Les Etats-Unis, locomotive de l'économie mondiale ... vers l'abîme

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Dure époque pour l'économie mondiale depuis la crise non surmontée des emprunts à risque dans l'immobilier qui s'est déclarée l'année dernière aux États-Unis. En effet, jamais la situation n'est apparue aussi périlleuse depuis le retour de la crise ouverte du capitalisme à la fin des années 1960, alors que la bourgeoisie avait pourtant essayé de contenir ses manifestations par tous les moyens :

- la crise de l'immobilier aux États-Unis s'est en effet transformée en crise financière internationale, ponctuée par des alertes retentissantes d'insolvabilité d'établissements bancaires américains et européens1. Ceux des établissements menacés qui n'ont pas fait faillite le doivent à des plans de sauvetage impliquant l'intervention de l'État et il existe les pires craintes que de nombreux établissements financiers, qui étaient jusque là réputés à l'abri de tout risque de ce type, se trouvent à leur tour en situation de faillite potentielle, nourrissant ainsi les conditions d'un Krach financier majeur.

- les perspectives sont clairement au ralentissement de l'activité économique, voire à la récession pour certains pays comme les États-Unis. La bourgeoisie a surmonté les différentes récessions qu'elle a dû affronter depuis les années 1970 au moyen d'un endettement supplémentaire, à chaque fois plus important que les précédents, pour des résultats toujours plus modestes. Pourra-t-elle une nouvelle fois juguler la future récession alors qu'il n'existe pour cela pas d'autre moyen qu'une augmentation considérable de la dette mondiale avec le risque que cela comporte d'un effondrement du système international de crédit ?

- la baisse des cours de la Bourse, ponctuée par des chutes brutales, ébranle la confiance dans la base même de la spéculation boursière dont les succès avaient pourtant permis, en grande partie, de masquer les difficultés de l'économie réelle. Ces succès avaient notamment contribué fortement à la hausse des taux de profit des entreprises depuis le milieu des années 1980, et se trouvaient également à l'origine du mythe solidement ancré, mais aujourd'hui mis à mal, selon lequel les valeurs boursières ne pourraient en définitive que monter, quels que soient les aléas.

- les dépenses militaires, comme on le voit clairement dans le cas des Etats-Unis, constituent un fardeau de plus en plus insupportable pour l'économie. Cependant, celles-ci ne peuvent être réduites à volonté. En effet, elles sont la conséquence du poids croissant que prend le militarisme dans la vie de la société alors que, confrontée à des difficultés de plus en plus insurmontables sur le plan économique, chaque nation est poussée dans la fuite en avant vers la guerre.

- le retour de l'inflation constitue, à double titre, une hantise pour la bourgeoisie. D'une part, elle contribue à freiner les échanges commerciaux du fait qu'elle entraîne des fluctuations, de plus en plus difficilement prévisibles, du coût des marchandises produites. D'autre part, bien plus que la riposte aux attaques comme les licenciements, la lutte revendicative de la classe ouvrière pour l'augmentation des salaires en permanence rognés par la hausse des prix est propice à la généralisation des combats par delà les secteurs. Or, les leviers dont dispose la bourgeoisie pour contenir l'inflation, politiques de rigueur et de réduction des dépenses de l'État, s'ils étaient actionnés de façon conséquente, ne pourraient qu'aggraver le cours actuel vers la récession.

Ainsi la situation actuelle n'est pas seulement la répétition en pire de toutes les manifestations de la crise depuis la fin des années 1960, elle concentre ces dernières de façon beaucoup plus simultanée et explosive conférant à la catastrophe économique une qualité nouvelle propice à la remise en question de ce système. Autre signe des temps, distinctif des décennies précédentes : alors que, jusque là, il avait incombé à l'économie de la première puissance économique mondiale de jouer le rôle de locomotive pour éviter des récessions ou en sortir, le principal effet d'entraînement que les États-Unis apparaissent aujourd'hui en mesure d'imprimer au monde, c'est celui vers la récession et l'abîme.

L'aggravation de la crise économique aux États-Unis

George Bush est certainement l'homme le plus optimiste d'Amérique - d'ailleurs, il est peut-être le seul à être optimiste quant à la situation économique du pays. Le 28 février, tout en reconnaissant l'existence d'un risque de ralentissement économique, le président déclarait : "Je ne pense pas que nous allions vers la récession... Je crois que les éléments fondamentaux de notre économie sont en bonne santé... que la croissance se poursuit et va se poursuivre d'une façon encore plus robuste que c'est le cas aujourd'hui. Aussi nous sommes toujours en faveur d'un dollar fort."2 Deux semaines plus tard, le 14 mars, devant une réunion d'économistes à New York, le président a réitéré son point de vue optimiste et a exprimé sa confiance dans la capacité de "résilience" de l'économie américaine. C'était le jour même où la Réserve fédérale et la banque JP Morgan Chase ont été forcées de collaborer à un plan de sauvetage d'urgence de Bear Stearns, grande banque d'affaires de Wall Street, menacée par un retrait massif de fonds de la part de ses clients, scénario qui n'était pas sans rappeler la Grande Dépression de 1929. Le même jour se produisaient les évènements suivants : le prix du baril de pétrole brut atteignait la somme record de 111 dollars malgré une offre bien supérieure à la demande ; le gouvernement annonçait une augmentation de 60% des saisies de biens immobiliers en février ; la chute du dollar atteignait une baisse record par rapport à l'euro. En dépit du déni de la réalité de Monsieur Bush, il est clair que la prospérité apparente qui a accompagné le boom de l'immobilier et la bulle immobilière de ces dernières années a ouvert la voie à une catastrophe économique de première grandeur dans l'économie la plus puissante du monde, mettant ainsi la crise économique au premier plan de la situation internationale.

La crise de l'immobilier symptôme d'un système en état de crise chronique

Depuis début 2007, date des premiers symptômes indiquant que le boom de l'immobilier arrivait à son terme, les économistes bourgeois discutaient la possibilité que l'économie américaine entre en récession. Il y a trois mois à peine, début 2008, il existait un éventail considérable de prévisions économiques, allant des "pessimistes" qui pensaient que la récession avait déjà commencé en décembre, aux "optimistes" qui attendaient toujours le miracle qui permettrait de l'éviter. Entre eux, les experts qui ne se mouillaient pas, affirmaient que "l'économie pouvait littéralement évoluer dans un sens ou dans l'autre". Mais les choses sont allées si vite ces deux derniers mois que, sauf pour Bush, il n'y a plus de place pour l'optimisme ou le "centrisme". Il existe maintenant un consensus sur le fait que les beaux jours sont finis. En d'autres termes, l'économie américaine est maintenant en récession ou, au mieux, au bord de celle-ci.

Cependant, la reconnaissance par la bourgeoisie que le capitalisme américain est en difficulté, n'apporte pas grand-chose à la compréhension de l'état réel du système. La définition officielle que donne la bourgeoisie d'une récession, c'est une croissance économique négative pendant deux trimestres consécutifs. Le National Bureau of Economic Research (Bureau national de recherche économique) utilise un autre critère, un peu plus utile, définissant la récession comme un déclin significatif et prolongé de l'activité touchant toute l'économie et affectant des indicateurs tels que le revenu, l'emploi, la vente au détail et la production industrielle. Sur la base de cette définition, la bourgeoisie ne peut identifier la récession tant qu'elle n'a pas commencé depuis un certain temps, souvent tant que le pire n'a pas déjà eu lieu. Aussi, selon certaines estimations, on doit attendre encore plusieurs mois avant de savoir, d'après ces critères, s'il y a une récession ou quand elle a commencé.

En ce sens, les prévisions diverses qui remplissent les pages économiques des journaux et des magazines sont très trompeuses. En dernière instance, elles ne font que contribuer à cacher l'état catastrophique du capitalisme américain qui ne peut qu'empirer dans les mois à venir, quelle que soit la date officielle de l'entrée de l'économie en récession.

Ce qu'il est important de souligner, c'est que la crise actuelle est loin de refléter une supposée "bonne santé" de l'économie américaine qui traverserait une mauvaise passe dans un cycle commercial, par ailleurs normal, d'expansion et de récession. Ce à quoi nous assistons, c'est aux convulsions d'un système en état de crise chronique, ne connaissant quelques moments éphémères de rémission que grâce à des remèdes toxiques qui aggravent la prochaine rechute catastrophique.

Telle a été l'histoire du capitalisme américain - et du capitalisme dans son ensemble - depuis la fin des années 1960 et le retour de la crise économique ouverte. Pendant quatre décennies, à travers des périodes de reprise et de récession officiellement reconnues, l'ensemble de l'économie n'a conservé un semblant de fonctionnement que grâce à des politiques capitalistes d'État monétaires et fiscales que le gouvernement est obligé d'appliquer pour combattre les effets de la crise. Cependant, la situation n'est pas restée statique. Pendant toutes ces années de crise et d'intervention de l'État pour la gérer, l'économie a accumulé tant de contradictions qu'aujourd'hui, il existe une menace réelle de catastrophe économique comme nous n'en avons jamais vue dans l'histoire du capitalisme.

A la suite de l'éclatement de la bulle Internet et technologique en 2000-2001, la bourgeoisie s'en est sortie en créant une nouvelle bulle basée, cette fois, sur l'immobilier. Malgré le fait que des industries clé du secteur industriel, comme l'automobile et l'aviation par exemple, aient continué à connaître des faillites, le boom immobilier des cinq dernières années a donné l'illusion d'une économie en expansion. Mais ce boom s'est à présent transformé en un crash qui secoue tout l'édifice du système capitaliste et qui, dans l'avenir, va avoir des répercussions que personne ne peut encore prévoir.

D'après les dernières données, l'activité liée à l'immobilier des particuliers est en total désarroi. La construction de nouveaux logements a déjà chuté d'environ 40% depuis le pic atteint en 2006, et les ventes ont chuté encore plus vite entraînant avec elles une chute des prix. Le prix des maisons a baissé de 13% dans l'ensemble du pays depuis le pic de 2006 et il est prévu qu'il baisse encore de 15 à 20% avant d'avoir atteint le fond. Le boom de l'immobilier laisse une quantité énorme de logements vacants, non vendus - environ 2,1 millions, à peu près 2,6% du parc immobilier national. L'an dernier, les saisies ont été principalement limitées aux prêts sur hypothèques appelés subprimes, accordés à des gens qui n'avaient fondamentalement pas les moyens de rembourser. Environ un quart de ces prêts était en cessation de paiement en novembre dernier. Les cessations de paiement commencent à présent et de façon croissante à concerner également ceux dont la situation financière est encore relativement bonne.En novembre, 6,6% de ces prêts soit étaient en retard, soit avaient déjà fait l'objet de saisies. Comme un signe du pire à venir, ce pic dans les saisies immobilières a lieu avant même que les taux d'intérêt sur les crédits hypothécaires ait été revus à la hausse. Avec la chute des valeurs immobilières qui accompagne la crise, pour beaucoup de gens, la valeur présente de leur logement ne permet pas de rembourser leur dette immobilière, ce qui signifie que la vente de leur bien non seulement ne leur apportera aucun bénéfice mais encore leur laissera une dette. Ceci crée une situation dans laquelle il est financièrement plus sage d'abandonner ses obligations hypothécaires et de se déclarer en faillite.

L'éclatement de la bulle immobilière fait des ravages dans le secteur financier. Jusqu'à présent, la crise de l'immobilier a généré plus de 170 milliards de dollars de pertes au niveau des plus grandes institutions financières. Des milliards de dollars de valeurs boursières ont été anéanties, ébranlant Wall Street. Parmi les grands noms qui ont perdu au moins un tiers de leur valeur en 2007, on peut citer Fannie Mae, Freddie Mac, Bear Stearns, Moody's et Citigroup.3 MBIA, une compagnie qui est spécialisée dans la garantie de la santé financière des autres compagnies, a perdu presque trois quarts de sa valeur ! Plusieurs compagnies dont l'activité était en rapport avec des crédits hypothécaires particulièrement bien côtés auparavant ont fait faillite.

Et ce n'est que le début. Avec l'accélération des saisies, dans les mois qui viennent, les banques vont connaître de nouvelles pertes et la pénurie subite de crédit (le credit crunch) va s'aggraver davantage, ce qui aura un impact sur d'autres secteurs de l'économie.

De la crise de l'immobilier à la crise du crédit

De plus, la crise financière liée aux prêts hypothécaires ne constitue que le sommet de l'iceberg. Les pratiques imprudentes de crédit, qui ont dominé sur le marché immobilier, constituent aussi la norme dans le domaine des cartes de crédits et des prêts automobile où les problèmes se développent également. Et c'est là que réside l'essence de la "santé" capitaliste actuelle. Son petit secret inavouable, c'est la perversion du mécanisme du crédit afin de se sortir du manque de marchés solvables auxquels vendre ses marchandises. Le crédit est essentiellement devenu le moyen de maintenir artificiellement l'économie à flot et d'empêcher l'effondrement du système sous le poids de sa crise historique. Un moyen qui a déjà montré ses limites et ses risques : déjà, dans les années 1980, la crise financière avait fait suite à la faillite des économies d'Amérique latine terrassées par les énormes dettes qu'elles n'avaient aucun moyen de rembourser ; l'effondrement des tigres et des dragons asiatiques en 1997 et en 1998 avait enseigné la même leçon. En fait, la bulle immobilière elle-même avait constitué une réaction à l'éclatement de la bulle Internet et technologique et une tentative de la surmonter.

La crise financière actuelle comporte une autre dimension qui résulte de la spéculation rampante qui a accompagné la bulle immobilière. Il ne s'agit pas ici de la spéculation de seconde importance d'un investisseur qui achète une maison et la revend pour se faire immédiatement de l'argent sur la base d'une appréciation rapide de la valeur de la propriété. Ce sont des broutilles. Ce qui compte, c'est la spéculation à grande échelle dans laquelle se sont engagées toutes les institutions financières via la titrisation4 et la vente de créances hypothécaires sur les marchés boursiers. Les mécanismes exacts de ces procédés ne sont pas complètement connus, mais de ce qu'on en sait, ils ressemblent beaucoup aux vieux procédés de Ponzi5. De toutes façons, ce que montre ce niveau monstrueux de spéculation, c'est à quel point l'économie est devenue une "économie de casino" dans laquelle le capital n'est pas investi dans l'économie réelle mais est utilisé dans des paris.

La crise actuelle révèle le bluff du libéralisme et la réalité du capitalisme d'État

La bourgeoisie américaine aime à se présenter comme le champion idéologique du libéralisme. Ce n'est qu'une posture idéologique. L'économie est dominée par l'omniprésente intervention de l'État. C'est le sens du "débat" actuel au sein de la bourgeoisie sur la façon de gérer le bourbier économique d'aujourd'hui. Dans le fond, on ne met en avant rien de nouveau. On applique les mêmes vieilles politiques monétaires et fiscales dans l'espoir de stimuler l'économie.

Pour le moment, ce qui est fait pour atténuer la crise actuelle relève toujours de la même chose - on applique les mêmes vieilles politiques d'argent facile et de crédit bon marché pour consolider l'économie. La réponse américaine au credit crunch (resserrement du crédit), c'est encore plus de crédit ! La Réserve fédérale a baissé 5 fois son taux d'intérêt depuis septembre 2007 et semble prête à le faire une fois de plus à la réunion prévue en mars. Reconnaissant clairement que ce remède ne marche pas, la Réserve fédérale a régulièrement augmenté son intervention sur les marchés financiers et offert de l'argent bon marché - 200 milliards de dollars en plus des milliards déjà offerts en décembre dernier - aux institutions financières à court de liquidités.

Pour leur part, la Maison blanche et le Congrès ont aussi rapidement proposé un plan de relance (appelé "economic stimulus package") qui, essentiellement, approuve des réductions d'impôts pour les familles et des abattements d'impôts pour les entreprises, et adopte une loi en vue d'atténuer l'épidémie de non remboursement hypothécaire et de revitaliser le marché immobilier exsangue. Cependant, étant donnée l'étendue de la crise immobilière et financière, la solution d'un renflouage massif par l'État de l'ensemble de la débâcle immobilière est de plus en plus envisagée. L'énormité de son coût ferait pâlir les montants investis en 1990 par l'État - 124,6 milliards de dollars - pour sauver la Saving and Loans Industry (système des caisses d'épargne).

A combien s'élèveront les efforts de l'État pour gérer la crise, cela reste à voir. Ce qui est évident, c'est que, plus que jamais, la marge de manœuvre pour les politiques économiques de la bourgeoisie se restreint. Après des décennies de gestion de la crise, la bourgeoisie américaine gouverne une économie très malade. La monstrueuse dette nationale et privée, le déficit budgétaire fédéral, la fragilité du système financier et l'énorme déficit du commerce extérieur, tout cela accentue les difficultés de la bourgeoisie pour faire face à l'effondrement du système. En fait, jusqu'ici les remèdes gouvernementaux traditionnels pour insuffler un sursaut dans l'économie n'ont produit aucun résultat positif. Au contraire, ils semblent aggraver la maladie qu'ils cherchent à soigner. Malgré les efforts de la Réserve fédérale pour desserrer le crédit, stabiliser le secteur financier et revitaliser le marché immobilier, les crédits sont difficiles à obtenir et sont chers. Wall Street connaît sans relâche des mouvements de montagnes russes, avec des oscillations énormes et une tendance dominante à la baisse.

De plus, la politique de la Réserve fédérale d'argent bon marché contribue à la plongée du dollar qui atteint toutes les semaines de nouveaux records de baisse vis-à-vis de l'euro et d'autres monnaies et fait monter le prix des marchandises comme le pétrole. L'augmentation du prix de l'énergie, de la nourriture et d'autres marchandises simultanément à un ralentissement grave de l'activité économique alimente la peur chez les "experts" de l'entrée dans une période de "stagflation" de l'économie américaine. L'inflation actuelle restreint déjà la consommation de la population qui tente de vivre avec des revenus qui, eux, n'augmentent pas et oblige la classe ouvrière et d'autres secteurs de la population à se serrer la ceinture.

Les attaques contre la classe ouvrière aux États-Unis

L'annonce, le 7 mars, par le Département du Travail américain, que 63 000 emplois ont été perdus dans le pays au cours du mois de février a alarmé le monde bourgeois. Sûrement pas parce qu'il se préoccupe du sort des travailleurs licenciés, mais parce que ce fort déclin confirme les pires cauchemars des économistes sur l'aggravation de la crise. C'était la seconde baisse consécutive de l'emploi et la troisième dans le secteur privé. Pourtant, comme une sorte de mauvaise blague aux dépens des chômeurs, le taux de chômage global est passé de 4,9 à 4,8%. Comme est-ce possible ? C'est uniquement grâce à une habile astuce statistique utilisée par la bourgeoisie pour sous-évaluer le nombre de chômeurs. Pour le gouvernement américain, vous n'êtes chômeur que si vous n'avez pas de travail et avez activement cherché un emploi durant le mois passé et êtes prêt à travailler au moment du sondage. Aussi les chiffres officiels du chômage sous-estiment de façon significative la crise de l'emploi. Ils ignorent les millions d'ouvriers américains "découragés" qui ont perdu leur travail et abandonné la possibilité d'en trouver un nouveau et n'ont pas cherché un nouvel emploi dans les 30 jours précédent le sondage, ou qui veulent travailler mais sont trop découragés pour essayer puisque la situation de l'emploi est trop accablante ou qui, simplement, ne veulent pas travailler pour la moitié du salaire qu'ils gagnaient dans leur emploi précédent, ou encore les millions de travailleurs qui veulent travailler à plein temps mais ne trouvent que des temps partiels. Si l'on incluait tous ces travailleurs dans les statistiques du chômage, le taux serait nettement supérieur. Afin de minimiser encore les chiffres du chômage, le personnel militaire américain aux États-Unis est inclus dans la force de travail du pays depuis le tour de passe-passe statistique de Ronald Reagan (auparavant, le chômage n'était calculé que sur la force de travail civile). Cette manœuvre fait augmenter d'environ deux millions le nombre de personnes "employées" par le secteur militaire américain.

L'effondrement économique actuel amène une avalanche de licenciements dans tous les secteurs de l'économie mais il faut dire que la période du boom immobilier aujourd'hui défunt n'a pas été un paradis pour la classe ouvrière. Les revenus, les retraites, la couverture des dépenses de santé, les conditions de travail, tout cela continuait à se détériorer pendant que le marché de l'immobilier était en plein essor. Ceci avait conduit certains économistes bourgeois à souligner qu'il s'agissait d'une reprise "sans travail" et "sans salaire". La réalité, c'est que, pour la classe ouvrière, les conditions de vie et de travail n'ont cessé de se détériorer depuis quatre décennies de crise économique ouverte, quels qu'aient été ses hauts et ses bas. Avec l'aggravation de la crise économique aujourd'hui, la bourgeoisie n'a rien à offrir à la classe ouvrière sinon encore plus de misère.

L'état actuel de l'économie américaine laisse présager d'une situation économique catastrophique au niveau mondial. L'économie la plus importante du monde ne manquera pas d'entraîner ses partenaires économiques dans sa chute. Il n'y a pas de locomotive économique qui puisse compenser la plongée aux États-Unis et maintenir l'économie globale à flot. La restriction sur le crédit va miner le commerce mondial, l'effondrement du dollar va réduire les importations vers les États-Unis, aggravant la situation économique pays après pays et les attaques contre le niveau de vie du prolétariat vont partout redoubler de violence. S'il existe un rayon de lumière dans ce sombre panorama, c'est que cette situation va accélérer le retour du prolétariat sur le terrain de la lutte de classe contre le capitalisme en le contraignant à se défendre contre les ravages de la crise capitaliste.

La perspective d'accélération et d'aggravation de la crise du capitalisme porte avec elle la promesse d'un développement de la lutte de classe qui, lui aussi, devra constituer un dépassement des pas déjà accomplis par le prolétariat depuis la reprise historique des combats de classe à la fin des années 1960.

ES/JG, 14 mars 2008

 

1 Lire notre article de la Revue internationale n° 131, "De la crise des liquidités à la liquidation du capitalisme !"

2 L'optimisme mal placé semble être une caractéristique des présidents américains. Ainsi Richard Nixon déclara en 1969, juste deux ans avant la crise qui allait obliger les États-Unis à abandonner la convertibilité du dollar et tout le système de Bretton Woods, "Nous avons enfin appris à gérer une économie moderne afin d'en assurer la croissance continue". Son prédécesseur Calvin Coolidge avait déclaré devant le Congrès américain le 4 décembre 1928, c'est-à-dire peu avant la crise de 1929 : "Aucun congrès des États-Unis jamais réuni, en regardant l'état de l'Union, n'a pu contempler une situation plus plaisante que celle d'aujourd'hui (...) [Le pays] peut regarder le présent avec satisfaction et anticiper l'avenir avec optimisme".

3 Cet article a été écrit juste avant l'annonce que Bear Stearns - la cinquième banque commerciale du pays - serait vendu à JP Morgan Chase pour 2 dollars l'action, ce qui veut dire que la banque a perdu 98% de sa valeur.

4 La Titrisation permet à un cédant (société, entreprise ou personne physique) de céder à un organisme les risques liés à des créances, ou à d'autres biens en émettant des valeurs mobilières dont la valorisation ou le rendement dépend de ces risques.

5 Un schéma de Ponzi, ou chaîne de Ponzi, ou dynamique de Ponzi, ou jeux de Ponzi, est le nom donné à un système mettant en jeu un effet boule de neige qui n'est pas viable sur le long terme. Par exemple, rembourser des emprunts en empruntant à nouveau, et pour un montant plus élevé, fait partie d'une dynamique de Ponzi : il ne devient progressivement plus possible de rembourser la totalité des emprunts. Ce nom est utilisé aussi concernant la création d'une bulle spéculative, à visée d'escroquerie. Charles Ponzi a historiquement donné son nom au système, après la mise en œuvre d'une opération immobilière en Californie. (Wikipedia)

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