Soumis par Revue Internationale le
L'extrême-droite passe à l'offensive, la démocratie inflige la défaite à la classe ouvrière
Dans la Revue Internationale n° 83, nous avons montré qu'en 1919 la classe ouvrière, suite à l'échec du soulèvement de janvier, a subi de lourdes défaites du fait de l'éparpillement de ses luttes. La classe dominante en Allemagne a déchaîné la plus violente des répressions contre les ouvriers.
1919 a connu l'apogée de la vague révolutionnaire mondiale. Tandis que la classe ouvrière en Russie reste isolée face à l'assaut organisé par les Etats démocratiques, la bourgeoisie allemande passe à l'offensive contre un prolétariat terriblement atteint par ses récentes défaites afin de le terrasser.
La classe ouvrière supporte le coût de la défaite de l'impérialisme allemand
Après le désastre de la guerre, alors que l'économie est en lambeaux,
la classe dominante cherche à exploiter la situation en faisant peser tout le
poids de sa défaite sur les reins de la classe ouvrière. En Allemagne, entre
1913 et 1920, les productions agricole et industrielle ont baissé de plus de 50
%. De plus, un tiers de la production restante doit être livré aux pays
vainqueurs. Dans de nombreuses branches de l'économie la production continue de
s'effondrer. Les prix augmentent de façon vertigineuse et le coût de la vie
passe de l'indice 100 en 1913 à l'indice 1100 en 1920. Après les privations
subies par la classe ouvrière pendant la guerre, c'est la famine « en temps de paix » qui est au programme.
La sous-alimentation continue à se répandre. Le chaos et l'anarchie de la
production capitaliste, la paupérisation et la faim parmi les ouvriers règnent
partout.
La bourgeoisie utilise le Traité de Versailles pour diviser la classe ouvrière
Simultanément, les puissances victorieuses de l'Ouest font payer au prix fort la bourgeoisie allemande vaincue. Il existe cependant de grandes oppositions d'intérêts entre les puissances victorieuses. Alors que les Etats-Unis trouvent un intérêt à ce que l'Allemagne serve de contrepoids à l'Angleterre et, pour cette raison, s'élèvent contre toute mise en pièces de l'Allemagne, la France souhaite un affaiblissement territorial, militaire et économique aussi durable que possible, et même un démembrement de l'Allemagne. Le Traité de Versailles du 28 juin 1919 stipule que l'armée en Allemagne sera réduite par étapes à 400 000 hommes au 10 avril 1920, puis à 200 000 hommes le 20 juillet 1920. La nouvelle armée républicaine, la Reichswehr, ne peut reprendre dans ses rangs que 4000 officiers sur les 24 000 existants. Elle considère ces décisions comme une menace de mort planant sur elle ; aussi s'y oppose-t-elle par tous les moyens. Tous les partis bourgeois - du SPD au Centre en passant par l'extrême-droite -se retrouvent unis dans l'intérêt du capital national unis pour rejeter le Traité de Versailles. Ce n'est que sous la contrainte exercée par les puissances victorieuses qu'ils s'inclinent. Cependant la bourgeoisie mondiale tire profit du Traité de Versailles pour approfondir la division qui existait déjà pendant la guerre entre les ouvriers des puissances victorieuses et ceux des puissances vaincues.
Par ailleurs, une fraction importante de l'armée, se sentant menacée par le Traité, cherche immédiatement à organiser la résistance contre son application. Elle aspire à une nouvelle confrontation avec les puissances victorieuses. Pour envisager cette perspective, il faut que la bourgeoisie impose très rapidement une nouvelle défaite décisive à la classe ouvrière.
Mais, pour l'instant, il n'est pas question, pour les principaux tenants du capital allemand, que l'armée arrive au pouvoir. A la tête de l'Etat bourgeois, le SPD fait en effet la preuve de ses grandes capacités. Depuis 1914, il a réussi à museler le prolétariat. Et, au cours de l'hiver 1918-19, il a organisé avec une grande efficacité le sabotage et la répression des luttes révolutionnaires. Le capital allemand n'a donc pas besoin de l'armée pour maintenir sa domination. Il dispose de la dictature de la République de Weimar et s'appuie sur elle. C'est ainsi que les troupes de police, sous les ordres du SPD, tirent sur une manifestation massive rassemblée devant le Reichstag le 13 janvier 1920. Quarante-deux morts restent sur le pavé. Au cours de la vague de grèves dans la Ruhr à la fin février le « gouvernement démocratique » menace les révolutionnaires de la peine de mort.
C'est pourquoi lorsqu'en février 1920 des parties de l'armée mettent en pratique leurs aspirations putschistes, elles ne sont soutenues que par des fractions minoritaires du capital. Ce sont surtout celles de l'Est agraire qui forment leur point d'appui, celles qui sont particulièrement intéressées à la reconquête des régions orientales perdues au cours de la guerre.
Le putsch de Kapp : l'extrême-droite passe à l'offensive...
La préparation de ce putsch est un secret de polichinelle au sein de la bourgeoisie. D'ailleurs dans un premier temps, le gouvernement SPD n'entreprend rien contre les putschistes. Le 13 mars 1920 une brigade de la Marine sous le commandement du général von Lûttwitz entre à Berlin, cerne le siège du gouvernement Ebert et proclame sa destitution. Quand Ebert rassemble autour de lui les généraux von Seekt et Schleicher pour riposter à ce putsch de l'extrême-droite, l'armée hésite car, comme le déclare alors le Haut-Commandant de l’Etat-major : « La Reichswehr ne peut admettre aucune "guerre fratricide" Reichswehr contre Reichswehr. »
Le gouvernement prend alors la fuite, d'abord à Dresde puis vers Stuttgart. Kapp déclare alors le gouvernement social-démocrate démis de ses fonctions mais ne fait procéder à aucune arrestation. Avant sa fuite vers Stuttgart le gouvernement, soutenu par les syndicats, parvient à lancer un appel à la grève et montre une nouvelle fois la perfidie avec laquelle il est capable d'agir contre la classe ouvrière.
« Luttez par tous les moyens pour le maintien de la République. Abandonnez tous vos différends. Il n'existe qu'un seul moyen contre la dictature de Guillaume II :
- la paralysie totale de toute l'économie ;
- tous les bras doivent être croisés ;
- aucun prolétaire ne doit prêter son concours à la dictature militaire ;
- grève générale sur toute la ligne. Prolétaires, unissez-vous. A bas la contre-révolution. »
Les membres sociaux-démocrates du gouvernement : Ebert, Bauer, Noske Le Comité directeur du SPD - O. Wels
Les syndicats et le SPD interviennent ainsi immédiatement pour protéger la république bourgeoise - même s'ils utilisent à cette occasion un langage en apparence favorable aux ouvriers ([1]). Kapp proclame la dissolution de l'Assemblée Nationale, annonce des élections et menace tout ouvrier en grève de la peine de mort.
La riposte armée de la classe ouvrière
L'indignation parmi les ouvriers est gigantesque. Immédiatement ils comprennent clairement qu'il s'agit d'une attaque directe contre leur classe. Partout se développe la riposte la plus violente. Naturellement, il ne s'agit pas de prendre la défense du gouvernement haï de Scheidemann.
De la Wasserkante à la Prusse Orientale, en passant par l'Allemagne centrale, Berlin, le Bade-Wtlrtemberg, la Bavière et la Ruhr, dans toutes les grandes villes se développent des manifestations ; dans tous centres industriels les ouvriers entrent en grève et cherchent à prendre d'assaut les postes de police pour s'armer ; dans les usines se tiennent des assemblées générales pour décider du combat à mener. Dans la plupart des grandes villes les troupes putschistes commencent à ouvrir le feu sur les ouvriers en manifestation. Des dizaines d'ouvriers tombent les 13 et 14 mars 1920.
Dans les centres industriels des comités d'action, des conseils ouvriers et des conseils exécutifs sont formés. Les masses ouvrières affluent dans les rues. Depuis novembre 1918, jamais la mobilisation ouvrière n'avait été aussi importante. Partout la colère ouvrière explose contre les militaires.
Le 13 mars, jour de l'entrée des troupes de Kapp dans Berlin, la Centrale du KPD réagit d'abord par l'expectative. Dans une première prise de position elle déconseille la grève générale : « Le prolétariat ne lèvera pas le petit doigt pour la République démocratique. (...) La classe ouvrière, hier encore mise aux fers par les Ebert et Noske, et désarmée, (...) est en ce moment incapable d'agir. La classe ouvrière entreprendra la lutte contre la dictature militaire dans les circonstances et avec les moyens qui lui paraîtront propices. Ces circonstances ne sont pas encore réunies. »
La Centrale du KPD se trompe cependant. Les ouvriers eux-mêmes ne veulent pas attendre. Au contraire, en l'espace de quelques jours ils sont de plus en plus nombreux à se joindre au mouvement. Partout s'élèvent les mots d'ordre : « Armement des ouvriers », « A bas les putschistes ».
Alors qu'en 1919, dans toute l'Allemagne, la classe ouvrière avait lutté dans l'éparpillement, le putsch provoque sa mobilisation simultanée en de nombreux lieux à la fois. Cependant, hormis dans la Ruhr, il ne se produit quasiment aucune prise de contact entre les différents foyers de lutte. Dans tout le pays la riposte se fait spontanément mais sans la moindre organisation capable de lui donner une centralisation.
La Ruhr, la plus importante concentration de la classe ouvrière, est la cible principale des « Kappistes ». C'est pourquoi elle est le centre de la riposte ouvrière. A partir de Munster, les « Kappistes » tentent d'encercler les ouvriers de la Ruhr. Ceux-ci sont les seuls à unir leurs luttes à l'échelle de plusieurs villes et à donner une direction centralisée à la grève Partout des comités d'action sont formes. Des unités d'ouvriers en armes (80 000 environ) sont mises sur pieds Cela constitue la plus importante mobilisation militaire de l'histoire du mouvement ouvrier, après la Russie
Bien que cette résistance sur le plan militaire ne soit pas centralisée à l'échelle du pays, les ouvriers en armes parviennent à stopper l'avance des troupes de Kapp. Les putschistes sont défaits ville après ville La classe ouvrière n'était pas parvenue à enregistrer de tels succès en 1919, au cours des différents soulèvements révolutionnaires Le 20 mars 1920, l'armée est contrainte de se retirer complètement de la Ruhr. Dés le 17 mars, Kapp doit déjà se démettre sans conditions, son putsch ayant à peine duré 100 heures. C'est la puissante riposte de la classe ouvrière qui est la cause de sa chute
Comme lors des événements de l'année précédente, les principaux foyers de la résistance ouvrière se trouvent en Saxe, à Hambourg, à Francfort et à Munich ([2]). Mais la réaction la plus puissante a lieu dans la Ruhr.
Alors que dans l'ensemble de l'Allemagne le mouvement reflue fortement après la départ de Kapp et l'échec du putsch, dans la Ruhr cette situation ne met pas fin au mouvement. De nombreux ouvriers pensent, en effet, qu'il y a là une opportunité pour développer le combat.
Les limites de la riposte ouvrière
Si un large front de riposte de la part de la classe ouvrière s'est développé à la vitesse de l'éclair contre les putschistes sanguinaires, il est cependant évident que la question du renversement de la bourgeoisie n'est pas vraiment à l'ordre du jour ; il ne s'agit, pour la majorité des ouvriers, que de repousser une agression armée.
La suite à donner à ce succès est, à ce moment-là, une question obscure. Hormis les ouvriers de la Ruhr, ceux des autres régions ne formulent quasiment pas de revendications pouvant conférer une plus grande dimension au mouvement de la classe. Tant que la pression ouvrière était dirigée contre le putsch il y avait une orientation homogène parmi les prolétaires. Mais une fois les troupes putschistes battues, le mouvement marque le pas et se retrouve sans objectif clair. Repousser une attaque militaire dans une région ne crée pas forcément les conditions pour un renversement de la classe capitaliste.
En différents endroits, il y a, de la part des anarcho-syndicalistes, des tentatives de mise en train de mesures de socialisation de la production. Celles-ci expriment l'illusion que l'expulsion des extrémistes de droite suffit à ouvrir les portes du socialisme. Toute une série de « commissions » sont créées, ici et là, par les ouvriers qui veulent, par ce moyen, adresser leurs exigences à l'Etat bourgeois. Tout ceci est présenté comme les premières mesures prises par les ouvriers sur le chemin du socialisme, comme les tout premiers petits pas vers le double pouvoir. Mais en réalité ces conceptions ne sont que des signes d'impatience qui détournent l'attention des ouvriers des tâches les plus urgentes à accomplir. Avoir de telles illusions qu'après s'être seulement assuré d'un rapport de forces favorable à un niveau LOCAL constitue un grave danger pour la classe ouvrière, parce que la question du pouvoir ne peut se poser d'abord qu'à l'échelle d'un pays, et en réalité seulement à l'échelle internationale. C'est pourquoi les signes d'impatience petite-bourgeoise et le « tout, tout de suite » doivent être fermement combattus.
Si les ouvriers se sont immédiatement mobilisés militairement contre le putsch, l'impulsion et la force de leur mouvement ne provient pas fondamentalement des usines. Sans cela, c'est-à-dire sans l'initiative des masses qui exercent leur pression dans la rue et qui s'expriment dans les assemblées ouvrières - au sein desquelles la situation est discutée et les décisions prises collectivement - le mouvement ne peut réellement aller de l'avant. Ce processus implique la prise en mains la plus large possible, la tendance à l'extension et à l'unification du mouvement mais également un développement en profondeur de la conscience qui permet notamment de démasquer les ennemis du prolétariat.
C'est pourquoi l'armement des ouvriers et leur riposte militaire déterminée ne suffisent pas. La classe ouvrière doit mettre en oeuvre ce qui est sa principale force : le développement de sa conscience et de son organisation. Dans cette perspective, les conseils ouvriers occupent la place centrale. Les conseils ouvriers et les comités d'action qui sont réapparus spontanément dans ce dernier mouvement, sont cependant encore trop faiblement développés pour servir de point de ralliement et de fer de lance pour le combat
De plus, dés le départ, le SPD entreprend toute une série de manoeuvres pour exercer son rôle de sabotage contre les conseils. Alors que le KPD concentre toute son intervention sur la réélection des conseils ouvriers, cherchant ainsi à renforcer l'initiative ouvrière, le SPD parvient à bloquer ces tentatives
Le SPD et les syndicats : fer de lance de la défaite de la classe ouvrière
Dans la Ruhr de nombreux représentants du SPD siègent dans les comités d'action et dans le comité de grève central. Tout comme entre novembre 1918 et fin 1919, ce parti sabote le mouvement aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur ; et une fois les ouvriers affaiblis de façon déterminante, il pourra abattre sur eux tous les moyens de répression.
Suite à la démission de Kapp le 17 mars, au retrait des troupes hors de la Ruhr le 20 mars et à la reprise en main des affaires par le gouvernement SPD Ebert-Bauer de retour d'« exil », ce dernier avec l'armée sont en mesure de réorganiser les forces bourgeoises.
Une nouvelle fois les syndicats et le SPD se ruent au secours du Capital. S'appuyant sur la pire démagogie et sur des menaces à peine voilées, Ebert et Scheidemann appellent immédiatement à la reprise du travail : « Kapp et Liittwitz sont hors d'état de nuire, mais la sédition des Junkers continue de menacer l'Etat Populaire allemand. C'est eux que concerne la poursuite du combat, jusqu'à temps qu'eux aussi se soumettent sans conditions. Pour ce grand but, il faut resserrer encore plus solidement et plus profondément le front républicain. La grève générale, à plus longue échéance, porte atteinte non seulement à ceux qui se sont rendus coupables de haute trahison, mais aussi à notre propre front. Nous avons besoin de charbon et de pain pour poursuivre le combat contre les anciennes puissances, c'est pourquoi il faut cesser la grève du peuple, mais tout en restant en état d'alerte permanent. »
En même temps, le SPD fait mine de faire des concessions politiques pour atteindre le mouvement à travers sa partie la plus combative et la plus consciente. C'est ainsi qu'il promet « plus de démocratie » dans les usines, « une influence déterminante dans l'élaboration de la nouvelle réglementation de la constitution économique et sociale », l'épuration de l'administration des forces ayant des sympathies envers les putschistes. Mais surtout, les syndicats font tout pour qu'un accord soit signé. L'accord de Bielefeld fait la promesse de concessions qui, en réalité, permet de mettre un frein au mouvement pour ensuite organiser la répression.
Au même moment la menace d'une « intervention étrangère » est une nouvelle fois agitée : un élargissement des luttes ouvrières permettrait une attaque des troupes étrangères, surtout celles des Etats-Unis, contre l'Allemagne ; de même les livraisons de ravitaillement en provenance de Hollande à destination de la population affamée seraient interrompues.
Ainsi les syndicats et le SPD préparent les conditions et mettent en place tous les moyens de la répression contre la classe ouvrière. Le même SPD, dont les ministres quelques jours auparavant, le 13 mars, appelaient encore les ouvriers à la grève générale contre les putschistes, prennent à nouveau les rênes en main pour mener la répression. Alors que les négociations en vue d'un cessez-le-feu sont en train de se dérouler et qu'en apparence le gouvernement fait des « concessions » à la classe ouvrière, la mobilisation générale de la Reichswehr est déjà en route. Un grand nombre d'ouvriers ont l'illusion fatale que les troupes gouvernementales envoyées par « l'Etat démocratique » de la République de Weimar contre les putschistes ne peuvent entreprendre aucune action de combat contre les ouvriers. C'est ainsi que le Comité de Défense de Berlin-Kôpenick appelle les milices ouvrières à cesser le combat. Dès l'entrée dans Berlin des troupes fidèles au gouvernement, des conseils de guerre sont immédiatement mis sur pieds, conseils dont la férocité ne va rien envier à celle des Corps-Francs une année auparavant. Quiconque est pris en possession d'une arme est immédiatement exécuté. Des ouvriers par milliers sont soumis à la torture, fusillés ; d'innombrables femmes sont violées. On estime à plus de 1 000 les ouvriers assassinés pour la seule région de la Ruhr.
Ce que les sbires de Kapp n'ont pas réussi à faire contre les ouvriers, les bourreaux de l'Etat démocratique vont y parvenir.
Depuis la première guerre mondiale tous les partis bourgeois sont réactionnaires et des ennemis de la classe ouvrière.
Depuis que le système capitaliste est entré dans sa période de décadence, le prolétariat a constamment dû se réapproprier le fait qu'il n'existe aucune fraction de la classe dominante moins réactionnaire que les autres ou dans une disposition de moindre hostilité par rapport à la classe ouvrière. Au contraire, les forces de gauche du capital, comme l'exemple du SPD en a apporté la preuve, sont encore plus sournoises et plus dangereuses dans leurs attaques contre la classe ouvrière.
Dans le capitalisme décadent il n'y a aucune fraction de la bourgeoisie qui soit, d'une manière ou d'une autre, encore progressiste et que la classe ouvrière doive soutenir. Le prolétariat paie très cher ses illusions vis à vis de la social-démocratie. Avec l'écrasement de la riposte ouvrière contre le putsch de Kapp, le SPD montre derechef toute sa sournoiserie et fait la preuve qu'il agit au service du Capital.
D'abord il se présente comme « le représentant le plus radical des ouvriers ». Non seulement il parvient à mystifier les ouvriers mais aussi leurs partis politiques. Bien que, à un niveau général, le KPD mette en garde haut et fort la classe ouvrière contre le SPD et dénonce sans restriction le caractère bourgeois de sa politique, il est souvent lui-même, à un niveau local, victime de ses sournoiseries. C'est ainsi que, dans différentes villes, le KPD signe des appels à la grève générale communs avec le SPD.
Par exemple à Francfort le SPD, 1’USPD et le KPD déclarent ensemble : « Il faut entrer en lutte maintenant, non pas pour protéger la République bourgeoise, mais pour établir le pouvoir du prolétariat. Quittez immédiatement les usines et les bureaux ! »
A Wuppertal les directions des districts des trois partis publient cet appel : « La lutte unitaire doit être menée avec pour objectifs:
1° La conquête du pouvoir politique par la dictature du prolétariat jusqu'à la consolidation du socialisme sur la base du pur système des conseils.
2° La socialisation immédiate des entreprises économiques suffisamment mûres pour cette fin.
Pour atteindre ces objectifs, les partis signataires (USPD, KPD, SPD) appellent à entrer avec détermination en grève générale le lundi 15 mars. »
Le fait que le KPD et 1’USPD ne dénoncent pas le véritable rôle du SPD mais prêtent leur concours à l'illusion de la possibilité d'un front uni avec ce parti traître à la classe ouvrière et dont les mains sont couvertes du sang ouvrier va avoir des conséquences dévastatrices.
A nouveau, le SPD tire toutes les ficelles et prépare la répression contre la classe ouvrière. Après la défaite des putschistes, avec Ebert à la tête du gouvernement, il dote la Reichswehr d'un nouveau chef - von Seekt - militaire chevronné qui s'est déjà taillé une solide réputation en tant que bourreau de la classe ouvrière. D'emblée, l'armée excite la haine contre les ouvriers : « Alors que le putschisme de droite doit quitter la scène battu, le putschisme de gauche relève à nouveau la tête. (...) Nous portons les armes contre toutes les variétés de putschs ». Ainsi les ouvriers qui ont combattu les putschistes sont dénoncés comme les véritables putschistes. « Ne vous laissez pas induire en erreur par les mensonges bolchevistes et spartakistes. Restez unis et forts. Faites front contre le bolchevisme qui veut tout anéantir. » (Au nom du gouvernement du Reich : von Seekt et Schiffer)
C'est un véritable bain de sang qu'accomplit la Reichswehr sous le commandement du SPD. C'est l'armée « démocratique » qui marche contre la classe ouvrière, alors que les « Kappistes » ont depuis longtemps pris la fuite !
Les faiblesses des
révolutionnaires sont fatales à toute la classe ouvrière
Alors que la classe ouvrière s'oppose avec un courage héroïque aux attaques de l'armée et cherche à donner une orientation à leurs luttes, les révolutionnaires sont à la traîne par rapport au mouvement. L'absence d'un parti communiste fort constitue l'une des causes décisives de ce nouveau revers que subit la révolution prolétarienne en Allemagne.
Comme nous l'avons montré dans les articles précédents, le KPD s'est trouvé gravement affaibli par l'exclusion de l'opposition lors du Congrès de Heidelberg ; en mars 1920 le KPD ne compte que quelques centaines de militants à Berlin, la majorité des membres ayant été exclue.
De plus pèse sur le parti le traumatisme de sa terrible faiblesse, lors de la semaine sanglante de janvier 1919, lorsqu'il n'est pas arrivé à dénoncer de façon unie le piège tendu par la bourgeoisie à la classe ouvrière et qu'il n'est pas parvenu à empêcher celle-ci de s'y engouffrer.
Voila pourquoi le 13 mars 1920 le KPD développe une analyse fausse du rapport de forces entre les classes, pensant qu'il est trop tôt pour frapper en retour. Il est évident que la classe ouvrière se trouve confrontée à l'offensive de la bourgeoisie et n'a pas le choix du moment du combat. De plus sa détermination à riposter est importante. Face à cette situation le parti a parfaitement raison de donner l'orientation suivante :
« Rassemblement immédiat dans toutes les usines pour élire des conseils ouvriers. Réunion immédiate des conseils en assemblées générales qui se doivent de prendre en charge la direction de la lutte et d'arrêter les prochaines mesures à prendre. Réunion immédiate des conseils en un Congrès Central des conseils. Au sein des conseils ouvriers les Communistes luttent pour la dictature du prolétariat, pour la République des conseils... » (15 mars 1920)
Mais après la reprise en main par le SPD des rênes des affaires gouvernementales, la Centrale du KPD déclare le 21 mars 1920 :
« Pour la conquête ultérieure des masses prolétariennes à la cause du communisme, un état de choses dans lequel la liberté politique pourrait être mise à profit sans limite et où la démocratie bourgeoise n'apparaîtrait pas comme la dictature du Capital, est de la plus haute importance pour le développement en direction de la dictature du prolétariat.
Le KPD voit dans la constitution d'un gouvernement socialiste excluant tout parti bourgeois capitaliste, des conditions favorables à l'action des masses prolétariennes et à leur processus de maturation nécessaire à l'exercice de la dictature du prolétariat.
Il adoptera vis à vis du gouvernement une attitude d'opposition loyale tant que celui-ci n'attentera pas aux garanties qui assurent à la classe ouvrière sa liberté d'action politique et tant qu'il combattra la contre-révolution bourgeoise par tous les moyens à sa disposition et qu'il n'empêchera pas le renforcement social et organisationnel de la classe ouvrière. »
En promettant au SPD son « opposition loyale » qu'espère le KPD ? N'est-ce pas le même SPD qui, au cours de la guerre et au début de la vague révolutionnaire, a tout entrepris pour mystifier la classe ouvrière, l'attacher au char de l'Etat et qui a froidement organisé sa répression !
En adoptant cette attitude la Centrale du KPD se laisse abuser par les manoeuvres du SPD. Lorsque l'avant-garde des révolutionnaires se laisse autant induire en erreur, il n'est dés lors pas étonnant que dans les masses les illusions au sujet du SPD se trouvent renforcées ! La politique catastrophique du front uni « à la base » appliqué en mars 1920 par la Centrale du KPD, va malheureusement être reprise immédiatement par l'Internationale Communiste. Le KPD a ainsi accompli un tragique premier pas. Pour les militants exclus du KPD en octobre 1919, cette nouvelle erreur de la Centrale est le motif qui les poussent à fonder le KAPD à Berlin très peu de temps après, au début avril 1920.
Encore une fois la classe ouvrière en Allemagne s'est héroïquement battue contre le Capital. Et cela alors que la vague de luttes au niveau international est en plein reflux. Mais une fois encore elle a dû agir en étant privée de l'action déterminante du parti. Les hésitations et les erreurs politiques des révolutionnaires en Allemagne mettent clairement en évidence combien pèsent lourdement dans la balance le manque de clarté et la défaillance de l'organisation politique du prolétariat.
Cet affrontement provoqué par la bourgeoisie à partir du putsch de Kapp s'est malheureusement conclu par une nouvelle et grave défaite du prolétariat en Allemagne. Malgré le formidable courage et la détermination avec lesquelles ils se sont jetés dans la bataille, les ouvriers ont encore une fois payé au prix fort leurs illusions persistantes vis à vis du SPD et de la démocratie bourgeoise. Handicapés politiquement par la faiblesse chronique de ses organisations révolutionnaires, abusés par la politique et les discours sournois de la social-démocratie, ils sont défaits et finalement livrés non pas aux balles des putschistes d'extrême-droite mais à celles de la très « démocratique » Reichswehr sous les ordres du gouvernement SPD.
Mais cette nouvelle défaite du prolétariat en Allemagne est surtout un coup d'arrêt pour la vague révolutionnaire mondiale et la Russie des soviets est de plus en plus isolée.
DV.
[1] Aujourd'hui encore la question, s'il s'agissait on non d'une provocation visant un but précis, avec un accord entre l'armée et le gouvernement, n'est pas clarifiée. On ne peut en aucune manière considérer comme exclue l'hypothèse selon laquelle la classe dominante avait un plan utilisant les putschistes comme facteur de provocation suivant le concept suivant : les extrémistes de droite attirent les ouvriers dans le piège, la dictature démocratique frappant ensuite de toutes ses forces !
[2] En Allemagne Centrale Max Hôlz fait pour la première fois son apparition. En organisant des groupes de combat d'ouvriers armés, il livre de nombreux combats à la police et à l'armée. Au cours d'actions contre les magasins il s'empare des marchandises pour les distribuer aux chômeurs. Nous reviendrons sur lui dans un prochain article.