Soumis par Revue Internationale le
Les Thèses d'Avril, ce document court et précis, nous fournit un excellent point de départ pour réfuter tous les mensonges sur le Parti bolchevique et pour réaffirmer le plus essentiel sur celui-ci : ce parti n'était pas un produit de la barbarie russe, d'un anarcho-terrorisme déformé ou d'une soif absolue du pouvoir de ses dirigeants. Le bolchevisme était en tout premier lieu le produit du prolétariat mondial. Inséparablement lié à la tradition marxiste toute entière, il n'était pas le germe d'une nouvelle forme d'exploitation et d'oppression mais l'avant-garde d'un mouvement pour supprimer toute exploitation et toute oppression.
De février à avril
Vers la fin de février 1917, les travailleurs de Pétrograd lancent des grèves massives contre les conditions de vie intolérables imposées par la guerre impérialiste. Les mots d'ordre du mouvement deviennent rapidement politiques, les ouvriers appelant à la fin de la guerre et au renversement de l'autocratie. En quelques jours, la grève s'étend à d'autres villes, grandes et petites, et comme les ouvriers ont pris les armes et fraternisé avec les soldats, la grève de masse prend un caractère de soulèvement.
Répétant l'expérience de 1905, les ouvriers centralisent la lutte au moyen des soviets de députés ouvriers, élus par les assemblées d'usines et révocables à tout moment. Au contraire de 1905, les soldats et les paysans commencent à suivre cet exemple sur une large échelle.
La classe dominante, reconnaissant que les jours de l'autocratie sont comptés, se débarrasse elle-même du Tsar, et appelle les partis libéraux et la « gauche », particulièrement ces éléments autrefois prolétariens qui viennent de passer dans le camp bourgeois en appuyant la guerre, à former un gouvernement provisoire avec le but avoué de conduire la Russie vers un système de démocratie parlementaire. En réalité, une situation de double pouvoir surgit puisque les ouvriers et les soldats ne font confiance réellement qu'aux seuls soviets et que le gouvernement provisoire bourgeois n'est pas encore dans une position suffisamment forte pour les ignorer, encore moins pour les éliminer. Mais cette profonde ligne de partage entre classes est partiellement obscurcie par le brouillard de l'euphorie démocratique qui tombe sur le pays après la révolte de février. Avec le Tsar écarté et le peuple jouissant d'une liberté sans précédent, tout le monde semble en faveur de la « révolution » – y inclus les alliés démocratiques de la Russie qui espèrent que cela permettra à ce pays de participer plus efficacement à l'effort de guerre. Ainsi le gouvernement provisoire se présente comme le gardien de la révolution ; les soviets sont politiquement dominés par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui font tout ce qu'ils peuvent pour les rendre impuissants face au régime bourgeois nouvellement installé. En bref, toute l'impulsion de la grève de masse et du soulèvement – qui est en réalité une manifestation d'un mouvement révolutionnaire plus universel couvant dans tous les principaux pays capitalistes du fait de la guerre – est détournée vers des fins capitalistes.
Où sont les bolcheviks dans cette situation si pleine de dangers et de promesses ? Ils sont dans une confusion presque complète :
« Le premier mois de la révolution avait été, pour le bolchevisme, un temps de désarroi et de tergiversations. Dans le "Manifeste" du Comité central des bolcheviks, rédigé aussitôt après la victoire de l'insurrection, il était dit que "les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que les troupes soulevées, doivent immédiatement élire leurs représentants au gouvernement révolutionnaire provisoire." (...) Ils agissaient non pas en tant que représentants d'un parti prolétarien qui se prépare à ouvrir de son propre chef la lutte pour le pouvoir, mais comme l'aile gauche de la démocratie qui, en proclamant ses principes, se dispose, pour une durée indéterminée, à jouer le rôle d'une opposition loyale. » ([1])
Quand Staline et Kaménev prennent la direction du parti en mars 1917, ils le positionnent encore plus à droite. Staline développe une théorie sur les rôles complémentaires du gouvernement provisoire et des soviets. Pire, l'organe officiel du parti, la Pravda, adopte ouvertement une position « défensiste » sur la guerre :
« Nous ne faisons pas nôtre l'inconsistant mot d'ordre "A bas la guerre !" Notre mot d'ordre est d'exercer une pression sur le gouvernement provisoire pour le contraindre (...) à faire une tentative dans le but de disposer tous les pays belligérants à ouvrir immédiatement des pourparlers... Mais, jusque-là, chacun reste à son poste de combat ! » ([2])
Trotsky raconte comment de nombreux éléments dans le parti se trouvent très profondément inquiets et même en colère face à la dérive opportuniste du parti. Mais ils ne sont pas armés programmatiquement pour s'opposer à la position de la direction d'autant qu'elle semble être basée sur la perspective qu'a développée Lénine lui-même et qui a été la position officielle du parti durant toute une décennie : la perspective de la « dictature démocratique des ouvriers et paysans ». L'essence de cette théorie est que, bien qu'économiquement parlant la nature de la révolution se développant en Russie est bourgeoise, la bourgeoisie russe est elle-même trop faible pour réaliser sa propre révolution. Et donc, la modernisation capitaliste de la Russie devra être assumée par le prolétariat et les secteurs les plus pauvres de la paysannerie. Cette position se tient à mi-chemin entre celle des mencheviks – qui prétendent être des marxistes « orthodoxes » et par conséquent défendent que la tâche du prolétariat est d'apporter un appui critique à la bourgeoisie contre l'absolutisme jusqu'à ce que la Russie soit mûre pour le socialisme – et celle de Trotsky dont la théorie de la « révolution permanente », développée après les événements de 1905, insiste sur le fait que la classe ouvrière sera propulsée au pouvoir dans la révolution à venir et qu'elle sera forcée d'aller au-delà de l'étape bourgeoise de la révolution, jusqu'à l'étape socialiste à la seule condition que la Révolution russe coïncide avec, ou provoque, une révolution socialiste dans les pays industrialisés.
En vérité, la théorie de Lénine est au mieux le produit d'une période où il est de plus en plus évident que la bourgeoisie russe n'est pas une force révolutionnaire, mais aussi où il n'est pas encore clair que la période de la révolution socialiste internationale est arrivée. Cependant, la supériorité de la thèse de Trotsky est précisément basée sur le fait qu'elle part d'un cadre international, plutôt que d'un cadre purement russe ; et Lénine lui-même, malgré ses désaccords nombreux et aigus avec Trotsky à cette époque, s'est rallié en différentes occasions après les événements de 1905 à la notion de révolution permanente.
En pratique, l'idée de la « dictature démocratique des ouvriers et paysans » s'avère être sans substance ; les « léninistes orthodoxes » qui se mettent à répéter la formule en 1917, l'utilisent comme couverture de leur glissement vers le menchevisme pur et simple. Kaménev affirme avec vigueur qu'il est nécessaire d'apporter un soutien critique au gouvernement provisoire puisque la phase démocratique bourgeoise n'est pas encore accomplie : cela correspond à peine à la conception d'origine de Lénine qui insiste sur le fait que la bourgeoisie transigera inévitablement avec l'autocratie. Il y a même de sérieuses tentatives de réunification entre les mencheviks et les bolcheviks.
Ainsi, le Parti bolchevique désarmé politiquement, est tiré vers le compromis et la trahison. Le futur de la révolution est en jeu quand Lénine revient d'exil.
Dans son Histoire de la Révolution russe, Trotsky nous donne une description détaillée de l'arrivée de Lénine à la gare de Finlande à Pétrograd le 3 avril 1917. Le soviet de Pétrograd, encore dominé par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, organise une énorme cérémonie de bienvenue et fête Lénine avec des fleurs. Au nom du Soviet, Tchkhéidzé accueille Lénine avec ces mots :
« Camarade Lénine (...), nous saluons votre arrivée en Russie (...) Mais nous estimons que la tâche principale de la démocratie révolutionnaire est pour l'instant de défendre notre révolution de tous les attentats qui pourraient venir contre elle, tant de l'intérieur que de l'extérieur (...) Nous espérons qu'avec nous vous poursuivrez ces buts. » ([3])
La réponse de Lénine ne s'adresse pas aux dirigeants du comité de bienvenue mais aux centaines d'ouvriers et de soldats qui ont afflué à la gare :
« Chers camarades, soldats, matelots et ouvriers, je suis heureux de saluer en vous la Révolution russe victorieuse, de vous saluer comme l'avant-garde de l'armée prolétarienne mondiale (...) L'heure n'est pas loin où, sur l'appel de notre camarade Karl Liebknecht, les peuples retourneront leurs armes contre les capitalistes exploiteurs (...) La Révolution russe accomplie par vous a ouvert une nouvelle époque. Vive la révolution socialiste mondiale ! » ([4])
C'est ainsi que Lénine le trouble-fête traite le carnaval démocratique dès le premier moment de son arrivée. Cette nuit-là, Lénine élabore sa position dans un discours de deux heures qui consterne davantage encore tous les démocrates et socialistes sentimentaux qui veulent que la révolution n'aille pas plus loin que ce qu'elle a fait en février, qui ont applaudi les grèves de masse des ouvriers quand elles ont chassé le Tsar et permis au gouvernement provisoire d'assumer le pouvoir, mais qui redoutent toute polarisation de classe supplémentaire. Le jour suivant, à une réunion commune des bolcheviks et des mencheviks, Lénine expose ce qui allait être connu sous le nom de Thèses d'Avril. Elles sont assez courtes pour être reproduites entièrement ici :
« 1. Aucune concession, si minime soit-elle, au "jusqu'au-boutisme révolutionnaire" ne saurait être tolérée dans notre attitude envers la guerre qui, du côté de la Russie, même sous le nouveau gouvernement de Lvov et Cie, est demeurée incontestablement une guerre impérialiste de brigandage en raison du caractère capitaliste de ce gouvernement.
Le prolétariat conscient ne peut donner son consentement à une guerre révolutionnaire, qui justifierait réellement le jusqu'au-boutisme révolutionnaire, que si les conditions suivantes sont remplies :
a) passage du pouvoir au prolétariat et aux éléments pauvres de la paysannerie, proches du prolétariat ;
b) renonciation effective, et non verbale, à toute annexion ;
c) rupture totale en fait avec tous les intérêts du capital.
Etant donné l'indéniable bonne foi des larges couches de la masse des partisans du jusqu'au-boutisme révolutionnaire qui n'admettent la guerre que par nécessité et non en vue de conquêtes, et étant donné qu'elles sont trompées par la bourgeoisie, il importe de les éclairer sur leur erreur avec une persévérance, une patience et un soin tout particuliers, de leur expliquer qu'il existe un lien indissoluble entre le capital et la guerre impérialiste, de leur démontrer qu'il est impossible de terminer la guerre par une paix vraiment démocratique et non imposée par la violence, sans renverser le capital.
Organisation de la propagande la plus large de cette façon de voir dans l'armée combattante.
Fraternisation.
2. Ce qu'il y a d'original dans la situation actuelle en Russie, c'est la transition de la première étape de la révolution, qui a donné le pouvoir à la bourgeoisie par suite du degré insuffisant de conscience et d'organisation du prolétariat, à sa deuxième étape, qui doit donner le pouvoir au prolétariat et aux couches pauvres de la paysannerie.
Cette transition est caractérisée, d'une part, par un maximum de possibilités légales (la Russie est aujourd'hui, de tous les pays belligérants, le plus libre du monde) ; de l'autre, par l'absence de contrainte exercée sur les masses, et enfin, par la confiance irraisonnée des masses à l'égard du gouvernement des capitalistes, ces pires ennemis de la paix et du socialisme.
Cette situation originale exige que nous sachions nous adapter aux conditions spéciales du travail du Parti au sein de la masse prolétarienne innombrable qui vient de s'éveiller à la vie politique.
3. Aucun soutien au gouvernement provisoire ; démontrer le caractère entièrement mensonger de toutes ses promesses, notamment de celles qui concernent la renonciation aux annexions. Le démasquer au lieu d' "exiger" – ce qui est inadmissible, car c'est semer des illusions – que ce gouvernement, gouvernement de capitalistes, cesse d'être impérialiste.
4. Reconnaître que notre Parti est en minorité, et ne constitue pour le moment qu'une faible minorité, dans la plupart des Soviets de députés ouvriers, en face du bloc de tous les éléments opportunistes petits-bourgeois tombés sous l'influence de la bourgeoisie et qui étendent cette influence sur le prolétariat. Ces éléments vont des socialistes-populistes et des socialistes-révolutionnaires au Comité d'organisation (Tchkhéidzé, Tsérétéli, etc.), à Stéklov, etc.
Expliquer aux masses que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire, et que, par conséquent, notre tâche, tant que ce gouvernement se laisse influencer par la bourgeoisie, ne peut être que d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement aux masses les erreurs de leur tactique, en partant essentiellement de leurs besoins pratiques.
Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience.
5. Non pas une république parlementaire, – y retourner après les Soviets des députés ouvriers serait un pas en arrière –, mais une république des Soviets de députés ouvriers, salariés agricoles et paysans dans le pays tout entier, de la base au sommet.
Suppression de la police, de l'armée et du corps des fonctionnaires.
Le traitement des fonctionnaires, élus et révocables à tout moment, ne doit pas excéder le salaire moyen d'un bon ouvrier.
6. Dans le programme agraire, reporter le centre de gravité sur les Soviets de députés des salariés agricoles.
Confiscation de toutes les terres des grands propriétaires fonciers.
Nationalisation de toutes les terres dans le pays et leur mise à la disposition des Soviets locaux de députés des salariés agricoles et des paysans. Formation de Soviets de députés des paysans pauvres. Transformation de tout grand domaine (de 100 à 300 hectares environ, en tenant compte des conditions locales et autres sur la décision des organismes locaux) en une exploitation modèle placée sous le contrôle des députés des salariés agricoles et fonctionnant pour le compte de la collectivité.
7. Fusion immédiate de toutes les banques du pays en une banque nationale unique placée sous le contrôle des Soviets des députés ouvriers.
8. Notre tâche immédiate est non pas d' "introduire" le socialisme, mais uniquement de passer tout de suite au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par les Soviets des députés ouvriers.
9. Tâches du Parti :
a) convoquer sans délai le congrès du Parti ;
b) modifier le programme du Parti, principalement ;
1. sur l'impérialisme et la guerre impérialiste,
2. sur l'attitude envers l'Etat et notre revendication d'un "Etat-Commune",
3. amender le programme minimum, qui a vieilli ;
c) changer la dénomination du Parti ;
10. Rénover l'Internationale.
Prendre l'initiative de la création d'une Internationale révolutionnaire, d'une Internationale contre les social-chauvins et contre le "centre". »
La lutte pour réarmer le parti
Zalejski, membre du Comité Central bolchevik à cette époque, résume ainsi la réaction, au sein du parti et partout dans le mouvement, aux thèses de Lénine : « Les thèses de Lénine produisirent l'effet d'une bombe qui explose » ([5]). La réaction initiale est incrédule et une pluie d'anathèmes tombe sur la tête de Lénine : Lénine a été trop longtemps en exil, il a perdu le contact avec la réalité russe. Ses perspectives sur la nature de la révolution sont tombées dans le « trotskisme ». Et pour son idée de prise de pouvoir par les soviets, il est retourné au blanquisme, à l'aventurisme, à l'anarchisme. Un ancien membre du Comité central bolchevik, alors en dehors du parti, Goldenberg, s'exprime ainsi :
« Pendant de nombreuses années, la place de Bakounine dans la Révolution russe est restée inoccupée ; maintenant elle est prise par Lénine ».
Pour Kaménev, la vision de Lénine empêchera les bolcheviks d'agir comme un parti des masses, en réduisant leur rôle à celui d'un « groupe de propagandistes communistes ».
Ce n'est pas la première fois que les « vieux bolcheviks » s'accrochent à des formules usées au nom du léninisme. En 1905, la réaction initiale des bolcheviks face à l'apparition des soviets avait été basée sur une interprétation mécanique des critiques de Lénine au spontanéisme dans Que Faire ? ; la direction avait alors appelé le soviet de Pétrograd soit à se subordonner au parti, soit à se dissoudre. Lénine lui-même rejeta catégoriquement cette attitude, étant un des premiers à saisir la signification révolutionnaire du soviet comme un organe de pouvoir politique prolétarien et il défendit que la question n'était pas « soviet ou parti » mais les deux, les soviets et le parti, puisque leurs rôles étaient complémentaires. Là, une fois encore, Lénine avait à donner une leçon à ces « léninistes » sur la méthode marxiste, en démontrant que le marxisme est tout le contraire d'un dogme mort ; c'est une théorie scientifique vivante qui doit être constamment vérifiée dans le laboratoire des mouvements sociaux. Les Thèses d'Avril sont un exemple de la capacité du marxisme à écarter, adapter, modifier ou enrichir des positions antérieures à la lumière de l'expérience de la lutte de classe :
« Pour l'instant il faut bien se mettre en tête cette vérité incontestable que le marxiste doit tenir compte de la vie, des faits précis de la réalité, et non se cramponner à la théorie d'hier qui, comme toute théorie, est tout au plus capable d'indiquer l'essentiel, le général, de fournir une idée approchée de la complexité de la vie.
"Grise est la théorie, mon ami, mais vert l'arbre éternel de la vie." » ([6])
Et dans la même lettre, Lénine réprimande...
«... ces "vieux bolcheviks" qui, plus d'une fois déjà, ont joué un triste rôle dans l'histoire de notre Parti en répétant stupidement une formule apprise par coeur, au lieu d'étudier ce qu'il y avait d'original dans la réalité nouvelle, vivante. »
Pour Lénine, la « dictature démocratique » est déjà réalisée dans les soviets de députés d'ouvriers et de paysans et comme telle elle est alors devenue une formule vieillie. La tâche essentielle pour les bolcheviks est maintenant de favoriser la dynamique prolétarienne au sein de ce large mouvement social qui s'oriente vers la formation d'un Etat-Commune en Russie comme le premier avant-poste de la révolution socialiste mondiale. On peut engager une controverse avec Lénine sur son effort pour sauver l'honneur de la vieille formule mais l'élément essentiel dans son approche est qu'il a été capable de voir le futur du mouvement et par conséquent la nécessité de rompre avec le modèle issu de théories vieillies.
La méthode marxiste n'est pas seulement dialectique et dynamique ; elle est aussi globale, c'est-à-dire qu'elle place chaque question particulière dans un cadre international et historique. Et c'est cela surtout qui permet à Lénine de saisir le sens réel des événements. A partir de 1914, les bolcheviks, Lénine en tête, ont défendu la position internationaliste la plus consistante contre la guerre impérialiste, y voyant la preuve de la décadence du capitalisme mondial et ainsi l'ouverture de l'époque de la révolution prolétarienne mondiale. Ce fut la pierre angulaire de la position « transformer la guerre impérialiste en guerre civile » que Lénine défendit contre toutes les variétés de chauvinisme et de pacifisme. Se tenant fermement à cette analyse, à aucun moment Lénine ne se laisse prendre à l'idée que l'accession au pouvoir du gouvernement provisoire change le caractère impérialiste de la guerre et il n'épargne pas de ses critiques les bolcheviks qui sont tombés dans l'erreur :
« La Pravda exige du gouvernement qu'il renonce aux annexions. Exiger d'un gouvernement de capitalistes qu'il renonce aux annexions, c'est une ineptie, une criante dérision. » ([7])
La réaffirmation intransigeante de la position internationaliste sur la guerre est en premier lieu une nécessité si on veut arrêter le glissement opportuniste dans le parti. Mais c'est aussi le point de départ pour liquider théoriquement la formule de « dictature démocratique » et toutes les justifications mencheviques pour soutenir la bourgeoisie. A l'argument que la Russie arriérée n'est pas encore mûre pour le socialisme, Lénine argumente comme un véritable internationaliste, reconnaissant dans la Thèse 8 : « Notre tâche immédiate est non pas d' "introduire" le socialisme (...). »
La Russie, en elle-même, n'est pas mûre pour le socialisme, mais la guerre impérialiste a démontré que le capitalisme mondial comme un tout est vraiment plus que mûr. De là le salut de Lénine aux ouvriers à la gare de Finlande : en prenant le pouvoir, les ouvriers russes agissent comme l'avant-garde de l'armée prolétarienne internationale. De là aussi l'appel à une nouvelle Internationale à la fin des Thèses. Et pour Lénine, comme pour tous les authentiques internationalistes d'alors, la révolution mondiale n'est pas juste un voeu pieux mais une perspective concrète se développant à partir de la révolte prolétarienne internationale contre la guerre – les grèves en Grande-Bretagne et en Allemagne, les manifestations politiques, les mutineries et les fraternisations dans les forces armées de plusieurs pays et, bien sûr, la marée révolutionnaire montante en Russie même. Cette perspective, embryonnaire à ce moment, va être complètement confirmée après l'insurrection d'Octobre par l'extension de la vague révolutionnaire à l'Italie, la Hongrie, l'Autriche et surtout l'Allemagne.
L' « anarchisme » de Lénine
Les défenseurs de l' « orthodoxie » marxiste accusent Lénine de blanquisme et de bakouninisme sur la question de la prise du pouvoir et sur la nature de l'Etat post-révolutionnaire. De blanquisme parce qu'il est supposé être en faveur d'un coup d'Etat par une minorité, par les bolcheviks agissant tout seuls, ou même par la classe ouvrière industrielle comme un tout, agissant sans considération vis-à-vis de la majorité paysanne. De bakouninisme parce que le rejet par les Thèses de la république parlementaire est une concession aux préjugés anti-politiques des anarchistes et des anarcho-syndicalistes.
Dans ses Lettres sur la tactique, Lénine défend ses thèses contre la première accusation comme suit :
« Je me suis entièrement prémuni, dans mes thèses, contre toute tentative de sauter par-dessus le mouvement paysan, ou petit-bourgeois en général, qui n'a pas encore épuisé ses possibilités, contre toute tentative de jouer à la "prise du pouvoir" par un gouvernement ouvrier, contre toute aventure blanquiste, car j'ai formellement invoqué l'expérience de la Commune de Paris. Or, on le sait, et Marx l'a démontré minutieusement en 1871 et Engels en 1891, cette expérience a absolument exclu le blanquisme, elle a assuré la domination directe, immédiate, inconditionnée de la majorité et l'activité des masses uniquement dans la mesure où cette majorité elle-même s'affirme de façon consciente.
Dans mes thèses, j'ai tout ramené, d'une façon parfaitement explicite, à la lutte pour la prépondérance au sein des Soviets de députés des ouvriers, des salariés agricoles, des paysans et des soldats. Afin de ne pas laisser l'ombre d'un doute sur ce point, j'ai par deux fois souligné dans mes thèses la nécessité d'un travail d' "explication" patient et opiniâtre, "en partant des besoins pratiques des masses". »
Pour en revenir à la position anarchiste sur l'Etat, Lénine souligne en Avril, comme il le fera de manière plus approfondie dans L'Etat et la Révolution, que les marxistes « orthodoxes », avec des personnalités comme Kautsky et Plékhanov à leur tête, ont enterré les vrais enseignements de Marx et Engels sur l'Etat sous un tas de fumier parlementariste. L'expérience de la Commune avait montré que la tâche du prolétariat dans la révolution n'était pas de s'emparer de l'ancien Etat mais de le détruire de fond en comble ; que le nouvel instrument du pouvoir prolétarien, l'Etat-Commune, ne serait pas basé sur le principe de la représentation parlementaire qui finalement n'est qu'une façade cachant la dictature de la bourgeoisie mais sur la délégation directe et la révocabilité d'en bas, sur les masses armées et auto-organisées. En constituant les soviets, l'expérience de 1905 et la révolution nouvellement surgie de 1917 n'ont pas seulement confirmé cette perspective mais lui ont fait franchir un pas supplémentaire. Alors que la Commune avait été une formation « populaire » dans laquelle toutes les classes exploitées de la société étaient également représentées, les soviets sont une forme supérieure car ils permettent au prolétariat de s'organiser de manière autonome au sein du mouvement des masses en général. Les soviets, pris dans leur ensemble, constituent par conséquent un nouvel Etat, qualitativement différent de l'ancien Etat bourgeois mais un Etat tout de même; et là Lénine se distingue lui-même soigneusement des anarchistes :
« (...) l'anarchisme nie la nécessité de l'Etat et d'un pouvoir d'Etat durant l'époque de transition qui va de la domination de la bourgeoisie à la domination du prolétariat. Je défends au contraire, avec une clarté excluant toute équivoque, la nécessité durant cette époque, de l'Etat, non pas d'un Etat parlementaire bourgeois ordinaire, mais, en accord avec Marx et avec l'expérience de la Commune de Paris, d'un Etat sans armée permanente, sans police opposée au peuple, sans fonctionnaires placés au-dessus du peuple.
Si M. Plékhanov, dans son Edinstvo, crie de toutes ses forces à l'anarchisme, il ne fait que donner ainsi une nouvelle preuve de sa rupture avec le marxisme. » ([8])
Le rôle du parti dans la révolution
L'accusation selon laquelle Lénine planifie un coup d'Etat blanquiste est inséparable de l'idée qu'il cherche le pouvoir pour son seul parti. Cela va devenir un thème central de toute la propagande bourgeoise qui fait suite à la révolution d'Octobre et qui affirme qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'un coup d'Etat exécuté par les bolcheviks. Nous ne pouvons pas traiter ici toutes les variétés et les nuances de cette thèse. Trotsky fournit une des meilleures réponses, dans son Histoire de la Révolution russe, quand il montre que ce n'est pas le parti mais les soviets qui prennent le pouvoir en Octobre. Mais un des fils conducteurs de cette notion est l'argument que la position de Lénine sur le parti comme une organisation unie et fortement centralisée mène inexorablement à ce putsch minoritaire de 1917 et, par extension, à la terreur rouge et finalement au stalinisme.
De nouveau, ceci est une histoire qui renvoie à la scission initiale entre les bolcheviks et les mencheviks et ce n'est pas le lieu ici de revenir sur cet épisode-clé dans tous ses détails. Il suffit de dire que, depuis cette époque, la conception de Lénine sur l'organisation révolutionnaire a été décrite comme jacobine, élitiste, militariste et même terroriste. D'éminents marxistes, aussi respectés que Rosa Luxemburg et Trotsky, ont été cités en appui de cette vision. Pour notre part, nous ne nions pas que les vues de Lénine sur la question de l'organisation, tant dans cette période que dans des suivantes, contiennent beaucoup d'erreurs (par exemple sa reprise en 1902 de la thèse de Kautsky sur la conscience de classe provenant de l'extérieur de la classe ouvrière, même s'il la rejeta par la suite ; certaines de ses conceptions sur le régime interne du parti, sur le rapport entre le parti et l'Etat, etc.). Mais, contrairement aux mencheviks de cette époque et à leurs nombreux successeurs anarchistes, social-démocrates, et conseillistes, nous ne prenons pas ces erreurs comme le point de départ, pas plus que nous ne commençons l'analyse de la Commune de Paris ou de la Révolution russe en insistant sur les erreurs – même les plus fatales – qui ont été commises. Le vrai point de départ est que la lutte de Lénine tout au long de sa vie pour construire l'organisation révolutionnaire est un acquis historique du mouvement ouvrier et qu'il a laissé aux révolutionnaires d'aujourd'hui une base indispensable pour comprendre à la fois comment une organisation révolutionnaire doit fonctionner au niveau interne et quel doit être son rôle au sein de la classe dans son ensemble.
Par rapport au dernier point et contre beaucoup d'analyses superficielles, la conception « étroite » des bolcheviks sur l'organisation, que Lénine oppose à la conception menchevik « large », n'était pas simplement le reflet des conditions imposées par la répression tsariste. Tout comme les grèves de masse et les soulèvements révolutionnaires de 1905 n'étaient pas les derniers échos des révolutions bourgeoises du 19e siècle mais montraient le futur proche de la lutte de classe internationale dans l'époque naissante de la décadence capitaliste, la conception bolchevik d'un parti formé de révolutionnaires déterminés, ayant un programme clair et fonctionnant d'une manière centralisée, était une anticipation du rôle et de la structure requise pour le parti dans les conditions de la décadence capitaliste, époque de la révolution prolétarienne. Comme beaucoup d'anti-bolcheviks l'ont prétendu, il se peut que les mencheviks aient regardé vers l'ouest pour leur modèle d'organisation mais ils regardaient aussi en arrière, vers le vieux modèle social-démocrate du parti de masse qui réunit la classe et la représente, essentiellement à travers le processus électoral. Et contre toutes les affirmations selon lesquelles c'était les bolcheviks qui restaient enlisés dans les conditions archaïques russes en revenant au modèle de l'association conspiratrice, en réalité ils étaient ceux qui voyaient en avant, en avant vers une période de turbulence révolutionnaire massive qui ne pourrait être ni organisée, ni planifiée, ni encadrée par le parti. Mais cependant cela rendait le rôle du parti encore plus essentiel que jamais.
« En effet, laissons de côté la théorie pédante d'une grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti et les syndicats exécutée par une minorité organisée, et considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation politique, (...) alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas dans la préparation de la direction technique de la grève mais dans la direction politique de l'ensemble du mouvement. » ([9])
Ainsi écrivait Rosa Luxemburg dans son analyse magistrale de la grève de masse et des nouvelles conditions de la lutte de classe internationale. Et ainsi Luxemburg, qui avait été une des plus virulentes critiques de Lénine à l'époque de la scission de 1903, convergeait avec les éléments les plus fondamentaux de la conception bolchevik du parti révolutionnaire.
Ces éléments sont exposés avec la plus grande clarté dans les Thèses d'Avril qui, comme nous l'avons déjà vu, rejettent toute notion d' « imposition » de la révolution par en haut :
« Tant que nous sommes en minorité, nous nous appliquons à critiquer et expliquer les erreurs commises, tout en affirmant la nécessité du passage de tout le pouvoir aux Soviets des députés ouvriers, afin que les masses s'affranchissent de leurs erreurs par l'expérience ».
Ce travail « d'expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement » est précisément ce que signifie être une direction politique dans une période révolutionnaire. Il ne peut être question de passer à la phase de l'insurrection tant que les positions révolutionnaires des bolcheviks n'ont pas gagné les soviets. En effet, avant que cela puisse arriver, les positions révolutionnaires de Lénine doivent gagner le Parti bolchevique et cela demande une lutte dure et sans compromis dès l'arrivée de Lénine en Russie.
« Nous ne sommes pas des charlatans, nous devons nous baser seulement sur la conscience des masses. » ([10])
Dans la phase initiale de la révolution, la classe ouvrière a remis le pouvoir à la bourgeoisie, c'est un fait qui ne devrait surprendre aucun marxiste,
«... car nous avons toujours su et maintes fois indiqué que la bourgeoisie se maintient non seulement par la violence, mais aussi grâce à l'inconscience, à la routine, à l'abrutissement, au manque d'organisation des masses. » ([11])
Ainsi la principale tâche des bolcheviks est de développer la conscience de classe et l'organisation des masses ouvrières.
Ce rôle ne satisfait pas les « vieux bolcheviks » qui ont des plans plus « pratiques ». Ils veulent prendre part à la « révolution bourgeoise » existante et ils veulent que le Parti bolchevique ait une influence massive dans le mouvement tel qu'il est alors. Selon les mots de Kaménev, ils sont horrifiés à la pensée que le parti puisse se tenir sur les bas-côtés avec ses positions « pures », réduit au rôle de « groupe de propagandistes communistes ».
Lénine n'a pas de difficulté pour dénoncer l'argument – les chauvinistes n'avaient-ils pas lancé les mêmes arguments aux internationalistes au début de la guerre, selon lesquels ils restaient en contact avec la conscience des masses alors que les bolcheviks et les spartakistes n'étaient rien de plus que des sectes marginales ? Il doit être particulièrement irritant d'entendre les mêmes arguments de la part d'un camarade bolchevik. Mais cela n'émousse pas le tranchant de la réponse de Lénine :
« Le camarade Kaménev oppose le "parti des masses" au "groupe de propagandistes". Or, aujourd'hui précisément, les "masses" sont intoxiquées par le jusqu'au-boutisme "révolutionnaire". Ne conviendrait-il pas mieux, surtout à des internationalistes, de savoir à pareil moment s'opposer à cette intoxication "massive" plutôt que de "vouloir rester" avec les masses, autrement dit de céder à la contagion générale ? N'avons-nous pas vu dans tous les pays belligérants d'Europe les chauvins chercher à se justifier en invoquant leur désir de "rester avec les masses" ? Ne doit-on pas savoir rester un certain temps en minorité pour combattre une intoxication "massive" ? L'activité des propagandistes n'est-elle pas, surtout à l'heure actuelle, le facteur essentiel qui doit permettre à la ligne prolétarienne de se dégager de l'intoxication jusqu'au-boutiste et petite-bourgeoise où sont plongées les "masses" ? L'une des causes de l'épidémie jusqu'au-boutiste est précisément que les masses, prolétariennes et non prolétariennes, ont fait bloc sans égard aux différences de classes qui existent au sein de ces masses. Il me semble plutôt déplacé de parler avec mépris du "groupe de propagandistes" de la ligne prolétarienne. » ([12])
Cette approche, cette volonté pour aller contre le courant et d'être en minorité en défendant des principes de classe clairs et précis, n'a rien à voir avec du purisme ou du sectarisme. Au contraire, elles sont basées sur une compréhension du mouvement réel se déroulant dans la classe à chaque moment, sur la capacité de donner la parole et une direction aux éléments les plus radicaux au sein du prolétariat.
Trotsky montre comment, à la fois en gagnant le parti à ses positions et ensuite en défendant la « ligne prolétarienne » au sein de la classe comme un tout, Lénine cherche l'appui de ces éléments :
« Contre les vieux bolcheviks, Lénine trouva un appui dans une couche du parti, déjà trempée, mais plus fraîche et plus liée avec les masses. Dans l'insurrection de Février, les ouvriers bolcheviks, comme nous le savons, jouèrent un rôle décisif. Ils estimèrent qu'il allait de soi que le pouvoir fût pris par la classe qui avait remporté la victoire. Ces mêmes ouvriers protestaient véhémentement contre l'orientation Kaménev-Staline, et le rayon de Vyborg menaça même d'exclusion des "leaders" du parti. On observait la même chose en province. Il y avait presque partout des bolcheviks de gauche que l'on accusait de maximalisme, voire d'anarchisme. Ce qui manquait aux ouvriers révolutionnaires, c'était seulement des ressources théoriques pour défendre leurs positions. Mais ils étaient prêts à répondre au premier appel intelligible. » ([13])
Cela aussi est une expression de la maîtrise par Lénine de la méthode marxiste qui, en voyant au-delà des apparences, est capable de discerner la dynamique réelle d'un mouvement social. A contrario, dans les années 1920, quand Lénine en revient lui-même à l'argument de « rester avec les masses » afin de justifier le « Front unique » et la fusion organisationnelle avec des partis centristes, c'est un signe que le parti est en train de perdre sa compréhension de la méthode marxiste et de glisser vers l'opportunisme. Mais cela à son tour est le résultat de l'isolement de la révolution et de la fusion des bolcheviks avec l'Etat soviétique. Au cours de la vague montante de la révolution en Russie, le Lénine des Thèses d'Avril n'est jamais un prophète isolé, ni un démiurge se tenant au-dessus des vulgaires masses mais la voix la plus claire de la tendance la plus révolutionnaire au sein du prolétariat, une voix qui, avec une précision sûre, indique le chemin qui mène à l'insurrection d'Octobre.
(D’après la Revue internationale n° 89)
[1]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».
[2]. Idem, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».
[3]. Idem, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».
[4]. Ibid.
[5]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».
[6]. Lénine, Lettres sur la tactique, 8-13 avril 1917. La citation est de Méphistophélès dans le Faust de Goethe.
[7]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Les bolcheviks et Lénine ».
[8]. Lénine, Lettres sur la tactique, 8-13 avril 1917.
[9]. Grève de masse, parti et syndicats, Rosa Luxemburg.
[10]. « Second discours de Lénine lors de son arrivée à Pétrograd », cité par Trotsky dans l'Histoire de la Révolution russe.
[11]. Lénine, Lettres sur la tactique.
[12]. Idem.
[13]. Trotsky, Histoire de la Révolution russe, chap. « Le réarmement du parti ».