Crise économique mondiale : un été meurtrier

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Les mois de juillet et d’août de cette année auront été marqués par des événements apparemment stupéfiants. On assiste à un affolement généralisé des gouvernements, des dirigeants, des banques centrales et autres institutions financières internationales. Les maîtres de ce monde semblent avoir totalement perdu la boussole. Chaque jour se tiennent de nouvelles réunions de chefs d’Etat, des G8, G20, de la BCE, de la FED, etc… Au même rythme ahurissant, dans une totale improvisation, sont prononcées des déclarations paraissant dérisoires au regard des problèmes rencontrés, et des décisions sont annoncées sans que, pour autant, la crise économique mondiale ne cesse de poursuive son cours catastrophique. La faillite généralisée avance. La dépression plonge dans le gouffre de manière irréversible. En quelques semaines, le plan de sauvetage de l’économie de la Grèce est dépassé et la crise de la dette gagne spectaculairement des pays aussi importants que l’Italie et l’Espagne.

La première puissance économique mondiale elle-même, les Etats-Unis, a connu une crise politique majeure devant la nécessité absolue pour elle de relever le plafond de sa dette de 14 500 à 16 600 milliards de dollars. Les difficultés de cet État ont conduit à la dégradation de la note évaluant sa capacité à honorer sa dette. Ce qui est une première dans son histoire. Et les conducteurs perdent le contrôle de leur machine qui s’emballe toujours plus dangereusement. Mais où va donc l’économie mondiale ? Pourquoi celle-ci semble-t-elle tomber dans un précipice sans fond ? Où l’économie mondiale en faillite entraîne-t-elle l’humanité ? Autant de questions auxquelles il est nécessaire de répondre.

Des mensonges à la réalité

Il faut se souvenir. À la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008, la faillite de la banque américaine ­Lehman Brothers et la crise des subprimes avaient amené l’économie au bord du gouffre. Tout le système financier, tel un château de cartes, risquait alors de s’effondrer. Les Etats ont dû reprendre à leur compte une partie de la dette bancaire, d’un montant souvent astronomique, qui a eu pour effet de les engager, à leur tour, sur le chemin de la faillite Dans ce contexte, les banques centrales elles-mêmes n’allaient pas tarder à se retrouver dans une situation périlleuse. Et, pendant tout ce temps, la bourgeoisie s’est cyniquement moquée du monde. Nous avons eu droit à des discours plus mensongers les uns que les autres. Certes, les bourgeois sont en partie dupes de leur propres discours, les exploiteurs ne pouvant jamais faire preuve de lucidité totale face à l’effondrement de leur propre système. Toutefois, ils doivent aussi mentir, tricher pour cacher les faits afin de maintenir les exploités sous leur joug.

Ils ont commencé par dire que tout cela n’était pas grave, qu’ils gardaient un contrôle total sur la situation. Il était déjà difficile de faire plus ridicule. Pourtant, dans ce domaine, le meilleur était à venir. Au début de l’année 2008, après la chute des bourses de près de 20 % et le recul de la croissance mondiale, on nous promettait, sans rire, une sortie rapide de la crise. Celle-ci était présentée comme passagère et ponctuelle ; mais les faits sont plus têtus que les discours. La situation, se moquant résolument de tous ces bonimenteurs, continuait de s’aggraver. Ces messieurs sont alors passés à des arguments bassement nationalistes, aussi faux et perfides qu’ignobles. La population américaine fut accusée d’avoir dépensé à crédit sans réfléchir, achetant des maisons sans avoir les moyens de rembourser les emprunts contractés à cet effet ; il s’agit ici des célèbres subprimes. Bien sûr, cette explication ne pouvait que révéler sa vacuité lorsqu’il est devenu évident que l’Etat grec ne pourrait pas éviter la faillite. L’ignominie est alors montée d’un cran : les exploités de ces pays ont tout simplement été traités de fainéants et de profiteurs. La crise en Grèce était alors présentée comme une spécificité de ce pays, comme avant elle il avait existé une spécificité islandaise et, quelques mois plus tard, il existera une spécificité irlandaise. Sur les écrans de télé, à la radio, tous les dirigeants y allaient de leurs petites phrases assassines. Selon eux, les gens dépensaient trop ; à les entendre, les exploités de ces pays vivaient au-dessus de leurs moyens ou comme des pachas ! Mais devant la colère légitime qui se développait au sein de ces pays, les discours mensongers ont encore une fois évolué. En Italie, l’inénarrable Berlusconi, président du Conseil, est désigné comme le seul responsable d’une politique économique totalement... irresponsable. Mais il était difficile de faire de même avec le très sérieux président du gouvernement espagnol Zapatero.

La bourgeoisie reprend à présent le thème utilisé au début de la crise des subprimes, en rendant le monde de la finance, fait de requins avides de gains toujours croissants, en grande partie responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Aux Etats-Unis, en décembre 2008, B. Madoff, ancien dirigeant du Nasdaq et l’un des conseillers en investissements les plus connus et respectés à New York, était devenu, du jour au lendemain, le pire escroc de la planète. De même, les agences de notation ne cessent de servir de boucs-émissaires. Fin 2007, on les taxait d’incompétence pour avoir négligé le poids les dettes souveraines des Etats dans leurs évaluations. Aujourd’hui, elles sont accusées au contraire de trop pointer du doigt ces mêmes dettes souveraines de la zone euro (pour Moody’s) et des Etats-Unis (pour Standard & Poor’s). La crise devenant visiblement et explicitement mondiale, il fallait trouver un mensonge plus crédible, plus proche de la réalité. C’est ainsi que, depuis un certain nombre de mois, circule une rumeur de plus en plus tenace selon laquelle la crise serait due à un endettement généralisé, insupportable, organisé par la finance dans l’intérêt des grands spéculateurs. Avec l’été 2011, et la nouvelle explosion de la crise financière, ces discours ont envahi nos écrans.

Ainsi, pour les partis de gauche, les gauchistes et un grand nombre d’économistes, ce serait la finance, et non le capitalisme en tant que tel, qui serait responsable de l’aggravation actuelle de la crise. Certes, l’économie croule sous des dettes qu’elle ne peut plus ni rembourser, ni supporter. Celles-ci mettent à mal la valeur des monnaies, poussent à la hausse le prix des marchandises et sont à l’origine d’un processus de faillite des particuliers, des banques, des assurances et des Etats, posant en perspective la paralysie des banques centrales. Mais cet endettement n’a pas pour origine fondamentale l’avidité insatiable des financiers et autres spéculateurs, et encore moins la consommation des exploités. Au contraire, cet endettement généralisé était nécessaire, vital même à la survie du système depuis plus d’un demi-siècle pour lui permettre de créer des débouchés à ses marchandises produites de façon croissante et qui, sans cela, n’auraient pas trouvé d’acquéreur solvable. Le développement progressif de la spéculation financière n’est donc pas la cause de la crise, mais la conséquence des moyens que les Etats ont pris pour tenter de faire face à la surproduction depuis cinquante ans. En fait, c’est l’accroissement de cet endettement qui a permis au capitalisme, pendant toute cette période, de soutenir sa croissance. Le développement monstrueux de la finance spéculative, devenant progressivement un véritable cancer pour le capitalisme, n’est en réalité que le produit de la difficulté croissante pour ce système d’investir et de vendre avec profit. L’épuisement historique de cette capacité, à la fin 2007/début 2008, a ouvert en grand les portes de la dépression (1).

Le temps de la dépression et des faillites

Les événements qui se déroulent en ce mois d’août en sont la claire manifestation. Le président de la Banque centrale européenne, J.-C. Trichet, vient de déclarer que “la crise actuelle était aussi grave que celle de 1930”. Pour preuve, depuis l’ouverture de la phase actuelle de la crise à la fin de l’année 2007, la survie de l’économie mondiale tient en peu de mots : création monétaire accélérée et titanesque par les banques centrales et en tout premier lieu par celle des Etats-Unis. Ce qui a été appelé les “Quantitative Easing” nos 1 et 2 (2) ne sont que les parties visibles de l’iceberg d’une création monétaire massive. En réalité, la FED a littéralement inondé l’économie, les banques et l’Etat américain de nouveaux dollars et, par ricochet, l’ensemble de l’économie mondiale. Le résultat en a été la survie du système bancaire et une croissance mondiale ainsi maintenue sous perfusion permettant de contenir momentanément la dépression initiée il y a quatre ans. Cette dernière fait son grand retour sur la scène mondiale en cet été 2011. Une des choses qui effraie le plus la bourgeoisie, c’est le ralentissement brutal actuel de l’activité. La croissance de la fin de l’année 2009 et de l’année 2010 s’effondre.

Aux Etats-Unis le PIB est remonté, au troisième trimestre 2010 de 3,5 % depuis son point le plus bas de la mi-2009. Il restait toutefois inférieur de 0,8 % par rapport à son niveau d’avant fin 2007. Alors qu’il avait été prévu un taux de croissance annualisé de 1,5 % au premier trimestre 2011, le chiffre réel s’établit en réalité à 0,4 %. Pour le second semestre la croissance y était prévue de 1,3 % et sera en réalité toute proche de 0. C’est la même tendance qui se fait jour en Grande-Bretagne et dans la zone euro. L’économie mondiale s’oriente vers des taux de croissance en réduction, et même dans certains pays majeurs, comme les Etats-Unis, vers ce que la bourgeoisie appelle des taux de croissance négatifs. Et dans le même temps, dans ce contexte récessionniste, l’inflation ne cesse d’augmenter. Elle est officiellement de 2,9 % aux Etats-Unis mais de 10 % selon le mode de calcul de l’ancien directeur de la FED Paul Volcker. Pour la Chine, qui donne le ton de tous les pays émergents, elle s’élève annuellement à plus de 9 %.

En ce mois d’août 2011, la panique générale sur les marchés financiers traduit, entre autres choses, la prise de conscience que l’argent injecté depuis la fin 2007 n’aura pas permis de relancer l’économie et de sortir de la dépression. Par contre il aura, en quatre ans, exacerbé le volume de la dette mondiale au point que l’effondrement du système financier est de nouveau d’actualité, mais dans une situation économique bien plus dégradée qu’à la fin 2007. Actuellement, la situation économique est telle que l’injection de nouvelles liquidités est chaque jour nécessaire et vitale pour permettre, par exemple, à la Banque centrale européenne (BCE) d’acheter quotidiennement de la dette italienne et espagnole pour une somme d’environ 2 milliards d’euros, sous peine de voir ces pays s’effondrer. Mais il faudrait beaucoup plus pour éponger des dettes qui, pour l’Espagne et l’Italie (et ils ne sont pas les seuls), se chiffrent en centaines de milliards d’euros. L’éventualité d’une dégradation de la note de la France, actuellement “AAA”, serait vraisemblablement fatale à la Zone Euro. En effet, seuls les pays bénéficiant d’une telle note peuvent financer le fonds de soutien européen. Si la France ne le peut plus, c’est toute cette zone qui s’effondre. C’est dire que la panique de la première quinzaine du mois d’août n’est pas encore pas finie ! Nous sommes en train d’assister à la prise de conscience brutale par la bourgeoisie et ses dirigeants que le soutien nécessaire et continu à la croissance de l’activité économique – même modérée – devient impossible. Voilà les raisons profondes du déchirement de la bourgeoisie américaine sur la question du relèvement du plafond de sa dette. Il en va de même des soi-disant accords – proclamés en fanfare – des dirigeants de la zone euro sur le sauvetage de la Grèce, plans remis en cause quelques jours plus tard par certains gouvernements européens. L’incapacité des dirigeants de la zone euro à se mettre d’accord sur une politique ordonnée et consensuelle de soutien aux pays européens qui sont en situation de ne plus pouvoir faire face au remboursement de leurs dettes, ne relève pas que des antagonismes entre les intérêts mesquins des dirigeants de chaque capital national. Elle traduit une réalité bien plus profonde encore et plus dramatique pour le capitalisme. La bourgeoisie est tout simplement en train de prendre conscience qu’un nouveau soutien massif de l’économie, comme celui qui a été pratiqué entre 2008 et 2010, est particulièrement périlleux. Car il risque de provoquer tant l’effondrement de la valeur des Bons du Trésor des différents pays que celle de la monnaie de ces mêmes pays, y compris de l’euro ; effondrement qu’annonce, ces derniers mois, le développement de l’inflation.

Quelles perspectives pour l’économie mondiale ?

La dépression est là et la bourgeoisie ne peut plus empêcher son développement. Voilà ce que cet été 2011 nous apporte. L’orage a éclaté. La première puissance mondiale autour de laquelle s’organise toute l’économie de la planète depuis 1945 est sur le chemin du défaut de paiement. Impossible à imaginer il y a encore quelques temps, cette réalité historique marque au fer rouge le processus de faillite de toute l’économie mondiale. Comme les Etats-Unis viennent de le démontrer publiquement, le rôle de locomotive économique qu’ils ont tenu depuis plus de soixante ans est maintenant révolu. Ils ne peuvent plus continuer comme avant, quel que soit le montant du rachat d’une partie de leur dette par des pays tels que la Chine ou l’Arabie Saoudite. Leur propre financement est devenu un problème majeur et, par conséquent, ils sont dorénavant dans l’incapacité de financer la demande mondiale. Qui va prendre la relève ? La réponse est simple : personne ! La zone euro ne peut qu’aller de crise en crise tant au niveau de la dette publique que privée, s’acheminant à terme vers l’éclatement de cette zone sous sa configuration actuelle. Les fameux “pays émergents”, dont la Chine, sont, quant à eux, complètement dépendants des marchés américains, européens et japonais. Malgré leurs coûts de production très bas, ces dernières années montrent qu’il s’agit d’économies qui se développent à travers ce que les médias dénomment une “économie de bulle”, c’est-à-dire un investissement colossal qui ne pourra jamais être rentabilisé. C’est le même phénomène que nous avons bien connu avec ce que les spécialistes et les médias ont appelé “la crise de l’immobilier” aux Etats-Unis et “la nouvelle économie” quelques années auparavant. Dans les deux cas, nous avons assisté à un effondrement. La Chine a beau augmenter le coût de son crédit, rien n’y fait. Des krachs guettent l’Empire du Milieu à l’image de ce qui se passe en Occident. La Chine, l’Inde, le Brésil, loin d’être les futurs pôles de croissance de l’économie, ne peuvent que prendre leur place dans le processus de dépression mondiale. L’ensemble de ces craquements majeurs dans l’économie vont constituer un facteur très puissant de déstabilisation et de désorganisation de celle-ci. La dynamique économique actuelle aux Etats-Unis et dans la zone euro propulse le monde vers des dépressions et des faillites se nourrissant les unes les autres, de manière de plus en plus rapide et profonde. Le répit relatif que nous avons connu depuis la mi-2009 s’effiloche à vitesse grand V.

Ce processus de faillite du capitalisme dans lequel l’économie mondiale est maintenant entrée pose aux exploités du monde entier des exigences qui vont bien au-delà de la nécessité de refuser de payer au quotidien les effets de cette crise majeure du système. Avec cette dernière, il ne s’agit plus seulement de licenciements massifs ou de diminution de nos salaires réels mais de la marche vers une généralisation de la misère, une incapacité croissante pour tous les prolétaires de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Cette perspective dramatique nous oblige à comprendre que ce n’est pas une forme particulière du capitalisme qui s’effondre, tel le capital financier par exemple, mais le capitalisme en tant que tel. C’est toute la société capitaliste qui est entraînée dans le gouffre et nous avec si nous nous laissons faire. Il n’y a aucune autre alternative que son renversement complet, que le développement de la lutte massive contre ce système pourrissant et sans aucun avenir. À la faillite du capitalisme, nous devons opposer l’alternative d’une société nouvelle dans laquelle les hommes ne produisent pas pour le profit de quelques-uns mais pour satisfaire les besoins humains, une société véritablement humaine, collective et solidaire. L’établissement d’une telle société est à la fois indispensable et possible.

TX (14 août)

 

1) On qualifie de dépression une longue période de chute de l’activité économique comme cela a été le cas dans les années 1930. Les medias nous parlent aujourd’hui d’un risque d’une nouvelle “récession”. Si nous pouvons qualifier la période dans laquelle nous sommes de dépression, c’est parce que la période de stagnation et de chute de la production dans laquelle nous nous trouvons n’a rien à voir, comme la suite de l’article le montre, avec la durée limitée de la période qui définit, d’après la classe dominante, une récession.

2) Les banques centrales créent toujours de la monnaie pour permettre à la masse de marchandises créées par le capital national de circuler ; l’augmentation de cette création de monnaie dépend donc en temps normal de la croissance de la production. En fait, depuis le début de l’aggravation de la crise en 2007, les banques centrales ont créé beaucoup plus de monnaie que ce qui était nécessaire à la circulation des marchandises (qui elle, de manière globale, a diminué pour les pays développés) car il a été très rapidement nécessaire pour elles d’acheter aux banques et aux Etats des créances qui ne pourraient pas être remboursées à leur valeur par les débiteurs. Malgré cette augmentation, parce qu’il était devenu évident que ni les banques américaines, ni l’Etat américain n’étaient capables de rembourser un grand nombre de dettes, il est apparu nécessaire à la Réserve Fédérale de définir elle-même qu’elle devait émettre plus de monnaie que ce que son statut et ses livres de comptes étaient censés lui permettre en vue de racheter ces créances “pourries”. C’est ainsi qu’à la fin 2009, elle a décidé qu’elle émettrait une somme supplémentaire de 1700 milliards de dollars (ce fut le Quantitive Easing – QE no 1) et qu’en novembre 2010, elle a décidé d’émettre, dans le même but, une nouvelle quantité d’argent (appelée QE no 2 et représentant un montant de 600 milliards de dollars).

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