Une fois n’est pas coutume, nous remercions le GIGC, de nous donner l’occasion de rappeler ce qu'il est vraiment.
Pour ce faire, nous reproduisons ci-dessous (intégralement, note de bas de page comprise) leur petit article sensé pointer notre impasse et nos contradictions sur la question du parasitisme, à en croire le titre.
Et pour nos lecteurs, nous y répondons juste après.
Impasse et contradictions du CCI face au « parasitisme », à la TCI et au GIGC
L’attitude politiquement responsable et fraternelle de la délégation du CCI lors de la réunion du comité «Non à la guerre sauf la guerre de classe» [1] à Paris –que nous saluons– a pu surprendre. La réunion n’était-elle pas organisée à l’initiative du GIGC, qu’il dénonce comme «groupe parasite» et «officine de l’État bourgeois» (Révolution internationale 446), et de la TCI qu’il critique pour ses concessions opportunistes vis-à-vis du parasitisme ? La présidence de cette réunion composée de trois camarades ne comportait-elle pas deux anciens de ses membres, Olivier et Juan, exclus et dénoncés publiquement dans sa presse internationale et traités de «nazis, staliniens, voleurs, maître-chanteurs, voyous, lumpen, calomniateurs, provocateurs, flics» en 2002 ? Pourtant, lors de la réunion publique, aucune dénonciation des supposés parasites et flics. Aucun avertissement aux autres participants qu’ils allaient assister à une réunion tenue par une «officine policière». [1] Aucun ultimatum exigeant l’exclusion de la réunion... de ses propres organisateurs.
Soit les membres et sympathisants actifs composant la délégation du CCI ne croient pas un seul mot des résolutions et autre articles publics dénonçant le GIGC et ses membres –par ailleurs interdits de participer aux réunions publiques du CCI ; soit elle a fait preuve d’une concession opportuniste particulièrement grave vis-à-vis non seulement du soi-disant parasitisme, mais même des soi-disant «agents provocateurs de l’État.»
Nous laissons le CCI face à ses contradictions chaque fois plus béantes et criantes.
Le GIGC, décembre 2022
Le GIGC a raison, le CCI est intervenu à la première réunion du comité No War But The Class War avec une «attitude politiquement responsable». Et en effet, nous n’avons pas dénoncé les deux individus qui étaient au présidium, Olivier et Juan, alors qu’ils sont des mouchards.
Pourquoi ?
Le GIGC jubile, croyant déceler là la preuve soit de nos prétendus doutes, soit de notre prétendu opportunisme.
La cause de notre «attitude politiquement responsable» ne peut qu’échapper complètement au GIGC : notre raison d’être n’est pas le GIGC mais la classe ouvrière.
Cette réunion était convoquée officiellement par un «comité» et non par des groupes politiques. Nous intervenions donc dans la réunion d'un comité, un comité nommé No War But The Class War, un comité qui annonce faire face à la guerre impérialiste, un comité qui affiche dans son appel d’authentiques positions internationalistes, un comité qui, en soi, doit représenter l’effort aujourd’hui rare, difficile et précieux de notre classe à s’organiser pour débattre et se dresser contre la barbarie de ce système décadent.
Aujourd’hui, les ouvriers en recherche des positions de classe sont peu nombreux, encore plus rares sont ceux faisant l’effort de se rassembler. Voilà ce que devrait être pour nous un comité, un lieu précieux de la clarification de notre classe, à défendre et à faire vivre. En ce sens, nous avions encouragé tous nos contacts à venir participer.
Notre crainte était que ce comité entraîne ses participants dans une impasse. Parce qu’aujourd’hui les luttes de la classe ouvrière se dressent non pas contre la guerre mais contre la crise économique; par conséquent ce comité risquait d’être une coquille vide, vide de la vie réelle de la classe, un comité hors-sol, artificiel, et donc poussant ses rares participants à mener des actions qui ne correspondent pas à la réalité de la dynamique de notre classe, un comité qui finalement affaiblit la défense de l’internationalisme, sème la confusion et finisse par gaspiller les maigres forces qui émergent. [2]
C’est pourquoi le CCI avait consciemment choisi d’y intervenir de manière déterminée pour défendre l’internationalisme, position cardinale de la Gauche communiste, et d’avertir les participants sur ce qui pour nous constitue d’emblée la fragilité des comités NWCW, la dimension artificielle de ces comités «de lutte». Telle a été la position que nous avons défendue par deux interventions, et qui est en effet «attitude politiquement responsable».
En lieu et place de «comité de lutte», ce serait bien plus des cercles de discussion et de réflexion regroupant les minorités politisées qui peuvent être envisageables aujourd’hui au sujet de la guerre. Quant à la formation de comités de lutte, elle pourrait effectivement jouer un rôle si motivée par le besoin de clarification et d'intervention pour faire face aux attaques économiques.
Voilà ce qui nous semblait être la priorité, l’enjeu central de cette réunion et de notre intervention.
Intervenir sur le fait que deux individus présents dans la salle sont en effet prêts à tout pour détruire le CCI, que c’est fondamentalement leur raison d’être, qu’ils ont déjà commis une incroyable liste de méfaits, allant jusqu’au mouchardage (!) tout cela aurait focalisé le débat sur cette question et donc fait dévier la discussion.
Mais puisque le GIGC le réclame, nous ne voudrions pas le décevoir. Voici un petit rappel du pédigrée de ces deux messieurs.
Ces deux individus viennent de la prétendue «Fraction Interne du CCI» (FICCI) qui était un mini groupuscule composé d’anciens membres du CCI exclus pour mouchardage en 2003, lors de notre 15e congrès international. Ce n'est pas la seule infamie dont ces éléments s'étaient rendus responsables puisque, reniant les principes fondamentaux de comportement communiste, ils s'étaient également distingués par des attitudes typiques de voyous, tels que la calomnie, le chantage et le vol. Pour ces autres comportements, bien qu'ils soient très graves, le CCI n'avait pas prononcé d'exclusion à leur encontre, mais une simple suspension. C'est-à-dire qu'il était encore possible pour ces éléments de revenir un jour dans l'organisation à condition évidemment qu'ils restituent le matériel et l'argent qu'ils avaient dérobés à celle-ci et qu'ils s'engagent à renoncer à des comportements qui n'ont pas leur place dans une organisation communiste. Si le CCI a décidé finalement de les exclure, c'est qu'ils ont publié sur leur site Internet (c'est-à-dire au vu de toutes les polices du monde) des informations internes facilitant le travail de la police : [3]
Il faut préciser qu'avant de procéder à leur exclusion, le CCI avait adressé à chacun des membres de la FICCI une lettre individuelle lui demandant s'il se solidarisait individuellement avec ces mouchardages. Lettre à laquelle la FICCI avait finalement répondu en revendiquant collectivement ces comportements infâmes. Il faut préciser également qu'il avait été donné à chacun de ces éléments la possibilité de présenter sa défense devant le congrès du CCI ou encore devant une commission de 5 membres de notre organisation dont 3 pouvaient être désignés par les membres de la FICCI eux-mêmes. Ces courageux individus, conscients que leurs comportements étaient indéfendables, avaient rejeté ces ultimes propositions du CCI.
À la place, cette «FICCI» a alors envoyé un «Bulletin communiste» aux abonnés de notre publication en France (dont les membres de la FICCI avaient volé le fichier des adresses bien avant de quitter notre organisation) pour leur répéter à longueur de bulletin que le CCI était en proie à une dégénérescence opportuniste et stalinienne.
Et ce n’est pas fini !
En 2005, avant l’une de nos réunions publiques, l’un des membres de la FICCI a menacé de mort l’un de nos militants. Portant toujours un couteau à la ceinture, il lui a odieusement glissé à l’oreille qu'il lui trancherait la gorge.
En fait, nous pourrions poursuivre cette liste encore et encore, tant chaque «Bulletin communiste» contenait son lot de calomnies.
En 2013, la FICCI a pris pour nouveau nom «Groupe international de la Gauche communiste» (GIGC). Plus précisément, ce nouveau groupe est le résultat de la fusion entre une partie du groupe Klasbatalo de Montréal et la FICCI.
Mais ce sont bien les mœurs de voyous et la haine des membres de la FICCI pour le CCI qui ont coloré immédiatement la politique et l’activité de ce groupe.
Ainsi, à peine né, ce GIGC s’est mis à sonner le tocsin et crier à tue-tête qu’il était en possession des Bulletins internes du CCI. En exhibant leur trophée de guerre et en faisant un tel tintamarre, le message que ces mouchards patentés cherchaient à faire passer était très clair : il y a une «taupe» dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI ! C’était clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont les mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930. Ce sont ces mêmes méthodes qu’avaient déjà utilisées les membres de l’ex-FICCI lorsqu’ils avaient fait des voyages «spéciaux» dans plusieurs sections du CCI en 2001 pour organiser des réunions secrètes et faire circuler des rumeurs suivant lesquelles l’une de nos camarades (la «femme du chef du CCI», suivant leur expression) serait un «flic». Le même procédé pour tenter de semer la panique et détruire le CCI de l’intérieur en 2013 était encore plus abject : sous le prétexte hypocrite de vouloir «tendre la main» aux militants du CCI et les sauver de la «démoralisation», ces indicateurs professionnels adressaient en réalité le message suivant à tous les militants du CCI : «Il y a un (ou plusieurs) traîtres parmi vous qui nous donne vos Bulletins internes, mais on ne vous donnera pas son nom car c’est à vous de chercher par vous-même !». Voilà le véritable objectif permanent de ce «groupe international» : essayer d’introduire le poison du soupçon et de la méfiance au sein du CCI pour chercher à le détruire de l’intérieur. Il s’agit bien d’une véritable entreprise de destruction dont le degré de perversion n’a rien à envier aux méthodes de la police politique de Staline ou de la Stasi.
Nous avons, à plusieurs reprises déjà, interpellé publiquement le GIGC sur la manière dont nos bulletins internes étaient arrivés entre leurs mains. Un complice infiltré au sein de notre organisation ? La police elle-même les aurait-elle obtenus en piratant nos ordinateurs pour les transmettre ensuite au GIGC par un moyen quelconque ? Si, au lieu d'être une bande voyous, le GIGC avait été une organisation responsable, il aurait eu à cœur de résoudre cette énigme et d'informer le milieu politique du résultat de ses investigations. Au lieu de cela, il a toujours évité cette question que nous ne cesserons pas de lui poser publiquement.
Leur dernier article, celui que nous avons reproduit intégralement plus haut, ne déroge pas à ces méthodes nauséabondes. Ce que l’on peut reconnaître au moins au GIGC, c’est sa constance.
Seulement, à travers cet article, ce n’est pas au sein du CCI que le GIGC essaie de semer la division, la suspicion et la méfiance, mais au sein de toute la Gauche communiste. En écrivant «La réunion n’était-elle pas organisée à l’initiative du GIGC, qu’il [le CCI] dénonce comme “groupe parasite” et “officine de l’État bourgeois” (Révolution internationale 446), et de la TCI qu’il critique pour ses concessions opportunistes vis-à-vis du parasitisme ?», le GIGC met volontairement dans le même sac notre dénonciation des mœurs de voyous de ce groupe parasite et notre combat contre l’opportunisme de la TCI.
Le GIGC, digne héritier de la FICCI, a pour fonction de détruire les principes de la Gauche communiste, d’y répandre la méfiance et la division. La haine des membres de l’ex-FICCI vis-à-vis du CCI l’emporte et teinte toute la politique de ce groupe, quel que soit le niveau de conscience de ses différents membres intégrés par la suite. Il s’agit donc d’un combat contre un groupe qui, sous couvert de défendre les positions de la Gauche communiste, défend objectivement les intérêts du camp bourgeois [4] en reprenant à son compte ses pires mœurs et attitudes.
La lutte contre l’opportunisme, elle, se déroule au sein même du camp prolétarien. Toute l’histoire du mouvement ouvrier démontre qu’il s’agit d’une faiblesse constante qui gangrène le camp prolétarien. Il s’agit donc de combattre l’opportunisme par la polémique à la fois la plus ferme et la plus fraternelle possible, au sein du milieu politique prolétarien. Ce combat se mène non seulement entre les organisations révolutionnaires mais aussi en leur sein même. L’histoire du CCI montre qu’il lutte en son sein contre des dérives de ce type depuis 50 ans.
Ces méthodes d’assimilation, de confusion volontaire du GIGC afin de semer le trouble et la méfiance sont abjectes.
Pour paraphraser Rosa Luxemburg : Mensonger, mouchard, pataugeant dans la calomnie, couvert de crasse : voilà comment se présente le parasitisme, voilà ce qu’il est. Ce n’est pas lorsque ses protagonistes se donnent à la tribune d’un présidium d’un comité les dehors de la respectabilité et de la philosophie, de la morale et de l’ouverture, du débat et de la fraternité, c’est quand le parasitisme ressemble à une bête fauve, quand il danse le sabbat de la voyoucratie, quand il souffle la méfiance sur la Gauche communiste et ses principes, qu’il se montre tout nu, tel qu’il est vraiment.
CCI, 15 janvier 2023
[1] Conférence-débat à Marseille sur la Gauche communiste: le Docteur Bourrinet, un faussaire qui se prétend historien [2]
[2] Nous ne pouvons développer ici notre position, nous renvoyons nos lecteurs à notre article « No war but the classe war à Paris : Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse » [3].
[3] Le GIGC assume même sa démarche policière. En effet on trouve, depuis 2005, sur son site «GIGC / Bulletin communiste International» des documents relatifs à des discussions internes au sein du CCI.
[4] Cette défense ne s'opère pas à travers la défense d'un programme bourgeois. En effet, comme le mettent en évidence nos thèses sur le parasitisme [4] : «Marx et Engels […] caractérisaient déjà de parasites ces éléments politisés qui, tout en prétendant adhérer au programme et aux organisations du prolétariat, concentrent leurs efforts sur le combat, non pas contre la classe dominante, mais contre les organisations de la classe révolutionnaire».
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Au Royaume-Uni, un cri se propage d’écho en écho, de grève en grève, depuis le mois de juin :
Ce mouvement massif, baptisé « L’été de la colère », est devenu l’automne de la colère, puis l’hiver de la colère.
Cette vague de grèves au Royaume-Uni est le symbole de la combativité ouvrière qui se développe partout dans le monde :
– En Espagne, où les médecins et les pédiatres de la région de Madrid se sont mis en grève fin novembre, tout comme le secteur aérien et celui du ferroviaire en décembre. De nouvelles grèves sont annoncées dans la santé, pour janvier, dans de nombreuses régions.
– En Allemagne, où la flambée des prix fait craindre au patronat d’avoir à affronter les conséquences d’une crise énergétique sans précédent. Le vaste secteur de la métallurgie et de l’électro-industrie a ainsi connu une série de grèves perlées au mois de novembre.
– En Italie, où une grève des contrôleurs aériens, mi-octobre, s’est ajoutée à celle des pilotes de la compagnie EasyJet. Le gouvernement a même dû interdire toute grève les jours de fête.
– En Belgique, où la grève nationale a été déclenchée le 9 novembre et le 16 décembre.
– En Grèce, où une manifestation a rassemblé des dizaines de milliers de salariés du privé à Athènes en novembre, au cri de « La cherté de la vie est insupportable ! ».
– En France, où des grèves se sont succédé ces derniers mois dans les transports en commun, dans les hôpitaux…
– Au Portugal, où les ouvriers réclament un salaire minimum à 800 euros contre 705 actuellement. Le 18 novembre, c’est la fonction publique qui était en grève. Au mois de décembre, le secteur des transports s’est également mobilisé.
– Aux États-Unis, les élus de la Chambre des représentants sont intervenus pour débloquer un conflit social et éviter une grève du fret ferroviaire. En janvier, ce sont les infirmières de New-York qui se sont mobilisées par milliers.
La liste serait interminable car, en réalité, il y a partout une multitude de petites grèves isolées les unes des autres, dans les entreprises, dans les administrations. Parce que partout, dans tous les pays, dans tous les secteurs, les conditions de vie et de travail se dégradent, partout la flambée des prix et les salaires de misère, partout la précarité et la flexibilité, partout les cadences infernales et les effectifs insuffisants, partout une dégradation terrible des conditions de logement, particulièrement pour les jeunes.
Depuis la pandémie de Covid-19, les hôpitaux sont devenus le symbole de cette réalité quotidienne de tous les travailleurs : être en nombre insuffisant et surexploités, jusqu’à l’épuisement, pour un salaire qui ne permet plus de payer les factures.
La longue vague de grèves qui touche depuis le mois de juin le Royaume-Uni, pays où le prolétariat semblait résigné depuis les années Thatcher, exprime une véritable rupture, un changement d’état d’esprit au sein de la classe ouvrière, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi au niveau international. Ces luttes montrent que face à l’approfondissement considérable de la crise, les exploités ne sont plus prêts à se laisser faire.
Avec une inflation à plus de 11 % et l’annonce d’un budget de rigueur par le gouvernement de Rishi Sunak, les grèves se sont succédé dans presque tous les secteurs : les transports (trains, bus, métro, aéroports) et celui de la santé, les postiers du Royal Mail, les fonctionnaires du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales, les employés d’Amazon, ceux des écoles en Écosse, les ouvriers du pétrole de la Mer du Nord… L’ampleur de la mobilisation des soignants n’avait pas été vue dans ce pays depuis plus d’un siècle ! Et les enseignants devraient à leur tour faire grève à partir de février.
En France, le gouvernement a, en plus, décidé d’imposer une nouvelle « réforme » repoussant l’âge légal du départ à la retraite. Le but est simple : faire des économies en pressant comme un citron la classe ouvrière, jusqu’au cimetière. Concrètement, il s’agira de travailler vieux, malade, épuisé ou de partir avec une pension de retraire amputée et misérable. Souvent, d’ailleurs, le licenciement viendra trancher, avant l’âge fatidique, le nœud de ce dilemme.
Les attaques contre nos conditions de vie ne vont pas s’arrêter. La crise économique mondiale va continuer de s’aggraver. Pour s’en sortir sur l’arène internationale du marché et de la concurrence, chaque bourgeoisie de chaque pays va imposer à la classe ouvrière des conditions de vie et de travail de plus en plus insoutenables, en invoquant « la solidarité avec l’Ukraine » ou « l’avenir de l’économie nationale ».
C’est encore plus vrai avec le développement de l’économie de guerre. Une partie croissante du travail et des richesses est dirigée vers l’économie de guerre. En Ukraine, mais aussi en Éthiopie, au Yémen, en Syrie, au Mali, au Niger, au Congo, etc., cela signifie : des bombes, des balles et la mort ! Ailleurs, cela entraîne la peur, l’inflation et l’accélération des cadences de travail. Tous les gouvernements réclament des « sacrifices » !
Face à ce système capitaliste qui plonge l’humanité dans la misère et la guerre, dans la concurrence et la division, c’est à la classe ouvrière (les travailleurs salariés de tous les secteurs, de toutes les nations, au chômage ou au travail, avec ou sans diplôme, en activité ou à la retraite...) de proposer une autre perspective. En refusant ces « sacrifices », en développant une lutte unie, massive et solidaire, elle peut montrer qu’un autre monde est possible.
Depuis des mois, dans tous les pays et dans tous les secteurs, oui, il y a des grèves. Mais isolées les unes des autres. Chacun sa grève, dans son usine, son dépôt, son entreprise, son administration. Aucun lien réel entre ces luttes, même quand il suffirait de traverser la rue pour que les grévistes de l’hôpital rencontrent ceux de l’école ou du supermarché d’en-face. Parfois, cette division confine au ridicule quand, dans la même entreprise, les grèves se découpent par corporation, ou équipe, ou étage. Il faut imaginer les secrétaires en grève à un moment différent des agents techniques, ou ceux du premier étage en grève dans leur coin sans lien avec ceux du second. C’est parfois réellement ce qui se passe !
L’éparpillement des grèves, l’enfermement chacun dans son coin fait le jeu de la bourgeoisie, il nous affaiblit, nous réduit à l’impuissance, il nous épuise et nous mène à la défaite.
C’est pourquoi la bourgeoisie déploie tant d’énergie à l’entretenir. Dans tous les pays, la même stratégie : les gouvernements divisent. Ils font semblant de soutenir tel ou tel secteur pour mieux s’en prendre aux autres. Ils mettent ponctuellement un secteur, voire une entreprise en lumière, en faisant des promesses qu’ils ne tiendront jamais, pour faire passer inaperçu le cortège d’attaques qui s’abat partout ailleurs. Pour mieux diviser, ils adressent une aide ponctuelle à une catégorie et réduisent les droits de toutes les autres. La négociation branche par branche, entreprise par entreprise, est partout la règle.
En France, l’annonce de la réforme des retraites, qui va impacter toute la classe ouvrière, s’accompagne d’un « débat » médiatique assourdissant sur l’injustice de la réforme pour telle ou telle catégorie de la population. Il faudrait la rendre plus juste en intégrant mieux les profils particuliers des apprentis, de certains travailleurs manuels, des femmes… Toujours le même piège !
Pourquoi cette division ? Est-ce seulement la propagande et les manœuvres des gouvernements qui parviennent à nous diviser ainsi, à séparer les grèves et les luttes de la classe ouvrière les unes des autres ?
Le sentiment d’être tous dans le même bateau grandit. L’idée que seule une lutte massive, unie et solidaire peut permettre d’établir un rapport de force germe dans toutes les têtes. Alors pourquoi cette division depuis des mois, dans tous les pays, dans tous les secteurs ?
Au Royaume-Uni, les grèves s’accompagnent traditionnellement de piquet devant chaque lieu en grève. Depuis des mois, les piquets se tiennent les uns à côtés des autres, parfois à une seule journée d’écart, parfois en même temps mais séparés de quelques centaines de mètres. Sans lien entre eux. Chacun sa grève, chacun son piquet. Sans lutte contre cet éparpillement, sans le développement d’une véritable unité dans la lutte, la combativité risque de s’épuiser. Ces dernières semaines, l’impasse et le danger de cette situation a commencé à frapper les esprits. Les ouvriers en grève chacun leur tour depuis six mois pourraient être gagnés par un sentiment de lassitude et d’impuissance.
Pourtant, sur plusieurs piquets de grève, des travailleurs nous ont exprimé leur sentiment d’être impliqués dans quelque chose de plus large que leur entreprise, leur administration, leur secteur.Il y a une volonté grandissante de lutter ensemble.
Seulement, depuis des mois, dans tous les pays, dans tous les secteurs, ce sont les syndicats qui organisent toutes ces luttes morcelées, ce sont les syndicats qui dictent leurs méthodes, qui divisent, isolent, prônent la négociation branche par branche, corporation par corporation, ce sont les syndicats qui font de chaque revendication une revendication spécifique, ce sont les syndicats qui avertissent que, surtout, « il ne faut pas mélanger les revendications pour ne pas se diluer ».
Mais les syndicats ont aussi perçu que la colère gronde, qu’elle risque de déborder et de briser les digues qu’ils ont dressées entre les corporations, les entreprises, les secteurs… Ils savent que l’idée de « lutter tous ensemble » murit dans la classe.
C’est pourquoi, par exemple au Royaume-Uni, les syndicats commencent à parler de rassemblements regroupant différents secteurs, ce qu’ils avaient pris grand soin jusqu’ici d’éviter. Les mots « unity », « solidarity » pointent le bout de leur nez dans leurs discours. Ils ne renoncent pas là à diviser, mais pour pouvoir continuer à le faire, ils collent aux préoccupations de la classe. Ils gardent ainsi le contrôle, la direction des luttes.
En France, face à l’annonce de la réforme des retraites, les syndicats ont ainsi affiché leur unité et leur détermination ; ils ont appelé à de grandes manifestations de rue et à engager le bras de fer avec le gouvernement. Ils crient que cette réforme ne passera pas, qu’il faut être des millions à la rejeter.
Voilà pour le discours et les promesses. Mais qu’en est-il en réalité ? Pour s’en faire une idée, il suffit de se souvenir du mouvement de lutte de 2019-2020, déjà contre la réforme des retraites de Macron. Face à la montée de la combativité et l’élan de solidarité entre les générations, les syndicats avaient usé du même stratagème en prônant la « convergence des luttes », un ersatz de mouvement unitaire, où les manifestants qui défilaient dans la rue étaient parqués par secteur et par entreprise. Nous n’étions pas tous ensemble, mais les uns derrière les autres. Les banderoles syndicales et les services d’ordre saucissonnaient les cortèges par corporation, par entreprise, par centrale. Surtout, aucune discussion, aucune assemblée. « Défilez avec vos collègues habituels et rentrez chez vous, jusqu’à la prochaine ». Sono à fond, pour être bien certain que les plus têtus ne s’entendent pas. Parce que ce qui fait réellement trembler la bourgeoisie, c’est quand les ouvriers prennent leurs luttes en main, quand ils s’organisent, quand ils commencent à se rassembler, à débattre… à devenir une classe en lutte !
Au Royaume-Uni et en France, comme partout ailleurs, pour construire un rapport de forces nous permettant de résister aux attaques incessantes contre nos conditions de vie et de travail, et qui demain vont s’aggraver encore avec violence, nous devons, partout où nous le pouvons, nous rassembler pour débattre et mettre en avant les méthodes de lutte qui font la force de la classe ouvrière et lui ont permis, à certains moments de son histoire, de faire vaciller la bourgeoisie et son système :
– la recherche du soutien et de la solidarité au-delà de sa corporation, son entreprise, son secteur d’activité, sa ville, sa région, son pays ;
– l’organisation autonome du combat ouvrier, à travers des assemblées générales notamment, sans en laisser le contrôle aux syndicats, ces soi-disant « spécialistes » des luttes et de leur organisation ;
– la discussion la plus large possible sur les besoins généraux de la lutte, sur les leçons à tirer des combats et aussi des défaites, car il y aura des défaites, mais la plus grande défaite est de subir les attaques sans réagir. L’entrée en lutte est la première victoire des exploités.
En 1985, sous Thatcher, les mineurs britanniques s’étaient battus durant une année entière, avec un immense courage et une détermination exemplaire ; mais isolés, enfermés dans leur corporation, ils avaient été impuissants ; et leur défaite avait été celle de toute la classe ouvrière. Nous devons tirer les leçons de nos erreurs. Il est vital que les faiblesses qui minent la classe ouvrière depuis des décennies et signent notre succession de défaites soient dépassées : le corporatisme et l’illusion syndicale. L’autonomie de la lutte, l’unité et la solidarité sont les jalons indispensables à la préparation des luttes de demain !
Pour cela, il faut nous reconnaître comme les membres d’une même classe, une classe unie par la solidarité dans la lutte : le prolétariat. Les luttes d’aujourd’hui sont indispensables pas seulement pour nous défendre pied à pied contre les attaques mais aussi pour reconquérir cette identité de classe à l’échelle mondiale, pour préparer le renversement de ce système synonyme de misère et de catastrophes de toutes sortes.
Dans le capitalisme, il n’y a pas de solution : ni à la destruction de la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité, ni à la misère. Seule la lutte du prolétariat mondial soutenue par tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative, celle du communisme.
Les grèves au Royaume-Uni, les manifestations en France, sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays
Courant communiste international, 12 janvier 2023
Le 23 décembre dernier, à Paris, une nouvelle tuerie raciste et xénophobe faisait trois morts, les victimes étaient toutes issues de la communauté kurde. Au fil des informations, le profil du suspect devient de plus en plus clair : un homme viscéralement raciste qui voulait tuer le plus d’étrangers possible lors de cette fusillade. Ce dernier ayant déjà attaqué un migrant avec un sabre en décembre 2021.
Ce genre d’actes ignobles n’a, hélas, rien d’extraordinaire. Au contraire, ils rythment désormais le quotidien de la société au quatre coins du monde et font régulièrement les Unes des journaux et des émissions de télévision. L’assassinat du 23 décembre ne doit donc rien au hasard, bien au contraire. Pour autant, les représentants politiques comme les médias aux ordres n’ont pas tardé à réduire cette tuerie comme le simple fait d’un « déséquilibré » au « cerveau grillé », imbibé de l’idéologie d’extrême-droite. Autrement dit, un individu psychologiquement malade. Voilà ! L’affaire était réglée ! En réalité, la démarche de ces individus n’est en rien le produit d’un simple acte individuel mais bien celui d’une société sans aucun futur, se noyant tous les jours dans la barbarie, la destruction des liens sociaux, la marginalisation, l’atomisation des individus, le nihilisme ou encore l’anéantissement de l’affectivité. Un tel cocktail ne pouvant que fabriquer en chaîne des êtres broyés dont les pulsions de haine et de mort peuvent trouver leur conclusion dans le massacre de boucs-émissaires, cette fois-ci des individus issus de la communauté kurde.
Personnalités politiques, représentants des différentes sphères de l’État, journalistes et commentateurs de tous bords se sont émus de cet acte barbare en jouant sur le terrain de la peur. Mélenchon et la France insoumise, par exemple, ont dénoncé un authentique acte terroriste d’un militant d’extrême – droite manipulé par la Turquie. Si pour le moment, rien ne permet de confirmer cette thèse, ce qui est sûr c’est que la gauche et l’extrême gauche (LO, NPA notamment) mais aussi, bien sûr, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ont tout de suite compris le bénéfice qu’elles pouvaient tirer de ce drame. En déclarant d’emblée qu’il s’agissait d’un attentat terroriste, toutes ces officines de l’État ont été en mesure d’instrumentaliser la colère des Kurdes en les appelant à se mobiliser sur le terrain de l’antifascisme et de la défense du peuple kurde. (1)Ainsi, preque toute la bourgeoisie est à l’unisson pour dénoncer la montée du fascisme qui mettrait en péril la démocratie. Nous assistons à deux campagnes concomitantes mais totalement complémentaires consistant à entraîner les ouvriers sur le terrain de l’antifascisme. D’un côté, l’extrême droite, par ses discours haineux, déverse sur les réseaux sociaux un odieux mélange de haine, d’appel au lynchage et au pogrom envers tout individu extérieur à la prétendue « communauté nationale ». D’ailleurs, les militants d’extrême-droite ont désormais toujours un fauteuil réservé sur les plateaux télévisés et en radio, à l’image de Zemmour lors de la dernière élection présidentielle, leur donnant ainsi toute légitimité pour déverser leurs discours racistes.
Face à ce déferlement de haine, on assiste, de l’autre côté, à un grand battage médiatique de la gauche et de l’extrême-gauche qui déploient tout leur arsenal dans l’appel au « combat contre le fascisme ». Dès le 23 décembre, les ténors de la NUPES, pour ne citer qu’eux, ont largement occupé les chaînes d’information pour dénoncer la violence de l’extrême – droite qui constituerait une grave menace pour la France. Cette campagne a été lancée, il y a déjà quelque temps, sur les réseaux sociaux. Les médias de gauche « alternatifs », prétendument indépendants, ne cessent de développer ce thème de la montée en puissance de la violence d’extrême-droite. Ce discours est perfide car il distille l’idée selon laquelle la solution politique au pourrissement de la société serait contenue dans la défense de « L’État de droit », c’est-à-dire de la nation, de l’État et de la République bourgeoise, qu’il conviendrait d’utiliser avec efficacité pour régler les problèmes de racisme, de xénophobie, de terrorisme. Mais tout ce ramassis de lieux communs et de mensonges n’est qu’un bourrage de crânes qui montre pleinement la véritable fonction de la gauche du capital : dévoyer la lutte de la classe ouvrière contre le système capitaliste pour mieux l’amener à soutenir et défendre son principal oppresseur : l’État « démocratique ».
S’en remettre aux sbires de la gauche pour changer le monde et préserver l’humanité de la barbarie capitaliste est un dangereux leurre que la classe ouvrière ne doit pas gober !
Mathilde, 30 décembre 2022
1 Les Kurdes savent pertinemment que l’État français ne peut ni ne veut les protéger : les enjeux et le désamour diplomatique avec Erdogan est un sujet brûlant de politique internationale qui prévaut sur tout autre risque d’insécurité de ressortissants kurdes en l’occurrence. Rappelons l’attentat de janvier 2013 qui avait tué trois militantes kurdes et qui s’était soldé, après plusieurs années de procédure, par un classement secret-défense entraînant ainsi la fin de toute procédure.
L’ampleur de la mobilisation lors de la première manifestation contre la réforme des retraites le 19 janvier dernier, a montré la capacité du prolétariat en France de résister à une attaque ignoble de la part de la bourgeoisie contre les conditions de vie et de travail. Mais c’est un ras-le-bol plus général qui s’est exprimé dans tous les cortèges du fait de l’aggravation de la crise économique qui se manifeste notamment par l’inflation. Après les grèves incessantes en Grande-Bretagne depuis l’été dernier, la massivité de la mobilisation des ouvriers en France confirme pleinement le réveil de la combativité du prolétariat à l’échelle mondiale.
Venez discuter de cette question lors de la réunion publique en ligne du CCI le 11 février à partir de 21h00 (Au lieu de 15h comme annoncé initialement en raison des manifestations qui se dérouleront au cours de l'après-midi). Le CCI interviendra dans ces manifestations et il sera toujours possible de nous contacter dans l'après-midi pour s'inscrire à la participation à la réunion publique du soir.
Pour participer à cette réunion publique, veuillez adresser un message sur notre adresse électronique [13] ou dans la rubrique “contact [14]”, afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la réunion seront communiquées par retour de courriel.
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Les 19 et 31 janvier, nous étions plus d’un million dans la rue à nous mobiliser contre la nouvelle réforme des retraites. Le gouvernement prétend que cette colère est due à un « défaut d’explication », à un « manque de pédagogie ». Mais nous avons tous très bien compris ! Avec cette énième réforme, le but est clair : nous exploiter toujours plus et amputer les pensions de tous ceux qui, licenciés ou malades, ne parviendront pas à aller au bout de leurs annuités. Travailler jusqu’à épuisement pour une retraite de misère, voilà ce qui nous attend.
Mais « à un moment donné, ça suffit ! ». Cette expression est revenue si souvent dans les cortèges qu’elle a été reprise par les Une de la presse. Il s’agit presque mot pour mot de l’expression que les grévistes mettent en avant depuis des mois au Royaume-Uni : « Enough is enough », « Trop c’est trop ». Ce n’est pas un hasard. Le lien qui nous unit saute aux yeux : la même dégradation des conditions de vie et de travail, les mêmes attaques, la même inflation, et la même combativité croissante. Parce que, oui, « ça suffit ». La réforme des retraites, les prix qui flambent, les cadences infernales, les sous-effectifs, les salaires de misère… et que dire de la nouvelle réforme de l’assurance chômage, une mesure révoltante qui réduit de 25 % la durée d’indemnisation et va permettre de radier les bénéficiaires à tour de bras ! Et cela pour le plus grand bien des statistiques et des mensonges sur la « réduction du chômage ».
En étant plus d’un million dans la rue le 19 janvier, davantage le 31, la classe ouvrière démontre une nouvelle fois ce qui fait sa force : sa capacité à rentrer massivement en lutte. Chômeurs, retraités, futurs travailleurs, salariés, de tous les métiers, de tous les secteurs, du public ou du privé, les exploités forment une seule et même classe animée par un seul et même sentiment de solidarité : Un pour tous, tous pour un !
Depuis des mois, il y a partout en France des petites grèves, dans les usines ou dans les bureaux. Leur multitude reflète le niveau de colère dans les rangs de la classe ouvrière. Mais parce qu’elles sont isolées les unes des autres, ces grèves sont impuissantes ; elles épuisent les plus combatifs dans des luttes sans espoir. Les grèves corporatistes et sectorielles ne mènent qu’à la défaite de tous, chacun perd dans son coin, chacun son tour, l’un après l’autre. L’organisation des luttes corporatistes et sectorielles n’est que l’incarnation moderne du vieil adage des classes dominantes : « Diviser pour mieux régner ».
Face à cet éparpillement, sous le coup des attaques incessantes à nos conditions de vie et de travail, nous ressentons de plus en plus qu’il faut rompre cet isolement, que nous sommes tous dans le même bateau, que c’est tous ensemble qu’il faut lutter. Les 19 et 31 janvier, en étant plus d’un million dans la rue, à se serrer les coudes, il y avait non seulement de la joie mais aussi une certaine fierté à faire vivre la solidarité ouvrière.
En étant plus d’un million dans la rue, l’atmosphère se charge d’une ambiance nouvelle. Il y a l’espoir de pouvoir gagner, de pouvoir faire reculer le gouvernement, de le faire plier sous le poids du nombre. C’est vrai, seule la lutte peut freiner les attaques. Mais être nombreux est-il suffisant ?
En 2019, nous étions aussi massivement mobilisés et la réforme des retraites est passée. En 2010, contre ce qui devait être la dernière réforme des retraites, juré-craché, nous avons enchaîné quatorze journées d’action ! Neuf mois de lutte ! Ces cortèges ont rassemblé plusieurs fois de suite des millions de manifestants. Pour quel résultat ? La réforme des retraites est passée. Par contre, en 2006, après seulement quelques semaines de mobilisation, le gouvernement a retiré son « Contrat Première Embauche » (CPE). Pourquoi ? Quelle différence y a-t-il entre ces mouvements ? Qu’est-ce qui a fait peur à la bourgeoisie en 2006, au point de la faire reculer si rapidement ?
En 2010 et en 2019, nous étions nombreux, nous étions solidaires et déterminés, mais nous n’étions pas unis. Nous étions peut-être des millions, mais nous étions les uns derrière les autres. Les manifestations consistaient à venir avec ses collègues, à marcher avec ses collègues sous le bruit assourdissant des sonos, et à repartir avec ses collègues. Aucune assemblée, aucun débat, aucune réelle rencontre. Ces manifestations étaient réduites à l’expression d’un simple défilé.
En 2006, les étudiants précaires avaient organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités, ils avaient mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Ces assemblée étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions se prenaient. Résultat : chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les travailleurs salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan : « Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ». La bourgeoisie française et le gouvernement, face à cette tendance à l’unification du mouvement, n’avait pas eu d’autre choix que de retirer son CPE.
La grande différence entre ces mouvements est donc la question de la prise en main des luttes par les travailleurs eux-mêmes !
Dans les cortèges, aujourd’hui, la référence à Mai 68 revient régulièrement : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 », pouvait-on lire sur de nombreuses affiches. Ce mouvement a laissé une trace extraordinaire dans les mémoires ouvrières. Et justement, en 1968, le prolétariat en France s’était uni en prenant en mains ses luttes. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales s’étaient propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses neuf millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Très souvent, cette dynamique d’extension et d’unité s’était développée en dehors du giron des syndicats et de nombreux ouvriers avaient déchiré leur carte syndicale après les accords de Grenelle du 27 mai entre les syndicats et le patronat, accords qui avaient enterré le mouvement.
Aujourd’hui, travailleurs salariés, chômeurs, retraités, étudiants précaires, nous manquons encore de confiance en nous, en notre force collective, pour oser prendre en main nos luttes. Mais il n’y a pas d’autre chemin. Toutes les « actions » proposées par les syndicats mènent à la défaite. Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations, des assemblées générales dans lesquelles nous nous sentons unis et confiants en notre force collective.
Il n’y a aucune illusion à avoir, l’histoire l’a démontré mille fois : aujourd’hui les syndicats affichent leur « unité » et appellent à la mobilisation générale, demain ils vont s’opposer pour mieux nous diviser et mieux nous démobiliser. D’ailleurs, ils ont commencé :
– D’un côté, les syndicats classés « radicaux » focalisent l’attention sur la nécessité de bloquer l’économie du pays. Concrètement, cela signifie que les ouvriers des secteurs les plus combatifs actuellement, comme les raffineurs ou les cheminots, vont se retrouver enfermés sur leur lieu de travail, isolés de leur frères de classe des autres secteurs qui en seront, eux, réduits à la grève par procuration. Comme en 2019 !
– De l’autre côté, les syndicats dits « réformistes » préparent déjà la désunion en répétant « Nous ne sommes pas contre une réforme de la retraite. Nous ne sommes pas des inconscients. On sait bien qu’il faut qu’on conserve un système d’équilibre financier sur ce régime de retraite par répartition. […] Pour autant, on n’a pas envie d’une réforme qui soit injuste ». (Geoffrey Caillon, coordinateur CFDT TotalEnergies). Et d’en appeler le gouvernement à « entendre » le mécontentent et à négocier. Autrement dit, gouvernement et syndicats ont déjà prévu depuis longtemps des aménagements à la réforme pour faire passer la pilule. Comme en 2019 !
La réforme des retraites se fait au nom de l’équilibre budgétaire, de la justice et de l’avenir. Le 20 janvier, Macron a annoncé en grandes pompes un budget militaire record de 400 milliards d’euros ! Voilà la réalité de l’avenir promis par la bourgeoisie : plus de guerre et plus de misère. Le capitalisme est un système d’exploitation, mondial et décadent. Il mène l’humanité vers la barbarie et la destruction. La crise économique, la guerre, le réchauffement climatique, la pandémie ne sont pas des phénomènes séparés ; tous sont des fléaux de ce même système moribond.
Ainsi, nos luttes actuelles ne sont pas seulement une réaction face à la réforme des retraites, ni même face à la dégradation de nos conditions de vie. Fondamentalement, elles sont une réaction à la dynamique générale du capitalisme. Notre solidarité dans la lutte est l’antithèse de la compétition jusqu’à la mort de ce système divisé en entreprises et nations concurrentes. Notre solidarité entre les générations est l’antithèse du no future et de la spirale destructrice de ce système. Notre lutte symbolise le refus de se sacrifier sur l’autel de l’économie de guerre. C’est pourquoi chaque grève porte en elle les germes de la révolution. Le combat de la classe ouvrière est immédiatement une remise en cause des bases mêmes du capitalisme et de l’exploitation.
Notre lutte actuelle prépare les luttes à venir. Il n’y aura pas de répit. En s’enfonçant dans la crise économique mondiale, dans sa folle course au profit, chaque bourgeoisie nationale va n’avoir de cesse d’attaquer les conditions de vie et de travail du prolétariat.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés doivent se regrouper, discuter, se réapproprier les leçons du passé, pour préparer la lutte autonome de toute la classe ouvrière. C’est une nécessité. C’est le seul chemin possible.
Courant Communiste International (2 février 2023)
Défiler les uns derrière les autres, puis repartir chacun dans son coin est stérile. Pour être véritablement unis dans la lutte, il faut se rencontrer, débattre, tirer ensemble les leçons de la lutte présente et des luttes passées. Il faut prendre en mains nos luttes.
Partout où cela est possible, sur les lieux de travail ou ici, sur les trottoirs, sur les places, en fin de manifestation, il faut se regrouper et discuter.
Si en lisant ce tract, vous partagez cette volonté de réfléchir ensemble, de s’organiser, de prendre en mains les luttes alors n’hésitez pas à venir à notre rencontre à la fin de la manifestation pour poursuivre le débat.
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Emporté dans une dérive opportuniste qui l’avait conduit jusqu’à demander aux militants de son courant d’adhérer aux partis sociaux-démocrates, ceux-là mêmes qui avaient en Allemagne commandité l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, Léon Trotsky défendit durant les années 1930 et jusqu’à sa mort la position selon laquelle l’URSS de Staline n’était pas un pays impérialiste. Les épigones de Trotsky n’ont fait qu’exploiter, au bénéfice de la bourgeoisie, ce raisonnement erroné du vieux révolutionnaire pour enfoncer encore plus la classe ouvrière dans la contre-révolution. En reprenant les erreurs de leur maître et en les poussant jusqu’à leur caricature, les organisations trotskistes n’ont pas mis longtemps pour occuper franchement leur place sur l’échiquier politique bourgeois, aux côtés de tous ceux qui d’une façon ou d’une autre œuvrent afin que se perpétue ce système d’exploitation.
Le groupe français Lutte ouvrière se distingue au sein de la famille trotskiste par sa fidélité sans borne à ce dogme. Pour lui ce n’est pas seulement l’URSS de Staline qui n’est pas impérialiste, mais aussi celle de Khrouchtchev et celle de Brejnev. Et, forme suprême de cette fidélité à toute épreuve, la Russie de Poutine tout autant. Dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie, cette position conduit en toute logique Lutte ouvrière à ne dénoncer qu’un seul des deux camps impérialistes, celui de l’Ukraine et de ses alliés européens et américains. Cela signifie qu’elle soutient l’autre camp impérialiste, celui de la Russie. C’est donc le chauvinisme et la défense de la patrie que défend LO en bonne organisation appartenant au camp de la bourgeoisie et non pas l’internationalisme prolétarien !
C’est ce que nous avons pu constater encore une fois lors du meeting de Lutte ouvrière (LO) à Nantes, le 17 novembre dernier. L’exposé a répété que la Russie était faible économiquement, qu’elle avait un budget militaire bien plus faible que les États-Unis ou même la France, ce qui était présenté comme un argument solide. C’est vrai que la Russie est très faible économiquement. Cependant, même si elle n’a pas les mêmes moyens que les États-Unis ou la France, elle a malgré tout un budget militaire proportionnellement très important. Elle était en 2021 le deuxième exportateur d’armes (19 % des armes vendues) derrière les États-Unis (39 %) et devant la France (11 %). La Russie est donc un pays impérialiste comme l’était déjà l’URSS. Il suffit de se souvenir des accords de Yalta en 1945 où les trois grands impérialistes vainqueurs, Churchill, Roosevelt et Staline, se sont partagés le monde. Ou encore lorsque l’URSS envahit l’Afghanistan en 1979 pour trouver un débouché vers les mers chaudes. Poutine a emporté avec lui l’héritage impérialiste du Tsar, de Staline et s’est empressé de lancer plusieurs guerres impérialistes pour protéger son territoire ou de bombarder les civils en Syrie, profitant des difficultés de l’impérialisme américain pour s’implanter au Moyen-Orient.
Notre intervention, lors du meeting de LO, avait pour but principal de rappeler la position de principe internationaliste et de dénoncer la position bourgeoise de LO en reprenant les grandes lignes de ce que nous venons d’exposer. La réponse apportée a été bien mince. Au milieu d’un discours insipide ne ressortait qu’un seul argument : « Le CCI met tout sur le même plan. Que faites-vous de la guerre d’Algérie ? » La guerre d’Algérie (1954-1962) est justement un bon exemple. Elle confirme la position de Rosa Luxemburg sur la fin des luttes de libération nationale à l’époque de l’impérialisme. Arrivée trop tard sur un marché mondial déjà partagé, l’Algérie a été obligé de se vendre à l’un ou à l’autre des grands impérialistes, l’URSS ou les États-Unis, pour essayer de survivre sans jamais pouvoir créer une véritable industrie, (1) les prolétaires algériens étant obligés d’aller vendre leur force de travail dans l’ancien pays colonisateur. Broyée par le système impérialiste mondial, l’Algérie devint elle-même un pays impérialiste comme son voisin le Maroc avec lequel elle n’a cessé de s’affronter militairement pour défendre ses intérêts impérialistes pour des questions de frontières comme au Sahara occidental par exemple.
Loin de mettre toutes les guerres dans le « même sac », le CCI reprend la démarche du marxisme, celle de Lénine et de Luxemburg, qui consiste à replacer chaque guerre dans sa période historique, aujourd’hui celle de la décadence du capitalisme, où l’enjeu est devenu : Révolution communiste ou destruction de l’humanité !
Après la défaite de la vague révolutionnaire internationale et son expulsion d’URSS, Trotsky est resté aveugle devant la contre-révolution à l’œuvre en Russie malgré la terreur stalinienne et la surexploitation du prolétariat. Il s’est bercé d’illusion sur un effondrement possible de la clique stalinienne, cherchant toujours à s’allier avec ce qu’il croyait discerner comme une tendance de gauche au sein de celle-ci. Dans ce but, il caractérisa le régime « soviétique » non pas comme un système capitaliste d’État mais comme un « État ouvrier dégénéré » où subsisteraient certains acquis de la révolution d’Octobre, ce qui voulait dire qu’il fallait à tout prix défendre ce qui n’avait pourtant plus rien d’un bastion prolétarien contre toute agression des autres pays. Une position intenable ! Rongé par ces contradictions et par des crises à répétition, le trotskisme a fait faillite au moment du déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Il passa alors irrémédiablement dans le camp de la bourgeoisie en soutenant le camp des alliés, c’est-à-dire celui qui prônait à la fois l’idéologie antifasciste, qui avait permis d’embrigader le prolétariat dans la nouvelle guerre impérialiste, et la défense de la patrie socialiste qui dissimulait en fait la réalité du retour de la bourgeoisie à la tête de l’État russe. Alors qu’en 1945 l’armée russe, comme toute armée d’une puissance impérialiste, envahissait l’Allemagne vaincue en tuant des civils, en pillant et en violant, la presse de l’ancêtre de LO saluait l’avancée de l’armée rouge qui, pour lui, rapprochait toujours plus le jour de la révolution prolétarienne mondiale. Ce passage dans le camp de la bourgeoisie est définitif et toutes les variantes du trotskisme ont abandonné le combat pour l’émancipation du prolétariat, l’internationalisme et n’ont cessé depuis de soutenir de manière ouverte ou plus sournoise un camp impérialiste contre un autre. (2)
Avec un tel début, la suite de la réunion était prévisible. De nombreux jeunes étaient présents et visiblement certains d’entre eux étaient à la recherche de réponses pour toutes les questions engendrées par cette situation de crise et de guerre. Ils étaient déterminés dans la recherche d’un cadre politique cohérent et d’une perspective révolutionnaire. Leurs questions étaient naturellement très générales : « Qu’est-ce que le communisme ? Comment lutter pour sa victoire ? » Évidemment, à ces questions générales, LO s’est contenté de répondre de façon très générale et les participants durent s’en contenter. Rien sur la nécessité d’une révolution internationale et l’impossibilité du socialisme en un seul pays, rien sur l’insurrection et l’attitude à avoir face à l’État bourgeois, rien sur la dictature du prolétariat et le nouvel État post-révolutionnaire, rien sur la guerre civile révolutionnaire, rien sur les tâches du prolétariat durant la période de transition au communisme, rien sur les caractéristiques de la société communiste qui représente le but final du combat prolétarien ! (3)
À la question : « Qu’est-ce que le communisme ? », la réponse de LO était : « L’abolition de la propriété privée des moyens de production. » Les auditeurs repartiront avec l’idée que le prolétariat ayant pris le pouvoir n’aura qu’à nationaliser les entreprises, et c’est d’ailleurs sans nul doute la vision des militants de LO sur les tâches de la révolution. L’expérience russe a pourtant invalidé la position de Trotsky qui voyait la propriété nationalisée en URSS comme une preuve du caractère prolétarien de l’État. C’était là réduire le capital à une simple forme juridique au lieu de l’appréhender comme un rapport social.
À la question : « Est-ce que la nature humaine, bien souvent égoïste, n’empêche pas la réalisation de cet idéal ? », les participants ont eu pour toute réponse : « Les ouvriers étouffent dans le capitalisme et n’ont pas le droit de s’exprimer, de participer à la gestion de la société. Avec les conseils ouvriers et la démocratie ouvrière, tous pourront participer à la révolution et à la construction du communisme. » Rien sur le combat que doivent mener les prolétaires pour que les conseils ouvriers conservent le pouvoir et empêcher la fusion avec l’État de transition qui avait entraîné leur déclin en Russie dès 1918.
À la question : « Que peut-on faire de concret dès aujourd’hui ? », la réponse a été : « Il y a eu une grève à La Poste récemment. Certes nous n’avons pas pu créer un comité de grève mais nous avons pu constater et encourager la combativité des ouvriers. » Bien entendu, LO est incapable d’expliquer quels sont les besoins de la lutte revendicative, comment déjouer les pièges de la bourgeoisie et quelle est la fonction des syndicats.
Les flous et les silences ont été les plus significatifs face à la question : « Et si la bureaucratie confisque une fois de plus la révolution ? » Pour répondre à cette question, il est indispensable de tirer les leçons de la révolution et de la contre-révolution. C’est la première chose à dire aux jeunes qui veulent s’engager politiquement dans le camp du prolétariat. Ces leçons expliquent que la bureaucratie qui a envahi l’appareil d’État et le parti bolchevik, bureaucratie contrôlée par Staline et ses amis, n’était pas une tendance politique erronée, centriste au sein du camp prolétarien comme le pensait Trotsky, mais qu’elle était le fer de lance de la contre-révolution bourgeoise. Cette contre-révolution bourgeoise s’est progressivement imposée à la faveur de l’isolement de la révolution et de l’identification entre le parti et l’État. Trotsky ne voyait pas la contre-révolution, se bornant dramatiquement à dénoncer le risque d’un « Thermidor » engendré par tous ceux qui poussaient au retour de la propriété privée (les hommes de la NEP, les koulaks, la droite de Boukharine).
La fonction du trotskisme est de rabattre les ouvriers qui prennent conscience de leurs intérêts de classe vers l’idéologie de la bourgeoisie. Dans les luttes revendicatives, là où les ouvriers sont au contact des syndicats et commencent à prendre conscience de leur rôle de saboteurs, LO va tout faire pour les rabattre vers le syndicalisme de base. Lorsque les ouvriers commencent à se détourner des partis de gauche (qui appartiennent en fait à l’appareil politique de la bourgeoisie, tout comme « l’extrême-gauche ») et des élections, LO appelle au front unique avec la gauche « de gouvernement », participe aux élections et appelle à voter au second tour pour un candidat du parti socialiste (pour F. Mitterrand puis pour S. Royal).
Comme nous l’avons vu avec le meeting de LO, il faut inclure dans cette fonction du trotskisme l’encadrement des jeunes éléments qui cherchent à rejoindre le combat prolétarien en les décourageant ou en les embrigadant dans l’activisme et la confusion. À aucun moment LO n’a défendu réellement le programme de la révolution prolétarienne et du communisme. Rien de plus naturel puisqu’elle appartient au camp de ceux que Lénine appelait les social-chauvins, socialistes en parole, chauvins en fait.
Avrom & Romain
1 La décolonisation n’a pas empêché les pays centraux de maintenir leur domination sur les pays périphériques et de fermer la porte à un réel développement économique chez ceux-ci. Les seules exceptions sont quelques pays qui vivent de la rente pétrolière dans une situation précaire qui dépend du bon vouloir des pays les plus puissants, et la Chine qui a bénéficié d’abord du soutien américain et ensuite du choc de l’effondrement du bloc impérialiste russe, puis de la dissolution du bloc américain qui en a découlé, pour contrôler une plus grande part du marché mondial.
2 Par exemple lors de la guerre en Irak au début des années 1990. Voir notre article « Les trotskistes, pourvoyeurs de chair à canon », dans Révolution internationale n° 199, mars 1991.
3 On trouvera des réponses détaillées à toutes ces questions dans notre brochure : Le Communisme n’est pas un bel idéal.
De Grande-Bretagne à la France en passant par l’Espagne et les Pays-Bas, les luttes ouvrières se multiplient sous les effets de l’inflation, l’intensification de l’économie de guerre et les attaques frontales de la bourgeoisie sur les conditions de vie et de travail.
Quelle est la signification de ces luttes ? Quelles potentialités contiennent-elles ? Comment la bourgeoisie réplique-t-elle ? Comment la classe ouvrière peut-elle aller plus loin dans ces luttes ?
Venez discuter de toutes ces questions lors des réunions publiques organisées par le CCI dans les villes suivantes :
Lille : le 18 mars à partir de 15H00, bistrot « Les Sarrazins », 52 rue des Sarrazins (Métro « Wazemmes »).
Lyon : le 25 mars à partir de 15H00, au CCO Jean Pierre Lachaize (salle 5), 39 rue G.Courteline, 69100 Villeurbanne.
Marseille : le 8 avril à partir de 15H00, Local Mille Babords, 61 rue Consolat, 13001 Marseille.
Nantes : le 8 avril à partir de 15H00, Salle de la Fraternité, 3 rue de l'Amiral Duchaffault, 44100 Nantes, (Station de tramway "Duchaffault", ligne 1).
Paris : le 1er avril à partir de 15H00, au CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, (Métro "Rue des boulets").
Rennes : le 25 mars à partir de 14H30, Maison de quartier de Villejean, Salle Mandoline, 2 rue de Bourgogne, 35000 Rennes.
Toulouse : le 25 mars à partir de 14H00, Espace François Laffont, 1 rue Léon Jouhaux, 31500 Toulouse, (Métro A station "Jolimont").
Nous publions ici la déclaration de camarades en Turquie sur le tremblement de terre qui a frappé la Turquie et la Syrie. Nous saluons la réponse rapide des camarades à ces terribles événements, dans lesquels le nombre officiel de morts a déjà dépassé les 21 000 et risque d’être beaucoup plus élevé, y compris ceux qui ont survécu au tremblement de terre initial mais qui doivent maintenant faire face à la faim, au froid et à la maladie. Comme le montre la déclaration, cette catastrophe « naturelle » a été rendue beaucoup plus meurtrière par les exigences impitoyables du profit et de la concurrence capitalistes, qui ont obligé les gens à vivre dans des logements totalement inadaptés et fragiles. Les effets particulièrement catastrophiques du récent tremblement de terre illustrent l’accentuation du mépris de la bourgeoisie pour la vie et la souffrance de la classe ouvrière et des opprimés aujourd’hui, dans la période où le mode de production capitaliste se décompose à tous égards. En particulier, le fait que cette catastrophe se déroule au milieu d’un théâtre de guerre impérialiste en aggrave considérablement l’impact. L’épicentre du séisme se trouvait à Maraş, dans la région majoritairement kurde longtemps théâtre du conflit entre l’État turc et les nationalistes kurdes. Dans le nord de la Syrie, un grand nombre de victimes sont des réfugiés qui ont tenté de se mettre à l’abri de la guerre meurtrière en Syrie, et qui vivaient déjà dans des conditions infernales, exacerbées par le bombardement délibéré des hôpitaux par le régime Assad dans des villes comme Alep. La confrontation permanente entre les factions capitalistes belligérantes dans la région constituera également un obstacle politique et matériel aux efforts de sauvetage déjà insuffisants.
Nous voulons toutefois signaler deux problèmes dans ce texte et dont les camarades ont convenu. Le premier est son titre : « Seule la solidarité de classe prolétarienne peut nous sauver ! ». Ce n’est pas en soit la solidarité prolétarienne qui permettra de mettre fin aux maux du capitalisme, mais le renversement de ce système. Il n’y a pas de « solutions » à la crise historique du capitalisme en son sein. Enfin, la phrase suivante n’est pas juste : « Déjà, dans le monde entier, des travailleurs et des équipes de recherche et de sauvetage expriment leur solidarité pour aider les survivants. Cette solidarité, qui est l’une des plus grandes armes du prolétariat, est une nécessité vitale ». En effet, à l’exception des tous premiers jours, les équipes de secours dépêchées sur place étaient constituées de professionnels, bien souvent envoyées par les États, ce qui n’a rien à voir avec la solidarité prolétarienne.
CCI
Le désastre porte un nom : le capitalisme ! Seul son renversement peut épargner de telles souffrances à l’humanité !
Il n’est pas encore possible de saisir exactement la mesure des effets destructeurs du tremblement de terre qui a eu lieu à Maraş (6 février 2023), et qui a également frappé les provinces voisines et la Syrie. Déjà, les médias affirment que plus de dix mille bâtiments ont été détruits, que des milliers de personnes sont mortes sous les décombres et que des dizaines de milliers de personnes ont été blessées. Les communications avec certaines villes sont coupées depuis deux jours. Des routes, des ponts, des aéroports ont été détruits. On rapporte qu’un incendie s’est déclaré dans le port d’Iskenderun. Les connexions d’électricité, d’eau et de gaz naturel sont coupées dans de nombreuses régions. Ceux qui ont survécu au séisme doivent maintenant lutter contre la faim et le froid dans des conditions hivernales difficiles. Des nouvelles très graves nous parviennent également des zones touchées par le séisme en Syrie, qui est sous l’occupation militaire de la Turquie.
Deux importants tremblements de terre consécutifs sont certes inhabituels. Cependant, contrairement à ce que prétendent la classe dirigeante et ses partis, cela ne signifie pas que les destructions causées par les séismes sont normales. Les appels écœurants à l'« unité nationale » lancés tant par l’opposition que par les partis capitalistes au pouvoir ne peuvent cacher un fait que tout le monde connaît : le capitalisme et l’État sont les principaux responsables de ces destructions.
1- Nous savons que le prolétariat, en tant que classe, fera preuve d’une solidarité sous toutes ses formes dans l’action pour ceux qui se sont retrouvés sans abri, blessés et ont perdu leurs proches dans les zones touchées par le séisme. Des centaines de travailleurs des mines se sont déjà portés volontaires pour participer aux efforts de recherche et de sauvetage dans la zone dévastée.. Les prolétaires n’ont personne d’autre qu’eux-mêmes à qui faire confiance. Nous ne pouvons espérer notre émancipation que par notre propre classe, par l’unité, et non par la classe dominante et son État.
2- Les expériences sismiques passées en Turquie sont la preuve des effets destructeurs et mortels de l’urbanisation qui s’est développée dans le but de reproduire la société du Capital. La seule raison pour laquelle on construit des immeubles à étages incapables d’affronter les tremblements de terre, dans lesquels des gens s’entassent et forment des villes densément peuplées dans les zones sismiques, est de répondre aux besoins de main-d’œuvre abondante et bon marché que recherche le Capital. Après les séismes de Gölcük et de Düzce il y a 20 ans (dans la région de la mer de Marmara), ce séisme démontre une fois de plus la superficialité de toutes les « mesures » prises par l’État et les larmes de crocodile versées par la classe dirigeante. Ce tremblement de terre et ses effets prouvent déjà douloureusement que la raison principale de l’existence de l’État n’est pas de protéger la population pauvre et prolétaire, mais de protéger les intérêts du capital national.
3- Alors pourquoi le capitalisme ne construit-il pas une infrastructure permanente et solide, même si les catastrophes détruisent régulièrement et systématiquement sa propre infrastructure de production ? Parce que sous le capitalisme, les bâtiments, les routes, les barrages, les ports, bref, les investissements en infrastructures en général, ne sont pas construits dans une optique de permanence ou de besoins humains. Dans le capitalisme, tous les investissements en infrastructures, qu’ils soient réalisés par l’État ou par des entreprises privées, sont construits dans un but de rentabilité et de maintien du système de travail salarié. Les populations denses sont entassées dans des villes inhabitables. Même s’il n’y a pas de tremblement de terre, les villes et les zones rurales sont constituées de bâtiments insalubres en béton qui peuvent durer tout au plus 100 ans. La terrible urbanisation capitaliste des 40 dernières années a transformé les villes et même les villages de Turquie en de véritables cimetières de béton. Le système capitaliste basé sur la production de plus-value ne peut être maintenu qu’en employant autant de main-d’œuvre vivante que possible, c’est-à-dire des prolétaires, et en maintenant au minimum les investissements en capital fixe, c’est-à-dire les infrastructures. Dans le capitalisme, la construction est une activité permanente, mais la permanence du bâtiment, son harmonie avec l’environnement et sa réponse aux besoins humains sont totalement ignorés. C’est la règle dans le capitalisme occidental avancé ainsi que dans les capitalismes plus faibles d’Afrique et d’Asie. Le seul objectif social du capital et de ses États est de perpétuer l’exploitation d’un nombre toujours plus grand de prolétaires.
4- L’ordre capitaliste n’est même pas en mesure de proposer des solutions permettant de reproduire son propre ordre d’exploitation. Face aux catastrophes « naturelles », le Capital est non seulement insouciant mais aussi impuissant. Nous voyons cette impuissance même dans le manque de coordination des organisations d’aide sous le contrôle des États-nations et l’incurie de l’État dans la distribution de l’aide d’urgence. Nous le voyons non seulement dans des pays comme la Turquie, où le capitalisme en décomposition a été plus profondément touché, mais aussi dans des pays au cœur du capitalisme, comme l’Allemagne, qui était impuissante face aux inondations il y a deux ans, ou les États-Unis, dont les routes et les ponts s’effondrent lors d’inondations en raison de la faiblesse des investissements dans les infrastructures.
5- Le fait que certaines parties de l’opposition bourgeoise trouvent l’État « incapable » d’« aider » les victimes du séisme présente une vision trompeuse sur la nature de l’État. L’État n’est pas une agence d’aide. L’État est l’appareil collectif de violence d’une classe exploiteuse minoritaire. L’État protège les intérêts du Capital. Certes, puisque le règne du chaos dans une zone sinistrée va à la fois montrer la faiblesse de la classe dominante et entraver la reproduction du Capital lui-même, l’État sera contraint d’organiser un niveau minimum d'« aide ». Mais il semble que l’État soit incapable de fournir même cette aide minimale. Quelle que soit l’intervention de l’État dans la catastrophe, sa fonction principale est de contenir le prolétariat et de concurrencer les autres pays capitalistes dans l’intérêt de son propre Capital national. L’État est la machine idéologique et physique qui aide l’accumulation du Capital, le gardien des conditions qui poussent les travailleurs dans des cercueils de béton mortels et les laissent sans défense face aux catastrophes.
6- Il n’y a rien de « naturel » dans les épidémies, les famines et les guerres que nous avons connues ces dernières années et dont les effets se font sentir dans le monde entier. Bien qu’il soit impossible de prévoir le moment d’un tremblement de terre avant qu’il ne se produise, on peut prédire avec certitude les lignes de faille des tremblements de terre et leur éventuelle magnitude. Le principal agent responsable de tous ces désastres est le capitalisme et les États-nations, l’ensemble de la classe dirigeante existante, qui organise la société autour de l’extraction de la plus-value et du travail salarié, qui exacerbe la compétition militaro-nationaliste et qui menace l’existence et l’avenir de l’humanité. Tant que le capitalisme continuera à dominer, tant que l’humanité continuera à rester divisée en États-nations et en classes, ces catastrophes continueront à se produire, devenant plus meurtrières, plus destructrices et plus fréquentes. C’est l’indication la plus claire de l’épuisement du capitalisme. Partout dans le monde, la classe dirigeante pousse l’humanité vers des guerres, des villes horribles et inhabitables, la faim et la famine, une gigantesque crise climatique mondiale.
Le séisme qui a eu lieu à Maraş et dans ses environs est la dernière preuve concrète et douloureuse que la classe dirigeante n’a aucun avenir positif à offrir à l’humanité. Mais cela ne doit pas nous conduire au pessimisme. La solidarité dont notre classe a fait et fera preuve lors de ce tremblement de terre doit nous donner de l’espoir. Les catastrophes sont dévastatrices non pas parce qu’elles n’ont pas de solution, mais parce que notre classe, le prolétariat, n’a pas encore la confiance en lui nécessaire pour changer le monde et sauver l’humanité du fléau du Capital. Les ressources de l’humanité et de la terre sont suffisantes pour construire des habitations et des cités permanentes et sûres qui nous protégeront des catastrophes. La voie vers cela s’ouvrira lorsque le prolétariat, la seule force capable de mobiliser les ressources du monde pour sa libération, développera sa confiance en lui-même et s’engagera dans une lutte mondiale pour prendre le pouvoir à la classe capitaliste corrompue.
Un groupe de communistes internationalistes de Turquie, 7 février 2023
Des millions de travailleurs, d’étudiants, de retraités battent le pavé depuis des semaines contre la réforme des retraites. Dans les cortèges, les manifestants expriment beaucoup d’enthousiasme et une grande fierté de se retrouver par millions dans les rues : « ensemble, nous sommes plus forts » ! Les luttes qui se déroulent simultanément dans de nombreux pays, particulièrement au Royaume-Uni et en France, se caractérisent par un fait nouveau : pour la première fois depuis longtemps, les travailleurs du public et du privé, les salariés en blouse (blanche ou bleue) et ceux en cravate, les étudiants précaires, les chômeurs et les intérimaires, tous commencent, de façon encore très confuse et balbutiante, à se reconnaître comme une force sociale unie par les mêmes conditions d’exploitation : la classe ouvrière.
Nous produisons tout. Sans notre travail, il n’y a pas de profit, pas de marchandises, plus rien ne fonctionne, ni les usines, ni les hôpitaux, ni les écoles, ni les centres commerciaux. Sans notre travail, les déchets s’entassent, personne ne peut manger ni boire, se vêtir ou se soigner. Sans notre travail, rien ne sort des usines et des ports, ni les automobiles, ni les avions, ni les boites de conserve… C’est en substance l’idée qui commence à émerger dans la tête des ouvriers. C’est la raison pour laquelle beaucoup ressentent très justement que notre plus grande force dans la lutte réside dans notre unité.
La colère est immense, le sentiment de devoir se battre tous ensemble l’est tout autant. Mais, chacun perçoit également que les « balades » syndicales, aussi nombreux que nous puissions être dans les rues, ne suffisent pas. Cette mobilisation massive ne semble pas faire trembler le gouvernement, bien décidé à imposer sa réforme. Pour beaucoup, sans « durcir la riposte », plus le mouvement va durer, moins il y aura de gens dans la rue et en grève.
Alors que faire ? Comment les exploités peuvent-ils transformer, dans la durée, la force collective qu’ils perçoivent de plus en plus clairement en véritable rapport de force face à la bourgeoisie ?
Les syndicats et les partis de gauche ont immédiatement mis en avant un mot d’ordre qui, en apparence, paraît s’inscrire dans un combat unitaire et massif : si le gouvernement ne recule pas, à partir du 7 mars, il faudra « bloquer l’économie » et « mettre la France à l’arrêt ». Certains appelaient même à la « grève générale ».
Ces mots d’ordre ont souvent été repris par les grévistes et les manifestants. Après tout, cette tactique ne s’appuie-t-elle pas sur la principale force des ouvriers en lutte ? Ne pouvons-nous pas mettre à genoux la bourgeoisie en cessant de travailler massivement si nous produisons tout ?
Ce n’est pas la première fois que les syndicats mettent en avant une telle tactique de blocage. En 2010, lors de la précédente réforme des retraites, les manifestations se sont succédé, rassemblant chaque fois des millions de personnes. Tandis que les seuls défilés de rues apparaissaient, aux yeux de tous, impuissants et stériles, des minorités ont cherché des méthodes de lutte plus radicales et efficaces. Poussé, à l’époque, par la CGT, l’arrêt du « secteur stratégique » des raffineries est alors apparu comme un moyen de faire concrètement pression sur la bourgeoisie en paralysant les transports et l’ensemble de l’économie.
Les ouvriers des raffineries se sont alors mis en grève, bloquant la production et la distribution d’essence. Pourtant, la bourgeoisie française n’a pas reculé. Et pour cause : elle avait largement la capacité de faire face aux blocages. La France, comme beaucoup d’autres pays, dispose, en effet, de plusieurs millions de tonnes de pétrole en réserve lui assurant de nombreux mois d’approvisionnement. Elle peut également s’appuyer sur un réseau international de pipelines pour simplement importer de l’étranger de l’essence par camion. Le gouvernement Fillon a ainsi joué, pendant quelques semaines, un simulacre de panique, occasionnant une ruée vers les stations-services. Le risque de pénurie d’essence et de paralysie de l’économie nationale, n’a donc été qu’une piqûre de moustique sur le dos d’un éléphant, un conte de fée pour endormir les ouvriers.
En fait, derrière ce blocage corporatiste s’est surtout profilée une cuisante défaite pour la classe ouvrière. La bourgeoisie s’est employée à isoler des grévistes parmi les plus combatifs et à diviser le prolétariat. D’un côté, les syndicats s’appuyant sur le contrôle absolu qu’ils exerçaient sur le mouvement, ont isolé les ouvriers des raffineries du reste de leur classe. Leur colère justifiée n’a nullement été le point de départ d’une extension de la lutte. Plutôt qu’organiser des piquets volants devant des entreprises d’autres secteurs pour les gagner au mouvement, la CGT a enfermé les bloqueurs sur leur lieu de travail, avec une parodie de solidarité à travers des caisses de grève pour « soutenir les travailleurs en lutte ». Tout devant se jouer sur le seul blocage des raffineries, il s’agissait de tenir, coûte que coûte, dans une ambiance de citadelle assiégée.
De l’autre côté, à travers une intense campagne sur les risques de pénurie d’essence, le gouvernement et ses médias ont volontairement créé un climat de panique parmi la population. Si, en général, les prolétaires n’ont pas stigmatisé les ouvriers des raffineries et ont même plutôt manifesté une certaine sympathie, l’hystérique propagande médiatique a largement contribué à briser toute réflexion sur la possibilité d’élargir la lutte. Finalement, la répression policière s’est abattue sur les raffineries isolées, laissant la classe ouvrière en France KO debout pendant toute une décennie.
La grève des mineurs de 1984, au Royaume-Uni, est une autre illustration du caractère illusoire du blocage de la production à partir d’un seul secteur. À cette époque, le prolétariat le plus vieux du monde est aussi l’un des plus combatifs. Par deux fois, l’État a même dû retirer ses attaques. En 1969 et 1972, les mineurs sont, en effet, parvenus à créer un rapport de force favorable à la classe ouvrière en imprimant à la grève une dynamique d’extension sortant de la logique sectorielle ou corporatiste. Par dizaines ou par centaines, ils se sont rendus dans les ports, les aciéries, les dépôts de charbon, les centrales, pour les bloquer et convaincre les ouvriers sur place de les rejoindre dans la lutte. Cette méthode deviendra célèbre sous le nom de flying pickets (« piquets volants ») et symbolisera la force de la solidarité et de l’unité ouvrières.
En arrivant au pouvoir en 1979, Thatcher comptait bien briser les reins de la classe ouvrière en isolant un de ses secteurs les plus combatifs, celui des mineurs, dans une grève interminable et épuisante. Durant des mois, la bourgeoisie anglaise s’est préparée au bras de fer en constituant d’énormes stocks de charbon pour faire face au risque de pénurie. En mars 1984, 20 000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans les mines. Comme attendu, la réaction des mineurs a été fulgurante : dès le premier jour de grève, cent puits sur 184 sont fermés. Mais un corset de fer syndical a immédiatement entouré les grévistes pour empêcher tout risque de contamination. Les syndicats des autres secteurs ont soutenu très platoniquement le mouvement, autrement dit, ils ont laissé les mineurs se débrouiller tout seuls, en sabotant activement toute possibilité de lutte commune.
Le National Union of Mineworkers (NUM) a parachevé ce sale boulot en enfermant les mineurs dans des occupations de puits stériles et interminables pendant plus d’un an ! Afin d’éviter que des flying pickets soient envoyés aux portes des entreprises voisines, toute l’attention des ouvriers était focalisée sur la nécessité d’occuper les puits, tous les puits, rien que les puits, coûte que coûte. Bloquer la production du charbon était devenu, sous la houlette syndicale, l’objectif central et unique, une question en soi. Au lieu de voler d’usine en usine, les flying pickets sont restés là, au même endroit, devant les mêmes puits, mois après mois.
La répression policière a également fini par s’abattre sur des mineurs totalement épuisés et isolés. Cette défaite a marqué un tournant, celui d’un reflux de plusieurs décennies de la combativité ouvrière au Royaume-Uni. Elle annonçait même le reflux général de la combativité des ouvriers dans le monde et un recul de leur conscience à partir des années 1990.
Contrairement aux exemples des raffineries en France ou des mines au Royaume-Uni, les syndicats semblent aujourd’hui appeler des millions de personnes à engager des « grèves reconductibles ». Mais la réalité, c’est que, au nom de la force collective du prolétariat, les syndicats cherchent d’ores et déjà à organiser un repli corporatiste. Ils sont aujourd’hui contraints de coller à un mouvement de lutte qui aspire à la solidarité et ils ne peuvent pas appeler caricaturalement un secteur particulier à lutter par procuration pour les autres.
Pourtant, depuis des semaines, les syndicats poussent pour que, tantôt la SNCF, tantôt la RATP, tantôt les raffineries, tantôt les éboueurs ou tel ou tel secteur « durcissent le mouvement », c’est-à-dire engagent des grèves sectorielles. Pour le 7 mars, les syndicats appellent d’ailleurs à des grèves reconductibles « selon les modalités propres à chaque secteur ». Pour le 8 mars, ils appellent à « une journée de grève féministe », cherchant par-là à diviser les ouvriers et les ouvrières, comme ils le font depuis le début du mouvement en répétant ad nauseam que les femmes, les carrières longues, telle ou telle catégorie sont davantage victimes de la réforme.
Pour le moment, les ouvriers ne se sont pas laissés prendre massivement au piège mais c’est bien l’enfermement corporatiste que les syndicats cherchent à imposer sous le vocable de « grève générale ».
Le culte du blocage a toujours été utilisé par les syndicats contre l’unité et la massification de la lutte. Il est très clair que « mettre la France à l’arrêt », outre le relent nationaliste contenu dans la formule, signifie pour eux : enfermer les ouvriers dans leur entreprise, les couper de leurs frères de classe, de toute discussion, de toute solidarité réelle et concrète, et de toute capacité à étendre la lutte. Un mouvement massif de blocage ne peut réussir que par un véritable pouvoir décisionnel au sein d’assemblées générales souveraines, par une véritable prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes, qu’à travers la recherche active de l’extension de la lutte à d’autres secteurs, pas en s’enfermant chacun sur son lieu de travail.
Oui, le blocage de l’économie s’appuie sur une idée profondément juste, celle que commence à percevoir les manifestants : la classe ouvrière tient sa force de la place centrale qu’elle occupe dans la production. Le prolétariat produit presque l’ensemble des richesses que la bourgeoisie s’approprie. Par la grève, les ouvriers sont potentiellement capables de bloquer toute la production et de paralyser l’économie.
Lors des événements de mai 1968 en France et ceux d’août 1980 en Pologne, de gigantesques grèves ont paralysé ces pays. Mais le blocage n’était nullement l’objectif en soi des ouvriers. Si ces deux luttes sont historiques et restent gravées dans les mémoires, c’est parce que le prolétariat a su construire un rapport de force en sa faveur par l’auto-organisation et la massivité de ses luttes. Quand les ouvriers prennent en main leur lutte, ils se regroupent spontanément en assemblées générales pour débattre et décider collectivement des actions à mener, ils cherchent la solidarité de leurs frères de classe en allant à leur rencontre, en essayant de les entraîner dans le mouvement à l’aide de délégations massives.
Lors de ces deux grandes luttes, les grévistes ont surtout cherché à faire tourner l’économie au service de la lutte et de ses besoins. En 1968, par exemple, les cheminots faisaient circuler les trains pour permettre à la population de se déplacer jusqu’aux manifestations. En 1980, dans les moments les plus forts de ce mouvement, la prise en main des moyens de production est allé beaucoup plus loin encore : le comité de grève interentreprises (nommé MKS) a organisé le ravitaillement des grévistes et de toute la population en contrôlant et en faisant tourner les entreprises d’électricité et d’alimentation ou en alimentant en essence les moyens de transports nécessaires pour la lutte.
Il est d’ailleurs très significatif que les cibles du blocage mises en avant par les syndicats soient systématiquement les raffineries, les gares, les aéroports, les autoroutes ou les transports publics. Le secteur des transports est effectivement un élément stratégique pour la lutte ouvrière, mais pour des raisons exactement inverses que celles évoquées par les syndicats : le blocage des trains, des métros ou des bus est souvent un obstacle à l’élargissement de la lutte et peut favoriser le jeu de la bourgeoisie car il entrave la mobilité des travailleurs qui ne sont plus en mesure de se déplacer pour apporter leur solidarité aux grévistes, en se rendant à leurs assemblées générales ou en participant aux manifestations. Les déplacements des délégations de grévistes vers les autres entreprises sont également rendus difficiles. En fait, le blocage total favorise presque toujours l’enfermement dans le corporatisme et l’isolement.
Il n’existe aucune recette magique de lutte prête à l’emploi et valable en toutes circonstances. Toute méthode de lutte (blocage, piquet, occupation…) peut tantôt être au service du mouvement, tantôt un facteur de division et d’isolement. Une seule chose est certaine : la force de la classe ouvrière réside dans son unité, sa conscience de classe, sa capacité à développer sa solidarité et donc à étendre la lutte à tous les secteurs. C’est l’aiguillon qui doit guider nos luttes.
Tr.Bo, 20 février 2023
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Grèves générales et manifestations géantes le 7 mars en France, le 8 mars en Italie, le 11 mars au Royaume-Uni. Partout, la colère gronde et s’étend.
Au Royaume-Uni, une vague de grève historique dure depuis neuf mois ! Après avoir subi des décennies d’austérité sans broncher, le prolétariat britannique n’accepte plus les sacrifices. « Enough is enough ! / Trop c’est trop ! ». En France, c’est le recul de l’âge de départ à la retraite qui a mis le feu aux poudres. Les manifestations rassemblent des millions de personnes dans la rue. « Pas une année de plus, pas un euro de moins ». En Espagne, des rassemblements monstres se forment contre l’effondrement du système de soins et des grèves éclatent dans de nombreux secteurs (nettoyage, transports, informatique…). « La indignación llega de lejos / L’indignation vient de loin » reconnaissent les journaux. En Allemagne, étranglés par l’inflation, les personnels du secteur public et leurs collègues postiers débrayent pour des hausses de rémunération. « Du jamais vu en Allemagne ! ». Au Danemark, des grèves et manifestations ont éclaté contre la suppression d’un jour férié afin de financer la hausse du budget militaire. Au Portugal, enseignants, cheminots et soignants protestent eux aussi contre les bas salaires et le coût de la vie. Pays-Bas, États-Unis, Canada, Mexique, Chine… les mêmes grèves contre les mêmes conditions de vie insupportables et indignes : « La vraie galère : ne pas pouvoir se chauffer, manger, se soigner, rouler ! »
Cette simultanéité des luttes à travers tous ces pays n’est pas un hasard. Elle confirme un véritable changement d’état d’esprit au sein de notre classe. Après plus de trente années de résignation et d’abattement, par nos luttes, nous disons : « Nous ne nous laisserons plus faire. Nous pouvons et nous devons lutter ».
Ce retour de la combativité ouvrière nous permet de nous serrer les coudes dans la lutte, d’être solidaires dans la lutte, de nous sentir fiers, dignes et unis dans la lutte. Une idée toute simple mais extrêmement précieuse est en train de germer dans nos têtes : nous sommes tous dans le même bateau !
Salariés en blouse blanche, en blouse bleue ou en cravate, chômeurs, étudiants précarisés, retraités, de tous les secteurs, du public comme du privé, tous, nous commençons à nous reconnaître comme une force sociale unie par les mêmes conditions d’exploitation. Nous subissons la même exploitation, la même crise du capitalisme, les mêmes attaques contre nos conditions de vie et de travail. Nous menons la même lutte. Nous sommes la classe ouvrière.
« Workers stand together !/ Les ouvriers restent soudés », crient les grévistes au Royaume-Uni. « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! », confirment les manifestants en France.
Certaines luttes du passé montrent qu’il est possible de faire reculer un gouvernement, de freiner ses attaques.
En 1968, le prolétariat en France s’est uni en prenant en main ses luttes. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales se sont propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Face à cette dynamique d’extension et d’unité de la lutte ouvrière, gouvernement et syndicats se sont empressés de signer un accord de hausse généralisée des salaires afin d’arrêter le mouvement.
En 1980, en Pologne, face à l’augmentation des prix de l’alimentation, les grévistes portaient encore plus loin la prise en main des luttes en se rassemblant en d’immenses assemblées générales, en décidant eux-mêmes des revendications et des actions, et surtout en ayant pour souci constant d’étendre la lutte. Face à cette force, ce n’est pas simplement la bourgeoisie polonaise qui a tremblé mais celle de tous les pays.
En 2006, en France, après seulement quelques semaines de mobilisation, le gouvernement a retiré son « Contrat Première Embauche ». Pourquoi ? Qu’est-ce qui a fait peur à la bourgeoisie au point de la faire reculer si rapidement ? Les étudiants précaires ont organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités, ils ont mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Ces AG étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions se prenaient. Résultat : chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les travailleurs salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan : « Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ». La bourgeoisie française et le gouvernement, face à cette tendance à l’unification du mouvement, n’avait pas eu d’autre choix que de retirer son CPE.
Aujourd’hui, travailleurs salariés, chômeurs, retraités, étudiants précaires, nous manquons encore de confiance en nous, en notre force collective, pour oser prendre en main nos luttes. Mais il n’y a pas d’autre chemin. Toutes les « actions » proposées par les syndicats mènent à la défaite. Piquets, grèves, manifestations, blocage de l’économie… peu importe tant que ces actions restent sous leur contrôle. Si les syndicats changent la forme de leurs actions selon les circonstances, c’est pour toujours mieux conserver le même fond : diviser et isoler les secteurs les uns des autres pour éviter que nous débattions et décidions nous-mêmes de la conduite de la lutte.
Depuis neuf mois, au Royaume-Uni, que font les syndicats ? Ils éparpillent la riposte ouvrière : chaque jour, un secteur différent en grève. Chacun dans son coin, chacun sur son piquet. Aucun rassemblement, aucun débat collectif, aucune réelle unité dans la lutte. Il ne s’agit pas là d’une erreur de stratégie mais d’une division volontaire.
Comment en 1984-85, le gouvernement Thatcher est-il parvenu à briser les reins de la classe ouvrière au Royaume-Uni ? Grâce au sale travail des syndicats qui ont isolé les mineurs de leurs frères de classe des autres secteurs. Ils les ont enfermés dans une grève longue et stérile. Pendant plus d’un an, les mineurs ont occupé les puits, sous l’étendard du « blocage de l’économie ». Seuls et impuissants, les grévistes sont allés au bout de leurs forces et de leur courage. Et leur défaite a été celle de toute la classe ouvrière ! Les travailleurs du Royaume-Uni ne relèvent la tête qu’aujourd’hui, plus de trente ans après ! Cette défaite est donc une leçon chère payée que le prolétariat mondial ne doit pas oublier.
Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie et qui s’étend, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations. Des AG dans lesquelles nous nous sentons unis et confiants en notre force collective. Des AG dans lesquelles nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices. Des AG dans lesquelles nous nous rassemblons et depuis lesquelles nous pouvons partir en délégations massives à la rencontre de nos frères de classe, les travailleurs de l’usine, de l’hôpital, de l’établissement scolaire, de l’administration les plus proches.
« Peut-on gagner ? » La réponse est donc oui, parfois, si, et seulement si, nous prenons nos luttes en main. On peut freiner les attaques momentanément, faire reculer un gouvernement.
Mais la vérité, c’est que la crise économique mondiale va faire sombrer des pans entiers du prolétariat dans la précarité. Pour s’en sortir sur l’arène internationale du marché et de la concurrence, chaque bourgeoisie de chaque pays, que son gouvernement soit de gauche, de droite ou du centre, traditionnel ou populiste, va nous imposer des conditions de vie et de travail de plus en plus insoutenables.
La vérité, c’est qu’avec le développement de l’économie de guerre aux quatre coins de la planète, les « sacrifices » exigés par la bourgeoisie vont être de plus en plus insupportables.
La vérité, c’est que l’affrontement impérialiste des nations, de toutes les nations, est une spirale de destruction et de chaos sanglant qui peut mener toute l’humanité vers la mort. Chaque jour se fracasse en Ukraine un torrent d’êtres humains, parfois des gamins de 18 ou 16 ans, fauchés par les abominables instruments de mort russes et occidentaux.
La vérité, c’est que de simples épidémies de grippe ou de bronchiolite mettent désormais à genoux des systèmes sanitaires exsangues.
La vérité, c’est que le capitalisme va continuer de ravager la planète et de détraquer le climat, provoquant inondations, sécheresses et incendies dévastateurs.
La vérité c’est que des millions d’êtres humains vont continuer à fuir la guerre, la famine, les catastrophes climatiques, ou les trois, pour se heurter aux murs de barbelés des autres pays, ou sombrer dans la mer.
Alors, se pose la question : à quoi bon lutter contre les bas salaires, contre le manque de personnel, contre telle ou telle réforme ? Parce que la lutte ouvrière a pour finalité le renversement du capitalisme et de tous ses maux, l’avènement d’un monde sans classes ni exploitation, sans guerre ni frontières : le communisme.
La véritable victoire, c’est la lutte elle-même. Le simple fait de rentrer en lutte, de développer notre solidarité est déjà une victoire. En nous battant tous ensemble, en refusant la résignation, nous préparons les luttes de demain et nous créons petit à petit, malgré les inévitables défaites, les conditions d’un monde nouveau.
Notre solidarité dans la lutte est l’antithèse de la compétition jusqu’à la mort de ce système divisé en entreprises et nations concurrentes.
Notre solidarité entre les générations est l’antithèse du no future et de la spirale destructrice de ce système.
Notre lutte symbolise le refus de se sacrifier sur l’autel du militarisme et de la guerre.
Le combat de la classe ouvrière est immédiatement une remise en cause des bases mêmes du capitalisme et de l’exploitation.
Chaque grève porte en elle les germes de la révolution.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 1er mars 2023
L’appel au blocage de l’économie et à des grèves reconductibles par les syndicats à partir du 7 mars a ravivé le spectre de la « grève générale », un slogan que nous avons régulièrement entendu dans les dernières manifestations et que les organisations de gauche et de l’extrême-gauche du capital ne se lassent pas de propager. Or, le mythe du « grand soir », véhiculé longtemps par le syndicalisme révolutionnaire, contenant l’idée naïve que la société peut-être transformée du jour au lendemain par un arrêt total de la production capitaliste par les exploités ne résiste pas à l’épreuve de l’histoire et surtout véhicule une conception totalement déformée de la dynamique de la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. Le phénomène de grève de masse au contraire, analysé par Rosa Luxembourg dans la brochure Grève de masse, partis et syndicats, après la révolution en Russie en 1905, demeure la forme de lutte caractéristique de la période de décadence du capitalisme. Il s’agit là d’une leçon fondamentale. Elle seule permet d’ouvrir la voie vers la révolution prolétarienne. Nous invitons nos lecteurs à consulter les deux articles ci-dessous qui traitent largement des caractéristiques historiques de la grève de masse en démontrant ce faisant la stérilité et l’impasse de la vision de la « grève générale ».
- « La grève de masse », [28]Révolution internationale [28] n°81, (janvier 1981) [28].
- « Notes sur la grève de masse », [29]Revue internationale [29] n°27, (4 [29]e [29] semestre 1981) [29].
Depuis plusieurs semaines, les médias braquent les projecteurs sur les conséquences de la réforme des retraites sur les conditions de vie et de travail des femmes. Les syndicats ont donc profité de la journée de la femme, le 8 mars, pour dénaturer une nouvelle fois cette journée puisant ses origines dans l’histoire du mouvement ouvrier, en la transformant en une gigantesque mascarade démocratique et réformiste. Il n’est pas nécessaire d’une énième réforme des retraites pour prendre la mesure du sort particulièrement ignoble que le capitalisme réserve aux femmes et ce depuis la période primitive de ce mode de production. Ce faisant, les femmes exploitées, comme leurs frères de classe, n’ont absolument rien à gagner dans cette société. Par conséquent, l’appel des syndicats à lutter le 8 mars pour les droits des femmes n’est qu’un leurre visant qu’à diviser le mouvement en cours que mène conjointement l’ensemble de la classe ouvrière en France : hommes et femmes, jeunes et vieux, salariés du secteur public comme du privé…
Comme le développe l’article ci-dessous déjà paru dans notre presse, l’abolition de l’oppression féminine fait partie intégrante de la lutte historique de la classe ouvrière pour l’avènement du communisme.
- « Journée internationale des femmes : seule la société communiste peut mettre fin à l’oppression des femmes [32] ».
Depuis plusieurs mois, les luttes se multiplient dans de nombreux pays du monde. En Angleterre, en France, au Mexique, en Espagne, en Chine et ailleurs, la classe ouvrière réagit face à l’aggravation de la crise économique et aux attaques de la bourgeoisie.
Comme nos lecteurs ont pu le constater, le CCI intervient régulièrement par voie de presse pour mettre en évidence le retour de la combativité ouvrière à l’échelle internationale. Ce dossier compile l’ensemble des articles, des tracts ou d’anciens articles faisant écho à la situation actuelle, publiés récemment sur notre site.
– Bilan du mouvement contre la réforme des retraites : la lutte est devant nous ! (TRACT) [34]
– Royaume-Uni, France, Allemagne, Espagne, Mexique, Chine… Aller plus loin qu’en 1968 ! (TRACT) [35]
– Face à la crise et à l’austérité... La classe ouvrière relève la tête partout dans le monde ! [36]
– En France comme ailleurs… Une même lutte ! Un même combat de classe ! [37]
– La bourgeoisie fait feu de tout bois pour pourrir la lutte ! [38]
– “Dialogue social” et “démocratie” contre la conscience de classe [39]
– 11e manifestation contre la réforme des retraites : comment avons-nous gagné en 2006 ? (TRACT) [40]
– Comment cerner la dynamique générale du combat prolétarien ? [41]
– Les violences aveugles et minoritaires des Black-blocs n’ont rien à voir avec la lutte de classe [43]
– NUPES, Révolution Permanente, Lutte Ouvrière… Les grandes manœuvres pour saboter la lutte ouvrière ! [44]
– Grèves, manifestations, 49-3... Et maintenant ? [45](TRACT) [42]
– La grève de masse contre le mythe de la grève générale [46]
– La combativité et la solidarité des prolétaires s’expriment aussi en Grèce [47]
– Seule la révolution communiste peut mettre fin à l’oppression des femmes [48]
– La grève de masse contre le mythe de la grève générale [46]
– Partout la même question: Comment développer la lutte? Comment faire reculer les gouvernements ? [49](TRACT) [42]
– Nous ne sommes pas seuls à nous mobiliser... Il y a des luttes ouvrières dans de nombreux pays ! [50](TRACT) [42]
– The Spectator et les "gaulois réfractaires" [51]
– Être nombreux ne suffit pas, il faut aussi prendre nos luttes en mains [52](TRACT) [42]
– Comment développer un mouvement massif, uni et solidaire ? [53](TRACT) [42]
– Grèves au Royaume-Uni: Le retour de la combativité du prolétariat mondial [54]
– Peut-on faire reculer la bourgeoisie en b [56]loquant l’économie ? [56]
– Lutte Ouvrière et Révolution Permanente, deux artisans du sabotage des luttes ! [57]
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« Ce n’est pas un 49.3 qui va nous faire plier ! »
Face à l’annonce de l’adoption immédiate de la réforme des retraites, la réaction a été fulgurante. Partout en France, la colère a explosé. Dans les centres-villes, travailleurs, retraités, chômeurs, jeunes futurs salariés, nous nous sommes rassemblés par milliers pour crier notre refus d’être exploités jusqu’à 64 ans, dans des conditions de travail insupportables, et pour finir avec une pension de misère. « Éruption », « rage », « embrasement », tels sont les mots de la presse étrangère. Les images de la foule grossissant heure après heure sur la place de la Concorde à Paris ont fait le tour du monde.
Le message est clair :
– Nous n’accepterons plus tous les sacrifices !
– Nous ne courberons plus l’échine sous les ordres de la bourgeoisie !
– Nous sommes en train de retrouver le chemin de la lutte !
– Nous sommes la classe ouvrière !
Depuis le début, certaines personnalités politiques, de Hollande à Bayrou, ont mis en garde Macron sur le « timing » de la réforme : « ce n’est pas le bon moment », « il y a des risques de fracture sociale ». Et ils avaient raison !
Cette attaque a provoqué un mouvement social d’une ampleur inconnue depuis des décennies. Les grèves se multiplient et, surtout, les manifestations nous rassemblent par millions dans les rues. Grâce à cette lutte, nous commençons à comprendre qui est ce « Nous » ! Une force sociale, internationale, qui produit tout et doit lutter de manière unie et solidaire : la classe ouvrière ! « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! » C’est ce qui s’est clairement exprimé, jeudi dernier, dans la manifestation en soutien aux éboueurs d’Ivry que la police venait déloger : ensemble, nous sommes plus forts !
Et ces réflexes de solidarité ne surgissent pas qu’en France. Dans de nombreux pays, les grèves et mouvements sociaux se multiplient. Au Royaume-Uni face à l’inflation, en Espagne face à l’effondrement du système de santé, en Corée du Sud face à l’allongement de la durée de travail… partout, la classe ouvrière se défend par la lutte.
En Grèce, un accident de train a eu lieu il y a trois semaines : 57 morts. La bourgeoisie a évidemment voulu faire porter le chapeau à un travailleur. L’aiguilleur de service a été jeté en prison. Mais la classe ouvrière a immédiatement compris l’arnaque. Par milliers, des manifestants ont pris la rue pour dénoncer la vraie cause de cet accident meurtrier : le manque de personnel et l’absence de moyens. Depuis, la colère ne désenfle pas. Au contraire, la lutte s’amplifie et s’élargit : aux cris de « contre les bas salaires ! », « ras le bol ! ». Ou encore : « nous ne pouvons plus travailler comme des personnes décentes depuis la crise, mais au moins ne nous tuez pas ! ».
Notre mouvement contre la réforme des retraites est en train de participer à ce développement de la combativité et de la réflexion de notre classe au niveau mondial. Notre mouvement montre que nous sommes capables de lutter massivement et de faire trembler la bourgeoisie. Déjà, tous les spécialistes et docteurs en politique annoncent qu’il va être très compliqué pour Macron de faire passer de nouvelles réformes et attaques d’ampleur d’ici la fin de son quinquennat.
La bourgeoisie est consciente de ce problème. Elle est donc en train de nous tendre des pièges, de nous détourner des méthodes de lutte qui nous cimentent et nous rendent forts, d’essayer de nous envoyer dans des impasses.
Depuis l’annonce du 49.3, les partis de gauche et les syndicats nous poussent à la défense de la « vie parlementaire » face aux manœuvres et au « déni de démocratie » de Macron.
Mais des décennies de « démocratie représentative » ont définitivement prouvé une chose : de droite comme de gauche, des plus modérés aux plus radicaux, une fois au pouvoir, ils mènent tous les mêmes attaques et renient tous leurs promesses. Pire, les appels à de nouvelles élections sont le plus sournois des pièges. Il n’a pas d’autre fonction que de couper le prolétariat de sa force collective. Les élections nous réduisent à l’état de « citoyens » atomisés face au rouleau compresseur de la propagande bourgeoise. L’isoloir porte bien son nom !
« Défendre le parlement », « espérer des élections »… ils cherchent à nous faire croire qu’un autre capitalisme est possible, un capitalisme plus humain, plus juste et même, pourquoi pas, plus écologique. Il suffirait qu’il soit bien gouverné. Mensonge ! Le capitalisme est un système d’exploitation aujourd’hui décadent qui entraîne peu à peu toute l’humanité vers toujours plus de misère et de guerre, de destruction et de chaos. Le seul programme de la bourgeoisie, quelle que soit sa couleur politique, quel que soit le masque qu’elle porte, c’est toujours plus d’exploitation !
La démocratie bourgeoise est le masque hypocrite de la dictature capitaliste !
Face à la « surdité » du gouvernement, l’idée grandit que le seul moyen de « se faire entendre », c’est de bloquer l’économie. C’est la compréhension croissante du rôle central de la classe ouvrière dans la société : par notre travail associé, nous produisons toutes les richesses. La grève des éboueurs de Paris le démontre de manière éclatante : sans leur activité, la ville devient invivable en quelques jours.
Mais la gauche et les syndicats dévoient cette idée dans une impasse. Ils poussent à des actions de blocage, chacun dans sa corporation, chacun sur son lieu de travail. Les grévistes se retrouvent ainsi isolés dans leur coin, séparés des autres travailleurs, privés de notre principale force : l’unité et la solidarité dans la lutte.
Au Royaume-Uni, cela fait presque dix mois que les grévistes sont ainsi réduits à l’impuissance malgré leur colère et leur détermination ; parce qu’ils sont divisés par « piquets », chacun à bloquer dans sa boîte. La défaite historique des mineurs anglais lors de la lutte de 1984-85 face à Thatcher était déjà le fruit de ce même piège : poussés par les syndicats, ils avaient voulu bloquer l’économie en provoquant une pénurie de charbon. Ils avaient tenu pendant plus d’un an et étaient sortis épuisés, laminés, démoralisés. Leur défaite avait été celle de toute la classe ouvrière britannique !
Une partie des manifestants commence même à se dire qu’il faut passer à des modes d’action plus durs : « je ne suis pas violente du tout, mais là, on sent bien qu’il faut faire quelque chose pour que le gouvernement réagisse ». L’exemple des gilets jaunes est de plus en plus mis en avant. Une certaine sympathie pour les saccages des black-blocs se répand.
Penser que l’État bourgeois et son immense appareil répressif (police, armée, services secrets, etc.) puisse être effrayé un tant soit peu par des poubelles en flammes et des vitrines cassées est illusoire. Ce ne sont que des piqûres de moustique sur la peau d’un éléphant. Par contre, toutes ces actions d’apparence « hyper-radicale » sont parfaitement exploitées par la bourgeoisie pour casser… la force collective du mouvement :
– En mettant en avant la moindre vitrine brisée, les médias effraient toute une partie des travailleurs qui voudraient rejoindre les manifestations.
– En provoquant systématiquement des incidents, les forces de l’ordre gazent, dispersent et empêchent ainsi toute possibilité de rassemblement et de discussion en fin de manifestation.
L’action violente minoritaire des casseurs est, en fait, exactement le contraire de ce qui fait vraiment la force de notre classe.
Ces derniers jours, les journaux ont indiqué la possibilité d’un « scénario à la CPE ». En 2006, le gouvernement avait été contraint de retirer son Contrat Première Embauche qui allait plonger la jeunesse dans une précarité encore plus grande. À l’époque, la bourgeoisie avait été effrayée par l’ampleur croissante de la contestation, qui commençait à dépasser le seul mouvement de la jeunesse, des étudiants précaires et des jeunes travailleurs, pour s’étendre à d’autres secteurs, avec des mots d’ordre unitaires et solidaires : « jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ! » lisait-on sur les pancartes.
Cette capacité à étendre le mouvement était le fruit des débats dans de véritables assemblées générales souveraines et ouvertes à tous. Ces AG étaient le poumon du mouvement et ont constamment cherché, non pas à s’enfermer dans les facs ou sur les lieux de travail dans un esprit de citadelle assiégée, pour les bloquer coûte que coûte, mais à étendre la lutte, avec des délégations massives vers les entreprises voisines. Voilà ce qui a fait reculer la bourgeoisie ! Voilà ce qui a fait la force de notre mouvement ! Voilà les leçons que nous devons nous réapproprier aujourd’hui !
La force de notre classe réside dans notre unité, notre conscience de classe, notre capacité à développer notre solidarité et donc à étendre le mouvement à tous les secteurs. C’est l’aiguillon qui doit guider nos luttes.
Dans la lutte, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ! Ni sur les politiciens, ni sur les syndicats ! C’est la classe ouvrière et sa lutte qui portent une alternative, celle du renversement du capitalisme, celle de la révolution !
Aujourd’hui, il est encore difficile de nous rassembler en assemblées générales, de nous organiser nous-mêmes. C’est pourtant le seul chemin possible. Ces AG doivent être des lieux où nous décidons réellement de la conduite du mouvement, où nous nous sentons unis et confiants dans notre force collective, où nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices et partir en délégations massives pour rencontrer nos frères et sœurs de classe dans les usines, les hôpitaux, les écoles, les commerces, les administrations les plus proches.
Aujourd’hui ou demain, les luttes vont se poursuivre, parce que le capitalisme s’enfonce dans la crise et parce que le prolétariat n’a pas d’autre choix. C’est la raison pour laquelle, partout dans le monde, les ouvriers entrent en lutte.
La bourgeoisie va poursuivre ses attaques : inflation, licenciements, précarité, pénurie… Face à cette dégradation des conditions de vie et de travail, la classe ouvrière internationale va reprendre de plus en plus massivement le chemin de la lutte.
Alors, partout où nous le pouvons, dans la rue, après et avant les manifestations, sur les piquets de grève, dans les cafés et sur les lieux de travail, nous devons nous réunir, débattre, tirer les leçons des luttes passées, pour développer nos luttes actuelles et préparer les combats à venir.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 20 mars 2023
À travers cette nouvelle introduction à notre article ci-dessous relatif aux manifestations de rue qui ont eu lieu en Iran en réaction à la barbarie du régime et à leur répression par le pouvoir en place, nous voulons insister davantage sur le danger très important que celles-ci font courir à la classe ouvrière si elle venait à quitter le terrain de lutte de classe en se dissolvant dans un tel mouvement marqué par de fortes illusions démocratiques et toutes sortes de déclinaisons féministes. Cette mise en garde est bien sûr présente dans notre article, mais insuffisamment mise en relief car c’était le message premier que nous devions faire passer, vu que le danger est bien réel pour des fractions de la classe ouvrière en Iran – dont certaines sont par ailleurs impliquées dans des mobilisations sur le terrain de classe de lutte contre l’exploitation capitaliste - de céder aux sirènes de la gauche et de l’extrême gauche du capital appelant à se joindre au vaste mouvement de protestation démocratique de rue. Le titre de notre article, très général, n’est pas non plus au service de cette nécessaire mise en garde. Nous devions également, plus tôt que nous l’avons fait, fermer explicitement la porte à toute illusion selon laquelle, dans la période actuelle, la classe ouvrière en Iran serait déjà à même de constituer une force capable d’ébranler la domination capitaliste en Iran, contrairement à ce que laissent entendre des appels démagogiques « au pouvoir des soviets » émanant de l’extrême gauche du capital. (février 2023)
Les vastes manifestations en Iran ont été déclenchées par le meurtre en détention d’une jeune femme arrêtée pour « port incorrect du hijab » par la police des mœurs du régime, mais elles témoignent d’un mécontentement beaucoup plus profond au sein de la population iranienne, des centaines de milliers de personnes ayant afflué dans les rues et affronté la police. Au-delà d’un écœurement généralisé face à l’oppression ouverte et légale des femmes par la République islamique, elles sont une réaction à l’inflation galopante et aux pénuries exacerbées par les sanctions imposées par l’Occident à l’encontre de l’Iran et fortement aggravées par le lourd et ancien poids d’une économie de guerre gonflée par la poursuite incessante des ambitions impérialistes de l’Iran. Elles sont également une réaction à la corruption sordide de l’élite dirigeante qui ne peut se maintenir que par une répression brutale de toutes les formes de protestation, y compris la résistance de la classe ouvrière à la stagnation des salaires et aux conditions de travail misérables. Le parlement iranien vient d’adopter de nouvelles lois sanctionnant les exécutions pour des crimes « politiques », et des centaines, voire des milliers de manifestants ont été tués ou blessés par la police de l’État et les grotesquement mal nommés « gardiens de la révolution ».
Ce recours à la répression directe est un signe de la faiblesse du régime des Mollahs, et non de sa force. Il est vrai que le résultat désastreux des interventions américaines au Moyen-Orient depuis 2001 a créé une brèche qui a permis à l’impérialisme iranien d’avancer ses pions en Irak, au Liban, au Yémen et en Syrie, mais les États-Unis et leurs alliés les plus fiables (la Grande-Bretagne en particulier) ont répondu en alimentant l’armée saoudienne dans la guerre du Yémen et en imposant des sanctions paralysantes à l’Iran sous prétexte de s’opposer à sa politique de développement des armes nucléaires. Le régime se retrouve de plus en plus isolé, et le fait qu’il fournisse des drones à la Russie pour attaquer les infrastructures et les civils en Ukraine ne fera que renforcer les voix occidentales qui demandent que l’Iran soit traité, aux côtés de la Russie, comme un État paria. Les relations de l’Iran avec la Chine sont une autre raison pour laquelle les puissances occidentales veulent le voir affaibli encore plus qu’il ne l’est déjà. Parallèlement, nous assistons à un effort concerté des gouvernements des États-Unis et d’Europe occidentale pour instrumentaliser les manifestations, notamment en s’emparant du slogan le plus connu des protestations, « Femmes, Vie, Liberté » :
« Le 25 septembre 2022, le journal français Libération ornait sa première page du slogan “Femmes, Vie, Liberté” en perse et en français accompagné d’une photo de la manifestation. Lors d’un discours sur la répression des manifestants en Iran, une membre du Parlement de l’Union Européenne a coupé ses cheveux en prononçant les mots “Femmes, Vie, Liberté” dans l’enceinte même du Parlement de l’Union Européenne ». (1) De nombreux autres exemples pourraient être énoncés.
Compte tenu de la faiblesse du régime, on parle beaucoup d’une nouvelle « révolution » en Iran, notamment de la part des gauchistes et des anarchistes de tous bords, ces derniers parlant d’une « insurrection féministe », tandis que les factions bourgeoises les plus traditionnelles évoquent un renversement « démocratique », avec l’installation d’un nouveau régime qui abandonnerait son hostilité envers les États-Unis et leurs alliés. Mais comme nous l’avions écrit en réponse à la mystification sur la « révolution » de 1978-1979 : « les événements en Iran font apparaître que la seule révolution qui soit à l’ordre du jour, dans les pays arriérés, comme partout ailleurs dans le monde aujourd’hui, est la révolution prolétarienne ». (2)
Contrairement à la révolution de 1917 en Russie, qui se voulait un élément de la révolution mondiale, les protestations actuelles en Iran ne sont pas menées par une classe ouvrière autonome, organisée par ses propres organes unitaires et capable d’offrir une perspective à toutes les couches et catégories opprimées de la société. Il est vrai qu’en 1978-1979, nous avons eu des aperçus du potentiel de la classe ouvrière à offrir une telle perspective : « Venant à la suite des luttes ouvrières dans divers pays d’Amérique Latine, en Tunisie, en Égypte, etc., les grèves des ouvriers iraniens ont constitué l’élément politique majeur qui a conduit au renversement du régime du Shah. Alors que le mouvement “populaire” regroupant la presque totalité des couches de la société iranienne tendait, malgré ses mobilisations de masse, à s’épuiser, l’entrée dans la lutte du prolétariat d’Iran à partir d’octobre 1978, notamment dans le secteur pétrolier, non seulement relançait l’agitation mais allait poser au capital national de ce pays un problème pratiquement insoluble ». (3)
Pourtant, nous savons que même à cette époque, la classe ouvrière n’était pas assez forte politiquement pour empêcher le détournement du mécontentement de masse par les Mollahs, soutenus par une foule de gauchistes « anti-impérialistes ». La lutte de classe internationale, bien qu’entrant dans une deuxième vague de mouvements ouvriers depuis Mai 68 en France, n’était pas à même de poser la perspective d’une révolution prolétarienne à l’échelle mondiale, et les ouvriers en Iran (comme ceux de Pologne un an plus tard) n’étaient pas en mesure de poser l’alternative révolutionnaire par eux-mêmes. Ainsi, la question de savoir comment entrer en relation avec les autres couches opprimées est restée sans réponse. Comme le disait encore notre déclaration : « La place décisive occupée par le prolétariat dans les événements en Iran pose un problème essentiel que celui-ci devra résoudre pour mener à bien la révolution communiste : celui de ses rapports avec l’ensemble des autres couches non-exploiteuses de la société et notamment les sans-travail. Ce que démontrent ces événements, c’est que :
– ces couches, par elles-mêmes, et malgré leur nombre, ne constituent pas une force réelle dans la société ;
– bien plus que le prolétariat, elles sont perméables aux différentes formes de mystification et d’encadrement capitalistes, y compris les plus archaïques comme la religion ;
– en même temps, dans la mesure, où la crise les frappe avec autant ou plus de violence qu’elle frappe la classe ouvrière, elles constituent une force d’appoint dans la lutte contre le capitalisme dont la classe ouvrière peut et doit prendre la tête.
Face à toutes les tentatives de la bourgeoisie de défouler leur mécontentement dans des impasses, l’objectif du prolétariat est de mettre en évidence qu’aucune des “solutions” proposées par le capitalisme ne peut leur apporter une quelconque amélioration, et que c’est uniquement dans le sillage de la classe révolutionnaire qu’elles peuvent obtenir satisfaction pour leurs aspirations, non comme couches particulières, historiquement condamnées, mais comme membres de la société. Une telle politique suppose de la part du prolétariat son autonomie organisationnelle et politique, c’est-à-dire, en particulier, le rejet de toute politique “d’alliance” avec ces couches ».
Aujourd’hui, les mystifications qui mènent le mouvement populaire dans une impasse ne sont pas tant les mystifications religieuses, ce qui est compréhensible lorsque les masses peuvent facilement voir le visage nu et corrompu d’un État théocratique, que les idéologies bourgeoises plus « modernes » comme le féminisme, la liberté et la démocratie.
Mais le danger est encore plus grand de voir la classe ouvrière se dissoudre en tant que masse d’individus dans un mouvement interclassiste qui n’a pas la capacité de résister aux plans de récupération des factions bourgeoises rivales. Ceci est souligné par le contexte international de la lutte des classes, où la classe ouvrière commence à peine à se réveiller après une longue période de repli au cours de laquelle la décomposition progressive de la société capitaliste a de plus en plus rongé la conscience que le prolétariat avait de lui-même en tant que classe.
Il ne s’agit pas de nier le fait que le prolétariat a, en Iran, une longue tradition de lutte militante. Les événements de 1978-1979 sont là pour le prouver ; en 2018-2019, il y a eu des luttes très étendues impliquant les ouvriers de la canne à sucre de Haft Tappeh, les camionneurs, les enseignants et d’autres ; en 2020-2021, les travailleurs du pétrole ont entamé une série de grèves militantes à l’échelle nationale. À leur apogée, ces mouvements ont donné des signes clairs de solidarité entre divers secteurs confrontés à la répression de l’État et à de puissantes pressions pour que les travailleurs reprennent le travail. En outre, face à la nature ouvertement pro-régime des syndicats officiels, il y a également eu des signes importants d’auto-organisation des travailleurs dans beaucoup de ces luttes, comme nous l’avons vu avec les comités de grève en 1978-1979, les assemblées et les comités de grève à Haft Tappeh et plus récemment dans les zones pétrolières. Il ne fait également aucun doute que les ouvriers discutent de ce qu’il convient de faire face aux manifestations actuelles et que des appels à la grève ont été lancés pour protester contre la répression de l’État. Et nous avons vu, par exemple en Mai 68, que l’indignation contre la répression de l’État, même si elle n’est pas initialement dirigée contre les travailleurs, peut être une sorte de catalyseur pour que ces derniers entrent sur la scène sociale, à condition qu’ils le fassent sur leur propre terrain de classe et en utilisant leurs propres méthodes de lutte. Mais pour le moment, ces réflexions de classe, cette colère contre la brutalité du régime, semblent être sous le contrôle des organes syndicaux de base et des gauchistes, qui tentent de créer un faux lien entre la classe ouvrière et les protestations populaires, en ajoutant des revendications « révolutionnaires » aux slogans de ces dernières.
Comme l’écrit Internationalist Voice : « La phrase “femme, vie, liberté” est enracinée dans le mouvement national et n’a pas de connotation de classe. C’est pourquoi ce slogan est brandi de l’extrême droite à l’extrême gauche, et ses échos se font entendre dans les parlements bourgeois. Ses composantes ne sont pas des concepts abstraits, mais une caractéristique des relations de production capitalistes. Un tel slogan fait des femmes qui travaillent l’armée noire du mouvement démocratique. Cette question devient un problème pour la gauche du capital, qui emploie le terme radical de “révolution”, et suggère donc que ce slogan soit “conservé” en y ajoutant des extensions. Ils ont fait les suggestions suivantes :
– Femme, vie, liberté, administration municipale (trotskistes) ;
– Femme, vie, liberté, socialisme ;
– Femme, vie, liberté, gouvernement ouvrier ».(4)
Cet appel au conseil ou au pouvoir des soviets circule en Iran au moins depuis 2018. Même s’il trouve son origine dans les efforts réels mais embryonnaires d’auto-organisation à Haft Tappeh et ailleurs, il est toujours dangereux de confondre l’embryon avec sa forme achevée. Comme Bordiga l’a expliqué dans sa polémique avec Gramsci lors des occupations d’usines en Italie en 1920, les conseils ouvriers ou soviets représentent une étape importante, au-delà des organes défensifs comme les comités de grève ou les conseils d’usine, car ils sont l’expression d’un mouvement vers une lutte unifiée, politique et offensive de la classe ouvrière. Les gauchistes qui prétendent que c’est aujourd’hui à l’ordre du jour trompent les travailleurs, avec pour objectif de mobiliser leurs forces dans une lutte pour une forme « de gauche » de gouvernement bourgeois, ornée « d’en bas » par de faux conseils ouvriers.
Internationalist Voice poursuit ainsi : « Contrairement à ceux de la gauche du capital, la tâche des communistes et des révolutionnaires n’est pas de sauver les slogans anti-dictature, mais d’assurer la transparence quant à leur origine et leur contenu. Encore une fois, en opposition aux démagogues de la gauche du capital, se distancer de tels slogans et élever les revendications de classe du prolétariat est un pas dans la direction de la clarification de la lutte de classe ».
Cela est vrai même si cela signifie que les révolutionnaires doivent nager à contre-courant pendant les moments d’euphorie « populaire ». Malheureusement, tous les groupes de la gauche communiste ne semblent pas être à l’abri de certaines des tromperies les plus radicales injectées dans les manifestations. Nous pouvons ici identifier deux exemples inquiétants dans la presse de la Tendance communiste internationaliste (TCI). Ainsi, dans l’article « Voix ouvrières et révoltes en Iran », (5) la TCI publie des déclarations sur les protestations par le Syndicat des Travailleurs de la Canne à Sucre Haft Tappeh, du Conseil pour l’organisation des protestations des travailleurs contractuels du pétrole et du Conseil de coordination des organisations syndicales des enseignants iraniens. Sans doute ces déclarations sont-elles une réponse à une authentique discussion sur les lieux de travail quant à la manière de réagir aux mouvements de protestation, mais le premier et le troisième de ces organismes ne se cachent pas d’être des syndicats (même s’ils peuvent tirer leurs origines d’authentiques organes de classe, en devenant des structures permanentes, ils ne peuvent qu’avoir assumé une fonction syndicale) et ne peuvent donc pas jouer un rôle indépendant de la gauche du capital qui, comme nous l’avons dit, ne défend pas l’autonomie réelle de la classe mais cherche à utiliser le potentiel des ouvriers comme outil de « changement de régime ».
Parallèlement à cela, la TCI ne parvient pas non plus à se distinguer de la rhétorique gauchiste sur le pouvoir des soviets en Iran. Ainsi, l’article « Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of “Woman, Life, Freedom” », (6) tout en fournissant des éléments importants concernant les tentatives de récupération des manifestations par les puissances impérialistes extérieures à l’Iran, annonce : « Dans notre prochain article, nous plaiderons pour une autre alternative : du pain, des emplois, la liberté, le pouvoir aux Soviets. Nous traiterons de la lutte des travailleurs et des tâches des communistes, et à la lumière de cela, nous exposerons la perspective internationaliste ».
Mais nous ne sommes pas à Petrograd en 1917, et appeler au pouvoir des soviets alors que la classe ouvrière est confrontée à la nécessité de défendre ses intérêts les plus fondamentaux face au danger de se dissoudre dans les manifestations de masse, de défendre toute forme naissante d’auto-organisation contre leur récupération par les gauchistes et les syndicalistes de base, c’est au mieux se tromper gravement sur le niveau actuel de la lutte de classe et au pire attirer les ouvriers dans des mobilisations sur le terrain de la gauche du capital. La gauche communiste ne développera pas sa capacité à élaborer une véritable intervention dans la classe en se laissant prendre au piège de l’immédiatisme au détriment des principes fondamentaux et d’une analyse claire du rapport de force entre les classes.
Un article récent dans Internationalist Voice souligne qu’il y a actuellement un certain nombre de grèves ouvrières qui ont lieu en Iran en même temps que les manifestations dans les rues : « Ces derniers jours, nous avons assisté à des manifestations et à des grèves de travailleurs, dont la caractéristique commune était la protestation contre le faible niveau de leurs salaires et la défense de leur niveau de vie. Le slogan des ouvriers grévistes de l’entreprise sidérurgique d’Ispahan, “assez de promesses, notre table est vide”, reflète les conditions de vie difficiles de l’ensemble de la classe ouvrière. Voici quelques exemples de grèves ouvrières de ces derniers jours qui avaient ou ont la même revendication : Grève des travailleurs de la compagnie sidérurgique d’Ispahan ; grève de la faim des employés officiels des sociétés de raffinage et de distribution de pétrole, de gaz et de produits pétrochimiques ; grève des travailleurs du complexe du centre-ville d’Ispahan ; grève des travailleurs de la cimenterie d’Abadeh dans la province d’Ispahan ; grève des travailleurs de l’eau minérale de Damash dans la province de Gilan ; grève des travailleurs de la compagnie Pars Mino ; grève des travailleurs de la compagnie industrielle Cruise ; protestation des travailleurs du groupe sidérurgique national ». (7)
Il semble que ces mouvements soient encore relativement dispersés et si les démocrates et les gauchistes multiplient les appels à la « grève générale », ce qu’ils entendent par là n’a rien à voir avec une réelle dynamique vers la grève de masse, mais serait une mobilisation contrôlée d’en haut par l’opposition bourgeoise et mélangée aux grèves des petits commerçants et d’autres couches non prolétariennes. Cela ne fait que souligner la nécessité pour les ouvriers de rester sur leur propre terrain et de développer leur unité de classe comme base minimale pour bloquer la répression meurtrière du régime islamique.
Amos, novembre 2022
1« The continuation of the protests, labour strikes and general strike [60] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
2« Iran : leçons des événements », Révolution internationale n° 59 [61] (17 février 1979).
3Ibid.
4« The continuation of the protests, labour strikes and general strike [60] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
5« Voix ouvrières et révoltes en Iran [62] » sur le site de la TCI (1er novembre 2022).
6« Iran : Imperialist Rivalries and the Protest Movement of 'Woman, Life, Freedom [63]'" sur le site de la TCI (2 novembre 022).
7« The continuation of the protests, labour strikes and general strike [60] », Internationalist Voice (20 novembre 2022).
Dans le mouvement social contre la réforme des retraites en France, les partis de gauche radicale, comme La France Insoumise et ceux d’extrême-gauche n’ont pas de mots assez forts pour appeler à ne rien lâcher et à poursuivre la mobilisation. Appel à la lutte parlementaire et démocratique pour les uns, à la grève générale pour les autres, en passant par le rejet des directions syndicales et la prise en main du mouvement par « la base », tous ces partis, conspués par de nombreux grands médias, paraissent ainsi défendre avec force la classe ouvrière, combattre becs et ongles pour les intérêts des exploités. Mais la lutte du prolétariat peut-elle réellement s’appuyer sur eux ?
La France Insoumise (LFI) de Mélenchon, force vive de la NUPES, profite du mouvement contre la réforme des retraites pour recrédibiliser au maximum le terrain de la lutte démocratique et citoyenne, en dénonçant un gouvernement qui a « réduit le temps du débat parlementaire et malmène le travail des représentants du peuple ». LFI se présente au Parlement comme le porte-parole de la colère qui s’exprime dans la rue.
Mais que peut-on sérieusement attendre du « débat parlementaire » ? Rien ! Le Parlement n’est qu’une coquille vide. Parce que le capitalisme est en déclin, la classe ouvrière ne peut plus améliorer ses conditions de travail par la « lutte pour les réformes », ni appuyer une fraction progressiste de la bourgeoisie comme c’était le cas au XIXe siècle. Les cris d’orfraie des députés LFI ne sont que de la poudre aux yeux, une mystification destinée à faire croire que l’État bourgeois pourrait défendre d’autres intérêts que ceux de la bourgeoisie. (1)
La réalité, c’est que LFI et ses alliés (PS, EELV…) ne défendent pas les intérêts de la classe ouvrière, ils en sont même les ennemis acharnés. Alors que la massivité de la mobilisation contre la réforme des retraites est une expression de la reprise historique de la combativité du prolétariat à l’échelle internationale, alors que des millions d’ouvriers luttent de part le monde contre l’inflation, la misère croissante et l’austérité, les appels répétés des « insoumis » à la mobilisation du « peuple de France » pour la défense des « plus pauvres » n’a pas d’autre vocation que d’enfermer la mobilisation dans les frontières de l’Hexagone et de la « démocratie » nationale.
En somme, LFI participe activement à couper toute réflexion sur le caractère international de la lutte ouvrière. Il s’agit ni plus ni moins de couper la classe ouvrière en France de ses frères de classe en Angleterre, en Espagne, en Belgique pour mieux les réduire à l’impuissance, à ne pas se comporter comme classe en lutte, mais en bons citoyens accomplissant leur « devoir électoral ».
Il n’y a qu’à voir la pantomime orchestrée par les députés NUPES entonnant La Marseillaise (2) et criant au « tournant autoritaire » de Macron pour mieux se présenter comme les défenseurs de la démocratie républicaine, ce régime politique à travers lequel la bourgeoisie impose, de la façon la plus sournoise qui soit, sa dictature sur la société. Après l’échec de la motion de censure contre le gouvernement, les députés NUPES se sont donc empressés d’appeler au « retour aux urnes » pour détourner la mobilisation vers le chemin électoral au détriment de la lutte sociale !
Le 8 février dernier, le leader du syndicat « modéré » et « réformiste », Laurent Berger, exposait en ces termes ce qui, selon lui, formait l’enjeu de la situation : « Si le gouvernement persiste dans la voie qui est la sienne aujourd’hui, il fait une faute démocratique qu’il paiera très cher. “Qu’il paiera très cher”, ça ne s’appelle pas une menace, ça s’appelle un avertissement collectif que je pose […]. Bien sûr qu’il y a un risque que ça dégénère ». Cette mise en garde adressée au gouvernement traduisait la vigilance et l’attention que tous les syndicats portent à l’intensité de la combativité et à la réflexion qui tend à se développer dans les rangs de la classe ouvrière.
Et ils ne sont pas les seuls. Comme à leur habitude, toutes les organisations de l’extrême-gauche du capital se sont mises au diapason. En témoignent leurs discours très radicaux, aussi bien sur le fond que sur la forme, tentant de dévoyer ou de détourner tout embryon de réflexion sur la manière d’accentuer le rapport de force.
Si les différentes journées de mobilisations ont confirmé l’aptitude des syndicats à bien encadrer les manifestations, nous avons pu constater que les premières parties de cortèges, hors bataillons syndicaux, demeuraient très denses. De même, les appels syndicaux aux grèves reconductibles dans les transports ou les raffineries, c’est-à-dire à des grèves hyper sectorielles, chacun enfermé dans son entreprise, n’ont pas vraiment fonctionné pour le moment. Ce qui démontre une certaine forme d’indifférence, voire peut-être de méfiance vis-à-vis de certaines méthodes de luttes syndicales dans une partie de la classe ouvrière. D’où le déploiement d’un large éventail de mots d’ordre de la part des différentes organisations gauchistes visant à proposer de prétendues alternatives « au programme défensif », « aux erreurs et au conservatisme des dirigeants du mouvement ». (3) Pour le groupe trotskiste Combattre Pour le Socialisme, la pression sur le parlement bourgeois est la clé de la victoire. Les semaines précédentes il appelait à se mobiliser « par centaines de milliers devant le Palais Bourbon, au moment de la discussion de la loi ». Il persiste et signe après l’adoption du 49.3 en exhortant à se mobiliser face à l’Assemblée : « C’est là que se joue l’avenir de nos retraites, c’est là qu’il faut aller pour faire plier le gouvernement ! »
Ici, il s’agit de critiquer hypocritement l’inutilité criante des journées d’action syndicales pour mieux distiller l’illusion de la victoire par la pression démocratique sur l’État ! La mobilisation devrait s’exporter devant un emblème de l’État démocratique bourgeois. En somme, cette mauvaise boutique appâte le chaland avec la lutte de classe pour mieux vendre sa camelote frelatée : la mobilisation citoyenne.
De son côté, le NPA clame haut et fort qu’ « il n’y a rien à attendre du Parlement : c’est les travailleurs qui font grève et qui manifestent par millions dans la rue en donnant des sueurs froides au patronat et aux macronistes ». Mais ne soyons pas naïfs ! Si aujourd’hui, la massivité du mouvement et la réflexion sur une alternative au capitalisme exprimée par des minorités au sein de la classe ouvrière ne lui laisse pas d’autre choix que d’appeler à « être plus que jamais en grève et dans la rue ! », cela ne signifie pas qu’il abandonne pour autant sa sale besogne consistant à rabattre les ouvriers les plus combatifs vers le terrain stérile et mystificateur des élections. (4) L’adoption du 49.3 lui permet notamment de préparer le terrain. C’est un « scandale démocratique » montrant « le caractère particulièrement antidémocratique des institutions de la Ve République » clame le parti de Besancenot. En bon garant de l’ordre capitaliste, contrairement à son appellation, le NPA se contente donc de sous-entendre qu’une alternative (une VIe République ?) au sein de l’État bourgeois est tout à fait possible !
En réalité, dès que l’occasion se présentera, les têtes de gondoles du NPA, de LO et compagnie nous resserviront le plat indigeste des élections (y compris parlementaires) comme « tribune » à la cause révolutionnaire.
« Contre Macron et son monde, à partir des 7 et 8 mars, bloquer le pays, partout et en même temps ! » (NPA). « Le 7 mars, la jeunesse du côté des travailleurs pour bloquer le pays ! » (Jeunesses communistes). « Construisons la grève reconductible ! » (Révolution Permanente)… Depuis le début du mouvement, les manifestations rassemblent des millions de personnes. Mais le sentiment que ces mobilisations massives ne suffiraient pas à faire plier le gouvernement a connu un écho de plus en plus fort au sein de la classe ouvrière. Par crainte d’être débordé, que la lutte n’échappe à leur contrôle, les syndicats ont adopté des méthodes de lutte prétendument plus radicales. D’où l’appel de l’intersyndicale à mettre « la France à l’arrêt ». Comme à leur habitude, les organisations gauchistes ont sauté sur l’occasion pour jouer leur rôle de rabatteurs, avec toujours la même méthode sournoise : feindre de fustiger les directions syndicales en exhortant « la base » à entrer en action.
Au cours de sa longue histoire, Lutte Ouvrière est passée maître dans ce type de basse besogne et ne semble pas avoir perdu la main : « Aussi unitaires soient-ils, les appels des centrales syndicales ne sont rien si les travailleurs n’en font pas leur combat. Alors, dès mardi, profitons-en pour constituer des équipes de travailleurs combatifs capables d’entraîner les autres ! Profitons de cette journée pour discuter entre nous, nous réunir en assemblées générales, formuler nos revendications, qui vont bien au-delà des retraites et préparer la suite ! ». Sous un verbiage radical et surtout très ambigu, LO appelle ainsi les ouvriers à prendre eux-mêmes en main… l’unité syndicale.
Nouveau venu dans le paysage de l’extrême-gauche, Révolution permanente semble apprendre vite. Elle aussi déplore la tiédeur de l’intersyndicale à poursuivre le blocage de l’économie après la journée du 7, et appelle à la prise en main par « la base » : « Pour mettre la “France à l’arrêt”, elle doit généraliser la perspective de la reconductible […]. Il y a urgence à nous doter d’un plan de bataille alliant élargissement des revendications et auto-organisation à la base pour imposer cette orientation ».
Mais les spectres du « syndicalisme de base » ou même des coordinations, agités comme la voie royale vers l’auto-organisation de la classe ouvrière dans la lutte, n’expriment en rien un appel à rejeter les syndicats et le syndicalisme. Au contraire ! Ils visent ni plus ni moins qu’à les y enchaîner en faisant la publicité de leurs variantes plus « radicales » du même piège enserrant les prolétaires dans leur corporation, leur secteur, leur catégorie (jeunes, femmes…).
D’ailleurs, LO et ses comparses, veillent à bien établir un « cordon sanitaire » étanche autour de jeunes ouvriers susceptibles de se politiser. Lors de la manifestation du 31 janvier, à Lyon, un tract de LO est distribué : « Le capitalisme détruit la société. Il faut le renverser ! REUNION JEUNES (lycéens, étudiants, jeunes travailleurs) ». Alors que des militants du CCI demandent un de ces tracts où est écrit « Viens rencontrer des militants communistes et révolutionnaires », il leur est carrément refusé dans un premier temps parce qu’ils ne sont plus des « jeunes », et qu’une telle réunion doit permettre à des jeunes de pouvoir s’exprimer sans « la pression de plus anciens » qui, eux, n’ont pas peur de parler (sic !). Il s’agit d’un véritable travail de sape magistral, contre la réflexion, la solidarité et l’unité inter-générationnelle.
Cette pratique de division des luttes et de torpillage de la réflexion n’est pas nouvelle. En 1986, lors de la grève à la SNCF, des coordinations avaient surgi dans la lutte, sur la base de critiques ouvertes aux syndicats. Lutte Ouvrière, d’une manière très radicale, avait su prendre le relais, avec son leader cheminot Daniel Vitry, en interdisant, par exemple, l’entrée des Assemblées générales à d’autres ouvriers venant de la Poste ou des impôts, souhaitant apporter leur solidarité et appeler à étendre la lutte à d’autres secteurs.
Tendance marxiste internationale, Révolution Permanente, Nouveau Parti Anti-capitaliste, Lutte Ouvrière… Derrière le masque fabriqué d’un vernis révolutionnaire et communiste, se cache le vrai visage de LO, du NPA et compagnie ! Si aujourd’hui toutes ces organisations adoptent un ton critique vis-à-vis des syndicats (qu’ils noyautent pour certains et contribuent à animer avec zèle), si, comme LO indiquant ces derniers jours que la seule guerre est « celle contre nos intérêts de travailleurs », elles parlent désormais plus volontiers de « lutte de classes », de « révolution » et même de communisme, ce n’est pas parce qu’elles ont changé de camp mais bien parce qu’elles se chargent du sale boulot que les forces classiques d’encadrement (syndicats et partis de gauche) ne sont pas totalement en mesure d’assumer.
Par conséquent, la classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusions. Elle rencontrera de plus en plus la « gauche radicale » et les gauchistes sous les masques les plus variés, « combatifs », « radicaux », voire « révolutionnaires », comme obstacles majeurs au développement de ses luttes. Et si elle doit être plus consciente de cela, elle doit aussi savoir qu’elle ne pourra pas éviter l’obstacle mais bel et bien affronter tous ces faux-amis.
Vincent / Stopio (20 mars 2023)
1Cf. « Les élections contre le prolétariat », Révolution internationale n° 10 (Juillet-août 1974). [65]
2Le chant des Versaillais qui ont massacré les Communards en 1871.
3Tendance internationale (TMI) qui publie Révolution !
Comme je n’ai pas parlé, je tenais à remercier par écrit le CCI pour la tenue de la permanence. Les échanges étaient nourris, très intéressants et ont répondu à certaines de mes questions. Néanmoins, je souhaitais préciser mon interrogation initiale qui reste partiellement sans réponse.
Les grèves et autres mouvements sociaux qui émergent sur la scène internationale et sur un terrain de classe peuvent-ils se faire écho d’un pays à l’autre ? J’étais présente lors de la manifestation du 29 septembre à Paris et j’ai remarqué que beaucoup étaient intéressés par le tract [du CCI] justement parce qu’il était question des luttes au Royaume-Uni.
Si la lutte « au-delà de “sa” corporation, “son” entreprise, “son” secteur d’activité, de “sa” ville, “sa” région » est un discours de plus en plus audible (depuis le mouvement des retraites, les syndicats sont obligés d’appeler de plus en plus rapidement à l’extension factice des luttes), ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de « soutien et de solidarité » […] au-delà de “son” pays », sauf lorsqu’il est question de mouvement sur un terrain qui n’est pas celui de la classe ouvrière comme les Gilets Jaunes ou Black Lives Matter par exemple.
Dès lors, comment peuvent se manifester ce soutien et cette solidarité de classe lorsqu’il faut traverser des frontières ?
Bien à vous,
C.
Nous saluons la préoccupation de la camarade de revenir sur une question qui n’a pas été suffisamment clarifiée pour elle lors de notre permanence en ligne. C’est une démarche importante d’aller au bout des questions, au bout des confusions ou divergences pour rechercher toujours la position ou la compréhension la plus juste. L’une des forces du prolétariat réside dans sa conscience, cette capacité à comprendre son identité, sa place dans la société et sa responsabilité historique. Cette conscience nécessite une recherche constante de la vérité pour se défaire des pièges idéologiques de la classe ennemie mais plus généralement de toutes les idéologies qui lui sont étrangères. Pour accéder à cette vérité, le prolétariat doit débattre sans cesse, confronter les positions les unes aux autres, les confronter à la réalité. Ce que fait la camarade en nous interrogeant ainsi relève de cette démarche fondamentale.
L’autre force du prolétariat, c’est son unité. Ces deux forces ne sont pas indépendantes l’une de l’autre, bien au contraire et c’est là que le lien peut se faire avec le questionnement de notre lectrice.
L’unité du prolétariat ne peut se faire que par une démarche consciente, c’est-à-dire par la capacité de la classe ouvrière à se concevoir comme une seule classe à travers le monde, par-dessus toutes les divisions que le capitalisme instaure artificiellement : nationale, corporatiste, raciale, religieuse (et les fausses unités qui vont avec : le peuple, la corporation, la communauté etc). Ces divisions sont lourdes à dépasser car elles trouvent un fondement dans le fonctionnement même de la société capitaliste qui repose sur la concurrence de chacun contre tous les autres, et construit des divisions pertinentes pour le capital dans ce cadre concurrentiel mais totalement aliénantes pour le prolétariat.
En particulier, les divisions nationales sont fortement structurantes pour le capital. La bourgeoisie ne peut se passer de l’adhésion de la classe ouvrière à son idéologie nationaliste, tant en termes de mobilisation pour le capital national que pour l’enrôler dans la guerre le moment venu. Cette idéologie nationaliste est d’autant plus un poison qu’elle s’oppose à la nécessaire compréhension par la classe ouvrière que la seule division réelle dans le capitalisme oppose les classes entre elles et rien d’autre.
Cette unité ne peut donc se décréter, elle s’inscrit au contraire dans un processus long et heurté, qui passe par l’affrontement aux idéologies étrangères au prolétariat : le nationalisme, le corporatisme, toutes les idéologies parcellaires s’attachant aux maux du capitalisme plus qu’à ses racines : féminisme, anti-racisme, etc.
Le prolétariat s’affronte à ces idéologies par le débat, la confrontation des idées et l’analyse de la réalité. Mais là aussi le processus de développement de la conscience de la classe ouvrière ne se décrète pas.
En effet, si l’unité du prolétariat passe par sa conscience, inversement la conscience du prolétariat se développera dans son unité. La première expression de cette unité, même embryonnaire et encore marquée par le nationalisme ou le corporatisme, c’est la lutte. Lorsque la classe ouvrière défend ses conditions de vie et de travail face aux attaques de la bourgeoisie, elle mène une première étape vers la reconnaissance de son identité et dans le même mouvement, vers son unité.
Bien sûr, cette dimension politique des luttes prolétariennes n’est pas toujours consciente. En particulier aujourd’hui, la classe ouvrière subit le poids de la décomposition du capitalisme et n’a pas encore les capacités à se défaire du piège syndical, principal véhicule de toutes les idéologies qui divisent. Mais le fait qu’elle entre en lutte est déjà une victoire, déjà un effort remarquable dans une société à ce point embourbée dans sa décomposition.
C’est par la lutte, et seulement par la lutte, que la classe ouvrière pourra vivre concrètement son identité de classe, comprendre que tous ceux qui luttent, luttent pour la même chose. Même si chacun travaille dans un secteur différent, vit dans un pays différent. Même si chacun ne se conçoit pas comme vivant les mêmes conditions que les autres. Par la lutte et la répétition des luttes, la classe ouvrière trouvera les conditions pour dépasser ses divisions et s’ancrer dans son unité. Plus les luttes se développeront, plus elles seront massives, plus elles seront en mesure de concrétiser la nature unitaire et solidaire de la classe ouvrière.
Bien sûr ces luttes ne déboucheront pas toujours sur des victoires. Au contraire, la classe ouvrière a subi et subira encore des défaites. Mais chacune de ces défaites renferme en elle les ferments d’une prochaine lutte plus unitaire et plus consciente, à condition que le prolétariat soit en mesure de comprendre pourquoi il a perdu, qu’est-ce qui lui a barré la route.
Les éléments les plus conscients de la classe ouvrière voudraient bien sûr que ce processus soit plus rapide, que les victoires soient plus nombreuses que les défaites, que les divisions nationales soient dépassées dès les premières lueurs de combativité. Ils voudraient que les leçons des défaites soient tirés le plus largement possible pour que les pièges de la bourgeoisie finissent par ne plus fonctionner. Nous savons que rien n’est gagné d’avance et que l’ennemi sera difficile à abattre. Il se pourrait même que ça n’arrive pas et que la décomposition sociale entraîne l’humanité à sa perte.
Alors nous comprenons parfaitement l’impatience de la camarade et nous partageons l’importance qu’elle donne à tout ce qui pourrait permettre de « traverser les frontières ».
C’est là souligner toute l’importance et le rôle des organisations révolutionnaires et de tous ceux qui partagent leurs positions et souhaitent appuyer leur intervention. Ce sont les révolutionnaires qui seuls peuvent aujourd’hui porter une perspective plus large, démontrer l’inconsistance des divisions portées par la bourgeoisie en général et les syndicats en particulier, démontrer l’unité de la classe ouvrière à travers le monde : l’unité de ses intérêts, l’unité des attaques qu’elle subit. Cette intervention des révolutionnaires est aujourd’hui essentielle : elle n’aura rien de magique, elle ne remplacera pas l’école de la lutte, mais elle lui donnera un éclairage et une perspective indispensables pour permettre le développement d’une conscience large dans la classe que ses conditions de vie et l’avenir que le capitalisme promet à la planète et à ses habitants ne sont pas une fatalité et que son rôle pour ouvrir la voie à une autre société est déterminant.
Aujourd’hui, l’écho des positions révolutionnaires est encore très faible dans la classe mais cela n’enlève rien à son rôle crucial. C’est pour cela que tous les éléments conscients dans la classe doivent se regrouper autour des organisations révolutionnaires et participer à leur activité : l’analyse de la situation, le débat, l’intervention. L’importance de cette activité ne se mesure pas à l’audience qu’elle obtient immédiatement mais à ce que l’histoire a montré : l’intervention des révolutionnaires a toujours été déterminante dans les victoires de la classe ouvrière alors même que leurs erreurs ont aussi pu avoir des conséquences désastreuses.
Pour nous, cette perspective n’est pas immédiate. Mais il est indispensable de se préparer alors que la classe ouvrière aujourd’hui relève la tête et montre qu’elle est toujours une force sociale sur la scène de l’histoire. Pour les révolutionnaires, il ne fait aucun doute qu’il faut dès aujourd’hui être présents et une force active dans ce processus. Pour reprendre l’image de la camarade, nous sommes les « passeurs » des frontières pour la classe ouvrière.
GD, 3 mars 2023
Nous publions ci-dessous une prise de position d’un de nos sympathisants à propos de la réunion du comité NWBCW à Paris du 2 décembre. Nous saluons cette contribution et soutenons globalement le contenu politique de ce texte. Selon nous, il permet en effet de souligner deux aspects essentiels que nous voulons mettre en exergue :
– le premier, le caractère totalement artificiel du comité NWBCW, sans rapport avec la réalité d’une prétendue réaction à la guerre au sein de la classe ouvrière : « A moins de considérer que les luttes de l’an passé en Angleterre, celle qui se déroule actuellement en France, etc. soient des luttes qui s’opposent frontalement et surtout consciemment à la guerre, la formation de tels comités n’émane pas d’un mouvement de la classe ».
– le second, le fait qu’une telle initiative opportuniste ne fait qu’accentuer la confusion vis-à-vis du gauchisme et de l’anarchisme : « La création ex-nihilo de structures hétérogènes appelés après-coup « comité de lutte », en appelant à toutes les bonnes volontés gauchistes et anarchistes semble être un cadre impropre à la politique prolétarienne ».
Comme le souligne justement le camarade, ce comité NWBCW n’est finalement rien de moins qu’un « faux-nez basé sur des compromis »
CCI
Je ne vais pas faire ici, un résumé point par point de cette réunion, mais je vais uniquement me concentrer sur ce qui m’a paru être le plus important.
Je ne vais pas entrer dans la polémique sur la signification historique de la guerre en Ukraine, qui devait être la première partie de la discussion lors de la réunion, avec d’un côté la TCI qui voit cette guerre comme une étape vers la généralisation de la guerre inter-impérialiste mondiale et le CCI qui affirme que celle-ci n’est pas encore à l’ordre du jour et que les conditions ne sont pas encore réunies.
Je vais me concentrer sur ce qu’est le comité NWBCW et la politique de création de ce type de comité face à la guerre.
Après le déclenchement de la guerre en Ukraine l’an dernier, deux organisations de la GC ont proposé deux initiatives différentes. D’un côté le CCI a été à l’initiative avec l’Institut Damen et IV d’une déclaration commune des groupes de la GC de l’autre la TCI a appelé à la création de comités NWBCW.
Je reviens sur cette opposition car elle est sous-jacente à la seconde partie de la discussion qui a eu lieu lors de la réunion du comité à savoir qu’est-ce que ce comité, son but, etc.
Le présidium alors a tracé une opposition entre d’un côté un internationalisme abstrait (celui du CCI) et de l’autre une initiative concrète.
Bien sûr, il le fallait le recours au concret, le retour du concret, « voyez-vous camarades, le problème avec cette déclaration commune des groupes de la GC c’est qu’elle est valable en tout temps et en tout lieu », les comités de lutte NWBCW eux sont des initiatives qui permettront aux minorités qui y participent de se tordre, de se plier aux différentes situations, aux différents contextes afin de mieux répondre à la situation actuelle.
Pour traiter ce point, il faut voir ce qu’est un comité de lutte, il émane soit d’une lutte massive de la classe soit d’une lutte dans une de ses parties, regroupant des éléments particulièrement combatifs qui ressentent la nécessité de s’unir pour agir et réfléchir et poursuivre la lutte, se formant d’abord (le plus souvent) sur la base de l’entreprise ou du secteur, il peuvent s’élargir au fur et à mesure de la lutte.L’apparition de comités de luttes n’est jamais à négliger et correspond à un pas en avant dans la maturation de la conscience de classe. Les prolétaires se réunissant pouvant évoquer les échecs et les raisons de ceux-ci, se poser la question de comment s’organiser et dans quel cadre. Il est donc essentiel pour les révolutionnaires organisés de soutenir la création de tels comités et d’y intervenir.
De par sa nature, les conditions de sa formation, un comité est hétérogène politiquement et sensible aux manœuvres et aux sabotages des gauchistes ou des syndicalistes. La tâche des révolutionnaires de la GC est de donner aux prolétaires dans ces comités les outils pour s’opposer à leurs ennemis politiques que sont les gauchistes.
Qu’en est-il donc ici. À moins de considérer que les luttes de l’an passé en Angleterre, celle qui se déroule actuellement en France, etc. soient des luttes qui s’opposent frontalement et surtout consciemment à la guerre, la formation de tels comités n’émane pas d’un mouvement de la classe.
Artificiel semble donc être un terme juste pour qualifier ce type d’initiatives.
Dans ce comité artificiel, les groupes de la GC vont lutter côtes à côtes avec des éléments clairement gauchistes (donc des ennemis politiques). Là survient une manœuvre qui veut faire passer le CCI comme sectaire, en effet au nom de quoi le CCI dirait « untel lutte et celui-làcelui-là non », cependant, si dans une lutte il arrive que se créent des comités dans ceux-ci les révolutionnaires de la GC interviennent non pas pour marcher avec les gauchistes mais les combattre. Comment les combattre tandis que l’on va former avec eux un comité qui de plus ne s’appuie sur aucun mouvement clair de la classe contre la guerre. C’est une faute, ici les révolutionnaires se désarment préventivement et ne pourront être en mesure de guider les participants face aux divers gauchistes et anarchistes.
Il est par exemple ressorti de cette réunion un clair immédiatisme et activisme ce qui était à prévoir, mais il sera impossible pour la TCI de s’y opposer quand elle baigne dedans, maintenant et entretenant l’illusion qu’il pourrait y avoir des actions de classe anti-guerre à populariser et à généraliser à court terme.
Le danger également pour les participants de leur faire croire à des initiatives minoritaires en réalité qui ne feront pas avancer d’un « inch » la conscience dans la classe tout en les exposant à la répression de l’Etat Bourgeois.
Cet activisme pousse également des éléments jeunes et inexpérimentés qui recherchent les positions de classe à s’interrompre dans leur prise de conscience, les empêche d’être aspirés par la GC (à moins de considérer que la GC c’est « trois pelés et un tondu » comme un membre du présidium), ce type de comité constituant un leurre de fait, puisqu’il entretient pour des raisons évidemment opportuniste le flou sur des questions et des positons essentielles et n’est pas sans véhiculer le vieux piège de la substitution, privilégiant des actions spectaculaires maintenant et tout de suite.
La création artificielle d’un « comité » qui met sur le même plan les organisations de la GC et les divers anarchistes, gauchistes, trotskistes, éléments syndicalistes tandis que les conditions d’adhésion sont trop larges et trop floues, que voulant la survie du comité pour agir contre la guerre aucune des questions pièges ne sera clarifiée de peur de mettre dans une position délicate tel ou tel groupe participant, c’est ce qu’un italien du siècle dernier appelait une « alliance sans principes ».
Je peux donner quelques exemples rapides, à aucun moment le présidium n’a ressenti le besoin de clarifier pour la bonne compréhension des participants inexpérimentés, le qualitatif politique de gauchiste, la frontière de classe qui les sépare la GC, le présidium n’est pas revenu sur les illusions des participants sur la situation en Iran que certains voyaient comme le début d’une révolution tandis qu’il ne s’agit même pas d’un mouvement de classe, quand a été évoqué le fait de s’organiser dans les syndicats, il n’a pas rappelé la position de la GC sur les syndicats, leur rôle ce qui aurait été au vu des luttes passées et en préparation largement plus instructif pour tout le monde.
Comment nous faire croire après qu’il sera possible justement de mener un combat contre ces mêmes gauchistes au sein du comité. Autant demander à un puma de se couper les griffes et retirer ses crocs avant de les enfoncer dans la nuque du grizzly. Nul besoin d’être un devin, prophète ou Lévite pour dire cela, mais simplement être marxiste et éviter de donner comme bilan critique de deux décennies de politique de NWBCW « parfois ça marche, parfois non ».
Ces deux propositions la déclaration commune et la formation de comités correspondent à deux manières de faire de la politique et elles ne se valent pas.
Par quoi sont guidés les révolutionnaires, ils ont un devoir face à la classe, celui de lui donner les moyens d’aller vers la clarté politique, cela se traduit par exemple par éviter aux prolétaires les plus conscients ou les plus combatifs (ceux par exemple qui répondent aux appels des organisations de la GC) de présenter des voies de garages, des initiatives d’actions sans rapports avec le mouvement réel lent mais existant de prise de conscience dans la classe.L’activisme, l’immédiatisme et les divers maux dont souffre ce comité ne sont pas dut au hasard mais au poison opportuniste. La création ex-nihilo de structures hétérogènes appelés après-coup « comité de lutte », en appelant à toutes les bonnes volontés gauchistes et anarchistes semble être un cadre impropre à la politique prolétarienne.
La morale ici pourrait être résumé comme suit : « la classe hésite, poussons là !… nulle-part. »
Ce qu’est en réalité ce comité, un faux-nez basé sur des compromis tacite par dépit le tout sur des principes flous pour intervenir et surtout le montrer.
Fraternellement,
Un sympathisant actif du CCI et de la GC
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« Tu la fermes ou tu veux que je recommence ? Ah ! tu commences à bégayer, t’en reveux peut-être une pour te remettre la mâchoire droite ? »
« Quand je t’ai attrapé, t’as commencé à trembler, c’est moi qui t’ai mis la balayette ! »
« T’inquiète, ta petite tête, on l’a déjà en photo. T’as juste à te repointer dans la rue aux prochaines manifs : je peux te dire que les têtes, nous on est vachement physio, on les retient. T’inquiète pas que la prochaine fois qu’on vient, tu monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle “ambulance” pour aller à l’hôpital ! »
« T’as de la chance, on va se venger sur d’autres personnes.Si t’as l’occase de regarder la télé, regarde bien, tu verras ce qui t’attend quand tu reviendras ! »
Ces propos ont été proférés par des policiers de la Brav-M lors de la manifestation du 23 mars à Paris. Enregistrés par l’un des interpellés, ils ont fait le tour des médias, provoquant des débats entre experts sur la formation des agents constituant cette brigade spéciale.
Autrement dit, on veut nous faire croire au dérapage de quelques-uns. Ce n’est qu’un mensonge ! Partout en France, à Rennes, Nantes, Lyon… la police cogne et provoque. Cette simultanéité de la répression n’est pas un hasard. C’est une politique totalement délibérée du pouvoir. L’objectif est simple et c’est même un classique :
– entraîner les jeunes les plus en colère dans un affrontement stérile avec les forces de l’ordre ;
– faire peur à la majorité des manifestants, les décourager de venir dans la rue ;
– empêcher toute possibilité de discussion, en pourrissant systématiquement les fins de manifestations, moment habituellement propice aux rassemblements et aux débats ;
– rendre impopulaire le mouvement, en faisant croire que toute lutte sociale dégénère automatiquement en violence aveugle et en chaos, alors que le pouvoir serait le garant de l’ordre et de la paix.
Oui, notre colère est immense ! Oui, nous ne pouvons qu’être indignés et combatifs !
Mais notre force ne réside pas dans l’affrontement stérile avec les bataillons suréquipés et surentrainés des CRS, gendarmes mobiles et autres porte-flingues de « l’ordre » des exploiteurs.
De même, notre lutte ne consiste pas à casser des vitrines et brûler des poubelles. Les violences minoritaires ne renforcent pas le mouvement. Au contraire elles l’affaiblissent !
Nous sommes la classe ouvrière ! Nous sommes une force collective, capables de rentrer en lutte massivement, de nous organiser, d’être solidaires, unis, de débattre et nous dresser ensemble face au pouvoir pour refuser la dégradation continue de nos conditions de vie et de travail, pour refuser ce système qui plonge l’humanité dans la misère et la guerre.
Voilà ce qui inquiète vraiment la bourgeoisie : quand nous luttons ainsi en tant que classe. Voilà pourquoi elle nous tend aujourd’hui le piège du pourrissement et du chaos par la violence. Elle veut briser la dynamique en cours et le processus qui se développe depuis des mois à l’échelle internationale.
Depuis l’annonce de la réforme des retraites, les grèves se multiplient et, surtout, les manifestations nous rassemblent par millions dans les rues. Grâce à cette lutte, nous commençons à comprendre qui est ce « Nous » ! Une force sociale, internationale, qui produit pratiquement tout et doit lutter de manière unie et solidaire : la classe ouvrière ! « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! » C’est ce qui s’exprime clairement, par exemple, dans les manifestations en soutien aux éboueurs d’Ivry que la police vient régulièrement déloger : ensemble, nous sommes plus forts !
Et ces réflexes de solidarité ne surgissent pas qu’en France. Dans de nombreux pays, les grèves et mouvements sociaux se multiplient. Au Royaume-Uni face à l’inflation, en Espagne face à l’effondrement du système de santé, en Corée du Sud face à l’allongement de la durée de travail, en Allemagne contre les bas salaires… partout, la classe ouvrière se défend par la lutte.
En Grèce, un accident de train a eu lieu il y a trois semaines : 57 morts. La bourgeoisie a évidemment voulu faire porter le chapeau à un travailleur. L’aiguilleur de service a été jeté en prison. Mais la classe ouvrière a immédiatement compris l’arnaque. Par milliers, des manifestants ont pris la rue pour dénoncer la vraie cause de cet accident meurtrier : le manque de personnel et l’absence de moyens. Depuis, la colère ne désenfle pas. Au contraire, la lutte s’amplifie et s’élargit, aux cris de « contre les bas salaires ! », « ras le bol ! ». Ou encore : « nous ne pouvons plus travailler comme des personnes décentes depuis la crise, mais au moins ne nous tuez pas ! ».
Notre mouvement contre la réforme des retraites est en train de participer à ce développement de la combativité et de la réflexion de notre classe au niveau mondial.
Notre mouvement montre que nous sommes capables de lutter massivement et de faire trembler la bourgeoisie. Déjà, tous les spécialistes et docteurs en politique annoncent qu’il va être très compliqué pour Macron de faire passer de nouvelles réformes et attaques d’ampleur d’ici la fin de son quinquennat.
Pour cacher aux travailleurs des autres pays cette force du mouvement social en France, tous les médias du monde diffusent en boucle les poubelles qui brûlent et les jets de pierre. Ils réduisent volontairement toute la lutte contre la réforme des retraites à une simple émeute destructrice. Mais leurs grossiers mensonges sont de moins en moins crédibles : en Allemagne, les grèves qui se développent affirment ouvertement qu’elles s’inspirent du mouvement en cours en France.
Il y a là l’embryon d’un lien international. D’ailleurs, les personnels du Mobilier national en grève contre la réforme des retraites avaient affirmé, juste avant que la venue du roi d’Angleterre à Versailles ne soit annulée : « Nous sommes solidaires des travailleurs anglais, qui sont en grève depuis des semaines pour l’augmentation des salaires ».
Ce réflexe de solidarité internationale est l’exact opposé du monde capitaliste divisé en nations concurrentes, jusqu’à la guerre ! Ce réflexe de solidarité internationale rappelle le cri de ralliement de notre classe depuis 1848 : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
Contre tous les pièges et les mensonges des bourgeoisies et de leurs médias aux ordres, dans tous les pays, c’est à nous de défendre nos méthodes de luttes, c’est à nous de comprendre ce qui fait notre force et notre unité en tant que classe, c’est à nous de tirer les leçons des combats passés pour les luttes actuelles et à venir.
Par exemple, ces derniers jours, les journaux ont indiqué la possibilité d’un « scénario à la CPE » sans dire un seul mot sur ce qui a constitué son cœur et sa force : les assemblées générales. En 2006, le gouvernement avait été contraint de retirer son Contrat Première Embauche qui allait plonger la jeunesse dans une précarité encore plus grande.
À l’époque, la bourgeoisie avait été effrayée par l’ampleur croissante de la contestation, qui commençait à dépasser le seul mouvement de la jeunesse, des étudiants précaires et des jeunes travailleurs, pour s’étendre à d’autres secteurs, avec des mots d’ordre unitaires et solidaires : « jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ! » lisait-on sur les pancartes.
Cette capacité à étendre le mouvement était le fruit des débats dans de véritables assemblées générales souveraines et ouvertes. Ces AG étaient le poumon du mouvement et ont constamment cherché, non pas à s’enfermer dans les facs ou sur les lieux de travail dans un esprit de citadelle assiégée, pour les bloquer coûte que coûte, mais à étendre la lutte, avec des délégations massives vers les entreprises voisines et les autres quartiers. Voilà ce qui a fait reculer la bourgeoisie ! Voilà ce qui a fait la force de notre mouvement ! Voilà les leçons que nous devons nous réapproprier aujourd’hui !
La force de notre classe réside dans notre unité, notre conscience de classe, notre capacité à développer notre solidarité et donc à étendre le mouvement à tous les secteurs. C’est l’aiguillon qui doit guider nos luttes.
Dans la lutte, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ! Ni sur les politiciens, ni sur les syndicats ! C’est la classe ouvrière et sa lutte qui portent une alternative, celle du renversement du capitalisme, celle de la révolution !
Aujourd’hui, il est encore difficile de nous rassembler en assemblées générales, de nous organiser nous-mêmes. C’est pourtant le seul chemin possible. Ces AG doivent être des lieux où nous décidons réellement de la conduite du mouvement. Elles sont le seul endroit pour organiser la réponse à la répression et à la défense de nos moyens de lutte comme ce fut le cas dans les AG du CPE en 2006. Ces AG sont le lieu où nous nous sentons unis et confiants dans notre force collective, où s’expriment la responsabilité et l’engagement de chacun, où nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices et partir en délégations massives pour rencontrer nos frères et sœurs de classe dans les usines, les hôpitaux, les écoles, les commerces, les administrations les plus proches. C’est l’extension rapide de la lutte à d’autres secteurs qui fera plier le gouvernement.
Aujourd’hui ou demain, les luttes vont se poursuivre, parce que le capitalisme s’enfonce dans la crise et parce que le prolétariat n’a pas d’autre choix. C’est la raison pour laquelle, partout dans le monde, les ouvriers entrent en lutte.
La bourgeoisie va poursuivre ses attaques (économie de guerre, inflation, licenciements, précarité, pénurie), sa répression et ses provocations. Face à cette dégradation des conditions de vie et de travail, la classe ouvrière internationale va reprendre de plus en plus massivement le chemin de la lutte en devant éviter tous les pièges tendus sur son chemin.
Alors, partout où nous le pouvons, dans la rue, après et avant les manifestations, sur les piquets de grève, dans les cafés et sur les lieux de travail, nous devons nous réunir, débattre, tirer les leçons des luttes passées, pour développer nos luttes actuelles et préparer les combats à venir.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 27 mars 2023
Depuis plusieurs jours dans le mouvement contre la réforme des retraites, la bourgeoisie déchaîne sa police sur les manifestants avec une violence rare. Ces provocations ont été le terrain fertile d’affrontements entre de petits groupes de Black-blocs et les forces de répression de l’État qui se sont fortement accentués. Poubelles brûlées, vitrines brisées, parties de bâtiments incendiés… Telles sont les images que les chaînes d’informations diffusent en boucle pour mieux discréditer la lutte.
La violence aveugle et ultra-minoritaire de ces groupes ne participe en rien au développement de la lutte. Bien au contraire, comme nous avons pu le constater à l’issue de la neuvième journée de mobilisation, le 23 mars, elles servent de caution aux forces de répression pour se déchaîner sur les manifestants. Ce climat de terreur perpétré par l’État vise à dissuader une partie des travailleurs de se joindre aux cortèges et à empêcher toute forme de discussions ou de rassemblement à la fin des manifestations.
La violence est une question fondamentale de la lutte révolutionnaire. C’est pourquoi, nous proposons ci-dessous un ensemble d’articles permettant d’approfondir la réflexion sur le sujet :
– Terreur, terrorisme et violence de classe [73]
– Résolution sur [74] : terrorisme, terreur et violence de classe [74]
– Black blocs [75] : des méthodes et une idéologie étrangères au prolétariat [75]
– Manifestation des lycéens à Lyon : des provocations policières pour tenter de pourrir le mouvement [77]
– La répression montre le vrai visage de l’État démocratique! [78]
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Nous sommes aujourd’hui dans la rue pour la 12e journée de manifestations contre la réforme des retraites. Chaque fois, nous sommes des millions à nous dresser contre cette attaque, à refuser la dégradation continue de nos conditions de vie et de travail, à nous serrer les coudes, à lutter ensemble.
Travailleurs, chômeurs, étudiants et retraités, nous pouvons être fiers de ce combat collectif, de cette lutte pour la dignité, de cette solidarité qui nous cimente.
L’ampleur de notre mouvement est tel qu’il inspire, en ce moment-même, les travailleurs en Allemagne, en Italie, en Tchéquie, au Royaume-Uni… Eux aussi refusent d’être de plus en plus exploités et paupérisés. C’est à l’échelle internationale que les grèves se multiplient.
Pourtant, nous ressentons aussi, tous, la limite actuelle de notre mouvement. Au Royaume-Uni, les travailleurs enchaînent les grèves depuis dix mois sans que le gouvernement ne plie. Aucune augmentation réelle des salaires, au-delà de quelques miettes. En France, le gouvernement reste « droit dans ses bottes » et maintient son attaque. Pire, les prix alimentaires flambent et les salaires stagnent. Et la future réforme sur le travail annonce déjà la couleur : plus de flexibilité, plus de précarité.
Alors, comment développer un rapport de forces en notre faveur ? Comment faire reculer la bourgeoisie ?
Une partie de la réponse se trouve dans notre propre expérience, dans notre propre histoire, particulièrement dans cet épisode de la lutte de classe qui constitue notre dernière victoire : le mouvement contre le Contrat Première Embauche (CPE) en 2006. Face à la dynamique du mouvement, la bourgeoisie française avait, en effet, dû reculer et retirer sa loi, pourtant adoptée au Parlement. Les médias parlent, d’ailleurs, de la possibilité actuelle d’un « scénario à la CPE », mais sans jamais dire ce qui, à l’époque, avait fait trembler la bourgeoisie française et son gouvernement.
Le 16 janvier 2006, le gouvernement, sous prétexte de combattre le chômage des jeunes, soumet au Parlement un projet de loi (cyniquement intitulé « pour l’égalité des chances ») qui contient une disposition particulièrement inique : le CPE. Ce contrat permet aux patrons de licencier les salariés de moins de 26 ans pendant deux ans sans la moindre justification.
Dès le 17 janvier, la jeunesse réagit à cette attaque, comprenant immédiatement qu’elle vise à accroître sa précarité au travail. Dans toutes les universités, elle se rassemble en assemblées générales (AG) pour débattre et décider ensemble de la conduite du mouvement. Des collectifs pour obtenir le retrait du CPE se forment.
Le 24 janvier est lancé le premier appel à manifester.
Le 7 février, plusieurs centaines de milliers de personnes manifestent dans toute la France alors que, dans les entreprises, aucun syndicat n’appelle à une quelconque action ou AG.
Les 14 et 16 février, plusieurs milliers d’étudiants et de lycéens manifestent à Paris, Toulouse, Rennes et Lyon.
Le 27 février, le gouvernement utilise le 49.3 pour faire passer la loi (et donc le CPE) à l’Assemblée nationale.
Le 1er mars, treize universités sont en grève. Blocages, filtrages et fermeture totale des universités sont décidés par les AG des étudiants en grève. Ce sont de véritables AG : elles décident des actions à mener et des mots d’ordre, elles sont ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités.
Le 4 mars, la Coordination nationale étudiante, constituée par les délégués élus par les AG, se réunit à Jussieu (Paris). Une cinquantaine de travailleurs, de chômeurs et de retraités venus des quatre coins de la France souhaitent participer aux débats. Mais le syndicat étudiant UNEF s’y oppose. Le débat s’engage dans l’assemblée, la position de l’UNEF est mise en minorité, les portes s’ouvrent et la cinquantaine « d’extérieurs » peut entrer. Durant toute la discussion, les représentants de l’UNEF n’auront de cesse de vouloir réduire le mouvement à des revendications purement estudiantines, quand le reste de l’assemblée œuvrera à élargir les mots d’ordre à tous les travailleurs.
Le 7 mars, la protestation s’intensifie. Près d’un million de manifestants défilent dans toute la France. On commence à voir des salariés se joindre à la manif, mais soit dans les cortèges étudiants, soit sur les trottoirs, rarement derrière les banderoles syndicales. À Paris, les syndicats se mettent en tête de la manifestation. Voyant cela, les étudiants se précipitent et s’imposent à l’avant du cortège. Une vingtaine d’universités sont en grève, avec toujours plus d’AG souveraines.
Le 8 mars, des étudiants de la Sorbonne occupent leur fac pour pouvoir tenir leurs assemblées. Le rectorat de Paris exige l’évacuation du bâtiment classé « monument historique ». Les étudiants refusent et sont encerclés par les CRS et les Gendarmes mobiles qui transforment l’université en véritable souricière.
Le 9 mars, le Parlement adopte définitivement le CPE. Le Premier ministre annonce que la mesure sera appliquée « dans les prochaines semaines ».
Le 10 mars, les étudiants des autres facs décident de se rendre massivement et pacifiquement à la Sorbonne, pour apporter leur solidarité et de la nourriture à leurs camarades affamés et pris en otage sur ordre du Recteur de l’Académie de Paris et du ministère de l’Intérieur.
Dans la nuit du 10 au 11, les forces de l’ordre envahissent la Sorbonne, à coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Ils expulsent les étudiants en lutte et en arrêtent plusieurs dizaines.
Le 16 mars, 64 des 84 universités sont bloquées.
Le 18 mars, démonstration de force des anti-CPE : près d’un million et demi de personnes dans la rue. Les syndicats ne font toujours rien dans les entreprises, aucune action, aucune AG.
Le 19 mars, les syndicats brandissent « la menace d’une grève générale »... une menace en l’air jamais exécutée. Un texte normalement réservé aux membres de l’UNEF fuite dans les rangs étudiants. Ce texte explique à ses adhérents comment noyauter les AG, contrôler les débats et les décisions. L’indignation est générale. Certaines assemblées scandent « Unef-Medef », pour souligner le travail de sape du syndicat de l’intérieur au profit du patronat.
Le 20 mars, le Premier ministre exclut une nouvelle fois tout retrait du CPE.
Le 21 mars, un quart des lycées sont bloqués.
Les 28 mars et 4 avril, nouvelles mobilisations record : près de trois millions de manifestants défilent dans toute la France.
Le 10 avril, le CPE est retiré !
Ce qui a fait la force de ce mouvement, c’est d’abord et avant tout le renforcement de la solidarité active dans la lutte. C’est en resserrant les rangs, en construisant un tissu très serré, en comprenant que l’union fait la force, que les étudiants (et les lycéens) ont pu mettre en pratique le vieux mot d’ordre du mouvement ouvrier : « Un pour tous, tous pour un ! »
Les assemblées générales massives, poumon du mouvement
Les amphithéâtres où se tenaient les AG étaient pleins à craquer. Les travailleurs, chômeurs, retraités étaient invités à venir participer aux débats, à apporter leur expérience. Tous les travailleurs qui ont assisté à ces AG ont été sidérés par la capacité de cette jeune génération à distribuer la parole, à convaincre, à confronter les arguments… Les étudiants défendaient en permanence le caractère souverain des AG, avec leurs délégués élus et révocables (sur la base de mandats et remises de mandat), à travers le vote à main levée. Tous les jours, des équipes différentes organisaient le débat à la tribune. Pour pouvoir répartir les tâches, centraliser, coordonner et garder la maîtrise du mouvement, les comités de grève décidaient d’élire différentes commissions : presse, animation et réflexion, accueil et information, etc. C’est grâce aux AG, véritables lieux ouverts de débats et de décisions, et à la centralisation de la lutte que les étudiants décidaient des actions à mener, avec comme principale préoccupation l’extension du mouvement aux entreprises.
La dynamique vers l’extension de la lutte à toute la classe ouvrière
Les étudiants avaient parfaitement compris que l’issue de leur combat était entre les mains des travailleurs salariés. Comme l’avait dit un étudiant dans une réunion de la coordination francilienne du 8 mars « si on reste isolés, on va se faire manger tout crus ». Cette dynamique vers l’extension du mouvement, vers la grève de masse, a démarré dès le début de la mobilisation. Les étudiants ont envoyé partout des délégations massives vers les travailleurs des entreprises proches de leurs lieux d’études. Mais ils se sont heurtés au « blocage de l’économie » syndical : les travailleurs sont restés enfermés dans leurs entreprises sans possibilité de discuter avec les délégations d’étudiants. Alors les « petits sioux » des facs ont dû imaginer un autre moyen de contourner le barrage syndical. Ils ont ouvert les amphithéâtres dans lesquels se tenaient leurs AG. Ils ont demandé aux travailleurs et retraités de leur transmettre leur expérience. Ils avaient soif d’apprendre des vieilles générations. Et les « vieux » avaient soif de transmettre aux « jeunes ». Tandis que les « jeunes » gagnaient en maturité, les « vieux » étaient en train de rajeunir ! C’est cette osmose entre toutes les générations de la classe ouvrière qui a donné une impulsion nouvelle au mouvement. La plus grande victoire, c’est la lutte elle-même : « Parfois les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leur lutte est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs » (Marx et Engels, Manifeste communiste, 1848).
Le mouvement des étudiants de 2006 allait bien au-delà d’une simple protestation contre le CPE. Comme l’avait dit un professeur de l’université de Paris-Tolbiac, à la manifestation du 7 mars : « le CPE n’est pas seulement une attaque économique réelle et ponctuelle. C’est aussi un symbole ». Effectivement, c’était le « symbole » de la faillite de l’économie capitaliste.
C’était aussi une réponse implicite contre les « bavures » policières (celle qui, à l’automne 2005, avait provoqué la mort « accidentelle » de deux jeunes innocents dénoncés comme « cambrioleurs » par un « citoyen » et poursuivis par les flics). La répression des étudiants de la Sorbonne qui voulaient seulement pouvoir tenir des AG n’a fait que renforcer la détermination des étudiants. Toute la bourgeoisie et ses médias aux ordres n’ont cessé, heure après heure, de faire de la publicité mensongère pour faire passer les étudiants pour des « voyous ». Mais la classe ouvrière n’a pas mordu à l’hameçon. Au contraire, la violence des flics de la bourgeoisie a révélé au grand jour la violence du système capitaliste et de son État « démocratique ». Un système qui jette sur le pavé des millions d’ouvriers, qui veut réduire à la misère les jeunes comme les retraités, un système qui fait régner « le droit et l’ordre » par la matraque.
Les nouvelles générations de la classe ouvrière ont refusé de céder à la provocation de l’État policier. Elles ont refusé d’utiliser la violence aveugle et désespérée. Face à la répression et aux provocations, elles ont maintenu leur méthode de lutte : les AG souveraines, la solidarité et l’extension de la mobilisation !
Ces méthodes de lutte qui ont fait la force du mouvement en 2006, qui ont fait trembler la bourgeoisie et l’ont contrainte à reculer, nous aussi nous sommes capables de les mettre en œuvre !
Le CPE n’attaquait pas les jeunes précaires en tant qu’étudiants mais en tant que futurs travailleurs. Les méthodes de lutte qu’ont employées instinctivement les étudiants en grève sont celles de toute la classe ouvrière. Prendre ainsi la lutte en main sur les lieux de travail, se rassembler en AG souveraines, décider collectivement des actions et des mots d’ordre, débattre et construire ensemble le mouvement, étendre la lutte aux secteurs géographiques les plus proches, en allant à la rencontre des travailleurs de l’école, de l’hôpital, de l’usine, de l’administration d’à-côté… tout cela est possible. Réfléchir et élaborer ensemble au sein de ces AG est aussi le moyen de ne pas tomber dans le piège des provocations policières et des affrontements stériles. Les étudiants en 2006 l’ont prouvé !
Nous organiser en AG est aujourd’hui l’étape décisive que nous ne sommes pas encore parvenus à franchir pour transformer les millions que nous sommes dans la rue en véritable force collective, unie et solidaire. Parce que nous manquons de confiance en nous-mêmes, parce que nous confions la direction de nos luttes aux organisations syndicales, parce que nous avons oublié que nous avons déjà été capables de lutter ainsi par le passé. En Pologne en 1980, en Italie en 1969, en France en 1968... pour ne prendre que les trois exemples les plus célèbres des soixante dernières années.
Pour passer ce cap, tous les travailleurs, chômeurs, retraités, étudiants qui cherchent à développer la lutte et la force collective de notre classe, doivent se réunir pour débattre, échanger sur leur expérience et essayer ensemble de se réapproprier les leçons du passé.
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !
Courant Communiste International, 5 avril 2023
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« Trop c’est trop ! » – Royaume-Uni. « Pas une année de plus, pas un euro de moins » – France. « L’indignation vient de loin » – Espagne. « Pour nous tous » – Allemagne. Tous ces slogans, scandés lors des grèves de ces derniers mois à travers le monde, révèlent à quel point les luttes ouvrières actuelles expriment le refus de la dégradation générale de nos conditions de vie et de travail. Au Danemark, au Portugal, aux Pays-Bas, aux États-Unis, au Canada, au Mexique, en Chine… les mêmes grèves contre la même exploitation de plus en plus insoutenable. « La vraie galère : ne pas pouvoir se chauffer, manger, se soigner, rouler ! »
Mais nos luttes sont aussi beaucoup plus que cela. Dans les manifestations, on commence à lire sur quelques pancartes le refus de la guerre en Ukraine, le refus de produire toujours plus d’armes et de bombes, de devoir se serrer la ceinture au nom du développement de cette économie de guerre : « Pas de sous pour la guerre, pas de sous pour les armes, des sous pour les salaires, des sous pour les retraites » a-t-on pu entendre lors des manifestations en France. Elles expriment aussi le refus de voir la planète être détruite au nom du profit.
Nos luttes sont le seul rempart contre cette dynamique autodestructrice, le seul rempart face à la mort que promet le capitalisme à toute l’humanité. Car, laissé à sa seule logique, ce système décadent va entraîner des parties de plus en plus larges de l’humanité dans la guerre et la misère, il va détruire la planète à coups de gaz à effet de serre, de forêts rasées et de bombes.
La classe qui dirige la société mondiale, la bourgeoisie, a en partie conscience de cette réalité, de cet avenir barbare que nous promet son système moribond. Il suffit de lire les études et travaux de ses propres experts pour le constater. Selon le « Rapport sur les risques mondiaux » présenté au Forum économique mondial de Davos de janvier 2023 : « Les premières années de cette décennie ont annoncé une période particulièrement perturbée de l’histoire humaine. Le retour à une “nouvelle normalité” après la pandémie de Covid-19 a été rapidement affecté par l’éclatement de la guerre en Ukraine, inaugurant une nouvelle série de crises alimentaires et énergétiques […]. En ce début d’année 2023, le monde est confronté à une série de risques […] : inflation, crises du coût de la vie, guerres commerciales […], affrontements géopolitiques et spectre de la guerre nucléaire […], niveaux d’endettement insoutenables […], déclin du développement humain […], pression croissante des impacts et des ambitions liés au changement climatique […]. Tous ces éléments convergent pour façonner une décennie unique, incertaine et troublée ».
En réalité, la décennie à venir n’est pas si « incertaine » que cela, puisque selon ce même Rapport : « La prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales […], la “crise du coût de la vie” […], la perte de biodiversité et l’effondrement des écosystèmes […], la confrontation géoéconomique […], la migration involontaire à grande échelle […], la fragmentation de l’économie mondiale, les tensions géopolitiques […]. La guerre économique devient la norme, avec des affrontements croissants entre les puissances mondiales […]. La récente augmentation des dépenses militaires […] pourrait entraîner une course mondiale aux armements […], avec le déploiement ciblé d’armes de nouvelle technologie à une échelle potentiellement plus destructrice que celle observée au cours des dernières décennies ».
Face à cette perspective accablante, la bourgeoisie ne peut qu’être impuissante. Elle et son système ne sont pas la solution, ils sont la cause du problème. Si dans les grands médias, elle cherche à nous faire croire qu’elle met tout en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique, qu’un capitalisme « vert » et « durable » est possible, elle sait l’ampleur de son mensonge. Car, comme le souligne le « Rapport sur les risques mondiaux » : « les niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et d’oxyde nitreux ont tous atteint des sommets. Les trajectoires d’émissions rendent très improbable la réalisation des ambitions mondiales visant à limiter le réchauffement à 1,5 °C. Les événements récents ont mis en évidence une divergence entre ce qui est scientifiquement nécessaire et ce qui est politiquement opportun ».
En réalité, cette « divergence » ne se limite pas à la question climatique. Elle exprime la contradiction fondamentale d’un système économique basé non sur la satisfaction des besoins humains mais sur le profit et la concurrence, sur la prédation des ressources naturelles et l’exploitation féroce de la classe qui produit l’essentiel de la richesse sociale : le prolétariat, les travailleurs salariés de tous les pays.
Ainsi, le capitalisme et la bourgeoisie forment l’un des deux pôles de la société, celui qui mène l’humanité vers la misère et la guerre, vers la barbarie et la destruction. L’autre pôle, c’est le prolétariat et sa lutte. Depuis un an, dans les mouvements sociaux qui se développent en France, au Royaume-Uni, en Espagne… travailleurs, retraités, chômeurs, étudiants se serrent les coudes. Cette solidarité active, cette combativité collective, sont les témoins de ce qu’est la nature profonde de la lutte ouvrière : une lutte pour un monde radicalement différent, un monde sans exploitation ni classes sociales, sans concurrence, sans frontières ni nations. « Les ouvriers restent soudés », crient les grévistes au Royaume-Uni. « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! », confirment les manifestants en France. La bannière « Pour nous tous » sous laquelle a eu lieu la grève contre la paupérisation en Allemagne, le 27 mars, est particulièrement significative de ce sentiment général qui grandit dans la classe ouvrière : nous sommes tous dans le même bateau et nous luttons tous les uns pour les autres. Les grèves en Allemagne, au Royaume-Uni et en France s’inspirent les unes des autres. En France, des travailleurs se sont explicitement mis en grève par solidarité avec leurs frères de classe en lutte en Angleterre : « Nous sommes solidaires des travailleurs anglais, qui sont en grève depuis des semaines pour l’augmentation des salaires ». Ce réflexe de solidarité internationale est l’exact opposé du monde capitaliste divisé en nations concurrentes, jusqu’à la guerre. Il rappelle le cri de ralliement de notre classe depuis 1848 : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
Ainsi, de par le monde, l’ambiance sociale est en train de changer. Après des décennies d’atonie et de tête basse, à subir, la classe ouvrière commence à retrouver le chemin de sa lutte et de sa dignité. Voilà ce qu’a montré « L’été de la colère » et le retour des grèves au Royaume-Uni, près de quarante ans après la défaite des mineurs face à Thatcher en 1985.
Mais nous ressentons aussi tous les difficultés et les limites actuelles de nos luttes. Face au rouleau compresseur de la crise économique, de l’inflation et des attaques gouvernementales qu’ils nomment « réformes », nous ne parvenons pas encore à établir un rapport de forces en notre faveur. Souvent isolés dans des grèves séparées les unes des autres, ou frustrés de réduire nos manifestations à des marches-défilés, sans rencontres ni discussions, sans assemblées générales ni organisations collectives, nous aspirons tous à un mouvement plus large, plus fort, plus solidaire et unitaire. Dans les cortèges en France, l’appel à un nouveau Mai 68 revient sans cesse. Face à la « réforme » qui repousse l’âge de départ en retraite à 64 ans, le slogan le plus populaire sur les pancartes brandies est : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 ».
En 1968, le prolétariat en France s’est uni en prenant en mains ses luttes. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales se sont propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Face à cette dynamique d’extension et d’unité de la lutte ouvrière, gouvernement et syndicats se sont empressés de signer un accord de hausse généralisée des salaires afin d’arrêter le mouvement. En même temps que se produisait ce réveil de la lutte ouvrière, on pouvait assister à un retour en force de l’idée de la révolution, laquelle était discutée par de nombreux travailleurs en lutte.
Un événement d’une telle ampleur était le signe d’un changement fondamental dans la vie de la société : c’était la fin de la terrible contre-révolution qui s’était abattue sur la classe ouvrière à partir de la fin des années 1920 avec l’échec de la révolution mondiale ayant suivi sa première victoire d’octobre 1917 en Russie. Une contre-révolution qui avait pris notamment le visage hideux du stalinisme et du fascisme, qui avait ouvert la porte de la Seconde Guerre mondiale avec ses 60 millions de morts et qui s’était poursuivie pendant deux décennies après celle-ci. Et cela s’est confirmé rapidement dans toutes les parties du monde par une série de luttes d’une importance inconnue depuis des décennies :
– L’automne chaud italien de 1969, baptisé aussi « le Mai rampant », qui voit des luttes massives dans les principaux centres industriels et une remise en cause explicite de l’encadrement syndical.
– Le soulèvement des ouvriers de Córdoba en Argentine, la même année.
– Les grèves massives des ouvriers de la Baltique en Pologne, durant l’hiver 1970-71.
– De multiples autres luttes les années suivantes dans pratiquement tous les pays européens, particulièrement au Royaume-Uni.
– En 1980, en Pologne, face à l’augmentation des prix de l’alimentation, les grévistes portaient encore plus loin cette vague internationale en prenant en main leurs luttes, en se rassemblant en d’immenses assemblées générales, en décidant eux-mêmes des revendications comme des actions à mener et, surtout, en ayant pour souci constant d’étendre la lutte. Face à cette force, ce n’est pas simplement la bourgeoisie polonaise qui avait tremblé mais celle de tous les pays.
En deux décennies, de 1968 à 1989, toute une génération ouvrière a acquis une expérience dans la lutte. Ses nombreuses défaites, ses victoires parfois, ont permis à cette génération de se confronter aux nombreux pièges tendus par la bourgeoise pour saboter, diviser, démoraliser. Ses luttes doivent nous permettre de tirer des leçons vitales pour nos luttes actuelles et à venir : seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, hors et même contre le contrôle syndical, peut constituer la base d’une lutte unie et qui s’étend, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations. Des AG dans lesquelles nous nous sentons unis et confiants en notre force collective. Des AG dans lesquelles nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices. Des AG dans lesquelles nous nous rassemblons et depuis lesquelles nous pouvons partir en délégations massives à la rencontre de nos frères de classe, les travailleurs de l’usine, de l’hôpital, de l’établissement scolaire, du centre commercial, de l’administration... les plus proches.
La nouvelle génération ouvrière, qui aujourd’hui est en train de reprendre le flambeau, doit se rassembler, débattre, pour se réapproprier ces grandes leçons des luttes passées. Les anciens doivent raconter aux jeunes leurs combats, pour que l’expérience accumulée se transmette et devienne une arme dans les luttes à venir.
Mais il nous faudra aussi aller plus loin. La vague de lutte internationale commencée en Mai 68 était une réaction au ralentissement de la croissance et à la réapparition du chômage de masse. Aujourd’hui, la situation est autrement plus grave. L’état catastrophique du capitalisme met en jeu la survie même de l’humanité. Si nous ne parvenons pas à le renverser, la barbarie va progressivement se généraliser.
L’élan de Mai 68 a été brisé par un double mensonge de la bourgeoisie : lors de l’effondrement des régimes staliniens en 1989-91, elle a prétendu que la faillite du stalinisme signifiait la mort du communisme et qu’une nouvelle ère de paix et de prospérité s’ouvrait. Trois décennies après, nous savons d’expérience qu’en guise de paix et de prospérité, nous avons eu la guerre et la misère. Il nous reste à comprendre que le stalinisme est l’antithèse du communisme, qu’il s’agit d’une forme particulièrement brutale de capitalisme d’État issue de la contre-révolution des années 1920. En falsifiant l’Histoire, en faisant passer le stalinisme pour du communisme (comme hier l’URSS et aujourd’hui la Chine, Cuba, le Venezuela ou la Corée du Nord !), la bourgeoisie est parvenue à faire croire à la classe ouvrière que son projet révolutionnaire d’émancipation ne pouvait que mener à la ruine. Jusqu’à ce que le mot « révolution » lui-même devienne suspect et honteux.
Mais dans la lutte, nous allons peu à peu développer notre force collective, notre confiance en nous-mêmes, notre solidarité, notre unité, notre auto-organisation. Dans la lutte, nous allons peu à peu nous rendre compte que nous, la classe ouvrière, sommes capables d’offrir une autre perspective que la mort promise par un système capitaliste en décomposition : la révolution communiste. La perspective de la révolution prolétarienne va faire son retour dans nos têtes et nos combats.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 22 avril 2023
Partout dans le monde nous voyons des ouvriers rentrer en lutte… et de nouveau aujourd’hui apparaissent dans les manifestations des références à Mai 68.
Mais cette fois il faudra ALLER PLUS LOIN QU’EN 1968 !
Tous les camarades ont certainement vu dans les manifestations ce slogan qui est apparu dans plusieurs villes : "Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 !" Cette référence à Mai 68 est le signe qu’il existe une réflexion souterraine dans la classe sur les leçons des luttes passées, ce qui se traduira tôt ou tard par de nouvelles avancées du mouvement.
Nous voulons contribuer à cette réflexion et cela tombe bien car c’est aujourd’hui un jour d’anniversaire. En effet, nous sommes le 13 mai 2023 et il y a tout juste 55 ans, le 13 mai 1968, des manifestations, d’une ampleur jamais vue, eurent lieu dans toute la France à l’appel des grandes centrales syndicales. Elles faisaient suite aux manifestations spontanées qui, le samedi 11 mai, avaient protesté énergiquement contre la répression extrêmement violente qu’avaient subie les étudiants la veille. Cette mobilisation oblige la bourgeoisie à reculer. Pompidou annonce que les forces de l’ordre seront retirées du Quartier latin, que la Sorbonne sera rouverte et que les étudiants emprisonnés seront libérés. Les discussions se multiplient partout, pas seulement sur la répression mais aussi sur les conditions de travail des ouvriers, l’exploitation, l’avenir de la société. Ces manifestations du 13 mai en solidarité avec les étudiants sont appelées par des syndicats qui sont dans un premier temps débordés et qui cherchent à reprendre le contrôle du mouvement.
Ces manifestations représentent un tournant, non seulement par leur ampleur mais surtout parce qu’elles annoncent l’entrée en scène de la classe ouvrière. Le lendemain, les ouvriers de Sud-Aviation à Nantes déclenchent une grève spontanée. Ils seront suivis par un mouvement de masse qui atteindra les 9 millions de grévistes le 27 mai. C’était la plus grande grève du l’histoire du mouvement ouvrier international. Partout on revendique, on s’indigne, on se politise, on discute, dans les manifestations, les assemblées générales et les comités d’action qui naissent comme des champignons.
Même si c’est en France que le mouvement est allé le plus loin, il s’inscrivait dans une série de luttes internationales qui ont touché de nombreux pays dans le monde. Ces luttes internationales étaient le signe d’un changement fondamental dans la vie de la société, elles marquaient une rupture avec la période précédente : c’était la fin de la terrible contre-révolution qui s’était abattue sur la classe ouvrière suite à l’échec de la vague révolutionnaire mondiale initiée par le succès de la révolution de 1917 en Russie.
Même si ce n’est pas avec la même ampleur, il se produit à nouveau aujourd’hui une telle rupture avec la période précédente. Partout dans le monde, on voit des ouvriers entrer en lutte contre des conditions de vie et de travail insupportables, en particulier contre l’inflation qui réduit les salaires comme une peau de chagrin. On lit sur les pancartes et les banderoles : « Trop c’est trop ! » au Royaume-Uni ; « Pas une année de plus, pas un euro de moins » en France ; « L’indignation vient de loin » en Espagne ; « Pour nous tous » en Allemagne.
Au Danemark, au Portugal, aux Pays-Bas, aux États- Unis, au Canada, au Mexique, en Chine et en ce moment en Suède où se déroule une grève sauvage chez les conducteurs de trains de banlieue à Stockholm ; dans de nombreux pays, ce sont les mêmes grèves contre la même exploitation, comme le résument très bien les ouvriers anglais : « La vraie galère : [c’est] ne pas pouvoir se chauffer, manger, se soigner, se déplacer ! » La rupture à laquelle nous assistons aujourd’hui, c’est la reprise d’une dynamique de luttes internationales après des décennies de recul de la combativité et de la conscience dans la classe ouvrière. En effet, la faillite du stalinisme en 1989-91 avait été l’occasion de vastes campagnes idéologiques sur l’impossibilité d’une alternative au capitalisme, sur l’éternité de la démocratie bourgeoise comme unique régime politique viable. Ces campagnes ont eu un très fort impact sur une classe ouvrière qui n’avait pas réussi à pousser plus loin la politisation de ses luttes.
Dans les manifestations en France, on a commencé à lire sur quelques pancartes le refus de la guerre en Ukraine, le refus de se serrer la ceinture au nom de cette économie de guerre : « Pas de sous pour la guerre, pas de sous pour les armes, des sous pour les salaires, des sous pour les retraites ».
Même si ce n’est pas toujours clair dans la tête des manifestants, seul le combat du prolétariat sur son terrain de classe peut être un rempart contre la guerre, contre cette dynamique autodestructrice, un rempart face à la mort que promet le capitalisme à toute l’humanité. Car, laissé à sa seule logique, ce système décadent va entraîner des parties de plus en plus larges de l’humanité dans la guerre et la misère, il va détruire la planète à coups de gaz à effet de serre, de forêts rasées et de bombes.
Comme le dit la première partie du titre de notre 3ème manifeste : « Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… » La classe qui dirige la société mondiale, la bourgeoisie, a en partie conscience de cette réalité, de cet avenir barbare que nous promet son système moribond. Il suffit de lire les études et travaux de ses propres experts pour le constater. Notamment le « Rapport sur les risques mondiaux » présenté au Forum économique mondial de Davos de janvier 2023 et que nous avons largement cité dans notre dernier tract [1].
Face à cette perspective accablante, la bourgeoisie ne peut qu’être impuissante. Elle et son système ne sont pas la solution, ils sont la cause du problème. Si dans les grands médias, la bourgeoisie cherche à nous faire croire qu’elle met tout en œuvre pour lutter contre le réchauffement climatique, qu’un capitalisme « vert » et « durable » est possible, elle sait très bien que ce sont des mensonges.
En réalité, le problème ne se limite pas à la question climatique. Il exprime la contradiction fondamentale d’un système économique basé NON sur la satisfaction des besoins humains mais sur le profit et la concurrence, sur la prédation des ressources naturelles et l’exploitation féroce de la classe qui produit l’essentiel de la richesse sociale : le prolétariat, les travailleurs salariés de tous les pays. Ainsi, le capitalisme et la bourgeoisie constituent l’un des deux pôles de la société, celui qui mène l’humanité vers la misère et la guerre, vers la barbarie et la destruction. L’autre pôle, c’est le prolétariat et sa lutte de résistance au capitalisme devant déboucher sur son renversement.
Ces réflexes de solidarité active, cette combativité collective que nous voyons aujourd’hui, sont les témoins de la nature profonde de la lutte ouvrière destinée à assumer une lutte pour un monde radicalement différent, un monde sans exploitation ni classes sociales, sans concurrence, sans frontières ni nations. « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! », confirment les manifestants en France. La bannière « Pour nous tous » sous laquelle a eu lieu la grève contre la paupérisation en Allemagne, le 27 mars, est particulièrement significative de ce sentiment général qui grandit dans la classe ouvrière : « nous sommes tous dans le même bateau » et nous luttons tous les uns pour les autres. Les grèves en Allemagne, au Royaume-Uni et en France s’inspirent les unes des autres. Par exemple, en France, les travailleurs du Mobilier national, avant l’annulation de la visite de Charles III, se sont explicitement mis en grève par solidarité avec leurs frères de classe en Angleterre : « Nous sommes solidaires des travailleurs anglais, qui sont en grève depuis des semaines pour l’augmentation des salaires ». Ce réflexe de solidarité internationale, même s’il est encore embryonnaire, est l’exact opposé du monde capitaliste divisé en nations concurrentes, jusqu’à la guerre. Il rappelle le cri de ralliement de notre classe depuis 1848 : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ».
Mais nous ressentons aussi tous les difficultés et les limites actuelles de ces luttes. Face au rouleau compresseur de la crise économique, de l’inflation et des attaques gouvernementales qu’ils nomment « réformes », les ouvriers ne parviennent pas encore à établir un rapport de forces en leur faveur. Souvent isolés par les syndicats dans des grèves séparées les unes des autres, ils sont frustrés de réduire les manifestations à des marches-défilés, sans rencontres ni discussions ni organisation collective, souvent ils aspirent tous à un mouvement plus large, plus fort, plus solidaire et unitaire. Dans les cortèges en France, l’appel à un nouveau Mai 68 revient régulièrement.
Effectivement, il faut reprendre les méthodes de luttes qu’on a vu s’affirmer dans toute la période qui commence en 1968. Un des meilleurs exemples est celui de la Pologne en 1980. Face à l’augmentation des prix de l’alimentation, les grévistes portaient encore plus loin cette vague internationale en prenant en main leurs luttes, en se rassemblant en d’immenses assemblées générales, en centralisant les différents comités de grève grâce au MKS, le comité inter-entreprises. Ainsi dans toutes ces assemblées, les ouvriers décidaient eux-mêmes des revendications comme des actions à mener et, surtout, avaient pour souci constant d’étendre la lutte. Face à cette force, nous savons que ce n’est pas simplement la bourgeoisie polonaise qui avait tremblé mais celle de tous les pays.
En deux décennies, de 1968 à 1989, toute une génération ouvrière a acquis une expérience dans la lutte. Ses nombreuses défaites, ses victoires parfois, ont permis à cette génération de se confronter aux nombreux pièges tendus par la bourgeoise pour saboter, diviser, démoraliser. Ses luttes doivent nous permettre de tirer des leçons vitales pour nos luttes actuelles et à venir : seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, en contestant et neutralisant le contrôle syndical dès que possible, peut constituer la base d’une lutte unie et qui s’étend, portée par la solidarité entre tous les secteurs.
Lors de la diffusion du dernier tract, un manifestant nous a exprimé son accord sur les méthodes de lutte qu’il fallait reprendre, mais il était sceptique sur le titre. « Aller plus loin qu’en 68 ? Si nous faisions comme en 68 ce serait déjà pas mal, nous a-t-il dit. » Si ! Il faut aller plus loin qu’en 68 car les enjeux ne sont plus les mêmes. La vague de lutte internationale commencée en Mai 68 était une réaction aux premiers signes de la crise et à la réapparition du chômage de masse. Aujourd’hui, la situation est autrement plus grave. L’état catastrophique du capitalisme met en jeu la survie même de l’humanité. Si la classe ouvrière ne parvient pas à le renverser, la barbarie va progressivement se généraliser.
L’élan de Mai 68 a été brisé par un double mensonge de la bourgeoisie : lors de l’effondrement des régimes staliniens en 1989-91, elle a prétendu que la faillite du stalinisme signifiait la mort du communisme et qu’une nouvelle ère de paix et de prospérité s’ouvrait. Trois décennies après, nous savons d’expérience qu’en guise de paix et de prospérité, nous avons eu la guerre et la misère, que le stalinisme est l’antithèse du communisme (comme hier l’URSS et aujourd’hui la Chine, Cuba, le Venezuela ou la Corée du Nord !). En falsifiant l’histoire, la bourgeoisie est parvenue à faire croire à la classe ouvrière que son projet révolutionnaire d’émancipation ne pouvait que mener à la ruine. Jusqu’à ce que le mot « révolution » lui-même devienne suspect et honteux. Mais dans la lutte, les ouvriers peuvent peu à peu développer leur propre force collective, la confiance en eux-mêmes, la solidarité, leur unité, l’auto-organisation. La lutte permet peu à peu à la classe ouvrière de se rendre compte qu’elle est capable d’offrir une autre perspective que la mort promise par un système capitaliste en décomposition : la révolution communiste. La perspective de la révolution prolétarienne va faire son retour dans la tête et les combats à venir. Cette fois l’idée de révolution de Mai 68 est en train de se transformer en enjeu pour l’humanité. Face au spectacle du capitalisme en décomposition où règne le « no future », nous proclamons : « L’avenir appartient à la lutte de classe ! »
Pour finir, il nous semble que la situation présente fait émerger un certain nombre de questions que nous avons essayé d’illustrer dans cet exposé :
Venez discuter des leçons de Mai 68 pour les luttes d’aujourd’hui !
Lille : le 13 mai à 15h00, au café « Waz », 54 rue des Sarrazins (Métro « Gambetta »).
Lyon : le 13 mai à 15H00, Salle 5, 1er étage, CCO Jean-Pierre Lachaize, 39 rue G.Courteline - Villeurbanne.
Paris : le 27 mai à 15h00, au CICP, 21ter rue Voltaire, 11e arrondissement (Métro « Rue des boulets »).
Marseille : le 27 mai à 15h00, Local « Mille Babords », 61 rue Consolat.
Nantes : le 13 mai à 15H00, Salle de la Fraternité, 3 rue de l'Amiral Duchaffault, 44100 Nantes, (Station de Tramway "Duchaffault", ligne 1).
Toulouse : le 13 mai, à 14H00, Salle Castelbou 22 rue Léonce Castelbou à Toulouse, (Métro "Compas Caffarelli").
[1] . Pour la discussion : Sur BFM TV, Robert Badinter tirait lui aussi la sonnette d’alarme : Si un hélicoptère s’écrasait sur l’un des réacteurs de la centrale nucléaire de Zaporija, la catastrophe serait encore pire que Tchernobyl.
Depuis plusieurs mois, les principales villes d’Israël sont le théâtre de manifestations mobilisant des centaines de milliers de personnes pour protester contre les propositions du gouvernement Netanyahou de « réformer » la Cour suprême, qu’il considère comme un obstacle à sa politique. Mais ces manifestations, organisées sous la bannière de la défense de la démocratie et du « vrai » patriotisme israélien, n’offrent qu’une fausse alternative à la classe ouvrière. Cet article a été rédigé alors que les manifestations battaient leur plein, mais nous pensons que la pause actuelle dans les mobilisations de rue ne devrait pas durer longtemps.
Dans la phase terminale de la décadence du capitalisme, la classe dirigeante s’enlise de plus en plus dans la corruption et l’irrationalité. Elle est de moins en moins capable de contrôler son propre appareil politique, étant de plus en plus déchirée par des rivalités entre factions. La vie politique dans l’État d’Israël exprime toutes ces tendances sous une forme exacerbée.
Le gouvernement de Netanyahou est accusé de pots-de-vin et de corruption. Une des motivations de son gouvernement pour tenter de réduire l’autorité de la Cour suprême est d’empêcher les poursuites à son encontre. Comme Trump aux États-Unis, il est plus que disposé à utiliser sa fonction pour un gain personnel évident.
En outre, le gouvernement dirigé par le Likoud de Netanyahou ne peut survivre que parce qu’il est soutenu par des groupes ultra-religieux et le parti néo-fasciste du Pouvoir juif, qui sont unis derrière une volonté d’annexer ouvertement les territoires occupés en 1967, en justifiant ce dessein par des appels à la Torah. L’attitude de ces organisations à l’égard de la situation des femmes, des homosexuels et des Arabes palestiniens exprime, à l’instar de leurs ennemis islamistes détestés, une descente accélérée dans l’irrationalité et l’obscurantisme.
Le projet du gouvernement Netanyahou de museler la Cour suprême est donc également motivé par l’abandon explicite de toute solution « à deux États » pour le problème israélo-palestinien et la création d’un État purement juif du Jourdain à la mer. Ce qui implique nécessairement l’assujettissement et peut-être la déportation massive de la population palestinienne.
Toutefois, ces propositions ont provoqué des manifestations massives et soutenues durant plusieurs semaines. Celles-ci ont obligé Netanyahou à suspendre son plan et à faire un compromis avec ses partisans encore plus à droite au sein du gouvernement, en accordant au Pouvoir juif un certain nombre de postes dans le futur gouvernement. Le point le plus controversé est la formation d’une sorte de milice privée sous le contrôle direct du chef du Pouvoir juif, Itamar Ben-Gvir. Cette milice serait chargée du maintien de l’ordre en Cisjordanie. En pratique, elle servirait de couverture aux faits accomplis par les colons armés (un rôle déjà joué par les forces militaires et policières en place, mais qui provoque toutes sortes de dissensions entre les différentes branches de l’État).
Le mouvement de protestation a récemment inclus des grèves de travailleurs dans les aéroports, les d’hôpitaux, des municipalités et autres. Mais il ne s’agit pas d’un mouvement de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste. Dans la plupart des cas, les grèves étaient plutôt des lock-out, soutenus par les employeurs. Les hauts responsables de l’appareil politique, militaire et de renseignement ont également fortement soutenu les manifestations, toujours ornées de drapeaux israéliens, et qui dénoncent l’assaut du gouvernement contre la Cour suprême comme une attaque contre la démocratie, voire comme un acte « antisioniste ». Les Arabes israéliens et palestiniens, qui ont déjà une connaissance de première main des délices de la démocratie israélienne, sont restés largement à l’écart des manifestations. Si de nombreux manifestants expriment des craintes réelles quant à leur avenir sous le nouveau régime politique, il ne fait aucun doute que ce mouvement est entièrement dominé par l’affrontement entre des forces bourgeoises rivales.
Le fait qu’il s’agisse d’un conflit au sein de la bourgeoisie est encore souligné par la critique des plans du gouvernement par le président américain Biden et d’autres dirigeants occidentaux. Les politiques provocatrices du gouvernement Netanyahou à l’égard des territoires occupés ne sont pas en accord avec la politique étrangère américaine actuelle. Celle-ci visant à se présenter comme une force de paix et de réconciliation dans la région et qui adhère toujours, verbalement en tout cas, à la solution des deux États. Netanyahou a répondu en insistant sur le fait que l’amitié entre les États-Unis et Israël est indéfectible, mais qu’aucune puissance étrangère ne peut dire à Israël ce qu’il doit faire. En somme, il exprime la tendance générale au chacun pour soi en politique internationale. Déjà, le soutien manifeste du gouvernement à l’expansion de facto par l’intermédiaire des colons a provoqué une nouvelle série d’affrontements armés en Cisjordanie et la crainte d’une nouvelle intifada.
Les forces politiques de gauche et libérales de la classe dirigeante, qui soutiennent les manifestations et exigent le retour à une véritable démocratie en Israël, n’ont jamais hésité à travailler main dans la main avec les forces de droite lorsqu’il s’agissait de défendre les intérêts de l’État sioniste. Un exemple bien connu : pendant la guerre de 1948, c’est l’Irgoun (1) de droite commandée par Begin et le groupe Lehi ou gang Stern qui ont été le plus directement impliqués dans l’atroce massacre des Arabes palestiniens à Deir Yassin en avril 1948, où des dizaines, voire des centaines de civils ont été tués de sang-froid.
La force armée contrôlée par le « sionisme travailliste », la Haganah, et le nouvel État indépendant qu’elle a établi par la force des armes, ont officiellement condamné le massacre, mais cela n’a pas empêché la coopération avec les forces d’élite de la Haganah (2) à Deir Yassin. Plus important encore, non seulement les forces officielles ont participé à la destruction d’autres villages, mais elles n’ont pas hésité à tirer profit de la terreur exercée sur les Arabes palestiniens, poussés à quitter la Palestine par centaines de milliers, en résolvant ainsi le problème de l’établissement d’une majorité juive « démocratique ». Par la suite, ces réfugiés ont croupi dans des camps pendant des décennies et n’ont jamais été autorisés à rentrer chez eux. Ils n’en ont pas moins été opprimés par les États arabes, qui les ont utilisés comme un casus belli permanent contre Israël. Quant à la gauche sioniste plus radicale, à l’image d’une organisation comme la Jeune garde (Hashomair Hatzair), et plus largement le mouvement des kibboutz, loin d’établir une enclave socialiste en Israël, leurs fermes collectives ont incarné les bases militaires les plus efficaces dans la formation du nouvel État.
Depuis les années 1970, si la droite sioniste (Begin, Sharon, Netanyahou, etc.) domine de plus en plus la politique israélienne, c’est parce qu’elle tend à représenter la solution la plus décomplexée au problème de la relation d’Israël avec la Palestine dans son ensemble : la force nue, un camp militaire permanent, des lois d’apartheid. Mais cela a toujours été la logique interne du sionisme, avec sa fausse promesse originelle d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ».
Il n’est donc pas difficile pour les factions bourgeoises « antisionistes », telles que les trotskistes et les partisans de la « lutte nationale palestinienne », de prouver que le projet sioniste ne pouvait réussir que sous une forme de colonialisme, soutenu d’ailleurs par l’une ou l’autre des grandes puissances impérialistes : d’abord les Britanniques avec leur politique fourbe de « diviser pour mieux régner » en Palestine, (3) puis les États-Unis dans leurs efforts pour déloger les Britanniques de la région, et même l’URSS stalinienne à l’époque de la guerre de 1948.
Mais les gauchistes qui ont soutenu d’abord les groupes de libération palestiniens (OLP, FPLP, PDFLP, etc.) puis les islamistes du Hamas et du Hezbollah, ne nous disent pas l’autre côté de l’histoire. Comme tous les nationalismes à l’époque de la décadence capitaliste, le nationalisme palestinien participe pleinement à la logique de l’impérialisme, notamment depuis les liens établis par le Mufti de Jérusalem avec les impérialismes allemand et italien dans les années 1930 jusqu’au soutien de l’OLP par les régimes arabes régionaux ainsi que par la Russie et la Chine, et le soutien des gangs islamistes par l’Iran, le Qatar et d’autres. En soutenant les « nations opprimées », ils se font les apologistes des pogroms anti-juifs et des attentats terroristes perpétrés par l’opposition nationaliste au sionisme. Et ce depuis les premières réactions à la déclaration Balfour au début des années 1920 et la « grève générale » de 1936 contre l’immigration juive en Palestine, jusqu’aux agressions violentes contre des civils juifs (au couteau, à l’arme à feu ou à la roquette) encore perpétrées par des agents ou des partisans du Hamas et d’autres groupes islamistes.
Les porte-parole de la classe dirigeante qui répandent des illusions sur la paix au Moyen-Orient dénoncent souvent la « spirale de la violence » qui oppose sans cesse Juifs et Arabes dans la région. Mais cette spirale de la haine et de la vengeance fait partie intégrante de tous les conflits nationaux, dès lors que l'« ennemi » est défini comme une population entière. Pour sortir de ce piège mortel, il n’y a qu’une seule voie : celle qu’a tracée la Gauche communiste italienne dans les années 1930 : « Pour les vrais révolutionnaires, il n’y a naturellement pas de question “palestinienne”, mais seulement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, Arabes et Juifs compris, qui fait partie d’une lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste ».
Mais près d’un siècle plus tard, les guerres et les massacres incessants dans la région ont montré les immenses obstacles au développement d’une unité de classe entre prolétaires juifs et arabes, à la lutte pour la défense de leurs conditions de vie, et à l’ouverture d’une perspective de lutte pour une nouvelle société où l’exploitation et l’État n’existeraient plus. Plus que jamais, une telle perspective aura pour impulsion les pays centraux du capitalisme, où la classe ouvrière dispose d’un potentiel bien plus important pour surmonter les divisions que lui impose le capital, et ainsi porter l’étendard de la révolution avec les travailleurs du monde entier.
Amos, 22 avril 2023
1 Organisation armée de la droite sioniste née en 1931 d’une scission au sein de la Haganah.
2 Organisation armée la plus importante du mouvement sioniste entre 1920 et 1948. Elle servit d’ossature à la création de l’armée israélienne (« Tsahal ») à partir de 1948.
3 Cf. l’analyse de ces manœuvres impérialistes dans la revue de la Gauche communiste italienne, Bilan, en 1936 : « Le conflit Juifs / Arabes : La position des internationalistes dans les années trente : Bilan n° 30 et 31 », Revue internationale n°110, (3 [87]e [87] trimestre 2002). [87]
Le 14 mars 1883, il y a 140 ans, disparaissait Karl Marx, un militant et combattant révolutionnaire de premier plan. Présenté par la bourgeoisie tantôt comme un “philosophe” ou un “économiste”, tantôt comme le diable en personne, il a été tout au long de sa vie traqué et calomnié par ses détracteurs et les forces de police. Souvent présenté à tort comme une icône inoffensive ou un penseur “dépassé”, il lègue au contraire une contribution solidement basée sur la méthode du matérialisme historique qui, une fois débarrassée des déformations dont l’ont affublé les staliniens et les gauchistes, constitue une arme fondamentale au service de la lutte du prolétariat pour son émancipation. Ses capacités souvent méconnues d’organisateur de talent, ses polémiques, son tranchant et sa plume aiguisée, en font un des plus grands révolutionnaire de son temps. Nous publions ci-dessous une série d’articles qui lui sont dédiés.
A) https://fr.internationalism.org/icconline/201806/9718/200-ans-karl-marx-militant-revolutionnaire [91]
B) https://fr.internationalism.org/rinte33/marx.htm [92]
D) https://fr.internationalism.org/ri406/qu_est_ce_que_le_marxisme.html [94]
E) https://fr.internationalism.org/content/9729/bicentenaire-karl-marx-combattant-classe-ouvriere [95]
F) https://fr.internationalism.org/rinte69/communisme.htm [96].
Au début de la guerre en Ukraine, le Courant Communiste International a proposé aux autres groupes de la Gauche communiste une déclaration commune internationaliste [101] sur le conflit. Trois de ces groupes ont affirmé leur volonté de participer et une déclaration a été discutée, approuvée et publiée par ces différents groupes. Le principe de la déclaration commune était que sur la question fondamentale de la guerre impérialiste et de la perspective internationaliste, les différents groupes de la Gauche communiste étaient d’accord et pouvaient s’unir pour fournir, avec plus de force, une alternative politique claire à la barbarie capitaliste pour la classe ouvrière dans les différents pays.
L’autre aspect de la déclaration commune était que sur d’autres questions, en particulier sur l’analyse de la guerre impérialiste actuelle, ses origines et ses perspectives, il existait des différences entre les groupes constitutifs qui devaient être discutées et clarifiées. En conséquence, les groupes ont décidé d’élaborer de brèves déclarations sur ces questions et de les publier dans un bulletin.
Nous invitons nos lecteurs à consulter ce premier Bulletin de discussion [102] en anglais. Ce document sera prochainement traduit en français.
Face aux attaques incessantes contre leurs conditions de vie, les travailleurs argentins répondent avec une combativité de plus en plus forte. La bourgeoisie en argentine se prépare à une possible vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi, avec le soutien des syndicats et du gouvernement, elle prend des mesures pour étouffer immédiatement toute expression de colère face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par le capitalisme à l’échelle mondiale.
L’Argentine est actuellement le pays de la région sud-américaine où l’inflation est la plus élevée après le Venezuela. Fin 2022 le taux d’inflation a atteint 94 %, le plus élevé depuis 1991 ! La guerre en Ukraine, (1) après la pandémie du Covid-19, a eu des conséquences brutales. L’inflation entraîne une détérioration accrue des conditions matérielles de la population, mais aggrave davantage celles de la classe ouvrière dans tous les pays. L’inflation érode son pouvoir d’achat alors que les salaires n’augmentent pas. Ce n’est pas un hasard si le 26 août dernier, le gouvernement argentin a officialisé une augmentation de 21 % du salaire minimum, en trois tranches, passant de 47 850 pesos par mois (environ 200 euros) à 57 900 pesos (243 euros) à partir de novembre de cette année. (2)
Face à la crise qui frappe l’Argentine, de nombreuses luttes ont eu lieu ces derniers mois, comme celle des ouvriers des entreprises de pneumatiques Bridgestone, Fate et Pirelli. L’industrie automobile argentine a été paralysée pendant plusieurs mois, ce qui a affecté la production de ces usines. Après une longue négociation entre le syndicat Sutna, (3) les entreprises et le gouvernement, un accord a été conclu sur une liste de revendications pour augmenter les salaires des travailleurs affiliés à Sutna. (4) Une augmentation de salaire qui se fera de manière échelonnée, en plus du fait que les entreprises se sont engagées à donner une prime extraordinaire à chaque travailleur de 100 000 pesos (421 euros environ).
La bourgeoisie argentine se prépare à une éventuelle vague de grèves dans différents secteurs. C’est pourquoi elle avance ses mesures avec le soutien des syndicats et du gouvernement pour tenter de contrôler la colère qui pourrait surgir face à la précarité et aux effets de l’inflation provoquée par la crise économique mondiale. Et même si ces mesures d’augmentations salariales par tranches sont très à la mode ces derniers temps, elles ne suffiront pas à contenir la perte de pouvoir d’achat causée par l’inflation dans tous les pays du monde, y compris en Argentine.
Comme nous l’avons vu précédemment avec les luttes des ouvriers des pneumatiques, il existe d’autres luttes qui se déroulent depuis avant la pandémie, mais qui sont étouffées, contrôlées par les partis, les syndicats, les piqueteros et le gouvernement, montrant comment ils agissent tous de manière coordonnée contre les travailleurs.
Au début de l’année 2022, l’agence de presse allemande DW a déclaré : « Le président de l’Argentine, Alberto Fernandez, a annoncé ce vendredi qu’un “accord” a été conclu avec le Fonds monétaire international (FMI) pour refinancer le prêt de plus de 44 millions de dollars que le FMI avait accordé au pays en 2018 quand le libéral Mauricio Macri était à la tête du gouvernement ». (5)
Anticipant et devançant cette annonce au début du mois de janvier 2022, Eduardo Belliboni, leader du Polo Obrero et chef de l’Unidad Piquetera, annonçait déjà que l’année 2022 serait beaucoup plus mouvementée que l’année 2021. Et c’est ce qui s’est passé. « La plus grande mobilisation revendicative contre le gouvernement d’Alberto Fernández », appelée « marche fédérale », a été préparée par des organisations et des mouvements sociaux (Coordinadora por el Cambio Social, Polo Obrero (PO), Movimiento Barrios de Pie (MBP), etc. La mobilisation, qui est partie de différents États, a débuté le 10 mai dans les villes de La Quiaca et d’Ushuaia et s’est achevée le jeudi 12 dans la capitale Buenos Aires.
Les slogans de l’appel étaient : « Pour le travail et les salaires ; contre la faim et la pauvreté ». Eduardo Belliboni a déclaré : « La marche fédérale des piqueteros est en train de devenir une marche des travailleurs contre l’accord salarial et pour leurs revendications. Elle rassemble les chômeurs, les salariés et les retraités, les principaux syndicats étant en première ligne… Une perspective d’unité et de lutte s’ouvre pour le mouvement populaire avec le début de cette grande marche fédérale qui soutient les revendications élémentaires d’une classe ouvrière frappée par l’accord du gouvernement avec le FMI… Nous exigeons un véritable travail et un salaire équivalent au panier de la ménagère qui nous permet de vivre. Nous marchons contre la faim et la pauvreté qui atteignent des niveaux scandaleux en Argentine ».
La « protestation » a « trouvé » son prétexte dans la décision du gouvernement de ne pas étendre le programme « Favoriser l’accès à l’emploi » à un plus grand nombre de bénéficiaires, actuellement environ 1.200.000 personnes recevant 19.470 pesos par mois (équivalent à environ 85 euros).
Ces manifestations de protestation apparaissent alors que quelque chose émerge de plus en plus clairement dans la réalité argentine : les différentes factions bourgeoises s’affrontent de plus en plus ouvertement dans la perspective des élections législatives de novembre. Les factions bourgeoises défendant le péronisme au sein de la « Casa Rosada » se divisent entre ceux qui continuent à soutenir le « Kirshnerisme » et les autres fractions autour de Fernández, une lutte qui dure depuis des années. Le couple présidentiel ne se parle plus depuis deux mois et s’insulte ouvertement. Les porte-parole informels de l’ancienne présidente qualifient Fernández d’usurpateur et lui rappellent qu’il occupe temporairement ce poste. « Le gouvernement est à nous », prévient avec arrogance Andrés Larroque, ministre de la province de Buenos Aires et homme fort de La Cámpora, le groupe dirigé par Máximo Kirchner, le fils de Cristina. « Personne ne possède le gouvernement, le gouvernement appartient au peuple », a répondu Fernández, sans passer par des intermédiaires. À la veille de ces élections de novembre, la lutte pour le pouvoir exacerbe les luttes entre les différentes factions bourgeoises : les péronistes, les modérés du centre, les droitiers autour de Macri et l’émergence d’un populiste nationaliste « psychédélique » auto-décrit comme « libertarien », comme Javier Milei, qui se présente comme anti-socialiste, anti-communiste, anti-péroniste, anti-partis politiques traditionnels, et se déclare ouvertement un admirateur inconditionnel de Trump et de Bolsonaro.
Nous le disons depuis longtemps à propos du mouvement piquetero : « entre juin et août [2005], nous avons assisté à la plus grande vague de grèves depuis 15 ans ». Nous disions cela parce que le prolétariat argentin se montrait combatif, se battait sur son terrain de classe et montrait une tendance à se reconnaître comme prolétaire, et était en train de retrouver sa propre identité de classe. Dans le même article, nous analysions et dénoncions comment ces luttes ouvrières, qui se redressaient difficilement, étaient encore très faibles et étaient éclipsées par « un affrontement bruyant et hyper-médiatisé entre les organisations piqueteros et le gouvernement ». (6)
Les piqueteros, mouvement essentiellement composé de chômeurs, après les luttes interclassistes de la fin 2001, ont acquis une grande notoriété grâce aux médias de masse, qui les ont catapultés sur le devant de la scène politique comme les véritables porte-drapeaux des « justes luttes » du peuple en quête d’amélioration de ses conditions de vie. À cette manipulation de l’État bourgeois se sont joints les co-participants à la mystification des luttes ouvrières. Nous faisons référence à tous ces groupes gauchistes : staliniens, trotskistes, maoïstes, etc, contribuant à leur donner un soutien pseudo-théorique révolutionnaire progressiste, trompant et confondant encore plus ces travailleurs sans emploi et les secteurs extrêmement appauvris de la société, les conduisant dans l’impasse du parlementarisme, de la démocratie et des élections, soutenant l’un ou l’autre messie de la bourgeoisie, comme ce fut le cas à l’époque avec Kirshner. (7)
Depuis la fin 2001, année après année, les piqueteros ont mené des mobilisations visant toujours à réclamer plus de ressources économiques pour les programmes d’aide sociale destinés à vaincre la précarité, ou à renforcer les programmes et les politiques sociales qui rendent les emplois précaires supportables, sans réellement rien changer aux conditions de vie des travailleurs. Et pour quel résultat ? Absolument rien. L’Argentine est l’un des pires pays de la région en termes de conditions de vie et de salaires. Elle est même souvent comparée au Venezuela. Les travailleurs souffrent de l’inflation et de la précarité. La bourgeoisie argentine, par le biais de tous ses appareils, y compris les « organisations populaires », soumet l’ensemble de la société et en particulier la classe ouvrière à toujours plus de sacrifices. Et pour faciliter ce travail, il y a les organisations syndicales, les partis politiques de la soi-disant gauche et tout cet assortiment hétéroclite d’organisations populaires qui travaillent idéologiquement et politiquement, introduisant de faux principes et de fausses idées, conduisant doucement les travailleurs là où la bourgeoisie veut les amener : debout ou assis, criant contre le FMI, contre le gouvernement en place, défendant la démocratie et la patrie. Les emmener aux urnes, parier leur vie sur le Messie du jour.
Il est clair que le FMI est un instrument du capitalisme, en particulier des pays les plus forts de la planète contre les plus faibles. Cependant, l’exploitation est celle de tous les capitalistes du monde sur tous les travailleurs du monde. En d’autres termes, non seulement le FMI, le capitalisme américain, etc., mais aussi le capitalisme argentin et l’État argentin sont pleinement impliqués dans l’exploitation de la classe ouvrière.
Présenter une opposition « anti-impérialiste » au FMI pour lier le prolétariat argentin à la nation, au capital argentin, à la défense de l’exploitation avec la couleur bleue et blanche du drapeau argentin, est un sale tour de passe-passe. Les mobilisations des piqueteros, du Polo Obrero, des péronistes, des syndicats, présentent un choix entre capitalistes : soit le bourreau FMI, soit le bourreau capitaliste argentin soi-disant « indépendant ».
Le FMI est un instrument du capitalisme, qui fait son travail, tout comme le gouvernement des Kirshner, des Fernandez, des Macri, comme l’ont été tous les gouvernements précédents. Ses partenaires sont tous les partis politiques, de la droite à la gauche, y compris tous ceux qui rejoignent le courant populiste et « psychédélique » de Milei, ainsi que les syndicats et les piqueteros. Leur seul but : empêcher le prolétariat de se battre sur son propre terrain de classe.
Par conséquent, il est très clair que ce mouvement orchestré par « La Unidad Piquetera » est un mouvement qui joue contre les intérêts de classe du prolétariat argentin. Son activité le plonge dans une plus grande confusion. Ses méthodes de lutte ne sont pas les méthodes de la lutte prolétarienne. Elles conduisent à la dilution du prolétariat dans le peuple et vise à la défense de la nation argentine, la défense de la démocratie et des élections comme mécanisme de légitimation du pouvoir. Cette politique coïncide avec l’ensemble du programme bourgeois des organisations de gauche, qui soutiennent l’État bourgeois par excellence.
Enfin, la bourgeoisie a également utilisé l’attentat manqué contre Cristina Kirchner pour tenter de mobiliser la population autour de la défense de la démocratie et de l’unité nationale, afin qu’elle s’unisse à ses bourreaux. La bourgeoisie exploite en outre tout son appareil idéologique contre les travailleurs. Avec cette campagne, la bourgeoisie continue à semer davantage de confusion dans l’esprit des travailleurs et à les pousser encore plus à prendre position pour l’un ou l’autre des camps bourgeois. Elle pousse les travailleurs sur le terrain de lutte de la bourgeoisie.
Le prolétariat argentin doit lutter de toutes ses forces pour se libérer de tous ces pièges idéologiques qui sont défendus et diffusés par ces organisations à la solde de l’État bourgeois, en défense de l’État bourgeois et de l’ordre capitaliste en fin de compte. La classe ouvrière en Grande-Bretagne montre la voie à suivre sur le terrain des luttes de classe, contre la crise économique, l’inflation, la précarité et l’exploitation, situations exacerbées par la décomposition capitaliste. (8)
Daedalus.
1 « Contra la Guerra Imperialista en Ucrania por la Lucha de Clases Internacional », disponible sur le site du CCI en espagnole (mai 2022). [104]
2 « Argentina subirá un 21 % el salario mínimo ante la elevada inflación » [105], site de l’agence de presse allemande DW.
3 Sindicato Único De Trabajadores Del Neumatico Argentino : Unique Syndicat des travailleurs du secteur pneumatique argention
4 Il est scandaleux, et c’est une démonstration flagrante de la façon dont les syndicats divisent et montent les travailleurs les uns contre les autres, que l’augmentation salariale ne profite qu’aux travailleurs membres du syndicat.
5 « Presidente de Argentina anuncia nuevo acuerdo crediticio con el FMI » [106], site de l’agence de presse allemande DW.
6 « Oleada de luchas en Argentina : el proletariado se manifiesta en su terreno de clase », Accion proletaria n° 184, (septembre – novembre 2005). [107]
7 "Desde Argentina : Contribución sobre la naturaleza de clase del movimiento piquetero (I) [108]", Accion proletaria n° 177, (juillet – septembre 2004).
Les manifestations qui ont débuté le 7 décembre après le départ de Pedro Castillo se sont poursuivies et suite au déchaînement de la répression, le ministère public péruvien a indiqué au 20 janvier que l’on dénombrait 55 morts et plus de 1 200 blessés. Par ailleurs dans 28 provinces, principalement dans le sud du pays, 78 barrages routiers et des manifestations de protestation sont toujours en cours. Le 15 janvier dernier, l’état d’urgence a été déclaré dans les régions de Puno, Cuzco, Lima et Callao pour une durée de 30 jours. Le gouvernement actuel de Dina Boluarte reste inflexible quant à sa décision de réprimer durement les manifestations tout en ouvrant des enquêtes judiciaires avec l’appui des services de renseignement de la police afin d’éviter un scénario similaire à celui qu’ont connu ces dernières années des pays comme le Chili et la Colombie. D’autre part, les manifestants demandent la libération de l’ancien président Pedro Castillo (qu’ils considèrent comme victime d’un coup d’État), la démission de Dina Boluarte, des élections anticipées ainsi qu’un référendum populaire sur la convocation d’une assemblée constituante. En décembre de l’année dernière, nous avons publié un article sur notre site internet, dans lequel nous disions : « Les révoltes populaires qui s’élèvent en tant qu’actions organisées des factions opposées de la droite et de la gauche sont des tentatives désespérées de ces mêmes factions pour maintenir ou reprendre le contrôle de l’État [donnant lieu à une polarisation qui] imprègne la société avec tout ce qu’elle comporte de confusion et d’empoisonnement idéologique. Les demandes de “fermeture du congrès”, “ils doivent tous partir”, “nouvelles élections”, “nouvelle constitution”, ne sont rien d’autre que des revendications démocratiques ne visant qu’à maintenir le statu quo de l’État bourgeois. Elles n’ont rien à voir avec les intérêts de la classe ouvrière et son projet historique. Bien au contraire, elles la conduisent à l’enfermement dans la société d’exploitation divisée en classes. Elles sont très éloignées des revendications immédiates qui ont pour but la défense de ses conditions de vie et qui remplissent également une fonction d’expérience de lutte nécessaire à sa maturation politique. […] Bien que nous ne doutions pas qu’il y ait des éléments de la classe ouvrière impliqués dans ces révoltes populaires qui tentent d’exprimer leur indignation face à la décadence de la classe politique, ils le font sur un terrain qui n’est pas le leur et où la bourgeoisie comme la petite bourgeoisie, imposent leurs bannières démocratiques afin de maintenir intacte la société d’exploitation et en défendant leurs propres intérêts de gains et de profits grâce à l’exploitation féroce de la force de travail des prolétaires. Ces éléments de la classe ouvrière et des autres couches non exploiteuses sont emportés par la violence irrationnelle et pourrie d’un système n’ayant plus rien à offrir à l’humanité ». (1)
Il est nécessaire d’insister sur le fait que ces protestations ont conduit, dans certaines régions du pays, à des révoltes de type interclassiste et dans lesquelles les travailleurs se sont rangés sous les bannières de la petite bourgeoisie avec comme conséquence directe, leur atomisation et leur implication dans une confrontation qui ne se situe pas sur leur terrain de classe. De plus, des attitudes typiques du lumpen ont pu être observées comme des incendies de bâtiments, d’entreprises ou de mines, des attaques de bus et d’ambulances, le racket des usagers sur les autoroutes occupées et, pire encore, l’attaque de nombreux ouvriers travaillant dans le secteur de la santé, les mines ou l’agro-industrie et qui se sont vus dérober leurs biens voire agressés parce qu’ils ne voulaient pas se joindre au mouvement.
Au-delà de l’indignation et du profond ressentiment qui existent historiquement dans les provinces du sud du Pérou, telles que Huancavelica, considérée par la Chambre de Commerce comme la deuxième plus pauvre du pays (41,2 %), suivie par des régions comme Puno ou Ayacucho et du fait que l’extrême-gauche ait alimenté la fable du droit à la révolte des plus pauvres, des droits bafoués des peuples indigènes ou du droit des paysans à la terre, ce qui semble être au cœur de toute cette situation sont les aspirations jusqu’à présent frustrées des divers secteurs de la petite bourgeoisie qui espéraient, avec l’arrivée au pouvoir de Pedro Castillo, pouvoir les concrétiser face à la grande bourgeoisie péruvienne. Celle-ci contrôle non seulement, entre autres, les secteurs de l’alimentation, les banques, la construction, les mines, le tourisme, les matériaux, les combustibles, l’éducation avec des revenus annuels se chiffrant en milliards de dollars et des investissements dans une grande partie de l’Amérique du Sud, de l’Europe et des États-Unis, (2) mais elle possède également le contrôle politique avec une forte représentation au Congrès et des racines profondes dans l’appareil d’État. C’est pourquoi cette confrontation a été présentée parfois comme une lutte entre le « sud riche en ressources mais souffrant d’une importante pauvreté » et la bourgeoisie de Lima « corrompue, exclusive et centralisatrice ». L’appropriation des ressources naturelles et matérielles par la bourgeoisie liménienne est l’un des thèmes récurrents dans le discours des protagonistes du mouvement.
Les secteurs de la petite bourgeoisie à l’origine de ces blocages de routes, mobilisations et marches dans les provinces dont certaines sont allées jusque Lima, ont été soutenus par des associations de petits commerçants, des fédérations paysannes, des syndicats, des gouverneurs régionaux, des autorités universitaires, des associations d’avocats, des regroupements d’étudiants, tous largement imprégnées d’idéologie gauchiste combinée à des éléments nationalistes et régionalistes qui ne font que refléter la défense des intérêts spécifiques à ces groupes et, en fin de compte, du capital national.
Selon des estimations de l’Institut National de la Statistique et de l’Information (INEI), en 2021, 25,9 % de la population péruvienne (soit 8,5 millions de personnes) vivait sous le seuil de pauvreté et 4,1 % (soit 1,3 million de personnes) dans l’extrême pauvreté sachant que sont considérées en situation de pauvreté, les personnes dont le pouvoir d’achat mensuel est inférieur à 378 oles (97 $ américains) et en situation d’extrême pauvreté ceux pour qui il est inférieur à 201 soles (52 $ américains). Il faut ajouter à cela l’impact économique de la pandémie de Covid-19 et plus récemment de la guerre en Ukraine. Il est évident que la crise économique mondiale frappe l’ensemble de la bourgeoisie nationale mais elle touche plus durement les secteurs les plus vulnérables de l’appareil productif, sans parler du secteur informel.
Ce sont ces faits qui nous amènent à penser que ces mobilisations constituent une action désespérée des couches sociales qui se sont retrouvées embourbées suite à la détérioration progressive de l’économie et qui aspirent à une plus grande représentation dans l’appareil d’État de façon à pouvoir sauvegarder leurs intérêts. Elles ont profité de l’appauvrissement général pour agiter l’épouvantail de l’exclusion sociale sur la base de la race ou de la région d’origine, de la « démocratie seulement pour quelques-uns ». La Direction nationale du renseignement (DINI) et le ministère de l’Intérieur ont déclaré que ces mobilisations « sont financées par l’exploitation minière illégale, le trafic de drogue et d’autres agents qui cherchent à semer la peur ». En outre, il accuse des organisations politiques et syndicales, telles que le Movadef (Mouvement pour l’Amnistie et les Droits Fondamentaux), la Fenate (Fédération Nationale des Travailleurs de l’Éducation) et des factions du Sentier Lumineux, la CUNARC (Central Única Nacional de Rondas Campesinas del Perú), SUTEP (Syndicat Unitaire des Travailleurs de l’Éducation du Pérou), ainsi que la Fédération régionale des producteurs agricoles et de l’environnement.
De leur côté, les secteurs de la bourgeoisie traditionnelle et leurs partis ont également profité de la situation pour brandir la bannière de la lutte contre le communisme, afin d’éviter que « le terrorisme ne resurgisse dans le pays », ce qui leur a donné l’excuse parfaite pour déclencher la répression et la terreur d’État. Ils ont ainsi fait d’une pierre deux coups en criminalisant les protestations et en présentant toute revendication sociale comme une menace pour l’ordre public. Le gouvernement de Dina Boluarte a déployé 11 000 policiers pour contrôler les manifestations dans la ville et, le 21 janvier, a ordonné une intervention à l’Université Nationale Majeure de San Marcos, la principale université publique du pays, à l’aide d’un important contingent de policiers. Les forces de l’ordre ont enfoncé la porte principale avec un véhicule blindé, utilisant également des drones et des hélicoptères et ont arrêté environ 200 personnes qui, pour la plupart, venaient d’autres régions et passaient la nuit dans l’établissement, envoyant ainsi un message clair au secteur étudiant qu’il accuse de préparer des actions terroristes. Au-delà du fait que les organisations politiques et syndicales de la petite bourgeoisie et des factions de gauche soient à l’origine de ces mobilisations et qu’il puisse exister un financement provenant d’activités illicites, cela ne change en rien l’attitude que les ouvriers doivent adopter face à cette situation, laquelle illustre l’impact de la décomposition du capitalisme sur la vie la bourgeoisie péruvienne.
Par ailleurs, les différentes factions de la bourgeoisie attaquent aussi idéologiquement le prolétariat à travers une campagne dans laquelle le nationalisme, la défense de la démocratie et de la nation sont exaltés. Cela reflète une autre dimension de la crise politique, comme les actions dans lesquelles se manifeste la concurrence impérialiste dans la région.
Le 23 janvier, le ministère péruvien des Affaires étrangères a publié un communiqué rejetant les déclarations du président bolivien, Luis Arce, lequel exprimait son « soutien à la lutte du peuple péruvien pour récupérer sa démocratie et aussi pour récupérer le droit d’élire un gouvernement qui le représente ». (3) Il faut rappeler que le président du Conseil des ministres du Pérou a accusé Evo Morales d’ « encourager l’insurrection […] et d’introduire des armes au Pérou depuis la Bolivie ». Les intentions de Pedro Castillo de permettre à la Bolivie l’accès à la mer ont été rejetées par la droite péruvienne et soutenues par d’autres gouvernements de gauche de la région. Cette situation a conduit le gouvernement péruvien à interdire à Evo Morales et huit autres fonctionnaires boliviens, l’entrée sur son territoire.
De même, le ministère péruvien des affaires étrangères a rejeté les déclarations du président colombien Gustavo Petro sur les événements qui se sont déroulés sur le campus de l’Université Nationale Majeure de San Marcos. L’une des questions qui préoccupait le plus les factions de droite péruviennes était celle des relations avec les autres gouvernements de gauche de la région et qui auraient pu affecter les intérêts historiques en commun des bourgeoisies américaine et péruvienne, bien qu’il semble que Castillo n’ait eu le temps de concrétiser quoique ce soit. L’ambassadrice américaine, Lisa Kenna, a d’ailleurs rappelé ces mêmes intérêts en réitérant « le plein soutien de son pays aux institutions démocratiques du Pérou et aux actions du gouvernement constitutionnel pour stabiliser la situation sociale ». Le patriotisme est un poison idéologique dont les différentes bourgeoisies du monde se servent en permanence. Dans le cas du Pérou, il ne faut pas oublier que tant la guerre du Pacifique avec le Chili (1879-1884), au cours de laquelle il a perdu la province côtière de Tarapacá, que la guerre du Cenepa (1995), concernant la délimitation de la frontière dans la haute-vallée de la Cenepa, continuent d’être des éléments récurrents dans l’élaboration d’un récit historique exaltant le sentiment national.
En résumé, la situation actuelle montre que la bourgeoisie péruvienne, comme l’ont fait par le passé les autres bourgeoisies de droite et de gauche de la région, n’a pas hésité à déchaîner la répression et à maintenir ses intérêts par tous les moyens possibles, en envoyant un message clair pour insuffler la peur dans les rangs du prolétariat. Il est difficile de savoir si ces manifestations et ces barrages routiers vont se prolonger ; ce qui est clair, c’est que la bourgeoisie péruvienne semble être convaincue que la seule façon de parvenir à une certaine stabilité politique et à un contrôle de la situation sera d’appliquer la « violence légitime » de l’État envers la population et la purge de son appareil politique, comportement qui n’est pas étranger à celui que bourgeoisie mondiale a adopté pendant la période de la décadence du capitalisme et qui continue à s’approfondir dans sa phase actuelle de décomposition. Comme nous le disions dans notre article de décembre 2022 : « Ce qui se passe actuellement au Pérou n’est pas une expression ou une réaction prolétarienne se situant sur le terrain de la lutte des classes. C’est, au contraire, une lutte pour des intérêts purement bourgeois, où l’une des deux factions opposées de la bourgeoisie finira par prendre le contrôle de l’État afin de poursuivre l’exploitation des travailleurs. […] Le terrorisme exercé par les bourgeoisies des deux camps continue de faucher des vies humaines. Les méthodes d’incendie et de violence aveugle utilisées sont à l’opposé de celles par lesquelles la classe ouvrière renversera le capitalisme et qui seront fondées davantage sur la capacité à construire une organisation capable d’incorporer le reste des couches non-exploitantes dans son programme, en dirigeant les actions politiques de transformation contre les classes dominantes. La terreur déchaînée par la bourgeoisie et de ses deux camps en pleine ébullition constitue une attaque contre la conscience de la classe ouvrière ». (4)
La section du CCI au Pérou, février 2023.
1« Perú : la clase trabajadora se encuentra en el fuego cruzado de las facciones burguesas enfrentadas », disponible sur le site web du CCI en espagnol, (décembre 2022).
2F. Durand, Les douze apôtres de la démocratie péruvienne (2017).
3La Chancellerie a remis une note de protestation à l’ambassadeur de Bolivie pour les déclarations du président Luis Arce.
4« Perú : la clase trabajadora se encuentra en el fuego cruzado de las facciones burguesas enfrentadas », disponible sur le site web du CCI en espagnol, (décembre 2022).
Le spectacle d’horreur de la guerre impérialiste qui se déroule au Soudan illustre la poursuite et l’extension de la décomposition du capitalisme, qui s’accélère depuis le début des années 2020. Il exprime la profonde tendance centrifuge au chaos irrationnel et militariste qui affecte de plus en plus de régions de la planète. Quelles que soient les spécificités des deux gangs militaires qui s’affrontent au Soudan (et nous y reviendrons un peu plus loin), le grand responsable de cette nouvelle flambée de violence est le système capitaliste et ses représentants dans les grandes puissances : États-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, suivis par toutes les puissances secondaires actives au Soudan : Émirats Arabes Unis, Arabie Saoudite, Turquie, Israël, Égypte, Libye, etc. Vers la fin de l’année dernière, le 5 décembre, le ministère britannique des affaires étrangères a publié une déclaration sur l’avenir démocratique du Soudan qui commençait ainsi : « Les membres du Quad et de la Troïka (Norvège, Royaume d’Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Royaume-Uni et États-Unis) se félicitent de l’accord sur un cadre politique initial. Il s’agit d’un premier pas essentiel vers la mise en place d’un gouvernement dirigé par des civils et la définition d’arrangements constitutionnels qui guideront le Soudan pendant une période de transition dont le point culminant sera la tenue d’élections. Nous saluons les efforts déployés par les parties pour obtenir le soutien d’un large éventail d’acteurs soudanais en faveur de cet accord-cadre, ainsi que leur appel à la poursuite d’un dialogue inclusif sur toutes les questions qui les préoccupent et à la coopération en vue de construire l’avenir du Soudan ». Quelques semaines avant que de violents combats n’éclatent, le 8 avril, ces « partenaires internationaux » du Soudan parlaient encore d’un « retour imminent » à un régime civil et à un gouvernement démocratique impliquant les deux principales composantes du gouvernement soudanais : les Forces Armées Soudanaises (SAF) dirigées par le général Abdel Fatah al-Burham et la Force de Frappe Rapide (RSF), (1) dirigée par le général Hamdam Dagalo, alias « Hemediti ». Quelques jours seulement après le début des combats entre ces deux factions militaires soudanaises, il est apparu clairement que cette « démocratie », comme partout ailleurs est une illusion et que toutes les options immédiates et les perspectives à plus long terme pour la population du Soudan et de la région environnante vont aller de mal en pis. Cela est confirmé par la situation dans la capitale du Soudan, Khartoum : autrefois relativement paisible et animée, épargnée par les horreurs qui l’entourent et remplie de réfugiés du « conflit du Darfour » de 2003 (en réalité un génocide ethnique), (2) elle a été réduite à l’état de ruines en l’espace de quelques jours. Le manque d’eau, d’électricité et de services de santé s’accompagne de massacres et de viols perpétrés par les forces de l’ex-gouvernement.
En 1919, l’Internationale communiste a tracé les perspectives du capitalisme : « une nouvelle époque est née ! L’époque de la dissolution du capitalisme, de sa désintégration intérieure, l’époque de la révolution communiste du prolétariat ». La réalité de cette époque du capitalisme a été confirmée par plus d’un siècle de guerre impérialiste croissante, seule réponse à une crise économique permanente. Nous vivons depuis plus de trente ans la phase finale de ce processus de décadence du capitalisme, la phase de décomposition. Et, depuis la pandémie de Covid, et plus encore la guerre en Ukraine, nous assistons à une accélération tragique. La putréfaction profonde de ce mode de production se mesure aujourd’hui par une véritable spirale de destruction à l’échelle de la planète, et notamment par la multiplication des guerres et des massacres (Ukraine, Myanmar, Yémen, Tigré…). Au Soudan, on assiste aujourd’hui à l’effondrement du « processus de paix de la communauté internationale », de l’État soudanais et du gouvernement militaire du Soudan, démontrant d’emblée une tendance plus large de ces agents des grandes puissances à avoir un fonctionnement peu fiable, irrationnel et d’abord motivé par la recherche de la première place : en témoigne le groupe russe Wagner, (3) (actif au Soudan, au Tchad et en Libye sous la direction du général Khalifa Haftar), qui semble de plus en plus se désolidariser de Moscou et prendre une dynamique propre. Cette tendance au chacun pour soi est encore soulignée par le fait que chacun des pays cités plus haut est tout à fait capable de prendre ses propres mesures unilatérales qui exacerberont encore davantage les tendances au chaos au Soudan et dans la région immédiate.
Le Soudan était une colonie britannique jusqu’en 1956, quand les États-Unis ont sapé le rôle de l’impérialisme anglais suite à la crise du canal de Suez. Comme dans nombre de leurs colonies, les Britanniques avaient introduit la pratique du « diviser pour mieux régner », utilisant les clivages ethniques et géographiques pour faciliter leur contrôle. On a pu observer les conséquences à long terme de cette politique en 2011, lorsque le pays a été coupé en deux entre un Nord dominé par les Arabes et un Sud dominé par les Africains. Le Soudan, riche de ressources naturelles, est bordé par la Mer Rouge et a une frontière avec l’Égypte et la Libye en Afrique du Nord, l’Éthiopie et l’Érythrée dans la Corne de l’Afrique, l’État du sud-Soudan en Afrique de l’Est et les États du Tchad et de la République Centrafricaine en Afrique Centrale. Il est donc au centre de toutes les rivalités impérialistes régionales et mondiales qui se jouent en Afrique et au Moyen-Orient.
Lorsque le conflit actuel a éclaté, la principale préoccupation des hypocrites « partenaires » du Soudan a été d’abord d’évacuer d’abord leurs diplomates, puis leurs ressortissants du pays, tout en brûlant et détruisant les preuves de leur culpabilité meurtrière. Faisant écho à la « guerre des vaccins » du capitalisme lors de la pandémie de Covid-19, nous avons été témoins du « chacun pour soi », les intérêts nationaux compétitifs l’emportant sur toute forme de coopération : les avions affrétés ont décollé à moitié vides, parce que les papiers nécessaires n’avaient pas été présentés ou parce que les personnes concernées ne figuraient pas sur les listes d’embarquement du personnel qui contrôlait les départs. Lorsque d’autres ressortissants se voyaient attribuer une place dans les procédures d’évacuation, c’était dans le cadre d’un exercice cynique de relations publiques ou pour obtenir un avantage diplomatique sordide. Ces puissances en fuite ont laissé derrière elles un désordre total qu’elles ont elles-mêmes créé et un avenir sombre pour la région.
Il est inutile de citer des chiffres de victimes ou de destructions, car les chiffres « officiels » augmentent de façon exponentielle tous les jours : des dizaines de milliers de morts et de blessés graves, des millions de réfugiés et de déplacés, dont environ quinze millions vivent déjà des miettes des agences d’aide (elles-mêmes partie intégrante de l’impérialisme et de la guerre) et une malnutrition aiguë chez les femmes enceintes et les jeunes enfants, selon un communiqué de l’ONU du 11 avril dernier. Les ressortissants qui ont eu la chance de rentrer au pays ont été accueillis par des drapeaux et des titres de presse chauvins, alors que la grande majorité des Soudanais n’ont aucun moyen d’échapper à la guerre et à la famine et sont condamnés à la misère par les mêmes intérêts nationaux brandissant les drapeaux des États capitalistes qui sont venus apporter la « démocratie » au pays.
Pour ajouter au désordre de Khartoum et d’ailleurs, environ vingt mille prisonniers se sont évadés ou ont été libérés de prison (certains d’entre eux étant d’anciens meurtriers de masse et criminels de guerre condamnés par le gouvernement) ces évadés seront accueillis dans leurs camps respectifs, dans la mêlée générale, ce qui coûtera encore plus cher à la population et à ses espoirs déçus d’une quelconque forme de « paix ». Outre l’inflation galopante, le pillage organisé des approvisionnements, les agressions et les vols commis par les milices armées, la population doit faire face à des problèmes de santé publique et de sécurité.
Des postes de contrôle omniprésents ont fait leur apparition dans de nombreuses rues, et, pour ajouter à son désarroi et à la tension, les cessez-le-feu et les trêves se succèdent sans rien changer à la guerre en cours. (4)
Les deux principaux chefs de guerre, les généraux Dagalo et Hemediti, « partenaires démocratiques » de l’Occident et « amis et alliés » de Moscou, se livrent une bataille féroce, les FAS ayant l’avantage de la puissance aérienne. Ce n’est pas un grand avantage dans ce genre de guerre, mais si la bataille doit se poursuivre, les deux camps auront bientôt besoin d’être réapprovisionnés en armes : les Russes fourniront-ils aux FAR des missiles antiaériens ou d’autres armes par l’intermédiaire de Wagner ? Haftar, soutenu par les Russes en Libye, augmentera-t-il le soutien qu’il apporte et a apporté aux FAR ? L’Arabie Saoudite et l’Égypte vont-elles s’impliquer davantage dans la fourniture d’armes aux Forces armées soudanaises, et Abu Dhabi et Riyad sont-ils à couteaux tirés sur cette question ? Les partisans de la FSR dans les Émirats Arabes Unis qui considèrent que la FSR fait partie de leur plan plus large de contrôle de la Mer Rouge et de la Corne d’Afrique consolideront-ils et renforceront-ils leur soutien ? La Grande-Bretagne et les États-Unis pourraient-ils s’impliquer davantage par le biais de certains de ces vecteurs ? Compte-tenu de la grande instabilité de la situation et de tous les acteurs impliqués, il y a trop d’incertitudes pour faire des prédictions, si ce n’est que la guerre se poursuivra et que le cadre général de la décomposition garantit qu’elle prendra de l’ampleur.
La Chine est très impliquée au Soudan et dans des machinations avec les deux factions de l’Armée, afin de maintenir sa stratégie « nouvelle route de la soie », qui a été mise à mal dans l’Éthiopie voisine. Les États-Unis rattrapent leur retard sur la Chine, mais le Président Biden a récemment intensifié l’activité militaire au Soudan, avec des ressources militaires supplémentaires déployées pour « combattre le terrorisme ». Mais il ne fait aucun doute qu’ils ont été pris au dépourvu et embarrassés par la déclaration britannique selon laquelle nous étions à quelques jours d’un « régime civil » au Soudan. La Russie a également traité avec les deux factions militaires et toutes deux ont parlé favorablement de la construction éventuelle d’un port russe sur la Mer Rouge. L’ensemble de la région ressemble désormais à une boîte de Pandore, avec une situation hautement volatile.
Les évacuations de Soudanais sont en grande partie terminées à ce jour et, comme d’habitude, la guerre est cyniquement reléguée loin des gros titres alors que le pays s’enfonce dans une misère toujours plus profonde. Le Soudan est un exemple de la dynamique du capitalisme et il y en a beaucoup d’autres : de dangereuses lignes de faille impérialistes s’ouvrent avec des tensions militaires croissantes au Moyen–Orient, autour de l’ex-Yougoslavie et du Caucase et, de manière générale, dans le monde entier. Le militarisme est le principal débouché laissé à l’État capitaliste. La guerre en Ukraine, avec ses effets locaux et mondiaux, fait rage. Au début du mois d’avril 2023, la Finlande est devenue le trente et unième pays à rejoindre l’OTAN et sa frontière de 1300 km a doublé la ligne de front avec la Russie. Comme elle l’a fait dans d’autres États de la ligne de front avec la Russie, l’OTAN sera d’abord prudente, puis renforcera ses forces et son armement le long de la frontière, forçant ainsi la Russie à faire de même.
La perspective à plus long terme dans les rapports impérialistes est la confrontation croissante avec la Chine préparée par les États-Unis, mais il y a là aussi des incertitudes et des variables. En attendant, le capitalisme s’enfonce dans la guerre irrationnelle et la barbarie. Le Soudan est une exemple de plus de sa « désintégration intérieure ».
Baboon, 5 mai 2023
1Le FSR trouve ses racines dans la redoutable milice Jangaweed, une machine militaire arabe qui tue et viole et qui a été intégrée au gouvernement soudanais après l’éviction du dictateur Omar al-Bashir en 2019. La Jangaweed est un produit de l’impérialisme des années 1980 et a été intégrée au gouvernement soudanais par ses services de renseignement avec le soutien de l’Occident.
2Il est très probable que cet élément de « nettoyage ethnique », un facteur croissant de décomposition du capitalisme, reprenne de plus belle au Darfour, où il n’a pas vraiment cessé depuis des années.
3Le groupe russe Wagner traite directement avec les deux factions militaires soudanaises, apparemment depuis 2018, et est actif autour du port du Soudan, les services de renseignement britanniques déclarant qu’il s’agit d’une « grande plaque tournante » pour eux (cité dans le journal The Eye, 29 avril). Ils affirment également que le groupe vise à « établir une “confédération” d’États anti-occidentaux ». Outre certains entraînements et activités au Soudan et dans la région, et son étroite collaboration avec le maréchal Khalifa Haftar de Libye, le groupe a également participé, par l’intermédiaire de son front « M Invest, Meroe Gold » établi par Moscou et le dictateur soudanais Bashir, à l’envoi de volumes de métal précieux hors du pays
4Pendant la guerre du Liban, de 1975 à 1990, des milliers de cessez-le-feu ont été demandés et ignorés. Le Liban a été en quelque sorte un « modèle » pour la guerre du Golfe, pour le début de la décomposition capitaliste et l’apparition des « États en faillite ». À ce jour, le Liban a été rejoint par le Yémen, la Syrie, l’Afghanistan, la Libye et maintenant le Soudan (le Pakistan n’étant pas loin de la zone de relégation). Ces régions n’ont pratiquement aucune possibilité de reconstruction effective dans le cadre du capitalisme.
Après avoir évacué à tour de bras les campements de migrants en métropole avec une brutalité sans nom, c’est au tour de Mayotte, le plus grand bidonville de France, de voir arriver les forces de l’ordre pour l’opération Wuambushu. Mayotte, dont 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dont la moitié est sur le territoire de façon illégale (principalement des Comoriens), est sous le joug d’une violence quotidienne. De nombreux migrants viennent s’échouer sur les plages de Mayotte en espérant trouver une vie meilleure. En mars dernier, plus de vingt migrants sont morts noyés dans l’indifférence la plus totale.
Le 24 avril dernier débutait donc en grande pompe l’opération Wuambushu. L’objectif assumé est de déporter vers les Comores plus de 20 000 personnes en deux mois, soit plus que durant toute l’année précédente. Et tout ça pour rien, pour que le gouvernement puisse montrer les muscles, dans une opération de com’ cynique du sinistre Darmanin : car ceux qui se feront expulser du territoire reviendront au péril de leur vie à bord des kwassa-kwassa, ces frêles embarcations qui finissent régulièrement au fond de l’océan. Ceux qui échapperont à la traque policière iront grossir les rangs du bidonville voisin. Mais qu’importe, l’objectif sera rempli !
L’État n’a reculé devant aucune horreur pour mener à bien ses expulsions. Les sans-papiers des bidonvilles ont vu leur abri de fortune être marqué d’un numéro, signe d’une destruction prochaine. En réalité, vu l’enchevêtrement inextricable des habitations, le marquage n’est qu’un cache-sexe dérisoire : l’État compte manifestement rouler sur les habitants, sans-papiers ou non. En bref, déloger les pauvres coûte que coûte ! Cet infâme marquage n’a pour but que d’humilier un peu plus une population déjà très fragile.
Quelques jours avant le début officiel de l’opération, la police s’est mise à gazer sans raison de nombreux quartiers aux abords de Tsoundzou, si ce n’est pour instiller un peu plus une ambiance de terreur. Plus de 600 grenades lacrymogènes et une soixantaine de LBD ont été lancés sur la population en une soirée seulement. Pire encore, pour mieux effrayer et faire fuir les habitants, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à tirer à balles réelles sur le sol. Plus tard, un mineur a été touché par une balle perdue.
Une campagne ouvertement xénophobe est également entretenue sans vergogne par les autorités locales et le gouvernement. Les Comoriens et autres migrants illégaux sont déshumanisés au point qu’ils sont qualifiés d’ennemis : « On a très peu de visibilité sur les ennemis. Ça arrive de partout », déplorait un brigadier sur l’île. Le vice-président du conseil régional, Salime Mdere, a quant à lui carrément appelé au meurtre : « Quand je vois ce qu’il se passe à Tsoundzou […], des gamins qu’on voit de loin… enfin c’est même pas des gamins. Moi je refuse d’ailleurs qu’on emploie ces termes-là : “jeunes” ou “gamins”… Ces “délinquants”, ces “voyous”, ces “terroristes”, à un moment donné, il faut peut-être en tuer ». Voilà la réponse ignoble de la bourgeoisie au chaos qu’elle engendre : « ça » ne mérite pas de vivre !
Mais, dans un premier temps, l’opération ne s’est pas passée comme prévue. La Justice a mis en suspens les « décasages » de Talus II, un des plus grands bidonvilles de Mayotte, au motif que des solutions de relogement n’ont pas été proposées aux habitants. Volte-face ce 17 mai : les décasages peuvent reprendre ! Monsieur le Juge est satisfait : 56 hébergements d’urgence de 30 m², éloignés du bidonville d’au moins quarante minutes de route, ont été proposés aux milliers de familles dont le logement a été tagué du numéro fatidique… et pour six mois seulement ! Entre la déscolarisation forcée des enfants, les familles séparées et entassées dans des bicoques, sur des matelas en mousse à même le sol, Darmanin peut se réjouir : « l’action déterminée de destruction de l’habitat indigne à Mayotte va donc pouvoir reprendre » !
Si la bourgeoisie n’arrive pas à mener sa politique inhumaine aussi rapidement que prévu, elle peut tout de même compter sur des décennies de haine largement alimentées par l’État. Les autorités ont ainsi organisé un véritable pogrom contre les sans-papiers. Depuis le 3 mai, le plus grand dispensaire de l’île est bloqué par un collectif pro-Wuambushu qui n’a pas attendu les ordres d’expulsion du gouvernement pour créer ses propres milices (1). Non contents de dénoncer les sans-papiers aux autorités, ils barrent également l’accès à plusieurs centres de soin de l’île, empêchant la distribution de médicaments aux migrants, et ce avec la bénédiction des autorités : « Des “collectifs de citoyens” sont postés à l’entrée et demandent leurs papiers aux gens qui se présentent aux urgences, tout ça au vu et au su de la direction de l’hôpital et de la police… », témoigne un soignant. (2)
De nombreuses manifestations pro-Wuambushu ont eu lieu à Mayotte. On a pu y voir le chant nationaliste de La Marseillaise être entonné et le drapeau tricolore des versaillais fièrement brandit ! Et le relent guerrier nauséabond du patriotard n’est jamais bien loin : « On est sur une guerre d’usure », déclarait un membre d’un collectif soutenant Wuambushu, et « lorsqu’on part en guerre, il y a toujours des dégâts collatéraux ». (3)
À l’annonce officielle de Wuambushu, l’intersyndicale (CGT-Solidaires-FSU), a hypocritement demandé au « gouvernement d’arrêter toutes les mesures répressives »… avec la même conviction que face à la répression qui s’est abattue sur le mouvement contre la réforme des retraites. La CGT Mayotte ne s’est pas embarrassée de telles simagrées et a ouvertement apporté son soutien total à l’opération, « qui apportera la paix sociale à Mayotte ». Le but étant que « les conditions de travail des travailleurs de Mayotte soient optimales ». Au turbin, et fissa !
Les gauchistes, quant à eux, dénoncent une politique « néocoloniale » de l’État français. Si la dimension raciste du traitement de la population est bien réelle, le statut d’ancienne colonie de Mayotte n’est pas la raison fondamentale pour laquelle l’État agit ainsi. En réalité, la bourgeoisie se comporte de la même façon avec les ouvriers en métropole, même si elle est, pour le moment, contrainte d’y mettre un peu plus de doigté. En métropole, soucieuse de maintenir vivace les illusions démocratiques, la bourgeoisie est pour l’instant moins « brutale » face au prolétariat. Mais à Mayotte, l’État ne s’embarrasse plus de telles précautions : le prolétariat y est plus isolé, avec peu d’expérience de luttes et très fortement dilué dans une population souvent marginalisée. Si le mouvement contre la réforme des retraites fût un avant-goût de ce que nous réserve la bourgeoisie, elle peut se permettre de montrer son vrai visage à Mayotte, comme elle l’a montré avec une sauvagerie sans nom face aux insurgés de la Commune de Paris, aux révolutionnaires de 1917 ou aux grévistes de 1947 en France.
Les migrants et la population mahoraise réduite à la misère n’ont, d’ailleurs, rien de plus à attendre d’une bourgeoisie moins « colonialiste » comme celle des Comores. En 2019, un accord sur la gestion des migrants a été passé avec la France : en échange d’une aide au développement de 150 millions d’euros, les Comores doivent « coopérer » avec Paris sur la question migratoire. Seulement voilà, au lieu du black-out habituel lorsqu’il s’agit d’expulser des migrants, le gouvernement français a décidé de faire de la com' à outrance sur Wuambushu. Les Comores ont dû bloquer les expulsions, pour finalement annoncer qu’ils ne reprendraient que les sans-papiers « volontaires » au retour. Par amour de leur prochain, sans doute ? Non ! Parce que « cela aurait pu être plus discret et efficace. Il y a un vol et un bateau entre Mayotte et Anjouan tous les jours », se lamentait le président Comorien.
Parallèlement, le gouverneur de l’île comorienne d’Anjouan a annoncé la création d’un « comité de vigilance », « habilité à prendre toutes initiatives et entreprendre des actions non violentes pour éviter que la population d’Anjouan soit menacée dans sa sécurité et dans sa quiétude en raison du déplacement massif de la population par la France »… « Non-violente »… Mais bien sûr ! Les Comoriens vivent dans des conditions plus extrêmes encore que leurs voisins mahorais, la police y est encore plus déchaînée et n’hésite pas à tirer à balle réelle sur la population. Les médias n’hésitent pas à relier les pénuries de riz avec l’arrivée des « refoulés » sur l’île… Un autre pogrom n’est pas loin ! Pour les migrants et la population de Mayotte, le salut ne viendra ni de la bourgeoisie française, ni de la bourgeoisie comorienne, ni d’aucune autre !
D.E., 20 mai 2023
1 Ces collectifs ont eux-mêmes organisés plusieurs opérations de « décasage », depuis 2016 et ont indiqué qu’ils iraient détruire les bidonvilles si les autorités n’agissaient pas.
2 « Depuis dix jours, des collectifs pro-Wuambushu bloquent l’accès aux centres de soins à Mayotte [116] », Mediapart (14 mai 2023).
3 « Des Mahorais prêts à tout pour Wuambushu [117] », Les jours (18 mai 2023)
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Cinq mois de lutte, quatorze journées d’action, des millions de manifestants, une multitude de grèves et de blocages, des records de mobilisation… Bref, un mouvement social d’une ampleur inconnue en France depuis 1968. Pourtant la réforme des retraites est passée. Alors, tout ça pour rien ? Absolument pas !
Ce mouvement est une promesse pour l’avenir. Il est le signe que nous, la classe ouvrière, nous avons commencé à redresser la tête. À nouveau, nous nous serrons les coudes dans la lutte. Durant des décennies, nous avons subi les attaques incessantes des gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Mais dorénavant, nous refusons cette dégradation continue de nos conditions de vie et de travail. Voilà ce que montre la massivité de notre mouvement.
Dès la première manifestation, celle du 19 janvier, la grande majorité des travailleurs ne se faisait aucune illusion : le gouvernement n’allait pas reculer. Pourtant, semaine après semaine, nous étions des millions dans la rue à ne pas vouloir nous soumettre. En refusant ainsi de nous résigner, en nous battant tous ensemble, en développant la solidarité entre les secteurs comme entre les générations, nous sommes parvenus à une première victoire : celle de la lutte elle-même.
« Parfois, les ouvriers triomphent ; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ». (Marx et Engels, Manifeste communiste, 1848).
Cette victoire est précieuse pour l’avenir. Parce que nous savons que les attaques vont encore s’accroître. Les prix de la nourriture, de l’électricité, du logement, du carburant… vont continuer à grimper. Dans le privé comme dans le public, la précarité, les sous-effectifs, les cadences infernales et les salaires de misère vont empirer encore et encore. L’État va continuer à détruire le système de santé, celui de l’éducation, des transports… seuls les budgets de l’armement et de la répression vont augmenter !
Il va donc falloir continuer à nous battre, en nous appuyant sur l’expérience de notre mouvement actuel. C’est pourquoi il est indispensable de nous rassembler, partout où c’est possible (à la fin des manifestations, sur nos lieux de travail, dans des comités de lutte ou des cercles de discussion, dans des réunions d’organisations révolutionnaires), pour discuter et tirer les leçons. Parce que, oui, ce mouvement est riche d’enseignements :
– Ces dernières décennies, nous avons subi de multiples attaques, restant isolés les uns des autres, impuissants. Nous avions perdu confiance en notre capacité à nous unir, à lutter massivement. Pire, nous avions même oublié que notre force collective pouvait exister. Ce temps est révolu.
– En étant tous ensemble dans la lutte, nous avons commencé à prendre conscience que nous formons une seule et même force. Nous sommes la classe ouvrière ! Chômeurs, retraités, étudiants précaires, travailleurs salariés du privé ou du public, en bleu de travail ou en blouse blanche, dans les ateliers ou dans les bureaux, nous sommes tous des exploités qui, atomisés, chacun dans leur coin, ne peuvent rien face au capital mais qui, unis dans la lutte, deviennent la plus grande force sociale de l’histoire.
– C’est justement cette reconquête de notre identité de classe qui a permis que rejaillisse à notre mémoire l’expérience de nos luttes passées. Ce n’est pas un hasard si le slogan le plus populaire brandi sur les pancartes était : « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 ». Plus spectaculaire encore est l’apparition dans les discussions de références au mouvement contre le CPE de 2006, alors que jusqu’à maintenant cet épisode était totalement ignoré dans nos rangs, comme effacé, comme s’il n’avait jamais eu lieu. En recommençant à nous battre en tant que classe ouvrière, nous rendons possible le début de la réappropriation de notre histoire, de nos expériences, de nos victoires et de nos défaites pour, demain, être plus unis, plus organisés, plus forts.
– Contrairement à 2018, où les cheminots avaient fait grève seuls durant des semaines et jusqu’à épuisement, tandis que les autres secteurs étaient appelés à la « grève par procuration » et à la solidarité platonique, cette fois aucun secteur n’est resté isolé, aucun secteur ne sort abattu. Même les raffineurs qui ont pourtant été poussés, mois après mois, à se replier sur leur lieu de travail au nom du blocage de l’économie. Cette fois-ci, c’est bien la dynamique de la solidarité active dans la lutte qui l’a emporté. Le piège classique de la division et de l’isolement n’a pas fonctionné.
– En réprimant férocement et en provoquant honteusement, l’État français espérait faire peur à la majorité des travailleurs et pousser une minorité dans la confrontation stérile et perdue d’avance avec les forces de l’ordre. Là aussi, nous avons su éviter ce piège, malgré l’immense colère légitime face aux coups et aux insultes.
– Cette terreur d’État dans la rue, comme le passage en force de la réforme en toute légalité, grâce aux mécanismes constitutionnels de la République, ont même commencé à soulever le masque de la démocratie bourgeoise et faire apparaître ce qui se cache derrière : la dictature capitaliste.
– Enfin, et peut-être surtout, ce mouvement a permis qu’émerge une question essentielle pour l’avenir : comment établir un rapport de forces favorable ? Nous nous sommes mobilisés par millions, durant des mois, et pourtant la bourgeoisie française n’a pas cédé. Pourquoi ? Qu’est-ce qui a manqué à ce mouvement pour faire reculer le gouvernement ?
Pour le comprendre, pour parvenir à aller plus loin la prochaine fois, il nous faut justement poursuivre le chemin que ce mouvement a commencé à prendre : nous rappeler nos expériences de luttes passées et leurs leçons.
Certaines luttes du passé montrent qu’il est possible de faire reculer un gouvernement, de freiner ses attaques.
En 1968, le prolétariat en France s’est uni en prenant en main ses luttes. Suite aux immenses manifestations du 13 mai pour protester contre la répression policière subie par les étudiants, les débrayages et les assemblées générales se sont propagés comme une traînée de poudre dans les usines et tous les lieux de travail pour aboutir, avec ses 9 millions de grévistes, à la plus grande grève de l’histoire du mouvement ouvrier international. Face à cette dynamique d’extension et d’unité de la lutte ouvrière, gouvernement et syndicats se sont empressés de signer un accord de hausse généralisée des salaires afin d’arrêter le mouvement.
En août 1980, en Pologne, face à l’augmentation des prix de l’alimentation, les grévistes portaient encore plus loin la prise en main des luttes en se rassemblant en d’immenses assemblées générales, en décidant eux-mêmes des revendications et des actions, et surtout en ayant pour souci constant d’étendre la lutte. Face à cette force, ce n’est pas simplement la bourgeoisie polonaise qui a tremblé mais celle de tous les pays.
En 2006, en France, après seulement quelques semaines de mobilisation, le gouvernement a retiré son « Contrat Première Embauche ». Qu’est-ce qui a fait peur à la bourgeoisie au point de la faire reculer si rapidement ? Les étudiants précaires ont organisé, dans les universités, des assemblées générales massives, ouvertes aux travailleurs, aux chômeurs et aux retraités. Ils ont mis en avant un mot d’ordre unificateur : la lutte contre la précarisation et le chômage. Les assemblées générales étaient le poumon du mouvement, là où les débats se menaient, là où les décisions se prenaient. Chaque week-end, les manifestations regroupaient de plus en plus de secteurs. Les travailleurs salariés et retraités s’étaient joints aux étudiants, sous le slogan : « Jeunes lardons, vieux croûtons, tous la même salade ! »
En effet, la plus grande force d’une lutte, c’est d’être l’affaire de tous les exploités et non celle des « spécialistes ». En réalité, toutes les « actions » proposées par les organisations syndicales visent justement à leur éviter d’être « débordées », à éviter que la dynamique de ces mouvements victorieux ne réapparaisse, à empêcher que nous débattions et décidions nous-mêmes de la conduite de la lutte. Piquets, grèves, manifestations, blocage de l’économie… tant que ces actions restent sous le contrôle syndical, cela ne peut mener qu’à la défaite.
Depuis maintenant presque un an, au Royaume-Uni, que font les syndicats ? Ils éparpillent la riposte ouvrière : chaque jour, un secteur différent en grève. Chacun dans son coin, chacun sur son piquet. Aucun rassemblement, aucun débat collectif, aucune réelle unité dans la lutte. Il ne s’agit pas là d’une erreur de stratégie mais d’une division volontaire. Déjà, en 1984-85, le gouvernement Thatcher était parvenu à briser les reins de la classe ouvrière au Royaume-Uni par le même sale travail des syndicats. Ils ont isolé les mineurs de leurs frères de classe des autres secteurs. Ils les ont enfermés dans une grève longue et stérile. Pendant plus d’un an, les mineurs ont occupé les puits, sous l’étendard du « blocage de l’économie ». Seuls et impuissants, les grévistes sont allés au bout de leurs forces et de leur courage. Et leur défaite a été celle de toute la classe ouvrière ! Les travailleurs du Royaume-Uni ne relèvent la tête qu’aujourd’hui, plus de trente ans après ! Cette défaite est donc une leçon chèrement payée que le prolétariat mondial ne doit pas oublier.
Seul le rassemblement au sein d’assemblées générales ouvertes et massives, autonomes, décidant réellement de la conduite du mouvement, peut constituer la base d’une lutte unie et qui s’étend, portée par la solidarité entre tous les secteurs, toutes les générations. Des assemblées générales dans lesquelles nous pouvons adopter ensemble des revendications de plus en plus unificatrices. Des assemblées générales dans lesquelles nous nous rassemblons et depuis lesquelles nous pouvons partir en délégations massives à la rencontre de nos frères de classe, les travailleurs de l’usine, de l’hôpital, de l’établissement scolaire, de l’administration les plus proches.
Aujourd’hui, nous manquons encore de confiance en nous, en notre force collective, pour oser prendre nous-mêmes nos luttes en main. Voilà la limite actuelle de notre mouvement, voilà pourquoi la bourgeoisie française n’a pas tremblé, pourquoi son gouvernement n’a pas reculé. Mais notre histoire prouve que nous en sommes capables. Et, de toute façon, il n’y a pas d’autre chemin.
Le capitalisme va continuer de nous plonger dans la misère et la barbarie. Laissé à sa seule logique, ce système décadent va entraîner des parties de plus en plus larges de l’humanité dans la guerre et la misère, il va détruire la planète à coups de gaz à effet de serre, de forêts rasées et de bombes.
Le sentiment de solidarité, d’être tous dans le même bateau, le besoin de se serrer les coudes, entre les différents secteurs, entre les différentes générations, sont les témoins de ce qu’est la nature profonde de la lutte ouvrière, une lutte pour un monde radicalement différent, un monde sans exploitation ni classes sociales, un monde sans frontières ni affrontements entre nations où la « guerre de tous contre tous » cédera la place à la solidarité entre tous les humains : le communisme.
Notre lutte historique contre le capitalisme est d’ailleurs internationale. Ces douze derniers mois, on a assisté à des mouvements sociaux d’ampleur inédite depuis les années 1980 au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne, au Danemark, au Portugal, aux Pays-Bas, aux États-Unis, au Canada, au Mexique, en Chine… les mêmes grèves contre la même exploitation de plus en plus insoutenable. « Les ouvriers restent soudés », ont crié les grévistes au Royaume-Uni. « Soit on lutte ensemble, soit on finira par dormir dans la rue ! », ont confirmé les manifestants en France. La bannière « Pour nous tous » sous laquelle a eu lieu la grève contre la paupérisation en Allemagne, le 27 mars, est particulièrement significative de ce sentiment général qui grandit dans la classe ouvrière : nous luttons tous les uns pour les autres.
Dans la lutte face à la dégradation de nos conditions de vie et de travail, particulièrement face à l’inflation, nous allons peu à peu développer notre force collective, notre confiance en nous-mêmes, notre solidarité, notre unité. Dans la lutte, nous allons peu à peu nous rendre compte que nous, la classe ouvrière, sommes capables de prendre nos luttes en mains, de nous organiser, de nous rassembler en assemblées générales pour décider de nos mots d’ordre et de nos actions. Nous allons peu à peu nous rendre compte que nous sommes capables d’offrir une autre perspective que la mort promise par un système capitaliste en décomposition : la révolution communiste.
La perspective de la révolution prolétarienne va faire son retour dans nos têtes et nos combats.
L’avenir appartient à la lutte de classe !
Courant Communiste International, 4 juin 2023
Le vendredi 5 mai, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déclarait que « le Covid-19 n’est plus une urgence de santé publique de portée internationale » et prônait « le retour à la normale ».
Avec « au moins 20 millions de morts » selon directeur générale de l’OMS, (1) la pandémie de Covid-19 a révélé de manière éclatante la décrépitude du capitalisme mondial mais aussi l’incurie et le cynisme avec lequel États et gouvernements ont « géré » la situation. Face au délabrement des systèmes de santé partout dans le monde, fruit de décennies de crise économique et d’attaques massives, la classe dominante de tous les pays n’a eu que le mensonge, le vol, l’imposition arbitraire de « mesures de protection » tels que des confinements drastiques venant tout droit du Moyen-Âge. Et alors que les grandes puissances s’enorgueillissaient au printemps 2021 d’avoir produit des vaccins dans un temps record, force est de constater aujourd’hui qu’aucune politique vaccinale cohérente et généralisée n’est mise en place à l’échelle mondiale.
« Pourquoi faire ? », répondront les responsables des États ou des organismes internationaux. Puisque le Covid-19 peut désormais être considéré « de la même manière que nous considérons la grippe saisonnière, à savoir une menace pour la santé, un virus qui continuera de tuer, mais un virus qui ne perturbe pas notre société ou nos systèmes hospitaliers », comme le déclarait, il y a plusieurs semaines, le chef des programmes d’urgence de l’OMS, Michael Ryan. Cette déclaration illustre à elle seule l’état d’esprit de la bourgeoisie mondiale face aux effets macabres du capitalisme. Le Covid « saisonnier » pourra bien faire des centaines de milliers de morts par an dans le monde, tant qu’il « ne perturbe pas » le fonctionnement de la société capitaliste, vivons avec ! Voilà ce que prône désormais ouvertement tous les États et les gouvernements : l’indifférence la plus totale vis-à-vis de la santé des populations humaines aux profits des uniques intérêts de la bourgeoisie. Cette classe qui ne peut qu’employer les procédés les plus perfides et sournois pour tenter de cacher à la face du monde que son propre système n’a de cesse de plonger l’humanité dans l’abîme.
Toute autre fut la méthode employée par les soviets au cours de la Révolution en Russie alors que la classe ouvrière devait faire face aux ravages de la grippe espagnole, du typhus ou encore du choléra. Nous avons commencé à aborder cette question dans la Revue internationale en publiant un article relatif à l’évolution de la situation sanitaire dans la Russie des soviets en juillet 1919, un an après la mise sur pied du Commissariat de l’hygiène publique. (2)
Nous prolongeons ici la réflexion par la critique du livre La santé et la révolution écrit par un collectif d’auteurs. Si comme nous allons le voir, les auteurs ne peuvent s’empêcher de clore leurs études par un plaidoyer à peine voilé en faveur du capitalisme d’État, ce petit livre a le mérite de mettre en évidence le rôle central que joua la classe ouvrière organisée pour faire face aux défis sanitaires en plein processus révolutionnaire et face aux assauts de la contre-révolution menés par les armées blanches et les grandes puissances capitalistes européennes, « et néanmoins, dans les conditions matérielles parmi les plus difficiles qu’il soit possible d’imaginer, la méthode alors mise en œuvre par le prolétariat, notre méthode, en tout point opposée à celle de la bourgeoisie aujourd’hui confrontée à la pandémie du coronavirus, parvient à des résultats qui, à l’époque, constituent un pas en avant considérable ». (3)
Qu’elle fut donc cette méthode ? En quoi, celle-ci permis un pas en avant considérable et une expérience inestimable pour le futur ?
Au lendemain de la prise du pouvoir, la Russie se trouve dans une situation désastreuse. Trois années de guerre ont fait des ravages au sein de la société et accentué des fléaux déjà bien connus : la misère, la famine, les pénuries, la dégradation des infrastructures de santé ou de transports. Mais aussi de nombreuses épidémies telles que le typhus, le choléra, la variole, la diphtérie ou encore la tuberculose.
Ainsi, des défis gigantesques se posaient déjà à la révolution en Russie et ce d’autant, que son isolement rapide ne lui avait pas permis de trouver le soutien du prolétariat mondial. Mais comme le livre le met bien en évidence, la classe ouvrière en Russie puisa sa force dans son organisation collective et centralisée puisque les soviets furent au cœur de la prise en charge de la politique sanitaire. Ainsi, dès la prise du Palais d’Hiver, le comité révolutionnaire mis en place des détachements sanitaires à Petrograd et Moscou en vue de venir en aide aux blessés. Ces « secouristes de l’insurrection » étaient d’abord composés d’ambulanciers, d’infirmiers et d’infirmières militaires ralliés aux bolcheviques et aussi des ouvrières épaulant les médecins. Après quoi, les soviets étendirent les prérogatives des détachements à la prise en charge de l’ensemble de la santé civile. Un grand pas en avant fut ensuite franchi lorsque le gouvernement des soviets se dota d’un Commissariat du peuple à la santé. Désormais, la politique menée aussi bien pour faire face aux victimes de la guerre encore en cours comme aux épidémies fut l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.
Cette politique globale tranche déjà drastiquement avec celle mise en œuvre par les différents États lors de la pandémie de Covid-19 consistant à imposer aux populations des mesures visant avant toute chose à pénaliser le moins possible la production capitaliste. Comme l’indique les auteurs du livre : « il n’a jamais été question de prendre des mesures pourtant de bon sens, comme la production massive de matériel médical par les États où la levée des brevets sur les vaccins pour que tous y aient accès. En effet, outre écorner ses profits, cela aurait attenté au droit sacro-saint de la bourgeoisie de disposer à sa guise de son capital. On a là une nouvelle démonstration de ce que la propriété privée des capitalistes passe toujours avant l’intérêt de la collectivité, et dans ce cas précis, de l’humanité tout entière ».
Alors que les États n’ont pas hésité à recourir abondamment au mensonge « pour dissimuler les pénuries de masques, le manque de soignants, de lits de réanimation et de vaccins, et leur responsabilité dans cette situation », à aucun moment, il n’a été question de mobiliser la population dans la lutte contre la pandémie, les gouvernements préférant imposer les mesures sanitaires (confinement, port du masque…) par la coercition.
La politique menée par la « République des soviets » fut là aussi animée par une toute autre démarche. Dans toutes les batailles sanitaires qu’elle dût mener, la première mesure consistait à dire la vérité à la population : exposer le plus clairement possible l’état de la situation, les mesures de protection à adopter, le mode d’organisation préconisé pour faire face à la situation. Mais il s’agissait aussi d’appeler à la mobilisation des masses ouvrières. Ce fut le cas aussi bien au cours de l’épidémie de choléra qui frappa le Sud de la Russie ainsi que Moscou et Petrograd à partir de l’été 1918 que pour l’épidémie de variole en 1919 ou encore la grippe espagnole qui fit près de trois millions de morts en Russie. Cette méthode reposant à la fois sur l’adhésion et la participation de larges masses de la population et la centralisation de la politique menée par le gouvernement des soviets (Commissariat à la santé) fut pleinement mise en œuvre lors de l’épidémie de typhus entre 1918 et 1919. Comme l’indiquent les auteurs, l’expérience de la lutte contre l’épidémie fournit « les bases d’un nouveau système de santé reposant sur l’action des travailleurs eux-mêmes, la centralisation, la gratuité et la prévention ».
Dès lors, avec la fin de la guerre civile, des avancées notables furent réalisées dans la formation du personnel médical, la lutte contre la tuberculose, la prise en charge des addictions, la lutte contre la prostitution ou encore l’amélioration de la maternité. En un mot, la prise en charge de la société par la classe ouvrière permettait de l’arracher aux conditions « arriérées » dans lesquelles elle végétait.
Dans la dernière partie de ce livre, les auteurs montrent à quel point la politique de santé connut une véritable régression sous le stalinisme. La dégénérescence de la révolution en Russie, s’exprimant notamment par la fusion du parti avec l’État et la dévitalisation totale des soviets, engendra une nouvelle classe dominante exploitant la classe ouvrière sous la forme d’un véritable capitalisme d’État. Par conséquent, la politique menée en matière de santé, n’avait plus pour but de participer à l’amélioration et à l’émancipation de la condition humaine mais à pouvoir permettre à l’État d’exploiter toujours plus la force de travail. La mise en place d’une « médecine du travail » menant des études sur les causes de certaines maladies et la mauvaise santé des travailleurs ou encore recensant les pathologies, n’avaient pas d’autre objectif : permettre une plus grande productivité, donc une plus grande exploitation de la classe ouvrière. De même, la création de crèches et de structures d’accueil pour les enfants plus âgés dans les usines ne fit qu’enchaîner toujours plus les ouvriers et les ouvrières à leur lieu de travail et à l’État capitaliste.
Cependant, entichés du catéchisme gauchiste, notre groupe d’auteurs ne peut s’empêcher de trouver dans la barbarie stalinienne des résidus de la période révolutionnaire : « Le système de santé soviétique, tel qu’il perdura pendant plusieurs décennies, était envié par beaucoup […]. Dans des pays comme les Démocraties populaires en Europe de l’Est ou à Cuba, qui sans avoir connu de révolution ouvrière tentaient d’échapper, entre autres, à leur retard dans le domaine médico-social, on prit donc pour modèle le système de santé soviétique. Avec ses avantages, on l’a vu, ainsi qu’avec ses tares : celles d’une société dominée, écrasée par la bureaucratie. Mais malgré tout, et même s’il ne devint jamais un système de santé socialiste, ce système de santé conserva longtemps des traits de son caractère populaire, novateur et progressiste d’une révolution ouvrière victorieuse ».
Les prétendues prouesses médicales des « économies soviétiques » relèvent davantage de la farce plutôt que de la réalité historique. En URSS comme chez tous ces pays satellites, les populations manquaient de tout. Aussi bien de nourriture que de médicaments. Les auteurs reprennent ici à leur compte un vieux mensonge propagé par les canailles de la gauche et de l’extrême gauche du capital consistant à présenter un État tel que Cuba comme le nec plus ultra de la médecine. La pandémie a rappelé l’état de délabrement sanitaire de cet autre résidu du stalinisme. Puisque là-bas aussi les soignants durent faire face à l’afflux de malades sans disposer suffisamment de médicaments, d’oxygène, d’antigènes, de gel ou de seringues, etc.
Derrière ce clin d’œil nostalgique à la prétendue survivance des avancées de la révolution d’Octobre, via le stalinisme, se cache le credo consistant à considérer l’URSS comme un « État ouvrier dégénéré », perverti par la bureaucratie stalinienne. Aujourd’hui, cette erreur de Trotsky, repris à leur compte par les organisations de l’extrême gauche du capital comme Lutte ouvrière en France, sert à entretenir l’illusion qu’un État « bien géré » pourrait être un outil au service de l’intérêt général. Or, s’il est en apparence placé au-dessus des classes sociales, l’État demeure toujours l’expression de la domination d’une classe donnée dans la société. Dans le capitalisme, l’État incarne donc la domination de la bourgeoisie. De plus, depuis l’entrée du capitalisme dans sa période de décadence, la tendance générale vers le capitalisme d’État est une des caractéristiques dominantes de la société. La pandémie a pleinement confirmé que le capitalisme d’État, défendu bec et ongle par tous les partis de gauche et d’extrême gauche, n’est en rien une solution aux contradictions du capitalisme. Bien au contraire, il en est une claire expression, même s’il peut en retarder les effets au prix de leur amplification à terme ! (4)
S’il parvient un jour à renverser le capitalisme, le prolétariat devra poser les fondations de la société communiste dans un monde ravagé par les guerres, le dérèglement climatique et environnemental ou encore des problèmes sanitaires considérables. Cette tâche gigantesque ne s’effectuera pas avec le concours de l’État mais contre celui-ci, en vue de son dépérissement et sa disparition.
Surtout, cette tâche sera l’œuvre de la classe ouvrière elle-même, organisée et consciente de ses buts. Pour cela, s’appuyer sur les expériences du passé, comme la révolution d’Octobre 1917, et savoir en tirer les leçons essentielles demeure une tâche indispensable pour bâtir la société du futur !
Vincent, 7 mai 2023
1 Pour le moment, le décompte officiel fait état de 7 millions de morts.
2 « La prise en charge de la santé dans la Russie des soviets », Revue internationale n°166, (premier semestre 2021).
3 Ibid.
4 – « La pandémie de Covid et la période de décomposition du capitalisme », Revue internationale n°165, (deuxième trimestre 2020).
– « Pandémie et développement de la décomposition », Revue internationale n°167, (deuxième semestre 2021).
Une fois de plus, un naufrage ayant occasionné des centaines de disparus a eu lieu en Méditerranée, le 22 juin, au large de l’île italienne Lampedusa. Ce drame est survenu seulement huit jours après le naufrage d’une embarcation aux bords des côtes grecques. Mais ce qui est présenté comme un simple fait divers est en réalité une expression du chaos engendré par la crise dans laquelle s’enfonce le capitalisme.
La mort de dizaines de personnes dans des naufrages devient un événement récurrent. La plupart de ces voyages de fortune débutent en général au Maghreb mais de nombreux migrants proviennent, en fait, d’Afrique subsaharienne. Ainsi, les principaux pays dont sont issus les victimes de ce naufrage proviennent de la Côte d’Ivoire, du Burkina-Faso et du Cameroun. La raison de leur départ est principalement la dégradation des conditions de vie dans leur région d’origine et l’espoir de bénéficier d’un meilleur avenir. En effet, les conflits sanglants qui font régner le chaos dans ces pays rendent le simple fait d’habiter dans ces régions un calvaire.
Les guerres civiles, comme au Soudan actuellement ou au Mali, la multitude de conflits armées depuis des décennies, l’instabilité de nombreux États et gouvernements, le poids croissant des groupes terroristes comme Boko Haram ou l’État Islamique, des seigneurs de la guerre, tout cela a des conséquences dramatiques sur la population et l’oblige à fuir. Et avec le déséquilibre climatique qui cause de nombreux dégâts environnementaux, il y a encore d’autres facteurs qui pousseront les habitants de ces pays à fuir ce chaos, notamment le manque d’eau et les conséquences des sécheresses sur l’agriculture.
Les conflits ayant eu lieu dans ces pays sont, en grande partie, la conséquence des velléités impérialistes des grandes puissances qui cherchent chacune à défendre leurs sordides intérêts, tout en alimentant un chaos généralisé, une situation toujours plus incontrôlable sur le continent.
L’exploitation sauvage des ressources naturelles par les firmes européennes, américaines, russes ou chinoises, les velléités commerciales et stratégiques de ces mêmes puissances prêtes à tout pour tenter de conserver leur influence et faire main basse sur les ports, les chantiers, les marchés en tout genre… tout cela a des conséquences désastreuses sur la population. Des conséquences dont la bourgeoisie locale, corrompue jusqu’à la moelle, n’a que faire tant qu’elle peut continuer à se gaver en se maintenant coût que coût au pouvoir.
Les grandes puissances subissent donc, à travers des vagues migratoires incontrôlables, le retour de bâton de leurs politiques et de leurs interventions. Étant donné que la marge de manœuvre du capitalisme est de plus en plus réduite dans sa recherche de profit, les bourgeoisies de tous les pays ne peuvent s’encombrer de « bons sentiments » et n’ont donc comme seul choix que de se débarrasser de ce qu’elles perçoivent comme un « problème », de manière inhumaine. Les pays centraux se sont ainsi transformés en véritables forteresses, administratives et militaires : murs, barbelés, camps de concentrations, violences policières… Cela est illustré par la récente opération à Mayotte où depuis des années les autorités locales ont encouragé la haine contre les migrants comoriens. Mais les principaux pays centraux ne peuvent pas se charger eux-mêmes de tout le sale boulot, ils sous-traitent aussi la tâche à d’autres pays, comme la Turquie.
La Libye est devenue une illustration tragique de cette réalité. Après l’intervention de la coalition composée de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis contre le régime de Kadhafi, la Libye est devenue une zone de non-droit, où règne la pègre, les petits chefs de guerres et une barbarie sans nom. Le pays s’est ainsi transformé en passage obligé pour de nombreux candidats à l’immigration vers l’Europe. Elle est ainsi un serviteur exemplaire et sans scrupule dans le rôle de garde-frontières de l’Union européenne. Un pays tortionnaire dont les récentes guerres civiles ont montré la brutalité dont le gouvernement est capable. On évoque notamment des trafics d’êtres humains. Le témoignage d’une des membres de la Mission d’Enquête de l’ONU sur la Libye, malgré le fait que cette initiative émane d’un repaire de brigands, est à ce titre édifiant : « Le soutien apporté par l’UE aux garde-côtes libyens en termes de refoulements, d’interceptions, conduit à des violations de certains droits de l’Homme. On ne peut pas repousser les gens vers des zones qui ne sont pas sûres, et très clairement les eaux libyennes ne sont pas sûres pour l’embarquement des migrants » ? (1) Cette situation dure depuis plusieurs années et montre la vacuité des discours soi-disant progressistes et humanistes de l’UE.
L’Europe est loin d’être le seul continent faisant preuve d’hypocrisie sur leur prétendu humanisme. L’action des États-Unis, défenseurs de la « démocratie » et des « libertés civiques », en est un autre exemple frappant. Malgré toute la campagne médiatique hypocrite autour du « mur » de Donald Trump, il existait, en réalité, déjà un grillage dans certaines parties de la frontière mexicaine construit par George Bush et Bill Clinton afin de réguler le nombre de migrants clandestins. Avant 2019, cette barrière couvrait une grande partie de la Californie et de l’Arizona.
Mais il ne faudrait pas tomber dans le piège de la défense des « droits » des migrants. Les associations d’aide aux réfugiés et la gauche du capital font persister les illusions d’un État pouvant être réformé afin de mieux prendre en compte leur situation. C’est pour cette raison que les médias mettent parfois en avant des organisations telles qu’Amnesty International : ces groupes politiques récupèrent l’indignation légitime d’une partie de la population pour l’entraîner dans des luttes parcellaires stériles. Le quinquennat du « socialiste » François Hollande a montré toute la solidarité dont l’État peut faire preuve envers les roms ou les africains.
Contrairement à ce que ces soi-disant humanistes prétendent, il n’y a pas à réclamer à l’État bourgeois de respecter les réfugiés. Il s’agit d’une mystification pour le prolétariat. Pour tous les États, la force de travail de la classe ouvrière n’est qu’une marchandise. Et le bien-être de la population mondiale n’est dans leurs esprits qu’un mensonge, un simple vernis pour assurer l’exploitation. Les réfugiés sont des victimes de la phase finale du capitalisme et le seul moyen d’arrêter ce désastre est la lutte du prolétariat avec ses frères de classe, quelles que soient leurs origines.
Edgar, 2 juillet 2023
1“En Libye, le calvaire des migrants et réfugiés” [128], Deutsche Welle (4 avril 2023).
« Fin du match », ainsi s’intitule le dernier texte publié sur le blog Le Prolétariat universel tenu par le sieur JLR.
En tête, se trouve un photomontage sur lequel est écrit « Le palmarès des menteurs ». On y voit, autour, en photo, les têtes de Macron, de Le Pen, de Mélenchon, de Martinez… et d’un militant du CCI ! D’ailleurs, pour que la cible ne fasse aucun doute, le sigle « C.C.I » barre l’ensemble en lettres majuscules. L’image introduit un long texte dans lequel JLR passe son temps à traiter le CCI de menteur. Un menteur pire que Macron, Le Pen, Mélenchon, Martinez donc… à en croire le photomontage.
« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » (Francis Bacon).
JLR a un désaccord avec le CCI sur l’analyse du mouvement social contre la réforme des retraites. Pour le CCI, ce mouvement s’inscrit dans la dynamique internationale enclenchée en juin 2022 au Royaume-Uni, avec sa série de grèves et son « été de la colère » : face à l’aggravation de la crise économique mondiale, la classe ouvrière des pays centraux commence à relever la tête et à retrouver le chemin de la lutte. Pour JLR, la série de manifestations en France n’a été qu’une mascarade syndicale qui a emmené les ouvriers atones à une nouvelle défaite. Soit. Le CCI n’a jamais eu aucun problème avec ce type de désaccord, cela devrait même être l’occasion de débats et de confrontation des positions. Arguments à l’appui…
Mais non, JLR n’est pas intéressé par le débat et la clarification, il préfère accuser à tort et à travers. À l’appui de sa démonstration, JLR lâche ce qui est censé être la preuve des mensonges du CCI : « Pour se mentir à lui-même sur le soi-disant “réveil international du prolétariat”, on peut même se servir d’un petit mensonge, dérisoire tant il est ridicule : “Ce n’est pas un hasard si le slogan le plus populaire brandi sur les pancartes était : ‘Tu nous mets 64, on te re-Mai 68’.” Or que nenni, ils avaient repiqué une photo que j’avais prise de trois jeunes lycéennes avec leur petite affiche, assises sur un trottoir, et auxquelles personne ne prêtait attention ».
C’est tout ?… Oui, c’est tout. Pour juger du « petit mensonge » du CCI, il suffit de taper dans n’importe quel moteur de recherche sur Internet « Tu nous mets 64, on te re-Mai 68 » : on verra apparaître des centaines de photos de manifestants brandissant ce slogan sur leurs pancartes.
Il n’y a rien de « dérisoire » ni de « ridicule » dans ces accusations infondées proférées par JLR. Avec son photomontage, JLR associe un militant du CCI aux crapules de la bourgeoisie. Il met sur le même plan les militants communistes et les dirigeants bourgeois. De tels propos, qui s’apparentent à de la calomnie, ne peuvent qu’agir comme un épouvantail pour tous ceux qui commencent à s’intéresser aux positions révolutionnaires, aux organisations communistes et à leurs débats.
Aujourd’hui, les forces révolutionnaires sont encore maigres. Les minorités en recherche des positions de classe, peu nombreuses, sont précieuses. Elles représentent l’avenir. Les gagner au camp révolutionnaire, leur permettre de s’organiser, de s’approprier les principes et l’expérience de la Gauche communiste est un enjeu vital pour le futur des organisations révolutionnaires, pour le futur des luttes du prolétariat, pour la possibilité de la révolution. Rien de moins.
Et voilà JLR qui salit sans retenue le CCI et, à travers lui, la tradition de toute la Gauche communiste. Il n’y a ici, finalement, aucune autre préoccupation que sa petite personne, son bon plaisir, au sein de l’imaginaire politique qu’il s’est créé.
Il faut reconnaître que l’hostilité de JLR envers le CCI est très fluctuante. Il lui arrive même d’écrire des mots élogieux envers notre organisation. Puis, un autre jour, il la couvre de boue et d’insultes. Ainsi, on peut lire dans un article de son blog, au sujet de l’une de nos réunions publiques à laquelle il a participé : « Le meilleur hommage à la tenue de cette réunion est venu de personnes que j’avais invitées directement :“une réunion où l’on pouvait s’exprimer librement, contrairement aux autres groupes politiques, et discuter de problèmes qui sont exclus des médias”. Une réflexion touchante aussi d’un vieux sympathisant du CCI :“un lieu où l’on pouvait échapper au sentiment de solitude” ». Et quelques jours plus tard, il peut qualifier ce même CCI de « secte néo-stalinienne » ou de « secte délirante étrangère au prolétariat ».
Que JLR puisse saluer les positions et démarches du CCI qu’il estime correctes tout en critiquant celles avec lesquelles il est en désaccord ne pose strictement aucun problème. Bien au contraire ! Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. De toute évidence, le jugement global que JLR porte sur notre organisation dépend grandement de son humeur du moment. Il s’agit là d’un comportement totalement irresponsable. (1)
Seulement, l’irresponsabilité peut mener au pire. Le blog de JLR regorge d’informations sur les militants qu’il peut parfois qualifier de « pervers-narcissique », de « fous »… Tout y passe, la description des couples et de leurs rapports, des précisions sur leurs enfants… La vie des militants étalée sans retenue.
Pourtant, on peut lire sur ce même blog ce type de remarques : « les RG vont-ils vraiment à nouveau s’intéresser au mouvement maximaliste ? (2) Pas seulement par leurs incursions masquées sur le web ? ». Mais, comme pour le reste, ce genre de réflexion passe avant que ça ne le reprenne, et JLR déblatère le lendemain sur la vie des uns et des autres.
À force d’irresponsabilité et d’inconséquence, le voilà conduit à publier la photo d’un militant du CCI. Pour le plus grand plaisir des RG et de « leurs incursions masquées sur le web ». En affichant ainsi le visage d’un militant du CCI, JLR fait le jeu des ennemis déclarés du CCI et de la bourgeoisie.
En fait, cette sorte de délation a même été permise et encouragée par tous ceux qui utilisent le mouchardage comme une arme contre le CCI pour le détruire, notamment la FICCI (aujourd’hui appelée GIGC) dont c’est même la spécialité, la marque de fabrique. (3)
L’histoire du mouvement ouvrier démontre que ce type de mouchardage a toujours préparé et accompagné la répression des organisations révolutionnaires et de leurs militants. La divulgation d’informations sensibles à leur sujet participe directement de la répression en vue de les détruire, et en forme le premier stade. En janvier 1919, c’est la social-démocratie elle-même qui se chargea des mensonges, des diffamations et des appels à la haine qui conduisirent à l’assassinat de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht.
Aujourd’hui, pour réaliser ce travail, de sape, pour entretenir la suspicion envers les organisations révolutionnaires et même exhaler l’effluve nauséabonde des pogroms, la bourgeoisie n’a pas besoin de se mouiller directement, elle peut compter sur cette fange parasitaire, prête à tout, et gratuitement. Sans partager ce but détestable, JLR se retrouve sur son blog, à alimenter ce marigot à force d’irresponsabilité et de ne pas réfléchir plus loin que son nombril.
La question qui se pose maintenant aux organisations révolutionnaires et à tous ceux qui partagent leurs positions et leur combat est : comment lutter contre ces comportements indignes et destructeurs ?
L’irresponsabilité sans entrave de JLR est encouragée par tout le milieu parasitaire qui se vautre dans la calomnie et le mouchardage. Ce milieu parasitaire peut se répandre d’autant plus facilement qu’il ne rencontre aucun obstacle, aucune digue.
À l’image de ce monde pourrissant, les individus et les groupes prêts à tout, aux coups les plus bas et les plus sordides, prolifèrent. L’usage de la calomnie, et, pour certains, la pratique du mouchardage, incarnent de façon répugnante la haine de l’organisation politique du prolétariat et la volonté de la détruire, propre au parasitisme. Mais le laisser-faire d’une grande partie des groupes de la Gauche communiste, l’absence de réaction année après année, calomnie après calomnie, mouchardage après mouchardage, facilite ce sale boulot. En restant silencieuses, une grande partie des organisations révolutionnaires offrent en réalité un blanc-seing, presque un encouragement à tous ces comportements destructeurs.
Ne rien dire, ce n’est pas seulement manquer de la plus élémentaire solidarité qui doit primer entre les groupes historiques de la Gauche communiste, c’est aussi laisser notre tradition et nos principes être traînés dans la boue, c’est hypothéquer l’avenir. Sans réaction ferme face à la calomnie et au mouchardage, sans une défense visible et intransigeante des principes de la Gauche communiste, sans une solidarité en acte entre organisations révolutionnaires, (4) tout le marigot putride du parasitisme ne pourra que continuer à se développer, à écœurer les minorités en recherche et à détruire.
Nous appelons aussi tous nos lecteurs à participer à cette réaction, à prendre position et à lutter contre ces agissements, à œuvrer pour la solidarité prolétarienne et la défense des principes du camp révolutionnaire et de ce qui constitue son arme la plus précieuse : l’organisation politique du prolétariat.
CCI, 19 juin 2023
1 « C’est une tradition : les ennemis de l’action, les lâches, les biens installés, les opportunistes ramassent volontiers leurs armes dans les égouts ! Le soupçon et la calomnie leur servent à discréditer les révolutionnaires » (Victor Serge).
2 C’est ainsi que JLR désigne les organisations de la Gauche communiste, et notamment le CCI.
3 Pour connaître la liste non-exhaustive des méfaits de ce groupe aux méthodes policières, lire par exemple sur notre site : « Attaquer le CCI : la raison d’être du GIGC [129] ». Nous reviendrons sur la FICCI/GIGC prochainement dans notre presse.
4 En 2002, le BIPR (aujourd’hui Tendance communiste internationaliste) et l’un de ses sympathisants vivant aux États-Unis (prénommé AS) ont été attaqués par le groupe Los Angeles Workers Voice (LAWV). Le BIPR avait ainsi dénoncé le LAWV pour « avoir recours à la calomnie » et avait fort justement affirmé qu’un tel comportement « interdit toute discussion ultérieure ». Le CCI avait immédiatement et publiquement apporté sa solidarité au BIPR et dénoncé, lui aussi, le LAWV. Notre article, « Milieu politique prolétarien : Une attaque parasitaire contre le BIPR », avait pour objectif de défendre tant le BIPR et le sympathisant AS que l’honneur de toute la Gauche communiste.
Il y a deux ans déjà, nous avions écrit un article consacré à la dénonciation des agissements du GIGC (ex FICCI) à travers le soutien qu'il avait apporté à une tentative d'usurpation de la Gauche communiste par un aventurier nommé Gaizka[3] dont nous avions exposé la trajectoire. Depuis lors, le GIGC n'a cessé de multiplier les attaques contre le CCI dans le seul but de jeter le discrédit sur notre organisation et susciter la méfiance à son égard.
C'est pourquoi nous avons décidé de publier un ensemble d'article rassemblés dans un "dossier" regroupant les différentes réponses que nous opposons aux calomnies du GIGC visant, pêle-mêle : - le concept de parasitisme politique qui appartient au patrimoine du mouvement ouvrier ; - notre dénonciation de l’aventurisme politique auquel le GIGC apporte son soutien ; - la cohérence révolutionnaire de notre plate-forme ; - notre analyse de la phase actuelle de la décadence du capitalisme, celle de sa décomposition ; notre intervention dans la situation mondiale tant face à la guerre qu'à la lutte de classe ; - ou encore notre position face la mouvance anarchiste à propos de l'internationalisme et de sa trahison. Ces questions sont abordées dans les articles suivants :
Cette série de dénonciations des agissements du GIGC s’imposait afin de ne pas laisser sans réponse des calomnies ou des falsifications de la réalité dont le CCI est la cible de la part de ce groupe parasitaire. Nous aurions évidemment préféré dédier nos forces à d'autres activités plus en prise avec la situation mondiale, mais nous nous retrouvons confrontés à une situation comparable à celle du Conseil général de l'AIT, face à un ennemi intérieur alors constitué par l'Alliance de Bakounine. Aujourd'hui un tel "ennemi intérieur", le GIGC, sévit au sein de la Gauche communiste.
[1] Pas de guerre sauf la guerre de classe. Lire notre article, "No war but the class war à Paris : Un comité qui entraîne les participants dans l’impasse" [3].
[2] Dans l'article Impasse et contradictions du CCI face au "parasitisme", à la TCI et au GIGC [135].
[3] Lire L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [136]. (février 2021)
Notre camarade Antonio nous a quittés ce printemps, à la veille de la tenue du 25e congrès international du CCI. Il était l'un des vieux militants fondateurs de Révolution internationale (RI – section en France du CCI) encore présents dans l'organisation. Le congrès lui a rendu un premier hommage, soulignant notamment "son courage et sa modestie", tant dans sa vie personnelle que militante.
En 1965, comme d'autres étudiants de l'université de Madrid interpellés par le développement des luttes ouvrières dans les Asturies, il commence à se préoccuper de politique dans un contexte où le point de vue de classe doit se frayer un chemin au sein de la confusion ambiante des chants de sirène de "l'opposition démocratique" au régime. Antonio se méfiait alors du PCE (Parti Communiste Espagnol) en raison du stalinisme de celui-ci, mais il a dû aussi apprendre à se méfier du discours de la poignée de groupes trotskystes et maoïstes apparus à cette époque et qui, bien que d'apparence plus ouverte et à "gauche" que le PCE, ne constituaient rien d'autre qu'une version plus radicale de la gauche du capital et tout autant contre-révolutionnaire. Cet intérêt du camarade pour les positions révolutionnaires est à l'origine de son émigration en France, où il arrive à Toulouse en 1967.
Il avait alors des préoccupations culturelles - à cette époque il faisait du théâtre en langue espagnole - qu'il n'abandonnera en fait jamais par la suite, même si elles ont dû souvent s'effacer face à des contraintes familiales ou politiques. Dans l'atmosphère d'effervescence politique de réflexion et discussion d’avant 68, et surtout pendant les évènements, il a alors trouvé des réponses aux questions qu'il se posait. Dans ce contexte, il a su s'inscrire d'amblée dans une véritable perspective internationaliste, intéressé par l'expérience historique du prolétariat en évitant le piège de l'enfermement dans une approche "d'immigré" fixée sur la situation et l'histoire du pays d'origine.
Comme il le dit lui-même, la première discussion en France qui l'a aidé à rompre avec l'atmosphère gauchiste de Madrid a été celle qu'il a eue avec certains des membres fondateurs de Révolution internationale sur la nature impérialiste de la guerre du Viêt Nam, sur la nécessaire défense de l'internationalisme prolétarien et de la solidarité ouvrière, et cela en opposition à l'idée de "guerre révolutionnaire" défendue par les trotskistes et les maoïstes.
Il rencontrera par la suite Marc Chirik (MC) lors d'une réunion en 1968 avec les autres membres fondateurs de Révolution internationale et des "militants" situationnistes. Face à ces derniers, MC défend la nature prolétarienne de la révolution russe de 1917, la réalité de la classe ouvrière en tant que sujet révolutionnaire de l'histoire et la nécessité d'une organisation révolutionnaire. Cette même année, il participe également à la réunion qui approuve la première plate-forme de Révolution internationale, basée sur les principes politiques de l'Internationalisme dont MC a hérité de la Gauche Communiste de France et ensuite transmis.
Il revient en France en 1969 au moment où le noyau initial de Révolution internationale voit ses forces se réduire du fait de certaines démissions mais également parce qu'une majorité de militants toulousains avaient rejoint la capitale.
Bien qu'il ait déclaré postérieurement, "je n'étais pas un militant", en parlant de l'époque de 1968, il reprend pleinement l'activité dans Révolution internationale en 1970, puis participe en 1972 au regroupement avec les Cahiers du communisme de conseils de Marseille et le groupe de Clermont Ferrand, d'où émergera la 2ème plate-forme de RI en tant que groupe politique avec une implantation territoriale à la recherche de contacts internationaux. En 1975, il participe au premier congrès du CCI et restera militant jusqu'à la fin de sa vie. Au moment où le mouvement de lutte de classe dans ce pays est à son apogée et que l'État accélère sa politique de "transition démocratique", la publication "Acción Proletaria (AP)" en Espagne ne peut plus être assurée. Pour y faire face, le CCI décide à son premier congrès international de maintenir la publication régulière d'AP, en produisant le journal en France et l'introduisant ensuite clandestinement dans l'Espagne de la fin du franquisme. Sa collaboration à cette publication est alors particulièrement appréciée en raison de la capacité du camarade à analyser finement les manœuvres démocratiques de la "transition" en Espagne, et à les dénoncer en profondeur. Du fait de sa maitrise de deux langues – il était professeur d'espagnol en France - il devait également, à partir de 1975, s'impliquer dans la production en espagnol de la Revue internationale. Le camarade a toujours su placer l'accomplissement de ces responsabilités dans une perspective internationale et historique.
Afin d'organiser et systématiser l'intervention en langue espagnole et la recherche de contacts dans l'espace hispanophone, le CCI nouvellement constitué prend l'initiative de nommer une Commission de langue espagnole (CLE) avec Antonio en son sein. De ce fait, Antonio participait régulièrement aux voyages en Espagne et aux discussions avec les contacts, apportant sa conviction et son assimilation des positions du CCI. Les camarades qui ont voyagé avec lui ont pu apprécier sa très grande sympathie, sa vaste connaissance encyclopédique mais aussi et surtout son humour. Nous y reviendrons !
Antonio a participé à pratiquement tous les congrès internationaux du CCI faisant alors partie d'équipes de traduction simultanée remarquablement efficaces – à un point tel que des scientifiques ayant été invités à une séance d'un congrès furent impressionnés par la qualité du travail. Mais Ils n'ont pas non plus manqué d'être surpris par les commentaires d'Antonio durant les pauses, destinés à éclairer des camarades des délégations espagnole, mexicaine ou vénézuélienne sur des parties d'intervention mal comprises, …. mais ils furent aussi surpris par l'utilisation du micro par Antonio pour faire des blagues.
Dans les moments difficiles de la lutte de l'organisation contre l'esprit de cercle et pour l'esprit de parti, Antonio a toujours choisi la défense de l'organisation. Bien que doté d'une disposition naturelle à créer des liens d'affinité avec des camarades, il ne s'est cependant jamais laissé emporter aveuglément par "la défense de ses amis" contre les principes organisationnels du CCI. Et lorsque certains d'entre eux ont quitté l'organisation avec des ressentiments à son égard, Antonio a maintenu sa loyauté envers le CCI même si cela pouvait impliquer un éloignement personnel vis-à-vis de ses anciens amis.
Tout en reconnaissant certaines de ses erreurs ou négligences, manques ponctuels d'attention ou d'implication, le camarade les rangeait souvent dans la catégorie de ses "Antonionades". En fait il s'agit là d'une catégorie qui était suffisamment large pour inclure également des sketchs où le camarade se plaisait à faire le "pitre" pour notre distraction à tous.
Ainsi, souvent, à l'occasion de rencontres festives comme en particulier les premiers de l'an, notre camarade savait mettre en scène sa bonne humeur, son humour jamais caustique mais souvent taquin, subtil et amical vis-à-vis de ses camarades. En effet, à son répertoire figurent en très bonne place des sketchs improvisés mettant en scène des proches et des camarades de l'organisation. Au service de son "art" il savait exploiter les subtilités et les pièges des langues française et espagnole - parfois même de l'occitan. Il pouvait ainsi passer des heures à animer des réunions conviviales entre camarades et partager sa bonne humeur.
Mais "l'Antonionade" pouvait également se manifester dans des situations tout à fait différentes qui n'avaient rien de festif et traduisaient une audace particulière de notre camarade.
Ainsi dans les années 1980, lors d'une diffusion par tracts sur les docks à Marseille - citadelle des gardiens cégétistes de l'ordre capitaliste - une équipe de diffusion du CCI se trouve rapidement aux prises avec une patrouille de "gros bras" de la CGT qui veulent nous faire déguerpir. Dans ces moments-là, le but est de tenir le plus longtemps possible en vue de diffuser le plus possible de tracts ce qui n'a rien d'évident en particulier lorsque les entrées se font compte-goutte. Et Antonio de s'esclaffer à la stupeur de tous, "ah mais je ne peux pas renoncer, je suis investi d'un mandat que je suis tenu d'assumer. Il faut que je termine cette diffusion !".
L'effet de sidération ainsi produit dans les rangs de l'escouade syndicale nous a permis de gagner de précieuses minutes de diffusion au terme desquelles le flux de dockers entrant pour prendre le travail nous mettait à l'abri des intimidations.
Néanmoins, sa vie militante n'était pas faite que d'Antonionades, comme en ont témoigné son implication régulière dans la vie de l'organisation ou encore le fait que c'est le même Antonio qu'on retrouve encore dans un épisode de défense d'une manifestation contre les tentatives d' incursion en son sein – mises en échec – par des flics pour y embarquer un jeune qui s'était rendu coupable d'un "bombage" sur un mur.[1]
Dans sa vie professionnelle, certaines "antonionades" sont un pur condensé d'humour, comme l'a rapporté et illustré un de ses collègues de fac venu à ses obsèques et qui par ailleurs soulignait à quel point Antonio respectait ses étudiants : Un jour où les étudiants semblaient ne pas écouter son cours, discutant entre eux dans l’amphi, Antonio ne fit pas de remarque particulière mais s’interrompit. Les étudiants surpris arrêtèrent leurs bavardages se demandant ce qui se passait. Alors Antonio reprit la parole et leur dit : "Aujourd’hui, j’ai l’impression d’être dans un bar en Espagne. Dans les bars en Espagne, la télé marche en permanence mais personne ne la regarde ni ne l’écoute. Mais si une personne s’avise de l’éteindre, il y a toujours quelqu’un pour dire : qui a éteint la télé ? Aujourd’hui je suis la télé du bar." Quel tact et quelle pédagogie !
Il a d'abord eu une fille qui a toujours soutenu son militantisme et entretenu une sympathie politique avec le CCI. Son deuxième enfant souffre depuis sa naissance d'un handicap physique et intellectuel important. En vue de pouvoir communiquer avec lui, Antonio a appris le langage des signes et a toujours été attentif à ce que le handicap de son fils ne l'éloigne pas de tout et de tous. Et, ensemble, les membres de la famille y sont parvenus! Entre autre, au prix d'un investissement jamais démenti d'Antonio. L'implication de notre camarade envers sa famille a dû encore s'accroître alors que sa compagne est tombée gravement malade. Durant des années, ils ont lutté côté à côte contre un cancer auquel elle a finalement succombé, épuisée par ce combat.
La tension entre les responsabilités personnelles d'Antonio et ses responsabilités militantes a été poussée au maximum à de nombreuses reprises. Comme il l'a dit lui-même, il a été plusieurs fois sur le point d'abandonner la lutte politique mais, finalement, il a gardé sa loyauté envers lui-même, sa famille et l'organisation, orientant sa vie et le soin de sa famille à partir de ce qui était sa passion et sa conviction : le militantisme communiste.
Nous voulons ajouter ici que la vie de ce camarade, qui a réussi à maintenir son militantisme pendant plus d'un demi-siècle (de 1968 à 2023) contre toutes sortes de pressions, constitue un exemple de ce que nous devons transmettre à la nouvelle génération de militants.
Bien qu'il ait été contraint, pendant de longues périodes, de réduire son implication militante, il a pu retrouver ces dernières années la flamme de cette passion en participant à des réunions communes avec des camarades de AP (Espagne), RI (France) et de Rivoluzione Internazionale (Italie), et s'impliquant dans des responsabilités organisationnelles.
Un autre paradoxe de notre camarade ou bien expression de sa très grande modestie ou manque de confiance en lui-même : à plusieurs reprises il a déclaré à des camarades qu'il avait du mal à intérioriser la signification de notre conception consistant à "mettre le militantisme au centre de notre vie". C'est pourtant ce qu'il a réussi à faire tout au long de sa vie !
Peu de temps après le décès de sa compagne, Antonio avait eu une alerte cardiaque qu'il avait pris en charge tout seul en allant aux urgences en pleine nuit. Un jour plus tard, il en ressortait avec des artères débouchées et prêtes à reprendre du service. Il s'est en fait avéré qu'il avait d'autres problèmes cardiaques, traités par la suite et non réputés critiques mais néanmoins possiblement à l'origine de son décès subit, peu de temps après. Alors que nous avions insisté auprès de lui pour qu'il nous informe plus régulièrement de son état de santé il nous avait répondu que, dans son village natal, certaines personnes pour dire "je vous tiendrai au courant" se trompaient et disaient "je vous tiendrai à l'écart". Une nouvelle Antonionade ! La dernière.
Même si le camarade avait la préoccupation de ne pas "déranger" les autres il était néanmoins parfaitement conscient – et en avait déjà fait la preuve - de la nécessité sociale et politique de faire appel, à chaque fois que nécessaire, à l'organisation et ses militants. En fait, dans la réalité il nous tenait régulièrement informés de sa santé.
Nous avons cependant tous été surpris de son "départ précipité". Adieu camarade et ami.
Par contre, nous n'avons pas été surpris de la participation nombreuse aux obsèques de notre camarade, notamment d'anciens collègues à lui qui, à cette occasion, ont fait des témoignages touchants, mais non surprenants, concernant notamment le très grand respect d'Antonio pour ses étudiants.
Le CCI organisera dans les prochains mois un hommage politique à notre camarade Antonio. Les camarades désireux d'y participer doivent écrire au CCI et, en retour, la date et le lieu leur seront communiqués.
CCI (08/08/2023)
[1] Pour davantage de détail lire à propos de cet évènement l'article suivant Solidarité avec les lycéens en lutte contre la répression policière (témoignage d'un lecteur) [138]
Le but de cet article n'est pas d’engager un débat sur la validité politique de notre plate-forme -ce à quoi nous sommes évidemment toujours disposés à travers une confrontation honnête de positions divergentes- mais de rétablir la réalité de celle-ci à travers la dénonciation de la démarche du Groupe International de la Gauche Communiste (GIGC) visant exclusivement à disqualifier nos positions, notamment en les présentant comme étant influencées par le conseillisme. Une telle influence se traduirait chez le CCI par une vision "économiciste", "mécanique", "fataliste", par la sous-estimation des luttes revendicatives, et affectant notre conception du parti et de la conscience de classe, etc.
Au-delà du nécessaire rétablissement de la vérité à propos de nos positions politiques ainsi travesties par le GIGC, nous mettons en évidence comment les moyens et procédés qu'il emploie au service de son entreprise de dénigrement sont totalement étrangers à la méthode du mouvement ouvrier et de la Gauche communiste en particulier.
Le GIGC nous dit que, dès sa constitution, il aurait entrepris, "un processus de clarification sur la plateforme du CCI[1], (…) qu'il avait rejetée comme étant ouvertement conseilliste[2]". Un tel diagnostic politique serait basé sur différentes observations déjà exposées dans certains des textes du GIGC et dont voici un échantillon :
Pour qui connait les positions CCI, ces "critiques" sont grossièrement mensongères, mais tout le monde ne connait pas le CCI ou bien certains seulement à travers la vision qu'en donne la prose du GIGC, ce qui nous contraint de passer en revue l'essentiel de telles déformations basées sur le mensonge à propos des faits, le maquillage et la déformations des positions, la suggestion en lieu et place de la preuve ou de la concrétisation. Une autre d'entre elles consiste également dans l'occultation des développements politiques du CCI venant expliciter les points de notre plateforme[5].
Pour aussi importante que soit la question de la possibilité ou non de l'obtention de réformes par le prolétariat dans la période de décadence du capitalisme, jamais dans notre plateforme le changement de période ne se réduit à cette question mais il est envisagé sous l'angle du développement des contradictions internes du capitalisme (Point 3 de la plateforme -La décadence du capitalisme) et ensuite sous l'angle des implications quant au mode d'organisation du capitalisme (Point-4 -Le capitalisme d'État) et enfin sous celui de la lutte de classe (Point-6 -La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent). C'est dans ce dernier point qu'est traitée la question de la possibilité ou non d'obtention de réformes, laquelle est déterminante pour fonder et comprendre la période de décadence :
En effet, et le GIGC le sait très bien, pour le CCI, la lutte revendicative constitue le socle de granit du développement de la lutte de classe. Cela fait partie, en effet, de l'ADN de notre organisation puisque cette conception était déjà au cœur de la compréhension marxiste du groupe précurseur du CCI, Révolution internationale en France. Ainsi RI nouvelle série n° 9 (Mai-Juin 1974), dans l'article "Comment le prolétariat est la classe révolutionnaire [140]", s'exprime en ces termes : "Le processus à travers lequel la classe ouvrière s’élève à la hauteur de sa tâche historique n’est pas un processus distinct, extérieur à sa lutte économique quotidienne contre le capital. C’est au contraire dans ce conflit et à travers lui que la classe salariée forge les armes de son combat révolutionnaire".
Notre plate-forme ne dément pas une telle position de notre part : "Depuis plus d'un demi-siècle, les ouvriers ont éprouvé de moins en moins d'intérêt à participer à l'activité de ces organisations [les syndicats] devenues corps et âme des organes de l'État capitaliste. Leurs luttes de résistance contre la dégradation de leurs conditions de vie ont tendu à prendre la forme de "grèves sauvages" en dehors et contre les syndicats. Dirigées par les assemblées générales de grévistes et, dans les cas où elles se sont généralisées, coordonnées par des comités de délégués élus et révocables par les assemblées, ces luttes se sont immédiatement situées sur un terrain politique, dans la mesure où elles ont dû se confronter à l'État sous la forme de ses représentants dans l'entreprise : les syndicats". (Point 7 - Les syndicats : organes du prolétariat hier, instruments du capital aujourd'hui)
Et aujourd'hui encore, "L’aggravation inexorable de la crise du capitalisme est un stimulant essentiel à la lutte et à la conscience de classe. La lutte contre les effets de la crise est la base du développement de la force et de l’unité de la classe ouvrière. La crise économique affecte directement l’infrastructure de la société ; elle met donc à nu les causes profondes de toute la barbarie qui pèse sur la société, permettant au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de détruire radicalement le système et de ne plus s’illusionner sur les possibilités d’en améliorer certains aspects.
Dans la lutte contre les attaques brutales du capitalisme, et surtout contre l’inflation qui frappe l’ensemble des travailleurs de manière générale et indiscriminée, les travailleurs développeront leur combativité, ils pourront commencer à se reconnaître comme une classe ayant une force, une autonomie et un rôle historique à jouer dans la société. Ce développement politique de la lutte de classe lui donnera la capacité de mettre fin à la guerre en mettant fin au capitalisme." (Le capitalisme mène à la destruction de l'humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin [141])
Si nous avons pris autant de place pour réfuter ce mensonge éhonté du GIGC, c'est justement parce qu'il est très préjudiciable à la compréhension – telle que la défend le CCI - du processus de développement de la lutte de classe jusqu'à la révolution.
"Le dernier point, le plus long de toute la plateforme, sur l’organisation des révolutionnaires révèle clairement la contradiction qui a habité le CCI depuis ses débuts entre son approche et ses faiblesses congénitales d’ordre conseilliste et sa volonté de se réapproprier les leçons du mouvement ouvrier et particulièrement de la Gauche communiste. Certes, le parti est mentionné comme tel, formellement, abstraitement, en fait à reculons : 'l’organisation des révolutionnaires dont la forme la plus avancée est le parti (…) ; on peut alors parler de parti pour désigner l’organisation de cette avant-garde (…) ; la nature mondiale et centralisée de la révolution prolétarienne confère au parti...' Mais nulle part le rôle et la fonction du parti en tant qu’avant-garde et direction politiques du prolétariat ne sont évoqués."
Ce qui fonde la nécessité et le rôle de l'organisation révolutionnaire est présent sous forme condensée dans notre plateforme, si bien que toute citation partielle de celle-ci, comme le fait le GIGC, en altère nécessairement le sens. C'est pourquoi nous reproduisons en entier le paragraphe concerné : "L'organisation des révolutionnaires (dont la forme la plus avancée est le parti) est un organe nécessaire que la classe se donne pour le développement de la prise de conscience de son devenir historique et pour l'orientation politique de son combat vers ce devenir. De ce fait l'existence du parti et son activité constituent une condition indispensable pour la victoire finale du prolétariat."
Qu'est-ce que le GIGC a à redire à cette formulation si ce n'est des impressions ? Rien, du vent, … du bluff.
De plus, la plupart des positions défendues dans notre plateforme sont reprises, développées, précisées dans différents articles de notre presse, notamment dans la Revue internationale. C'est le cas en particulier concernant la question de "l'organisation des révolutionnaires" amplement développée dans des textes fondamentaux du CCI et dont le GIGC ne dit pas un mot bien qu'il en connaisse parfaitement l'existence. Quiconque les lit pourra se convaincre de toute l'importance que nous accordons à la question du parti, son rôle, son lien avec la classe ouvrière et le processus menant à sa formation. Nous engageons donc le lecteur à vérifier la validité de notre démenti en consultant les textes suivants :
Loin s'en faut !
Depuis le début, lorsqu'elle sévissait au sein du CCI jusqu'à sa transformation en GIGC, la FICCI proclamait à qui voulait bien l'entendre qu'elle était le meilleur défenseur des positions du CCI, bien meilleur que le "CCI opportuniste" ! Et ne voici pas que le propre GIGC se rend compte qu'en fait la plateforme du CCI était conseilliste ! La fin de la farce et de l'usurpation ? Rien de cela, la mauvaise farce continue avec les farceurs qui se sont adaptés. C'est ainsi qu'ils découvrent que notre plateforme est "basée sur une vision économiciste et fataliste qui est, elle-aussi, cohérente avec sa vision conseilliste qui se révèle de manière manifeste dans ses points sur le parti et la conscience de classe". Ils font valoir des clarifications politiques apportées par leur propre plateforme qui "essaie de fonder la cohérence et l’explication des frontières de classe à partir et autour de la question du parti et de la conscience de classe, et donc de l’histoire de la lutte des classes elle-même". Même si les faussaires du GIGC en étaient réellement convaincus, ce n'est pas cela, pas plus que toutes leurs critiques vides que nous avons réfutées, qui prouvent le conseillisme de notre conception du parti et de la conscience de classe. D'autant moins que la prétendue nouvelle source d'inspiration du GIGC n'est pas, de notre point de vue, la plus adaptée pour en juger : "Nous n’avons rien inventé. Nous avons juste été convaincus de la justesse politique de la démarche de principe des plateformes successives que la Gauche dite d’Italie avait adoptées, en particulier en 1945 et en 1952." [6] [7]
Pour sa part, comme il l'explique dans sa plateforme, le CCI se base sur "le marxisme qui est la seule conception du monde qui se place réellement du point de vue de la classe ouvrière :
Plus précisément, il reproche au CCI une "vision fataliste et mécanique de l’histoire au détriment de la vision dynamique –marxiste– qui place la lutte des classes au centre et comme moteur de l’histoire".
Le GIGC ne disposant de rien de consistant pour fonder ses critiques, il procède par insinuation, à travers des "peut mener à …", quand ce n'est pas carrément la diffamation ouverte, le dénigrement, la calomnies, autant de domaines dans lesquels il excelle depuis qu'il est entré en guerre contre le CCI alors que ses "fondateurs" étaient encore membres de notre organisation.
Par contre, ce que l'histoire nous a appris c'est que lorsque l’opportunisme brandit la critique de "fatalisme" contre les positions de la Gauche c’est pour s'octroyer "souplesse" et "flexibilité" vis-à-vis des principes. C'était la signification des critiques formulées par Trotski à Bilan dans les années 1930 et par le PCInt à Internationalisme dans les années 1940. Ceci étant dit, loin de nous l'idée qu'on pourrait identifier le GIGC à Trotski ou au PCInt. Malgré toutes les critiques que le CCI a formulées à l'encontre de l'opportunisme de Trotski et de celui du PCInt, notre démarche est à l'opposé de celle qui, de quelque manière que ce soit, identifierait, le GIGC à ceux-ci. Ces derniers, malgré leurs faiblesses, faisaient partie du camp prolétarien. En revanche, le GIGC, depuis qu'il a vu le jour sous le nom de FICCI, se comporte objectivement comme un défenseur des intérêts de la bourgeoisie par les dégâts qu'il cause dans le milieu de la Gauche communiste. On retrouve ainsi une telle complaisance du GIGC vis-à-vis des principes à propos de la question syndicale, comme nous le verrons ci-après.
S'il s'agissait seulement de mettre en évidence la "méthode" du GIGC, les illustrations précédentes seraient largement suffisantes. Mais il s'agit également de défendre notre plateforme contre les attaques visant ses différents points, si bien que nous ne pouvons pas nous dispenser de traiter d'autres attaques du GIGC. Ce faisant, nous mettons en évidence comment certaines d'entre elles dissimulent mal une orientation clairement gauchiste.
Cette attaque est destinée à induire l'idée selon laquelle c'est sans conviction que le CCI soutient les Thèses sur la démocratie écrites par Lénine pour le premier congrès de l'Internationale Communiste.
Selon le point 8 de notre plateforme relatif à "La mystification parlementaire et électorale", "dans sa phase de décadence, le Parlement cesse d’être un organe de réformes, comme le dit l’Internationale communiste au 2e congrès".
À ce propos, le GIGC émet le commentaire critique suivant : "les thèses [sur la démocratie bourgeoise écrites par Lénine] ne limitent pas la question à la seule impossibilité de réforme dans la décadence, loin s’en faut : "L’attitude de la 3e Internationale envers le parlementarisme n’est pas déterminée par une nouvelle doctrine, mais par la modification du rôle du parlementarisme même. Dans les conditions actuelles, caractérisées par le déchaînement de l’impérialisme, le Parlement est devenu un instrument de mensonge, de fraude, de violences, de destruction, des actes de brigandage, œuvres de l’impérialisme, les réformes parlementaires (…) ont perdu toute importance pratique pour les masses laborieuses." Comme on le voit, l’IC l’englobe dans une vision et une compréhension beaucoup plus large et au premier plan politique, c’est-à-dire au plan de la lutte des classes entre bourgeoisie et prolétariat dans les conditions définies par la phase impérialiste du capital."[8]
Ce que le GIGC s'empresse de ne pas dire ici c'est que les thèses de Lénine sont reproduites intégralement dans l'article suivant du CCI "La démocratie bourgeoise, c’est la dictature du capital [146]"[9], ce qui réduit à néant la critique d'une prétendue faiblesse de notre position sur cette question et illustre à nouveau la méthode retorse du GIGC. Quant à l'idée que ce point de notre plateforme ne prend pas en compte la fonction du Parlement dans la nouvelle période elle relève de cette démarche, "calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" (F. Bacon), quelle que soit l'inconsistance de la calomnie. En effet, à propos du Parlement, il est dit dans ce point de notre plateforme : "La seule fonction qu'il puisse assumer, et qui explique son maintien en vie, est une fonction de mystification. Dès lors, prend fin toute possibilité, pour le prolétariat, de l'utiliser de quelque façon que ce soit. En effet, il ne peut conquérir des réformes devenues impossibles à travers un organe qui a perdu toute fonction politique effective. À l'heure où sa tâche fondamentale réside dans la destruction de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises et donc du Parlement, où il se doit d'établir sa propre dictature sur les ruines du suffrage universel et autres vestiges de la société bourgeoise, sa participation aux institutions parlementaires et électorales aboutit, quelles que soient les intentions affirmées par ceux qui la préconisent, à insuffler un semblant de vie à ces institutions moribondes" (point 8 de la plateforme du CCI. La mystification parlementaire et électorale).
Le GIGC écrit : "On peut regretter que ce passage ne rende pas plus explicite le lien entre capitalisme d’État et les besoins de la guerre impérialiste généralisée ce qui tend à réduire le phénomène du capitalisme d’État aux seules nécessités économiques immédiates, alors qu’il est surtout et avant tout une réponse politique contre le prolétariat et pour les besoins de la guerre impérialiste" [10]
Contrairement à ce que prétend le GIGC, ce point de la plateforme du CCI ne réduit en rien le rôle du capitalisme d'État aux "nécessités économiques immédiates", mais prend en compte l'ensemble des contradictions auxquelles le capitalisme est confronté : "Dans la décadence capitaliste, la tendance générale vers le capitalisme d'État est une des caractéristiques dominantes de la vie sociale. Dans cette période, chaque capital national, privé de toute base pour un développement puissant, condamné à une concurrence impérialiste aiguë est contraint de s'organiser de la façon la plus efficace pour, à l'extérieur, affronter économiquement et militairement ses rivaux et, à l'intérieur, faire face à une exacerbation croissante des contradictions sociales. La seule force de la société qui soit capable de prendre en charge l'accomplissement des tâches que cela impose est l'État" (deuxième paragraphe du point 4 de la plateforme intitulé "Le capitalisme d'État"). Le GIGC comptait certainement sur la crédulité des lecteurs de sa prose et sur leur méconnaissance des positions du CCI pour faire passer un mensonge supplémentaire.
Le point 15 de notre plateforme sur "La dictature du prolétariat" réaffirme la nécessité de "la destruction de fond en comble de l’État capitaliste [et de l’usage par le prolétariat de] sa propre violence révolutionnaire de classe" mais, selon le GIGC, ce point "ignore complètement le rôle du parti – le mot parti n’est même pas utilisé une seule fois dans ce point ! – tant dans l’insurrection ouvrière – elle-même ignorée – que dans l’exercice de la dictature elle-même. (…) Certes, le parti est mentionné comme tel, formellement, abstraitement, en fait à reculons : "l’organisation des révolutionnaires dont la forme la plus avancée est le parti (…) ; on peut alors parler de parti pour désigner l’organisation de cette avant-garde (…) ; la nature mondiale et centralisée de la révolution prolétarienne confère au parti..." Mais nulle part le rôle et la fonction du parti en tant qu’avant-garde et direction politiques du prolétariat ne sont évoqués."[11]
En réalité, et contrairement à ces assertions mensongères, CCI ne minimise nullement le rôle fondamental joué par le parti dans le succès de la révolution russe (la seule révolution victorieuse), pas plus qu'il ne minimise le rôle que le futur parti sera amené à jouer dans la prochaine révolution. En attestent les nombreux articles de différentes brochures que nous avons dédiés à cette question et que le GIGC prend soin de passer sous silence alors qu'il en connait parfaitement l'existence. Parmi ces documents rappelons :
- Octobre 1917 début de la révolution mondiale : Les masses ouvrières prennent leur destin en main. Chapitre Le rôle indispensable du parti [147].
- Russie 1917 : La plus grande expérience révolutionnaire de la classe ouvrière. Chapitre : Les conceptions fausses du courant conseilliste sur la nature et le rôle du Parti Bolchevique [148].
Citant notre plateforme : "Les syndicats sont devenus inopérants car "le capitalisme cesse d’être en mesure d’accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière", le GIGC commente : "De nouveau, l’explication mécanique et économiciste 'ou bien réformes ou bien impossibilité de réformes' revient pour fonder le fait, juste et que nous partageons, que les syndicats sont devenus "d’authentiques défenseurs du capitalisme, des agences de l’État bourgeois en milieu ouvrier (…) par la tendance inexorable de l’État de la période de décadence à absorber toutes les structures de la société." Du coup, et dans la mesure où le passage des syndicats dans le camp bourgeois aurait été mécaniquement fatal du seul point de vue économique, et non le résultat d’un affrontement de classe conditionné par le passage à la nouvelle période historique, le combat que les minorités communistes ont mené de 1918 jusqu’à, grossièrement, la 2e Guerre mondiale dans les syndicats est négligé et rejeté "[12]
Le GIGC attribue au CCI l'idée que les syndicats sont passés mécaniquement dans le camp de la bourgeoisie. Le CCI utilise le terme "inéluctablement" et non pas le terme "mécaniquement". De plus, le GIGC introduit l'idée que "le passage des syndicats dans le camp de la bourgeoisie a été le produit d'un rapport de forces, entre bourgeoisie et prolétariat, se jouant au sein de ces organes". La seule interprétation possible de ce passage est qu'il aurait existé la possibilité pour la classe ouvrière de maintenir les syndicats en tant qu'arme de sa lutte au moyen d'un combat engagé en leur sein !
Il s'agit ici typiquement de la position opportuniste défendue par l'Internationale communiste dégénérescente et qui a inspiré, et inspire encore aujourd'hui, toutes les variétés de gauchisme. En fait, les seuls combats réellement "inspirants" pour le prolétariat relativement à la question syndicale sont ceux qui ont remis en question cette institution en tant que moyen de la lutte de classe, comme ce fut le cas en particulier durant la révolution en Allemagne. Ce qui est tout à fait cohérent avec l'analyse défendue par le CCI dans le point 7 de sa plate-forme : "En entrant dans sa phase de décadence, le capitalisme cesse d'être en mesure d'accorder des réformes et des améliorations en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d'exercer leur fonction initiale de défenseurs efficaces des intérêts prolétariens et confrontés à une situation historique où seule l'abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l'ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, d'authentiques défenseurs du capitalisme, des agences de l'État bourgeois en milieu ouvrier (évolution qui a été fortement favorisée par leur bureaucratisation antérieure et par la tendance inexorable de l'État de la période de décadence à absorber toutes les structures de la société)".
Quels combats auraient-ils permis – selon le GIGC - de conserver, même de façon momentanée, le syndicat en tant qu'instrument de défense de ses intérêts par le prolétariat, durant la période allant de 1918 à la deuxième Guerre mondiale ? Le GIGC n'en évoque qu'un et cela vaut la peine de s'y attarder d'autant plus qu'il s'agit là d'une tentative supplémentaire de brouiller les cartes quant à la position de la Gauche communiste de France sur la question syndicale.
En particulier sur la filiation de la Gauche Communiste, la propre histoire du CCI et notre camarade Marc Chirik.
Le GIGC cite Internationalisme, la revue de la GCF (Gauche Communiste de France) : "Nous devons aussi combattre les tendances qui, partant du fait de l’existence d’une bureaucratie syndicale extrêmement forte, formant une couche réactionnaire avec des intérêts homogènes opposés aux intérêts de classe du prolétariat et à la révolution prolétarienne, affirment que les organisations syndicales sont dépassées en tant qu’instruments de lutte anticapitalistes. La fraction syndicale communiste est formée par tous les militants de l’organisation communiste appartenant au même syndicat" (Résolution sur la question syndicale). Que prouve ce passage par rapport au problème qui nous préoccupe ici, à savoir la nature de classe des syndicats en décadence ? Absolument rien si ce n'est qu'il existait au sein d'Internationalisme des confusions sur la question syndicale. Par contre, on reconnait bien ici la malhonnêteté décomplexée du GIGC quand il occulte aux yeux de ses lecteurs une réalité dérangeante, en l'occurrence le fait qu'il existait une réflexion alors en cours au sein de la GCF à propos de la nature des syndicats et qui se traduira par l'analyse suivante : "Les syndicats sont aujourd'hui complètement intégrés à l'État, ils sont un appendice de l'État avec la fonction de faire accepter, par la classe ouvrière, les mesures d'exploitation et d'aggravation de leurs conditions de misère. Les récents mouvements de grève ont mis en évidence que ce moyen classique de lutte des ouvriers a cessé d'être l'arme exclusive du prolétariat, a perdu sa nature absolue de classe et peut aussi servir de moyen de manœuvre d'une fraction politique capitaliste contre une autre, d'un bloc impérialiste contre un autre et finalement dans l'intérêt général du capitalisme." ("Problèmes actuels du mouvement révolutionnaire international" – Internationalisme n° 18 – Février 1947).
Ainsi, le GIGC salue hypocritement ce qu'il appelle le "CCI historique" pour avoir été enfin capable de comprendre la vraie nature des syndicats : "il faut saluer la capacité du CCI historique pour clairement comprendre que les syndicats sont devenus des organes à part entière de l’État bourgeois et, dans les années 1980 pour le moins, en tirer toutes les implications quant à son intervention dans les luttes réelles de la classe". Hypocritement et mensongèrement car, comme on l'a vu précédemment, c'est à Internationalisme qu'il est revenu d'apporter des clarifications importantes par rapport à Bilan sur la question syndicale ?
Pourquoi ce besoin d'encenser l'intervention du CCI des années 1980 qui était "Loin d’attendre une lutte pure libérée des syndicats par la grâce du Saint Esprit". Pour deux raisons :
1) Cracher sur l'intervention du CCI des années ultérieures implicitement caractérisée par l'attente de "une lutte pure libérée des syndicats par la grâce du Saint Esprit", qui depuis deux décennies "préfère s’adonner au fétiche de l’auto-organisation et de l’assembléisme, au nom des véritables assemblées débarrassées des syndicats, pour masquer son défaitisme".[13] Le mythomane en a rêvé, et c'est devenu réalité sous sa plume haineuse. Le CCI n'a jamais délaissé ni méprisé aucune lutte de la classe ouvrière, et le fait de dénoncer, comme nous l'avons fait, certaines caricatures "d’assemblées générales" convoquées habituellement par les syndicats dans les entreprises n'est en rien synonyme de désertion mais constitue au contraire un moment de dénonciation de l'aboutissement du sabotage et de l'omniprésence syndicales. Contrairement à l'idée que le GIGC tente d'instiller, depuis les luttes des années 1980 le CCI n'a jamais renié la nécessité fondamentale de la lutte de classe, partout où celle-ci s'exprime, quelles que soient ses forces et ses faiblesses. Ce qui, une nouvelle fois, est cohérent avec l'importance que le CCI attribue aux luttes de défense immédiate de la classe ouvrière pour le développement du combat de classe, ce que le GIGC essayait aussi de masquer à travers des critiques frauduleuses que nous avons mises en évidence précédemment.
2) Refaire l'histoire du CCI des années 1980 en lui attribuant des positions qui n'ont jamais été les siennes mais celles du BIPR à l'époque : "il [le CCI] comprit alors pleinement que les groupes communistes d’avant-garde et le parti se devaient d’être au premier rang du combat politique contre les dévoiements et les sabotages syndicaux et gauchistes et pour la direction politique des luttes ouvrières." Seul un mythomane ayant l'aplomb du GIGC est capable de débiter de telles balivernes. Le CCI ne s'est jamais considéré comme étant un parti (ou un parti en miniature) mais comme un groupe politique ayant une "fonction similaire à celle d'une fraction", chargé d'œuvrer à la fondation du futur parti, tout en constituant un pont avec celui-ci. De même il a toujours critiqué la conception des "groupes internationalistes d'usine" du BIPR, considérés comme des courroies de transmission du parti dans la classe ouvrière. Hier comme aujourd'hui, le CCI a toujours lutté pour que la classe ouvrière s'organise en assemblées générales afin de prendre sa lutte en mains et l'étendre, il a toujours combattu l'action des syndicats visant à saboter de telles initiatives de la classe.
Le GIGC revendique sa contribution à "la revendication et la défense du combat contre le conseillisme dans les années 1980 que le CCI avait mené alors"[14]. Il n'est pas impossible qu'à l'époque certains des militants qui allaient devenir des voyous de la FICCI y aient participé. Par contre il est aussi affirmé que le CCI aurait "rejeté ce [combat] depuis lors."[15]. Pourquoi un tel mensonge du GIGC ? Possiblement pour se faire mousser auprès de la TCI dont le prédécesseur, le BIPR, avait justifié son sabotage des conférences de la Gauche communiste des années 1970 par le prétendu "conseillisme" du CCI.
Le GIGC est incapable de prouver dans les faits ce prétendu renoncement du CCI au combat contre le conseillisme mais il nous donne une explication au "renoncement" en question. La cause se trouve donc, selon lui, dans "la rupture organique entre la Gauche communiste de France et le CCI" : "la rupture organique avec les fractions de la Gauche communiste issues de l’Internationale Communiste (IC), dans son cas d’avec la Gauche communiste de France (GCF) et plus largement avec la Gauche dite italienne, ne put être comblée par la seule présence de Marc Chirik, membre de la fraction italienne à partir de 1938, puis de la GCF"[16]. Cette rupture organique a effectivement constitué un lourd handicap que la présence de notre camarade Marc Chirik a heureusement permis de réduire, notamment à travers le combat contre le conseillisme, plus précisément le centrisme vis-à-vis du conseillisme en notre sein. La clarification et l'homogénéisation qui se sont opérées dans notre organisation à cette occasion ont permis au CCI de s'armer face au danger du conseillisme dont l'influence dans une partie de la jeunesse a participé à la difficile politisation de celle-ci. Il est par contre un domaine où la seule présence de notre camarade MC ne pouvait suffire à surmonter des faiblesses liées à la rupture de la continuité organique, c'est celui du militantisme révolutionnaire qui ne peut faire l'économie de la pratique, même si, également sur ce plan, notre camarade MC a fait le maximum pour transmettre les enseignements de sa propre expérience. Une telle faiblesse au sein du CCI s'est notamment traduite par des attitudes, des démarches relevant de l'esprit de cercle justement critiqué par Lénine au 2e congrès du POSDR et auquel il oppose l'esprit de parti. Mais pire que l'esprit de cercle se trouve le pourrissement de celui-ci dans le clanisme nihiliste, et à la dégénérescence de celui-ci dans la pire variété de parasitisme, prompt à tenter d'infliger le maximum de dommages à l'organisation lorsque celle-ci se défend contre les agissements et comportements de voyous. La FICCI, mère du GIGC, fut la pire incarnation de cette démarche au sein du CCI.
Nous ne dénions pas la capacité d'une discussion avec d'autres groupes prolétariens d'être à même de participer à la clarification en notre sein. Mais ici il s'agit d'une nouvelle invention du GIGC totalement impossible d'un point de vue chronologique.
Dans un article récent adressé à la TCI[17], le GIGC évoque un "débat contradictoire que le PCInt-Battaglia Comunista et le CCI avaient développé à la fin des années 1970 autour de la question du cours historique" (…) Le CCI y aurait alors reconnu, selon le GIGC, "la justesse de la critique de BC à sa position de cours à la révolution", laquelle "faisait de la révolution une voie tout ouverte et inéluctable". Mémoire d'éléphant ou affabulation de la part des membres du GIGC ? Il n'est pas dit où et à quelle occasion cela est arrivé. Pour donner plus de consistance à cette "histoire", le GIGC ajoute cependant : "ce fut grâce à cette critique dont le CCI aurait alors reconnu la justesse, qu’il avait précisé – changé – sa position et défini le "cours" comme "vers des affrontements massifs de classe décisifs".
Il nous faut, encore une fois, rétablir la vérité face aux mensonges du GIGC. C'est vrai que dans notre texte sur Le cours historique [149] adopté par le 2e Congrès du CCI en 1977 nous parlions de "cours à la révolution" mais, déjà dans ce document de base, le CCI, en aucune façon, ne "faisait de la révolution une voie tout ouverte et inéluctable" puisqu'il y est écrit : "Notre perspective ne prévoit pas l'inéluctabilité de la révolution. Nous ne sommes pas des charlatans et nous savons trop bien, à l'inverse de certains révolutionnaires fatalistes, que la révolution communiste n'est pas 'aussi certaine que si elle avait déjà eu lieu'. Mais, quelle que soit l'issue définitive de ces combats, que la bourgeoisie essaiera d'échelonner afin d'infliger à la classe une série de défaites partielles préludes à sa défaite définitive, le capitalisme ne peut plus, d'ores et déjà, imposer sa propre réponse à la crise de ses rapports de production sans s'affronter directement au prolétariat." Et c'est justement pour qu'il n'y ait pas la moindre ambigüité que, au début des années 1980, nous avons remplacé la formule "cours à la révolution" par "cours aux affrontements de classe décisifs". Nous n'avons connaissance d'aucune polémique sur ce thème entre le CCI et BC avant que nous ayons modifié notre formulation. Il est parfaitement exact qu'il y a eu une critique par BC/CWO de notre analyse intitulée "le CCI et le cours historique : une méthode erronée". Mais elle a eu lieu en 1987, soit plusieurs années après et il ne peut donc pas s'agir de la "critique constructive reconnue comme telle pas le CCI". D'ailleurs, la critique du BIPR à l'analyse du CCI ne portait pas sur la façon dont il fallait qualifier le cours historique mais sur la notion même de cours historique.[18]
On pourrait se poser la question de l'intérêt du GIGC à revisiter l'histoire de la sorte. La réponse à la question s'esquisse lorsqu'il ajoute : "une grande partie des critiques que Battaglia Comunista avait portées à l’époque étaient justes, nous en reprenons le concept et, nous l’espérons, la méthode qui doit l’accompagner, celle que les camarades de la TCI ont toujours jugée et cataloguée comme idéaliste"[19]. Le GIGC exprime donc son accord avec la TCI et rend hommage à sa méthode. Si le GIGC n'avait pas été un groupe parasite de la pire espèce nous l'aurions interpellé sur son revirement de position alors qu'à l'époque des faits, il critiquait encore avec le CCI le matérialisme vulgaire de la TCI. Aujourd'hui il lui lèche les bottes de façon éhontée.
Et c'est là le sens profond de son entreprise de démolissage de la plateforme du CCI. Il s'agit de renforcer son attitude de flagornerie de la TCI afin de s'attirer encore plus les bonnes grâces de celle-ci. C'est pour le GIGC une question existentielle : pour s'assurer une légitimité et pour être blanchi de ses mensonges et de ses crapuleries, il lui faut la caution d'une organisation historique de la Gauche communiste. Dès la formation de la FICCI, celle-ci a déclaré que le BIPR constituait désormais la force décisive pour la constitution du futur parti mondial du prolétariat. Puis elle a rejeté l'analyse de la période actuelle comme celle de la décomposition du capitalisme ainsi que l'analyse du phénomène du parasitisme politique, deux analyses que ses membres avaient partagées pendant plus d'une décennie mais que rejetait le BIPR (et continue de rejeter la TCI). Aujourd'hui, il faut au GIGC raviver la flamme de son idylle avec la TCI (notamment après une petite brouille avec cette organisation[20]) et pour ce faire quoi de mieux que de reprendre à son compte la critique du BIPR sur le prétendu "conseillisme du CCI", de "découvrir" les grands apports du BIPR et du PCInt à sa propre clarification sur la question du parti et, dernièrement, accueillir avec enthousiasme l'initiative de la TCI en faveur des comités NWBCW.[21]
CCI (08 / 08/ 2023)
[Retour à la série : Le parasitisme politique n'est pas un mythe, le GIGC en est une dangereuse expression [150]]
[1] "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [151]". Révolution ou guerre n° 18. Mai 2021.
[2] "Réponse à la Tendance Communiste Internationaliste sur nos "Thèses sur la signification et les conséquences de la guerre en Ukraine [152]"", Révolution ou Guerre n° 22. Septembre 2022
[3] "Premiers commentaires et débats autour de notre plateforme politique [153]". Révolution ou Guerre n° 20. Février 22. Cette brillante caractérisation est le produit d'un "travail" de relecture critique de la plateforme du CCI exposé dans l'article "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [154]". Révolution ou Guerre n° 18. Nous reviendrons prochainement en détail sur ce "travail".
[4] "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [154]" Révolution ou guerre n° 18. Ironie : à l'appui de ce jugement, le GIGC cite la lettre d'Engel à Joseph Bloch du 22 septembre 1890 : "La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure : les formes politiques de la lutte de classe et ses résultats (…), les formes juridiques, et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants (…) exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme" C'est une citation que le CCI a pleinement reprise à son compte et utilisée à plusieurs reprises, notamment contre la vision matérialiste vulgaire partagée par les courants issus du Partito Comunista Internazionalista (PCInt) fondé en 1945 (le courant "bordiguiste" et le courant représenté aujourd'hui par la Tendance Communiste Internationaliste). Mais le GIGC se garde bien de faire une telle critique à la TCI puisque, à l'égard de celle-ci, son attitude permanente a consisté dans le léchage de bottes.
[5] À ce propos, nos positions de base – présentes au dos de toute nos publications - mettent en avant que "Le CCI se réclame ainsi des apports successifs (…) des fractions de gauche qui se sont se sont dégagées dans les années 1920-30 de la IIIe Internationale lors de sa dégénérescence, en particulier les gauches allemande, hollandaise et italienne." Le GIGC commente ce passage de la sorte : "Nous verrons qu’à l’arrivée, l’esprit de synthèse a laissé peu de place à la gauche italienne et beaucoup à la germano-hollandaise." C'est un mensonge éhonté. Dès sa fondation, le CCI s'est explicitement revendiqué de sa filiation politique avec la Gauche Communiste de France (GCF) qui, elle-même, tout en reprenant à son compte certaines positions de la Gauche germano-hollandaise, se revendiquait fondamentalement de la Fraction de Gauche italienne. C'est ce que nous rappelions à la fin des années 1990 dans la présentation de notre brochure La Gauche communiste de France [155] : "… il importe de souligner que l’étude des efforts visant à la constitution d’un courant de la Gauche communiste en France met clairement en relief la participation de premier plan de la Gauche communiste italienne à ces efforts ainsi que la méthode qui était la sienne. Nous ne saurions trop insister sur la méthode défendue, durant cette période, par la Gauche italienne (…) … alors que la Fraction italienne elle-même, épuisée, a abandonné le combat qu’elle avait mené pendant près de 18 ans en prononçant son autodissolution en mai 1945, c’est la Fraction française de la Gauche communiste, fondée en décembre 1944 et rebaptisée par la suite Gauche communiste de France, qui a repris le flambeau politique de la Fraction italienne." Et, à aucun moment, le CCI ne s'est départi de cette filiation politique. Ainsi, dans notre article publié trois décennies après la fondation du CCI (Les trente ans du CCI : s'approprier le passé pour construire l'avenir [156]), nous écrivions : "Si nous nous revendiquons des apports des différentes fractions de gauche de l'IC, nous nous rattachons plus particulièrement, pour ce qui concerne la question de la construction de l'organisation, aux conceptions de la Fraction de gauche du Parti communiste d'Italie, notamment comme elles se sont exprimées dans la revue Bilan au cours des années 30." De même, dans notre article de 2006, "La Gauche Communiste et la continuité du marxisme" [157], :nous mettions très clairement en évidence la contribution fondamentale de la Gauche communiste d'Italie à la définition politique du CCI : "les contributions théoriques faites par la Gauche communiste d'Italie – qui plus tard engloba des fractions en Belgique, en France et au Mexique – furent immenses et tout à fait irremplaçables. Dans son analyse de la dégénérescence de la révolution russe – qui ne remit jamais en question le caractère prolétarien de 1917 ; dans ses recherches sur les problèmes de la future période de transition ; dans ses travaux sur la crise économique et les fondements de la décadence du capitalisme ; dans sa dénonciation de la position de l’Internationale communiste de soutien aux luttes de "libération nationale" ; dans son élaboration de la théorie du parti et de la fraction ; dans ses polémiques sans relâche, mais fraternelles, avec d’autres courants politiques prolétariens ; en cela et dans beaucoup d’autres domaines, la Gauche italienne a sans aucun doute rempli la tâche qu'elle s'était assignée de développer les bases programmatiques pour les organisations prolétariennes du futur".
[6] Premiers commentaires et débats autour de notre plateforme politique [153]. Révolution ou Guerre n° 20. Février 22. Cette "brillante" caractérisation est le produit d'un "travail" de relecture critique de la plateforme du CCI exposé dans l'article "Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [154]" - Révolution ou Guerre n°18.
[7] Ce changement de position est pour le moins cocasse de la part de ceux qui se sont prétendus être les "meilleurs défenseurs des positions du CCI" alors qu'ils tentaient de le saborder de l'intérieur. D'ailleurs, il faudrait qu'ils précisent à quelle plateforme de 1945 ils se référent. Celle qui avait été adoptée par la conférence de 1945-46 par le PCInt avait été rédigée par Bordiga, qui n'était même pas membre du Partito, un document qui a fait l'objet de très sévères critiques de la part du PCInt en 1974 puisqu'il affirme que ce document avait été accepté en 1945 "comme une contribution tout à fait personnelle pour le débat du congrès futur" et "reconnu comme incompatible avec les fermes prises de position adoptées désormais par le parti sur des problèmes plus importants, et [que] (…) le document a toujours été considéré comme une contribution au débat et pas comme une plate-forme de fait". Le problème c'est qu'il avait été adopté à l'unanimité (y inclus donc par Damen, principal animateur du PCInt jusqu'à sa mort en octobre 1979) et qu'il avait été publié à l'extérieur comme base d'adhésion au Partito. Peut-être les faussaires du GIGC font-ils référence au document rédigé en 1944 par Damen et considéré comme un "schéma de programme". Ils doivent donc endosser des formulations comme "notre parti, qui ne sous-estime pas l'influence des autres partis de masse, se fait le défenseur du front unique", une politique de l'Internationale communiste lors de sa dérive opportuniste et qui avait été combattue par la Gauche italienne dès le début des années 1920. Pour le lecteur qui souhaiterait s'informer plus sur la vie du PCInt durant les années 1940, nous fournissons une référence critique à celle-ci publiée dans la revue Internationalisme, publication de la Gauche communiste de France, Le deuxième congrès du parti communiste internationaliste (Internationalisme n°36, juillet 1948) [158] ; de même que des références de polémiques écrites par le CCI : Polémique : à l'origine du CCI et du BIPR, I - La fraction italienne et la gauche communiste de France [159] ; Polémique : à l'origine du CCI et du BIPR, II : la formation du Partito Comunista Internazionalista [160].
[9] Revue internationale n° 100.
[14] "Réponse à la Tendance Communiste Internationaliste sur nos "Thèses sur la signification et les conséquences de la guerre en Ukraine [152]"" Révolution ou Guerre n° 22. Septembre 2022
[15] "Réponse à la Tendance Communiste Internationaliste sur nos "Thèses sur la signification et les conséquences de la guerre en Ukraine [152]"" Révolution ou Guerre n° 22. Septembre 2022
[16] Prise de position sur la plateforme du Courant Communiste International [162] Révolution ou guerre n° 18
[17] Prise de position de la TCI sur les thèses (TCI) [163] / Dans l’attente d’une réponse de notre part. Révolution ou Guerre n° 21
[18] Le CCI a répondu à cette critique renvoyant la CWO à un manque total de méthode pour aborder ce genre de question. Lire à ce propos Polémique avec le BIPR [164] sur La méthode marxiste et l'appel du CCI sur la guerre en ex-Yougoslavie.
[19] Prise de position de la TCI sur les thèses (TCI) [163] / Dans l’attente d’une réponse de notre part. Révolution ou Guerre n° 21.
[20] Le GIGC constatant que, malgré son opportunisme, il avait moins de succès que la TCI auprès des nouveaux éléments qui s'approchent de la Gauche communiste, il ne pouvait s'empêcher de tancer la TCI : "de nouvelles forces communistes ont émergé dont Nuevo Curso est l’expression et un facteur, mettant ainsi directement les groupes historiques de la Gauche communiste partidiste devant leur responsabilité historique face à cette nouvelle dynamique et devant laquelle la Tendance Communiste Internationaliste, principale organisation de ce camp, a commencé par s’enfermer dans une attitude, ou des réflexes, relativement sectaire à notre endroit et immédiatiste quant à ces nouvelles forces" ou encore "la TCI pourtant liée organiquement avec le PC d’Italie et la Gauche communiste d’Italie, subit le poids d’un relatif informalisme, du personnalisme et de l’individualisme, et donc de l’esprit de cercle". Ces citations reproduites dans notre articles L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [136] sont extraites du Rapport d’activités de la 2e Réunion générale du GIGC. Révolution ou Guerre n°12.
[21] Et il faut constater que la TCI n'est pas insensible aux campagnes de séduction du GIGC. Depuis la formation de la FICCI, en 2001, l'ancêtre de la TCI, le BIPR, a fait preuve d'une grande bienveillance à son égard ; une attitude qui, globalement, ne s'est pas démentie pendant deux décennies et qui s'est manifestée encore récemment lorsque la TCI s'est appuyée, pour l'organisation d'une réunion publique à Paris du regroupement NWBCW, sur deux membres fondateurs de la FICCI, Juan et Olivier, exclus du CCI en 2003 pour mouchardage. Faut-il rappeler à la TCI la fable d'ésope intitulée Le corbeau et le renard : "Un corbeau, ayant volé un morceau de viande, s’était perché sur un arbre. Un renard l’aperçut, et, voulant se rendre maître de la viande, se posta devant lui et loua ses proportions élégantes et sa beauté, ajoutant que nul n’était mieux fait que lui pour être le roi des oiseaux, et qu’il le serait devenu sûrement, s’il avait de la voix. Le corbeau, voulant lui montrer que la voix non plus ne lui manquait pas, lâcha la viande et poussa de grands cris. Le renard se précipita et, saisissant le morceau, dit : 'Ô corbeau, si tu avais aussi du jugement, il ne te manquerait rien pour devenir le roi des oiseaux.' Cette fable est une leçon pour les sots."
Le marxisme et l'histoire de la Première internationale attestent de la validité du concept de parasitisme pour caractériser des comportements destructifs - au sein des organisations politiques du prolétariat - totalement étrangers aux méthodes de la classe ouvrière.
Comme nous le mettons en évidence dans nos thèses sur le parasitisme[1] -auxquelles sont empruntés beaucoup des développements ci-après- le parasitisme est historiquement apparu en réponse à la fondation de la Première Internationale, qu'Engels décrivait comme "le moyen de progressivement dissoudre et absorber toutes les différentes petites sectes". (Engels, Lettre à Florence Kelly Vischnevetsky, 3 février 1886). L'AIT était en effet un instrument obligeant les différentes composantes du mouvement ouvrier à s'engager dans un processus collectif et public de clarification, et à se soumettre à une discipline unifiée, impersonnelle, prolétarienne, organisationnelle. En effet, "Ayant tiré les leçons des révolutions de 1848, le prolétariat n'acceptait plus d'être dirigé par l'aile radicale de la bourgeoisie et luttait à présent pour établir sa propre autonomie de classe. Mais celle-ci requérait qu'au sein même de ses rangs le prolétariat surmontât les conceptions et les théories organisationnelles de la petite bourgeoisie, de la bohème et des éléments déclassés qui y subsistaient et avaient encore une influence importante".[2]
Or, l’avancée de la lutte du prolétariat avait besoin de ce mouvement impliquant la dissolution et l'absorption à l'échelle internationale de toutes les particularités et autonomies programmatiques et organisationnelles non prolétariennes. C'est d'abord en résistance à ce mouvement que le parasitisme a déclaré sa guerre au mouvement révolutionnaire. C’est l’AIT qui, la première, a été confrontée à cette menace contre le mouvement prolétarien, qui l’a identifiée et combattue. C’est elle, à commencer par Marx et Engels, qui caractérisait comme parasites ces éléments politisés qui, tout en prétendant adhérer au programme et aux organisations du prolétariat, concentrent leurs efforts sur le combat, non pas contre la classe dominante, mais contre les organisations de la classe révolutionnaire. L'essence de leur activité est, en effet, de dénigrer et de manœuvrer contre le camp communiste, tout en prétendant lui appartenir et le servir. C'est ce que synthétise cette phrase du rapport sur l'Alliance[3] au congrès de la Haye rédigé par Engels : "Pour la première fois dans l'histoire de la lutte de classe, nous sommes confrontés à une conspiration secrète au cœur de la classe ouvrière, et destinée à saboter non le régime d'exploitation existant, mais l'Association elle-même qui représente l'ennemi le plus acharné de ce régime." Quant au remède préconisé, il est sans ambigüité : "Il est grand temps, une fois pour toutes, de mettre fin aux luttes internes quotidiennement provoquées dans notre Association par la présence de ce corps parasite." (Engels, "Le Conseil général à tous les membres de l'Internationale", avertissement contre l'Alliance de Bakounine[4]).
Comme ce fut le cas de l'Alliance dans l’AIT, ce n'est que dans les périodes où le mouvement ouvrier passe d'un stade d'immaturité fondamentale vers un niveau qualitativement supérieur, spécifiquement communiste, que le parasitisme devient son principal opposant. Dans la période actuelle, cette immaturité n’est pas le produit de la jeunesse du mouvement ouvrier dans son ensemble, comme au temps de l’AIT, mais avant tout le résultat des 50 ans de contre-révolution qui ont suivi la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23. Aujourd'hui, c'est cette rupture de la continuité organique avec les traditions des générations passées de révolutionnaires qui explique, avant tout, le poids des réflexes et des comportements anti-organisationnels petit-bourgeois parmi beaucoup d’éléments qui se réclament du marxisme et de la Gauche communiste.
Le parasitisme cible des éléments en recherche vers des positions de classe qui ont du mal à faire la différence entre les véritables organisations révolutionnaires et les courants parasites. C'est ainsi qu'il faut comprendre que, depuis les années 1990 et surtout les années 2000, l'action du parasitisme se soit amplifiée en devenant plus destructrice. Nous sommes actuellement confrontés à de multiples regroupements informels, agissant souvent dans l'ombre, prétendant appartenir au camp de la Gauche communiste, mais qui dédient leurs énergies à combattre les organisations marxistes existantes plutôt que le régime bourgeois. Comme à l'époque de Marx et Engels, cette vague parasitaire réactionnaire a pour fonction de saboter le développement du débat ouvert et de la clarification prolétarienne, et d'empêcher l'établissement de règles de conduite liant tous les membres du camp prolétarien.
Elle a significativement été alimentée par toutes les ruptures qui ont eu lieu dans l'histoire du CCI. Ni motivées ni justifiées par des divergences politiques, celles-ci ont été le résultat de comportements organisationnels non marxistes, non prolétariens, comme l'avaient été ceux de Bakounine dans l'AIT et des mencheviks dans le POSDR en 1903 qui exprimaient la résistance à la discipline organisationnelle et aux principes collectifs.
Face à la classe ouvrière et au milieu politique prolétarien, le CCI n'a jamais caché les difficultés qu'il rencontrait. C'est ainsi qu'au début des années 1980, il s'exprimait en ces termes : "la mise en évidence par les organisations révolutionnaires de leurs problèmes et discussions internes constituent un plat de choix pour toutes les tentatives de dénigrement dont celles-ci font l'objet de la part de leurs adversaires. C'est le cas aussi et particulièrement pour le CCI. Certes, ce n'est pas dans la presse bourgeoise que l'on trouve des manifestations de jubilation lorsque nous faisons état des difficultés que notre organisation peut rencontrer aujourd'hui. Celle-ci est encore trop modeste en taille et en influence parmi les masses ouvrières pour que les officines de propagande bourgeoise aient intérêt à parler d'elle pour essayer de la discréditer. Il est préférable pour la bourgeoisie de faire un mur de silence autour des positions et de l'existence des organisations révolutionnaires. C'est pour cela que le travail de dénigrement de celles-ci et de sabotage de leur intervention est pris en charge par toute une série de groupes et d'éléments parasitaires dont la fonction est d'éloigner des positions de classe les éléments qui s'approchent de celles-ci, de les dégoûter de toute participation au travail difficile de développement d'un milieu politique prolétarien." (résolution adoptée par le 5e Congrès international du CCI, Revue internationale n° 35)
L'ensemble des groupes communistes a été confronté aux méfaits du parasitisme, mais il revient au CCI, parce que c'est aujourd'hui l'organisation la plus importante du milieu prolétarien, et également la plus rigoureuse en termes de respects des principes et des statuts, de faire l'objet d'une attention toute particulière de la part de la mouvance parasitaire. Dans cette dernière on trouvait, et on trouve encore pour certains, des groupes constitués et tous issus du CCI tels le "Groupe Communiste Internationaliste" (GCI) et ses scissions (comme "Contre le Courant"), le défunt "Communist Bulletin Group" (CBG) ou l'ex-"Fraction Externe du CCI" ou encore la "Fraction Interne du CCI" qui a muté quelques années plus tard en "Groupe International de la Gauche Communiste" (GIGC) qui ont tous été constitués de scissions du CCI.
Mais le parasitisme ne se limite pas à de tels groupes. Il est aussi véhiculé par des éléments inorganisés, ou qui se retrouvent de temps à autre dans des cercles de discussion éphémères, dont la préoccupation principale consiste à faire circuler toutes sortes de commérages à propos de notre organisation. Ces éléments sont souvent d'anciens militants qui, cédant à la pression de l'idéologie petite-bourgeoise, n'ont pas eu la force de maintenir leur engagement dans l'organisation, qui ont été frustrés que celle-ci n'ait pas "reconnu leurs mérites" à la hauteur de l'idée qu'ils s'en faisaient eux-mêmes ou qui n'ont pas supporté les critiques dont ils ont été l'objet. Il s'agit également d'anciens sympathisants que l'organisation n'a pas voulu intégrer parce qu'elle jugeait qu'ils n'avaient pas la clarté suffisante ou qui ont renoncé à s'engager par crainte de perdre leur "individualité" dans un cadre collectif (c'est le cas, par exemple du défunt "collectif Alptraum" au Mexique ou de "Kamunist Kranti" en Inde). Dans tous les cas, il s'agit d'éléments dont la frustration résultant de leur propre manque de courage, de leur veulerie et de leur impuissance s'est convertie en une hostilité systématique envers l'organisation. Ces éléments sont évidemment absolument incapables de construire quoi que ce soit. En revanche, ils sont souvent très efficaces, avec leur petite agitation et leurs bavardages de concierges pour discréditer et détruire ce que l'organisation tente de construire.
On se limitera ici aux groupes suivants : le Communist Bulletin Group (CBG), la Fraction Externe du CCI (FECCI) et la Fraction Interne du CCI (FICCI).
C.1 Le Communist Bulletin Group (CBG)
La lutte contre les clans, que le 11e congrès du CCI avait unanimement soutenue, est transformée par le CBG en une lutte entre clans. Les organes centraux sont inévitablement "monolithiques", l'identification de la pénétration d'influences non-prolétariennes, tâche primordiale des révolutionnaires, est présentée comme un moyen de briser les "opposants". Les méthodes de clarification des organisations prolétariennes - débat ouvert dans toute l'organisation, publication de ses résultats pour informer la classe ouvrière - deviennent la méthode de "lavage du cerveau" des sectes religieuses.
Ce n'est pas seulement le CCI qui est concerné :
"ce n'est pas seulement l'ensemble du milieu révolutionnaire d'aujourd'hui qui est ainsi attaqué ici. C'est toute l'histoire et les traditions du mouvement ouvrier qui sont insultées.
En réalité, les mensonges et les calomnies du CBG sont tout-à-fait dans la ligne de la campagne de la bourgeoisie mondiale sur la prétendue mort du communisme et du marxisme. Au centre de cette propagande, se trouve une seule idée qui porte en elle le plus grand mensonge de l'histoire : la rigueur organisationnelle de Lénine et des bolcheviks conduit nécessairement au stalinisme. Dans la version du CBG de cette propagande, c'est le bolchévisme du CCI qui conduit "nécessairement" à son prétendu “stalinisme”. Évidemment, le CBG ne sait ni ce qu'est le milieu révolutionnaire, ni ce qu'il en est du stalinisme". (Parasitisme politique : le "C.B.G" fait le travail de la bourgeoisie [165]; Revue Internationale n° 83.
C.2 La Fraction Externe du CCI
Dans un article de notre Revue internationale nous écrivions en 1986 :
"Le milieu politique prolétarien, déjà fortement marqué par le poids du sectarisme, comme le CCI l'a souvent mis en évidence et déploré, vient de "s'enrichir" d'une nouvelle secte. Il vient en effet de paraître le n° 1 d'une nouvelle publication intitulée Perspective Internationaliste, organe de la "Fraction Externe du CCI" qui "revendique la continuité du cadre programmatique élaboré par le CCI". Ce groupe est composé des camarades appartenant à la "tendance" qui s'était formée dans notre organisation et qui l'a quittée lors de son 6ème Congrès[5] pour "défendre la plate-forme du CCI". Nous avons déjà rencontré et mis en évidence beaucoup de formes de sectarisme parmi les révolutionnaires d'aujourd'hui, mais la création d'un CCI-bis ayant les mêmes positions programmatiques que le CCI constitue un sommet en ce domaine, un sommet jamais atteint jusqu'à présent. De même, ce qui peut être considéré comme un sommet, c'est la quantité de calomnies que Perspective Internationaliste déverse sur le CCI ; il n'y a guère que le Communist Bulletin Group (formé également d'ex-membres du CCI) qui soit allé aussi loin dans ce domaine. Dès sa création, ce nouveau groupe se place donc sur un terrain que seuls des voyous politiques (qui s'étaient distingués en volant du matériel et des fonds du CCI) avaient par le passé exploité avec autant de ferveur). Même si les membres de la "Fraction" ne se sont nullement rendus responsables de tels actes, on peut dire que leur sectarisme et leur prédilection pour l'insulte gratuite augurent mal de l'évolution future de ce groupe et de sa capacité d'être une contribution à l'effort de prise de conscience du prolétariat. En effet, les petits jeux de la FECCI ne traduisent qu'une chose : une irresponsabilité totale face aux tâches qui incombent aujourd'hui aux révolutionnaires, une désertion du combat militant." (La "fraction externe du CCI" (polémique) [166], Revue Internationale no 45 [167].
C.3 La Fraction Interne du CCI (2001), qui mutera en GIGC (Groupe Internationaliste de la Gauche Communiste) en 2013, constitue sans conteste un pas supplémentaire dans l'ignominie, justifiant ainsi qu'on y dédie une partie importante de ce texte.
Nous rapportons ici une partie de la chaine des évènements ayant conduit à la formation de la FICCI (Fraction interne du CCI), cristallisation dans le CCI d'un corps étranger, en citant un communiqué à nos lecteurs faisant état des agissements, au sein de notre organisation et à l'extérieur de celle-ci, de membres de notre organisation :
"ce qui a posé problème, c'est que, sous le prétexte de (…) désaccords, un certain nombre de militants de la section en France ont mené (…) une politique de violation permanente de nos règles organisationnelles. Sur la base d'une réaction "d'amour propre blessé", ils se sont lancés à corps perdu dans des attitudes anarchisantes de violation des décisions du Congrès, de dénigrement et de calomnies, de mauvaise foi, de mensonges. Après plusieurs manquements organisationnels, dont certains d'une extrême gravité, qui ont nécessité des réactions fermes de l'organisation, ces camarades ont secrètement tenu des réunions pendant le mois d'août 2001 (…) Le procès-verbal d'une des réunions de cette tendance secrète est parvenu à l'organisation, contre la volonté de ses participants. Il a permis que soit clairement mis en évidence, au sein de l'organisation, le fait que ces camarades, en toute conscience de la gravité de leurs actes, étaient en train de fomenter un complot contre l'organisation, faisant ainsi la preuve d'une déloyauté totale envers le CCI, laquelle s'est exprimée en particulier à travers : l'établissement d'une stratégie pour tromper l'organisation et faire passer sa propre politique ; une démarche putschiste/gauchiste posant les problèmes politiques confrontés en terme de "récupération des moyens de fonctionnement" ; l'établissement de liens conférant "une solidarité de fer" entre les participants et contre les organes centraux, tournant ainsi clairement le dos à la discipline librement consentie au sein d'une organisation politique prolétarienne." (Communiqué à nos lecteurs - Une attaque parasitaire visant à discréditer le CCI [168], 21 mars 2002)
Dès sa constitution, la FICCI, s'est toujours présentée comme le meilleur défenseur de la plate-forme et des positions du CCI, à l'exception toutefois de "l'analyse de la phase ultime de la décadence, celle de la décomposition", et des "thèses sur le parasitisme politique". La première exception visait à être plus en phase avec les autres groupes du MPP qui ne partageaient pas l'analyse de la décomposition. La seconde lui permettait de réfuter plus facilement le fait qu'à son tour elle constituait elle-même un regroupement parasitaire, alors même que ses membres étaient jusque-là des défenseurs convaincus de la nécessité du combat contre le parasitisme.
Les membres de la FICCI se placèrent eux-mêmes et délibérément en dehors de notre organisation comme conséquence des comportements suivants :
Finalement les membres de la FICCI furent exclus de notre organisation, non pour ces comportements pourtant intolérables mais pour leurs activités d'indicateurs avec, à leur actif, plusieurs actes de mouchardage. C'est ainsi, notamment, qu'ils publièrent, sur leur site Internet, la date à laquelle devait se tenir une Conférence du CCI au Mexique en présence de militants venus d'autres pays. Cet acte répugnant de la FICCI consistant à faciliter le travail des forces de répression de l'État bourgeois contre les militants révolutionnaires est d'autant plus ignoble que les membres de la FICCI savaient pertinemment que certains de nos camarades au Mexique avaient déjà, dans le passé, été directement victimes de la répression et que certains avaient été contraints de fuir leur pays d'origine.
Mais les comportements de mouchards des membres de la FICCI ne se résument pas à cet épisode. Avant et après leur exclusion du CCI, ils ont systématisé leur travail d'espionnage de notre organisation et rendu compte régulièrement, dans leurs bulletins, des résultats ainsi obtenus (Voir en particulier les bulletins de la FICCI n° 14, 18 et 19).
Leur sordide récolte d'informations est tout à fait significative de la manière dont ces gens concevaient leur "travail de fraction" (commérages, rapports de police). En effet, l'exhibition de telles informations s'adresse également à l'ensemble du CCI, en vue de mettre la pression sur ses militants en leur faisant comprendre qu'ils sont "sous surveillance", que rien de leurs faits et gestes n'échappera à la vigilance de la "Fraction interne".
Ce n'est pas parce qu'il émane de cerveaux malades de persécuteurs obsessionnels qu'il ne faut pas prendre au sérieux un tel travail de flicage de notre organisation et plus particulièrement de certains de ses membres.
Pour conclure sur les comportements policiers de la FICCI, il vaut la peine de signaler la publication par celle-ci d'un texte de 118 pages intitulé "L'Histoire du Secrétariat international du CCI". Ce texte, d'après son sous-titre, prétend raconter "Comment l'opportunisme s'est imposé dans les organes centraux avant de contaminer et entamer la destruction de l'ensemble de l'organisation...". Cet écrit illustre, encore une fois, le caractère policier de la démarche de la FICCI. En effet, il explique la prétendue "évolution opportuniste" du CCI par les "intrigues" d'un certain nombre de personnages malfaisants, en particulier la "compagne du chef" (présentée comme un agent de l'État exerçant son emprise sur le "chef"). C'est comme si la dégénérescence et la trahison du parti bolchevique avaient été le résultat de l'action du mégalomane Staline et non la conséquence de l'échec de la révolution mondiale et de l'isolement de la révolution en Russie. Ce texte relève de la plus pure conception policière de l'histoire laquelle a toujours été combattue par le marxisme.
Mais le caractère policier le plus odieux de ce texte, c'est bien le fait qu'il divulgue de nombreux détails sur le fonctionnement interne de notre organisation et qui sont pain bénit pour les services de police.
Faute d'avoir pu convaincre les militants du CCI de la nécessité d'exclure le "chef" et la "compagne du chef", ce groupuscule parasitaire s'est donné comme objectif d'entraîner derrière ses calomnies les autres groupes de la Gauche communiste afin d'établir un cordon sanitaire autour du CCI et le discréditer (voir ci-après les épisodes de la "réunion publique du BIPR à Paris" et du "Circulo"). En fait ce sont tous les lieux d'intervention du CCI (permanences, réunions publiques, …) que la FICCI ciblait, alors que nous en avions interdit l'accès à ses membres du fait même de leur activité de mouchardage[7]. Alors que nous faisions appliquer notre décision de les écarter de tels lieux, nous avons dû certaines fois faire face à des menaces (dont celle proférée à haute voix de trancher la gorge à l'un de nos camarades) et agressions de ces voyous.
La FICCI se présente comme "le véritable continuateur du CCI" qui aurait connu une dégénérescence "opportuniste" et "stalinienne". Elle déclare poursuivre le travail, abandonné à ses dires par le CCI, de défense dans la classe ouvrière des "véritables positions de cette organisation" lesquelles seraient menacées par le développement de l'opportunisme en son sein affectant, en premier lieu, la question du fonctionnement. On a vu dans la pratique de ce groupe sa propre conception du respect des statuts et même des règles de comportement les plus élémentaires du mouvement ouvrier : "s'asseoir dessus", les piétiner avec fureur.
La méthode, consistant à "suggérer" en évitant le problème politique de fond, faisant appel au "bon sens populaire", aux méthodes de la chasse aux sorcières pratiquées au Moyen-âge
C'est ainsi que le CCI a été la cible de nombreuses autres accusations de la part de la FICCI, non évoquées jusqu'ici, et dont voici un tout petit échantillon : le CCI serait aujourd'hui frappé du stigmate "d'un éloignement progressif du marxisme et d'une tendance de plus en plus affirmée à mettre en avant (et à défendre) des valeurs bourgeoises et petites bourgeoises en vogue (le "jeunisme", le féminisme et surtout la "non-violence")" ; le CCI "ferait le jeu de la répression".
Le BIPR[8] a été la cible d'une manœuvre osée de la part du la FICCI consistant à organiser, au bénéfice de ce groupe, une réunion publique à Paris, le 2 octobre 2004. En fait, il s'agissait d'une réunion publique conçue pour être au service de la réputation de la FICCI, au détriment de celle du BIPR et en vue de porter une attaque contre le CCI.
L'annonce de cette réunion par le BIPR indiquait que son thème était la guerre en Irak. Par contre, l'annonce qu'en fit la FICCI soulignait toute l'importance de sa propre démarche : "Sur notre suggestion et avec notre soutien politique et matériel, le BIPR va organiser une réunion publique à Paris (RP qui, nous l'espérons, ne sera pas la dernière) à laquelle nous appelons tous nos lecteurs à participer". Ce qu'il ressort de cet appel c'est que, sans la FICCI, cette organisation de la Gauche communiste, qui existe à l'échelle internationale et qui est connue depuis des décennies, n'aurait pas pu prendre l'initiative et organiser la réunion publique !
En fait, ce groupe parasite a utilisé le BIPR comme un "homme de paille" pour sa propre publicité en vue de l'obtention d'un certificat de respectabilité, de reconnaissance de son appartenance à la Gauche communiste. Et la voyoucratie décomplexée n'a pas hésité à utiliser le carnet d'adresse des contacts du CCI (qu'elle avait dérobée avant son départ de l'organisation) pour diffuser son appel à cette réunion publique.
En 2004, le CCI était entré en relation politique avec un petit groupe en recherche en Argentine, le NCI (Nucleo comunista internacional). Fin juillet 2004, un membre du NCI, Monsieur B. tenta une manœuvre audacieuse : il demanda l’intégration immédiate du groupe au CCI. Il imposa cette exigence malgré la résistance des autres camarades du NCI qui, même s’ils se donnaient aussi comme objectif l’adhésion au CCI, ressentaient la nécessité de réaliser préalablement tout un travail en profondeur de clarification et d’assimilation, le militantisme communiste ne pouvant se baser que sur de solides convictions. Le CCI rejeta cette exigence conformément à notre politique s'opposant aux intégrations précipitées et immatures qui peuvent contenir le risque de la destruction de militants et sont nocives pour l’organisation.
Parallèlement à cela, une alliance s'était nouée entre la FICCI et l'aventurier B, certainement à l'initiative de B, au service d'une manœuvre contre le CCI utilisant, à son insu, le NCI. La manœuvre consistait à faire circuler au sein du milieu politique prolétarien une dénonciation du CCI et de ses "méthodes nauséabondes" qui semblait émaner indirectement du NCI, puisque cette dénonciation était signée d'un mystérieux et fictif "Circulo de comunistas internacionalistas" (soit "CCI" en abrégé !), animé par le citoyen B et qui, selon lui, était supposé constituer le "dépassement politique" du NCI. Ces calomnies furent véhiculées au moyen d'un tract du "Circulo" diffusé par la FICCI à l'occasion de la réunion publique à Paris du BIPR du 2 octobre 2004. Elles furent également mises en ligne en différentes langues sur le site du BIPR. En plus de cibler directement le CCI, le tract en question prenait la défense de la FICCI remettant totalement en cause une prise de position du NCI du 22 mai 2004 qui avait dénoncé ce groupe.
La manière dont le citoyen B a été amené à élaborer sa manœuvre est typique d'un aventurier, de ses ambitions et de son absence totale de scrupules et de préoccupation pour la cause du prolétariat. Le recours aux services d'un aventurier, par la FICCI, pour satisfaire sa haine du CCI et tenter de mettre en place, par le dénigrement public, l'isolement politique de notre organisation, est digne des personnages minables et méprisables qui peuplent le monde mesquin de la petite et de la grande bourgeoisie.
Le GIGC ayant eu en sa possession des bulletins internes du CCI, à travers un moyen que nous ignorions, il a fait toute une publicité tapageuse autour de cet évènement, voyant en celui-ci la preuve d'une crise du CCI. Le message que ces mouchards patentés cherchaient alors à faire passer était très clair : "il y a une "taupe" dans le CCI qui travaille main dans la main avec l’ex-FICCI !". C’était clairement un travail policier n’ayant pas d’autre objectif que de semer la suspicion généralisée, le trouble et la zizanie au sein de notre organisation. Ce sont ces mêmes méthodes qu’avait utilisées le Guépéou, la police politique de Staline, pour détruire de l’intérieur le mouvement trotskiste des années 1930. Ce sont ces mêmes méthodes qu’avaient déjà utilisées les membres de l’ex-FICCI (et notamment deux d’entre eux, Juan et Jonas, membres fondateurs du "GIGC") lorsqu’ils faisaient des voyages "spéciaux" dans plusieurs sections du CCI en 2001 pour organiser des réunions secrètes et faire circuler des rumeurs suivant lesquelles l’une de nos camarades (la "femme du chef du CCI", suivant leur expression) serait un "flic".
Le CCI avait dénoncé une tentative de falsification des origines réelles de la Gauche communiste émanant d'un blog nommé Nuevo Curso et orchestrée par un aventurier, Gaizka, dont l'objectif n'est nullement de contribuer à clarifier et défendre les positions de ce courant mais de se "faire un nom" dans le milieu politique prolétarien. Cette attaque contre le courant historique de la Gauche communiste vise à transformer celle-ci en une mouvance aux contours flous, amputée des principes prolétariens rigoureux ayant présidé à sa formation, ce qui constitue un obstacle à la transmission aux futures générations de révolutionnaires des acquis du combat des fractions de gauche contre l'opportunisme et la dégénérescence des partis de l'Internationale communiste.
Quant à l'aventurier Gaizka, nous avons fourni à son sujet une quantité importante d'informations, à ce jour non réfutées, concernant les relations de ce Monsieur dans le monde des personnalités de la politique bourgeoise (de gauche surtout mais également de droite). C'est un comportement et un trait de personnalité qu'il partage avec des aventuriers - même s'il est loin, évidemment, d'avoir l'envergure de ces personnages - plus connus dans l'histoire comme Ferdinand Lassalle et Jean Baptiste von Schweitzer qui avaient opéré au sein du mouvement ouvrier en Allemagne au 19e siècle,.
C'est avec beaucoup d'enthousiasme, et de flagornerie, que le GIGC avait salué l'entrée sur la scène politique du blog Nuevo Curso : "L’ensemble des positions qu’il défend sont très clairement de classe et se situent dans le cadre programmatique de la Gauche communiste (…)". De plus, dès lors que notre organisation avait donné suffisamment d'informations aux lecteurs permettant de caractériser Gaizka (le principal animateur de Nuevo Curso) comme un aventurier présentant la particularité d'avoir entretenu, en 1992-94, des relations avec le plus important parti de la bourgeoisie en Espagne à cette époque, le PSOE, il n'y avait plus de doute permis concernant le sens de la démarche de Nuevo Curso visant à dénaturer la Gauche communiste. Pourtant, ce ne sont pas ces informations accessibles à tous (et démenties par personne, nous le répétons) qui ont empêché le GIGC de voler au secours de l'aventurier Gaizka, face à la dénonciation que nous en avons faite : "nous devons souligner qu’à ce jour, nous n’avons constaté aucune provocation, manœuvre, dénigrement, calomnie ou rumeur, lancée par les membres de Nuevo Curso, même à titre individuel, ni aucune politique de destruction contre d’autres groupes ou militants révolutionnaires".[10]
Il est au plus haut point révélateur que, pour écarter toute suspicion d'aventurisme à propos de la personne de Gaizka, l'animateur du GIGC prenne comme critère un ensemble de traits politiques qui le caractérisent lui-même au premier chef, mais pas nécessairement particulièrement Gaizka : provocateur, manœuvrier, dénigreur, calomniateur, destructeur de réputation, …. Quant à Gaizka, bien qu'il ne soit pas de l'envergure d'un Lassalle ou d'un Schweitzer, il "essaie de jouer dans la cour des grands" et il est même parvenu à se faire reconnaître d'un certain nombre d'entre eux grâce à certaines de ses capacités intellectuelles, à défaut de traiter d'égal à égal avec les plus grands comme c'était le cas de Lassalle avec Bismarck. [11]
À sa petite échelle, Gaizka s'imaginait pourvoir jouer un rôle en tant que représentant d'une branche de la Gauche communiste (la Gauche communiste espagnole), inventée de toute pièce par lui-même. La grande ambition de "monsieur GIGC", pour sa part, est de couvrir d'ordures le CCI.
Pour illustrer notre analyse du phénomène du parasitisme politique, nous nous sommes principalement appuyés sur l'exemple du GIGC (anciennement FICCI). Le fait que cette organisation constitue une sorte de caricature de parasitisme nous a permis à la fois de dénoncer à nouveau sa crapulerie et sa malfaisance mais aussi de faire mieux ressortir les traits majeurs qui caractérisent ce phénomène et qu'on retrouve dans d'autres groupes ou éléments qui inscrivent leur activité dans une démarche parasitaire, même si c'est de façon moins évidente et plus subtile. Ainsi, le GIGC-FICCI est, à notre connaissance, le seul groupe qui ait adopté de façon délibérée une attitude de mouchard, d'agent conscient de la répression capitaliste. Cependant, en adoptant cette attitude d'agent conscient (même si non rétribué) de l'État bourgeois, ce groupe ne fait qu'exprimer de la façon la plus extrême l'essence et la fonction du parasitisme politique (et qui avaient été déjà analysées, comme on l'a vu, par Marx et Engels) : mener, au nom de la défense du programme prolétarien, un combat déterminé contre les véritables organisations de la classe ouvrière. Et cela, évidemment, pour le plus grand bénéfice de son ennemie mortelle, la bourgeoisie. Et si certains groupes s'abstiennent des outrances du GIGC, préférant pratiquer un parasitisme "soft", plus subtil, cela ne les rend pas moins dangereux, bien au contraire.
De la même façon que les véritables organisations du prolétariat ne pourront assumer, comme l'a démontré toute l'histoire du mouvement ouvrier, le rôle que celui-ci leur a confié qu'en menant un combat déterminé contre la gangrène opportuniste, elles ne pourront être à la hauteur de leur responsabilité qu'en menant un combat aussi déterminé contre la plaie du parasitisme. Cela, Marx et Engels l'avaient pleinement compris à partir de la fin des années 1860, et notamment lors du Congrès de La Haye de la Première Internationale en 1872 même si, par la suite, un grand nombre de marxiste, qui pourtant menaient le combat contre l'opportunisme, tel Franz Mehring, n'ont pas compris le sens et l'importance du combat contre l'Alliance de Bakounine. C'est probablement une des raisons (à côté de la naïveté et des glissements opportunistes) pour lesquelles la question du parasitisme n'est pas comprise dans le milieu politique prolétarien. Mais il ne saurait être question de faire des faiblesses du mouvement ouvrier un argument pour refuser de voir et affronter les dangers qui menacent le combat historique de notre classe. C'est pleinement que nous nous réclamons de l'esprit de cette phrase d'Engels citée au début de l'article : "Il est grand temps, une fois pour toutes, de mettre fin aux luttes internes quotidiennement provoquées dans notre Association par la présence de ce corps parasite."
CCI 07-08-23
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[1] Construction de l'organisation des révolutionnaires : thèses sur le parasitisme [4]. Revue internationale n° 94
[2] Questions d'organisation, III : le congrès de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique. [169] Revue internationale n° 87.
[3] "Alliance de la démocratie socialiste", fondée par Bakounine qui allait trouver un terrain fertile dans des secteurs importants de l'Internationale du fait des faiblesses qui pesaient encore sur elle et qui résultaient de l'immaturité politique du prolétariat à cette époque, un prolétariat qui ne s'était pas encore totalement dégagé des vestiges de l'étape précédente de son développement, et notamment des mouvements sectaires.
[4] "Avant de rejoindre l'AIT, Bakounine a expliqué à ses disciples pourquoi l'AIT n'était pas une organisation révolutionnaire : les proudhoniens étaient devenus réformistes, les blanquistes avaient vieilli, et les allemands et le Conseil général que soi-disant ceux-ci dominaient, étaient "autoritaires". Selon Bakounine, ce qui manquait avant tout, c'était la "volonté" révolutionnaire. C'est ça que l'Alliance voulait assurer en passant par-dessus le programme et les statuts et en trompant ses membres.
Pour Bakounine, l'organisation que le prolétariat avait forgée, qu'il avait construite au cours d'années de travail acharné, ne valait rien. Ce qui était tout pour lui, c'étaient les sectes conspiratrices qu'il avait lui-même créées et contrôlées. Ce n'est pas l'organisation de classe qui l'intéressait, mais son propre statut personnel et sa réputation, sa "liberté" anarchiste ou ce qu'on appelle aujourd'hui "réalisation de soi". Pour Bakounine et ses semblables, le mouvement ouvrier n'était rien d'autre que le véhicule de la réalisation de leur individu et de leurs projets individualistes." Questions d'organisation, I : la première internationale et la lutte contre le sectarisme [170]." Revue internationale n° 87.
[5] La Revue Internationale n°44, dans l'article consacré au 6ème Congrès du CCI, rend compte du départ de ces camarades et de leur constitution en "Fraction". Le lecteur pourra s'y reporter, ainsi qu'aux articles publiés dans les Revues n°40 à 43 reflétant l'évolution du débat au sein du CCI.
[6] Les éléments d'information publiés ci-après sont un résumé d'une partie d'un article, L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [171], rendant compte de façon plus détaillée des nuisances de ce groupe parasite.
[8] BIPR : Bureau International pour le Parti Révolutionnaire. Groupe fondé en 1984 par le le Partito comunista internazionalista (Battaglia comunista) et la Communist Worker's Organisation (CWO). Depuis 2009, ce groupe a changé de nom pour devenir la Tendance Communiste Internationaliste (TCI).
[9] Lire notre articles L'aventurier Gaizka a les défenseurs qu'il mérite : les voyous du GIGC [173]. (février 2021)
[10] Nouvelle attaque du CCI contre le camp prolétarien international [174] (1er février 2020)
Le 13 juillet, le Parlement adopte définitivement le projet de « loi de programmation militaire » (LPM) qui prévoit, pour 2024-2030, un budget colossal de 413 milliards d’Euros, en hausse de 40 % par rapport à 2019-2025. Tout le beau monde des élus s’est félicité de l’esprit démocratique qui a régné dans les débats. Lecornu, ministre de la Défense, devait apporter comme cadeau à Macron pour le 14 juillet, l’accord largement majoritaire des députés et des sénateurs, y inclus du Parti socialiste… sauf des écologistes, qui se sont abstenus, de LFI et du PCF qui ont voté contre. Quiconque aurait pu penser que tous ces partis, qui prétendent défendre les ouvriers, se seraient élevés contre un tel budget qui va nécessiter des attaques brutales contre la classe ouvrière. Que nenni ! Ce qu’ils remettent en cause, ce n’est pas la loi elle-même, son budget faramineux, mais les choix du gouvernement.
Quelles critiques portent-ils au gouvernement ? Le groupe écologiste au Sénat, dans son communiqué de presse du 29 juin, « salue les progrès du texte lors de son examen parlementaire, notamment en matière de contrôle parlementaire sur l’exécution de la LPM et surtout sur le contrôle des exportations d’armes de la France. Il est parfaitement conscient du besoin impérieux de reconstituer nos stocks stratégiques pour continuer à aider l’Ukraine et ne conteste pas l’effort qu’engage la Nation en faveur de sa Défense ». Au moins, c’est très clair ! ! Par contre, les sénateurs écologistes auraient souhaité que les plus aisés contribuent plus à l’effort de guerre et que les moyens humains et capacitaires des forces conventionnelles, en particulier de l’armée de terre, soient renforcés. Et pour rajouter un vernis écologiste, les sénateurs demandent à Macron que les mêmes efforts budgétaires soient aussi faits pour assurer la sécurité climatique. Oui pour la guerre, mais… de manière écologique !
Pour le PCF, il faut se libérer de l’OTAN pour se consacrer exclusivement à la défense de la nation et tous les territoires d’outre-mer. Pour ce parti stalinien, il faut une armée forte afin de « sécuriser nos zones économiques exclusives », c’est-à-dire défendre l’impérialisme français face aux autres nations impérialistes. « C’est la raison pour laquelle toutes les dépenses permettant à nos armées de disposer des meilleurs matériels, à la pointe des nouvelles technologies et à nos soldats d’être bien équipés, bien formés, mieux entraînés et mieux rémunérés sont pleinement justifiées. Face au contexte de guerre et de tensions internationales, il fallait augmenter le budget des armées, mais certainement pas le doubler ! » Appréciez la nuance : « il fallait augmenter le budget des armées mais certainement pas le doubler ».
Sur son site où est publiée sa vision de la LPM, LFI emboîte le pas du PCF, en soutenant le principe d’une défense « souveraine » et « indépendante », hors de l’OTAN et de l’Europe, avec la nationalisation des principaux secteurs industriels au service du militaire, avec, cerise sur le gâteau : la suppression du SNU pour la création d’une conscription citoyenne obligatoire socle d’une « Garde nationale citoyenne », d’une durée de 9 mois. Quel est le projet de LFI ? Des jeunes, de 18/25 ans, rémunérés au SMIC, qui auront une formation militaire initiale au maniement des armes et aux manœuvres et des formations ponctuelles dans d’autres secteurs régaliens (aux côtés des effectifs professionnels de la police, gendarmerie, sécurité civile, pompiers, agents des eaux et forêts, premiers secours). Cette période de formation militaire pourrait être prolongée sur la base du volontariat, dans la limite des besoins des armées et des autres secteurs accueillant les recrues ; comporterait un volet d’éducation civique et de formation aux enjeux géopolitiques. Selon LFI, il s’agit pour cette jeunesse de connaître quelles zones de l’impérialisme français défendre. Cette conscription constituera le socle d’une « Garde nationale » renouvelée, ouverte sur la base du volontariat à chaque jeune ayant effectué son service. Elle remplacera le dispositif actuel des réserves de l’armée, de la police et de la gendarmerie, majoritairement composées d’anciens professionnels et donc coupées de la nation. Plus fort que Macron et son SNU ! Embrigadement général de la jeunesse pour défendre la nation et pour en faire des flics !
Et la NUPES peut compter sur le soutien des trotskistes. Des lambertistes du POI (Parti ouvrier indépendant, courant de la FI depuis sa création en 2017) jusqu’à Lutte ouvrière (de manière « critique »), en passant par le Nouveau parti anticapitaliste et la Tendance marxiste internationale, les trotskistes sont un soutien indéfectible de la NUPES et de son programme de militarisation de la société et d’embrigadement du prolétariat. De véritables sergents recruteurs pour les guerres impérialistes.
Depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, toutes les nations capitalistes ont augmenté considérablement leur budget militaire. Les tensions impérialistes sont arrivées à un tel degré que le risque accru de guerre devient de plus en plus palpable, avec en toile de fond une concurrence exacerbée et un développement débridé du chacun pour soi. Tous les États capitalistes sont pris dans cet engrenage infernal, tous les partis bourgeois sont prêts à défendre leurs intérêts par les armes. Pas seulement les fractions de droite, mais aussi celles de gauche et d’extrême gauche comme l’histoire nous l’a appris. La NUPES, avec le PS en son sein qui a voté la LPM, et leurs larbins d’extrême gauche, sont pleinement impliqués dans la défense du capitalisme comme ils l’ont été dans le passé. Pour donner quelques exemples :
– En 1914, les sociales démocraties européennes ont appelé les ouvriers à s’entre-massacrer dans la première grande boucherie mondiale ;
– A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, le Front populaire et son homologue corollaire, le Frente popular en Espagne, ont enrôlé le prolétariat dans la lutte contre l’antifascisme en 1936 puis dans la deuxième grande boucherie mondiale, avec le soutien des trotskistes et des anarchistes ;
– le démocrate Roosevelt, quelques années après, a entraîné les États-Unis dans cette même boucherie ;
– les staliniens, avec leurs alliés trotskistes et certains anarchistes, ont été les ardents défenseurs du capitalisme à la sauce « coq gaulois » à travers la Résistance et lors de la Libération de Paris, en août 1944, leurs milices hurlant : « à chacun son boche » ;
– c’est un ministre cdu Parti communiste qui envoie l’aviation massacrer des milliers d’algériens à Sétif, en 1945, au moment de la commémoration de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dans d’autres localités d’Algérie, des milliers de nationalistes furent sommairement exécutés par les ministres de gauche sous le gouvernement de De Gaulle ;
– durant la période de la guerre froide, les partis socialistes européens se préparaient à affronter le bloc adverse à travers la défense de la politique atlantiste, alors que dans le même temps, les États-Unis, avec à leur tête les démocrates, perpétraient des massacres au Vietnam en enrôlant la jeunesse américaine ;
– dans les années 1990, ce sont les partis socialistes (Mitterrand, Tony Blair) qui, sous le diktat des États-Unis, se sont vautrés dans la barbarie de la première guerre du Golfe contre l’Irak ;
– et les trotskistes ont aussi leur part de défenseurs des brigands impérialistes, dans les différentes « luttes de libération nationales » au nom de la défense de l’URSS contre le grand méchant américain, et aujourd’hui encore en défense soit de l’Ukraine pour le NPA ou de la Russie pour Lutte ouvrière.
La classe ouvrière ne doit pas se faire d’illusion sur la NUPES et ses acolytes trotskistes. Ce sont des partis bourgeois, des défenseurs de l’ordre capitaliste et de l’impérialisme. Dans les luttes que le prolétariat mène sur son propre terrain pour défendre ses conditions de vie, et qu’il sera obligé de développer dans les semaines, les mois et les années à venir, du fait qu’il va subir des attaques de plus en plus violentes, il lui faudra démasquer tous ces partis qui se prétendent être ses défenseurs alors qu’ils sont ses pires ennemis toujours au service de l’État.
André, 25 juillet 2023
Révolution Internationale, section en France du Courant Communiste International, organise une permanence en ligne le vendredi 1er septembre à partir de 20H00.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs et tous nos sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue. N'hésitez pas à nous faire part des questions que vous souhaiteriez aborder.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [13]) ou dans la rubrique “nous contacter [14]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débat.
Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées ultérieurement.
Nous continuons à publier des contributions à un débat interne relatif à la compréhension de notre concept de décomposition, aux tensions inter-impérialistes et à la menace de guerre, et au rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. Ce débat a été rendu public pour la première fois par le CCI en août 2020, lorsqu’il a publié un texte du camarade Steinklopfer dans lequel il exprimait et expliquait ses désaccords avec la résolution sur la situation internationale du 23ᵉ Congrès du CCI. Ce texte était accompagné d’une réponse du CCI et les deux peuvent être consultés ici [185]. La deuxième contribution du camarade (ici [186]) développe ses divergences avec la résolution du 24ᵉ Congrès et le texte ci-dessous est une réponse supplémentaire exprimant la position du CCI. Enfin, il y a une contribution du camarade Ferdinand (ici [187]) qui exprime également ses divergences avec la résolution du 24ᵉ Congrès. Une réponse à ce texte sera publiée en temps utile.
Le CCI est plus ou moins seul à considérer que l’effondrement du bloc impérialiste de l’Est en 1989 a marqué le début d’une nouvelle phase dans la décadence du capitalisme – la phase de décomposition, résultant d’une impasse historique entre les deux principales classes de la société, aucune n’étant capable de faire avancer sa propre perspective face à la crise historique du système : guerre mondiale pour la bourgeoisie, révolution mondiale pour la classe ouvrière. Ce serait l’étape finale du long déclin du mode de production capitaliste, entraînant la menace d’une descente dans la barbarie et la destruction qui pourrait engloutir la classe ouvrière et l’humanité même sans une guerre entièrement mondiale entre deux blocs impérialistes[1].
Les groupes du milieu prolétarien ont rarement, voire jamais, répondu aux Thèses sur la Décomposition qui posaient les bases théoriques du concept de décomposition. Certains, comme les bordiguistes, avec leur idée de l’invariance de la théorie marxiste depuis 1848, ont eu tendance à rejeter le concept même de décadence capitaliste. D’autres, comme la Tendance communiste internationaliste, considèrent comme idéaliste notre conception de la décomposition comme une phase de chaos croissant et de destructivité irrationnelle, même s’ils ne contestent pas que ces phénomènes existent et sont même en augmentation. Mais pour ces camarades, notre conception n’est pas directement basée sur une analyse économique, et ne peut donc pas être considérée comme matérialiste.
En même temps, bien qu’ils situent leurs origines dans la Gauche communiste italienne, ces groupes n’ont jamais accepté notre notion du cours historique : l’idée que la capacité du capitalisme à mobiliser la société pour une guerre mondiale dépend de la question de savoir s’il a infligé une défaite décisive à la classe ouvrière mondiale, en particulier à ses bataillons centraux. C’était assurément l’approche de la Fraction de gauche qui a publié Bilan dans les années 1930, qui insistait sur le fait qu’avec la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23, la voie vers une Seconde Guerre mondiale était ouverte ; et c’était une méthode reprise par le CCI dès sa création. Dans les années 1970 et 1980, nous avons soutenu que, malgré l’aggravation de la crise économique et l’existence de blocs impérialistes stables, le capitalisme était incapable de faire des pas décisifs vers la troisième guerre mondiale parce qu’il était confronté à une génération invaincue de prolétaires qui n’étaient pas prêts à faire les sacrifices exigés par une marche vers la guerre. Aucun de ces arguments n’avait de sens pour la majorité des groupes du milieu qui ne tenaient pas compte du rapport de forces entre les classes pour comprendre la direction que prenait la société[2].
Le concept de cours historique a été un élément clé dans la formulation de la théorie de la décomposition. Dans les années 1970, période caractérisée par des vagues internationales de luttes ouvrières en réponse à la crise économique ouverte, nous considérions encore que la société se dirigeait vers des affrontements de classes massifs dont l’issue déterminerait si la voie était ouverte à la guerre mondiale ou à la révolution mondiale. Cependant, vers la fin des années 1980, malgré l’incapacité de la bourgeoisie à mobiliser la société pour une nouvelle guerre mondiale, il est devenu évident que la classe ouvrière avait de plus en plus de mal à affirmer sa propre perspective révolutionnaire. Paradoxalement, le concept d’un cours historique, d’un mouvement défini vers soit une guerre mondiale, soit une lutte de classe massive, n’était plus applicable dans la nouvelle phase ouverte par l’impasse historique, comme nous l’avons clarifié lors de notre 23ᵉ Congrès international[3].
À quelques exceptions près, la majorité des groupes du milieu ont également rejeté l’une des principales conclusions que nous avons tirées de l’analyse de la décomposition au niveau des conflits impérialistes – une analyse développée dans notre Texte d’orientation de 1990 « Militarisme et décomposition » et sa mise à jour en mai 2022 – à savoir que la tendance croissante au chacun pour soi entre les États, la vague de fragmentation et de désordre qui caractérise cette nouvelle phase, était devenue un élément central de la difficulté pour la bourgeoisie de reconstituer des blocs impérialistes stables[4]. La plupart des groupes considèrent que la formation de nouveaux blocs est à l’ordre du jour aujourd’hui, et affirment même qu’elle est assez avancée.
Bien qu’à notre avis les principales prévisions des Thèses sur la Décomposition et du Texte d’orientation sur le militarisme aient résisté à l’épreuve du temps (cf. rapport du 22ᵉ Congrès [5]), la guerre en Ukraine a mis en évidence la divergence avec les groupes qui voient le mouvement rapide vers les blocs et la menace imminente d’une troisième guerre mondiale.
Des idées similaires sont apparues dans nos propres rangs, comme on peut le voir dans les textes des camarades Steinklopfer et Ferdinand [6]. Ces camarades insistent cependant toujours sur le fait qu’ils sont d’accord avec le concept de décomposition, bien qu’à notre avis certains de leurs arguments le remettent en question.
Dans cet article, nous allons expliquer pourquoi nous pensons que c’est le cas dans la contribution du camarade Steinklopfer. Bien que les positions de Steinklopfer et de Ferdinand soient très similaires, elles ont été présentées comme des contributions individuelles, nous y répondrons donc séparément.
Nous diviserons notre réponse en trois parties : sur les désaccords concernant le concept de base de décomposition ; sur la polarisation impérialiste ; et sur le rapport de forces entre les classes. En répondant aux critiques du camarade Steinklopfer, nous devrons passer un temps considérable à corriger diverses représentations erronées de la position de l’organisation, qui, à notre avis, découlent d’une perte d’acquis de la part du camarade – un oubli de certains éléments de base de notre cadre analytique. Qui plus est, certaines de ces représentations erronées ont déjà été traitées dans des réponses précédentes aux textes du camarade, mais ces dernières ne sont pas prises en compte ou ne font pas l’objet de réponses dans les contributions ultérieures du camarade. C’est le signe d’une réelle difficulté à faire avancer le débat.
Selon le camarade Steinklopfer, c’est pourtant le CCI qui « révise » sa conception de la décomposition.
« il y a un fil rouge qui relie entre eux ces désaccords, qui tourne autour de la question de la décomposition. Bien que l’ensemble de l’organisation partage notre analyse de la décomposition comme phase ultime du capitalisme, lorsque nous voulons appliquer ce cadre à la situation actuelle, des différences d’interprétation apparaissent. Ce sur quoi nous sommes tous d’accord est que cette phase terminale, non seulement a été ouverte par l’incapacité de l’une ou l’autre des principales classes de la société d’offrir une perspective à l’humanité toute entière, unir de grandes parties de la société soit derrière la lutte pour la révolution mondiale (le prolétariat), soit derrière la mobilisation pour la guerre généralisée (la bourgeoisie), mais qu’elle y a ses plus profondes racines. Mais, pour l’organisation, il y aurait une seconde force motrice à cette phase terminale, qui serait la tendance au chacun-pour-soi : entre les États, au sein de la classe dominante de chaque État national, dans la société bourgeoise au sens large. Sur cette base, en ce qui concerne les tensions impérialistes, le CCI tend à sous-estimer la tendance à la bipolarisation entre grands États dominants, la tendance vers la formation d’alliances militaires entre États, tout comme il sous-estime le danger grandissant de confrontation militaire directe entre grandes puissances, qui contient une dynamique potentielle vers ce qui ressemble à une Troisième Guerre mondiale, laquelle pourrait potentiellement détruire l’humanité entière ».
Nous reviendrons plus tard sur la question de la sous-estimation de la menace d’une troisième guerre mondiale. Ce que nous voulons préciser à ce stade, c’est que nous ne considérons pas la tendance au « chacun pour soi » comme une « seconde force motrice à cette phase terminale », au sens où elle serait une cause sous-jacente de décomposition, ce qui est sous-entendu dans la phrase du camarade « une seconde force motrice » et explicite lorsqu’il poursuit en disant que « bien que je sois d’accord avec l’idée que le chacun-pour-soi bourgeois est une très importante caractéristique de la décomposition, qui a joué un très grand rôle dans l’ouverture de la phase de décomposition avec la désintégration de l’ordre impérialiste mondial de l’après-Seconde Guerre mondiale, je ne crois pas que c’en soit une des principales causes ». Si nous sommes tous d’accord pour dire que la tendance de chaque État à défendre ses propres intérêts est inhérente à toute l’histoire du capitalisme, même pendant la période des blocs stables – ou comme le dit Steinklopfer, « le chacun-pour-soi bourgeois est une tendance permanente et fondamentale du capitalisme depuis sa naissance » – cette tendance est « libérée » et exacerbée sur un plan qualitatif pendant la phase de décomposition. Cette exacerbation reste un produit de la décomposition, mais elle est devenue un facteur de plus en plus actif dans la situation mondiale, un obstacle majeur à la formation de nouveaux blocs.
Cela nous amène à un deuxième désaccord clé sur le concept de décomposition – la compréhension que la décomposition, tout en faisant fructifier toutes les contradictions existantes du capitalisme décadent, prend le caractère d’un changement qualitatif. Selon Steinklopfer, « Comme je le comprends, l’organisation a migré vers la position que, avec la décomposition, le chacun-contre-tous a acquis une qualité nouvelle par rapport à la précédente phase du capitalisme décadent, représentée par une sorte de domination absolue de la tendance à la fragmentation. Pour moi, par contre, il n’y a pas de tendance majeure dans la phase de décomposition qui n’existait pas déjà auparavant, en particulier dans la période de la décadence capitaliste ouverte par la Première Guerre mondiale ».
Il semble qu’il s’agisse là d’un cas évident de « perte d’acquis », d’oubli de ce que nous avons dit nous-mêmes dans nos textes fondamentaux, en l’occurrence les Thèses sur la Décomposition elles-mêmes. Certes, les Thèses conviennent que « Dans la mesure où les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme, qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent, et même s’approfondissent, la phase de décomposition apparaît comme celle résultant de l’accumulation de toutes ces caractéristiques d’un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d’agonie d’un mode de production condamné par l’histoire » (Thèse 3). Mais la même thèse souligne ensuite que la phase de décomposition « se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée » de ces caractéristiques : en somme, une telle synthèse marque le point où la quantité se transforme en qualité. Sinon, quel sens y aurait-il à décrire la décomposition comme une nouvelle phase de la décadence ?
Si nous revenons au TO sur Militarisme et Décomposition, il devient clair que nous n’avons jamais soutenu que la tendance à la formation de nouveaux blocs disparaît dans la phase de décomposition. « L’histoire (notamment celle du deuxième après-guerre) a mis en évidence le fait que la disparition d’un bloc impérialiste (par exemple l’« Axe ») met à l’ordre du jour la dislocation de l’autre (les « Alliés ») mais aussi la reconstitution d’un nouveau « couple » de blocs antagoniques (Est et Ouest). C’est pour cela que la situation présente porte effectivement avec elle, sous l’impulsion de la crise et de l’aiguisement des tensions militaires, une tendance vers la reformation de deux nouveaux blocs impérialistes ».
Cependant, le TO avait déjà souligné que
« ce n’est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l’origine du militarisme et de l’impérialisme. C’est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n’est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n’est pas nécessairement la seule) de l’enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. D’une certaine façon, il en est de la formation des blocs vis-à-vis de l’impérialisme comme du stalinisme vis-à-vis du capitalisme d’État. De même que la fin du stalinisme ne remet pas en cause la tendance historique au capitalisme d’État, dont il constituait pourtant une manifestation, la disparition actuelle des blocs impérialistes ne saurait impliquer la moindre remise en cause de l’emprise de l’impérialisme sur la vie de la société ». Et il poursuit en disant qu’en l’absence de blocs, les antagonismes impérialistes prendront un caractère nouveau, chaotique, mais non moins sanglant : « Dans la nouvelle période historique où nous sommes entrés, et les événements du Golfe viennent de le confirmer, le monde se présente comme une immense foire d’empoigne, où jouera à fond la tendance au « chacun pour soi », où les alliances entre États n’auront pas, loin de là, le caractère de stabilité qui caractérisait les blocs, mais seront dictées par les nécessités du moment. Un monde de désordre meurtrier, de chaos sanglant dans lequel le gendarme américain tentera de faire régner un minimum d’ordre par l’emploi de plus en plus massif et brutal de sa puissance militaire ».
Ce scénario a été amplement démontré par les guerres qui ont suivi dans les Balkans, l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak, la guerre en Syrie, les nombreux conflits en Afrique, etc. En particulier, les tentatives du gendarme américain de maintenir un minimum d’ordre deviendraient un facteur majeur dans l’exacerbation du chaos, comme nous l’avons vu au Moyen-Orient en particulier.
Bien entendu, l’analyse proposée dans le Texte d’orientation sur le militarisme, publié au début des années 1990, présente une limite majeure. S’il démontre à juste titre l’incapacité de nouveaux prétendants tels que l’Allemagne et le Japon à former un nouveau bloc opposé aux États-Unis, il ne prévoit pas la montée en puissance de la Chine et sa capacité à être un défi majeur à la domination américaine. Mais cela invalide-t-il la conclusion du TO selon laquelle la tendance à la formation de nouveaux blocs ne sera pas à l’ordre du jour pendant une période indéfinie ?
Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’être clair sur ce que le CCI dit réellement sur le défi chinois aux États-Unis. Selon le camarade Steinklopfer,
« Dans l’analyse actuelle de l’organisation, cependant, la Chine n’est pas et ne sera jamais un concurrent sérieux des États-Unis, parce que son développement économique et technologique est considéré comme « un produit de la décomposition ». Si l’on suit cette interprétation, la Chine ne peut être et ne sera jamais plus qu’un pays semi-développé incapable de rivaliser avec les vieux centres du capitalisme d’Amérique du Nord, d’Europe ou du Japon. Cette interprétation n’implique-t-elle pas que l’idée, sinon d’un arrêt du développement des forces productives – que nous avons toujours, à juste titre, exclu comme caractéristique du capitalisme décadent – du moins de quelque chose qui n’en est pas loin, est maintenant postulée par l’organisation dans la phase finale de la décadence ? Comme un lecteur attentif l’aura noté, le 24ᵉ Congrès a condamné non seulement l’idée d’un défi global de l’impérialisme chinois comme remettant en cause la question de l’analyse théorique de la décomposition – l’idée même que la Chine a renforcé sa compétitivité au détriment de ses rivaux est rejetée comme une expression de mes prétendues illusions sur la bonne santé du capitalisme chinois ».
La position selon laquelle la Chine « ne sera jamais un concurrent sérieux des États-Unis » n’est pas du tout celle de l’organisation. Bien qu’il ait tardé à reconnaître l’importance de la montée de la Chine, depuis quelques années maintenant, le CCI insiste sur le fait que la stratégie impérialiste américaine – assurément depuis les années Obama, à travers la présidence Trump et en continuant sous Biden – est basée sur la compréhension que son principal rival est la Chine, tant sur le plan économique que militaire. Le rapport sur les tensions impérialistes publié dans le sillage de la guerre en Ukraine[7] développe l’argument selon lequel, derrière le piège que les États-Unis ont tendu à la Russie en Ukraine, derrière la tentative de saigner à blanc la Russie, la véritable cible de l’impérialisme américain est la Chine ; et il évoque assez longuement la « polarisation » croissante entre les États-Unis et la Chine comme un facteur central des rivalités impérialistes mondiales. Mais c’est une erreur – et nous pensons que le camarade Steinklopfer y tombe – de confondre ce processus de polarisation, dans lequel les rivalités entre les États-Unis et la Chine prennent de plus en plus le devant de la scène dans les événements mondiaux, avec la formation réelle de blocs militaires, qui impliquerait le développement d’alliances stables dans lesquelles une puissance est capable d’exercer une discipline sur ses « alliés ». Comme nous l’avons dit, le milieu prolétarien a prétendu que la guerre en Ukraine avait marqué une étape importante dans la marche vers de nouveaux blocs militaires, mais en réalité nous avons vu de nouvelles preuves de l’instabilité des alliances existantes :
– Si les États-Unis ont connu un certain succès en revigorant l’OTAN sous leur direction, ils n’ont pas mis fin à la volonté de pays comme l’Allemagne et la France d’adopter une ligne indépendante à l’égard de la Russie, comme en témoignent les tentatives de négociations séparées, la réticence à imposer des interdictions sur l’importation d’énergie russe et, surtout, la relance de la force militaire de l’UE et l’augmentation considérable du budget de la défense de l’Allemagne – une arme à double tranchant qui pourrait aller à l’encontre des intérêts américains à long terme ; entre-temps, la Turquie, membre de l’OTAN, a très clairement joué son propre jeu dans cette situation, comme en témoigne l’accord qu’elle a négocié entre l’Ukraine et la Russie pour permettre l’acheminement de céréales à partir des ports ukrainiens.
– Le « soutien » de la Chine à la Russie a été extrêmement discret malgré les demandes d’aide économique et militaire de la Russie. Il ne fait aucun doute que la classe dominante chinoise est consciente que la Russie est tombée dans le piège américain et sait qu’une Russie affaiblie constituerait un énorme fardeau plutôt qu’un « partenaire » utile.
– Un certain nombre de pays ont maintenu une position indépendante face à l’appel à isoler la Russie, notamment l’Inde et une série de pays d’Amérique du Sud et d’Afrique.
Nous devrions également souligner, en réponse à l’accusation selon laquelle le CCI « sous-estime le danger grandissant de confrontation militaire directe entre grandes puissances », que le rapport nie fermement que l’inexistence de blocs militaires rende le monde plus sûr, au contraire :
« L’absence de blocs rend paradoxalement la situation plus dangereuse dans la mesure où les conflits sont caractérisés par une plus grande imprédictibilité : « En annonçant qu’il plaçait sa force de dissuasion en état d’alerte, le président russe Vladimir Poutine a contraint l’ensemble des états-majors à mettre à jour leurs doctrines, le plus souvent héritées de la guerre froide. La certitude de l’annihilation mutuelle – dont l’acronyme en anglais MAD signifie « fou » – ne suffit plus à exclure l’hypothèse de frappes nucléaires tactiques, prétendument limitées. Au risque d’un emballement incontrôlé » (LMD, avril 2022, p.1). En effet, paradoxalement, on peut soutenir que le regroupement en blocs limitait les possibilités de dérapage
à cause de la discipline de bloc ;
à cause aussi de la nécessité d’infliger au préalable une défaite décisive au prolétariat mondial dans les centres du capitalisme (cf. l’analyse du cours historique dans les années 1980).
Ainsi, même s’il n’y a pas actuellement de perspective de constitution de blocs ou de troisième guerre mondiale, en même temps, la situation est caractérisée par une plus grande dangerosité, liée à l’intensification du chacun pour soi et à l’irrationalité croissante : l’imprévisibilité du développement des confrontations, les possibilités de dérapages de celles-ci, qui est plus forte que dans les années 50 à 80, marquent la phase de décomposition et constituent une des dimensions particulièrement préoccupante de cette accélération qualitative du militarisme. ».
Le danger esquissé ici n’est pas celui où la bourgeoisie est capable de faire marcher consciemment l’humanité vers une troisième guerre mondiale entre blocs, visant la conquête des marchés et des ressources des puissances rivales. Cela impliquerait que l’une des prémisses clés de la décomposition – l’incapacité de la bourgeoisie à offrir une perspective à l’humanité, aussi barbare soit-elle – ait été retirée de l’équation. Ce serait plutôt l’expression ultime de la propagation de l’irrationalité et du chaos qui sont si centraux dans la phase de décomposition. D’une certaine manière, Steinklopfer le reconnaît lui-même, lorsqu’il dit, plus loin dans le texte, qu’une spirale irréversible de destruction pourrait avoir lieu même sans la formation de blocs : « Il est de la plus haute importance politique de dépasser toute approche schématique, unilatérale de faire de l’existence de blocs impérialistes une précondition des affrontements militaires entre grandes puissances dans la situation actuelle », et il poursuit en affirmant que la tentative même d’empêcher la formation de nouveaux blocs pourrait rendre une troisième guerre mondiale plus probable. La provocation américaine à l’égard de la Russie s’inscrit assurément dans le cadre d’un effort visant à empêcher la formation d’un nouveau bloc entre la Russie et la Chine et elle pourrait effectivement prendre des proportions imprévisibles si une Russie désespérée décidait d’emprunter la voie suicidaire de l’utilisation de son arsenal nucléaire. Mais ce serait l’expression la plus claire de l’avertissement contenu dans les Thèses selon lequel le développement de la décomposition peut compromettre l’avenir de l’humanité même sans une mobilisation générale de la société pour une guerre mondiale.
Sans doute le camarade Steinklopfer fera-t-il référence à un passage prémonitoire de son texte (écrit avant la guerre en Ukraine) où il dit que
« La qualité nouvelle de la phase de décomposition consiste, à ce niveau, dans le fait que toutes les contradictions déjà existantes d’un mode de production en déclin sont exacerbées au plus haut point. Il en va de même avec la tendance au chacun-contre-tous qui est, elle aussi, exacerbée par la décomposition. Mais la tendance à la guerre entre puissances dominantes, et ainsi vers la guerre mondiale, est également exacerbée, comme le sont toutes les tensions générées par les mouvements vers la formation de nouveaux blocs impérialistes et par les tendances visant à les contrecarrer. L’incapacité à comprendre ceci nous amène aujourd’hui à gravement sous-estimer le danger de guerre, en particulier les conflits qui vont sortir des tentatives des États-Unis d’utiliser leur actuelle supériorité militaire contre la Chine, afin de stopper le développement de cette dernière, tout comme nous sous-estimons sérieusement le danger de conflits militaires entre l’OTAN et la Russie (ce dernier conflit étant, au moins à court terme, potentiellement encore plus dangereux que le conflit sino-américain du fait qu’il comporte un risque encore plus grand de déboucher sur une guerre thermonucléaire) ».
Il est assurément vrai que le CCI a initialement sous-estimé l’imminence de l’invasion russe en Ukraine, tout comme nous avons tardé à identifier les manœuvres machiavéliques des États-Unis destinées à attirer la Russie dans ce piège. Mais selon nous, il ne s’agissait pas d’une réfutation de notre cadre théorique sous-jacent, mais plutôt du résultat d’une incapacité à l’appliquer de manière cohérente. Après tout, nous avions déjà considéré la pandémie de Covid-19 comme la preuve d’une nouvelle et très sérieuse accélération de la décomposition capitaliste, et la guerre en Ukraine a pleinement confirmé ce jugement, en montrant que le processus de décomposition n’est pas simplement une descente lente et progressive vers l’abîme, mais sera ponctué de moments d’intensification et d’accélération sévères, comme ceux que nous vivons aujourd’hui.
Enfin, nous devons préciser que notre point de vue selon lequel la montée en puissance de la Chine n’a été possible qu’en conséquence de la décomposition, et à la dissolution des blocs en particulier, n’implique pas qu’il y ait eu un « arrêt du développement des forces productives » empêchant la Chine de devenir un rival sérieux des États-Unis. Au contraire, le développement de la Chine est un exemple éclatant de ce que, à la suite de Marx, nous avons décrit comme « la croissance comme déclin »[8], un processus où l’accumulation même des forces productives entraîne de nouvelles menaces pour l’avenir de l’humanité : par la dévastation écologique, la « production » de pandémies et l’aiguisement des antagonismes militaires. Non seulement la croissance chinoise est le résultat de la décomposition, mais elle est devenue un puissant facteur de son accélération. Argumenter, comme le fait le camarade Steinklopfer, qu’elle a eu lieu « malgré la décomposition » fait sortir la compréhension de l’essor de la Chine de notre cadre général d’analyse.
Lorsque nous en arrivons à l’évaluation de l’état actuel de la lutte de classe, nous devons à nouveau consacrer un certain temps dans notre réponse à insister sur le fait que la description de notre position par le camarade Steinklopfer n’est pas du tout exacte.
– Le camarade répète l’argument selon lequel nous ne considérons plus le manque de perspective du prolétariat comme un facteur de recul de la lutte de classe : « Il est déjà frappant dans la résolution du 23ᵉ Congrès que le problème de la faiblesse, bientôt de l’absence de perspective révolutionnaire prolétarienne, n’est pas considéré comme central pour expliquer les problèmes des luttes ouvrières au cours des années 80 ». Nous avons déjà répondu à cette question dans notre précédente réponse publiée à l’article de Steinklopfer sur le 23ᵉ Congrès : « le camarade Steinkopfler suggère que la résolution sur le rapport de forces entre les classes du 23ᵉ congrès ne s’intéresse plus au problème de la perspective révolutionnaire, et que ce facteur a disparu de notre compréhension des causes (et conséquences) de la décomposition. En fait, la question de la politisation de la lutte de classe et des efforts de la bourgeoisie pour empêcher son développement est au cœur de la résolution » [9]. Il ne pouvait guère en être autrement, car toute la base des Thèses sur la Décomposition est l’argument selon lequel si le monde capitaliste est dans un état d’agonie et de désintégration, c’est avant tout parce qu’aucune des deux grandes classes de la société n’est capable d’offrir une perspective pour l’humanité.
– Steinklopfer se trompe également lorsqu’il affirme que le CCI fonde aujourd’hui ses espoirs sur une simple augmentation de la combativité, une sorte de saut automatique vers la conscience révolutionnaire poussé par la crise, une vision conseilliste ou économiste qui néglige le rôle de la théorie révolutionnaire (et donc de l’organisation révolutionnaire). Mais nous n’avons jamais nié la nécessité de la politisation des luttes et le rôle clé des organisations politiques dans cette évolution, ni le poids négatif de la rupture organique et de la séparation des organisations politiques de la classe. Il est certes vrai qu’aucune organisation révolutionnaire n’est à l’abri de faire des concessions aux erreurs conseillistes, économistes ou immédiatistes, mais nous considérons que lorsque de telles erreurs se produisent, elles sont en désaccord avec notre cadre analytique fondamental, ce qui nous donne la capacité de les critiquer et de les surmonter [10].
D’autre part, nous avons considéré que le rejet apparent par Steinklopfer de l’importance centrale de la lutte défensive de la classe ouvrière contre l’impact de la crise économique – explicitement affirmée dans la section finale des Thèses sur la Décomposition comme un antidote vital à l’engloutissement dans le processus de putréfaction sociale – ouvrait la porte aux idées modernistes. Pas dans le sens explicite de ceux qui appellent les travailleurs à abandonner leurs luttes défensives ou qui exigent l’auto-négation immédiate du prolétariat dans le processus révolutionnaire. Le camarade, dans son récent texte, affirme clairement qu’il considère les luttes défensives comme indispensables à la récupération future de l’identité de classe et d’une perspective révolutionnaire. Le problème réside dans la tendance à séparer la dimension économique de la lutte de sa dimension politique et donc à ne pas reconnaître l’élément implicitement politique dans même la plus « petite » expression de la résistance de classe. Dans son texte précédent, il semblait y avoir une expression claire de cette séparation entre les dimensions politique/théorique dans le point de vue apparent selon lequel l’apport théorique de l’organisation révolutionnaire pourrait de lui-même compenser la dimension politique manquante dans la lutte défensive quotidienne, un point de vue que nous avons critiqué comme frisant le substitutionnisme [11]. Dans la nouvelle contribution, Steinklopfer a précisé que le développement de la dimension théorique ne peut pas être l’œuvre d’une minorité seule, mais doit finalement être le travail de millions de prolétaires. C’est bien, mais le camarade affirme ensuite que c’est la majorité du CCI qui l’a oublié. « Cependant, l’organisation a peut-être oublié que les masses prolétariennes sont capables de participer à ce travail de réflexion théorique ». Nous ne l’avons en fait pas oublié. L’une des raisons pour lesquelles nous avons accordé tant d’importance au mouvement des Indignés de 2011, par exemple, était qu’il était caractérisé par une culture du débat très animée dans les assemblées, où les questions sur les origines de la crise capitaliste et l’avenir de la société étaient soulevées et discutées comme étant tout aussi pertinentes pour le mouvement que les décisions sur les formes d’action immédiates[12].
Cependant, il y a une composante très importante dans la capacité de la classe ouvrière « dans sa masse » à se réapproprier la dimension théorique de son combat : le processus de « maturation souterraine », par lequel nous voulons dire que, même dans les périodes où la classe dans son ensemble est en retrait, un processus de politisation peut encore avoir lieu parmi une minorité de la classe, dont certains graviteront bien sûr vers les organisations politiques de la Gauche communiste. C’est cet aspect souvent « caché » de la politisation de la classe qui portera ses fruits dans des mouvements de classe plus étendus et plus massifs.
Dans le rapport sur la lutte de classe au 24ᵉ Congrès du CCI [13], nous avons souligné que le camarade Steinklopfer abandonne ou discrédite le concept de maturation souterraine en affirmant que nous assistons en fait à un processus de « régression souterraine » dans la classe ouvrière. Nous avons soutenu que cela ignore la réalité des éléments en recherche qui répondent à l’état désespéré de la société capitaliste, malgré les difficultés extrêmes évidentes de la classe à prendre conscience d’elle-même à un niveau plus général ; l’organisation révolutionnaire a la tâche d’aider ces éléments à pousser plus loin leurs réflexions et à comprendre toutes leurs implications aux niveaux théorique et organisationnel. D’autre part, le concept de régression souterraine ne peut qu’aboutir à une sous-estimation de l’importance de ce travail envers les minorités en recherche.
Dans le nouveau texte, la position du camarade vis-à-vis de la notion de régression souterraine reste très floue. D’une part, elle n’est ni défendue ni répudiée. D’autre part, juste avant d’accuser le CCI d’oublier que les masses prolétariennes sont capables de réfléchir, il semble se rapprocher de la notion d’une dynamique de maturation souterraine : « Le travail théorique est la tâche, non des révolutionnaires seuls, mais de la classe ouvrière comme un tout. Étant donné que le processus de développement du prolétariat est inégal, il est de la responsabilité particulière des couches les plus politisées du prolétariat de l’assumer ; des minorités, donc, oui, mais cela comprend potentiellement des millions d’ouvriers qui, loin de se substituer eux-mêmes à l’ensemble, pousseront pour impulser et stimuler plus avant les autres. Pour leur part, les révolutionnaires ont la tâche spécifique d’orienter et d’enrichir cette réflexion qui doit être accomplie par des millions. Cette responsabilité des révolutionnaires est au pire au moins aussi importante que celle d’intervenir dans des mouvements de grève, par exemple ». Ce qui reste flou dans l’évaluation du camarade, c’est de savoir si ce potentiel de maturation politique est quelque chose pour l’avenir ou s’il a déjà lieu, même à très petite échelle.
Ce sur quoi le camarade Steinklopfer continue d’insister dans le nouveau texte est l’importance des revers, des défaites politiques, que la classe ouvrière a subis depuis la résurgence initiale de la lutte de classe à la fin des années 60, qui a mis fin à la période précédente de contre-révolution. Selon lui, la majorité du CCI sous-estime la profondeur de ces défaites et cela – ainsi que notre amnésie sur la capacité des masses à la réflexion théorique – exprime une perte de confiance dans le prolétariat de notre part :
« Cette perte de confiance s’exprime elle-même dans le rejet de toute idée que le prolétariat a subi des défaites politiques importantes au cours des décennies qui ont suivi 1968. Faute de cette confiance, nous finissons par minimiser l’importance de ces très graves revers politiques, en nous consolant avec les luttes défensives quotidiennes, vues comme le principal creuset de la voie à suivre, ce qui est à mes yeux une concession significative à une approche « économiciste » de la lutte de classe déjà critiquée par Lénine et Rosa Luxemburg au début du XXᵉ siècle. La compréhension que le « prolétariat n’est pas vaincu », qui donnait une vision correcte et très importante dans les années 70 et 80, est devenue un article de foi, un dogme creux, qui empêche toute analyse sérieuse, scientifique du rapport de force ».
Énumérant ces défaites, le camarade, dans une proposition d’amendement à la résolution sur la situation internationale du 24ᵉ Congrès, fait référence à (a) l’incapacité de la première vague internationale à développer l’aspect politique de la lutte, un potentiel annoncé notamment par les événements de mai-juin 1968 en France (b) l’impact de l’effondrement du bloc de l’Est et les campagnes contre le communisme qui ont suivi et (c) l’échec de la classe à répondre à la crise économique de 2008, un échec qui a ouvert la voie à la montée du populisme.
Il est difficilement soutenable d’affirmer que le CCI ait rejeté « toute idée que le prolétariat a subi des défaites politiques importantes au cours des décennies qui ont suivi 1968 ». Le camarade Steinklopfer reconnaît lui-même que le concept même de décomposition est basé sur notre reconnaissance que le prolétariat n’a pas été capable de réaliser le potentiel politique révolutionnaire contenu dans les luttes ouvrières des années 70 et 80 ; de plus, la compréhension que l’effondrement du bloc de l’Est a initié un profond recul de la combativité et de la conscience de classe a été au centre de nos analyses au cours des trente dernières années ; et nous pouvons assurément citer un certain nombre d’importants mouvements de classe qui ont été largement défaits par la classe dominante, de la grève de masse en Pologne en 1980 aux mineurs britanniques en 1985, en passant par les Indignés en 2011, etc. (comme Rosa Luxemburg l’a si bien dit, la lutte de classe prolétarienne est la seule forme de guerre dans laquelle la victoire finale ne peut être préparée que par une série de défaites).
Ce que le CCI rejette, ce n’est pas la réalité ou l’importance de défaites, d’échecs ou de revers particuliers, mais l’idée que ceux qui se sont produits depuis les années 1980 constituent une défaite historique comparable à celle des années 20 et 30, dans laquelle la classe ouvrière des principaux centres du capitalisme a été réduite à l’état où elle est prête à accepter d’être emmenée à la guerre pour « résoudre » les problèmes du système. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’un dogme vide, mais qu’il continue à avoir une valeur opérationnelle, surtout en ce qui concerne la guerre actuelle en Ukraine, où la bourgeoisie des États-Unis et de l’Europe occidentale s’est donné beaucoup de mal pour éviter d’utiliser des troupes sur le terrain, sans parler de toute mobilisation directe des masses prolétariennes dans le conflit entre l’OTAN et la Russie.
Il est certain que, dans la période de décomposition, nous ne pouvons pas envisager une telle défaite historique de la même manière que dans la période 1968-89, où elle aurait été fondée sur la victoire de la bourgeoisie dans une confrontation décisive et directe entre les classes. Dans la période de décomposition, il y a un danger très réel que le prolétariat soit progressivement miné par la désintégration de la société sans même être un défi majeur à la bourgeoisie. Et les révolutionnaires doivent constamment évaluer si ce « point de non-retour » a été atteint. Selon nous, les signes continus de résistance de classe contre les attaques sur le niveau de vie (par exemple en 2019 et encore aujourd’hui, notamment en Grande-Bretagne au moment où nous écrivons ces lignes) est un signe que nous n’en sommes pas encore là ; un autre est l’émergence de minorités de recherche dans le monde entier.
En revanche, le camarade Steinklopfer semble régresser vers l’approche qui était valable dans la période précédente, lorsque le concept du cours historique était pleinement applicable, mais qui ne tient plus la route dans la phase de décomposition. Sans préciser ce qui a changé et ce qui reste inchangé dans la nouvelle phase, le camarade semble dériver vers l’idée que la classe ouvrière a subi une défaite à un niveau historique si important que le cours vers la guerre mondiale a été rouvert. Il ne dit pas quelles conséquences cela peut avoir, notamment pour l’activité de l’organisation révolutionnaire, et il avance de nombreuses mises en garde et réserves : « Non seulement parce que le prolétariat ne veut pas aller vers une telle guerre, mais parce que la bourgeoisie elle-même n’a pas l’intention de faire marcher qui que ce soit vers une nouvelle guerre mondiale ».
Les ambiguïtés de ce genre, comme nous l’avons noté, prolifèrent tout au long du texte et c’est pourquoi nous ne pensons pas que l’analyse actuelle du camarade offre une voie à suivre pour l’organisation.
Amos (août 2022)
[1] « Thèses sur la décomposition [109] », Revue internationale n° 107
[2] Le groupe Internationalist Voice [188] fait ici clairement exception. « Contrairement aux spéculations selon lesquelles cette guerre est le début de la troisième guerre mondiale, nous pensons que la troisième guerre mondiale n’est pas à l’ordre du jour de la bourgeoisie mondiale. Pour qu’une guerre mondiale ait lieu, les deux conditions suivantes doivent être remplies :
– l’existence de deux blocs impérialistes politiques, économiques et militaires ;
– une classe ouvrière vaincue au niveau mondial.
Au cours des dernières décennies, les conditions préalables essentielles à une guerre mondiale n’ont pas été réunies. D’une part, chacun des principaux acteurs – gangsters – pense à ses propres intérêts impérialistes. D’autre part, bien que la classe ouvrière ne soit pas prête à fournir le soutien nécessaire à l’alternative (c’est-à-dire une révolution communiste contre la barbarie du système capitaliste) et qu’elle ait reculé au cours de la dernière décennie, elle n’a pas été vaincue. Par conséquent, les guerres impérialistes qui peuvent s’enflammer ont tendance à se situer à un niveau régional et à être des guerres par procuration. Bien qu’il existe une sorte d’alliance entre la Russie et la Chine, et que certaines actions militaires russes bénéficient du soutien tacite de la Chine, nous ne devons pas oublier que chacune de ces puissances poursuit ses propres intérêts impérialistes, qui entreront inévitablement en conflit les uns avec les autres de temps à autre ».
[3] « Rapport sur la question du cours historique [189] », Revue internationale n° 164.
[4] « Texte d’orientation : militarisme et décomposition [190] », Revue internationale n° 64.
[5] « Rapport sur la décomposition aujourd’hui (Mai 2017) [191] », 22ᵉ Congrès du CCI, Revue internationale n° 164 ; « Militarisme et décomposition (mai 2022) [192] », Revue internationale n° 168.
[6] « Explication des amendements rejetés du camarade Steinklopfer [186] », « Divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24ᵉ Congrès du CCI (explication d’une position minoritaire, par Ferdinand) [187] ».
[7] « Signification et impact de la guerre en Ukraine [193] ».
[8] « Growth as decay [194] ».
[9] « Divergences avec la résolution sur la situation internationale du 23ᵉ congrès [185] ».
[10] Voir par exemple la Revue internationale n° 167, « Rapport sur la lutte de classe internationale au 24ᵉ Congrès du CCI [195] ». Ce rapport appuie une critique faite au rapport sur les luttes ouvrières en France en 2019 adopté par le 24ᵉ Congrès de notre section en France, qui contenait une surestimation du niveau de politisation de ces mouvements, et « ouvrait donc la porte à une vision conseilliste ».
[11] « Divergences avec la résolution sur la situation internationale du 23e congrès [185] ».
[12] Voir « Bilan critique du mouvement des Indignés de 2011 [196] ».
[13] « Rapport sur la lutte de classe internationale au 24ème Congrès du CCI [195] ».
Dans la continuité des documents de discussion publiés après le 23e Congrès du CCI(1), nous publions de nouvelles contributions exprimant des divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI(2). Comme dans la contribution précédente du camarade Steinklopfer, les désaccords portent sur la compréhension de notre concept de décomposition, sur les tensions inter-impérialistes et la menace de guerre, et sur le rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie. Afin d’éviter tout retard supplémentaire lié à la pression de l’actualité, nous publions les nouvelles contributions des camarades Ferdinand et Steinklopfer sans réponse défendant la position majoritaire au sein du CCI, mais nous ne manquerons pas de répondre à ce texte en temps voulu. Nous tenons à préciser que ces contributions ont été écrites avant la guerre en Ukraine.
Le CCI défend le principe scientifique de la clarification par le débat, par le moyen de la confrontation d’arguments fondés sur des faits, dans le but de parvenir à une compréhension plus profonde des questions auxquelles la classe est confrontée. La période actuelle est difficile pour les révolutionnaires. C’était déjà le cas avant la pandémie de Covid, mais au cours des deux dernières années, il a fallu examiner de nouveaux événements et évolutions. Aussi, il n’est pas surprenant qu’au sein d’une organisation révolutionnaire vivante, des polémiques sur l’analyse de la situation mondiale surgissent.
Les principales divergences au sein de l’organisation concernent les questions suivantes, d’une importance cruciale pour les perspectives du prolétariat :
a) Comment évaluer l’actuel rapport de forces entre les classes, après l’abandon du concept de cours historique ? La classe va-t-elle de défaite en défaite, ou avance-t-elle ?
b) Comment mesurer la maturation souterraine de la conscience de classe, le travail de la « vieille taupe » ? Y a-t-il une maturation significative, ou au contraire un recul ?
c) Concernant la situation économique : la crise pandémique produit-elle seulement des perdants, ou y a-t-il dans la situation des gagnants qui peuvent améliorer leur position ?
d) Concernant les tensions impérialistes : y a-t-il des polarisations significatives dans la constellation mondiale qui augmentent le danger d’une guerre généralisée ? Ou bien la tendance du chacun contre tous est-elle dominante, et donc un obstacle à une nouvelle constellation de blocs ?
Déjà après le 23e Congrès du CCI, qui s’est tenu en 2019, l’article de la Revue internationale rendant compte de ses travaux signalait des controverses dans nos rangs sur l’évaluation de la situation mondiale, notamment au niveau de la lutte des classes, ou plus précisément du rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat. La présentation de la Revue internationale n° 164 disait : « Lors du congrès, des divergences sont apparues sur l’appréciation de la situation de la lutte de classe et sa dynamique. Le prolétariat a-t-il subi des défaites idéologiques qui affaiblissent sérieusement ses capacités ? Y a-t-il une maturation souterraine de la conscience ou, au contraire, assistons-nous à un approfondissement du reflux de l’identité de classe et de la conscience ? »
Dans le même temps, en 2019, nous avons abandonné le concept de « cours historique », car nous avons reconnu que la dynamique de la lutte des classes dans la période actuelle de décomposition ne pouvait plus être analysée de manière adéquate dans ce cadre.
Dans les discussions entre 2019 et 2021, et finalement dans la préparation de la Résolution sur la situation internationale du 24e congrès, nous avons été confrontés à la poursuite des divergences dans l’évaluation de la situation mondiale actuelle.
Dans une large mesure, la controverse a été rendue publique en août 2020 dans le cadre d’un « débat interne ». L’article du camarade Steinklopfer, défendant des positions minoritaires, et la réponse du CCI, ont montré que le champ du débat englobait non seulement la question de la dynamique de la lutte de classe et de la conscience de classe, mais dans un sens plus large l’appréciation de la période de décomposition capitaliste, notamment l’application concrète du concept de décomposition – une notion qui, jusqu’à présent, est une caractéristique distinctive du CCI au sein du milieu politique prolétarien.
Puisque j’avais des désaccords similaires à ceux du camarade Steinklopfer avec la position majoritaire dans la période récente, j’ai été invité à les présenter non seulement par le biais de contributions internes mais aussi dans un article pour publication expliquant mes divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès.
La plupart des amendements que j’ai proposés à la Résolution du Congrès tournaient autour de la question économique, à savoir la dynamique, le poids et les perspectives du capitalisme d’État chinois. Simultanément, j’ai soutenu de nombreux amendements du camarade Steinklopfer qui défendaient des orientations identiques ou compatibles.
Mes divergences peuvent être résumées sous les rubriques suivantes (les numéros se réfèrent à la version de la Résolution sur notre site web en langue française) :
– la Chine, sa puissance économique et le capitalisme d’État (points 9 et 16 de la Résolution) ;
– l’évolution de la crise économique mondiale et du capitalisme d’État en décomposition (points 14, 15 et 19) ;
– la polarisation impérialiste et la menace de guerre (points 12 et 13) ;
– le rapport de forces entre les classes et la question de la maturation souterraine de la conscience (point 28).
La Résolution, après avoir montré la décomposition politique et idéologique aux États-Unis et en Europe, dit : « Et tandis que la propagande d’État chinoise met en évidence la désunion et l’incohérence croissantes des « démocraties », se présentant comme un rempart de la stabilité mondiale, le recours croissant de Pékin à la répression interne, comme contre le « mouvement démocratique » à Hong Kong et les musulmans ouïgours, est en fait la preuve que la Chine est une bombe à retardement. La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. » (point 9)
Elle déclare ensuite : « L’ouverture économique au cours de la période de Deng dans les années 80 a mobilisé d’énormes investissements, notamment en provenance des États-Unis, de l’Europe et du Japon. Le massacre de Tiananmen en 1989 a montré clairement que cette ouverture économique a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n’a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d’État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État, dont la cohésion est mise en péril par l’existence de forces centrifuges au sein de la société et d’importantes luttes de cliques au sein de la classe dominante. » (ibid.)
Au point 16, la Résolution affirme tout d’abord que la Chine est confrontée à la réduction des marchés à travers le monde, à la volonté de nombreux États de se libérer de leur dépendance à l’égard de la production chinoise et au risque d’insolvabilité auquel est confronté un certain nombre de pays impliqués dans le projet de la Route de la Soie, et que la Chine poursuit donc une évolution vers la stimulation de la demande intérieure et l’autarcie au niveau des technologies-clés, afin de pouvoir gagner du terrain au-delà de ses propres frontières et développer son économie de guerre. Ces évolutions, dit la Résolution, provoquent « de puissants conflits au sein de la classe dirigeante, entre les partisans de la direction de l’économie par le Parti communiste chinois et ceux liés à l’économie de marché et au secteur privé, entre les « planificateurs » du pouvoir central et les autorités locales qui veulent orienter elles-mêmes les investissements. » (point 16)
Les affirmations selon lesquelles la Chine est une bombe à retardement, que son État est faible et que sa croissance économique semble chancelante sont l’expression d’une sous-estimation du véritable développement économique et impérialiste de la Chine au cours des quarante dernières années. Vérifions d’abord les faits puis les fondements théoriques sur lesquels repose cette analyse erronée.
Il se peut que les tensions internes en Chine soient en réalité plus fortes qu’il n’y paraît – d’un côté les contradictions au sein de la société en général, de l’autre celles au sein du parti au pouvoir en particulier. Nous ne pouvons pas faire confiance à la propagande chinoise sur la force de son système. Mais ce que les médias occidentaux ou autres non chinois nous disent sur les contradictions en Chine est aussi de la propagande – et en plus c’est souvent un vœu pieux. Les éléments mentionnés dans la Résolution ne sont pas convaincants : un contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social et l’oppression de la « liberté d’expression démocratique » peuvent être des signes d’une faiblesse de la classe dirigeante. Je suis d’accord avec cela. Comme nous le savons depuis la période post-1968 avec un mouvement prolétarien en développement, la démocratie est beaucoup plus efficace pour contrôler la classe ouvrière, et les contradictions sociales en général, que ne le sont les régimes autoritaires. Par exemple, dans les années 1970, la bourgeoisie en Espagne, au Portugal et en Grèce a remplacé les régimes autoritaires par des régimes démocratiques en raison de la nécessité de gérer l’agitation sociale. Mais la classe ouvrière en Chine est-elle dans une dynamique similaire à celle du prolétariat en Europe du Sud dans les années 1970 ? Je pose cette question dans l’optique du rapport de forces entre les classes, que nous ne pouvons finalement mesurer correctement qu’à l’échelle mondiale.
La Résolution traite de la question du rapport de forces entre les classes dans sa dernière partie, et je reviendrai sur ce point. Mais nous pouvons anticiper une chose : il n’y a aucun élément en faveur de la thèse selon laquelle le prolétariat menace le régime de Xi Jinping.
Il en va de même pour d’autres contradictions au sein de la Chine continentale et de son appareil politique. Bien que les divergences d’intérêts entre le Parti au pouvoir et les très riches magnats de la technologie chinoise, comme Jack Ma (Alibaba) et Wang Xing (Meituan), soient évidentes, ces derniers ne semblent pas proposer de modèle alternatif à la République populaire, et encore moins constituer une opposition organisée. Par ailleurs, au sein du Parti, les luttes idéologiques importantes semblent appartenir au passé. Avant 2012 et la présidence de Xi Jinping, le dénommé « débat sur le gâteau » avait lieu dans les hautes sphères du parti : il y avait deux factions. L’une disait que la Chine devait s’attacher à faire grossir le gâteau – l’économie chinoise. L’autre voulait partager plus équitablement le gâteau existant. Un partisan de la seconde position était Bo Xilai, condamné à la prison à vie pour corruption et abus de pouvoir, un an après l’accession de Xi Jinping à la tête du parti et de l’État. Entre-temps, la position du « partage équitable » est devenue la doctrine officielle(3). Et il n’y a aucun signe d’un nouveau débat.
Selon les informations disponibles(4), les purges dans l’appareil de répression ont commencé au début de 2021. Dans la police, la police secrète, le système judiciaire et pénitentiaire, officiellement plus de 170 000 personnes ont été sanctionnées pour cause de corruption. Il s’agit d’un cynique étalage de pouvoir. Il en va de même pour le système de surveillance orwellien. Tout aussi fou est le culte de la personnalité autour de Xi Jinping. Mais est-ce la preuve de la « faiblesse de l’État » ? D’une « bombe à retardement » sous le fauteuil du président ?
En ce qui concerne les contradictions internes de la République populaire, ma thèse est l’opposée. Les cercles dirigeants de ce pays utilisent la crise pandémique pour restructurer son économie, son armée, son empire. Même si la croissance économique en Chine a ralenti ces derniers temps, derrière cela se cache, dans une certaine mesure, un plan calculé de l’élite politique dirigeante pour maîtriser les excès du capital privé et renforcer le capitalisme d’État pour le défi impérialiste. Le Parti coupe les ailes de certaines des entreprises les plus rentables et des magnats les plus riches ; c’est laisser s’échapper l’air de certaines bulles spéculatives afin de contrôler plus strictement l’ensemble de l’activité économique, avec le message propagandiste que tout cela vise à protéger les ouvriers, les enfants, l’environnement et la libre concurrence.
Les purges dans l’appareil de répression et l’étalage du pouvoir autoritaire sont des indices de tensions cachées (pas seulement au Xinjiang et à Hong Kong). Mais aucun modèle alternatif pour le cours du capitalisme d’État chinois n’est visible.
Telle est ma lecture de l’aspect factuel.
Si nous voulons comprendre le sens des divergences actuelles dans l’analyse de la Chine, nous devons examiner la théorie qui sous-tend la position majoritaire et donc la présente Résolution.
Le développement de la Chine a été minimisé dans nos rangs pendant des décennies. Cela est lié à une compréhension erronée et schématique de la décadence capitaliste. L’un de nos textes de référence du début de l’existence du CCI, « La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme », le formulait ainsi : « La période de décadence du capitalisme se caractérise par l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées. Les pays qui n’ont pas réussi leur « décollage » industriel avant la 1ʳᵉ guerre mondiale sont, par la suite, condamnés à stagner dans le sous-développement total, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui « tiennent le haut du pavé ». Il en est ainsi de grandes nations comme l’Inde ou la Chine dont « l’indépendance nationale » ou même la prétendue « révolution » (lire l’instauration d’un capitalisme d’État draconien) ne permettent pas la sortie du sous-développement et du dénuement. » (« La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme », 1980, Revue internationale n° 23).
Ce n’est qu’en 2015, dans le cadre du bilan critique de quarante ans d’analyses du CCI, que nous avons reconnu officiellement l’erreur de ce schéma :
• « Cette vision « catastrophiste » est due, en bonne partie, à un manque d’approfondissement de notre analyse du capitalisme d’État […] C’est cette erreur consistant à nier toute possibilité d’expansion du capitalisme dans sa période de décadence qui explique les difficultés qu’a eues le CCI à comprendre la croissance et le développement industriel vertigineux de la Chine (et d’autres pays périphériques) après l’effondrement du bloc de l’Est. » (« 40 ans après la fondation du CCI, quel bilan et quelles perspectives pour notre activité ? », 2015, Revue internationale n° 156).
Mais cette reconnaissance était mitigée. Bientôt les anciens schémas se sont glissés à nouveau dans nos analyses. Les implications de la contradiction entre nos vues « classiques » et la réalité étaient trop radicales. Pour combler cette contradiction, il aurait fallu aller aux racines des lois économiques du mouvement qui sont également à l’œuvre dans le capitalisme décadent. Au lieu de cela, le problème a été réglé avec la formulation « La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. » (point 9 de la présente Résolution, déjà citée ci-dessus) – brillante dans son imprécision. L’idée a été introduite en 2019, avec la Résolution du 23e Congrès international qui disait : « Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu. » (Revue internationale n° 164).
Mais alors que cette dernière formulation est correcte dans le sens où l’ouverture du monde à l’investissement du capital (la mondialisation) a eu lieu principalement dans la période de décomposition à la veille et après l’effondrement du système des blocs, et que cela a fait partie des conditions permettant la montée de la Chine comme atelier du monde, la phrase sur sa croissance comme « produit de la décomposition » est un pas en arrière vers la « vision catastrophiste ». Tout est un produit de la décomposition – et toute croissance est donc nulle et fausse. En outre : tout se décompose de manière homogène, une sorte de désintégration en douceur non seulement des relations humaines, de la morale, de la culture et de la société, mais du capitalisme lui-même.
La Résolution actuelle n’est pas en mesure de saisir la réalité de l’essor de la Chine au cours des quatre dernières décennies et de l’expliquer. Comme déjà cité plus haut, elle déclare simplement que « cette ouverture économique a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n’a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d’État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. » (point 9)
Une partie de ce raisonnement est tautologique : « l’ouverture économique a été mise en œuvre par […] une croissance économique frénétique » – le succès économique était dû au succès économique.
Pour le reste, la Résolution explique le succès de la Chine par rapport au sort du bloc russe avant 1989 en disant que cette performance était le résultat d’une « combinaison de terreur d’État » et d’une « exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant ». Qu’est-ce que cela explique ? La Résolution suggère-t-elle qu’une « combinaison de terreur d’État » et d’« exploitation impitoyable » sont les ingrédients d’un capitalisme réussi ? Et sont-ils distincts du stalinisme en Russie ?
J’ai proposé de supprimer la phrase et soutenu à la place une formulation que le camarade Steinklopfer a suggérée avec l’un de ses amendements : « […] Ce n’est pas un hasard si la Chine, contrairement à l’URSS et à son ancien bloc impérialiste, ne s’est pas effondrée vers la fin du XXe siècle. Son décollage a reposé sur deux avantages spécifiques : sur l’existence d’une gigantesque zone extra-capitaliste interne basée sur la paysannerie transformable en prolétariat industriel, et sur une tradition culturelle particulièrement ancienne et très développée (avant que l’industrialisation moderne ne commence en Europe, la Chine a toujours été l’un des principaux centres de l’économie mondiale, de la connaissance et de la technologie). »
On peut certainement se demander si le terme de « zones extra-capitalistes » est encore adapté pour décrire ce qui est pourtant un fait significatif, à savoir la nouvelle intégration d’une force de travail disponible dans le rapport et l’échange formels entre le capital et le travail salarié. L’idée est claire : le processus d’accumulation du capital en Chine était réel, et pas seulement factice. Il a eu lieu grâce à des ressources qui n’étaient pas encore formellement déterminées comme la vente de la force de travail et l’appropriation par les capitalistes de sa valeur d’usage. Comme pour toute accumulation sous le capitalisme, ce processus dans la Chine post-Mao nécessitait une force de travail nouvellement disponible (et des matières premières, c’est-à-dire dans une large mesure la nature, donc aussi une « zone extra-capitaliste » dans un certain sens). Les anciens paysans des campagnes se sont déplacés vers les villes et ont offert la force de travail nécessaire à l’exploitation capitaliste.
Pour éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe, il était également nécessaire que la Chine réadmette la sanction du marché capitaliste (la « main invisible » d’Adam Smith), en particulier à deux niveaux : le licenciement des ouvriers et la mise en faillite des entreprises non rentables. Seules ces mesures mises en œuvre par les cercles dirigeants autour de Deng Xiaoping et après ont permis au secteur du capital privé de fonctionner et à l’économie chinoise de rivaliser avec le reste du monde. Tout cela est négligé par la Résolution existante. Et les amendements qui devraient corriger les lacunes ont été rejetés en expliquant qu’ils remettraient en cause ou relativiseraient « l’impact de la décomposition sur l’État chinois ».
En effet, la réticence de la Résolution à reconnaître la réalité de la force de la Chine est ancrée dans la compréhension de la décadence capitaliste – et donc de la décomposition. Nous n’avons jamais conclu le débat sur les différentes analyses du boom économique de l’après-1945. La position majoritaire au sein du CCI semble être celle définie comme « marchés extra-capitalistes et endettement » (cf. Revue internationale n° 133-141)(5). Cette position théorique estime que les nouveaux marchés nécessaires à la vente d’une production accrue ne peuvent être qu’extra-capitalistes ou créés en quelque sorte artificiellement par la dette. Ceci est cohérent avec une compréhension littérale d’un argument central de L’Accumulation du capital de Rosa Luxemburg(6) – mais en désaccord avec la réalité. Ce n’est pas le bon endroit ici pour une analyse plus approfondie de ce talon d’Achille de l’analyse économique du CCI.
Il suffit, pour comprendre les divergences, de voir que la position officielle du CCI nie le fait que l’accumulation capitaliste signifie aussi la création de nouveaux marchés solvables dans le milieu capitaliste, sur la base d’échanges entre le travail salarié et le capital (bien qu’insuffisants par rapport aux besoins de l’accumulation sans entraves – ce dernier point n’est pas controversé). Parce que l’apparition de nouveaux marchés solvables dans la période de décadence est évidente, la position actuelle du CCI doit expliquer leur création d’une manière ou d’une autre. Et comme les marchés extra-capitalistes significatifs (dans le sens d’acheteurs solvables des marchandises produites) ne peuvent plus être détectés, l’accumulation continue est « expliquée » par la création de dettes, ou par des astuces qui « trichent avec la loi de la valeur ». Je reviendrai sur cette question dans le contexte des points suivants de la Résolution.
Sous le titre « Une crise économique sans précédent », la Résolution tente de proposer une analyse des conséquences de la pandémie de Covid-19 sur l’économie mondiale. Si je suis d’accord pour dire que la situation est sans précédent et donc que les conséquences ne sont pas faciles à prévoir, la compréhension de l’accumulation et de la crise capitalistes dans le cadre de la Résolution n’est pas suffisante pour analyser la réalité actuelle et ses forces motrices. De l’avis de la majorité du CCI qui a adopté la Résolution dans sa forme actuelle et rejeté les amendements proposés par Steinklopfer et moi-même, tout est subordonné à la « décomposition », une sorte de fragmentation homogène. Cette compréhension de la période de décomposition est schématique et – dans la mesure où elle nie la persistance de lois capitalistes élémentaires – par exemple la concentration et la centralisation du capital – un abandon du marxisme. Ce point de vue rejette explicitement l’idée que le séisme économique qui se produit en conséquence de la pandémie produit non seulement des perdants mais aussi des gagnants. Il réfute implicitement la persistance de la centralisation et de la concentration du capital, du transfert des profits des sphères moins technologiques vers celles à plus forte composition organique, et nie ainsi une polarisation supplémentaire entre les gagnants et les perdants. La pandémie a accéléré les tendances centrifuges typiques de la période de décomposition, mais pas de manière homogène. Des polarisations différentes ont lieu. Les riches deviennent plus riches, les entreprises rentables plus attractives, les États qui ont bien géré le Covid-19 étendent leurs marchés aux dépens des incompétents et renforcent leur appareil. Ces polarisations et ces disparités accrues dans l’économie mondiale font partie d’une réalité négligée par la Résolution actuelle, qui ne voit que fragmentation, perdants et incertitude. Au point 14, il est dit : « Cette irruption des effets de la décomposition dans la sphère économique affecte directement l’évolution de la nouvelle phase de crise ouverte, inaugurant une situation totalement inédite dans l’histoire du capitalisme. Les effets de la décomposition, en altérant profondément les mécanismes du capitalisme d’État mis en place jusqu’à présent pour « accompagner » et limiter l’impact de la crise, introduisent dans la situation un facteur d’instabilité et de fragilité, d’incertitude croissante. »
La Résolution sous-estime le fait que les économies fortes sont bien mieux loties que les faibles : « L’une des manifestations les plus importantes de la gravité de la crise actuelle, contrairement aux situations passées de crise économique ouverte et à la crise de 2008, réside dans le fait que les pays centraux (Allemagne, Chine et États-Unis) ont été frappés simultanément et sont parmi les plus touchés par la récession, la Chine par une forte baisse du taux de croissance en 2020. » (point 15)
Et elle nie que la Chine sorte gagnante de la situation : « Seule nation à avoir un taux de croissance positif en 2020 (2 %), la Chine n’est pas sortie triomphante ou renforcée de la crise pandémique, même si elle a momentanément gagné du terrain au détriment de ses rivaux. Bien au contraire. » (point 16)
La force motrice d’un capitaliste est la recherche du profit le plus élevé. En période de récession, lorsque tous ou la plupart des capitalistes subissent des pertes, le profit le plus élevé se transforme en perte la plus faible. Les entreprises et les États qui ont moins de pertes que leurs rivaux obtiennent de meilleurs résultats. Dans cette logique, la Chine est jusqu’à présent l’un des gagnants de la crise pandémique. D’ailleurs, les États-Unis sont aussi économiquement mieux lotis que la plupart des pays hautement industrialisés et émergents, en contradiction avec la phrase citée au point 15 de la Résolution.
Les tendances à la polarisation que je mets en avant ne sont pas en contradiction avec le cadre de la décomposition. Au contraire, les disparités croissantes augmentent l’instabilité mondiale. Mais cette instabilité est inégale. La pandémie conduit à une concentration accrue du capital compétitif, au remplacement du travail vivant par des machines et des robots, à une composition organique accrue. Le capital à la composition organique la plus élevée attire une partie des profits produits par les capitaux moins compétitifs. Tout cela se passe sur une base en réduction relative de travail vivant, car une partie de plus en plus importante de celui-ci devient superflue.
D’une part, cela aboutit à un fossé croissant et stupéfiant entre les parties rentables de l’économie mondiale et celles qui ne le sont pas. D’autre part, cela signifie une course sans merci entre les acteurs les plus avancés pour les profits restants.
Ces deux tendances ne renforcent pas la stabilité, mais leur réalité est contestée par la position « décomposition partout ». Cette dernière est une recherche permanente des phénomènes de dislocation et de désintégration, perdant de vue les tendances plus profondes et concrètes typiques des mutations actuelles.
Enfin, la Résolution parle respectivement de « tricheries avec la loi de la valeur » et avec les « lois du capitalisme », sans expliquer ce que sont ces lois et ce que signifieraient ces tricheries :
• « Non seulement le poids de la dette condamne le système capitaliste à des convulsions toujours plus dévastatrices (faillites d’entreprises et même d’États, crises financières et monétaires, etc.) mais aussi, en restreignant de plus en plus la capacité des États à tricher avec les lois du capitalisme, il ne peut qu’entraver leur capacité à relancer leur économie nationale respective. » (point 19)
• « La bourgeoisie continuera à se battre jusqu’à la mort pour la survie de son système, que ce soit par des moyens directement économiques (comme l’exploitation de ressources inexploitées et de nouveaux marchés potentiels, illustrés par le projet chinois de la Nouvelle route de la soie) ou politiques, surtout par la manipulation du crédit et les tricheries avec la loi de la valeur. Cela signifie qu’il peut toujours y avoir des phases de stabilisation entre des convulsions économiques ayant des conséquences de plus en plus profondes. » (point 20)
Ces formulations n’expliquent rien. Elles sont un déguisement improvisé pour l’absence d’un concept clair. Et sans ce dernier, tout ne devient qu’« instabilité et fragilité » et « incertitude croissante ».
Une conséquence de la négligence de la polarisation économique par le dernier Congrès international est la sous-estimation des tensions impérialistes et de la menace de guerre.
Après avoir admis que la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine tend à occuper le devant de la scène, et donné des exemples de nouvelles alliances, la Résolution minimise le danger d’une future constellation de blocs avec les mots suivants : « Toutefois, cela ne signifie pas que nous nous dirigeons vers la formation de blocs stables et une guerre mondiale généralisée. La marche vers la guerre mondiale est encore obstruée par la puissante tendance au chacun pour soi et au chaos au niveau impérialiste, tandis que dans les pays capitalistes centraux, le capitalisme ne dispose pas encore des éléments politiques et idéologiques – dont en particulier une défaite politique du prolétariat – qui pourraient unifier la société et aplanir le chemin vers la guerre mondiale. Le fait que nous vivions encore dans un monde essentiellement multipolaire est mis en évidence en particulier par les relations entre la Russie et la Chine. Si la Russie s’est montrée très disposée à s’allier à la Chine sur des questions spécifiques, généralement en opposition aux États-Unis, elle n’en est pas moins consciente du danger de se subordonner à son voisin oriental, et est l’un des principaux opposants à la « Nouvelle route de la soie » de la Chine vers l’hégémonie impérialiste. » (point 12)
Ces phrases sont cohérentes avec l’« incertitude » concernant la question économique et évitent une prise de position claire sur les tendances impérialistes actuelles. La Résolution s’avère tiède lorsqu’elle admet la confrontation évidente entre les États-Unis et la Chine et insiste sur le fait que « toutefois » cela ne signifie pas la « formation de blocs stables ». La position majoritaire n’a pas encore tiré les conséquences de notre reconnaissance, lors du 23e Congrès international, que le concept de cours historique n’est plus utile pour l’analyse du présent. Elle tente toujours de comprendre la situation actuelle dans le cadre du vieux schéma de la Guerre froide, enfoui sous les décombres du mur de Berlin. Que les alliances en formation deviennent vraiment ou non des « blocs stables » n’est pas la question centrale si nous voulons analyser le danger d’une guerre généralisée ou nucléaire, deux menaces très sérieuses pour une perspective communiste.
La Résolution répond à des questions qui ne se posent plus et passe à côté des vraies questions. Je reviendrai sur ce point dans la partie suivante de la critique, consacrée au rapport de forces entre les classes.
Un autre signe révélateur de la persistance de l’ancienne vision est la formulation suivante dans la Résolution : « Bien que nous n’assistions pas à une marche contrôlée vers la guerre menée par des blocs militaires disciplinés, nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d’accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie. ». (point 13)
La logique capitaliste de la polarisation entre la Chine et les États-Unis les pousse tous deux à trouver des alliés, à participer à la course aux armements et à se diriger vers la guerre. La question de savoir si cette marche est contrôlée ou non est une autre question. Mais il convient tout d’abord de préciser que la Chine et les États-Unis sont tous deux à la recherche d’alliances et se préparent à la guerre. Bien qu’une vision statique puisse nous amener à conclure que nous vivons « encore dans un monde essentiellement multipolaire » (point 12), la dynamique va dans le sens de la bipolarité.
En ce qui concerne la question de la stabilité des alliances et de la discipline de ses composantes, le fait est que les États-Unis sont offensifs dans leur recherche d’alliés face à la Chine. Cette dernière est désavantagée à plusieurs égards – au niveau de son armée, de sa technologie, de la géographie. Mais l’Empire du Milieu rattrape son retard avec détermination sur les premiers plans.
Cela devrait nous rappeler une vieille thèse de la société de classes, appelée le piège de Thucydide, qui dit que « lorsqu’une grande puissance menace d’en évincer une autre, le résultat en est presque toujours la guerre » (Alison Graham, 2015). Thucydide, le père de l’histoire scientifique, a écrit il y a plus de 2 400 ans que la cause première de la guerre du Péloponnèse était « l’accroissement de la puissance d’Athènes et l’inquiétude qu’elle inspirait à Sparte ». Il est certain que nous vivons dans un monde très différent, mais toujours dans une société de classes. Faudrait-il penser que le capitalisme dans sa période de décomposition est plus rationnel et donc plus enclin à éviter la guerre ?
Je pense que le prolétariat des pays centraux est encore un frein sur le chemin d’une guerre généralisée. Je suis d’accord avec cette idée, exprimée dans le point de la Résolution cité plus haut. Cependant, je ne partage pas l’opinion selon laquelle les expressions typiques de la décomposition telles que décrites par la Résolution, comme la « puissante tendance au chacun pour soi et au chaos au niveau impérialiste », constituent de véritables obstacles à des guerres généralisées ou nucléaires. C’est pourquoi j’ai approuvé et soutenu un autre amendement proposé par le camarade Steinklopfer, qui a toutefois été rejeté par la majorité : « Dans tout le capitalisme décadent jusqu’à présent, des deux principales expressions du chaos généré par le déclin de la société bourgeoise – les conflits impérialistes entre États et la perte de contrôle au sein de chaque capital national – dans les zones centrales du capitalisme lui-même, la première tendance l’a emporté sur la seconde. En supposant, comme nous le faisons, que cela continuera d’être le cas dans le contexte de la décomposition, cela signifie que seul le prolétariat peut être un obstacle aux guerres entre les principales puissances, et non cependant les divisions au sein de la classe dirigeante de ces pays. Si, dans certaines circonstances, ces divisions peuvent retarder le déclenchement de la guerre impérialiste, elles peuvent aussi la catalyser. »
Non seulement en ce qui concerne la question des constellations de blocs, mais aussi en ce qui concerne le rôle de la classe ouvrière, nous devons considérer les conséquences de notre dépassement en 2019 du concept de cours historique. En 1978, dans la Revue internationale n° 18, le CCI a formulé les critères d’évaluation du cours historique dans les termes suivants :
« De l’analyse des conditions qui ont permis le déclenchement des deux guerres impérialistes, on peut tirer les enseignements communs suivants :
le rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat ne peut se juger que de façon mondiale et ne saurait tenir compte d’exceptions pouvant concerner des zones secondaires : c’est essentiellement de la situation d’un certain nombre de grands pays qu’on peut déduire la nature véritable de ce rapport de forces ;
pour que la guerre impérialiste puisse éclater, le capitalisme a besoin d’imposer préalablement une défaite profonde au prolétariat, défaite avant tout idéologique mais également physique si le prolétariat a manifesté auparavant une forte combativité (cas de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Espagne entre les deux guerres) ;
cette défaite ne se suffit pas d’une passivité de la classe mais suppose l’adhésion enthousiaste de celle-ci à des idéaux bourgeois (« démocratie », « antifascisme », « socialisme en un seul pays ») ;
l’adhésion à ces idéaux suppose :
a) qu’ils aient un semblant de réalité (possibilité d’un développement infini et sans heurt du capitalisme et de la « démocratie », origine ouvrière du régime qui s’est établi en URSS) ;
b) qu’ils soient associés d’une façon ou d’une autre à la défense d’intérêts prolétariens ;
c) qu’une telle association soit défendue parmi les travailleurs par des organismes qui aient leur confiance pour avoir été dans le passé des défenseurs de leurs intérêts, en d’autres termes que les idéaux bourgeois aient comme avocat des organisations anciennement prolétariennes ayant trahi.
Telles sont, à grands traits, les conditions qui ont permis par le passé le déclenchement des guerres impérialistes. Il n’est pas dit a priori qu’une éventuelle guerre impérialiste à venir ait besoin de conditions identiques, mais dans la mesure où la bourgeoisie a pris conscience du danger que pouvait représenter pour elle un déclenchement prématuré des hostilités (malgré tous ces préparatifs préalables, même la seconde guerre mondiale provoque une riposte des ouvriers en 1943 en Italie et en 1944/45 en Allemagne), on ne s’avance pas trop en considérant qu’elle ne se lancera dans un affrontement généralisé que si elle a conscience de contrôler aussi bien la situation qu’en 1939 ou au moins qu’en 1914. En d’autres termes, pour que la guerre impérialiste soit de nouveau possible, il faut qu’il existe au moins les conditions énumérées plus haut et si tel n’est pas le cas, qu’il en existe d’autres en mesure de compenser celles faisant défaut. »
Lors du 23e Congrès en 2019, nous avons déclaré que ces critères ne s’appliquent plus à la situation actuelle. Nous devons donc poser la question de savoir si la bourgeoisie, pour déclencher la guerre, a encore besoin d’une « défaite physique » et d’une « adhésion enthousiaste à des idéaux bourgeois ».
Malgré cette controverse théorique générale, au niveau des concepts et des critères d’appréciation, nous semblons d’accord pour dire que le prolétariat reste, pour la bourgeoisie, un obstacle pour mener une guerre que les grands bastions du prolétariat dans les pays centraux auraient à soutenir d’une manière ou d’une autre. La Résolution prétend que le prolétariat n’a pas encore subi la « défaite politique » décisive (point 12). Ce faisant, la position majoritaire persiste dans l’idée centrale du concept du cours historique : soit cours à la guerre, soit cours à la révolution. Ainsi, la matrice de l’époque de la Guerre froide reste pertinente, bien que nous ayons constaté lors du 23e Congrès international que ce schéma n’est finalement plus adapté si l’on veut évaluer le rapport de forces aujourd’hui. Il n’est pas surprenant que cette faiblesse s’exprime également dans les parties de la Résolution qui parlent de la lutte de classe : « Malgré les énormes problèmes auxquels le prolétariat est confronté, nous rejetons l’idée que la classe a déjà été vaincue à l’échelle mondiale, ou qu’elle est sur le point de subir une défaite comparable à celle de la période de contre-révolution, un genre de défaite dont le prolétariat ne serait peut-être plus capable de se remettre. » (point 28)
La phrase est fausse à la fois dans la prémisse et dans sa conséquence apparemment logique.
La question de départ n’est pas exactement de savoir si le prolétariat a déjà été vaincu à l’échelle mondiale, donc définitivement vaincu, ou presque vaincu, dans une mesure comparable à celle de la période de la contre-révolution. Si l’on s’accorde sur le fait que le prolétariat mondial a subi une série de défaites au cours des quelque quarante dernières années, il faut trouver des critères permettant de mesurer l’étendue de cette ou ces défaites. La question n’est pas celle posée par l’horreur de la défaite physique des années 1930, la mort ou la vie, l’extermination du non-identique. Pour l’instant, il ne s’agit pas d’une situation de tout ou rien, mais d’une dégradation progressive de la conscience de classe, au moins dans son étendue. Mon hypothèse est qu’il s’agit d’un processus asymptotique(7) vers la défaite définitive.
La conséquence logique n’est donc pas « un genre de défaite dont le prolétariat ne serait peut-être plus capable de se remettre ». Si l’hypothèse est correcte (un processus graduel de perte de conscience, avant tout de la conscience de son identité de classe distincte), la conclusion doit être : la classe ouvrière peut encore inverser le processus, faire une sorte de demi-tour. Mais elle doit prendre conscience de la dynamique négative. Les révolutionnaires ont la responsabilité d’en parler dans les termes les plus clairs possibles.
La mauvaise matrice se trouve dans la description et la compréhension par la Résolution de l’état concret de la lutte de classe : « Le fait que, juste avant la pandémie, nous avons vu une réapparition fragile de la lutte de classe (aux États-Unis en 2018, et surtout en France en 2019). Et même si cette dynamique a ensuite été largement bloquée par la pandémie et les confinements, nous avons vu, dans un certain nombre de pays, des mouvements de classe significatifs même pendant la pandémie, notamment autour des questions de sécurité, notamment sanitaire, au travail » (ibid.).
La vision sous-jacente est celle d’une dynamique douce vers une conscience de classe plus forte, donc une dynamique positive, ou au moins une sorte de situation statique : ni positive ni négative, donc en quelque sorte neutre, sur la base d’une combativité de classe intacte.
Alors que mon évaluation est celle d’une dynamique de recul de la conscience de classe, une dynamique négative qui doit être inversée. Heureusement, la combativité pointe encore le bout de son nez ici et là. Mais la combativité n’est pas encore la conscience, même une augmentation de la première n’implique pas encore un élargissement ou un approfondissement de la seconde.
L’évaluation correcte de la situation actuelle et de sa dynamique interne est essentielle pour le prolétariat et ses organisations politiques. Les tâches de l’heure pour les révolutionnaires dépendent évidemment de la compréhension de cette situation objective et concrète.
À un autre niveau, nous devons considérer la question de la « vieille taupe » de Marx (dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Nous avons l’habitude de parler de ce phénomène en termes de maturation souterraine de la conscience de classe. La Résolution souligne le potentiel d’un profond renouveau prolétarien dont témoignent, entre autres, « Les signes, petits mais significatifs, d’une maturation souterraine de la conscience, se manifestant par une ébauche de réflexion globale sur la faillite du capitalisme et la nécessité d’une autre société dans certains mouvements (notamment les Indignés en 2011), mais aussi par l’émergence de jeunes éléments en recherche de positions de classe et se tournant vers l’héritage de la Gauche communiste » (ibid.).
La vague formulation sur les « signes, petits mais significatifs, d’une maturation souterraine de la conscience » est un compromis entre deux opposés irréconciliables : en avant ou en arrière ? Quelle direction du mouvement, avancée ou recul de la conscience de classe, y compris concernant ses composantes souterraines, non visibles ?
Dans les discussions avant et pendant le Congrès, j’ai défendu l’idée qu’il n’y a pas de maturation souterraine significative dans la classe. Nous avons besoin du concept de maturation souterraine afin de combattre les visions conseillistes et les pratiques similaires. C’est un acquis du CCI que la maturation souterraine a lieu aussi dans les moments de recul des luttes ou même dans les périodes de contre-révolution.
Mais c’est une autre chose de dire, comme le fait la majorité, que le mouvement de cette maturation est toujours ascendant.
Si l’on affirme que la maturation est en toute période un mouvement croissant, une régression est exclue. Cela signifie que l’on sous-estime deux choses. D’une part, nous sous-estimons la profondeur des difficultés de notre classe, y compris de ses parties les plus conscientes, et d’autre part, nous sous-estimons le rôle et les tâches spécifiques des révolutionnaires dans la période actuelle. Cette tâche n’est pas seulement quantitative, par la diffusion de positions révolutionnaires, mais c’est surtout un travail qualitatif, théorique, d’analyse en profondeur des tendances actuelles dans les différents domaines : les changements dans l’économie, les tensions impérialistes, et la dynamique dans la classe, surtout au niveau de la conscience. Il y a certainement le potentiel pour un développement de la conscience, mais le potentiel et la réalisation ne sont pas la même chose.
Ferdinand, janvier 2022
1 « Divergences avec la résolution sur la situation internationale du 23e congrès [185] », publié sur notre site web.
2 « Résolution sur la situation internationale (2021) [198] », Revue internationale n° 167.
3 Cela n’a pas aidé Bo Xilai, car il était officiellement en prison, non pas en raison de sa prétendue mauvaise orientation politique, mais pour corruption et abus de pouvoir.
4 Si je ne cite pas littéralement d’autres sources, je base les informations de cet article sur Wikipedia et The Economist.
5 Le lecteur attentif de nos résolutions arrivera à cette conclusion bien que les congrès du CCI n’aient sagement jamais soumis les concepts théoriques au vote.
6 Chapitre 26, vers la fin : « Dans le commerce capitaliste intérieur, le capital ne peut réaliser dans le meilleur des cas que certaines parties de la valeur du produit social total : le capital constant usé, le capital variable et la partie consommée de la plus-value. En revanche, la partie de la plus-value destinée à la capitalisation doit être réalisée « à l’extérieur ». »
7 Signifie couramment qu’une tendance tend vers une droite (un maximal théorique) en s’en rapprochant de plus en plus sans jamais l’atteindre.
Fin juillet, des réfugiés squelettiques, femmes, enfants et hommes mourants de soif, titubants, étaient recueillis à la frontière libyenne par des gardes-côtes. Un peu plus loin dans le désert saharien, plusieurs cadavres étaient retrouvés. Parmi eux, une mère et sa fillette. Insoutenables images ! Le père, qui les attendait déjà sur place, effondré par la nouvelle de leur disparition, exprimait avec douleur qu’il souhaitait « un avenir pour sa fille ». Un événement terrible parmi des milliers d’autres, dans un monde capitaliste sans perspective.
Quelques semaines auparavant, le 14 juillet, une n-ième embarcation de fortune, partie de Libye avec 750 personnes à bord coulait après un refoulement (« pushback ») raté de la garde côtière grecque. Face à ces horreurs, seul un faible écho dans les médias. A contrario, à peine huit jours plus tard, la disparition de cinq touristes VIP lors d’une excursion sous-marine vers l’épave du Titanic provoquait une intense couverture médiatique. Ce contraste en dit long sur la politique des États, qui tirent profit d’un fait divers dramatique pour faire oublier les cadavres des migrants noyés en Méditerranée.
La dégradation de la situation globale pousse à des migrations de plus en plus longues, complexes et dangereuses. Aujourd’hui, on enregistre un chiffre record de 110 millions de réfugiés dans le monde, de même qu’une augmentation du nombre des victimes, particulièrement en Méditerranée où la situation est une des pires au monde avec déjà plus de 2.000 victimes depuis le début de l’année 2023. Plus le nombre de migrants augmente, moins l’accès aux pays occidentaux est possible. Politique inhumaine au durcissement redoutable, interdisant dans les faits tout droit à l’exil.
Face à l’accentuation de la barbarie, à l’instabilité et au chaos dans le monde, les États ne se limitent plus à s’afficher comme forteresses imprenables, avec des kilomètres de barbelés et des murailles dressées. Ils se sont dotés de technologies de surveillance et d’outils de flicage visant à verrouiller implacablement l’accès aux frontières. Les pires victimes sont probablement les migrants de l’espace subsaharien et de la corne de l’Afrique. Déjà victimes de la logique capitaliste avec la guerre, les bandes criminelles armées, l’insécurité, le changement climatique avec la sécheresse et la famine, ces populations sont poussées en ultime recours à l’exode.
Si le capitalisme en faillite tend à entraîner l’humanité dans les décombres et la pauvreté absolue, les effets destructeurs de la crise qui marquaient plus fortement les pays de la périphérie depuis des décennies touchent désormais plus fortement les pays occidentaux qui refusent de manière drastique la moindre « bouche inutile ». Seuls les réfugiés de l’Ukraine, pour la propagande de guerre, et les migrants les plus riches et diplômés, susceptibles de renflouer quelques secteurs « en tension » pour des conditions de travail pénibles et des salaires de misère, peuvent espérer, après des tracasseries administratives ubuesques, un hypothétique asile en échange d’une exploitation forcenée. Mais pour la majorité des « crèves la faim », l’Union européenne est devenue une destination inaccessible et même mortelle.
Les pays démocratiques ont parallèlement renforcé, avec une brutalité inouïe, tout leur arsenal juridique à des fins de dissuasion, (1) criminalisant davantage les migrants et même les ONG qui viennent en aide aux naufragés. (2)
Pour se délester d’un sale boulot et ne pas trop se salir les mains, les États de l’Union européenne ont surtout complété leur arsenal en externalisant leurs propres frontières, en donnant mandat à des pays tiers, au bord de la Méditerranée, d’assurer la rétention des migrants, déléguant le maintien de l’ordre dans des camps éloignés, hors du territoire européen. Cela, contre rétribution, pour une gestion « offshore » où les maltraitances, la traite d’êtres humains et les tortures sont légions, où les conditions de vie sont souvent proches de l’univers carcéral le plus sordide. Une politique entièrement assumée par l’Union européenne, notamment via les financements de l’Agence Frontex, permettant aux gardes côtes de ces pays tiers de procéder carrément à des refoulements (« pushback ») bien pratiques et pourtant « illégales » au regard des lois occidentales.
Fidèles aux consignes non avouées de l’Union européenne, les autorités tunisiennes, par exemple, comme le montrent les tragédies au Sahara, n’ont pas hésité à abandonner de façon délibérée dans le désert des réfugiés sans eau ni nourriture dans le but de les faire crever ! Une politique monstrueuse qui, outre le chantage pratiqué par les pays tiers pour l’occasion, prend les migrants comme simple monnaie d’échange. La complicité de facto de l’Union européenne avec ces États et leurs méthodes musclées doit empêcher toute demande d’asile : soit maintenir hors circuit les candidats à l’exil en bloquant les frontières ou alors les condamner à mort dans la Méditerranée (ou le désert) s’ils se résignent à partir finalement. Et c’est bien ce qui se produit !
Les États bourgeois, sous leur masque démocratique, sont de véritables assassins ! L’hypocrite « droit » d’asile est bafoué même pour des enfants martyrisés ou en détresse, même pour des gens maltraités ou mutilés. Il y a de quoi avoir la nausée ! Surtout quand, à l’instar de ce que commandite l’Union européenne, les migrants sont parqués contre leur gré par des gardes chiourmes, ceux de l’État Turc, Libyen ou Égyptien, etc.
La manière détournée de laisser crever les migrants, la multiplication des naufrages et des cadavres témoigne non seulement de l’hypocrisie et du cynisme de l’Union européenne, mais aussi et surtout de leurs pratiques criminelles, de leur volonté de liquider de sang-froid les « indésirables ».
Pour accompagner ses pratiques ignobles et répugnantes, la bourgeoisie ne se contente pas d’éloigner ou d’éliminer ceux qu’elle n’accepte pas sur son sol. Elle cultive les peurs, instrumentalisant les pires réflexes xénophobes au sein de la population, montant les ouvriers les uns contre les autres, opposant les populations locales aux migrants présentés comme de dangereux concurrents qui viennent « prendre leur place » et « dégrader leurs conditions de vie ».
Cela commence déjà sur la route de l’exode et le passage dans des pays tiers : « En désignant la migration subsaharienne comme un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie, le chef de l’État tunisien a fait de tout migrant subsaharien un complice présumé de ce prétendu complot ». (3) De telles politiques encouragent les agressions, les persécutions et autres violences contre les migrants, comme cela s’est produit en de nombreuses occasions dans la ville portuaire tunisienne de Sfax, devenue rapidement un véritable calvaire pour les exilés.
Pour les migrants qui arrivent par miracle dans les pays occidentaux, les souffrances se poursuivent sous la forme de l’exclusion, de préjugés racistes véhiculés par les théories d’extrême droite, instrumentalisées par l’État de manière ignoble d’un côté, mais aussi et surtout par une propagande gauchiste « anti-raciste » de la « défense des droits », opposant sournoisement ouvriers et immigrés, cherchant à pourrir les consciences au détriment d’un véritable combat ouvrier commun. La classe ouvrière doit absolument rejeter tous les préjugés démocratiques, de même qu’elle doit rejeter fermement « les pièges tendus par la bourgeoisie autour de luttes parcellaires (pour sauver l’environnement, contre l’oppression raciale, le féminisme, etc.) qui le détournent de son propre terrain de classe ». (4)
Le seul véritable soutien que les ouvriers peuvent apporter aux migrants persécutés n’est autre que celui de la lutte contre la dégradation de ses conditions de vie et la barbarie croissante, afin d’affirmer à terme le seul projet historique viable : la destruction du capitalisme et l’édification d’une société sans exploitation et sans frontières.
WH, 1 septembre 2023
1 Au Royaume-Uni, par exemple, qui n’est plus membre de Frontex, le projet de loi sur l’immigration illégale interdit aux personnes irrégulières de présenter une demande d’asile ou toute autre demande de protection en vertu de leurs droits fondamentaux, et ce, quelle que soit la gravité de la situation dans laquelle elles se trouvent. En outre, cette loi prévoyait carrément, avant d’être rejetée par la justice, leur expulsion vers un autre pays (comme le Rwanda), sans un semblant de garantie que ces personnes pourraient y obtenir une protection minimale.
2 L’Italie, la Grèce et Malte ont déclenché des enquêtes administratives et pénales à l’encontre des ONG. L’Italie a déjà immobilisé et imposé des sanctions pécuniaires à des navires de sauvetage qui n’auraient pas respecté la nouvelle loi italienne.
3 Cf. « Tunisie : dans la ville portuaire de Sfax, l’espoir blessé des migrants subsahariens », Le Monde (29 juin 2023).
4 « Résolution sur la situation internationale du 25ᵉ Congrès du CCI », Revue internationale n° 170 (2023).
Le texte « Divergences avec la Résolution sur la situation internationale du 24e Congrès du CCI (explication d’une position minoritaire, par Ferdinand) [187] » présente les désaccords du camarade Ferdinand avec l’analyse du CCI de la période présente. Ces divergences recoupent largement, comme il le souligne lui-même (« Puisque j’avais des désaccords similaires à ceux du camarade Steinklopfer »), celles formulées par le camarade Steinklopfer lors du 23ᵉ Congrès du CCI et rappelées par celui-ci dans un texte présentant ses amendements à la résolution du 24ᵉ Congrès du CCI. Nous avons largement répondu à ces divergences en 2019 et plus récemment dans une contribution publiée ici. Les arguments développés dans cette dernière exposent des arguments largement valables également pour l’essentiel des critiques formulées dans le texte de Ferdinand, et nous ne les redévelopperons donc pas ici1.
Cette contribution se centrera plutôt sur la compréhension de la situation en Chine, qui occupe une place importante dans la contribution de Ferdinand. Avant tout, nous sommes d’accord avec Ferdinand lorsqu’il souligne l’importance du débat, en particulier dans une période marquée par l’apparition d’événements nouveaux où « il n’est pas surprenant qu’au sein d’une organisation révolutionnaire vivante, des polémiques sur l’analyse de la situation mondiale surgissent ». De fait, dans une organisation non monolithique comme le CCI, il serait inquiétant que, face aux bouleversements des dernières années, aucun questionnement ou désaccord ne surgisse. Sur ce plan, comprendre « l’évolution de la Chine, sa puissance économique et le capitalisme d’État » constitue une question centrale non seulement pour mieux comprendre la dynamique actuelle du capitalisme mais aussi pour analyser la situation en mettant en pratique la méthode marxiste.
Dès le début de sa contribution, Ferdinand exprime ses critiques concernant l’analyse de la situation en Chine par l’organisation et pose la méthode qu’il a l’intention de développer : « Les affirmations selon lesquelles la Chine est une bombe à retardement, que son État est faible et que sa croissance économique semble chancelante sont l’expression d’une sous-estimation du véritable développement économique et impérialiste de la Chine au cours des quarante dernières années. Vérifions d’abord les faits puis les fondements théoriques sur lesquels repose cette analyse erronée ». Examinons donc de plus près quels sont les faits auxquels il est fait référence ici et ensuite les fondements théoriques que Ferdinand estime erronées. Mais avant cela, qu’en est-il de l’assertion que le CCI a toujours sous-estimé le développement de la Chine et qu’il continue à le faire ?
Une première manière, insidieuse, de mettre en doute l’analyse de l’organisation est d’affirmer qu’elle aurait toujours négligé le développement de la Chine (« Le développement de la Chine a été minimisé dans nos rangs pendant des décennies ») et qu’elle continue à le faire (« Mais cette reconnaissance était mitigée. Bientôt les anciens schémas se sont glissés à nouveau dans nos analyses »). Or, il est assez inexact de dire que le CCI a négligé pendant des décennies le développement de la Chine.
Ainsi, dès la fin des années 1970, le CCI mettait en évidence une évolution dans le rapport de forces entre les blocs d’une importance capitale pour le futur :
« Comme ailleurs, la devise du capital chinois devient : « exporter ou mourir ». Mais en raison de la faiblesse de son économie et faute de positions sur le marché mondial, la Chine ne peut plus jouer cavalier seul et, en conséquence, est contrainte de s’intégrer plus fortement dans le bloc occidental, comme en témoignent au niveau économique sa balance commerciale et au niveau politique son soutien à toutes « les politiques occidentales ou du tiers-monde hostiles à Moscou » ». (Révolution internationale n° 41 [202], septembre 1977) ;
« Les années passées ont vu un renforcement considérable de l’impérialisme américain et un affaiblissement de son rival russe. L’intégration de la Chine dans le bloc américain et la participation au réarmement de Pékin signifient que le Kremlin rencontrera une force de plus en plus puissante sur sa frontière Est – une force qui barrera fermement la route vers les bases industrielles japonaises. Même les efforts de l’impérialisme russe pour chasser la Chine de la péninsule indochinoise ne peuvent compenser cette victoire de l’impérialisme américain en Extrême-Orient. » (« Rapport sur la situation internationale [203] », 3e congrès international du CCI, 1979, Revue internationale n° 18).
Il s’agit là d’une dynamique cruciale qui s’enclenche dans le courant des années 1960 et 70 à travers la « rupture idéologique avec Moscou » de la Chine, son détachement du bloc russe et, dans le courant des années 1970 (visite de Nixon à Pékin en 1972 et établissement de relations diplomatiques en 1979), le rapprochement progressif du bloc américain afin de « travailler ensemble [et de] s’unir pour contrer l’ours polaire » (Deng Xiaoping en 1979).
Pendant 70 ans (dont 30 ans de domination du parti « communiste »), c’est-à-dire l’essentiel du XXe siècle, la Chine avait été une des expressions les plus manifestes de l’entrée en décadence du capitalisme – économie en ruine, guerres civiles, immixtions et invasions d’impérialismes étrangers, famines gigantesques, flots de réfugiés et massacre de millions de personnes. Son intégration au marché occidental a permis son développement économique et une formidable modernisation technologique, en particulier vers la fin des années 1980 et durant les années 1990. Dans le courant des années 1990 et le début des années 2000, le CCI a progressivement mis en évidence et analysé la montée en puissance de la Chine :
– sur le plan économique, en soulignant que cela ne remettait nullement en question l’analyse de la décadence du capitalisme :
« La décadence du capitalisme n’a jamais signifié un effondrement soudain et brutal du système, comme certains éléments de la Gauche allemande la présentaient dans les années 1920, ni un arrêt total du développement des forces productives, comme le pensait à tort Trotsky dans les années 30. […] la bureaucratie chinoise (figure de proue du « boom » actuel) a réussi le tour de force stupéfiant de se maintenir en vie. Certains critiques vis-à-vis de la notion de décadence du capitalisme ont même présenté ce phénomène comme la preuve que le système a encore la capacité de se développer et de s’assurer une croissance réelle.
En réalité, le « boom » chinois actuel ne remet en aucune façon en question le déclin général de l’économie capitaliste mondiale. Contrairement à la période ascendante du capitalisme :
– la croissance industrielle actuelle de la Chine ne fait pas partie d’un processus global d’expansion ; au contraire, elle a comme corollaire direct la désindustrialisation et la stagnation des économies les plus avancées qui ont délocalisé en Chine à la recherche de coûts de travail moins chers ;
– la classe ouvrière chinoise n’a pas en perspective une amélioration régulière de ses conditions de vie, mais on peut prévoir qu’elle subira de plus en plus d’attaques contre ses conditions de vie et de travail et une paupérisation accrue d’énormes secteurs du prolétariat et de la paysannerie en dehors des principales zones de croissance ;
– la croissance frénétique ne contribuera pas à une expansion globale du marché mondial mais à un approfondissement de la crise mondiale de surproduction : étant donné la consommation restreinte des masses chinoises, le gros des produits chinois est dirigé vers l’exportation dans les pays capitalistes les plus développés ;
– l’irrationalité fondamentale de l’envolée de l’économie chinoise est mise en lumière par les terribles niveaux de pollution qu’elle a engendrés – c’est une claire manifestation du fait que l’environnement planétaire ne peut être qu’altéré par la pression subie par chaque pays pour qu’il exploite ses ressources naturelles jusqu’à la limite absolue pour être compétitif sur le marché mondial ;
– à l’image du système dans son ensemble, la totalité de la croissance de la Chine est basée sur des dettes qu’elle ne pourra jamais compenser par une réelle extension sur le marché mondial.
D’ailleurs, la fragilité de toutes ces bouffées de croissance est reconnue par la classe dominante elle-même, qui est de plus en plus alarmée par la bulle chinoise – non parce qu’elle serait contrariée par les niveaux d’exploitation terrifiants sur laquelle elle est basée, loin de là, ces niveaux féroces sont précisément ce qui rend la Chine si attrayante pour les investissements – mais parce que l’économie mondiale est devenue trop dépendante du marché chinois et que les conséquences d’un effondrement de la Chine deviennent trop horribles à envisager, non seulement pour la Chine – qui serait replongée dans l’anarchie violente des années 30 – mais pour l’économie mondiale dans son ensemble. […]
Il est vrai que l’entrée dans la décadence s’est produite bien avant que ces marchés se soient épuisés et que le capitalisme a continué à faire le meilleur usage possible de ces aires économiques restantes en tant que débouché pour sa production : la croissance de la Russie pendant les années 30 et l’intégration des économies paysannes qui subsistaient pendant la période de reconstruction après la guerre en sont des exemples. Mais la tendance dominante, et de loin, dans l’époque de décadence, est l’utilisation d’un marché artificiel, basé sur l’endettement. » (« Résolution sur la situation internationale [204] », 16e congrès international du CCI, 2005, Revue internationale n° 122)2 ;
– sur le plan de la manifestation de sa puissance impérialiste de plus en plus proéminente dès le début du XXIe siècle :
« En particulier, elle ne saurait décourager la Chine de faire prévaloir les ambitions impérialistes que lui permet son statut récent de grande puissance industrielle. Il est clair que ce pays, malgré son importance démographique et économique, n’a absolument pas les moyens militaires ou technologiques, et n’est pas près de les avoir, de constituer une nouvelle tête de bloc. Cependant, il a les moyens de perturber encore plus les ambitions américaines – que ce soit en Afrique, en Iran, en Corée du Nord, en Birmanie, et d’apporter sa pierre à l’instabilité croissante qui caractérise les rapports impérialistes » (« Résolution sur la situation internationale, 19e congrès international du CCI [205] », 2011, Revue internationale n° 146).
Non pas un manque d’attention porté au développement de la Chine, mais un certain schématisme, en particulier au niveau de la compréhension des manifestations de la décadence, a certes caractérisé l’application et l’approfondissement de ce cadre d’analyse, comme le CCI l’a pointé lui-même lors de son 21e congrès international en 2015 :
« Le déni, dans certains de nos textes clefs, de toute possibilité d’expansion du capitalisme dans sa phase décadente a aussi rendu difficile pour l’organisation d’expliquer la croissance vertigineuse de la Chine et d’autres « nouvelles économies » dans la période qui a suivi la chute des vieux blocs. Alors que ces développements ne remettent pas en question, comme beaucoup l’ont dit, la décadence du capitalisme et en sont d’ailleurs une claire expression, ils sont allés à l’encontre de la position selon laquelle dans la période de décadence, il n’y a strictement aucune possibilité d’un décollage industriel dans des régions de la « périphérie ». Alors que nous avons été capables de réfuter certains des mythes les plus faciles sur la « globalisation » dans la phase qui a suivi l’effondrement des blocs (mythes colportés par la droite qui y voyait un nouveau et glorieux chapitre dans l’ascendance du capitalisme, comme par la gauche qui s’en est servie pour une revitalisation des vieilles solutions nationalistes et étatiques), nous n’avons pas été capables de discerner le cœur de la vérité dans la mythologie mondialiste : que la fin du vieux modèle autarcique ouvrait de nouvelles sphères aux investissements capitalistes, y compris l’exploitation d’une nouvelle source énorme de force de travail prélevée en dehors des rapports sociaux directement capitalistes. » (« Résolution sur la situation internationale [206] », point 10, 21e congrès international du CCI, 2015, Revue internationale n° 156).
« Cependant, nous avons été moins capables de prévoir la capacité de la Russie de ré-émerger en tant que force qui compte sur la scène mondiale, et plus important, nous avons beaucoup tardé à voir la montée de la Chine en tant que nouvel acteur significatif dans les rivalités entre grandes puissances qui se sont développées dans les deux ou trois dernières décennies – un échec étroitement connecté à notre problème de reconnaissance de la réalité de l’avancée économique de la Chine ». (« Résolution sur la situation internationale [206] », point 11, 21e congrès international du CCI, 2015, Revue internationale n° 156).
Toutefois, l’assertion même de Ferdinand que si cela a été le cas dans le passé cela ne peut qu’être toujours le cas aujourd’hui, est un mode d’argumentation fallacieux. Depuis que ce danger a été reconnu par l’organisation, on peut constater que l’attention portée au cadre de compréhension du développement de la Chine a été soutenu dans les analyses récentes de l’organisation :
« Les étapes de l’ascension de la Chine sont inséparables de l’histoire des blocs impérialistes et de leur disparition en 1989 : la position de la Gauche communiste affirmant « l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées » dans la période de décadence et la condamnation des états « qui n’ont pas réussi leur « décollage industriel » avant la première guerre mondiale à stagner dans le sous-développement, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui tiennent le haut du pavé » était parfaitement valable dans la période de 1914 à 1989. C’est le carcan de l’organisation du monde en deux blocs impérialistes adverses (permanente entre 1945 et 1989) en vue de la préparation de la guerre mondiale qui empêchait tout bouleversement de la hiérarchie entre puissances. L’essor de la Chine a commencé avec l’aide américaine rétribuant son changement de camp impérialiste en faveur des États-Unis en 1972. Il s’est poursuivi de façon décisive après la disparition des blocs en 1989. La Chine apparaît comme le principal bénéficiaire de la “globalisation” suite à son adhésion à l’OMC en 2001 quand elle est devenue l’atelier du monde et la destinataire des délocalisations et des investissements occidentaux, se hissant finalement au rang de seconde puissance économique mondiale. Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu.
La puissance de la Chine porte tous les stigmates du capitalisme en phase terminale : elle est basée sur la surexploitation de la force de travail du prolétariat, le développement effréné de l’économie de guerre du programme national de « fusion militaro-civile » et s’accompagne de la destruction catastrophique de l’environnement, tandis que la « cohésion nationale » repose sur le contrôle policier des masses soumises à l’éducation politique du Parti unique et la répression féroce des populations allogènes du Xinjiang musulman et du Tibet. En fait, la Chine n’est qu’une métastase géante du cancer généralisé militariste de l’ensemble du système capitaliste : sa production militaire se développe à un rythme effréné, son budget défense a été multiplié par six en 20 ans et occupe depuis 2010 la 2e place mondiale » (« Résolution sur la situation internationale [207] », 23e congrès international du CCI, 2019, Revue internationale n° 164).
En réalité, ce n’est pas la sous-estimation de l’expansion de la Chine qui pose problème à Ferdinand, mais le cadre d’interprétation même qui est exploité (« la formulation « La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. » »). Pour Ferdinand, l’examen des « faits » en eux-mêmes démontrerait déjà l’inconsistance de l’approche du CCI.
Ferdinand veut examiner « les faits », mais il commence par sélectionner ceux qui lui conviennent : « Nous ne pouvons pas faire confiance à la propagande chinoise sur la force de son système. Mais ce que les médias occidentaux ou autres non chinois nous disent sur les contradictions en Chine est aussi de la propagande – et en plus c’est souvent un vœu pieux. ». Dès lors, il peut balayer d’un trait les « faits » avancés par l’organisation (« Les éléments mentionnés dans la Résolution ne sont pas convaincants ») tout en sélectionnant les sources qu’il estime « crédibles » (« je base les informations de cet article sur Wikipedia et The Economist »).
En conséquence, les « faits » qu’il daigne examiner se limitent uniquement à la question des tensions internes au sein des classes dirigeantes. Et qui plus est, son mode d’argumentation est des plus curieux :
– Ferdinand compare de manière absurde les changements de l’ordre de bataille au sein de certaines bourgeoisies en Europe de l’Ouest dans les années 1970, sous la pression de la lutte de classe, avec l’exacerbation des tensions internes entre cliques au sein des bourgeoisies nationales, qui est avant tout un phénomène de la phase de décomposition du capitalisme et plus spécifiquement de sa dernière décennie. Elle découle en effet de la pression de plus en plus forte que les différentes bourgeoisies ressentent aux niveaux économique et impérialiste et de la difficulté de garder le contrôle sur l’ensemble du système politique (comme le surgissement du populisme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais également les tensions entre cliques au sein de l’appareil d’État en Chine).
– il avance l’idée fausse et saugrenue que le CCI défendrait « la thèse selon laquelle le prolétariat menace le régime de Xi Jinping ».
Cette argumentation cache en réalité (a) une sous-estimation du poids de la décomposition sur l’appareil politique de la bourgeoisie et (b) une tendance à voir la forme du capitalisme chinois comme une forme “avancée” de capitalisme, comme dans les pays européens, et pas comme une expression caricaturale du pourrissement du capitalisme. Le fait que Ferdinand puisse imaginer que la question ne serait pas une lutte de factions au sein du parti-état stalinien mais consisterait à proposer un modèle alternatif (« aucun modèle alternatif pour le cours du capitalisme d’État chinois n’est visible »), par des factions bourgeoises à l’extérieur et à l’intérieur du parti, montre à quel point il ne voit pas combien le système de capitalisme d’État stalinien en Chine ne représente pas une expression de force du capitalisme mais est au contraire un pur produit de la barbarie, de la décadence et de la décomposition.
Dans cette perspective, son analyse de la répression des capitalistes privés souligne singulièrement le manque de méthode dans son approche des « faits » : il pointe la récente répression des capitalistes privés (« Le Parti coupe les ailes de certaines des entreprises les plus rentables et des magnats les plus riches ; c’est laisser s’échapper l’air de certaines bulles spéculatives afin de contrôler plus strictement l’ensemble de l’activité économique »). Mais que prouve cette mise sous tutelle plus stricte des entreprises privées par l’État ? Le contexte de la phase de décomposition, mis en évidence par le CCI, permet précisément d’appréhender que la « reprise en main » de secteurs entiers de l’économie par le parti, qui souligne la rigidité du système politique stalinien chinois sous pression sur les plans économique et impérialiste, tout comme d’ailleurs les tensions entre factions en son sein, sont essentiellement une expression de FAIBLESSE du régime et non de sa force.
Tandis que les « faits » qu’il veut bien examiner se limitent à la question des tensions au sein des classes dirigeantes, il reste silencieux sur la multitude d’éléments avancée par l’organisation qui attestent des difficultés de la Chine, depuis le rapport sur les tensions impérialistes de juin 2018 [208] (Revue internationale n° 161) jusqu’au rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition [209], adopté au 24e congrès international du CCI en 2021 (Revue internationale n° 167) :
« À plus long terme, l’économie chinoise est confrontée à une délocalisation des industries stratégiques par les États-Unis et les pays européens et aux difficultés de la « nouvelle route de la soie » à cause des problèmes financiers liés à la crise économique et accentués par la crise du Covid-19 (financement chinois mais surtout niveau d’endettement de pays « partenaires » comme le Sri-Lanka, le Bangladesh, le Pakistan, le Népal…) mais aussi par une méfiance croissante de la part de nombreux pays et à la pression antichinoise des États-Unis. Aussi, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet « Nouvelle route de la soie » (−64 %).
La crise du Covid-19 et les obstacles rencontrés par la « nouvelle Route de la Soie » ont également accentué les tensions de plus en plus manifestes à la tête de l’État chinois, entre la faction « économiste » qui mise avant tout sur la mondialisation économique et le « multilatéralisme » pour poursuivre l’expansion capitaliste de la Chine et la faction « nationaliste » qui appelle à une politique plus musclée et qui met en avant la force (« la Chine qui a vaincu le Covid ») face aux menaces intérieures (les Ouïghours, Hong-Kong, Taïwan) et extérieures (tensions avec les USA, l’Inde et le Japon). Dans la perspective du prochain Congrès du Peuple en 2022 qui devrait nommer le nouveau (l’ancien ?) président, la situation en Chine est donc également particulièrement instable. »
Depuis lors, tous les rapports sur les tensions impérialistes ont avancé de nombreux éléments concernant la gestion calamiteuse de la crise du Covid : l’accumulation des problèmes pour l’économie chinoise, la stagnation des « nouvelles routes de la soie » et l’accentuation des antagonismes au sein de la bourgeoisie chinoise. Le rapport sur les tensions impérialistes de novembre 2021 [210] (Revue internationale n° 167) synthétise les difficultés de la Chine sur les différents plans :
« La Chine a connu ces dernières décennies une ascension fulgurante sur les plans économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Cependant, comme l’illustrent déjà les événements de septembre 2021 en Afghanistan, elle n’a pu profiter, ni de la poursuite du déclin américain, ni de la crise de la Covid-19 et de ses conséquences pour renforcer ses positions sur le plan des rapports impérialistes, bien au contraire. Nous examinons les difficultés auxquelles la bourgeoisie chinoise est confrontée sur le plan de la prise en charge de la Covid, de la gestion de l’économie, des rapports impérialistes et des tensions en son sein. »
Sur chacun de ces plans, des éléments précis sont fournis pour illustrer que « loin de tirer profit de la situation actuelle, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée au poids de la crise, au chaos de la décomposition et aux tensions internes, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes ». (Rapport sur les tensions impérialistes de novembre 2021 [210], Revue internationale n° 167). Malheureusement, elles sont toutes soigneusement ignorées par Ferdinand.
Qu’est-ce qui pousse alors le camarade à contester l’affirmation que « la Chine est une bombe à retardement », alors que cela ne peut être fondé sur un suivi insuffisant ou un manque de preuves, surtout dans la période présente, de la part du CCI, comme toutes les références à nos textes de congrès le montrent ? Les éléments discutés ci-dessus ne constituent-ils, en fin de compte, qu’un rideau de fumée qui doit cacher la véritable raison de son désaccord, à localiser alors au niveau des « fondements théoriques » ?
Ferdinand entend démontrer par plusieurs questions que ce qui est en jeu est « une compréhension erronée et schématique de la décadence capitaliste ».
La première question abordée est l’idée que le CCI sous-estimerait la tendance vers la constitution de nouveaux blocs (« la Résolution minimise le danger d’une future constellation de blocs »), qui, pour Ferdinand, serait pourtant dominante : « La logique capitaliste de la polarisation entre la Chine et les États-Unis les pousse tous deux à trouver des alliés, à participer à la course aux armements et à se diriger vers la guerre ». Cette analyse fait toutefois abstraction des caractéristiques de la phase actuelle de décomposition qui :
(a) contrecarre radicalement cette tendance au regroupement en blocs impérialistes comme ceux qui ont marqué la période de la « Guerre froide ». Cela a clairement été posé par le CCI dès 1990 :
« la tendance à un nouveau partage du monde entre deux blocs militaires est contrecarrée, et pourra peut-être même être définitivement compromise, par le phénomène de plus en plus profond et généralisé de décomposition de la société capitaliste tel que nous l’avons déjà mis en évidence » (« Après l’effondrement du bloc de l’Est : déstabilisation et chaos [211] », 1990, Revue internationale n° 61).
« ce n’est pas la disparition du partage du monde en deux constellations impérialistes résultant de l’effondrement du bloc de l’Est qui pouvait remettre en cause une telle réalité. En effet, ce n’est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l’origine du militarisme et de l’impérialisme. C’est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n’est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n’est pas nécessairement la seule) de l’enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition [190] », 1990, Revue internationale n° 64).
Ainsi, dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine, les positionnements de l’Inde envers les États-Unis et la Russie, de la Chine envers la Russie ou de la Turquie envers l’OTAN (dont le pays est membre) et la Russie soulignent (parmi d’autres exemples) combien c’est l’instabilité qui caractérise les rapports entre puissances impérialistes et non pas la constitution de blocs impérialistes.
(b) n’implique nullement une réduction de la barbarie militaire, du danger de guerre, comme nous le signalions déjà il y a plus de 30 ans :
« les affrontements militaires entre États, même s’ils ne sont plus manipulés et utilisés par les grandes puissances, ne sont pas près de disparaître. Bien au contraire, comme on l’a vu dans le passé, le militarisme et la guerre constituent le mode même de vie du capitalisme décadent que l’approfondissement de la crise ne peut que confirmer. Cependant, ce qui change avec la période passée, c’est que ces antagonismes militaires ne prennent plus à l’heure actuelle la forme d’une confrontation entre deux grands blocs impérialistes » (« Résolution sur la situation internationale [212] », juin 1990, Revue internationale n° 63) ;
« […] la fin des blocs ne fait qu’ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l’impérialisme. » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition [190] », 1990, Revue internationale n° 64).
Et face à l’interprétation de Ferdinand que « Faudrait-il penser que le capitalisme dans sa période de décomposition est plus rationnel et donc plus enclin à éviter la guerre ? », c’est tout le contraire qui est vrai : le CCI a mis en évidence que l’instabilité et le chaos actuels découlant de la tendance au chacun pour soi ne réduisent pas le militarisme et le danger de guerre mais rendent paradoxalement le danger de spirale nucléaire plus réel que lors de la “Guerre froide” entre blocs (cf. le rapport « Signification et impact de la guerre en Ukraine [193] », 2022, Revue internationale n° 168).
Un autre point qui marquerait le schématisme du CCI selon Ferdinand est la non-reconnaissance que le capitalisme d’État chinois sortirait grand gagnant de la situation et se renforcerait : « La Résolution sous-estime le fait que les économies fortes sont bien mieux loties que les faibles […] Et elle nie que la Chine sorte gagnante de la situation […] la Chine est jusqu’à présent l’un des gagnants de la crise pandémique ». D’après Ferdinand en effet, « Les cercles dirigeants de ce pays utilisent la crise pandémique pour restructurer son économie, son armée, son empire. Même si la croissance économique en Chine a ralenti ces derniers temps, derrière cela se cache, dans une certaine mesure, un plan calculé de l’élite politique dirigeante pour maîtriser les excès du capital privé et renforcer le capitalisme d’État pour le défi impérialiste ».
Le CCI ne nie nullement que dans cette phase de décomposition croissante, des bourgeoisies nationales peuvent, temporairement et dans certaines régions, profiter de la situation : pendant la première décennie de la phase de décomposition, les États-Unis ont pu sembler réussir à imposer leur hégémonie globale (première guerre du Golfe, accords de Dayton pour l’ex-Yougoslavie) ; aujourd’hui même, certains pays producteurs de pétrole ou de gaz encaissent une manne inespérée de dollars ; de même, la Chine a effectivement connu une expansion économique remarquable entre 1990 et 2016. Toutefois, la vraie question à expliquer est la suivante : de quoi cette expansion est-elle le produit ?
Pour le CCI, l’entrée du capitalisme depuis 1989 dans la phase finale de sa décadence, la phase de décomposition, permet de situer et de comprendre à la fois les ingrédients de l’émergence soudaine de la Chine mais aussi les fragilités et les contradictions internes et externes qui menacent son expansion. Cette contextualisation est précisément ce que Ferdinand évite de faire de manière extensive et explicite.
Par ailleurs, contrairement à Ferdinand qui semble voir le capitalisme d’État stalinien comme le moteur dynamique du développement de la Chine, la Gauche Communiste de France, dans sa revue Internationalisme en 1952, soulignait déjà que le capitalisme d’État n’est pas fondamentalement une solution aux contradictions du capitalisme, même s’il peut en retarder les effets, mais est une expression de ces contradictions :
« Puisque le mode de production capitaliste est entré dans sa décadence, la pression pour lutter contre ce déclin avec des mesures capitalistes d’État est croissante. Cependant, la tendance à renforcer les organes et les formes capitalistes étatiques est tout sauf un renforcement du capitalisme ; au contraire, elle exprime les contradictions croissantes sur le terrain économique et politique. Avec l’accélération de la décomposition dans le sillage de la pandémie, nous assistons également à une forte augmentation des mesures capitalistes d’État ; celles-ci ne sont pas l’expression d’un plus grand contrôle de l’État sur la société mais constituent plutôt l’expression des difficultés croissantes à organiser la société dans son ensemble et à empêcher sa tendance croissante à la fragmentation. » (« Résolution sur la situation internationale [198] », point 23, 24ᵉ congrès international du CCI, 2021, Revue internationale n° 167).
Dans ce cadre, l’implosion du bloc de l’Est a aussi signifié la faillite du capitalisme d’État stalinien, particulièrement dépassé et inefficace. Or, si la Chine, en passant du côté américain, a été capable de s’ouvrir aux capitalistes privés et au marché mondial (où elle a joué un rôle central dans la politique de mondialisation de l’économie), elle a gardé les structures surannées du capitalisme d’État stalinien, qui implique nécessairement (a) une liberté étroitement surveillée et relative pour les capitaux et les capitalistes privés, (b) une peur bleue de tout conflit social qu’il ne peut affronter qu’à travers une répression brutale et (c) des luttes machiavéliques et sans pitié entre factions rivales au sein du parti-État.
La question centrale qui transparaît confusément à travers une forêt d’éléments spécifiques est que le cadre de la décomposition mis en avant par le CCI implique une approche univoque :
« […] tout est subordonné à la « décomposition », une sorte de fragmentation homogène » » et passe à côté de certaines des caractéristiques centrales du capitalisme : « Cette compréhension de la période de décomposition est schématique et – dans la mesure où elle nie la persistance de lois capitalistes élémentaires – par exemple la concentration et la centralisation du capital – un abandon du marxisme ».
Or :
(a) la compréhension de la décomposition en tant que cadre dominant pour saisir le développement de la situation de ces quarante dernières années a été mise en évidence par le CCI vers la fin des années 1980 et confirmée par le déroulement des événements qui ont ébranlé l’ordre mondial et les rapports entre les classes depuis 1989-1990 :
« Depuis un an, la situation mondiale a connu des bouleversements considérables qui ont modifié de façon très sensible la physionomie du monde telle qu’il était sorti de la Seconde Guerre impérialiste. Le CCI s’est appliqué à suivre de très près ces bouleversements :
– pour rendre compte de leur signification historique ;
– pour examiner dans quelle mesure ils infirmaient ou confirmaient les cadres d’analyse valables auparavant.
C’est ainsi que ces événements historiques (agonie du stalinisme, disparition du bloc de l’Est, désagrégation du bloc de l’Ouest), s’ils n’avaient pu être prévus dans leur spécificité, s’intégraient parfaitement dans le cadre d’analyse et de compréhension de la période historique présente élaboré antérieurement par le CCI : la phase de décomposition » (« Texte d’orientation Militarisme et décomposition [190] », 1990, Revue internationale n° 64).
Cette situation a provoqué une dynamique de pourrissement sur pied du capitalisme accentuant des caractéristiques déjà présentes depuis son entrée en décadence, tels l’explosion irrationnelle du militarisme, une foire d’empoigne impérialiste, le chaos ou la difficulté pour la bourgeoisie à garder le contrôle de son appareil politique, mais qui deviennent des caractéristiques dominantes de cette phase finale :
« il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle et la décomposition généralisée dans laquelle s’enfonce à l’heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu’en s’aggravant. Là aussi, au-delà de l’aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd’hui une telle profondeur et une telle extension qu’il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l’entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique – la phase ultime – de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l’évolution de la société. » (« Thèses sur la Décomposition [109] », 1990, Revue internationale n° 107).
Pourquoi Ferdinand ne se positionne-t-il pas par rapport à la prédominance de ce cadre dans la phase ultime de la décadence capitaliste, celle de la décomposition sociale, discuté et approuvé unanimement par l’organisation, et rappelé dans le préambule de la résolution sur la situation internationale du 24e congrès international du CCI [198] ? (2021, Revue internationale n° 167) :
« Cette résolution s’inscrit dans la continuité du rapport sur la décomposition présenté au 22e congrès du CCI, de la résolution sur la situation internationale présentée au 23e congrès, et du rapport sur la pandémie et la décomposition présenté au 24e congrès. Elle est basée sur l’idée que non seulement la décadence du capitalisme passe par différents stades ou phases, mais que nous avons depuis la fin des années 1980 atteint sa phase ultime, la phase de décomposition ».
(b) Est-ce que ce cadre de compréhension de la situation implique, comme Ferdinand l’affirme, « l’oubli » par le CCI de certaines tendances inhérentes au capitalisme, telle la tendance à la concentration et la centralisation, encore accentuées en décadence ? Loin de les nier, le CCI a mis en évidence combien la mise en œuvre de ces tendances exacerbe encore plus le chaos et la barbarie de la période :
« dans la continuité de la plate-forme de l’Internationale communiste de 1919, qui non seulement insistait sur le fait que la guerre impérialiste mondiale de 1914-18 annonçait l’entrée du capitalisme dans « l’époque de l’effondrement du Capital, de sa désintégration interne, l’époque de la révolution communiste du prolétariat », mais encore soulignait également que « l’ancien « ordre » capitaliste a cessé de fonctionner ; son existence ultérieure est hors de question. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos. Ce chaos ne peut être surmonté que par la classe productive et la plus nombreuse – la classe ouvrière. Le prolétariat doit établir un ordre réel – l’ordre communiste ». Ainsi, le drame auquel l’humanité est confrontée se pose effectivement en termes d’ordre contre chaos. Et la menace d’un effondrement chaotique était liée à « l’anarchie du mode de production capitaliste », en d’autres termes, à un élément fondamental du système lui-même – un système qui, suivant le marxisme, et à un niveau qualitativement plus élevé que dans tout mode de production antérieur, implique que les produits du travail humain deviennent une puissance étrangère qui se dresse au-dessus et contre leurs créateurs. La décadence du système, du fait de ses contradictions insolubles, marque une nouvelle spirale dans cette perte de contrôle. Et comme l’explique la Plate-forme de l’IC, la nécessité d’essayer de surmonter l’anarchie capitaliste au sein de chaque État-nation – par le monopole et surtout par l’intervention de l’État – ne fait que la pousser vers de nouveaux sommets à l’échelle mondiale, culminant dans la guerre mondiale impérialiste. Ainsi, alors que le capitalisme peut à certains niveaux et pendant certaines phases retenir sa tendance innée au chaos (par exemple, à travers la mobilisation pour la guerre dans les années 1930 ou la période de boom économique qui a suivi la guerre), la tendance la plus profonde est celle de la « désintégration interne » qui, pour l’IC, caractérise la nouvelle époque. » (« Résolution sur la situation internationale [198] », 24ᵉ congrès du CCI, 2021, Revue internationale n° 167).
Il apparaît donc que les divers désaccords de Ferdinand en rapport avec l’analyse de la Chine viennent fondamentalement d’une assimilation insuffisante des tendances centrales de la phase de décomposition. En réalité, en partant de ce cadre et en reprenant les éléments convoqués dans les points précédents, on ne peut qu’appréhender le développement de la Chine comme « un produit de la décomposition ». Certes, Ferdinand affirme qu’il est d’accord avec cette dernière : « Les tendances à la polarisation que je mets en avant ne sont pas en contradiction avec le cadre de la décomposition », il y aurait juste le CCI qui exagère avec sa « décomposition partout ». En réalité, et l’examen des points précédents le confirme, Ferdinand manifeste une incompréhension profonde de la décomposition et une phrase est particulièrement illustrative de ceci : « Cette dernière [la position « décomposition partout »] est une recherche permanente des phénomènes de dislocation et de désintégration, perdant de vue les tendances plus profondes et concrètes [nous soulignons] typiques des mutations actuelles ». En d’autres mots, le chacun pour soi, le chaos et l’individualisme exacerbé ne constitueraient pas des tendances fondamentales de la période présente : dès lors, malgré l’expression formelle d’un accord avec ce cadre, transparaît en réalité, à travers un nuage de fumée, une remise en question concrète de celui-ci par une approche détournée et empirique.
Avec Ferdinand, nous avons commencé par souligner l’importance de ce débat. Pour Ferdinand, celui-ci consiste en une confrontation de théories et d’affirmations. Ainsi, il le souligne dans sa contribution sur l’analyse de l’émergence de la Chine : « ma thèse est l’opposée. Les cercles dirigeants de ce pays utilisent la crise pandémique pour restructurer son économie, son armée, son empire ». Or, Ferdinand rappelle, au début de son texte, qu’un débat au sein du CCI doit se développer avec méthode. Rappelons en quoi consiste la conception marxiste du débat :
« Contrairement au courant bordiguiste, le CCI n’a jamais considéré le marxisme comme une « doctrine invariante », mais bien comme une pensée vivante pour laquelle chaque événement historique important est l’occasion d’un enrichissement. En effet, de tels événements permettent, soit de confirmer le cadre et les analyses développés antérieurement, venant ainsi les conforter, soit de mettre en évidence la caducité de certains d’entre eux, imposant un effort de réflexion afin d’élargir le champ d’application des schémas valables auparavant mais désormais dépassés, ou bien, carrément, d’en élaborer de nouveaux, aptes à rendre compte de la nouvelle réalité. Il revient aux organisations et aux militants révolutionnaires la responsabilité spécifique et fondamentale d’accomplir cet effort de réflexion en ayant bien soin, à l’image de nos aînés comme Lénine, Rosa Luxemburg, la Fraction Italienne de la Gauche Communiste Internationale (Bilan), la Gauche Communiste de France, etc., d’avancer à la fois avec prudence et audace :
– en s’appuyant de façon ferme sur les acquis de base du marxisme ;
– en examinant la réalité sans œillères et en développant la pensée sans « aucun interdit non plus qu’aucun ostracisme » (Bilan).(« Texte d’orientation Militarisme et décomposition [190] », 1990, Revue internationale n° 64).
Bref, un débat ne consiste pas simplement en une libre « confrontation d’arguments fondés sur des faits », d’une libre opposition d’« hypothèses », d’une juxtaposition de « théories », « d’opinions » avancées par une « majorité » et une « minorité » comme le camarade le laisse transparaître à diverses occasions (« confrontation d’arguments fondés sur des faits » ; « il n’y a aucun élément en faveur de la thèse selon laquelle le prolétariat menace le régime de Xi Jinping […], ma thèse est l’opposée » ; « nous devons examiner la théorie qui sous-tend la position majoritaire et donc la présente Résolution »). Le point de départ d’un débat est avant tout le cadre partagé par l’organisation, adopté et précisé par les différents rapports de ses congrès internationaux.
En conséquence, l’approche du CCI n’est nullement dogmatique mais applique simplement la méthode marxiste lorsqu’elle confronte des éléments nouveaux au cadre partagé, communément acquis sur la base des débats passés dans l’histoire du mouvement ouvrier, afin d’évaluer en quoi ces éléments nouveaux confirment ou au contraire remettent en question le cadre d’analyse acquis. Par contre, derrière l’approche formellement systématique de Ferdinand, qui présente point par point ses commentaires critiques à la résolution sur la situation internationale, adoptée par le CCI lors de son dernier congrès international, se cache la confusion d’une démarche qui vise à voiler le fait que le camarade tend en réalité à remettre en question le cadre en partant d’une autre logique implicite.
R. Havanais, novembre 2022.
1« Explication des amendements rejetés du camarade Steinklopfer [186] », « Réponse au camarade Steinklopfer, août 2022 [213] ».
2En réalité, l’endettement ne crée nullement un véritable « marché » mais consiste à injecter des sommes toujours plus importantes dans l’économie en acompte de la production attendue des années à venir. Dans ce sens, la dette représente un poids qui pèse de plus en plus lourdement sur l’économie. Ainsi, le niveau d’endettement de la Chine est gigantesque (300 % du PIB en 2019).
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En juillet dernier, l’information était divulguée que, fin mai 2023, s’était tenue à Bruxelles, à l’initiative du groupe Perspective Internationaliste et du Forum pour la Gauche Communiste Internationaliste ‘Controverses’1, une « Conférence » réunissant une petite vingtaine de participants, individus ou représentants de groupes politiques faisant partie selon les organisateurs de la « Gauche internationaliste » ou encore du « communisme de gauche ». Cette réunion s’est tenue de manière quasi clandestine/ secrète, sur la base d’invitations confidentielles et d’une sélection des participants par les organisateurs « strictement pour des raisons financières » (la ficelle est un peu grosse). Voilà qui ressemble fort à une réunion de conjurés ; mais alors, une conjuration contre qui et dans quel but ?
Dès sa fondation et dans le prolongement de la politique de la Gauche communiste, le CCI a toujours prôné avec acharnement la discussion entre groupes révolutionnaires en vue d’une confrontation et clarification de leurs positions ou de prises de positions communes face au développement de la lutte de classe : « Avec ses moyens encore modestes, le CCI s’est attelé à la tâche longue et difficile du regroupement des révolutionnaires à l’échelle mondiale autour d’un programme clair et cohérent. Tournant le dos au monolithisme des sectes, il appelle les communistes de tous les pays à prendre conscience des responsabilités immenses qui sont les leurs, à abandonner les fausses querelles qui les opposent, à surmonter les divisions factices que le vieux monde fait peser sur eux […]. Fraction la plus consciente de la classe, les communistes se doivent de lui montrer son chemin en faisant leur le mot d’ordre : REVOLUTIONNAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS ! » (2)
La constitution même du CCI, en particulier à partir d’une proposition du groupe Internationalism (États-Unis) en 1972 de mettre en place une correspondance internationale, a été le produit d’un long processus de confrontation politique ouverte entre divers groupes autour des questions centrales pour le développement de la lutte prolétarienne. Par la suite, le rôle moteur du CCI dans l’organisation et la tenue des conférences des groupes de la Gauche communiste, convoquées par le groupe Battaglia Comunista dans les années 1978-1980 ou récemment dans la publication d’une « Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine » en 2022, témoignent de l’importance que le CCI accorde à la discussion entre révolutionnaires.
Cependant, pour le CCI, il a toujours été fondamental que ces discussions se développent de manière publique, à partir d’une base politique commune claire de positions de classe entre les organisations invitées et d’objectifs annoncés bien établis, afin de contribuer au développement de la conscience de classe : « La vie des groupes révolutionnaires, leurs discussions et leurs désaccords font partie du processus de prise de conscience qui se développe au sein de la classe ouvrière ; c’est pourquoi, nous sommes radicalement contre toute politique de “discussions cachées” ou d’“accords secrets” ». (3)
Cette rencontre bruxelloise non seulement a été organisée « en cachette », mais ne manifeste de plus pas la moindre ambition militante. S’il y avait une « convergence d’objectifs » (dixit les organisateurs) entre les participants, ce n’était sûrement pas celui de prendre position en tant que militants révolutionnaires par rapports aux défis cruciaux auxquels la classe ouvrière est confrontée : aucune déclaration commune de la part de ces prétendus « internationalistes » pour prendre position sur un évènement historique majeur comme la guerre en Ukraine, sur la destruction et la crise du climat ou la déstabilisation économique. La bourgeoisie, lors du sommet de Davos début 2023, a été plus claire et explicite qu’eux ! Aucune prise de position non plus sur la vague de luttes récente et ses perspectives… Comment des éléments qui se proclament « communistes » peuvent-ils rester silencieux sur les enjeux du moment ? Pour le CCI, la préoccupation militante est une composante incontournable d’une conférence de communistes, dans la mesure où celle-ci cherche toujours à dégager une plus grande compréhension de la situation mondiale, de la crise dans laquelle est plongé le capitalisme mondial et ses perspectives du point de vue de classe du prolétariat, ainsi que les tâches qui en découlent pour les groupes révolutionnaires.
Et qu’en est-il de la dynamique des discussions ? On nous apprend que les participants se sont réunis « pour parler et s’écouter » et qu’ils « ont été exposés à des idées différentes ». Cependant, aucun texte conjoint n’a été publié avant la conférence pour annoncer et préparer ses objectifs ou après pour présenter le fruit des travaux de celle-ci. Or, pour les révolutionnaires, l’approfondissement des positions est un processus vivant qui implique une discussion franche des positions et la confrontation politique des désaccords, dans la mesure où cette dynamique fait partie du processus de prise de conscience qui se développe au sein de la classe ouvrière. La simple juxtaposition d’analyses clinquantes lors de la rencontre de Bruxelles, tout comme le fait d’avoir consciemment évité toute confrontation des positions, révèlent qu’elle n’était qu’une foire aux positions, un marché aux palabres où chacun cultive son dada, un de ces colloques académiques de singes savants, se gargarisant de « théorie ». Bref, elle se situait à l’opposé de la tradition de la confrontation politique revendiquée par la Gauche communiste dans le but de clarifier les positions politiques et les enjeux de la lutte de classe.
En réalité, une confrontation politique fructueuse n’est possible que si les bases politiques de la rencontre sont cohérentes et claires. Pour le CCI, s’il y a bien « la nécessité fondamentale du travail de regroupement, il met en garde aussi contre toute précipitation. Il faut exclure tout regroupement sur des bases sentimentales et insister sur l’indispensable cohérence des positions programmatiques comme condition première du regroupement ». (4) Or, la base commune de la réunion, définie vaguement comme « une résistance, un questionnement critique permanent fondamental du Mode de Production Capitaliste », ne peut qu’engendrer la plus grande confusion et un désaccord des plus profonds sur le cadre d’appréhension pour déterminer la situation dans laquelle se trouve le capitalisme (en déclin ou pas ? Et ceci depuis quand ?), une question centrale pour défendre des orientations pour le combat prolétarien, ainsi que sur la situation et les potentialités de la classe ouvrière et surtout sur son mode d’organisation. Concernant la dernière question, l’importance des révolutionnaires, de leur rôle et de leur organisation a d’ailleurs été totalement escamotée lors de cette réunion.
Pourtant, en y regardant de plus près, il y a bien une base commune évidente entre la plupart des participants, que ceux-ci préfèrent sans doute garder dans l’ombre : c’est la conviction que le marxisme et les acquis des combats de la Gauche communiste depuis cent ans sont obsolètes et doivent être « complétés », voire « dépassés » par le recours à différentes théories anarcho-conseillistes, modernistes ou écologistes radicales. C’est bien pour cela qu’ils se nomment « pro-révolutionnaires », en se voyant comme une sorte d’ « amicale pour la propagation de la révolution » et non plus comme des militants et organisations produits du combat historique de la classe ouvrière. En conséquence, leur objectif non avoué mais réel est de jeter à la poubelle les leçons des dernières 55 années de luttes ouvrières et les résultats de cent ans de combats de la Gauche communiste internationaliste, de remettre en question les acquis organisationnels de celle-ci : la conception militante de l’organisation politique communiste comme produit du combat historique du prolétariat et comme avant-garde politique dans la lutte au profit d’une vision d’un cercle d’intellectuels réfléchissant au futur de l’humanité et rêvant d’avoir un impact révolutionnaire sur celui-ci.
Bref, cette réunion constituait bien une « conjuration » visant à discréditer et à dévaloriser les positions et les combats de la Gauche communiste internationaliste, à remplacer ses acquis politiques et organisationnels « obsolètes » par la fumisterie théorique et le chacun pour soi organisationnel d’un soi-disant pôle « pro-révolutionnaire ». Dans la perspective d’un tel « révisionnisme » destructeur, ce n’est nullement à cause d’un oubli ou par « manque de place » ou encore « de financement », comme ils le suggèrent, que les promoteurs n’ont pas invité le CCI à cette conférence. Bien au contraire, c’est délibérément, de manière pleinement consciente : le but était d’éviter la confrontation politique que le CCI aurait forcément recherché à travers la dénonciation de la supercherie, dans la mesure où l’objectif prioritaire de cette conférence « Potemkine », celui sur lequel l’essentiel des participants se retrouvent pleinement, ce n’est pas de clarifier et d’approfondir les positions, mais au contraire de mettre en avant un communisme de gauche factice, de déployer un leurre aguichant servant avant tout à égarer les éléments en recherche d’une perspective révolutionnaire et à participer ainsi à la mise en place d’un « cordon sanitaire » afin d’éviter qu’ils rejoignent les positions de la Gauche communiste et particulièrement du CCI. Cette supercherie est à l’opposé d’un instrument pour le combat prolétarien, c’est un barrage visant à empêcher le développement et le renforcement des avant-gardes révolutionnaires.
CCI, 15 septembre 2023
2Manifeste du CCI [218], janvier 1976
3« Rencontre internationale convoquée par le PCI-Battaglia Comunista [219] », Revue internationale n° 10 (1977).
4Ibid.
Dans son article « Les réactions aux émeutes : Entre condamnations brutales et “compréhensions” hypocrites [220] », Le Prolétaire, journal du Parti Communiste International (PCI-Le Prolétaire) croit déceler dans les positions du CCI à l’égard des émeutes en France pire qu’une « hypocrisie » : le CCI serait carrément à la remorque de l’organisation bourgeoise Lutte Ouvrière et des garde-chiourmes syndicaux. En adversaire de la violence de classe, « le CCI se met ainsi du côté d’un mouvement bien ordonné, pacifique et contrôlé par le collaborationnisme syndical ».
Quelle bévue le CCI a-t-il pu commettre pour mériter une telle sentence ? Il a osé exprimer ce que Le Prolétaire qualifie de « condamnation des émeutes », cette « révolte des jeunes prolétaires » animée par « la haine contre l’ordre établi nécessaire à la lutte révolutionnaire ».
Mais Le Prolétaire a des arguments, et pas des moindres ! Il croit nous clouer le bec en balançant doctement un extrait de l’Adresse du Comité central à la Ligue des communistes [221] : « Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction ».
Nous aurions sans doute été foudroyés par la honte si Le Prolétaire ne s’était pas piteusement pris les pieds dans le tapis. Dans ce texte, Marx et Engels parlent, en effet, de l’attitude du prolétariat face… aux révolutions bourgeoises du XIXᵉ siècle contre le féodalisme ! La « vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics » qu’il fallait « tolérer » consistait, en l’occurrence, à « mettre à exécution [les] présentes phrases terroristes » de la petite-bourgeoisie démocratique dans le contexte de la lutte de la bourgeoisie allemande contre la monarchie et ses palais ! À l’époque de l’ascendance du capitalisme, alors que les conditions historiques n’étaient absolument pas réunies pour le développement de la lutte révolutionnaire du prolétariat, ce texte ne cesse d’ailleurs d’insister sur la nécessité pour le prolétariat de « s’organiser » par lui-même et de « centraliser » le plus possible son combat. Tout l’inverse de la passion du Prolétaire pour les émeutes !
Il ne s’agit pas seulement d’une gaffe un peu ridicule, mais d’une preuve supplémentaire (s’il en fallait encore une) que le PCI ne comprend pas ce qu’est la lutte de classe et qu’il est incapable de l’inscrire dans un cadre historique : il pioche dans les vieux textes du mouvement ouvrier ce qui semble s’appliquer plus ou moins à la situation présente sans se poser la moindre question. Le rapport du PCI à la méthode marxiste, ce n’est pas la démarche historique de Marx et Engels, de Lénine et de Luxemburg, ni celle de la Gauche communiste d’Italie, c’est faire l’exégèse maladroite d’un texte qui paraît, de loin, confirmer des impressions empiriques ! Il suffit donc au PCI de jauger les émeutes au doigt mouillé, de constater que des prolétaires y participent pour tomber en pâmoison devant une flambée de violences urbaines qui ne se situe absolument pas sur le terrain de la lutte de classe, et y voir un lien avec les combats du prolétariat à l’époque des révolutions bourgeoises.
Avec un ersatz de démarche marxiste en bandoulière, Le Prolétaire analyse les émeutes sur la base d’une série de critères abstraitement déterminée par l’auto-proclamé « Parti » et applicable à chaque lutte quelle que soit la situation : la composition sociologique d’un mouvement, la perception à vue de nez d’une « haine contre l’ordre établi », le niveau d’affrontement suffisant avec les « bureaucraties syndicales », la clarté jugée plus ou moins satisfaisante des ouvriers vis-à-vis « de la révolution et des voies qui y conduisent »… En guise de méthode, le PCI nous sert donc une savante recette de cuisine composée d’ingrédients de son choix dans laquelle chaque lutte ou expression de colère sont analysées pour elles-mêmes, sans relation avec la situation historique, la dynamique générale du combat ouvrier et le rapport de force entre les classes.
Cette démarche conduit finalement Le Prolétaire a des positions clairement opportunistes. Il affirme ainsi sans rire que « la violence des émeutiers était tout sauf aveugle ; […] leurs cibles ont été prioritairement des commissariats et des postes de police, des prisons et des institutions étatiques, des mairies, etc., avant même le pillage de grandes surfaces et de magasins divers ». C’est vraiment cela commencer à se confronter à l’État bourgeois, camarades ? Le Prolétaire a-t-il exactement la même vision de la lutte de classe que le pire des black-blocs ? C’est d’autant plus navrant que les émeutes ne sont même pas comparables à l’idéologie des black-blocs qui, eux, s’imaginent vraiment s’attaquer aux symboles du capitalisme en détruisant les vitrines des banques. Lors des émeutes, les jeunes balançaient des feux d’artifice sur des commissariats comme ils pillaient les supermarchés, ils brûlaient les mairies comme la bagnole du voisin, sans autre aiguillon que leur rage et leur impuissance.
À notre tour, donc, d’asséner au PCI un « sage précepte », mais de Lénine cette fois : « “Notre doctrine n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action”, ont toujours dit Marx et Engels, se moquant à juste titre de la méthode qui consiste à apprendre par cœur et à répéter telles quelles des “formules” capables tout au plus d’indiquer les objectifs généraux, nécessairement modifiés par la situation économique et politique concrète à chaque phase particulière de l’histoire ». Contrairement à la démarche empirique pour le moins frivole du Prolétaire, le mouvement ouvrier a toujours insisté sur l’importance d’analyser avec précision et méthode le contexte dans lequel se déroule une lutte pour en saisir la signification réelle et ses perspectives. La dynamique internationale de la lutte de classe, quelle que soit la radicalité ou la massivité apparente de telle ou telle expression de colère, est évidemment un point de référence essentiel. Sans un cadre d’analyse rigoureux, le PCI est condamné à tâtonner dans le brouillard de l’histoire.
C’est ainsi que Trotsky, incapable comme le PCI de saisir l’importance du contexte historique, pensait que « la révolution française [avait] commencé » avec les immenses grèves de 1936 en France. Contrairement à la grande clarté de la Gauche italienne, il contribuait par-là à désorienter bien des militants restés fidèles à la cause du prolétariat.
En réalité, après la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-1923 et le triomphe de la contre-révolution stalinienne, le prolétariat subissait un profond recul de sa conscience qui allait le mener à la Guerre mondiale derrière l’idéologie bourgeoise de l’antifascisme. Ce seul exemple devrait suffire à démontrer que la combativité et la massivité ne constituent pas en elles-mêmes des critères suffisants.
Inversement, lorsque le mouvement de Mai 68 éclatait, les conditions historiques avaient radicalement changé par rapport à 1936. Ce mouvement était marqué par le retour de la crise, après la période de reconstruction, et le surgissement d’une génération de jeunes ouvriers qui n’avait pas subi de plein fouet les pires atrocités de la contre-révolution. Ce qui fût alors la plus grande grève de l’histoire et qui a été le point de départ de plusieurs vagues de luttes de par le monde pendant deux décennies, avait été précédé par de multiples petites grèves, insignifiantes en apparence et largement encadrées par les syndicats, mais qui revêtaient en réalité une importance historique.
Les conditions de la lutte de classe ne sont donc pas toujours tout à fait les mêmes à chaque étape de l’évolution historique. Voyons brièvement comment le CCI analyse la situation actuelle et quelles implications il en tire pour comprendre la lutte de classe et les violences urbaines que nous venons de connaître.
Dans le prolongement de Mai 68, le rapport de force favorable au prolétariat ouvrait la voie à une dynamique vers des affrontements décisifs avec la bourgeoisie. Mais dans les années 1980, bien que la combativité de la classe ouvrière a empêché la bourgeoisie de mettre en avant sa seule « réponse » à la crise historique du capitalisme (la guerre mondiale), l’incapacité du prolétariat à sortir du carcan syndical et des mystifications démocratiques ne lui ont pas, non plus, permis de porter plus en avant la perspective révolutionnaire. Ceci a abouti à une situation d’impasse marquée par l’effondrement du bloc de l’Est et toute la campagne sur la « mort du communisme » et le « triomphe de la démocratie ». C’est ce que le CCI a identifié comme la phase ultime de la décadence du capitalisme, sa décomposition, qui n’a cessé d’attiser à l’extrême des phénomènes caractéristiques du pourrissement de la société : accroissement des catastrophes en tout genre, du chaos et du chacun pour soi sur la scène impérialiste, sur le plan social et politique, montée en puissance des idéologies les plus irrationnelles et mortifères, du désespoir, du « no futur », etc.
Cette situation nouvelle a impliqué un recul important des luttes de la classe ouvrière pendant plus de trente ans, malgré des expressions sporadiques de combativité (CPE, Indignés, Occupy…). Le prolétariat britannique, pourtant l’un des plus expérimentés et combatifs de l’histoire, représentait la quintessence de ce recul, puisque jusqu’en 2022, il est resté largement passif et résigné face aux attaques extrêmement brutales portées par la bourgeoisie.
L’accélération récente de la décomposition, marquée par la pandémie de Covid-19 et, plus encore, par la guerre en Ukraine, n’ont fait qu’amplifier la crise profonde dans laquelle s’enfonce le capitalisme. Tous les effets délétères de la décomposition se sont encore plus approfondis, s’alimentant les uns les autres dans une sorte de « tourbillon » incontrôlable.
Cependant, alors que la crise devient de plus en plus insoutenable, le prolétariat commence à réagir : d’abord en Grande-Bretagne où, pour la première fois depuis plus de trente ans (!), le prolétariat a crié son raz-le-bol, mois après mois, à travers d’innombrables grèves, puis, presque simultanément, dans de nombreux pays, notamment en France, en Allemagne, en Espagne, en Hollande… mais aussi au Canada, en Corée et, aujourd’hui, aux États-Unis.
À l’occasion de la réforme des retraites en France, des millions d’ouvriers se sont retrouvés dans les rues, affirmant à chaque manifestation la nécessité de lutter tous ensemble, commençant, de façon embryonnaire, à faire le lien avec les luttes des autres pays, à se remémorer ses expériences (notamment le CPE et Mai 68) et s’interroger sur les moyens de la lutte. Malgré le poids du corporatisme et ses immenses difficultés pour affronter les syndicats et tous les amortisseurs sociaux et idéologiques que sécrète la bourgeoisie, le prolétariat commence à se reconnaître comme une classe, à lutter massivement à l’échelle internationale, à exprimer des réflexes de solidarité et de combativité que nous n’avions observé que très marginalement depuis des décennies. C’est une véritable rupture avec la situation précédente de passivité à laquelle nous assistons ! Mais l’absence de cadre d’analyse pousse Le Prolétaire à ne voir dans cette rupture que la « défaite » de vulgaires « mobilisations moutonnières ».
La période actuelle voit donc à la fois la décomposition s’accélérer brutalement, avec tout ce qu’elle charrie de désespoir et d’absence de perspective, mais aussi le retour de la combativité ouvrière. Cela signifie que le développement de la lutte de classe ouvrière va nécessairement se heurter à des expressions de désespoirs et d’impuissance en son sein, qui demeureront des fardeaux pour le prolétariat et que la bourgeoisie ne va cesser de promouvoir. Les émeutes et les mouvements interclassistes comme les « gilets jaunes » en sont des illustrations caricaturales !
Les émeutes n’ont, en effet, rien apporté d’autres qu’étaler au grand jour l’impuissance totale d’une jeunesse désespérée : il n’a pas fallu une semaine à l’État pour rétabli l’ordre et réprimer férocement les émeutiers. Surtout, les violences urbaines ont été un véritable frein au développement de la lutte de classe. En divisant pour rien les ouvriers, elles ont donné à la bourgeoisie une opportunité pour tenter de saper la combativité et l’unité qui commencent à émerger, à travers une campagne dont les derniers échos en date sont l’ignoble propagande raciste du gouvernement sur « l’interdiction de l’abaya à l’école ».
Une large partie de la gauche du capital a également profité de la situation pour pourrir la réflexion en cours du prolétariat sur les moyens de la lutte : « vous désiriez plus de radicalité durant la lutte contre la réforme des retraites : voilà un exemple qui fait trembler la bourgeoisie ! », « vous souhaitiez une plus grande unité des travailleurs : vive la convergence des gilets jaunes et des jeunes de banlieue ! »…
Et le PCI, victime de sa propre confusion, de son incapacité à comprendre la lutte de classe, s’est finalement placé dans le sillage des gauchistes.
Quand la classe ouvrière a tant besoin de développer son unité, Le Prolétaire chante les louanges de violences urbaines qui ont été une formidable occasion pour la bourgeoisie de diviser les prolétaires, non seulement en France, mais aussi à l’échelle internationale où la presse a fait ses gorges chaudes des émeutes pour mieux discréditer la violence de classe et les manifestations massives ! Quand la classe ouvrière a tant besoin de développer sa conscience, son organisation et ses méthodes de lutte, Le Prolétaire présente des violences aveugles, où se mêlent destructions de locaux municipaux et pillage de supermarchés, comme le sommet de la lutte de classe ! Quand la classe ouvrière a tant besoin de retrouver sa confiance en elle-même, Le Prolétaire jette, d’un air dégoûté, un mouchoir sur ses luttes « moutonnières » et présente ses pas en avant comme des « défaites » !
La légèreté avec laquelle Le Prolétaire examine les émeutes n’est donc pas seulement inconsistante, elle est surtout irresponsable. Car le PCI, contrairement aux partis trotskistes et à toute l’extrême-gauche du capital, est une organisation de la Gauche communiste. Malgré tous nos désaccords, le PCI appartient au camp du prolétariat et a, de ce fait, une responsabilité vis-à-vis du mouvement ouvrier et de la classe ouvrière. Plutôt que de confronter ses positions sérieusement avec les autres organisations du milieu politique prolétarien, plutôt que faire preuve du minimum de solidarité et de fraternité qui devrait l’animer à l’égard de ce même milieu, il met sur un pied d’égalité une officine bourgeoise telle que Lutte Ouvrière et le CCI, au milieu d’un article indigent, sans se soucier le moins du monde des responsabilités politiques qui lui incombent.
Cette irresponsabilité, le PCI l’exprime également à l’égard des ouvriers qui se rapprochent des positions de la classe ouvrière dont il contribue à entretenir la confusion à force de contorsions opportunistes et de renoncement à faire vivre le précieux héritage du mouvement ouvrier : la méthode marxiste.
EG, 20 septembre 2023
La nouvelle flambée de barbarie en Israël et Palestine nous oblige à changer le thème de cette réunion publique qui devait, initialement, se concentrer sur la crise environnementale.
Après la guerre en Ukraine, ce nouveau conflit confirme une fois de plus que la guerre joue un rôle central dans ce que nous avons appelé « l’effet tourbillon », c’est-à-dire l’interaction accélérée de toutes les expressions de la décomposition capitaliste, menaçant de plus en plus la survie même de l’humanité. Il est vital pour les révolutionnaires de mettre en avant une position internationaliste claire contre toutes les confrontations impérialistes qui se répandent à travers le monde.
Il ne s’agit toutefois pas de sous-estimer que la destruction capitaliste de la nature fait partie intégrante de cette menace. En effet, l’intensification de la guerre et du militarisme ne peut qu’aggraver la crise environnementale, tout comme l’approfondissement de celle-ci ne peut qu’alimenter des rivalités militaires de plus en plus chaotiques.
Cela ne signifie pas non plus que tout espoir en l’avenir est perdu. Le retour de la lutte de classe qui a commencé en Grande-Bretagne, il y a plus d’un an, et qui s’impose maintenant aux États-Unis, montre que la classe ouvrière n’est pas vaincue et que sa résistance à l’exploitation contient les germes du renversement révolutionnaire de l’ordre mondial actuel.
Toutes ces questions seront débattues lors de nos prochaines réunions publiques.
Le CCI organise ces réunions publiques dans plusieurs villes :
Paris : 21 octobre 2023 de 15h00 à 18h00, au CICP, 21 ter rue Voltaire (métro « Rue des Boulets »).
Marseille : 21 octobre 2023 de 15h00 à 18h00, Local Mille Babords, 61 Rue Consolat.
Lille : 28 octobre 2023 de 15h00 à 18h00, Café « Les Sarrasins », 52 rue des Sarrasins (métro « Gambetta »).
Nantes : 4 novembre 2023, à partir de 15H00, Salle de la Fraternité, 3 rue de l'Amiral Duchaffault, 44100 Nantes, (Station de tramway "Duchaffault", ligne 1).
Toulouse : 4 novembre 2023 de 14h00 à 17h00, Maison de la citoyenneté, 5 rue Paul Mériel (métro « Jean Jaurès »)
Lyon : 4 novembre 2023. Pour des raisons indépendantes de notre volonté, la réunion publique prévue dans cette ville ne pourra pas se tenir sur place. Une réunion publique en ligne est organisée à partir de 14H00. Les personnes souhaitant y participer peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [13]) ou dans la rubrique “nous contacter [14]” de notre site internet. Les modalités techniques pour se connecter à la réunion publique seront communiquées ultérieurement.
La Chine subit la plus grande crise économique de ses dernières 50 années et ceci dans un contexte de pression économique et militaire intense de la part des États-Unis : « La Chine est prise dans la dynamique mondiale de la crise, son système financier étant menacé par l’éclatement de la bulle immobilière. Le déclin de son partenaire russe et la rupture des « routes de la soie » vers l’Europe en raison de conflits armés ou du chaos environnemental causent des dégâts considérables. La forte pression des États-Unis accroît encore ses difficultés économiques. Et face à ses problèmes économiques, sanitaires, écologiques et sociaux, la faiblesse congénitale de sa structure étatique stalinienne constitue un désavantage majeur ».[1]
Dans un tel contexte, la plongée dans le rouge des principaux indicateurs économiques du pays ne peut qu’inquiéter au plus haut point l’État stalinien et son parti-État. La croissance économique est au plus bas depuis 45 ans (moins de 5%), les exportations régressent (-8,3% sur un an) et la consommation intérieure est anémique. Tandis que la demande intérieure est dans une spirale déflationniste, la dette du gouvernement - en particulier des autorités régionales - et des entreprises est colossale. La dette publique et privée chinoise, qui dépassait 250 % du PIB en 2021 atteindrait les 300 % du PIB à la mi-2023 (selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI) de Bâle, Suisse). L’ampleur catastrophique des problèmes est particulièrement visible dans le secteur de l’immobilier, qui représente près de 30% du PIB national chinois : après la faillite d’Evergrande et le défaut de paiement annoncé pour Country Garden, qui compte 4 fois plus de projets que la première, il y aurait 648 millions de m² de logements invendus en date de fin août dernier, l’équivalent de 7,2 millions de logements[2] . En conséquence, le système bancaire et de crédit est sous pression face à la crise de confiance des consommateurs et à l’attitude attentiste des milieux d’affaires qui se gardent d’investir en attendant de voir la suite des événements.
Plus préoccupant encore pour la bourgeoisie chinoise est la fuite des capitaux, la chute des investissements étrangers, au plus bas depuis 25ans, que Pékin tente d’enrayer par des campagnes massives envers les investisseurs. Cependant, la réélection de Xi Jinping et le traitement qu'il a réservé aux « entrepreneurs privés chinois » tel Jack Ma ( Grupo Ant et Alibabá), dont beaucoup ont dû fuir au Japon, n'inspirent pas confiance. La fuite des capitaux vers d’autres pays comme le Vietnam, l’Indonésie, l’Inde ou le Mexique n’est d’ailleurs pas seulement l’expression du manque de « garanties » en Chine ; les coûts de transport et les salaires y ont grimpé en flèche, de sorte qu’aujourd’hui, l’Inde et, dans une moindre mesure, le Vietnam et d’autres pays de l’Indopacifique concurrencent la Chine : « Tout le monde souhaite soit vendre ses opérations en Chine ou, s’ils produisent en Chine, ils sont à la recherche d’endroits alternatifs pour le faire. [Cette situation] est dramatiquement différente, comparé à il y a seulement cinq ans »[3]
Bref, loin de constituer, comme en 2008, la locomotive qui relance l’économie mondiale, la Chine connaît une crise économique profonde qui menace d'entraîner le reste du monde dans une accentuation des soubresauts économiques et dont l’impact social se fait de plus en plus sentir dans le pays même. L’effondrement de l’immobilier entraîne des manifestations de petits épargnants, qui voient leurs économies de toute une vie s’envoler en fumée. La situation de l’emploi des jeunes est tout aussi préoccupante : 21,3% des jeunes Chinois sont au chômage, selon les derniers chiffres officiels (17 juillet 2023). En réalité, selon des économistes locaux, le taux de chômage des 16-24 ans serait deux fois plus élevé (46,5% au lieu de 19,7% en mars !), dans la mesure où près de 20% des jeunes urbains sont des « tangping » (litt. des « restés allongés »), qui ont décidé de s’extraire délibérément de la « compétition socio-économique », vu la saturation désespérée du marché de l’emploi, au point que l'État chinois manipule la publication de chiffres par peur d’un accès de panique auprès des investisseurs, ce qui aggraverait encore la crise actuelle et menacerait même la stabilité sociale et politique. Le mécontentement social gronde en effet après les années d’enfermement inhumain lié à la politique « zéro Covid » et aux nouvelles mesures de régulation des soins de santé. La déstabilisation économique et sociale exacerbe aussi les luttes des travailleurs contre les arriérés de salaire, les fermetures ou les délocalisations d’usines, qui mènent souvent à des confrontations violentes avec les services de sécurité des entreprises. Ces grèves et protestations se sont fortement multipliées en 2023, représentant le double du nombre enregistré en 2022[4] .
Cette détérioration de la situation économique et sociale provoque aussi des remous politiques de plus en plus visibles jusqu’au sommet de l’État, tels des absences remarquées de Xi lors de forums internationaux (forum économique des BRICS en Afrique du Sud, réunion du G20 en Inde) ou encore la « disparition » des ministres des affaires étrangères Qin Gang et de la défense Li Shangfu, de même que plusieurs généraux dirigeant la « Force des missiles » et le département du développement de l’équipement de l’armée chinoise. L’éviction de dirigeants proches de Xi et nommés par lui après le dernier Congrès du PCC pour des raisons de « conduite personnelle » ou de « corruption » souligne que Xi Jinping est de plus en plus personnellement pointé du doigt comme responsable, depuis en particulier sa politique catastrophique « zéro Covid » qui a provoqué des dégâts considérables sur les plans économique mais également social. Il aurait subi en août des critiques acerbes lors de la réunion d’été traditionnelle des caciques du régime dans la station balnéaire de Beidaihe où un bilan de l’état de la Chine est dressé. Des anciens dirigeants à la retraite lui auraient adressé des reproches d’une virulence jamais observée auparavant, ce qui semble indiquer que les confrontations entre « économistes » et « nationalistes » s’intensifient à nouveau face au danger de déstabilisation économique et sociale qui fait peur à ce régime de type stalinien. Une atmosphère délétère et des tensions extrêmes se développent au sein du PCC. Dans un tel climat de lutte de factions au sein du parti-État, l’avenir est incertain et Xi pourrait utiliser le levier de la fuite en avant dans un nationalisme exacerbé pour s’imposer, comme cela a souvent été le cas en Chine lorsque les problèmes intérieurs s’accumulent.
Le projet de « Grande Chine » de XI Jinping, qu’il espérait consolider d’ici 2050, semble aujourd’hui fortement menacé : les tendances actuelles indiquent que le pays ne deviendra pas la première puissance économique du monde dans un avenir prévisible. Confrontée à une crise économique et financière risquant de plonger le pays dans un chaos social généralisé, à une pression de plus en plus écrasante des États-Unis et à une opposition croissante au sein du parti, la politique de Xi sera marquée plus que jamais par l’imprévisible, mais également par un risque de décisions irrationnelles qui menacent d’entraîner le monde dans un tourbillon de chaos, de barbarie et d'affrontements militaires sans précédents.
09.10.23 / Fo & RH
[1] Résolution sur la situation internationale, pt 5. 25e Congrès du CCI, Revue internationale 170, 2023.
[2] Lire P.-A. Donnet, Chine : comment la folie des grandeurs mène l'économie à la ruine, Asiayst, 01.10.23)
[3] (un spécialiste britannique de la gestion de portefeuilles, cité dans P.-A. Donnet, Chine : la crise économique, prélude d'un hiver politique et social ? Asialyst, 07.09.23)
[4] Voir le China Labour Bulletin
Si la guerre en Ukraine retient l’attention des journaux du monde entier, il y a cependant toujours en arrière-fond la confrontation entre les deux puissances majeures d’aujourd’hui, les États-Unis et, face à eux, leur challenger principal, la Chine, qui s’intensifie de manière de plus en plus ouverte et violente. Au sein de la bourgeoisie américaine, il y a homogénéité entre ses factions principales sur le fait qu’il faut empêcher à tout prix la Chine de se renforcer en tant que puissance mondiale ambitionnant de détrôner les États-Unis : « La réaction des États-Unis face à leur propre déclin et à la montée en puissance de la Chine n'a pas été de se retirer des affaires mondiales, mais au contraire, ils ont lancé leur propre offensive visant à limiter les progrès de la Chine, depuis le « virage vers l'Est » d'Obama jusqu’à l'approche plus directement militaire de Biden, en passant par l’intensification de la guerre commerciale sous Trump (provocations autour de Taiwan, destruction de ballons espions chinois, formation d'AUKUS, nouvelle base américaine aux Philippines, etc.). L'objectif de cette offensive est d'ériger un mur de feu autour de la Chine, bloquant sa capacité à se développer en tant que puissance mondiale » (Résolution sur la situation internationale, pt 4. 25e Congrès du CCI, Revue internationale 170, 2023).
Militairement, malgré un renforcement impressionnant de son armement depuis une dizaine d’années, la Chine est encore largement en infériorité par rapport à la puissance américaine et elle développe dès lors une stratégie à long terme visant à jeter les bases économiques globales de sa montée en puissance impérialiste. Bref, ce dont la Chine a besoin, c’est du temps et c’est précisément ce que l’Oncle Sam ne tient absolument pas à lui accorder.
Les États-Unis ont fortement affaibli l’« allié stratégique » de Pékin, la Russie, piégée par eux dans une guerre de plus en plus destructive en Ukraine. La Chine a fort bien compris le message d'avertissement des Américains et a réagi avec prudence, car elle ne veut pas subir des sanctions qui rendraient sa situation économique encore plus compliquée. L’extension du chaos guerrier et l’accumulation de dettes des États impliqués ont provoqué la stagnation, voire le blocage, de son projet impérialiste pharaonique, la Nouvelle Route de la Soie, ce qui est un autre facteur qui met la Chine en difficulté. D’autre part, la guerre commerciale, initiée sous l’administration Trump et accentuée par Biden, exerce une pression étouffante sur l’économie chinoise : rappelons l’interdiction imposée à Huawei d’utiliser les systèmes de Google et les droits de douane sur l'aluminium chinois, ou encore l’interdiction pour les investisseurs américains d'investir en Chine dans le développement et la production de microprocesseurs et la pression sur des états « alliés » pour ne pas exporter vers la Chine des machines pouvant servir à fabriquer des micropuces.
Sur le plan militaire, les États -Unis ont peaufiné le blocage des côtes chinoises et de ce fait accentué la pression sur la Chine. En août, un traité de défense mutuelle a été signé à Camp David entre le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis. Biden a réitéré l’engagement des États-Unis à défendre militairement Taiwan en cas d’attaque chinoise et lui fournit massivement des armes. Enfin, l’attitude agressive de la Chine en mer de Chine a permis aux Américains de resserrer leurs liens avec les Philippines ou avec le Vietnam, en particulier à travers la visite de Biden à Hanoi en septembre pour proposer une « alliance stratégique » à un pays avec lequel les entreprises américaines de l'industrie militaire, telles Lockheed Martin et Boeing, ont déjà des liens économiques importants. Si on ajoute à ce dispositif les bases US sur les îles d’Okinawa et de Guam, il est évident que le dispositif américain limite de plus en plus étroitement les ambitions chinoises en direction des routes maritimes. Enfin, le QUAD (Japon, Inde, États-Unis et Australie), un groupe de « défense mutuelle » visant à faire de l’Indo-Pacifique un lieu de « paix et de prospérité » (sic !), a déclaré lors de sa récente réunion en mai à Hiroshima : « Nous nous opposons fermement à la déstabilisation ou aux actions unilatérales visant à modifier le statu quo par la force ou la coercition. ». S’il n’y a aucune mention de la Chine et de ses menaces contre Taiwan, le message est cependant sans ambigüités.
Face à une telle situation, Pékin est obligée de réagir, mais le mélange hypocrite de provocations et de diplomatie des Américains (ils ont envoyé 13 délégations à Pékin au cours des 3 derniers mois dans le but de "négocier") amène la Chine à réagir dans différentes directions.
D’une part, ses actions militaires envers Taïwan deviennent de plus en plus menaçantes : la Chine multiplie des exercices militaires dans le détroit de Taiwan pour accréditer l’idée qu’une éventuelle invasion se prépare, et elle construit également des îles artificielles sur des récifs controversés de la mer de Chine pour y installer de nouvelles bases militaires dans le but en particulier de contrôler une zone où 60% du commerce naval mondial passe. Elle intensifie également la course aux armements pour renforcer son appareil militaire, en particulier sa flotte de guerre. Enfin, elle multiplie les déclarations martiales : ainsi, le ministre chinois de la Défense, Wei Fenghe, a déclaré : « Si quelqu'un ose séparer Taiwan de la Chine, nous n'hésiterons pas à nous battre. Nous nous battrons coûte que coûte et jusqu'au bout. C'est la seule option ».
Cette agressivité ne se manifeste d’ailleurs pas seulement envers les États-Unis mais également envers ses voisins : Pékin est aux prises avec l’Inde dans un conflit territorial qui mène régulièrement à des affrontements armés ; la réaction de la Chine face au déversement par le Japon d'eaux contaminées par les radiations dans l'océan Pacifique est un autre exemple de l'acrimonie dans les relations entre les deux nations, la première ayant interdit l'entrée des produits marins japonais sur son territoire, sachant que l'industrie de la pêche japonaise est très importante pour l'économie nippone. Sur le plan économique, la Chine a aussi pris des mesures de rétorsion envers les États-Unis, par exemple en décidant d'interdire, début septembre, l'usage des iPhones dans ses services publics. Si cela a fait perdre à Apple immédiatement 200 milliards de dollars en bourse, l'aspect irrationnel de la mesure apparaît toutefois à travers le fait que la Chine est le principal fabricant de ces téléphones portables et qu’il est possible à cause de la mesure qu'Apple soit amené licencier des travailleurs chinois.
D’autre part, la Chine s’est lancée dans une opération diplomatique de grande envergure visant à montrer qu’elle est une « force de paix » et que ce sont les Américains qui mènent une politique guerrière. Elle a été l’artisan de la réconciliation spectaculaire entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et a même offert ses bons offices pour des négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine. Lors de la récente réunion des BRICS en Afrique du Sud, Xi Jinping a poussé à l'expansion des BRICS en proposant 6 nouveaux membres et la création d'une monnaie commune ; si la dernière proposition s’est heurtée à l’hostilité de l’Inde, l'Arabie saoudite, l'Iran, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte, l'Éthiopie et l'Argentine ont été intégrés comme nouveaux membres. Cette politique chinoise révèle son influence croissante au Moyen-Orient. En l'absence d'une capacité militaire capable de rivaliser avec les États-Unis, la Chine utilise surtout la « diplomatie des crédits financiers » pour gagner de l'influence dans le monde. Cependant, cette arme comporte de nombreux risques. Ainsi par exemple, la faillite du Sri Lanka empêche la Chine d’annuler la dette du Pakistan pour le moment, vu le risque d’extension du problème du remboursement.
L’absence de Xi Jinping à réunion du G20 à New Delhi en septembre constitue une première pour le président chinois qui assistait toujours aux réunions de ce groupe de pays et illustre bien le dilemme dans lequel se trouve la Chine : d’un côté, Xi a voulu montrer qu’il ne tient plus à reconnaître l’ordre mondial dicté par les États-Unis et découlant de la seconde guerre mondiale ; mais fondamentalement, son absence est un aveu de faiblesse face à l’agressivité américaine dans l’Indo-Pacifique, au renforcement des relations entre les États-Unis et l’Inde de Modi et à ses propres difficultés économiques et politiques.
Face à l’offensive américaine, la Chine manœuvre pour gagner du temps, mais les Américains ne sont pas disposés à le lui accorder. Les provocations américaines et leur politique d'enfermement s’accentuent visant à étrangler le dragon chinois, ce qui ne peut qu’accentuer l’imprévisibilité de la situation et le risque de réactions irrationnelles qui multiplieront les confrontations guerrières et intensifieront le chaos.
09.10.23 / Fo & RH
Notre camarade Miguel nous a quittés. Né en 1944, il s'est révolté très jeune contre cette société de barbarie et d'exploitation qu'est le capitalisme. Il comprenait la nécessité de lutter pour une nouvelle société, mais en même temps, ce qui se passait en URSS, présentée comme la "patrie du socialisme", le faisait beaucoup douter de ce soi-disant "communisme". À cette époque, d'autres "alternatives" étaient en vogue. L'une d'entre elles était la Yougoslavie de Tito, un pays "non aligné"[1] offrant un "socialisme autogéré". Il y a émigré, étudié et travaillé, et s'est vite rendu compte qu'il n'y avait rien de socialiste dans ce pays, qu'il s'agissait d'une autre des nombreuses variantes du capitalisme d'État. De cette expérience décevante est née sa conviction qu'aucune des "Mecques du socialisme" (Russie, Yougoslavie, Albanie, Chine, Cuba, etc.) n'était du communisme ni même "en transition vers le communisme", mais qu'il s'agissait d'États capitalistes où l'exploitation régnait avec la même fureur que dans les pays officiellement capitalistes.
De retour en Espagne, il a travaillé dans une entreprise très importante, Standard Eléctrica. C'était un ouvrier conscient et combatif, qui participait activement aux nombreuses grèves qui secouaient alors l'Espagne, dans le cadre du renouveau historique du prolétariat dont l'expression la plus avancée fut la grande grève de mai 68 en France. C'était l'époque (1972-76) où la dictature franquiste était incapable de faire face à l'immense vague de luttes et où la bourgeoisie envisageait la fameuse "transition", pour passer de la dictature franquiste à la dictature démocratique, c'est-à-dire que l'État capitaliste abandonnait le franquisme et son catholicisme national comme des vieilleries inutiles et s'entourait d'armes démocratiques pour mieux affronter la classe ouvrière : syndicats "ouvriers", élections, "libertés"...
Rapidement, le camarade se forge une seconde conviction : les syndicats, tant le vieux syndicat vertical du franquisme que les "syndicats ouvriers" (CCOO, UGT et compagnie) sont des organes de l'État bourgeois, des serviteurs inconditionnels du capital, prêts à saboter les grèves, à diviser les travailleurs, à les détourner dans des voies sans issue. Membre de l'UGT, il finit par déchirer sa carte de membre après être intervenu dans une assemblée.
Cette période lui apporte aussi une autre expérience concluante : affilié à l'un des nombreux groupes trotskistes (la Ligue Communiste), il souffre dans sa chair de ce qu'est le gauchisme, celui qui se charge avec un langage ouvriériste radical de récupérer les militants qui rompent avec le PC ou les syndicats et recherchent une véritable alternative prolétarienne internationaliste. Ils critiquaient l'URSS, mais appelaient à la défendre en tant qu'"État ouvrier dégénéré" ; ils prétendaient être "contre la guerre impérialiste", mais soutenaient la guerre au Viêt Nam et d'autres guerres impérialistes au nom de la "libération nationale" ; ils critiquaient les syndicats, mais appelaient à y participer pour les "gagner pour la classe" ; ils critiquaient les élections, MAIS appelaient à voter pour "gagner un gouvernement ouvrier PC-PSOE" ; ils parlaient de "démocratie dans l'organisation", mais c'était un panier de vipères où les différents gangs se battaient à mort pour le contrôle de l'organisation en recourant aux manœuvres, à la calomnie et à toutes les bassesses imaginables.
Ni le cauchemar du "socialisme autogestionnaire" yougoslave, ni le sabotage syndical, ni la souricière du gauchisme n'ont empêché le camarade de rechercher des positions véritablement communistes. Dans cette recherche, il a contacté le CCI et a entrepris une série de discussions très approfondies, tirant des leçons de toutes les expériences qu'il avait vécues, pour finalement décider d'y adhérer en 1980.
Depuis lors, il a été un militant fidèle à la cause du prolétariat, réfléchissant et intervenant toujours dans les réunions, essayant de contribuer à l'élaboration commune de nos positions. Il a surtout été très actif dans les luttes de classe, participant en tant que travailleur à de nombreuses luttes (Telefonica, Standard), ainsi qu'à des luttes telles que Delphi, SEAT, les réunions de chômeurs, etc. Il n'hésitait pas à intervenir dans les assemblées, à affronter les manœuvres syndicales, à proposer des mesures pour renforcer l'assemblée et à chercher à étendre la lutte pour rompre l'isolement. De même, il se rendait dans les réunions où il pouvait y avoir des discussions d'intérêt pour la clarification révolutionnaire où il n'hésitait pas à intervenir de façon claire et courageuse en défendant les positions du CCI.
Il a également beaucoup contribué à la diffusion de la presse. Il distribuait régulièrement nos publications dans les librairies, les bibliothèques, il était constamment à la recherche de nouveaux centres de distribution. Lors des manifestations, assemblées, rassemblements, etc., il était le premier à diffuser la presse de la CCI avec un enthousiasme et une persévérance tout à fait exemplaires.
Il était toujours disponible pour les activités de l'organisation et menait un travail enthousiaste de collecte de presse et de livres révolutionnaires, mais aussi sur tous les sujets intéressant la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière. La bibliothèque qu'il a réussi à constituer est un trésor pour la transmission des traditions et des positions des organisations communistes.
Il est resté militant jusqu'à la dernière minute. Atteint d'une maladie douloureuse, il demandait à tous les camarades qui lui rendaient visite quelles avaient été les discussions, il nous demandait de lui lire les textes internationaux de l'organisation, il écoutait avidement tout ce qu'on lui disait. Il était, tout simplement, UN MILITANT COMMUNISTE DU PROLETARIAT. C'est avec une grande tristesse que nous écrivons ces lignes, mais nous le faisons déterminés et encouragés par son militantisme, prêts à continuer le combat et à gagner des jeunes qui, aujourd'hui, seront confrontés aux pièges qu'il a dû surmonter et chercheront les réponses qu'il a trouvées et qui ont motivé toute sa vie.
[1] À l'époque, il existait ce que l'on appelait le "mouvement des non-alignés", des pays qui prétendaient se situer en dehors des deux blocs impérialistes qui dominaient le monde : les États-Unis et l'URSS. L'un de ses promoteurs était Tito, le président yougoslave qui fut l'une des vedettes de la célèbre conférence de Bandung en 1955.
Nous publions ci-dessous un courrier de lecteur signé Tibor, suivi de notre réponse. Nous ne pourrons traiter ici de l’ensemble des points soulevés par ce texte très riche, comme nous ne considérons pas notre réponse comme un point final au débat. Au contraire, nous encourageons tous nos lecteurs, et Tibor lui-même évidemment, à se saisir de ce début d’échanges pour poursuivre la discussion, par de nouveaux courriers ou lors de nos réunions publiques et permanence.
Chers camarades,
Voici comment Friedrich Engels décrivait les émeutes de la bière en Bavière qui eurent lieu au début du mois de mai 1844 : « La population laborieuse s’est regroupée en masse, a marché dans les rues, a attaqué des bâtiments officiels, brisé des vitres et détruit tout ce qui se trouvait sur son passage pour protester contre la hausse du prix de sa boisson préférée. […] Maintenant que le peuple a, pour la première fois, pris conscience qu’il pouvait modifier le système fiscal en effrayant le gouvernement, il apprendra vite qu’il est tout aussi facile de l’effrayer pour des affaires encore plus importantes. » (Souligné par moi, Tibor). Il pourrait donc apparaître a priori que la position authentiquement marxiste sur les émeutes soit un acquis du patrimoine révolutionnaire. En réalité, il n’en est rien. Ainsi, à l’occasion des émeutes de juin 2023 s’étant déclarées en France à la suite du meurtre du jeune Nahel par la police, les organisations de la gauche communiste ont défendu des positions parfois radicalement opposées. Tandis que certaines organisations ont salué ce mouvement, tout en insistant de façon plus ou moins prononcée sur ses limites évidentes, d’autres groupes, comme le CCI auquel s’adresse ce courrier, n’ont pas manqué de dénoncer l’impasse des « violences aveugles ». Ces divergences de taille montrent que loin d’être une évidence, la question des émeutes mérite de faire l’objet d’une clarification et d’une confrontation. C’est ce que ce courrier cherche à faire.
Les émeutes des banlieues s’inscrivent-elles sur le terrain de la classe ouvrière ?
Contrairement à ce qu’affirme l’extrême-gauche du capital, « tout ce qui bouge » n’est pas nécessairement « rouge », ou, exprimée de façon moins caricaturale, tout mouvement social n’exprime pas nécessairement la lutte de classe du prolétariat. Afin de savoir si un mouvement s’inscrit ou non sur le terrain du prolétariat, il importe de procéder avec méthode et de répondre à un certain nombre de questions. Schématiquement, les marxistes disposent de plusieurs moyens pour identifier la nature de classe d’un mouvement : la composition sociale des participants et participantes ; les méthodes et moyens de lutte employés ; la nature de classe des revendications. Une fois ces points envisagés, ce que nous allons faire dans la suite de ce courrier, il importe encore de replacer cette analyse dans une perspective dynamique et historique, ce qui sera fait dans un second temps.
Causes et composition sociale des émeutes
Commençons tout d’abord par la composition sociale des émeutiers. A priori personne ne nie l’appartenance de la majorité des émeutiers au prolétariat. Ce serait en effet faire preuve d’une méconnaissance évidente de la situation dans les banlieues françaises que de nier l’appartenance d’une majorité de ses habitants et habitantes à la classe ouvrière. Quand ils ne sont pas confrontés au chômage et à la pauvreté, ces prolétaires travaillent pour de grandes plateformes logistiques (Amazon) ou dans un auto-entrepreneuriat fictif visant à dissimuler la forme salariale d’exploitation (Uber, Deliveroo, etc.). Pour tout matérialiste, attaché à identifier les causes économiques et sociales qui produisent en dernière instance ces émeutes, il est évident que ces soulèvements s’expliquent d’une part par le fait que cette fraction du prolétariat est soumise d’un côté à une exploitation forcenée, se caractérisant notamment par une plus grande misère, un chômage plus important ou encore l’absence des palliatifs habituels (services publics). D’autre part, ils ont également pour causes une répression étatique sans limites, avec humiliations, contrôles au faciès, meurtres et un véritable racisme d’État encouragé par la police et la justice. Ces émeutes sont donc une réaction directe à une exploitation et à une répression de classe, ce que tout révolutionnaire devrait saluer comme une rupture du statu quo et un refus par une fraction du prolétariat de continuer à subir des conditions de vie et de travail insupportables. Quant aux arguments voyant dans les jeunes émeutiers une incarnation du sous-prolétariat avec ses délinquants et autres voyous, ceux-ci ne résistent pas à l’analyse dans la mesure où ce sont précisément dans les quartiers contrôlés par les dealers que rien n’a bougé, du fait de la nécessité pour ces groupes criminels de maintenir les « affaires » là où les émeutes représentent une menace pour ce commerce. Plus, ce sont même parfois les dealers qui ont agi pour mettre un terme aux émeutes. Si le CCI semble bien voir la composition sociale prolétarienne des émeutiers et les causes sociales et économiques de leur combat, il ne voit même pas ce qu’il y a de progressiste dans ce refus de continuer à subir sans broncher la violence de classe (alors même qu’il se réjouit, à raison, des nombreux slogans « enough is enough » et « trop c’est trop » que l’on rencontre dans les autres mouvements sociaux à l’échelle mondiale).
Méthodes et moyens de lutte
Il est néanmoins évident que les causes et la composition sociale d’un mouvement ne sauraient suffire à prouver la nature de classe d’un mouvement. Cela nous conduit à aborder la question des méthodes de lutte. Et de toute évidence, c’est là le cœur de mon désaccord avec l’analyse du CCI. La thèse du CCI s’exprime de la façon suivante : les émeutes sont un danger pour le prolétariat. Nous avons déjà mentionné qu’Engels soutenait en 1844 la forme émeutière de lutte. De nombreux groupes prolétariens ont défendu des positions similaires. Un exemple parmi d’autres est le groupe résistant du troisième camp OCR pendant la Seconde Guerre mondiale qui mentionne parmi les luttes politiques à caractère prolétarien, les luttes anti-police et les émeutes à caractère revendicatif. À rebours de ces positions traditionnelles et historiques, citons l’article du CCI : « La classe ouvrière possède ses propres méthodes de lutte qui s’opposent radicalement aux émeutes et aux simples révoltes urbaines. La lutte de classe n’a strictement rien à voir avec les destructions et la violence aveugles, les incendies, le sentiment de vengeance et les pillages qui n’offrent aucune perspective. » En contrepoint, citons à nouveau l’article de Friedrich Engels : « La population laborieuse s’est regroupée en masse, a marché dans les rues, a attaqué des bâtiments officiels, brisé des vitres et détruit tout ce qui se trouvait sur son passage pour protester contre la hausse du prix de sa boisson préférée. […] La police, qui est comme partout particulièrement impopulaire dans le peuple, était violemment attaquée, battue et maltraitée par les émeutiers. » Cela suffit à prouver que sur cette question, le CCI révise l’acceptation marxiste de la violence, en rejetant par principe la violence spontanée et incontrôlée. Au contraire, les marxistes, bien loin de dénoncer les violences, comme n’importe quel vulgaire bourgeois ou comme le groupe gauchiste Lutte ouvrière (NB : le CCI se plaît à rejeter toute critique de ses positions sur les émeutes comme exprimant une position en tous points similaires à celle des groupes gauchistes, trotskistes, maoïstes, anarchistes, etc. Comment explique-t-il que sa position de dénonciation de la violence aveugle et sans perspectives des émeutes soit la même, mot pour mot, que celle du groupe gauchiste Lutte ouvrière ?), défendent la même perspective que Marx quand il écrivait dans l’Adresse de la Ligue des Communistes de 1850 : « Bien loin de s’opposer aux prétendus excès, aux exemples de vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics auxquels ne se rattachent que des souvenirs odieux, il faut non seulement tolérer ces exemples, mais encore en assumer soi-même la direction ». (Souligné par moi, Tibor). Remarquez que dans la phrase du CCI, la notion de « vengeance » est opposée à la lutte de classe tandis que chez Marx, elle est non seulement tolérée mais doit également être organisée par les révolutionnaires communistes. Ce que ces exemples montrent, c’est que le CCI rompt avec l’analyse marxiste de la violence de classe, se refusant, pour des raisons idéalistes et métaphysiques, à soutenir la violence, dès lors qu’elle est spontanée ou minoritaire, et ce même si c’est une partie de la classe qui y a recours. À un niveau plus fondamental, c’est sur le rapport entre violence et conscience que le CCI révise le marxisme. Pour lui, une lutte consciente sera la moins violente possible. Inversement, une lutte violente témoignera de la faiblesse du prolétariat. C’est en opposition totale avec les appels de Marx, d’Engels, de Lénine, de Trotsky, de Miasnikov ou encore de Bordiga à la terreur de classe. La lutte de classe c’est, comme l’affirmait Marx en reprenant une formule de Georges Sand, « le combat ou la mort, la lutte sanguinaire ou le néant. C’est ainsi que la question est invinciblement posée. » Dès lors, les formes de violence spontanées et minoritaires, loin d’être des impasses, témoignent d’une conscience, même embryonnaire, de cette réalité. C’est un point d’appui pour la lutte future du prolétariat. Le principal reproche que le CCI fait à cet argument est que la violence contribue à la division du prolétariat alors même que le but de la lutte de classe est la recherche d’une unité toujours plus grande. De toute évidence, il s’agit là d’une nouvelle position dogmatique et métaphysique du CCI. L’unité n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen vers le but qui est celui de contribuer à la conscientisation du prolétariat qu’il a des intérêts qui lui sont propres, qui viennent s’opposer radicalement à ceux de la bourgeoisie, nécessitant dès lors une offensive finale contre la bourgeoisie et pour l’instauration du communisme. Défendre l’unité comme un dogme à chaque moment de la lutte est une erreur dangereuse. Au cours d’un épisode révolutionnaire, l’unité n’est pas une donnée initiale, elle ne représente qu’une perspective à moyen ou long-terme. Cela s’explique par l’hétérogénéité de la conscience de classe au sein du prolétariat. Un exemple suffira à prendre conscience de ce fait : à l’automne 1918, pendant la révolution allemande, les positions stratégiques et tactiques de Karl Liebknecht devaient nécessairement contribuer à diviser le prolétariat entre avant-garde consciente et arrière-garde restée sur le terrain bourgeois. Ce sont précisément les sociaux-démocrates qui dénonçaient Liebknecht comme un diviseur et se faisaient les parangons de l’unité. Avec ses appels métaphysiques à l’unité, le CCI aurait donc dû se trouver aux côtés du SPD. Heureusement, il est trop révolutionnaire pour se laisser mystifier par ses propres erreurs théoriques. Dès lors, ce que cet exemple illustre, c’est qu’il est erroné de demander à toute lutte de contribuer à l’unité. Si celle-ci reste une perspective, elle ne saurait être atteinte au début d’un mouvement et les révolutionnaires n’ont absolument pas à craindre de briser l’unité si cela bénéficie, comme avec le recours à la violence, à sa lutte de classe.
La nature de classe des revendications
Enfin, la dernière dimension à étudier est celle des revendications et de leur nature de classe ou non. C’est là que s’exprime toute la faiblesse de ces émeutes. La clarté des revendications et des perspectives qu’exprime un mouvement est le produit de la conscience manifestée par ce mouvement. En l’occurrence, il est indéniable que cette conscience de classe était seulement embryonnaire et que les participants et participantes n’avaient pas conscience d’appartenir à une classe sociale aux intérêts communs, à savoir le prolétariat. Cela se manifeste de façon extrêmement claire par le fait qu’outre les violences de classe (contre la police, les mairies, les préfectures, les centres commerciaux, les prisons et autres incarnations du capitalisme et de l’État bourgeois répressif), les émeutiers s’en sont également pris à leur propre classe, que ce soit physiquement en prenant à partie des prostituées (sans doute pour des motifs de puritanisme complètement étrangers à la classe ouvrière) ou matériellement en attaquant des voitures (de prolétaires !), des écoles ou encore des hôpitaux, services publics, qui bien que simples palliatifs, restent malgré tout utile pour la vie quotidienne d’une grande majorité du prolétariat. Le CCI a donc raison quand il affirme que ces luttes ne contribuent pas à l’unification du prolétariat. Mais à cela, deux remarques sont immédiatement nécessaires. Contrairement à ce qu’il affirme quand il prétend que les émeutes sont condamnées par une majorité du prolétariat des banlieues, les témoignages tendraient plutôt à montrer le soutien des aînés à la révolte des jeunes. Néanmoins, il ne s’agit ici que de témoignages, et il est absolument impossible pour des révolutionnaires que d’évaluer scientifiquement le degré d’adhésion ou de rejet au sein du prolétariat des banlieues vis-à-vis des émeutes. La seconde remarque à faire est que même s’il est évident que la bourgeoisie fait et fera tout son possible pour diviser le prolétariat en insistant sur la violence et les limites de ces luttes pour provoquer l’indignation du reste du prolétariat, la tâche des révolutionnaires, plutôt que de crier avec les loups et de mêler ses cris à ceux de la bourgeoisie et de certains prolétaires, est bien plutôt de refuser cette division et de contribuer par sa propagande à montrer que tous ces prolétaires, qu’ils participent aux émeutes, ou qu’ils les réprouvent, contaminés par la propagande mensongère des médias bourgeois, appartiennent à une seule et même classe et ont des intérêts communs. C’est cette tâche que le CCI abandonne quand il se contente de dénoncer les émeutes.
Une analyse comparée de la lutte contre la réforme des retraites et des émeutes au niveau de la conscience
En définitive, quel est le degré de conscience de ces luttes ? Tout d’abord, il importe de replacer ces luttes dans leur dynamique historique. Elles surgissent à la suite de décennies de recul de la conscience de classe à l’échelle mondiale (depuis au moins les années 1980 et les nombreuses défaites rencontrées par le prolétariat). Il serait absurde (et le CCI en convient) de reprocher aux luttes actuelles de ne pas être au niveau de la conscience des années 1970, et a fortiori, des années 1920. Pourtant, alors que le CCI en convient pour les luttes économiques, il rejette cet argument pour les émeutes et se contente de dénoncer l’absence de conscience. Au contraire, une analyse comparée des luttes contre la réforme des retraites et des émeutes dresse un tout autre tableau, beaucoup plus dialectique et anti-schématique, que celui du CCI. C’est ce que je me propose de faire pour conclure ce courrier.
Être conscient d’être un prolétaire implique trois choses : 1) la conscience d’appartenir à une seule et même classe exploitée avec des intérêts communs ; 2) la conscience d’avoir des intérêts antagoniques et radicalement opposés à ceux de la bourgeoisie ; 3) la nécessité de s’auto-organiser hors de tout cadre bourgeois. Or, il apparaît qu’au regard de ces trois critères, chacun de ces deux mouvements est le miroir inversé de l’autre. Ainsi, la lutte contre la réforme des retraites doit être saluée pour sa massivité et sa tendance à l’unification de l’ensemble du prolétariat, indépendamment du métier, de l’âge, du genre, etc. (même si les impasses localistes et corporatistes ont été encouragées par les syndicats, et que le prolétariat n’a pas été encore en mesure de les rejeter). C’est un point de départ salutaire pour de futures luttes. Par contre, les deux autres dimensions ont manqué cruellement. L’encadrement syndical, qui s’est maintenu du début à la fin du mouvement, a conduit à l’organisation de manifestations-promenades guillerettes et légalistes où la haine de la bourgeoisie et la compréhension de la nécessité d’une lutte radicale et violente contre la classe ennemie faisaient complètement défaut. De même, l’auto-organisation n’est jamais parvenue à s’exprimer, ce qui est l’une des causes majeures de la défaite du mouvement. À nouveau, ces limites étaient inévitables dans la phase historique actuelle mais elles doivent être dénoncées si le prolétariat veut tirer les leçons de la défaite pour aller de l’avant. Si on observe maintenant les émeutes au regard de ces mêmes trois critères, on constate que l’auto-organisation fait également défaut, non pas dans la mesure où ce mouvement est organisé par la bourgeoisie (syndicats, gauchistes) mais dans la mesure où il n’est pas organisé du tout. Par contre, là où l’unité faisait la force du mouvement contre la réforme des retraites, son absence fait la faiblesse des émeutes. Par l’action de la bourgeoisie et du fait de la faiblesse de la conscience au sein de la classe, les émeutiers ont été opposés au reste du prolétariat, et cette division entre prolétaires n’a jamais été remise en question (y compris par le CCI). Enfin, la dimension de compréhension de la nécessaire lutte contre la bourgeoisie, la haine de l’ennemi, était bien présente dans les émeutes, alors qu’elle était absente dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites.
En conclusion, il ne s’agit donc pas (comme ce fut le cas dans un autre courrier de lecteur dont les enjeux étaient relativement similaires à ceux actuels) de s’interroger sur lequel de ces deux mouvements est le plus radical. Il ne s’agit pas non plus de prendre l’un de ces deux mouvements comme modèle et l’autre comme incarnation de toutes les impasses et de tous les pièges de la bourgeoisie. Il s’agit plutôt, dans le cadre d’une analyse dialectique, attentive à appréhender la nature nécessairement contradictoire des phénomènes sociaux, d’identifier aussi bien les signes d’un réveil de la conscience au sein de la classe ouvrière que les manifestations des faiblesses encore extrêmement importantes de la classe dans le cadre de sa lutte contre la bourgeoisie. Cette tâche qui est celle des révolutionnaires fait clairement défaut dans l’analyse du CCI.
Tibor
Avant tout, nous voulons saluer ce courrier, pour plusieurs raisons :
– Par ce texte, Tibor participe à la nécessité pour les révolutionnaires de débattre, de confronter les divergences et les arguments, afin de parvenir aux positions les plus claires et les plus justes possibles.
– Le camarade a fait un véritable effort théorique pour exposer les différentes positions en jeu et pour fonder sa critique sur l’histoire du mouvement ouvrier.
– Comprendre la réelle nature des émeutes de banlieues et leur impact sur la classe ouvrière est effectivement une question très importante pour l’avenir.
La charge de Tibor contre la position du CCI sur les émeutes des banlieues en France est sévère : « le CCI révise l’acceptation marxiste de la violence » ; « comme n’importe quel vulgaire bourgeois ou comme le groupe gauchiste Lutte ouvrière » ; « pour des raisons idéalistes et métaphysiques » ; « il s’agit là d’une nouvelle position dogmatique et métaphysique du CCI » ; « le CCI aurait donc dû se trouver aux côtés du SPD »…
Nous répondrons à ces critiques par la suite. Mais le plus important est ici de souligner dans quel cadre, Tibor porte ces critiques : « Tandis que certaines organisations ont salué ce mouvement, tout en insistant de façon plus ou moins prononcée sur ses limites évidentes, d’autres groupes, comme le CCI auquel s’adresse ce courrier, n’ont pas manqué de dénoncer l’impasse des “violences aveugles”. Ces divergences de taille montrent que loin d’être une évidence, la question des émeutes mérite de faire l’objet d’une clarification et d’une confrontation. C’est ce que ce courrier cherche à faire ». « Heureusement, [le CCI] est trop révolutionnaire pour se laisser mystifier par ses propres erreurs théoriques ». Autrement dit, le camarade Tibor conçoit bien ce débat au sein du milieu politique prolétarien, dans le camp révolutionnaire. Et c’est dans ce cadre que se placera aussi notre réponse, en se voulant à la fois fraternelle et sans concession.
Commençons directement par ce qui peut paraître comme le socle le plus solide de la démonstration du camarade : ses citations historiques.
C’est en reprenant quelques mots d’Engels puis de Marx que Tibor croit prouver que « le CCI révise l’acceptation marxiste de la violence ». Seulement, l’approche historique nécessite de comprendre les écrits dans leur contexte, dans leurs combats et dans leur évolution.
Quand Engels décrit les émeutes de la bière de Munich, on est en 1844, l’Allemagne est encore la Prusse, le roi Louis Ier gouverne et la féodalité s’accroche au pouvoir contre les assauts de la bourgeoisie naissante. Le mouvement prolétarien est dans sa phase d’immaturité, et ses luttes consistent le plus souvent à pousser le plus loin possible les avancées de la bourgeoisie révolutionnaire contre la féodalité réactionnaire. L’insurrection de juin 1848 en France n’a pas encore eu lieu. Or, c’est ce mouvement qui fera apparaître pour la première fois avec netteté le clivage de classe et la force autonome du prolétariat capable de se dresser directement face à la République bourgeoise : « fut livrée la première grande bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne ». (1) Quatre années plus tôt, en 1844, au-delà de toute l’immaturité et des limites du mouvement lié à l’époque, Engels salue donc la révolte de deux-mille ouvriers et la prise de conscience de leur force collective parce qu’il s’agit alors d’un petit pas en avant.
Quant à la citation de Marx, datée de 1850, le camarade effectue presque un contresens. La « vengeance populaire contre des individus haïs ou des édifices publics » qu’il fallait « tolérer » consistait, en l’occurrence, à « mettre à exécution [les] présentes phrases terroristes » de la petite-bourgeoisie démocratique dans le contexte de la lutte de la bourgeoisie allemande contre la monarchie et ses palais. Ce texte ne cesse d’ailleurs d’insister sur la nécessité pour le prolétariat de « s’organiser » par lui-même et de « centraliser » le plus possible son combat : « … il faut que les ouvriers soient armés et bien organisés. Il importe de faire immédiatement le nécessaire pour que tout le prolétariat soit pourvu de fusils, de carabines, de canons et de munitions et il faut s’opposer au rétablissement de l’ancienne garde nationale dirigée contre les ouvriers. Là où ce rétablissement ne peut être empêché, les ouvriers doivent essayer de s’organiser eux-mêmes en garde prolétarienne, avec des chefs de leur choix, leur propre état-major et sous les ordres non pas des autorités publiques, mais des conseils municipaux révolutionnaires formés par les ouvriers. Là où les ouvriers sont occupés au compte de l’État, il faut qu’ils soient armés et organisés en un corps spécial avec des chefs élus ou en un détachement de la garde prolétarienne. Il ne faut, sous aucun prétexte, se dessaisir des armes et munitions, et toute tentative de désarmement doit être repoussée, au besoin, par la force. Annihiler l’influence des démocrates bourgeois sur les ouvriers, procéder immédiatement à l’organisation propre des ouvriers et à leur armement et opposer à la domination, pour le moment inéluctable, de la démocratie bourgeoise les conditions les plus dures et les plus compromettantes : tels sont les points principaux que le prolétariat et par suite la Ligue ne doivent pas perdre de vue pendant et après l’insurrection imminente ».
Voilà la réalité du mouvement à cette époque, son contexte et ses buts. Quel rapport avec les émeutes des banlieues d’aujourd’hui ? Le camarade croit-il vraiment que les émeutes de cet été ont fait prendre conscience à la classe ouvrière qu’elle pouvait « effrayer le gouvernement » et lui apprendre « qu’il est tout aussi facile de l’effrayer pour des affaires encore plus importantes » ?
Le camarade voit-il maintenant le gouffre qui sépare les récentes émeutes écrasées en moins d’une semaine par la répression policière et les combats de classe des années du milieu du XIXᵉ siècle qui permettaient à Marx et Engels de fixer comme but de « procéder immédiatement à l’organisation propre des ouvriers et à leur armement » ?
Poursuivons. Parce qu’en réalité l’action révolutionnaire de Marx et Engels va à l’exact opposé de ce que croit trouver Tibor dans quelques phrases mal comprises. Dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre, publié en allemand en 1845, Engels esquisse les grandes lignes du développement de la révolte de la classe ouvrière : « La première forme, la plus brutale et la plus stérile, que revêtit cette révolte fut le crime. L’ouvrier vivait dans la misère et l’indigence et il voyait que d’autres jouissaient d’un meilleur sort. Sa raison ne parvenait pas à comprendre pourquoi, précisément lui, devait souffrir dans ces conditions, alors qu’il faisait bien davantage pour la société que le riche oisif. Le besoin vainquit en outre le respect inné de la propriété ; il se mit à voler… Mais les ouvriers eurent tôt fait de constater l’inanité de cette méthode. Les délinquants ne pouvaient par leurs vols, protester contre la société qu’isolément, qu’individuellement ; toute la puissance de la société s’abattait sur chaque individu et l’écrasait de son énorme supériorité ».
Ni Marx, ni Engels ne voyaient la violence et l’infraction à la loi comme révolutionnaire en soi et ils étaient prêts à critiquer les actions qui vont contre le développement de la lutte de la classe ouvrière, même quand elles apparaissaient comme spectaculaires et provocatrices. Ainsi, en 1886, Engels a vivement attaqué l’activité de la Fédération sociale-démocrate et son organisation d’une manifestation de chômeurs qui, tout en passant par Pall Mall et d’autres quartiers riches de Londres sur le chemin de Hyde Park, a attaqué des magasins et pillé des boutiques de vin. Engels a fait valoir que peu de travailleurs y avaient pris part, que la plupart des personnes impliquées « étaient sorties pour rigoler et dans certains cas, étaient déjà à moitié bourrées » et que les chômeurs qui y avaient participé « étaient pour la plupart de ce genre qui ne souhaitent pas travailler : des marchands de quatre saisons, des oisifs, des espions de la police et des voyous ». L’absence de la police était « tellement visible que ce n’était pas seulement nous qui croyions qu’elle était intentionnelle ». Quoi qu’on puisse penser de certaines expressions d’Engels aujourd’hui, sa critique essentielle suivant laquelle « ces messieurs socialistes [c’est-à-dire les dirigeants de la FSD] sont déterminés à faire apparaître de façon immédiate un mouvement qui, ici comme ailleurs, réclame nécessairement des années de travail » demeure pleinement valable. La révolution n’est pas le produit du spectacle, de la manipulation ou du pillage.
Aborder l’histoire ex nihilo, en figeant quelques phrases, en les extrayant de leur contexte, en leur faisant dire ainsi ce que l’on espère, comme les religieux font avec leurs versets, n’est-ce pas plutôt cela qui constitue une démarche « dogmatique », « idéaliste » et « métaphysique » ? (2)
Sur de ces fondations historiques bancales, le camarade Tibor élève les murs porteurs de son argumentaire. Selon lui, compte-tenu de la faiblesse actuelle de la lutte du prolétariat, de ses illusions vis-à-vis de l’État, de la démocratie, etc., la « haine » des émeutiers envers les flics et les représentants de l’ordre est un pas en avant :
– « Il s’agit plutôt, dans le cadre d’une analyse dialectique, attentive à appréhender la nature nécessairement contradictoire des phénomènes sociaux, d’identifier aussi bien les signes d’un réveil de la conscience au sein de la classe ouvrière que les manifestations des faiblesses encore extrêmement importantes de la classe dans le cadre de sa lutte contre la bourgeoisie ».
– « … la dimension de compréhension de la nécessaire lutte contre la bourgeoisie, la haine de l’ennemi, était bien présente dans les émeutes, alors qu’elle était absente dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites ».
Pour vérifier cette « analyse dialectique » et effectivement « contradictoire », partons de la description que le camarde fait lui-même de ces fameuses émeutes : « La dernière dimension à étudier est celle des revendications et de leur nature de classe ou non. C’est là que s’exprime toute la faiblesse de ces émeutes. […] Cela se manifeste de façon extrêmement claire par le fait qu’outre les violences de classe (contre la police, les mairies, les préfectures, les centres commerciaux, les prisons et autres incarnations du capitalisme et de l’État bourgeois répressif), les émeutiers s’en sont également pris à leur propre classe, que ce soit physiquement en prenant à partie des prostituées (sans doute pour des motifs de puritanisme complètement étrangers à la classe ouvrière) ou matériellement en attaquant des voitures (de prolétaires !), des écoles ou encore des hôpitaux, services publics, qui bien que simples palliatifs, restent malgré tout utile pour la vie quotidienne d’une grande majorité du prolétariat ».
Nous sommes bien d’accord avec le camarade : pouvoir se déplacer, ne serait-ce que pour aller au boulot, se soigner, apprendre à lire et à écrire… « restent malgré tout utile pour la vie quotidienne d’une grande majorité du prolétariat ». Mais, le camarade peut-il sérieusement affirmer qu’attaquer des prostituées, brûler les voitures de ses voisins, des bus, des écoles, des hôpitaux… en quoi est-ce comparable aux actions violentes du prolétariat des années 1850 ?
Le camarade a raison sur un point, les émeutiers sont très majoritairement des enfants de la classe ouvrière. Il décrit d’ailleurs fort justement la réalité des banlieues : « Ce serait en effet faire preuve d’une méconnaissance évidente de la situation dans les banlieues françaises que de nier l’appartenance d’une majorité de ses habitants et habitantes à la classe ouvrière. Quand ils ne sont pas confrontés au chômage et à la pauvreté, ces prolétaires travaillent pour de grandes plateformes logistiques (Amazon) ou dans un auto-entrepreneuriat fictif visant à dissimuler la forme salariale d’exploitation (Uber, Deliveroo, etc.) ». Et les émeutiers sont la partie la plus écrasée, rejetée, exclue de cette classe ouvrière précarisée. Le camarade y voit là une preuve de la nature ouvrière de leurs explosions de violences. En réalité, justement à cause de l’absence encore aujourd’hui d’un mouvement ouvrier suffisamment puissant pour entraîner dans le sillage de sa lutte les parties les plus affaiblies d’elles-mêmes et toutes les couches de la société, cette jeunesse ouvrière marginalisée ne peut que sombrer dans le nihilisme, la violence aveugle, la haine et la destruction. Voilà quelle réalité éclairent les voitures, les bus et les écoles brûlées. Une explosion de colère qui se retourne contre la classe ouvrière elle-même.
Oui, mais ils ont aussi brûlé des « centres commerciaux », « incarnations du capitalisme » entend-on protester le camarade Tibor. Il y a là un malentendu entre le romantisme du camarade qui voit ces émeutes de loin et les émeutiers eux-mêmes. Il y a en effet eu des magasins pillés et des centres commerciaux incendiés. Mais pour les émeutiers, il ne s’agissait pas d’attaquer le capitalisme et ses symboles. Bien au contraire ! Ces attaques reflètent la domination de la culture marchande plutôt qu’un défi à celle-ci. La notion de « shopping prolétarien », élaborée par certains, peut sembler opposée aux lois et à la morale bourgeoises, mais est étrangère au cadre prolétarien de l’action collective pour défendre des intérêts communs. L’acquisition individuelle de marchandises n’échappe jamais réellement aux prémisses les plus basiques de la propriété capitaliste. Au mieux, une telle appropriation individuelle peut permettre à l’individu et à ses proches de survivre un peu mieux qu’avant. C’est compréhensible, mais ce n’est absolument pas une menace pour la domination bourgeoise, ni même une velléité de menace.
Il reste encore ce que le camarade nomme « les violences de classe » : « contre la police, les mairies, les préfectures, les prisons et autres incarnations du capitalisme et de l’État bourgeois répressif ». Ici, ce n’est plus un simple malentendu, c’est du pur aveuglement. Ces émeutes ne sont même pas comparables à l’idéologie des black-blocs qui, eux, s’imaginent vraiment assaillir le capitalisme en s’attaquant à ses symboles. Lors des émeutes, les jeunes balançaient des feux d’artifice sur des commissariats et des caillasses sur les flics sans autre aiguillon que leur rage face aux contrôles incessants, au harcèlement quotidien, aux violences humiliantes, au racisme coutumier et parfois au meurtre, ignominieusement appelé « bavure ». C’est une explosion de colère impuissante. Le camarade connaît cet argument, et il croit y répondre en affirmant : « … quel est le degré de conscience de ces luttes ? Tout d’abord, il importe de replacer ces luttes dans leur dynamique historique. Elles surgissent à la suite de décennies de recul de la conscience de classe à l’échelle mondiale (depuis au moins les années 1980 et les nombreuses défaites rencontrées par le prolétariat). Il serait absurde (et le CCI en convient) de reprocher aux luttes actuelles de ne pas être au niveau de la conscience des années 1970, et a fortiori, des années 1920. Pourtant, alors que le CCI en convient pour les luttes économiques, il rejette cet argument pour les émeutes et se contente de dénoncer l’absence de conscience. Au contraire, une analyse comparée des luttes contre la réforme des retraites et des émeutes dresse un tout autre tableau, beaucoup plus dialectique et anti-schématique, que celui du CCI ». Guy Debord a souvent affirmé que la dialectique pouvait casser des briques, mais nous doutons quand-même de l’utilisation qu’en fait le camarade Tibor dans le cadre émeutier.
Dans ces quelques lignes, il y a une incompréhension, celle de la différence radicale de nature entre le mouvement social contre les retraites et les émeutes. En manifestant, en se regroupant dans la rue, par centaines de milliers, en commençant à se reconnaître comme des travailleurs, en percevant la force d’être unis, les ouvriers se battent sur leur terrain de classe. Quel que soit leur niveau de conscience, leur lutte permet de nourrir leur réflexion et leur organisation. Cette approche dynamique est essentielle. La dialectique, c’est le mouvement. Où mène l’émeute ? Où mènent ces nuits durant lesquelles des gamins de 14-17 ans sortent pour piller les magasins et affronter une police surarmée ? À un développement de la conscience de la classe ouvrière ? À un renforcement de sa capacité à s’organiser ? Absolument pas. Les émeutes mènent à la destruction, au chaos. Elles sont le contraire de la perspective que peut offrir la lutte du prolétariat.
D’ailleurs, on voit déjà comment ces émeutes évoluent décennies après décennies. 2005 en France, 2011 en Angleterre, 2023 de nouveau en France… la tendance est vers de plus en plus de violence et de pillages. Elles touchent des parties de plus en plus larges de la jeunesse, en ne se limitant plus simplement aux banlieues mais en touchant aussi les petites villes de campagne confrontées à l’explosion du chômage et à l’absence d’avenir. Et, en face, une police de plus en plus armée et meurtrière.
Pour se convaincre de la différence de nature entre ces deux types de mouvements, le camarade devrait se pencher sur ce qu’en dit la bourgeoisie. Ce que dit et fait « l’ennemi de classe » est toujours riche en enseignements. À l’échelle internationale, les émeutes sont chaque fois sur-médiatisées. Les journaux se répandent en images chocs, c’est au journaliste qui montrera la plus grosse flamme. En 2005, la Une des journaux aux États-Unis titraient « Paris is burning » (Paris brûle). La bourgeoisie serait-elle devenue suicidaire en exposant ainsi de si belles preuves de « la haine de l’ennemi de classe » ? Ou bien idiote en faisant la publicité de luttes représentant une avancée pour la conscience révolutionnaire du prolétariat ?
Une autre hypothèse est peut-être plus crédible : la bourgeoisie étale les émeutes parce que ces destructions étayent sa propagande, diffusent l’idée que toute révolte est destruction, que toute violence mène au chaos. En accentuant la peur, la bourgeoisie profite des émeutes pour pousser au repli, pour atomiser, pour enfoncer le clou du sentiment d’impuissance et, in fine, pour présenter l’État comme le garant de l’ordre et de la protection.
Par contre, quand un mouvement social se développe, le black-out est la règle. Les informations sont diffusées au compte-gouttes. Que sait-on des grèves actuelles aux États-Unis ? Rien, mis à part que Biden et Trump sont allés rendre visite aux grévistes. Quelles images ont été diffusées lors du mouvement social en France ? Celles de poubelles qui brûlent ! Celles des black-blocs s’affrontant aux rangées de CRS ! Quand des millions de manifestants se rassemblent sur un terrain de classe, les médias braquent leur projecteur sur dix poubelles en flammes et cinquante jeunes recouverts de noir balançant des pavés ! En 2006, lors du mouvement contre le CPE en France, quand des milliers d’étudiants précaires se rassemblaient en assemblées générales et attiraient à eux, dans la rue, de plus en plus de travailleurs, de chômeurs, de retraités, le grand journal Times, dont la portée et la réputation internationale n’est plus à faire, titrait : « Riots » (« Émeutes ») ! N’est-ce pas là un élément qui devrait lui aussi faire réfléchir le camarade ?
Pour Tibor, se confronter directement à la police, s’attaquer aux commissariats et autres bâtiments étatiques est un pas en avant vers la reconnaissance de « l’ennemi de classe ». Mais n’est-ce pas précisément le piège qu’a tendu la bourgeoisie à la classe ouvrière lors du dernier mouvement en France ? En donnant l’ordre à ses flics de provoquer, d’exciter, que cherchait-elle si ce n’est de faire dégénérer les manifestations dans la violence stérile ? Pour faire peur, pour décourager à venir se rassembler dans la rue, pour empêcher toute discussion et développement de la conscience.
C’est là un piège classique. Déjà, en mai 1968, les premiers à jeter des pavés pour entraîner derrière eux les plus combatifs dans une bagarre perdue d’avance avec les CRS étaient les infiltrés, les traîtres, les indics. Parce que ce type de confrontation aux flics ne sert pas la classe ouvrière, elle sert la classe dominante ! L’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne que la meilleure réaction face ce piège est l’exact opposé de la confrontation stérile, l’exact opposé de la tentation émeutière. En ne cédant pas aux provocations lors du mouvement contre les retraites en France, les travailleurs se sont inscrits dans une longue tradition prolétarienne.
Voilà ce que nous écrivions en 2006 déjà : « Les étudiants et les jeunes en lutte ne se font aucune illusion sur le rôle des prétendues “forces de l’ordre”. Elles sont les “milices du capital” (comme le scandaient les étudiants) qui défendent, non pas les intérêts de la “population” mais les privilèges de la classe bourgeoise. […] Cependant, certains de ceux qui étaient venus prêter main forte à leurs camarades enfermés dans la Sorbonne ont tenté de discuter avec les gardes mobiles […]. Ceux qui ont essayé de discuter avec les gardes mobiles ne sont pas des naïfs. Au contraire, ils ont fait preuve de maturité et de conscience. Ils savent que derrière leurs boucliers et leurs matraques, ces hommes armés jusqu’aux dents sont aussi des êtres humains, des pères de famille dont les enfants vont être eux aussi frappés par le CPE. Et c’est ce que ces étudiants ont dit aux gardes mobiles dont certains ont répondu qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’obéir ». (3)
Voilà ce qu’écrivait Trotski au sujet de la confrontation d’avec les Cosaques, ces « perpétuels fauteurs de répression et d’expéditions punitives » (4), en 1917 : « Cependant, les Cosaques attaquaient la foule, quoique sans brutalité […] ; les manifestants se jetaient de côté et d’autre, puis reformaient des groupes serrés. Point de peur dans la multitude. Un bruit courait de bouche en bouche : “Les Cosaques ont promis de ne pas tirer”. De toute évidence, les ouvriers avaient réussi à s’entendre avec un certain nombre de Cosaques.[…]. Les cosaques se mirent à répondre individuellement aux questions des ouvriers et même eurent avec eux de brefs entretiens […]. Un des authentiques meneurs en ces journées, l’ouvrier bolchevik Kaïourov, raconte que les manifestants s’étaient tous enfuis, en certains points, sous les coups de nagaïka de la police à cheval, en présence d’un peloton de Cosaques ; alors lui, Kaïourov, et quelques autres ouvriers qui n’avaient pas suivi les fuyards se décoiffèrent, s’approchèrent des Cosaques, le bonnet à la main : “Frères Cosaques, venez au secours des ouvriers dans leur lutte pour de pacifiques revendications ! Vous voyez comment nous traitent, nous, ouvriers affamés, ces pharaons [les policiers à cheval]. Aidez-nous !” Ce ton consciemment obséquieux, ces bonnets que l’on tient à la main, quel juste calcul psychologique, quel geste inimitable ! Toute l’histoire des combats de rues et des victoires révolutionnaires fourmille de pareilles improvisations ».
En réalité, derrière ce désaccord sur la nature des émeutes, s’en cache un plus profond : ce qu’est la violence de classe. Nous ne pouvons développer ici ce point. Nous encourageons nos lecteurs à creuser la question et à venir en débattre avec nous, par écrit ou lors de nos réunions publiques.
Notre position est synthétisée dans notre article « Terreur, terrorisme et violence de classe [73] », disponible sur notre site internet. Nous nous limiterons ici à une seule citation : « Dire et redire cette tautologie “violence = violence” et se contenter de démontrer que toutes les classes en usent, pour établir sa nature identique, est aussi intelligent, génial, que de voir une identité entre l’acte du chirurgien faisant une césarienne pour donner naissance à la vie et l’acte de l’assassin éventrant sa victime pour lui donner la mort, par le fait que l’un et l’autre se servent d’instrument qui se ressemblent : le couteau exerçant sur un même objet : le ventre, et une même technique apparemment fort semblable : celle d’ouvrir le ventre. Ce qui importe au plus haut point ce n’est pas de répéter : violence, violence, mais de souligner fortement leur différence essentielle et dégager le plus clairement possible ce en quoi, pourquoi et comment la violence du prolétariat se distingue et diffère de la terreur et du terrorisme des autres classes ».
Pour renverser le capitalisme et construire la véritable communauté humaine mondiale, la classe ouvrière sera obligée, dans le futur, de se défendre aussi par la violence contre la terreur de l’État capitaliste et de toutes les forces d’appoint de son appareil répressif, mais la violence de classe du prolétariat n’a strictement rien à voir avec les méthodes des émeutes des banlieues.
Dans les années à venir, le capitalisme va continuer de plonger dans la crise économique, dans la guerre, dans la dévastation écologique, dans la barbarie. Deux types de mouvements vont se développer : d’un côté, les réactions de désespoir et les explosions de violence nihiliste ; de l’autre, les mouvements sociaux sur le terrain de la classe ouvrière, avec toutes ses faiblesses, mais porteuse de solidarité, de discussion et d’espoir.
Si, pour les révolutionnaires, toutes les réactions des opprimés, tous les cris de douleur et de révolte, attirent la sympathie, la vraie solidarité est celle qui pointe les pièges et les impasses, celle qui participe au développement de la conscience ouvrière, à son organisation et à sa perspective révolutionnaire.
L’effort collectif de clarification doit se poursuivre, parce qu’il s’agit là, à terme, d’une question vitale pour la lutte de la classe ouvrière, et donc pour toute l’humanité.
Pawel, 3 octobre 2023
1 Marx, Lutte de classe en France (1850).
2 Quant à l’appui historique qu’espère trouver le camarade auprès de l’OCR (« Un exemple parmi d’autres est le groupe résistant du troisième camp OCR pendant la Seconde Guerre mondiale qui mentionne parmi les luttes politiques à caractère prolétarien, les luttes anti-police et les émeutes à caractère revendicatif »), c’est un appui qui se dérobe et finit de faire trébucher Tibor. Rappelons simplement ce qu’écrivaient nos ancêtres d’Internationalisme en août 1946 à ce sujet : les OCR ont « séjourné trop longtemps dans le trotskisme, d’où ils ne se sont dégagés que très tard, reproduisant encore, cette agitation pour l’agitation, c’est-à-dire l’agitation dans le vide, faisant de cela le fondement de leur existence en tant que groupe. [...] Dans l’échec de l’OCR, ils ne voient pas la rançon de la formation précipitée d’une organisation qu’ils voulaient achever, et qui fut en réalité artificielle, hétérogène, groupant des militants sur un vague programme d’action, imprécis et inconsistant. » (Internationalisme n° 12). De la quarantaine de militants constituants l’OCR en 1944, seulement un an après, dès la fin de la guerre, une partie rejoint le bordiguisme et l’autre moitié se tourne vers… l’anarchisme. Cette organisation disparaîtra totalement en 1946. Cette référence historique qui mène à la faillite n’est pas due au hasard, elle est le résultat logique de la position défendue par le camarade. C’est vers ce genre de références et d’exemples que mène le chemin emprunté par ce courrier.
3 « Les CRS à la Sorbonne : Non à la répression des enfants de la classe ouvrière ! [240] » (Tract de 2006).
4 Histoire de la Révolution russe (1931).
Comme nous avons pu le rappeler dans bon nombre de nos articles, les gauchistes sont les pires et les plus sournois va-t-en-guerre. Ils utilisent un langage « marxisant » et toutes sortes de contorsions pour tenter de pousser les prolétaires à accepter non seulement de soutenir un camp dans les conflits impérialistes, mais aussi, quand c’est possible, de les enrôler comme chair à canon. Si les trotskistes sont de fervents défenseurs du militarisme, les anarchistes ne sont pas en reste. (1) Eux aussi s’avèrent être des sergents recruteurs de la pire espèce et mêmes de très bons petits soldats. Ainsi, comme le démontre un lien sur un site anarchiste [241] en rapport avec la CNT « Vignoles », une réunion publique tenue par des anarchistes ukrainiens déverse une infâme propagande guerrière. Ces rabatteurs pour le massacre impérialiste s’expriment de la sorte : « Nous, “Колективи Солідарності / Solidarity Collectives” (anciennement “Operation Solidarity”), sommes un groupe anti-autoritaire d’Ukrainiennes et Ukrainiens qui se sont regroupé·es lorsque l’invasion russe a commencé. Notre objectif est de soutenir nos camarades qui se battent au front et d’aider celles et ceux qui sont victimes de l’invasion russe […] L’Ukraine n’a pas d’autre choix, globalement, que de se défendre par les armes. C’est pourquoi de nombreux Ukrainiens et Ukrainiennes, y compris des camarades anti-autoritaires, voir anti-militaristes, ont rejoint des unités armées, volontairement et consciemment ». (2) En promouvant de façon aussi cynique et décomplexée le recrutement pour le front, ces anarchistes assument pleinement leur rôle de rabatteurs pour le massacre impérialiste et alimenter le militarisme.
Ces crapules, qui font la grande fierté de la CNT « Vignoles », osent même réclamer… des équipements militaires ! Parmi les beaux jouets demandés, on se contentera de ne relever qu’un petit échantillon :
– Motorola DP 4400 digital
– walkie-talkies
– DJ Mavic 3 or 3 pro or 3T
– drones (not classic version)
– off road vehicles 4X4 (L200, navarra, hilux, T5 or equivalent)
– Thermal imagers Pvs-14
– Active military headphones (ear defender headphones)
– starlink satellites
ou encore :
– Ballistic helmets
– ballistic prospective plates
– optics for rifles, etc.
Comme on peut le constater, ces « anti-autoritaires » ajoutent ainsi leur ignoble contribution au chaos mondial en se vautrant sans vergogne dans la fange du militarisme. La classe ouvrière doit rester sourde face à leurs cris guerriers qui n’expriment que la barbarie guerrière, celle qu’alimente au quotidien la putréfaction du capital.
WH, 10 octobre 2023
1 Il faut cependant souligner que certains anarchistes se situent sur le terrain de l’internationalisme, comme le KRAS en Russie. Nous renvoyons à notre série d’articles sur « les anarchistes et la guerre » :
– « Les anarchistes et la guerre (1ᵉ partie) [242] ».
– « Les anarchistes et la guerre (2ᵉ partie) : la participation des anarchistes à la Seconde Guerre mondiale [243] ».
– « Les anarchistes et la guerre (3ᵉ partie) : de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui [244] ».
2 Souligné par nous.
Deux ans à peine après sa scission avec le NPA, au sein duquel elle avait œuvré pendant près d’une décennie, Révolution Permanente (RP), nouvelle organisation dans le paysage trotskiste, est presque devenue un succès médiatique. Présente dans les manifestations, dans les universités, dans les entreprises et le web, son discours est très attractif : appel à la solidarité, à la lutte radicale, à se soutenir, à défendre les minorités opprimées, critique des centrales syndicales et des élections, défense de l’auto-organisation des ouvriers, soutient officiel à l’internationalisme…
Tout au long du mouvement contre la réforme des retraites, RP a su adapter son discours à l’état d’esprit du prolétariat. Alors que les manifestations éparses organisées par les syndicats n’étaient pas à la hauteur de la combativité et du mécontentement des ouvriers, RP dénonçait les « dates isolées posées par l’intersyndicale […] très en dessous des potentialités et des aspirations présentes à la base ».
Ce discours en apparence novateur et radical a de quoi séduire. En réalité, la bourgeoisie a clairement perçu la reprise de la combativité au sein de la classe ouvrière et l’émergence d’une réflexion au sein de minorités en recherche des positions de classe. Avec RP, la bourgeoisie s’est dotée d’un nouvel outil plus performant, disposant visiblement de moyens conséquents, et tout aussi bourgeois que le NPA. Car dans la stricte continuité du trotskisme, RP ne fait que recycler les vieilles positions traditionnelles de l’extrême gauche du capital.
« Face à la stratégie de la défaite de l’intersyndicale, la grève du 28 mars doit poser la question de l’organisation à la base pour élargir la grève, soutenir la mobilisation des secteurs en reconductible et organiser la solidarité contre la répression policière ». En effet, la stratégie de luttes des syndicats a fait l’objet de critiques dans de petites minorités ouvrières. Pourquoi éloigner autant les dates de manifestations les unes des autres ? Pourquoi si peu d’assemblées générales et de discussions à la fin des manifestations ? Pourquoi, malgré une intersyndicale « unie comme jamais », nous ne parvenons pas à faire reculer le gouvernement ? À toutes ces questions, RP répond, en apparence de manière radicale : « Dans l’époque actuelle de crise impérialiste, les syndicats et leurs directions sont devenus des outils du capitalisme ».
Mais derrière ces faux discours révolutionnaires se cache un piège subtil et vieux comme le gauchisme : afin de semer la confusion sur la nature bourgeoise et étatique de toutes les organisations syndicales, RP introduit une distinction entre « les dirigeants syndicaux » et les ouvriers de « la base ». Ce n’est pas le syndicalisme qui n’est plus adaptée au besoin de la lutte et a fini par s’intégrer à l’appareil d’État, c’est un problème de bureaucrates véreux et traîtres. Et, en toute logique, après avoir dit que les syndicats sont des « outils du capitalisme », RP ajoute aussitôt : « les travailleurs de base doivent se battre pour arracher le contrôle aux bureaucraties et pour vaincre les directions syndicales afin de contrôler démocratiquement leurs syndicats, en les utilisant comme des outils de lutte de classe contre les patrons et l’État ». RP cache ainsi la réelle fonction des syndicats au sein de l’appareil d’État : saboter les luttes de la classe ouvrière, la réduire à l’impuissance en l’enserrant dans le périmètre de l’ordre bourgeois.
Cette nouvelle mouture de gauchisme utilise les mêmes vieilles ficelles que tous les groupes trotskistes avant elle : adopter un discours radical envers les syndicats pour mieux rabattre la classe ouvrière vers… le syndicalisme. Ce double langage est typique des organisations trotskistes qui disent une chose et son contraire, afin de semer délibérément la confusion.
L’entrisme ou le noyautage pour « réorienter les syndicats dans la bonne direction » est pratiquée depuis des lustres par les ancêtres de RP. Cette pratique a enfermé et mystifié des générations d’ouvriers pour les orienter vers les pièges du radicalisme syndical, détournant la question centrale de l’auto-organisation, c’est-à-dire la prise en main des luttes par les ouvriers eux-mêmes en dehors et contre les syndicats.
L’histoire du mouvement ouvrier nous enseigne exactement l’inverse de ce que prétend RP. En 1980 en Pologne, par exemple, faisant face à une énième attaque contre leurs conditions de vie (en l’occurrence, une augmentation de 60 % du prix de la viande), les ouvriers se sont mis en grève spontanément et ont su étendre rapidement leur grève de masse à tout le pays, menaçant même de l’étendre au-delà. Leur arme ? L’auto-organisation et la tenue d’assemblées générales (appelées MKS) ! Les ouvriers ne se sont pas contentés de faire des déclarations, ils ont pris eux-mêmes l’initiative des luttes et de leur extension, sans les syndicats qui étaient directement perçus comme intégrés à l’État stalinien. Cette dynamique a rendu possible le développement d’un rapport de forces favorable aux ouvriers. Les assemblées générales étaient ouvertes et retransmises en direct par des hauts parleurs dans la rue, là où se trouvaient les masses, les délégués étaient révocables. Si ces derniers ne défendaient pas correctement les positions pour lesquelles ils étaient mandatés, les assemblées en changeaient. Ce mouvement tenu entre les mains de la classe a fait trembler toute la bourgeoisie polonaise et internationale !
C’est d’ailleurs pourquoi les bourgeoisies européennes sont vite venues en aide au gouvernement polonais… avec la création d’un nouveau syndicat ! Pour combler le vide laissé par un syndicat officiel totalement discrédité et mettre un terme à la prise en main de la lutte par les ouvriers eux-mêmes, la bourgeoisie a créé de toute pièce Solidarnosc, avec le soutien actif du syndicat « radical » de l’époque : la CFDT française. Présenté comme un syndicat libre, moderne, démocratique, avec à sa tête un ouvrier réputé très combatif, Lech Walésa, Solidarnosc pouvait avoir la confiance des travailleurs pour mieux les déposséder de la lutte et reprendre la conduite du mouvement dans un seul intérêt : celui de l’État.
Le résultat fut immédiat : finis les haut-parleurs pour suivre les négociations (à cause de soi-disant problèmes « techniques »), finis les délégués révocables, finies les Assemblées souveraines… les « experts de la lutte » étaient là. Le travail de sabotage avait commencé. Les revendications à l’origine d’ordre politique et économique (entre autre, revalorisation des salaires) se centraient désormais sur les intérêts des syndicats (la reconnaissance de syndicats indépendants) plutôt que sur ceux des ouvriers. Progressivement, Lech Walesa a éteint toute velléité de lutte : « Nous n’avons plus besoin d’autres grèves car elles poussent notre pays vers l’abîme, il faut se calmer ».
Pour terminer, fin 1981 et courant 1982, les derniers bastions de combativité, isolés et épuisés, ont été violemment réprimés : arrestations et répressions meurtrières furent les conséquences du travail de sape de Solidarnosc ! Et l’ancien syndicaliste Walésa deviendra même par la suite…chef de l’État polonais.
Le syndicalisme « de base », cette marchandise toxique que nous vend RP et toutes les autres organisations trotskistes avant elle, n’est que de la poudre aux yeux pour mieux cacher la réalité : quel que soit le nom qu’on lui donne, une instance syndicale est une arme de la bourgeoisie contre la classe ouvrière !
Pour enfoncer un peu plus le clou de sa pseudo-radicalité ouvrière, RP reprend à son compte toutes les entourloupes trotskistes sur le travail des « coordinations » ! « Alors que le mouvement contre la réforme des retraites et le gouvernement Macron s’intensifie dans la jeunesse, la coordination des assemblée générales des universités mobilisés est un enjeu clé pour arracher une victoire. En ce sens, la construction de la coordination nationale étudiante du 1ᵉʳ et 2 avril prochain est une tâche centrale pour tous les étudiant.es mobilisés ». Pour démystifier ce discours d’apparence radicale et d’intransigeance, il suffit encore de rappeler l’expérience du mouvement ouvrier.
Fin des années 1980, en France, ont eu lieu plusieurs vagues de luttes, toutes happées par des « coordinations », alors que la confiance dans les syndicats était largement entamée suite à vingt années de sabotage systématique des luttes. En 1988, nous dénoncions ces manœuvres : les coordinations « surgissent, ou apparaissent au grand jour, au moment des mobilisations de la classe ouvrière dans un secteur et disparaissent avec elles. Il en a été ainsi, par exemple, des coordinations qui avaient surgi lors de la grève dans les chemins de fer en France fin 1986. Et c’est justement ce caractère “éphémère” qui, en donnant l’impression qu’ils sont des organes constitués par la classe spécifiquement pour et dans la lutte, qui les rend d’autant plus pernicieux ». « En réalité, l’expérience nous a montré que de tels organes, quand ils n’étaient pas préparés depuis de longs mois à l’avance par des forces politiques précises de la bourgeoisie, étaient “parachutés” par celles-ci sur un mouvement de luttes en vue de son sabotage. Déjà, dans la grève des chemins de fer en France, nous avions pu constater comment la “coordination des agents de conduite”, en fermant complètement ses assemblées à tous ceux qui n’étaient pas conducteurs, avait contribué de façon très importante à l’isolement du mouvement et à sa défaite. Or cette “coordination” s’était constituée sur la base de délégués élus par les assemblées générales des dépôts. Pourtant, elle avait été immédiatement contrôlée par des militants de la Ligue Communiste (section de la 4ᵉ Internationale trotskiste) [ancêtre du NPA et de RP] qui, évidemment, ont pris en charge le sabotage de la lutte comme c’est leur rôle. Mais avec les autres “coordinations” qui ont surgi par la suite, déjà avec la « coordination inter-catégorielle des cheminots » (qui prétendait combattre l’isolement corporatiste), et plus encore avec la « coordination des instituteurs » qui est apparue quelques semaines après, on a constaté que ces organes étaient constitués de façon préventive avant que les assemblées générales n’aient commencé à envoyer des délégués. Et à l’origine de cette constitution on retrouvait toujours une force bourgeoise de gauche ou gauchiste, preuve que la bourgeoisie avait compris le parti qu’elle pouvait tirer de ces organismes ». (1) Ces coordinations étaient parfois elles-mêmes des sous-marins syndicaux, animées par des syndicalistes « de base » dont la casquette enlevée était souvent celle d’un syndicat officiel ou d’une officine trotskiste.
Pour se présenter comme une authentique organisation prolétarienne, RP met en avant la défense des intérêts des plus faibles. Dès leur page d’accueil, on peut y voir en bonne place des thématiques telles que « Racisme et violences d’État » ou « Genre et sexualités ». Dans ce monde pourrissant, les idéologies les plus nauséabondes se frayent de plus en plus facilement un chemin. Et c’est avec dégoût et horreur que l’on voit s’exacerber les discriminations, le racisme, l’homophobie…
Alors oui, ça révolte ! Ça donne envie de hurler de colère ! Ça donne envie de se battre tout de suite, là, maintenant ! Pour cela, RP se prétend « du côté des travailleurs, de la jeunesse, des femmes, des personnes LGBT, des quartiers populaires et de tous les exploités et opprimés ». Mais suivre RP est encore un véritable piège !
Les luttes parcellaires représentent un danger pour la classe, en particulier pour la jeune génération de travailleurs sans expérience mais profondément révoltée par l’état de la société. Aujourd’hui, le prolétariat a perdu ses repères, il ne se reconnaît plus en tant que classe révolutionnaire. C’est pourtant la première étape pour retrouver le chemin du combat révolutionnaire, seul à même de mettre fin à toutes les inégalités révoltantes faites aux femmes, aux homosexuels, aux étrangers et à toutes les autres conséquences de ce monde en putréfaction que sont la crise environnementale, la faim dans le monde, les violences racistes de la police, etc. Et il n’y a que la classe ouvrière, seule classe révolutionnaire, qui puisse changer cet état de fait !
RP, en mettant en avant les oppressions « des travailleurs, de la jeunesse, des femmes, des personnes LGBT, des quartiers populaires et de tous les exploités et opprimés » cherche, en fait, à diluer la classe ouvrière et à la détourne vers des luttes parcellaires qui ne sont que des impasses.
Concrètement, quand un mouvement démarre contre le racisme, contre l’inégalité homme-femme, contre la violence policière… l’objectif de la plupart des manifestants est de faire reculer le racisme, l’inégalité homme-femme, etc. Autrement dit : d’aménager le capitalisme, de le rendre plus « humain » ou « démocratique ». Quand la classe ouvrière se met en lutte contre ses conditions de travail et de vie, elle se bat contre ce qui fonde le capitalisme : l’exploitation. C’est pourquoi, fondamentalement, derrière chaque grève se cache la question de la révolution. Et c’est seulement cette dynamique qui peut réellement s’attaquer aux racines de la discrimination et des inégalités.
En prônant les luttes parcellaires, RP, dans la continuité du NPA, empêche le prolétariat de développer sa réflexion en tant que classe exploitée. En prônant les luttes parcellaires, RP ramène les ouvriers sur le terrain des luttes interclassistes et petites bourgeoises, celle de l’aménagement du capitalisme alors que celui-ci va être de plus en plus barbare et inégalitaire. RP empêche toute réflexion prolétarienne de se développer en cherchant à effacer l’identité de classe pour la remplacer par celle des femmes ou des noirs ou de toute minorité opprimée !
RP reprend donc tout le savoir faire du trotskisme, avec un semblant de toilettage, pour mieux rabattre les ouvriers les plus combatifs et les plus conscients sur le terrain de la bourgeoisie et pourrir la réflexion des ouvriers en recherche des positions de classes. Même double discours hypocrite et mystificateur que le NPA, la LCR ou LO avant elle, tant sur les syndicats et les moyens de la lutte, que sur les élections, les luttes parcellaires. Depuis son soutien « critique » à l’impérialisme russe durant la Seconde Guerre mondiale, le trotskisme est définitivement passé dans le camp de la bourgeoise. RP, nouvelle officine de la bourgeoisie, ne fait pas exception !
Élise, 15 septembre 2023.
1 Octobre 1988 : Bilan de la lutte des infirmières (…) Les coordinations : la nouvelle arme de la bourgeoisie [246]. Cette brochure est disponible en ligne sur notre site web.
Le tremblement de terre qui a frappé le Maroc, le 8 septembre derniers, et les inondations spectaculaires suite à la rupture de deux barrages en Libye, peu de temps après, nous confrontent de nouveau à l’horreur quotidienne et à la folie meurtrière du capitalisme.
Après la Turquie, où la terre a tremblé cet hiver, faisant 46 000 victimes et déplaçant deux millions de personnes dans des tentes de fortune, c’est au tour de la Libye et du Maroc de plonger dans le deuil. Le tremblement de terre très violent au Maroc, d’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter, s’explique par le fait d’une région traversée par des lignes de failles où les secousses d’ampleurs peuvent se produire en faisant de nombreux dégâts et victimes. Dans les années 1960, la ville d’Agadir au Maroc avait déjà été détruite a plus de 70 % et plus de 12 000 personnes avaient péri au cours de ce grand séisme. En 2004, plus de 600 morts avaient été déplorés à Al Hoceïma. Tout comme les pluies diluviennes qui se sont déversées en Libye, ces phénomènes sont toujours présentés par la bourgeoisie comme de simples conséquences des caprices de la nature. L’humanité paraît ainsi comme impuissante face à ce qui ressemble à une fatalité, exposée à d’implacables lois de la nature.
Mais si tous ces phénomènes sont bien naturels, les catastrophes qu’ils engendrent ne le sont nullement ! Non seulement elles se multiplient et s’accumulent du fait du réchauffement climatiques ou d’infrastructures vétustes, mais elles transforment toujours davantage ces situations en véritables catastrophes sociales. Ainsi, en Libye, le chiffre des inondations impressionne et donne le vertige : dans la ville du Nord-est de Derna, l’OMS évoque un chiffre, jugé très en deçà de la réalité, proche des 4 000 morts. Une véritable hécatombe ! Et la responsabilité de la bourgeoisie dans la catastrophe est nettement plus visible qu’au Maroc. Elle saute clairement aux yeux ! La terrible destruction de Derna n’est pas uniquement due à la tempête Daniel, mais essentiellement au fait que les deux barrages qui se sont effondrés n’ont pas été entretenus malgré les avertissements désespérés sur leur état de délabrement. L’effondrement de l’État libyen et l’absence totale de toute forme d’infrastructure opérationnelle et d’une réponse coordonnée ont très fortement aggravé l’impact de la catastrophe.
Ces événements constituent un nouveau réquisitoire contre le capitalisme. Ce sont les populations les plus pauvres qui sont exposées et sacrifiées sur l’autel du profit et de lois, non pas « naturelles », mais liées à la logique marchande propre au capitalisme et à sa dynamique mortifère. Dans la province d’Al Haouz, au sud-ouest de Marrakech, c’est dans les quartiers populaires ou dans les zones rurales pauvres excentrées et délaissés que les victimes et les destructions ont été les plus nombreuses. Les constructions à étages souples, meilleur marché, se sont systématiquement effondrées. Non seulement les bâtiments construits au rabais sont légions, mais les normes antisismiques datant de 2002 restent sans effets dans ces périmètres aux bâtis vétustes. Or c’est ici que vit la grande majorité des prolétaires et des couches populaires, en contraste avec les beaux quartiers beaucoup moins affectés, voire épargnés. Il en va de même pour les espaces inondés de Libye où les plus pauvres étaient les plus exposés. La monstruosité d’un mode de production obsolète et chaotique provoque des souffrances sans fin et des destructions massives.
La corruption et l’incurie de la classe dominante, l’absence de prévention et d’anticipation, les populations doivent désormais supporter le cynisme et l’abandon au profit de la débrouille individuelle. Les enfants eux-mêmes sont mis à contribution dans les décombres ! Alors que lors des guerres, comme en Ukraine, les moyens de destruction déployés avec une logistique impressionnante et une organisation millimétrée sont sans commune mesure, les secours proposés aux populations victimes des catastrophes paraissent indigents. Le chaos et la cacophonie sur les lieux des sinistres (quand il y a des secours !) révèlent encore et toujours le vrai visage du capitalisme et de la classe dominante.
Le piège serait de voir un élan de « solidarité » véritable dans les propositions d’aide des différents États et structures internationales humanitaires. Il s’agit, au contraire, d’une « ingérence » à peine masquée, d’une couverture permettant aux pays impliqués dans les secours d’étendre leur influence, de renforcer leurs positions pour défendre leurs sordides intérêts : ce que l’on appelle pudiquement le « soft power ». Durant les années 1990-2000, il faut se souvenir que c’est au nom d’interventions « humanitaires », sous la couverture de l’ONU et des ONG complices que les grandes puissances impérialistes avançaient leurs pions dans des zones géostratégiques, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Cela, au plus grand bénéfice du « hard power » que sont les armes ! Les combats pour les marchés de la reconstruction sont, au fond, secondaires. Les mensonges et l’hypocrisie de la bourgeoisie en matière humanitaire n’ont d’ailleurs plus de limites !
De l’autre côté, il existe une rhétorique chauvine et nationaliste répugnante qui refuse « l’aide étrangère » au motif que « le Maroc peut se débrouiller seul ». Le refus de l’aide française au profit d’autres pays comme le Qatar relevait très explicitement d’une rivalité impérialiste. Et tant pis pour le bon peuple de Sa Majesté qui crèvera en silence pour la « grandeur » du Royaume marocain !
Avec l’accélération de la décomposition du système capitaliste, tous ces phénomènes destructeurs seront de plus en plus fréquents et amplifiés par le contexte de chaos croissant, de crise économique aiguë où les conflits guerriers, comme celui qui sévit en Ukraine, vont se développer. A, 29 septembreLe Courant communiste international organise une permanence en ligne le samedi 2 décembre 2023 à 15h.
Ces permanences sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
Les lecteurs qui souhaitent participer aux permanences en ligne peuvent adresser un message sur notre adresse électronique ([email protected] [13]) ou dans la rubrique “contact [14]” de notre site internet, en signalant quelles questions ils voudraient aborder afin de nous permettre d’organiser au mieux les débats. Les modalités techniques pour se connecter à la permanence seront communiquées par retour de courriel.
Le 7 octobre, sous une pluie de roquettes, une horde d’islamistes rependait la terreur sur les localités israéliennes entourant la bande de Gaza. Au nom d’une « juste vengeance » contre « les crimes de l’occupation », au nom des « musulmans du monde entier » contre le « régime sionisme », le Hamas et ses alliés ont lancé des milliers de « combattants » fanatisés commettre les pires atrocités sur des civils sans défense, des femmes, des vieillards et même des enfants. La sauvagerie du Hamas n’a eu aucune limite : assassinats, viols, tortures, enlèvements, des écoles ciblées, des innocents pourchassés jusque dans leur maison, des milliers de blessés…
Les ignobles exactions du Hamas à peine repoussées, Tsahal déchaînait à son tour toute sa puissance meurtrière sur la bande de Gaza au nom du combat de « la lumière » contre « les ténèbres ». À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’aviation israélienne bombarde sans relâche l’enclave surpeuplée sur laquelle règne le Hamas, emportant sans distinctions civiles et terroristes, tandis que Tsahal vient de couper la bande de Gaza en deux et d’encercler sa capitale. En faisant « pleuvoir le feu de l’enfer sur le Hamas », le gouvernement de Netanyahou rase aveuglément les habitations et emporte lui aussi dans la tombe des milliers de victimes innocentes, dont plusieurs milliers d’enfants.
L’attaque du Hamas a sidéré le monde entier. Israël, un État dont la bourgeoisie cultive jour après jour, année après année, un sentiment de citadelle assiégée dans la population, un État doté de services de renseignement, le Mossad et le Shin Bet, parmi les plus réputés du monde, un État allié de longue date des États-Unis et leur arsenal de surveillance… Israël n’a, semble-t-il, rien vu venir : ni les exercices suspects du Hamas, ni la concentration des milliers de roquettes et d’hommes. L’État hébreu n’a pas non plus tenu compte des multiples avertissements, notamment ceux de l’Égypte voisine.
Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette surprise :
– Netanyahou et sa clique sont tellement divisés et stupides, marqués par le poids du populisme et des pires aberrations religieuses, centrés sur la défense de leurs petits intérêts immédiat et obsédés par le contrôle de la Cisjordanie et la « reconquête de la terre promise », qu’ils ont peut-être sous-estimé l’imminence de l’attaque en concentrant les forces de Tsahal dans cette région.
– Tellement contestée par une partie de la bourgeoisie israélienne, de l’armée et des services secrets, il est aussi possible que Netanyahou ait délibérément ignoré les alertes pour tenter de reprendre le contrôle de la situation politique en Israël en réalisant « l’union nationale ». Comme il est tout à fait possible qu’une partie de l’appareil d’État n’ait pas informé le gouvernement de l’imminence de l’attaque pour l’affaiblir davantage.
Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’avant le 7 octobre, Netanyahou a fait tout son possible pour renforcer le pouvoir et les moyens du Hamas dans la mesure où cette organisation était, comme lui et l’ensemble de la droite Israélienne, totalement opposée aux accords d’Oslo de 1993 (1) qui prévoyaient une autonomie de la Palestine. C’est « Bibi » lui-même qui a revendiqué cette politique : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et transférer de l’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie » Ces propos ont été tenus par Netanyahou le 11 mars 2019 aux députés du Likoud (rapportés par le grand quotidien israélien Haaretz du 9 octobre dernier).
Pour le moment, il est difficile de déterminer les causes de ce fiasco des forces de sécurité israéliennes. Mais chacune des deux hypothèses, tout comme la dynamique dans laquelle s’enfonce le Moyen-Orient révèlent le chaos croissant qui règne dans l’appareil politique de la bourgeoisie israélienne : instabilité des coalitions gouvernementales, corruption massive, procès pour fraude, magouilles législatives, réforme judiciaire très contestée qui dissimule mal des règlements de comptes au sein de l’appareil d’État, délires suprémacistes des ultra-orthodoxes… Tout cela dans un contexte de hausse de l’inflation et d’explosion considérable de la pauvreté.
Quant aux prétendus « résistants » du Hamas, la présence-même de cette organisation, concurrente d’une OLP pourrie jusqu’à la moelle, à la tête de la bande de Gaza est une expression caricaturale du chaos et de l’irrationalité dans laquelle a plongé la bourgeoisie palestinienne. Quand le Hamas ne réprime pas dans le sang les manifestations contre la misère comme en mars 2019 (ce qui laisse suffisamment entrevoir le sort du « peuple palestinien » une fois « libéré » du « colonialisme sioniste »…), quand ses dirigeants mafieux ne se gavent pas d’aides internationales (le Hamas est une des plus riches organisations terroristes de la planète), quand il ne fomente pas d’attaques terroristes, ce groupe sanguinaire prêche une idéologie des plus obscurantistes, racistes et délirantes.
L’État d’Israël et le Hamas, à des moments et avec des moyens différents, ont pratiqué la politique du pire qui a conduit aux massacres d’aujourd’hui. Une politique qui, en fin de compte, ne pourra bénéficier à aucun des deux belligérants mais qui va étendre encore plus les destructions et la barbarie.
Le conflit israélo-palestinien n’a évidemment rien d’un conflit strictement local. Moins de deux ans après le déclenchement de la guerre en Ukraine, alors que toute une série de conflits se ravivent dans les Balkans, dans le Caucase ou le Sahel, cette conflagration sanglante n’est pas qu’un énième épisode d’un conflit qui dure depuis des décennies. Il s’agit, au contraire, d’une nouvelle étape significative dans l’accélération du chaos mondial.
Dans un avenir proche, l’hypothèse qu’Israël soit contraint de mener une guerre sur trois fronts contre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran n’est pas à écarter. Une extension du conflit aurait des répercussions mondiales majeures avec, en premier lieu, un énorme afflux de réfugiés venus de Gaza ou de la Cisjordanie et la déstabilisation des pays limitrophes d’Israël. Elle aurait également des conséquences immédiates particulièrement dévastatrices pour l’ensemble de l’économie mondiale, compte tenue de l’importance du Moyen-Orient dans la production d’hydrocarbures.
L’importation du conflit en Europe, avec une série d’attentats meurtriers, n’est aussi pas à négliger. Déjà, un attentat revendiqué par l’État islamique a été perpétré en Belgique. Un professeur a également été sauvagement assassiné en France le 13 octobre par un jeune islamiste, moins d’une semaine après l’offensive du Hamas.
Mais il ne suffit pas d’attendre l’extension du conflit pour en mesurer la dimension immédiatement internationale. (2) L’ampleur de l’attaque du Hamas et le niveau de préparation qu’elle a exigé laissent peu de doutes sur l’implication de l’Iran qui est visiblement prête à mettre le feu à toute la région pour la défense de ses intérêts stratégiques immédiats et tenter de sortir de l’isolement. C’est un véritable piège qu’a tendu la République islamique à Netanyahou. C’est aussi la raison pour laquelle Téhéran et ses alliés ont multiplié les provocations avec les tirs de missiles du Hezbollah et des Houthis (Yémen) sur des positions israéliennes. La Russie a sans doute également joué un rôle dans l’offensive du Hamas : c’est un moyen, du moins elle l’espère, de fragiliser le soutien des États-Unis et de l’Europe à l’Ukraine.
Même si la violence ne devait pas se répandre à tout le Moyen-Orient dans l’immédiat, la dynamique de la déstabilisation est inéluctable. À ce titre, la situation ne peut qu’inquiéter la Chine : cela fragiliserait, non seulement, son approvisionnement en hydrocarbures, mais représenterait aussi une entrave considérable à la construction de ses « routes de la soie » avec ces gigantesques infrastructures portuaires, ferroviaires ou d’hydrocarbures. Cependant, la Chine, qui se retrouve ici dans une position ambivalente, pourrait également contribuer au chaos en finissant par soutenir ouvertement l’Iran, espérant ainsi desserrer la pression américaine dans le Pacifique.
Ce conflit montre à quel point chaque état applique de plus en plus, pour défendre ses intérêts, une politique de « terre brûlée », en cherchant, non plus à gagner en influence ou conquérir des intérêts, mais à semer le chaos et la destruction chez ses rivaux.
Cette tendance à l’irrationalité stratégique, aux visions à court terme, à l’instabilité des alliances et au chacun pour soi n’est pas une politique arbitraire de tel ou tel État, ni le produit de la seule stupidité de telle ou telle fraction bourgeoise au pouvoir. Elle est la conséquence des conditions historique, celles de la décomposition du capitalisme, dans lesquelles s’affrontent tous les États. (3) Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, cette tendance historique et le poids du militarisme sur la société se sont profondément aggravés. Le conflit israélo-palestinien confirme à quel point la guerre impérialiste est désormais le principal facteur de déstabilisation de la société capitaliste. Produit des contradictions du capitalisme, le souffle de la guerre nourrit en retour le feu de ces mêmes contradictions, accroissant, par le poids du militarisme, la crise économique, le désastre environnemental, le démembrement de la société… Cette dynamique tend à pourrir tous les pans de la société, à affaiblir toutes les nations, à commencer par la première d’entre elles : les États-Unis.
Les chefs d’État occidentaux se sont précipités au chevet d’Israël avec, dans un premier temps, une certaine fébrilité et des doutes sur la meilleure manière de gérer la situation. On a ainsi vu le président français, une fois n’est pas coutume, se ridiculiser dans un grand-écart diplomatique, appelant à mobiliser contre le Hamas la coalition créée en 2014 contre l’État islamique, avant de piteusement rétropédaler dans la soirée.
En se ruant à Tel Aviv et dans les pays voisins d’Israël, les puissances européennes cherchent à profiter de la situation pour reprendre pieds dans la région. Mais c’est encore Biden qui a donné le ton en tentant de faire pression sur Israël pour éviter un bain de sang trop important dans Gaza. Il a également envoyé deux porte-avions dans la zone afin d’adresser un message de fermeté au Hezbollah et à l’Iran.
Lorsque les États-Unis ont opéré, sous l’ère Obama, leur « pivot stratégique » vers l’Asie (politique poursuivie par Trump et Biden), ils n’ont pour autant pas abandonné leur influence au Proche et Moyen-Orient. Washington a œuvré, avec les Accords d’Abraham notamment, à établir un système d’alliance entre Israël et plusieurs pays arabes, en particulier l’Arabie Saoudite, pour contenir les aspirations impérialistes de l’Iran, déléguant à l’État hébreu la responsabilité du maintien de l’ordre.
Mais c’était sans compter la dynamique d’instabilité croissante des alliances et de tendance profonde au chacun pour soi. Car la bourgeoisie israélienne n’a cessé de faire passer ses propres intérêts impérialistes devant ceux des États-Unis. Alors que Washington privilégie une « solution » à deux États, Netanyahou a multiplié les annexions en Cisjordanie, risquant de mettre le feu à la région, tout en comptant sur le soutien militaire et diplomatique américain en cas d’aggravation du conflit. Les États-Unis se retrouvent aujourd’hui mis au pied du mur par Israël, contraints de soutenir la politique irresponsable de Netanyahou.
La réaction pour le moins musclée de Biden montre le peu de confiance que l’administration américaine accorde à la clique de Netanyahou et une inquiétude face à la perspective d’un embrasement catastrophique du Moyen-Orient. Le conflit israélo-palestinien est un nouveau point de pression sur la politique impérialiste des États-Unis, qui pourrait s’avérer calamiteux en cas d’élargissement. Washington devrait alors assumer une présence militaire considérable et un soutien à Israël qui ne pourraient que peser, non seulement sur l’économie américaine, mais également sur son soutien à l’Ukraine et, plus encore, sur sa stratégie pour endiguer l’expansion de la Chine.
Le discours pro-palestinien de la Turquie, membre « incorrigible » de l’OTAN, va également contribuer à affaiblir les États-Unis dans la région, tout comme les tensions entre Israël et plusieurs pays d’Amérique Latine, vont sans doute accentuer les tensions avec son parrain nord-américain. Washington tente donc d’empêcher que la situation échappe à tout contrôle… ambition parfaitement illusoire, à terme, compte tenu de la dynamique funeste dans laquelle sombre le Moyen-Orient.
Les images des exactions du Hamas et de Tsahal ont fait le tour du monde et, partout, la bourgeoisie nous a appelés à choisir un camp. Sur toutes les chaînes de télévision et dans tous les journaux, à gauche comme à droite, une immonde propagande belliqueuse, souvent grossière, parfois plus subtile, se déchaîne en intimant à chacun de choisir entre la « résistance palestinienne » et la « démocratie israélienne », comme s’il n’y avait d’autres choix que de soutenir l’une ou l’autre de ces cliques bourgeoises sanguinaires.
Une partie de la bourgeoisie, notamment en Europe et en Amérique du Nord, déchaîne une campagne féroce pour légitimer la guerre et les exactions de l’armée israélienne : « Nous défendons le droit d’Israël d’exister, de se défendre et de garantir la sécurité de son peuple. Et nous comprenons parfaitement qu’il faut combattre le terrorisme » (Meloni). Bien sûr, les bourgeoisies se parent de toutes les vertus humanitaires en déplorant hypocritement les victimes civiles dans la bande de Gaza. Mais, rassurez-vous, bonnes gens, Scholz en est certain : « Israël est un État démocratique guidé par des principes très humanitaires et nous pouvons donc être certains que l’armée israélienne respectera les règles découlant du droit international dans tout ce qu’elle fait ».
La bourgeoisie peut aussi s’appuyer sur ses partis de gauche pour alimenter sa sale propagande nationaliste. Quasiment tous prônent la défense de la Palestine. Leurs discours vont de la prétendue défense des populations palestiniennes victimes des bombardements au soutien sans vergogne des barbares du Hamas. Instrumentalisant le dégoût légitime que suscitent les bombardements à Gaza, des manifestations pro-palestiniennes gigantesques ont ainsi été organisées à Londres ou à Berlin.
Il est vrai que la classe ouvrière n’est aujourd’hui pas en mesure de s’opposer directement à la guerre et ses horreurs. Mais choisir un camp impérialiste contre un autre est un piège mortel. Parce que c’est accepter la logique de la guerre qui est « la haine, les fractures et les divisions entre les êtres humains, la mort pour la mort, l’institutionnalisation de la torture, la soumission, les rapports de force, comme seule logique de l’évolution sociale ». (4) Parce que c’est croire sur parole les mensonges éhontés que la bourgeoise répète à chaque conflit : « Après cette guerre, la paix reviendra ». Parce que c’est surtout se ranger derrière les intérêts de la bourgeoisie (défendre coûte que coûte le capital national quitte à conduire l’humanité dans la tombe) et renoncer au combat pour la seule perspective réellement capable de mettre un terme à la dynamique meurtrière du capitalisme : le combat pour la défense des intérêts historique du prolétariat, le combat pour le communisme.
Les ouvriers en Israël et en Palestine vont très certainement se laisser embarquer, dans leur grande majorité, sur le terrain du nationalisme et de la guerre. Cependant, à travers la série inédite de luttes dans de nombreux pays, en Grande-Bretagne, en France et aux États-Unis notamment, la classe ouvrière a montré qu’elle était capable de se battre, si ce n’est contre la guerre et le militarisme eux-mêmes, mais contre les conséquences économiques de la guerre, contre les sacrifices exigés par la bourgeoisie pour alimenter son économie de guerre. C’est une étape fondamentale dans le développement de la combativité et, à terme, de la conscience de classe. (5) La guerre au Moyen-Orient, avec l’approfondissement de la crise et les besoins supplémentaires en armements qu’elle va engendrer aux quatre coins de la planète, ne fera qu’accroître les conditions objectives de cette rupture.
Mais cette guerre porte en elle des dangers encore imprévisibles pour la classe ouvrière. Si les massacres devaient encore s’aggraver ou s’étendre, le sentiment d’impuissance et les divisions au sein de la classe ouvrière risquent de constituer un obstacle significatif pour le développement de son effort de combativité et de réflexion. Comme en témoignent les manifestations pro-palestiniennes, le conflit au Proche-Orient risque d’avoir un impact très négatif sur la classe ouvrière, particulièrement en France, au Royaume-Uni ou en Allemagne, pays dans lesquels la présence de nombreux juifs et musulmans, conjuguée au discours incendiaire des gouvernements, rend la situation plus qu’explosive.
La guerre israélo-palestinienne provoque sans conteste un sentiment d’impuissance et des déchirures dramatique au sein de la classe ouvrière. Mais l’immensité des dangers et de la tâche à accomplir ne doivent pas nous pousser au fatalisme. Si, aujourd’hui, la classe dominante bourre le crâne des ouvriers avec sa propagande nationaliste et guerrière, la crise dans laquelle s’enfonce le capitalisme crée aussi les conditions pour qu’éclatent, à terme, des luttes massives et qu’émerge une réflexion, d’abord dans les minorités révolutionnaires, puis au sein de la classe tout entière.
EG, 6 novembre 2023
1 Signés par Arafat, ancien président de l’OLP, et Yitzhak Rabin, premier ministre d’Israël.
2 Les mensonges éhontés des gauchistes et des staliniens de tous poils, qui déforment la position des bolcheviques sur les luttes de libération nationale (déjà erronée à l’époque) pour justifier leur soutien cynique à la « cause palestinienne » au nom de la lutte d’un « peuple opprimé » contre le « colonialisme sioniste », est une pure hypocrisie. Il est plus qu’évident que le Hamas est un pion dans le grand échiquier impérialiste international, largement soutenu et armé par l’Iran et, dans une moindre mesure, par la Russie.
3 À ce sujet, nous invitons nos lecteurs à consulter deux de nos textes sur le sujet :
– l’actualisation de « Militarisme et décomposition [192] », Revue internationale n° 168 (2022) ;
– le troisième manifeste du CCI : « Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin [141] », Revue internationale n° 169 (2022).
4 Troisième manifeste du CCI : « Le capitalisme mène à la destruction de l’humanité… Seule la révolution mondiale du prolétariat peut y mettre fin [141] », Revue internationale n° 169 (2022).
5 Pour développer la réflexion sur la réalité de la rupture qui s’opère actuellement au sein de la classe ouvrière : « La lutte est devant nous ! [251] », Révolution internationale n° 499 (2023).
Une fois de plus, la bourgeoisie de tous bords, devant les cadavres, l'impuissance, le désespoir et la souffrance de centaines de milliers de personnes, en grande majorité des travailleurs, se montre dans toute sa bassesse et sa vilenie à l'occasion de l'ouragan Otis, qui a frappé Acapulco et ses environs (environ un million d'habitants) avec une force de 250 km/h pendant deux heures, frappant tout sur son passage.
L'état de Guerrero, et en particulier la municipalité d'Acapulco, est une région avec une concentration de zones touristiques où sont installés des hôtels et des condominiums luxueux, mais en même temps, il y a une dissémination désordonnée de colonies, habitées par des travailleurs et une grande masse appauvrie qui, face à des pénuries chroniques, deviennent des proies faciles pour les offres des mafias qui opèrent avec la drogue en collusion avec le gouvernement et les hommes d'affaires "respectables". Les données officielles, bien que biaisées, peuvent néanmoins être utilisées pour mettre en évidence la situation de la population dont le travail crée les profits des employeurs. Les données de 2022 montrent que 52% des habitants d'Acapulco sont pauvres et que 16,7% sont au seuil de l'extrême pauvreté[1]. C'est précisément cette population qui a été la plus touchée, et c'est pourquoi Otis a mis en évidence le caractère destructeur de la bourgeoisie, qui se manifeste dans la dégradation de l'environnement dont cette classe est responsable, du fait de son incapacité à prévenir puis à limiter les effets de telles catastrophes, mais aussi à travers son l'hypocrisie par l'utilisation politique du malheur des prolétaires et des autres exploités.
L'ouragan Otis, de magnitude de 5, est de ce fait considéré comme un phénomène anormal, une exception par rapport à la classification scientifique. Les organismes chargés de surveiller ces phénomènes avaient estimé que la "tempête Otis" deviendrait un ouragan de catégorie 1, mais en peu de temps, elle est passée dans la catégorie 5. Bien que les études visant à comprendre et à expliquer la formation de ce phénomène ne soient pas terminées, des scientifiques tels que Suzana Camargo, de l'université de Columbia, Matthew Cappucci et Jason Samenow, du National Hurricane Center, et Jim Kossin, de la First Street Foundation, et d'autres, ont rapidement présenté leurs analyses et s'accordent à dire qu'il existe des preuves que le changement climatique est à l'origine de cet ouragan. Ils s'accordent aussi pour prédire que des phénomènes comme Otis se répéteront plus fréquemment, ce qui implique que le réchauffement climatique (l'océan habituellement à 26° était à 31°) - nié par des personnes et des secteurs de la bourgeoisie comme Trump - va conférer aux tempêtes tropicales un comportement imprévisible aux conséquences très destructrices, plaçant ainsi la population dans un état de vulnérabilité accrue. Il y a cependant une limite dans l'argumentation de ces scientifiques lorsqu'ils qualifient le phénomène du réchauffement climatique comme le "produit de l'homme"[2], la destruction de l'environnement étant le résultat du mode de production capitaliste.
En d'autres occasions, nous avons déjà mis en évidence que "le capitalisme a toujours pollué l'environnement, depuis le 19ème siècle où il était encore un facteur de progrès. L'accumulation du capital est le but suprême de la production capitaliste et peu importe le sort réservé à l'humanité ou à l'environnement... si c'est rentable, c'est bon ! […] Mais lorsque ce système entre dans sa phase de déclin historique au début du 20ème siècle, la destruction de l'environnement prend une autre dimension, elle devient implacable, à l'image du combat sans merci que se livrent les rats capitalistes entre eux pour se maintenir sur le marché mondial. Réduire au maximum les coûts de production pour être le plus compétitif possible est devenu une règle de survie incontournable. Dans ce contexte, les mesures visant à limiter la pollution industrielle constituent clairement une dépense insupportable "[3].
Il est d'ores et déjà clair que le réchauffement climatique, et la crise environnementale en général, constituent une menace pour l'humanité. Le Secrétaire général de l'ONU lui-même, Antonio Guterres (dans son message de septembre 2022), reconnaît que "la crise climatique nous tue", mais il ne dira jamais que c'est le capitalisme qui a généré cette crise.
Le gouvernement se réfugié derrière la soudaineté de la mutation d'une tempête en ouragan pour justifier son manque de prévention et expliquer l'ampleur des destructions qui ont provoqué l'isolement de la zone affectée en coupant les routes, les liaisons téléphoniques, l'électricité et immobilisant les aéroports. Autant d'excuses au retard de l'action de l'État pour secourir la population qui a tout perdu, meubles, vêtements mais aussi des membres de la famille.
Les témoignages recueillis par certains médias montrent l'abandon, pendant plusieurs jours, dans lequel a été laissée la population des quartiers et des agglomérations où vivent les travailleurs. Le gouvernement, qui prétend s'occuper "d'abord des pauvres", a envoyé l'armée, la marine et la garde nationale pour donner la priorité aux zones "importantes" pour la capitale. "Alors que les autorités s'efforçaient de rétablir l'ordre dans le centre touristique d'Acapulco - se frayant un chemin entre les arbres tombés devant les hôtels de grande hauteur et rétablissant l'approvisionnement en électricité - les personnes les plus pauvres de la ville [...] ont déclaré qu'elles se sentaient abandonnées..." (www.latimes.com/espanol [254]).
C'est dans ces maisons, où les services sont toujours précaires, que les morts et les disparitions se sont accumulées et que les pénuries ont conduit à la faim et à une spéculation extrême, en particulier sur les aliments. Par exemple, un kilo de tortilla, qui est l'aliment de base de la population, se vend, une semaine après la survenue d'Otis, jusqu'à 150 pesos (8,5 dollars) alors qu'il coûtait environ 20 pesos auparavant.
Les opposants de droite du gouvernement ont reçu comme un cadeau la nouvelle des destructions et des morts causées par l'ouragan. Bien qu'ils pleurnichent hypocritement et feignent la douleur, ils se réjouissent du fait que c'est précisément pendant la campagne électorale qu'Otis est apparu, car cela leur permet d'utiliser la négligence du gouvernement pour se montrer "critiques et responsables" et gagner la sympathie, en feignant d'oublier que le PRI et le PAN, lorsqu'ils étaient au gouvernement, se sont comportés de façon situation similaire. En effet, bien que López Obrador affirme, en prétendant se distinguer de ses adversaires, que "nous ne sommes pas pareils", ils le sont, car tant la droite dans l'opposition que la gauche au pouvoir agissent pour la défense et la protection du capital sans se soucier des vies humaines. À titre d'exemple, il convient de rappeler que, lors du tremblement de terre de 1985, dans les quartiers des usines, les militaires ont empêché les tentatives spontanées de sauvetage des travailleurs piégés dans les décombres, parce que la priorité était de s'occuper des machines et des coffres forts !
C'est l'hypocrisie et l'ambition qui se dégagent de chaque discours et de chaque acte du gouvernement et des opposants, et c'est pourquoi les travailleurs ne peuvent abandonner leur volonté et nourrir leur espoir dans aucun des camps bourgeois en conflit, car comme toutes les factions de la bourgeoisie dans le monde, leur véritable objectif est la recherche de la perpétuation de ce système d'exploitation.
Le scénario de la faim et de la mort que la bourgeoisie impose au monde avec les guerres et les désastres écologiques, avance comme un tourbillon destructeur qui ne laisse aucun doute sur le danger que représente le capitalisme pour l'humanité.
Ce que nous disions en 2005, face à la situation révélée par l'ouragan Katrina, est aujourd'hui plus clair et plus urgent à méditer par tous les exploités : " La guerre, la famine et les désastres écologiques, voilà le futur où le capitalisme nous mène. S'il y a un espoir pour l'avenir de l'humanité, c'est que la classe ouvrière mondiale développe la conscience et la compréhension de la véritable nature de la société de classe et prenne en main la responsabilité historique de se débarrasser de ce système capitaliste anachronique et destructeur et de le remplacer par une nouvelle société contrôlée par la classe ouvrière, ayant pour principe la solidarité humaine authentique et la réalisation des besoins humains "[4]
RM, 2 Novembre 2023
[1] Ils définissent les niveaux de pauvreté selon des critères techniques, de sorte que les "pauvres" sont les personnes qui couvrent de manière précaire leurs besoins de base en matière d'alimentation et de services, tandis que l'"extrême pauvreté" représente la population dont les revenus ne lui permettent pas de couvrir ses besoins minimaux en matière d'alimentation et encore moins pour d'autres services de base.
[2] Cet aspect a été particulièrement souligné par Cappucci et Samenow.
[3] Lire "Le monde à la veille d'une catastrophe environnementale (I) [255]" et "Le monde à la veille d'une catastrophe environnementale (II) - Qui est responsable ? [256]".
[4] Cyclone Katrina : le capitalisme est responsable de la catastrophe sociale [257]. Revue internationale n°123, 4ème trimestre 2005.
“On a su que le monde ne serait plus le même. Quelques personnes ont ri, d'autres ont pleuré mais la plupart sont restées silencieuses. Je me suis rappelé la phrase de l’Écriture hindoue, le Bhagavad Gita ; Vishnu tente de persuader le Prince d'accomplir son devoir et, afin de l'impressionner, prend sa forme aux bras multiples et dit: “Maintenant je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes”. Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une façon ou d'une autre”
C’est ainsi que s’exprima Robert Oppenheimer en 1965 pour raconter ce qu'il ressentit lorsqu'il assista au premier essai nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945.
Le film de Christopher Nolan retrace le cas de conscience de ce scientifique, connu comme « le père de la bombe atomique ».
Il est vrai que Robert Oppenheimer a été dépassé par la monstruosité de ce à quoi il a grandement contribué : mettre au point un engin de mort qui dépassait de très loin ce qui existait auparavant. Cette nouvelle arme atomique allait faire 210 000 morts les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki. Sans compter le nombre incalculable des décès ultérieurs suite aux graves conséquences des effets des radiations qui ont perdurées de très longues années par la suite.
Alors oui, au cours de la guerre, la justification idéologique était toute trouvée pour le gouvernement américain. L’Allemagne nazi menait des recherches pour fabriquer une arme puissante et destructrice. La défense du « monde libre », de la démocratie, justifiait de tout faire pour combattre le nazisme, de développer des armes suffisamment puissantes capables de détruire cet ennemi de la civilisation qui exterminait les juifs.
Oppenheimer était juif et a été sensible à cette propagande.
Le processus de réalisation de la bombe fut lancé, Oppenheimer et son équipe de savants sont allé au bout de ses recherches. Il fit, à la veille de la Conférence de Potsdam, des essais concluants en plein désert du Sud des États-Unis en juillet 1945.
Mais alors, en 1945, pourquoi poursuivre ce programme militaire alors que l’Allemagne était vaincue ?
L’alibi de défense de la civilisation contre la barbarie nazie ne tenait plus.
Personnage très contradictoire, Oppenheimer était convaincu qu’il œuvrait pour la paix dans le monde en ayant construit un engin de mort dépassant tout ce qui avait été construit jusqu’alors, permettant d’éviter des guerres dans le futur par effet de dissuasion.
Le but de Truman, le président américain qui ordonna l’holocauste nucléaire, ainsi que son complice Winston Churchill était tout autre.
A l’opposé des tombereaux de mensonges colportés depuis 1945 sur la prétendue victoire de la démocratie synonyme de paix([1]), la seconde boucherie mondiale est à peine terminée que se dessine déjà la nouvelle ligne d’affrontement impérialiste qui va ensanglanter la planète. Yalta([2]) contenait la fracture impérialiste majeure entre le grand vainqueur de 1945, les États-Unis, et son challenger russe. Puissance économique mineure, la Russie put accéder, grâce à la Seconde Guerre mondiale, à un rang impérialiste de dimension mondiale, ce qui ne pouvait que menacer la superpuissance américaine. Dès le printemps 1945, l’URSS utilise sa force militaire pour se constituer un bloc dans l’Est de l’Europe. Yalta n’avait fait que sanctionner le rapport de forces existant entre les principaux requins impérialistes qui étaient sortis vainqueurs du plus grand carnage de l’histoire. Ce qu’un rapport de forces avait instauré, un autre pouvait le défaire. Ainsi, à l’été 1945, la véritable question qui se pose à l’État américain n’est pas de faire capituler le Japon le plus vite possible comme on nous l’enseigne dans les manuels scolaires, mais bien de s’opposer et de contenir la poussée impérialiste du « grand allié russe » !
C’est ainsi que ce film de Christopher Nolan veut montrer comment un brillant chercheur passionné de culture et pétris d’humanisme va se trouver au centre d’événements historiques qui le dépassent, mais dont il est à la fois acteur et victime de ceux-ci.
Mais ce film fait également une large part au contexte qui régnait lors des premières années de la guerre froide, celle du maccarthysme. La chasse aux éléments « subversifs », les « communistes » liés à l’URSS de Staline dont Oppenheimer sera victime ([3]) avant d’être ensuite réhabilité par J.F. Kennedy en 1962.
Dans le contexte actuel de guerre en Ukraine et de manœuvre de l’impérialisme américain contre la Russie, ce film semble apparaître comme prémonitoire. Vu la barbarie de la Russie en Ukraine actuellement, la politique américaine et anglaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’était-elle pas justifiée ?
L’industrie du cinéma a depuis longtemps été largement utilisée pour la propagande des États. Déjà, avant la Seconde Guerre mondiale, l’État américain a demandé à Walt Disney d’aller promener sa petite souris en Amérique du Sud pour contrer la montée de la propagande nazie.
L’une des conditions du plan Marshall, en 1947, pour les pays européens l’acceptant était de laisser diffuser largement les œuvres cinématographiques américaines dans les salles de cinéma. Encore une fois, il s’agissait de contrer l’influence grandissante de l’URSS, au lendemain de la guerre, en donnant une image démocratique, de liberté, des États-Unis.
Le combat idéologique entre les deux blocs a été assimilé à la lutte de la « démocratie » contre la dictature «communiste». Chaque fois, les démocraties occidentales ont prétendu mener le combat contre un système fondamentalement différent du leur, contre des « dictatures » ([4]). Il n'en est rien : il s’agit bien de deux politiques issues du même système capitaliste !
Cette vision idyllique et naïve de la «démocratie» est un mythe. La «démocratie» est le paravent idéologique qui sert à masquer la dictature du capital dans ses pôles les plus développés. Il n'y a pas de différence fondamentale de nature entre les divers modèles que la propagande capitaliste oppose les uns aux autres pour les besoins de ses campagnes idéologiques de mystification. Tous les systèmes soi-disant différents par leur nature, qui ont servi de faire-valoir à la propagande démocratique depuis le début du siècle, sont des expressions de la dictature de la bourgeoisie, du capitalisme.
Comme l’affirmait Oppenheimer en 1945, le monde ne sera en effet plus jamais le même.
Le capitalisme c’est la guerre. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, il n’y a pas eu de Troisième Guerre mondiale. La compétition entre les deux blocs américain et russe, est restée une « guerre froide », dans le sens où elle n'a jamais pris la forme d’un conflit ouvert. Elle fut plutôt menée à travers une série de guerres par procuration entre États locaux et autres « mouvements de libération nationale » accomplissant la sale besogne alors que les deux superpuissances fournissaient les armes, le renseignement, le support stratégique et la justification idéologique.
Depuis l’effondrement du bloc de l’Est à la fin des années 80, ce n’est pas un « nouvel ordre mondial » qui s’est imposé.
Mais c’est, au contraire, à une accélération de la barbarie et du chaos auquel le monde est confronté. La guerre en Ukraine et maintenant le conflit au Moyen Orient en sont les dernières manifestations guerrières avec ce que cela signifie comme massacres de populations entières, sans défense, avec les destructions massives que cela entraîne.
Le capitalisme entraîne la société humaine dans un abîme sans fin.
Plus que jamais l’alternative est : Communisme ou destruction de l’humanité !
CT
[1] Voir notre article « 50 ans après : Hiroshima, Nagasaki, ou les mensonges de la bourgeoisie » :
https://fr.internationalism.org/rinte83/hiroshima.htm#_ftnref2 [259]
[2] La conférence de Yalta est une réunion des principaux responsables de l'Union soviétique [260] (Joseph Staline [261]), du Royaume-Uni [262] (Winston Churchill [263]) et des États-Unis [264] (Franklin D. Roosevelt [265]). Les buts de la conférence de Yalta étaient les suivants :
[3] Il s’était vu reproché d’avoir eu des liens, dans sa jeunesse, avec le Parti « Communiste » américain (il était plutôt démocrate, soutenant Roosevelt). Le véritable reproche pour l’accuser d’être un agent soviétique était son refus de mettre en œuvre ses grandes qualités scientifiques pour la fabrication de la bombe H.
[4] Voir notre article « Le mensonge de l’État ‘ démocratique ‘» : https://fr.internationalism.org/rinte76/mensonge.htm [269]
Le 22 et le 29 septembre dernier, la Tendance Communiste internationaliste a tenu deux réunions publiques, respectivement à Paris et Saint-Nazaire. Le CCI a toujours considéré que les discussions, le débat, la confrontation des positions est une tâche et une responsabilité fondamentales entre les groupes de la Gauche communiste. C’est pourquoi nous sommes intervenus dans ces deux réunions en mobilisant également de nombreux sympathisants pour contribuer à ce que le débat soit le plus riche possible.
Mais à en croire les bilans de ces réunions publiés sur le site de la TCI, notre attitude aurait été animée d’une toute autre intention.
Dans la RP de Paris, « la réunion qui aurait pu beaucoup plus approfondir tous les aspects de la situation actuelle et ses conséquences pratiques, a été quelque peu détournée de son but par des camarades du CCI. » Dans celle de Saint-Nazaire, ce serait pire : « l’intervention du CCI avait été coordonnée dans le but de dénaturer le débat, lequel a été orienté dans une mise en accusation frontale autant que fantaisiste de nos positions. En dépit de notre refus de le suivre sur cette voie, ses militants ont pourri le débat en brandissant toutes sortes de détails extrapolés ou invérifiables, à mille lieues des préoccupations des autres participants. »
Autrement dit, le CCI aurait fomenté un plan délibéré pour saboter le déroulement de réunions publiques d’une organisation de la Gauche communiste. Ces accusations balancées publiquement et sans le moindre argumentaire sont lourdes de conséquences. Alors soyons un peu plus consistants et honnêtes que la TCI en commençant par rectifier les multiples mensonges proférés dans ces deux bilans.
Après avoir écouté, durant près d’une heure, l’exposé du présidium (complété par deux interventions de Battaglia communista et de Internationalist Workers’ Group, deux groupes affiliés à la TCI), le CCI s’est inscrit dans la discussion. Notre première intervention a essayé de démontrer que :
1 - Contrairement à l’analyse développée dans la présentation, la guerre impérialiste dans la période de décadence du capitaliste n’est absolument pas une solution à la crise économique. Bien au contraire, elle ne fait que l’aggraver et plonge l’humanité dans une spirale de destruction et de chaos. Elle acquiert un caractère de plus en plus irrationnel du point de vue du capitalisme.
2 - Contrairement à l’idée développée également dans l’exposé, nous n’adhérons pas à l’analyse d’une tendance à la formation des blocs préfigurant le cours vers une troisième guerre mondiale. Nous pensons plutôt que la tendance au chacun pour soi entre les États impérialistes ne peut que provoquer une multiplication des conflits guerriers engendrant toujours plus de chaos et de destruction et pouvant conduire à la fin de l'humanité même en l'absence de guerre mondiale.
C’est pourquoi, comme nous l’avons souligné aussi bien à Paris qu’à Saint Nazaire, l’analyse abstraite et erronée de la TCI sur la guerre impérialiste l’amène à sous-estimer profondément la gravité de la situation !
Mais la prétendue entreprise de sabotage du CCI ne s’arrêterait pas là puisque, par la suite, nous aurions porté l’attention « sur des points assez secondaires » et tenté de « dévier la discussion sur la question syndicale ». Si effectivement, dans la réunion de Paris, le CCI est intervenu pour affirmer l’appartenance des syndicats et du syndicalisme à l’État bourgeois, c’est justement face à l’ambiguïté contenue dans les propos du représentant de Battaglia communista déplorant que les syndicats n’étaient pas assez combatifs et ne faisaient pas ce qu’il fallait pour développer les luttes. Il n’y a donc rien d’étonnant, comme l’indique le bilan de la réunion de Paris, que le membre de la CNT/AIT (organisation libertaire se concevant justement comme une fédération de syndicats) ait été à 100% en « accord politiquement » avec la position de la TCI.
D’ailleurs, nous avons pu constater la même complaisance à l’égard des syndicats, une semaine plus tard, dans la réunion de Saint-Nazaire, puisque la TCI ne s’est pas vraiment démarquée de la position défendue par le représentant du groupe gauchiste Lutte ouvrière appelant justement à travailler dans les syndicats ! Une intervention de la CWO a même affirmé que « cela fait sens d’adhérer au syndicat si tous les collègues de travail y sont » laissant donc penser qu’il serait parfois nécessaire d’être présent dans ces organes de l’État.
Devant de telles concessions sur une position aussi importante pour la classe ouvrière, il était indispensable de rappeler et de réaffirmer haut et fort ce qui constitue un des acquis programmatiques de la Gauche communiste, que la TCI est sensée partager mais qu’elle est incapable de défendre !
De toute manière, cette « parenthèse » sur les syndicats ne nous a pas empêché pour autant d’intervenir sur des questions plus centrales posées dans la discussion. C’est pourquoi, nous avons également pris position, dans les deux réunions, sur le rôle des organisations de la Gauche communiste face à la guerre impérialiste.
Dans ces interventions nous avons défendu :
Il est malheureux que la TCI n’ait pas pris tout ceci au sérieux et se soit contentée de nous taxer, sans le moindre argument, « d’idéalistes » tout juste bons à faire des « déclarations platoniques »
En fin de compte, toutes les accusations éhontées proférées dans les bilans : la « mise en accusation frontale » de ses positions, « la dénaturation du débat », l’« attitude de provocation et de mise en cause ubuesque », le « parasitage de la discussion », etc. démontrent surtout une véritable aversion à l’encontre de ceux qui ont su défendre clairement et avec détermination les principes et la tradition de la Gauche communiste.
Animée par la volonté de gagner toujours plus d’influence et l’esprit de rivalité, la TCI est prête au contraire à flatter n’importe qui et à se compromettre pour n’importe quoi ! Cette démarche suicidaire la mène même à brouiller la frontière de classe avec des organisations gauchistes comme LO dont le militant présent à Saint Nazaire est considéré comme un « camarade ». On nous accuse même de s’en être pris personnellement à lui alors que nous n’avons fait que dénoncer Lutte ouvrière comme un groupe gauchiste ayant pour fonction de dévoyer l’internationalisme.
En réalité, l’ouverture maximale avec tout ce qui se trouve à sa droite et le refus catégorique de discuter avec la gauche est une démarche typique de l’opportunisme. La même hostilité avait gagné l’Opposition de gauche et Trotsky dans les années 30 à l’encontre de la fraction de gauche du Parti communiste d’Italie qui incarnait la position la plus claire face à la dégénérescence opportuniste de l’Internationale communiste.
Il nous serait enfin reproché de « remettre sur le tapis de vieilles lunes de plus de vingt ans. La TCI fait ici certainement référence à la déclaration que nous avons lue 30 minutes avant la fin de la réunion de Paris dans laquelle nous avons dénoncé la présence de deux individus exclus du CCI au début des années 2000 pour avoir publié des renseignements qui exposaient nos camarades à la répression étatique, une activité que nous avons dénoncée comme du mouchardage.([4]) Ces derniers n’ont jamais renié leurs comportements. L’un est même membre de la TCI depuis plusieurs années et faisait partie du présidium. En fait, c’est surtout cette interpellation qui enrage la TCI et qu’elle tente de cacher par tous les moyens, en la réduisant à de simples « histoires anciennes peu politiques » et en nous accusant d’avoir, à travers ça, « parasité la discussion ».
Jusqu’à preuve du contraire, les mouchards n’ont jamais eu leur place dans le camp révolutionnaire. C’est pourquoi nous estimons qu’il était de notre responsabilité d’interpeller la TCI sur ce problème, en défendant, une fois encore, les principes hautement politiques du prolétariat. Au lieu de cela, tous les militants de la TCI présents sur place ont préféré se boucher les oreilles et prendre la défense de ces individus. Nous avons au moins la confirmation que cette organisation, qui a la prétention de participer à la formation du futur parti des révolutionnaires, est prête à accepter n’importe qui dans ses rangs, y compris des individus aux comportements de flics et des voyous !
Ce n'est d’ailleurs pas la première fois qu’elle pactise avec des éléments troubles. En 2004, le BIPR (l’ancêtre de la TCI) avait publié sur son site internet les calomnies proférées à l’égard du CCI par le fameux Citoyen B et le « Cercle des Communistes Internationalistes » avant de les retirer en catimini après s’être aperçu du caractère mensonger de ces déclarations([5]). La TCI n’a toutefois jamais fait la critique de cette démarche totalement irresponsable de sa part et n’en a donc tiré aucune leçon.
Plutôt que d’affronter sérieusement toutes ces questions, la TCI préfère donc les esquiver. Pire, elle nous exhorte à mettre les désaccords de côté et appelle au grand rassemblement et à l’unité de tous ceux qui se réclament, de près ou de loin, de l’internationalisme, sans la moindre clarification sur les principes. C’est une démarche que le mouvement ouvrier connaît bien et que dénonçait d’ailleurs Bordiga en 1926 à l’Exécutif de l’Internationale communiste : « l'expérience montre que l'opportunisme entre toujours dans nos rangs sous le masque de l'unité. Il est de son intérêt d'influencer la masse la plus grande possible, aussi fait-il toujours ses propositions dangereuses sous le masque de l'unité. »
C’est avec la même démarche opportuniste qu’a été fondé en 1943 le plus lointain ancêtre de la TCI : le Parti Communiste internationaliste (PCint) dans lequel avaient été admis sans la moindre critique :
1- Des éléments de la minorité de la fraction italienne qui était partie se battre aux côtés des Républicains durant la Guerre d’Espagne.
2- Vercesi et tous ceux qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, avait participé au Comité de Coalition antifasciste de Bruxelles.([6])
C’est donc cette très vieille tare politique qui constitue la source de l’opportunisme de la TCI aujourd’hui. Dès lors, son refus de l’affronter de front, son incapacité à faire la critique de son propre passé la condamne à reproduire toujours les mêmes erreurs.
Dans les bilans des deux réunions, la TCI appelle le CCI à se ressaisir, elle nous exhorte même de à nous excuser pour l’attitude négative que nous aurions adoptée au cours des discussions. Allons camarades, ne soyez pas ridicules.
Nous pensons avoir démontré la responsabilité dont nous avons fait preuve au cours de ces deux réunions en œuvrant à la confrontation des positions politiques et en étant capables de défendre les positions et les principes de la Gauche communiste. Nous ne pouvons hélas pas en dire autant de la TCI dont l’esquive et le refus de débattre, la compromission avec des éléments gauchistes, l’acceptation des comportements de flics et de voyous sont autant de symptômes de la maladie qui ronge cette organisation et la mène inexorablement vers le néant ! Comme le disait Lénine : "Un défenseur de l'internationalisme qui n'est pas en même temps un adversaire très cohérent et déterminé de l'opportunisme est un fantôme, rien de plus."
31 octobre 2023,
CCI.
[1] « Déclaration commune de groupes de la Gauche communiste internationale sur la guerre en Ukraine [101] », Révolution internationale n°493, (avril - juin 2022).
[2] Pour avoir une analyse plus complète de notre position voir : « La “Tendance Communiste Internationaliste” et l’initiative “No War But the Class War” : un bluff opportuniste qui affaiblit la Gauche communiste [281] », Révolution internationale, n°499, octobre - décembre 2023.
[3] Idem.
[4] Pour avoir davantage de précisions sur les comportements de ces deux individus, lire notamment : « Attaquer le CCI : la raison d’être du GIGC [129] », ICConline, (janvier 2023).
[5] « Lettre ouverte aux militants du BIPR (Décembre 2004) [282] », ICConline, (avril 2021).
[6] Cette démarche politique totalement aberrante a été particulièrement critiquée par la Gauche communiste de France dans l’article « A propos du Ier congrès du Parti communiste internationaliste d’Italie » dans le n°7 de la revue Internationalisme : « Dans la Fraction Italienne, une minorité se sépare ou est exclue, et ira rejoindre l'Union Communiste alliée du POUM. Cette minorité - qui, de 1936 à 1945, est restée hors de la Fraction, contre qui s'est formée la Gauche Communiste Internationale, qui garde et se réclame toujours de ses positions - se trouve aujourd'hui faisant partie du nouveau Parti en Italie. En 1945, après 6 ans de lutte contre la ligne marxiste et révolutionnaire de la Fraction, la tendance Vercesi crée le Comité de Coalition Antifasciste où elle collabore, dans une union sacrée originale, avec tous les partis de la bourgeoisie. De ce fait, précipitant la discussion politique, théorique la Fraction est amenée à exclure cette tendance de son sein. Aujourd'hui, cette tendance, sans avoir rien renié de ses positions et de sa pratique, se trouve être partie intégrante du nouveau Parti en Italie et occupe même une place importance dans la direction. Ainsi, la Fraction - qui a exclu la minorité en 1936-1937 et la tendance Vercesi au début 1945 - se trouve dissoute elle-même fin 1945 mais unie à ceux-là même qu'elle avait exclus ; et cette union c'est... le Parti. »
S’il y a bien un événement que tous les médias ont commenté pendant plusieurs semaines, c’est sans conteste la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre. Lancée à l’initiative des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, elle a été présentée comme « transpartisane ». Elle a rassemblé toute la bourgeoisie… ou presque : les « Insoumis », ont préféré organiser un petit défilé en marge pour « dénoncer l’extrême-droite », apportant ainsi leur précieuse contribution à la propagande nationaliste et démocratique de l’État.
Il est clair que le nombre d’actes antisémites a explosé ces dernières semaines. Même s’il est évident que cela servira de prétexte à l’État pour renforcer davantage son arsenal policier, ces actes ignobles alimentent une ambiance de pogrom et de tensions communautaires. L’antisémitisme peut prendre la forme de théories du complot sur un prétendu contrôle des États ou de la finance par les juifs mais peut aussi s’exprimer par des actes violents, comme la profanation de sépultures ou les agressions.
Cela n’est malheureusement pas quelque chose de nouveau. Même avant l’arrivée du nazisme en Allemagne, des idées de cet acabit étaient légion, notamment en Europe de l’Est. Les révolutionnaires ont longtemps fait l’objet d’accusations de « judéo-bolchévisme ». Trotsky et d’autres militants Juifs ont ainsi fait l’objet de campagnes de dénigrement avec, pour point d’orgue, les pogroms antisémites lors de la guerre civile russe.
Désormais, derrière les expressions d’antisémitisme les plus sordides de l’ultradroite, ces idées sont répandues parfois de manière plus sournoise. Derrière le terme « d’anti-sionisme » se cache ainsi parfois une idéologie haineuse contre l’ensemble des juifs. Il est clair par exemple que l’Iran n’a pas hésité à brouiller les frontières entre opposition à la politique d’Israël et attaques antisémites pour servir ses intérêts impérialistes. Cet État n’hésite pas à cultiver des liens avec la clique de Dieudonné et Alain Soral. (1) Même le leader des prétendus « modérés » du Fatah (2) Mahmoud Abbas a utilisé à plusieurs reprises des clichés antisémites. (3) Ces propos sont du pain béni pour le gouvernement de Netanyahou qui n’hésitera pas à les montrer comme preuve du caractère criminel de la Palestine… alors que sa majorité au Knesset n’a eu aucun problème pour tenir des propos racistes de la pire espèce pour justifier le bombardement de civils.
Alors que l’antisémitisme revient en force, les discours les plus racistes se répandent dans la bouche des politiciens de tout bord et dans la presse. On a ainsi pu voir une partie de la bourgeoisie instrumentaliser les actes antisémites pour déchaîner une odieuse campagne anti-Arabe qui a abouti à la décente de nervis néo-nazis à Romans-sur-Isère, qui se sont senti pousser des ailes pour tabasser des Arabes.
Tous ces actes odieux provoquent une indignation légitime dans le monde entier. Néanmoins, la bourgeoisie les utilise pour faire tomber les ouvriers dans le piège de la défense des soi-disant valeurs « démocratiques » et justifier son soutien à la barbarie que déchaîne Israël à Gaza. C’est tout le sens de la « marche contre l’antisémitisme ». Cette marche fait immédiatement penser au rassemblement défendant la « liberté d’expression » après l’attentat contre les locaux de Charlie Hebdo en 2015.
La banderole « Pour la République, contre l’antisémitisme » donne le ton : on assiste en réalité à une instrumentalisation d’événements tragiques au bénéfice de l’Union Nationale, qui est en réalité un moyen d’attaquer la conscience de classe. En clair, l’État, ses partis et autres ONG ramènent le prolétariat sur le terrain de la défense de la nation et de la démocratie : celui de « l’union sacrée ».
Parmi les invités de cette marche, on peut compter de nombreux membres du parti au pouvoir Renaissance. Les récentes actions du gouvernement sur l’immigration, sur la répression à Mayotte ou encore ses discours sur la laïcité en dit long sur l’hypocrisie de leur présence. Il y avait également l’ancien Président Nicolas Sarkozy qui n’a pas hésité à faire appel aux services de Patrick Buisson pour ses idées rétrogrades. A cela s’ajoute la présence de Marine Le Pen et celle du trublion Eric Zemmour dont les sorties racistes n’ont pas besoin d’être rappelées.
Cette mascarade ne serait néanmoins pas complète sans le rôle des partis de gauche. Toujours en train de cultiver son image de « résistant » contre le « patronat », Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise ont refusé de participer à cette marche. Sa justification est la présence de partis d’extrême droite à la manifestation. Il s’est même fendu sur les réseaux sociaux d’une phrase qui ne cache pas la nature nationaliste de son point de vue : « Le rejet de l’antisémitisme est plus large en France. Ils l’ont rabougri et rendu ambigu. Le peuple français restera uni malgré ses dirigeants ».
En plus de reprendre le slogan de l’anti-fascisme cher à ses ancêtres staliniens et plus récemment des anti-populistes, « l’insoumis » n’a pas hésité à remplir son discours d’illusion sur les « luttes contre les discriminations ». Son parti a organisé un rassemblement alternatif pour « tous les combats antiracistes ». Non seulement LFI récupère à sa manière ces événements tragiques mais cherche aussi à utiliser une arme fréquemment utilisée contre la nouvelle génération de la classe ouvrière : les luttes sur un terrain bourgeois.
Mais l’élément le plus important de ces campagnes est la promotion de l’idée qu’il faudrait choisir un camp dans le conflit israélo-palestinien. La lutte contre l’antisémitisme est utilisée comme marque de soutien à Israël tandis que le soutien de certaines parties de la gauche à la Palestine est loin d’être un secret. Bien loin d’être réellement opposées, ces deux manifestations jouent un rôle complémentaire dans la confusion qu’elles instillent au sein du prolétariat. Le choix d’un camp impérialiste est une idée que les ouvriers doivent absolument rejeter. La seule réponse possible pour arrêter le carnage impérialiste est la lutte de classe et le refus de soutenir toute forme de nationalisme, peu importe sa forme.
Edgar, 1er décembre 2023
1« Les étranges liens de Dieudonné avec l’Iran » [285], Le Figaro (8 janvier 2014)
2Composante principale de l’OLP et membre de l’Internationale Socialiste
3« Abbas accuse les rabbins de vouloir empoisonner les puits palestiniens, Israël crie à la calomnie » [286], France 24 (23 juin 2016)
La défense intransigeante de l’internationalisme et de son vieux mot d’ordre : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ! », est plus que jamais la clé du combat du prolétariat, une frontière de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Nombre de groupes de la gauche de l’appareil politique de la bourgeoisie, les trotskistes, les anarchistes ou les maoïstes se targuent depuis des décennies d’être les défenseurs de la cause prolétarienne et de son combat contre le capitalisme. Alors que les tueries entre Israël et le Hamas font rage, leur pseudo-internationalisme s’est révélé, une nouvelle fois, n’être qu’un bluff et une mystification ! Alors le déluge de feu de Tsahal répond à la sauvagerie sans limite du Hamas, toutes leurs prises de position aboutissent à un même résultat : pousser les ouvriers à choisir un camp impérialiste contre un autre. En clair, ils ne sont que des rabatteurs sur le terrain du bourbier nationaliste !
Une partie des gauchistes, un peu partout dans le monde, n’a pas hésité à glorifier les actes ignobles du Hamas après leur attaque sauvage du 7 octobre. Les néo-maoïstes français de la Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire (LJR) ont ainsi titré : « Le déluge d’Al Aqsa est un glorieux phare dans la nuit qu’est l’impérialisme ». Un summum dans l’ignominie guerrière ! Il en est de même du groupe trotskyste espagnol El Militant-Izquierda Revolucionaria qui n’a pas hésité à brandir triomphalement le « droit du peuple palestinien à l’autodéfense armée » pour se féliciter des exactions de cette bande de gangster et d’assassin qu’est le Hamas ! Idem, en Grande-Bretagne, où le trotskiste Socialist Workers Party a lancé sans aucune vergogne son cri de guerre : « le peuple palestinien a parfaitement le droit de répondre comme bon lui semble à la violence de l’État israélien ».
Mais derrière cette coterie de va-t-en-guerre éhontés, d’autres groupes gauchistes, dans une parfaite répartition de la sale besogne idéologique, ont promu des formes beaucoup plus sournoises de nationalisme.
Dans d’autres groupes trotskistes, les propos sont un peu plus subtils mais la logique est la même : derrières leurs slogans « résolument internationalistes », comme l’affirme, par exemple, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), la défense d’un camp impérialiste contre un autre est indéfectible. Ils persistent et signent dans leur nationalisme putride : « depuis des décennies, (et avant lui la LCR), le NPA défend que, comme les autres peuples du monde, les Palestinien(ne)s ont des droits, nationaux et démocratiques, reconnus par l’ONU ».
Ces « droits », ce sont ceux de la nation et son État (démocratique ou non), expressions par excellence de la dictature de la classe dominante, celle qui imposent au prolétariat palestinien et à la population en général, d’être la chair à canon de ses velléités impérialistes depuis plus de cinquante ans !
Le nationalisme palestinien, qu’il se présente comme « marxiste », « laïque » ou « islamiste », s’est toujours mis au service des forces impérialistes en présence. Le Hamas est, de fait, une clique à la tête d’un État, une faction de la bourgeoisie palestinienne qui exploite et impose sa dictature sur la population de Gaza, sur le prolétariat palestinien. Il traite ses travailleurs comme n’importe quel autre régime capitaliste. L’une des plus grandes ironies de ce cauchemar est que le Hamas doit dans une large mesure son existence à Israël qui a initialement encouragé son développement pour faire contrepoids à l’OLP.
Révolution Permanente (RP), organisation scissionniste du NPA qui tend à développer des liens avec d’autres groupes trotskystes en Europe, comme le Klasse gegen Klasse en Allemagne, en remet une couche avec une sidérente mauvaise foi : « L’aventurisme, les exactions et massacres du Hamas contre des civils sont à la hauteur de l’impasse qu’il constitue pour la cause palestinienne, parce qu’il ne porte pas de véritable programme social et démocratique […]. Et pourtant, le Hamas, à la différence de Daech et d’Al Qaida, a une assise populaire, quand bien même l’absence d’élection et de tout cadre démocratique […] empêche de mesurer exactement le degré de soutien du Hamas à Gaza et ailleurs dans les territoires ».
Quelle hypocrisie éhontée pour faire accepter l’inacceptable et justifier les massacres barbares du Hamas ! Assise populaire ? Les exactions du Hamas seraient donc plus légitimes si des élections étaient venues les entériner ? Est-ce sur la base de son « assise populaire » qu’en septembre 2006, quelques mois après son accès au pouvoir, des grèves massives et des manifestations ont été organisées pour exiger que le gouvernement du Hamas règle plusieurs mois de salaires impayés ?
Voilà une belle illustration de la mystification démocratique ! Sous couvert d’un discours « critique », les va-t-en-guerre du NPA utilisent le « label démocratique » pour mieux justifier les massacres perpétrés par la soldatesque d’un camp impérialiste.
L’ignominie de la propagande trotskiste n’a donc pas de limites et vire souvent à l’insoutenable. Mais la sauvagerie et les atrocités de ce conflit sont telles qu’elles gênent parfois aux entournures certains de ces groupes et les amènent à prendre un peu de « distance » avec les propos de leurs « camarades ».
De telles expressions de contorsions radicales se retrouvent, ainsi, dans un des groupes trotskistes les plus sournois, expert en double langage et faux-fuyants, l’inénarrable organisation trotskiste française : Lutte Ouvrière (LO), qui s’est fendue tout dernièrement d’un article très critique vis-à-vis du NPA et de Révolution Permanente. LO leur reproche un discours nationaliste trop outrancier qui ne percevrait pas « la nature de classe, bourgeoise, du Hamas, ni sa politique nationaliste et réactionnaire […]. Qualifier le Hamas de “principale organisation de la résistance” palestinienne est un abus de langage, pour ne pas dire une escroquerie ».
Diable ! LO dénoncerait donc la barbarie de toutes les factions bourgeoises et renoncerait à sa logique de défense des « luttes de libération nationale » ?… Sûrement pas ! « Si une partie des masses palestiniennes font confiance au Hamas, lui en tout cas ne leur fait pas confiance […] le Hamas agit et décide hors de tout contrôle de la population palestinienne et des plus pauvres. Ses méthodes ne visent pas à permettre aux révoltés de prendre conscience de leur force, de s’organiser et de faire un apprentissage politique. L’attaque du 7 octobre a été lancée par sa direction hors de tout contrôle et de toute discussion ». En clair, la sauvagerie peu démocratique du Hamas a « déçu » LO ! Rien de moins !
Ah ! Si seulement des « discussions démocratiques » avaient pu avoir lieu avant le 7 octobre pour planifier l’attaque du Hamas, les atrocités auraient pu avoir un profil plus présentable à en croire LO. Au royaume du sordide, la « subtile » Lutte Ouvrière détrône les plus outranciers des groupes trotskistes pour vendre sa camelote nationaliste et guerrière.
Laissons parler à nouveau Révolution Permanente : « En perspective, il ne faut pas penser la mobilisation contre la guerre, la lutte de libération nationale palestinienne et la perspective de la révolution prolétarienne comme des voies séparées. Elles peuvent et doivent au contraire s’entretenir l’une l’autre ». Ça a au moins le mérite d’être clair !
Non seulement le prolétariat palestinien doit continuer à servir de chair à canon pour la cause nationaliste de sa bourgeoisie mais plus largement la lutte prolétarienne doit « entretenir » et nourrir les luttes de libération nationale. Il y avait belle lurette que l’internationalisme de pacotille des trotskistes avait été jeté par la fenêtre, mais ils assument là ouvertement leur rôle de sergents recruteurs pour la cause nationale.
Quelles que soient les contorsions alambiquées ou non des organisations trotskistes, elles demeurent des rabatteurs indéfectibles de la bourgeoisie dans ses confrontations sur le terrain national.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le trotskisme est définitivement passé dans le camp de la bourgeoisie en contribuant à embrigader le prolétariat dans la guerre contre le fascisme. Depuis, ces groupes bourgeois ont, partout dans le monde, méthodiquement incité les ouvriers à choisir un camp impérialiste contre un autre. Pendant la guerre froide, ils ont confirmé leur soutien inconditionnel à l’URSS et ses prétendues « luttes de libération nationale » (Cambodge, Vietnam, Cuba…) contre les États-Unis. Lors de la guerre en Irak, ils ont déterminé que le « bon camp » était… « le camp du peuple irakien face aux agresseurs anglo-américains » !
Plus récemment, plusieurs groupes trotskistes n’a eu de cesse de dénoncer « la Russie de Poutine » dans la guerre en Ukraine, appelant le « peuple ukrainien » à se faire massacrer dans les tranchées. D’autres officines trotskistes, comme LO fidèle à son dogme d’une Russie qui ne serait pas impérialiste, n’hésitent pas à subtilement soutenir Poutine en suggérant que le seul impérialisme qui vaille la peine d’être dénoncé est celui de l’OTAN et de Biden.
Le trotskisme, parce qu’il est une idéologie bourgeoise, pousse donc inéluctablement la classe ouvrière dans les bras des prétendues luttes de libération nationale, en réalité la défense d’un camp impérialiste contre un autre : le camp des « agressés » face aux « agresseurs », le camp de la démocratie face au fascisme, le camp des « pays pauvres » face aux « pays riches », précédemment le camp de la « patrie socialiste soviétique » face à l’impérialisme occidental, etc.
Il n’y a pas de solution aux bains de sang sans fin au Moyen-Orient et dans le monde entier en dehors de la lutte des classes internationale et de la révolution prolétarienne mondiale. Toutes les formes de nationalisme, tous ses défenseurs, y compris les plus radicaux, sont des ennemis mortels de la classe ouvrière et de sa perspective révolutionnaire.
Stopio, 5 décembre 2023
Né en Bavière en 1923, d’origine juive, le jeune Heinz Alfred Kissinger sera obligé de migrer avec sa famille vers les États-unis afin d’échapper au nazisme. Devenu « Henry » il obtiendra la nationalité américaine en 1943, s’engagera comme soldat dans les rangs du renseignement militaire puis rejoindra ensuite les services du contre-espionnage. De retour en Amérique à la fin de la guerre, il poursuivra de brillantes études à l’Université de Harvard et enseignera les sciences politiques, se spécialisera dans les relations internationales. Sa carrière de diplomate prendra une véritable dimension planétaire sous l’ère Nixon. Il deviendra alors, durant toute la guerre froide, une figure emblématique incontournable de la tête du bloc occidental face à l’URSS.
Conformément à son rang et aux services rendus à la nation américaine, une « pluie d’hommages » est venue des grandes chancelleries pour honorer le défunt Kissinger. Biden saluera son « esprit acéré », Xijingping le « diplomate de légende », Scholz un « grand diplomate », Macron un « géant de l’histoire », etc.
Dans un exercice de fausse opposition, la figure controversée du diplomate américain a fait l’objet de « critiques » par les partis de gauche, les gauchistes et plusieurs médias, stigmatisant la « face sombre » du personnage. Indéniablement, dès son arrivée à la Maison-Blanche comme conseiller à la sécurité nationale en 1969, puis comme secrétaire d’État en 1973, Kissinger inspirait peu de sympathie, au point où Nixon, très méfiant, avait décidé de le mettre sous écoute. Une pratique courante qui fera scandale plus tard et lui coûtera son poste lors de l’affaire du Watergate. (1) Kissinger lui-même usait des mêmes méthodes à l’encontre de ses propres collaborateurs qui, eux aussi, n’appréciaient nullement cet infatigable manipulateur, connu pour son autoritarisme, sa froideur, ses mensonges et son manque total de scrupule. Bref, un profil propre à tous les grands représentants de la bourgeoisie et autres défenseurs du capitalisme. Mais en polarisant quasi exclusivement sur la personnalité de Kissinger, cette propagande est venue masquer que les décisions qu’il avait prises, effectivement criminelles, étaient avant tout l’émanation d’une logique de domination propre à l’impérialisme et donc à celle du système capitaliste.
Tout ceci ne retire rien à la responsabilité de Kissinger et de Nixon ni de leurs exactions, mais cela ne saurait dédouaner la politique inévitablement barbare d’un système décadent qui a généré deux guerres mondiales, des blocs impérialistes antagoniques risquant même d’engloutir l’humanité dans l’apocalypse nucléaire. Ce n’est que dans ce cadre que l’on peut appréhender les grands crimes qui ont effectivement été commis durant la guerre froide suite à des décisions venant bel et bien du sommet de l’État américain.
Et ce fut bien le cas lors des terribles bombardements massifs au Cambodge commencés dans le plus grand secret dès 1969 face aux menaces des troupes du nord Vietnam. Les États-Unis ont alors préventivement largué 540 000 tonnes de bombes, provoquant un déluge de feu tuant de 50 000 à 150 000 civils. Les transcriptions déclassifiées d’écoutes téléphoniques prouvent que Kissinger a bien transmis au général Alexander Haig les ordres de bombarder : « une campagne de bombardement massif au Cambodge […] c’est un ordre, il faut le faire. Tout ce qui vole, sur tout ce qui bouge. Vous avez compris ? ». Glaçant… Le Cambodge, devenu le pays le plus bombardé de l’histoire, a sombré alors dans une barbarie qui a favorisé l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges et du régime sanglant de Pol Pot.
Ces crimes ne sont pas uniquement le produit d’une décision venant d’une personnalité sans scrupule. Il s’agit d’une politique planifiée, basée sur la stratégie de la terreur, destinée à contrer le bloc ennemi : l’URSS. Une telle démarche n’est absolument pas contradictoire avec la politique de « détente » qui repose elle-même sur le principe d’un « équilibre de la terreur ». La doctrine de « dissuasion nucléaire », défendue par tout le camp occidental, n’était donc pas limitée au spécialiste Kissinger. (2)
Profitant des dissensions croissantes entre l’URSS et la Chine à la fin des années 1960, pour promouvoir la « détente » et prenant aussi des distances avec l’ostpolitik du Chancelier Willy Brandt, (3) Kissinger défendait fermement la continuité d’une même stratégie « d’endiguement » initié par le Président Truman après la Seconde Guerre mondiale. Là aussi, de manière discrète, la politique de « détente » allait exercer une pression destinée à isoler davantage l’URSS. Une politique cachée, minutieuse et systématique, dont Kissinger avait été l’acteur principal, le fin négociateur, aboutissait alors avec succès pour le camp occidental. Sa politique permit en même temps, grâce à de nombreux contacts discrets avec le ministre chinois Zhou Enlai, d’officialiser le voyage de Nixon à Pékin en 1972. Une politique qui allait porter ses fruits avec le basculement officiel de la Chine dans le camp occidental.
Suite au Traité de Paris l’année suivante, qui allait déboucher sur des pourparlers au Moyen-orient et sur la fin de la guerre du Vietnam, Kissinger allait recevoir… le prix Nobel de la paix ! Ce fut naturellement un véritable tollé qui allait même conduire à la démission de deux membres du prix Nobel (4)
Pour desserrer l’étau de cette offensive américaine très habile, le bloc soviétique allait riposter par des tentatives de déstabilisation en essayant de contrer la pression accrue du bloc occidental. Dans ce contexte, l’élection du « socialiste » Salvador Allende au Chili en 1973 allait être perçue comme une véritable menace pour Washington. L’assassinat d’Allende et le putsch aboutissant à l’arrivée du général Pinochet au pouvoir ont, pour le moins, été grandement favorisés (si ce n’est exécuté) par la CIA et la politique des États-unis. La contre-offensive américaine usait bel et bien de la terreur. La preuve en est qu’elle fermera totalement les yeux sur les tortures et les exécutions sommaires du nouveau régime chilien et de bien d’autres. Le rôle de Kissinger et son autorité sur la CIA, leurs soutiens aux nombreuses dictatures, font des années 1970 et 1980 sur ce plan des « années noires ».
La « realpolitik » de Kissinger est en réalité celle de tout le bloc occidental. Elle a contribué, par la ruse et la séduction, le mensonge, la dissimulation, la manipulation et la violence, à orchestrer les nombreux coups d’État, à organiser les bombardements massifs sur les civils, favorisant ainsi le terreau des épurations ethniques et des massacres. Tout cela, au nom de la « démocratie ».
Le plus ignoble est cette capacité de la bourgeoisie aujourd’hui à utiliser ses propres crimes passés pour alimenter encore la propagande démocratique afin de mystifier la classe ouvrière en tentant de dédouaner son propre système d’exploitation des destructions et massacres de masse. « Pour perpétuer sa domination sur la classe ouvrière, il est vital pour la bourgeoisie de maintenir en vie la mystification démocratique, et elle s’est servie et continue de se servir de la faillite définitive du stalinisme pour renforcer cette fiction. Contre ce mensonge d’une prétendue différence de nature entre “démocratie et totalitarisme”, toute l’histoire de la décadence du capitalisme nous montre que la démocratie s’est tout autant largement vautrée dans le sang que le totalitarisme, et que ses victimes se comptent par millions. Le prolétariat doit aussi se rappeler que jamais la bourgeoisie “démocratique” n’a hésité, pour défendre ses intérêts de classe ou ses sordides intérêts impérialistes, à soutenir et encenser les plus féroces dictateurs. Souvenons-nous du temps où les Blum, les Churchill, etc., appelaient Staline, “Monsieur Staline”, et où celui-ci était nommé “l’homme de la Libération” ! Plus près de nous, rappelons-nous du soutien apporté à S. Hussein ou encore à Ceausescu, félicité par De Gaulle et décoré par Giscard. La classe ouvrière doit faire sien le fait que la démocratie, hier, aujourd’hui, et plus encore demain, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose que le masque hypocrite avec lequel la bourgeoisie recouvre le visage hideux de sa dictature de classe, pour mieux l’enchaîner et la réduire à merci ». (5)
Henry Kissinger a été un représentant typique de cette classe bourgeoise, séparant de manière radicale morale et politique : « un pays qui exige la perfection morale dans sa politique étrangère n’atteindra ni la perfection ni la sécurité » dira-t-il. Jusqu’à la fin de sa carrière officielle en 1977 et bien au-delà, Kissinger continuera à influencer la vie politique américaine, comme en témoignent ses soutiens ouverts à Reagan, ses conseils à Bush Jr. et à bien d’autres. En juillet dernier, âgé de 100 ans, il restait toujours influent et même en mesure de voyager. Il fut reçu par Xi Jinping en personne à Pékin, quelques mois seulement avant sa disparition.
WH, 10 décembre 2023
1 Le Watergate est une affaire d’espionnage politique avec écoutes qui aboutit, en 1974, à la démission du Président Richard Nixon.
2 Afin de cultiver la crainte chez les « Soviétiques », Kissinger laissait entendre habilement que Nixon pouvait être « incontrôlable », c’est-à-dire prêt à utiliser la bombe atomique à tout moment. Bref, un partage du travail dans lequel Kissinger passait pour le « gentil » et Nixon le « dangereux méchant ».
3 Cette politique visant à normaliser les relations avec l’Union soviétique était considéré avec méfiance par les Américains.
4 Le chanteur américain Tom Leher dira que « la satire politique est devenue obsolète depuis que Henry Kissinger a reçu le prix Nobel de la paix ». Françoise Giroud parlera d’un « prix Nobel de l’humour noir ».
5 « Souvenons-nous : les massacres et les crimes des “grandes démocraties” [288] », Revue internationale n° 66 (1991).
Dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 novembre, Thomas, 16 ans, a été mortellement touché par un coup de couteau à la suite d’une bagarre causée par un incident mineur (des réflexions au sujet d’une coiffure) qui a mal tourné à la fin d’un bal à Crépol (Drôme). Immédiatement, une réaction incendiaire d’une partie de l’extrême droite (hors RN) et de la droite, accusant des « étrangers » d’avoir commis ce crime.
Quelques jours plus tard, « des dizaines d’individus encagoulés se sont dirigés vers le quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère (Drôme), une ville située à 15 km de Crépol, dans le but d’opérer une expédition punitive, aux cris de “justice pour Thomas”. Les auteurs et complices présumés du meurtre de Thomas seraient, en partie, originaires de cette cité » (Le Monde du 30 novembre).
Face à cela, on ne peut que noter les atermoiements et la cacophonie de la classe dominante. Par exemple, Eric Ciotti (Les Républicains) a d’abord refusé, dimanche, de condamner cette expédition punitive, avant de faire machine arrière, sous la pression du gouvernement, alors même qu’à ce jour, les investigations policières ne sont pas terminées et qu’il existe encore des inconnues quant au déroulement précis de la soirée qui a abouti à ce drame. De son côté, le gouvernement, tout cherchant à se donner une image de fermeté, a tenté d’apaiser la situation : « un proche du président de la République dénonce “la fable insensée” véhiculée par l’extrême-droite sur l’imminence d’une “guerre civile” ».
Ce drame intervient dans un contexte où l’accélération de la décomposition de la société capitaliste génère toujours plus de violence sociale, comme on a pu le mesurer encore récemment lors des émeutes à Dublin. Une violence qui s’est encore exacerbée un peu partout depuis le déclenchement de la guerre au Moyen-Orient, et qui vient gangrener le tissu social. De telles violences ne font à leur tour qu’aggraver le phénomène qui alimente la montée du populisme, les idéologies racistes d’extrême-droite et les théories délirantes sur le « grand remplacement ».
Fondamentalement, la bourgeoisie est impuissante, de plus en plus ballottée par une situation qui menace son ordre et tend à empoisonner sa vie politique. Pourquoi la bourgeoisie a-t-elle jeté autant d’huile sur le feu, depuis tant d’années à propos de l’Islam et de l’immigration ? Pour diviser la classe ouvrière, naturellement, mais aussi, initialement pour tenter d’instrumentaliser et de diaboliser l’extrême droite en vue de renforcer l’idéologie démocratique.
Or, aujourd’hui, le phénomène tend à échapper aux apprentis sorciers et inquiète. Une partie de la presse s’est ainsi montrée étonnamment prudente à la suite du Procureur de la République qui a initialement menti en affirmant qu’il est « faux d’affirmer que le groupe hostile serait composé d’individus tous originaires de la même ville et du même quartier ». Même Darmanin, pourtant habitué à la surenchère xénophobe, s’est déclaré « scandalisé » par les manifestations de l’extrême-droite et a menacé de dissoudre trois groupuscules. Tout comme Véran qui à dénoncer ces « factions d’ultradroite animées par la haine et le ressentiment ».
Pourquoi cette tentative de calmer la situation ? D’abord parce que le camp présidentiel est en train de se déchirer sur la nouvelle Loi Immigration et cette ambiance délétère ne fait que renforcer l’électorat du RN. Mais surtout, le rôle majeur de l’État, est de maintenir la cohésion de la société. Or la situation de crise politique qui affecte l’ensemble de la classe politique rend cette tache de plus en plus difficile et délicate. La fraction la plus lucide de la bourgeoisie, elle-même en partie déjà affectée, se rend compte que la situation est explosive, qu’il existe un risque de fragmentation sociale. Même Marine Le Pen a critiqué les propos incendiaires de Zemmour pour mieux se présenter en garante de la cohésion de la Nation, apte à diriger l’État.
Ce drame illustre bien, par ses conséquences, le processus de décomposition de la société capitaliste, au niveau mondial. Même si le fait d’instrumentaliser de tels drames et d’attiser les haines communautaires constitue un moyen de diviser les luttes des ouvriers et pourrir leur conscience, de tels phénomènes sont des produits de la décomposition du capitalisme qui ne fait que dégrader l’ensemble du corps social et ne sauraient être celui d’une simple volonté politique.
La bourgeoisie française se retrouve aujourd’hui coincée entre deux exigences : - d’une part, l’urgence de renforcer ses attaques contre la classe ouvrière pour résister à la crise économique qui ne cesse de s’aggraver, ce qui explique les campagnes de division, y compris racistes.
- d’autre part, il y a la nécessité de maintenir un minimum de cohésion sociale pour empêcher la société de sombrer dans un chaos (tel qu’on le voit, par exemple, en Amérique Latine) qui risquerait de bloquer encore plus toute l’activité politique et économique avec le danger d’une déstabilisation accrue.
Un autre facteur d’instabilité est la porosité de la jeunesse des « quartiers défavorisés » à la décomposition sociale ambiante, avec le risque à ce que les quartiers s’enflamment de nouveau à terme.
Les débats actuels concernant la nouvelle loi sur l’immigration à l’Assemblée nationale, au-delà des réelles querelles politiciennes, montrent les hésitations et l’impasse dans laquelle se trouve la bourgeoisie. Dans tous les cas, la situation ne pourra que se durcir pour les immigrés déjà largement criminalisés, sans que cela ne règle pour pourtant les contradictions croissantes au sein de la vie politique.
La bourgeoisie n’a pas intérêt à laisser le populisme se développer et gagner en influence de voix le RN pour les futures élections. Une victoire du RN aux élections ne pourrait que fragiliser davantage la bourgeoisie française et aggraverait une crise politique qui est en train, manifestement, de s’installer durablement.
L, 15 décembre 2023
Il y a huit ans, une nouvelle organisation au nom « prometteur » de Révolution Permanente, faisait son apparition au sein du courant trotskiste, avec pour vocation de s’inscrire « dans le projet plus large de redonner une vitalité aux idées marxistes et révolutionnaires, en démontrant qu’elles n’ont pas vocation à rester confinées dans les bibliothèques, les caves ou les musées, mais gardent au contraire toute leur actualité pour comprendre le monde dans lequel nous vivons et former de nouvelles générations militantes prêtes à le transformer ».
À quoi pouvait-on s’attendre de la part de ce nouveau groupe politique trotskiste si ce n’est qu’il assume une fonction anti-ouvrière au même titre que ses pairs qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, n’ont jamais manqué une occasion de trahir l’internationalisme prolétarien. Les partis de la Quatrième International avaient alors choisi le camp de l’impérialisme de l’URSS, face à d’autres impérialismes. 1
Quant à sa déclaration d’intention « en vue de revitaliser » les idées marxistes, s’agissant d’une organisation passée dans le camp de la bourgeoise2, on devait s’attendre à ce qu’elle soit plus dynamique que les autres chapelles trotskystes, à travers un langage parfois plus radical, dans son rôle de saboteur de la lutte et de la prise de conscience du prolétariat. S’il y a quelque chose qui change par rapport au NPA, dont elle est une scission, c’est effectivement qu’avec un langage plus radical et combatif que les « anti-capitalistes » elle pourra avoir un impact encore plus négatif sur les éléments qui s’éveillent à la politique révolutionnaire, comme on l’a vu dans les manifestations en France contre la réforme des retraites.
Le groupe Révolution Permanente se présente en France comme « une organisation politique révolutionnaire » mais « avec un point de vue assumé : du côté des travailleurs, de la jeunesse, des femmes, des personnes LGBT, des quartiers populaires et de tous les exploités et opprimés ». « Révolution Permanente s’inscrit dans le projet plus large de redonner une vitalité aux idées marxistes et révolutionnaires ». Le groupe appartient d’ailleurs à une « Fraction trotskyste pour la Quatrième Internationale3 », ce qui est clair : « … nous entendons contribuer aux débats au sein de l’extrême-Gauche nationale et internationale, dans le cadre de notre lutte pour reconstruire une internationale de la révolution socialiste, la IVe Internationale4 ». Quant à son nom, il fait référence à la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky.
Cette organisation se présente également comme faisant partie d’un « réseau international en 7 langues », qui regroupe plusieurs organisations basées dans certains pays d’Amérique du Sud et centrale, mais aussi aux États-Unis, en Italie, en Espagne et en Allemagne : « 15 journaux, 7 langues, la même voix ». Nous verrons qu’il y a quand même des nuances politiques entre ces organisations et qu’elles ne constituent aucunement une organisation internationale.
Le nouveau groupe a déjà gagné ses galons dans La lutte contre la réforme des retraites où il a été très présent.
Il a effectué au cours du mouvement de contestation de la réforme des retraites une intervention importante, dont nous avons mis en évidence la logique profonde : dans une intervention vidéo5, le candidat à la présidentielle et principal porte-voix de Révolution Permanente Anasse Kazib, se dit très « critique de l’intersyndicale et pour plusieurs raisons : la première et la plus importante, c’est parce que moi, je suis pour l’auto-organisation ; je suis pour que la grève appartienne aux grévistes, dans les assemblées générales, dans les coordinations de travailleurs, dans les rencontres interprofessionnelles » ; « intersyndicale n’est pas synonyme de victoire, au contraire, ça fait presque trente ans maintenant que le mouvement ouvrier perd systématiquement contre les réformes des gouvernements successifs » La conséquence devrait être simple : les syndicats, notamment quand ils sont unis, parce qu’ils ne permettent aucunement l’auto-organisation et de lutter victorieusement, sont en fait des outils de l’État pour saboter les luttes. Depuis longtemps déjà les syndicats sont devenus des obstacles à la lutte de classe, comme en avaient témoigné durant la révolution en Allemagne en 1919 les confrontations de la classe ouvrière à cet ultime rempart de l’ordre capitaliste et comme cela n’a cessé d’être confirmé depuis lors. En effet, ils ne peuvent échapper à leur absorption par l’État partout dans le monde. Leurs « méthodes de lutte » sont basées sur l’enfermement local et corporatiste de la lutte, non seulement ils ne permettent pas aux ouvriers de l’emporter, mais permettent à la bourgeoisie de les diviser et de détruire la principale force de la classe ouvrière : son unité.
Or par la bouche de son principal porte-voix, Révolution Permanente nous dit que « l’unité syndicale, c’est dans le combat, c’est dans la rue, c’est là où on montre l’unité syndicale, c’est lorsqu’on fait des tournées de piquets, qu’on montre qu’on est du côté des travailleurs, qu’on est opposé aux réquisitions, qu’on fait front avec les travailleurs devant les CRS pour empêcher les réquisitions. Mais mille fois oui à cette unité syndicale-là ! ».
Donc, d’un côté l’intersyndicale n’a jamais permis aux ouvriers de l’emporter, mais d’un autre côté il faut qu’elle montre qu’elle est du côté des travailleurs ! Révolution Permanente nous sert donc un discours d’apparence « critique » mais servant à masquer que l’intersyndicale ne peut qu’être un facteur de défaite systématique pour le mouvement. Autrement dit, en cachant soigneusement le fait que les syndicats sont des organes bourgeois totalement intégrés à l’appareil d’état. Elle renforce très clairement le localisme et le corporatisme dans la classe ouvrière par une série d’articles sur des luttes locales, sans jamais chercher à faire le lien entre elles : à Brest, à Toulouse, à Vulaines sur Seine, à Châtillon… La confusion orchestrée, la contradiction dans les discours ne permettent aucunement aux ouvriers en lutte de comprendre qui sont leurs véritables ennemis, que leur lutte ne peut l’emporter que par l’unité et le combat contre les diviseurs syndicaux, et de fait contribue à détruire l’unité dont le mouvement a besoin pour l’emporter. Le soutien aux caisses de grève locales6 renforce d’ailleurs clairement l’isolement des luttes et les mystifications syndicales. Il n’est d’ailleurs dans ce discours jamais question d’unité et d’autonomie de la classe ouvrière, seulement de l’unité syndicale. Révolution Permanente n’a donc aucunement pour but de faire triompher les luttes, mais plutôt de renforcer les forces d’encadrement syndicales par la division en amplifiant la difficulté pour les ouvriers de s’auto-organiser en-dehors et contre les syndicats. Comme le font déjà tous les groupes trotskystes, ajouterons-nous.
Le fait de présenter un candidat à l’élection présidentielle française, de constamment chercher à soutenir des candidats aux élections partout où elle est présente fait déjà de Révolution Permanente un solide défenseur de la démocratie bourgeoise7. Mais cela va plus loin : ce groupe défend bec et ongles une vision politique profondément démocratique, notamment par son soutien à l’antifascisme8 et par la dénonciation des pratiques « antidémocratiques » de Macron et de ses soutiens politiques. Dans un article de mai dernier Révolution Permanente se plaint que la bourgeoisie utilise son Parlement pour… faire passer des lois anti-ouvrières ! « A n’en pas douter, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet est tout aussi préoccupée que ses collègues macronistes par la nouvelle crise parlementaire qui l’attend le 8 juin. Mais elle est sans doute beaucoup plus lucide sur le caractère explosif des outils antidémocratiques que mobilise le régime pour faire passer en force ses mesures antisociales.9 » A aucun moment n’est invoqué ce que Lénine écrivait sur la démocratie bourgeoise : « La croissance du mouvement révolutionnaire prolétarien dans tous les pays suscite les efforts convulsifs de la bourgeoisie et des agents qu’elle possède dans les organisations ouvrières pour découvrir les arguments philosophico-politiques capables de servir à la défense de la domination des exploiteurs. La condamnation de la dictature et la défense de la démocratie figurent au nombre de ces arguments. Le mensonge et l’hypocrisie d’un tel argument répété à satiété dans la presse capitaliste et à la conférence de l’Internationale jaune de Berne en février 1919 sont évidents pour tous ceux qui ne tentent pas de trahir les principes fondamentaux du socialisme ». Effectivement, les « efforts convulsifs » de Révolution Permanente pour essayer de nous faire avaler que le Parlement serait un lieu de lutte pour la classe ouvrière montrent clairement le caractère profondément bourgeois de cette organisation. Et cette démonstration, Lénine la poursuite de façon implacable : « Tous les socialistes en démontrant le caractère de classe de la civilisation bourgeoise, de la démocratie bourgeoise, du parlementarisme bourgeois, ont exprimé cette idée déjà formulée, avec le maximum d’exactitude scientifique par Marx et Engels que la plus démocratique des républiques bourgeoises ne saurait être autre chose qu’une machine à opprimer la classe ouvrière à la merci de la bourgeoisie, la masse des travailleurs à la merci d’une poignée de capitalistes.10 » Révolution Permanente passe délibérément sous silence cette leçon authentique et précieuse des révolutionnaires du passé… et ce n’est donc pas par hasard.
Dans un article publié sur son site où elle critique les positions prises par le NPA sur la guerre en Ukraine, Révolution Permanente nous dévoile sa vision des rapports impérialistes ; en critiquant la prise de position claire et nette du NPA qui s’est engagé dans la défense de l’impérialisme ukrainien, allié à un certain nombre de pays dont les États-Unis, Révolution Permanente se donne une apparence d’internationalisme prolétarien : c’est une « guerre réactionnaire », et « Contrairement aux regroupements de cette « gauche » pro-impérialiste, il y a urgence à commencer à regrouper les forces qui s’opposent à la guerre et qui dénoncent aussi bien le Kremlin que l’OTAN d’un point de vue de classe.11 »
Une organisation prolétarienne ne saurait mieux dire. Là où ça se gâte, c’est lorsque Révolution Permanente nous explique pourquoi elle ne soutient pas l’Ukraine ou le Kremlin dans ce conflit : « Le conflit en Ukraine n’est en effet pas comparable à ceux de la guerre d’Algérie, du Vietnam ou d’autres guerres anticoloniales et anti-impérialistes, car ce qui se joue en Ukraine ne se réduit pas juste à un affrontement entre Kiev et Moscou.12 » Pour Révolution Permanente, il y a donc lieu de soutenir un conflit guerrier qui est une « guerre anticoloniale et anti-impérialiste », et la guerre d’Algérie, celle du Vietnam ou la Guerre d’Espagne en faisaient donc logiquement partie selon elle.
Sauf que tous les conflits de décolonisation dont nous parle Révolution Permanente ont tous été des conflits de nature impérialiste . Ils ne se sont jamais réduits à un affrontement entre la métropole et sa colonie, l’implication d’autres puissances dans ceux-ci a toujours été une réalité. En quoi la guerre d’Algérie, où le FLN était soutenu à la fois par les États-Unis et l’URSS contre la vieille puissance coloniale française, ou la Guerre du Vietnam, conflit de la Guerre froide à part entière avec la participation de l’URSS et de la Chine contre les États-Unis, ont-ils été « anti-impérialistes » ? On ne le saura pas, *** la démonstration de Révolution Permanente s’arrête là. Ces conflits ont tous été des moments de l’affrontement des blocs impérialistes rivaux de la Guerre froide, le Viêt-Cong n’ayant jamais eu la capacité à lui seul d’affronter et la France et les États-Unis. De la même façon, le conflit en Algérie a surtout montré que les deux superpuissances s’étaient circonstanciellement alliées contre la France, en fournissant une aide militaire et surtout diplomatique au FLN et à ses soutiens : l’épisode de l’expédition de Suez est assez parlante à ce sujet. Quant à la Guerre d’Espagne, l’implication des grandes puissances de l’époque pour soutenir l’un ou l’autre des deux camps en présence ne permet aucun doute sur le caractère impérialiste de cet épisode, avec la lamentable trahison de l’internationalisme prolétarien par les Trotskystes à travers la défense de l’État capitaliste républicain.
En ce qui concerne la guerre en Ukraine, Révolution Permanente nous indique très clairement qu’il s’agit d’un conflit qui sert à « affaiblir la Russie (mais aussi la Chine dont la Russie est devenue le principal allié) et préserver l’ordre mondial dominé par les États-Unis. » La différence avec la guerre du Vietnam ne saute pas aux yeux à première vue, et pour tout dire la vision de Révolution Permanente d’une « guerre de libération nationale » non plus…
Le dit « droit à l’autodétermination », qui permettrait selon Révolution Permanente de faire la différence entre une guerre impérialiste et une lutte nationale contre la domination coloniale, est une idée fausse et dangereuse, bourgeoise. Si l’idée de « libération nationale »a pu être soutenue par le mouvement ouvrier, comme lors du « Printemps des peuples » en 1848/49 – au cours duquel F. Engels lui-même s’est engagé dans les combats d’Elberfeld pour l’unité allemande –, c’est uniquement dans le cadre de la phase d’ascendance du capitalisme, pour un mouvement possiblement progressiste à l’époque.. Mais cette idée de « l’autodétermination nationale », si elle a existé dans la Seconde Internationale, a été fermement combattue par toute une partie de la Gauche, notamment par Rosa Luxemburg, qui la première a montré les fondements réels de l’impérialisme dans le déclin historique du capitalisme.
Contrairement à ce que tout le mouvement trotskyste peut nous dire aujourd’hui, l’impérialisme n’est pas une caractéristique particulière à une nation, c’est – comme l’écrivait Lénine – le stade où en est arrivé l’ensemble du capitalisme depuis un siècle. Ainsi que l’expliquait Rosa Luxemburg, dans L’accumulation du Capital, aucun Capital national ne saurait se soustraire aux conditions générales du monde capitaliste. .. Dans la période actuelle le nationalisme, idéologie propre à la bourgeoisie, permet de justifier ces luttes incessantes entre bourgeoisies, qui ne concernent aucunement le prolétariat : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu’ils n’ont pas13 », comme le disait déjà le Manifeste communiste de Marx et Engels, en… 1847 !
Toutes les nations sont impérialistes, dans un monde où il ne peut en être autrement. L’impérialisme, c’est la défense de ses intérêts propres par une bourgeoisie nationale, Face à l’impasse économique mondiale, à l’exacerbation des contradictions à tous les niveaux, chaque état national est poussée dans la fuite en avant dans le militarisme et la guerre. Ce monde de requins, Révolution Permanente le partage, même si de manière masquée, et pour cela nie son existence.
Pour expliquer sa vision de l’impérialisme, on peut se tourner vers le « réseau international » de Révolution Permanente, par exemple le groupe allemand Klasse gegen Klasse, qui publie un texte posant clairement la question : la Russie est-elle impérialiste ?14 L’article ayant été écrit par un Américain qui défend pêle-mêle Cuba, le Venezuela et le Nicaragua contre « l’impérialisme », on sait à quoi s’en tenir sur la réponse. Klasse gegen Klasse dit ne pas partager toutes les conclusions de l’article, mais le publie quand même parce que « l’argument de base sur la question de l’impérialisme russe reste définitivement intéressant pour nos lecteurs. » En gros, KgK ne souhaite pas aller aussi loin que l’auteur, mais partage son argumentation initiale : la Russie n’est pas impérialiste.
A l’appui de cette idée, dans un article de « débat »15, Révolution Permanente développe que la Russie est fondamentalement une nation dominée, et par conséquent ne serait pas impérialiste : en fait, pour Révolution Permanente, « si certaines caractéristiques de l’État russe créent l’« illusion d’une superpuissance », elles masquent une situation en réalité très subordonnée de la Russie. » « … la Russie [agit] comme une sorte d’« impérialisme militaire » (bien qu’elle ne soit pas un pays impérialiste au sens précis du terme : elle n’a pas de projection internationale significative de ses monopoles et de ses exportations de capitaux ; elle exporte essentiellement du gaz, du pétrole et des matières premières) ». Cet article ignore d’une part que l’impérialisme n’est pas une question purement économique, concernant un pays ou un autre, mais l’ensemble du système capitaliste, et son auteur passe également sous silence, de façon intéressée, que la Russie est aussi… le second exportateur d’armes du monde. L’impérialisme n’est pas spécifiquement lié à l’exportation de capitaux, ni au fait qu’un État est plus faible que d’autres, il est la a conséquence inéluctable du développement du mode de production capitaliste au sein duquel chaque bourgeoisie n’a d’autre issue, sous peine de disparition, que la défense acharnée de ses intérêts et donc de son existence face aux rivalités économique et militaires mondiales. Et par conséquent, contrairement à ce qu’affirme plus ou moins clairement Révolution Permanente, la Russie est aussi impérialiste que ses opposants de l’OTAN. Ses interventions militaires en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine, en Syrie et ailleurs le montrent amplement.
On peut d’ailleurs constater que la position de Révolution Permanente sur la guerre en Ukraine est une merveille d’ambiguïté à des fins d’enfumage ; dans un article portant une critique apparemment très dure à la position du NPA16, et qui n’accole jamais le terme « impérialiste » à la Russie, cette organisation affirme qu’elle considère « que la seule issue progressiste dans cette guerre ne peut venir que de la main de la classe ouvrière, mobilisée de façon totalement indépendante de Poutine, mais aussi du gouvernement Zelensky, des oligarques ukrainiens et des impérialistes de l’OTAN. Cela signifie que la seule façon pour l’Ukraine de retrouver une véritable auto-détermination nationale c’est à travers la révolution ouvrière et socialiste, qui pose les bases de la création d’une Ukraine socialiste et véritablement indépendante. Dans le cadre du capitalisme semi-colonial, il est impensable que l’Ukraine puisse être indépendante réellement de la Russie ou des impérialistes occidentaux. »
D’une part, on peut demander ce qu’est une « véritable auto-détermination nationale » ; le but des communistes n’est pas et n’a jamais été de créer de nouvelles nations qui permettent de diviser encore un peu plus la classe ouvrière mondiale.
D’autre part si d’un côté Révolution Permanente nous dit appeler de ses vœux une révolution ouvrière contre la guerre, et que « cette tâche ne peut pas reposer seulement sur le dos de la classe ouvrière ukrainienne. Ses premiers alliés sont les travailleurs et travailleuses de Russie », elle n’appelle nulle part au renversement de l’État russe, ni à un combat commun contre la bourgeoisie. On touche là le cœur de la réflexion de nos Trotskystes, bien digne de ce que leurs ancêtres faisaient pendant la Seconde Guerre mondiale : appeler les prolétaires allemands à se soulever contre les Nazis, oui ; faire la même chose du côté russe en appelant les prolétaires à renverser l’État soviétique, non. Et on voit que la longue habitude des Trotskystes de toujours chercher un camp à défendre dans une guerre impérialiste, y compris en nous affirmant le contraire, a encore de beaux jours devant elle…
Si la position de Révolution Permanente sur la guerre en Ukraine peut donner l’illusion d’être prolétarienne et internationaliste, le retour du conflit proche-oriental sur le devant de la scène mondiale donne à cette organisation l’occasion de se démasquer en se vautrant dans une défense claire et nette du nationalisme palestinien.
« Free Gaza17 », « Des syndicalistes anglais bloquent une usine d’armement israélienne : workers for a free Palestine18 », « Amplifions le soutien à la Palestine, tous dans la rue à Paris samedi !19», les titres des articles sur la question ne laissent aucun doute sur le soutien de Révolution Permanente à la « cause », nationale palestinienne. L’élément structurant de sa position est le soi-disant « droit à l’autodétermination du peuple palestinien »..
Surtout, Révolution Permanente montre clairement sa nature bourgeoise. Elle appelle « internationalisme » la « solidarité » avec un État palestinien qui est déjà une machine de répression contre les exploités, et qui possède proportionnellement la plus forte proportion de flics par rapport à sa population totale ! Et on doit ajouter que, de toute façon, le prolétariat palestinien de Gaza se trouve déjà sous le joug des Islamistes du Hamas, et quoi que puissent objecter les soutiens de la « cause palestinienne », ils soutiennent la répugnante oppression religieuse menée par le Hamas à Gaza, et celle des Staliniens de l’OLP en Cisjordanie. Cela n’a rien à voir avec l’internationalisme prolétarien, qui en 1914 a été porté haut par le Parti socialiste serbe, lequel a refusé de participer à l’Union sacrée contre l’offensive de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie, et par Trotsky, pourchassé sur tous les continents pour avoir dénoncé la guerre impérialiste.
Ce que les communistes appellent internationalisme s’appuie sur l’unité de la classe ouvrière face à ses exploiteurs, quelle que soit leur nationalité. Nous, Communistes internationalistes, appelons le prolétariat israélien ET palestinien à se soulever contre la logique de guerre et à combattre les États israélien ET palestinien, c’est-à-dire refuser l’Union sacrée.
HG, le 30 octobre 2023
1Lire notre article « Le trotskisme et la deuxième guerre mondiale [298] »
2Lire notre brochure Le trotskysme contre la classe ouvrière [299]
7Lire par exemple https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-Avec-Cristian-Castillo-la-... [304]
8https://www.revolutionpermanente.fr/Argentine-voter-pour-un-peroniste-de-droite-pour-faire-barrage-a-l-extreme-droite [305]. Voir aussi https://www.revolutionpermanente.fr/Brest-10-ans-apres-la-mort-de-Clemen... [306]
12Ibid.
16https://www.revolutionpermanente.fr/Guerre-en-Ukraine-Le-NPA-a-la-remorque-de-la-gauche-pro-OTAN [309]. Il peut être utile de rappeler que le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) est l’organisation dont Révolution Permanente a été exclue.
Le glyphosate est un herbicide très efficace. C’est le désherbant le plus vendu au monde; pulvérisé chaque année sur des millions d’hectares, son utilisation a été environ multipliée par cent dans le monde en quarante ans. Mais le glyphosate est classé depuis le 20 mars 2015 comme probablement cancérigène par le Centre international sur le cancer (CIRC) qui regroupe de nombreuses études indépendantes et, entre autres, celles de l’INSERM. Pour sa part, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) conclue (sans surprise) que le produit est sans danger s’il est utilisé « normalement » tout en reconnaissant des lacunes dans les analyses sur les effets délétères potentiels sur les écosystèmes.
Les études d’impact sont biaisées et ne portent que sur le seul glyphosate, alors qu’il est toujours utilisé avec des additifs. En 2023, une étude du CNRS alertait sur la responsabilité des pesticides dans la disparition des oiseaux en Europe qui ont perdu 60 % de leur population en à peine quarante ans, de même que sur la biodiversité des sols. Monsanto, qui produit le Roundup, a répliqué en faisant rédiger des articles favorables, signés par des chercheurs de renom qui se sont ensuite répandus et amplifiés sur les réseaux sociaux, tout en exerçant de fortes pressions sur les scientifiques… et notamment ceux du CIRC. Cette pratique a été révélée par les Monsanto papers.
Cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant les productions à moindre coût sur des surfaces gigantesques et le glyphosate est l’un 1500 pesticides utilisés dans le monde (450 en Europe). C’est donc l’un des piliers de la production agricole capitaliste dans le monde soumis à une âpre concurrence sur le marché mondial, ce qui éclaire la décision de la Commission européenne, elle-même un haut lieu de la concurrence infra-européenne, de reconduire l’usage du glyphosate pour 10 ans. Les États membres n’étaient pas parvenus à la majorité qualifiée pour moduler le texte initial (par exemple une durée de sept ans) mais l’écrasante majorité étaient d’accord sur la reconduction : le texte a donc été reconduit en l’état, ce qui satisfait tout le monde.
En réalité, on comprend bien que, pour toutes les puissances agricoles dont la France, malgré les intentions démagogiques affichées en 2017 avec Nicolas Hulot comme ministre de l’Écologie, il n’est pas question de renoncer à ce pesticide aussi efficace que controversé, en dépit des risques sanitaires, tant qu’il n’existe pas de solution alternative, selon les mots du gouvernement. La France, voulant ménager les sensibilités écologiques à l’approche des élections européennes, s’est abstenue, prétendant hypocritement que cela équivalait voter contre !
En fait, il y a des alternatives, par exemple mécaniques, mais qui ne font pas le poids comme il transparaît dans le propos d’un agronome : « Ceux qui ont le plus à perdre, ce sont les très grosses exploitations […] Elles ont construit des systèmes très cohérents, conçus dans une extrême dépendance au glyphosate », dont l’utilisation est bien plus rapide et économique que la combinaison d’autres méthodes, qui nécessitent plus de main-d’œuvre et de temps, et donc en ce sens, il n’y a pas d’alternative. Face à la logique capitaliste implacable à laquelle se conforme l’Union Européenne comme l’ensemble des principales puissances agricoles, l’alternative mécanique est inadaptée au marché mondial où la production agricole intensive de l’Europe tient les premiers rangs.
Cette décision a provoqué une large indignation légitime, d’une part, et les protestations hypocrites de la gauche. Tous à gauche citent d’abord la promesse démagogique d’Emmanuel Macron en 2017 d’interdire l’herbicide dans les trois ans… mais elles font rarement référence aux enjeux de la concurrence mondiale et préfèrent montrer du doigt l’influence, selon eux, déterminante des lobbies de l’industrie chimique et de l’agriculture dans cette décision qui est un vieux refrain pratique pour ne pas aller au fond du problème. Ainsi Manuel Bompart (LFI) déclarait : « Le travail de lobbying de ce grand groupe Bayard Monsanto a porté ses fruits » ou encore « Tout le monde sait que les lobbies des pesticides au niveau européen utilisent des moyens financiers considérables pour peser sur les décisions politiques ».
Dans notre article « Derrière les lob [316]bies, la main bien visible du capitalisme d’État [316] », nous disions que « présents à tous les niveaux de la sphère politique, les lobbies font partie de la défense de chaque capital national, dont l’État est le garant ». La gauche présente les lobbies comme des entités « extérieures » à l’État. En réalité, ils font partie intégrante du capitalisme d’État. Il n’y a qu’à voir la pléthore de capitalistes qui accompagne les chefs d’État en voyage quand des contrats économiques majeurs sont en jeux. Présenter mensongèrement les États comme des entités « neutres », qui pourraient échapper à la « logique libérale » des patrons et des lobbies, est le fonds de commerce de l’idéologique démocratique en général et des gauchistes en particulier. Il est en réalité le principal administrateur du capital national et entretient de ce fait, des rapports très étroits avec les entreprises.
La France s’est alignée sur la FNSEA nous dit-on, mais depuis quand les intérêts respectifs devraient diverger ou du moins dans quel monde ? Pour Lutte Ouvrière : « Tant que les industriels contrôleront la production, avec le soutien des États à plat ventre devant les intérêts des capitalistes, la santé passera après les profits ». C’est une vision mensongère de l’État, faible et lâche, qui induit là-aussi une séparation entre l’État et le capitalisme, alors que depuis l’apparition du capitalisme d’État, précisément, lors de la Première Guerre mondiale et la période de décadence, l’État contrôle toute la vie sociale et seul celui-ci peut prendre en main l’économie nationale de façon globale et centralisée et atténuer la concurrence interne qui l’affaiblit afin de renforcer sa capacité, à affronter comme un tout la concurrence entre nations sur le marché mondial.
Ce que ne veulent pas dire toutes les officines de gauche ou gauchistes, c’est que les États et leurs industriels ne peuvent pas faire autrement que défendre leurs intérêts face à la concurrence mondiale acharnée dans ce secteur stratégique comme dans bien d’autres. Leurs assertions sur les intérêts des lobbies ou les profits des multinationales ne sont des écrans de fumée visant à cacher que le problème mettant en danger la santé humaine, c’est le capitalisme lui-même.
Luc, 19 décembre 2023
Après deux ans de conflit en Ukraine sur fond de rivalité sino-américaine et face aux risques d’extension de la guerre au Moyen-Orient, la crainte d’un nouveau conflit mondial s’accroît. Les conditions d’un tel conflit sont-elles réunies ? Assiste-t-on la constitution de nouveaux blocs impérialistes ? Le prolétariat est-il prêt à se laisser embrigader massivement dans un conflit mondial ?
Afin de discuter de ces questions, le CCI organise des réunions publiques, partout où il est présent, en France et dans le monde. Ces réunions sont des lieux de débat ouverts à tous ceux qui souhaitent rencontrer et discuter avec le CCI. Nous invitons vivement tous nos lecteurs, contacts et sympathisants à venir y débattre afin de poursuivre la réflexion sur les enjeux de la situation et confronter les points de vue.
- Paris : samedi 20 janvier de 15h à 18h, CICP, 21ter rue Voltaire, 75011 Paris, métro "Rue des Boulets"
Le premier volet de cet article[1] a décrit la montée en puissance de l’impérialisme américain, qui devient dans la phase de décadence du capitalisme l’impérialisme dominant, leader du bloc occidental qui finit par triompher du bloc concurrent, le bloc soviétique, à la fin des années 1980. Dans l’introduction de cette première partie, il était déjà souligné que « L'effondrement du bloc de l'Est marque le début d'une phase terminale dans l'évolution du capitalisme : la décomposition sociale », qui va accélérer non seulement l’enfoncement du système bourgeois dans le chaos et la barbarie, mais va entraîner par la même occasion le déclin du leadership américain. Le deuxième volet de cet article se centrera précisément sur la mise en évidence de ce processus qui débute dans les années 1990 : « En 30 ans de pourrissement de la société bourgeoise, les États-Unis sont devenus un facteur d'aggravation du chaos, leur leadership mondial ne sera pas récupéré, peu importe que l'équipe Biden le proclame dans ses discours, ce n'est pas une question de souhaits, ce sont les caractéristiques de cette phase finale du capitalisme qui déterminent le cours des tendances et l'abîme vers lequel le capitalisme nous mène si le prolétariat n'y mettait pas fin par la révolution communiste mondiale »[2].
L’implosion du bloc de l’Est marque l’ouverture de la période de décomposition du capitalisme, une période où s’accélère dramatiquement la débandade des différentes composantes du corps social dans le « chacun pour soi », l’enfoncement dans le chaos. S'il est un domaine où s'est immédiatement confirmée cette tendance, c’est bien celui des tensions impérialistes : « La fin de la "guerre froide" et la disparition des blocs n'a donc fait qu'exacerber le déchaînement des antagonismes impérialistes propres à la décadence capitaliste et qu'aggraver de façon qualitativement nouvelle le chaos sanglant dans lequel s'enfonce toute la société (...) »[3].
De fait, la totale désagrégation de bloc soviétique mène aussi à l’implosion de l’Union soviétique elle-même, mais elle entraine en corolaire le délitement du bloc US concurrent. Le texte d’orientation « Militarisme et décomposition [190] »[4] examine quel est l’impact de l’entrée du capitalisme décadent dans sa période de décomposition pour le déploiement de l’impérialisme et du militarisme. Il met d’emblée en évidence que la disparition des blocs ne remet pas en cause la réalité de l’impérialisme et du militarisme. Au contraire, ceux-ci deviennent plus barbares et chaotiques : « En effet, ce n'est pas la constitution de blocs impérialistes qui se trouve à l'origine du militarisme et de l'impérialisme. C'est tout le contraire qui est vrai : la constitution des blocs n'est que la conséquence extrême (qui, à un certain moment peut aggraver les causes elles-mêmes), une manifestation (qui n'est pas nécessairement la seule) de l'enfoncement du capitalisme décadent dans le militarisme et la guerre. (…) la fin des blocs ne fait qu'ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l'impérialisme »[5].
Cette exacerbation de la barbarie guerrière s’exprimera plus concrètement par le biais de deux tendances majeures, qui marqueront le développement de l’impérialisme et du militarisme pendant ces trois dernières décennies :
De fait, face à cette tendance historique prédominante au chacun pour soi, les États-Unis, seule superpuissance subsistante, vont mener une politique visant à contrecarrer cette tendance et à maintenir leur statut déclinant en exploitant en particulier leur supériorité militaire écrasante pour imposer leur leadership sur le monde et en particulier sur leurs « alliés » : "Confirmed as the only remaining superpower, the USA would do everything in its power to ensure that no new superpower - in reality no new imperialist bloc - could arise to challenge its 'New World Order'"[8]. Ainsi, l’histoire des 35 dernières années est caractérisée non seulement par une explosion du « chacun pour soi », mais aussi par les tentatives continuelles de la part des États-Unis de maintenir leur position hégémonique dans le monde et de contrer le déclin inévitable de leur leadership. Ces initiatives incessantes des États-Unis pour maintenir leur leadership face à des menaces qui surgissent de toute part ne feront cependant qu’accentuer le chaos et la plongée dans le militarisme et la barbarie, dont Washington est en fin de compte l’instigateur principal. De plus, ces initiatives feront apparaître des dissensions internes au sein de la bourgeoisie américaine sur la politique à mener, qui s’accentueront avec le temps.
Face à la disparition des blocs et à l’intensification du chaos, le président des États-Unis, Georges W. Bush senior suscite l’invasion du Kuweit par les forces irakiennes, afin de permettre à Washington de mobiliser une large coalition militaire internationale autour des USA pour « punir » Saddam Hussein.
2.1. La première guerre du Golfe vise à contrer la montée du « désordre mondial »
La 1ère guerre du golfe (1991) vise en réalité à faire un « exemple » : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le « chacun pour soi », le gendarme mondial américain veut imposer un minimum d'ordre et de discipline, en premier lieu aux pays les plus importants de l'ex-bloc occidental. La seule superpuissance qui se soit maintenue veut imposer à la « communauté internationale » un « nouvel ordre mondial » sous son égide, parce que c'est la seule qui en ait les moyens mais aussi parce que c'est le pays qui a le plus à perdre dans le désordre mondial : " En 1992, Washington adopte consciemment une orientation très claire pour sa politique impérialiste dans la période d’après-guerre froide, à savoir une politique basée sur "l'engagement fondamental de maintenir un monde unipolaire dans lequel les États-Unis n'aient pas d'égal. Il ne sera permis à aucune coalition de grandes puissances d'atteindre une hégémonie sans les États-Unis" (prof. G. J. Ikenberry, Foreign Affairs, sept-oct. 2002). Cette politique vise à empêcher l’émergence de toute puissance en Europe ou en Asie qui puisse remettre en cause la suprématie américaine et jouer le rôle de pôle de regroupement pour la formation d’un nouveau bloc impérialiste. Cette orientation, initialement formulée dans un document de 1992 (1992 Defense Planning Guidance Policy Statement) rédigé par Rumsfeld, durant la dernière année du premier mandat Bush, établit clairement cette nouvelle grande stratégie"[9].
En vérité, la politique de Bush senior, loin de faire entrer la planète dans un « nouvel ordre mondial » sous la supervision de Washington, ne représente qu’une tentative désespérée des États-Unis de contenir l’expansion foudroyante du « chacun pour soi » ; elle va fondamentalement aboutir à une accentuation du chaos et des confrontations guerrière : six mois seulement après la guerre du Golfe, l'explosion de la guerre en Yougoslavie, venait déjà confirmer que le "nouvel ordre mondial" ne serait pas dominé par les Américains, mais par le « chacun pour soi » rampant.
La guerre civile sanglante résultant de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie (1995-2001) voit se manifester et s’opposer les appétits impérialistes des différents « alliés de l’ex-bloc américain : la France et l’Angleterre soutiennent la Serbie, l’Allemagne la Croatie et la Turquie la Bosnie : « 6) Le conflit dans l’ex-Yougoslavie, enfin, vient confirmer une des autres caractéristiques majeures de la situation mondiale : les limites de l'efficacité de l'opération « Tempête du Désert » de 1991 destinée à affirmer le leadership des États-Unis sur le monde. Comme le CCI l'a affirmé à l'époque, cette opération de grande envergure n'avait pas comme principale cible le régime de Saddam Hussein ni même les autres pays de la périphérie qui auraient pu être tentés d'imiter l'Irak. Pour les États-Unis, ce qu'il s'agissait avant tout d'affirmer et de rappeler, c'était son rôle de « gendarme du monde » face aux convulsions découlant de l'effondrement du bloc russe et particulièrement d'obtenir l'obéissance de la part des autres puissances occidentales qui, avec la fin de la menace venue de l'Est, se sentaient pousser des ailes. Quelques mois à peine après la guerre du Golfe, le début des affrontements en Yougoslavie est venu illustrer le fait que ces mêmes puissances, et particulièrement l'Allemagne, étaient bien déterminées à faire prévaloir leurs intérêts impérialistes au détriment de ceux des États-Unis »[10]. Finalement, c’est en enserrant de façon croissante l'ensemble du monde dans le corset d'acier du militarisme et de la barbarie guerrière, en intervenant militairement, d’abord aux côtés de la Croatie, puis de la Bosnie contre la Serbie, que le président Clinton va contrer les appétits impérialistes des pays européens en imposant sous son autorité la « pax americana » dans la région (accords de Dayton, déc. 1995).
L’opération « Tempête du désert », loin d’avoir réprimé la contestation du leadership US et les divers appétits impérialistes, a exacerbé la polarisation. Ainsi, les moudjahidines qui combattaient les russes en Afghanistan s’élèvent contre les « croisés » US (constitution de Al-Qaïda sous la direction de Osama bin Laden) et s’inspirent de l’échec de l’intervention américaine en Somalie (opération "Restore Hope" de 1993 à 1994) pour entamer dès la fin 1998 une campagne d’attentats djihadistes anti-américains. Après l’échec de son armée lors de l’invasion du Sud-Liban, la droite israélienne dure monte au pouvoir en 1996 (1er gouvernement Netanyahu) contre la volonté du gouvernement américain qui soutenait Shimon Peres, laquelle droite fera tout à partir d’alors pour saboter le processus de paix avec les Palestiniens (les accords Israélo-palestiniens d’Oslo), qui constituait un des plus beaux succès de la diplomatie de Washington dans la région. Enfin, le massacre de centaines de milliers de Tutsis et de Hutus en 1994 au Rwanda lors de la guerre entre clans locaux, soutenus chacun par des impérialismes occidentaux, exprime de manière dramatique à quoi mène l’intensification du « chacun pour soi » impérialiste.
Une des expressions les plus manifestes de la contestation du leadership américain est l'échec lamentable en février 1998 de l'opération « Tonnerre du désert », qui visait à infliger une nouvelle « punition » à l'Irak et, au-delà de ce pays, aux puissances qui la soutiennent en sous-main, notamment la France et la Russie. Les entraves posées par Saddam Hussein à la visite des « sites présidentiels » par des inspecteurs internationaux ont conduit la superpuissance à une nouvelle tentative d'affirmer son autorité par la force des armes. Mais cette fois-ci, contrairement au lancement de missiles sur l’Irak qu’elle imposa encore en 1996, elle a dû renoncer à son entreprise face à l'opposition résolue de la presque totalité des États arabes, de la plupart des grandes puissances et au soutien (timide) de la seule Grande-Bretagne. Le contraste entre la « Tempête du désert » et le « Tonnerre » du même nom met en évidence l’approfondissement de la crise du leadership des États-Unis. Bien sûr, Washington n'a nul besoin de la permission de quiconque pour frapper quand et où il le veut (ce qu’il a d’ailleurs fait fin 1998 au moyen de l’opération "Renard du Désert"). Mais en menant une telle politique, les états-Unis se placent précisément à la tête d'une tendance qu'ils veulent contrer, celle du chacun pour soi, alors qu’ils avaient momentanément réussi à l’éviter durant la guerre du Golfe. Pire encore : pour la première fois depuis la fin de la guerre du Vietnam, la bourgeoisie américaine (les partis Républicain et Démocrate) s'est montrée incapable de présenter un front uni vers l'extérieur, alors qu'elle était en situation de guerre.
L’érosion de la capacité de la bourgeoisie américaine à gérer adéquatement le jeu politique se manifeste à la fin de la "guerre froide" et à l’entrée dans la période de décomposition du capitalisme, au début des années 1990, en particulier à travers la candidature « indépendante » de Ross Perot en ’92 et en ’96. " Cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique, si elle constitue un des facteurs de premier plan de l'effondrement du bloc de l'Est, ne pourra que se trouver encore accentuée avec cet effondrement, du fait:
Cette tendance à la perte de contrôle du jeu politique s’exprimera ouvertement en 1998, en pleine opération "Renard du Désert". Pour la première fois depuis la fin de la guerre du Vietnam, la bourgeoisie américaine va se montrer incapable de présenter un front uni vers l'extérieur, alors qu'elle est en situation de guerre. Au contraire, la procédure d'« impeachment » contre Clinton, intensifiée durant les événements, met en évidence combien les politiciens américains, plongés dans un véritable conflit interne, au lieu de désavouer la propagande des ennemis de l'Amérique selon laquelle Clinton avait pris la décision d'intervenir militairement en Irak à cause de motivations personnelles (le "Monicagate"), y ont apporté leur crédit.
La résolution du congrès de RI en 1998, après l’échec de l’opération « Tonnerre du désert », était prémonitoire : « Si les États-Unis n'ont pas eu l'occasion, au cours de la dernière période, d'employer la force de leurs armes et de participer directement à ce « chaos sanglant », cela ne peut être que partie remise, dans la mesure, notamment, où ils ne pourront pas rester sur l'échec diplomatique essuyé en Irak »[12].
Avec la venue au pouvoir de Georges W. Bush junior et de son équipe de « néoconservateurs » (le vice-président D. Cheney, le secrétaire à la défense D. Rumsfeld, son adjoint Paul Wolfowitz et J. Bolton), Washington concentre son attention sur les « États voyous », tels la Corée du Nord, l’Iran ou l’Irak, qui menaceraient l’ordre mondial par leur politique agressive et leur soutien au terrorisme. Les attentats d’Al-Qaïda du 11 septembre 2001 sur le sol américain amènent le président Bush junior à appeler à une « croisade contre le terrorisme » et à déclencher une « War against terror » conduisant à l’invasion de l’Afghanistan et surtout de l’Irak en 2003. Malgré toutes les pressions américaines et la présentation de « fake news » à l’ONU visant à mobiliser la « communauté internationale » derrière leur opération militaire contre « l’axe du mal », les États-Unis échouent en fin de compte à mobiliser les autres impérialismes contre Saddam et doivent envahir quasiment seuls l’Irak avec pour seul allié significatif l’Angleterre de Tony Blair. « Si les attentats du 11 septembre ont permis aux États-Unis d'impliquer des pays comme la France et l'Allemagne dans leur intervention en Afghanistan, ils n'ont pas réussi à les entraîner dans leur aventure irakienne de 2003, réussissant même à susciter une alliance de circonstance entre ces deux pays et la Russie contre cette dernière intervention. Par la suite, certains de leurs "alliés" de la première heure au sein de la "coalition" qui est intervenue en Irak, tels l'Espagne et l'Italie, ont quitté le navire. Au final, la bourgeoisie américaine n'a atteint aucun des objectifs qu'elle s'était fixés officiellement ou officieusement : l'élimination des "armes de destruction de masse" en Irak, l'établissement d'une "démocratie" pacifique dans ce pays, la stabilisation et un retour à la paix de l'ensemble de la région sous l'égide américaine, le recul du terrorisme, l'adhésion de la population américaine aux interventions militaires de son gouvernement »[13].
Malgré un engagement colossal de soldats, d’armes et de moyens financiers, ces interventions inconsidérées des « neocons » mènent à un enlisement et à l’échec final, souligné par le retrait d’Irak (2011) et d’Afghanistan (2021). Elles mettent particulièrement en lumière que la prétention des USA de jouer au « shérif mondial » n’a fait qu’intensifier le chaos guerrier et barbare : "L’attaque des Twin Towers et du Pentagone par Al Qaeda le 11 septembre 2001 et la riposte militaire unilatérale de l’administration Bush ouvre toute grande la « boîte de pandore » de la décomposition : avec l’attaque et l’invasion de l’Irak en 2003 au mépris des conventions ou des organisations internationales et sans tenir compte de l’avis de ses principaux « alliés », la première puissance mondiale passe du statut de gendarme de l'ordre mondial à celui d'agent principal du chacun pour soi et du chaos. L’occupation de l’Irak, puis la guerre civile en Syrie (2011) vont puissamment attiser le chacun pour soi impérialiste non seulement au Moyen-Orient mais sur toute la planète"[14]. Cette ouverture de la boîte de Pandore de la décomposition s’est manifestée en particulier par la multiplication des attentats terroristes dans les métropoles occidentales (Madrid, 2004, Londres, 2005) et par une multiplication tous azimuts des ambitions impérialistes de puissances telles la Chine et la Russie, bien sûr, de l’Iran, de plus en plus audacieuse et agressive, mais aussi de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, voire des Émirats du Golfe ou du Qatar, qui déboucheront sur des conflits barbares, comme les guerres civiles en Lybie ou en Syrie dès 2011 et au Yémen à partir de 2014, le surgissement d’organisations terroristes particulièrement cruelles comme l’OEI provoquant une nouvelle vague d’attentats et la « crise des réfugiés » causée par l’afflux soudain et incontrôlé de personnes non identifiées en l’Europe en 2015.
Si l’impasse patente de la politique des États-Unis et la fuite en avant aberrante dans la barbarie guerrière soulignent le net affaiblissement de leur leadership mondial, elles font aussi plus que jamais apparaître au grand jour les contradictions internes et les fractures entre factions de la bourgeoisie américaine. Déjà, G. Bush junior avait obtenu la présidence à travers des « élections volées », qui illustraient le caractère instable de « l’appareil démocratique américain » : son adversaire, Al Gore, avait obtenu 500.000 voix de plus que lui, mais la décision concernant la répartition des grands électeurs ne tomba que 36 jours plus tard, plus spécifiquement en Floride, dont le frère de Bush était le gouverneur. "Une parodie populaire de l'élection a commencé à circuler sur Internet, demandant ce que les médias diraient si, dans un pays africain, il y avait une élection controversée dans laquelle le candidat gagnant était le fils d'un ancien président, qui avait été directeur des forces de sécurité de l'État (CIA), et où la victoire était déterminée par un décompte contesté des bulletins de vote dans une province gouvernée par un frère du candidat à la présidence".[15] Les péripéties marquant les élections de 2000 exprimaient déjà clairement la difficulté de la bourgeoisie à gérer son système politique face aux tendances centrifuges de plus en plus manifestes.
Ceci est d’autant plus vrai que des factions liées au fondamentalisme chrétien, ont commencé à peser sur la scène politique américaine. Déjà présentes dans le parti républicain à l'époque de Reagan, elles se sont renforcées et radicalisées dans les « États ruraux » du fait du chaos croissant et du manque d'espoir pour l'avenir. Ainsi, il y a eu l’émergence du « Tea Party », qui jouera un rôle important dans le torpillage des projets de l’administration Obama, accusant le président d’être « marxiste » et un « agent musulman ». Le Tea Party n’était pas seulement composé de fondamentalistes chrétiens, mais aussi de suprémacistes blancs, de militants anti-immigrés, de membres de milices, etc., tout un cocktail qui a infiltré le Parti républicain et menaçait de plus en plus la stabilité du système politique. Fédérées autour de l’opposition à « l’establishment à Washington », ces factions sont à la base de la propagation de l’idéologie populiste, sur laquelle va surfer Donald Trump.
Ces tensions centrifuges au sein de la bourgeoisie américaine se sont nettement manifestées à travers la fuite en avant dans l’aventure irakienne catastrophique adoptée par les « pieds nickelés » de l’administration Bush jr pour assurer le maintien de la suprématie américaine : « L'accession en 2001 à la tête de l'État américain des "neocons" a représenté une véritable catastrophe pour la bourgeoisie américaine. La question qui se pose est : comment a-t-il été possible que la première bourgeoisie du monde ait fait appel à cette bande d'aventuriers irresponsables et incompétents pour diriger la défense de ses intérêts ? Quelle est la cause de cet aveuglement de la classe dominante du principal pays capitaliste ? En fait, l'arrivée de l'équipe Cheney, Rumsfeld et compagnie aux rênes de l'État n'était pas le simple fait d'une monumentale "erreur de casting" de la part de cette classe. Si elle a aggravé considérablement la situation des États-Unis sur le plan impérialiste, c'était déjà la manifestation de l'impasse dans laquelle se trouvait ce pays confronté à une perte croissante de son leadership, et plus généralement au développement du "chacun pour soi" dans les relations internationales qui caractérise la phase de décomposition »[16].
L’administration Obama a tenté de réduire les conséquences catastrophiques de l’unilatéralisme aventuriste promu par Bush junior. Tout en rappelant au monde la supériorité technologique et militaire absolue des États-Unis à travers l’exécution de Ben Laden en 2011 par une opération commando spectaculaire au Pakistan, elle a essayé de remettre le multilatéralisme à l’ordre du jour en tentant d’impliquer les « alliés » de Washington dans la mise en œuvre de la politique américaine. Cependant, elle n’est pas arrivée à contrer véritablement l’explosion des ambitions impérialistes diverses : la Chine a mis en œuvre son expansion économique et impérialiste à travers le déroulement des « nouvelles routes de la soie » à partir de 2013 ; quant à l’Allemagne, si elle a évité toute confrontation directe avec les États-Unis, vu la supériorité militaire écrasante de Washington, elle a renforcé de manière masquée ses prétentions à travers une collaboration économico-énergétique croissante avec la Russie ; la France et l’Angleterre pour leur part ont pris l’initiative d’intervenir en Lybie pour chasser Kadhafi ; la Russie et l’Iran ont renforcé leurs positions au Moyen Orient en profitant de la guerre civile en Syrie ; enfin, en Ukraine, confronté à la victoire des partis pro-occidentaux lors de la « révolution orange », Poutine a occupé militairement la Crimée et soutenu des milices pro-russes dans le Donbass en 2014. Face à l’ascension de la Chine comme le principal challenger menaçant l’hégémonie US, des débat intenses se sont engagés au sein de l’administration Obama, de l’appareil étatique et plus largement de la bourgeoisie américaine sur une réorientation de sa stratégie impérialiste.
Bref, « La politique du « passage en force », qui s’est particulièrement illustrée durant les deux mandats de George Bush fils, a conduit non seulement au chaos irakien, un chaos qui n’est pas près d’être surmonté, mais aussi à un isolement croissant de la diplomatie américaine (…). De son côté, la politique de « coopération », qui a la faveur des démocrates, ne permet pas réellement de s’assurer une « fidélité » des puissances qu’on essaie d’associer aux entreprises militaires, notamment du fait qu’elle laisse une marge de manœuvre plus importante à ces puissances pour faire valoir leurs propres intérêts »[17].
Tandis que la politique de « gendarme du monde » engloutissait à pure perte des budgets pharamineux et entraînait un déploiement massif de militaires dans le monde (des « boots on the ground ») et des pertes conséquentes, et alors que les masses ouvrières ne sont pas prêtes à se laisser embrigader (cf. les grosses difficultés à recruter des soldats sous Bush junior pour la guerre en Irak), Donald Trump est élu président en 2017 après une campagne centrée sur le mot d’ordre « America First ». Celui-ci exprime fondamentalement une reconnaissance officielle de l’échec de la politique impérialiste américaine des 25 dernières années et un recentrage de celle-ci sur les intérêts immédiats des États-Unis : « L’officialisation par l’administration Trump de faire prévaloir sur tout autre principe celui de la défense de leurs seuls intérêts en tant qu’état national et l’imposition de rapports de force profitables aux États-Unis comme principal fondement des relations avec les autres États, entérine et tire les implications de l’échec de la politique des 25 dernières années de lutte contre le chacun pour soi en tant que gendarme du monde et de la défense de l’ordre mondial hérité de 1945.(…) »[18].
La politique « l’Amérique d’abord », mise en œuvre par le populiste Trump, va de pair avec une « vandalisation » des rapports entre puissances. Traditionnellement, afin de garantir un certain ordre dans les relations internationales, les États fondaient leur diplomatie sur un principe, résumé par la formule latine suivante : "pacta sunt servanda" - les traités, les accords sont supposés être respectés. Lorsqu’on signe un accord mondial -ou multilatéral- on est censé le respecter, du moins en apparence. Les États-Unis, sous Trump abolissent cette convention : "Je signe un traité, mais je peux l'abolir demain". Cela s'est produit avec le Pacte transpacifique (PPT), l'Accord de Paris sur les changements climatiques, le traité nucléaire avec l'Iran, l'accord final sur la réunion du G7 au Québec. A leur place, Trump prône des négociations entre États, favorisant le chantage économique, politique et militaire pour imposer sans détour ses intérêts (cf. la menace de représailles contre les entreprises européennes qui investissent en Iran). « Ce comportement de vandale d’un Trump qui peut dénoncer du jour au lendemain les engagements internationaux américains au mépris des règles établies représente un nouveau et puissant facteur d’incertitude et d’impulsion du chacun pour soi. Il forme un indice supplémentaire de la nouvelle étape que franchit le système capitaliste dans l’enfoncement dans la barbarie et l’abîme du militarisme à outrance »[19].
En conséquence, « La situation actuelle se caractérise par des tensions impérialistes partout et par un chaos de moins en moins contrôlable, mais surtout par son caractère hautement irrationnel et imprévisible, lié à l’impact des pressions populistes, en particulier au fait que le pouvoir le plus fort du monde est aujourd’hui dirigé par un président populiste aux réactions capricieuses »[20].
Cependant, sous l’administration Trump, une polarisation de plus en plus nette contre la Chine se dessine dans la politique impérialiste américaine visant à contenir et à briser l’ascension du challenger chinois. En 2011 déjà, l’administration Obama avait décidé d’accorder une importance stratégique plus élevée à la confrontation avec la Chine qu’à la guerre contre le terrorisme : « Cette nouvelle approche, appelée « pivot asiatique », fut annoncée par le président américain au cours d’un discours prononcé devant le parlement australien le 17 novembre 2011 »[21]. Encore remise en question par l’émergence de l’Organisation de l’État Islamique sous Obama, la réorientation stratégique de la politique impérialiste américaine vers l’Extrême-Orient s’impose clairement sous Trump, malgré une dernière poche de résistance des tenants de la « croisade » contre les "États voyous", tels l’Iran (le Secrétaire d’Etat Pompeo et J. Bolton). La « Stratégie de Défense Nationale » (SDN), publiée en février 2018, stipule que « la guerre globale contre le terrorisme est suspendue » tandis que la « compétition entre grandes puissances » devient une orientation cardinale[22]. Ceci va impliquer un tournant important dans la politique américaine :
Quoi qu’il en soit, « La défense de leurs intérêts en tant qu’état national épouse désormais celle du chacun pour soi qui domine les rapports impérialistes : les États-Unis passent du rôle de gendarme de l’ordre mondial à celui de principal agent propagateur du chacun pour soi et du chaos et de remise en cause de l’ordre mondial établi depuis 1945 sous leur égide »[23].
L’arrivée au pouvoir de Trump a fait pleinement éclater au grand jour l'énorme difficulté de la bourgeoisie de la première puissance mondiale à « gérer » son cirque électoral et à contenir les tendances centrifuges qui croissent en son sein : « La crise de la bourgeoisie américaine n'est pas le résultat de l'élection de Trump. En 2007, le rapport constatait déjà la crise de la bourgeoisie américaine en expliquant : « C'est d'abord cette situation objective -situation qui exclut toute stratégie à long terme de la part de la puissance dominante restante- qui a permis d'élire et réélire un régime aussi corrompu, avec à sa tête un président pieux et stupide [Bush junior]. (...), l'administration Bush n'est rien d'autre que le reflet de l'impasse dans laquelle se trouve l'impérialisme américain ». Cependant, la victoire d'un président populiste (Trump), connu pour prendre des décisions imprévisibles, n'a pas seulement mis en lumière la crise de la bourgeoisie américaine, mais a également mis en évidence l'instabilité croissante de l'appareil politique de la bourgeoisie américaine et l'exacerbation des tensions internes »[24]. Le vandalisme populiste de Trump ne fait donc qu’exacerber les tensions déjà existantes au sein de la bourgeoisie américaine.
Différents éléments vont mener ces tensions à un paroxysme : (a) Le besoin constant d’essayer de cadrer l’imprévisibilité des décisions présidentielles mais surtout (b) l’option de Trump de se rapprocher de Moscou, l’ancien ennemi qui n’hésite pas à s’immiscer dans la campagne électorale américaine (le « Russiagate »), une perspective totalement inacceptable par une majorité de la bourgeoisie US, et (c) son refus d’accepter le verdict électoral mettent en évidence une situation politique explosive au sein de la bourgeoisie américaine et son incapacité croissante à contrôler le jeu politique.
(a) une lutte incessante pour "cadrer" le président a marqué toute la présidence et s’est jouée à plusieurs niveaux : une pression exercée par le Parti Républicain (échec des votes sur la suppression de l’Obamacare), une opposition aux plans de Trump par ses ministres (le ministre de la Justice qui refuse de démissionner ou les ministres des affaires étrangères et de la défense qui « nuancent » les propos de Trump), une lutte constante pour la prise de contrôle du staff de la Maison Blanche par les « généraux » (les ex-généraux Mc Master et ensuite Mattis). Toutefois, ce cadrage n’empêche pas les « dérapages », comme lorsque Trump conclut un « deal » avec les Démocrates pour contourner l’opposition des Républicains à l’augmentation du plafond de la dette ;
(b) Trump et une faction de la bourgeoisie américaine envisageaient un rapprochement, voire une alliance avec la Russie de Poutine contre la Chine, une politique qui avait divers partisans au sein de l’administration présidentielle, comme le premier Secrétaire d’État Tillerson, le ministre du commerce et Ross ou même le beau-fils du président, Kushner. Cette orientation s’est toutefois heurtée à l’opposition de larges parties de la bourgeoisie américaine et à une résistance de la plupart des structures de l’État (l’armée, les services secrets), qui n’étaient nullement convaincues par une telle politique pour des raisons historiques (l'impact de la période de la « guerre froide ») et à cause de l’immixtion russe lors des élections présidentielles (le « Russiagate »). Si Trump n’a jamais voulu exclure une amélioration de la coopération avec la Russie (Trump a par exemple suggéré de réintégrer la Russie dans le Forum des pays industriels), l’approche des fractions dominantes de la bourgeoisie américaines, concrétisée aujourd’hui par l’administration Biden, a au contraire toujours considéré la Russie comme une force hostile au maintien du leadership des États-Unis.
(c) Lors des élections présidentielles de novembre 2020, les oppositions entre fractions bourgeoises prennent quasiment un tour insurrectionnel : des accusations de fraude électorale sont lancées de part et d’autre et finalement, Trump refuse de reconnaître le résultat des élections. Le 6 janvier 2021, à l’appel de Trump, ses partisans marchent sur le parlement, le prennent d’assaut et occupent le Capitole, le « symbole de l'ordre démocratique », pour faire annuler les résultats annoncés et déclarer Trump vainqueur. Les divisions internes au sein de la bourgeoisie américaine se sont aiguisées au point où, pour la première fois dans l'histoire, le président candidat à sa réélection accuse le système du pays « le plus démocratique du monde » de fraude électorale, dans le meilleur style d'une « république bananière ».
Malgré le vandalisme et l’imprédictibilité du populiste Trump et la fragmentation croissante au sein de la bourgeoisie américaine sur la manière de défendre son leadership, l’administration Trump a adopté une orientation impérialiste en continuité et en cohérence avec les intérêts impérialistes fondamentaux de l’État américain, qui font globalement consensus au sein des secteurs majoritaires de la bourgeoisie américaine : défendre le rang de première puissance mondiale indiscutée des États-Unis en développant une attitude offensive envers leur challenger chinois. Cette polarisation envers la Chine, désignée comme une « menace constante »[25], devient incontestablement l’axe central de la politique étrangère de J. Biden. Ce choix stratégique des États-Unis implique une concentration des forces américaines en vue de la confrontation militaire et technologique avec la Chine. Si déjà en tant que gendarme mondial, les États-Unis exacerbaient la violence guerrière, le chaos et le chacun pour soi, la polarisation actuelle envers la Chine n’est en rien moins destructive, bien au contraire. Cette agressivité se manifeste :
- au niveau militaire par des démonstrations de force assez explicites et spectaculaires visant à endiguer la Chine : une multiplication d’exercices militaires impliquant la flotte US et celles d’alliés en mer de Chine du Sud, l’engagement par Biden d’un soutien militaire à Taïwan en cas d’agression chinoise, l’établissement d’un cordon sanitaire autour de la Chine par la conclusion d’accords de soutien militaire (l’AUKUS, entre les USA, l’Australie et la Grande-Bretagne), de partenariats clairement orientés contre la Chine (le Quad impliquant le Japon, l’Australie et l’Inde), mais aussi en ravivant des alliances bilatérales ou en signant de nouvelles avec la Corée du Sud, les Philippines ou le Vietnam.
D’autre part, la fragmentation considérable de l’appareil politique américain s’est encore étendue, malgré la victoire démocrate aux présidentielles et la nomination à la présidence de J. Biden. Les élections de mi-mandat en 2022, la candidature de Trump pour un nouveau mandat et les tensions entre Démocrates et Républicains au Congrès ont confirmé que les fractures sont toujours aussi profondes et exacerbées entre les partis, de même que les déchirements à l’intérieur de chacun des deux camps. Le poids du populisme et des idéologies les plus rétrogrades, marquées par le rejet d’une pensée rationnelle et cohérente, loin d’être enrayé par les campagnes visant la mise à l’écart de Trump, n’a fait que peser de plus en plus profondément et durablement sur le jeu politique américain et tend constamment à entraver la mise en œuvre de l’offensive contre la Chine.
Ces deux tendances, l’intensification d’une offensive polarisée vers la provocation du challenger chinois d’une part et l’accentuation du chaos et du chacun pour soi que cela provoque, mais aussi les tensions internes entre factions de la bourgeoisie américaine de l’autre, vont marquer les deux événements majeurs des rapports impérialistes de ces dernières années, la guerre meurtrière en Ukraine et la boucherie entre Israël et le Hamas.
Si la guerre en Ukraine a bien été initiée par la Russie, elle est la conséquence de la stratégie d’encerclement et d’étouffement de celle-ci mise en place par les États-Unis. A travers le déclenchement de cette guerre meurtrière, ces derniers ont réussi un coup de maître dans l’intensification de leur politique agressive contre les challengers potentiels. « A Washington, beaucoup attendaient cela depuis belle lurette : une occasion pour l’Amérique d’exhiber ses états de service de grande puissance dans un duel avec un concurrent de poids, plutôt que dans des opérations incertaines contre des fanatiques religieux pauvrement armés »[26]. En effet, cette guerre s’inscrit dans des objectifs bien plus ambitieux qu’un simple coup d’arrêt signifié aux ambitions de la Russie : « L’actuelle rivalité américano-russe ne s’explique pas par une quelconque crainte que Moscou puisse dominer l’Europe, mais plutôt par le comportement hégémonique de Washington »[27].
Certes, de manière immédiate, le piège fatal tendu à la Russie vise à infliger un affaiblissement important de sa puissance militaire subsistante et à la dégradation radicale de ses ambitions impérialistes : « Nous voulons affaiblir la Russie de telle manière qu’elle ne puisse plus faire des choses comme envahir l’Ukraine » (le ministre de la défense américain Lloyd Austin lors de sa visite à Kiev le 25.04.22)[28]. La guerre a aussi pour objectif de démontrer la supériorité absolue de la technologie militaire américaine par rapport aux armes rustiques de Moscou.
Ensuite, l’invasion russe a permis de resserrer les boulons au sein de l’OTAN sous le contrôle de Washington en contraignant les pays européens réticents à se ranger sous la bannière de l’Alliance, en particulier l’Allemagne, alors qu’ils avaient tendance à développer leur propre politique envers la Russie et à ignorer l’OTAN, qu’il y a quelques mois encore, le président français Macron avait prétendu être en « état de mort cérébrale ».
Mais surtout, l’objectif prioritaire des Américains était incontestablement d’adresser un avertissement non équivoque à leur challenger principal, la Chine (« voilà ce qui vous attend si vous vous risquez à tenter d’envahir Taiwan »). Cela constituait le point d’orgue d’une dizaine d’années de renforcement de la pression sur le challenger principal menaçant le leadership US. La guerre a affaibli le seul partenaire intéressant pour la Chine, celui qui pouvait en particulier lui fournir un apport sur le plan militaire, et a de surcroît mis en difficulté le projet d’expansion économique et impérialiste de Pékin, la nouvelle route de la soie, dont un axe important passait par l’Ukraine.
Les centaines de milliers de victimes civiles et militaires, l’extension de la barbarie guerrière en Europe centrale, les risques de dérapage nucléaire, le chaos économique mondial ne sont pour les États-Unis que des « effets collatéraux » négligeables de leur offensive pour garantir le maintien de leur leadership.
Après l’attaque surprise et les massacres barbares perpétrés par le Hamas et la riposte sanguinaire d’Israël écrasant sous les obus et les bombes des dizaines de milliers de civils, la présence quasi permanente de dirigeants américains à Tel Aviv (le président Biden s’y est rendu en personne et le Secrétaire d’État A. Blinken ou le ministre de la Défense L. Austin y passent presque chaque semaine) souligne la fébrilité et la perplexité de la superpuissance américaine sur la meilleure manière de gérer la situation. En exerçant une pression permanente sur le gouvernement israélien tout en gardant le contact avec les gouvernements arabes, ils tentent de limiter la soif de vengeance barbare des Israéliens dans Gaza ou en Cisjordanie et d’éviter un embrasement général de la région.
Lorsque les États-Unis ont opéré, depuis l’ère Obama, leur « pivot asiatique », ils n’ont pas pour autant abandonné toute ambition d’influence au Proche et Moyen-Orient. Washington a œuvré, avec les Accords d’Abraham notamment, à établir un système d’alliance entre Israël et plusieurs pays arabes, en particulier l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, pour contenir les aspirations impérialistes de l’Iran, déléguant à l’État hébreu la responsabilité du maintien de l’ordre dans la région. Mais c’était sans compter avec la dynamique d’instabilité croissante des alliances et la tendance profonde au chacun pour soi. Car la bourgeoisie israélienne n’hésite plus à faire passer ses propres intérêts impérialistes devant son allégeance traditionnelle envers les États-Unis. Alors que Washington privilégiait une « solution » à deux États, Netanyahou et les factions de droite de la bourgeoisie israélienne, encouragés par Trump, ont multiplié les annexions en Cisjordanie tout en mettant les Palestiniens totalement hors-jeu. Ils jouaient clairement avec le feu dans la région, mais comptaient sur le soutien militaire et diplomatique américain en cas d’aggravation des tensions. En conséquence, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui mis au pied du mur par Israël, contraints de soutenir la politique irresponsable de Netanyahou et de remettre en question la stratégie du « Pivot asiatique » qui visait précisément à extirper les États-Unis des conflits sans fin qui ravagent le Proche-Orient afin qu’ils puissent se centrer sur l’endiguement du challenger chinois. Or, aujourd’hui, ils se voient obligés d’envoyer des forces navales conséquentes en Méditerranée orientale, d’intervenir en Mer Rouge, de renforcer leurs contingents en Irak et en Syrie.
La réaction pour le moins volontaire de l’administration Biden montre le peu de confiance qu’elle accorde à la clique de Netanyahou et son inquiétude face à la perspective d’un embrasement catastrophique du Moyen-Orient. Le conflit israélo-palestinien constitue un nouveau point de tension pour la politique impérialiste des États-Unis, qui pourrait s’avérer calamiteux en cas d’élargissement. Washington devrait alors assumer une présence militaire considérable et un soutien à Israël qui ne pourraient que peser, non seulement sur l’économie américaine, mais également sur son soutien à l’Ukraine et, plus encore, sur sa stratégie pour endiguer l’expansion de la Chine. Par ailleurs, le discours propalestinien de la Turquie, membre « incorrigible » de l’OTAN, va également contribuer à accroître le risque d’élargissement des confrontations, tout comme les critiques virulentes des pays arabes comme l’Égypte ou l’Arabie Saoudite. Washington tente donc d’empêcher que la situation échappe à tout contrôle… ambition parfaitement illusoire, à terme, compte tenu de la dynamique funeste dans laquelle sombre le Moyen-Orient.
Pendant ce temps, les États-Unis entrent dans une période de campagne électorale et la déstabilisation de l’appareil politique américain accentue l’imprévisibilité de ses orientations politiques sur les plans intérieur et extérieur. Les blocages récurrents au Congrès ont confirmé que les fractures sont toujours aussi profondes et exacerbées entre Démocrates et Républicains, de même que les déchirements à l’intérieur de chacun des deux camps, comme l’attestent l’élection compliquée du « speaker » Républicain à la chambre des représentant ou le débat parmi les Démocrates sur l’âge avancé de J. Biden pour une éventuelle réélection. En même temps, les campagnes visant la mise à l’écart de Trump (e. a. les différents procès intentés contre lui), n’ont fait que diviser de plus en plus profondément et durablement la société américaine et rendre « the Donald » plus populaire que jamais dans une frange non négligeable de l’électorat américain.
La nouvelle candidature présidentielle de Trump pour les élections de 2024, toujours plébiscité par plus de 30% des américains (soit près des 2/3 des électeurs républicains) et donné largement favori pour l’investiture républicaine, fait peser dès à présent une dose d’incertitude sur la politique américaine et joue un rôle dans le positionnement de Washington dans les deux conflits analysés ci-dessus : en Ukraine, le soutien militaire massif à Zelenski est dès à présent mis en question par le refus de la majorité républicaine d’entériner les budgets pour l’Ukraine et Poutine compte sur le fait qu’une réélection de Trump changera la donne sur le terrain ; en Israël, Netanyahou et les factions de droite misent sur le soutien inconditionnel de la droite religieuse républicaine pour contrer la politique de l’administration Biden en attendant, eux aussi, le retour du « messie » Trump.
Bref, cette imprédictibilité de la politique américaine n’engage pas d’autres pays à prendre pour argent comptant les promesses des États-Unis et constitue en elle-même (en plus de sa politique de polarisation) un facteur d’intensification du chaos dans le futur.
La guerre actuelle au Moyen-Orient n’est donc pas le résultat de la dynamique de formation de blocs impérialistes, mais du « chacun pour soi » ; Tout comme la confrontation en Ukraine, cette guerre confirme la tendance dominante de la situation impérialiste mondiale : une irrationalité croissante alimentée d’une part par la tendance de chaque puissance impérialiste à agir pour elle-même et d’autre part, par la politique sanglante de la puissance dominante, les États-Unis, visant à contrer son inévitable déclin en empêchant le surgissement de tout challenger potentiel.
Quoi qu’il en soit et quel que soit l’aboutissement de ces conflits, l’actuelle politique de confrontation de l’administration Biden, loin de produire une accalmie dans les tensions ou d’imposer une discipline entre les vautours impérialistes,
Contrairement au discours de ses dirigeants, la politique offensive et brutale des États-Unis est donc à la pointe de la barbarie guerrière et des destructions de la décomposition.
La lutte de l’impérialisme américain contre son inévitable déclin est depuis plus de 30 ans plus que jamais un facteur central d’accentuation des tensions et du chaos. Le succès initial de l’actuelle offensive américaine était fondé sur une caractéristique mise en évidence dès le début des années 1990 dans le Texte d’Orientation « Militarisme et décomposition [190]»[29], la surpuissance économique et surtout militaire des États-Unis, qui dépasse la somme des puissances potentiellement concurrentes. Aujourd’hui, les USA exploitent à fond cet avantage dans leur politique de polarisation. Celle-ci n’a cependant jamais amené plus d’ordre et de discipline dans les rapports impérialistes mais a au contraire multiplié les confrontations guerrières, a exacerbé le chacun pour soi, a semé la barbarie et le chaos dans de nombreuses régions (Moyen-Orient, Afghanistan, Europe centrale, …), a intensifié le terrorisme, a provoqué d’énormes vagues de réfugiés et a multiplié tous azimuts les appétits des petits et des grands requins.
Depuis plus de 30 ans également, les tensions politiques croissantes au sein de la bourgeoisie US sont exploitées pour mystifier la lutte du prolétariat américain, en tentant de mobiliser ce dernier dans la lutte contre les « élites au pouvoir », en essayant de le diviser entre ouvriers « autochtones et « immigrés illégaux », ou alors en voulant le mobiliser pour la défense de la démocratie contre la droite raciste et fasciste. Les luttes ouvrières de 2022 et 2023 aux États-Unis constituent, dans un tel contexte une claire expression du refus de la classe ouvrière américaine de se laisser entraîner sur le terrain bourgeois et de leur volonté de se défendre de manière unitaire en tant que classe exploitée contre toute attaque contre leurs conditions de vie et de travail.
20.12.2023 / R.H. & Marsan
[1] Les États-Unis : superpuissance dans la décadence du capitalisme et aujourd'hui épicentre de la décomposition sociale (1ère partie) [318], Revue Internationale 169, 2022.
[2] Id.
[3] Résolution sur la situation internationale [319], pt 6, 9e congrès du CCI, Revue internationale n°67, 1991.
[4] Revue internationale 64, 1991.
[5] Texte d’Orientation Militarisme et décomposition [190], Revue Internationale 64, 1991.
[6] Id.
[7] Id.
[8] Résolution sur la Situation Internationale [320], pt 4, 15ième Congrès International du CCI, Revue internationale 113, 2003.
[9] Notes sur l'histoire de la politique impérialiste des Etats-Unis depuis la seconde guerre mondiale, 2e partie [321], Revue Internationale 114, 2003.
[10] Résolution sur la situation internationale [322], 10e Congrès International du CCI, Revue Internationale 74, 1993.
[11] THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste [109], thèse 10, Revue Internationale 107, 2001,
[12] Résolution sur la situation internationale [323], pt 8, 13e congrès de Révolution Internationale, Revue internationale 94, 1998.
[13] Résolution sur la situation internationale [324], pt 8, 17ième Congrès International du CCI, Revue internationale 130, 2007.
[14] Rapport sur la pandémie et le développement de la décomposition [209], Revue internationale 167, 2021.
[15] Internationalism 116, winter 2000-2001.
[16] Résolution sur la situation internationale [324], pt 9, 17ième Congrès International du CCI, Revue internationale 130, 2007.
[17] Résolution sur la situation internationale, pt 7, 18ième Congrès International du CCI, Revue internationale 138, 2009.
[18] Résolution sur la situation internationale, pt 13, 23e Congrès International du CCI, Revue internationale 164, 2020.
[19] Ibid.
[20] Analyse de l’évolution récente des tensions impérialistes (juin 2018) [325], Revue Internationale 161 [326], 2018.
[21] Le repli américain aura duré six mois … », Monde diplomatique, mars 2022.
[22] Déclaration du ministre de la Défense James Mattis le 26.04.2018 devant le Comité des forces armées du Sénat des États-Unis.
[23] Résolution sur la situation internationale [207] pt 10, 23ième Congrès International du CCI, Revue internationale 164, 2020.
[24] Rapport sur l’impact de la décomposition sur la vie politique de la bourgeoisie, 23ième congrès du CCI [327], 2019, Revue internationale 164, 2020. La citation dans l’extrait est tirée du rapport (non publié) sur la vie de la bourgeoisie du 17e congrès.
[25] Lloyd Austin, Memorandum for all department of defense employees, mars 2021.
[26] Le repli américain aura duré six mois … », Monde diplomatique, mars 2022.
[27] « Pourquoi les grandes puissances se font la guerre », Monde diplomatique, août 2023.
[28] La fraction Biden voulait aussi par ailleurs « faire payer » la Russie pour leur ingérence dans les affaires internes américaines, par exemple leurs tentatives de manipuler les dernières élections présidentielles.
[29] Revue internationale 64, 1991.
Le 15 octobre 1923, 46 membres du parti bolchevik faisaient parvenir une lettre secrète au Bureau politique du Comité central du parti pour dénoncer notamment l’étouffement bureaucratique de la vie interne au sein du parti. La « plate-forme des 46 » marquait ainsi l’acte de naissance de l’Opposition de gauche avec Trotsky comme figure de proue.
Les groupes trotskistes situent leurs racines dans l’Opposition de gauche qui donna naissance en 1938 à la IVe Internationale dont ils se revendiquent
Toutefois, ils n’ont généralement pas jugé utile de célébrer cet anniversaire et son restés bien discrets sur leur prétendue filiation. Pour autant, le lien qu’ils tracent (et qu’ils ont toujours tracé) entre les révolutionnaires des années 20 et eux-mêmes se résume à ériger en principes politiques immuables ce qui constituait les “erreurs” du mouvement ouvrier de l’époque et non les positions révolutionnaires que la vague révolutionnaire de 17-23 avait permis de dégager. D’ailleurs, ce sont ces mêmes positions erronées qui servirent de terreau aux positions fondamentales du “trotskisme” qui, depuis la seconde guerre mondiale, sert de caution de « gauche » à la politique de l’État bourgeois contre la classe ouvrière.
L’échec sanglant du prolétariat en Allemagne d’abord, en Hongrie ensuite, au cours de l’année 1919, fut le crépuscule de la vague révolutionnaire ayant surgi en octobre 1917 en Russie. S’en suivit le reflux des luttes dans le monde et le renforcement de l’isolement de la révolution en Russie. Cette situation pesa d’un poids très lourd sur l’Internationale communiste (IC) et le parti bolchevik qui commencèrent à adopter des mesures opposées aux intérêts de la classe ouvrière : soumission des soviets au Parti, embrigadement des ouvriers dans les syndicats, signature du traité de Rapallo([1]), répression sanglante des luttes ouvrières (Kronstadt, Petrograd 1921). L’adoption de telles orientations ne firent qu’accélérer le reflux de la révolution dont elles étaient elles-mêmes l’expression, suscitant des réactions de gauche aussi bien dans l’IC que dans le parti bolchevik. Lors du IIIe congrès de l’I.C. (1921), la gauche germano - hollandaise regroupée dans le KAPD, dénonça le retour au parlementarisme, au syndicalisme, comme une remise en cause des positions adoptées au Ier congrès en mars 1919. C’est aussi à ce congrès que la “Gauche Italienne” réagit vivement contre la politique sans principe d’alliance avec les “centristes” et la dénaturation des P.C. par l’entrée en masse de fractions issues de la social-démocratie.
Mais c’est en Russie même qu’apparurent les premières oppositions. Dès 1918, la revue « Kommunist » groupée autour de Boukharine, Ossinsky et Radek mettait en garde le parti contre le danger d’assumer une politique de capitalisme d’État. Entre 1919 et 1921, plusieurs groupes (« Centralisme démocratique », « l’Opposition ouvrière ») exprimèrent également une réaction à la percée de la bureaucratie au sein du parti ainsi qu’à la concentration croissante du pouvoir décisionnaire entre les mains d’une minorité. Mais la réaction la plus cohérente à la dérive opportuniste du parti bolchevik fut le « Groupe ouvrier » de Miasnikov qui dénonça le fait que le parti sacrifiait peu à peu les intérêts de la révolution mondiale au profit des intérêts de l’État russe. Toutes ces tendances, résolument prolétariennes, n’ont donc pas attendu Trotsky et l’Opposition de gauche pour lutter en faveur de la défense de la révolution et de l’Internationale Communiste.
En réalité, c’est seulement après la faillite politique de l’IC en Allemagne en 1923 et en Bulgarie en 1924, que commença à se constituer au sein du parti bolchevik et plus précisément dans ses sphères dirigeantes, le courant connu sous le nom d’ « Opposition de gauche ». Le sens de sa lutte peut se résumer à son propre mot d’ordre : « feu sur le koulak, le Nepmen, le bureaucrate ». Autrement dit, il s’agissait d’attaquer à la fois la politique interclassiste de l’« enrichissez-vous à la campagne » prônée par Boukharine et, la bureaucratie rampante du parti et ses méthodes. Sur le plan international, les critiques de l’Opposition se concentrèrent sur la formation du Comité anglo-russe et la politique de l’IC dans la Révolution chinoise. Mais en fait, toutes ces questions pouvaient se résumer à un seul et même combat, celui de la défense de la révolution prolétarienne contre la théorie du « socialisme dans un seul pays ». Autrement dit, la lutte pour la défense des intérêts du prolétariat mondial contre la politique nationaliste de la bureaucratie stalinienne.
C’est donc bien en tant que réaction prolétarienne aux effets désastreux de la contre-révolution que naquit l’Opposition de gauche en Russie.
Mais son apparition tardive pesa lourdement sur ses conceptions et sur sa lutte. Elle s’avéra en fait incapable de comprendre la nature réelle du “phénomène stalinien” et “bureaucratique”, prisonnière de ses illusions sur la nature ouvrière de l’État russe. C’est ainsi que, tout en critiquant les orientations de Staline, elle fut partie prenante de la politique de mise au pas de la classe ouvrière par la militarisation du travail sous l’égide des syndicats et se fit même le chantre du capitalisme d’État par une industrialisation accélérée.
Incapable de rompre avec les ambiguïtés du parti bolchevik sur la défense de la « Patrie soviétique », elle ne fut donc pas en mesure de mener un combat résolu et cohérent contre la dégénérescence de la révolution et resta toujours en deçà des oppositions prolétariennes qui s’étaient manifestées dès 1918. À partir de 1928, de plus en plus d’oppositionnels subirent la répression stalinienne. Ils furent pourchassés et assassinés par les staliniens. Trotsky, lui, fut expulsé d’URSS.
Mais dans d’autres sections de l’Internationale communiste, des tendances oppositionnelles à la politique de plus en plus contre-révolutionnaire de cette dernière se manifestèrent. A partir de 1929, un regroupement autour et sous l’impulsion de Trotsky se constitua et prit le nom d’« Opposition de Gauche internationale » (OGI). Celle-ci constituait le prolongement de l’Opposition de Gauche en Russie en reprenant ses principales conceptions. Mais, par beaucoup d’aspects, cette opposition fut un regroupement sans principes de tous ceux qui prétendaient vouloir faire une critique de gauche du stalinisme. S’interdisant toute véritable clarification politique en son sein, laissant à Trotsky la tâche de principal porte-parole et théoricien, elle s’avéra incapable de mener un combat déterminé et cohérent pour la défense de la continuité du programme et des principes communistes. Pire, sa conception erronée de « l’État ouvrier dégénéré » la mena en définitive à prendre la défense du capitalisme d’État russe. Par exemple, en 1929, l’Opposition prit la défense de l’intervention de l’armée russe en Chine suite à l’expulsion de fonctionnaires soviétiques par le gouvernement de Tchang Kai Tchek. À cette occasion, Trotsky lança le mot d’ordre tristement fameux : « Pour la patrie socialiste toujours, pour le stalinisme, jamais ! ». En dissociant les intérêts staliniens (donc capitalistes) des intérêts nationaux de la Russie, ce mot d’ordre ne pouvait que précipiter la classe ouvrière dans la défense de la patrie, traçant la voie au soutien de l’impérialisme soviétique. Cette politique opportuniste s’incarna également dans la défense de la politique de Front uni avec la social - démocratie et les alliances de Front populaire en faveur de l’anti-fascisme, dans la défense des mots d’ordre démocratiques ou encore dans la position « des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
En définitive, chaque nouvelle tactique de Trotsky et de l’Opposition ne fut qu’un pas supplémentaires dans la capitulation et la soumission à la contre - révolution.
Cette dérive catastrophique se concrétisa également sur le plan organisationnel. Contrairement, à la fraction de gauche du Parti communiste d’Italie, l’Opposition fut incapable de comprendre et d’assimiler le rôle que devait jouer les organisations restées fidèles au programme et aux principes communistes alors que la révolution était défaite et les partis communistes passés dans le camp de la contre-révolution. En se concevant comme une simple « opposition loyale » à l’IC avec pour objectif de la redresser de l’intérieur, l’OGI ne fut pas en mesure de tirer les leçons de l’échec de la vague révolutionnaire et d’aller à la racine des erreurs de l’Internationale communiste.
Jusqu’en 1933, date où la fraction sera définitivement exclue de l’OGI, la fraction de gauche du Parti Communiste d’Italie, mena le combat au sein de l’Opposition internationale, afin que cette dernière se mette sur les rails d’un travail de fraction permettant d’assumer la continuité du programme et des principes communistes en vue de l’ouverture d’une nouvelle période révolutionnaire et la formation du parti des révolutionnaires : « Dans le passé, nous avons défendu la notion fondamentale de la "fraction" contre la position dite "d’opposition". Par fraction nous entendions l’organisme qui construit les cadres devant assurer la continuité de la lutte révolutionnaire, et qui est appelée à devenir le protagoniste de la victoire prolétarienne. Contre nous, la notion dite "d’opposition" a triomphé au sein de l’Opposition Internationale de gauche. Cette dernière affirmait qu’il ne fallait pas proclamer la nécessité de la formation des cadres : la clef des évènements se trouvant entre les mains du centrisme et non entre les mains de la fraction. Cette divergence prend actuellement un aspect nouveau, mais il s’agit toujours du même contraste, bien qu’à première vue il semble que le problème consiste aujourd’hui en ceci : pour ou contre les nouveaux partis. Le camarade Trotsky néglige totalement, et pour la deuxième fois, le travail de formation des cadres, croyant pouvoir passer immédiatement à la construction de nouveaux partis et de la nouvelle internationale »([2]). L’incapacité de Trotsky et de l’opposition à s’inscrire dans un travail de fraction de gauche, l’amena donc à concevoir la formation du parti comme une simple histoire de tactique où la volonté de quelques-uns pouvait se substituer aux conditions historiques. Cette démarche relevant davantage de la magie que du matérialisme occultait évidemment « les conditions de la lutte de classes telles qu’elles se trouvent données contingentement par le développement historique et le rapport de forces des classes existantes »[3].
Sans véritable boussole politique, l’Opposition ne pouvait qu’être ballotée aux grès des évènements de l’histoire. D’où, l’appel à former la IVe Internationale (1938) alors que la classe ouvrière est mobilisée pour la défense des intérêts des différents impérialismes et que le monde est à la veille de sombrer dans une deuxième boucherie mondiale.
Ainsi, loin d’apporter une contribution crédible permettant de préparer les conditions pour le futur parti, la trajectoire de l’Opposition de gauche affaiblit considérablement le milieu révolutionnaire et fut une source de confusion et de désorientation au sein des masses ouvrières dans le cœur de la nuit de la contre-révolution. Le mouvement trotskiste quant à lui le destin de toute entreprise opportuniste. En prenant la défense de l’URSS et du camp anti - fasciste durant la IIe Guerre mondiale, il trahit l’internationalisme prolétarien et passa avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. Ses avortons, les organisations trotskistes actuelles, se placeront dès lors du côté de l’État bourgeois.[4]
A contrario, en étant en mesure de comprendre son rôle historique, la fraction italienne fut en mesure de défendre et de préserver le programme communiste et les principes organisationnels. Elle fut capable de préparer l’avenir en permettant à la Gauche communiste de France d’abord (1944 - 1952), au CCI ensuite de reprendre à leur compte cet héritage politique et assumer la continuité historique de l’organisation des révolutionnaires en vue de contribuer à la formation du futur parti, indispensable pour le triomphe de la révolution prolétarienne.
Vincent,
(16 décembre 2023).
[1] Diplomatie secrète d’État à État : droit pour les troupes allemandes de s’entraîner sur le territoire russe.
[2] Revue Bilan, n°1, (novembre 1933).
[3] "Les méthodes de la Gauche communiste et celle du trotskisme", Internationalisme n°23, (juin 1947).
[4] Il faut néanmoins noter que pendant les prémisses de la deuxième guerre mondiale, Trotsky a eu encore la force de réviser intégralement toutes ses positions politiques notamment sur la nature de l’URSS. Il disait dans une dernière brochure “L’URSS en guerre” que si le stalinisme sortait vainqueur et renforcé de la guerre, alors il faudrait revoir le jugement qu’il portait sur l’URSS. C’est ce que fit Natalia Trotsky en utilisant la logique de pensée de son compagnon et en rompant avec la IVe Internationale sur la nature de l’URSS, le 9 mai 1951[20], comme d’autres trotskistes notamment Munis. (Trotsky, le "Révolutionnaire", l'"Internationaliste [328])
Liens
[1] http://www.igcl.org/ecrire/?exec=article&id_article=839
[2] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201501/9177/conference-debat-a-marseille-gauche-communiste-docteur-bourrin
[3] https://fr.internationalism.org/content/10907/comite-qui-entraine-participants-limpasse
[4] https://fr.internationalism.org/rinte94/parasitisme.htm
[5] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/aventurisme-parasitisme-politiques
[6] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/ficci-gigcigcl
[7] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_janvier_2023.pdf
[8] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/interventions
[9] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/reforme-des-retraites
[10] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/ete-colere
[11] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/france
[12] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/attentats
[13] mailto:[email protected]
[14] https://fr.internationalism.org/contact
[15] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/reunions-publiques
[16] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_1er_fevrier_2022.pdf
[17] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/guerre-ukraine
[18] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/trotskysme
[19] https://fr.internationalism.org/tag/5/445/syrie
[20] https://fr.internationalism.org/tag/5/257/turquie
[21] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/tremblement-terre-turquie-et-syrie
[22] https://fr.internationalism.org/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
[23] https://fr.internationalism.org/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/mai-1968
[24] https://fr.internationalism.org/tag/evenements-historiques/greve-des-mineurs-britanniques-1984
[25] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/blocage-leconomie
[26] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_mars_2023-2.pdf
[27] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/greves-aux-royaume-uni
[28] https://fr.internationalism.org/content/10141/greve-masse
[29] https://fr.internationalism.org/rinte27/greve.htm
[30] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/greve-masse
[31] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/greve-generale
[32] https://fr.internationalism.org/ri388/journee_internationale_des_femmes_seule_la_societe_communiste_peut_mettre_fin_a_l_oppression_des_femmes.html
[33] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/feminisme
[34] https://fr.internationalism.org/content/11018/bilan-du-mouvement-contre-reforme-des-retraites-lutte-devant-nous
[35] https://fr.internationalism.org/content/10994/royaume-uni-france-allemagne-espagne-mexique-chine-aller-plus-loin-quen-1968
[36] https://fr.internationalism.org/content/10986/face-a-crise-et-a-lausterite-classe-ouvriere-releve-tete-partout-monde
[37] https://fr.internationalism.org/content/10987/france-ailleurs-meme-lutte-meme-combat-classe
[38] https://fr.internationalism.org/content/10988/bourgeoisie-fait-feu-tout-bois-pourrir-lutte
[39] https://fr.internationalism.org/content/10989/dialogue-social-et-democratie-contre-conscience-classe
[40] https://fr.internationalism.org/content/10984/12e-manifestation-contre-reforme-des-retraites-comment-avons-nous-gagne-2006
[41] https://fr.internationalism.org/content/10979/comment-cerner-dynamique-generale-du-combat-proletarien
[42] https://fr.internationalism.org/content/10976/repression-insultes-agressions-sexuelles-gazage-matraquage-il-ne-faut-pas-tomber-piege
[43] https://fr.internationalism.org/content/10977/violences-aveugles-et-minoritaires-des-black-blocs-nont-rien-a-voir-lutte-classe
[44] https://fr.internationalism.org/content/10973/nupes-revolution-permanente-lutte-ouvriere-grandes-manoeuvres-saboter-lutte-ouvriere
[45] https://fr.internationalism.org/content/10970/greves-manifestations-49-3-et-maintenant
[46] https://fr.internationalism.org/content/10962/greve-masse-contre-mythe-greve-generale
[47] https://fr.internationalism.org/content/10968/combativite-et-solidarite-des-proletaires-sexpriment-aussi-grece
[48] https://fr.internationalism.org/content/10963/seule-revolution-communiste-peut-mettre-fin-a-loppression-des-femmes
[49] https://fr.internationalism.org/content/10960/partout-meme-question-comment-developper-lutte-comment-faire-reculer-gouvernements
[50] https://fr.internationalism.org/content/10948/nous-ne-sommes-pas-seuls-a-nous-mobiliser-il-y-a-des-luttes-ouvrieres-nombreux-pays
[51] https://fr.internationalism.org/content/10928/the-spectator-et-gaulois-refractaires
[52] https://fr.internationalism.org/content/10925/etre-nombreux-ne-suffit-pas-il-faut-aussi-prendre-nos-luttes-mains
[53] https://fr.internationalism.org/content/10908/comment-developper-mouvement-massif-uni-et-solidaire
[54] https://fr.internationalism.org/content/10918/greves-au-royaume-uni-retour-combativite-du-proletariat-mondial
[55] https://fr.internationalism.org/content/10917/mobilisation-contre-reforme-des-retraites-france-comment-resister-aux-attaques-et
[56] https://fr.internationalism.org/content/10954/peut-on-faire-reculer-bourgeoisie-bloquant-leconomie
[57] https://fr.internationalism.org/content/10875/lutte-ouvriere-et-revolution-permanente-deux-artisans-du-sabotage-des-luttes
[58] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-classe-monde-2022-2023
[59] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_20.03.2023_bat.pdf
[60] https://en.internationalistvoice.org/the-continuation-of-the-protests-labour-strikes-and-general-strike/
[61] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_59.pdf
[62] https://www.leftcom.org/fr/articles/2022-11-01/voix-ouvrières-et-révoltes-en-iran
[63] http://www.leftcom.org/en/articles/2022-11-02/iran-imperialist-rivalries-and-the-protest-movement-of-woman-life-freedom
[64] https://fr.internationalism.org/tag/geographique/iran
[65] https://fr.internationalism.org/content/10503/elections-contre-proletariat
[66] https://fr.internationalism.org/ri401/que_veut_le_npa_reforme_ou_revolution.html
[67] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lfi
[68] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/revolution-permanente
[69] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/nupes
[70] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/lutte-ouvriere
[71] https://fr.internationalism.org/tag/vie-du-cci/courrier-des-lecteurs
[72] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_27.3.23.pdf
[73] https://fr.internationalism.org/french/rint/14-terrorisme
[74] https://fr.internationalism.org/french/rint/15_reso_terrorisme
[75] https://fr.internationalism.org/content/9902/black-blocs-des-methodes-et-ideologie-etrangeres-au-proletariat
[76] https://fr.internationalism.org/icconline/2008/courrier_de_lecteur_la_violence_des_jeunes_emeutiers_est_elle_plus_radicale_que_celle_des_etudiants_contre_le_cpe
[77] https://fr.internationalism.org/ri397/manifestation_des_lyceens_a_lyon_des_provocations_policieres_pour_tenter_de_pourrir_le_mouvement.html
[78] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201607/9419/repression-montre-vrai-visage-l-etat-democratique
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[80] https://fr.internationalism.org/content/10877/critiques-des-soi-disant-communisateurs-i-introduction-a-serie
[81] https://fr.internationalism.org/content/10878/critique-des-soi-disant-communisateurs-ii-du-gauchisme-au-modernisme-mesaventures
[82] https://fr.internationalism.org/content/10942/pourquoi-proletariat-classe-revolutionnaire-notes-critiques-larticle-lecons-lutte-des
[83] https://fr.internationalism.org/content/11021/critique-des-soi-disant-communisateurs-iii-jacques-camatte-du-bordiguisme-a-negation
[84] https://fr.internationalism.org/tag/recent-et-cours/communisateurs
[85] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/anarchisme-modernisme
[86] https://fr.internationalism.org/files/fr/tract_22.4.23_bat.pdf
[87] https://fr.internationalism.org/rinte110/conflits.htm
[88] https://fr.internationalism.org/tag/5/57/israel
[89] https://fr.internationalism.org/tag/5/58/palestine
[90] https://fr.internationalism.org/tag/personnages/netanyahou
[91] https://fr.internationalism.org/icconline/201806/9718/200-ans-karl-marx-militant-revolutionnaire
[92] https://fr.internationalism.org/rinte33/marx.htm
[93] https://fr.internationalism.org/ri394/160_ans_apres_le_manifeste_marx_fait_toujours_trembler_la_bourgeoisie.html
[94] https://fr.internationalism.org/ri406/qu_est_ce_que_le_marxisme.html
[95] https://fr.internationalism.org/content/9729/bicentenaire-karl-marx-combattant-classe-ouvriere
[96] https://fr.internationalism.org/rinte69/communisme.htm
[97] https://fr.internationalism.org/ri366/attali.htm
[98] https://fr.internationalism.org/revolution-internationale/201711/9610/a-propos-du-film-jeune-karl-marx
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[100] https://fr.internationalism.org/tag/30/547/karl-marx
[101] https://fr.internationalism.org/content/10735/declaration-commune-groupes-gauche-communiste-internationale-guerre-ukraine
[102] https://en.internationalism.org/files/en/bulletin_ndeg1_eng_a.pdf
[103] https://fr.internationalism.org/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[104] https://es.internationalism.org/content/4820/dossier-contra-la-guerra-imperialista-en-ucrania-por-la-lucha-de-clases-internacional
[105] https://www.dw.com/es/argentina-subirá-un-21-el-salario-mínimo-ante-la-elevada-inflación/a-62940436#:~:text=El%20Gobierno%20argentino%20oficializ%C3%B3%20este,de%20noviembre%2C%20%20informaron%20fuentes%20oficiales
[106] https://www.dw.com/es/presidente-de-argentina-anuncia-nuevo-acuerdo-crediticio-con-el-fmi/a-60586751
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