Soumis par Revue Internationale le
Le CCI a pris la décision, au début de cette année, de
transformer le 15e Congrès de sa section en France en une Conférence
Internationale Extraordinaire. Cette décision était motivée par l’existence
dans le CCI d’une crise organisationnelle qui a brutalement éclaté au grand
jour au lendemain de son 14e Congrès International en avril 2001. Cette crise a
notamment abouti au départ de notre organisation d’un certain nombre de
militants qui s’étaient regroupés depuis plusieurs mois dans ce qu’ils
appellent la "fraction interne du CCI". Comme nous le verrons plus en
détail, la Conférence a pris acte du fait que ces militants s’étaient
d’eux-mêmes et délibérément placés en dehors de notre organisation, même s’ils
prétendent auprès de qui veut les entendre qu’ils ont été "exclus".
Si les questions organisationnelles ont occupé la plus grande partie des travaux de la Conférence, celle-ci s’est également penchée sur l’analyse de la situation internationale et elle a adopté à ce sujet une résolution que nous publions dans ce même numéro de la Revue internationale.
Le but de cet article est de rendre compte de l’essentiel des travaux de la conférence, de la nature de ses discussions et de ses décisions concernant les questions organisationnelles, puisque c’était là son objectif principal. Il devra également rendre compte de notre analyse concernant la soi-disant "fraction interne" du CCI qui se présente aujourd’hui comme la véritable continuatrice des acquis organisationnels du CCI, mais qui n’est rien d’autre qu’un regroupement parasitaire, comme le CCI et les autres groupes du milieu politique prolétarien, ont eu à affronter à plusieurs reprises dans le passé. Mais avant de traiter ces questions, il est nécessaire d’aborder une autre question qui fait l’objet de nombreuses incompréhensions actuellement dans le milieu politique prolétarien : l’importance des questions de fonctionnement pour les organisations communistes.
En effet, il est un commentaire que nous avons entendu ou lu en de nombreuses reprises : "le CCI est obsédé par les questions d’organisation", ou bien "les articles qu’il publie sur cette question ne présentent aucun intérêt, c’est de la "cuisine interne"". Ce type d’appréciations est assez compréhensible lorsqu’il provient de non-militants, même sympathisants des positions de la Gauche communiste. Lorsqu’on n’est pas membre d’une organisation politique prolétarienne, il est évidemment difficile de prendre la pleine mesure des problèmes de fonctionnement qu'une telle organisation peut rencontrer. Cela dit, il est beaucoup plus surprenant de constater que ce type de commentaires provient également d’éléments organisés dans des groupes politiques. C’est une des manifestations de la faiblesse actuelle du milieu politique prolétarien résultant de la coupure organique et politique entre les organisations de ce dernier et celles du mouvement ouvrier du passé suite à la contre-révolution qui s’est abattue sur la classe ouvrière à la fin des années 1920 jusqu’à la fin des années 60.
C’est pour cela que, avant d’aborder les questions qui ont occupé les travaux de la conférence, nous commencerons par un bref rappel de quelques enseignements de l’histoire du mouvement ouvrier sur les questions organisationnelles en nous basant notamment sur l’expérience de deux des organisations les plus en vue de celui-ci : l’Association internationale des travailleurs (AIT) ou 1e Internationale (dans laquelle ont milité Marx et Engels) et le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) dont était issu le Parti bolchevik qui fut en 1917 à la tête de la seule révolution prolétarienne victorieuse avant que son isolement international ne provoque sa dégénérescence. Nous évoquerons plus précisément deux congrès de ces organisations où les questions organisationnelles furent particulièrement au centre des discussions : le Congrès de 1872 de l’AIT et le Congrès de 1903 du POSDR qui a abouti à la formation des fractions bolcheviques et mencheviques qui jouèrent des rôles totalement opposés lors de la révolution de 1917.
L'AIT avait été fondée en septembre 1864 à Londres à l'initiative d'un certain nombre d'ouvriers anglais et français. Elle s'était donnée d'emblée une structure de centralisation, le Conseil central qui, après le congrès de Genève en 1866, s'appellera Conseil général. Rapidement, l'AIT ("L'Internationale", comme l'appelaient alors les ouvriers) est devenue une "puissance" dans les pays avancés (en premier lieu ceux d'Europe occidentale). Jusqu'à la Commune de Paris de 1871, elle a regroupé un nombre croissant d'ouvriers et a constitué un facteur de premier plan de développement des deux armes essentielles du prolétariat, son organisation et sa conscience. C'est à ce titre, d'ailleurs, qu'elle fera l'objet d'attaques de plus en plus acharnées de la part de la bourgeoisie : calomnies dans la presse, infiltration de mouchards, persécutions contre ses membres, etc. Mais ce qui a fait courir le plus grand danger à l'AIT, ce sont des attaques qui sont venues de certains de ses propres membres et qui ont porté contre le mode d'organisation de l'Internationale elle-même.
Déjà, au moment de la fondation de l'AIT, les statuts provisoires qu'elle s'est donnée sont traduits par les sections parisiennes, fortement influencées par les conceptions fédéralistes de Proudhon, dans un sens qui atténue considérablement le caractère centralisé de l'Internationale. Mais les attaques les plus dangereuses viendront plus tard avec l'entrée dans les rangs de l'AIT de l'"Alliance de la démocratie socialiste", fondée par Bakounine, et qui allait trouver un terrain fertile dans des secteurs importants de l'Internationale du fait des faiblesses qui pesaient encore sur elle et qui résultaient de l'immaturité du prolétariat à cette époque, un prolétariat qui ne s'était pas encore totalement dégagé des vestiges de l'étape précédente de son développement, et notamment des mouvements sectaires.
Cette faiblesse était particulièrement accentuée dans les secteurs les plus arriérés du prolétariat européen, là où il venait à peine de sortir de l'artisanat et de la paysannerie, notamment dans les pays latins. Ce sont ces faiblesses que Bakounine, qui n'est entré dans l'Internationale qu'en 1868, a mises à profit pour essayer de la soumettre à ses conceptions "anarchistes" et pour en prendre le contrôle. L'instrument de cette opération était l'"Alliance de la démocratie socialiste", qu'il avait fondée comme minorité de la "Ligue de la Paix et de la Liberté". Cette dernière était une organisation de républicains bourgeois, fondée à l’initiative notamment de Garibaldi et Victor Hugo, et dont un des principaux objectifs était de faire concurrence à l’AIT auprès des ouvriers. Bakounine faisait partie de la direction de la "Ligue" à laquelle il prétendait donner une "impulsion révolutionnaire" et qu’il a incité à proposer une fusion avec l’AIT, laquelle a refusé à son congrès de Bruxelles en 1868. C’est après l’échec de la "Ligue de la Paix et de la Liberté" que Bakounine s’est décidé à entrer dans l’AIT, non pas comme simple militant, mais pour en prendre la direction.
"Pour se faire reconnaître comme chef de l’Internationale, il lui fallait se présenter comme chef d’une autre armée dont le dévouement absolu envers sa personne lui devait être assuré par une organisation secrète. Après avoir ouvertement implanté sa société dans l’Internationale, il comptait en étendre les ramifications dans toutes les sections et en accaparer par ce moyen la direction absolue. Dans ce but, il fonda à Genève l’Alliance (publique) de la démocratie socialiste. (…) Mais cette Alliance publique en cachait une autre qui, à son tour, était dirigée par l’Alliance encore plus secrète des frères internationaux, les Cent Gardes du dictateur Bakounine"[1].
L’Alliance était donc une société à la fois publique et secrète et qui se proposait en réalité de former une Internationale dans l'Internationale. Sa structure secrète et la concertation qu'elle permettait entre ses membres devaient lui assurer le "noyautage" d'un maximum de sections de l'AIT, celles où les conceptions anarchistes avaient le plus d'écho. En soi, l'existence dans l'AIT de plusieurs courants de pensée n'était pas un problème. En revanche, les agissements de l'Alliance, qui visait à se substituer à la structure officielle de l'Internationale, ont constitué un grave facteur de désorganisation de celle-ci et lui ont fait courir un danger de mort. L'Alliance avait tenté de prendre le contrôle de l'Internationale lors du Congrès de Bâle, en septembre 1869 en essayant de faire adopter, contre la motion proposée par le Conseil général, une motion en faveur de la suppression du droit d'héritage. C’est en vue de cet objectif que ses membres, notamment Bakounine et James Guillaume, avaient appuyé chaleureusement une résolution administrative renforçant les pouvoirs du Conseil général. Mais ayant échoué, l'Alliance, qui pour sa part s'était donnée des statuts secrets basés sur une centralisation extrême, a commencé à faire campagne contre la "dictature" du Conseil général qu'elle voulait réduire au rôle "d'un bureau de correspondance et de statistiques" (suivant les termes des alliancistes), d'une "boîte aux lettres" (comme leur répondait Marx). Contre le principe de centralisation exprimant l'unité internationale du prolétariat, l'Alliance préconisait le "fédéralisme", la complète "autonomie des sections" et le caractère non obligatoire des décisions des congrès. En fait, elle voulait pouvoir faire ce qu'elle voulait dans les sections dont elle avait pris le contrôle. C'était la porte ouverte à la désorganisation complète de l'AIT.
C'est à ce danger que devait parer le Congrès de la Haye de 1872. Ce congrès a été consacré essentiellement aux questions organisationnelles. Comme nous l'écrivions dans la Revue internationale 87 : "… après la chute de la Commune de Paris, la priorité absolue pour le mouvement ouvrier a été de secouer le joug de son propre passé sectaire, de surmonter l'influence du socialisme petit-bourgeois. Tel est le cadre politique qui explique le fait que la question centrale traitée au Congrès de La Haye n’a pas été la Commune de Paris elle-même mais la défense des statuts de l’Internationale contre les complots de Bakounine et de ses adeptes"[2].
Après avoir confirmé les décisions de la Conférence de Londres qui s’était tenue un an auparavant, notamment sur la nécessité pour la classe ouvrière de se doter de son propre parti politique et sur le renforcement des attributions du Conseil général, le Congrès a débattu de la question de l'Alliance sur base du rapport d'une Commission d'enquête qu’il avait nommée. Le Congrès a finalement décidé l'exclusion de Bakounine ainsi que de James Guillaume, principal responsable de la fédération jurassienne de l'AIT qui se trouvait complètement sous le contrôle de l'Alliance. Il vaut la peine de relever certains aspects de l’attitude des membres de l’Alliance à ce congrès ou à la veille de celui-ci :
plusieurs sections contrôlées par l’Alliance (notamment la Fédération jurassienne, certaines sections aux États-Unis et en Espagne) refusent de payer leurs cotisations au Conseil général et leurs délégués ne s’acquittent de la dette de leur section que face à la menace d’une invalidation de leur mandat ;
les délégués des sections contrôlées par l’Alliance se livrent à un véritable chantage auprès du Congrès en exigeant que celui-ci, contre les règles qu’il s’était données, ne prenne en compte que les votes basés sur des mandats impératifs et en menaçant de se retirer si le Congrès n’accepte pas leur exigence ; [3]
le refus de certains membres de l’Alliance de coopérer avec la Commission d’Enquête nommée par le Congrès, voire de la reconnaître, en la traitant notamment de "Sainte Inquisition"[4].
Ce congrès fut à la fois le point d'orgue de l'AIT (c'est d'ailleurs le seul congrès où Marx et Engels se soient rendus, ce qui situe l'importance qu'ils lui attribuaient) et son chant du cygne du fait de l'écrasement de la Commune de Paris et de la démoralisation qu'il avait provoquée dans le prolétariat. De cette réalité, Marx et Engels étaient conscients. C'est pour cela que, en plus des mesures visant à soustraire l'AIT de la main mise de l'Alliance, ils ont proposé que le Conseil général soit installé à New York, loin des conflits qui divisaient de plus en plus l'Internationale. C'était aussi un moyen de permettre à l'AIT de mourir de sa belle mort (entérinée par la conférence de Philadelphie de juillet 1876) sans que son prestige ne soit récupéré par les intrigants bakouninistes.
Ces derniers, et les anarchistes ont par la suite perpétué cette légende, prétendaient que Marx et le Conseil général ont obtenu l'exclusion de Bakounine et Guillaume à cause des différences dans la façon d'envisager la question de l’État (quand ils n'ont pas expliqué le conflit entre Marx et Bakounine par des questions de personnalité). En somme, Marx aurait voulu régler par des mesures administratives un désaccord portant sur des questions théoriques générales. Rien n'est plus faux.
Ainsi, au Congrès de la Haye, aucune mesure n'a été requise contre les membres de la délégation espagnole qui partageaient la vision de Bakounine, qui avaient appartenu à l'Alliance, mais qui ont assuré ne plus en faire partie. De même, l'AIT "antiautoritaire" qui s'est formée après le congrès de la Haye avec les fédérations qui ont refusé ses décisions, n'était pas constituée des seuls anarchistes puisqu'on y a retrouvé, à côté de ces derniers, des lassaliens allemands grands défenseurs du "socialisme d’État" suivant les propres termes de Marx. En réalité, la véritable lutte au sein de l'AIT était entre ceux qui préconisaient l'unité du mouvement ouvrier (et par conséquent le caractère obligatoire des décisions des congrès) et ceux qui revendiquaient le droit de faire ce que bon leur semblait, chacun dans son coin, considérant les congrès comme de simples assemblées où l'on devait se contenter "d'échanger des points de vue" mais sans prendre de décisions. Avec ce mode d'organisation informel, il revenait à l'Alliance d'assurer, de façon secrète, la véritable centralisation entre toutes les fédérations, comme il était d'ailleurs explicitement dit dans nombre de correspondances de Bakounine. La mise en œuvre des conceptions "antiautoritaires" dans l'AIT constituait le meilleur moyen de la livrer aux intrigues, au pouvoir occulte et incontrôlé de l'Alliance.
Le 2e congrès du POSDR allait être l'occasion d'un affrontement similaire entre les tenants d'une conception prolétarienne de l'organisation révolutionnaire et les tenants d'une conception petite bourgeoise.
Il existe des ressemblances entre la situation du mouvement ouvrier en Europe occidentale du temps de l'AIT et celle du mouvement en Russie au début du 20e siècle. Dans les deux cas nous nous trouvons à une étape d'enfance de celui-ci, le décalage dans le temps s'expliquant par le retard du développement industriel de la Russie. L'AIT avait eu comme vocation de rassembler au sein d'une organisation unie les différentes sociétés ouvrières que le développement du prolétariat faisait surgir. De même, le 2e congrès du POSDR avait comme objectif de réaliser une unification des différents comités, groupes et cercles se réclamant de la Social-Démocratie qui s'étaient développés en Russie et en exil. Entre ces différentes formations, il n'existait pratiquement aucun lien formel après la disparition du comité central qui était sorti du 1er congrès du POSDR en 1897. Dans le 2e congrès, comme dans l'AIT, on a vu donc s'affronter une conception de l'organisation représentant le passé du mouvement, celle des "mencheviks" (minoritaires) et une conception exprimant ses nouvelles exigences, celle des "bolcheviks" (majoritaires).
D'une façon qui s'est confirmée par la suite (déjà lors de la révolution de 1905 et encore plus, bien entendu, au moment de la révolution de 1917, où les mencheviks se sont placés du côté de la bourgeoisie), la démarche des mencheviks était déterminée par la pénétration, dans la Social-Démocratie russe, de l'influence des idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises, notamment de type anarchiste. De ce fait, ces éléments "... lèvent naturellement l'étendard de la révolte contre les restrictions indispensables qu'exige l'organisation, et ils érigent leur anarchisme spontané en principe de lutte, qualifiant à tort cet anarchisme... de revendication en faveur de la 'tolérance', etc." (Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière). Et, de fait, il existe beaucoup de similitudes entre le comportement des mencheviks et celui des anarchistes dans l'AIT (à plusieurs reprises, Lénine parle de "l'anarchisme de grand seigneur" des mencheviks).
C'est ainsi que, comme les anarchistes après le congrès de La Haye, les mencheviks se refusent à reconnaître et à appliquer les décisions du 2e congrès en affirmant que "le congrès n'est pas une divinité" et que "ses décisions ne sont pas sacro-saintes". En particulier, de la même façon que les bakouninistes entrent en guerre contre le principe de centralisation et la "dictature du conseil général" après qu'ils aient échoué à en prendre le contrôle, une des raisons pour lesquelles les mencheviks, après le congrès, commencent à rejeter la centralisation réside dans le fait que certains d'entre eux ont été écartés des organes centraux nommés à ce congrès. On retrouve des ressemblances même dans la façon dont les mencheviks mènent campagne contre la "dictature personnelle" de Lénine, sa "poigne de fer" qui fait écho aux accusations de Bakounine contre la "dictature" de Marx sur le Conseil général.
"Lorsque je considère la conduite des amis de Martov après le congrès, (...) je puis dire seulement que c'est là une tentative insensée, indigne de membres du Parti, de déchirer le Parti... Et pourquoi ? Uniquement parce qu'on est mécontent de la composition des organismes centraux, car objectivement, c'est uniquement cette question qui nous a séparés, les appréciations subjectives (comme offense, insulte, expulsion, mise à l'écart, flétrissure, etc.) n'étant que le fruit d'un amour-propre blessé et d'une imagination malade. Cette imagination malade et cet amour-propre blessé mènent tout droit aux commérages les plus honteux : sans avoir pris connaissance de l'activité des nouveaux centres, ni les avoir encore vus à œuvre, on va répandant des bruits sur leur "carence", sur le "gant de fer" d'Ivan Ivanovitch, sur la "poigne" d'Ivan Nikiforovitch, etc. (...) Il reste à la social-démocratie russe une dernière et difficile étape à franchir, de l'esprit de cercle à l'esprit de parti ; de la mentalité petite-bourgeoise à la conscience de son devoir révolutionnaire ; des commérages et de la pression des cercles, considérés comme moyens d'action, à la discipline". ("Relation du 2e Congrès du POSDR", Œuvres, Tome 7)
Il faut noter que l’arme du chantage, employée en son temps par James Guillaume et les Alliancistes, fait également partie de l’arsenal des mencheviks. En effet Martov, chef de file de ces derniers, refuse de participer a la rédaction de la publication du parti, l’Iskra, à laquelle il a été élu par le Congrès, tant que ses amis Axelrod, Potressov et Zassoulitch n’y seront pas nommés.
Avec l'exemple de l'AIT et celui du 2e congrès du POSDR, ont peut voir toute l'importance des questions liées au mode de fonctionnement des organisations révolutionnaires. En effet, c'est autour de ces questions qu'allait se produire en premier lieu une décantation décisive entre, d'un côté, le courant prolétarien et, de l'autre, les courants petits-bourgeois ou bourgeois. Cette importance n'est pas fortuite. Elle découle du fait qu'un des canaux privilégiés par lesquels s'infiltrent au sein de ces organisations les idéologies des classes étrangères au prolétariat, bourgeoisie et petite bourgeoisie, est justement celui de leur mode de fonctionnement.
Ainsi, la question d’organisation a toujours fait l’objet de la plus grande attention de la part des marxistes. Au sein de l’AIT, ce sont Marx et Engels eux-mêmes qui prennent la tête du combat pour la défense des principes prolétariens d’organisation. Et ce n’est pas un hasard s’il leur revient d’avoir joué un rôle décisif dans le choix par le Congrès de La Haye de consacrer l’essentiel de ses travaux aux questions organisationnelles alors que la classe ouvrière venait d’être confrontée aux deux événements historiques les plus importants de cette période, la guerre franco-prussiene et la Commune de Paris, lesquels ont fait l’objet d’un attention bien moindre. Ce choix a conduit la plupart des historiens bourgeois a considérer ce congrès comme le moins important de l’histoire de l’AIT, alors qu’il fut au contraire le plus important, celui qui allait permettre à la deuxième internationale d’accomplir de nouveaux pas en avant dans le développement du mouvement ouvrier.
Au sein de la Deuxième internationale, Lénine fait lui aussi figure "d’obsédé" par les questions d’organisation. Dans les autres partis socialistes on ne comprend pas les querelles qui agitent la social-démocratie russe et on présente Lénine comme un "sectaire" qui ne rêve que de fomenter des scissions alors que c’est celui qui s’est le plus inspiré du combat de Marx et Engels contre l’Alliance. Mais la validité de son combat sera brillamment démontrée en 1917 par la capacité de son parti de se porter à la tête de la révolution.
Pour sa part, le CCI a poursuivi la tradition de Marx et Lénine en accordant aux questions organisationnelles la plus grande attention. Ainsi, en janvier 1982, le CCI a consacré une conférence internationale extraordinaire à cette question suite à la crise qu'il avait traversée en 1981[5]. Enfin, entre la fin 1993 et le début de 1996, notre organisation a mené un combat fondamental pour l’assainissement de son tissu organisationnel, contre "l’esprit de cercle" et pour "l’esprit de parti" tels qu’ils avaient été définis par Lénine en 1903. Notre Revue internationale 82 rend compte du 11e Congrès du CCI principalement dédié aux questions organisationnelles affrontées par notre organisation à cette époque[6]. Par la suite, dans les numéros 85 à 88 de la Revue nous avons publié une série d’articles sous la rubrique "Questions d’organisation" dédiés aux combats organisationnels au sein de l’AIT et dans les numéros 96 et 97 deux articles, sous le titre "Sommes-nous devenus léninistes ?" à propos du combat mené par Lénine et les bolcheviks sur la question d’organisation. Enfin, notre dernier numéro de la Revue a publié de larges extraits d'un document interne, "La question du fonctionnement de l'organisation dans le CCI" qui avait servi de texte d’orientation pour le combat de 1993-96.
L’attitude de transparence à l'égard des difficultés qu’a rencontrées notre organisation ne correspond nullement à un quelconque "exhibitionnisme" de notre part. L'expérience des organisations communistes est partie intégrante de l'expérience de la classe ouvrière. C'est pour cela qu'un grand révolutionnaire comme Lénine a pu consacrer tout un livre, Un pas en avant, deux pas en arrière, à tirer les leçons politiques du 2e Congrès du POSDR.
Évidemment, la mise en évidence par les organisations révolutionnaires de leurs problèmes et discussions internes constituent un plat de choix pour toutes les tentatives de dénigrement dont celles-ci font l'objet de la part de leurs adversaires. C'est le cas aussi et particulièrement pour le CCI. Comme nous l’écrivions dans la Revue internationale 82 : "… ce n'est pas dans la presse bourgeoise que l'on trouve des manifestations de jubilation lorsque nous faisons état des difficultés que notre organisation peut rencontrer aujourd'hui, celle-ci est encore trop modeste en taille et en influence parmi les masses ouvrières pour que les officines de propagande bourgeoise aient intérêt à parler d'elle pour essayer de la discréditer. Il est préférable pour la bourgeoisie de faire un mur de silence autour des positions et de l'existence des organisations révolutionnaires. C'est pour cela que le travail de dénigrement de celles-ci et de sabotage de leur intervention est pris en charge par tout une série de groupes et d'éléments parasitaires dont la fonction est d'éloigner des positions de classe les éléments qui s'approchent de celles-ci, de les dégoûter de toute participation au travail difficile de développement d'un milieu politique prolétarien (...)
Dans la mouvance parasitaire on trouve des groupes constitués tels le "Groupe Communiste Internationaliste" (GCI) et ses scissions (comme "Contre le Courant"), le défunt "Communist Bulletin Group" (CBG) ou l'ex-"Fraction Externe du CCI" qui ont tous été constitués de scissions du CCI. Mais le parasitisme ne se limite pas à de tels groupes. Il est véhiculé par des éléments inorganisés, ou qui se retrouvent de temps à autre dans des cercles de discussion éphémères[7], dont la préoccupation principale consiste à faire circuler toutes sortes de commérages à propos de notre organisation. Ces éléments sont souvent d'anciens militants qui, cédant à la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, n'ont pas eu la force de maintenir leur engagement dans l'organisation, qui ont été frustrés que celle-ci n'ait pas "reconnu leurs mérites" à la hauteur de l'idée qu'ils s'en faisaient eux-mêmes ou qui n'ont pas supporté les critiques dont ils ont fait l'objet (...) Ces éléments sont évidemment absolument incapables de construire quoi que ce soit. En revanche, ils sont souvent très efficaces, avec leur petite agitation et leurs bavardages de concierges, pour discréditer et détruire ce que l'organisation tente de construire."
Cependant, les grenouillages du parasitisme n’ont jamais empêché le CCI de faire connaître à l'ensemble du milieu prolétarien, et plus généralement à l’ensemble de la classe ouvrière, les enseignements de sa propre expérience. En cela, encore une fois, notre organisation se revendique de la tradition de Lénine qui écrivait en 1904, dans la préface de Un pas en avant, deux pas en arrière :
"Ils [nos adversaires] exultent et grimacent à la vue de nos discussions ; évidemment, ils s'efforceront, pour les faire servir à leurs fins, de brandir tels passages de ma brochure consacrés aux défauts et aux lacunes de notre Parti. Les social-démocrates russes sont déjà suffisamment rompus aux batailles pour ne pas se laisser troubler par ces coups d'épingle, pour poursuivre, en dépit de tout, leur travail d'autocritique et continuer à dévoiler sans ménagement leurs propres lacunes qui seront comblées nécessairement et sans faute par la croissance du mouvement ouvrier. Que messieurs nos adversaires essaient donc de nous offrir, de la situation véritable de leurs propres "partis", une image qui ressemblerait même de loin à celle que présentent les procès-verbaux de notre deuxième congrès !" (Œuvres, Tome 7, page 216)
C’est avec la même approche que dans le présent article nous rendons compte des problèmes organisationnels qui ont affecté notre organisation dernièrement et qui ont été au centre des travaux de la Conférence.
Les origines des difficultés organisationnelles récentes du CCI
Le 11e Congrès du CCI avait adopté une résolution d'activités tirant les leçons essentielles de la crise vécue par notre organisation en 1993 et du combat mené pour son redressement. De larges extraits de cette résolution avaient été publiés dans la Revue internationale 82 et nous en reproduisons ici une partie parce qu'elle éclaire les difficultés récentes.
"Le cadre de compréhension que s'est donné le CCI pour mettre à nu l'origine de ses faiblesses s'inscrivait dans le combat historique mené par le marxisme contre les influences de l'idéologie petite-bourgeoise pesant sur les organisations du prolétariat (...) En particulier, il importait pour l'organisation d'inscrire au centre de ses préoccupations, comme l'ont fait les bolcheviks à partir de 1903, la lutte contre l'esprit de cercle et pour l'esprit de parti (...) C'est en ce sens que le constat du poids particulièrement fort de l'esprit de cercle dans nos origines était partie prenante de l'analyse générale élaborée depuis longtemps et qui situait la base de nos faiblesses dans la rupture organique des organisations communistes du fait de la contre-révolution qui s'était abattue sur la classe ouvrière à partir de la fin des années 20. Cependant, ce constat nous permettait d'aller plus loin que les constats précédents et de nous attaquer plus en profondeur à la racine de nos difficultés. Il nous permettait en particulier de comprendre le phénomène, déjà constaté dans le passé mais insuffisamment élucidé, de la formation de clans au sein de l'organisation : ces clans étaient en réalité le résultat du pourrissement de l'esprit de cercle qui se maintenait bien au-delà de la période où les cercles avaient constitué une étape incontournable de la reformation de l'avant-garde communiste"[8]. (Résolution d'activités du 11ème Congrès, point 4)
Sur la question des clans, notre article sur le 11e Congrès faisait cette précision :
"Cette analyse se basait sur des précédents historiques dans le mouvement ouvrier (par exemple, l'attitude des anciens rédacteurs de l'Iskra, regroupés autour de Martov et qui, mécontents des décisions du 2e congrès du POSDR, avaient formé la fraction des mencheviks) mais aussi sur des précédents dans l'histoire du CCI. Nous ne pouvons entrer en détail dans celle-ci mais nous pouvons affirmer que les 'tendances' qu'a connues le CCI correspondaient bien plus à des dynamiques de clan qu'à de réelles tendances basées sur une orientation positive alternative. En effet, le moteur principal de ces 'tendances' n'était pas constitué par les divergences que leurs membres pouvaient avoir avec les orientations de l'organisation (…) mais par un rassemblement des mécontentements et des frustrations contre les organes centraux et par les fidélités personnelles envers des éléments qui se considéraient comme 'persécutés' ou insuffisamment reconnus."
L'article soulignait que l'ensemble du CCI (y compris les militants directement impliqués) avait mis en évidence qu'il avait été confronté à un clan occupant une place de premier plan dans l'organisation et qui avait "concentré et cristallisé un grand nombre des caractéristiques délétères qui affectaient l'organisation et dont le dénominateur commun était l'anarchisme (vision de l'organisation comme somme d'individus, approche psychologisante et affinitaire des rapports politiques entre militants et des questions de fonctionnement, mépris ou hostilité envers les conceptions politiques marxistes en matière d'organisation)". (Résolution d'activités, point 5)
Cette résolution se poursuivait ainsi :
"La compréhension par le CCI du phénomène des clans et de leur rôle particulièrement destructeur lui a permis en particulier de mettre le doigt sur un grand nombre des dysfonctionnements qui affectaient la plupart des sections territoriales." (Ibid., point 5)
Et elle dressait le bilan du combat mené par notre organisation :
"... le congrès constate le succès global du combat engagé par le CCI à l'automne 1993 (...) le redressement, quelques fois spectaculaire, des sections parmi les plus touchées par les difficultés organisationnelles en 1993 (...), les approfondissements provenant de nombreuses parties du CCI (...), tous ces faits confirment la pleine validité du combat engagé, de sa méthode, de ses bases théoriques aussi bien que de ses aspects concrets."
Cependant, la résolution mettait en garde contre tout triomphalisme :
"Cela ne signifie pas que le combat que nous avons mené soit appelé à cesser. (...) Le CCI devra le poursuivre à travers une vigilance de chaque instant, la détermination d'identifier chaque faiblesse et de l'affronter sans attendre. (...) En réalité, l'histoire du mouvement ouvrier, y compris celle du CCI, nous enseigne, et le débat nous l'a amplement confirmé, que le combat pour la défense de l'organisation est permanent, sans répit. En particulier, le CCI doit garder en tête que le combat mené par les bolcheviks pour l'esprit de parti contre l'esprit de cercle s'est poursuivi durant de longues années. Il en sera de même pour notre organisation qui devra veiller à débusquer et éliminer toute démoralisation, tout sentiment d'impuissance résultant de la longueur du combat." (Ibid., point 13)
Et justement, la récente Conférence du CCI a mis en évidence qu'une des causes majeures des problèmes organisationnels rencontrés par le CCI au cours de la dernière période consistait en un relâchement de la vigilance face au retour des difficultés et faiblesse qui l'avaient affecté par le passé. En réalité, la plus grande partie de l'organisation avait perdu de vue la mise en garde sur laquelle se concluait la résolution adoptée par le 11ème Congrès. De ce fait, elle a éprouvé de grandes difficultés à identifier un retour en force du clanisme au sein de la section locale de Paris ainsi que dans le Secrétariat international (SI) [9], c'est-à-dire les deux parties de l'organisation qui avaient déjà été les plus affectées par cette maladie en 1993.
Le développement de la crise au centre du CCI et la formation de la "fraction interne"
Cette dérive clanique a pris son essor lorsque le SI a adopté en mars 2000 un document concernant des questions de fonctionnement qui a fait l'objet de critiques d'un tout petit nombre de camarades qui, tout en reconnaissant la pleine validité de la plupart des idées de ce texte, notamment la nécessité d'une plus grande confiance entre les différentes parties de l'organisation, y ont décelé des concessions à une vision démocratiste, une certaine remise en cause de nos conceptions concernant la centralisation. De façon résumée, ils considéraient que ce document induisait l'idée que "plus de confiance égale moins de centralisation". Que des parties de l'organisation puissent faire des critiques à un texte adopté par l'organe central du CCI n'avait jamais constitué un problème pour ce dernier. Bien au contraire, le CCI et son organe central ont toujours insisté pour que toute divergence, tout doute s'exprime ouvertement au sein de l'organisation afin de faire la plus grande clarté possible. L'attitude de l'organe central, lorsqu'il se heurtait à des désaccords était d'y répondre avec le plus grand sérieux possible. Or à partir du printemps 2000, la majorité du SI a adopté une attitude complètement opposée. Au lieu de développer une argumentation sérieuse, il a adopté une attitude totalement contraire à celle qui avait été la sienne par le passé. Dans son esprit, si une toute petite minorité de camarades faisait des critiques à un texte du SI, cela ne pouvait venir que d'un esprit de contestation, ou bien du fait que l'un d'entre eux avait des problèmes familiaux, que l'autre était atteint par une maladie psychique. Un des arguments employés par des membres du SI était que si le texte de mars 2000 avait fait l'objet de critiques, c'était parce qu'il avait été rédigé par tel militant et qu'il aurait reçu un autre accueil si quelqu'un d'autre en avait été l'auteur. La réponse apportée aux arguments des camarades en désaccord n'était donc pas basée sur d'autres arguments, mais sur des dénigrements de ces camarades ou bien carrément sur la tentative de ne pas publier certaines de leurs contributions avec l'argument que celles-ci allaient "foutre la merde dans l'organisation", ou encore qu'une des camarades qui était affectée par la pression qui se développait à son égard ne "supporterait" pas les réponses que les autres militants du CCI apporteraient à ses textes. En somme, de façon totalement hypocrite, c'est au nom de la "solidarité" que la majorité du SI développait une politique d'étouffement des débats.
Cette attitude politique totalement étrangère aux méthodes mises en oeuvre jusqu'alors par le CCI s'est brutalement aggravée lorsqu'un membre du SI a commencé à la critiquer tout en déclarant son soutien à certaines des critiques qui avaient été faites au document adopté par cette commission en mars 2000. Relativement épargné par les dénigrements jusqu'alors, ce militant a fait l'objet à son tour d'une campagne de discrédit : s'il adoptait une telle position, c'est parce qu'il "était manipulé par un de ses proches". Parallèlement, l'attitude de la majorité du SI était de banaliser le plus possible les questions en discussion, avec l'affirmation qu'il ne s'agissait pas "du débat du siècle". Et lorsque des contributions plus approfondies ont été rédigées, la majorité du SI a essayé de faire entériner par l'ensemble de l'organe central du CCI la "clôture du débat". Cependant, l'organe central a refusé de suivre le SI dans cette voie de même qu'il a décidé, contre la volonté de la majorité des membres de ce dernier, la nomination d'une Délégation d'information (DI), constituée majoritairement par des non membres du SI, chargée d'examiner les problèmes de fonctionnement qui se développaient dans cette commission et autour d'elle.
Ces décisions ont provoqué une nouvelle "radicalisation" de la part de la majorité des membres du SI. Vis-à-vis de la DI, leur attitude a été de déverser toutes sortes d'accusations à l'égard des camarades exprimant des désaccords, de lui signaler des "manquements organisationnels" particulièrement graves de leur part, de "l'alerter" sur les comportement "douteux" ou "indignes" d'un de ces militants. En somme, les membres du SI qui estiment sans objet la formation d'une Délégation d'information faisaient part à celle-ci d'une attaque aussi destructrice que sournoise contre l'organisation qui aurait justifié qu'ils soient les premiers à réclamer la constitution d'un tel organe afin de mener une enquête sur d'autres militants. Pour sa part, un membre du SI, Jonas, non seulement a refusé de témoigner devant la DI, mais il a refusé carrément de la reconnaître[10]. Parallèlement, il a commencé à développer dans les couloirs la thèse qu'un des militants en désaccords serait un agent de l’état qui manipulerait son entourage dans le but de "démolir le CCI". D'autres membres du SI ont tenté de faire pression de différentes façons sur la DI et, à la veille du 14ème congrès du CCI, début mai 2001, ils ont à plusieurs essayé d'intimider cette commission pour qu'elle renonce à communiquer au Congrès un "Rapport préliminaire" posant un cadre pour la compréhension des problèmes qui affectaient le SI et la section de Paris[11]. Le matin même du congrès, juste avant son ouverture, la majorité du SI a tenté une ultime manoeuvre : elle a demandé une convocation du Bureau international (BI) afin de lui soumettre une résolution désavouant le travail effectué par la DI. Bien plus que les témoignages des camarades qui avaient exprimés des critiques envers la politique du SI, c'est l'attitude de la majorité de celui-ci face à la DI qui avait convaincu cette dernière de la réalité d'une dynamique clanique au sein du SI. De même, c'est l'attitude de cette majorité des membres du SI face à l'ensemble du BI qui a fondamentalement convaincu ce dernier de cette dynamique. Cependant, à ce moment-là, l'ensemble du BI misait sur la capacité de ces militants à se reprendre, comme cela avait été le cas en 1993-95 pour un nombre important de camarades qui avaient été pris dans une dynamique clanique. C'est pour cela que le BI sortant a décidé de proposer que l'ensemble des militants appartenant à l'ancien SI soient réélus dans l'organe central. De même, il a proposé que l'ancienne Délégation d'information soit renforcée par d'autres camarades et qu'elle devienne une Commission d'Investigation (CI). Enfin, il a proposé au Congrès de ne pas lui communiquer encore les premières conclusions auxquelles était parvenue la DI et lui a demandé de faire confiance à la nouvelle CI. Le Congrès a ratifié unanimement ces propositions.
Cependant, deux jours après le Congrès, un des membres de l'ancien SI a violé les décisions de celui-là en livrant à la section de Paris, dans le but de la dresser contre le reste du CCI et contre le Bureau international, des informations que celui-ci avait demandé, avec l'accord du Congrès, de communiquer ultérieurement dans un cadre approprié. Les autres membres de la majorité de l'ancien SI le soutiennent ou refusent de condamner son infraction caractérisée aux statuts de l'organisation.
Dans la mesure où le Congrès est l'instance suprême de l'organisation, le viol délibéré de ses décisions (à l'image de l'attitude des mencheviks en 1903) constitue une faute particulièrement grave. Cependant, le militant qui s'en est rendu responsable ne fait l'objet à ce moment là d'aucune sanction, sinon d'une simple condamnation de son geste : l'organisation continue à miser sur la capacités des membres du clan à se reprendre. En réalité, ce viol caractérisé des statuts n'était que la première d'une longue série d'infractions à nos règles de la part des membres de la majorité de l'ancien SI et de ceux qu'ils ont réussi à entraîner dans leur démarche de guerre ouverte contre l'organisation. Nous ne pouvons évoquer ici toutes ces infractions. On se contentera de signaler les plus caractéristiques dont les membres de l'actuelle soi-disant "fraction interne du CCI" se sont, à des degrés divers, rendus responsables :
- utilisation et divulgation des notes des organes centraux sans l'accord de ces derniers ;
- campagnes de dénigrement des membres de la CI traités de "menteurs" et de "Torquemada" (ce qui rappelle l'accusation de l’allianciste Alerini qualifiant la Commission d'enquête du Congrès de La Haye de "Sainte Inquisition") ;
- chantage auprès de ceux que l'on considère comme les "Torquemada" ;
- campagnes systématiques dans les couloirs de calomnies contre un membre de l'organisation, accusé sans la moindre preuve, "d'indignité", d'être un élément aventurier, voire un "agent de l'Etat" (accusation explicitement portée par Jonas et un autre membre de l'actuelle "fraction" mais suggérée par d'autres militants proches de lui) manipulant son entourage afin de détruire le CCI ;
- correspondances secrètes de membres de l'organe central du CCI avec des militants d'autres pays afin de faire circuler des calomnies contre ceux qu'ils qualifient désormais de "faction liquidatrice" et les dresser contre l'organe central (c'est-à-dire la politique menée par Bakounine envers ceux qu'il essaie de recruter pour son "Alliance") ;
- tenue de réunions secrètes (5 au total en août septembre 2001) dont le but n'est nullement d'élaborer des analyses politiques mais d'ourdir un véritable complot contre le CCI. A l'issue de ces réunions, les militants impliqués annoncent la formation d'un "Collectif de travail" qui déclare, entre autres, "nous ne faisons pas de réunions secrètes".
C'est par hasard, suite à la maladresse d'un des membres de cette confrérie, que le procès verbal d'une de ces réunions secrètes est tombée entre les mains de l'organisation. La réunion plénière du Bureau international qui s'est tenue peu après a adopté à l'unanimité (y compris donc deux membres de l'actuelle "fraction interne") une résolution dont voici les principaux passages :
"1) Ayant pris connaissance (...) du PV de la réunion du 20/08 des 7 camarades constituant le soi-disant "Collectif de Travail", et après avoir examiné son contenu où s'expriment :
- la conscience -ouvertement affichée- d'agir en dehors des Statuts et n'ayant d'autre préoccupation que de voir comment le cacher à l'organisation ;
- la considération du reste de l'organisation comme les "autres", "ils", c'est-à-dire comme des ennemis "à déstabiliser" suivant les mots d'un des participants ;
- la volonté de cacher à l'organisation ses véritables pensées et agissements ;
- l'établissement d'une discipline du groupe en même temps qu'on prône l'indiscipline envers l'organisation ;
- l'élaboration d'une stratégie pour tromper l'organisation et faire passer sa propre politique ;
le BI condamne cet ensemble de comportements qui constituent une violation flagrante de nos principes organisationnels et manifestent un déloyauté totale envers l'organisation. (...)
2) Les agissements des membres du "collectif" constituent une faute organisationnelle extrêmement grave méritant une sanction des plus sévères. Toutefois, dans la mesure où les participants à cette réunion ont décidé de mettre fin au "collectif", le BI décide de surseoir à une telle sanction avec la volonté que les militants qui ont commis cette faute ne s'arrêtent pas à la simple décision de dissoudre le "collectif" mais :
- fassent une critique radicale de leurs agissements ;
- s'engagent dans une réflexion de fond sur les raisons qui les ont conduit à se comporter comme des ennemis de l'organisation.
En ce sens, cette décision du BI ne saurait être interprétée comme une sous-estimation de la gravité de la faute commise mais comme une incitation aux participants à la réunion secrète du 20/08 à prendre la mesure de cette gravité."
Ainsi, confrontés à l'évidence du caractère destructeur de leurs agissements, les membres du "collectif" ont fait machine arrière. Deux participants à ces réunions ont réellement mis en application ce que demandait la résolution : ils ont entrepris un travail sincère de critique de leur démarche et ils sont aujourd'hui des militants loyaux du CCI. Deux autres, ayant pourtant donné leur accord à la résolution, ont préféré démissionner plutôt que de faire cette critique. Quant aux autres, ils ont rapidement jeté aux orties leurs bonnes dispositions en constituant, quelques semaines après, la fameuse "fraction interne du CCI" qui se réclamait intégralement de la "Déclaration de constitution d'un Collectif de travail" pourtant rejetée peu avant. Dès la constitution de cette soi-disant "fraction", ses membres se sont distingués par une escalade d'attaques contre l'organisation et ses militants, menant une véritable politique de la terre brûlée, combinant une totale vacuité dans l'argumentation de fond, les mensonges les plus éhontés, les calomnies les plus répugnantes avec un viol systématique de nos règles de fonctionnement ce qui, évidemment, a obligé le CCI à prendre des sanctions à leur égard[12]. Comme le disait une résolution adoptée le 18 novembre 2001 par l'organe central de la section en France (la Commission exécutive) :
"Les militants de la "fraction" affirment vouloir convaincre le reste de l'organisation de la validité de leurs "analyses". Leurs comportements et leurs mensonges grossiers font la preuve que c'est là un autre mensonge (...). Ce n'est certainement pas avec leur façon de se conduire qu'ils convaincront qui que ce soit (...) En particulier, la CE dénonce la 'tactique' consistant à violer de façon systématique les statuts afin de pouvoir ensuite, face aux mesures que le CCI doit prendre pour se défendre, crier à la 'dégénérescence stalinienne' de celui-ci et justifier par ce fait la constitution d'une prétendue 'fraction' ".
Un des mensonges répétés à l'envie par les membres de la "fraction" c'est que le CCI prend des sanctions à leur égard afin d'escamoter le débat de fond. En réalité, alors que les "arguments" qu'ils présentent sont abondamment réfutés, souvent avec profondeur, par de nombreuses contributions de militants et sections du CCI, leurs propres textes évitent systématiquement de répondre à ces contributions de même d'ailleurs qu'aux rapports officiels et textes d'orientation proposés par les organes centraux. En réalité, il s'agit là d'un des procédés favoris des membres de la "fraction" : attribuer au reste de l'organisation, et plus particulièrement à ceux qu'ils qualifient de "faction liquidatrice", leurs propres turpitudes. Ainsi, dans un de leurs premiers "textes fondateurs", un "Contre-rapport d'activités pour le BI plénier de septembre 2001", ils accusent les organes centraux du CCI d'adopter "une orientation en rupture avec celle de l'organisation jusqu'alors (...) de la fin du combat de 93-96 au 14e congrès du CCI qui vient juste de se tenir." Et pour bien affirmer son accord avec les orientations de ce 14e congrès, le rédacteur de ce document... rejette en bloc quelques semaines après la résolution d'activités adoptée par le Congrès (et qu'il avait d'ailleurs votée auparavant). De même, le "contre-rapport" affirme hautement "nous nous revendiquons du combat de toujours (...) pour le respect non pas "rigide" mais rigoureux des statuts. Sans le respect ferme des statuts, sans leur défense, il n'y a plus d'organisation." Or, ce document sert de plate-forme à des réunions secrètes dont les participants reconnaissent entre eux qu'ils sont en dehors des statuts et qui, quelques semaines après commencent à rédiger des pages et des pages à prétention "théorique" attaquant "la discipline pour la discipline" dont l'objectif est de justifier le viol systématique des statuts.
Nous pourrions multiplier les exemples de ce type mais alors la totalité de la Revue serait occupée par cet article. Il nous faut quand même citer un dernier exemple tout à fait significatif : La "fraction" se présente comme le véritable défenseur de la continuité du combat de 1993-96 pour la défense de l'organisation mais le "Contre-rapport" affirme : "Or les leçons de 93 ne se limitent pas au clanisme. Plus même, cet aspect n'est pas le principal aspect." De même, la "Déclaration de constitution d'un 'collectif de travail'" pose la question : "Clans et clanisme : des notions qu'on retrouve dans l'histoire des sectes et de la franc-maçonnerie, mais pas (...) dans l'histoire du mouvement ouvrier du passé. Pourquoi ? L'alpha et l'oméga des questions organisationnelles se réduit-il au 'danger du clanisme' ?" En fait, les membres de la "fraction" veulent faire passer l'idée que la notion de clan n'appartient pas au mouvement ouvrier (ce qui est faux puisque Rosa Luxemburg utilisait ce terme pour désigner la coterie qui dirigeait la social-démocratie allemande). Le moyen de "réfuter" l'analyse du CCI mettant en évidence la dynamique clanique de ces militants est donc radical : "la notion de clan n'est pas valable". Et cela au nom du combat de 1993-96 dont nous avons cité plus haut les documents les plus importants qui tous insistent sur le rôle fondamental du clanisme dans les faiblesses du CCI !
La constitution d'un groupe parasitaire
Au même titre que l'Alliance au sein de l'AIT, la "fraction" est devenue un organisme parasitaire au sein du CCI. Et de même que l'Alliance, après avoir échoué à prendre le contrôle de l'AIT a déclaré une guerre ouverte et publique contre celle-ci, le clan de l'ancienne majorité du SI et de ses amis a décidé de mener publiquement les attaques contre notre organisation dès lors qu'il a constaté qu'il avait totalement perdu le contrôle de celle-ci, que ses agissements, loin de lui rallier les derniers hésitants avaient au contraire permis à ces camarades de comprendre le véritable enjeu du combat qui se menait dans notre organisation. Le moment décisif de ce pas qualitatif dans la guerre menée par la "fraction" contre le CCI a été la réunion plénière du Bureau international au début de l'année 2002. Cette réunion suite à des discussions très sérieuses a adopté un certain nombre de décision importantes :
1) transformation du congrès de la section en France prévue en mars 2002 en une conférence internationale extraordinaire ;
2) suspension des membres de la "fraction" pour toute une série de viols des statuts (dont le refus de payer leurs cotisations à taux plein), l'organisation leur laissait jusqu'à la conférence pour réfléchir et prendre l'engagement de respecter les statuts, faute de quoi la conférence ne pourrait que constater qu'ils se sont eux-mêmes et délibérément placés en dehors de l'organisation ;
3) décision de principe, suite à un rapport circonstancié de la Commission d'investigation mettant en évidence ses comportements dignes d'un agent provocateur, d'exclure Jonas, la décision définitive devant être prise après que Jonas ait eu connaissance des faits relevés contre lui et qu'il ait eu l'occasion de présenter sa défense[13].
Concernant la première décision, il faut noter que les deux membres de la "fraction" participant à la réunion plénière se sont abstenus. C'était là une attitude on ne peut plus paradoxale de la part de militants qui ne cessaient d'affirmer que l'ensemble des militants du CCI était trompé et manipulé par la "faction liquidatrice" et les "organes décisionnels". Dès lors que l'occasion était donnée que ce soit l'ensemble de l'organisation qui discute et décide collectivement sur les problèmes qu'elle rencontrait, nos vaillants fractionnistes firent obstruction. C'était là une attitude totalement opposée à celle des fractions de gauche dans le mouvement ouvrier (tels les bolcheviks et les spartakistes), et dont ne cessaient de se réclamer ces militants, qui ont toujours réclamé la tenue de congrès pour traiter des problèmes rencontrés alors que la droite a toujours fait obstacle à une telle solution.
Concernant ces deux dernières décisions, la réunion plénière du Bureau international signalait que les militants concernés pourraient faire appel contre elles devant la Conférence de même qu'elle proposait à Jonas de soumettre son cas devant un jury d'honneur de militants du milieu politique prolétarien s'il s'estimait injustement accusé par le CCI. Leur réponse a été celle d'une nouvelle escalade. Jonas a refusé de rencontrer l'organisation pour présenter sa défense de même que de faire appel devant la Conférence ou de demander la tenue d'un jury d'honneur sur son cas : pour tous les militants du CCI, et pour Jonas lui-même, il est clair qu'il n'a aucun honneur à défendre tant sont flagrants les faits qui l'accablent. En même temps Jonas a annoncé sa pleine confiance dans la "fraction". Pour sa part celle-ci a commencé à répandre à l'extérieur des calomnies contre le CCI, d'abord en envoyant des courriers aux autres groupes de la Gauche communiste, puis plusieurs textes à nos abonnés, démontrant ainsi qu'un de ses membres avait volé le fichier des adresses de ces derniers dont il avait la responsabilité jusqu'à l'été 2001 (c'est-à-dire avant même la constitution de la "fraction" ou même du "collectif". Dans ces documents envoyés à nos abonnés on peut lire notamment que les organes centraux du CCI ont mené contre Jonas et la "fraction" "d'ignobles campagnes pour masquer et tenter de disqualifier des positions politiques qu'on est inapte à contredire sérieusement". Le reste est à l'avenant. Les documents qui sont envoyés alors à l'extérieur du CCI témoignent d'une solidarité sans faille de la "fraction" envers les agissements de Jonas et l'appellent à travailler avec elle. La "fraction" se dévoile ainsi publiquement pour ce qu'elle était depuis le début, lorsque Jonas restait dans l'ombre, la "camarilla" des amis du citoyen Jonas.
Malgré cette ouverture à l'extérieur de la guerre contre le CCI de la camarilla de Jonas, l'organe central de notre organisation a envoyé à chacun des membres parisiens de la "fraction" plusieurs courriers pour l'inviter à venir présenter sa défense devant la Conférence et précisant les modalités de ce recours. La "fraction" a fait semblant dans un premier temps d'accepter mais au dernier moment elle a accompli sa dernière action la plus misérable contre l'organisation. Elle a refusé de se présenter à la Conférence internationale, à moins que l'organisation ne reconnaisse par écrit cette "fraction" et retire les sanctions qu'elle avait prises conformément à nos statuts (et notamment l'exclusion de Jonas). Pour faire appel des sanctions que leur avait infligées l’organisation, ces militants demandaient tout simplement que celle-ci renonce au préalable à ces sanctions. C’était évidemment la solution la plus simple : il n’y aurait eu même plus besoin pour eux de faire appel. Face à cette situation, toutes les délégations du CCI, bien que prêtes à entendre en appel les arguments de ces éléments (à cet effet, elles avaient d'ailleurs constitué, à la veille de la tenue de la Conférence, une commission internationale de recours, composée de militants de plusieurs sections du CCI afin de permettre aux quatre membres parisiens de la "fraction" de présenter leurs arguments), n'ont pas eu d'autre alternative que de reconnaître que ces éléments s'étaient eux-mêmes mis en dehors de l'organisation. Face à leur refus de se défendre devant la conférence et de faire appel devant la commission de recours, le CCI a pris acte de leur désertion et ne pouvait donc plus les considérer comme membres de l'organisation[14].
La Conférence a également condamné à l’unanimité les méthodes de voyous utilisées par la "camarilla" de Jonas consistant à "kidnapper" (avec leur complicité ?), à leur arrivée à l'aéroport, deux délégués de la section mexicaine, membres de la "fraction", venus à la Conférence pour y défendre leurs positions. Alors que le CCI avait payé leurs billets d'avion afin de leur permettre d'assister aux travaux de la conférence et d'y défendre les positions de la "fraction", ces deux délégués mexicains ont été accueillis par deux membres parisiens de la "fraction" qui les ont amenés avec eux et les ont empêchés de se rendre à la Conférence. Devant nos protestations et notre exigence de remboursement des billets d'avion au cas où les deux délégués mexicains (qui avaient reçu un mandat de leur section) n'assisteraient pas à la Conférence, l'un des deux membres parisiens de la "fraction" nous a ri au nez en affirmant avec un cynisme incroyable : "ça, c'est votre problème !" Face au détournement des fonds de l'organisation et au refus de rembourser au CCI les deux billets d'avion payés par l'organisation, révélant les méthodes de gangsters utilisées par la "camarilla" de Jonas, tous les militants du CCI ont manifesté leur profonde indignation en adoptant une résolution condamnant ces comportements. Ces méthodes qui n'ont rien à envier à celles de la tendance Chénier (qui avait volé le matériel de l'organisation en 81) ont fini par convaincre les derniers camarades encore hésitants de la nature parasitaire et anti-prolétarienne de cette prétendue "fraction". Par la suite, la "fraction" a répondu au CCI qu’elle refusait de restituer le matériel politique et l’argent qui appartiennent à notre organisation. La camarilla de Jonas est devenue aujourd’hui non seulement un groupe parasitaire comme le CCI en a analysé la nature dans les Thèses sur le parasitisme publiées par la Revue internationale 94[15], mais un groupe de voyous pratiquant non seulement la calomnie et le chantage en vue de tenter de détruire notre organisation, mais aussi le vol.
La transformation en une bande de voyous d’un ensemble de militants de vieille date de notre organisation, ayant pour la plupart des responsabilités importantes danss les organes centraux de celle-ci soulève immédiatement la question : comment cela est-il possible ? Dans la dérive vers la vouyoucratie des membres de la "fraction" il faut voir évidemment l’influence de Jonas qui a poussé en permanence ces éléments à "radicaliser" leurs attaques contre le CCI au nom du "rejet du centrisme". Cela dit, cette explication ne suffit pas à comprendre une telle dérive et la Conférence s’est donné un base pour aller plus loin.
Le cadre politique dégagé par la Conférence pour comprendre nos difficultés organisationnelles
D’une part, la conférence a reconnu que le fait pour des membres de vieille date d’une organisation prolétarienne de trahir le combat qu’ils avaient mené pendant des décennies n’est pas un phénomène nouveau dans le mouvement ouvrier : des militants de premier plan comme Plekhanov (le "père fondateur" du marxisme en Russie) ou Kautsky (la référence marxiste de la social-démocratie en Allemagne, le "pape" de la deuxième internationale) ont fini leur vie militante dans les rangs de la bourgeoisie, appelant à participer à la guerre impérialiste pour le premier, condamnant la révolution russe de 1917 pour le second.
D’autre part, elle a inscrit la question du clanisme dans le contexte plus large de celui de l’opportunisme :
"L'esprit de cercle et le clanisme, ces questions-clé
posées par le Texte d'orientation de 1993, ne sont que des expressions
particulières d'un phénomène plus général : l'opportunisme dans les questions
organisationnelles. Il est évident que cette tendance, qui dans le cas de
groupes relativement petits comme le parti russe en 1903 ou le CCI, a été
étroitement liée aux formes affinitaires des cercles et des clans, ne s'est pas
exprimée de la même façon dans les partis de masse de la Deuxième ou de la
Troisième Internationales.
Néanmoins, les différentes expressions de ce même phénomène
n'en partagent pas moins les mêmes caractéristiques principales. Parmi elles,
une des plus remarquables est l'incapacité de l'opportunisme à s'engager dans
un débat prolétarien. En particulier, il est incapable de maintenir la
discipline organisationnelle dès qu'il se retrouve défenseur de positions
minoritaires.
Il y a deux expressions principales de cette incapacité.
Dans des situations où l'opportunisme est ascendant dans des organisations
prolétariennes, il tend à minimiser les divergences, soit en prétendant qu'il
s'agit d'"incompréhensions", comme l'a fait le révisionnisme
Bernsteinien, ou en adoptant systématiquement les positions politiques de ses
opposants, comme aux premiers jours du stalinisme.
Lorsque l'opportunisme est sur la défensive, comme en 1903
en Russie ou dans l'histoire du CCI, il réagit de façon hystérique, se
déclarant une minorité, déclarant la guerre aux statuts et se présentant comme
victime de la répression pour éluder le débat. Les deux caractéristiques
principales de l'opportunisme dans une telle situation sont, comme le
soulignait Lénine, le sabotage du travail de l'organisation, et l'orchestration
de scènes et de scandales.
L'opportunisme est intrinsèquement incapable de la démarche
sereine de la clarification théorique et des efforts patients pour convaincre
qui caractérisaient les minorités internationalistes durant la guerre mondiale,
l'attitude de Lénine en 1917, ou celle de la Fraction italienne dans les années
30 et de la Fraction française par la suite.
Le clan actuel est une caricature de cette démarche. Aussi
longtemps qu'il se sentait aux commandes[16],
il a essayé de minimiser les divergences qui apparaissaient dans RI (...), tout
en se concentrant sur la tâche de discréditer ceux qui avaient exprimé des
désaccords. Et dès que le débat a commencé à développer une dimension
théorique, il a tenté de le clore prématurément. Dès que le clan s'est senti en
minorité, et avant même que le débat puisse se développer, des questions (...)
étaient gonflées en divergences programmatiques, justifiant le rejet
systématique des statuts." (Résolution d'activités de la Conférence,
point 10)
De même, la Conférence a fait intervenir dans son analyse le poids idéologique que la décomposition du capitalisme fait peser sur la classe ouvrière :
"Une des caractéristiques principales de la période de
décomposition est que l'impasse entre le prolétariat et la bourgeoisie impose à
la société une agonie douloureuse et prolongée. En conséquence, le processus de
développement de la lutte de classe, de maturation de la conscience de classe,
et de construction de l'organisation devient beaucoup plus lent, plus tortueux
et contradictoire. La conséquence de tout ceci est une tendance à l'érosion
graduelle de la clarté politique, de la conviction militante et de la loyauté organisationnelle,
les principaux contrepoids aux faiblesses politiques et personnelles de chaque
militant. (...)
Parce que les victimes d'une telle dynamique ont commencé à
partager l’absence totale de perspective, qui est aujourd’hui le sort de la
société bourgeoise en décomposition, ils sont condamnés à manifester, plus que
tout autre clan dans le passé, un immédiatisme irrationnel, une impatience
fébrile, une absence de réflexion, et une perte radicale de capacités
théoriques en fait tous les aspects principaux de la décomposition."
(Ibid., point 6)
La Conférence a également mis en évidence qu’une des causes tant des prises de position initiales erronées du SI et de l’ensemble de l’organisation sur les questions de fonctionnement que de la dérive anti-organisationnelle des membres de la "fraction" et du retard de l’ensemble du CCI à identifier cette dérive résultait du poids du démocratisme dans nos rangs. Elle a décidé par conséquent d’ouvrir une discussion sur cette question du démocratisme sur la base d’un texte d’orientation qui devra être rédigé par l’organe central du CCI.
Enfin, la Conférence a souligné toute l’importance du combat mené à l’heure actuelle dans l’organisation :
"Le combat des révolutionnaires est une bataille
constante sur deux fronts : pour la défense et la construction de
l'organisation, et l'intervention en direction de l'ensemble de la classe. Tous
les aspects de ce travail dépendent mutuellement l'un de l'autre. (...).
Au centre du combat actuel, il y a la défense de la capacité
de la génération de révolutionnaires qui a émergé après 1968 à transmettre la
maîtrise de la méthode marxiste, la passion révolutionnaire et le dévouement,
et l'expérience de décennies de luttes de classe et de combat organisationnel à
une nouvelle génération. C'est donc essentiellement le même combat qui est mené
à l'intérieur du CCI et vers l'extérieur, envers les éléments en recherche que
secrète le prolétariat, en préparation du futur parti de classe." (Ibid.,
point 20).
[1] "L’Alliance de la démocratie socialiste et l’Association Internationale des travailleurs", rapport sur l’Alliance rédigé par Marx, Engels, Lafargue et autres militants sur mandat du Congrès de La Haye de l’AIT.
[2] Le Congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique.
[3] Les réactions à ces menaces sont significatives : "Ranvier proteste contre les menaces de quitter la salle proférée par Splingard, Guillaume et d’autres qui ne font que prouver que ce sont EUX et pas nous qui se sont prononcés à L’AVANCE sur les questions en discussion". "Morago [membre de l’Alliance] parle de la tyrannie du Conseil, mais n’est-ce pas ce Morago lui-même qui vient imposer la tyrannie de son mandat au Congrès" (intervention de Lafargue).
[4] James Guillaume déclare : "Alerini pense que la Commission n’a que des convictions morales et pas de preuves matérielles ; il a appartenu a l’Alliance et il en est fier (…) vous êtes la Sainte Inquisition ; nous demandons une enquête publique avec des preuves concluantes et tangibles"
[5] Voir à ce sujet les
articles "La crise du milieu révolutionnaire", "Rapport sur la
structure et le fonctionnement de l'organisation des révolutionnaires" et
"Présentation du 5e Congrès du CCI" respectivement dans les numéros
28, 33 et 35 de la Revue internationale.
[6] Le 11e Congrès du CCI : le combat pour la défense et la construction de l'organisation
[7] C’est le cas, à la fin des années 90, du "Cercle de Paris" constitué d’ex militants du CCI proches de Simon (un élément aventurier exclu du CCI en 1995) et qui a publié une brochure intitulée "Que ne pas faire" qui consiste en un ramassis de calomnies contre notre organisation présentée comme une secte stalinienne
[8] Notre texte de 1993, "La question du fonctionnement de l'organisation dans le CCI" publié dans la Revue internationale 109, développement amplement notre analyse de la question des clans et du clanisme.
[9] C'est-à-dire la commission permanente de l'organe central du CCI, le Bureau international, lequel est composé de militants de toutes les sections territoriales.
[10] C'est-à-dire l'attitude de James Guillaume face à la Commission d'enquête nommée par le Congrès de La Haye de l'AIT.
[11] Cette attitude d'intimidation face à une Commission d'investigation n'était pas nouvelle non plus : Outine, qui avait envoyé à la Commission d'enquête du congrès de La Haye un témoignage sur les agissements de Bakounine, avait fait l'objet d'une agression de la part d'un des partisans de ce dernier.
[12] Dans une circulaire à toutes les sections en novembre 2001, l'organe central international énumérait ces viols des statuts. Voici un court extrait de cette liste :
- "fuites" vers l'extérieur d'informations sur les questions internes ; (...)
- refus de trois membres des organes centraux de participer à des réunions auxquelles ils étaient statutairement tenus de participer ; (...)
- envoi d'un bulletin à des adresses personnelles de militants du CCI en totale infraction avec nos règles de fonctionnement centralisé et en violation des statuts ;
- refus de payer les cotisations au taux normal prévu par le CCI [les membres de la "fraction" ont décidé de ne verser que 30% de leur cotisation] ;
- refus de remettre et de porter à la connaissance des organes centraux un document, le prétendu "historique du SI", ayant circulé parmi certains militants et qui contient des attaques et des accusations absolument inadmissibles contre l'organisation et certains de ses militants ;
- chantage à la mise en circulation vers l'extérieur de documents internes de l'organisation, et notamment de ses organes centraux."
[13] Voir à ce propos notre "Communiqué aux lecteurs" publié dans Révolution Internationale n°321.
[14] Tout comme les bakouninistes avaient dénoncé les décisions du Congrès de la Haye comme un moyen de les empêcher d’exprimer leurs positions, la "camarilla" de Jonas dénonce le constat de sa désertion du CCI comme une mesure d’exclusion destinée à faire taire les divergences.
[15] C’est ainsi que la “ fraction ” essaie de dresser les groupes du milieu prolétarien les uns contre les autres, d'accentuer les clivages entre eux. De même, dans son bulletin n°11 elle se lance dans une entreprise de flatterie et de séduction envers des éléments du milieu parasitaire, comme ceux du "Cercle de Paris", que les membres de l’actuelle "fraction" n’étaient pas les derniers à condamner dans le passé. Là aussi, ils épousent l’attitude de la très "antiautoritaire" Alliance de Bakounine s’alliant, après le congrès de La Haye avec les lassaliens "étatistes".
[16] Jonas a exprimé ainsi sa vision de la crise : "maintenant que nous ne sommes plus aux commandes, le CCI est foutu".