première Guerre mondiale : comment s’est produite la faillite de la Deuxième Internationale [686]” (2015)
10Lénine, Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme (1913).
11“Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires”, Revue internationale nº 33 (1983), point 1.,
12Cette erreur de Trotsky a même été utilisée par le trotskisme jusqu’à la corde pour qualifier de “révolution” toute situation de révolte et même de coup d’État à base de guérilla comme celui de Cuba en 1959.
13Voir note 3.
“À Copenhague, la douche froide”, “Le pire accord de l’histoire”, “Copenhague s’achève sur un échec”, “Déception à Copenhague” …, la presse est unanime, ce sommet annoncé comme “historique” a été un véritable fiasco !
Durant plusieurs semaines, les médias et les politiques ont enchaîné les déclarations grandiloquentes qui toutes affirmaient en substance : “l’avenir de l’humanité et de la planète se joue à Copenhague”. La fondation Nicolas Hulot avait ainsi lancé un ultimatum : “l’avenir de la planète et avec lui, le sort d’un milliard d’affamés […] se jouera à Copenhague. Choisir la solidarité ou subir le chaos, l’humanité a rendez-vous avec elle-même”. Il y avait ici une moitié de vérité. Les documentaires télévisés, les films (comme Home de Yann Arthus Bertrand), les résultats des recherches scientifiques montrent que la planète est en train d’être ravagée. Le réchauffement climatique s’aggrave et, avec lui, la désertification, les incendies, les cyclones… La pollution et l’exploitation intensive des ressources entraînent la disparition massive d’espèces. 15 à 37 % de la biodiversité devrait disparaître d’ici à 2050. Aujourd’hui, un mammifère sur quatre, un oiseau sur huit, un tiers des amphibiens et 70 % des plantes sont en danger d’extinction. Selon le Forum humanitaire mondial, le “changement climatique” entraînerait la mort de 300.000 personnes par an (dont la moitié de malnutrition) ! En 2050, il devrait y avoir “250 millions de réfugiés climatiques”. Alors, oui, il y a urgence. Oui, l’humanité est confrontée à un enjeu historique et vital !
Mais il n’y avait aucune illusion à se faire, rien de bon ne pouvait sortir de ce sommet de Copenhague où 193 États étaient représentés. Le capitalisme détruit l’environnement depuis toujours. Déjà, au XIXe siècle, Londres était une immense usine crachant sa fumée et déversant ses déchets dans la Tamise. Ce système produit dans l’unique but de faire du profit et accumuler du capital, par tous les moyens. Peu importe si, pour ce faire, il doit raser des forêts, piller les océans, polluer les fleuves, dérégler le climat… Capitalisme et écologie sont forcément antagoniques.
Toutes les réunions internationales, les comités, les sommets (tel celui de Rio de Janeiro en 1992 ou celui de Kyoto en 1997) n’ont toujours été que des cache-sexes, des cérémonies théâtralisées pour faire croire que les “grands de ce monde” se soucient de l’avenir de la planète. Les Hulot, Yann Arthus Bertrand, et autres Al Gore ont voulu nous faire croire qu’il en serait cette fois-ci autrement, que face à l’urgence de la situation, les hauts-dirigeants allaient se “ressaisir”. Mieux, ils devaient même comprendre qu’il s’agissait là d’une opportunité historique de changer en profondeur le capitalisme, en s’orientant vers une green economy capable de sortir le monde de la récession par une croissance durable et écologique ! Pendant que tous ces idéologues brassaient de l’air, ces mêmes “hauts-dirigeants” affûtaient leurs armes éco… nomiques ! Car là est la réalité : le capitalisme est divisé en nations, toutes concurrentes les unes des autres, se livrant sans répit une guerre commerciale et, s’il le faut, parfois militaire. Un seul exemple : le pôle Nord est en train de fondre. Les scientifiques y voient une véritable catastrophe écologique. Les États y voient, eux, une opportunité d’exploiter des ressources jusqu’ici inaccessibles et d’ouvrir de nouvelles voies maritimes libérées des glaces. La Russie, le Canada, les États-Unis, le Danemark (via le Groenland) se livrent actuellement une guerre diplomatique sans pitié. Le Canada a même commencé à poster des armes à sa frontière dirigées dans cette direction ! Capitalisme et écologie sont bel et bien antagoniques.
Et ils voulaient nous faire croire que, dans ce contexte, les États-Unis et la Chine allaient accepter de “réduire leur émission de CO2”, c’est-à-dire limiter leur production ? D’ailleurs, cette notion de “limitation des émissions de CO2” est en elle-même révélatrice de ce qu’est le réchauffement climatique pour le capitalisme, une arme idéologique pour mener la concurrence. Chaque pays veut fixer les objectifs qui l’arrangent : les pays d’Afrique veulent des chiffres très bas, qui correspondent à leur production, pour mettre des bâtons dans les roues aux autres nations, les pays d’Amérique du Sud souhaitent des chiffres un peu plus élevés, et ainsi de suite pour l’Inde, les États européens, eux-mêmes divisés entre eux, la Chine, les Etats-Unis…
Le seul élément peut-être surprenant de ce fiasco de Copenhague est que tous ces chefs d’État n’ont même pas réussi à sauver les apparences. D’habitude, un accord final signé en grande pompe fixe quelques vagues objectifs à atteindre un jour et tout le monde s’en félicite. Cette fois, il s’agit officiellement d’un “échec historique”. Les tensions et les marchandages sont sortis des coulisses et ont été portés au-devant de la scène. Même la traditionnelle photo des chefs d’États s’auto-congratulant bras-dessus, bras-dessous, et affichant de larges sourires d’acteurs de cinéma, n’a pu être réalisée. C’est tout dire !
En fait, la récession ne contraint pas les chefs d’État à saisir la “formidable opportunité” d’une green economy mondiale mais ne peut au contraire qu’attiser les tensions et la concurrence internationale. Le sommet de Copenhague a fait la démonstration de la guerre acharnée que sont en train de se livrer les grandes puissances. Il n’est plus l’heure pour eux de faire semblant de bien s’entendre et de proclamer des accords (même bidons). Ils sortent les couteaux, tant pis pour la photo !
Jamais le capitalisme ne sera “vert”. Demain, la crise économique va frapper encore plus fort. Le sort de la planète sera alors le dernier des soucis de la bourgeoisie. Elle ne cherchera qu’une seule chose : soutenir son économie nationale, en s’affrontant toujours plus durement aux autres nations, en fermant les usines pas assez rentables, quitte à les laisser pourrir sur place, en réduisant les coûts de production, en coupant dans les budgets de la prévention l’entretien, ce qui signifiera aussi plus de pollution et d’accidents industriels. C’est exactement ce qui s’est déjà passé en Russie dans les années 1990, avec ses sous-marins nucléaires laissés à l’abandon et la Sibérie polluée au point d’en faire mourir une large proportion de ses habitants.
Enfin, une partie de plus en plus grande de l’humanité va se retrouver dans la misère, démunie, sans nourriture ni logement. Elle sera donc plus vulnérable encore aux effets du changement climatique, aux cyclones, à la désertification.
Il est temps de détruire le capitalisme avant qu’il ne détruise la planète et ne décime l’humanité !
Pawel (19 décembre)
Révolution Internationale nr 408 (janvier 2010)
Avec la vague de protestation populaire qui a inondé les rues d’Alger, d’Oran ou de Constantine, pour faire « dégager » Bouteflika et son clan, le vieux président a fini, semble-t-il par céder sous la pression de son « peuple » : «Il n'y aura pas de cinquième mandat et il n'en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m'assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l'assise des fondations d'une nouvelle République en tant que cadre du nouveau système algérien que nous appelons de tous nos vœux» (message de Bouteflika à la nation, diffusé par les medias le 11/03/2019). Première étape d’une victoire du peuple pour un projet démocratique nous disent les médias ! Alors que la foule en liesse criait « victoire !», le président sortant a fini par annoncer qu’ « il n’y aura pas d’élection présidentielle le 18 avril prochain. Il s’agit ainsi de satisfaire une demande que vous avez été nombreux à m’adresser » La colère populaire a été galvanisée par cette déclaration. Pour la population algérienne, ce départ est clairement apparu comme un faux départ, une contorsion de Bouteflika et son clan pour prolonger son mandat sans passer par la case…électorale. Quelle farce ! Dans les manifestations, on pouvait entendre « Il faut que le peuple soit souverain, qu'il décide de son destin et de son avenir et de son Président» ; « Avec le départ de Bouteflika, nous pourrons avoir de nouveaux partis politiques qui peuvent émerger et nous donner une nouvelle Algérie».
Ces jeunes, précaires, chômeurs, lycéens, étudiants qui se sont portés à la tête de la contestation, entrainant derrière eux des familles entières, des catégories sociales de toute sorte, boutiquiers, petits commerçants, fonctionnaires, etc… sont mobilisés depuis le 22/02/2019 par centaines de milliers. Du jamais vu contre la candidature d’un cinquième mandat présidentiel de Bouteflika, dénonçant son système corrompu. Le discrédit de Bouteflika au sein de la population est tellement fort que personne ne croit à son discours de départ, Les manifestations massives continuent pour exiger la fin du système « boutef » et l’instauration d’une « vraie démocratie ».
La classe ouvrière en Algérie ne doit pas se raconter des histoires. Quelle que soit la clique au pouvoir, son sort sera toujours celui d’être une classe exploitée. Dans cette union nationale « populaire » pour chasser toute cette clique de dirigeants haïe, le prolétariat est complètement noyé dans le « peuple algérien», au milieu de secteurs de la bourgeoisie « progressiste», de la petite bourgeoisie, des intellectuels et autres « démocrates » nationalistes. Le terrain de la défense de la démocratie bourgeoise, le terrain nationaliste aspirant à une « Algérie nouvelle », n’est pas celui de la classe ouvrière. Défendre la démocratie bourgeoise et son cirque électoral, aspirer au renouveau de la nation algérienne, c’est abandonner le combat contre l’exploitation.
C’est toujours la classe dominante qui gagne les élections ! Quelle que soit la fraction dirigeante au pouvoir, tous les gouvernements, tous les chefs d’Etat dans tous les pays du monde n’ont qu’une seule fonction : gérer le capital national, défendre les intérêts et préserver les privilèges de la bourgeoisie sur le dos de la classe ouvrière. Certes le clan Bouteflika s’est montré particulièrement méprisant, arrogant, étalant ostensiblement sa richesse alors que la majeure partie de la population vit dans des conditions de misère effroyable. Mais il suffit de voir ce qui se passe dans les pays où règne une « démocratie pluraliste », où les gouvernements de droite comme de gauche se sont succédé : la classe ouvrière y subit la même exploitation ; la misère, le chômage, la dégradation de ses conditions de vie et de travail, les attaques sur les salaires n’ont fait que se développer d’année en année. Les prolétaires en Algérie ne doivent pas se laisser envoûter par les chants de sirènes des syndicats qui les appellent à rejoindre la contestation populaire en organisant une grève générale. Une grève non pas contre la misère, l’exploitation, la dégradation de toutes les conditions de vie, mais pour remplacer Bouteflika par un « bon » chef d’Etat soucieux des intérêts du « peuple » et pour la construction d’une « Algérie nouvelle » toutes classes confondues. Tous ces partis menteurs, ces « hommes providentiels », ces syndicats saboteurs de la lutte de classe, promettent aux exploités en Algérie un avenir radieux dans une « Algérie nouvelle », plus démocratique, alors que l’ensemble du monde capitaliste plonge de plus en plus dans une crise économique qui frappe de plein fouet la classe ouvrière mondiale. Le prolétariat en Algérie sait ce que veut dire se battre contre l’exploitation. Dans le passé, il a su mener des grèves dans différents secteurs, il a su faire face à la répression de la clique Bouteflika. Il ne doit pas se bercer d’illusions : demain, même si Bouteflika « dégage », ce sera cette même répression qui s’abattra sur la classe exploitée si elle ose vouloir défendre ses propres intérêts en se mobilisant sur son propre terrain de classe, une répression commanditée par un gouvernement « new look » et démocratiquement élu.
En Algérie, comme dans l’ensemble du monde capitaliste, le prolétariat doit rejeter la mystification électorale bourgeoise et le poison du nationalisme. Bouteflika, ce potentat sénile, n’est que la personnification d’un système capitaliste mondial sénile qui n’a rien à offrir aux exploités que toujours plus de misère et de répression. En Algérie, comme dans tous les pays, il n’y a qu’une seule alternative : la lutte autonome des prolétaires contre leurs exploiteurs !
Raymond.
Le CCI vient de tenir six réunions publiques en France sur le thème “Pourquoi les prolétaires doivent défendre leur autonomie de classe”. Cette intervention, dans le contexte du mouvement des “gilets jaunes” qui perdure depuis de nombreuses semaines en France, était rendue nécessaire pour répondre à de nombreuses questions concernant cette lutte, questions posées par le prolétariat en général et par de nombreux éléments en voie de politisation. Nous avons, en effet, pu entendre dans les médias comme dans le milieu politique, que ce mouvement est une manifestation inédite de la lutte de classe, quelque chose de comparable à la grève générale de Mai 68. Nous rejetons cette analyse et renvoyons nos lecteurs à nos articles publiés depuis le début de ce mouvement.
Dans ces réunions publiques, il était important de pouvoir répondre directement à nos sympathisants et nouveaux éléments intéressés à comprendre ce mouvement, important surtout de rappeler pourquoi la classe ouvrière ne peut se laisser noyer dans un mouvement interclassiste sous peine d’être happée par des idéologies réactionnaires et anti-prolétariennes comme le nationalisme patriotard, la xénophobie, le racisme anti-immigrés. La classe ouvrière est une classe d’immigrés et son mot d’ordre est : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays unissez-vous !”
Il était donc nécessaire de rappeler et débattre sur ce que représente l’interclassisme comme danger et mieux comprendre le besoin d’autonomie de la classe ouvrière pour mener son combat. Ces questions ne sont pas simples et ne sont pas des “élucubrations idéalistes” comme un participant nous l’a reproché lors de la réunion publique à Lyon, par exemple.
Ces notions de classes, d’interclassisme, d’autonomie de classe sont-elles aujourd’hui secondaires, à relativiser et à “adapter” au contexte immédiat dans lequel se trouve le prolétariat ? Sont-elles devenues carrément obsolètes ? Le combat prolétarien peut-il trouver de nouvelles voies ou des raccourcis pour renouer avec sa perspective révolutionnaire ? Toute convulsion sociale est-elle bénéfique pour le combat de la classe ouvrière ? Rien n’est plus faux !
L’interclassisme est un obstacle majeur pour la lutte du prolétariat, pour sa conscience et la défense de ses propres intérêts de classe révolutionnaire, la seule capable de mettre fin au chaos capitaliste.
Parmi les personnes présentes lors de ces réunions publiques, certaines rencontraient le CCI pour la première fois, d’autres représentaient le milieu politique prolétarien (des militants du courant bordiguiste étaient présents à la réunion publique de Marseille).
Les discussions qui se sont déroulées dans plusieurs grandes villes de France (Paris, Lille, Toulouse, Lyon, Marseille, Nantes) ont toutes confirmé le besoin de clarifier et comprendre la situation sociale du moment et les perspectives du combat prolétarien.
Contrairement à d’autres réunions publiques du passé, où les groupes du milieu politique avançaient prioritairement leurs divergences avec le CCI, nous nous sommes retrouvés ensemble avec ces camarades pour défendre une voix prolétarienne et une position marxiste face à l’interclassisme (sans gommer pour autant nos divergences). Nous voulions saluer cet état d’esprit responsable pour défendre l’héritage du marxisme et de la Gauche Communiste à l’heure où d’autres jettent à la poubelle cet héritage et sapent dans le même temps tout l’effort de clarification face aux idéologies conservatrices et réactionnaires.
La présence encore très limitée d’éléments politisés lors de ces réunions publiques a aussi une signification que nous devons reconnaître, indépendamment du fait qu’il y ait eu des manifestations de “gilets jaunes” au même moment. Cette réalité reste surtout liée aux grandes difficultés que connaît la classe ouvrière actuellement (notamment sa perte d’identité de classe), à l’intense propagande bourgeoise générant la méfiance envers les idées révolutionnaires. Tout cela entrave fortement la réflexion et amène même les prolétaires les plus combatifs à la sous-estimation de tous les dangers que l’interclassisme représente pour la lutte ouvrière aujourd’hui.
Tous les éléments présents lors de ces réunions publiques ont exprimé un besoin de clarification politique et de résistance à tous les discours sur la prétendue “bouffée d’oxygène” qu’aurait pu avoir le mouvement des “gilets jaunes” pour la classe ouvrière et sa conscience. Ce soi-disant “espoir” qu’entretient sciemment l’idéologie dominante est encore une fois une illusion très dangereuse. Nous voulions donc saluer la richesse des débats, cet effort de réflexion et de clarification politiques, se situant à contre-courant du climat politique ambiant qui veut faire croire que “tout ce qui bouge” dans la rue est nécessairement “révolutionnaire”.
Néanmoins, les débats dans ces réunions publiques ont aussi exprimé toutes les difficultés à comprendre en profondeur les questions cruciales posées par le mouvement des “gilets jaunes” :
– Qu’est-ce qu’un mouvement interclassiste ?
– Que représentent les couches intermédiaires, petites bourgeoises ?
– Qu’est-ce que l’autonomie de classe du prolétariat ?
– Qu’est-ce que la classe ouvrière en tant que seule classe révolutionnaire au sein de la société ?
– Que signifie la perte de l’identité de classe pour le prolétariat ? Quelles sont ses faiblesses aujourd’hui et comment peut-il retrouver cette identité de classe ?
– Quel est le poids de la décomposition du capitalisme sur la société, sur le prolétariat et sur le mouvement des “gilets jaunes” ?
– Quelle est la responsabilité des organisations révolutionnaires dans la transmission des leçons des combats de classe du passé et dans la défense de la perspective révolutionnaire pour les combats à venir ?
Nous ne pouvons reprendre ici toutes ces questions. Nous nous attacherons à rendre compte du débat sur les deux premières.
Même si la quasi-totalité des participants a exprimé son accord avec la dimension interclassiste du mouvement, la compréhension en profondeur de ce que représente et signifie l’interclassisme est restée encore assez superficielle.
À Lille, par exemple, des sympathisants ont exprimé l’idée “qu’il y avait des choses positives qui sortaient du mouvement et qui pouvaient participer au développement de la conscience dans la classe”. L’un d’eux a notamment affirmé que “le mouvement avait permis de faire comprendre qu’on est tous les mêmes”.
En réalité, c’est faux. Dans ce mouvement, on trouve aussi bien des petits entrepreneurs, des artisans, des professions libérales et des agriculteurs, que des ouvriers paupérisés qui se sont égarés par désespoir dans ce mouvement général de colère contre les attaques du gouvernement Macron. La réalité est que les intérêts des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Dans les couches intermédiaires, petite bourgeoisie en tête, la concurrence règne en maître et chaque petit patron est soucieux de préserver ses propres intérêts. La classe ouvrière, elle, ne possédant rien d’autre que sa force de travail, n’a pas d’intérêt individuel à défendre, séparé des autres et de l’intérêt général de la classe.
Une autre difficulté qui s’est exprimée dans les débats : la classe ouvrière était-elle présente en tant que telle dans le mouvement des “gilets jaunes” ? Lors de la réunion publique de Lille, un moment important de la discussion a été consacré à clarifier la nature du mouvement, la différence entre présence d’ouvriers dans la révolte des “gilets jaunes” et un réel mouvement prolétarien. Cette question est fondamentale. C’est un aspect sur lequel les participants à nos réunions se sont souvent focalisés, sans voir beaucoup plus en profondeur le danger de tirer un trait d’égalité entre les deux.
Malgré leurs revendications prolétariennes contre la baisse de leur pouvoir d’achat, les ouvriers présents ne se sont pas mobilisés sur leur terrain de classe, celui du prolétariat, mais en tant qu’individus et citoyens français. Dans les discussions, dans la rue, le mot “peuple” était dans toutes les bouches : “peuple bafoué”, “peuple ignoré”, “peuple travailleur”, et c’est, en effet, la colère du “peuple français” (et non pas de la classe exploitée) qui s’exprime dans ce mouvement. D’où La Marseillaise chantée régulièrement dans les manifestations, et le drapeau national tricolore brandi sur les ronds-points devenant l’étendard de ce mouvement interclassiste. Toutes ces expressions de nationalisme n’ont JAMAIS été remis en cause.
Ce concept nationaliste de “peuple français” ne peut déboucher que sur la dilution du prolétariat dans toutes les autres couches et classes sociales. En réclamant un référendum citoyen (le fameux RIC), une baisse des taxes, la demande d’un État plus “juste”, etc. tout cela ne peut conduire, dans certaines circonstances historiques, qu’à l’union nationale, à l’union sacrée des exploités avec leurs propres exploiteurs.
La nature de classe d’un mouvement social n’est pas déterminée par sa composition SOCIOLOGIQUE mais par son orientation POLITIQUE et ses méthodes de lutte.
Nous devons affirmer haut et fort que la notion de “peuple français” n’appartient pas au vocabulaire du marxisme et du mouvement ouvrier, et cela depuis les journées de Juin 1848. Le drapeau tricolore de la Révolution de 1789 a été par la suite celui des Versaillais, massacreurs de la Commune de Paris, alors que les communards avaient remplacé ce drapeau par le drapeau Rouge, devenu le symbole du mouvement ouvrier et de l’internationalisme. La référence des “gilets jaunes” est la Révolution française de 1789 où la révolte populaire des “sans-culottes” contre la famine avait permis à la bourgeoisie, asphyxiée par les taxes fiscales, de prendre le pouvoir politique et de se débarrasser de la noblesse qui avait le privilège de ne pas payer d’impôts.
Sur cette question, certains sympathisants du CCI ont relativisé cet aspect et ont estimé que “les références à 1789, les chants de la Marseillaise ne sont pas conscients, mais résultent d’un manque de connaissance de ce que cela recouvre”, ce qui est vrai. Mais est-ce une question secondaire, un simple détail sans importance ? Contrairement à la révolution de 1789, lors des journées insurrectionnelles de Juin 1848, le prolétariat a dû et est parvenu à se détacher des autres couches sociales pour s’affirmer comme classe indépendante, et comme seule force révolutionnaire de la société. Le Manifeste communiste est devenu alors le programme révolutionnaire de la classe porteuse du communisme, même si en 1848, comme le dit Marx, les conditions de la révolution n’étaient pas encore mûres. Beaucoup de participants à ces réunions publiques semblaient méconnaître cet épisode fondamental de l’histoire du mouvement ouvrier, permettant de donner un cadre historique et théorique aux débats.
L’autonomie de classe du prolétariat signifie son indépendance par rapport aux autres classes de la société, sa capacité à donner une orientation politique à l’ensemble des autres couches non exploiteuses. Cette indépendance de classe du prolétariat constitue une CONDITION INDISPENSABLE pour son action révolutionnaire visant, à terme, au renversement du capitalisme et à l’édification d’une société sans classes et donc sans exploitation de l’homme par l’homme. Les objectifs de la lutte du prolétariat n’a rien à voir avec les objectifs du mouvement nationaliste et “citoyen” des “gilets jaunes” : améliorer la démocratie bourgeoise, réformer le système capitaliste pour une meilleure répartition des richesses de la nation française, et une plus grande “justice fiscale”. C’est pour cela que la référence des “gilets jaunes” à la Révolution de 1789 et leur nostalgie de cette révolution du “peuple français” avec ses cahiers de doléances, tenues à l’époque par les curés des paroisses catholiques, est totalement réactionnaire.
Tous ces doutes et questionnements sur l’autonomie nécessaire de la classe ouvrière par rapport aux autres couches sociale sans devenir historique (notamment la petite bourgeoisie) traduisent, en réalité, une difficulté à comprendre ce qu’est la classe ouvrière en tant que classe révolutionnaire. Ces difficultés ne datent pas d’aujourd’hui et sont la base de discussions depuis de nombreuses années avec tout un milieu d’éléments qui se politisent et se questionnent sur la perspective révolutionnaire en se demandant qui ou quelle classe peut changer le monde. Ces difficultés sont encore renforcées par le fait que la classe ouvrière a subi un recul dans la conscience de sa propre identité, en oubliant momentanément son expérience passée faite de luttes glorieuses contre le capitalisme.
Malgré l’accord de nos sympathisants concernant le danger de l’interclassisme, la plupart d’entre eux ont exprimé l’idée que ce mouvement pouvait représenter une étincelle, une sorte de tremplin pour des mouvements prolétariens à venir. Certains camarades estimaient “normal que les prolétaires présents ne soient pas conscients, la conscience se développant dans la lutte et c’est donc aux révolutionnaires de leur montrer que le mouvement ne répond pas aux besoins de la classe et qu’il faut faire autre chose”. Cette analyse révèle de profondes illusions sur les potentialités du mouvement des “gilets jaunes” et la possibilité que celui-ci fasse surgir une dynamique de classe clairement prolétarienne. Une telle illusion occulte les dangers contenus dans ce mouvement interclassiste, notamment la contamination du prolétariat par des idéologies et de méthodes de luttes qui lui sont totalement étrangères. L’idée que ce mouvement serait une sorte de guide suprême pour la classe ouvrière ou un “tremplin” pour ses luttes, révèle également un manque de confiance dans les potentialités du prolétariat en tant que classe historiquement révolutionnaire.
Seul la méthode marxiste permet d’identifier quelles sont les forces sociales en mouvement, leur nature profonde, au-delà des simples apparences sociologiques. Quant aux rôles des révolutionnaires dans ce mouvement lui-même, il est totalement dérisoire. Ces derniers se situant à contre-courant de ce raz de marée interclassiste et nationaliste ne peuvent avoir aucun écho. Pour la grande majorité des “gilets jaunes”, les révolutionnaires apparaissent au mieux comme des “martiens” venus d’une autre planète, au pire comme des saboteurs de leur mouvement (ou des “indifférentistes”)
À Marseille, du fait de la présence à notre réunion publique de camarades du courant bordiguiste (qui publient “Le Fil Rouge”), le débat a permis d’approfondir la question du danger de l’interclassisme, en rappelant qu’en 1789, la révolution française contre la monarchie était un mouvement populaire interclassiste qui a permis à la bourgeoisie de prendre le pouvoir. Un camarade du “Fil Rouge” a apporté de nombreux arguments très profonds pour étayer notre analyse de la nature du mouvement des “gilets jaunes”. Ce camarade a, entre autre, rappelé qu’une des revendications des petits commerçants en “gilets jaunes”, étaient le boycott des hypermarchés et l’appel à faire ses courses dans les petits commerces de proximité. Si les ouvriers préfèrent aller au supermarché, c’est tout simplement parce que les denrées de première nécessité y sont beaucoup moins chères que dans les petits commerces de quartiers. Il est donc évident que les intérêts des ouvriers pauvres en “gilets jaunes” ne sont pas les mêmes que ceux des petits commerçants asphyxiés par la compétitivité des hypermarchés !
Les intérêts du prolétariat ne peuvent donc qu’être dilués au milieu des revendications propres à la petite bourgeoisie et aux petits patrons. Nous devons rappeler que la lutte de classe n’est pas une lutte “populaire” entre les “riches” et les “pauvres”, mais un combat de classe entre une classe exploiteuse et une classe exploitée.
Concernant la question de la violence, les débats n’ont pu vraiment se développer, faute de temps. Là encore, il sera important d’y revenir et de comprendre pourquoi la bourgeoisie a fait usage d’un tel degré de répression (face à un mouvement qui ne peut pas mettre en danger sa domination de classe) et pourquoi les confrontations des “gilets jaunes” avec les forces de l’ordre, assez spectaculaires, ne peuvent représenter un but en soi, un moyen de renforcer la lutte elle-même et de “faire plier” le gouvernement et encore moins de pousser Macron à la démission !
En conclusion, de multiples questions fondamentales restent encore à débattre. Pour les aborder, les clarifier, et comprendre les enjeux de la situation sociale actuelle, le cadre politique du marxisme basé sur l’histoire du mouvement ouvrier reste absolument fondamental.
Stopio, 1er mars 2019
“La constitution de l’IC éveille aussi de très mauvais souvenirs pour l’ensemble de la classe capitaliste et ses serviteurs zélés. En particulier, l’angoisse qu’elle eut au sortir de la Première Guerre mondiale devant le flot montant, et qui paraissait alors à tous inéluctable, de la vague révolutionnaire internationale. 1917 : révolution prolétarienne victorieuse en Russie en octobre, mutineries dans les tranchées ; 1918 : abdication de Guillaume II et signature précipitée de l’armistice devant les mutineries et la révolte des masses ouvrières en Allemagne ; mouvements ouvri-ers à partir de 1919 : insurrections ouvrières en Allemagne, instauration sur le modèle russe de républiques des con-seils ouvriers en Bavière et en Hongrie, début de grèves de masse ouvrières en Italie et en Grande-Bretagne, muti-neries dans la flotte et les troupes françaises, ainsi que dans des unités militaires britanniques, refusant d’intervenir contre la Russie soviétique...” (“1919 : fondation de l’Internationale communiste”, (Revue internationale n° 57).
L’Internationale communiste s’est formée pour donner une orientation politique claire à la recrudescence massive de la lutte de classe, pour montrer la voie de la conquête du pouvoir mondial par la classe ouvrière. À cette époque, il s’agissait d’une organisation très différente de ce qu’elle est devenue plus tard avec l’isolement, la dégénérescence et la défaite de la révolution en Russie (une simple agence pour la politique étrangère d’un État russe intégré au système impérialiste mondial). Les révolutionnaires d’aujourd’hui doivent donc reconnaître que l’histoire de l’IC est une partie vitale de l’histoire du mouvement ouvrier. Mais nous sommes également confrontés à la tâche de comprendre les faiblesses et les échecs de l’Internationale afin de construire le futur parti mondial sur les principes programmatiques et organisationnels les plus clairs possibles.
Le CCI invite tous ceux qui sont intéressés à débattre des leçons de cette expérience historique majeure lors de nos réunions publiques qui seront organisées :
Retrouvez toutes les dates et lieux de cette réunions publiques dans notre rubrique "agenda" [689]
Lors de la dernière journée de grève générale du 5 février, appelée par la CGT, les CRS ont encore envoyé des gaz lacrymogènes pour disperser la manifestation qui se déroulait dans le calme à Paris. Les forces de l’ordre n’ont pas hésité une fois de plus à tabasser lâchement des femmes et des retraités qui défilaient tranquillement (avec ou sans gilet jaune) pour protester contre toutes les mesures d’austérité du gouvernement Macron. La répression aveugle qui s’est abattue sur les manifestations des “gilets jaunes” depuis quatre mois a également fait de nombreuses victimes, estropiées par les tirs de flashball et de grenades lacrymogènes de “désencerclement”. C’est lors du baptême du feu des CRS en 1947-48 que les flics républicains, aux ordres d’un gouvernement “socialiste”, avaient utilisé les premiers canons à eau et grenades lacrymogènes contre les luttes ouvrières, n’hésitant pas à se servir également de leurs armes pour assassiner froidement des prolétaires. Aujourd’hui, en plus des canons à eau et des grenades lacrymogènes modernisées, l’État démocratique de la Ve République a encore sophistiqué ses armes de répression avec la production et l’utilisation des LBD (flashballs).
La classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusion : plus la bourgeoisie va attaquer les conditions de vie des exploités, plus elle va renforcer son État policier. Ce ne sont pas les manifestations-balades derrière les syndicats ou les “gilets jaunes” qui vont faire reculer et affaiblir le Moloch capitaliste.
“Pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, de la mitraille enfin, de la misère toujours”. (Auguste Blanqui).
C’est à la suite de la révolte des Canuts à Lyon en 1831 et des journées insurrectionnelles de juin 1848 à Paris que la bourgeoisie a créé, à Lyon en 1851, sa première police d’État (dans la continuité de celle instituée par Colbert sous le régime monarchique de Louis XIV). Mais face au développement du prolétariat, ces compagnies de Police d’État créées dans les grandes villes (et placées sous l’autorité des maires) étaient insuffisantes pour le maintien de l’ordre. Il fallait donc créer une force de répression mobile distincte de l’armée et capable d’intervenir sur tout le territoire français. Ce rôle fut dévolu à la Garde nationale, qui existait depuis 1799, et qui était une milice dans laquelle s’étaient engagés beaucoup d’éléments de la bourgeoise qui payaient leur équipement pour intégrer ses rangs.
Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, après la défaite de l’armée française à Sedan, le 4 septembre, le gouvernement républicain de la Défense nationale est mis en place. Le 6 septembre, tous les électeurs inscrits dans la ville de Paris sont enrôlés dans la Garde nationale, cette même Garde nationale qui, en juin 1848, avait massacré les prolétaires insurgés. 590 000 citoyens sont ainsi mobilisés et vont participer à la défense de Paris assiégée par l’armée prussienne.
Dès octobre 1870, des bataillons de gardes nationaux, composés majoritairement, cette fois-ci, d’ouvriers en uniforme, étaient influencés par les idées de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT). Entre le 1er février et le 3 mars 1871, 2 000 délégués réunis élaborent, puis adoptent, les statuts d’une Fédération républicaine de la Garde nationale avec un Comité central élu. Celui-ci s’oppose à toute éventuelle tentative de désarmement de la Garde nationale laquelle ne voulait reconnaître d’autres chefs que ceux qui seraient élus. Le 18 mars, après la signature de l’armistice entre la France et la Prusse, le gouvernement de Thiers réfugié à Versailles, tente de faire reprendre par l’armée les canons de Belleville et Ménilmontant. Les gardes nationaux s’y opposent estimant que ces canons leur appartiennent puisqu’ils avaient contribué à les acheter. Ils sont appuyés par les soldats envoyés par Thiers qui se retournent contre leurs officiers. Dans les affrontements, deux généraux versaillais sont tués. La Commune de Paris est proclamée. C’est la Garde nationale qui va assurer sa défense, du 18 mars au 28 mai 1871.
Après la répression sanglante de la Commune, Thiers dissout le 25 août 1871, les Gardes nationales dans toutes les villes de France. La bourgeoisie avait compris qu’il ne fallait plus laisser les armes entre les mains du prolétariat. La Garde nationale est définitivement supprimée.
En 1936, Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur radical-socialiste, lance l’idée d’une force mobile de police : les Groupes Mobiles des Gardiens de la Paix “chargées par une surveillance constante, d’assurer le maintien de l’ordre et la sécurité publique sur l’ensemble de la zone où fonctionnera la Police d’État. Centralisées dans les agglomérations les plus importantes, ces forces pourront être déplacées à tout instant pour suppléer à l’absence ou à l’insuffisance de moyens d’action sur tous les points de la région où le besoin s’en fera sentir”. (Lettre d’Albert Sarraut au président de la IIIe République, Albert Lebrun, 11 mars 1936).
En août 1941, la Police Nationale est créée par Pétain et remplacera les Gardiens de la Paix. C’est en s’inspirant de ces groupes mobiles de “Gardiens de la Paix” que Pétain décide, en 1941, de créer les GMR (“Groupes Mobiles de Réserve”). Ces unités paramilitaires de la police nationale constituées en “zone libre [692]”, placée sous l’autorité du préfet régional, ont été déployées, fin 1942, dans toute la France occupée, avant d’être mobilisées dans la lutte contre le maquis de la Résistance à partir de la fin 1943.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, De Gaulle maintiendra la police nationale du régime de Vichy qui regroupait trois corps : les forces mobiles de maintien de l’ordre, la Police Judiciaire, et les services des Renseignements Généraux.
En août 1944, lors de la Libération de Paris, les forces de police ont été obligées de retourner leur veste sous peine de se faire lyncher par les FFI et la population. Malgré la complicité de la Préfecture de Paris dans la “solution finale” du régime nazi (c’est elle qui est en première ligne dans la rafle de 13 000 juifs les 16 et 17 juillet 1942 – la rafle du Vel’ d’Hiv’), De Gaulle va lui décerner la Légion d’Honneur et la Croix de Guerre pour son courage et sa “loyauté” dans l’insurrection contre l’armée d’occupation allemande. Néanmoins, De Gaulle va procéder à l’épuration de la police en dissolvant immédiatement les GMR, trop marqués par le pétainisme, pour les remplacer par une nouvelle police de maintien de l’ordre ; les Compagnies Républicaines de Sécurité (CRS) composées en partie de résistants des FFI, dans lesquels se trouvaient de nombreux Francs-Tireurs et Partisans inféodés au PCF.
Depuis la Libération, l’État policier, constitué par le gouvernement de Vichy, ne cessera de se renforcer (sous la IVe République de 1946 et la Ve République de 1958) jusqu’à nos jours.
Pour reconstruire l’économie nationale dévastée par la guerre, il fallait imposer au prolétariat une impitoyable surexploitation. Les prolétaires, après avoir subi les sacrifices de la guerre et de l’Occupation, étaient appelés à “retrousser les manches”, à “produire d’abord et revendiquer après”, selon l’expression du PCF qui entre en 1945 dans le gouvernement tripartite (PCF, SFIO socialiste, MRP démocrate-chrétien). Dans les bassins miniers, le PCF (sur le modèle de la politique stakhanoviste menée par Staline en URSS) se fera le principal chantre de la “bataille du charbon”, principale source d’énergie dont dépendait la reconstruction de l’économie nationale. Pour contenir les luttes ouvrières qui risquaient d’exploser contre la dégradation des conditions de vie des prolétaires, l’État policier s’est doté d’une police anti-émeute musclée. Le gouvernement Ramadier et son ministre de l’Intérieur “socialiste” Jules Moch avait confié aux CRS le soin de faire le sale travail de répression des luttes la classe ouvrière.
La première grève éclate à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt au printemps 1947. Face à l’inflation galopante, la hausse du prix du pain, la pénurie alimentaire et les cadences infernales, les ouvriers réclament une augmentation des salaires de 10 francs. La grève éclate le 25 avril à l’initiative de quelques ouvriers (trotskistes et anarcho-syndicalistes). Dès le début, Plaisance, le dirigeant CGT de Renault déclare : “Ce matin, une bande d’anarcho-hitléro-trotskistes a voulu faire sauter l’usine”. Malgré les tentatives des dirigeants de la CGT de casser la grève, celle-ci s’étend à tous les ateliers de Renault. Le 5 mai, les quatre ministres du PCF sont exclus du gouvernement pour avoir voté, en tant que députés, contre la politique de Ramadier de renforcement des mesures d’austérité.
Après l’expulsion du PCF du gouvernement, les dirigeants de la CGT inféodée à ce parti, prennent le train en marche et se rallient aux grévistes pour prendre le contrôle du mouvement qui s’étend à plusieurs autres secteurs. Le gouvernement négocie avec la CGT et finit par accorder à tous les ouvriers de Renault une prime de 1600 francs et une avance de 900 francs sur les salaires. Ce qui a permis à la CGT de faire voter la reprise du travail.
Dans le contexte de la “guerre froide” initiée par le Plan Marshall, le PCF cherche à revenir au gouvernement. Son seul moyen de pression pour déstabiliser le gouvernement est d’instrumentaliser la classe ouvrière en poussant la CGT à se radicaliser sur le front social. Le 10 [693] novembre 1947, après la victoire du RPF gaulliste à la municipalité de Marseille, l’augmentation du prix des tickets de tramway met de nouveau le feu aux poudres, avec des grèves et des manifestations massives, cette fois sous le contrôle total de la CGT. Quatre membres de la CGT sont arrêtés. Immédiatement, 4 000 ouvriers dirigés par la CGT envahissent le Palais de Justice exigeant la libération de leurs camarades. Ils se rendent également à la mairie et insultent le nouveau maire gaulliste de la cité phocéenne (Michel Carlini). La CGT entraîne ensuite les ouvriers dans une action commando : l’attaque de nuit des bars louches dirigés par la mafia marseillaise. Un jeune ouvrier (Vincent Voulan) est alors abattu par les gangsters de la bande mafieuse de Mémé Guérini (ami de Gaston Deferre pendant et après la Résistance). Le jour de ses funérailles, le 14 novembre, trois salariés sur quatre étaient en grève à Marseille.
Le 4 décembre, le nouveau ministre de l’Intérieur, Jules Moch, décide la dissolution et le remplacement de deux compagnies sur trois des CRS de Marseille. Ces compagnies, qui avaient été en bonne partie constituées par d’anciens résistants, étaient fortement influencées par le PCF et la CGT et elles s’étaient montrées hésitantes face aux “émeutiers”.
Le 17 novembre 1947, la grève s’étend aux mines de charbon sur tout le territoire, puis à tous les secteurs : Renault et Citroën, l’Éducation nationale [694], le BTP [695], la métallurgie, chez les dockers et dans toute la fonction publique. [696].
Le 29, à Saint-Étienne, 30 000 grévistes manifestent dans la rue et affrontent, pour la première fois, les CRS avec des barres de fer. Jules Moch mobilise toutes les forces de l’ordre, y compris des bataillons de l’armée et un régiment de parachutistes. Maurice Thorez s’inquiète de la radicalisation de la grève dans les bassins houillers.
Après le sabotage de la liaison ferroviaire Paris-Tourcoing (qui provoque le déraillement d’un train dans la nuit du 2 au 3 décembre faisant 20 morts et 50 blessés), le gouvernement négocie secrètement avec Thorez : il échange l’immunité de quatre militants du PCF contre l’appel à la reprise du travail. Bilan de la répression : 100 licenciements, 1 000 suspensions et 500 déplacements forcés de mineurs d’un puits à un autre.
Le 18 septembre 1948, trois décrets du ministre de la Production industrielle, Robert Lacoste, remettent en cause le statut des mineurs obtenu en 1946 : baisse de 10 % du personnel de surface et des employés administratif, licenciement en cas d’absence de six jours, mises à pied immédiatement applicable sans passer par une commission paritaire, remise en cause du régime spécial de Sécurité sociale concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles, restriction du droit syndical (en plus de la suppression en septembre 1947, du salaire garanti). Ces attaques brutales contre le statut spécial des mineurs sont assénées alors que le pouvoir d’achat a encore baissé avec la hausse des prix et des loyers.
Le 4 octobre, 340 000 mineurs sont en grève dans toute la France et occupent les bassins miniers. C’est le début d’un mouvement qui va durer 56 jours. Les mineurs revendiquent l’abrogation des décrets Lacoste qu’ils estiment totalement illégaux en regard du statut du mineur, reconnu par la loi et la constitution.
Sans attendre la fin des négociations entre la CGT et le cabinet de Lacoste, Moch envoie immédiatement une gigantesque armada de blindés et de CRS dans les mines de charbon. Plus de 60 000 “hommes” décérébrés par l’infâme propagande “socialiste” de Jules Moch, transformés en machines à tuer juchées sur des automitrailleuses, ont été déployés autour des fosses. Le 7 octobre, à Merlebach en Lorraine, le mineur Jansek d’origine polonaise, est sauvagement abattu à coups de crosse par les CRS. D’autres seront tués aussi à Alès et à Firminy. Le 19 octobre, en Lorraine, les forces de l’ordre envahissent les camps où sont logés les mineurs étrangers (nord-africains et réfugiés espagnols). Ces hordes de CRS saccagent leurs baraquements et les conduisent de force à la mine. Des opérations similaires sont menées dans plusieurs bassins. Les journaux officiels aux ordres du gouvernement titrent (avec un cynisme sans nom) que la police “démocratique” au service du “peuple” a dû intervenir pour faire respecter la “liberté du travail”. Quant à la CGT, elle pousse à l’affrontement entre les ouvriers et dénonce les “jaunes”, alors que les ouvriers immigrés ont été traînés de force dans la mine et menacés d’être expulsés vers leurs pays d’origine (ce qui signifie, pour les réfugiés espagnols, d’être livrés à la répression sanguinaire de Franco).
La vengeance et la sauvagerie de la répression seront ignobles, comme en témoigne, entre autres, le traitement infligé au mineur Léon Léglise. Atteint de silicose et ne pouvant plus descendre au fond de la mine, il avait obtenu un poste d’ouvrier de surface. Pour le punir d’avoir participé à la grève, il sera renvoyé dans les puits et en mourra. Les mineurs licenciés ont aussi perdu leur logement et se sont retrouvés dans le dénuement le plus total avec impossibilité de retrouver du travail dans la région.
Pourquoi les CRS aux ordres du chien sanglant “socialiste” Jules Moch ont-ils assassiné à coups de crosse le mineur Jansek (avec les mêmes moyens employés par les Corps Francs du chien sanglant “socialiste” Noske pour assassiner Rosa Luxemburg en janvier 1919 à Berlin) ? Dans la commune de Creutzwald, en Moselle, un sous-lieutenant des CRS affirmera plus tard que le ministère de l’Intérieur avait envoyé en Lorraine les CRS de Clérmont en prétendant que la population de cette région, proche de la frontière franco-allemande, était… hitlérienne ! Ainsi, Jules Moch, pour s’assurer de la loyauté des CRS, devait raviver dans leurs esprits l’hystérie nationaliste et la haine revancharde anti-“boche” de la Libération. La grève n’était plus “l’arme des trusts” (selon l’expression du “communiste” Thorez en 1947), mais “l’arme des boches”, d’après le “socialiste” Jules Moch ! Comme le disait Goebbels, chef de la propagande nazie : “Un mensonge énorme porte avec lui une force qui éloigne le doute”.
C’est le même type de mensonges et de “fake news” que la bourgeoisie française et son État démocratique avait déjà utilisé en 1871 pour préparer la répression sanglante de la Commune de Paris : on racontait aux troupes versaillaises que les communards étaient des brigands, des voleurs, et des traîtres à la patrie ! De même, pour embrigader massivement, la fleur au fusil, les ouvriers et paysans dans la Première Guerre mondiale, la classe dominante faisait publier dans les journaux la “nouvelle” que les soldats du Reich violaient les femmes et égorgeaient les enfants ! De l’autre côté de la frontière, la propagande prussienne racontait que les français étaient des “sauvages” et des “cannibales” (parce que des soldats des troupes coloniales, notamment des tirailleurs sénégalais, étaient envoyés dans les tranchées comme chair à canons) !
Aujourd’hui, on veut faire croire aux téléspectateurs que derrière chaque manifestant déguisé en gilet jaune, se cache un antisémite néo-nazi, un anarchiste, un casseur, un terroriste islamiste, un extrémiste de gauche, etc. En chaque occasion, la classe dominante ne peut galvaniser ses forces de répression et intoxiquer la population qu’en semant la psychose et la paranoïa dans les esprits.
La grève des mineurs prend fin le 28 novembre 1948. Les “gueules noires”, engagées dans la “bataille du charbon”, ont été contraintes de reprendre le travail sans avoir obtenu l’abrogation des décrets Lacoste. La répression féroce et la militarisation du travail montre, s’il en était encore besoin, le visage hideux de l’ordre “républicain” et de ses sbires “socialistes”.
Comme le dira plus tard, le mineur Norbert Gilmez, licencié le 5 décembre 1948 (avant d’écoper d’une peine de prison) : “Nous avons été victimes du terrorisme d’État !”
Face à la répression, le PCF n’a pas lancé d’appel à la grève générale en solidarité avec les mineurs. Il savait que son ambition de revenir au gouvernement était désormais vaine. L’heure était encore à “retrousser les manches”. Le parti stalinien s’est contenté d’organiser la solidarité matérielle et l’aide humanitaire aux mineurs. Liberté, le journal du PCF du Nord-Pas-de-Calais, a payé la moitié des amendes infligées aux grévistes. Le PCF a également recueilli les messages et dons de solidarité qui arrivaient du monde entier (au total, 300 millions de francs seront récoltés en soutien aux mineurs). Les paysans apportaient de la nourriture, les dockers bloquaient l’arrivée de charbon étranger (et les dockers américains ont refusé de charger le charbon à destination de la France !). Les associations solidaires de la région parisienne ont envoyé des autocars pour aller chercher les enfants affamés.
Les images d’enfants montant dans ces autocars, ne pouvaient que rappeler les années noires de la guerre. Ces années où, sous le gouvernement de Vichy, des enfants juifs ont été séparés de leurs parents et recueillis par des familles de la zone libre et par des associations caritatives (comme l’Organisation de Secours aux Enfants) qui cherchaient à les sauver des camps de la mort.
C’est dans ce contexte que le slogan “CRS=SS” a été tagué par les “gueules noires” sur les murs des corons. À leurs yeux, les CRS aux ordres de Jules Moch (que les ouvriers appelaient Jules “Boche”) faisaient en effet, le même sale travail que les troupes d’occupation allemande. Ils ont fait même pire, à un certain égard. Lors de la grève des 100 000 mineurs des bassins du Nord-Pas de Calais, fin mai-début juin 1941, l’armée allemande avait exercé une répression brutale (plus de 200 arrestations, exécutions des “meneurs” et déportations de 270 grévistes). Cependant, l’administration nazie avait fini par accorder aux grévistes une petite augmentation de salaires, des rations de viande et de savon supplémentaires ainsi que des vêtements de travail, alors qu’en 1948, les mineurs ont été contraints de reprendre le travail en courbant l’échine, sans avoir rien obtenu ! La “démocratie” de la “France libre” n’avait rien à envier à la dictature de l’occupant nazi.
Vingt ans plus tard, en Mai 68, le slogan des mineurs “CRS=SS” est réapparu sur les murs des universités et des lieux publics. Les “enragés”, étudiants et jeunes ouvriers, l’avaient repris de leurs parents qui avaient vécu l’enfer de la militarisation du travail et la brutalité de la répression.
Le baptême du feu des premières Compagnies Républicaines de Sécurité, en 1948, a révélé au grand jour ce dont est capable la classe dominante, avec son “État de droit”, ses institutions “démocratiques”, son Parlement, ses élections, sa “liberté du travail” et sa police nationale au service du “peuple” (en réalité au service du Capital). (1) Il serait illusoire de croire que la violence dans la répression des luttes ouvrières appartient désormais au passé dans les pays “civilisés” et “démocratiques” de la vieille Europe !
“Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit ; c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. (…) Sur notre navire, nous transportions les trésors les plus précieux de l’humanité confiés à la garde du prolétariat, et tandis que la société bourgeoise, flétrie et déshonorée par l’orgie sanglante de la guerre, continue de se précipiter vers sa perte, il faut que le prolétariat international se reprenne, et il le fera, pour ramasser les trésors que, dans un moment de confusion et de faiblesse au milieu du tourbillon déchaîné de la guerre mondiale, il a laissé couler dans l’abîme. Une chose est certaine, la guerre mondiale représente un tournant pour le monde. C’est une folie insensée de s’imaginer que nous n’avons qu’à laisser passer la guerre, comme le lièvre attend la fin de l’orage sous un buisson pour reprendre ensuite gaiement son petit train” (Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie).
Marianne, 5 mars 2019
1Pour illustrer cet article, nous invitons nos lecteurs à se référer à cet extrait d’un documentaire diffusé sur FR3 : https://www.youtube.com/watch ? v=Oxzyz6QkCT4 [697]
Nous publions ci-dessous l’exposé introductif aux réunions publiques que le CCI a organisé en France au mois de janvier.
L’idée très répandue, aussi bien par les médias de la bourgeoisie que par certains partis politiques, c’est que le mouvement des “gilets jaunes” est une manifestation inédite de la lutte de classe, quelque chose de comparable à la grève généralisée de Mai 68. Ce mouvement embrasse, en réalité, une panoplie très large de revendications, allant de l’annulation de la taxe sur le carburant et l’allègement des impôts jusqu’à l’augmentation du SMIC et/ou des retraites.
C’est pour cela que, parmi les “gilets jaunes”, on retrouve aussi bien des petits entrepreneurs à l’origine de cette mobilisation que des ouvriers qui se sont progressivement agrégés à ce mouvement de colère contre les attaques du gouvernement Macron. C’est pourquoi nous qualifions ce mouvement d’interclassiste. Les prolétaires sont en effet noyés dans ce magma informe. Malgré leurs revendications prolétariennes contre la baisse de leur pouvoir d’achat, ils ne se sont pas mobilisés sur un terrain de classe, en tant que membres de la classe ouvrière mais en tant que citoyens français. Ce mouvement des “gilets jaunes”, en tant que tel, s’est développé dès le début sur un terrain qui est opposé à celui de la classe ouvrière, tant dans ses méthodes de lutte que par certaines revendications étrangères au prolétariat. Évidemment, ce mouvement se situe aux antipodes du but historique du mouvement prolétarien : la lutte pour le renversement du système capitaliste ouvrant la perspective de l’abolition de l’exploitation et de l’esclavage salarié.
Le développement du capitalisme n’a pas fait disparaître les couches intermédiaires, situées entre les deux classes fondamentales de la société : le prolétariat et la bourgeoisie. Ces couches sociales intermédiaires sont composées de petits artisans, de petits entrepreneurs, des professions libérales, de secteurs de la paysannerie qui se sont mobilisés contre leur paupérisation, contre la dégradation de leurs conditions de vie. L’objectif de ces couches intermédiaires, et leur seule perspective, consiste à quémander à l’État le maintien des moyens leur permettant de continuer à vivre de leur petit business, de s’aménager une meilleure place au sein la société capitaliste.
Ces couches intermédiaires, du fait qu’elles ne sont pas intégrées dans le salariat, ne sont pas intéressées à l’abolition du capitalisme. Il n’en est pas de même pour le prolétariat dont la condition fondamentale est de vendre sa force de travail à la classe bourgeoise, puisque cette force de travail est la seule “richesse” qui permet aux prolétaires de survivre dans un monde dominé par la production de marchandises.
Pour le prolétariat, il ne s’agit pas de quémander quoi que soit à l’État capitaliste mais de lutter contre son exploitation et pour la défense de ses conditions de vie constamment attaquées par le capital avec l’aggravation de la crise économique. Le développement de ses luttes, la généralisation de son combat, leur unification est un véritable tremplin pour poser les jalons du renversement du capitalisme et pour instaurer une nouvelle société débarrassée de l’exploitation et de toutes ses conséquences : la barbarie, les guerres, la décomposition et le chaos social. Pour le prolétariat, son horizon, c’est le futur, et non pas les mesquins intérêts immédiats de la petite bourgeoisie.
Les luttes du prolétariat s’appuient sur une réalité matérielle : le travail associé. Cette association du travail est le cadre dans lequel la classe ouvrière puise sa force en tant que classe sociale antagonique à la bourgeoisie. Ses méthodes de luttes sont le produit de cette association. Les assemblées générales, l’organisation du prolétariat en comités de lutte, en comités de grève, en conseils ouvriers sont l’expression de cette association. La classe ouvrière dans ses luttes s’organise et développe, de manière consciente, un projet de société qui sera “une association de producteurs où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous” comme le disait Marx dans le Manifeste du parti communiste.
Le mouvement des “gilets jaunes” est bien loin de cette perspective car au sein de ce mouvement, c’est le besoin d’être reconnu comme de bons citoyens français qui a dominé. Pour les petits patrons en gilets jaunes, la principale motivation de leur colère, c’est la nécessité de se dresser contre les grandes entreprises capitalistes qui les étouffent, c’est la volonté de lutter contre l’augmentation des taxes fiscales qui asphyxie leurs petites entreprises. Nous sommes loin de la réalité prolétarienne, loin du travail associé. Contrairement au prolétariat, les couches sociales intermédiaires, notamment la petite bourgeoisie, qui dominent le mouvement des gilets jaunes, n’ont aucun projet révolutionnaire de transformation de la société ; elles sont fondamentalement conservatrices et même réactionnaires.
Les ouvriers qui se sont laissés entraîner dans ce mouvement, à la remorque des petits patrons, ne luttent pas sur leur terrain de classe. De ce fait, ils sont inévitablement happés par l’idéologie bourgeoise, par des idéologies réactionnaires et anti-prolétariennes comme le nationalisme patriotard, la xénophobie, le racisme anti-immigrés à tel point que parmi les 42 revendications initiales des “gilets jaunes” on trouve la revendication de l’expulsion des immigrés clandestins, avec l’idée répugnante et populiste qu’on ne veut pas que nos impôts servent à accueillir tous les migrants qui fuient la misère absolue et la barbarie guerrière de leur pays d’origine. Ce n’est donc pas un hasard si le mouvement des “gilets jaunes” a été soutenu dès le début non seulement par tous les partis de droite mais aussi par celui de Marine Le Pen, l’ex-FN. Contrairement au mouvement interclassiste des “gilets jaunes”, nous devons rappeler ici que la classe ouvrière est une classe d’immigrés et que son mot d’ordre est : “Les prolétaires n’ont pas de patrie. Prolétaires de tous les pays unissez-vous”.
Ce mouvement interclassiste se présente en réalité comme une révolte populaire, c’est la colère du “peuple français” qui s’exprime. On est tous unis parce qu’on est le peuple français. Sur les ronds-points et dans les manifestations de “gilets jaunes”, c’est à tue-tête que l’on entend chanter la Marseillaise avec le drapeau national tricolore comme étendard. Or, nous devons affirmer haut et fort que le drapeau tricolore était celui des Versaillais, des massacreurs de la Commune de Paris tandis que les communards avaient remplacé le drapeau tricolore de la Révolution de 1789 par le drapeau Rouge, devenu le symbole du mouvement ouvrier et de l’internationalisme. La référence historique des “gilets jaunes” est en effet la Révolution française de 1789 où la révolte populaire des “sans culottes” contre la famine avait permis à la bourgeoisie, asphyxiée par les taxes, de prendre le pouvoir politique et de se débarrasser de la noblesse qui avait le privilège de ne pas payer d’impôts.
Contrairement à la révolution française de 1789, la nouvelle classe exploitée qui est apparue sur les décombres de la société féodale, le prolétariat, ne peut plus faire alliance avec les couches sociales victimes aussi de l’augmentation de leurs impôts. Dès le début du mouvement ouvrier, le prolétariat a dû affirmer son autonomie de classe pour défendre ses propres intérêts de classe révolutionnaire ayant ses propres méthodes de lutte en lien avec son projet historique : le communisme. C’est ce projet révolutionnaire qui était déjà contenu dans la révolte des Canuts en 1830, dans les journées insurrectionnelles de juin 1848 ou dans la Commune de Paris de 1871.
Souvenons-nous que Marx, il y a 150 ans, avait identifié les journées insurrectionnelles de juin 1848 à Paris comme étant la première manifestation de l’autonomie de la classe destinée à devenir le fossoyeur du capitalisme, et ceci à une époque où le salariat ne s’était pas encore généralisé.
Au milieu du XIXe siècle, la bourgeoisie devait poursuivre l’achèvement de sa révolution en se débarrassant des vieux restes de la féodalité et instaurer un régime de démocratie parlementaire. Cependant, face à la grande crise économique de 1847, les masses populaires des villes et des campagnes ont été confrontées à la famine, ce qui a provoqué une série de soulèvements des masses urbaines de prolétaires ou de semi-prolétaires à Paris, Berlin, Vienne et d’autres villes. Comme le Manifeste du parti communiste l’a mis en évidence, le prolétariat était déjà devenu une force distincte des autres couches sociales.
En février 1848, les ouvriers parisiens avaient constitué la force principale derrière les barricades, dans le soulèvement qui avait renversé la monarchie de Louis-Philippe et instauré la République. Mais au cours des mois suivants, l’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie “républicaine” était devenu ouvert et aigu, du fait que la nouvelle classe exploiteuse avait montré clairement qu’elle était incapable de faire quoi que ce soit pour soulager la misère économique des ouvriers. La résistance du jeune prolétariat parisien s’était concrétisée dans la revendication confuse du “droit au travail”, lorsque le gouvernement décida de fermer les Ateliers nationaux qui avaient été créés pour apporter aux ouvriers un minimum de secours face au chômage.
Néanmoins, comme l’avait affirmé Marx en 1850, dans son livre Les luttes de classe en France, derrière le slogan du “droit au travail” s’était exprimé les débuts d’un mouvement pour la suppression de la propriété privée. La bourgeoisie était consciente de ce danger : lorsque les ouvriers parisiens ont érigé des barricades, les armes à la main, pour défendre les Ateliers nationaux, le soulèvement a été réprimé avec la plus grande férocité. En réalité, ce que voulait la bourgeoisie en provoquant ce soulèvement, c’était retirer les armes au prolétariat. Comme l’écrivait Marx dans Les luttes de classe en France : “les ouvriers, avec un courage et un génie sans exemple, sans chefs, sans plan commun, sans ressources, pour la plupart manquant d’armes, tinrent en échec cinq jours durant l’armée, la garde nationale de Paris ainsi que la garde nationale qui afflua de la province. On sait que la bourgeoisie se dédommagea de ses transes mortelles par une brutalité inouïe et massacra plus de 3 000 prisonniers.”
Cette première défaite sanglante du prolétariat a démontré de manière implacable la fin d’une illusion, d’une utopie, l’illusion que la République bourgeoise pourrait alléger les souffrances de la classe exploitée. Les journées insurrectionnelles de Juin 1848 ont donc fait apparaître avec clarté l’affrontement inexorable de deux classes sociales ayant des intérêts totalement opposés. Elles ont fait apparaître également que, contrairement à la révolution de 1789, le prolétariat s’est détaché des autres couches sociales pour s’affirmer comme classe indépendante, et comme seule force révolutionnaire de la société. Le Manifeste du parti communiste est devenu alors le programme révolutionnaire de la classe porteuse du communisme, même si, en 1848, comme le dit Marx, les conditions de la révolution n’étaient pas encore mûres.
Ainsi l’autonomie de classe du prolétariat signifie son indépendance par rapport aux autres classes de la société. Cette autonomie constitue une CONDITION INDISPENSABLE pour l’action révolutionnaire de la classe exploitée. C’est pour cela que la référence des “gilets jaunes” à la Révolution de 1789 et leur nostalgie de cette révolution du “peuple français” avec ses cahiers de doléances, tenues à l’époque par les curés des paroisses catholiques, est totalement réactionnaire. Face à la révolte populaire des “gilets jaunes”, nous devons rappeler que la notion de “peuple” n’appartient pas au vocabulaire du marxisme, et cela depuis les journées de Juin 1848. Au contraire, cette notion de “peuple français” ne peut déboucher que sur l’interclassisme, la dilution du prolétariat dans toutes les autres couches et classe sociales. Finalement, ce concept nationaliste de “peuple français” ne peut conduire, dans certaines circonstances historiques, qu’à l’union nationale, à l’union sacrée des exploités avec leurs propres exploiteurs.
Pour terminer cet exposé, nous voulons répondre ici à une question que certains de nos lecteurs se sont posée : le mouvement des “gilets jaunes” peut-il devenir un tremplin pour le surgissement d’une lutte autonome de la classe ouvrière ?
Notre réponse est clairement NON. La lutte de classe du prolétariat ne peut pas surgir à la remorque d’un tel mouvement interclassiste, nationaliste et citoyen. Bien que la grande majorité des prolétaires éprouve une certaine sympathie pour ce mouvement contre “la vie chère”, ils ne se reconnaissent pas dans les méthodes de luttes des “gilets jaunes”. Ils ne se reconnaissent pas dans les blocages et l’occupation stériles des ronds-points. Ils ne se reconnaissent pas dans les actes de violence aveugles et désespérés qui ne peuvent mener qu’au chaos social et faire le jeu de la répression et du renforcement de l’État policier. La grande majorité des prolétaires ne se reconnaissent pas non plus dans un mouvement soutenu par la droite et l’extrême droite.
Aujourd’hui, on voit encore plus clairement l’impasse, le caractère non prolétarien de ce mouvement de citoyens français en gilets jaunes, à travers sa revendication d’un Référendum d’Initiative Populaire, une revendication parfaitement réformiste qui vise à dévoyer les prolétaires derrière la mystification électorale et la défense de la démocratie bourgeoisie. Pour les “gilets jaunes”, il s’agit d’améliorer la démocratie parlementaire de l’État capitaliste afin que la “voix du peuple” puisse être entendue. Alors que pour le prolétariat, le but de son combat de classe est de renverser l’État bourgeois et toutes les institutions démocratiques de la dictature du Capital. C’est justement parce que cette revendication du RIC n’a rien de prolétarien qu’elle est soutenue par toutes les cliques bourgeoises, de l’extrême droite du parti de Marine Le Pen à l’extrême gauche trotskiste du NPA de Besancenot, en passant par le parti de Mélenchon.
RI, 19 janvier 2019
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Nous avons retiré un article et le premier tract sur les protestations contre le changement climatique des pages française, néerlandaise et espagnole (ils n'ont pas été publiés en anglais), parce qu'il y a un accord général dans l'organisation que ces deux textes originaux n'étaient pas assez critiques sur l'implication de la bourgeoisie dans les manifestations sur le changement climatique. Le nouveau tract international sur notre site Internet exprime la position de l'organisation sur ces manifestations. Nous produirons une analyse plus détaillée des protestations contre le changement climatique en temps voulu.
Depuis plusieurs mois, se sont succédé des manifestations de jeunes dans 270 villes du monde pour protester contre la détérioration du climat et la destruction de l'environnement.
Les jeunes descendent dans la rue pour exprimer leur inquiétude totalement justifiée pour l'avenir de la planète et de l'espèce humaine elle-même, un avenir de plus en plus compromis par les effets d'un système de production qui détruit l'environnement naturel (tout en détruisant la vie de millions d'êtres humains par l'exploitation, la guerre et la misère qu'il provoque) et qui entraîne des changements des conditions climatiques, atmosphériques et reproductives de la planète aux conséquences toujours plus catastrophiques.
De même, ils expriment leur indignation face au cynisme et à l'hypocrisie des dirigeants qui ont la bouche pleine de déclarations exprimant "leur préoccupation" pour le "problème de l’environnement" et qui organisent d'innombrables forums (Kyoto, Paris, etc.) pour adopter des "mesures" aussi spectaculaires que peu efficaces alors qu’en même temps, au service de leurs desseins impérialistes et économiques, ils ne font qu'aggraver encore la détérioration de la planète.
Nous partageons pleinement l'inquiétude et l'indignation de ces dizaines de milliers de jeunes, mais nous devons nous demander si ce mouvement, dans ses objectifs, ses approches et ses méthodes, constitue un véritable combat pour résoudre le problème, ou s'il constitue un piège qui ne peut que les conduire au découragement et à l'amertume d'être utilisés et trompés.
L'histoire des 100 dernières années regorge de ce genre de tromperies répugnantes perpétrées par les gouvernements et les partis qui servent le capitalisme. Dans les années 1930 et 1980, de grandes manifestations "pour la paix" ont été organisées par les gouvernements et les partis "démocratiques", et l'expérience a montré qu'il s'agissait d'une manipulation terrible car avec ces mobilisations "pacifistes" ils préparaient la guerre : la Seconde Guerre mondiale avec ses 60 millions de morts ou les innombrables guerres locales qui continuent à couvrir avec la mort, les ruines et la douleur de nombreux endroits de la planète.
Les manifestations actuelles ont pour axe de "demander aux autorités de faire quelque chose", de faire pression sur elles, voire de remplir leurs ordinateurs de mails, de tweets etc. truffés de menaces.
Mais ce sont ces mêmes autorités qui, pour défendre les intérêts capitalistes du profit maximum et l'occupation de positions stratégiques sur le marché mondial, adoptent des mesures qui ne font qu'aggraver la détérioration du climat et de l'environnement. Une telle démarche de "pression" sur les gouvernements pour qu'ils "bougent", c'est comme demander à un hacker de s'occuper de la sécurité informatique ou au renard de prendre soin des poules.
Les dirigeants des États ne sont pas "au service des citoyens" et ne cherchent pas non plus à "écouter leurs demandes". L'État n'est pas l'organe du "peuple" mais la machine exclusive et d’exclusion qui défend les intérêts de chaque capital national, de la minorité qui nous exploite et qui est responsable de la dégradation de l’environnement.
Les initiateurs du mouvement dénoncent le fait que "depuis 40 ans, les partis politiques de toutes couleurs perdent la guerre contre le changement climatique !" Ces partis ne font que promettre et tromper la galerie, alors qu'en pratique, ils prennent des décisions économiques, militaires ou guerrières qui contribuent à la destruction de la planète. Un lycéen genevois de 18 ans a dénoncé cette farce : "Il y a une grande méfiance dans la politique institutionnelle, mais aussi dans les organisations environnementales comme Greenpeace, qui sont perçues comme trop modérées et institutionnalisées."
Les manifestations se concentrent sur la réalisation de "conversations" avec des ministres, des parlementaires, des groupes de pression et des militants écologistes. Cela ne sert qu'à laver le visage de l'État démocratique et à se perdre dans le labyrinthe des lois et des politiques gouvernementales. Les tentatives de "dialogue" avec les porte-parole politiques ne débouchent que sur des promesses grandiloquentes qui ne résolvent rien.
Le mot d’ordre des manifestations se propose de "Sauver le climat, changer le système", une formule vague qui se traduit par "passer à la pratique" et se perdre dans une série de mesures locales ou régionales qui ne résolvent absolument rien et causent fatigue et déception.
Dans différentes écoles, par exemple, des "comités climat" ont été créés pour développer des "projets climat" par école. Sous le slogan "Changez le monde, commencez par vous-même", l'objectif proposé est de réduire votre propre "empreinte écologique".
Ce genre d'orientation est particulièrement pervers car elle nous fait sentir COUPABLES DE LA CATASTROPHE CLIMATIQUE, transformant un problème historique et global causé par le capitalisme en un problème "domestique" causé par des individus. La réduction de "notre empreinte écologique" consisterait à utiliser moins d'eau pour faire la vaisselle, à ne se doucher qu'une fois par semaine et à ne pas tirer la chasse d'eau.
Cette approche de "responsabilisation des individus " est particulièrement dangereuse. Tout d'abord, parce qu'elle sert à exonérer de toute responsabilité le Capital ainsi que les États et gouvernements qui le servent.
Deuxièmement, parce qu'elle fait de ces milliers de jeunes qui sont aujourd'hui des écoliers ou des étudiants mais qui demain seront des travailleurs ou des chômeurs, des "citoyens" qui "exigent et réclament auprès de leurs gouvernants". Cela induit une fausse image de la société dans laquelle nous vivons : elle n'est pas formée par des "citoyens libres et égaux" mais par des classes sociales confrontées à des intérêts antagonistes : une minorité, la classe capitaliste, qui possède presque tout et qui est de plus en plus riche, et une immense majorité, le prolétariat, qui ne possède rien et est toujours plus pauvre.
Et, troisièmement, et c'est le plus grave : l'approche individualiste de "faisons chacun quelque chose pour le climat" conduit à la division et à la confrontation au sein de la classe ouvrière elle-même. Lorsque des usines automobiles ou d'autres branches industrielles ou logistiques seront fermées au nom de la "lutte pour le climat", les autorités pointeront du doigt les travailleurs qui résistent aux licenciements en les dénonçant comme complices de la dégradation du climat.
Avec la même approche, mais inversée ("arrêtons de parler du changement climatique et gardons les emplois"), le démagogue populiste Trump a obtenu de nombreuses voix dans les États industriels sinistrés du Midwest américain ("la ceinture de la rouille") qui lui ont permis de remporter l’élection présidentielle.
C'est un dilemme dans lequel ils veulent nous piéger : maintenir l'emploi au détriment du climat ou perdre les conditions de vie et l'emploi lui-même afin de "sauver la planète" ? C'est un piège crapuleux avec lequel le capitalisme sauve ses intérêts égoïstes enveloppés dans le drapeau attrayant de "sauver la planète".
Les problèmes de destruction de la nature, d'épuisement des ressources naturelles, de détérioration et de réchauffement du climat ne peuvent être résolus qu'à l'échelle mondiale. La bourgeoisie ne peut pas et ne veut pas le faire parce que, dans le capitalisme, l'État-nation est la forme la plus élevée d'unité qu'elle peut atteindre. En conséquence, les nations s’affrontent comme des vautours, aussi " verts " que soient leurs gouvernements, malgré l'existence de conférences internationales et d'organisations supranationales telles que l'ONU ou l'Union européenne.
Les organisations internationales comme l'ONU n'ont pas pour objectif de "résoudre les problèmes de la population mondiale". Il n'y a pas de "communauté internationale des nations". Au contraire, le monde est le théâtre d'une confrontation impérialiste brutale entre tous les États et d'une compétition à mort pour en tirer le meilleur profit. L'ONU ou la multitude d'organisations internationales de "coopération" sont des repaires de brigands utilisés par chaque capital national pour imposer ses propres intérêts.
La seule classe qui puisse affirmer un véritable internationalisme est la classe ouvrière.
Quelles forces sociales peuvent réaliser un changement si fondamental ? Contrairement à la bourgeoisie, la classe ouvrière est capable de s'unir au niveau mondial, de surmonter les divisions et les oppositions entre États-nations et n'a aucun privilège à défendre dans la société d’exploitation actuelle. Ce n'est que dans le cadre d'une lutte révolutionnaire de la classe ouvrière mondiale que les problèmes environnementaux pourront être pris en main.
La classe ouvrière n'a aucun intérêt, en tant que classe la plus exploitée de la société, à défendre ce système décadent et, d'autre part, en raison de la manière associée dont elle est organisée dans le capitalisme, elle peut semer les graines d'une autre société, une société qui n'impose pas une division entre les peuples, entre la nature et les produits qui en découlent, entre l'homme et son environnement naturel. Quand la classe ouvrière s'affirme comme classe autonome en développant une lutte massive, sur son propre terrain de classe, elle entraîne derrière elle une part toujours plus grande de la société, derrière ses propres méthodes de lutte et ses mots d’ordre unitaires et, finalement, son propre projet révolutionnaire de transformation de la société.
Le mouvement contre le réchauffement climatique se développe dans un contexte d'absence quasi totale de luttes de la classe ouvrière, qui fait également face à une perte de confiance en soi et même de sa propre identité de classe. En conséquence, la classe ouvrière n'est pas encore en mesure de répondre à la question que se poseront certains des participants au mouvement pour le climat, à savoir celle d'une perspective d'avenir face à une société capitaliste qui se dirige vers l’abîme.
Que pouvons-nous faire ? Il ne s'agit pas de ne rien faire, il s'agit de rejeter le prétexte de "faire quelque chose" pour appuyer, avec ce prétexte, les partis et les gouvernements qui servent le capitalisme.
L'indignation et l’inquiétude pour l'avenir de la planète commenceront à trouver un cadre historique de réponse avec le développement des luttes de la classe ouvrière mondiale face aux attaques contre ses conditions de vie, les licenciements, etc. car il y a une unité entre la lutte contre les effets de l'exploitation capitaliste et la lutte pour son abolition.
Les jeunes qui participent au mouvement doivent comprendre qu'ils ne sont pas de "futurs citoyens" mais, dans leur très grande majorité, de futurs précaires, de futurs chômeurs, de futurs exploités, qui devront unir à leur lutte contre l'exploitation capitaliste la lutte contre la guerre, la catastrophe environnementale, la barbarie morale, etc. que ce système d'exploitation transpire par tous ses pores.
C'est ce que le mouvement contre le Contrat Première Embauche en France en 2006 ou le mouvement des Indignés en Espagne et dans d'autres pays a commencé à faire, bien que très timidement, en 2011. C’étaient des mouvements de jeunes qui entrevoyaient que leur avenir n'est pas celui de "citoyens libres et égaux" mais celui d’exploités qui doivent lutter contre l'exploitation pour finalement l'abolir.
Dans le capitalisme, il n'y a pas de solution : ni à la destruction de la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité. Seule la lutte du prolétariat mondial avec tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative.
Courant Communiste International (14-3-2019)
Sommet de Copenhague : pour sauver la planète, il faut détruire le capitalisme ! [699] : https://fr.internationalism.org/content/9839/sommet-copenhague-sauver-planete-il-faut-detruire-capitalisme [699]
Conférence mondiale de la Haye : seule la révolution prolétarienne sauvera l’espèce humaine : https://fr.internationalism.org/french/rint/104_ecolo.html [700]
Le monde à la veille d'une catastrophe environnementale [701] : https://fr.internationalism.org/rint135/le_monde_a_la_veille
_d_une_catastrophe_environnementale.html [701]
Thèses sur le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France : https://fr.internationalism.org/rint125/france-etudiants [186]
2011 : de l’indignation à l’espoir [288] : https://fr.internationalism.org/ri431/2011_de_l_indignation_a_l_espoir.html [288]
“Quand on voit dans les comptes rendus opérationnels le nombre de lacrymos ou de flash-ball utilisés, on est à des niveaux exceptionnels, alors qu’on a vécu des manifestations beaucoup plus dangereuses pour nous où on avait interdiction d’utiliser les lanceurs de balles de défense. (…) Aucune consigne de mesure n’est donnée aux CRS, contrairement à d’autres manifestations où on nous met la pression. Là, il y a une volonté que les collègues se lâchent. Quand on doit se lever à 2 heures du matin pour rejoindre sa compagnie à 3 heures et être sur les Champs-Élysées de 7 heures du matin à 22 heures, c’est sûr qu’on est épuisé et qu’on n’a plus le même discernement ni le même self-control”. Quant à la prime au rendement (promise par Macron), “tous les collègues auxquels j’en ai parlé se sont sentis insultés. On l’a ressenti comme si c’était un susucre qu’on nous donnait pour qu’on ferme notre gueule et qu’on aille faire le sale boulot. Certains taperaient sur père et mère si on leur en donnait l’ordre. Mais il y a une vraie crise existentielle pour d’autres. On se demande si notre devoir ne serait pas d’être avec le peuple. On subit la même violence sociale en termes de salaire, et on est doublement victimes de l’autoritarisme de l’État parce qu’en plus c’est notre patron et qu’on est muselés”, souligne le fonctionnaire, qui a observé plusieurs arrêts maladie dans sa compagnie ces derniers jours. “Il ne manque pas grand-chose pour que les flics refusent de retourner en manif la prochaine fois”, estime-t-il.Concernant le changement de stratégie de maintien de l’ordre (annoncé par Christophe Castaner, après le tabassage d’un CRS le 1er décembre devant l’Arc de Triomphe à Paris, ce CRS affirme : il s’agit d’une “décision politique habituelle. C’est ce qui a été fait lors des dernières manifestations contre la loi travail ou le 1er Mai : on nous donne l’ordre de laisser casser pour que le mouvement devienne impopulaire, et la fois d’après on y va fort parce que l’opinion publique attend une réaction de répression policière”. (témoignage recueilli par L’Humanité).
Notre commentaire
Il ne faut pas se bercer d’illusions. Nous sommes encore très loin d’une situation révolutionnaire où les forces de répression se rallient massivement à la cause du prolétariat. Les CRS n’ont pas le droit de faire grève mais ils ont le droit de manifester. Il ne reste plus à ceux qui sont en “crise existentielle”, qu’à rejoindre “le peuple” en endossant un gilet jaune (en prenant le risque de se prendre une balle de flashball de leurs collègues prêts à “taper père et mère si on leur en donnait l’ordre”). Ils peuvent aussi démissionner, comme le préconise cette chanson dérisionnaire composée par un petit groupe de jeunes de la mouvance “libertaire” : https://www.youtube.com/watch?v=rpPOooh07Us [703]
Le 28 avril prochain, se tiendront en Espagne de nouvelles élections générales. Lorsque les politiciens bourgeois seront en plein marchandage pour former le gouvernement, les élections régionales, municipales et européennes prévues pour le 26 mai auront lieu.
Ces convocations aux urnes nous sont présentées comme “la grande fête de la démocratie”, dans laquelle, prétendument, le peuple déciderait de son futur. En vérité, comme toutes les élections, celles à venir ne sont qu’une énième démonstration du cynisme de la classe exploiteuse, qui se répand en promesses qui ne seront jamais tenues, et qui prétend prendre la défense de ceux qu’elle écrasera ensuite impitoyablement, semant ainsi la misère et la précarité.
Cette récurrence d’élections générales (tout de même trois en trois ans !) n’est en aucun cas un exercice de “souveraineté populaire”, mais cache plutôt une crise grandissante de l’appareil politique de la bourgeoisie espagnole, incapable de trouver une stabilité, et qui se voit constamment saboté par l’indiscipline de ses différentes fractions ; par un poids croissant des secteurs les plus incohérents et imprévisibles de la classe exploiteuse au sein des partis politiques traditionnels de l’ordre bourgeois, qui par conséquent rend difficile l’utilisation du mécanisme électoral pour instituer l’organisation politique qui convient au capital national à un moment donné.
La crise politique sous-jacente à la succession d’élections en Espagne n’est pas spécifique au capital espagnol. C’est un phénomène qui, à sa racine, même si ses manifestations les plus immédiates ne sont pas similaires, est identique à celui qui a conduit la bourgeoisie britannique, la plus expérimentée de la planète, dans un gigantesque sac de nœuds (le Brexit) et dont elle ne sait, pour le moment, se dépêtrer. C’est cette même logique qui a placé à la tête de la principale puissance mondiale un individu tel que le président Trump, difficilement adaptable aux intérêts de l’ensemble de la bourgeoisie nord-américaine. C’est cette même tendance à l’indiscipline qui menace la stabilité de la “grande coalition” entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates en Allemagne, qui voient un parti politique comme Alternative pour l’Allemagne gagner dangereusement du terrain. C’est le même genre de parti, une coalition de voyous et d’ “europhobiques”, qui a atteint les plus hautes sphères du gouvernement italien, le troisième pays le plus riche de l’Union Européenne. Cette crise politique de la bourgeoisie est celle qui propulse et construit, en quelques mois seulement, la “notoriété” de nouvelles “figures politiques” comme celle de Macron, soutenue par l’ensemble des principaux secteurs du capital français. C’est aussi celle qui pousse à l’ascension fulgurante de personnages aussi louches que Bolsonaro au Brésil. Cette instabilité politique en croissante expansion, dans le monde entier, est le fruit de la décomposition de la société capitaliste. Comme nous l’avions déjà montré en 1990, lorsque nous analysions les conséquences de l’entrée du capitalisme mondial dans sa phase finale de décomposition :
“L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergies vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir. L’absence d’une perspective (exceptée celle de “ sauver les meubles ” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut”.(1)
Comme nous l’avons analysé dans notre publication, il y a eu en Espagne des expressions successives, et de plus en plus graves, de cette crise au sein de l’appareil politique. À commencer par la crise du PSOE en 2015-2016,(2) qui a mis en évidence son incapacité à jouer le rôle d’alternance politique avec la droite, comme cela se produisait depuis la transition démocratique. Cette situation a conduit d’une part à de nouvelles élections (juin 2016), ce qui a entraîné une nouvelle détérioration de son influence électorale mais surtout, à l’éclatement de toutes sortes de conflits internes. Pedro Sánchez a tenté de renverser cette situation en voulant former un gouvernement de coalition avec Podemos et les indépendantistes catalans. Mais ce faisant, il a déclenché un cataclysme au sein du PSOE ; le Comité fédéral l’a évincé, et Mariano Rajoy, grâce à la consigne d’abstention donnée par le Comité fédéral, est redevenu Président du gouvernement. Cette victoire du Parti Populaire (PP), offerte par le PSOE, a permis à Sánchez d’obtenir le soutien des bases du PSOE, jusqu’à son éviction par le Comité fédéral lors de son dernier Congrès.(3)
Le second facteur qui a aggravé les turbulences au sein des partis de la bourgeoisie espagnole a été, sans aucun doute, la “crise catalane”, que nous avons aussi analysée(4) comme étant une expression des problèmes historiques de cohésion entre les différents secteurs du capital espagnol, alimentés par le “chacun pour soi” grandissant dans la société capitaliste en décomposition. Les nationalistes catalans, pourtant assez loyaux à l’État bourgeois espagnol (surtout lorsque la lutte ouvrière dut être écrasée sous la Seconde République ou lors de la transition des années 1970), sont entrés dans une surenchère délirante, où la viabilité de l’indépendance n’est finalement pas le plus important. S’est ainsi installé un climat de fracture sociale entre des positions tout aussi réactionnaires les unes que les autres, dans une atmosphère marquée par la recherche de boucs émissaires, la haine et la peur qui suintent de la société. Dans ce climat que ni la bourgeoisie espagnole, ni la bourgeoisie catalane n’ont été capables de contenir, ceux qui tirent le plus parti de la situation sont les secteurs les plus irresponsables, les plus imprégnés de valeurs dépassées qui reflètent un impossible retour dans un passé idéalisé comme oasis face à l’effondrement social.
Cela est la troisième expression de la crise politique de la bourgeoisie en Espagne. Il y a non seulement la persistance d’un blocage, d’une stagnation de la situation qui pourrit de plus en plus comme conséquence de la décomposition sociale, mais aussi, dans ces relents, pullulent à leur aise des expressions aussi aberrantes que Puigdemont ou VOX, enfants du capitalisme,(5) dont les tares sont l’expression d’un système qui, depuis des années, ne peut engendrer que des monstruosités. La croissante influence sociale de ces partis est le résultat, et non la cause, de la décrépitude du capitalisme en tant qu’organisation sociale.
Les élections du 28 avril prochain sont le résultat de l’échec de l’opération “motion de censure” qui, comme nous l’expliquions, était une tentative de la part de secteurs importants de la bourgeoisie espagnole de désamorcer le conflit catalan et de diviser le front indépendantiste.(6) Cette tentative a été, en réalité, sabotée par des “tirs amis”. Par des courants historiques du PSOE qui, une fois de plus, ont pris peur face aux concessions, pourtant plus apparentes que réelles, faites par Sánchez aux indépendantistes catalans. Mais également par la Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya ou ERC) elle-même, qui a craint que transiger sur l’approbation des budgets en plein procès pour “rébellion” contre ses dirigeants, ne soit exploité par Puigdemont ou par la Candidature d’unité populaire (Candidatura d’Unitat Popular ou CUP) pour la présenter comme “vendue à l’espagnolisme”. Comme on peut le voir, toute une série de coups de couteau dans le dos en pleine “fête de la démocratie”.
Depuis que le capitalisme est entré dans sa phase de décadence, il y a un siècle, la démocratie bourgeoise est un paravent de la dictature du capital. En ce sens, les élections sont le moyen de présenter comme “résultat de la volonté populaire” ce qui s’est déjà préalablement décidé dans les hautes sphères de la classe exploiteuse. Par le biais de toute une série de stratégies, que l’on appelle “marketing politique”, c’est-à-dire manipulation, la bourgeoisie a plus ou moins réussi à maintenir cette farce qui exige néanmoins de chaque fraction qu’elle accepte, de manière disciplinée, le rôle et l’importance qui lui sont attribués.(7) Le problème est que ce stratagème s’émousse chaque fois un peu plus. Et l’on ne parle pas uniquement de VOX ou des “fake news” dont ils font la publicité jour après jour. Nous parlons de la façon dont un parti centenaire comme le Parti nationaliste basque a, du jour au lendemain, laissé tomber le PP. Nous parlons de la façon dont le PSOE, qui accuse le PP de détourner des fonds publics pour financer ses campagnes électorales, fait à peu près la même chose en promulguant dans les derniers conseils des ministres toute une série de décrets, véritables aumônes, qu’il veut vendre comme preuve de sa “sensibilité sociale” et qu’il essaye de rendre électoralement rentable, sans honte aucune.
Qui va gagner, alors, ces élections ? Le jeu politique de la bourgeoisie espagnole donne l’impression qu’elle va à nouveau mélanger et distribuer les cartes pour voir si, dans un nouveau tirage, l’une des fractions obtient une position avantageuse lui permettant de mettre au pas ses adversaires.
Peut-être que le PSOE aspire à profiter de l’effondrement de Podemos pour rendre inéluctable un gouvernement entre “ces beaux messieurs” Sánchez et Rivera (ce qui semble être l’union la plus heureuse entre les financiers et les grands capitalistes), comme ce qu’il avait déjà tenté en 2015, et avait échoué du fait du sabotage de Podemos. Peut-être que Ciudadanos, qui a échoué à prendre la tête de la droite via l’essor de VOX, tirera profit de ce relatif échec pour accepter humblement ce nouveau virage politique (et c’est un virage à 180°). Peut-être que l’essor de VOX, si spectaculaire, laisse penser qu’il vaut mieux les avoir au sein du gouvernement (comme jusqu’à présent en Andalousie) plutôt que de les voir rejoindre l’opposition, avec une force toujours croissante. Mais il est aussi possible que VOX finisse par imposer son discours à toutes les fractions de la droite. Peut-être reviendrons-nous au point de départ avant cet appel électoral et que sera rééditée, quoique dans l’ombre, la coalition qui a appuyé la motion de censure. Peut-être le contraire se produira-t-il, et que la coalition qui a soutenu l’application de l’article 155 de la Constitution en Catalogne s’installera. Peut-être qu’il ne se passera rien et que nous entrerons dans une longue période au cours de laquelle il n’y aura aucune possibilité de former un gouvernement, et de nouvelles élections devront avoir lieu.
Ce qui est absolument certain, c’est que cette tendance à l’enlisement, au chaos et à l’instabilité va s’accélérer. Les principaux agents de cette stabilité depuis la transition démocratique (le PSOE et le PP) sont aujourd’hui condamnés à des conflits internes toujours plus grands, et à une érosion de leur crédibilité aux yeux de leurs propres membres au sein de l’appareil de l’État bourgeois. Le PSOE, qui a servi à amalgamer les fractions centrifuges de la bourgeoisie, voit aujourd’hui cette capacité d’intégration remise en cause par les élans d’espagnolisme enragé provenant de secteurs historiques tels que ceux de Felipe González, Guerra, des barons régionaux, etc. Le PP, qui, avec le travail acharné de toutes les fractions de la bourgeoisie espagnole, a pu atteindre un certain pedigree “démocratique”, emprisonnant en son sein les secteurs les plus nostalgiques du franquisme, les voit désormais se réveiller et retrouver toute leur vigueur d’antan. La perte de ces référents est dramatique pour le capitalisme espagnol, terrifié par l’avenir qui s’annonce comme celui de l’Italie, où des bastions de l’ordre bourgeois depuis la Seconde Guerre mondiale tels que la Démocratie chrétienne et le PC, ont été incapables d’empêcher un gouvernement populiste.
Que pouvons-nous faire en tant qu’ouvriers ? Cette situation d’enlisement et de pourrissement de la vie politique augmente les chances de tomber dans de fausses alternatives : ou le “vote punitif” comme expression du ras le bol de toute cette clique de politiciens corrompus et décevants(8), ou bien le “vote responsable”, c’est-à-dire aller voter, à contrecœur, dans le but de faire “barrage à la droite dure”, etc. Toutes deux réduisent l’ouvrier à l’impuissance, l’amenant à osciller entre des expressions aussi capitalistes les unes que les autres, tel Ulysse allant de Charybde en Scylla , le faisant renoncer à défendre son autonomie de classe face à toutes les fractions de la bourgeoisie, en s’attachant à une roue qui conduit l’humanité elle-même dans une irréversible spirale de chaos, de barbarie, et de destruction.
Il est évident que la propagande des soi-disant partis “socialistes” ou “gauchistes” se sert de la vulnérabilité du prolétariat espagnol face à la mystification “antifasciste”, grâce au poids des traumatismes causés par la victoire du franquisme durant la guerre de 1936, prolongée par une dictature qui a duré jusqu’aux années 70. Ce passé, indéniablement ténébreux, est remué afin que les ouvriers placent leur confiance dans “tout plutôt que de revivre cet enfer”. Le but de ces partis est de faire en sorte que les travailleurs oublient que ce “tout” est aussi criminel que le fantôme qu’ils tentent d’exorciser. Comme cela a été dit pendant le mouvement du 15 M,(9) la violence, c’est de ne pas pouvoir joindre les deux bouts (il y a aujourd’hui en Espagne plus de 2,5 millions de travailleurs ayant un emploi qui ne peuvent boucler leurs fins de mois). La violence, c’est que les tribunaux de Franco sont aussi implacables que les tribunaux qui, dans le paradis démocratique, imposent des expulsions quotidiennes par dizaines et ce, même dans les villes gouvernées par des femmes aussi progressistes que Carmena, Ada Colau, etc. La violence, c’est que le racisme des fachos est, sans aucun doute, dénigrant, mais que le gouvernement de Sánchez n’a pas changé (à l’exception d’un premier geste(10) sa politique d’expulsions et d’enfermements irréguliers dans les Centres d’Internement des Étrangers ou dans les ghettos pour mineurs, etc. que Rajoy avait prolongée à partir des mesures de Zapatero.
L’unique chose qui peut ralentir cette barbarie, est une éradication du capitalisme à l’échelle planétaire. Cela ne peut se réaliser par le biais des urnes. Cela doit se réaliser au travers d’une LUTTE. Se mobiliser en tant que catégories citoyennes de l’ordre démocratique ; femmes, noirs, homosexuels, n’a rien d’une véritable lutte. C’est une lutte qui doit se baser sur l’opposition de CLASSE CONTRE CLASSE, dans laquelle la classe ouvrière rend possible à l’échelle internationale une véritable unité de tous les exploités, car elle n’est pas divisée par des intérêts divergents. Elle est la classe qui peut unir toute l’humanité, car elle ne prétend ni maintenir, ni instaurer une nouvelle exploitation.
Valerio, le 20 mars 2019
1Voir sur notre site : La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme [190].
2PSOE ou Parti socialiste ouvrier espagnol. (NdT)
Voir sur notre site l’article: Espagne : Qu’arrive-t-il au PSOE ? [704], qui reprend de larges extraits de l’article original espagnol [705].
3Voir sur notre site en espagnol : Primarias y congreso del PSOE: el engaño democrático de “las bases deciden [706]”.
4Voir entre autres : L’imbroglio catalan montre l’aggravation de la décomposition capitaliste [707].
5Nous avons par exemple montré comment VOX, Puigdemont et Podemos partagent le même venin anti-prolétaire du nationalisme, dans des versions plus ou moins archaïques ou folkloriques. Voir sur notre site en espagnol : Contra la campaña de Vox en medios obreros: ¡Los obreros no tenemos patria ! [708]
6Voir notre article en espagnol : Gobierno PSOE: ¿ Qué hay detrás de la moción de censura ? [709]
7Il existe de nombreux exemples historiques de ces manipulations. En France, par exemple, il est de notoriété publique que le leader socialiste Mitterrand a favorisé et instrumentalisé le Front National dans le but de diviser les votes de la droite. Durant la transition démocratique espagnole, l’unique parti véritablement implanté (le PCE) s’est ainsi auto-saboté lors des premières élections afin de permettre le développement de l’Union du centre démocratique (CDU) ou du PSOE, plus assimilables par les démocraties européennes qui les dopèrent avec tous types d’appuis.
8Le spectacle répugnant des manipulateurs au sein des “ nouveaux partis »comme Cuidadanos, et surtout Podemos, a sans aucun doute augmenté le poids de cette irritation.
9Il s’agit du mouvement des Indignés débuté le 15 mai 2011 (NdT).
10À son arrivée au pouvoir en juin 2018, le gouvernement Sanchèz avait accueilli à “bras ouverts” les 630 migrants de l’Aquarius. Il avait également fait la promesse mensongère de faciliter l’accès des sans-papiers aux soins publiques et de retirer les barbelés des clôtures des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. (NdT)
Cette série dénonce la partie la moins visible (la face cachée) des organisations de gauche et d’extrême gauche du capital (socialistes, staliniens, trotskystes, maoïstes, anarchistes officiels, “nouvelle” gauche à la Syriza, la France Insoumise ou Podemos). Dans le premier article de la série, nous avons vu comment ces organisations nient la classe ouvrière qu’ils prétendent défendre, dans le deuxième nous avons décortiqué leur méthode et leur façon de penser. Dans ce troisième article, nous analyserons leur fonctionnement, le régime interne de ces partis et comment leur fonctionnement est la négation même de tout principe du communisme et constitue un obstacle à toute avancée vers celui-ci.
Des forces comme le stalinisme, le trotskysme, etc. ont perpétré une falsification totale des positions prolétariennes en termes d’organisation et de comportement. La centralisation signifie pour eux soumission à une bureaucratie toute-puissante. La discipline est pour eux la soumission aveugle au commissaire de service. La position majoritaire est le résultat d’un processus de rapport de forces. Le débat est dans leur esprit manipulateur une arme pour déloger les positions des gangs rivaux. Et ainsi nous pourrions continuer jusqu’à la nausée.
Il peut arriver que le militant prolétarien au sein d’une organisation véritablement communiste ait tendance à voir les positions organisationnelles et comportementales de celle-ci avec les lunettes de ses sinistres souvenirs du temps où il était dans une ou l’autre organisation gauchiste.
Quand vous parlez à ce possible militant de la discipline nécessaire, il se souvient du cauchemar qu’il a subi quand il était membre des organisations bourgeoises de gauche.
Là, « par discipline », il devait défendre les choses les plus absurdes « parce que le parti le demandait ». Un jour, il devait dire qu’un tel parti rival était “bourgeois” et la semaine suivante, selon un changement dans la politique d’alliances de la direction, ce parti était le plus prolétarien du monde.
Si la politique du « comité central » était erronée, c’était dû uniquement au fait que des militants « avaient fait une erreur » et « n’avaient pas appliqué ce que le comité central avait décidé » ou ne l’avaient pas bien compris. Comme le souligne Trotski, « Chaque résolution du Comité exécutif de l’Internationale communiste en enregistrant de nouvelles défaites déclarait d’une part que tout avait été prévu et d’autre part que ce sont les “exécutants” qui sont responsables des échecs parce qu’ils n’ont pas compris la ligne qui leur avait été indiquée d’en-haut. »1.
À la suite de ces expériences traumatisantes, le militant qui est passé par ces partis ressent un rejet viscéral de la discipline, ne comprenant pas que la discipline prolétarienne est quelque chose de radicalement différent et opposé à la discipline bourgeoise.
Dans une organisation prolétarienne, “discipline” signifie respecter ce que tous ont décidé et ce que chacun s’est engagé à accomplir. C’est, d’une part, être responsable et, d’autre part, l’expression pratique de la primauté du collectif sur l’individu, ce qui ne signifie pas cependant que l’individu et le collectif s’affrontent, mais plutôt qu’ils expriment différents aspects de la même unité. Par conséquent, la discipline dans une organisation prolétarienne peut être volontaire et consciemment assumée. La discipline n’est pas aveugle, mais fondée sur une conviction et une perspective.
Dans une organisation bourgeoise, au contraire, la discipline veut dire soumission à une direction toute-puissante et la renonciation à toute responsabilité en la laissant entre les mains de ce que la dite direction a fait ou a dit. Dans une organisation bourgeoise, la discipline est basée sur l’opposition entre le “collectif” et les individus. Le “collectif” est l’intérêt du capital national et de son État que ces organisations défendent dans leur domaine spécifique, un intérêt qui ne coïncide en rien avec ceux de ses membres. C’est pourquoi la discipline s’impose nécessairement, soit par crainte de subir le châtiment d’une réprobation publique qui pourrait conduire à l’expulsion, soit, si elle est volontairement assumée, le fruit d’un sentiment de culpabilité ou d’un impératif catégorique qui provoque des conflits plus ou moins périodiques avec l’intérêt authentique de chaque individu.
L’incompréhension de la différence radicale qui existe entre la discipline prolétarienne et la discipline bourgeoise conduit souvent certains militants qui, après être passés par la gauche ou le gauchisme, se retrouvent dans une organisation prolétarienne, à tomber dans un cercle vicieux : avant, ils suivaient les ordres de leurs supérieurs comme des agneaux doux. Maintenant, dans les organisations prolétariennes, ils rejettent toute discipline et n’admettent qu’un seul ordre : celui dicté par leur propre individualité. À la discipline de caserne, ils opposent la discipline que chacun doit faire ce qu’il veut, c’est-à-dire la discipline anarchique de l’individualisme. C’est tourner en rond sans pouvoir s’en sortir entre la discipline féroce et violente des partis de la bourgeoisie à l’indiscipline individualiste (la « discipline de faire ce que je veux ») caractéristique de la petite bourgeoisie et de l’anarchisme.
La centralisation est un autre concept qui produit de l’urticaire chez les militants qui ont été soumis au fléau de l’influence de la gauche.
Ils associent la centralisation :
– à un sommet tout-puissant auquel il faut se plier sans se plaindre ;
– à une pyramide écrasante d’une bureaucratie et ses appareils de contrôle ;
– à une renonciation totale à toute initiative ou pensée personnelle, remplacée par une obéissance aveugle et un suivisme vis-à-vis des dirigeants ;
– les décisions ne sont pas prises par le biais de la discussion avec la participation de tous, mais par des ordres et des manœuvres de la direction.
En effet, la centralisation bourgeoise est basée sur ces concepts. Cela est dû au fait qu’au sein la bourgeoisie, l’unité n’existe que face à la guerre impérialiste ou face au prolétariat, pour tout le reste, il y a un conflit incessant d’intérêts entre ses différentes fractions.
Pour mettre de l’ordre dans un tel panier de crabes, l’autorité d’un « organe central » doit être imposée de gré ou de force. La centralisation bourgeoise est donc nécessairement bureaucratique et pyramidale et il ne peut en être autrement.
Cette bureaucratisation générale de tous les partis bourgeois et de ses institutions est encore plus indispensable dans les partis “ouvriers” ou « de gauche » qui se présentent comme les défenseurs des travailleurs.
Les bourgeois peuvent se soumettre à cette discipline de fer de l’appareil politique parce qu’ils jouissent d’un pouvoir total et dictatorial dans leurs propres entreprises. Cependant, dans une organisation de gauche ou d’extrême gauche, il existe un antagonisme soigneusement caché entre ce qui est officiellement proclamé et ce qui est réellement fait. Pour résoudre cette contradiction, il faut de la bureaucratie et une centralisation verticale.
Pour comprendre les mécanismes de centralisation bourgeoise appliqués dans les partis de gauche du capital, le modèle du stalinisme représente une école pionnière. Dans son livre précité, L’Internationale communiste après Lénine, Trotski analyse les méthodes de centralisation bourgeoise appliquées aux partis communistes.
Il rappelle comment, pour imposer la politique bourgeoise, le stalinisme « adopta une organisation à la carbonari avec son Comité central illégal (le « septemvirat ») et ses circulaires, ses agents, son code secret, etc. L’appareil du parti a créé en son sein un ordre refermé sur lui-même et incontrôlable qui dispose des ressources exceptionnelles non seulement de cet appareil mais aussi de l’État qui transforme un parti de masses en un instrument chargé de camoufler toutes les manœuvres des intrigants. » (idem, p. 97)
Afin d’écraser les tentatives révolutionnaires du prolétariat en Chine et de servir les appétits impérialistes de l’Etat russe, dans les années 1925-28, le Parti communiste chinois fut entièrement instrumentalisé, dont une illustration nous est donnée par le témoignage du Comité local de Kiang-Su qui y fait référence comme suit : « [Le comité central] lance des accusations et dit que le Comité provincial n’est pas bon ; ce dernier, à son tour, accuse les organisations de base et affirme que le Comité régional est mauvais. Celui-ci se met à accuser et assure que ce sont les camarades travaillant sur place qui ne sont pas bons. Et les camarades se défendent en disant que les masses ne sont pas révolutionnaires. » (idem, p. 159).
La centralisation bureaucratique impose aux membres du parti une mentalité d’arriviste, de soumission à ceux d’en haut et de mépris et manipulation vers « ceux d’en bas ». C’est une caractéristique patente de tous les partis du capital, de gauche ou de droite, qui suivent le modèle que Trotski perçut dans les partis communistes stalinisés en dénonçant comment dans les années 1920 « il s’est formé des équipes entières de jeunes académistes de la manœuvre qui, par souplesse bolchevique, entendent surtout l’élasticité de leur propre échine. » (idem, p.90),
Les conséquences de ces méthodes sont que « les couches montantes ont été imprégnées en même temps d’un certain esprit bourgeois, d’un esprit d’égoïsme étroit, de petits calculs. On s’est rendu compte qu’ils avaient la ferme volonté de se tailler une bonne place sans se soucier des autres, un arrivisme aveugle et spontané. Pour y parvenir, ils ont tous fait preuve d’une capacité d’adaptation sans scrupules, d’une attitude éhontée et de flagornerie envers les puissants. C’est ce que l’on voyait dans chaque geste, dans chaque visage, dans chaque regard. C’est ce qu’indiquaient tous les actes et les discours, généralement pleins d’une phraséologie révolutionnaire grossière. »2
Il est nécessaire de récupérer – en les actualisant de manière critique – tous les concepts d’organisation que le mouvement ouvrier utilisait avant l’énorme catastrophe qu’a signifié le premier pas des partis socialistes vers l’Etat capitaliste et plus tard la transformation des partis communistes en forces staliniennes du capital.
Les positions prolétariennes sur l’organisation, même si elles portent le même nom, n’ont rien à voir avec leur version falsifiée. Le mouvement prolétarien n’a pas besoin d’inventer de nouveaux concepts parce que ces concepts lui appartiennent. En fait ceux qui devraient changer leur terminologie, ce sont la gauche et l’extrême-gauche du capital, ce sont elles qui ont “innové” en adoptant les positions organisationnelles et morales de la bourgeoisie. Nous allons revoir quelque uns de ces concepts prolétariens et comment ils sont en totale opposition au stalinisme, au gauchisme et, en général, à toute organisation bourgeoise.
La centralisation est l’expression de l’unité naturelle d’intérêts qui existe au sein du prolétariat et, par conséquent, chez les révolutionnaires. Ainsi, dans une organisation prolétarienne, la centralisation est le moyen de fonctionnement le plus cohérent et c’est le résultat d’une action volontaire et consciente. Alors que la centralisation au sein d’une organisation gauchiste s’impose par la manœuvre et la bureaucratie, dans l’organisation politique prolétarienne, où des intérêts différents n’existent pas, l’unité s’exprime par la centralisation. Elle est donc consciente et cohérente.
D’autre part, dans une organisation gauchiste, comme dans toute organisation bourgeoise, il existe des intérêts différents liés à des individus ou à des factions, de sorte que, pour concilier ces intérêts opposés, on ne peut recourir qu’à l’imposition bureaucratique d’une faction ou d’un leader, ou à une sorte de « coordinateur démocratique » entre les différents leaders ou fractions. Dans tous les cas, les rapports de force, les manœuvres, la trahison, la manipulation, la soumission sont nécessaires pour “huiler” le fonctionnement de l’organisation car sinon elle se disloquerait ou éclaterait. Inversement, dans une organisation prolétarienne « Le centralisme n’est pas un principe abstrait ou facultatif de la structure de l’organisation. C’est la concrétisation de son caractère unitaire : il exprime le fait que c’est une seule et même organisation qui prend position et agit dans la classe. Dans les rapports entre les différentes parties de l’organisation et le tout, c’est toujours le tout qui prime. »3.
Au sein du gauchisme, cette « seule et même organisation prend position et agit dans la classe » est soit une farce, soit une imposition monolithique et bureaucratique du « comité central ». Dans une organisation prolétarienne, c’est la condition même de son existence. Il s’agit de dire au prolétariat, après une discussion collective et selon son expérience historique, tout ce qui est mieux pour sa lutte et non pas de le tromper et de le faire lutter pour des intérêts qui ne sont pas les siens. Pour cette raison, il est nécessaire de faire un effort commun de l’ensemble de l’organisation pour élaborer cette position.
Au sein du gauchisme, face à des positions de la « direction » jugées parfois absurdes, les militants de base se protègent en agissant de leur côté, en décidant dans des structures locales ou des groupes d’affinité, la position qu’ils jugent juste, étant dans certains cas une saine réaction prolétarienne face à la politique officielle. Cependant, cette méthode localiste et de chacun pour soi est contre-productive et très négative dans une organisation prolétarienne. Au sein de celle-ci « La conception selon laquelle telle ou telle partie de l’organisation peut adopter face à la classe ou à l’organisation des positions ou des attitudes qui lui semblent correctes au lieu de celles de l’organisation qu’elle estime erronées est à proscrire absolument car :
– si l’organisation fait fausse route, la responsabilité des membres qui estiment défendre une position correcte n’est pas de se sauver eux-mêmes dans leur coin, mais de mener une lutte au sein de l’organisation afin de contribuer à la remettre dans « le droit chemin" ;
– une telle conception conduit une partie de l’organisation à imposer arbitrairement sa propre position à toute l’organisation par rapport à tel ou tel aspect de son travail (local ou spécifique.) » (idem, point 3)
L’attitude de contribuer à partir de n’importe quelle instance de l’organisation (qu’il s’agisse d’une section locale ou d’une commission internationale) pour parvenir à une position juste avec l’effort de tous, est celle qui correspond à l’unité des intérêts qui existe dans une organisation révolutionnaire entre tous ses membres. D’autre part, dans une organisation de gauche, il n’existe pas d’unité entre la “base” et la “direction”. Celle-ci a pour mission de défendre l’intérêt général de l’organisation, qui est celui du capital national, alors que la « base » est tiraillée entre trois forces qui vont chacune dans un sens différent : l’intérêt du prolétariat ; la prise en charge de l’intérêt capitaliste de l’organisation ou, plus prosaïquement, celle de faire carrière dans les différents niveaux bureaucratiques du parti. Il en résulte une opposition et une séparation entre les militants et les organes centraux.
Les membres des organisations révolutionnaires d’aujourd’hui ont beaucoup de mal à clarifier tout cela. Ils sont tourmentés par le soupçon que les organes centraux vont finir par “trahir”, ils sont généralement gagnés par le préjugé que les organes centraux vont éliminer bureaucratiquement toute dissidence. Un mécanisme mental répandu est de dire que « les organes centraux peuvent faire des erreurs ». Cela est parfaitement vrai. Tout organe central d’une organisation prolétarienne peut se tromper. Mais il n’y a pas de fatalité pour faire des erreurs, et si elle en fait, l’organisation doit avoir les moyens de les corriger.
Illustrons cela par un exemple historique. En mars 1917, le Comité central du Parti bolchévique a commis une erreur en préconisant un soutien critique au gouvernement provisoire issu de la révolution de février. Lénine, de retour en Russie en avril, a présenté les fameuses Thèses d’avril pour lancer un débat dans lequel toute l’organisation s’est engagée à corriger l’erreur et à redresser l’orientation du parti.4
Ce que montre cet épisode, c’est le fossé entre l’idée préconçue que « les organes centraux peuvent se tromper » et la vision prolétarienne de combattre l’opportunisme partout où il se manifeste (chez des militants ou au sein d’un organe central). Toute organisation prolétarienne est soumise à la pression de l’idéologie bourgeoise et cela affecte tout militant autant que les organes centraux. La lutte contre cette pression est la tâche de toute l’organisation.
L’organisation politique prolétarienne se donne les moyens du débat pour corriger ses erreurs. Nous verrons dans un autre article de cette série le rôle des tendances et des fractions. Ce que nous voulons souligner, c’est que si la majorité de l’organisation, et surtout les organes centraux, ont tendance à se tromper, les camarades minoritaires ont les moyens de combattre cette dérive, comme le fit Lénine en avril 1917, ce qui l’a amené à demander une conférence extraordinaire du Parti. En particulier, « une minorité de l’organisation peut provoquer la convocation d’un Congrès extraordinaire à partir du moment où elle est significative (par exemple les 2/5) : en règle générale, il revient au Congrès de trancher sur les questions essentielles, et l’existence d’une forte minorité demandant sa tenue est l’indice de l’existence de problèmes importants au sein de l’organisation. »5.
On ne peut regarder qu’avec écœurement ce qu’est un congrès d’une organisation de la bourgeoisie, quelle que soit sa coloration. C’est un spectacle avec hôtesses et open bar. Les leaders viennent s’exhiber en faisant des discours applaudis au rythme imposé par les chauffeurs de salle ou à celui des apparitions programmées devant les caméras de télévision. Les discours suscitent le désintérêt le plus absolu, le seul et véritable enjeu du congrès étant de savoir qui va occuper les postes clés de l’organisation et qui va être limogé. Quatre-vingt-dix pour cent des réunions ne sont pas faites pour discuter, clarifier, délimiter des positions, mais pour attribuer des quotas de pouvoir aux différentes “familles” du parti.
Une organisation prolétarienne doit fonctionner de manière diamétralement opposée. Le point de départ de la centralisation d’une organisation prolétarienne est son Congrès international. Le Congrès rassemble et est l’expression de l’organisation dans son ensemble, laquelle, de manière souveraine, décide des orientations et des analyses qui doivent la guider. Les Résolutions adoptées par le Congrès définissent le mandat de travail des organes centraux. Ils ne peuvent agir arbitrairement selon les desseins ou les caprices de leurs membres, mais doivent prendre comme point de départ de leur activité les résolutions du Congrès.
Le 2e Congrès du POSDR (Parti ouvrier social-démocrate de Russie, 1903) a conduit à la bien connue scission entre bolcheviks et mencheviks. L’une des raisons de la scission et de la forte controverse entre les deux parties de l’organisation fut que ces derniers n’ont pas respecté les décisions du Congrès. Lénine, dans son livre Un pas en avant, deux en arrière, a combattu cette attitude déloyale qui était en elle-même une attitude bourgeoise. En effet, on peut ne pas être d’accord avec les décisions d’un Congrès, mais l’attitude correcte est de présenter clairement les divergences et de pousser à un débat patient pour obtenir sa clarification.
« Le moment privilégié où s’exprime avec toute son ampleur l’unité de l’organisation est son Congrès International. C’est au Congrès international qu’est défini, enrichi, rectifié le programme du CCI, que sont établies, modifiées ou précisées ses modalités d’organisation et de fonctionnement, que sont adoptées ses analyses et orientations d’ensemble, qu’il est fait un bilan de ses activités passées et élaboré ses perspectives de travail pour le futur. C’est pour cela que la préparation du Congrès doit être prise en charge avec le plus grand soin et la plus grande énergie par l’ensemble de l’organisation. C’est pour cela que les orientations et décisions du Congrès doivent servir de références constantes à l’ensemble de la vie de l’organisation après celui-ci. »6 Dans un Congrès prolétarien, on ne vient pas pour tenir des cénacles où l’on conspire contre des rivaux, mais pour discuter, pour comprendre, pour prendre position de la manière la plus consciente possible.
Dans les organisations bourgeoises, les couloirs sont le cœur du congrès, on y bavarde, on y conspire contre les rivaux, on y tisse des manœuvres et des intrigues, les couloirs sont l’arrière-salle où le congrès se décide vraiment. Comme le dit Ciliga dans son livre précité, « Les séances étaient moyennement ennuyeuses. Pour les participants, les séances publiques étaient un pur verbiage. Tout se décidait dans les coulisses. »
Dans une organisation prolétarienne, « les couloirs » doivent être interdits comme centres de décision et réduits à un moment de repos ou pour établir des liens fraternels entre militants. Le cœur du Congrès doit se situer uniquement et exclusivement dans les sessions officielles. Là, les délégués doivent évaluer très soigneusement les documents soumis au Congrès, en demandant des clarifications et en formulant des amendements, des critiques, des propositions. L’avenir de l’organisation est en jeu parce que les résolutions du Congrès ne sont pas une lettre morte ou de la rhétorique, mais des accords pris consciemment qui devraient servir de guide et d’orientation à l’organisation et servir de base à ses activités.
Les orientations et les décisions du Congrès engagent l’ensemble de l’organisation. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont infaillibles. Des discussions internationales régulières peuvent mener à la conclusion qu’il y a des erreurs à corriger ou que l’évolution de la situation historique entraîne des changements qu’il faut reconnaître. Cela peut même conduire à la convocation d’un Congrès extraordinaire. Toutefois, tout cela doit être fait avec rigueur et sérieux et sur la base d’un débat international très large et approfondi. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe habituellement dans les organisations gauchistes où les perdants d’un congrès essaient de se venger en proposant de « nouvelles positions » qui servent de levier pour régler leurs comptes avec les vainqueurs.
Dans une organisation prolétarienne, le Congrès donne des orientations qui définissent le mandat de l’organe central, qui représente l’unité et la continuité de l’organisation entre un Congrès et le suivant. Dans un parti bourgeois, l’organe central est un outil de pouvoir car il doit soumettre l’organisation aux besoins de l’Etat et du capital national. L’organe central est une élite séparée du reste de l’organisation et consacrée à la contrôler, à la superviser et à lui imposer des décisions. Dans une organisation prolétarienne, l’organe central n’est pas séparé de l’organisation dans son ensemble, mais il en est son expression active et unitaire. L’organe central n’est pas le sommet privilégié et tout-puissant de l’organisation, mais un moyen de l’exprimer et de la développer.
« Contrairement à certaines conceptions, notamment celles dites “léninistes”, l’organe central est un instrument de l’organisation et non le contraire. Il n’est pas le sommet d’une pyramide suivant une vision hiérarchique et militaire de l’organisation des révolutionnaires. L’organisation n’est pas formée d’un organe central plus les militants, mais constitue un tissu serré et uni au sein duquel s’imbriquent et vivent toutes ses composantes. Il faut donc plutôt voir l’organe central comme le noyau de la cellule qui coordonne le métabolisme d’une entité vivante » (idem, point 5).
Le rôle des sections
La structure des organisations gauchistes est une hiérarchie qui va de la direction nationale aux organisations régionales, elles-mêmes divisées en “fronts” (travailleurs, professionnels, intellectuels, etc.), et, au bas de cet ensemble, les cellules. Cette forme d’organisation est héritée du stalinisme qui imposa en 1924 la fameuse “bolchevisation” sous prétexte « d’aller vers la classe ouvrière ».
Cette démagogie masque l’élimination de la structure classique des organisations ouvrières basées sur des sections locales où tous les militants d’une ville se réunissent pour se donner des tâches globales et une vision globale. Au contraire, la structure de la “bolchevisation” cherche à diviser les militants et à les enfermer dans un milieu fermé par usine, par entreprise, selon la profession ou le secteur social… Leurs tâches sont purement immédiates, corporatives, elles restent enfermées dans un puits, où seuls des problèmes immédiats, particuliers et locaux sont traités. L’horizon des militants est fortement réduit, au lieu d’une vision historique, internationale et théorique, il est réduit à une tâche immédiate, corporatiste et localiste et purement pragmatique. Cela les appauvrit sérieusement et permet à la « direction » de les manipuler à leur convenance et, de cette façon, de les soumettre aux intérêts du capital national en les déguisant avec une démagogie populaire et ouvriériste.
Les résultats de cette fameuse “bolchevisation”, en réalité l’atomisation des militants dans des ghettos d’entreprises, furent bien remarqués par Ciliga : « Les gens que j’y ai rencontrés – des collaborateurs permanents du Komintern – semblaient incarner l’étroitesse de l’institution elle-même et la grisaille du bâtiment qui les hébergeait. Ils n’avaient ni portée ni ampleur de vision, et ne montraient aucune indépendance de pensée. J’attendais des géants, j’ai rencontré des nains. J’espérais recueillir les enseignements de vénérables maîtres, et j’ai rencontré des laquais. Il suffisait d’assister à certaines réunions du parti pour se rendre compte que les discussions d’idées ne jouaient qu’un rôle complètement secondaire dans cette lutte. Le rôle principal était joué par les menaces, l’intimidation et la terreur. »
Pour renforcer encore l’isolement et l’ignorance théorique des militants, le « comité central » désigne généralement tout un réseau de « commissaires politiques » strictement soumis à sa discipline et chargés d’agir comme courroie de transmission des consignes de la “direction”.
La structure que doivent se donner les organisations révolutionnaires est radicalement opposée. La tâche principale des sections locales est d’étudier et de se prononcer sur les questions de l’organisation dans son ensemble, ainsi que sur l’analyse de la situation historique et l’étude des thèmes théoriques généraux considérés comme nécessaires. Naturellement, cela n’exclut pas, mais donne du sens et de la force à l’activité locale d’intervention, de presse et de discussion avec des camarades ou des groupes intéressés. Cependant, les sections tiennent des « réunions régulières des sections locales et des mises à l’ordre du jour de celles-ci les principales questions débattues dans l’ensemble de l’organisation : d’aucune façon le débat ne saurait être étouffé » (idem). En même temps, la « circulation la plus ample possible des différentes contributions au sein de l’organisation au moyen des instruments prévus à cet effet » est nécessaire. Les bulletins internationaux de discussion sont le moyen de canaliser le débat international et de le faire circuler dans toutes les sections.
C. Mir, 16 janvier 2018
1L’Internationale Communiste après Lénine, p. 159, https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical.pdf [710].
2Ante Ciliga, Dix ans au pays du mensonge déconcertant.
3« Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires » (janvier 82), point 2 (Revue internationale n°33, 2e trim. 1983) : https://fr.internationalism.org/print/book/export/html/1013 [711]
4Pour une analyse sur comment le parti bolchevique est tombé dans l’erreur opportuniste et comment par le moyen d’un débat de fond il réussit à le redresser, lire 1917 : « la révolution russe : les ‘‘Thèses d’avril’’, phare de la révolution prolétarienne » [712] (1997). On peut aussi lire dans l’Histoire de la Révolution russe de Trotski, les chapitres correspondant à cette période.
5« Rapport sur la structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires » (janvier 82), point 6 (Revue internationale n° 33, 2e trim. 1983) : https://fr.internationalism.org/print/book/export/html/1013 [711]
6Idem, point 4.
La série que nous publions sur la différence radicale (une différence de classe) (1) entre, d’un côté, la gauche et l’extrême-gauche du capital et, de l’autre, les petites organisations qui se réclament de la Gauche Communiste, comportait jusqu’à présent trois parties : une vision erronée de la classe ouvrière ; une méthode et un mode de pensée au service du capitalisme ; un mode de fonctionnement reniant les principes communistes. (2) Nous consacrons ce quatrième article à la question morale afin de démontrer l’abîme qui sépare la morale de ces partis qui prétendent défendre les exploités et la morale prolétarienne que les organisations véritablement communistes doivent pratiquer.
Le prolétariat a une morale. De ce fait, ses organisations doivent en posséder une qui soit cohérente avec son combat historique et la perspective communiste qu’il porte avec lui. Alors que dans une organisation bourgeoise règne l’amoralisme, l’absence de scrupules, le pragmatisme et l’utilitarisme des plus abjects, il doit nécessairement exister, dans une organisation prolétarienne, une cohérence entre le programme, le fonctionnement et la morale.
Quelle morale prévaut dans un parti bourgeois ? Tout simplement le “tout est permis”, les manœuvres et les coups de couteaux dans le dos, les intrigues et les calomnies, la pire hypocrisie. Le stalinisme en donne un exemple éclatant en demandant aux militants de commettre des actes répugnants au nom de la “dictature du prolétariat”, “la défense du socialisme”, etc. Tout comme les staliniens, les groupes trotskistes prônent le même pragmatisme moral et un comportement aveugle et sans scrupules, s’appuyant sur les erreurs théoriques de Trotski dans son livre : Leur morale et la nôtre [713], qui contient cependant des réflexions et des éléments valides.
Pour leur part, les partis “socialistes” se sont érigés en champions des bons sentiments : la “solidarité”, l’ “inclusion”, la “mémoire historique”, le “politiquement correct”, le “bon sens”.
Tout ce verbiage est radicalement démenti par leurs actions au sein du gouvernement où ils attaquent sans pitié la classe ouvrière, répriment ses grèves avec une férocité qui n’a rien à envier à la droite et prennent des mesures, par exemple, contre les immigrés, qui relèvent du pur racisme. (3) Quant à leur fonctionnement interne, il offre un échantillon d’intrigues des plus raffinées, de changements subits d’alliances, de guerres de familles. Les partis socialistes sont experts dans les pires tactiques d’infiltration, de destruction de l’intérieur, création de chevaux de Troie, etc. De même, leur savoir-faire proverbial concernant la gestion de “dossiers” de manière à écarter aussi bien des “amis” du haut commandement que des ennemis qu’ils tentent, ou de ligoter avec des alliances forcées, ou d’évincer des sphères du pouvoir.
Quel bagage moral s’impose aux militants qui sont passés par les partis bourgeois en général et plus spécifiquement les organisations de gauche et d’extrême-gauche ?
1. Obéissance aveugle aux chefs.
2. Pragmatisme et utilitarisme abjects.
3. Absence de scrupules au nom de la “cause”.
4. Soumission inconditionnelle aux impératifs du Capital national.
5. Accepter l’exécution d’actes qui renient les critères moraux les plus élémentaires.
6. Spécialisation dans la manœuvre et l’intrigue déguisées en “tactique géniale”. (4)
Cependant, tout ceci se justifie avec l’hypocrisie propre à la bourgeoisie qui défend la pire barbarie et les méfaits les plus indignes au nom des valeurs morales “les plus élevées” : solidarité, justice, honnêteté… C’est la fameuse double morale : les politiciens et les dirigeants possèdent “leur” morale qui consiste à s’enrichir grâce aux trafics les plus sordides, écraser les rivaux (“camarades” de parti inclus) et se maintenir au pouvoir à tout prix sans hésiter à commettre les actes les plus répréhensibles. Simultanément, ils défendent une “autre morale” pour leurs subordonnés, pour les membres, pour les troupes de choc du parti qui, comme nous l’avons énoncé auparavant, doivent pratiquer la rectitude, le sacrifice, l’obéissance, etc.
Afin de détruire au sein des militants l’instinct prolétarien de morale, on insiste beaucoup sur le fait que toute morale est “bourgeoise ou religieuse”, que le militant ne peut de ce fait en posséder une et que seules les “considérations politiques” doivent orienter sa conduite. Cette argumentation prend sa source sur le fait que “L’histoire montre, évidemment, que dans toutes les sociétés divisées en classes la morale dominante a toujours été la morale de la classe dominante. Et cela à tel point que morale et État, mais aussi morale et religion, sont presque devenus synonymes dans l’opinion populaire. Les sentiments moraux de la société dans son ensemble ont toujours été utilisés par les exploiteurs, par l’État et par la religion, pour sanctifier et perpétuer le statu quo afin que les classes exploitées se soumettent à leur oppression. Le “moralisme” grâce auquel les classes dominantes se sont toujours efforcées de briser la résistance des classes laborieuses à travers l’instillation d’une conscience coupable, est un des grands fléaux de l’humanité. C’est aussi l’une des armes les plus subtiles et efficaces des classes dominantes pour assurer leur domination sur l’ensemble de la société”. (5)
Le moralisme nous inocule le sentiment de culpabilité. Il nous fait sentir coupables de manger, de lutter pour nos besoins, de vouloir aspirer au bonheur. Ceci, selon le moralisme, exprimerait un sentiment égoïste et exclusif. Les moralistes nous disent : Comment oses-tu manger alors que des gens meurent de faim partout dans le monde ? Comment oses-tu gaspiller l’eau en te douchant tous les jours alors que l’environnement se dégrade toujours plus ? Comment peux-tu prétendre dormir sur un matelas confortable alors que les immigrés dorment sur des matelas en mousse posés sur un sol dur ?
La morale de la bourgeoisie, et plus particulièrement celle de la bourgeoisie décadente des XXe et XXIe siècles, consiste à faire croire aux ouvriers que les moyens de subsistance minimaux dont ils disposent (logement, nourriture, vêtements) ou le confort dont ils peuvent jouir (appareils électroménagers, télévision et internet, congés payés) seraient des luxes insolents gagnés sur le dos des pauvres de ce monde, un “privilège”, occultant que ce sont juste les outils essentiels à la poursuite de leur exploitation.
Le moralisme et ses prédicateurs de gauche et d’extrême-gauche veulent nous faire sentir coupables des maux du monde causés par le capitalisme, faisant d’un problème de système social un problème d’individus. Ainsi, le fléau du chômage serait causé individuellement par chacun des 212 millions de chômeurs qui existent dans le monde.
De manière générale, la culpabilité détruit la conviction et la combativité. Cette société propage le sentiment de culpabilité comme mode de vie et fait de l’accusation d’autrui un moyen de la lutte individualiste de certains contre les autres faisant que celui qui se sent coupable à un moment donné, recherche des responsables à un autre moment. Il n’est pas contradictoire de se sentir coupable parfois et d’accuser les autres par la suite ; cela fait partie d’un univers moral individualiste et inhumain qui orbite toujours autour de la “faute”. La lutte contre cette dernière, qu’elle vienne de la propagande capitaliste et de ses partis spécialisés ou bien lorsqu’elle jaillit au sein des relations entre militants comme forme d’individualisme, est un combat central de la morale prolétarienne.
Le combat contre le moralisme bourgeois ne doit pas nous conduire à rejeter la morale. Nous devons faire la distinction entre moralisme et morale, “la perversion de la morale du prolétariat entre les mains du stalinisme ne constitue pas une raison pour abandonner le concept de morale prolétarienne, de la même façon que le prolétariat ne doit pas rejeter le concept de communisme sous prétexte qu’il a été récupéré et dénaturé par la contre-révolution en URSS. Le marxisme a démontré que l’histoire morale de l’humanité n’est pas seulement l’histoire de la morale de la classe dominante. Les classes exploitées ont des valeurs éthiques qui leur sont propres et ces mêmes valeurs ont eu un rôle révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité. La morale ne fait pas corps avec la notion d’exploitation, d’État ou de religion ; le futur appartient à une morale qui va au-delà de l’exploitation, de l’État et de la religion”.
“La conception de la morale dans le mouvement ouvrier, bien qu’elle ne fût jamais, pourrait-on dire, au centre de l’attention, des débats ou des préoccupations théoriques n’a rien à voir avec la version qu’en donne le gauchisme. La morale n’est pas une question “idéaliste” ou scolastique qui intéresserait seulement les imitateurs/continuateurs des philosophes de l’Empire byzantin qui débattaient sur le sexe des anges alors que les Ottomans assaillaient les murailles de Constantinople. La morale, comme tout produit social de l’être humain par définition, est une des principales caractéristiques des relations sociales que nous nous sommes données.
Une réalité qui pourrait se résumer comme le sens, collectivement étalonné, de ce qui est adéquat ou non, de la forme et l’orientation que nous donnons aux relations dans lesquelles nous nous inscrivons… Cela doit-il être étranger au prolétariat, à la classe qui est à la fois le fruit de relations sociales déterminées mais qui est également porteuse d’autres types de relations, d’une forme autrement plus élevée d’organiser notre existence sociale ? Si dans le passé la question n’a pas vraiment été soulevée, ce fut parce que le mouvement prolétarien comptait avec une longue et riche tradition de vie organisationnelle, dans laquelle la majorité de ses militants observaient certaines règles pour débattre, s’adresser à des camarades, vivre avec eux, leur prêter assistance ainsi que toute sa confiance et sa solidarité lorsque cela était nécessaire ; en d’autres termes, ils observaient une morale obéissant à la nature même de la classe prolétarienne : la classe de la solidarité, de la confiance, porteuse des véritables capacités créatives de l’humanité et d’une véritable culture humaine”. (6)
En réalité, l’individu bourgeois veut une morale pour la majorité exploitée (la morale des esclaves dirait Nietzsche) et une “autre morale” bien plus “souple”, libérée de tout scrupule, pour la classe dominante. Pour le capital, tous les moyens (y compris l’assassinat) sont bons s’ils permettent d’augmenter les profits ou de conquérir le pouvoir. Comme le disait Marx, le capital est “né dans la boue et le sang” et tous les moyens furent employés pour préparer son expansion : massacres, traite des esclaves, alliances sordides avec les classes féodales, assassinats d’État, conspirations… N’oublions pas que l’un des premiers idéologues de la bourgeoisie fut Machiavel et que le mot machiavélisme s’utilise pour définir la bassesse morale et l’absence scandaleuse de scrupules. (7)
La double morale est l’habit qui sied le mieux à l’idéologie et aux méthodes du Capital. Elle est le miroir de la concurrence féroce et du sauve-qui-peut régnant dans les rapports de production capitalistes. “Dans toute affaire de spéculation, chacun sait que la débâcle viendra un jour mais chacun espère qu’elle emportera son voisin après qu’il aura lui-même recueilli la pluie d’or au passage et l’aura mise en sûreté. “Après moi le déluge !”, telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste”. (8)
Le prolétariat rejette fermement la double morale. Dans sa lutte, les moyens doivent être en adéquation avec les buts ; on ne peut lutter pour le communisme en utilisant le mensonge, la calomnie, l’insinuation, la rumeur, la manœuvre, la duplicité, le sentiment de culpabilité, la soif de notoriété, etc. Les attitudes analogues doivent être combattues énergiquement et rejetées comme étant radicalement incompatibles avec les principes communistes. Avec ces “raccourcis moraux”, on n’avance pas d’un millimètre sur le difficile chemin du communisme ; c’est, au contraire, se retrouver pieds et poings liés face aux conduites propres du système capitaliste, c’est se laisser contaminer par les lois de son fonctionnement, se détachant ainsi de toute perspective révolutionnaire.
La morale prolétarienne a pour le CCI un rôle central : “on trouve dans nos statuts (adoptés en 1982) la concrétisation vivante de notre vision de cette question. Nous avons toujours insisté sur le fait que les statuts du CCI ne sont pas une liste de règles définissant ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, mais une orientation pour notre attitude et notre conduite, incluant un ensemble cohérent de valeurs morales (notamment en ce qui concerne les rapports des militants entre eux et envers l’organisation). C’est pourquoi nous exigeons de tous ceux qui veulent devenir membres de notre organisation un accord profond avec ces valeurs. Nos statuts sont une partie intégrante de notre plate-forme”.
Or, développer un fonctionnement organisationnel et des relations entre camarades sur la base des critères moraux du prolétariat n’est pas une tâche aisée ; cela requiert une lutte assidue. Aujourd’hui le prolétariat souffre d’un sérieux problème d’identité et de confiance en lui-même et ceci, dans le contexte historique général que nous appelons la décomposition du capitalisme, (9) accroît la difficulté de la pratique vivante et quotidienne d’une morale prolétarienne non seulement au sein de la classe ouvrière dans son ensemble mais également dans ses organisations révolutionnaires. Ce que la société actuelle exsude par tous ses pores de manière pestilentielle est l’absence de scrupules, la malhonnêteté, le scepticisme, le cynisme… Tout ceci attaque sans relâche la morale prolétarienne.
Contrairement à la vision que le stalinisme a donné des communistes comme des individus fanatiques capables de tout pour imposer le “communisme”, ceux-ci ont toujours affiché une solide attitude morale (10) et avec cela ils ont exprimé l’importance de la question morale pour le mouvement ouvrier. (11)
Il existe un préjugé contre le marxisme qui rend difficile de comprendre son solide ancrage dans des critères moraux. Face au socialisme utopique, le marxisme défendit la nécessité d’asseoir les positions communistes non sur des critères moraux mais sur une analyse scientifique de la situation du capitalisme, les rapports de force entre les classes, la perspective historique, etc. Cependant, on ne doit pas en déduire que le marxisme doive uniquement se baser sur des critères scientifiques et rejette les principes moraux : “Le marxisme n’a jamais nié la nécessité ni l’importance de la contribution de facteurs non théoriques et non scientifiques dans l’ascension de l’espèce humaine. Au contraire, il a toujours compris leur caractère indispensable et même leur indépendance relative. C’est pourquoi il a été capable d’examiner leurs connexions dans l’histoire et de reconnaître leur complémentarité”.
Le marxisme n’est pas une idéologie froide (comme le prétendait un auteur grec, Kostas Papaïoannou dans les années 1960) voyant les militants comme des pions qu’un “Comité central” manipule selon son bon vouloir dans une partie d’échecs contre les classes dominantes. Les militants dans leurs relations entre eux-mêmes et envers l’organisation, tout comme envers le prolétariat, se comportent avec la plus stricte rectitude morale.
Ce dernier point est vital pour comprendre que, dans notre époque, la décomposition sociale rend encore plus importante la morale pour la lutte révolutionnaire : “Aujourd’hui, face au “chacun pour soi”, à la tendance au délitement du tissu social et à la corrosion de toutes les valeurs morales, il sera impossible aux organisations révolutionnaires – et plus généralement à la nouvelle génération de militants qui apparaît – de renverser le capitalisme sans clarifier les questions de morale et d’éthique. Non seulement le développement conscient des luttes ouvrières mais aussi une lutte théorique spécifique sur ces questions, vers une réappropriation du travail du mouvement marxiste, est devenue une question de vie ou de mort pour la société humaine. Cette lutte est indispensable non seulement pour la résistance prolétarienne aux manifestations de la décomposition du capitalisme et à l’amoralisme ambiant, mais aussi pour reconquérir la confiance du prolétariat dans le futur de l’humanité à travers son propre projet historique”.
La difficulté que rencontrent aujourd’hui les générations révolutionnaires est que, d’un côté la morale prolétarienne fondée sur la solidarité, la confiance, la loyauté, la coopération consciente, la recherche de la vérité, etc., est plus que jamais nécessaire et, cependant, les conditions historiques de la décadence et de la décomposition capitaliste ainsi que les difficultés de la classe ouvrière, la font paraître plus utopique, plus impraticable, plus dépourvue de sens.
Comme le dit notre texte sur l’éthique “la barbarie et l’inhumanité de la décadence capitaliste sont sans précédent dans l’histoire de l’espèce humaine. Il est vrai qu’il n’est pas facile après les massacres d’Auschwitz et Hiroshima, et face aux génocides, à la destruction permanente et généralisée, de maintenir sa confiance dans la possibilité d’un progrès moral. (…) L’opinion populaire voit se confirmer le jugement du philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679) selon lequel l’homme serait, par nature, un loup pour l’homme. Selon cette vision, l’homme serait un être fondamentalement destructeur, prédateur, égoïste, irrémédiablement irrationnel et son comportement social serait inférieur à celui de la plupart des espèces animales”.
Il y a, en outre, un élément qui ajoute une difficulté supplémentaire au développement moral : le décalage entre l’avancée des sciences naturelles et technologiques et le retard toujours plus accentué des sciences sociales, comme l’a observé Pannekoek dans son livre Anthropogénèse : une Étude des origines de l’homme : “Les sciences naturelles sont considérées comme le champ dans lequel la pensée humaine, dans une série continue de triomphes, a développé avec la plus grande vigueur les formes conceptuelles de la logique… Au contraire, à l’autre extrémité demeure le grand champ des actions et relations humaines dans lequel la pensée et l’action sont principalement déterminées par la passion et les impulsions, par l’arbitraire et l’imprévisibilité, par la tradition et la croyance (…). Le contraste qui apparaît ici, avec la perfection d’un côté et l’imperfection de l’autre, signifie que l’homme contrôle les forces de la Nature mais qu’il ne contrôle pas les forces de la volonté et de la passion qui lui sont inhérentes. Là où il est demeuré immobile, peut-être même en revenant parfois sur ses pas, c’est dans le manque manifeste de contrôle sur sa propre “nature”. Ceci est, évidemment, la raison pour laquelle la société possède tant de retard sur la science. Potentiellement l’homme possède la domination sur la Nature. Mais il ne possède pas encore la domination sur sa nature propre”.
Cette situation de méconnaissance et d’incompréhension de ces aspects profonds de la conduite humaine rend très difficile l’abord de ce phénomène que la décomposition sociale et idéologique du capitalisme exacerbe chaque fois plus : “le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir (tel que l’exprimait le “no future” des émeutes urbaines en Grande-Bretagne), de la haine et de la xénophobie qui animent les “skinheads” et les “hooligans”, (…) le raz-de-marée de la drogue, qui devient aujourd’hui un phénomène de masse, participant puissamment à la corruption des États et des organismes financiers, n’épargnant aucune partie du monde et touchant plus particulièrement la jeunesse, un phénomène qui, de moins en moins, exprime la fuite dans des chimères et, de plus en plus, s’apparente à la folie et au suicide (…), la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux “scientifiques” (…), le “chacun pour soi”, la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité et son remplacement par la pornographie”. (12)
Alors que tous les partis bourgeois (qu’ils soient de droite ou de gauche) ont comme objectif de gérer le présent afin de conserver le capitalisme, l’organisation révolutionnaire est un pont entre le présent et l’avenir communiste du prolétariat. Pour cela, elle cultive les qualités morales que nous avons mentionnées précédemment et qui seront les piliers de la future société communiste mondiale. Ces qualités se voient constamment menacées par le poids de l’idéologie dominante et de la décomposition capitaliste. Pour cela, son développement requiert un effort permanent, une vigilance et un esprit critique infatigables joints à une constante élaboration théorique.
Pour les organisations révolutionnaires, cette culture occupe une place aussi bien à l’intérieur (fonctionnement interne) qu’à l’extérieur (intervention). Il ne s’agit pas que l’organisation s’isole du monde et s’enferme dans de petites communautés autogérées (ceci est l’erreur réformiste de l’anarchisme) sinon qu’en son sein, existe un combat permanent pour le développement de ces principes. Comme le disait Lessing (un poète allemand du XVIIIe siècle) : “il y a une chose que j’aime plus que la vérité : la lutte pour la vérité”. Dans l’organisation révolutionnaire, les principes sont aussi importants que la lutte pour ces derniers.
La lutte pour le communisme ne se réduit pas à une simple question de propagande : expliquer comment sera la future société, présenter son rôle historique comme dépassement des contradictions qui font couler le capitalisme, etc. Ce serait une conception tronquée et unilatérale. À la différence des modes de productions qui l’ont précédé, le communisme ne peut surgir de processus aliénants et aliénés, mais de la pleine conscience et de l’engagement subjectif massif du prolétariat. Dans l’organisation révolutionnaire, la lutte pour vivre de manière cohérente avec les principes du communisme est encore plus déterminante. La lutte pour le communisme est impossible sans une vigilance et une réponse permanente contre les comportements d’envie, de jalousie, de rivalité, de calomnie, de mensonge, d’intrigue, de manipulation, de vol, de violence envers ses semblables, etc.
Dans l’un de ses excès polémiques, Bordiga affirma qu’on pouvait arriver au communisme même à partir d’une monarchie.
Par cela il voulait démontrer que l’important est “d’arriver au communisme” alors que “la façon d’y arriver” importe peu, n’importe quel moyen serait bon. Nous rejetons catégoriquement une telle manière de penser : pour arriver au communisme, il faut savoir comment y parvenir, les moyens doivent être en symbiose avec la fin communiste. Contre le pragmatisme des staliniens et des trotskistes, qui suivent aveuglément la maxime jésuite de “la fin justifie les moyens”, le prolétariat et ses organisations révolutionnaires doivent maintenir une cohérence claire entre la fin et les moyens, entre la pratique et la théorie, entre l’action et les principes.
La morale dominante oscille entre deux alternatives qui apparaissent comme opposées mais qui gravitent autour du conflit individu/société et qui non seulement, ne permettent pas de le résoudre mais en plus l’aggravent.
D’un côté, nous avons l’individualisme exacerbé selon lequel l’individu fait “ce que bon lui semble” aux dépens des autres. De l’autre, nous avons la soumission de l’individu aux “intérêts de la société” (formule derrière laquelle se cache la domination totalitaire de l’État), qui, fondamentalement, se présente sous deux formes : celle d’un collectif d’individus anonymes et impersonnels (la formule préférée des staliniens et des trotskistes) ou celle de l’impératif moral kantien qui mène au renoncement individuel et au sacrifice pour les autres (dans cette tendance se fond également le moralisme chrétien).
En réalité, ces deux pôles moraux ne sont pas opposés. Ils sont, au contraire, complémentaires puisqu’ils reflètent deux aspects de la dynamique du capitalisme. D’un côté, l’utilitarisme moral de Bentham est une vision idéalisée de la concurrence féroce qui est le moteur du capitalisme. Que chaque individu lutte pour son bien-être sans aucune considération pour les autres serait le “bonheur de tous”, c’est-à-dire le “bonheur” du bon fonctionnement du système capitaliste qui (au contraire du féodalisme) ne respecte pas les privilèges ni les positions acquises, sinon qu’il soumet le fonctionnement de la société à une concurrence extrême.
Un second composant du pôle utilitariste et amoral est la déformation de la théorie de Darwin, transformée en “darwinisme social”. Selon cette vision, la sélection naturelle serait le résultat d’une guerre féroce et impitoyable dans laquelle le triomphe des “meilleurs” et l’élimination des “faibles” permettraient “d’améliorer l’espèce humaine”. Nous ne pouvons pas développer ici la défense réelle de la conception matérialiste darwinienne de l’évolution (13), ce qui est évident, c’est que cette vision morale du « darwinisme social » constitue une idéalisation, revêtant des habits pseudo-scientifiques, pour cautionner l’existence même du capitalisme qui est effectivement la guerre de tous contre tous, réalité exacerbée par la décomposition du système.
Face à ce pôle moral effrontément barbare, Kant et d’autres théoriciens entrevirent le résultat du chaos et de la destruction que le capitalisme portait en lui. De là, ils préconisèrent un autre pôle moral en apparence opposé : le fameux impératif moral. Celui-ci constitue une espèce de “retenue dans l’égoïsme déchaîné” afin de ne pas détruire la cohésion sociale. Ce qui veut dire une reconnaissance et une acceptation “critique” de la barbarie de la concurrence tout en essayant d’y mettre des limites et des régulations afin d’éviter qu’elle ne soit excessivement destructrice. Le capitalisme conduit à la destruction du genre humain car il porte dans son ADN l’anéantissement du caractère social de l’humanité, durement acquis tout au long de nombreux siècles d’existence. L’impératif moral kantien, qui veut mettre un frein à cette tendance, n’est rien de plus qu’une version idéalisée du rôle “régulateur” et garant de la cohésion sociale minimale qu’assume l’État, rôle qui s’est accentué sous le capitalisme décadent par le chaos et l’autodestruction que ses contradictions déchaînent. Le moralisme kantien est l’autre face de l’utilitarisme. La tendance qui se développa au sein de la social-démocratie dès la fin du XIXe siècle sous le slogan du “retour à Kant” ne se contentait pas d’attaquer et démolir le matérialisme marxiste, il attaquait également la morale prolétarienne, laquelle n’a rien à voir avec l’impératif moral.
Le stalinisme et les groupes gauchistes ont transmis l’idée que le militantisme communiste serait le sacrifice aveugle du militant à l’impératif moral incarné par les intérêts supérieurs du “Parti” ou de la “Patrie du Socialisme”.
Le rejet de cette barbarie morale qui conduit à la soumission aveugle et l’autodestruction de militants a conduit dans de nombreux cas à l’autre extrême de la morale bourgeoise : le culte de l’individualisme à outrance, caractéristique de la petite-bourgeoisie et dont l’une des expressions les plus exacerbées est l’anarchisme.
Le prolétariat porte en son sein le dépassement du conflit individu/société. Comme le dit le “Manifeste du Parti communiste”, sous le communisme, “à la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous”. Sous le capitalisme, le travail associé à l’échelle mondiale des prolétaires contient en perspective ce dépassement : si le travail en commun permet d’aller plus loin que la somme des travaux individuels, l’apport de chacun est unique et indispensable pour l’aboutissement de ce travail en commun.
Les organisations révolutionnaires se sont vues constamment attaquées par ce conflit individu/société sous la forme de l’individualisme. Nous avons déjà, dans de nombreux textes, traité ce problème que nous évoquons rapidement ici. (14) Cet individualisme qui se prétend “libéré”, “rebelle” et “critique” est, en réalité, prisonnier de toutes les pulsions destructrices qui incubent sous le capitalisme (concurrence, égoïsme, manipulation, culpabilisation, rivalité et esprit de revanche) et exerce un lourd poids sur la vie de l’organisation révolutionnaire. Sa “révolte” ne va pas plus loin que la polarisation aveugle et stupide “contre toute autorité”, ce qui l’amène à être un facteur de désorganisation et de tensions entre camarades. Enfin, sa “critique” se base la méfiance et le rejet de toute pensée cohérente, la remplaçant par la spéculation, les préjugés et les interprétations les plus extravagantes.
Cet individualisme est aux antipodes de la solidarité qui n’est pas seulement une des colonnes vertébrales du prolétariat mais aussi le fonctionnement des organisations révolutionnaires. Nous ne pouvons détailler ici ce point que nous avons amplement traité dans notre texte d’orientation sur la confiance et la solidarité dans la lutte prolétarienne. (15)
C. Mir, 1er mars 2018
1. Pour une analyse plus globale de cette différence voir notre article en espagnol : Quelles sont les différences entre la Gauche Communiste et la IVe internationale ? [628]
et plusieurs de nos articles en français :
– Principes révolutionnaires et pratique révolutionnaire [714]
– La Gauche Communiste et la continuité du marxisme [715]
– Les Conférences internationales et la Gauche Communiste (1976-1980)- Leçons d’une expérience pour le milieu prolétarien [716] (Revue Internationale n° 122, 3e trimestre 2005)
3. Le Parti Social-démocrate allemand (SPD) donne un parfait exemple de cette conduite dans laquelle ce qui est proclamé n’a rien à voir avec ce qui se fait (en réalité il le dissimule). Il fut celui qui réprima les tentatives révolutionnaires du prolétariat en Allemagne en 1918-1923, causant 100 000 morts et il ordonna également l’assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht (1919). Ce fut, récemment, le gouvernement social-démocrate de Schröder qui lança le terrible programme 2010 qui fit chuter de manière brutale les conditions de vies des ouvriers favorisant par exemple les contrats poubelles de 400 euros mensuels.
4. Trotski lui-même adopta une posture ambiguë sur les manœuvres.
D’un côté, il reconnaissait que “pour les classes dominantes, possédantes, exploiteuses, instruites, leur expérience du monde est si grande, leur instinct de classe si exercé, leurs moyens d’espionnage si divers, qu’en tentant de les tromper, en feignant d’être ce que l’on n’est pas, on attire en réalité dans le piège non pas les ennemis, mais les amis”. Cependant, dans un même temps il proclamait “la valeur auxiliaire, subordonnée, des manœuvres, qui doivent être utilisées strictement comme des moyens, par rapport aux méthodes fondamentales de la lutte révolutionnaire” (L’Internationale Communiste après Lénine, page 209, édition espagnole Akal).
Cette théorisation de la manœuvre en général, sans éclaircir le fait qu’elle ne doive être utilisée uniquement que contre l’ennemi de classe mais jamais contre la classe ouvrière, ni au sein des organisations révolutionnaires, a servi aux organisations trotskistes pour justifier les manœuvres de tous types contre le prolétariat et contre les militants eux-mêmes.
5. Texte d’orientation sur l’Ethique et le Marxisme [149] (sauf mention contraire, les citations proviennent de ce texte).
7. Machiavélisme, conscience et unité de la bourgeoisie [719], Revue Internationale no 31 – 4e trimestre 1982.
8. Marx, Le Capital, Livre premier, 3e section, chapitre X.
9. Voir La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [190]
Revue Internationale no 107 – 4e trimestre 2001
10. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y eut pas de différences dans la conception morale, certaines plus utilitaires, comme dans le cas de Lénine et d’autres beaucoup plus cohérentes comme dans le cas de Rosa Luxemburg. C’est une question qu’il faudra approfondir.
11. Nous pouvons donner deux exemples de ce fait. En 1839-42 se produisirent les mobilisations probablement les plus importantes[de l’histoire du prolétariat britannique et elles eurent pour motifs principaux l’indignation et l’horreur que suscitèrent dans les secteurs les plus aisés du prolétariat la terrible exploitation que subissaient leurs frères de classes, hommes, femmes et enfants, particulièrement dans les fabriques de textiles.
La seconde est la grève spontanée qui éclata en Hollande en 1942 contre les déportations de Juifs opérées par les nazis.
12. La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [190], Revue Internationale nº 107 (4e trimestre 2001).
13. Voir par exemple le texte d’Anton Pannekoek Darwinisme et Marxisme [720] (parties 1 et 2 [721] republiées dans la Revue Internationale n° 137 et 138).
14. Rapport sur la Structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires [680] Revue Internationale n° 33 (janvier 1982).
Nous assistons, en Amérique du Sud, à une offensive de grande envergure visant à soumettre au joug impérialiste américain les États au sud du Rio Grande. Face aux tentatives de la Chine, soutenue par la Russie, d’asseoir des positions économiques (et militaires) sur le continent, les États-Unis resserrent les rangs et tentent de rétablir l’ancienne doctrine Monroe de “l’Amérique aux (Nord)-Américains”. Deux évènements sont particulièrement significatifs de cette offensive : ceux du Brésil et du Venezuela. Au Brésil, la prise de pouvoir de Bolsonaro et l’emprisonnement de Lula signifient clairement que les États-Unis font désormais la loi, reprenant le contrôle d’un État qui, avec les gouvernements de Lula et Roussef, avait tenté de faire son propre jeu impérialiste. (1)
Quant au Venezuela, la proclamation (soutenue par l’État américain et ses enthousiastes appuis colombien et chilien) d’un président “alternatif”, M. Guaidó, est un clair défi lancé au régime chaviste, allié de la Chine et de la Russie. (2)
Cette lutte entre vautours impérialistes s’accompagne d’une revendication idéologique des régimes “gorilles” (3) qui ont proliféré en Amérique du Sud dans les années 1960-70, suscitant la réaction de leurs rivaux “démocrates” et gauchistes qui agitent le chiffon rouge du “danger fasciste”.
Comme cela s’est produit d’innombrables fois au cours des XXe et XXIe siècles (qui marquent la phase de décadence du capitalisme), les desseins impérialistes et sanguinaires des capitaux nationaux en conflit revêtent des formes totalement mystificatrices : fascisme/antifascisme, dictature/démocratie, etc. La réalité, cependant, est tout autre : les attaques sur les conditions de vie, la guerre, la répression, la criminalité sont un engrenage infernal du capitalisme auquel contribue L’ENSEMBLE des organisations politiques, quelles que soient leurs couleurs.
Face à ces mélodies mystificatrices, le prolétariat doit se rappeler à quoi ressemblaient les régimes militaires des années 1960-70, et par-dessus tout, affirmer son autonomie de classe, ce qui signifie : ne pas choisir entre un soi-disant moindre mal (la démocratie, les “libéraux” et les “progressistes”), et un “mal plus grand”, incarné par les fascistes, les militaires, les populistes, etc. Ainsi, pour le prolétariat comme pour l’avenir de l’humanité, tous sont plus mauvais les uns que les autres.
Dans un contexte de confrontation impérialiste entre le bloc américain et le bloc russe, les années 1960-70 ont été témoins de l’instauration, dans la plupart des pays sud-américains, de brutales dictatures militaires, érigées en bastion de l’impérialisme américain, pour faire face aux tentatives des Russes qui, soucieux d’amplifier leur assise suite aux événements de la baie des Cochons à Cuba en 1961 (4), tentaient alors d’établir des têtes de pont.
Les régimes qui se sont installés au Brésil, au Chili, en Argentine, ou en Uruguay pour ne citer qu’eux, ont imposé une dictature féroce basée sur la torture, la répression et la peur. Dans le sillage de l’aggravation de la crise du capitalisme, exacerbée dans ces pays, les conditions de travail se sont rapidement détériorées, le chômage s’est envolé et des luttes ouvrières ont promptement vu le jour : en Argentine avec les puebladas (mobilisations populaires) entre 1969 et 1972 ; au Brésil, avec des luttes massives en 1978-79. Ces luttes s’inscrivent dans le cadre de la renaissance historique du prolétariat qui, suite aux évènements de Mai 68, s’est étendue au monde entier : en Italie avec “l’automne chaud” (1969) ou encore en Pologne, avec les émeutes de la Baltique. (5)
Dans ce contexte, le capital a compris qu’il était prioritaire de juguler la lutte ouvrière ; la répression féroce et le terrorisme d’État des militaires étaient non seulement insuffisants mais risquaient de devenir contre-productifs, et surtout pousser les ouvriers en lutte à la solidarité et à la détermination collective. Il fallait diviser, piéger et disperser la lutte en utilisant l’arsenal de la démocratie, avec ses syndicats et ses partis qui brandissent les illusions électorales, affaiblissant la lutte ouvrière pour mieux la réprimer. En Amérique du Sud, cette manœuvre a été initiée par la présidence Carter (1976-1980) qui a hissé le drapeau mystificateur des “Droits de l’Homme”, et s’est progressivement traduit par des “changements démocratiques” qui ont écarté les régimes “gorilles” d’alors, inadaptés à tous ces changements. Ainsi, la démocratie a pu être rétablie au Pérou en 1980, en Argentine en 1983, au Brésil en 1985 et, plus tardivement, lors d’un “plébiscite historique”, la figure de proue de la barbarie militariste, Pinochet, est tombée au Chili en 1988.
Nous pouvons donc constater que les régimes militaires sud-américains ne sont pas nés de “tendances idéologiques” à la “dictature” ou du fait qu’ils étaient l’incarnation exclusive du “capitalisme”, mais parce qu’ils étaient des instruments de la guerre impérialiste, et plus particulièrement du combat sans fin entre l’impérialisme américain et l’impérialisme russe. Les intérêts impérialistes ont donc condamné les ouvriers, et l’ensemble de la population opprimée de ces pays, à la sauvagerie de la terreur militaire.
De même, le retour de la démocratie dans ces pays n’a obéi ni à la bonne volonté, ni aux “désirs de liberté” du “peuple”, ni au paternalisme bien-pensant des “parrains” américains. C’était une manœuvre du capital qui cherchait à se doter d’outils plus efficaces pour affronter les luttes ouvrières et pouvoir ainsi les envoyer dans l’impasse de la “défense de la démocratie”, vers la vaine illusion que par le vote ou la pression “populaire”, des “gouvernements de rechange” pourraient être rapidement obtenus.
Trente ans plus tard, on peut constater que ces “changements pleins d’espoir” ont abouti à une grande déception. La misère n’a pas disparu, elle s’est même considérablement aggravée. Le chômage et le sous-emploi se sont généralisés, les logements sont pour des millions de personnes quatre parois immondes dans des quartiers en grand état de délabrement, la répression est aussi brutale, si ce n’est plus, que celle des régimes militaires, la criminalité est omniprésente et de nombreuses villes sud-américaines ou mexicaines comptent parmi les plus dangereuses du monde. Le trafic de stupéfiants et les gangs sèment la terreur, réitérant la barbarie des militaires. Des millions de personnes se voient alors forcées d’émigrer vers l’Europe ou les États-Unis.
Tel est l’éclatant bilan que l’on peut dresser de la “résurgence démocratique” en Amérique latine. Sans que jamais ne disparaisse la peur des propriétaires terriens dans les campagnes, les ouvriers et l’ensemble des latino-américains exploités sont passés de la brutalité arrogante et sans vergogne des militaires à la brutalité hypocrite, déguisée en scrutins et en de cyniques promesses, des gouvernements démocratiques alors que les conditions de vie devenaient insupportables, non seulement à cause de l’exploitation, du chômage et de la précarisation, mais surtout à cause de la barbarie accrue des gangs de trafiquants, des maras, des narcotrafiquants, etc. qui appliquent, avec l’État démocratique, la loi du plus fort dans les quartiers les plus pauvres des villes surpeuplées d’Amérique latine.
Afin de raviver la foi en la démocratie, de nombreux gouvernements de gauche ont été, au cours de la première décennie du XXIe siècle, mis au pouvoir : Lula et ses “espoirs pour les pauvres” au Brésil, Chávez et sa “révolution bolivarienne”, Morales en Bolivie, le Sandinisme au Nicaragua, Correa et sa “révolution citoyenne” en Équateur, la famille Kirchner en Argentine, etc. Nous ne pouvons pas faire ici une analyse de la monumentale tromperie et la terrible déception que tous ces “gouvernements du peuple” ont engendrées. Pour cela, nous renvoyons à différents articles qui traitent de cette nouvelle supercherie. (6)
Ces deux dernières années cependant, le vent tourne. Le gouvernement corrompu aux “relents anti-impérialistes” de la famille Kirchner en Argentine a été remplacé par la droite dure de Macri ; la “révolution citoyenne” de Correa en Équateur a fait place à la servilité pro-États-Unis de Lenin Moreno. Mais le changement le plus brutal a eu lieu au Brésil, avec l’élection de Bolsonaro. Le gouvernement de Bolsonaro nie l’existence d’une dictature entre 1964 et 1985, entend réviser les analyses des manuels scolaires condamnant le coup d’État du 31 mars 1964 et veut même que celui-ci devienne une fête nationale. Le gouvernement regorge de militaires qui se revendiquent ouvertement de la dictature, et le ministère de l’éducation a déclaré la guerre à tout ce qui est “rouge”.
À quoi obéit alors cette “nouvelle politique” ? Comme nous l’analysions dans Le Brésil entre dans la tourmente [723], le gouvernement Bolsonaro a des ramifications populistes et de forts soutiens dans les casernes. Cependant, le principal moteur de son intronisation a été l’intérêt de l’impérialisme américain qui cherchait à reprendre le contrôle de toute son “arrière-cour”, dont le Brésil est une pièce maîtresse puisqu’il est le pays le plus industrialisé, le plus étendu et le plus peuplé d’Amérique du Sud.
Cependant, avec ce programme impérialiste, le gouvernement Bolsonaro affiche une volonté claire d’attaquer les travailleurs et ce n’est pas très novateur : l’un de ses principaux objectifs est de frapper violemment le régime des retraites. Il s’inscrit donc dans la continuité des gouvernements qui l’ont précédé, et agit de la même manière que les gouvernements argentins, mexicains, chiliens, etc., quelles que soient leurs couleurs politiques. Gouvernements de gauche ou de droite, démocrates ou “gorilles”, populistes ou “progressistes”, tous applaudissent la réduction des pensions, les mesures augmentant la précarisation, les mesures anti-migrants, l’attaque sur les salaires et sur l’ensemble des conditions de vie. Le nouveau champion du “progressisme”, le président AMLO au Mexique, a le même projet qu’eux, mais le camoufle sous un discours nationaliste et indigéniste.
Les partis de gauche et d’extrême-gauche, ainsi que le chœur des démocrates, des libéraux et des progressistes sonnent le tocsin : l’épisode Bolsonaro leur a permis de stimuler la mobilisation antifasciste, rappelant les anciennes manifestations contre les dictateurs des années 1970-80. Les actes “anti-fascistes” se multiplient au Brésil, au Chili, en Équateur, en Argentine, au Mexique, etc. Au Pérou, le mouvement anarcho-punk a même organisé une manifestation pour protester contre l’ex-Président Fujimori.
Face à ce resurgissement de l’hystérie antifasciste, le prolétariat doit préserver son autonomie de classe, en tirant les leçons de son expérience historique.
Depuis les années 1930, l’histoire a clairement montré le danger de la mystification antifasciste pour le prolétariat, qui se présente sous deux variantes, mais qui sont en réalité complémentaires :
soit former un front antifasciste où le prolétariat devrait, face au “danger fasciste”, joindre sa lutte à celle des fractions de la bourgeoisie en apparence plus libérales ou progressistes ;
ou alors choisir un “moindre mal”, c’est-à-dire la démocratie ou les fractions “libérales” de la bourgeoisie, face au “mal plus grand” représenté par les régimes autoritaires ou fascistes, les dictateurs, etc.
Le prolétariat, victime de ce venin insidieux, s’est fait embarquer dans le carnage de la Seconde Guerre mondiale, dans la barbarie de la guerre civile espagnole de 1936 ou encore dans le massacre de Pinochet en 1973. (7)
En plaçant un cadre politique autour de cette leçon historique que le prolétariat a payé de millions de cadavres, le point 9 de notre plateforme dénonce catégoriquement le piège antifasciste, en soulignant particulièrement que :
“Dans la décadence capitaliste, quand seule la révolution prolétarienne constitue un pas en avant de l’Histoire, il ne peut exister aucune tâche commune, même momentanée, entre la classe révolutionnaire et une quelconque fraction de la classe dominante, aussi “progressiste”, “démocratique” ou “populaire” qu’elle puisse se prétendre”.
“De fait, depuis la Première Guerre mondiale, la “démocratie” s’est révélée comme un des pires opiums pour le prolétariat. C’est en son nom, qu’après cette guerre, a été écrasée la révolution dans plusieurs pays d’Europe ; c’est en son nom et “contre le fascisme”, qu’ont été mobilisés des dizaines de millions de prolétaires dans la Seconde Guerre impérialiste. C’est encore en son nom qu’aujourd’hui le capital tente de dévoyer les luttes prolétariennes dans les alliances “contre le fascisme”, “contre la réaction”, “contre la répression”, “contre le totalitarisme”, etc.”.
“[Le fascisme] ne détient pas le monopole de la répression, et si les courants politiques démocratiques ou de gauche l’identifient avec celle-ci, c’est qu’ils tentent de masquer qu’ils sont eux-mêmes des utilisateurs décidés de cette même répression à tel point que c’est à eux que revient l’essentiel de l’écrasement des mouvements révolutionnaires de la classe”.
“L’autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l’épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toutes les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu’à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe. Tout courant politique qui tente de lui faire quitter ce terrain sert directement les intérêts de la bourgeoisie”.
Face à tous ceux qui tentent d’attirer le prolétariat dans les faux dilemmes “démocratie ou fascisme”, “populisme ou anti-populisme”, etc., qui ne font que le transformer en chair à canon pour la barbarie capitaliste, le prolétariat mondial doit assumer la même tâche : défendre son autonomie politique de classe afin de lutter contre l’exploitation capitaliste, avec pour objectif sa destruction à l’échelle planétaire.
C. Mir, 7 mai 2019
1Voir Le Brésil entre dans la tourmente [723] sur le site internet du CCI.
2Voir Crise au Venezuela : ni Guaido, ni Maduro ! Les travailleurs ne doivent soutenir aucune des fractions de la bourgeoisie dans leur lutte pour le pouvoir ! [724] Dernièrement, la situation au Venezuela s’est aggravée à cause de la mafia pro-yankee qui, dans sa confrontation meurtrière avec la mafia chaviste, cherche à s’infiltrer dans des secteurs de l’armée.
3 L’expression “gorille” encore est apparue dans la vie politique argentine en 1955 pour désigner une personne ayant une position anti-péroniste. L’expression s’est ensuite popularisée dans toute l’Amérique latine, étant désormais utilisée comme synonyme de “réactionnaire de droite”, militariste, pro-coup d’État ou encore “anti-communiste”. (NdT)
4 Il est important de souligner que Fidel Castro, dans un discours prononcé en février 1959, lors de sa première visite aux États-Unis, avait déclaré : “Nous ne sommes pas communistes. Notre Révolution s’inspire du principe démocratique (…) Ni dictature d’un Homme, ni dictature d’une Classe (…) Notre commerce avec les États-Unis peut être amélioré à notre commun avantage.”. www.cuba.cu/gobierno/discursos/1959/esp/f150159e.html [725]. L’impérialisme nord-américain n’ayant pas apporté les bénéfices escomptés, cela a conduit les “barbus cubains” dans les bras de l’URSS, se proclamant dès lors en toute hâte de fervents “communistes”.
5 Pour étudier cette renaissance de manière plus approfondie, voir : Cinquante ans depuis mai 68 [726], Revue Internationale n° 160 (1er semestre 2018).
6 Voir, notamment :
– Brasil : ¿Es Lula una [727]“ [727]esperanza [727]” [727] para los trabajadores ? [727] ;
– Evo al desnudo [728] ;
– La burguesía ecuatoriana nadando en el pozo de su descomposición [729] ;
7 Notre organisation a publié de nombreux documents sur ces trois évènements. Nous pouvons recommander :
– Il y a 50 ans : les véritables causes de la 2e Guerre mondiale [730] ;
– notre livre : 1936 : Franco y la República masacran al proletariado [587] ;
– et : Il y a 30 ans, la chute d’Allende au Chili : Dictature et démocratie sont les deux visages de la barbarie capitaliste [731].
Le capitalisme a rendu des régions entières du globe inhospitalières et invivables, de véritables enfers pour des populations martyrisées obligées de fuir. Après le pic de la “crise migratoire” en 2014/2015, les États les plus puissants ont décidé de réagir fermement pour tenter de dissuader les candidats à l’immigration devenus “trop nombreux”. Durcissant leur arsenal policier et répressif, ils ont en grande partie “externalisé” le contrôle des frontières en sous-traitant la gestion des migrants à des acteurs très peu regardants sur les “méthodes” utilisées et les “conditions d’accueil”. L’Union européenne (UE), par exemple, a sollicité la Turquie en 2016, moyennant quatre milliards d’euros, afin de freiner les migrants en les parquant à distance. Bon nombre d’entre eux croupissent encore aujourd’hui dans ces centres de rétention. Le “succès” de cette nouvelle politique migratoire s’est étendu plus récemment à d’autres États, notamment ceux d’Afrique du Nord. En Libye, les migrants sont victimes de conditions de détentions proprement inhumaines. Lorsque l’ONU a visité le centre de Zintan : “654 migrants et réfugiés étaient alors détenus dans des conditions “équivalentes à des peines ou des traitements inhumains et dégradants” assimilables à “la torture”, selon Rupert Colville (ONU), qui décrit en détail la sous-alimentation, les privations d’eau, les gens “enfermés dans des entrepôts surpeuplés empestant les ordures et les latrines bouchées””. (1) Aujourd’hui, dans l’attente d’un éventuel transfert en Turquie, des milliers de réfugiés sont également internés dans les îles grecques, dans des centres où les conditions d’internement sont effroyables : “Les installations ne sont pas capables d’accueillir tous les réfugiés dans les îles. “Dans le camp de Moria, il y a une salle de bain pour 100 personnes et une douche pour 300 personnes. Certains sont arrivés ici quelques jours après la mise en œuvre de l’accord, pouvez-vous vous imaginer vivre dans de telles conditions pendant deux ans ? Ces personnes ont perdu tout contrôle de leur vie”, dénonce Luca Fontana, coordinateur de Médecins Sans Frontières à Lesbos”. (2)
Autre témoignage : “Le camp de Moria n’est pas fait pour les humains, estime le docteur Alessandro Barberio, psychiatre chez Médecins sans frontière. Même les personnes les plus équilibrées peuvent sombrer dans la folie. J’ai vu ici, souligne-t-il, les cas les plus graves et les plus nombreux de ma carrière. L’absence de réponses pour leur futur finit par les détruire. Traverser les procédures de demande d’asile des mois durant, tout en vivant dans ce cloaque empêche de dormir, pousse au désespoir ou au suicide”. De concert avec la surveillance maritime et des moyens policiers renforcés, c’est au prix de telles souffrances que la bourgeoisie peut cyniquement vanter les “succès” de ce qu’on pourrait qualifier de véritable forteresse. Sur les îles grecques que nous venons d’évoquer, le nombre d’arrivées aurait officiellement diminué de 97 % ! (3)
Lorsqu’en 2014, au plus fort des combats en Syrie et en Irak, la “crise migratoire” a explosé, les grands pays démocratiques n’ont pas hésité à faire de grandes déclarations “humanistes”, assurant qu’ils prendraient leur responsabilité pour venir en aide à ces millions de personnes fuyant leur pays au nom du sacro-saint “droit d’asile”. L’Allemagne, la première puissance économique d’Europe, se présentait comme un véritable refuge en ouvrant les portes à quelques milliers de demandeurs d’asile arrivant d’Europe de l’Est. Bien que moins enthousiastes, toutes les autres grandes puissances européennes lui emboîtaient timidement le pas. Si pour préserver sa crédibilité, l’appareil politique bourgeois est contraint de faire mine de se soucier du sort des migrants par de beaux discours humanistes, sa pratique barbare démontre le peu de valeur que représente la vie humaine à ses yeux. Les gouvernements verrouillent les frontières, restreignent la circulation en instrumentalisant des peurs qu’ils alimentent, construisent des murs physiques et “administratifs” pour se protéger de la “peste” migratoire et de l’ “invasion”. C’est pour cette raison que le “progressiste” président français, Emmanuel Macron, pour qui l’accueil des migrants relève de “la dignité de l’ensemble de nos pays, notamment de la France” (4) fait patrouiller la marine nationale en Méditerranée pour repousser brutalement les migrants vers les côtes africaines. C’est aussi pour les mêmes raisons que les États européens, champions autoproclamés des “Droits de l’homme”, financent des milices privées armées jusqu’aux dents aux frontières des pays africains. Alors que chaque pays accuse son voisin de ne pas en faire assez, tous mènent une politique ouvertement anti-migrants !
Ces derniers temps, la bourgeoisie pérore en affirmant, encore une fois, que la masse des migrants voulant venir sur le continent européen a fortement diminué. La classe dominante peut se féliciter : elle a mobilisé jusqu’aux douaniers (pourtant chargés du contrôle des flux de marchandises) pour effectuer ses plus sinistres tâches contre les migrants, notamment la surveillance des côtes et le flicage. Une telle situation, criminelle, ne fait que pousser les migrants à prendre toujours plus de risques, transformant la mer en cimetière où périssent atrocement chaque année des milliers de désespérés contraints de tenter leur chance sur des flottilles de fortune.
L’Agence européenne Frontex avait pourtant été officiellement créée pour “secourir les migrants en détresse en Méditerranée”. C’est avec des formules hypocrites de ce genre que la bourgeoisie de l’UE, comme nous l’avons déjà souligné, finance la Turquie d’Erdogan pour retenir dans les camps d’internement les migrants aux frontières syrienne et irakienne.
En septembre 2015, la commission européenne demandait aux États membres d’accueillir près de 100 000 personnes (ce qui n’est presque rien comparé à la masse des migrants). En mai 2018, à peine le 1/3 avait été accueilli. La France, “patrie des droits de l’homme”, n’a atteint que 25 % de son objectif. Ce constat montre bien que les discours grandiloquents des principaux chefs politiques de la bourgeoisie, appelant à “l’esprit de responsabilité” et à la “solidarité”, s’effacent derrière le calcul froid de chaque gouvernement visant à réguler le nombre de réfugiés en fonction des intérêts de chaque capital national et de la charge que cela peut faire peser sur l’État. De là, découle en partie les frictions et les divisions au sein de la bourgeoisie sur la question.
Tous les gouvernements durcissent jour après jour la politique déjà draconienne envers les migrants. En France, Macron mène une politique encore plus brutale que ses prédécesseurs, y compris Sarkozy et son discours anti-migrants nauséabond, comme en témoigne la loi “immigration et asile” adoptée en 2018 : accélération des procédures d’expulsion de plus en plus arbitraires, allongement des mesures de rétention, “vidéo-audience”… Le Ministre français de l’Intérieur a également fait passer une circulaire qui prévoit de recenser les migrants dans les centres d’hébergements. Cette circulaire est présentée comme le moyen de connaître les “publics” hébergés et de les orienter en fonction de leur situation. En réalité, cette politique, comme celles de tous les autres pays “civilisés” et “démocratiques”, assimile les migrants à des troupeaux humains qu’il faut trier, parquer et refouler au maximum dans leur pays d’origine pour les exposer à nouveau aux ravages de la guerre, à la famine et aux maladies.
En Italie, la chambre des députés a adopté un décret-loi controversé, exigé par Matteo Salvini, Ministre de l’intérieur et chef de la Ligue (extrême-droite) durcissant sa politique d’immigration. Concrètement, le gouvernement italien réunira désormais les centaines de milliers de demandeurs d’asile dans de grands camps de concentration par mesure d’économie et généralise l’utilisation du pistolet électrique ! Toute expression de solidarité envers les migrants est présumée relever de l’ “aide à l’immigration clandestine” et systématiquement punie par loi.
En Espagne, dès son arrivée au pouvoir en juin 2018, le gouvernement Sanchez avait accueilli “à bras ouverts” les 630 migrants de l’Aquarius et annonçait son intention de faciliter l’accès des sans-papiers aux soins. Près d’un an plus tard, le décret adopté en septembre 2018 n’est toujours pas appliqué dans l’enclave de Melilla. Pire, après l’annonce de ces mesures de pacotille, le gouvernement socialiste, sous prétexte de “garantir la sécurité” le long des clôtures de Ceuta et Melilla, “sans blesser” les migrants, prévoit de remplacer les barbelés par un nouvel “élément”… qui élèvera la clôture de 30 %, la faisant atteindre 10 mètres de haut par endroits. C’est ce que le gouvernement qualifie de “frontière plus sûre mais aussi plus humaine” ! Par ailleurs, la présence de la Guardia Civil a été renforcée dans de nombreux points stratégiques, et ces derniers sont désormais équipés de détecteurs de rythme cardiaques mobiles afin de pouvoir “localiser et neutraliser” les migrants. Bien sûr, les autorités prétendent que ces mesures visent à “assurer la sécurité des personnes, des installations et du public”.(5) En réalité, elles ne font que perfectionner la gestion policière et répressive. À Melilla, depuis février, près de 2 500 migrants ont été interceptés après la mise en place d’un dispositif permettant d’empêcher l’accès à la zone portuaire et l’installation de concertinas (des barbelés munis de lames de rasoir !).
Le “droit d’asile” existe bel et bien dans les grandes démocraties, parfaitement défini par les règles de la convention de Genève de 1951. Mais en réalité, l’élasticité de son contenu permet à n’importe quel État de le restreindre au maximum par tout un tas d’artifices juridiques et par une véritable barrière bureaucratique. Dans la pratique, ce droit n’est appliqué qu’au compte-goutte selon des critères ultra-sélectifs. La fonction de ce droit d’asile est avant tout idéologique. Elle sert à diviser les migrants entre, d’une part, une grande majorité “d’indésirables”, taxés de “réfugiés économiques” venant “profiter” de droits coûteux sur le dos des travailleurs autochtones et, d’autre part, une infime minorité qui après avoir franchi une muraille administrative peut espérer l’asile. À travers ces quelques exemples, on voit bien que le droit d’asile n’est qu’une couverture idéologique, une hypocrisie des plus ignobles, permettant non seulement de justifier le flicage et la bunkerisation des États, mais de compléter en plus les murs physiques et les barbelés dressés contre les migrants par tout un arsenal bureaucratique tout autant infranchissable.
La bourgeoisie des pays centraux du capitalisme ne se contente pas de repousser les migrants en dehors des frontières, elle instrumentalise le phénomène afin de porter ses attaques contre la conscience de la classe ouvrière à travers une propagande anti-migrants d’ampleur consistant à jeter la suspicion et la méfiance. Au nom de la “sécurité des citoyens”, la classe dominante diffuse la peur de l’autre, de l’étranger, en exploitant le moindre relent xénophobe pour l’amplifier tout en se parant à la fois des vertus du droit et de la démocratie. Des débats télévisés sont consacrés un peu partout à des discussions sans fin sur le coût de chaque migrant ou sur le “droit du sol” de tel ou tel État. Bien souvent, les indemnités misérables accordées aux migrants sont cyniquement comparées aux maigres retraites ou aux bas salaires dévolus aux ouvriers. Un tel discours ne fait qu’attiser les divisions au sein même des exploités, attiser la méfiance et la concurrence sauvage entre les immigrés et les autochtones.
Les populistes ont ainsi beau jeu d’appeler à l’expulsion de tous les migrants et au rétablissement des frontières (les milliers de victimes de noyade dans la Méditerranée seront heureux d’apprendre que les frontières avaient disparues !). C’est le même discours en Italie, derrière les Salivini et consorts, le même discours de l’extrême-droite en Espagne, en Allemagne, en Pologne, en Hongrie et ailleurs.
Les mesures administratives, les “centres de tri”, l’ensemble des mesures toujours plus barbares pour refouler sans ménagement des êtres humains vers les régions qu’ils ont fuies ont un bel avenir sous le règne du capitalisme décadent. Le prolétariat ne doit pas se faire d’illusions, le capitalisme devenu sénile ne peut que générer plus de chaos et d’insécurité. Ce sont des populations toujours plus nombreuses et massives qui devront tenter de fuir des régions toujours plus dévastées et inaptes à la simple survie. Les migrants ne sont pas les “concurrents” des prolétaires des pays “riches” mais des victimes du même système que celui qui les exploite et les précarise à la fois. Dans tous les pays les plus développés de la planète, la bourgeoisie ne cessera pas, d’ailleurs, de développer ses campagnes idéologiques infâmes afin de justifier une politique toujours plus inhumaine aux yeux du prolétariat.
Il est important de comprendre que le prolétariat est seul à pouvoir développer une véritable solidarité avec ceux qui sont en réalité ses frères de classe et non des “ennemis” ou des “menaces”. Ce ne sont pas les migrants qui portent les attaques contre nos conditions de vie, mais bien le capital. Les “droits de l’homme” et le “droit d’asile” ne sont que des mensonges éhontés provenant de la bouche de ceux qui sont responsables de ces mouvements migratoires massifs. Les prolétaires n’ont pas de patrie, ceux exploités dans les pays développés comme ceux fuyant les horreurs du capitalisme. C’est une seule et même classe qui doit combattre ce système en pleine putréfaction.
Martine, 27 juin 2019
1 “En Libye, le tragique bilan de la fermeture des ports italiens [733]”, RFI (15 juin 2019).
2 “Les migrants relégués de l’île grecque de Lesbos [734]”, La Croix (18 décembre 2018)
3 “La crise migratoire persiste dans l’imaginaire européen [735]”, Euractiv (20 féviers 2019)
4 “L’arrivée de réfugiés est une opportunité économique [736]”, Le Figaro (7 septembre 2015).
5 Extrait d’un communiqué de la Guardian Civil daté du 6 avril 2019.
Nous publions ci-dessous des extraits de l’autobiographie de Léon Trotsky, Ma vie. (1) Après avoir été arrêté et déporté par le Guépéou de Staline dans le lointain Kazakhstan vers Alma-Ata, qui fût l’ancienne capitale de ce territoire durant l’ère soviétique, Trotsky s’est vu progressivement coupé de toute correspondance, censuré puis poussé à l’exil forcé en peu de temps vers la Turquie. Contraint de mener son combat en demandant l’asile, les démocraties occidentales lui refuseront ce privilège.
L’intérêt de ce témoignage, outre celui du talent d’une plume mordante et savoureusement ironique, est de mettre en évidence plusieurs aspects politiques de premier ordre. Dans les faits, ce témoignage montre que les démocraties étaient complices des régimes les plus réactionnaires et autoritaires, comme celui du tsar de Russie, en étant capables d’utiliser tous les prétextes et l’arme de la bureaucratie tatillonne pour refuser systématiquement le droit d’asile, créant ainsi un “front unique international contre le marxisme révolutionnaire”. Les refus des grandes démocraties montrent clairement un soutien et même un certain niveau de complicité avec Staline contre l’Opposition de Trotsky.
L’autre enseignement est celui de la pratique des gouvernements dits “ouvriers”, que ce soit celui du parti social-démocrate en Allemagne, arrivé au pouvoir après le massacre des ouvriers à Berlin en 1919 et l’assassinat des révolutionnaires (comme Rosa Luxemburg), ou le Parti “travailliste”, le Labour party de Grande-Bretagne. Outre l’hypocrisie de la classe dominante, c’est la réalité crue de ce que signifie le droit d’asile dans les démocraties bourgeoises qui est dénoncé ici avec brio et pugnacité.
Le droit d’asile (au moins sur le papier) consiste en ceci qu’un gouvernement donne une retraite même à ses adversaires, à condition qu’ils se soumettent aux lois du pays. Bien entendu, je ne pouvais entrer en Allemagne que comme l’adversaire intransigeant du gouvernement social-démocrate. Au représentant de la presse social-démocrate allemande qui vint chez moi à Constantinople pour me demander une interview, je donnais les explications indispensables que je reproduis ici dans une forme où je les ai rédigées moi-même immédiatement après l’entrevue :
“Comme je demande actuellement à être admis en Allemagne, où la majorité du gouvernement se compose de sociaux-démocrates, je suis tout intéressé à définir mon attitude à l’égard de la social-démocratie. Dans ce domaine, rien n’est changé. Mon attitude à l’égard de la social-démocratie reste ce qu’elle était auparavant. Bien plus, ma lutte contre la fraction centriste de Staline n’est qu’un reflet de la lutte que je mène en général contre la social-démocratie. Ni vous, ni moi, n’avons besoin d’incertitudes ou de réticences.
Certaines publications social-démocrates s’efforcent de trouver une contradiction entre mon attitude de principe à l’égard de la démocratie et ma demande de visa pour l’Allemagne. Il n’y a là aucune contradiction. Nous ne “nions” nullement la démocratie comme la nient les anarchistes (en paroles). La démocratie bourgeoise a des privilèges comparativement aux régimes gouvernementaux qui l’ont précédée. Mais elle n’est pas éternelle. Elle doit céder sa place à la société socialiste. Le pont pour arriver à la société socialiste, c’est la dictature du prolétariat.
Les communistes dans tous les États parlementaires participent à la lutte parlementaire. L’utilisation du droit d’asile, en principe, ne se distingue nullement de l’utilisation du droit de vote, des droits de liberté de la presse, de réunions, etc”.
Autant que je puisse savoir, cette interview ne fut pas publiée. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Dans la presse social-démocrate, à ce moment, des voix s’élevaient, réclamant pour moi le droit d’asile. Un des avocats social-démocrates, le docteur K. Rosenfeld se chargea, de sa propre initiative, de m’obtenir le droit d’entrer en Allemagne. Cependant, il rencontra aussitôt une résistance, car, quelques jours après, il me demanda, par télégramme, à quelles restrictions je consentirais pendant mon séjour en Allemagne.
Je répondis : “J’ai l’intention de vivre dans un complet isolement, en dehors de Berlin ; en aucun cas, je ne me montrerai dans les réunions publiques ; je me bornerai à écrire, dans les cadres de la loi allemande”.
Ainsi, il ne s’agissait plus d’un droit d’asile démocratique, mais du droit de vivre en Allemagne dans une situation exceptionnelle. La leçon de démocratie que se disposaient à me donner les adversaires reçut, d’un coup, une interprétation négative.
Mais nous n’en restâmes pas là. Quelques jours après, je reçus un nouveau télégramme : ne consentirais-je pas à me rendre en Allemagne uniquement pour me soigner ? Je répondis par dépêche : “Je demande qu’au moins on me donne la possibilité d’une cure absolument indispensable en Allemagne”.
Ainsi, le droit d’asile à cette étape, était réduit au droit de faire une cure. Je nommai un certain nombre de médecins allemands réputés qui m’avaient soigné dans les dix dernières années et dont le secours m’était plus que jamais indispensable. Vers Pâques, il y eut une nouvelle note dans la presse allemande : dans les sphères gouvernementales, on estime que Trotsky n’est pas tellement malade qu’il ait absolument besoin de traitement des médecins allemands et des stations thermales allemandes.
Le 31 mars, je télégraphiai au docteur Rosenfeld : “D’après les journaux, ma maladie n’est pas tellement désespérée que je puisse obtenir l’entrée en Allemagne. Je demande si Löbe m’a offert le droit d’asile ou le droit de cimetière. Je suis prêt à subir l’examen de n’importe quelle commission médicale. Je m’engage, après avoir fait ma cure, à quitter l’Allemagne”.
Ainsi, pendant plusieurs semaines, le principe démocratique donna lieu, par trois fois, à des interprétations limitatives. Le droit d’asile devint d’abord le droit de vivre dans une situation exceptionnelle ; ensuite, ce fut le droit de se soigner ; enfin, ce fut le droit d’aller au cimetière. Mais cela signifiait que je ne pouvais apprécier les avantages de la démocratie dans toute leur ampleur qu’en qualité de défunt.
Il n’y eut pas de réponse à mon télégramme. Après avoir attendu quelques jours, je télégraphiais de nouveau à Berlin : “Je considère l’absence de réponse comme une forme déloyale de refus”. C’est seulement après cela que je reçus, le 12 avril, c’est-à-dire deux mois après, cette information que le gouvernement allemand rejetait ma demande de visa. Il ne m’est resté qu’à télégraphier au président du Reichstag, Löbe : “Je regrette de n’avoir pas eu la possibilité d’apprendre par la pratique quels sont les avantages du droit démocratique d’asile”.
Telle est brièvement rapportée l’histoire édifiante de ma première tentative d’obtenir en Europe un visa “démocratique”.
Bien entendu, si l’on m’avait donné le droit d’asile, cela n’aurait entraîné au moindre degré le renversement de la théorie marxiste d’un État de classe. Le régime de la démocratie, qui provient non de principes dominants, mais des besoins de la classe dirigeante, en vertu de sa logique intérieure, comprend aussi le droit d’asile. Le fait d’accorder un asile à un révolutionnaire prolétarien n’est pas du tout en contradiction avec le caractère bourgeois de la démocratie. Mais, actuellement, il n’y a aucune nécessité d’insister sur cette argumentation, étant donné qu’aucun droit d’asile ne m’a été accordé dans l’Allemagne que dirigent les sociaux-démocrates.
Staline, par l’intermédiaire du Guépéou, m’avait proposé, le 16 décembre, de renoncer à toute activité politique. La même condition fut posée du côté allemand, comme une chose qui s’entendait d’elle-même, quand on discuta dans la presse du droit d’asile. Cela signifiait que le gouvernement de Müller-Stresemann considérait comme dangereuses et nuisibles les idées que combattaient Staline et Thaelmann, Staline en diplomate, et Thaelmann, en agitateur, exigeaient du gouvernement social-démocrate qu’il ne me reçût pas en Allemagne (sans doute faut-il penser, au nom de la révolution prolétarienne). Sur un autre flanc, Chamberlain, le comte Westarp et autres pareils exigeaient qu’on me refuse le visa, dans l’intérêt de l’ordre capitaliste. Hermann Müller pouvait de cette façon donner des satisfactions indispensables à ses partenaires de la droite et à ses alliés de la gauche. Le gouvernement social-démocrate devint le lien d’un front unique international contre le marxisme révolutionnaire. Pour trouver l’image de ce front unique, il suffit de se reporter aux premières lignes du Manifeste communiste de Marx et Engels : “Pour une croisade sacrée contre ce spectre (le communisme), toutes les forces de la vieille Europe sont unies, (le pape et le tsar, Metternich et Guizot, les radicaux français et les policiers allemands)”.
Les noms ne sont pas les mêmes ; le fond est le même. Ce fait que les policiers allemands sont actuellement des sociaux-démocrates ne change rien à l’affaire. En somme, ils protègent ce que défendaient les policiers du Hohenzollern.
La diversité des motifs que la démocratie invoque pour refuser le visa est très grande. Le gouvernement norvégien, voyez-vous, se fonde exclusivement sur des considérations de sécurité pour moi. Je n’aurais jamais pensé que j’avais à Oslo des protecteurs si dévoués, à des postes si responsables. Le gouvernement norvégien, bien entendu, se déclare tout entier pour le droit d’asile, de même que les gouvernements allemand, français, anglais et tous les autres. Le droit d’asile, comme on sait, est un principe inébranlable. Mais l’exilé doit, préalablement, présenter à Oslo un certificat comme quoi il ne sera pas assassiné. Dans ce cas, on lui accordera l’hospitalité… à condition, bien entendu, qu’on ne découvre pas d’autres obstacles.
Les débats qui eurent lieu par deux fois au Storting (parlement norvégien, NDLR) au sujet de mon visa, constituent un document politique sans précédent. La lecture de ce texte me dédommagea d’au moins à moitié du refus qui fut opposé aux démarches de mes amis en Norvège.
Le Premier ministre du pays, à cette occasion, s’était entretenu avant tout avec le chef de la sûreté, dont la compétence, en matière de principes démocratiques (je le reconnais tout de suite) est incontestable. Donc le chef de la sûreté, d’après le récit de M. Mohwinkel, fit valoir qu’il serait plus raisonnable de laisser les ennemis de Trotsky lui régler son compte ailleurs que sur le territoire norvégien. Ce n’était pas dit si nettement, mais c’était bien l’idée. Le ministre de la justice, d’autre part, expliqua au parlement norvégien, que la protection de Trotsky serait une charge trop lourde pour le budget. Le principe de l’économie dans l’administration des affaires publiques, qui est aussi un des principes démocratiques incontestables, se trouva pour cette fois en opposition irréductible avec le droit d’asile.
En tous cas, la conclusion fut que celui qui a le plus besoin d’un asile est aussi celui qui a le moins de chance d’en avoir un.
Le gouvernement français se montra beaucoup plus spirituel : il allégua simplement que l’arrêté d’expulsion signé par Malvy n’avait pas été rapporté. C’est là un obstacle absolument insurmontable sur le chemin de la démocratie ! J’ai raconté comment, après cette expulsion, et bien que l’arrêté de Malvy fût toujours en vigueur, le gouvernement français avait mis à ma disposition des officiers français, comment j’avais reçu la visite de députés, d’ambassadeurs et d’un des Premiers ministres français. Mais ce sont là des faits qui, de toute évidence, se sont déroulés sur des plans sans aucun point d’intersection entre eux. Actuellement, donc, la situation est telle : le droit d’asile en France me serait accordé à coup sûr s’il n’existait pas dans les archives de la police un arrêté d’expulsion pris sur la demande de la diplomatie du tsar. On sait qu’un ordre de police est quelque chose dans le genre de l’étoile polaire : il n’y a aucune possibilité de l’abolir ou de le déplacer. Qu’il en soit ainsi ou autrement, le droit d’asile est pourtant accordé aux exilés en France. Où est donc le pays dans lequel ce droit aurait trouvé… son refuge ? Ne serait-ce pas en Angleterre ?
Le 5 juin 1929, l’Independant Labour Party, dont Mac Donald est membre, m’invitait, officiellement et de sa propre initiative à venir en Angleterre faire une conférence à l’école du parti ; l’invitation, signée par le secrétaire général du parti, portait ceci : “en raison de la formation ici d’un gouvernement ouvrier, nous ne pouvons supposer que des obstacles s’élèvent à l’occasion de votre venue en Grande-Bretagne dans ce but”.
Néanmoins, des obstacles s’élevèrent. Non seulement il ne me fut pas donné de faire une conférence devant les partisans de Mac Donald, mais je ne devais même pas profiter de l’assistance des médecins anglais. Le visa me fut refusé purement et simplement. Clynes, ministre de la police du Labour Party, argumenta en faveur de cette interdiction à la Chambre des Communes. Il expliqua l’essence philosophique de la démocratie avec une spontanéité qui aurait fait honneur à n’importe quel ministre de Charles II. Le droit d’asile, selon Clynes, n’est pas pour un exilé le droit de demander un refuge, c’est pour l’État le droit de lui en refuser un. La définition de Clynes est remarquable en ce sens que d’un seul coup, elle en finit avec les bases mêmes de ce qu’on appelle la démocratie. Le droit d’asile comme l’entend Clynes a toujours existé dans la Russie tsariste. Lorsque le Shah de Perse, n’ayant pas réussi à pendre tous les révolutionnaires de chez lui, dut quitter le territoire de sa chère patrie, Nicolas II lui accorda le droit d’asile, et de plus, l’installa assez confortablement à Odessa. Cependant, aucun des révolutionnaires irlandais n’aurait eu l’idée de chercher un refuge en Russie tsariste dont la constitution se ramenait toute au “principe” de Clynes ; les citoyens doivent se contenter de ce que leur donne ou leur enlève le pouvoir de l’État. Mussolini, récemment encore, accordait au padishah d’Afghanistan le droit d’asile en exacte conformité avec ce même principe.
Le pieux M. Clynes devrait du moins savoir que la démocratie a hérité, en un certain sens, le droit d’asile de l’Église chrétienne, laquelle, à vrai dire, tenait ce droit, comme tant d’autres, du paganisme. Un criminel poursuivi n’avait qu’à pénétrer dans un temple, parfois même seulement à toucher l’anneau de la porte, pour être mis à l’abri de ses poursuivants. Ainsi, l’Église entendait le droit d’asile précisément dans le sens du droit de l’homme poursuivi, et non pas comme une mesure arbitraire des curés païens ou des sacrificateurs chrétiens. Jusqu’à présent, j’avais cru que les pieux travaillistes, peu renseignés en matière de socialisme, devraient du moins être de grands connaisseurs en traditions ecclésiastiques. Je constate maintenant qu’il n’en est rien.
Pourquoi cependant Clynes s’arrête-t-il dès le début dans sa théorie du droit politique ? Il a tort. Le droit d’asile n’est qu’une des parties composantes du système de la démocratie. Ni par ses origines historiques ni par sa nature juridique, il ne se distingue de la liberté de parole, des réunions, etc. M. Clynes, il faut l’espérer, en viendra bientôt à déduire que la liberté de parole ne consiste pas dans le droit des citoyens d’exprimer telles ou telles idées, mais que c’est un droit, pour l’État, d’interdire à ses sujets d’avoir pareilles idées. À l’égard du droit de grève, cette déduction a déjà été faite d’une façon patente par la législation britannique. Le malheur de Clynes est en ceci qu’il a dû expliquer ses actes à haute voix parce que, dans la fraction travailliste du parlement, il s’est trouvé des députés pour poser au ministre, quoique respectueusement, des questions gênantes. Le premier ministre de Norvège s’était trouvé dans une situation tout aussi désagréable. Le cabinet allemand ne connut pas de tels ennuis. Il ne se trouva pas un seul député, au Reichstag, pour s’intéresser au droit d’asile. Ce fait acquiert une saveur particulière si l’on se rappelle que le président du Reichstag, aux applaudissements de la majorité, promit de m’accorder ce droit alors que je ne l’avais pas encore demandé.
(…) Je ne puis me dispenser de reconnaître que les échanges de vues des démocraties de l’Europe occidentale qui eurent lieu au sujet du droit d’asile m’ont procuré, entre autres choses, bien des minutes de gaîté. (…) Inutile de parler de l’Amérique. Les États-Unis ne sont pas seulement le pays le plus puissant ; c’est aussi le pays qui a le plus peur. Récemment, Hoover expliquait sa passion pour la pêche par le caractère démocratique de cette distraction. S’il en est ainsi, ce dont je doute, Hoover est en tout cas une des rares survivances de la démocratie que l’on puisse encore découvrir aux États-Unis. Le droit d’asile n’existe plus là-bas depuis longtemps. L’Europe et l’Amérique sans visa. Mais ces continents sont les maîtres des trois autres. Il en résulte donc que c’est : la planète sans visa.
Léon Trotsky, 1930.
1 Trotsky, Ma vie.
1 – L’importance historique et internationale de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE) marque une accélération qualitative de l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie mondiale. Le Brexit démontre l’impact croissant du populisme, l’expression politique de l’approfondissement de la décomposition capitaliste, qui a également pris la forme de gouvernements populistes en Europe orientale et en Italie, et le renforcement des partis et factions populistes en Europe occidentale et aux États-Unis. Le désordre autour du Brexit est devenu une véritable caricature des crises politiques internationale. Avec l’impasse du Brexit, toute la bourgeoisie britannique, l’État et la société sont plongés dans une crise politique causée par l’irresponsabilité de factions minoritaires de la bourgeoisie, c’est le résultat de la contamination de ces factions par le développement du populisme. A cela s’ajoute les autres manifestations de l’aggravation de la crise historique : l’affaiblissement croissant des institutions de la Pax Americana après la Seconde Guerre mondiale, que ce soit l’UE, l’OMC, la Banque Mondiale, l’OTAN, et sous-jacente à tout cela, l’insoluble crise économique mondiale.
2 – Le Brexit a pu avoir un tel impact en Grande-Bretagne du fait de tensions historiques au sein de la classe dominante britannique au sujet de l’Europe, tensions générées par son déclin en tant que puissance impérialiste. Jusqu’en 1956, la bourgeoisie britannique pensait pouvoir influencer l’Europe de l’extérieur, mais après l’humiliation de Suez, elle a dû accepter la fin de son règne en tant que puissance internationale de premier rang. Faire partie de l’Europe n’était plus seulement une question de stabilité économique, c’était aussi, fondamentalement, la possibilité de poursuivre la politique impérialiste à long terme de l’Angleterre en essayant de maintenir les divisions entre puissances continentales, en particulier de s’opposer à l’influence de l’impérialisme allemand.
Dans le même temps, l’impérialisme britannique a également cherché à équilibrer son implication en Europe par une “relation spéciale” avec les États-Unis, une relation qui n’avait vraiment de substance que si le Royaume-Uni faisait partie de l’Europe.
Fondamentalement, l’impérialisme britannique a toujours été hostile à l’idée de faire partie de l’UE ; il a néanmoins été contraint de ravaler son orgueil afin de défendre son intérêt national.
3 – La fin de la division du monde en deux blocs impérialistes après 1989 a libéré de puissantes tendances centrifuges. Le Bloc de l’Est s’est effondré et le Bloc occidental a perdu toute raison d’être. Toutes les principales puissances impérialistes se sont ainsi trouvées projetées dans une nouvelle période historique où elles cherchent la meilleure façon de défendre leur intérêt national dans un monde toujours plus chaotique. Au niveau impérialiste, cela signifie que toutes les puissances de second rang sont maintenant contraintes de se trouver dans le même marigot international qui voit le déclin des États-Unis, ces derniers d’autant plus déterminés à conserver leur rôle.
Tout cela met la bourgeoisie britannique sous forte pression, exacerbe les divisions déjà existantes en son sein, en particulier dans son appareil politique, sur comment défendre au mieux l’intérêt national par rapport à l’Europe. Le resurgissement de l’impérialisme allemand ces trente dernières années et le poids de l’impérialisme français dans l’UE ont mis en lumière le faible rôle de l’Angleterre. En son temps, Thatcher s’était déclarée préoccupée par l’impact de la montée en puissance de l’Allemagne, ce qui était l’expression d’une peur historique profonde qui hante l’impérialisme britannique, nourrissant l’euroscepticisme au sein du Parti conservateur et la xénophobie au sein de son électorat. Au début des années 2010, la capacité de la bourgeoisie britannique à manœuvrer au sein de l’UE était en fait minée par le poids grandissant de l’euroscepticisme au sein des conservateurs et par les succès électoraux de l’UKIP. C’est ce qui a mené à la décision d’organiser le referendum de 2016.
4 – Le pari politique d’un referendum pour s’opposer à l’influence grandissante de l’euroscepticisme et du populisme s’est heurté à un certain nombre de problèmes fondamentaux. En particulier, la bourgeoisie a sous-estimé la profondeur de l’impact du populisme au sein de la population et de certaines parties de la classe ouvrière, conséquence de ;
– la perte de confiance en soi du prolétariat suite à l’impact d’une série de trente ans d’importantes défaites :
– le poids croissant du désespoir et de la lumpenisation dans des régions et des zones qui ont été laissées à l’abandon ;
– le cynisme croissant et la méfiance envers le système parlementaire, non pas dans le contexte du développement d’une alternative prolétarienne, mais plutôt dans celui d’une confusion, d’une frustration et d’une colère qui ont poussé une partie du prolétariat à devenir la proie de l’influence du populisme. Le fait que la campagne pro-Brexit (“Leave campaign”) a été capable de mobiliser 3 millions d’électeurs qui ne votaient plus a rendu possible sa victoire au referendum ;
– l’utilisation de l’euroscepticisme comme remède-miracle à l’austérité, la mise en cause de l’immigration dans la baisse du niveau de vie ouvrier,
– l’idéologie rendant les banquiers et les élites politiques traditionnelles responsables de la récession économique de 2008, plutôt que le capitalisme lui-même.
5 – Le Brexit a plongé la bourgeoisie britannique, l’une des plus anciennes et expérimentées au monde, dans une crise politique profonde. Elle s’est trouvée confrontée à d’autres crises, mais aucune n’a aussi fondamentalement affaibli chacun des aspects de sa vie politique.
Dans ses Thèses sur la décomposition [190] de 1990, le CCI a montré que c’est là une des manifestations de la décomposition :
“Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique. A la base de ce phénomène, on trouve évidemment la perte de contrôle toujours plus grande de la classe dominante sur son appareil économique, lequel constitue l’infrastructure de la société. L’impasse historique dans laquelle se trouve enfermé le mode de production capitaliste, les échecs successifs des différentes politiques menées par la bourgeoisie, la fuite en avant permanente dans l’endettement généralisé au moyen de laquelle se survit l’économie mondiale, tous ces éléments ne peuvent que se répercuter sur un appareil politique incapable, pour sa part, d’imposer à la société, et particulièrement à la classe ouvrière, la “discipline” et l’adhésion requises pour mobiliser toutes les forces et les énergie vers la guerre mondiale, seule “réponse” historique que la bourgeoisie puisse offrir. L’absence d’une perspective (exceptée celle de “sauver les meubles” de son économie au jour le jour) vers laquelle elle puisse se mobiliser comme classe, et alors que le prolétariat ne constitue pas encore une menace pour sa survie, détermine au sein de la classe dominante, et particulièrement de son appareil politique, une tendance croissante à l’indiscipline et au sauve-qui-peut”.
Il y a 30 ans, lorsque ces Thèses ont été publiées, la principale expression de cette dynamique était l’effondrement du Bloc de l’Est. Cependant, ainsi que nous le disions à ce moment-là :
“La débandade générale au sein même de l’appareil étatique, la perte du contrôle sur sa propre stratégie politique, telles que l’URSS et ses satellites nous en donnent aujourd’hui le spectacle, constituent, en réalité, la caricature (du fait des spécificités des régimes staliniens) d’un phénomène beaucoup plus général affectant l’ensemble de la bourgeoisie mondiale, un phénomène propre à la phase de décomposition”.
6 – La déstabilisation politique de la classe dominante en Grande-Bretagne s’est plus concrètement exprimée dans le chaos qui s’est développé à mesure que la date de la sortie du pays de l’UE se rapprochait. Cela a conduit à la paralysie du parlement. L’État anglais était jusqu’ici considéré comme un maître du contrôle de la situation politique ; aujourd’hui, l’appareil politique est ouvertement moqué, mais surtout objet de méfiance du fait de son incapacité à mener le processus du Brexit.
Suite au referendum, les principales factions de l’État ont compris qu’elles n’avaient pas d’autre option que d’accepter le Brexit. Néanmoins, le capitalisme d’État britannique a fait tout son possible et essayé tout ce qu’il pouvait dans une situation très difficile. Les principales factions des partis Conservateur et Travailliste, autour de May et Corbyn, ont accepté cette politique. Mais avec les tensions de plus en plus profondes générées par la compréhension des implications du Brexit, chacun des partis s’est de plus en plus divisé en différentes factions mettant chacune en avant leurs propres solutions aux insolubles contradictions du Brexit. Même au sein des fractions principales des partis conservateur et travailliste, il y a des divisions sur comment mener un Brexit planifié. May a dû se battre contre les partisans du Brexit les plus acharnés du European Research Group, alors que Corbyn cherchait à concilier le soutien à un projet de Brexit avec un parti massivement anti-Brexit. Cette situation a abouti à plus de deux ans de conflits au sein des deux partis, où toutes les factions se sont battues les unes contre les autres. Autant May que Corbyn ont dû affronter des tentatives de “coup d’État” sous la forme de motions de défiance au parlement.
Cette situation de conflit politique de plus en plus irresponsable a été exacerbée par les luttes entre factions, pendant que l’État cherchait désespérément à éviter d’être proprement éjecté de l’UE. Pendant le gouvernement May, l’État en a été réduit à tenter de soudoyer les députés pour qu’ils soutiennent l’Accord de retrait, en offrant des millions de Livres aux circonscriptions du Labour les plus pro-Brexit, très souvent les plus déshéritées. Cela a entraîné toujours plus de tensions au sein du Parti travailliste, avec des députés anti-Brexit dénonçant d’autres députés pour avoir accepté ces pots-de-vin.
Ces divisions ne se sont pas limitées aux principaux partis politiques, elles se sont étendues aux syndicats et aux groupes gauchistes qui ont ainsi souligné à quel point ils sont intégrés à la structure de l’État.
7 – Les efforts de l’État pour négocier un accord ont non seulement dû affronter la crise politique intérieure, mais ont aggravé la crise politique en Europe. Le résultat du referendum a versé de l’huile sur le feu populiste à travers le continent. Les gouvernements populistes hongrois et polonais sont sortis renforcés par ce résultat. En France, le Front National y a puisé une inspiration, alors qu’en Italie, les populistes de la Ligue du Nord et du Mouvement Cinq Étoiles ont accédé au pouvoir dans le sillage du Brexit. Confrontées au surgissement du populisme, les principales factions bourgeoises dans l’UE n’ont pas eu d’autre choix que de rendre le Brexit le plus compliqué possible. Les parties les plus responsables de la bourgeoisie européenne sont particulièrement furieuses des retombées de l’incapacité de la bourgeoisie britannique à contrôler sa propre situation politique.
8 – Il est très difficile de faire une analyse précise des perspectives ouvertes par cette crise, parce que la bourgeoisie est engagée dans un effort de plus en plus désespéré pour empêcher un Brexit sans accord. Cependant, ce que l’on peut dire de façon certaine, c’est que cette crise et cette instabilité politique vont se poursuivre et s’aggraver. Même si la bourgeoisie était capable de mener à bien un Brexit planifié, elle reste confrontée à la question de plus en plus complexe de trouver son chemin, avec un État affaibli, dans le chaos grandissant de la situation internationale. Vu le chaos déjà infligé à la bourgeoisie britannique par le processus qui a conduit au Brexit, les pressions toujours plus fortes de l’irresponsabilité politique, du “chacun pour soi” et de la fragmentation de l’appareil politique ne peuvent que se poursuivre.
9 – Tout au long de ces cent dernières années, le capitalisme d’État britannique a maintenu en place un système bipartite dans le but de contrôler et contenir la situation politique. Cependant, même avant le Brexit, ce système avait été affaibli par l’émergence de partis nationalistes en Écosse et au Pays de Galles. Aujourd’hui nous assistons à un processus de fragmentation des partis conservateur et travailliste eux-mêmes. Ces deux dernières années, les tensions se sont exacerbées à un niveau qui menace l’existence même du Parti conservateur. Après le Brexit, ces divisions vont s’élargir, les différentes factions se renvoyant la responsabilité des problèmes de plus en plus profonds qui touchent le capital britannique et ouvrant de nouveaux champs de bataille pour définir quelle politique mener. Cela suppose que le parti ne se fracture pas sous la pression de la réalité du Brexit.
10 – La situation au sein du Parti travailliste n’est pas moins éclatée. Le surgissement de Corbyn avait permis à la bourgeoisie de montrer qu’il y avait une claire “différence” entre le Parti conservateur et les travaillistes. Cette situation est maintenant menacée par la stratégie de Corbyn, qui, en essayant d’obtenir les faveurs de la faction favorable au Brexit, tout en insistant sur la nécessité de conserver des relations aussi étroites que possible avec l’UE afin de contenir les anti-Brexit, fait face à une pression croissante. Le facteur fondamental de ces tensions est le fait que de plus en plus de militants du parti, qui avaient adhéré au soutien à Corbyn, sont à une large majorité partisans d’un second referendum. Les députés anti-Brexit utilisent cette situation pour faire pression sur Corbyn. La faction Blair, notamment, va continuer à utiliser cette tension pour saper l’influence de Corbyn. Comme chez les conservateurs, si le parti survit au Brexit, il y aura en son sein des tensions de plus en plus fortes, du fait que les factions anti-Corbyn cherchent à le destituer pour avoir permis la mise en place du Brexit.
La fragmentation de l’un ou l’autre des deux partis poserait un futur problème à la classe dominante britannique, parce que cela ouvrirait un espace politique pouvant être occupé par les populistes, aggravant ainsi encore les tensions et les difficultés de son appareil politique. Un tel effondrement du système bipartite serait une nouvelle expression de la perte de contrôle toujours plus grande de la situation politique.
11 – À cette instabilité politique, il faut ajouter la perspective du renforcement de l’évolution vers l’indépendance des fractions écossaises de la bourgeoisie britannique. Une telle menace pour l’intégrité du Royaume-Uni pourrait provoquer des tensions sans précédent au sein de la classe dominante, non seulement entre le Parti Nationaliste Écossais (Scottish Nationalist Party) et le reste de la bourgeoisie nationale, mais aussi au sein de la bourgeoisie écossaise, vu qu’elle n’est pas totalement unanime sur la question de l’indépendance, ainsi qu’au sein de la bourgeoisie nationale toute entière, vu que ceux qui refusent le Brexit accusent les partisans du Brexit de saper l’intégrité territoriale du capital britannique.
12 – Ces tensions vont s’aggraver en Irlande du Nord entre les loyalistes et les factions nationalistes irlandaises de la bourgeoisie. L’Accord du Vendredi Saint qui a mis en place le cessez-le-feu était basé sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’UE, ce qui permettait aux nationalistes de faire appel à l’UE pour tout ce qui concerne la Grande-Bretagne. La perte de ce cadre n’est pas discutée par les médias bourgeois. Cependant, la bourgeoisie irlandaise est tout à fait consciente du potentiel d’instabilité que cela pourrait provoquer en Irlande du Nord et c’est pour cela qu’elle insiste sur le plan de retrait qui doit essayer d’assurer qu’il n’y aura pas de frontière physique, et donc pas de possibilité de rallumer les “troubles”.
La majorité en Irlande du Nord a voté pour le maintien dans l’UE pour éviter cela. Mais le Parti Unioniste Démocratique est un très fervent partisan du Brexit alors que le Sinn Fein s’est prononcé contre. Ces divisions dans un contexte d’instabilité politique dans l’appareil politique au sens large accentueront les pressions pour relancer des conflits ouverts entre les différentes factions bourgeoises du Nord.
Les nationalistes gallois qui ont plutôt soutenu le maintien dans l’UE pour s’opposer à la bourgeoisie anglaise vont renouveler leurs appels à l’indépendance.
13 – Quitter l’UE représente un palier qualitatif dans le déclin séculaire de l’impérialisme britannique :
– Être contraint de quitter l’UE du fait de sa propre faiblesse politique signifie que l’impérialisme britannique se retire de l’une des plus importantes zones d’intérêt pour lui. Tout la politique impérialiste de la Grande-Bretagne au sein de l’UE consistait à saper l’influence d’une Allemagne ré-émergente. Par exemple, la volonté de Blair d’étendre l’UE aux pays de l’Est de l’Europe avait pour but d’introduire dans l’UE des États qui étaient historiquement opposés à l’Allemagne. Sortir de l’UE sape cette capacité. L’impérialisme britannique va maintenant se retrouver sur le bord de la route alors que ses principaux rivaux européens, l’Allemagne et la France, ont les mains libres. Il n’aura plus la possibilité d’avoir une influence qu’en provoquant des tensions au sein de l’UE, en soutenant les pays s’opposant à l’Allemagne. Cependant, ces pays se méfient d’une Grande-Bretagne qui s’éloignerait de l’Europe.
– La “relation spéciale” avec les États-Unis se trouve de plus en plus mise en question du fait que, en-dehors de l’UE, l’Angleterre ne sert plus les États-Unis contre les impérialismes allemand et français. Trump a déjà clairement montré qu’il ne voit la Grande-Bretagne que comme un État dont il cherche ouvertement à déstabiliser la vie politique en soutenant le Brexit. Cela a pu contribuer à approfondir la crise politique en Grande-Bretagne et dans l’UE, mais avec son départ, quel rôle peut bien jouer le Royaume-Uni pour les États-Unis dans leurs efforts pour affaiblir l’UE et affronter la Russie et la Chine ? L’impérialisme britannique profondément affaibli va se trouver marginalisé et contraint à des actions désespérées afin d’essayer de s’affirmer.
– Pour la Chine, une Angleterre en dehors de l’UE devient une puissance européenne de second ordre qu’elle essaiera d’utiliser comme contrepoids contre les États-Unis. Dans ce contexte, les tensions au sein de la bourgeoisie vont s’aggraver car la classe dominante cherchera une façon de conserver son influence internationale. L’idée de se rapprocher des États-Unis provoquera une forte opposition du fait de l’amère expérience de la Grande-Bretagne dont le poids impérialiste a été affaibli par les États-Unis depuis un siècle, intensifiée par la perte de sa réputation internationale depuis le soutien du gouvernement Blair à l’invasion américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. L’UE maintiendra l’indépendance du Royaume-Uni. L’impérialisme britannique va de plus en plus être considéré comme une puissance impérialiste de troisième ordre.
14 – Le Brexit a déjà un impact important sur l’économie. Une partie fondamentale du secteur manufacturier est l’industrie automobile, qui a vu ses investissements chuter de 50 % depuis 2016. Les principaux secteurs économiques, la City, la Confédération de l’Industrie Britannique, les chambres de commerce, ont tous exprimé leur inquiétude à propos de la crise et de la paralysie politiques. De la même façon que les autres parties les plus responsables de la bourgeoisie et de l’État, ils sont déterminés à empêcher un Brexit sans accord, d’où leur soutien à l’accord de retrait. Cependant, l’instabilité politique causée par les tentatives pour faire accepter cet accord offre une sombre perspective au futur accord commercial avec l’UE et risque de rallumer les tensions à propos du Brexit. La conclusion d’un accord commercial avec l’UE a une importance énorme pour l’économie britannique, pas seulement du fait de la taille de l’UE, mais également, comme le Japon l’a clairement dit, parce que jusqu’à ce que cet accord soit conclu, il n’est pas possible d’en signer un autre avec la Grande-Bretagne. Vu que l’UE et le Japon ont signé en janvier 2019 l’un des plus importants accords commerciaux au monde, l’un comme l’autre ne vont pas accorder quelque avantage que ce soit au capital britannique au détriment de leur accord. La signature de cet accord démontre juste à quel point le Brexit est désavantageux : le capitalisme britannique est contraint de quitter l’une des plus importantes zones de libre-échange au monde. Tous les discours sur une nouvelle “Grande-Bretagne globale” émergente ne sont que du vent. Cela est encore illustré par la situation de la Grande-Bretagne face aux États-Unis. Les partisans du Brexit ont rapidement réussi à signer un traité commercial avec les Américains. L’utilisation très brutale par Trump de la puissance économique, politique et impérialiste des États-Unis pour s’attaquer ouvertement à ses principaux rivaux, pour déchirer les accords de libre-échange existants et pour imposer des accords bilatéraux sont les preuves les plus évidentes que l’idée que ce pays pourrait être “sympa” avec le capital britannique n’est qu’une illusion.
15 – La campagne du referendum et la période qui s’est écoulée depuis ont vu une offensive idéologique sans précédent, hors d’une situation de Guerre mondiale, contre le prolétariat en Grande-Bretagne. Cinq ans à suffoquer sous une chape de plomb d’idéologie démocratique, nationaliste et xénophobe ont entraîné d’importantes divisions au sein du prolétariat. L’atmosphère sociale est saturée par des tensions produites par l’opposition entre “Leave” (quitter l’UE) et “Remain” (rester dans l’UE), entre Nord et Sud, entre villes et campagnes, entre la classe ouvrière blanche pauvre et le reste de la classe. Un climat de haine irrationnelle, de tensions sociales et de violence potentielle bouillonnante envahit la société.
Ces forces destructrices ne sont pas nouvelles mais expriment la progression de la décadence idéologique de la société bourgeoise, les vapeurs nocives qui s’échappent de sa chair pourrie. Le prolétariat ne peut échapper à cette atmosphère délétère. Comme nous le disions à la fin des années 1980, la décomposition de la société bourgeoise, alors que ses contradictions déchirent le tissu social, ne peut qu’avoir un impact sur les qualités qui sont les forces du prolétariat :
“Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :
– l’action collective, la solidarité, trouvent en face d’elles l’atomisation, le “chacun pour soi”, la “débrouille individuelle” ;
– le besoin d’organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ;
– la confiance dans l’avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le “no future” ;
– la conscience, la lucidité, la cohérence et l’unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque”.
L’impact de ces tendances se manifeste clairement dans la situation actuelle. Avant le referendum, déjà, ces toxines infectaient la classe ouvrière.
16 – Les séries de défaites subies par d’importants bastions de la classe ouvrière dans les années 1970 et 1980, combinées au recul international de la lutte de classe, suite à l’effondrement du Bloc de l’Est, ont mené à un sentiment de désarroi et à une perte de confiance en soi de la classe ouvrière. Tout cela a été renforcé par l’impact grandissant de l’abandon de certaines régions, villes et villages à un processus de décadence sociale qui a suivi la destruction des économies régionales et locales par la crise. Les ouvriers ont été condamnés, par le chômage de longue durée ou par la recherche désespérée d’emplois toujours plus temporaires et précaires, à une pauvreté humiliante. Ces régions sont confrontées de plus en plus à des problèmes destructeurs de consommation de drogue, de rivalités de gangs et de criminalité.
Le poids de cette décadence est renforcé par la bourgeoisie et ses campagnes contre les demandeurs d’asile, les bénéficiaires d’aides sociales, etc. Le message central est que les problèmes de la société ne sont pas causés par le capitalisme, mais par des communautés qui deviennent des boucs-émissaires : resquilleurs, migrants, etc. Cette idéologie est d’autant plus forte vu l’absence de mouvements de classe ouverts dans la période récente (par exemple, l’Office National de la Statistique a indiqué que le nombre de grèves en 2017 a été le plus faible depuis qu’il est comptabilisé, en 1891) ; mais cela peut avoir un impact sur les luttes contre le chômage ou les petits salaires, comme on l’a vu en 2013, lorsque les ouvriers du bâtiment en grève de Lindsay ont repris le slogan : “des emplois anglais pour des ouvriers anglais”, slogan mis en avant par le premier ministre Gordon Brown.
Toute la campagne du Brexit nourrit et approfondit cette atmosphère putride, et toutes les divisions entre factions qui en résultent n’ont eu pour résultat que d’obérer toute autre alternative pour le prolétariat que de s’aligner derrière une faction bourgeoise ou une autre.
La clé de la situation pour la classe ouvrière est de reconnaître qu’elle a des intérêts distincts de toutes les factions de la classe dominante. Une analyse objective de la situation actuelle doit admettre que le sentiment du prolétariat de sa propre identité comme classe révolutionnaire s’est affaibli. Un aspect central de l’activité des organisations révolutionnaires est de contribuer au processus qui mène au renouveau de la lutte de classe consciente.
World Revolution, section du CCI en Grande-Bretagne, janvier 2019
Il y quelques semaines sortait une bande dessinée d’Inès Léraud intitulée : “Algues vertes : l’histoire interdite”. En véritable reporter, l’auteure raconte l’invasion sur le littoral breton de l’algue verte. Face à la dangerosité de cette plante, l’État fait tout son possible pour éviter les enquêtes, suite à plusieurs décès, pour ne pas faire fuir les touristes et remettre en cause l’élevage de porc intensif, tous deux sources de gros profits.
Comme le souligne le début de la BD : “De mai à septembre, des tonnes d’algues vertes envahissent les plages du littoral breton. Quand elles ne sont pas ramassées, les algues vertes s’accumulent sur les plages (…). Elles se décomposent en 48 h. En se putréfiant, elles développent un gaz ultra toxique qui se concentre sous forme de poche : l’hydrogène sulfure ou H2S. Il est connu pour son odeur d’œuf pourri. Libéré en quantité importante, il anesthésie le nerf olfactif (ce qui le rend indétectable), paralyse le système nerveux et respiratoire et tue aussi rapidement que du cyanure”. (1)
Le 29 juillet 2009, dans la baie de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes d’Armor, un cheval meurt intoxiqué et son cavalier est hospitalisé. Ce triste fait divers n’était pas nouveau, il faisait suite à un accident qui avait eu lieu au même endroit, dix ans plus tôt, où un joggeur avait perdu la vie.
Quelque temps plus tard, un ouvrier qui travaillait dans le ramassage de l’algue verte mourra aussi. Le médecin demandera une autorisation d’autopsie mais celle-ci n’arrivera jamais. Au contraire, l’État fera tout pour faire passer ce décès pour une mort naturelle, pire : il mettra la mort sur le compte d’un tabagisme excessif et d’une mauvaise alimentation. L’État n’ouvrira aucune enquête contre l’entreprise (filiale du groupe Bouygues), alors que les camions à l’époque ne sont pas aux normes pour le ramassage de ce type de substances toxiques et que les conditions de travail pour ce genre d’activité ne pouvait que mettre en danger la vie de cet ouvrier.
En juillet 2011, trente-six sangliers, cinq ragondins et un blaireau ont été retrouvés morts sur les berges de l’île d’Ouessant.
Avec la modernisation du système productif qui se développera au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’État mettra en place une politique de remembrement qui transformera complémentent le paysage. Les manifestations qui auront lieu à l’époque n’y feront rien. De plus, comme le met en évidence Inès Léraud, cette politique de remembrement aura pour conséquence la destruction de la petite et moyenne paysannerie, poussant nombre de paysans à travailler sur les chaînes de montage automobiles Citroën nouvellement installées. Pour disposer de la main-d’œuvre nécessaire, les exploitations les moins rentables vont être éliminées avec l’aide de l’État. Comme le dit une planche qui fait parler Philippe de Calan (recruteur en chef des usines Citroën à Rennes) : “on s’était aperçu que pour avoir la main-d’œuvre nécessaire, il fallait que les exploitations s’agrandissent au moins de 20 hectares… Le préfet a accéléré le processus en ne donnant des aides qu’aux agriculteurs qui y parvenaient et ce sont les autres que nous avons recrutés”.
Outre la politique de remembrement qui agrandit les champs cultivables, seront mis en place d’immenses usines d’élevage de porc et par conséquent, se développera toute une politique agro-alimentaire (soja et maïs) arrosée de pesticides. (2) Dans les années 1980-1990, les usines de porc s’agrandissent en toute illégalité. Alors que l’eau des puits et des fontaines est contaminée, l’État permet de relever de 450 à 2 000 places le seuil à partir duquel une porcherie est soumise à une demande d’autorisation. Politique qui ne verra qu’amplifier la prolifération des algues vertes. Des scientifiques de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) démontreront qu’il y a bien un problème d’algues vertes mais cette constatation va être remise en cause par les colistiers de l’État que sont la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) et la FNSEA (Fédération nationale des syndicats exploitants agricoles). Pour relayer le syndicat départemental et national, l’État va permettre que se crée l’ISTE (Institut scientifique et technique de l’environnement) : le label et le sceau “d’expertises scientifiques” donnent bonne figure pour montrer que ce ne sont pas les politiques mis en place par l’État depuis près de 60 ans qui sont responsables de la profusion de l’algue verte. Vis-à-vis de ce déni de vérité et de mise en danger de la vie humaine, des voix s’élèveront mais elles subiront des pressions de l’Office du Tourisme et des agriculteurs, pour qui la révélation de la vérité sur les algues vertes ne peut que diminuer leurs profits, avec moins de tourisme et diminution de la consommation de viande de porc.
Mais l’État ne s’arrêtera pas là. Inès Léraud, à travers quelques bulles, fait parler un directeur de recherche dans le public : “Ce qu’il faut savoir, c’est que, de 1991 à 2010, le montant des aides publiques perçues par la Bretagne pour limiter la pollution agricole de ses eaux avoisinaient le milliard d’euros.… Ces aides reposent souvent sur la simple bonne volonté des producteurs. Les amendes en cas d’excès de pollution par les nitrates sont peu dissuasives. Et comme 80 % de ces aides sont financées par les contribuables, on aboutit au fait que les pollueurs sont subventionnés par les victimes de la pollution. Les professionnels signent des engagements pour toucher les aides, mais sans garantie de résultats. Les objectifs ne sont donc jamais atteints. Il y a une omerta totale au sujet des subventions”. En 2013, le Conseil scientifique de l’environnement de Bretagne qui dénonce l’inefficacité de ce plan de subvention et qui propose une diminution des cheptels d’animaux et des engrais, verra son financement suspendu par l’État à travers le Conseil régional dirigé par le ministre socialiste Jen-Yves Le Drian.
Cependant, alors que tout le reportage démontre que ce sont les lois du capitalisme qui polluent, qui mettent en danger la vie humaine, qui exploitent des agriculteurs devenus de simples ouvriers intégrés dans des grands groupes, l’auteure en arrive à rendre responsable non plus l’État bourgeois, mais le seul “lobby breton”. Quatre pages dans la BD nous montrent ainsi le regroupement d’une soixantaine de grands patrons bretons dénommé “le club des 30”, fondé en 1973. Ce club côtoie des hommes politiques dans certaines soirées qu’il organise. Dans les années 1930, pour le PCF, le responsable de la crise se nommait “les 200 familles”. Aujourd’hui, ce serait “le club des 30” le coupable de la prolifération des algues vertes et de l’exploitation des agriculteurs et l’État serait aux ordres de ce lobby [738]. C’est ainsi que sur quatre autres pages, on voit courir Le Drian comme un petit chien derrière ces différents grands patrons et obéir pour que soit enlevés des placards publicitaires dans le métro qui dénoncent les algues vertes.
L’auteure ne se trompe pas seulement concernant la responsabilité de la pollution du littoral breton, elle se trompe aussi sur les solutions à apporter. C’est ainsi que la BD fait parler un agriculteur qui est sorti de cette production intensive pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement et met en avant des habitants qui financent une ferme bio qui correspond à leurs valeurs. Ce genre d’initiative, même si elle est louable et portée par de bonnes intentions, ne changera rien au problème de la pollution. Car ce qui prime dans le capitalisme, c’est le profit et, pour ce faire, il faut être moins cher que le concurrent. Dans cette guerre économique à l’échelle mondiale, l’industrie agro-alimentaire sera toujours la plus forte, aidée en cela par l’État. Donc, penser que la solution ce serait des petits îlots de ferme bio qui pourraient éviter la pollution n’est qu’une utopie petite-bourgeoise. De plus, ces fermes bio seront en concurrence entre elles et, pour vendre, il faudra être moins cher que son voisin, en particulier face à la grande distribution qui a bien vu le profit à faire en vendant des produits bio. La concurrence impitoyable qu’implique le capitalisme fait qu’il y a nombre de dérives concernant l’agriculture labellisée bio comme le montre une récente enquête fait par le magazine 60 Millions de consommateurs [739] (hors-série, été 2019).
La solution n’est pas la profusion de milliers de petites fermes autogérées qui produisent bio. La seule solution, pour en finir avec la pollution dont les algues vertes sur le littoral breton ne sont qu’une des expressions, c’est la classe ouvrière qui la détient en luttant non pas contre des boucs-émissaires que l’on agite (les “200 familles” par le passé, le “club des 30” du “lobby breton” aujourd’hui), mais en luttant de façon unie et solidaire pour en finir avec la dégradation des conditions d’existence qu’impose la crise inexorable du système capitaliste, pour aller vers une organisation de la société où sera bannie l’exploitation, où seront abolis la concurrence et le profit à l’origine d’une pollution qui constitue à l’heure actuelle une menace croissante pour l’espèce humaine comme pour la nature.
Cealzo, 13 juillet 2019
1 À partir de 100 ppm (parties par million), apparaissent des irritations des muqueuses oculaires, respiratoires, voire une perte de connaissance. À partir de 500 ppm : les personnes exposées risquent le coma, si l’exposition n’est pas interrompue. À partir de 1000 ppm, le décès survient de façon très rapide, en quelques minutes (source : Institut national de recherche et de sécurité – INRS).
2 Depuis la loi de modernisation agricole des années 1960, le taux de nitrates dans les rivières bretonnes a été multiplié par dix. À cela plusieurs raisons : l’utilisation massive d’engrais, d’azote minérale sur les surfaces cultivées et les quantités astronomiques de déjections animales épandues sur les sols (la Bretagne produit 58 % du porc de charcuterie sur 6 % de la surface agricole utile nationale). En Bretagne, il y a au moins deux fois plus de cochons que d’habitants (7,3 millions contre 3,2 millions, chiffres de 2015). Or, dans le sol, l’azote se transforme en nitrate. Les nitrates se répandent par ruissellement depuis les terres trop enrichies, jusqu’aux rivières, qui se jettent elles-mêmes dans la mer… Le nitrate étant un super-fertilisant, de la même manière qu’il fait pousser les plantes, il fait pousser les algues.
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L'un des slogans les plus populaires dans les manifestations contre le changement climatique clame : "Changer le système, pas le climat".
Il ne fait aucun doute que le système actuel entraîne l'humanité vers une catastrophe environnementale. Les preuves matérielles s'accumulent chaque jour : vagues de chaleur sans précédent, incendies de forêt inédit en Amazonie, fonte des glaciers, inondations, extinction d'espèces entières -avec pour résultat final l'extinction de l'espèce humaine. Et même s'il n'y avait pas de réchauffement climatique, le sol, l'air, les rivières et les mers continueraient d'être empoisonnés et épuisés pour toujours.
Il n'est pas étonnant que tant de gens, et surtout tant de jeunes qui font face à un avenir menaçant, soient profondément préoccupés par cette situation et veuillent faire quelque chose à ce sujet.
La vague de protestations organisée par "La jeunesse pour le climat", "Extinction Rébellion", les Verts et les partis de gauche est présentée comme une voie à suivre. Mais ceux qui suivent actuellement leur exemple devraient se demander : pourquoi ces protestations sont-elles si largement soutenues par ceux qui gèrent et défendent le système actuel ? Pourquoi Greta est-elle invitée à s'adresser aux parlements, aux gouvernements, aux Nations Unies?
Bien sûr, des gens comme Trump, Bolsonaro ou Farage vilipendent constamment Greta et les "guerriers de l'écologie". Ils affirment que le changement climatique est un canular et que les mesures visant à réduire la pollution constituent une menace pour la croissance économique, surtout dans des secteurs comme l'automobile et les combustibles fossiles. Ils sont les défenseurs éhontés du profit capitaliste. Mais qu'en est-il de Merkel, Macron, Corbyn, Alexandria Ocasio-Cortez et d'autres qui ont fait l'éloge des protestations contre le climat : Font-ils moins partie du système actuel ?
Beaucoup de ceux qui participent aux protestations actuelles conviendront que les racines de la destruction écologique se trouvent dans le système et qu'il s'agit du système capitaliste. Mais les organisations à l'origine des protestations, et les politiciens qui clament hypocritement les soutenir, défendent des politiques qui cachent la véritable nature du capitalisme.
Considérons l'un des principaux programmes les plus radicaux de ces politiciens : le soi-disant "New Green Deal". Il nous offre un ensemble de mesures à prendre par les États existants, exigeant des investissements massifs en capital pour développer des industries "non polluantes" qui sont censées être en mesure de réaliser un profit décent. En d'autres termes : il est entièrement encadré dans les limites du système capitaliste. Comme le New Deal des années 1930, son but est de sauver le capitalisme en ces temps difficiles, et non de le remplacer.
Le capitalisme ne disparaît pas s'il est géré par des bureaucrates d'État au lieu de patrons privés, ou s'il se peint en vert.
Le capital est un rapport mondial entre les classes, basé sur l'exploitation du travail salarié et de la production pour la vente afin de réaliser des profits. La recherche constante de débouchés pour ses produits entraîne une concurrence impitoyable entre les États-nations pour la domination du marché mondial. Et cette concurrence exige que chaque capital national se développe ou meure. Un capitalisme qui ne cherche plus à pénétrer le dernier recoin de la planète et à croître sans limite ne peut exister. De même, le capitalisme est totalement incapable de coopérer à l'échelle mondiale pour répondre à la crise écologique, comme l'a déjà démontré l'échec lamentable des différents sommets et protocoles climatiques.
La chasse au profit, qui n'a rien à voir avec les besoins humains, est à l'origine de la spoliation de la nature et ce, depuis le début du capitalisme. Mais le capitalisme a une histoire, et depuis un siècle, il a cessé d'être un facteur de progrès et a été plongé dans une profonde crise historique. C'est une civilisation en déclin, car sa base économique, forcée de croître sans limite, génère des crises de surproduction qui tendent à devenir permanentes. Et, comme les guerres mondiales et la "guerre froide" du XXe siècle l'ont démontré, ce processus de déclin ne peut qu'accélérer la course du capital vers la destruction. Avant même que ne devienne évident le massacre mondial de la nature, le capitalisme menaçait déjà d'anéantir l'humanité par ses affrontements impérialistes incessants et ses guerres, qui se poursuivent aujourd'hui sur une grande partie de la planète, de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au Pakistan et en Inde. De tels conflits ne peuvent qu'être exacerbés par la crise écologique, car les États-nations se disputent des ressources de plus en plus rares, tandis que la course à la production -et surtout à l'utilisation- d'armes de plus en plus cauchemardesques ne peut que polluer davantage la planète. Cette combinaison scandaleuse de dévastations capitalistes rend déjà certaines parties de la planète inhabitables et force des millions de personnes à devenir des réfugiés.
Ce système ne peut pas surmonter la crise économique, la crise écologique ou la course à la guerre.
C'est donc une duperie que d'exiger des gouvernements du monde entier qu'ils "se ressaisissent" et qu'ils fassent quelque chose pour sauver la planète -une demande formulée par tous les groupes qui organisent les marches et les manifestations actuelles. Le seul espoir de l'humanité réside dans la destruction du système actuel et la création d'une nouvelle forme de société. C'est ce que nous appelons le communisme -une communauté humaine mondiale sans États-nations, sans exploitation du travail, sans marchés et sans argent, où toute la production est planifiée à l'échelle mondiale avec le seul but de satisfaire les besoins humains. Il va sans dire que cette société n'a rien à voir avec la forme de capitalisme d'État que l'on observe dans des pays comme la Chine, la Corée du Nord ou Cuba, ou auparavant l'Union soviétique.
Le communisme authentique est la seule base pour établir une nouvelle relation entre l'humanité et le reste de la nature. Et ce n'est pas une utopie. C'est possible parce que le capitalisme a créé ses bases matérielles: le développement de la science et de la technologie, qui peuvent être libérées de leurs distorsions dans ce système, et l'interdépendance globale de toutes les activités productives, qui peuvent être libérées de la concurrence capitaliste et des antagonismes nationaux.
Mais c'est surtout possible parce que le capitalisme est basé sur l'existence d'une classe qui n'a rien d'autre à perdre que ses chaînes, une classe qui a intérêt à résister à l'exploitation et à la supprimer : la classe ouvrière internationale, le prolétariat de tous les pays. C'est une classe qui inclut non seulement ceux qui sont exploités au travail, mais aussi ceux qui étudient pour trouver une place sur le marché du travail et ceux que le capital jette au chômage et à la casse.
Et c'est ici en particulier que l'idéologie qui sous-tend les marches pour le climat sert à nous empêcher de saisir les moyens de lutter contre ce système. Elle nous dit, par exemple, que le monde est dans le pétrin parce que la "vieille génération" s'est habituée à consommer trop. Mais parler des générations "en général" occulte le fait que, hier et aujourd'hui, le problème réside dans la division de la société en deux classes principales, l'une, la classe capitaliste ou bourgeoisie, qui a tout le pouvoir, et une classe beaucoup plus nombreuse qui est exploitée et privée de tout pouvoir de décision, même dans les pays les plus "démocratiques". Ce sont les mécanismes impersonnels du capital qui nous ont mis dans le pétrin actuel, et non le comportement personnel des individus ou l'avidité d'une génération précédente.
Il en va de même de tous les discours sur le "peuple" ou les "citoyens" qui seraient la force qui peut sauver le monde. Ce sont des catégories dénuées de sens qui couvrent des intérêts de classe antagonistes. La sortie d'un système qui ne peut exister sans l'exploitation d'une classe par une autre ne peut se faire que par la relance de la lutte des classes, à commencer par la défense des intérêts les plus fondamentaux des travailleurs contre les attaques de leurs conditions de vie et de travail portées par tous les gouvernements et tous les patrons en réponse à la crise économique -attaques qui sont aussi de plus en plus prises au nom la nécessité de protéger l'environnement. C'est le seul moyen pour que la classe ouvrière développe le sens de sa propre existence contre tous les mensonges qui nous disent qu'elle constitue déjà une "espèce éteinte". Et c'est le seul moyen pour que la lutte des classes fusionne les dimensions économique et politique -en établissant le lien entre la crise économique, la guerre et les catastrophes écologiques, et en reconnaissant que seule une révolution mondiale peut les surmonter.
Au cours de la période qui a précédé la Première Guerre mondiale, des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations pacifistes. Elles étaient encouragées par les classes dirigeantes "démocratiques" parce qu'elles répandaient l'illusion qu'il pouvait y avoir un capitalisme pacifique. Aujourd'hui, l'illusion d'un capitalisme vert se répand de plus en plus. Et de plus, le pacifisme, avec son appel à tous les gens de bonne volonté, cachait le fait que seule la lutte des classes peut réellement s'opposer à la guerre, ainsi que cela a été prouvé en 1917-18 lorsque le déclenchement des révolutions russe et allemande a obligé les dirigeants du monde à mettre un terme rapide à cette guerre. Le pacifisme n'a jamais arrêté les guerres, et les campagnes écologiques actuelles, en vendant de fausses solutions au désastre climatique, doivent être comprises comme un obstacle à sa véritable solution.
Courant Communiste International (27/08/2019)
L’article ci-dessous fait partie de la série : Le legs dissimulé de la gauche du capital, dans laquelle nous mettons en évidence une chose difficile à saisir pour de nombreux groupes et militants de la Gauche communiste : il ne s’agit pas seulement de rompre avec les positions politiques de tous les partis du capital (populisme, fascisme, droite, gauche, extrême-gauche) mais il faut rompre également avec leurs méthodes organisationnelles, leur morale, leur mode de pensée. Cette rupture est absolument nécessaire mais elle est cependant très difficile car nous vivons quotidiennement avec le poids des idéologies ennemies de la libération de l’humanité : bourgeoise, petite-bourgeoise et lumpenproletariat. Dans ce cinquième article de la série, nous traiterons de la question vitale du débat. [1]
Le débat est source de vie pour le prolétariat, lequel n’est pas une force inconsciente luttant complètement à l’aveugle, motivée par le déterminisme des conditions objectives, il est au contraire la classe de la conscience dont le combat est guidé par les compréhensions de ses nécessités et de ses possibilités sur le dur chemin vers le communisme. Cette compréhension n’émane ni de vérités absolues formulées une fois pour toutes dans le Manifeste du Parti communiste ni de l’esprit privilégié de chefs géniaux mais il est le produit “du développement intellectuel de la classe ouvrière [qui devait résulter] de l’action et de la discussion communes. Les évènements et les vicissitudes de la lutte contre le capital, les défaites plus encore que les succès, ne pouvaient manquer de faire sentir aux combattants l’insuffisance de toutes leurs panacées et les amener à comprendre à fond les conditions véritables de l’émancipation ouvrière” [2]
Les révolutions prolétariennes se sont érigées sur un gigantesque débat de masses. L’action autonome et auto-organisée de la classe ouvrière s’appuie sur un débat auquel participent activement des centaines de milliers d’ouvriers, de jeunes, de femmes, de retraités. La révolution russe de 1917 fut basée sur un débat permanent de milliers de discussions dans les locaux, les cirques, les rues, les tramways… Ces journées de 1917 nous ont laissé deux images qui illustrent bien l’importance du débat pour la classe ouvrière : le tramway à l’arrêt parce que tous ses occupants, conducteur inclus, avaient décidé de discuter d’un sujet ou encore la fenêtre depuis laquelle quelqu’un lance un discours et devant laquelle des centaines de personnes se rassemble pour écouter et discuter.
Mai 68 fut également un débat permanent de masses. Il y a un contraste flagrant entre les discussions des ouvriers dans les grèves de Mai durant lesquelles on parlait de comment détruire l’État, comment créer une société nouvelle, du sabotage syndical, etc., et une “assemblée” d’étudiants en Allemagne en 1967, contrôlée par des maoïstes “radicaux” et durant laquelle se perdirent presque 3 heures afin de décider de comment organiser une manifestation. “On se parle et on s’écoute” fut un des slogans les plus populaires de Mai 68.
Les mouvements de 2006 et 2011 (lutte contre le CPE en France et le mouvement des Indignés en Espagne) [3] se sont fondés sur un débat vivant avec des milliers de travailleurs, jeunes, etc., parlant sans restrictions. Sur les places occupées on organisait des bibliothèques volantes, rappelant une activité qui avait surgit avec une force gigantesque durant la révolution russe de 1917 comme le soulignait John Reed dans Dix jours qui ébranlèrent le monde : “Toute la Russie apprenait à lire, et elle lisait (l’économie politique, l’histoire) parce que le peuple désirait savoir. Dans toutes les villes, grandes et petites, sur le front, chaque fraction politique avait son journal (quelquefois elle en avait même plusieurs). Des pamphlets, par centaines de mille, étaient distribués par des milliers d’organisations et répandus dans les armées, dans les villages, les usines, les rues. La soif d’instruction, si longtemps réprimée, avec la révolution prit la forme d’un véritable délire. Du seul Institut Smolny, pendant les six premiers mois, sortaient chaque jour des trains et des voitures chargés de littérature pour saturer le pays. La Russie, insatiable, absorbait toute matière imprimée comme le sable chaud absorbe de l’eau. Et ce n’était point des fables, de l’histoire falsifiée, de la religion diluée et des romans corrupteurs à bon marché mais les théories sociales et économiques de la philosophie, les œuvres de Tolstoï, de Gogol, de Gorki”. [4]
Si le débat est le nerf vital de la classe ouvrière, il l’est encore plus pour ses organisations révolutionnaires : “l’organisation des révolutionnaires ne peut être “monolithique”. L’existence de divergences en son sein est la manifestation que c’est un organe vivant qui n’a pas de réponses toutes faites à apporter immédiatement aux problèmes qui surgissent devant la classe. Le marxisme n’est ni un dogme, ni un catéchisme. C’est l’instrument théorique d’une classe qui, à travers son expérience et en vue de son devenir historique, avance progressivement, avec des hauts et des bas, vers une prise de conscience qui est la condition indispensable de son émancipation. Comme toute réflexion humaine, celle qui préside au développement de la conscience prolétarienne n’est pas un processus linéaire et mécanique, mais bien contradictoire et critique. Il suppose nécessairement la confrontation des arguments. En fait, le fameux “monolithisme” ou la fameuse “invariance” des bordiguistes est un leurre, ou bien l’organisation est complètement sclérosée et n’est plus en prise avec la vie de classe, ou bien elle n’est pas monolithique et ses positions ne sont pas invariantes” [5]
Cependant les militants qui sont passés par un parti politique bourgeois ont vécu dans leur propre chair que ce “débat” est une farce et une source évidente de souffrances. Dans tous les partis bourgeois, quelles que soient leurs couleurs, le “débat” prend la forme du “Duel à coups de gourdins”, le fameux tableau de Goya que l’on peut contempler au Musée du Prado. Les débats électoraux relèvent plus du “débat-poubelle” au vu de la quantité d’insultes, d’accusations, de linge sale, de pièges, de coups bas, etc. qui en ressort. Ce sont des spectacles de dénigrement et de règlements de comptes : conçus comme un match de boxe où la clarté, la vérité, la réalité ne comptent pas. Le seul enjeu est de voir qui gagne et qui perd, qui va duper et mentir le mieux, qui va manipuler les esprits avec le plus de cynisme.[6]
Dans un parti bourgeois, la “libre expression” est une pure fumisterie. On laisse dire les choses jusqu’à une limite qui ne remettrait pas en question la domination des “dirigeants”. Lorsque ce seuil est dépassé, une campagne de calomnies est organisée contre ceux qui ont osé penser par eux-mêmes, quand on ne les expulse pas directement et manu militari du parti en invoquant un prétexte quelconque. Ces pratiques ont lieu dans tous les partis où aussi bien les bourreaux que les victimes y ont recours. Rosa Diez, une dirigeante du PSOE basque, a ainsi été la cible d’une virulente campagne de délation de la part de ses “camarades” de parti. Elle ne s’alignait pas sur l’orientation, en vigueur à ce moment-là, vers la collaboration avec le nationalisme basque et on lui rendit la vie impossible jusqu’à ce qu’elle finisse par partir. Elle fonda alors l’UPYD (qui aspirait à occuper une position centriste prise ensuite par Ciudadanos) et, quand surgirent des rivaux et des opposants au sein de sa propre boutique, elle leur fit subir le même sort que le sien, atteignant même des doses de sadisme et de cynisme qui auraient fait frémir Staline lui-même.
On évite en général le débat dans les partis bourgeois, quelle que soit leur couleur. Le stalinisme interdit le débat en profitant d’une grave erreur du parti bolchevique en 1921 : la prohibition des fractions, mesure impulsée par Lénine comme une fausse réponse à Kronstadt. [7] Le trotskisme refuse également le débat en son sein et pratique le même type d’exclusion et de répression. La tentative d’expulsion de l’Opposition de Gauche qui se produisit au sein d’une prison stalinienne (!), [8] comme en témoigne le livre d’Anton Ciliga, [9] précédemment cité dans des articles antérieurs de cette série : “À la lutte idéologique dans le “Collectif” trotskiste vint s’ajouter un conflit organisationnel qui, durant quelques mois, relégua la question idéologique au second plan. Ce conflit caractérise la psychologie et les habitudes de l’Opposition russe. La droite et le centre proposèrent aux “bolcheviks militants” l’ultimatum suivant : ou ils se dissolvaient et arrêtaient de publier leur journal ou ils seraient expulsés de l’organisation trotskiste.
En effet, la majorité pensait qu’il ne devait y avoir aucun sous-groupe au sein de la fraction trotskiste. Ce principe de la “fraction monolithique” au fond, était le même que celui dont s’inspirait Staline pour l’ensemble du parti”.
Dans les congrès, personne n’écoute les présentations qui consistent en exposés ennuyeux où l’on affirme en même temps une chose et son contraire. On organise des conférences sectorielles, des colloques et bien d’autres évènements qui ne sont rien de plus que des opérations de relations publiques.
Le “débat” surgit lorsqu’il s’agit de déboulonner la clique au pouvoir et de la remplacer par une nouvelle. Ceci peut se produire pour diverses raisons : intérêts de factions, déviance en ce qui concerne la défense des intérêts du capital national, mauvais résultats électoraux… Dès lors éclate un “débat” qui s’avère être une arme de lutte pour le pouvoir. En certaines occasions, le “débat” consiste en ce qu’une faction invente une “thèse” alambiquée et contradictoire et l’oppose violemment à celle de ses rivaux, recourant à de féroces critiques au travers de mots, d’adjectifs incendiaires (“opportuniste”, “abandon du marxisme”, etc.) et d’autres prétextes sophistiqués. Le cours du “débat” n’est qu’une succession d’insultes, de menaces, de linge sale lavé en public, d’accusations… jalonnée de temps à autre par des actes diplomatiques d’accolades pour “démontrer” l’amour de l’ “unité” et que l’on “apprécie” des rivaux qui seraient avant tout des “camarades”. [10] Il y a des moments, enfin, d’équilibre des forces entre les différentes factions en lice faisant du “débat” une somme “d’opinions” que chacun défend comme sa propriété et qui ne donne lieu à aucune clarification mais plutôt à une somme chaotique d’idées ou de textes “conciliateurs” qui mettent dans le même sac des idées opposées. [11]
Ainsi donc, nous pouvons conclure que le “débat” dans une organisation bourgeoise (quelle que soit sa place sur l’échiquier politique qui va de l’extrême-droite à l’extrême-gauche) est une farce et un moyen de se livrer à des attaques personnelles incendiaires qui peuvent engendrer de graves blessures psychologiques pour les victimes et qui montre de la part des bourreaux, une cruauté, un cynisme et une absence de scrupules moraux réellement hallucinants. Enfin, c’est un jeu dans lequel parfois ceux qui furent bourreaux peuvent devenir à leur tour victimes et vice-versa. Les mauvais traitements qu’ils ont subis, ils peuvent les infliger au centuple à d’autres dès qu’ils obtiennent une once de pouvoir.
Le débat prolétarien est fondamentalement différent. Le débat au sein des organisations prolétariennes répond à des principes radicalement différents de ceux que nous venons de voir dans les partis bourgeois.
La conscience de classe du prolétariat (ce qui signifie la connaissance, qui se développe en son sein, des fins et des moyens de sa lutte historique) peut uniquement naître du débat, d’un débat sans limites ni entraves. “La conscience ne peut se développer sans un débat fraternel, public et international”, comme nous l’affirmons dans notre texte : La culture du débat, arme de la lutte de classe”. [12] Les organisations communistes qui expriment de manière avancée et permanente l’effort de prise de conscience qui existe dans la classe, ont besoin du débat comme arme vitale : “parmi les premières exigences qu’elles [ces minorités] ont exprimées, il y avait la nécessité du débat, non comme un luxe mais comme un besoin impérieux, la nécessité que ceux qui y participent prennent les autres au sérieux et apprennent à les écouter ; également la nécessité que, dans la discussion, les armes soient les arguments et non la force brutale, ni l’appel à la morale ou à l’autorité de théoriciens”, poursuit ce même texte.
Dans une organisation politique prolétarienne, le débat doit être aux antipodes des méthodes répugnantes que nous avons dénoncées auparavant. Il est question de chercher entre tous, une vérité partagée, où il n’y a ni gagnants ni perdants et où le seul triomphe est celui de la clarté commune. La discussion se base sur des arguments, des analyses, des hypothèses, des doutes… Les erreurs font partie du chemin qui mène à des conclusions opérationnelles. Les accusations, les insultes, la personnalisation sur des camarades ou des organes doivent être proscrits catégoriquement, car il ne s’agit pas de savoir qui dit quoi mais ce qui est dit.
Les désaccords sont des moments nécessaires dans la recherche d’une position. Non parce qu’ils sont un “droit démocratique” mais un devoir lorsqu’on ne partage pas une position ou qu’on estime qu’elle est insuffisante ou confuse. Dans le cours du débat se confrontent des positions et, parfois, il y a des positions minoritaires qui avec le temps, deviennent majoritaires. Tel fut le cas de Lénine avec ses Thèses d’Avril qui, lorsqu’il les présenta à son arrivée en Russie en 1917, étaient minoritaires au sein du Parti bolchevick, lequel était dominé par la déviance opportuniste qu’avait imposée le Comité central. Au travers d’une discussion intense et à travers une forte participation de tous les militants, le parti se convainquit de la validité des positions de Lénine et finit par les adopter. [13]
Les différentes positions qui s’expriment au sein d’une organisation prolétarienne ne sont pas des postures figées qui sont la propriété de ceux qui les défendent. Dans l’organisation révolutionnaire, “les divergences n’expriment nullement la défense d’intérêts matériels, personnels ou de groupes de pression particuliers, mais sont la traduction d’un processus vivant et dynamique de clarification des problèmes qui se posent à la classe et sont destinés comme tels à être résorbés avec l’approfondissement de la discussion et à la lumière de l’expérience” (“Rapport sur la Structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires”, cité plus haut).
Dans les organisations prolétariennes, il ne peut y avoir d’ “esprits éclairés” qu’il faudrait suivre aveuglément. Il est clair qu’il peut y avoir des camarades avec des capacités plus grandes ou qui possèdent une plus grande maîtrise dans certains domaines. Il y a certes des militants dont le dévouement, la conviction et l’enthousiasme peuvent jouir d’une certaine autorité morale. Cependant, rien de tout cela ne peut leur conférer un statut particulier privilégié qui consacrerait une fois pour toutes tel ou tel comme un “chef génial”, un “expert” spécialiste de telle ou telle question ou “un grand théoricien”. “Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun, producteurs sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun”, dit une strophe de l’hymne de la Première Internationale.
De manière plus précise, comme le signale notre texte sur la Structure et le Fonctionnement, “Il n’existe pas dans l’organisation de tâche “nobles” et des tâches “secondaires” ou moins “nobles”. Le travail d’élaboration théorique comme la réalisation des tâches pratiques, le travail au sein des organes centraux comme le travail spécifique des sections locales, sont tout aussi importants pour l’organisation et ne sauraient de ce fait être hiérarchisées (c’est le capitalisme qui établit de telles hiérarchies)”.
Dans une organisation communiste, il faut combattre le suivisme, vice consistant à s’aligner, sans réfléchir, sur la position d’un “militant éclairé” ou d’un organe central. Dans une organisation communiste, tout militant doit préserver un esprit critique, ne pas prendre pour argent comptant mais analyser ce qui est exposé, y compris ce qui vient de “dirigeants”, d’organes centraux ou de “militants plus avancés”. Ceci se situe aux antipodes de l’état d’esprit qui règne dans les partis bourgeois et plus particulièrement dans leurs représentants de gauche. Dans ces derniers, on pratique le suivisme et le respect les plus extrêmes des chefs, ce qui en l’occurrence vient de loin ; en effet dans l’Opposition trotskiste, ces tendances existaient déjà : “Les lettres de Trotski et de Rakovski, qui traitaient des questions à l’ordre du jour, parvenaient à entrer dans la prison et donnaient lieu à de nombreux commentaires. L’esprit hiérarchique et de soumission devant le chef qui imprégnait l’Opposition russe ne cessait de surprendre. Une phrase ou une parole de Trotski avait valeur de preuve. De plus, aussi bien les trotskistes de droite comme de gauche donnaient à ces phrases un sens véritablement tendancieux, chacun à sa manière. La complète soumission à Lénine et Staline qui régnait dans le parti était également présente dans l’Opposition mais avec Lénine et Trotsky : tout le reste était une œuvre du diable”. (Anton Ciliga, Op. cit., page 273).
Il existe une idée très dangereuse que l’on se doit de rejeter formellement : il y aurait des militants “experts” qui, une fois intervenus, “auraient tout dit”, il serait “impossible de faire mieux” et la posture des autres se limiterait à “prendre des notes” et se taire.
Cette vision renie radicalement le débat prolétarien qui est un processus dynamique au cours duquel se multiplient les efforts, dont beaucoup erronés, pour aborder les problèmes. La vision superficielle, empreinte de logique mercantile, de seulement voir le “produit” ou le résultat final sans distinguer du tout ce qui a conduit à son élaboration, de seulement se focaliser sur la valeur d’échange, nécessairement abstraite et intemporelle, consiste à croire que tout est le produit de discours finis de militants “géniaux”. Marx ne partageait pas ce point de vue. Dans une lettre adressée à Wilhelm Blos en 1877, il soulignait : “Mon aversion pour toute forme de culte de la personnalité était telle qu’à l’époque de la Première Internationale, alors pressé par de nombreuses tentatives (émanant de plusieurs pays) visant à m’accorder une reconnaissance publique, je n’ai jamais permis qu’elles voient le jour ; jamais je ne leur ai donné de suite si ce n’est d’occasionnelles rebuffades ; lorsqu’Engels et moi-même rejoignirent la Ligue Communiste clandestine, nous le fîmes seulement à la seule condition qu’elle soit purgée de tout principe alimentant une croyance irrationnelle en l’autorité”. [14]
Au cours d’un débat, on formule des hypothèses ou des positions opposées. Il y a des approximations, des erreurs commises, il y a des interventions plus claires mais le résultat global n’émane pas “du militant le plus clairvoyant” sinon d’une synthèse dynamique et vivante d’un ensemble de positions intégrées à la discussion. La position qui finit par être adoptée n’est pas celle de ceux qui “avaient raison” et elle n’est pas non plus, la plupart du temps, totalement antagoniste à celle de ceux “qui avaient tort” ; c’est une position nouvelle et supérieure qui aide collectivement à clarifier les choses.
Évidemment, le débat n’est pas facile au sein d’une organisation prolétarienne. Cette dernière n’évolue pas dans un monde à part mais elle doit supporter tout le poids de l’idéologie dominante et la conception du débat qu’elle porte avec elle. Il est inévitable que les “formes du débat” qui sont propres à la société bourgeoise et dont on nous abreuve tous les jours à travers le spectacle des partis, de la télévision et ses programmes poubelles, les réseaux sociaux, les campagnes électorales, etc., s’infiltrent dans la vie des organisations prolétariennes. Ces dernières doivent mener une lutte soutenue contre cette infiltration destructrice.
“La culture du débat peut uniquement se développer que contre le courant de la société bourgeoise. Comme la tendance spontanée au sein du capitalisme n’est pas la clarification des idées mais la violence, la manipulation et la lutte pour obtenir une majorité (dont le cirque électoral de la démocratie bourgeoise est le meilleur exemple), l’infiltration de cette idéologie au sein des organisations prolétariennes contient toujours les germes de crise et de dégénérescence. L’histoire du Parti bolchevique l’illustre parfaitement. Tant que le Parti était le fer de lance de la Révolution, les débats les plus vivants et souvent les plus vifs constituaient une de ses principales forces. En revanche, l’interdiction des véritables fractions (après le massacre de Kronstadt en 1921) a constitué un signe majeur et a été un facteur actif de sa dégénérescence” comme le montre notre texte sur la culture du débat cité précédemment. Celui-ci se réfère à l’héritage empoisonné qu’a laissé le stalinisme dans les rangs ouvriers et qui pèse lourdement sur les communistes dont bon nombre ont commencé leur vie politique dans des organisations staliniennes, maoïstes ou trotskistes et croient que “l’échange d’arguments est synonyme de “libéralisme bourgeois” et qu’un “bon communiste” est quelqu’un qui “la ferme” et fait taire sa conscience et ses émotions”.
Pour cela, “les camarades qui sont aujourd’hui déterminés à rejeter les effets de ce produit moribond de la contre-révolution comprennent de mieux en mieux qu’une telle démarche ne nécessite pas seulement le rejet de ses positions mais aussi de sa mentalité”.
En effet, il faut combattre la mentalité falsificatrice du débat qui suppure par tous les pores du monde bourgeois et particulièrement la canaille stalinienne et tous ses appendices, notamment ceux qui feignent une plus grande “ouverture” comme les trotskistes. Il faut être clair et tranché dans la défense d’une position mais cela n’a pour autant rien à voir avec l’arrogance et la brutalité. Il faut être combatif mais cela ne signifie pas être querelleur et agressif. Il faut appeler un chat un chat mais il ne faut pas en déduire qu’il faudrait être insultant et cynique. Il ne faut pas chercher la conciliation d’arguments ou les compromis mais il ne faut pas confondre cela avec le sectarisme et le refus d’écouter les arguments des interlocuteurs. En définitive, le débat prolétarien doit se frayer un chemin au milieu de la confusion et la déviance que divulguent le stalinisme et ses avatars.
Bien que le collectivisme bureaucratique des partis bourgeois, avec son monolithisme et ses contraintes brutales, constitue un obstacle au débat, il est nécessaire de se prémunir contre ce qui apparaît comme son opposé alors qu’en réalité il est son complément. Nous nous référons à la vision individualiste du débat.
Celle-ci consiste en ce que chacun ait “sa propre opinion” et cette “opinion” serait sa propriété privée. Par conséquent, critiquer la position d’un camarade reviendrait à l’attaquer car ce serait “violer” sa “propriété privée”, ce serait lui ôter quelque chose qui lui “appartient”. Critiquer telle position de tel camarade serait l’équivalent de lui voler son portable ou le laisser sans nourriture.
Cette vision est radicalement fausse. Le savoir ne naît pas du “raisonnement personnel” ou de “la conviction intime” de chaque individu. Ce que nous pensons fait partie d’un effort historique et social, lié au travail et au développement des forces productives. Ce que chacun dit n’est “original” que s’il s’inscrit de manière critique dans un effort collectif de pensée. La pensée du prolétariat est le produit de sa lutte historique au niveau mondial, lutte qui ne se limite pas à ses combats économiques mais qui, comme le disait Engels, possède trois dimensions interconnectées : la lutte économique, la lutte politique et la lutte idéologique.
Chaque organisation politique prolétarienne s’inscrit dans la continuité historique critique d’un large chaînon qui va de la Ligue des communistes (1848) jusqu’aux petites organisations actuelles de la Gauche communiste. Dans ce fil historique, s’insèrent les positions, idées, appréciations, contributions de chaque militant. Si chaque militant aspire à étendre toujours plus ses connaissances, il ne considère pas cela comme une entreprise individuelle mais avec l’objectif de porter le plus loin possible la clarification des positions et les orientations de l’ensemble de l’organisation du prolétariat.
Dès lors, la posture individualiste du “à chacun son opinion”, ou sa position est un grave obstacle au débat et est un complément du monolithisme bureaucratique des partis bourgeois. Quand, dans un débat, chacun y va de “son opinion”, le résultat peut être ou bien un conflit entre vainqueurs et vaincus ou bien une somme inutile de différentes opinions contradictoires. L’individualisme est un obstacle à la clarté et comme partie du monolithisme de “c’est mon opinion, c’est à prendre ou à laisser”, cela signifie qu’il n’y a pas de débat lorsque chacun ne fait que manifester sa “propre opinion”.
Le débat prolétarien a une nature historique ; il recueille le meilleur du débat scientifique et culturel qui a existé dans l’histoire de l’humanité. “Fondamentalement, la culture du débat est une expression de la nature éminemment sociale de l’humanité. C’est en particulier une émanation de l’utilisation spécifiquement humaine du langage. L’utilisation du langage comme moyen d’échanger des informations est quelque chose que l’humanité partage avec beaucoup d’animaux. Ce qui distingue l’humanité du reste de la nature sur ce plan, c’est sa capacité à cultiver et à échanger une argumentation (en lien avec le développement de la logique et de la science) et à parvenir à connaître les autres (le développement de l’empathie liée, entre autres, au développement de l’art)”.
La culture du débat puise ses racines dans le communisme primitif : “Engels, par exemple, parle du rôle des assemblées générales chez les Grecs à l’époque d’Homère, chez les premières tribus germaniques ou chez les Iroquois d’Amérique du Nord et fait en particulier l’éloge de la culture du débat de ces derniers. Le débat est né en réponse à une nécessité matérielle. En Grèce il se développe à partir de la comparaison entre différentes sources de connaissance. On compare différents modes de pensée, différents modes d’investigations et leurs résultats. On découvre qu’ils se contredisent, se confirment ou se complètent. Ils se combattent ou se complètent, ou les deux. À travers la comparaison, les vérités absolues sont rendues relatives”.
Notre texte sur la Structure et le Fonctionnement résume les principes fondamentaux du débat prolétarien : “rejet de toute mesure disciplinaire ou administrative de la part de l’organisation à l’égard de ses membres qui soulèvent des désaccords : de même que la minorité doit savoir être une minorité au sein de l’organisation, la majorité doit savoir être une majorité et, en particulier, ne pas abuser du fait que sa position est devenue celle de l’organisation pour annihiler le débat par quelque moyen que ce soit, par exemple en obligeant les membres de la minorité à être les porte-paroles de positions auxquelles ils n’adhèrent pas ; l’ensemble de l’organisation est intéressé à ce que la discussion (même si elle porte sur des divergences de principes qui ne peuvent qu’aboutir à une séparation organisationnelle) soit menée le plus clairement possible. L’ensemble de l’organisation est intéressé à ce que la discussion (…) soit menée le plus clairement possible (sans pour cela évidemment paralyser ou affaiblir les tâches de l’organisation) pour se convaincre mutuellement de la validité de leurs analyses respectives ou, tout au moins, permettre que la plus grande clarté soit faite sur la nature et la portée des désaccords. Dans la mesure où les débats qui traversent l’organisation concernent en général l’ensemble du prolétariat, il convient que celle-ci les porte à l’extérieur”.
Le prolétariat est une classe internationale et pour cela le débat doit avoir une nature internationale et centralisée. Si le débat n’est pas une addition d’opinions individuelles, il ne peut pas être non plus la somme d’une série de positions locales. La force du prolétariat est son unité et sa conscience qui cherchent à s’exprimer au niveau mondial.
Le débat international, intégrant les contributions et les expériences des prolétaires de tous les pays est celui qui donne une clarté et une vision globales qui rendront plus forte la lutte prolétarienne.
C. Mir, 11 juillet 2018
[1] Les autres articles de la série [679] sont publiés sur notre site internet.
[2] Préface à l’édition allemande de 1890 du Manifeste Communiste, Engels.
[3] Voir : “Thèses sur le mouvement des étudiants contre le CPE du printemps 2006 en France [186]”
Voir aussi notre tract international diffusé en 2011 “De l’indignation à l’espoir [288]”
[4] Dix jours qui ébranlèrent le monde, chapitre 1, John Reed,
[5] “Rapport sur la Structure et le fonctionnement des organisations révolutionnaires [680]”, Revue Internationale n° 33 (janvier 1982).
[6] Voir “Débats électoraux, tout le contraire d’un vrai débat [742]” (article disponible en espagnol)
[7] En 1921 se produit le soulèvement des marins et ouvriers de la garnison de Kronstadt, proche de Saint Petersburg. Le pouvoir soviétique réprima brutalement ce mouvement, ce qui signifia un pas très important vers la dégénérescence du bastion prolétarien en Russie (voir entre autres “Les Leçons de Kronstadt [743]”)
Comme fausse leçon des évènements, le parti bolchevique, en pleine dégénérescence opportuniste, décida lors de son 10e Congrès d’interdire temporairement les fractions dans le Parti.
[8] Prison “de l’Isoloir” (!) à Verkhneouralsk située sur le fleuve Oural, dans le région de Tcheliabinsk et Magnitogorsk.
[9] Dix ans au pays du mensonge déconcertant, Ante Ciliga.
[10] Dans l’actuelle guerre de succession du Parti Populaire espagnol (PP, droite), les six candidats proclament tous les jours qu’ils sont “amis” pour, ensuite, entreprendre tous types de manœuvres, insinuations, accusations, tractations de couloirs, etc.
[11] Un exemple récent : l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya ou Gauche républicaine de Catalogne, parti indépendantiste) a célébré son dernier congrès durant lequel la direction a imposé une ligne “conciliatrice” avec le pouvoir central espagnol. Cependant, elle a permis que les bases “radicalisent” leurs interventions avec tout un fatras d’amendements “indépendantistes” et de “désobéissance”. Le résultat fut un amas de textes confus et incompréhensibles dans lesquels on parle à la fois d’ “autonomie” au sein de l’Espagne et d’indépendance vis-à-vis de l’Espagne.
[12] Voir : “la culture du débat, une arme du prolétariat [189]”, Revue internationale n° 131 (4e trimestre 2007).
[13] Voir “Les Thèses d’Avril, phare de la Révolution prolétarienne [712]”, Revue Internationale n° 89.
[14] La Vie familiale de Karl Marx, Eleanor Marx, page 205 de l’édition espagnole (traduit par nous).
Au cours du dernier mois, des centaines de milliers, voire des millions d’habitants ont envahi les rues et les places de Hong Kong en signe de protestation contre une modification de la loi sur l’extradition[1], proposée par le gouverneur de Hong Kong, Carrie Lam. L’amendement à cette loi permettrait d’extrader des citoyens de Hong Kong vers la Chine continentale. Le plus grand rassemblement contre cet amendement a eu lieu le 16 juin, lorsque près de deux millions de personnes se sont rassemblées dans une manifestation de rue.
Les premières manifestations ont été rendues possibles par « le Front des Droits Civils de l’Homme » (une coalition de plus de cinquante organisations bourgeoises). Ce front a joué un rôle dans l’organisation des premiers grands rassemblements des 9 et 12 juin, en obtenant l’autorisation de marcher et de se réunir. Mais l’ampleur des mobilisations a été rendue possible par les médias sociaux : les gens se sont organisés, principalement avec les réseaux Facebook, Télégram et le forum en ligne Lihkg.
Déjà, le 31 mars, une première manifestation avait eu lieu. Une deuxième manifestation a eu lieu le 28 avril, attirant plus de 100 000 participants. Par la suite, le mouvement a pris de l’ampleur, notamment lors de trois rassemblements différents, les 9, 12 et 21 juin 2019, lorsque des centaines de milliers de personnes ont envahi les rues. Le lundi 1er juillet, alors que Hong Kong fêtait le 22e anniversaire de son accès à la souveraineté (1997), la marche annuelle pour la démocratie a connu un taux de participation record[2].
Les protestations de Hong Kong ne visaient pas seulement la loi d’extradition, mais aussi les tentatives croissantes du régime stalinien chinois d’exercer un contrôle toujours plus strict sur cette ancienne colonie britannique. Pour mieux comprendre les tentatives de l’Etat chinois, il faut revenir à certains aspects du passé et du présent de la Chine. Car la Chine traverse une phase plus dangereuse, compte-tenu de l’évolution de la crise économique en Chine et ailleurs et de l’aggravation des tensions impérialistes.
Comme tout autre Etat, dans le cadre de la décadence du capitalisme, l’Etat chinois est alourdi par des contradictions croissantes. La Chine est un exemple typique de capitalisme d’Etat « qui prend ses formes les plus extrêmes là où le capitalisme connaît ses contradictions les plus brutales et où la bourgeoisie classique est la plus faible » (Revue Internationale n° 34 page 5). Un système aussi rigide est incompatible avec toute opposition démocratique légale. Le régime chinois ne peut tolérer de telles forces d’opposition sans se mettre lui-même en danger. Les mouvements du mois dernier à Hong Kong ont vu une nouvelle fois la confrontation entre le gouvernement de Pékin et le fantôme de la démocratie.
En 1997, Hong Kong est devenue une région administrative de la Chine. Derrière le slogan « Un pays, deux systèmes », le gouvernement chinois garantissait à Hong Kong le droit d’exercer son propre système social, juridique et politique pour cinquante ans, jusqu’en 2047.
Mais l’existence d’un territoire semi-indépendant, dans lequel quiconque s’oppose à Pékin peut trouver refuge, est comme une tumeur sur le corps de l’Etat chinois. C’est là que la politique du « un pays, deux systèmes » trouve ses limites, dans la contradiction fondamentale avec la règle du Parti Unique. Le système « dual » est victime d’une érosion constante, mais l’Etat chinois ne peut pas risquer un second massacre comme celui de la place Tiananmen à Pékin en 1989.
Dans la période de décomposition actuelle, qui est la conséquence du blocage de la lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat, la tendance au chacun pour soi croît dangereusement et des forces centrifuges déchirent les Etats-Nations. L’exemple le plus évident en est bien sûr l’éclatement du bloc de l’Est et la fragmentation de l’ex-Union Soviétique. Mais la Chine n’est pas épargnée non plus par cette dynamique centrifuge. La résistance contre le contrôle de Pékin et l’appel à l’autonomie dans la périphérie se poursuivent et semblent même s’être renforcés ces dernières années, au Tibet, à Xinjang, Hong Kong, Macao, etc…
Après la chute de l’Empire Qing, au début du XXe siècle (1912), la Chine s’est effondrée en petites unités politiques et territoriales. Pendant quelques décennies, le pays a été fragmenté et gouverné par des ‘seigneurs de guerre’ concurrents. Lorsque le Parti Communiste chinois a pris le pouvoir en 1949, il a plus ou moins rétabli l’unité nationale. Et s’il y a une chose que le parti stalinien ne peut tolérer, c’est bien l’appel à l’autonomie des régions périphériques. Avant que Xi Jinping n’entre en fonction en 2012, les 56 groupes ethniques existant en Chine avaient le même statut et pouvaient vivre selon leurs propres culture et coutumes. Mais, depuis, la dichotomie « nous contre eux » - définie par le chacun pour soi et désignant des boucs émissaires - s’est renforcée en Chine. Même Taiwan n’a pas été épargnée. En janvier 2019, le Président chinois a menacé ouvertement Taiwan d’annexion si ce pays ne se ralliait pas et ne s’unissait pas à la République Populaire.
La Chine a également de grands problèmes sur le plan économique. Sa croissance réelle est officiellement de 6,4 %. Mais, avec une population croissante et une mobilité interne de dizaines de millions de personnes qui se déplacent chaque année de la campagne vers les villes à la recherche d’un emploi, ce chiffre est plutôt un signe de stagnation, voire d’aggravation de la crise économique.
La guerre commerciale de Trump a eu également de graves répercussions sur l’économie chinoise. En février 2019, les exportations chinoises ont affiché la plus forte baisse en trois ans. Les exportations ont chuté de 20,7% par rapport à 2018, malgré les énormes mesures de relance du gouvernement. 2018 a été une année dramatique pour les bourses ; les plus grands perdants étaient Chinois. La bourse de Shanghai a chuté de 24, 9 % et le Dow Jones chinois de 24,7%.
En 2013, la Chine a lancé un grand projet géostratégique de son invention, qui aura espère-t-elle, un effet significatif sur la crise : la « Nouvelle Route de la Soie ». Mais maintenant, la Chine commence même à avoir des problèmes avec ses alliés, qui ont adhéré au projet ces dernières années. Plusieurs de ces pays (Malaisie, Pakistan, Birmanie, Sri Lanka, etc…) sont endettés à des niveaux désormais insoutenables.
Comme l’Etat chinois, de par sa nature profonde, est incapable de tolérer une opposition démocratique, il est obligé d’utiliser la répression brutale face au moindre mécontentement. Avec l’accroissement des forces centrifuges et la menace d’agitation sociale, cette répression sur la société a empiré. Nous sommes en train d’assister, en Chine en ce moment, à une sorte de terreur organisée dont l’objectif principal est de créer un climat de peur[3].
Pékin a augmenté le déploiement de systèmes de surveillance de masse pour contrôler la société au plus près. L’Etat collecte, à une grande échelle, des données numériques incluant les échantillons d’ADN et de voix à des fins de surveillance automatique ; il a développé également un système alternant carotte et bâton connu sous le nom de « système de crédit social » ; il a aussi mis au point et appliqué des programmes de recueil de données à grande échelle pour le maintien de l’ordre, dont l’objectif est de museler les voix dissidentes.
Le gouvernement chinois a appliqué une répression radicale dans plusieurs régions, en particulier à Xinjiang, berceau de la population musulmane Ouïghour. Depuis 2016, les autorités chinoises ont construit des centres de détention de masse et des prisons dans cette région. A l’extérieur de ces centres de détention, les résidents de Xinjiang sont l’objet de restrictions énormes dans leur vie personnelle : s’ils veulent se déplacer d’une ville vers une autre, ils doivent solliciter la permission et passer par différents points de contrôle.
Même Hong Kong n’est pas à la traîne par rapport au respect de ces règles, et applique des mesures similaires en coupant les ailes de toute velléité de liberté civique et politique. La répression étatique des quatre dernières années a conduit à 50 procès, dans lesquels plusieurs centaines de dissidents et activistes politiques ont été la cible d’arrestations et poursuivis sous différents prétextes, tandis que plus d’une centaine d’autres étaient envoyés en prison.
Depuis 1997, le Parti au pouvoir en Chine a progressivement exercé de plus en plus d’influence sur Hong Kong. Pendant les vingt dernières années, il a régulièrement changé les règles, dans un sens qui répond au besoin de la classe dominante chinoise de renforcer sa mainmise sur la politique de Hong Kong. Chaque décision prise et chaque pas accompli sont motivés par le besoin de renforcer le contrôle sur cette ville.
La première contestation à une grande échelle contre l’influence grandissante du parti stalinien eut lieu en 2003. La mise en œuvre de l’article 23 de la Loi Fondamentale rendait possible de reconnaître quelqu’un coupable de trahison, d’activités séparatistes ou subversives envers le pouvoir d’Etat comme de vol de secrets d’Etat. La seconde protestation à grande échelle eut lieu en 2014, connue sous le nom de «révolution des parapluies », contre la décision unilatérale de Pékin de désigner les candidats pour le gouvernement de Hong Kong[4].
En 2017, l’impérialisme chinois mit la barre plus haute : à l’aube du vingtième anniversaire de l’indépendance, le Ministre des Affaires Etrangères chinois déclara que le Traité sino-britannique, qui garantit l’indépendance de Hong Kong, sur les plans politique, économique et judiciaire jusqu’en 2047, est devenu « un document historique, (qui) n’a plus désormais de signification pratique. »
L’introduction de la nouvelle législation (l’amendement concernant la loi d’extradition actuelle), en février 2019, provoqua beaucoup d’inquiétude et de crainte parmi les habitants de Hong Kong, à cause du risque accru d’être envoyé en Chine continentale, où les cours pénales sont sous le contrôle rigoureux de l’appareil d’Etat stalinien.
Afin de comprendre pourquoi la protestation a pris des proportions si démesurées, il faut garder à l’esprit que presque la moitié de la population à Hong Kong est constituée par la seconde ou la troisième génération des personnes qui ont fui la Chine. Au moment où le Parti maoïste arriva au pouvoir en 1949, des millions de Chinois s’enfuirent. Environ 100 000 personnes s’envolaient vers Hong Kong chaque mois. Au milieu des années 50, la population de Hong Kong avait augmenté de 500 000 pour s’établir à 2,2 millions.
C’est pourquoi l’offre du gouvernement de Hong Kong, qui expose les habitants de Hong Kong au risque d’être déportés vers la Chine continentale pour subir un procès dans un système de tribunaux despotiques, a touché le cœur de millions d’habitants de Hong Kong. Ils savent que, sous la loi du Parti stalinien, les gens ne pourront certainement pas espérer un procès équitable et devront faire face à de fausses accusations. Comme dans l’Union Soviétique dans les années 30, la Chine est bien connue pour ses procès-spectacles contre les opposants politiques[5].
Les médias traditionnels sont rigoureusement censurés par l’Etat Chinois. De plus, depuis que le Président Xi Jinping a pris le pouvoir en 2012, la Chine a initié une répression sans précédent sur la liberté d’accès à Internet, submergeant la toile de propagande et réprimant les journalistes qui avaient le malheur de poster des messages anti-système.
Comme les protestations massives à Hong Kong pourraient déborder la frontière et déclencher une réaction en chaîne en métropole, le régime de Pékin a ordonné aux censeurs chinois d’effacer les messages et les photos des sites des médias sociaux. La presse a été réduite au silence, ce qui fait que peu de gens en métropole ont été informés de ce qui se passait à Hong Kong.
Peu importe combien ils sont et peu importe combien d’ouvriers ont participé à ce mouvement, les protestations de rue ne sont pas une manifestation du combat de la classe ouvrière. A Hong Kong, le prolétariat n’est pas et n’a pas été présent dans la lutte en tant que classe autonome. Au contraire : les ouvriers de Hong Kong ont été complètement submergés, noyés dans la masse des habitants.
Beaucoup de manifestants sont de jeunes ouvriers. Mais, pendant les défilés massifs, une grande partie d’entre eux se sont battus sur des positions bourgeoises et sur les droits démocratiques. Même s’il faut saluer le courage et la détermination des participants, les protestations de masse de Hong Kong représentent un grand danger pour le prolétariat. Situé entièrement sur le terrain bourgeois, elles ne peuvent que renforcer les illusions sur la démocratie. Et le fait que le mouvement ait gagné une victoire momentanée – la suspension de l’amendement – cela a seulement accru les illusions parmi les manifestants de Hong Kong et leurs partisans dans le monde.
Les organisations politiques gauchistes ont seulement renforcé ces tendances et ces illusions en encourageant les combats pour les droits démocratiques et la liberté de parole. En ce qui concerne les manifestations de Hong Kong :
Même si les gauchistes font en sorte que la lutte pour les droits démocratiques rejoigne la lutte du prolétariat pour « abolir le pouvoir des capitalistes » (quel que soit le sens qu’ils donnent à cet appel), pour le prolétariat, la lutte pour la démocratie reste un piège, qui sert uniquement à l’attacher encore plus à ses exploiteurs capitalistes. Le véritable antagonisme à l’intérieur de la société capitaliste n’est pas : dictature ou démocratie mais se trouve entre la classe dominante exploiteuse et la classe ouvrière exploitée. Cette dernière n’a rien à gagner en participant à un mouvement pour les droits démocratiques bourgeois, aussi massif soit-il.
Nous rejetons tout mot d’ordre mis en avant par la gauche capitaliste, appelant à l’auto-détermination, à un gouvernement démocratique dirigé par les ouvriers, etc…
C’est la même chose pour l’intrusion dans le Legco (Conseil Législatif), dans la nuit du lundi 1er juillet. Après avoir forcé l’entrée, des centaines de protestataires se sont répandus dans les locaux du Parlement. Ils ont décroché les portraits des députés, et peint à la bombe des mots d’ordre pro-démocratie sur les murs de la Chambre des Représentants.
Nous ne soutenons pas de telles actions pseudo-radicales. Au contraire : ce n’est pas en détruisant les objets au Parlement que l’on peut détruire les illusions dans le système parlementaire. En détruisant, en pillant les endroits symboliques, en incendiant des bâtiments étatiques, on ne met pas à bas les illusions dans le parlementarisme. Les actions motivées par l’idéologie démocratique ne servent que les intérêts de l’Etat bourgeois.
Cela a été confirmé par le fait que ces événements ont été immédiatement utilisés pour décrédibiliser le mouvement. Les médias d’Etat chinois n’ont diffusé aucune séquence de la manifestation « pacifique » massive ; par contre, ils ont fait leurs choux gras des « graves actes illégaux » perpétrés par des « séparatistes de Hong Kong », actes dans lesquels dominaient « l’arrogance et la fureur aveugles ».
La disparition des illusions sur le Parlement et la Démocratie ne peut venir que d’une action autonome de la classe ouvrière, à travers la défense de ses propres revendications de classe. La seule voie pour se battre contre le système mensonger de la représentation parlementaire est de tenir des assemblées prolétariennes massives, animées par des discussions sérieuses sur les méthodes et les buts du combat.
Lundi 10 juin, la porte-parole du gouvernement des Etats-Unis, Morgan Ortagus, déclara : « les Etats-Unis partagent l’inquiétude de beaucoup de personnes, à Hong Kong au sujet (…) des amendements proposés, qui pourraient mettre en péril les Droits de l’Homme à Hong Kong (… ), les libertés fondamentales et les valeurs démocratiques. » Lundi 1er juillet, le ministre britannique des Affaires Etrangères, Jeremy Hunt, a déclaré : « il est impératif qu’un haut degré d’autonomie et que les droits et libertés du peuple de Hong Kong soient pleinement respectés. »
Mais, ni les Etats-Unis ni le Royaume-Uni ne sont moins hypocrites que la Chine et ils sont loin d’être innocents sur la question de la violation des droits humains, comme les trois exemples suivants le montrent clairement :
1- En Chine, les compagnies occidentales se font le relais de la répression par l’Etat chinois, pour soumettre les travailleurs à une exploitation extrême.
Des centaines de millions de travailleurs chinois sont obligés de faire des milliers de kilomètres pour trouver du travail, dormant souvent sur leur lieu de travail, dans des conditions précaires et ne voyant leur famille qu’une fois par an, tout cela pour un salaire inférieur au dixième d’un salaire moyen aux Etats-Unis. « En collusion avec le gouvernement, les employeurs tirent des ouvriers le maximum de travail en un minimum de temps. » (The Post Multi-Fibre Arrangement era and the rise of China, Au Long Yu)
Il existe un autre mode de discipline et de répression des ouvriers : il s’agit du « système d’enregistrement des ménages ». Ce système agit comme une sorte de séparateur social, qui discrimine systématiquement les ouvriers migrants, leur interdisant l’accès aux services publics gratuits dans les villes. En dehors des usines et des cités-dortoirs, ils ne peuvent tout simplement pas survivre dans les villes. C’est un moyen efficace pour les forcer à accepter des salaires de misère, des conditions de travail indignes et des heures supplémentaires obligatoires.
2- Sur leur propre territoire national, les Etats occidentaux enferment eux aussi les réfugiés dans des camps en leur faisant subir les plus horribles conditions de détention.
Le réseau britannique des centres de rétention des immigrés est un véritable cauchemar pour les 25 000 migrants qui y passent chaque année : il n’y a pas de réhabilitation, pas de sentence criminelle, les soins de santé sont inadaptés et déplorables, il n’y a pas de limite dans la durée de privation de liberté et les cellules sont surpeuplées. Parmi ceux qui sont incarcérés, beaucoup disent que les conditions y sont pires que dans les vraies prisons, car ils sont maltraités physiquement et verbalement par des membres du personnel et cela inclut les violences sexuelles et racistes.
Aux Etats-Unis, l’Inspecteur pour la Sécurité Intérieure a estimé qu’il y avait « un degré de surpopulation dangereux » et des conditions sanitaires dégradées, dans un centre de détention du Texas, dans lequel des centaines de migrants étaient hébergés en surnombre par rapport aux capacités d’accueil. L’inspecteur déclara que les cellules « sentaient ce qui ressemblait à des corps non lavés, l’odeur des corps, de l’urine, de la diarrhée non traitée, et l’odeur de vêtements ou de couches souillés » (Entassés dans des cellules et obligés de boire dans les toilettes, voilà comment les Etats-Unis traitent les migrants, The Guardian, 3 juillet 2019)
3- Tout comme le gouvernement chinois, les démocrates occidentaux utilisent des technologies de pointe très raffinées pour espionner les civils.
Aux Etats-Unis, la CIA, au moyen d’outils de piratage et de logiciels très sophistiqués, utilise des appareils usuels – du téléphone dans votre poche à la télévision dans votre chambre – pour rassembler de l’information sur les civils. « Des documents internes à la CIA (…) indiquent que l’agence d’espionnage a obtenu l’accès aux smartphones de Apple, Samsung Smart TVs et les voitures connectées à internet, en utilisant différents outils. » (« la CIA utilise des appareils intelligents pour espionner les civils », révélations de WikiLeaks, Marissa Lang, San Francisco Chronicle du 8 mars 2017).
« La loi américaine utilise au moins cent avions pour espionner les civils. Ces avions sont équipés d’une technologie très avancée, avec des images en haute résolution et une technologie vidéo – plus précisément Sting Ray, une technologie de suivi de masse des téléphones cellulaires en toute discrétion, équipée de matériel infra-rouge et autre dispositif pour la vision de nuit. Le FBI a placé ses yeux dans le ciel de la nation pour surveiller le public à grande échelle et espionner les contestataires. » (« Surveillance de masse et « Totalitarisme intelligent », Chris Spannos, ROAR Magazine du 18 février 2017).
Les démocraties occidentales sont totalement indifférentes au sort des populations, au respect des droits de l’homme et au bien-être humain partout dans le monde. C’est la même chose pour les habitants de Hong Kong, qui étaient autrefois la colonie britannique la plus prospère du monde. Mais quand la Chine est devenue plus attractive et plus rentable pour le Royaume-Uni, Hong Kong a été remerciée, le Royaume-Uni sachant très bien qu’elle allait tomber dans l’escarcelle et sous la coupe du régime stalinien.
L’administration Trump et les autres gouvernements de l’Ouest veulent bien travailler et avoir des marchés lucratifs avec une multitude de dictatures odieuses partout dans le monde, y compris en Chine. En même temps, ils sont prêts à utiliser l’alibi idéologique de la défense des droits démocratiques et de l’autonomie de la population de Hong Kong, en tant que propagande utile dans leur guerre commerciale contre le régime chinois.
Les protestataires de Hong Kong, en arborant les drapeaux américains et britanniques, montrent que le combat contre la dictature stalinienne sur le terrain bourgeois de la liberté démocratique ne les mène qu’à embrasser la cause de la dictature démocratique. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en particulier, n’utilisent la mobilisation des citoyens de Hong Kong que pour défendre leurs sordides intérêts impérialistes dans leur confrontation géopolitique avec la Chine.
Dennis
[1] A l’heure actuelle, Hong Kong n’est tenu d’extrader à titre individuel que les personnes suspectées de crime, sur la base du cas par cas, vers vingt provinces, en vertu de deux lois principales : l’Ordonnance sur les Criminels fugitifs (FOO) et l’Ordonnance sur l’entraide judiciaire en matière pénale – qui excluent expressément « toute autre partie de la République de Chine ». En février 2019, le gouvernement de Hong Kong a proposé d’adopter un amendement à la loi sur les transferts de personnes soupçonnées d’un crime, non seulement pour Taïwan et Macao, mais également pour la Chine continentale.
[2] Dans les semaines qui ont suivi, la mobilisation a diminué : le dimanche 7 juillet, 250 000 manifestants sont descendus dans la rue et le 14 juillet, ils étaient 100 000. Mais ils sont devenus plus violents, notamment après l’intervention de criminels de la Triade contre les manifestants et l’utilisation accrue de gaz lacrymogène par la police et de passages à tabac systématiques. Mais tout récemment, le 18 août, le chiffre des manifestants est remonté en flèche, étant évalué à 1 700 000 selon les organisateurs (note complémentaire rajoutée).
[3] En Chine, toute personne considérée comme une menace pour le Parti Communiste chinois peut être « portée disparue ». Certains sont détenus dans des prisons secrètes, tandis que d’autres sont placées dans des centres de détention sous un faux nom. Leur famille, leurs avocats et même les procureurs de l’Etat chinois se voient refuser l’accès à leur dossier.
[4] Voir l’article « La ‘révolution des parapluies’ à Hong Kong : une ‘révolution’ saturée d’idéologie démocratique» (ICConline, octobre 2014).
[5] De nombreux détracteurs de la loi de Pékin apparaissent à la télévision centrale chinoise, après avoir été arrêtés, avouant de manière imprécise avoir commis des crimes qui n’en sont pas, faisant leur autocritique ou discréditant les autres. Tout cela est résumé dans l’arrestation de Liu Xiabao - lauréat du Prix Nobel de la Paix- en 2009 et sa condamnation à onze ans de prison pour avoir soutenu la cause de la démocratie.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que les attaques contre la classe ouvrière pleuvent dru ! Ce sont absolument tous les secteurs, le privé comme le public, toutes les générations, toutes les parties du prolétariat ainsi que tous les aspects de la condition ouvrière, l'emploi, le chômage, les conditions de travail, les salaires, et les retraites qui sont actuellement simultanément frappés : c'est tous azimuts que l'Etat en France se livre à une offensive générale pour dégrader drastiquement les conditions de vie et de travail de l'ensemble du prolétariat.
En premier lieu, les suppressions d'emplois et les plans de licenciements s'enchainent dans tous les secteurs : les hypermarchés Carrefour prévoient 3000 départs. Conforama s'apprête à supprimer 20% de ses effectifs (1900 employés). Chez Brico Dépôt et Castorama, syndicats et direction se sont accordés sur la fermeture de 11 magasins et la suppression de 800 postes. La RATP a annoncé la disparition de 1000 postes d'ici à 2024. PSA entend supprimer au total 2 200 emplois sur ses différents sites. Chez Sanofi, le prochain plan social fera passer les effectifs de l'entreprise de 6300 en 2008 à 3500 en 2020. La Société Générale compte supprimer 900 postes d’ici 2020, en plus des 2550 déjà annoncés en 2016 pour la même échéance. D’ici fin 2019, Nokia supprimera 597 postes. 1000 postes doivent disparaître chez General Electric. Le mastodonte du secteur du jeu vidéo, Activision Blizzard King, supprime 8 % de sa masse salariale mondiale ; dont 30 % de ses salariés en France. Bien sûr, les compressions de personnel dans la Fonction Publique (comme au Ministère des Finances) viennent encore compléter cette liste sans fin.
Qui dit licenciements, dit hausse du chômage. L'application de la réforme de l'UNEDIC à partir de novembre prochain affectera environ 1,2 million de personnes qui verront leur indemnité baisser à des niveaux variables avec les nouvelles règles de calcul et d'accès. Pour être couvert, il faudra désormais avoir travaillé 6 mois sur 24 mois (contre 4 sur 28 actuellement). Mais, en plus, les nouvelles modalités de calcul auront aussi comme conséquence la baisse de l'indemnité journalière tandis que d'autres dispositions auront pour effet de retarder ou d'annuler l'ouverture de droits ! Au nom de la lutte contre la précarité (!), cette réforme vise à "corriger les règles qui conduisent des dizaines d'individus à refuser une activité stable et qui coûtent cher à l'assurance-chômage car celle-ci leur verse un revenu de remplacement. La réforme a d'ailleurs comme autre ambition de réaliser des économies à hauteur de 3,4 milliards d'euros entre novembre 2019 et fin 2021." Ce quasi-affamement des chômeurs n'a pas d'autre objectif que de les contraindre à accepter n'importe quel poste de travail dans n'importe quelles conditions.
C'est aussi l'une des vocations de "Parcours Sup" : cette gigantesque machinerie bureaucratique, outre le rôle officiel de reproduire les divisions et les inégalités de la société de classe et de garantir aux rejetons de la classe dominante leur place privilégiée dans le système, vise aussi à canaliser de force la jeunesse prolétarienne sur les secteurs du marché du travail déficitaires en main d'œuvre, désertés en raison des conditions de travail et de rémunération déplorables qui y règnent.
Et bien sûr, pour ceux qui sont employés, l’exploitation devient de plus en plus féroce. Dans le privé, la réforme du Code du travail et des prud’hommes se traduit par une dégradation continue des conditions de travail. Les 5,5 millions d'agents de l'Etat, des collectivités territoriales et des hôpitaux sont ciblés par la mise en œuvre de la réforme de la Fonction publique qui vise le double objectif de réduire la masse salariale d'ici à 2022 et de s'attaquer au statut des fonctionnaires. Pour y parvenir, l'Etat vise la suppression de 70 000 postes dans la Fonction publique territoriale, la poursuite du blocage des salaires, le recours plus systématique aux contractuels (qui représentent déjà 20% des effectifs totaux de la Fonction publique, soit 1,3 million d’agents) pour rendre «l’administration plus réactive» : le gouvernement étend la précarisation avec la création d’un «contrat de projet» de 1 à 6 ans et de «missions spécifiques» à durée déterminée, n’ouvrant aucun droit à une titularisation ou à un CDI et presque tous les postes pourront désormais être occupés par des contractuels.
Quant au soi-disant renoncement à la suppression de 50 000 postes, prétendument ramenés à 15 000, dans la Fonction publique d'Etat en raison des décisions prises suite au Grand débat, c'est mensonges à tous les étages ! Par exemple, en ce qui concerne la refonte de l'éducation, l'objectif premier d'abaisser le coût de la formation de la future force de travail a soigneusement été masqué en polarisant sur des aspects très secondaires de la loi Blanquer, comme la diminution des heures d’enseignements en lycée général, technologique et professionnel, et l'augmentation du nombre d’élèves par classe entraînent mécaniquement une diminution du nombre d’enseignants nécessaire. La réforme de la formation des futurs enseignants permettra également d'affecter environ 25 000 postes à des étudiants en formation. La « promesse » de ne pas fermer d'écoles primaires sans l'accord du maire signifie que « pour les classes, c’est forcément différent. » (dixit Blanquer) La palme de la duplicité revient à Dussopt qui « reconnaît d'ailleurs que la réduction du nombre de postes de fonctionnaires pourrait être supérieur aux 15000 évoqués par M. Darmanin : "17 000, 18 000 ou 20 000, si c'est possible"», talonné par «l'entourage de M. Darmanin qui précise qu' il y a des domaines ou des ministères dans lesquels nous continuons de baisser les emplois : au Ministère de la Transition écologique, au Ministère de la Santé ou encore à Bercy, avec la même ambition".»[1]
L' « harmonisation » du temps de travail des fonctionnaires territoriaux et le réexamen de tous les accords locaux et des congés dérogatoires[2] réclamés par le gouvernement pour lutter contre "le phénomène de sous-travail, payé mais pas effectué"[sic], n'est qu'une mise en bouche :"Avec cette mesure, le gouvernement s'attaque à un véritable tabou… mais il ne peut s'agir que d'une première étape pour moderniser notre Fonction publique. La délicate question du temps de travail des enseignants (1350 heures annuelles) n'est pas abordée, ni celle des 1607 heures pour un temps plein qui apparaît être un temps de travail extrêmement bas. En Allemagne, les agents publics travaillent, pour un temps plein, 1807 heures par an, soit 200 heures de plus : appliquer ce temps de travail dans la Fonction publique d'État et territoriale représenterait, a minima, le travail de 400 000 agents à temps plein en France... Et une économie de près de 15 milliards d'euros." (Figaro.fr)
L'attaque en cours sur les retraites surpasse encore toutes les autres par son ampleur, touchant absolument toute la classe prolétarienne. La “fin des régimes spéciaux”[3] et la perspective d'un “système universel par points” (calculés sur l'ensemble de la carrière professionnelle et à la valeur peut-être indexée sur les performances de l'économie nationale) annoncent une réduction considérable du niveau des pensions[4], auquel s'ajoutera encore un malus frappant les travailleurs qui partiraient avant “l’âge-pivot”. Personne ne s'y trompe : les "poids morts" que sont devenus dans la logique capitaliste les prolétaires usés par des décennies d’exploitation inhumaine ne doivent plus coûter qu'une misère pour survivre !
Enfin, personne n'étant épargné, l'Etat s'en prend également en catimini aux migrants et gratte les fonds de tiroirs au détriment des plus fragilisés. Le texte absolument scandaleux adopté en mai stipulant que "seuls les gamins pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) durant au moins dix huit mois entre 16 et 18 ans bénéficieront de l'accompagnement obligatoire" après leur majorité "exclut de fait, quasiment automatiquement - et sans le dire - les mineurs non accompagnés [autrement dit, des jeunes étrangers,] qui en général, n'atterrissent à l'ASE qu'après leurs 16 ans"[5] (tout comme d'ailleurs les jeunes victimes d'agression sexuelle). Ce sont donc pas loin de 25 000 MNA (mineurs non accompagnés) qui seront rejetés à la rue à leurs 18 ans, ce qui représente une économie de plus d'un milliard sur leur prise en charge par les départements ! L'Etat entend également rogner l'Aide Médicale d'Etat (AME) qui offre un panier réduit de soins médicaux et hospitaliers à 300 000 sans-papiers pour un budget annuel d'un milliard qui ne représente que... 0,5% des dépenses de santé ! [6] De même, le plan d'économies sur 4 ans (57 millions d'euros sur un budget total de 640 millions) couplé à l'abaissement à 44 € du prix de la journée par place interdisent désormais aux 880 centres d'hébergement et de réinsertion qui accueillent environ 44 000 sans-abri d'assumer leur mission fixée par le Code sanitaire et social.[7]
Faire face à l'enfoncement de l'économie dans la crise...
L'accélération actuelle pour faire passer toutes ces attaques s'explique d'abord par la poursuite de l'enfoncement du système capitaliste dans sa crise. En effet, "la couverture nuageuse commence à devenir très épaisse au-dessus de l’économie mondiale. L’OCDE (...) a donc été contrainte de rectifier à la serpe ses prévisions un peu trop optimistes de novembre dernier. Désormais, elle n’attend plus que 1% de hausse du PIB en 2019 dans la zone euro (contre 1,8 % prévu initialement), 0,7 % en Allemagne (contre 1,5 % annoncé en novembre) et 0,8 % au Royaume-Uni (contre 1,4 %)." (Capital.fr) L'horizon s'assombrit pour l'économie tricolore dont la croissance du PIB tombe à 1,3% en 2019 contre 1,7 % en 2018 et 2,4 % en 2017. La classe dominante et l'Etat cherchent à conjurer tout décrochage du capital national par rapport à ses concurrents et à anticiper le choc du ralentissement mondial. Ainsi, pour la Cour des Comptes, l'âme damnée du gouvernement, avec une dette publique à la hausse qui s'approche des 100 % du PIB « à rebours de l'évolution de la majorité de nos partenaires de la zone euro », «la France ne dispose ainsi toujours pas de marges de manœuvre suffisantes pour aborder un éventuel retournement conjoncturel avec la pleine disposition de ses instruments budgétaires. » Ce qui veut dire qu'il faudrait profiter de cette période de "vaches grasses" pour réduire le déficit structurel afin de retrouver des marges de manœuvre budgétaires pour faire face à la nouvelle crise économique quand elle arrivera. » (Le Point-Economie)
Pour la classe exploiteuse qui veut à tout prix rendre le capital national plus concurrentiel pour sauver ses profits, l'imminence d'une nouvelle plongée de l'économie capitaliste rend urgente les mesures anti-ouvrières : le renforcement effréné de l'exploitation, la baisse des salaires et l'aggravation de la paupérisation. Pour la classe dominante, c'est clair : "la France doit poursuivre les réformes structurelles (...). Une des clefs réside dans le 'travailler plus.[8] (...) Le coût du travail doit continuer à baisser." [9] Tout est dit!
Profiter des faiblesses actuelles du prolétariat pour l'attaquer drastiquement
La seconde raison de l'accélération de cette brutale offensive générale contre la classe exploitée, c'est que l'Etat et la classe dominante pensent pouvoir profiter des difficultés actuelles du prolétariat à s'affirmer comme classe pour imposer ses attaques sans craindre une riposte trop dangereuse. Cette confiance en soi accrue de la classe dominante s'illustre dans la stratégie actuellement adoptée pour faire passer la réforme des retraites : à la différence du passé, où, traditionnellement, sur cet aspect sensible des conditions de vie du prolétariat, elle a agi en s'attaquant à un secteur après l'autre, ceci, en raison de son extrême méfiance face aux possibles réactions combatives du prolétariat en France, là, le gouvernement s'attaque aux retraites de toute la classe ouvrière, de tous les secteurs à la fois et en même temps.
Alors que la colère ouvrière est partout, énorme, le gouvernement sent cependant pouvoir disposer d'un rapport de force en sa faveur dont il compte bien tirer parti. Pourquoi en est-il ainsi ?
Loin d'avoir été affaiblis par le mouvement interclassiste des Gilets jaunes, le gouvernement et l'Etat, par l'exploitation politique qu'ils en ont faite contre la conscience du prolétariat, sont parvenus ces derniers mois à accentuer encore la désorientation et la perte de confiance du prolétariat en ses propres forces. Ce n'est pourtant qu'une petite minorité de prolétaires qui s'est engagée dans cette révolte citoyenne interclassiste à la remorque des méthodes de luttes et des objectifs qui ne sont pas ceux de leur classe, mais bien ceux de la petite bourgeoisie sans avenir historique qui ne peut que véhiculer l’illusion de réformer le capitalisme en revendiquant un capitalisme "à visage humain", plus démocratique, plus juste, plus soucieux des pauvres et de la préservation de la planète. Mais même si la grande majorité et les secteurs les plus importants du prolétariat s'en sont tenus à l'écart, ils ne sont pas pour autant restés imperméables et insensibles à son influence délétère et aux campagnes idéologiques qui l'ont accompagné.
La bourgeoisie a pu compter sur ses officines gauchistes, telles le NPA, pour faire passer cette révolte citoyenne désespérée et sans perspective, pour une "nouvelle forme" de la lutte des classes tandis que leur appel à "la convergence des luttes" entre les Gilets jaunes et les mobilisations syndicales ne visaient qu'à noyer un peu plus la lutte de la classe ouvrière dans la révolte du "peuple". Enfin, le déblocage de 10 milliards d’euros a permis à la bourgeoisie française d'instiller, de façon insidieuse, l’idée que seuls les mouvements citoyens, interclassistes, et les méthodes de lutte propres à la petite bourgeoisie peuvent faire reculer le gouvernement.
Tout a été mis en œuvre par la classe dominante pour tenter de renforcer l'influence du poison de l’idéologie démocratique au sein du prolétariat, le diluer dans "le peuple des citoyens" afin d'estomper l'existence des antagonismes de classe dans la société capitaliste. Niant l'existence des classes sociales, ne reconnaissant ni bourgeois ni prolétaires, mais seulement des "citoyens" prétendument égaux, à la place et à la fonction déterminées et garanties par l'Etat au sein du peuple dans le cadre de la Nation, l'idéologie démocratique est une arme majeure dans les mains du capital aux effets puissants contre la conscience de classe :
- en alimentant l’illusoire aspiration à être “mieux écoutés” par l'Etat via une “démocratie plus directe”, elle paralyse fortement la transformation de la colère en action collective et l'émergence des luttes autonomes du prolétariat. L'hétérogénéité et la faiblesse de la combativité déjà en deçà du niveau des attaques subies s'en trouvent encore accrues ;
- elle porte un coup supplémentaire à l'identité de classe du prolétariat en enfermant les prolétaires dans les limites imposées par le système capitaliste où l'on ne les conçoit pas comme prolétaires unis par les mêmes conditions et les mêmes intérêts, mais comme des entités représentant les intérêts particuliers de telle ou telle corporation ou de telle ou telle entreprise : les cheminots, les infirmières, les Continental, les Whirlpool etc. ; elle consolide ainsi les divisions entre prolétaires.
C'est la raison du virage du gouvernement qui a remisé son discours ‘autocratique et technocratique' d'avant et pour nous ingurgiter ad nauseam ses mystifications de l'"Etat protecteur " et de la "démocratie participative, de l'écoute et du dialogue" !
Dans ce contexte, les organes d'Etat spécialistes du sabotage des luttes que sont les syndicats n'ont eu ces derniers mois aucun mal pour jouer leur rôle d'éparpiller la classe ouvrière en multipliant et enchaînant les journées d'action sans lendemain et les manifestations bien encadrées où chaque secteur et chaque corporation sont soigneusement séparés les uns des autres. On a ainsi pu voir fréquemment des cortèges ou rassemblements se succéder tour à tour la même semaine, ou carrément le même jour dans la même ville mais à des lieux et des horaires différents !
Et lorsque les prolétaires contraints à des conditions de travail intenables se décident à se battre, ils le font isolément, enfermés dans leur secteur, (comme dans les urgences des hôpitaux sans aucune tentative des urgentistes pour tenter d'entraîner ne serait-ce que les autres personnels hospitaliers dans la lutte). Une faiblesse qui les condamne à l'impuissance face à la bourgeoisie et son État (qui savent en tirer parti pour imposer les attaques !) et qui permet aux syndicats - ou à des collectifs para-syndicaux - d'orchestrer des grèves longues et isolées destinées à épuiser et démoraliser les grévistes.[10]
Récemment apparus lors de la dernière période, différents "collectifs" comme "Inter-Urgences", "Pas de Bébés à la consigne" ou le CLAP75... jouent un rôle de premier plan dans certains mouvements. Présentés comme de "nouvelles structures de lutte", ces collectifs ne sont en réalité bien souvent que le faux-nez des syndicats (en particulier de la CGT) qui les contrôlent et les téléguident en se dissimulant, en raison de leur discrédit ou de la forte défiance à leur égard dans certains secteurs, derrière ces structures. Ainsi "le collectif "Pas de Bébés à la consigne" regroupe associations professionnelles et syndicats de la petite enfance, du secteur social et de l’Éducation nationale, associations de parents d’élèves et familiales"[11]. Le CLAP75 qui joue un important rôle actuellement dans la grève des livreurs de Deliveroo affirme essayer de "pratiquer un syndicalisme très proche des gens" et bénéficie de l'appui de la CGT qui "finance des dépenses de voyages sur le terrain et prête des locaux."[12] Même s'il se défend d'être un syndicat, le collectif "Inter-urgences" (désormais structuré en association) se caractérise par un corporatisme extrême et n'en utilise pas moins les mêmes méthodes que les syndicats ; soutenu par FO, la CGT et SUD, il agit dans leur sillage ! Ce n'est donc pas pour rien que les collectifs remplissent exactement le même rôle que les centrales syndicales et exercent la même fonction d’encadrement et de canalisation de la colère des éléments les plus combatifs dans la lutte en les poussant à s’enfermer dans le corporatisme et ainsi à s’isoler des autres secteurs et du reste de la classe ouvrière!
Pour la rentrée, le prolétariat en France se heurte d'ores et déjà au mur du partage du travail entre forces de l'Etat bourgeois, gouvernement et syndicats (ou autres "collectifs" !), pour continuer à asséner les attaques et, surtout, faire avaler la pilule des retraites. Le gouvernement décrète "la Nation en état de concertation et de grand débat permanent" pour continuer à polluer les consciences à l'aide des appels de sirènes interclassistes des Gilets jaunes, au nom de la défense du "monde rural", des "petits", de "ceux de la France profonde" ou du "terroir", contre les "gros", ceux "de Paris" et ceux "d’en-haut". Une "grande concertation qui aille au-delà des seuls corps intermédiaires"[13] sur la réforme des retraites doit monter en puissance pour 2020.
De leur côté, les syndicats qui se présentent comme les grands ennemis du gouvernement, les persécutés de Macron, qui les contourne et les exclut des différentes commissions paritaires se posent en défenseurs radicaux des travailleurs. Occupant tout le terrain social, ils bombardent une série de journées d'action en ordre dispersé : hôpitaux le 11/09, RATP le 13/09, Trésor public le 16/09, EDF le 19/09 et contre la réforme des retraites, ce sera le 21/09 pour FO et le 24/09 pour la CGT, division syndicale oblige ! Chacun est à son poste dans le quadrillage du terrain social pour la poursuite du morcellement des luttes et réduire les prolétaires à l'impuissance !
Oui, le prolétariat doit lutter ! Mais sur son terrain de classe, en tant que classe aux intérêts distincts de toutes les autres classes de la société et avec les moyens qui lui sont propres ! Cette perspective de la nécessité de la lutte doit aller de pair avec la réflexion sur « Comment lutter ? », « Quels moyens mettre en œuvre pour faire reculer les attaques ? » contre l'amnésie et l'oubli de l'expérience de ses luttes passées que la bourgeoisie entretient de toutes ses forces. Si aujourd'hui, celle-ci s'acharne autant à vouloir affaiblir le prolétariat, c'est qu'elle sait que, malgré trois décennies de recul de la lutte de classe, il n'est pas défait et qu'elle craint le resurgissement des luttes ouvrières avec l’accélération des attaques économiques qu'elle lui inflige. La bourgeoisie n'oublie pas que derrière chaque véritable lutte de son ennemi de classe est tapie l'hydre de la Révolution prolétarienne. L’aggravation inexorable de la misère, de la précarité, du chômage, les atteintes à la dignité des exploités rassemble peu à peu les conditions qui ne peuvent que pousser les nouvelles générations de prolétaires à retrouver le chemin des combats menés par les générations ouvrières précédentes pour la défense de leurs conditions d’existence !
Scott (16 août)
[1] Le Monde du 6/08
[2] « Jours du maire », congés pour mariage d'un agent ou d'un proche, pour déménagement...
[3] Sauf les "régimes spéciaux "des uniformes", ceux des militaires, de la police, des pompiers professionnels." (Aujourd'hui, 17/07)
[4] Pris en flagrant délit d’arnaque pour montrer que personne ne sera 'perdant' : "les conseillers de Delevoye ont fini par l'avouer du bout des lèvres : leurs pseudo-simulations ont été effectuées sur une base de 44,3 ans de cotisations pour les retraités nés à partir de 1990, soit une discrète rallonge de 15 mois travaillés. Ni vu, ni connu... Pour avoir une retraite équivalente à celle d'aujourd'hui, les heureux "bénéficiaires" de la réforme devront donc avoir commencé à travailler dés l'âge de 18,6 ans. Quant aux diplômés qui n'entreront dans la vie active qu'à 25 ans, il leur faudra bosser jusque 69 ans avant de prendre leur retraite. On est loin de l'âge légal de 62 ans, et même de l'âge-pivot de 64 ans." (Le Canard Enchainé du 31/07)
[5] Le Canard Enchainé du 31/07.
[6] Il s'agirait de "rendre le dispositif acceptable pour éviter que le RN (Rassemblement National de Marine Le Pen) ne s'empare du sujet", estime une personne auditionnée" par la mission IGAS/IGF, tout en sachant et en ayant autrefois claironné qu'"à chaque fois que l'on tente de raboter quelques euros sur l'AME, (...) les bénéficiaires accèdent plus lentement aux soins, arrivent bien plus malades dans les hôpitaux, ce qui in fine, coûte beaucoup plus cher, sans compter le risque d'exposition infectieuse de la population française." (déclaration de la ministre Agnès Buzyn qui n'en est pas à une contradiction près ! (Le Monde du 02/08)
[7] Selon S. Chayata, délégué national à la lutte contre les exclusions de la Croix-Rouge : "on commence à voir poindre une sélection des entrants au détriment des plus vulnérables, comme les jeunes de 18 à 25 ans ou les sortants de prison, au bénéfice de ceux qui disposent de ressources permettant de contribuer à leur prise en charge." (Le Monde du 02/08). Sans commentaire !
[8] Le taux d’emploi, c'est-à-dire "la proportion de la population [en âge de travailler] qui occupe un emploi ne s’est pas réduite, mais (...) a grimpé l’an dernier de 65,7 à 66,1%, une performance historique, bizarrement assez peu relevée dans les médias : cela fait trente-neuf ans que cet indicateur clé – le véritable juge de paix du marché du travail– n’avait pas atteint un tel niveau ! Et c’est justement chez les jeunes de 15à 24 ans et chez les seniors, les deux catégories les plus éloignées de l’emploi, qu’il a le plus progressé." (Capital.fr) L'Etat cherche frénétiquement à le rapprocher des 68,7% de l’OCDE et des 71,7% du G7 !
[9] Déclaration du président de l'Association des Entreprises Françaises représentant les grands groupes nationaux.
[10] Voir l'article "Grève dans les urgences: le piège de l’isolement !"
[11] Site du NPA / https://npa2009.org/content/pas-de-bebes-la-consigne%E2%80%89 [746]
[12] Le Monde du 09/08
[13] R. Ferrand, Président LREM de l'Assemblée Nationale, Journal du Dimanche du 28/07
Le 29 juillet dernier, le corps de Steve Maia Caniço était enfin repêché des eaux de la Loire à Nantes plus d’un mois après sa disparition survenue dans la nuit du 21 au 22 juin au cours de la Fête de la Musique. Cette nuit-là, sous les coups de 4h30 du matin, alors que les sound systems retentissaient encore, le public vit arriver les forces de l’ordre qui demandèrent de couper le son. D’après les témoins, la foule protesta gentiment, comme il est fréquent à la fin des concerts. Puis la musique reprit, « un petit Bérurier Noir se fait entendre, sur une tonalité très basse. Et là, sans sommation, des gaz partout. À la fois d'au-dessous et d'au-dessus » rapporte un témoin interrogé. D’autres parlent de « scène de panique », et de « gens terrifiés »...
Les forces de police ont une nouvelle fois usé d’une violence débridée et totale pour faire appliquer l’autorité de l’Etat et réprimer toute forme de contestation à l’égard de la loi qui, en l’occurrence, imposait d’arrêter la musique dès 2 heures du matin. Alors que partout en France ce soir-là, résonnaient les sons des pianos, des guitares et des batteries, les forces de l’ordre ont préféré utiliser leurs propres instruments : matraques, bombes lacrymogènes, tasers, grenades de désencerclement et lanceurs de balle de défense...
Des témoins rapportent que les policiers ont chargé volontairement du quai vers le fleuve afin de pousser les noctambules dans l’eau. Au total, 14 personnes tombèrent dans la Loire, l’un d’entre eux ne remontera jamais vivant ! Mais l’ignominie des forces de l’ordre ne s’arrête pas là. D’après 18 des 148 témoins que le Journal du Dimanche (JDD) a pu interroger, les policiers n’ont jamais envisagé de les secourir : « Quand on est allés voir la police pour leur dire qu'il y avait des gens à l'eau, on s'est fait envoyer balader : ‘Cassez-vous ou on vous embarque’ » raconte l’un, « On était une dizaine près de l'eau, on suivait un mec qui se débattait dans la flotte. On est allés voir les flics pour qu'ils nous aident, ils ont répondu texto : C'est pas notre boulot, c'est celui des pompiers », rapporte un autre. [1]
Les services de l’Etat pourront continuer à dédouaner les policiers et leur hiérarchie, les médias auront beau entretenir le doute sur la culpabilité ou non des forces de répression, se questionner sur des éléments secondaires, ces 14 personnes ne se sont pas jetées à l’eau de leur plein gré comme une envie soudaine de prendre un ‘bain de minuit’, à plus forte raison dans le cas de Steve qui ne savait même pas nager. Pendant plus d’un mois, le gouvernement et les autorités policières ont tenté littéralement de noyer l’affaire, aujourd’hui, pour ne pas perdre la face devant une telle évidence, Macron et son Premier ministre appellent à ce que, en toute « transparence », « toute la lumière » soit faite sur ce « drame » ! Seulement voilà, dans cette affaire engageant la responsabilité de l’Etat, l’assassin est son propre juge. D’ores et déjà, un rapport de l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) blanchit les forces de police en indiquant « qu’il n’y a aucun lien entre la mort de Steve et l’intervention policière ». A l’heure actuelle, pas moins de cinq procédures sont en cours qui, sans le moindre doute, dédouaneront l’institution policière comme ce fut à chaque fois le cas ces dernières années dans ce genre de problème. Certes, il faudra désigner des coupables, vraisemblablement le commissaire de la police nantaise adepte de la manière forte, servira de fusible. Comme le rapporte un policier nantais à l’hebdomadaire Le Canard enchaîné daté du 7 août 2019, « on connaît le nom du condamné, mais pas encore la date de son exécution ». Mais si la gestion calamiteuse de cette affaire depuis plus d’un mois et demi par l’exécutif ne peut que renforcer l’exaspération, la colère et l’indignation, les manifestants du 3 août 2019 dernier contre les violences policières ne doivent pas s’y méprendre. Ce crime n’est pas une énième « bavure », une simple dérive ou un quelconque « excès de zèle » de la part de quelques policiers. Cette nouvelle affaire est l’expression de la violence de la classe dominante, la terreur, qui ne peut que s’accroître et s’exacerber à mesure que s’affermissent les contradictions sociales engendrées par le déclin historique du mode de production capitaliste : « autant la violence peut être conçue hors des rapports d’exploitation, cette dernière (l’exploitation), par contre, n’est réalisable qu’avec et par la violence. [...] La violence, combinée à l’exploitation, acquiert une qualité toute nouvelle et particulière. Elle n’est plus un fait accidentel ou secondaire, mais sa présence est devenue un état constant à tous les niveaux de la vie sociale. Elle imprègne tous les rapports, pénètre dans tous les pores du corps social, tant sur le plan général que sur celui dit personnel. Partant de l’exploitation et des besoins de soumettre la classe travailleuse, la violence s’impose de façon massive dans toutes les relations entre les différentes classes et couches de la société, entre les pays industrialisés et les pays sous-développés, entre les pays industrialisés eux-mêmes, entre l’homme et la femme, entre les parents et les enfants, entre les maîtres et les élèves, entre les individus, entre les gouvernants et les gouvernés ; elle se spécialise, se structure, se concentre en un corps distinct : l’État, avec ses armées permanentes, sa police, ses prisons, ses lois, ses fonctionnaires et tortionnaires et tend à s’élever au-dessus de la société et la dominer. »[2]
Dans ces conditions, l’appel à une police plus « humaine » est une illusion. L’ampleur que prend désormais la répression, quelle que soit la forme du rassemblement, est le symptôme de l’exacerbation de l’Etat policier aussi bien visible dans les régimes autoritaires comme la Chine que dans les « belles et grandes » démocraties d’Europe occidentale. Et dans cette entreprise, aucune fraction politique du capital ne déroge à la règle. Aujourd’hui, celles opposées au gouvernement se nourrissent du « scandale » et dénoncent ouvertement la gestion des événements. Le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, pour ne citer que lui, n’a pas manqué de fustiger « la Macronie » pour avoir ouvert « le cycle des violences et de la politisation de la police ». Faudrait-il rappeler à ce dernier ce qu’ ordonne son grand ami Nicolas Maduro aux forces de police du régime vénézuélien pour réprimer les manifestants qui s’opposent au régime ? En fait, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, toutes les fractions du capital, en défendant l’intégrité de l’Etat, reconnaissent la légitimité de la violence perpétrée par son bras armé : la police, la justice et l’armée. A gauche comme à droite[3], elles se sont toutes rendues coupables de telles violences[4] et elles continueront. La classe ouvrière ne doit avoir aucun doute là-dessus. Comme elle a déjà pu en faire l’expérience par le passé, la bourgeoisie usera des pires méthodes pour affermir son contrôle sur la population et préserver son système d’exploitation. Seule la révolution prolétarienne, en parvenant à détruire l’Etat bourgeois, pourra mettre fin à la violence froide et mécanique de la terreur bourgeoise.
Vincent (22 août 2019)
[1]Source : https://www.lepoint.fr/societe/mort-de-steve-des-temoins-racontent-l-operation-policiere-11-08-2019-2329293_23.php [747]
[2] Article : « Terreur, terrorisme et violence de classe » : https://fr.internationalism.org/french/rint/14-terrorisme [39]
[3] Souvenons-nous de "l'affaire Malik Oussekine" sous l'ère du président socialiste Mitterrand. Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, les brigades de "voltigeurs motocyclistes", créées par le préfet de police gaulliste Raymond Marcellin en 1969 et réactivées par le tandem au ministère de l’Intérieur de l’époque (de droite) Robert Pandraud et Charles Pasqua. Chargées du maintien de l'ordre dans une manifestation étudiante, elles ont matraqué sauvagement Malik tombé à terre (selon les témoignages) qui succombera un peu plus tard à l'hôpital Cochin. Il est aussi à noter que ce corps de répression dissout après la mort de Malik a été discrètement réintroduit « en urgence » lors des manifestations des Gilets jaunes en décembre 2018 par le gouvernement Macron sous le nom de DAR (détachements d'action rapide)…
[4] Parmi beaucoup d’autres exemples, « l’affaire Théo » en 2017 (voir notre article https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201703/9527/affaire-theo-violences-policieres-terreur-d-etat [748]
Il y a 80 ans, le capitalisme plongeait l’humanité dans la plus grande boucherie de son histoire : les morts par dizaines de millions (sans compter ceux liés aux privations et aux maladies consécutives au conflit), les bombardements massifs, les rafles, les famines, les déportations, les expériences ignobles de savants fous, l’explosion des bombes atomiques, l’horreur des camps d’extermination… le bilan de ce conflit a de quoi faire frémir. Mais la bourgeoisie n’a de cesse de dissimuler sa nature impérialiste alors qu’il est un pur produit du capitaliste décadent, un conflit entre puissances impérialistes prêtes à tous les sacrifices de vies humaines, à toutes les atrocités pour défendre leurs sordides intérêts nationaux. Pire, dans un barouf permanent rappelant l’hystérie religieuse du Moyen Âge, la bourgeoisie utilise encore aujourd’hui la Seconde Guerre mondiale pour enfoncer dans les crânes, même (et surtout) celui des jeunes enfants, que la vertueuse démocratie a triomphé du fascisme, que l’incarnation du Mal a été vaincue par les forces du Bien, que les “citoyens”, donc, pour éviter le retour de la Bête, ont le devoir de serrer les rangs derrière le fer de lance de leurs propres exploiteurs : l’État démocratique bourgeois.
À l’occasion de ce sordide anniversaire, nous republions deux textes de la Gauche communiste en France, cette petite minorité qui sut défendre contre le rouleau compresseur du nationalisme, le principe fondamental de l’internationalisme en mettant en garde le prolétariat contre son embrigadement derrière les drapeaux et la “défense de la partie” (fût elle prétendument socialiste). Nous les accompagnons d’un double article dénonçant les mensonges de la bourgeoisie sur la Seconde Guerre mondiale, parus dans la Revue internationale en 2006 :
Que des bureaucrates d’État assurent la gestion du capitalisme à la place de patrons privés, qu’on repeigne en “vert” la façade décrépite de ce système en décadence, rien ne l’empêchera de plonger l’humanité dans la barbarie.
La vague de protestations organisée par la “Jeunesse pour le climat”, les Verts et les partis de gauche sont présentés, à grand renfort de campagnes médiatiques, comme la voie à suivre pour le salut de l’humanité. Mais pourquoi ces protestations sont-elles si largement soutenues par ceux qui gèrent et défendent le système actuel ? Pourquoi la jeune Greta Thunberg est-elle invitée à s’adresser aux Nations Unies, aux parlements et aux gouvernements du monde entier, ceux-là même qui permettent et organisent au quotidien la destruction de la planète ? Pourquoi la bourgeoisie utilise de plus en plus l’alibi de la protection de l’environnement pour mener ses attaques contres les conditions de vies et de travail des prolétaires (travailleurs, chômeurs ou retraités) ?
Les actuelles campagnes écologistes, les “mobilisations” et autres pétitions visent en réalité à détourner l’indignation causée par les incendies, la pollution, le réchauffement climatique, la disparition des espèces, etc., vers une impasse : prier ceux qui sont responsables de la dégradation de l’environnement (États en tête) de bien vouloir protéger la planète, comme si les lois du capitalisme, la recherche du profit et la concurrence, n’impliquaient pas en elles-mêmes le pillage des ressources, la destruction des forêts ou des océans. Surtout, il s’agit d’entraîner le prolétariat sur un terrain de lutte totalement nuisible à ses intérêts immédiats et historiques : la mobilisation citoyenne et interclassiste où le prolétariat est dilué dans la masse amorphe du “peuple” et où son autonomie politique de classe est totalement niée et attaquée.
Seule la lutte de classe internationale peut mettre fin à la course du capitalisme vers la destruction !
Le CCI organise des Réunions publiques sur ce thème à :
- Lille [753], le samedi 12 octobre 2019 à 15:00
- Marseille [754], le samedi 19 octobre 2019 à 15:00
- Toulouse [755], le samedi 19 octobre 2019 à 15:00
- Paris [756], le samedi 19 octobre 2019 à 15:00
- Nantes [757], le samedi, 16 novembre 2019 à 15:00
Le suicide de l’enseignante Christine Renon le 21 septembre au sein même de son établissement de Pantin en région parisienne rappelle une nouvelle fois la réalité de la souffrance au travail, la férocité de l’exploitation capitaliste de plus en plus insupportable pour les exploités à un point tel que certains préfèrent se donner la mort plutôt que de continuer à endurer des conditions aussi insoutenables. Bien que la bourgeoisie se garde bien de mettre en évidence l’ampleur du phénomène, les études sur le sujet étant embryonnaires, il n’en demeure pas moins que le nombre de suicides sur les lieux de travail n’ont cessé d’augmenter au cours des dernières décennies.
Nous reviendrons dans un futur article sur le drame de Pantin, sur la vague d’indignation légitime que cela a engendré ainsi que sur les réactions syndicales et gouvernementales. Dans l’immédiat, nous republions ci-dessous des articles déjà parus dans Révolution internationale sur le sujet :
- Le suicide et la souffrance au travail [758]
- Suicides au travail : c'est le capitalisme qui tue les prolétaires [759]
- Les suicides à France Télécom sont l'expression de l'inhumanité de l'exploitation capitaliste [760]
Il y a 70 ans, le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclamait la fondation de la République populaire de Chine (RPC) sur la place Tian’anmen à Pékin. Un anniversaire que n’a pas manqué de célébrer l’Etat chinois piloté encore aujourd’hui par le Parti Communiste. Une nouvelle occasion pour la bourgeoisie d’entretenir l’amalgame entre stalinisme et communisme puisque, d’après l’histoire officielle, « l’Etat populaire » serait le fruit d’une « révolution populaire » qui trouverait dans le maoïsme la théorie marxiste adaptée à la Chine. Or, la réalité historique est tout à fait différente de cette misérable falsification. En fait, le maoïsme n’a pu se constituer que sur les décombres de la vague révolutionnaire des années 20, notamment durant la longue période de contre-révolution qui allait suivre suite à l’écrasement sanglant des « communes » de Canton et Shanghai en 1927. Comme le met en évidence la série d’articles que nous republions dans ce dossier, la République Populaire de Chine ne doit son existence qu’à la conjonction du rapport de force impérialiste de l’après Seconde Guerre mondiale et des luttes de factions au sein de l’appareil d’Etat et du Parti Communiste chinois. Aujourd’hui comme hier, le régime chinois n’a rien à voir avec la révolution prolétarienne et la nécessité du communisme. Ce n’est rien de plus qu’une forme caricaturale de capitalisme d’Etat qui œuvre uniquement à la préservation des intérêts du capital chinois. Un simple rejeton du capitalisme décadent et un fossoyeur de la révolution.
Voici ci-dessous plusieurs articles de notre presse sur ce sujet :
_ Le maoïsme, un pur produit de la contre-révolution [762]
_ Chine 1928-1949 : maillon de la guerre impérialiste (1re partie) [763]
_ Chine 1928-1949 : maillon de la guerre impérialiste (2ème partie) [764]
_ Chine, maillon de l'impérialisme mondial (3ème partie) [765]
De tous les bords de l’échiquier politique, nous sommes exhortés à protéger la démocratie. Les politiciens de “l’alliance rebelle” opposés au no-deal ont dénoncé le “coup d’État” de Boris Johnson contre le parlement, en organisant des meetings et des manifestations pour protester contre les cinq semaines de suspension du parlement (qui se termineront peu avant le 31 octobre), unissant ainsi leurs forces pour contraindre Boris Johnson à respecter les sacro-saintes procédures et traditions parlementaires.
Cependant, les partisans d’un Brexit dur (de Farage à la revue Spiked), (1) estiment de leur côté que ce sont les “Remoaners” (2) qui insultent la démocratie puisqu’ils refusent de respecter “la volonté du peuple”, matérialisée par le résultat du référendum de juin 2016. Ils s’autoproclament ainsi défenseurs de la démocratie britannique contre l’ingérence de la bureaucratie de l’Union européenne. Pourtant, nous vivons dans une société où les termes même de “démocratie” et de “peuple” sont vides de sens. Nous vivons dans une société capitaliste fondée sur l’exploitation d’une classe par une autre. La classe exploiteuse détient la majeure partie des richesses, et l’État, ainsi que la classe politique, sont là pour garantir ses privilèges, tout comme les instruments de domination idéologique que sont la presse, la télévision, et les réseaux sociaux. Dans une telle société, le terme “peuple” sert à dissimuler ces divisions de classe, et celui de “démocratie” à masquer le fait que la classe dominante détient le monopole du pouvoir.
D’autre part, la classe exploitée, bien qu’elle représente la majeure partie de la population, n’est pas en mesure d’exprimer ses véritables besoins. En effet, ses efforts pour lutter contre sa propre exploitation sont soit réprimés par la force, soit domptés pour être intégrés à l’État : c’est là tout le rôle des syndicats et des partis “ouvriers” (tels que le Parti travailliste) depuis un peu plus d’un siècle.
Bien sûr, contrairement aux débuts du capitalisme, les ouvriers ne sont pas seulement autorisés à voter lors de référendums ou d’élections locales et nationales, ils y sont désormais exhortés. Pourtant, ils ne peuvent voter qu’en tant que “citoyens” atomisés, en tant que masse d’individus isolés les uns des autres ; le fait même de voter lors d’élections bourgeoises est devenu une expression de l’impuissance et de l’absence de conscience de la classe ouvrière, qui ne se reconnaît plus en tant que classe. De plus, les thèmes autour desquels sont organisés les élections, les référendums et les débats parlementaires montrent clairement que nous sommes sous la coupe d’un monopole idéologique. Pour ou contre le Brexit ? Pour prendre part à ce débat, il faut partir du principe que les intérêts de la nation, donc ceux de la “Grande-Bretagne”, sont également les nôtres. Pourtant, les ouvriers n’ont pas de patrie et la nation, tout comme le peuple, n’est qu’une communauté illusoire qui cherche à occulter d’irréconciliables divisions de classe. Pis encore : aucune des options issues du conflit sur le Brexit ne protégera les travailleurs des attaques (toujours plus nombreuses) contre leurs conditions de vie, celles-ci étant la conséquence de la crise économique mondiale. Si le Brexit se concrétise, il ne fait aucun doute que les travailleurs migrants subiront de violentes attaques, qu’ils soient en situation régulière ou non, comme l’attestent les récentes dispositions invitant les ressortissants européens résidant en Grande-Bretagne à obtenir un statut de résident permanent avant le 31 octobre : presque une garantie de nouveaux scandales “Windrush”. (3) Mais l’Union européenne, qui est censée défendre les droits des travailleurs, a déjà fait preuve de sa capacité à infliger une politique d’austérité draconienne à la classe ouvrière : le cas de la Grèce en est l’exemple le plus flagrant. (4)
La démocratie et la nation sont à notre époque ce que la religion était du temps de Karl Marx, alors qu’il inventait cette expression “d’opium du peuple”. La démocratie et les intérêts nationaux sont “l’arôme spirituel” de la société bourgeoise, “sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification”. (5) En d’autres termes, il est impossible de débattre en dehors des principes de la démocratie et de la nation, qui sont présentées comme des vérités absolues dans cette société, légitimant ainsi tous les sacrifices exigés au travail comme en temps de guerre.
Mais cet “arôme” s’est à présent transformé en relent nauséabond car le parlement, tout comme la société capitaliste, est une institution profondément décadente. Au temps de Marx et Engels, lorsque le capitalisme était encore dans sa phase ascendante, il paraissait cohérent de voir des partis ouvriers évoluer au sein de parlements bourgeois, puisque ceux-ci étaient le théâtre de réels conflits entre les secteurs progressistes et réactionnaires de la classe dominante. Il était alors encore envisageable de se battre au nom de la classe ouvrière pour des réformes durables. Mais de telles opérations ont toujours comporté le risque de corruption des représentants des ouvriers, qui sont devenus les principaux vecteurs du “crétinisme parlementaire”, avec la croyance que le capitalisme pouvait être dépassé par un simple vote pour les partis ouvriers dans les élections bourgeoises.
Dans le capitalisme décadent, où toutes les factions de la classe dominante sont autant réactionnaires les unes que les autres, il ne peut y avoir d’amélioration durable des conditions de vie. De plus, la profonde impuissance des procédures parlementaires face à la croissance de l’État totalitaire est devenue incroyablement évidente, particulièrement avec cette pantomime qu’est le Brexit.
L’impasse parlementaire ainsi que la montée du populisme, avec ses fausses critiques de “l’élite”, en a convaincu certains qu’il serait préférable d’avoir une “démocratie illibérale” où régneraient des “hommes forts” capables de faire avancer les choses. Pourtant, il s’agit là d’une fausse alternative pour la classe ouvrière.
En effet, l’histoire de la classe ouvrière a montré qu’il existait une autre voie. La Commune de Paris, en 1871, était déjà allée par-delà les limites du parlementarisme : ainsi, “au lieu de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante devait “représenter” et fouler aux pieds le peuple au Parlement”,(6) la population ouvrière commença à s’organiser de son propre chef en assemblées de voisinage, dont les représentants étaient non seulement élus et mandatés, mais pouvaient être révoqués à tout moment. En Russie, les soviets ou conseils ouvriers qui émergèrent en 1905 et en 1917 poussèrent un peu plus loin ce concept puisque les assemblées ouvrières prenaient désormais place au sein même des usines et autres lieux de travail, dessinant de manière plus claire encore que ne l’avait fait la Commune le pouvoir prolétarien.
Pendant la vague mondiale de mouvements révolutionnaires entre 1917 et 1921, les conseils ouvriers surgirent en opposition directe aux institutions parlementaires (et syndicales) ; et la bourgeoisie le comprit très bien. Elle fit en effet tout son possible pour annexer les conseils (surtout en Allemagne où le sort de la révolution mondiale devait être décidé) afin de les transformer en un appendice impuissant du parlement et du gouvernement local, et pour écraser violemment toute tentative de restaurer leur réel pouvoir, comme ce fut le cas à Berlin en 1919.
La démocratie capitaliste a démontré qu’elle était l’ennemie jurée de la révolution prolétarienne et de l’émancipation des exploités. Le but de cette révolution est de créer une société dans laquelle les classes n’existeront plus. Alors, pour la première fois, il serait cohérent de parler de “peuple” ou, mieux encore, d’humanité unifiée. Une véritable communauté humaine n’aura nul besoin de ce que les Grecs appelaient kratos, ni d’aucune sorte d’État ou de pouvoir politique.
Amos, 7 septembre 2019
1 Spiked est un webmagazine sociétal et politique anglais. Lors de la campagne sur le Brexit, de nombreux militants de ce journal ont rejoint le Parti du Brexit de Nigel Farage et ont fait campagne à ses côtés. (Note du traducteur)
2 Terme péjoratif désignant les partisans du maintien dans l’UE (Remainers), il provient de la contraction des mots remain et moaner (râleur). (Note du traducteur)
3 Dans la période qui suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Grande-Bretagne, dévastée et en manque de main-d’œuvre, fit émigrer de nombreux caribéens sur son territoire. Ces derniers, jusqu’en 1971, devinrent automatiquement des citoyens britanniques, mais sans qu’aucun papier officiel ne leur soit délivré. En 2012, Theresa May, alors ministre de l’Intérieur, lance une chasse aux migrants illégaux. La génération “Windrush”, dépourvue de papier attestant de sa nationalité britannique, est alors menacée d’expulsion. Le scandale éclate en 2017 et oblige May à mettre en place un programme pour régulariser la situation de ces milliers de personnes. Cette année encore, les expulsions de la génération Windrush continuent. (Note du traducteur)
4 En effet, l’aile “gauche” du gouvernement, SYRIZA (qui se présentait comme un parti anti-austérité), a appliqué les privations et serrages de ceinture demandés par l’Union européenne.
5 Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (1843).
6 Marx, La Guerre civile en France (1871).
Après un demi-siècle de contre-révolution qui permis notamment à la bourgeoisie de plonger une seconde fois l’humanité dans les atrocités de la Guerre mondiale, le prolétariat relevait enfin la tête face aux premières expressions d’une nouvelle crise économique ouverte. C’était Mai 68 en France et ces millions d’ouvriers en grève qui retrouvaient le chemin de la lutte de classe, non pas sous l’égide des syndicats ou du parti stalinien (le PCF), mais spontanément. Cette lutte ne s’arrêta cependant pas aux frontières de la France. Elle anticipa d’innombrables mouvements de lutte en Europe et ailleurs : l’Argentine ou l’Allemagne en 1969, la Pologne en 1970, l’Espagne et le Royaume-Unis en 1972. Cette vague trouva même un écho en Israël en 1969 et en Égypte en 1972.
Si la postérité ne retient que son “automne chaud”, l’Italie connue également une explosion de combativité de 1968 à 1969. Ces deux années ont indéniablement représenté un moment spectaculaire de la reprise de la lutte de classe au niveau international. Mais comme pour le “Mai français”, la bourgeoisie n’a de cesse d’escamoter les véritables leçons du “Mai rampant” en Italie, le réduisant bien souvent à un simple “mouvement étudiant”.
Pourtant, il est aujourd’hui indispensable au prolétariat de tirer le maximum de leçons de son expérience historique, des leçons sur lesquelles les futurs assauts du prolétariat pourront s’appuyer afin de déjouer les pièges tendus par la classe dominante qui, elle, comme le montre très bien “l’automne chaud”, apprend en permanence de ses erreurs. Par ce qu’il a représenté en termes de combativité, tout comme par ses faiblesses, le “Mai rampant” italien demeure une arme précieuse pour le prolétariat. C’est pourquoi nous republions ici une série d’article parus dans la Revue internationale à l’occasion des quarante ans de cette événement :
À la veille des élections du 28 avril, déjà nous dénoncions l’incessante répétition de convocations électorales, “ce n’est absolument pas un exercice de souveraineté populaire mais l’expression d’une crise croissante de l’appareil politique de la bourgeoisie espagnole, incapable de trouver la stabilité et qui se voit constamment sabotée par l’indiscipline de ses différentes fractions”. Et à peine six mois plus tard : record battu ! On s’achemine, pour le 10 novembre, vers les quatrièmes élections en quatre ans. Pour autant que la bourgeoisie espagnole se trouve dans le top mondial du blocage politique, ce même phénomène d’indiscipline dans l’appareil politique de l’État capitaliste peut se voir dans la vieille bourgeoisie britannique ou dans le surgissement de courants populistes en Allemagne, en Italie, en France, etc. Nous parlons d’un phénomène qui dépasse le simple niveau local ou personnel et qui, au contraire, est l’expression de l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme dans sa période actuelle de décomposition. (1)
Dans cette période, ce qui prédomine dans la vie politique de la bourgeoisie c’est l’enlisement de la situation, le blocage, les alliances de circonstances, la plus grande volatilité et l’inconsistance de celles-ci. C’est pour cela que, avant même l’ouverture des urnes pour les élections générales du 28 avril, nous avions pu pressentir que “Peut-être que le PSOE aspire à profiter de l’effondrement de Podemos pour rendre inéluctable un gouvernement entre “ces beaux messieurs” Sánchez (PSOE) et Rivera (Ciudadanos, centre droit) (ce qui semble être l’union la plus heureuse entre les financiers et les grands capitalistes), comme ce qu’il avait déjà tenté en 2015, et avait échoué du fait du sabotage de Podemos. (…) Peut-être reviendrons-nous au point de départ avant cet appel électoral et que sera rééditée, quoique dans l’ombre, la coalition qui a appuyé la motion de censure. (2) Peut-être le contraire se produira-t-il, et que la coalition qui a soutenu l’application de l’article 155 de la Constitution en Catalogne s’installera. (3) Peut-être qu’il ne se passera rien et que nous entrerons dans une longue période au cours de laquelle il n’y aura aucune possibilité de former un gouvernement, et de nouvelles élections devront avoir lieu. Ce qui est absolument certain, c’est que cette tendance à l’enlisement, au chaos et à l’instabilité va s’accélérer”.
Et maintenant ? Rien ne permet de voir un horizon différent. Il se peut que le PP, réhabilité maintenant comme un parti sérieux (au pays des aveugles, le borgne est roi) récupère des sièges aux dépens d’un Ciudadanos qui se perd en revirements incongrus et d’un Vox qui s’est révélé n’être qu’une marionnette agitée par le PSOE, profitant de la peur du fascisme plutôt qu’une fraction fiable pour la bourgeoisie. Il se peut que le PSOE puisse profiter d’une nouvelle chute de Podemos, miné de l’intérieur (surtout dans leurs fiefs en Andalousie) et de l’extérieur (il semble que le moment est arrivé où le PSOE va réveiller ses cellules dormantes dans Podemos : Errejon et Carmena, mais aussi dans Compromis dans la Communauté valencienne (4), etc.) Rien n’est sûr. Tout est question du hasard des circonstances comme l’appui de partis nationalistes basques et catalans, eux non plus pas très fiables comme a pu le constater Rajoy à l’occasion de la motion de censure de mai 2018 et Pedro Sanchez avec le budget 2019. (5)
C’est ce sordide puzzle d’intérêts personnels, de “règlements de compte”, de coups de couteau dans le dos qui est en jeu pour ces élections. Tout cela ne peut produire que du dégoût et du ras-le-bol chez les exploités. C’est pour cela que la propagande de la bourgeoisie, en particulier celle des formations “de gauche”, essaye de nous convaincre que les élections sont “décisives” pour “barrer la route au fascisme”, “pour faire des politiques en pensant au peuple”, pour donner des “solutions progressistes” aux problèmes de la misère, de l’immigration ou du désastre écologique. Purs mensonges et criminelle illusion ! Avec le PSOE comme avec le PP, il y a eu des réformes du Code du travail que personne ne compte abroger. Avec Almeida (PP) ou avec Carmena (PCE) à la mairie de Madrid, des attentats urbanistiques spéculatifs, comme l’opération Chamartin à Madrid, (6) ont été perpétrés. Avec Bolsonaro ou avec Evo Morales, l’Amazonie brûle au profit des lois capitalistes de la marchandisation et de l’accumulation.
Dans un récent message sur les réseaux sociaux, Extinction Rebellion, l’une des plus radicales parmi les organisations qui appellent aux mobilisations contre la crise climatique, exige puisque “la maison brûle, qu’ils arrêtent de se battre pour l’extincteur”. Elle appelle également à ce que les groupes parlementaires se comportent en “adultes responsables” et qu’ils ne convoquent pas de nouvelles élections. On voit ainsi une nouvelle fois que l’objectif de ces organisations est de ramener au bercail de la mystification démocratique et électorale ceux qui ne croient plus en la politique bourgeoise, ceux qui pensent que l’État capitaliste ne peut agir de façon “responsable” face au désastre social, économique et environnemental, justement parce qu’il en est le responsable, c’est-à-dire, celui qui provoque cela.
La solution n’est ni dans les urnes ni dans les gouvernements ; la solution est dans la lutte massive et auto-organisée du prolétariat dans le monde entier. Nous consacrons toutes nos énergies à ce que cette lutte finisse par émerger et nous appelons tous les combattants de la classe ouvrière à orienter leurs activités dans ce sens.
Valerio, 20 septembre 2019
1 Cf. l’article en espagnol paru dans Acción Proletaria nº 234 : “Contre le spectacle répugnant de la politique bourgeoise : une réponse, la politique révolutionnaire du prolétariat [771]”.
2 Coalition de la gauche, des autonomistes, des nationalistes et des écologistes qui a provoqué la chute du gouvernement de droite de Rajoy en 2018. (Note du traducteur)
3 L’article 155 de la constitution espagnole donne au gouvernement le droit de prendre “toutes les mesures qui s’imposent pour maintenir l’unité nationale” (en suspendant tout ou partie des pouvoirs des communautés autonomes). L’application de cet article a été approuvée au sénat espagnol par le PP (droite), Ciudadanos (centre), Coalicion Canarias et le PSOE. (Note du traducteur)
4 Compromis : coalition des écologistes et des autonomistes de la Communauté Valencienne. (Note du traducteur)
5 Le budget de l’État 2019 n’a pas pu être voté par l’assemblée faute de majorité parlementaire, obligeant le gouvernement à reconduire le budget 2018 et à convoquer de nouvelles élections pour le 10 novembre 2019. (Note du traducteur)
6 Gigantesque projet urbanistique qui prévoit la construction de 10 476 logements. (Note du traducteur)
La chute du mur de Berlin a 30 ans. Et la bourgeoisie s’est une nouvelle fois mobilisée pour entretenir son grand mensonge. Films documentaires, émissions radios, journaux télévisés, articles de presse, commémorations publiques... autant de moyens mis à disposition pour répéter inlassablement que la chute du mur, le 9 novembre 1989, fut le symbole même de la “faillite du communisme”. Or, comme nous l’avons toujours défendu, les régimes stalinistes du bloc de l’Est n’ont jamais incarné en aucune façon la société communiste mais une forme particulière de capitalisme d’Etat.Alors que le vingtième anniversaire avait été “célébré” en grandes pompes par la classe dominante, tout particulièrement en Europe, les commémorations actuelles prennent une forme beaucoup plus sobre. Et pour cause ! La bourgeoisie peut bien se creuser la cervelle, il lui est désormais beaucoup plus difficile d’entretenir l’illusion d’un monde voguant vers le progrès universel sous les bienfaits de l’économie de marché capitaliste et de la démocratie comme elle a pu le clamer haut et fort au cours des années 1990.Ce qui ne l’empêche pas de renforcer sa propagande en utilisant notamment la percée des partis populistes dans plusieurs pays de l’ancien bloc de l’Est. “À l’avenir, il faut s’engager pour la démocratie, la liberté, les droits de l’Homme et la tolérance”, lançait Angela Merkel, ce 9 novembre, lors de la cérémonie de commémoration. La démocratie en péril ? Il faut à tout prix la défendre nous disent les valets politiques de la bourgeoisie. Défendre ce système qui aurait servi de bulldozer pour la destruction du Mur et la chute du bloc de l’Est, c’est ce que ne cessent d’affirmer les médias depuis des semaines. À les en croire, la chute du mur de Berlin serait en réalité le produit d’un vaste mouvement démocratique qui aurait pris sa source en Pologne en 1980 avec la création de Solidarnosc. La belle et grande démocratie aurait donc eu raison de la “barbarie communiste” et c’est de la même façon qu’il faudrait la défendre aujourd’hui devant la montée des gouvernements populistes.Devant ses flots de mensonges, nous republions, sur notre site internet, plusieurs articles de notre presse qui reviennent sur ces évènements, permettant ainsi de remettre la vérité historique sur ses deux pieds.
• Il y a 20 ans, la chute du mur de Berlin [772] (Révolution internationale n° 405)
• Pourquoi les médias ont-ils autant parlé de la chute du mur de Berlin ? [773] (Révolution internationale n° 407)
• Le syndicat “Solidarnosc” : un fidèle serviteur de l’Etat bourgeois [774] (Révolution internationale n° 361).
Cinquante ans après les mobilisations ouvrières dans la ville de Cordoba en Argentine, nous revenons sur ces événements pour contribuer à une réflexion sur leur signification réelle, car ce sont ces mêmes cinquante années que l’appareil de gauche du capital a mis à profit pour inventer des versions mensongères de ces événements afin d’empêcher la classe ouvrière de tirer les leçons de l’expérience laissée par ces journées de lutte. Le fait que les travailleurs soient descendus dans la rue pour clamer leur rejet de la bourgeoisie argentine qui était alors gouvernée par une dictature militaire, a été utilisé pour affirmer qu’ils étaient à la recherche d’une voie démocratique pour le pays. D’autres versions, défendues par des organisations bourgeoises, comme le péronisme, dénaturent la protestation ouvrière, la présentent comme quelque chose qui les “auraient sensibilisés” et leur aurait fait changer d’attitude à l’égard du prolétariat, les amenant à intégrer des revendications “de classe” dans leur programme. Bon nombre de ces falsifications se réfèrent à ces événements pour chercher à effacer les actions spontanées et combatives que les travailleurs ont menées, dépassant le contrôle syndical, pour les transformer en “détonateur” des expressions syndicales radicales et même des activités terroristes et de guérilla des années 1970.
Le Cordobazo, tout comme Mai 1968, [1] ont marqué la fin de la période de plus de quarante ans de contre-révolution qui s’était installée après la vague révolutionnaire de 1917 à 1923. Pour expliquer ce processus, nous nous arrêterons un peu sur l’évolution historique qui donne un cadre aux mobilisations ouvrières d’il y a un demi-siècle.
Contrairement à la réponse révolutionnaire que la classe ouvrière a apportée lors de la Première Guerre mondiale (qui avait contraint la bourgeoisie à mettre fin à ce carnage), le prolétariat s’est avéré incapable de s’opposer aux actions belliqueuses du capital dans la mesure où non seulement il avait été physiquement écrasé par le stalinisme et le fascisme, mais aussi laminé par l’idéologie bourgeoise qui a su le piéger et le soumettre derrière la bannière de l’antifascisme et de la défense de la démocratie.
Il est nécessaire d’expliquer que la période entre 1917 et 1923 représentait l’apogée d’une immense vague révolutionnaire mondiale, principalement marquée par la révolution en Russie et en Allemagne, vague qui était encore perceptible en 1927 avec les insurrections de la classe ouvrière de Shanghai et Canton en Chine. La série de défaites subies par la classe ouvrière au cours de cette période a ouvert les portes à la Seconde Guerre mondiale et à l’établissement d’une terrible et profonde période contre-révolutionnaire, qui a duré jusqu’en 1968.
La victoire de la contre-révolution a empêché la classe ouvrière de répondre de manière massive et organisée aux coups de la crise de 1929. Au contraire, elle s’est traduite par un affaiblissement et une démoralisation grandissante du prolétariat. La confusion et la perte de confiance dans ses forces se sont approfondies avec la préparation de la guerre par les puissances impérialistes, parce que ces préparatifs impliquaient non seulement la militarisation de l’économie, mais aussi la mise en œuvre de vastes campagnes idéologiques dans lesquelles la classe dominante a pu présenter l’État capitaliste comme une entité “bienfaisante” et la défense de la patrie comme le grand idéal. C’est ainsi que ces campagnes sont parvenues à enrôler le prolétariat derrière les drapeaux de la bourgeoisie et à le jeter à nouveau dans une féroce nouvelle boucherie mondiale.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une croissance relative de l’économie mondiale et s’est ouverte la période de la Guerre froide entre les blocs impérialistes de la Russie et des États-Unis. Ce qui a donné à la bourgeoisie l’occasion de poursuivre et d’approfondir sa campagne idéologique, ajoutant cette fois à son discours l’affirmation que le capitalisme était le seul système économique solide capable de procurer des avantages pour tous à travers une politique d’extension du “bien-être social” en faveur de laquelle elle invoquait aussi la nécessité de se mobiliser autour de “l’unité nationale”. Dans de telles circonstances, des sociologues et des intellectuels de gauche comme de droite ont proclamé “que les ouvriers s’étaient intégrés à la société de consommation”, ce qui signifiait que le capitalisme aurait trouvé la formule pour se perpétuer et pour annihiler politiquement la classe ouvrière.
Mais la crise économique que les théoriciens de la bourgeoisie prétendaient avoir bannie, est réapparu vers la fin des années soixante, la bourgeoisie avait donc besoin d’augmenter les taux d’exploitation et d’attaquer davantage les conditions de vie des travailleurs. C’est pourquoi les divers problèmes économiques qui sont apparus à travers la planète ont clairement montré que le capitalisme ne pouvait pas échapper à la crise. Mais, en même temps, à mesure que cette crise s’est étendue et s’est approfondie, elle a servi d’aiguillon à la lutte de la classe ouvrière, lui permettant ainsi de retrouver son identité de classe et de rétablir la confiance dans ses propres forces. Les grèves massives de Mai 1968 en France ont ainsi marqué la fin de la période de contre-révolution et le début d’une nouvelle vague de mobilisations ouvrières.
Parmi les expressions ouvrières les plus significatives qui composent cette vague de luttes, il y a eu l’automne chaud italien de 1969 [2] mais aussi, cette même année, les mobilisations des travailleurs en Israël et évidemment le soulèvement de Cordoba en Argentine. Ces expressions de combativité se sont ensuite poursuivies en Pologne en 1970, en Espagne, en Égypte et en Grande-Bretagne en 1972…
Puis, au milieu des années 1970, les mobilisations se sont poursuivies et n’ont cessé d’être présentes jusqu’à la fin des années 1980. Parmi les mobilisations ouvrières les plus importantes de cette période figurent la grève massive en Pologne (1980) [3] et la grève des mineurs en Grande-Bretagne (1984-85). [4]
Toutes ces manifestations ont démontré une renaissance de la combativité de la classe ouvrière ; le surgissement d’assemblées générales et de comités de grève apparaît comme une reprise de l’expérience des conseils ouvriers… Mais tandis que la conscience et la combativité des ouvriers se rétablissaient, la bourgeoisie poursuivait son attaque contre les ouvriers, à travers les mensonges et les manœuvres de son appareil de gauche et de ses syndicats (tant à travers les syndicats officiels qu’à travers les prétendus “syndicats indépendants”).
Les grèves en Pologne et en Grande-Bretagne illustrent précisément comment la bourgeoisie a affronté les prolétaires. Elle a sans aucun doute pu compter sur la force de ses appareils de répression, mais surtout sur le sabotage de la lutte à travers ses partis et ses syndicats : en Grande-Bretagne, le Syndicat national des mineurs a eu une intervention active pour faire durer et isoler la grève et en Pologne, pour reprendre le contrôle de la lutte face aux assemblées générales souveraines et aux comités de grève des ouvriers, a été promue la formation du syndicat Solidarność.
De cette façon, le Cordobazo ne peut pas être considéré comme une expression isolée qui ne répond qu’aux “affaires argentines”, il fait partie d’une réponse internationale du prolétariat. Au contraire, c’est une lutte qui a réussi à développer une grande combativité malgré la présence à la fois du sabotage syndical et de la répression féroce de l’État.
Ainsi, la réapparition de la crise économique à la fin des années soixante a non seulement rompu la mystification de la croissance perpétuelle du capitalisme, mais aussi en poussant les prolétaires du monde à développer ses luttes, a mis un terme à la période de contre-révolution.
Le processus d’industrialisation de l’Argentine s’est distingué par un rythme plus actif que celui des autres pays d’Amérique latine, puisqu’il s’est formé et s’est étendu dès les dernières décennies du XIXe siècle, ce qui explique que la classe ouvrière ait également étendu sa présence sur la scène sociale. Le développement de l’accumulation du capital exigeait une main-d’œuvre largement couverte par l’afflux de travailleurs migrants d’Europe. Cela a permis à la bourgeoisie d’avoir une main d’œuvre qualifiée. Par ailleurs, cette masse de travailleurs exploités, en s’intégrant dans la vie sociale argentine, a transmis son expérience politique antérieure, aidant par certains aspects, à l’orientation et au développement de la combativité des travailleurs. [5]
Au XXe siècle, cette dynamique du capital s’est maintenue et s’est même accélérée dans les moments historiques “décisifs”, comme lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est au cours de ces périodes que l’industrie s’est développée dans toute l’Argentine, certaines villes devenant de grands pôles industriels avec une forte concentration de travailleurs. [6]
Mais ce processus dynamique d’accumulation s’est heurté aux limites de sa propre croissance. Si nous remontons à 1929, lorsque la crise économique a éclaté et s’est répandue dans le monde entier, nous constatons que l’économie argentine a également été affectée et dominée par la crise, mais ses effets et ses conséquences se sont amplifiés à cause du manque d’unité politique au sein de la classe dominante. C’est pourquoi certains secteurs de la bourgeoisie ont poussé à des coups d’État militaires successifs pour renforcer l’unité et le contrôle social qui leurs permettraient de résister dans ces moments critiques.
Ainsi, c’est à travers un coup d’État, qu’un gouvernement militaire s’est imposé sous la direction de José Uriburu (en septembre 1930) qui s’est donné pour tâche d’établir une politique de répression féroce contre les mobilisations ouvrières qui tentaient de répondre à la dégradation de leurs conditions de vie. Il ne suffisait pas que le nouveau gouvernement applique des mesures qui attaquaient davantage les salaires pour faciliter l’apport de nouvelles ressources fiscales et octroyer de nouveaux crédits pour la protection du capital national, il devait imposer sa force et son pouvoir par la persécution et la répression… mais pour éviter la riposte des travailleurs, il fallait aussi renforcer la structure des syndicats.
Ainsi, dans le contexte de l’expansion de la crise capitaliste de 1929 et de l’avancée de la contre-révolution dans le monde, la bourgeoisie argentine a cherché à renforcer son appareil politique syndical en se dotant politiquement d’un “grand” appareil centralisé afin d’assurer son contrôle sur les travailleurs. Ce projet s’est concrétisé le 27 septembre 1930 par la formation de la Confédération générale des travailleurs (CGT). C’est précisément la tâche que cette centrale syndicale va accomplir :
– faire campagne au sein de la classe ouvrière en faveur du gouvernement militaire afin de lui donner une certaine crédibilité ;
– contrôler le mécontentement prolétarien face aux mesures d’austérité imposées par l’État, ainsi que faire baisser le coût de la main-d’œuvre.
C’est pourquoi, dès son origine et dans son action quotidienne, la CGT se montrera comme une structure bourgeoise opposée aux travailleurs. Pour les convaincre, elle utilise un langage radical, mais elle accomplit en même temps son travail de sabotage contre le prolétariat. C’est la dynamique d’industrialisation qui a rendu la présence de la CGT plus importante pour le capital ; il n’est pas surprenant que ce soit au milieu des années 1940, avec le gouvernement Perón (qui avait pour mission de piloter cette phase d’industrialisation alors que le pays était auparavant dépendant de ses importations) que la CGT s’est alors renforcée et est devenue l’épine dorsale des politiques gouvernementales et le principal vecteur de l’idéologie péroniste, [7] qui étaient l’expression même de la domination du capital. De telle sorte que la présence d’une classe ouvrière en pleine expansion a conditionné la nécessité pour l’État bourgeois de renforcer son bras armé syndical, en créant quand il en avait besoin, autour de la CGT, des structures “alternatives”, avec des discours plus “radicaux” à travers lesquelles il a pu instaurer un partage des tâches afin de renforcer le contrôle de l’État sur les travailleurs.
En 1966, en tant que produit d’une nouvelle fracture interne de la bourgeoisie, mais surtout en réponse à la “doctrine de sécurité nationale” promue par les États-Unis, dans le cadre de la “guerre froide”, les forces militaires opèrent à nouveau un coup d’État. Profitant du discrédit des partis, des députés et des autres personnalités du pouvoir, l’armée se présente à nouveau comme une alternative dans la défense des “valeurs nationales” et de la sécurité, c’est pourquoi elle baptise ce projet “révolution argentine”, réalisant en peu de temps l’unification de la bourgeoisie et la petite bourgeoisie.
La CGT apporte ouvertement son soutien [8] au gouvernement militaire d’Onganía, réaffirmant que ses intérêts sont du côté de la bourgeoisie et que sa tâche est de soumettre les travailleurs. La cohésion que la bourgeoisie a essayé d’assurer avec la soi-disant “révolution argentine” s’est fragilisée à mesure que la crise économique avançait. Dans ces conditions, l’État développe encore davantage sa politique “anti-récession”, ce qui implique des attaques croissantes contre les travailleurs, rendant ainsi les services de la CGT encore plus nécessaires.
La défense éhontée du gouvernement militaire a usé le syndicat et l’a rendu beaucoup moins crédible aux yeux des travailleurs. C’est pourquoi la bourgeoisie elle-même a poussé à la création d’une structure syndicale “alternative” ; la CGT des Argentins (CGT-A) fut fondée en 1968. Ainsi, tandis que la CGT officielle (dirigée par Augusto Vandor), avec un discours modéré tentait de calmer le mécontentement social général, la CGT-A (dirigée par Raimundo Ongaro), gagnait une influence croissante parmi les secteurs prolétariens qui cherchaient à échapper à la domination du syndicat officiel.
Les documents politiques de la CGT-A contenait des déclarations rédigées dans un langage “radical”, ce qui permettait de masquer ses actions orientées vers la défense du capital ; par exemple, elle présentait les intérêts de la classe ouvrière comme unis à ceux de la bourgeoisie, justifiant ainsi son appel à la défense du capital national : “L’écrasement de la classe ouvrière a été accompagné par la liquidation des entreprises nationales, la reddition de toutes ressources, la soumission aux organisations financières internationales”. Dans les paragraphes qui suivent, elle complétait sa position : “Les secteurs fondamentaux de l’économie appartiennent à la Nation. Le commerce extérieur, les banques, le pétrole, l’électricité, le fer et l’acier et les réfrigérateurs doivent être nationalisés”. (Message de la CGT-A du 1er mai 1968 aux travailleurs et au peuple, pour définir son “programme”).
Il n’est pas du tout surprenant que le “caudillo” Perón, alors exilé, ait reconnu l’importance politique de la CGT-A et l’ait poussée à affronter la CGT de Vandor. Ce n’est pas seulement parce que Vandor avait mis en cause la direction du “parti justicialiste” de Perón, postulant la création d’un “péronisme sans Perón”, mais aussi parce que sa phraséologie radicale constituait un meilleur camouflage pour impliquer les travailleurs dans la défense du capitalisme.
Dans la formation de cette CGT “combative” (comme la CGT-A se désignait elle-même), collaboraient des personnages issus du milieu intellectuel radicalisé d’origine petite bourgeoise et même des prêtres catholiques du “Mouvement des prêtres pour le Tiers Monde”. Un grand nombre d’ouvriers s’y était engagé sincèrement (mais avec beaucoup de confusion), ce qui ne changeait en rien le caractère bourgeois de cette structure ; les syndicats sont précisément des armes indispensables pour la bourgeoisie parce que c’est à travers eux qu’elle peut pénétrer dans les rangs des ouvriers, tout en arborant un visage combatif pour cacher sa nature, celle d’un rouage de plus dans la machine étatique bourgeoise.
L’accession au pouvoir du gouvernement militaire d’Onganía était présentée comme une réponse politique de la bourgeoisie à la fois face à la rupture de son unité et face à la montée de la crise économique. C’est pour cela que le gouvernement concentrait ses efforts sur l’amélioration des mécanismes d’exploitation et de soumission des travailleurs, conduisant à une plus forte dégradation de leur niveau de vie, à une surveillance policière encore plus stricte de la vie sociale et à une répression féroce des manifestations des travailleurs (et des étudiants). La répression devint une constante du régime et progressa, prenant des dimensions plus importantes se traduisant à chaque occasion par un nombre croissant d’emprisonnés, de blessés et de morts.
Mais la terreur de l’État n’a pas réussi à intimider et à paralyser les travailleurs ; au contraire, elle a nourri leur courage et leur combativité, bien que cette atmosphère de lutte ait également été mise à profit par les partis maoïstes, staliniens, trotskystes et péronistes, pour recruter bon nombre d’étudiants et de jeunes travailleurs. Ainsi, malgré la pratique répressive de l’État, l’action syndicale, l’action de la gauche et des gauchistes, certains secteurs du prolétariat argentin ont pu développer une discussion et une réflexion sur le sens des mesures économiques et les politiques appliquées par le gouvernement, mais aussi sur la possibilité et la nécessité de la révolution. [9]
À la fin des années 1960, l’Argentine avait des villes très industrialisées (comme Buenos Aires, Rosario et Cordoba), dans lesquelles se concentraient de larges masses de travailleurs, faisant preuve d’une grande combativité dans leurs mobilisations. C’est précisément cette combativité ouvrière qui a commencé à prévaloir en 1966 et qui apparaît comme une caractéristique dominante des luttes en réponse aux attaques de la bourgeoisie et de son État.
C’est surtout au cours de l’année 1969 que cela s’est manifesté quand les attaques ont pris une tournure plus féroce et où toute manifestation de rue était brutalement réprimée. Par exemple, dans les provinces de Corrientes et de Rosario, les mobilisations étudiantes qui protestaient contre l’augmentation des prix de la cantine universitaire se sont terminées, dans les deux cas, par des attaques policières, laissant sur le carreau des étudiants assassinés et blessés. Ces événements ont suscité la consternation parmi les travailleurs, mais en même temps, ils sont devenus des éléments qui ont servi de catalyseurs aux attitudes courageuses et aux expressions de solidarité.
À Cordoba, en mai 1969, le mécontentement des travailleurs s’était accru en réponse aux mesures économiques violentes et aux actes répressifs : début mai, les transporteurs se sont mis en grève pour de meilleurs salaires. Dans les usines automobiles, depuis 1968, les travailleurs étaient licenciés et l’intensité des cadences augmentait, mais en 1969, les patrons annonçaient que, pour les travailleurs des secteurs de la métallurgie et de l’automobile, le “repos du samedi après-midi ” serait supprimé, ce qui impliquait l’extension de la journée de travail du samedi (4 heures supplémentaires non payées). Cette mesure s’est accompagnée de la réduction directe du salaire (due à l’effet des “quitas zonales”). [10] Dans les autres entreprises, le gel des salaires, appliqué depuis 1967 était maintenu…
Le 14 mai, les métallurgistes étaient attaqués par la police alors qu’ils tenaient une assemblée générale déclenchant de violents combats de rue, démontrant et confirmant le courage et la combativité des ouvriers. Les syndicats ne cachaient pas leur inquiétude face à cette combativité croissante qui menaçait de déborder leur contrôle, c’est pourquoi les deux CGT cherchaient dès lors à travailler ensemble.
Afin d’éviter que le mécontentement croissant des travailleurs n’échappe au contrôle syndical, la CGT-A, de concert avec la CGT de Vandor, appelèrent à un arrêt de travail national de 24 heures pour le 30 mai. Les syndicats cordouans [11], pour leur part, dans une sorte de compétition avec les structures bureaucratiques de la CGT et même de la CGT-A (à laquelle la plupart des syndicats de Cordoba étaient rattachés), proposèrent de commencer la grève le 29 mai à 11 heures et de la terminer 37 heures plus tard, cherchant ainsi à gagner en prestige parmi les travailleurs et en même temps à montrer à la direction des deux centrales leur pouvoir local afin de renforcer leur présence et de monter en grade dans la hiérarchie syndicale.
L’appel à la mobilisation était contrôlé par le syndicat. Même l’arrestation du péroniste Raimundo Ongaro deux jours avant la grève a alimenté le mécontentement dont les syndicats ont pu profiter.
Ainsi, la structure syndicale couvrait différents flancs pour assurer leur contrôle sur la combativité des travailleurs. Elle associe la “radicalité” de la CGT-A à l’attitude “mesurée et légaliste” de la CGT, mais aussi les syndicats qui étaient restés en dehors de l’appel des deux centrales CGT (comme ce fut le cas par exemple pour ceux de la Fiat) ont également pu jouer leur rôle.
Alors que certains syndicats tentaient d’empêcher les travailleurs de participer à la grève, les syndicats locaux dans différentes industries appelaient à la mobilisation, essayant comme toujours de limiter ces mobilisations à de simples processions, occupant les rues mais de manière dispersée, maintenant d’ailleurs (sous la supervision même des syndicats) une division syndicale reproduisant la division du travail dans la production capitaliste. Cependant, en cette occasion, ils ne purent pas contenir l’expression de colère prolétarienne sur son propre terrain de classe.
La proposition qui s’était dégagée de la réunion syndicale était que dès le matin du 29 mai, les différents contingents de travailleurs et d’étudiants quitteraient les portes des différentes usines pour avancer, formant des contingents dispersés, jusqu’à leur arrivée devant les locaux de la CGT (situés avenue Vélez Sarsfield).
Le premier aspect frappant fut la réponse massive des travailleurs ; non seulement les ouvriers des usines et des grandes fabriques se sont mobilisés, mais aussi travailleurs des petits ateliers qui rejoignirent spontanément la manifestation et même de nombreux travailleurs de Fiat, dans l’usine où le syndicat s’était ouvertement opposé à la grève. Les étudiants ont également quitté leur université et se sont massivement intégrés à la manifestation en soutien aux travailleurs, de sorte que pratiquement l’activité de toute la ville était arrêtée.
Dès les premières heures du 29 mai, la police avait encerclé l’avenue Velez Sarsfield pour empêcher l’arrivée de groupes de travailleurs, dans les diverses rues adjacentes et les quartiers près des zones industrielles, le gouvernement déployait ses escadrons de gendarmerie et de cavalerie, qui ont commencé très tôt leur travaille d’intimidation, essayant d’empêcher la progression des colonnes de travailleurs. Mais c’est dans les rues du centre de la ville que les combats les plus acharnés eurent lieu.
Quand la police vit la manifestation s’approcher du point de ralliement, elle attaqua d’abord avec des gaz lacrymogènes, puis elle lança ses escouades de la police montée. Avec ces assauts, elle réussit à disperser quelques groupes de manifestants, mais bientôt les manifestants se regroupèrent à nouveau, réagissant avec beaucoup de courage face à cette agression. Des bâtons et des pierres ont été utilisés par les manifestants contre les forces de répression. La massivité de la manifestation réussit à repousser l’agression, mais les policiers, incapables d’imposer l’ordre, tirèrent profit de leur armement, de sorte qu’ils n’utilisèrent plus seulement leurs “armes dissuasives”, mais leurs fusils et pistolets pour tirer contre les masses, blessant plusieurs ouvriers et assassinant Máximo Mena, [12] un jeune travailleur de IKA-Renault.
La mort de leur camarade, au lieu de provoquer la panique, encouragea la solidarité des ouvriers et leur détermination. Les travailleurs construisirent spontanément des barricades et organisèrent des assemblées générales dans les rues et à l’intérieur des barricades elles-mêmes, auxquelles participaient les travailleurs sans distinction de l’usine dans laquelle ils travaillaient, en intégrant également les étudiants et les habitants des quartiers eux-mêmes, dans un grand élan unitaire où s’exprimait une forte solidarité. Selon le témoignage d’un ouvrier qui a participé à ces batailles : “La réaction des gens a été remarquable, ils sont sortis pour nous donner du matériel (pour allumer les feux qui aident à diminuer l’effet des gaz lacrymogènes), les femmes, y compris les femmes âgées, nous ont donné des allumettes, des bouteilles pour nous défendre, et même des bâtons”. [13]
L’appareil d’encadrement syndical, malgré tous les efforts déployés pour faire cesser les affrontements, n’a pas réussi son coup et a regardé avec horreur la manifestation qu’il espérait contrôler se transformer en rébellion ouvrière massive.
Certains “chefs syndicaux” ont avoué leur impuissance face à la force ouvrière qui s’élevait de façon autonome comme ce fut le cas d’Agustín Tosco, du syndicat d’entreprise Luz y Fuerza, qui déclarait aux journalistes de la revue Siete Días : “Le peuple est sorti pour les siens, maintenant personne ne le dirige” et toute son amertume ressortait lorsqu’il a ajouté : “Tout est devenu incontrôlable !” [14] La structure syndicale de l’UOM (dirigée par le péroniste “modéré” Atilio López), s’était aussi rendu compte que les travailleurs s’étaient libérés de leur contrôle. Ses dirigeants ont donc pris la fuite et ses membres se sont “séparés”, chacun essayant d’obtenir le pardon de l’État et de sauver sa propre peau…
Après quelques heures de combats acharnés dans les rues de Cordoba, les exploités parvinrent à faire reculer et même obtinrent le retrait d’une grande partie des forces répressives qui se retranchèrent dans leurs casernes. Ceux qui restaient sur le terrain poursuivaient le combat dans des quartiers plus excentrés, mais sans pouvoir franchir les barricades. Par désespoir et esprit de revanche, la police s’attaqua à la population qui ne s’était pas associée à la manifestation, mais qui avait eu le malheur de croiser son chemin.
Dans le quartier de Clínicas, des groupes composés principalement d’étudiants furent placés sur les toits des maisons d’où ils tiraient des coups de feu dissuasifs pour empêcher l’avancée de la police. Tard dans la nuit, les ouvriers coupaient les lumières, créant une obscurité qui gênait la circulation de la police et de l’armée qui étaient arrivées dans la ville dans l’après-midi et préparaient l’assaut.
Les escadrons militaires entreprirent la lente progression à travers la ville jusqu’au petit matin du 30 mai comme ils trouvaient encore des barricades dans lesquelles les prolétaires tentaient de se défendre. Mais la soldatesque finit par s’imposer et par prendre la ville militairement, ce qui lui permit d’établir le “couvre-feu” et de procéder à la détention massive des ouvriers et étudiants, la plupart jugés en comparution immédiate devant les tribunaux militaires improvisés pour la circonstance.
Les journées de combat de mai 1969 ont déclenché une vague de luttes en Argentine jusqu’au milieu des années 1970. Mais à la différence de la bourgeoisie qui, comme le disait Marx, dans sa lutte contre l’ancien système dont “les révolutions progressent rapidement en volant de succès en succès”, les prolétaires au contraire avancent dans l’histoire de manière beaucoup plus heurtée et difficile, “en remettant constamment en cause leur pratique, interrompant à chaque instant leur propre cours, revenant sur ce qui semblait déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillant impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives”.[15] Ils le font parce que c’est une classe sociale qui n’a aucune emprise économique sur ce système, sa force vient seulement de son degré de conscience et de son organisation et ils ne peuvent se renforcer qu’à travers l’évaluation de leur propre pratique et de leur expérience, en récupérant les leçons de tous leurs combats et plus encore de leurs défaites. En ce sens, quand nous appelons à nous souvenir du Cordobazo, ce n’est pas pour en faire une apologie excessive ou aveugle, pour en tirer un discours larmoyant et émouvant ou un hommage formel pour commémorer un anniversaire, nous devons nous en souvenir 50 ans après parce que la classe exploitée en Argentine a démontré la force que peut représenter le prolétariat quand il parvient à briser les chaînes qui le soumettent aux syndicats et aux partis de gauche comme de droite du capital. C’est une grande leçon que le prolétariat du monde entier doit récupérer, mais en même temps, il a besoin d’en faire un examen critique en montrant ses faiblesses, comme par exemple :
– Le soulèvement ouvrier du 29 mai s’est manifesté comme une réponse spontanée et consciente aux attaques du capital, une expression importante mais à peine balbutiante de la renaissance de la lutte contre le capitalisme, dans la mesure où il a réussi à réveiller la combativité, à encourager la solidarité et à retrouver confiance dans ses forces, mais cette mobilisation ne s’est pas poursuivie. Un des aspects qui a empêché les travailleurs d’élever leur conscience à des niveaux plus développés a été le poids des idéologies qui pendant des années ont été inoculées par l’appareil syndical, la gauche du capital et en particulier le péronisme, qui en Argentine a agi et continue à agir pour défendre le capital et contre le prolétariat.
En particulier, l’idéologie de l’ “anti-impérialisme” [16] et la “critique” du “pouvoir des monopoles” sont basés sur une argumentation à travers laquelle la bourgeoisie cherche à porter des coups à la conscience du prolétariat. [17] En effet, l’ “anti-impérialisme” est en fait le déguisement d’un discours nationaliste qui utilise les secteurs de droite comme de gauche du capital pour semer la confusion et détourner le mécontentement des exploités vers la défense du capitalisme national ; le même point est atteint lorsque le slogan de la lutte contre les monopoles est lancé et encore plus lorsqu’il plonge les exploités dans l’illusion de possibles politiques “alternatives”, comme le protectionnisme ou la nationalisation, créant un degré de confusion supplémentaire. Ces vieux pièges n’ont d’autre objectif que d’empêcher les travailleurs de diriger leur lutte contre les fondements du capitalisme.
Le poids de des confusions est apparu lors de la rébellion du 29 mai lorsque des groupes de travailleurs et d’étudiants ont tenté de manifester leur mécontentement en brûlant non seulement des bureaux gouvernementaux, mais surtout des entreprises et des bureaux de firmes étrangères (Xerox, Citroën,…).
Le nationalisme est l’un des poisons idéologiques les plus tenaces pour le prolétariat. Il n’est donc pas surprenant que ces expressions apparaissent même à des moments de montée de la combativité et ce, parce que la bourgeoisie ne laisse passer aucun jour sans nourrir cette campagne. En 1973, c’est au nom de la défense de la nation que les travailleurs argentins ont été entraînés vers les urnes (par la suite, ils ont tendu le même piège d’innombrables fois) et en 1982, l’atmosphère sociale a été empoisonnée par le patriotisme en soutien à la guerre des Malouines.
– Un autre aspect qui a entravé le développement de la conscience des travailleurs a été le renforcement de la structure syndicale par l’État. Quand les tribunaux militaires ont arrêté des dirigeants syndicaux tels qu’Agustín Tosco, Atilio López et Elpidio Torres, en les accusant d’être responsables de la rébellion, ceux-ci ont pu se faire passer pour des martyrs, leur redonnant du prestige, à eux comme à l’ensemble des syndicats. Il ne s’est donc pas passé beaucoup de temps pour que la bourgeoisie profite du prestige donné à Atilio López et à Tosco, [18] pour pousser les ouvriers vers les urnes et la défense de la démocratie à travers leur participation au Front de libération justicialiste (FREJULI). Cela signifie que l’avance combative démontrée par le Cordobazo n’a pas eu de suite. Le contrôle de la lutte a pu être arraché des mains des syndicats, montrant clairement que la lutte pouvait se mener sans les syndicats mais cela n’a pas ouvert la voie à la construction par le prolétariat de ses propres organisations (conseils ouvriers, comités de grèves ou de luttes…) qui lui auraient permis d’affirmer son autonomie de classe.
Quelques années plus tôt, lorsque les ouvriers ont commencé à reconnaître le caractère anti-ouvrier de la CGT officielle, au lieu de chercher à affirmer le caractère autonome de leur lutte, ils ont laissé la bourgeoisie manœuvrer en imposant un autre syndicat, la CGT-A, de sorte que la combativité a été à nouveau accaparée par le syndicat qui a semé davantage de confusion. Les ouvriers ne sont pas parvenus à avancer dans la compréhension que les syndicats sont des structures totalement intégrées à l’appareil d’État. Ce même problème s’est répété dans le “Viborazo” de mars 1971, [19] dans lequel les syndicats Sitrac et Sitram se sont “métamorphosés”, passant de l’image de syndicats conservateurs à celle de syndicats ultra-radicaux, pour élargir la confusion et stériliser la combativité des travailleurs.
C’est dans ce cadre que la presse bourgeoise et l’appareil de gauche du capital, lorsqu’ils parlent du Cordobazo, mettent en avant les affrontements dans les rues, en essayant de réduire cette journée à des événements anecdotiques, afin de masquer le fait que c’était une mobilisation qui avait démontré la capacité des travailleurs à prendre le contrôle de leur lutte, passant par-dessus le contrôle syndical.
Sur cette base, la bourgeoisie tente aussi de falsifier le terrain réel de lutte du prolétariat, en présentant comme des méthodes de lutte soit “radicales”, soit “efficaces”, l’extorsion ou le pillage comme lors des manifestations contre le “Corralito” de 2001-2002, [20] les barrages routiers ou les méthodes des “piqueteros” en 2004[21]. Nous avons dénoncé de telles méthodes contraires à la véritable auto-organisation et à la véritable unité des prolétaires. Avec la perspective pour la bourgeoisie de développer de nouvelles attaques brutales dans un avenir proche et la perspective de voir émerger de nouvelles luttes ouvrières, le prolétariat doit retrouver sa capacité de tirer les leçons des expériences de lutte les plus significatives en Argentine, comme dans le monde entier.
Tatlin, Juillet 2019
[1] Voir notre dossier : “Il y a 50 ans Mai 1968” dans lequel on peut trouver une série d’articles sur cette expérience prolétarienne.
[2] Voir nos deux articles “Automne chaud en Italie en 1969 : un moment de la reprise historique de la lutte de classe [769]” (Revue Internationale n° 140 et 143).
[3] Voir : “Une année de luttes ouvrières en Pologne [776]” (Revue Internationale n° 27).
[4] Voir la Résolution sur les rapports de forces entre les classes de notre 23e Congrès disponible sur notre site web.
[5] La présence de travailleurs migrants en Argentine a été décisive dans la formation de groupes anarcho-syndicalistes tels que la FORA dont la participation a été très active dans les moments de lutte, comme lors de la “Semaine tragique” (1919) ou dans les grèves de la “Patagonie rebelle” (1920-21). Voir dans notre Revue Internationale l’article consacré à la FORA :“Histoire de l’anarcho-syndicalisme en Argentine [777]”.
[6] C’est le cas de la province de Cordoba qui, à partir du milieu du XXe siècle, est devenue l’une des villes avec la plus grande concentration d’industries et de services.
[7] L’idéologie péroniste est en réalité une façade derrière laquelle divers secteurs de la bourgeoisie se regroupent, se présentant comme un mouvement, mais sans véritable unité. Le mouvement péroniste a toujours cherché à intégrer les travailleurs comme chair à canon, alors il intervient dans ses rangs à travers les syndicats, les partis et même les organisations religieuses. Le péronisme a été très utile à la bourgeoisie parce qu’il est présenté comme une expression idéologique confuse et flexible qui peut naviguer entre la “droite” et la “gauche”, maintenant dans tous les cas un discours nationaliste sur lequel viennent se greffer aussi bien des idéologies religieuses que des “expériences” de prétendues “réalisations socialistes”. En dérive une diversité de fractions concurrentes que nous pourrions (selon leurs propres termes) diviser comme suit :
– les “péronistes orthodoxes”, représentés principalement par le Parti Justicialiste et le péronisme syndical ;
– les “péronistes révolutionnaires”, formés par les différentes “tendances” se réclamant des mouvements de guérilla ;
– les “péronistes de base”, comme on appelle l’activiste de quartier qui revendique faire “un travail éducatif de terrain parmi les masses” ;
– le “néo-péronisme”, exposé dans la pratique des gouvernements les plus récents comme Menen, les époux Kirchner...
[8] Perón, qui dirigeait le “péronisme” depuis son exil en Espagne, synthétisait cette attitude en recourant à l’expression utilisée par les cavaliers gauchos : « savoir ranger la selle de son cheval jusqu’à ce que le temps s’éclaircisse », c’est-à-dire un appel à attendre le moment opportun pour assurer la collaboration avec le gouvernement militaire putschiste.
[9] Certains travailleurs exprimaient leur position politique avec le slogan : “ni coup d’État, ni élection : révolution !”, montrant leur rejet du gouvernement putschiste, mais aussi des promesses électorales de la gauche et plus spécifiquement du péronisme, mettant ainsi en avant la revendication d’une révolution comme seule issue pour échapper au capitalisme. En réalité, la classe ouvrière argentine a atteint un grand niveau de combativité dans les grèves et les mobilisations de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, mais n’a pas atteint une clarté totale qui lui permettrait d’affronter l’environnement bourgeois dominant imposé par le péronisme et la gauche.
[10] Littéralement “retraits de zones” : mesure patronale pour réduire les salaires dans certaines provinces, permettant des dérogations aux conventions collectives négociées au niveau national avec les syndicats (Note du traducteur).
[11] Les principaux syndicats des industries présentes à Cordoba étaient : le syndicat de Luz y Fuerza (électriciens), le syndicat de la mécanique et des transports automobiles connexes (SMATA), le syndicat des métallurgistes (UOM), le syndicat des conducteurs du tramway (UTA).
[12] L’ouvrier Mena n’est pas le seul à avoir été assassiné, les témoignages des participants à cette journée de combats indiquent qu’ils étaient près de soixante. D’autres sources journalistiques indiquent que vingt personnes avaient été tuées, mais comme dans toutes les rébellions, il est difficile de connaître avec exactitude le nombre des morts et des blessés. Ce qui est plus certain, c’est que le nombre de détenus était supérieur à 2 000.
[13] Témoignage recueilli par Juan Carlos Cena dans l’ouvrage (en espagnol) : El Cordobazo una rebelión popular (2003).
[14] Cité dans la brochure en espagnol: “Mayo del 69, la llama que no ardió [778]” du groupe “Emancipación Obrera”. En 2016, nous avons publié le témoignage d’un ancien militant sur l’expérience de ce groupe aujourd’hui dissous : “Una experiencia de la que sacar lecciones : el grupo Emancipación Obrera en Argentina [779]”.
[15] Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.
[16] Elle n’est généralement associée qu’à la seule politique impérialiste pratiquée par les États-Unis, alors que la politique impérialiste est menée par tous les États à un degré plus ou moins élevé, selon leurs moyens.
[17] Dans une interview donnée à la revue “Análisis-Confirmado” (9 février 1973), le dirigeant syndical Tosco définit ainsi son profil politique : “Je suis pour la lutte anti-impérialiste qui mène au socialisme. Le socialisme est encore un peu loin pour l’Argentine, mais il est proche de la lutte libératrice : anti-monopole, anti-impérialiste”. Cette déclaration permet d’entrevoir le ton et l’orientation du discours idéologique qui s’est répandu avec le syndicalisme radical.
[18] Suite à la prise de contrôle de Cordoba par l’armée, Agustín Tosco, Elpidio Torres, Atilio López et Jorge Canelles ont été emprisonnés et condamnés à huit ans de prison, mais ils furent libérés après sept mois. Tosco en tirera un plus grand prestige car il fut fortement persécuté et forcé de vivre dans la clandestinité, et sa mort prématurée l’a empêché d’être récompensé pour ses services. Nous n’avons donc pas l’intention de porter un jugement individuel sur Agustín Tosco, mais il est nécessaire de rappeler que son action, dans le cadre syndicale, a exercé pleinement sa fonction dans les rouages de l’appareil d’État pour empêcher le développement de la conscience des travailleurs.
[19] Terme repris ironiquement par les animateurs du second soulèvement de Cordoba le 15 mars 1971 (qui a été également noyé dans un nouveau bain de sang par les forces de répression) en référence aux propos du gouverneur de la province qui avait déclaré que le mouvement des ouvriers et des étudiants était un “nid de vipères qu’il fallait écraser” mais qui était cette fois sous l’emprise totale des syndicats, avec une orientation anti-dictature et pro-démocratique (Note du traducteur).
[20] Lire notre article : Les révoltes “populaires” en Argentine : “Seule l’affirmation du prolétariat sur son terrain peut faire reculer la bourgeoisie [780]”.
[21] Voir, entre autres, l’article : “Argentine : Contribution sur la nature de classe du mouvement des piqueteros [781]”.
Les syndicats quadrillent, aujourd’hui, le terrain de la contestation sociale. Sous la phraséologie radicale de la CGT ou de Solidaires, ils s’emploient méthodiquement à diviser les ouvriers, à les isoler les uns des autres, à les épuiser dans “leur” branche, dans “leur” boite, dans “leur” service. Mais ce travail de sape s’accompagne aussi de toute une campagne destinée à pourrir la conscience de la classe ouvrière et à l’empêcher de tirer les véritables leçons de ses expériences, tant de ses victoires que de ses défaites.
Ainsi, les syndicats brandissent aujourd’hui les “grandes grèves” de décembre 1995 contre les attaques du gouvernement d’Alain Juppé comme le modèle à suivre, le parangon de “riposte exemplaire” et de “victoire ouvrière”. La presse nous explique même que le gouvernement de Macron serait “hanté par le spectre” de ces trois semaines de mobilisation syndicale.
Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un mensonge ! Car cet événement n’a nullement constitué une victoire pour la classe ouvrière mais bien une défaite. Les grèves de 1995 demeurent, en réalité, le point de départ d’une campagne internationale visant à redorer le blason des appareils syndicaux dont la crédibilité était alors fortement émoussée, particulièrement après les vagues de lutte des années 1980. Face à l’aggravation de la crise économique, face au risque de nouvelles poussées de combativité du prolétariat, la bourgeoisie devait rendre leur mordant à ses chiens de garde !
Derrière la prétendue victoire des syndicats, l’essentiel des attaques du gouvernement de l’époque est, en fait, passé. Non seulement Juppé a pu mettre en place sa réforme de la sécurité sociale, mais la classe ouvrière, plus vulnérable face aux attaques de la bourgeoisie, a dû subir par la suite, sans pouvoir riposter, une avalanche de réformes, de licenciements massifs et de précarisation.
Comme l’écrivait déjà Marx au XIXe siècle : “Les révolutions prolétariennes (…) se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives”. L’expérience souvent amère du prolétariat et les leçons lucides que nous pouvons en tirer sont une arme pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle la bourgeoisie cherche constamment à falsifier et dénigrer les victoires véritables de la classe ouvrière tout en glorifiant ses défaites. C’est aussi la raison pour laquelle nous remettons en avant la brochure du CCI sur ces événements de 1995.
“Oui, c’est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément Thomas et Lecomte, que s’élèvera l’église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer”. Ces paroles prononcées par Hubert Rohault de Fleury (l’un des initiateurs de la construction de la basilique du Sacré-Cœur) le 16 juin 1875, après la cérémonie de pose de la première pierre, dévoilent toute la morgue et la haine que voue la bourgeoisie au prolétariat parisien qui osa se porter à “l’assaut du ciel” entre les mois de mars et mai 1871 avant d’être sauvagement réprimés par l’armée régulière des Versaillais. La terrible répression qui s’abattit sur les Communards lors de la Semaine sanglante de mai 1871, faisant plus de 20 000 morts, fut à la mesure de l’effroi qu’éprouva la classe dominante devant le premier assaut révolutionnaire du prolétariat.
Ce n’est pas le fruit du hasard si la basilique du Sacré-Cœur fut érigée là où la Commune avait débuté, à l’endroit même où le général Lecomte était venu reprendre les canons entreposés pour la défense de Paris. Celui-ci fut arrêté puis exécuté par la suite en même temps que le bourreau de Juin 1848, le général Clément Thomas. À l’origine, sa construction, appelée de leurs vœux par quelques bourgeois superstitieux, devait venir apaiser “la colère divine” responsable à leurs yeux de la débâcle de Sedan et de l'invasion de Rome mettant fin de facto aux Etats pontificaux. Mais après l’insurrection ouvrière de mars-mai 1871, la construction de cette église sur le point culminant de la capitale devait venir dit-on “expier les crimes de la Commune”. La bourgeoisie pleurait ainsi ces quelques “martyrs” alors qu’elle dansait sur les cadavres de dizaines de milliers d’ouvriers. Son érection devait en réalité servir à forger la légende noire des Communards ; ces “énergumènes avinés”, ces monstres assoiffés de crimes qui n’auraient eu comme seule volonté que de semer le chaos et la désolation.
Mais ces homélies ne sont bonnes que pour ceux qui veulent bien les entendre. L’histoire de la Commune, elle, est toute autre. Elle fut d’abord écrite par des Communards eux-mêmes : Lissagaray, Louise Michel, Gustave Lefrançais, Jules Andrieu. Ses précieuses leçons politiques, tirées très tôt par l’avant-garde révolutionnaire et notamment par Karl Marx, furent transmises dans le mouvement révolutionnaire jusqu’à aujourd’hui.
Alors que débute une année de jubilé pour fêter le centième anniversaire de la consécration du Sacré-Cœur, ce qui donnera l’occasion à la bourgeoisie de continuer à salir et escamoter la mémoire de la Commune et des Communards, nous publions deux articles déjà parus dans notre presse qui font la lumière sur la véritable histoire de la Commune de Paris de 1871 :
– La Commune de Paris, premier assaut révolutionnaire du prolétariat [786]
– Le communisme n’est pas un bel idéal mais une nécessite matérielle [8e partie] [787]
La Libye est régulièrement sous le feu des médias depuis 2011, l’année de la liquidation de son défunt “guide” Kadhafi par les puissances de l’OTAN (France, Royaume-Uni et États-Unis). “Cette malheureuse Libye, que la guerre franco-britannique de 2011 a transformé en paradis pour les terroristes de Daech et d’Al-Qaida, hérite donc aujourd’hui d’une guerre civile. Les trafiquants d’armes, de drogue ou de migrants y prolifèrent et entrent rarement en conflit avec les djihadistes. Normal, ils sont souvent cousins en affaires…” (1) C’est au nom de “la protection de la population civile”, après le passage du “printemps arabe” en Libye (brutalement réprimée par l’ex-colonel dictateur) que les puissances occidentales déclaraient la guerre au dirigeant libyen. Après avoir écrasé la population sous les bombes et liquidé Kadhafi, elles laissaient le pays entre les mains de multiples groupes sanguinaires qui se disputent toujours le contrôle du moribond État libyen.
“Les combats qui grondent à nouveau aux portes de Tripoli, des “parrains” régionaux nourrissant les flammes auprès des belligérants, un déferlement de haine dans la propagande. Depuis le 4 avril, jour de l’attaque de Tripoli par les troupes du Maréchal Haftar, la guerre rallume ses feux en Libye. Huit ans après l’insurrection anti-Kadhafi (soutenue par des raids de l’OTAN) et cinq ans après la guerre civile de 2014, le géant d’Afrique du Nord, convalescent, rebascule dans le chaos, l’instabilité, le risque extrémiste. (…) C’est le retour à la case départ”. (2)
Aujourd’hui, parmi la dizaine de milices en présence, les deux plus importantes factions prétendent au statut d’interlocuteur avec les grandes puissances et l’ONU : il s’agit du “Gouvernement d’accord national” (GAN) dirigé par Faïse Sarraj, adoubé par l’ONU, soutenu par la Turquie et le Qatar, et, gouvernant la région cyrénaïque, de l’ “Armée nationale libyenne” (ANL) dirigée par Khalifa Haftar qui est soutenue par l’Égypte, l’Arabie, les Émirats arabes unis auxquels s’ajoutent (en coulisse) la France, la Russie et les États-Unis ; Tandis que le gouvernement de l’ex-puissance coloniale italienne appuie l’une ou l’autre faction des “autorités” en place, comme il l’a fait dernièrement au mois d’octobre en renouvelant, par exemple, un accord ignoble permettant la formation de garde-côtes libyens pour chasser les migrants.
En réalité, dans ce conflit, c’est le chacun pour soi et l’hypocrisie qui dominent. Ce spectacle barbare dévoile l’attitude parfaitement mensongère et abjecte des grandes puissances qui jouent un double jeu, à l’instar du gouvernement français pris en flagrant délit de mensonge quand il nie de manière éhontée l’existence de missiles fournis par ses services secrets au maréchal Haftar tout en affirmant que “la France est en Libye pour combattre le terrorisme”.
Quant aux deux chefs de guerre libyens, leurs objectifs sont aussi crapuleux : “Ainsi dressés l’un face à l’autre, les deux camps n’oseront jamais avouer le véritable mobile de leur affrontement. Le recours emphatique à une rhétorique justificatrice à usage externe (“révolution” ou “antiterrorisme”) camoufle mal le caractère brut d’une rivalité autour de l’appropriation des ressources, laquelle prend un sens très particulier dans cet ancien Eldorado pétrolier qu’est la Libye. En dépit des perturbations causées par le chaos post-2011, le pétrole libyen continue de générer 70 millions de dollars (62,5 millions d’euros) de revenus par jour. Aussi la maîtrise des circuits de distribution de cette rente pétrolière aiguise-t-elle bien des appétits”. (3) Voilà un autre aspect du conflit dont personne ne parle dans les discours officiels des dirigeants du monde capitaliste ! Cette course au “butin” pétrolier, ouverte par le chaos engendré après 2011, oppose un grand nombre de petits et grands gangsters locaux et internationaux sur le sol libyen.
Pire encore, pour les grands vautours capitalistes, la Libye représente un autre intérêt inavouable : l’existence, à leur initiative, de monstrueux “camps d’accueil” pour migrants refoulés ou en escale dans l’attente d’un embarquement tout aussi hypothétique que mortifère vers l’Europe !
En plus du chaos sanglant provoqué par les grandes puissances impérialistes, la Libye est devenue un véritable “marché” et un cimetière pour migrants dont l’UE est responsable. Le 14 novembre 2017, des images de marché aux esclaves en Libye sont diffusées par la chaîne CNN où l’on peut voir des êtres humains vendus aux enchères comme du bétail. Il s’agit de migrants dont le nombre varie entre 700 000 et 1 million, tombés dans le piège des réseaux et trafiquants criminels dont les États européens et africains sont les complices actifs. “Ce qui se passe en Libye, ce pays sans dirigeant et livré aux milices armées, est une tragédie sur laquelle l’Union européenne ferme les yeux. Les dirigeants africains, ayant opté pour l’hypocrisie, suivent comme des pintades l’Europe. (…) Le reportage de CNN ne changera pas grand-chose à la situation à Tripoli, à Misrata, à Benghazi ou à Tobrouk. Dans un pays décimé par la guerre civile, où l’inflation explose, où l’économie est en ruine et où l’on pratique des exécutions massives de prisonniers, chacun travaille soit dans le business de la contrebande et collabore avec les passeurs, soit dans la lutte contre la contrebande et contre les passeurs. Ce reportage montre un cas de servitude lié au règlement d’une dette, mais un grand nombre de migrants vendus aux enchères en Libye sont détenus dans le cadre d’un trafic lié au paiement de rançons. Avec la fermeture de la route libyenne menant en Italie, les migrants subsahariens se retrouvent souvent coincés et n’ont pas les moyens de payer le retour chez eux. Les passeurs les vendent alors au plus offrant (par exemple une milice). Les acheteurs obligent ensuite les migrants à contacter leurs familles pour leur demander d’envoyer une rançon pouvant aller de 2000 à 3000 dinars (1200 à 1800 euros) par personne”. (4) Selon un rapport publié par l’Unicef : “Les centres de détention dirigés par les milices ne sont rien d’autre que des camps de travail forcé, des prisons où l’on se fait tout voler sous la menace d’une arme. Pour des milliers de femmes et d’enfants, la vie dans ces prisons est faite de viols, de violences, d’exploitation sexuelle, de faim et d’abus répétés”.
Tout cela illustre l’ampleur de cette barbarie impliquant directement les grandes puissances impérialistes qui par leur politique jettent les migrants dans les bras d’esclavagistes d’un autre âge. L’UE exige en effet des États voisins défaillants et terriblement corrompus (Niger, Nigeria, etc.) une politique active anti-migrants en les subventionnant pour construire des murs et des camps de la mort. L’UE participe aussi au développement de pratiques mafieuses et de marchandages entre bandits en fournissant les fonds et le matériel aux garde-côtes libyens qui se chargent d’intercepter les bateaux de migrants et de conduire ces derniers dans les monstrueux “centres de rétention”.
Aujourd’hui encore, les migrants sont toujours dans la même situation de misère, de détresse, au milieu des périls qui les conduisent par milliers à la mort en tentant de traverser la Méditerranée, comme le montre ce récit : “Sur la plage d’Aghir de l’île de Djerba, dans le nord de la Tunisie, il y a plus de cadavres que de baigneurs, en ce début de mois. Lundi 1e juillet, un canot a coulé au large. Une embarcation partie à l’aube de la ville libyenne de Zouara, à 120 kilomètres à l’ouest de Tripoli, avec 86 personnes à bord. Trois ont été repêchés vivants. La mer rend les autres, une à une.
“Moi, j’en peux plus. Là, c’est trop.” : Chemsedddine Marzog, le pêcheur qui, depuis des années, offre une dernière demeure aux corps que la mer rejette, dit son ras-le-bol. “J’ai enterré près de 400 cadavres et, là, des dizaines vont encore arriver dans les jours qui viennent. Ce n’est pas possible, c’est inhumain et nous ne pouvons pas gérer ça tout seuls”, se désespère le gardien du cimetière des migrants de Zarzis, ville située au sud-est de la Tunisie, près de la frontière avec la Libye”. (5)
Pendant ce temps les “démocraties occidentales” ferment les yeux et se bouchent le nez face à cette cruelle barbarie tout en poursuivant leur lutte pour la “sécurisation” (c’est-à-dire la fermeture) de leurs frontières contre les “illégaux” et en proclamant sur tous les toits leur “humanisme universaliste” alors que ce sont elles qui poussent activement, qui définissent même cette politique infâme. (6)
Amina, novembre 2019
1 Le Canard enchaîné (24 avril 2019).
2 Le Monde, (12-13 mai 2019).
3 Le Monde (3 mai 2019).
4 Courrier international, (7-13 décembre 2017).
5 Le Monde (10 juillet 2019).
6 À ce sujet, on peut ajouter que les pays de l’UE ne sont d’ailleurs pas les seuls à mener une politique barbare envers les migrants. Ils peuvent aussi compter sur l’aide de leur “grand ami” et client saoudien. En effet, Ryad matraque, emprisonne, expulse les “indésirables” migrants se trouvant sur son territoire. D’après, The Guardian : “10 000 Éthiopiens sont expulsés chaque mois d’Arabie Saoudite depuis 2017, date à laquelle les autorités de ce pays ont intensifié leur campagne sans merci pour renvoyer les migrants sans papiers. Environ 300 000 personnes sont rentrées depuis mars de cette année-là, selon les derniers chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et des vols spéciaux chargés de déportés arrivent chaque semaine à l’aéroport d’Addis Abeba”. (…) Des centaines de milliers d’Ethiopiens ont été déportés lors d’une précédente vague de répression chaotique menée entre 2013 et 2014. ” Ces pratiques du régime sanguinaire saoudien envers ceux qui tentent de fuir la misère et la mort chez eux est une sinistre illustration que tous les Etats participent avec le même cynisme pour assurer la perpétuation d’un système déshumanisé.
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Nous publions ci-dessous le tract que le CCI a diffusé lors des manifestations de début décembre.
Selon Emmanuel Macron et ses ministres, la grève du 5 décembre est « une mobilisation contre la fin des régimes spéciaux », contre « l’équité et la justice sociale ». En clair, les cheminots et autres travailleurs disposant d’un « régime spécial » seraient des égoïstes irresponsables luttant pour maintenir leurs prétendus “privilèges”. Mensonges ! Le gouvernement tente de nous opposer les uns aux autres, pour nous diviser et nous rendre impuissants.
Partout, dans les usines comme dans les administrations, dans toutes les corporations, dans tous les secteurs, dans le privé comme dans le public, la bourgeoisie impose les mêmes conditions de travail insoutenables. Partout, les travailleurs sont de moins en moins nombreux pour une charge de travail qui augmente. Partout, l’appauvrissement menace les salariés, les chômeurs, les retraités et les jeunes. Partout, les nouvelles “réformes” annoncent un avenir plus dur encore. Les coups portés par le gouvernement de Macron sont extrêmement violents. Son objectif est de rendre l’économie française la plus compétitive possible sur l’arène internationale, alors qu’avec l’aggravation de la crise économique mondiale, la concurrence entre les nations est de plus en plus acharnée. Pour augmenter la productivité, la bourgeoisie française, son Président, son gouvernement et son patronat, sont en train d’accélérer les cadences de travail et de diminuer les effectifs, d’accroître la flexibilité, de démanteler la Fonction publique, de réduire les allocations des chômeurs et des retraités, de baisser drastiquement les budgets de l’enseignement et des aides sociales (réforme des lycées, suppression des APL…). Ils tapent et tapent encore, au nom de la rentabilité « nécessaire », de la compétitivité « obligatoire », de l’équilibre budgétaire « incontournable » alors qu’augmentent de façon indécente les revenus des capitalistes.
Pas un jour ne passe sans que des travailleurs à bout se mettent en grève. Ces dernières semaines, les cheminots, les agents hospitaliers et les étudiants précaires ont redressé la tête. Mais ils ne sont pas seuls. Depuis des mois ont lieu d’innombrables débrayages. En septembre, ont fait grève (dans l’ordre chronologique) : les urgentistes, les pompiers, les livreurs de Deliveroo, les pilotes de Transavia, les chauffeurs de bus de Metz et de Caen, les facteurs des Alpes Maritimes et des Pyrénées Orientales, les agents de la RATP, ceux des Finances publiques, les infirmières libérales, les navigants, l’ensemble des fonctionnaires, les facteurs de Saint-Quentin, les employés d’EDF, les chauffeurs de bus d’Orléans, de nouveau les fonctionnaires, les chauffeurs de bus de Lorient, les laborantins, de nouveau les fonctionnaires, les chauffeurs de Nancy, etc., etc. Certains de ces mouvements durent depuis le printemps ! Le phénomène s’est accru en octobre et novembre, touchant, par exemple, la grande distribution. Oui, les grèves sont nombreuses. Oui, la grogne sociale est grande. Oui, la coupe est pleine ! Mais toutes ces luttes restent isolées les unes des autres, cloisonnées, séparées par des revendications particulières et corporatistes. Or, face à la bourgeoisie, organisée derrière son État et son gouvernement, la division est mortelle. Pour résister, pour construire un rapport de force face aux mêmes attaques qui touchent l’ensemble des secteurs, les travailleurs doivent lutter ensemble, unis et solidaires.
La journée du 5 décembre est-elle enfin le début de cette unité ? Telle est la promesse des syndicats : une grève générale, intersectorielle, nationale et illimitée.
Tout au long du mois de septembre, les syndicats ont éparpillé le mouvement de contestation sociale en de multiples journées d’action corporatistes (RATP, Finances publiques, Éducation nationale, Ministère de la Justice, EDF, pompiers). Début octobre, ils ont finalement promis une grande journée de mobilisation unissant tous les salariés pour… le mois de décembre. Et qu’ont-ils fait depuis deux mois ? Nous diviser, comme ils le font toujours ! Ils ont maintenu les salariés déjà en lutte dans leur isolement, chacun en grève dans sa boite, avec son mot d’ordre spécifique alors que nous subissons tous les mêmes attaques, la même dégradation de nos conditions de vie et de travail.
La caricature de ce travail de sape est l’appel des collectifs Inter-urgence et Inter-hôpitaux (entièrement pilotés pas les centrales syndicales) à ne pas se joindre à la grève du 5 décembre, au nom de la « spécificité » des revendications hospitalières, remplacée par une journée d’action le 30 novembre. Même stratégie d’isolement pour l’intersyndicale des Internes qui lance une grève illimitée à partir du… 10 décembre ! Pourtant, lors de l’assemblée générale des travailleurs des hôpitaux qui s’est tenue le 14 novembre à Paris, après une journée d’action de tout le secteur, regroupant 10 000 manifestants, un âpre combat a eu lieu entre les participants à l’AG et les syndicats sur cette question de l’unité. Nombre d’agents hospitaliers ont mis en avant la nécessité de mener une seule et même lutte, par-delà les secteurs, alors que les syndicats ont défendu que « nous sommes un collectif censé parler de l’hôpital », défendant bec et ongle « une date spécifique hôpital ». On a pu entendre sur France Info des infirmières sortir de cette AG en disant : « On n’a pas pu terminer parce qu’on est divisés. Les syndicats ont complètement noyauté cette réunion », ou encore : « Il y a trop de discorde. Le 5 décembre ça va être une grève générale et on est concernés. Outre nos problèmes à l’hôpital, il y a aussi nos retraites et nous serons de futurs retraités. Je ne vois pas le problème d’aller manifester le 5 ». Mais les syndicats en ont décidé autrement. Le secteur hospitalier, en grève depuis neuf mois, secoué par une immense colère face à des conditions de travail de plus en plus insupportables, est appelé par les syndicats à poursuivre seul, isolé et impuissant, son mouvement. Et il en est de même pour les cheminots.
Les syndicats se gonflent aujourd’hui de radicalité en brandissant la menace de la grève reconductible, mais ce sont chaque fois ces grèves corporatistes, isolées les unes des autres et condamnées à l’impuissance qu’ils reconduisent jusqu’à l’épuisement des secteurs les plus combatifs. Tel est le sort qu’ils aimeraient réserver notamment aux agents les plus déterminés de la SNCF après le 5 décembre et des hôpitaux après le 10 : qu’ils finissent par lutter seuls durant les fêtes de fin d’année. D’ailleurs, il ne faut pas être naïf : pourquoi les syndicats ont-ils reporté aux 5 et 10 décembre ces grandes mobilisations, peu de temps avant ces fêtes ? Il est clair qu’ils misent sur la « trêve des confiseurs » pour enterrer le mouvement au cas où il se poursuivrait après ces journées d’action.
Sous l’étendard du « Tous ensemble », les syndicats organisent en réalité une véritable dispersion. Lors de ces journées d’« unité syndicale », les travailleurs ne luttent pas ensemble, à aucun moment. Au mieux, ils se retrouvent les uns derrière les autres, à battre le pavé, saucissonnés par secteurs et corporations, séparés les uns des autres par les banderoles, les ballons et les sonos différentes selon que l’on est cheminot, enseignant, puéricultrice, secrétaire, agent des impôts, ouvrier de chez Renault, de chez Peugeot, de chez Conforama, étudiant, retraité, chômeur… Chacun sa case.
Les grèves spontanées des cheminots de la fin octobre montrent en partie la voie à suivre. À Châtillon, suite à l’annonce d’un plan de réorganisation du travail induisant, entre autres, la suppression de douze jours de congés, les agents du centre ont immédiatement arrêté le travail et déclaré la grève, sans attendre de consigne syndicale.
Le plan a été retiré 24 heures plus tard. Quelques jours plus tôt, le 16 octobre, suite à une collision avec un convoi exceptionnel en Champagne-Ardenne, mettant en évidence la dangerosité de n’avoir qu’un seul agent (le conducteur) dans un train, les cheminots de la ligne avaient, eux aussi, refusé spontanément de maintenir la circulation des trains dans ces conditions. La contestation s’est étendue rapidement, dès le lendemain, aux lignes de l’Île-de-France. Ce n’est pas un hasard si ce sont les cheminots qui indiquent les premiers comment les travailleurs peuvent prendre en main leur lutte. C’est la conséquence à la fois de l’expérience et de la combativité historiques de ce secteur de la classe ouvrière en France, mais aussi de la réflexion qui mûrit depuis un an en son sein après l’amère défaite du long mouvement mené en 2018 par… les syndicats. Avec leur fameuse « grève perlée », ils avaient enfermé les cheminots dans une lutte, isolés, jusqu’à l’épuisement de leurs forces.
Mais, aujourd’hui, ces cheminots grévistes n’ont pas su étendre le mouvement hors de leur entreprise, ils sont demeurés enfermés au sein de la SNCF. Il n’y a pas eu d’assemblée générale autonome décidant d’envoyer des délégations massives, voire toute l’assemblée, aux centres de travail les plus proches (un hôpital, une usine, une administration…) pour les entraîner dans la lutte, afin d’étendre géographiquement le mouvement. Il est vital de mettre en avant que les travailleurs ont tous les mêmes intérêts, qu’ils mènent la même lutte, que c’est unie et solidaire, au-delà des secteurs et des corporations, que la classe ouvrière est forte. Cette étape est difficile. Cette nécessaire unité dans la lutte implique de se reconnaître non plus comme cheminots, infirmiers, caissiers, enseignants ou informaticiens, mais comme travailleurs exploités.
Souvenons-nous : au printemps 2006, le gouvernement avait dû retirer son « Contrat Première Embauche » face au développement de la solidarité entre les générations ouvrières. Les étudiants précaires avaient organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités, et avaient mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Ces AG étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions se prenaient. Résultat : chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les travailleurs salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan « Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ». La bourgeoisie française et le gouvernement, face à une extension et une tendance à l’unification du mouvement engagé par les étudiants précarisés, n’avait pas eu d’autre choix que de retirer son CPE. C’est pourquoi, aujourd’hui, Macron et ses ministres lancent un débat nauséabond sur la « clause du grand-père » (les nouvelles mesures ne frapperaient pas l’ensemble des salariés mais seulement les jeunes arrivant sur le marché du travail) : ce qu’ils veulent c’est enfoncer un coin entre les générations ouvrières.
En 1968, alors que la crise économique mondiale commençait à frapper à nouveau et, avec elle, le retour du chômage et l’appauvrissement des travailleurs, le prolétariat en France s’était uni dans la lutte. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales s’étaient propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Très souvent, cette dynamique d’extension et d’unité s’était développée en dehors du giron des syndicats et de nombreux ouvriers avaient déchiré leur carte syndicale après les accords de Grenelle du 27 mai entre les syndicats et le patronat, accords qui avaient enterré le mouvement.
Aujourd’hui, les travailleurs salariés, les chômeurs, les retraités, les étudiants précaires manquent de confiance en eux, en leur force collective, pour oser prendre en main leur lutte. Mais il n’y a pas d’autre chemin. Toutes les “actions” proposées par les syndicats mènent à la division, à la défaite et à la démoralisation. Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations. Des AG qui permettent aux infirmières, aux urgentistes, aux chômeurs, aux travailleurs de n’importe quel secteur, comme à tous ceux qui ne peuvent cesser le travail, de participer au mouvement. Des AG qui mettent en avant des revendications nous concernant tous : la lutte contre la précarité, contre la baisse des effectifs, contre la hausse des cadences, contre la paupérisation… Des AG dans lesquelles nous nous sentons unis et confiants en notre force collective.
Le capitalisme, en France comme partout dans le monde, va continuer de plonger l’humanité dans une misère de plus en plus effroyable. Seule la classe ouvrière représente une force sociale capable de freiner ces attaques. Les travailleurs les plus combatifs et déterminés doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer la lutte autonome de toute la classe ouvrière. Seul le prolétariat pourra, à terme, ouvrir les portes de l’avenir pour les générations futures face à ce système capitaliste décadent qui porte en lui toujours plus de misère, d’exploitation et de barbarie, qui porte la guerre et les massacres comme la nuée porte l’orage. Un système qui est en train de détruire l’environnement dans lequel vit l’espèce humaine et qui menace la survie de celle-ci.
Seule la lutte massive et unie de tous les secteurs de la classe exploitée peut freiner et repousser les attaques présentes de la bourgeoisie.
Seul le développement de cette lutte pourra ouvrir le chemin au combat fondamental et historique de la classe ouvrière pour l’abolition de l’exploitation et du capitalisme.
Courant Communiste International
(1er décembre 2019)
Le consensus général parmi les scientifiques sérieux est que nous sommes déjà entrés dans une période de catastrophes écologiques sans précédent. Nous ne pouvons ici énumérer les différents aspects de ce désastre auxquels se confronte l’humanité, depuis la pollution des mers, de l’air et des rivières jusqu’à l’imminente extinction d’innombrables variétés de plantes et d’espèces animales, en passant par les menaces que fait peser l’accélération du réchauffement climatique. Il suffit de rappeler que la combinaison de toutes ces tendances, si elle n’est pas enrayée, pourrait rendre la planète inhabitable, à tout le moins, incapable de permettre une existence humaine décente.
Il ne suffit néanmoins pas d’examiner ce problème uniquement sous l’angle de l’écologie, ou des sciences naturelles. Pour comprendre les causes sur lesquelles repose la dévastation écologique, ainsi que la possibilité de les inverser, nous devons comprendre leurs liens avec les rapports sociaux existants, avec le système économique qui régit le monde : le capitalisme. Cela signifie d’utiliser la seule véritable approche scientifique permettant de comprendre la structure et la dynamique de la société humaine : la méthode marxiste.
Un excellent point de départ nous est offert par Engels dans son ouvrage Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme (1876), un chapitre inachevé d’une œuvre elle-même inachevée : La Dialectique de la nature [791]. Le texte d’Engels est une mise en application de la vision selon laquelle ce n’est qu’en examinant le passé de l’humanité du point de vue de la classe laborieuse (et du travail associé en particulier) qu’il est possible de comprendre l’émergence de l’espèce humaine. À rebours d’une vision mécanique selon laquelle cette émergence serait le résultat du développement du seul cerveau humain (dont l’accroissement en taille et en complexité serait le simple résultat de mutations aléatoire), Engels avance qu’en dernière analyse l’homme s’est fait lui-même, que c’est l’interaction dialectique entre la main et le cerveau dans la production collective des outils et la transformation de notre environnement naturel qui ont déterminé les capacités “mécaniques” du cerveau, la dextérité de la main humaine et l’évolution d’une conscience humaine particulière. Cette conscience est une conscience dans laquelle l’activité planifiée et intentionnelle et la transmission culturelle l’emportent sur les actions plus instinctives des autres espèces animales : “D’ailleurs, il va de soi qu’il ne nous vient pas à l’idée de dénier aux animaux la possibilité d’agir de façon méthodique, préméditée. Au contraire. Un mode d’action méthodique existe déjà en germe partout où du protoplasme, de l’albumine vivante existent et réagissent, c’est-à-dire exécutent des mouvements déterminés, si simples soient-ils, comme suite à des excitations externes déterminées. Une telle réaction a lieu là où il n’existe même pas encore de cellule, et bien moins encore de cellule nerveuse. La façon dont les plantes insectivores capturent leur proie apparaît également, dans une certaine mesure, méthodique, bien qu’absolument inconsciente. Chez les animaux, la capacité d’agir de façon consciente, méthodique, se développe à mesure que se développe le système nerveux, et, chez les mammifères, elle atteint un niveau déjà élevé. (…) Cependant, l’ensemble de l’action méthodique de tous ces animaux n’a pas réussi à marquer la terre du sceau de leur volonté. Pour cela, il fallait l’homme. Bref, l’animal utilise seulement la nature extérieure et provoque en elle des modifications par sa seule présence ; par les changements qu’il y apporte, l’homme l’amène à servir ses fins, il la domine. Et c’est en cela que consiste la dernière différence essentielle entre l’homme et le reste des animaux, et cette différence, c’est encore une fois au travail que l’homme la doit”. (1)
Il est certain que l’humanité a acquis ces capacités à travers son activité collective, à travers l’association. Engels avance notamment que l’évolution du langage, un prérequis pour le développement de la pensée et de la transmission culturelle d’une génération à la suivante, ne peut être comprise que dans le contexte d’un développement des liens sociaux : “Comme nous l’avons déjà dit, nos ancêtres simiesques étaient des êtres sociables ; il est évidemment impossible de faire dériver l’homme, le plus sociable des animaux, d’un ancêtre immédiat qui ne le serait pas. La domination de la nature qui commence avec le développement de la main, avec le travail, a élargi à chaque progrès l’horizon de l’homme. Dans les objets naturels, il découvrait constamment des propriétés nouvelles, inconnues jusqu’alors. D’autre part, le développement du travail a nécessairement contribué à resserrer les liens entre les membres de la société en multipliant les cas d’assistance mutuelle, de coopération commune, et en rendant plus clair chez chaque individu la conscience de l’utilité de cette coopération. Bref, les hommes en formation en arrivèrent au point où ils avaient réciproquement quelque chose à se dire. Le besoin se créa son organe, le larynx non développé du singe se transforma, lentement mais sûrement, grâce à la modulation pour s’adapter à une modulation sans cesse développée et les organes de la bouche apprirent peu à peu à prononcer un son articulé après l’autre”.
La capacité humaine à transformer la nature lui a apporté des avantages historiques énormes en matière d’évolution, qui ont indéniablement fait de l’humanité l’espèce dominante de la planète. De l’utilisation du feu jusqu’à la domestication d’animaux et l’ensemencement des sols, de la construction des premières cités jusqu’au développement de vastes réseaux de production et de communication capables d’unifier toute la planète : ce sont des étapes nécessaires à l’émergence d’une communauté fondée sur la réalisation d’un potentiel créatif de tous ses membres, en d’autres termes, à l’avenir communiste anticipé par Marx et Engels et pour lequel ils se sont battus.
Pourtant, le rôle joué par le travail est tout, sauf un hymne arrogant à la supériorité humaine. Dans les pas de Darwin, l’ouvrage commence par reconnaître que tout ce qui est spécifiquement humain prend racine dans les capacités de nos ancêtres animaux. Surtout, à peine Engels a-t-il noté la distinction fondamentale entre l’homme et l’animal qu’il émet une mise en garde qui résonne très clairement face à la crise écologique d’aujourd’hui : “Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité. Sur le versant sud des Alpes, les montagnards italiens qui saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de sollicitude sur le versant nord, n’avaient pas idée qu’ils sapaient par là l’élevage de haute montagne sur leur territoire ; ils soupçonnaient moins encore que, par cette pratique, ils privaient d’eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l’année et que celles-ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d’autant plus furieux. Ceux qui répandirent la pomme de terre en Europe ne savaient pas qu’avec les tubercules farineux ils répandaient aussi la scrofulose. Et ainsi, les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement”.
Dans ce passage, Engels nous offre un exemple concret de la théorie marxiste de l’aliénation, laquelle est basée sur la compréhension que, dans des conditions sociales données, le produit du travail propre de l’homme peut se transformer en une puissance hostile, une force étrangère qui échappe à son contrôle et agit contre lui. Sans entrer dans une discussion sur les origines les plus lointaines du caractère étranger à lui-même de l’homme, nous pouvons dire avec certitude que le développement qualitatif de ce processus est lié à l’émergence de l’exploitation de classe dans laquelle, par définition, ceux qui travaillent sont contraints de produire, non pour eux-mêmes, mais pour une classe qui a en main le pouvoir et la richesse de la société. Ce n’est pas un hasard si le développement de l’exploitation et du travail aliéné est relié à la progressive aliénation de l’humanité vis-à-vis de la nature. Les exemples d’ “effets imprévus” de la production dont Engels nous parle dans le passage cité plus haut sont majoritairement issus de formes de sociétés de classes pré-capitalistes. C’est précisément dans ces formes plus anciennes de civilisation que nous trouvons le premier exemple clair de désastre environnemental causé par l’homme : “Les premiers cas de destruction écologique extensive coïncident avec les premières cités-États ; il existe un important faisceau de preuves montrant que le processus de déforestation amorcé par des civilisations comme Sumer, Babylone, les Cinghalais ou d’autres, pour développer l’agriculture sur une large échelle, a joué un rôle considérable dans leur déclin et leur disparition”. (2)
Mais il ne s’agissait là que de catastrophes locales. Contrairement aux modes de production passés, le capitalisme est contraint à travers ses mécanismes internes les plus profonds, de dominer la planète entière, comme le souligne le Manifeste du Parti communiste : “Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l’amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu’aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c’est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image”.
Mais cette nécessité de se “globaliser” a aussi signifié la globalisation de la catastrophe écologique. Pour Marx, les rapports sociaux capitalistes marquent le point culminant de tout le processus d’aliénation, parce que désormais l’exploitation du travail humain n’est plus orientée vers une relation personnelle entre maître et serviteur, ainsi qu’elle l’était dans les précédentes sociétés de classes, mais vers l’expansion et l’accroissement d’une puissance fondamentalement impersonnelle, Das Kapital, (3) ou le système du profit. L’avènement universel de la production à destination du marché et du profit signifie que la tendance qu’a la production à échapper au contrôle du producteur a atteint son point ultime ; d’ailleurs, l’exploiteur capitaliste lui-même, bien que bénéficiant du produit de l’exploitation, est lui aussi poussé par l’impitoyable concurrence pour le profit, et n’est, en fin de compte, qu’une personnification du capital. Nous voici ainsi confrontés à un mode de production qui ressemble à un poids lourd incontrôlable menaçant d’écraser ensemble exploiteurs et exploités.
Parce que le capitalisme est poussé par un impitoyable besoin d’accumuler (ce que l’on appelle “croissance économique”), il ne peut jamais parvenir à un contrôle rationnel et général du processus de production dans l’intérêt à long terme de l’humanité. Ceci est encore plus vrai en période de crise économique, lorsque la pression pour pénétrer les dernières régions préservées de la planète (afin de mettre leurs ressources à sac) devient toujours plus irrésistible pour tous les acteurs capitalistes et nationaux qui se livrent une concurrence féroce.
Le point extrême de l’aliénation de l’ouvrier dans le processus de production se reflète donc par la plus extrême aliénation de l’humanité vis-à-vis de la nature. De la même façon qu’il transforme la force de travail des ouvriers en marchandises, qu’il fait de nos désirs et sentiments les plus intimes des marchés potentiels, le capitalisme ne voit dans la nature qu’un vaste entrepôt qu’il peut piller et saccager à volonté pour alimenter le poids écrasant de l’accumulation. Nous voyons maintenant les ultimes conséquences de l’illusion de dominer la nature “comme un conquérant le ferait d’un peuple étranger” : cela ne peut aboutir qu’à “la nature prend sa revanche”, à une échelle bien plus importante qu’avec n’importe quelle autre civilisation du passé, du fait que cette “revanche” pourrait se terminer par l’extinction de l’humanité.
Revenons au dernier passage d’Engels, où il écrit que “toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement”. Il va même plus loin : “En fait, nous apprenons chaque jour à comprendre plus correctement ces lois et à connaître les conséquences plus ou moins lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature. Surtout depuis les énormes progrès de la science de la nature au cours de ce siècle, nous sommes de plus en plus à même de connaître aussi les conséquences naturelles lointaines, tout au moins de nos actions les plus courantes dans le domaine de la production, et, par suite, d’apprendre à les maîtriser”. Le paradoxe du capital est que, alors que sous son règne, le développement de la science a rendu possible de comprendre les lois de la nature à un degré jamais vu, il semble toujours plus incapable de les “appliquer correctement”.
Pour Engels, bien sûr, la capacité à contrôler les conséquences de notre production dépend du dépassement du capitalisme et de l’appropriation de la science par la classe ouvrière révolutionnaire. Mais Engels, pensant que la victoire de la Révolution socialiste n’était pas lointaine, ne pouvait pas prédire la tragédie des siècles qui ont suivi : la défaite de la première tentative de révolution prolétarienne mondiale et la perpétuation d’un système capitaliste qui a atteint un tel niveau de décadence qu’il est en train de miner les propres bases d’une future société communiste. Dans le monde cauchemardesque que le capitalisme décadent étale devant nos yeux, la connaissance scientifique des lois de la nature, qui pourrait et devrait être utilisée au profit de l’humanité toute entière, est toujours plus mobilisée pour aggraver les calamités qui se succèdent, la pliant à l’intensification de l’exploitation de l’homme et de la nature ou à la création de terrifiantes armes de destruction qui, en elles-mêmes, sont une menace écologique majeure. En effet, une façon d’apprécier la décadence du capitalisme est précisément le gouffre sans cesse plus large qui sépare le potentiel créé par le développement des forces productives (dont la science est une part vitale) et la façon dont ce potentiel est bloqué et détourné par les relations sociales existantes.
En soi, même la connaissance scientifique la plus désintéressée est impuissante à renverser le développement de la pollution de l’environnement. D’où le fait que les innombrables mises en garde des corps scientifiques concernés sur la fonte des glaciers, l’empoisonnement des océans ou l’extinction d’espèces sont toutes perpétuellement ignorées ou combattues par les politiques réelles de gouvernements capitalistes pour lesquels la première règle est toujours “se développer ou mourir”, que ces gouvernements soient menés par de véritables climato-sceptiques comme Trump, par des libéraux convaincus ou par de soi-disant socialistes.
Il n’y a de solution à la crise écologique (de plus en plus indissociable de la crise économique irréversible du capitalisme et de la montée des tensions et des conflits impérialistes) que si l’humanité “reprend le contrôle” par la suppression de l’accumulation du capital, avec toutes ses manifestations, notamment l’argent, l’État et toutes les frontières nationales. Le travail doit s’émanciper lui-même de l’exploitation capitaliste : tout le processus de production doit être organisé sur la base des besoins des producteurs et de leurs relations à long terme avec le reste de la nature.
C’est une condition préalable à la survie de la civilisation humaine. Mais c’est aussi bien plus que cela. Dans le passage cité plus haut, Engels poursuit : “Mais plus il en sera ainsi, plus les hommes non seulement sentiront, mais sauront à nouveau qu’ils ne font qu’un avec la nature et plus deviendra impossible cette idée absurde et contre nature d’une opposition entre l’esprit et la matière, entre l’homme et la nature, entre l’âme et le corps, idée qui s’est répandue en Europe depuis le déclin de l’Antiquité classique et qui a connu avec le christianisme son développement le plus élevé”.
Ici, Engels revient à l’une des plus audacieuses hypothèses du jeune Marx sur la nature du communisme. Le communisme pleinement réalisé signifie l’émancipation du travail, pas seulement dans le sens de se débarrasser de l’exploitation de classe : il réclame aussi la transformation du travail de punition en plaisir, la libération de la créativité humaine. Ceci constitue la condition préalable à la transformation subjective de l’espèce humaine, qui alors “sentira et saura” son unité avec la nature.
De telles notions nous emmènent dans un futur lointain. Mais ce ne sera notre futur que si la classe qui l’incarne, le prolétariat mondial, est capable de se battre pour ses intérêts propres, pour redécouvrir sa propre conscience de soi en tant que classe et de formuler une perspective pour ses luttes. Cela signifie que les luttes immédiates, défensives devront de plus en plus incorporer la lutte contre l’oppression capitaliste et la barbarie sous toutes ses formes ; en même temps, ce n’est qu’en se battant sur son propre terrain de classe que le prolétariat peut attirer derrière lui toutes ces couches de la société qui veulent mettre un terme à la cannibalisation de la nature par le capitalisme. La reconnaissance que le capitalisme est une menace pour toute vie sur la planète sera centrale dans cet élargissement de la lutte de classe vers une révolution politique et sociale.
Amos
1Anthropologues, géologues et autres scientifiques ont créé le terme “anthropocène” pour définir une nouvelle ère géologique dans laquelle l’homme a définitivement imprimé sa marque à l’atmosphère, au climat et à la biologie de la Terre. Ils mettent en avant différents moments pour marquer la transition entre l’holocène et l’anthropocène, certains voient l’agriculture comme un élément crucial, d’autres optent pour le début de la civilisation industrielle, c’est-à-dire le début de l’époque capitaliste, mais incluent également une phase d’accélération considérable après 1945.
2Voir notre article : “Écologie : c’est le capitalisme qui pollue la terre [792]”, Revue internationale n° 63 4e trimestre 1990).
3 En allemand dans le texte : Le capital, titre d’un ouvrage majeur de Marx.
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Les 5 et 10 décembre, venus de tous les secteurs et issus de toutes les générations, des centaines de milliers de manifestants sont descendus ensemble dans la rue contre la “réforme” des retraites. Dans les cortèges, la colère et la combativité étaient évidentes. Depuis les luttes de 2003 et 2010 contre la réforme des retraites, nous n’avions pas vu en France une telle atmosphère sociale, un tel enthousiasme d’être aussi nombreux à se mobiliser tous ensemble contre cette attaque qui touche toute la classe des exploités : salariés du public et du privé, actifs et retraités, chômeurs, travailleurs précaires, étudiants. La solidarité dans la lutte se manifeste aujourd’hui encore par la volonté de se battre non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les générations futures et pour les autres secteurs. Aujourd’hui, mardi 17 décembre, après le discours révoltant d’Édouard Philippe et ses mesures qui annoncent un allongement du temps de travail et une aggravation de la misère pour tous les retraités, nous sommes de nouveau mobilisés massivement. Nous devons profiter de cette journée pour discuter et réfléchir ensemble dans les manifestations
Le Premier ministre, Édouard Philippe, et son gouvernement, peuvent enrober leurs discours de tous leurs savants mensonges, leur objectif est clair : leur “réforme” des retraites vise à faire réaliser des économies à l’État en réduisant encore plus les pensions. Personne n’est dupe, leur “justice sociale”, c’est la baisse de nos revenus, c’est l’appauvrissement de tous.
Le gouvernement, cache (mal) son véritable objectif : à cause des licenciements ou de l’usure professionnelle, les travailleurs finiront par prendre leur retraite sans avoir toutes leurs annuités (ou tous leurs points) et devront se contenter de pensions rabotées. Beaucoup ne pourront même pas toucher le minimum promis, déjà misérable, de 1 000 euros car il ne s’applique qu’aux carrières complètes.
Pour masquer cette dégradation généralisée des conditions de vie, pour diviser les travailleurs et leur lutte, le gouvernement use de tous les stratagèmes. Il pointe d’un doigt accusateur les cheminots de la SNCF et les travailleurs de la RATP qualifiés “d’égoïstes privilégiés” et même “de preneurs d’otage”. Avec force publicité à la télévision et dans la presse, ce gouvernement fait des promesses à tel ou tel secteur, négocie branche par branche, corporation par corporation. Aux enseignants : quelques miettes de primes. Aux cheminots : quelques aménagements calendaires. Il fait mine d’épargner les travailleurs nés avant 1975 pour nous diviser entre jeunes et vieux. Il prétend vouloir favoriser les femmes alors que les travailleuses seront comme tous les autres, plus pauvres quand elles atteindront l’âge de la retraite.
Cette “réforme” n’est qu’une attaque violente parmi tant d’autres. Partout, dans les usines comme dans les administrations, dans toutes les corporations, dans tous les secteurs, dans le privé comme dans le public, la bourgeoisie impose les mêmes conditions de travail insoutenables. Partout, la précarité menace. Partout, les nouvelles “réformes” annoncent un avenir plus dur encore. L’objectif du gouvernement est de rendre l’économie française la plus compétitive possible sur l’arène internationale, alors qu’avec l’aggravation de la crise économique mondiale, la concurrence entre les nations est de plus en plus acharnée. Il tape et tape encore, au nom de la rentabilité “nécessaire”, de la compétitivité “obligatoire”, de l’équilibre budgétaire “incontournable” alors qu’augmentent de façon indécente les revenus et les privilèges des capitalistes.
Lors de la manifestation du 10 décembre, à Paris, un cheminot de la SNCF nous a tenu ces propos : “Ils disent qu’on se bat pour nos privilèges. Moi, j’ai plus de 50 ans. Je ne vais pas être touché par la réforme. Mais ça fait 15 jours que je suis quand-même en grève et dans les AG. Ce n’est pas pour moi que je me bats. C’est pour les plus jeunes. Et pas seulement de la SNCF. Pour tous les autres, dans tous les métiers. On doit tous être solidaires. Il ne faut pas accepter d’être ainsi méprisés”.
Et il ne s’agit pas d’un témoignage isolé. Bien au contraire. Cette solidarité entre les générations et entre les secteurs, ce sentiment d’appartenir au camp des exploités, de devoir lutter ensemble est présent dans toutes les têtes. Telle est la particularité du mouvement actuel : après des années d’atonie, de repli sur soi, les travailleurs commencent à redécouvrir leur capacité à s’unir, à se soutenir et à combattre ensemble, de façon solidaire et unie.
Les syndicats ont perçu cette dynamique naissante et c’est pourquoi ils se présentent aujourd’hui, sans vergogne, comme les promoteurs de la solidarité alors qu’ils n’ont en réalité de cesse de diviser les travailleurs.
Édouard Philippe a clôturé son discours du 11 décembre en affirmant hypocritement : “Ma main est tendue et notre porte reste ouverte”. Mais ouverte à qui ? Aux “partenaires sociaux”, c’est-à-dire aux syndicats qui ne représentent en rien l’intérêt des travailleurs.
En effet, depuis cette date, toute une série de négociations s’est engagée avec ces “partenaires sociaux”, particulièrement sur la question de “l’âge pivot” fixé à 64 ans et qui permet à la CFDT de “raccrocher les wagons” pour se donner une image plus combative. Ici, un premier piège se dessine : dans un avenir proche, le gouvernement pourrait faire mine de reculer, momentanément, sur cet aspect particulier de sa réforme sur lesquels les médias focalisent toute l’attention pour faire diversion. Les syndicats classés comme “réformistes” pourront alors clamer avoir obtenu satisfaction. Le travail syndical de division du mouvement pourra ainsi commencer !
Un autre piège est à prévoir : alors que, dès septembre, la combativité était forte dans de très nombreux secteurs, les syndicats ont choisi de lancer le mouvement le… 5 décembre. Pourquoi cette attente de plus de trois mois ? Tout simplement parce que les fêtes de Noël et du Nouvel-An tombent fin décembre ! En France, la trêve des confiseurs est le plus mauvais moment, avec les congés d’été, pour le développement d’un mouvement social de tous les travailleurs. C’est une manœuvre classique des syndicats. Il y a de fortes chances que durant ces quinze jours, poussés par la CGT et SUD, les cheminots de la SNCF et de la RATP poursuivent presque seuls la lutte. L’objectif visé par les syndicats est d’émietter le mouvement ; d’épuiser sa combativité et d’isoler les travailleurs du secteur des transports, tout en permettant aux médias d’alimenter une intense campagne contre ces prétendus “preneurs d’otage qui empêchent les travailleurs de voyager et de profiter de leurs congés bien mérités”.
Encore dans son discours du 11 décembre, Édouard Philippe a lancé fièrement : “Il y a toute une série de points où nous pouvons améliorer la réforme, notamment la pénibilité”. C’est là que se trouve le troisième piège : le gouvernement négocie branche par branche pour nous diviser. Mais avec qui mène-t-il ces négociations ? Encore et toujours avec… les syndicats ! Alors que les “partenaires sociaux” affichent haut et fort que cette réforme est une attaque contre tous les travailleurs, ils se retrouvent au même moment autour de la table des négociations avec le gouvernement (dans notre dos, comme toujours), pour “étudier ensemble” comment les travailleurs de l’enseignement, des transports, des hôpitaux, (ou d’un autre métier pénible) pourraient être en partie et momentanément épargnés par tel ou tel aspect de la réforme. Bref, gouvernement et syndicats jouent ensemble, main dans la main, le jeu de la division corporatiste !
Souvenons-nous que, depuis des années, les syndicats multiplient les journées d’action corporatistes, qu’ils enferment chaque fois qu’ils le peuvent les salariés en lutte dans l’isolement, chacun dans sa boite et avec son mot d’ordre et ses revendications spécifiques. Et plus la lutte est isolée, plus les syndicats la font durer, jusqu’à épuisement total des grévistes.
La caricature de ce travail de sape a été l’appel des “collectifs” Inter-urgence et Inter-hôpitaux à ne pas se joindre à la grève du 5 décembre, au nom de la “spécificité des revendications hospitalières” et pour ne pas “être dilué dans un mouvement fourre-tout”. C’est ainsi que ces “collectifs” (noyautés par les syndicats et les groupes trotskistes) avaient appelé les hospitaliers à se mobiliser pour une journée d’action spécifique le 30 novembre.
Mais la réflexion des travailleurs sur la nécessité de se battre de façon unie et solidaire a réussi à contrer la manœuvre de division corporatiste orchestrée par ces “collectifs” : les infirmières, les urgentistes et les internes étaient finalement nombreux à ne pas suivre les ordres syndicaux et à manifester les 5 et le 10 décembre !
Ne soyons pas naïfs, aujourd’hui les syndicats se gonflent de leur unité et de leur radicalité retrouvées en annonçant qu’il n’y aura pas de “trêve des confiseurs”, afin de rendre la grève “impopulaire” à la RATP et la SNCF. Cette manœuvre n’a qu’un seul but : nous diviser pour nous mener à la défaite et la démoralisation !
Tous les exploités ont les mêmes intérêts à défendre. Ils mènent la même lutte. C’est seulement unis et solidaires, au-delà des secteurs et des corporations, que nous pourrons être forts. Cette nécessaire unité dans la lutte implique de se reconnaître non plus comme cheminots, infirmiers, caissiers, enseignants ou informaticiens, mais comme travailleurs exploités. Voilà ce que prouvent une nouvelle fois les manifestations massives de décembre ! Voilà ce qui aujourd’hui inquiète la bourgeoisie française !
Mais si nous continuons de confier notre lutte aux syndicats, ces pompiers sociaux vont saboter le développement de notre combativité et de notre solidarité. Au nom de l’unité, ils vont nous diviser. Au nom de la radicalité, ils vont nous épuiser. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Pour porter plus loin nos luttes, il nous faudra apprendre à nous organiser par nous-mêmes, en appelant à des assemblées générales massives, ouvertes à tous et en envoyant des délégations aux entreprises les plus proches de notre lieu de travail. C’est possible, nous l’avons déjà fait. Souvenons-nous :
En 1968, alors que la crise économique mondiale commençait à frapper à nouveau et, avec elle, le retour du chômage, les travailleurs en France s’étaient unis dans la lutte. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales s’étaient propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Très souvent, cette dynamique d’extension et d’unité s’était développée en dehors du giron des syndicats et de nombreux ouvriers avaient déchiré leur carte syndicale après les accords de Grenelle du 27 mai entre les syndicats et le patronat, accords qui avaient enterré le mouvement.
Au printemps 2006, le gouvernement avait dû retirer son “Contrat Première Embauche” face au développement de la solidarité entre les générations ouvrières. Les étudiants précaires avaient organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités. Ils avaient mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Ces AG étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions étaient prises, notamment sur les moyens d’élargir la lutte. Résultat : chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan “Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade”. La bourgeoisie française, le patronat et le gouvernement Villepin, face à cette extension et tendance à l’unification du mouvement engagé par les étudiants, n’avaient pas eu d’autre choix que de retirer le CPE
Aujourd’hui, les travailleurs salariés, les chômeurs, les retraités, les étudiants précaires manquent encore de confiance en eux, en leur force collective, pour oser prendre en main leur lutte. Mais il n’y a pas d’autre chemin. Toutes les “actions” proposées par les syndicats mènent à la division, à la défaite et à la démoralisation. Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes, massives et autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte solidaire et unie, de tous les secteurs, toutes les générations. Des AG qui permettent à tous de participer au mouvement. Des AG qui mettent en avant des revendications communes à tous. Des AG dans lesquelles nous nous sentons unis et confiants en notre force collective. Des AG permettant de déjouer les manœuvres des syndicats et de prendre nous-mêmes la direction de notre combat.
Quand ce mouvement s’arrêtera, car inexorablement il aura une fin, les travailleurs les plus combatifs et déterminés devront se regrouper. Ces travailleurs doivent se rassembler pour former des “comités de lutte” afin de discuter ensemble, tirer les leçons de ce mouvement social, se réapproprier celles des mouvements passés et préparer les combats futurs.
Seul le prolétariat pourra, à terme, ouvrir les portes de l’avenir pour les générations futures face à ce système capitaliste décadent qui porte en lui toujours plus de misère, d’exploitation et de barbarie, qui porte la guerre et les massacres comme la nuée porte l’orage. Un système qui est en train de détruire l’environnement et qui menace la survie de l’humanité.
Seule la lutte massive, unie et auto-organisée de la classe exploitée peut freiner et repousser les attaques présentes de la bourgeoisie.
Seul le développement de cette lutte pourra ouvrir le chemin au combat fondamental et historique de la classe ouvrière pour l’abolition de l’exploitation et du capitalisme.
Courant Communiste International, 15 décembre 2019
L’histoire du monde est une histoire complexe et il est très difficile de comprendre l’évolution d’un pays si on ne le remet pas dans le contexte de la situation internationale.
Notre organisation a signalé à plusieurs reprises l’existence d’un phénomène de dimension globale : le populisme (1) qui n’est pas seulement un piège pour le prolétariat mais également un problème pour la bourgeoisie elle-même dans divers pays au point que parfois, il nécessite la contribution de la dénommée “communauté internationale” pour le résoudre :
“Que les courants populistes soient au gouvernement ou qu’ils se contentent de perturber le jeu politique classique, ils ne correspondent pas à une option rationnelle de gestion du capital national ni donc à une carte délibérée jouée par les secteurs dominants de la bourgeoisie qui, notamment à travers leurs médias, dénoncent en permanence ces courants. (…) La montée du populisme constitue une expression, dans les circonstances actuelles, de la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie des rouages de la société résultant fondamentalement de ce qui se trouve au cœur de la décomposition de celle-ci, l’incapacité des deux classes fondamentales de la société d’apporter une réponse à la crise insoluble dans laquelle s’enfonce l’économie capitaliste”. (2)
Pour ne citer que les exemples les plus remarquables, nous pouvons évoquer celui de Donald Trump, personnage instable et capricieux, président de l’État le plus puissant du monde, les États-Unis, qui passe son temps à prendre des décisions qui déconcertent la “communauté internationale” : il dénonce et retire le pays d’une série d’accords sur l’environnement, il met en veilleuse des institutions comme l’OTAN, proclame que les accords bilatéraux prévalent sur les multilatéraux et instaure une politique protectionniste qui impose des taxes non seulement à la Chine mais aussi à l’Europe. À quoi il faut ajouter tous les aspects de la politique plus spécifiquement impérialiste, avec laquelle il prétend récupérer le prestige terni de la superpuissance nord-américaine par le biais d’initiatives au futur incertain comme celle d’une possible attaque de l’Iran et d’autres aventures hasardeuses.
Un second cas médiatisé bien connu est la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, sanctionnée par référendum populaire en juin 2016, le Brexit. Dans ce cas également et peut-être même encore plus, les conséquences d’un acte aussi irresponsable, échafaudé par des forces populistes et incompatibles avec les intérêts de la bourgeoisie elle-même, se sont fait sentir immédiatement. Les gouvernements qui ont tenté de mener à bien le Brexit sortent échaudés les uns après les autres sans avoir trouvé de solution à une situation face à laquelle la bourgeoisie britannique apparaît totalement impuissante. (3)
Bien évidemment, ce bref résumé ne pouvait omettre l’exemple de l’Italie avec l’ex-gouvernement populiste de Salvini et Di Maio auxquels il faut ajouter la marionnette Conte comme premier ministre : “La première année d’existence du gouvernement de Conte a confirmé toutes ses difficultés à gérer la situation italienne, avec également d’importantes répercutions au niveau européen. Les divisions au sein de la majorité gouvernementale sont à l’ordre du jour, chacun des deux partis, la Ligue du Nord et le Mouvement 5 Étoiles (M5S) essayant de ramener la couverture à soi pour tenter de réaliser les promesses faites à leurs électeurs. Ce gouvernement se base essentiellement sur le marchandage continu entre le M5S et la Ligue : j’accepte que tu fermes les ports aux migrants si tu acceptes mon “revenu citoyen”, ton impôt fixe contre mon salaire minimum, tout cela agrémenté d’affrontements que Conte finit par résoudre avec la menace de sa propre démission. Face à l’enlisement économique, la menace de fermeture de grandes entreprises (ILVA, Alitalia, Almaviva, Whirlpool…) et de beaucoup d’autres plus petites qui ne font pas les gros titres de l’actualité, le gouvernement démontre une incohérence déconcertante au niveau économique, particulièrement en ce qui concerne les mesures à prendre afin d’éviter que la dette publique ne s’envole et que la TVA n’augmente alors que, vis-à-vis de l’UE, il y a un balancement entre d’un côté, l’attitude de “taper du poing sur la table sur la question des migrants” ou en proclamant “ce n’est pas l’Europe qui décide pour les Italiens” de Salvini et, de l’autre, les tentatives du ministre Tria et du Premier Ministre Conte d’arriver à un accord avec la Commission européenne afin d’éviter la procédure pour infraction engagée par l’UE et les sanctions correspondantes, sans pour autant revenir sur la question du revenu citoyen et celle des impôts fixes pour ne pas mettre en difficulté les deux vice-présidents du Conseil des Ministres”.(4)
Ceci est le cadre dans lequel il est possible de comprendre la chute du gouvernement et les facteurs qui l’ont précipitée.
Le développement de ces fractions populistes irresponsables exprime une certaine perte de contrôle de la part de la bourgeoisie sur son action politique et en particulier en ce qui concerne l’orientation du “vote populaire”. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle a épuisé tous ses recours. La bourgeoisie ne demeure pas les bras croisés et tente, autant que faire se peut, de s’opposer et/ou de domestiquer les partis populistes. Pour cela elle essaye d’utiliser tous les recours possibles, incluant, entre autres, le développement du mouvement écologiste, la “découverte” de complots internationaux impliquant les divers leaders populistes jusqu’à user de procédures pénales contre ces derniers suite à la révélation de tel ou tel trafic de capitaux.
La première mesure de portée internationale a été la promotion de Greta Thunberg comme leader du mouvement écologiste. Après des décennies de protestations inutiles mais également de rapports très préoccupants de la part d’équipes reconnues de chercheurs dans ce domaine, la bourgeoisie désormais se découvre une fibre verte et écologiste, recevant la jeune Greta dans les plus grandes institutions mondiales (UE, ONU, le Pape, etc.) pour mettre en scène son grand spectacle : alors que l’adolescente, hargneuse, leur passe un savon en leur disant “comment osez-vous parler d’économie ?”, “vous nous avez volé notre futur !”, l’assemblée condescendante répond par des applaudissements nourris.
Comment cela est-il possible ? En partie parce que la bourgeoisie a besoin de reporter l’attention de la population sur d’autres sujets comme l’environnement, lequel est, comme par hasard, l’une des bêtes noires du populisme (cf. les positions de Trump, Bolsonaro et consorts). Ce n’est pas un hasard si, lors des récentes élections européennes, les votes ont traduit une hausse significative de la popularité des Verts et une augmentation des suffrages recueillis par les populistes bien en deçà de leurs espérances. Entre autres choses, cela permet de gérer le problème réel de souffrance qui existe dans la population par le biais d’un mouvement totalement piloté par la bourgeoisie. (5)
À cette première manœuvre s’ajoutent des opérations que nous pourrions qualifier de ad personam. Dans le cas de Trump, depuis son élection, les secteurs les plus responsables de la bourgeoisie nord-américaine ont tâché de contenir l’activisme insensé du président populiste en usant de l’épée de Damoclès de l’impeachment, une procédure politique qui se baserait sur les soupçons d’influences étrangères dans les affaires internes des États-Unis.
Dans le cas de Boris Johnson, l’actuel Premier ministre britannique partisan d’un Brexit sans négociation avec l’UE, qui équivaudrait à un passage en force, c’est le Tribunal Suprême du Royaume-Uni qui s’en est chargé. Ce tribunal, en dressant un acte d’accusation très dur, a déclaré illégale la mesure visant à suspendre durant cinq semaines l’activité législative du parlement, dans le but de finaliser le Brexit sans être gêné.
En Autriche, nous avons été témoins d’un scandale au sujet des négociations secrètes à Ibiza entre Strache (leader politique du parti populiste autrichien, le FPÖ et vice-chancelier autrichien) et la prétendue nièce d’un oligarque russe qui s’est proposée d’investir 250 millions d’euros en actions dans la presse autrichienne avec de l’argent liquide d’origine douteuse. En réalité tout cela était faux, la jeune femme servait d’hameçon et Strache a tout avalé : l’hameçon, la ligne et la canne à pêche. Une caméra cachée l’a enregistré alors qu’il conseillait à la séduisante blonde d’acheter un journal autrichien d’opposition pour le convertir en organe officiel de son parti. En échange, il promettait de lui transférer tous les contrats accordés à l’entreprise de construction Strabag, dont le propriétaire est un adversaire du FPÖ. La vidéo a été enregistrée en juillet 2017 mais c’est seulement en mai 2019 qu’elle a atterri entre les mains du Spiegel et de la Suddeutsche Zeitung, juste à temps pour déclencher une crise gouvernementale à Vienne à la veille des élections européennes. L’épilogue de cette histoire est que Strache a décidé d’abandonner la politique depuis le 1er octobre 2019.
Dans le cas de l’Italie, on peut dire que la fraction la plus responsable de la bourgeoisie italienne a tenté de dompter Salvini. Sur le plan judiciaire, avec des investigations portant sur 49 millions d’euros de la Ligue qui ont disparu de ses comptes de trésorerie comme par enchantement ; toujours sur le plan judiciaire, mais avec de possibles conséquences sur les relations internationales, à travers les révélations dans la presse de l’implication de Savoini, bras droit de Salvini, dans la négociation d’achat, de la part d’ENI, d’une grande quantité de pétrole vendu par la Russie avec un rabais de 65 millions de dollars qui auraient atterri, en liquide, dans les caisses de la Ligue (6) afin de le mettre en difficulté comme ministre de l’Intérieur où il était chargé de la lutte contre l’immigration. (7)
Mais finalement il ne fut pas nécessaire de recourir à l’une de ces solutions (qui pourront toutefois servir de cartouches en réserve pour le futur) car ce qui a déterminé la chute de Salvini fut l’action du parti le plus responsable de la bourgeoisie italienne qui correspond à l’appareil de la présidence de la République italienne, ayant simplement profité de l’erreur irréparable de Salvini : sa décision maladroite de dissoudre le gouvernement.
Regardons de plus près comment se sont déroulées les différentes étapes de la déchéance de la Ligue : enhardi par le consensus obtenu grâce à ses campagnes médiatiques et convaincu qu’il pouvait transformer en votes la forte hausse de popularité qui s’était déjà concrétisée dans les élections européennes, durant lesquelles il avait réussi à renverser le rapport de force avec son allié du gouvernement M5S, Salvini a décidé au milieu de l’été de brouiller les cartes et de demander la démission du chef du gouvernement Conte, un gouvernement auquel lui-même et d’autres ministres de la Ligue appartenaient, sans pour autant présenter sa propre démission. Cependant, Salvini, dont la naïveté n’a d’égal que la suffisance, n’a pas pris en compte le jeu politique qui permet d’appliquer l’arithmétique et considérer la possibilité de composer des majorités différentes. Ainsi, avec la bénédiction de la présidence de la République, a surgi un nouveau gouvernement composé par le M5S, le Parti Démocrate (PD) et Libres et Égaux (LeU). (8) En vain, Salvini a d’abord tenté de faire marche arrière, allant jusqu’à offrir la Présidence du Conseil à Di Maio (9) pour ensuite finir par accuser ses anciens alliés de s’être mis d’accords entre eux pour se répartir les ministères. En réalité, Salvini est l’unique responsable de ce qui s’est produit et la bourgeoisie italienne et internationale a poussé un soupir de soulagement au vu de la tournure des événements. D’un autre côté, si l’on observe l’évolution du taux d’intérêt des emprunts de l’État italiens, on voit clairement que plus s’effondrait le gouvernement Salvini–Di Maio, plus ce taux diminuait, ce qui montre clairement que les marchés escomptaient que ce gouvernement vivait ses derniers instants.
Ainsi Salvini, qui était devenu, de fait, celui qui dictait la ligne du gouvernement, apparaissant constamment dans les médias et cherchant à attirer à lui toujours plus de popularité, a fini par être poussé courtoisement hors du jeu politique. Force est de reconnaître la grande expérience et la capacité de manœuvres des plus hautes sphères de la bourgeoisie italienne qui, bien que cela ne se fit pas de manière visible, a tissé la toile du nouveau gouvernement.
Les choses en étant arrivées là, se pose la question suivante : qu’attendre de ce nouveau gouvernement ? Quelles seront sa durée et sa stabilité ? Quelle sera sa politique envers le prolétariat ? Tout ce que l’on peut dire pour le moment, c’est que l’accueil par la “communauté internationale” a été des plus favorables. Le fait que Salvini n’était pas seulement un problème pour l’Italie mais également pour l’ensemble de la dénommée communauté internationale est démontré par ce qui a suivi la formation du gouvernement Conte-bis. La satisfaction de l’UE au sujet de ce nouveau gouvernement et la promesse faite de l’aider le confirment. Le changement d’attitude envers l’UE a donné des résultats immédiats avec la répartition des migrants débarqués entre les différents pays européens.
En fait, la politique des “portes fermées” était plus un slogan propagandiste de Salvini qu’une véritable politique capable d’aborder le problème de l’arrivée des migrants : les ports étaient seulement fermés aux ONG alors que le nombre total de migrants récupérés par celles-ci s’élevait à seulement 10 % du total des personnes débarquées en Italie.
Au niveau économique, la bourgeoisie italienne pourra également compter sur l’aide de la bourgeoisie européenne qui lui accordera une plus grande marge de manœuvre sur l’augmentation du déficit, alors que l’Europe avait réprimandé le gouvernement Salvini–Di Maio pour cela.
Trump a également salué ce dénouement, ce qui pourrait paraître surprenant, mais étant donnée la possibilité que la Ligue exprime ouvertement une orientation toujours plus pro-Russe, il est préférable pour les États-Unis d’avoir une Italie liée à l’UE qu’une Italie loyale à la Russie de Poutine. Suite au spectaculaire changement de statut de Conte, passant de marionnette entre les mains de Salvini et de Di Maio à une figure politique de premier plan, il est probable qu’il ait reçu des conseils et un appui de la part des gouvernements européens.
Ce dénouement anti-populiste de la crise politique en Italie s’ajoute à l’atout Macron utilisé en France contre la menace d’une présidence populiste de Le Pen et toutes les autres politiques déjà mentionnées.
La force de ce gouvernement repose sur le fait qu’il ait récupéré la participation du PD, un parti historique avec une grande expérience politique, caractérisé par sa grande responsabilité et sa fiabilité pour l’État bourgeois et qui aura également une influence sur le M5S, une formation avec de fortes caractéristiques populistes mais de nature distincte du populisme de droite. La collaboration avec le PD pourra limiter l’effet de telles caractéristiques populistes et déjà les premières semaines de gouvernance le prouvent.
Ceci dit, les perspectives de ce gouvernement ne sont pas des plus prometteuses. Bien au contraire. Les problèmes sont, d’une part, celui de sa cohésion politique et d’autre part, celui des mesures économiques qu’il se verra dans l’obligation d’adopter. De fait, peu de jours après sa formation, s’ensuivit la séparation de Renzi du PD et la formation de “Italia Viva”. Avec la création de ce groupe, qui occupe une position centrale entre le PD et Forza Italia, (10) Renzi exprime son ambition de récupérer les voix de ce dernier parti actuellement à la dérive en plus de rafler tous les modérés du PD en suivant des ambitions totalement personnelles et irresponsables. Malgré les déclarations réitérées de soutien au gouvernement de Conte et de non-belligérance envers le PD, il est évident que, de la part de Renzi, la formation d’un parti autour de lui correspond au projet de faire pencher la balance de son côté et de se dédier à faire du chantage au gouvernement de Conte. D’un autre côté, le M5S est incapable de rompre avec l’influence populiste que l’imprévisible Beppe Grillo exerce en son sein et pour laquelle il reste soumis à une surveillance constante du reste de la bourgeoisie.
Mais le problème majeur auquel va se confronter ce gouvernement sera peut-être ce qu’il sera contraint de faire au niveau économique. L’Italie doit prendre des décisions importantes pour revitaliser l’économie avec une croissance nulle et des entreprises qui ferment les unes après les autres, comme entre autres Whirlpool, et il ne sera certainement pas facile de résoudre ces problèmes avec une récession se profilant à l’horizon qui laissera encore moins de marge de manœuvre qu’aujourd’hui. En même temps, les difficiles conditions économiques et les difficultés auxquelles sera confronté ce gouvernement peuvent constituer une base pour la reprise de l’action populiste avec le soutien à Salvini de la part de Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni. (11)
Quel que soit le résultat de cette histoire, il est clair que les travailleurs, les jeunes, les retraités, les chômeurs, les immigrés et les prolétaires en général ne connaîtront pas de répit et ne pourront espérer un avenir meilleur s’ils ne prennent pas en main leur destinée.
Ezequiel, 10 octobre 2019
1 Voir l’article : “Contribution sur le problème du populisme [626]” (juin 2016).
2 “Résolution sur la situation internationale du 23e Congrès du CCI : Conflits impérialistes, vie de la bourgeoisie, crise économique [794]” (2019).
3 Voir notre article “Brexit : la bourgeoisie tend à perdre le contrôle de son jeu politique [795]”.
4 “L’Italia nel quadro delle elezioni europee : difficoltà per la borghesia e trappole per i proletari”, Rivoluzione Internazionale n° 183 (organe de presse du CCI en Italie).
5 Voir notre tract international : “Seule la lutte de classe peut mettre fin à la course du capitalisme vers la destruction [796]”.
6 Cet épisode, qui échoua, jette une lumière nouvelle sur les orientations en matière de politique extérieure de la Ligue du Nord. La propagande contre “l’Europe de l’austérité”, “l’Europe des bureaucrates”, révèle une attitude résolument antieuropéenne qui va jusqu’à la menace d’abandonner l’Euro. D’un autre côté, il y a l’exaltation de la Russie de Poutine qu’ils considèrent comme “l’un des meilleurs leaders de l’histoire”. Le pouvoir judiciaire est en train de mener, entre autres, un procès pénal pour une possible subvention russe à la Ligue.
7 L’ovation que Carola Rackete a reçue le 3 octobre devant la Commission sur les libertés civiles, la Justice et les Affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen est particulièrement significative. Rackete était la capitaine du Sea Watch 3 qui était restée à bord à Lampedusa durant plus de deux semaines avec son équipage et 53 migrants récupérés en mer. Une fois de plus, cet éloge rendu à ceux qui n’hésitent pas à accuser le pouvoir : “Où étiez-vous quand nous avons demandé de l’aide par tous les moyens de communications et canaux diplomatiques possibles pour pouvoir accoster ?”, semble surtout être un coup porté au populisme.
8 Le Parti Démocrate, centriste, fondé en 2007 est héritier de la coalition de L’Olivier au pouvoir entre 1996 et 2001 puis entre 2006 et 2007, il rassemble l’ex-parti social-démocrate, la “gauche” de l’ex-démocratie-chrétienne, des “socialistes libéraux” ainsi que les vestiges de “l’aile réformatrice” du PC ; LeU Liberi e Uguali est également une coalition électorale formée fin 2017 comprenant divers courants qui prétendent représenter une “gauche démocratique et progressiste” ainsi que des Verts. Le dirigeant de cette coalition est Pietro Grasso, un magistrat engagé dans la lutte contre la Mafia.
9 Leader du Mouvement 5 Étoiles qui a occupé divers postes ministériels (dont celui des Affaires étrangères) et vice-président du Conseil des ministres dans le cadre de son alliance au pouvoir avec la Ligue du Nord.
10 Le parti de Berlusconi (note du traducteur).
11 Parti (fondé fin 2012) qui se veut le continuateur du MSI néo-fasciste dont la présidente (une sorte de Marine Le Pen à l’italienne) se distingue par la virulence de ses discours anti-immigrés et ultra-sécuritaire (note du traducteur).
À l’occasion de ces fêtes de fin d’année, la bourgeoisie ne cesse d’accuser les grévistes, notamment les cheminots, d’avoir “l’indécence” de “gâcher la magie de Noël”. Pourtant, elle et son système n’ont fait que pourrir la vie des prolétaires depuis des lustres, les enfoncer dans des conditions de vie, de travail et de retraite toujours plus précaires et misérables… pas seulement en fin d’année ! C’est cela la véritable “indécence” !
C’est pourquoi nous republions, plus d’un siècle après sa parution, l’article ci-dessous de Rosa Luxemburg qui n’a rien perdu de sa tragique actualité, alors que, récemment encore, au moins 43 ouvriers à New Dehli ont péri dans les flammes de l’incendie qui a ravagé leur usine. Cette usine leur servait également de dortoir car leur salaire dérisoire ne leur permettait pas de se loger ailleurs.
Rosa Luxemburg évoque ici un événement dramatique qui secoua Berlin lors des fêtes de fin d’année 1911 : plusieurs dizaines de pensionnaires d’un asile de nuit furent terrassés par de la nourriture avarié et elle dénonça avec virulence l’horreur de cette hécatombe. Elle y montrait que les miséreux qui succombaient aux harengs pourris et à l’alcool frelaté étaient avant tout des prolétaires victimes du système capitaliste, comme tant d’autres avant et après eux.
Tandis qu’un siècle plus tard, les “Lazare du prolétariat” pourrissent toujours plus nombreux dans les rues et les asiles, crament dans des logements insalubres ou inappropriés, que des masses croissantes de la population se paupérisent chaque jour davantage sous les coups de boutoir de la crise, ce texte poignant de Rosa Luxemburg éclaire encore aujourd’hui le cynisme de la bourgeoisie face aux maux de son système d’exploitation. Cette puissante dénonciation doit nous pousser à la réflexion et nous rappeler surtout que, face à la misère dans laquelle nous plonge inexorablement le capitalisme, seul le soulèvement des prolétaires proclamant à nouveau : « À bas l’infâme régime social qui engendre de pareilles horreurs ! », seul le développement de la lutte de classes, massive et solidaire, est porteuse d’avenir.
Révolution Internationale, 24 décembre 2019
L’atmosphère de fête dans laquelle baignait la capitale du Reich vient d’être cruellement troublée. A peine des âmes pieuses avaient-elles entonné le vieux et beau cantique “Ô gai Noël, jours pleins de grâce et de félicité” qu’une nouvelle se répandait : les pensionnaires de l’asile de nuit municipal avaient été victimes d’une intoxication massive. Les vieux tout autant que les jeunes : l’employé de commerce Joseph Geihe, vingt et un ans ; l’ouvrier Karl Melchior, quarante-sept ans ; Lucian Szczyptierowski, soixante-cinq ans. Chaque jour s’allongeait la liste des sans-abri victimes de cet empoisonnement. La mort les a frappés partout : à l’asile de nuit, dans la prison, dans le chauffoir public, tout simplement dans la rue ou recroquevillés dans quelque grange. Juste avant que le carillon des cloches n’annonçât le commencement de l’an nouveau, cent cinquante sans-abri se tordaient dans les affres de la mort, soixante-dix avaient quitté ce monde.
Pendant plusieurs jours l’austère bâtiment de la Fröbel-strasse, qu’on préfère d’ordinaire éviter, se trouva au centre de l’intérêt général. Ces intoxications massives, quelle en était donc l’origine ? S’agissait-il d’une épidémie, d’un empoisonnement provoqué par l’ingestion de mets avariés ? La police se hâta de rassurer les bons citoyens : ce n’était pas une maladie contagieuse ; c’est-à-dire que les gens comme il faut, les gens “bien”, ne couraient aucun danger. Cette hécatombe ne déborda pas le cercle des “habitués de l’asile de nuit”, ne frappant que les gens qui, pour la Noël, s’étaient payé quelques harengs-saurs infects “très bon marché” ou quelque tord-boyaux frelaté. Mais ces harengs infects, où ces gens les avaient-ils pris ? Les avaient-ils achetés à quelque marchand “à la sauvette” ou ramassés aux halles, parmi les détritus ? Cette hypothèse fut écartée pour une raison péremptoire : les déchets, aux Halles municipales, ne constituent nullement, comme se l’imaginent des esprits superficiels et dénués de culture économique, un bien tombé en déshérence, que le premier sans-abri venu puisse s’approprier. Ces déchets sont ramassés et vendus à de grosses entreprises d’engraissage de porcs : désinfectés avec soin et broyés, ils servent à nourrir les cochons. Les vigilants services de la police des Halles s’emploient à éviter que quelque vagabond ne vienne illégalement subtiliser aux cochons leur nourriture, pour l’avaler, telle quelle, non désinfectée et non broyée. Impossible par conséquent que les sans-abri, contrairement à ce que d’aucuns s’imaginaient un peu légèrement, soient allés pêcher leur réveillon dans les poubelles des Halles. Du coup, la police recherche le “vendeur de poisson à la sauvette” ou le mastroquet qui aurait vendu aux sans-abri le tord-boyaux empoisonné.
De leur vie, ni Joseph Geihe, Karl Melchior ou Lucian Szczyptierowski, ni leurs modestes existences n’avaient été l’objet d’une telle attention. Quel honneur tout d’un coup ! Des sommités médicales (des Conseillers secrets en titre) fouillaient leurs entrailles de leur propre main. Le contenu de leur estomac (dont le monde s’était jusqu’alors éperdument moqué), voilà qu’on l’examine minutieusement et qu’on en discute dans la presse. Dix messieurs (les journaux l’ont dit) sont occupés à isoler des cultures du bacille responsable de la mort des pensionnaires de l’asile. Et le monde veut savoir avec précision où chacun des sans-abri a contracté son mal dans la grange où la police l’a trouvé mort ou bien à l’asile où il avait passé la nuit d’avant ? Lucian Szczyptierowski est brusquement devenu une importante personnalité : sûr qu’il enflerait de vanité s’il ne gisait, cadavre nauséabond, sur la table de dissection.
Jusqu’à l’Empereur qui, grâce aux trois millions de marks ajoutés, pour cause de vie chère, à la liste civile qu’il perçoit en sa qualité de roi de Prusse, est Dieu merci à l’abri du pire ; jusqu’à l’Empereur qui, au passage, s’est informé de l’état des intoxiqués de l’asile municipal. Et par un mouvement bien féminin, sa noble épouse a fait exprimer ses condoléances au premier bourgmestre, M. Kirschner, par le truchement de M. le Chambellan von Winterfeldt. Le premier bourgmestre, M. Kirschner n’a pas, il est vrai, mangé de hareng pourri, malgré son prix très avantageux, et lui-même, ainsi que toute sa famille, se trouve en excellente santé. Il n’est pas parent non plus, que nous sachions, fût-ce par alliance, de Joseph Geihe ni de Lucian Szczyptierowski. Mais enfin à qui vouliez-vous donc que le Chambellan von Winterfeldt exprimât les condoléances de l’Impératrice ? Il ne pouvait guère présenter les salutations de Sa Majesté aux fragments de corps épars sur la table de dissection. Et “la famille éplorée” ?… Qui la connaît ? Comment la retrouver dans les gargotes, les hospices pour enfants trouvés, les quartiers de prostituées ou dans les usines et au fond des mines ? Or donc le premier bourgmestre accepta, au nom de la famille, les condoléances de l’Impératrice et cela lui donna la force de supporter stoïquement la douleur des Szczyptierowski. À l’Hôtel de ville également, devant la catastrophe qui frappait l’asile, on fit preuve d’un sang-froid tout à fait viril. On identifia, vérifia, établit des procès-verbaux ; on noircit feuille sur feuille tout en gardant la tête haute. En assistant à l’agonie de ces étrangers, on fit preuve d’un courage et d’une force d’âme qu’on ne voit qu’aux héros antiques quand ils risquent leur propre vie.
Pourtant toute l’affaire a produit dans la vie publique une dissonance criarde. D’habitude, notre société, en gros, à l’air de respecter les convenances : elle prône l’honorabilité, l’ordre et les bonnes mœurs. Certes il y a des lacunes dans l’édifice de l’État, et tout n’est pas parfait dans son fonctionnement. Mais quoi, le soleil lui aussi a ses taches ! Et la perfection n’est pas de ce monde. Les ouvriers eux-mêmes (ceux surtout qui perçoivent les plus hauts salaires, qui font partie d’une organisation) croient volontiers que, tout compte fait, l’existence et la lutte du prolétariat se déroulent dans le respect des règles d’honnêteté et de correction. La paupérisation n’est-elle pas une grise théorie (1) depuis longtemps réfutée ? Personne n’ignore qu’il existe des asiles de nuit, des mendiants, des prostituées, une police secrète, des criminels et des personnes préférant l’ombre à la lumière. Mais d’ordinaire on a le sentiment qu’il s’agit là d’un monde lointain et étranger, situé quelque part en dehors de la société proprement dite. Entre les ouvriers honnêtes et ces exclus, un mur se dresse et l’on ne pense que rarement à la misère qui se traîne dans la fange de l’autre côté de ce mur. Et brusquement survient un événement qui remet tout en cause : c’est comme si dans un cercle de gens bien élevés, cultivés et gentils, au milieu d’un mobilier précieux, quelqu’un découvrait, par hasard, les indices révélateurs de crimes effroyables, de débordements honteux. Brusquement le spectre horrible de la misère arrache à notre société son masque de correction et révèle que cette pseudo-honorabilité n’est que le fard d’une putain. Brusquement sous les apparences frivoles et enivrantes de notre civilisation on découvre l’abîme béant de la barbarie et de la bestialité. On en voit surgir des tableaux dignes de l’enfer : des créatures humaines fouillent les poubelles à la recherche de détritus, d’autres se tordent dans les affres de l’agonie ou exhalent en mourant un souffle pestilentiel.
Le mur qui nous sépare de ce lugubre royaume d’ombres s’avère brusquement n’être qu’un décor de papier peint.
Ces pensionnaires de l’asile, victimes des harengs infects ou du tord-boyaux frelaté, qui sont-ils ? Un employé de commerce, un ouvrier du bâtiment, un tourneur, un mécanicien : des ouvriers, des ouvriers, rien que des ouvriers. Et qui sont ces êtres sans nom que la police n’a pu identifier ? Des ouvriers, rien que des ouvriers ou des hommes qui l’étaient, hier encore.
Et pas un ouvrier qui soit assuré contre l’asile, le hareng et l’alcool frelatés. Aujourd’hui il est solide encore, considéré, travailleur ; qu’adviendra-t-il de lui, si demain il est renvoyé parce qu’il aura atteint le seuil fatal des quarante ans, au-delà duquel le patron le déclare “inutilisable” ? Ou s’il est victime demain d’un accident qui fasse de lui un infirme, un mendiant pensionné ?
On dit : échouent à la Maison des pauvres ou en prison uniquement des éléments faibles ou dépravés : vieillards débiles, jeunes délinquants, anormaux à responsabilité diminuée. Cela se peut. Seulement les natures faibles ou dépravées issues des classes supérieures ne finissent pas à l’asile, mais sont envoyées dans des maisons de repos ou prennent du service aux colonies : là elles peuvent assouvir leurs instincts sur des nègres et des négresses. D’ex-reines ou d’ex-duchesses, devenues idiotes, passent le reste de leur vie dans des palais enclos de murs, entourées de luxe et d’une domesticité à leur dévotion. Au sultan Abd-ul-Hamid, (2) ce vieux monstre devenu fou, qui a sur la conscience des milliers de vies humaines et dont les crimes et les débordements sexuels ont émoussé la sensibilité, la société a donné pour retraite, au milieu de jardins d’agrément, une villa luxueuse qui abrite des cuisiniers excellents et un harem de filles dans la fleur de l’âge dont la plus jeune a douze ans. Pour le jeune criminel Prosper Arenberg (3) : une prison avec huîtres et champagne et de gais compagnons. Pour des princes anormaux : l’indulgence des tribunaux, les soins prodigués par des épouses héroïques et la consolation muette d’une bonne cave remplie de vieilles bouteilles. Pour la femme de l’officier d’Allenstein, cette folle, coupable d’un crime et d’un suicide, une existence confortable, des toilettes de soie et la sympathie discrète de la société. Tandis que les prolétaires vieux, faibles, irresponsables, crèvent dans la rue comme les chiens dans les venelles de Constantinople, le long d’une palissade, dans des asiles de nuit ou des caniveaux, et le seul bien qu’ils laissent, c’est la queue d’un hareng pourri que l’on trouve près d’eux. La cruelle et brutale barrière qui sépare les classes ne s’arrête pas devant la folie, le crime et même la mort. Pour la racaille fortunée : indulgence et plaisir de vivre jusqu’à leur dernier souffle, pour les Lazare du prolétariat : les tenaillements de la faim et les bacilles de mort qui grouillent dans les tas d’immondices.
Ainsi est bouclée la boucle de l’existence du prolétaire dans la société capitaliste. Le prolétaire est d’abord l’ouvrier capable et consciencieux qui, dès son enfance, trime patiemment pour verser son tribut quotidien au capital. La moisson dorée des millions s’ajoutant aux millions s’entasse dans les granges des capitalistes ; un flot de richesses de plus en plus imposant roule dans les banques et les bourses tandis que les ouvriers (masse grise, silencieuse, obscure) sortent chaque soir des usines et des ateliers tels qu’ils y sont entrés le matin, éternels pauvres hères, éternels vendeurs apportant au marché le seul bien qu’ils possèdent : leur peau.
De loin en loin un accident, un coup de grisou les fauche par douzaines ou par centaines dans les profondeurs de la mine, un entrefilet dans les journaux, un chiffre signale la catastrophe ; au bout de quelques jours, on les a oubliés, leur dernier soupir est étouffé par le piétinement et le halètement des affairés avides de profit ; au bout de quelques jours, des douzaines ou des centaines d’ouvriers les remplacent sous le joug du capital.
De temps en temps survient une crise : semaines et mois de chômage, de lutte désespérée contre la faim. Et chaque fois l’ouvrier réussit à pénétrer de nouveau dans l’engrenage, heureux de pouvoir de nouveau bander ses muscles et ses nerfs pour le capital.
Mais peu à peu ses forces le trahissent. Une période de chômage plus longue, un accident, la vieillesse qui vient, et l’un d’eux, puis un second est contraint de se précipiter sur le premier emploi qui se présente : il abandonne sa profession et glisse irrésistiblement vers le bas. Les périodes de chômage s’allongent, les emplois se font plus irréguliers. L’existence du prolétaire est bientôt dominée par le hasard ; le malheur s’acharne sur lui, la vie chère le touche plus durement que d’autres. La tension perpétuelle des énergies, dans cette lutte pour un morceau de pain, finit par se relâcher, son respect de soi s’amenuise. Et le voici debout devant la porte de l’asile de nuit à moins que ce ne soit celle de la prison.
Ainsi chaque année, chez les prolétaires, des milliers d’existences s’écartent des conditions de vie normales de la classe ouvrière pour tomber dans la nuit de la misère. Ils tombent silencieusement, comme un sédiment qui se dépose, sur le fond de la société : éléments usés, inutiles, dont le capital ne peut plus tirer une goutte de plus, détritus humains, qu’un balai de fer éjecte. Contre eux se relaient le bras de la loi, la faim et le froid. Et pour finir la société bourgeoise tend à ses proscrits la coupe du poison.
“Le système public d’assistance aux pauvres”, dit Karl Marx, dans Le Capital, “est l’Hôtel des Invalides des ouvriers qui travaillent, à quoi s’ajoute le poids mort des chômeurs. La naissance du paupérisme public est liée indissolublement à la naissance d’un volant de travailleurs sans emploi ; travailleurs actifs et chômeurs sont également nécessaires, ces deux catégories conditionnent l’existence de la production capitaliste et le développement de la richesse. La masse des chômeurs est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables. Mais plus cette réserve de chômeurs grossit comparativement à l’armée active du travail, plus grossit la surpopulation des pauvres. Voilà la loi générale absolue de l’accumulation capitaliste”.
Lucian Szczyptierowski, qui finit sa vie dans la rue, empoisonné par un hareng pourri, fait partie du prolétariat au même titre que n’importe quel ouvrier qualifié et bien rémunéré qui se paie des cartes de nouvel an imprimées et une chaîne de montre plaqué or. L’asile de nuit pour sans-abri et les contrôles de police sont les piliers de la société actuelle au même titre que le Palais du Chancelier du Reich et la Deutsche Bank. Et le banquet aux harengs et au tord-boyaux empoisonné de l’asile de nuit municipal constitue le soubassement invisible du caviar et du champagne qu’on voit sur la table des millionnaires. Messieurs les Conseillers médicaux peuvent toujours rechercher au microscope le germe mortel dans les intestins des intoxiqués et isoler leurs “cultures pures” : le véritable bacille, celui qui a causé la mort des pensionnaires de l’asile berlinois, c’est l’ordre social capitaliste à l’état pur.
Chaque jour des sans-abri s’écroulent, terrassés par la faim et le froid. Personne ne s’en émeut, seul les mentionne le rapport de police. Ce qui a fait sensation cette fois à Berlin, c’est le caractère massif du phénomène. Le prolétaire ne peut attirer sur lui l’attention de la société qu’en tant que masse qui porte à bout de bras le poids de sa misère. Même le dernier d’entre eux, le vagabond, devient une force publique quand il forme masse, et ne formerait-il qu’un monceau de cadavres.
D’ordinaire un cadavre est quelque chose de muet et de peu remarquable. Mais il en est qui crient plus fort que des trompettes et éclairent plus que des flambeaux. Au lendemain des barricades du 18 mars 1848, les ouvriers berlinois relevèrent les corps des insurgés tués et les portèrent devant le Château royal, forçant le despotisme à découvrir son front devant ces victimes. À présent il s’agit de hisser les corps empoisonnés des sans-abri de Berlin, qui sont la chair de notre chair et le sang de notre sang, sur des milliers de mains de prolétaires et de les porter dans cette nouvelle année de lutte en criant : À bas l’infâme régime social qui engendre de pareilles horreurs !
Rosa Luxemburg, 1er janvier 1912
1Expression empruntée au Faust de Goethe.
2Abd-ul-Hamid II (1842-1918), 34e sultan ottoman. Fit massacrer les Arméniens. Détrôné en 1909 par Mehmet V.
3Les Arenberg étaient une très vieille famille princière d’Allemagne.
Liens
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[467] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote20sym
[468] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote21sym
[469] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote22sym
[470] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote23sym
[471] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote24sym
[472] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote1anc
[473] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201411/9150/editions-smolny-participent-a-recuperation-democratique-rosa-l
[474] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote2anc
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[480] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote6anc
[481] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote7anc
[482] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin#sdfootnote8anc
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[663] https://en.wikipedia.org/wiki/Crime_in_Brazil
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