Soumis par Revue Internationale le
Ce rapport s’inscrit dans le cadre de la résolution sur la situation internationale adopté par le 24e congrès du CCI, et plus particulièrement les points suivants (nous soulignons) :
- "8. Si la progression de la décomposition capitaliste, parallèlement à l’aiguisement chaotique des rivalités impérialistes, prend principalement la forme d'une fragmentation politique et d'une perte de contrôle de la classe dirigeante, cela ne signifie pas que la bourgeoisie ne puisse plus recourir au totalitarisme d'État dans ses efforts pour maintenir la cohésion de la société. (…) L'élection de Biden, soutenue par une énorme mobilisation des médias, de certaines parties de l'appareil politique et même de l'armée et des services de sécurité, exprime cette réelle contre-tendance au danger de désintégration sociale et politique très clairement incarné par le Trumpisme. À court terme, de tels "succès" peuvent fonctionner comme un frein au chaos social croissant. (…)
9. La nature évidente de la décomposition politique et idéologique de la première puissance mondiale ne signifie pas que les autres centres du capitalisme mondial soient capables de constituer des forteresses alternatives de stabilité. (…)
12. Dans ce tableau chaotique, il ne fait aucun doute que la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine tend à occuper le devant de la scène. La nouvelle administration a ainsi démontré son attachement à l'"inclination vers l'est""
Dans ce cadre, il vise, à appréhender les événements de ces derniers mois afin de contribuer à la réflexion autour des trois questions suivantes :
1. Où en sommes-nous en ce qui concerne le déclin de l’hégémonie américaine ?
2. Est-ce que la Chine a tiré avantage des événements de cette période ?
3. Quelle est la tendance dominante aujourd’hui sur le plan des confrontations impérialistes ?
1. Déclin de l’hégémonie américaine et polarisation des tensions États-Unis / Chine
"Confirmés comme la seule superpuissance subsistante, les États-Unis feraient tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter qu'aucune autre superpuissance -en réalité, aucun autre bloc impérialiste- ne vienne défier leur "nouvel ordre mondial". (Résolution sur la situation internationale, Point 4, 15e congrès du CCI, 2003). L’histoire des 30 dernières années est caractérisée en ce qui concerne les États-Unis par un déclin systématique de leur leadership malgré une politique persistante visant à maintenir leur position hégémonique dans le monde.
1.1. Bref aperçu du déclin de l’hégémonie américaine
Différentes étapes caractérisent les efforts des États-Unis pour maintenir leur leadership face à des menaces qui évoluent. Elles sont aussi marquées par les dissensions internes au sein de la bourgeoisie américaine sur la politique à mener et vont par ailleurs les accentuer.
a) Le "Nouvel Ordre Mondial" sous la direction des États-Unis (Bush1 et Clinton : 1990-2001)
Le président Bush senior exploite l’invasion du Koweït par les forces irakiennes, pour mobiliser une large coalition militaire internationale autour des États-Unis pour "punir" Saddam Hussein. La 1ère guerre du golfe vise à faire un "exemple" : face à un monde de plus en plus gagné par le chaos et le "chacun pour soi", il s'agit d'imposer un minimum d'ordre et de discipline, et en premier lieu aux pays les plus importants de l'ex-bloc occidental. La seule superpuissance qui se soit maintenue veut imposer à la "communauté internationale" un "nouvel ordre mondial" sous son égide, parce que c'est la seule qui en ait les moyens mais aussi parce que c'est le pays qui a le plus à perdre dans le désordre mondial.
Cependant, elle ne sera en mesure de tenir ce rôle qu'en enserrant de façon croissante l'ensemble du monde dans le corset d'acier du militarisme et de la barbarie guerrière, comme lors de la sanglante guerre civile en ex-Yougoslavie où elle devra contrer les appétits impérialistes des pays européens (Allemagne, Grande-Bretagne et France) en imposant sous son autorité, la "pax americana", dans la région (accords de Dayton, déc. 1995).
b) Les États-Unis en tant que "Shérif Mondial/Gendarme Mondial" (Bush2 : 2001-2008)
Les attentats d’Al-Qaïda du 11 septembre 2001 amènent le président Bush junior à déclencher une "War against terror" contre l’Afghanistan et surtout l’Irak en 2003. Malgré toutes les pressions et l’utilisation de "fake news" visant à mobiliser la "communauté internationale" derrière les États-Unis contre "l’axe du mal", les États-Unis échouent à mobiliser les autres impérialismes contre l’"État voyou" de Saddam et envahissent quasiment seuls l’Irak avec pour seul allié significatif l’Angleterre de Tony Blair.
L’échec de ces interventions, souligné par le retrait d’Irak (2011) et d’Afghanistan (2021), a mis en évidence l’incapacité des États-Unis de jouer au "shérif mondial" pour imposer "son ordre" au monde. Au contraire, cette "war against terror" a pleinement ouvert la boîte de Pandore de la décomposition dans ces régions, en exacerbant l’expansion du chacun pour soi, qui s’est manifestée en particulier par une multiplication tous azimuts des ambitions impérialistes de puissances telles la Chine et la Russie, bien sûr l’Iran, mais aussi la Turquie, l’Arabie Saoudite, voire les Emirats du Golfe ou le Qatar. L’impasse croissante de la politique des États-Unis et la fuite aberrante dans la barbarie guerrière, ont mis en évidence le net affaiblissement de leur leadership mondial.
L’administration Obama a tenté de réduire l’impact de la politique catastrophique menée par Bush (l’exécution de Ben Laden en 2011 a souligné la supériorité technologique et militaire absolue des États-Unis) et a pointé de plus en plus clairement l’ascension de la Chine comme le principal danger pour l’hégémonie américaine, ce qui a déclenché d’intenses débats au sein de cette bourgeoisie et de son appareil étatique.
c) La politique de "America First" (Trump, fondamentalement poursuivie par Biden : 2017)
La politique de type "America First" sur le plan impérialiste, mise en œuvre par Trump à partir de 2017, constitue en réalité la reconnaissance officielle de l’échec de la politique impérialiste américaine de ces 25 dernières années : "L’officialisation par l’administration Trump de faire prévaloir sur tout autre principe celui de la défense de leurs seuls intérêts en tant qu’état national et l’imposition de rapports de force profitables aux États-Unis comme principal fondement des relations avec les autres États, entérine et tire les implications de l’échec de la politique des 25 dernières années de lutte contre le chacun pour soi en tant que gendarme du monde et de la défense de l’ordre mondial hérité de 1945.(…)" (23e congrès du CCI, Résolution sur la situation internationale, Revue Internationale n° 164).
Si elle implique une limitation maximale des opérations avec des "boots on the grounds" face au manque d’embrigadement des masses ouvrières par rapport à des engagements massifs et aux pertes conséquentes qu’un déploiement massif de militaires dans le monde impliquerait (cf. déjà la difficulté de recrutement de Bush II pour la guerre en Irak), elle va surtout de pair avec une polarisation croissante et une agressivité accentuée envers la Chine, tendant à être de plus en plus identifiée comme le danger principal. Si cette position reste discutée au sein de l’administration Obama et si des tensions apparaissaient encore au sein de l’administration Trump entre les tenants du combat contre les "États voyous", tels l’Iran (Pompeo, Kushner), et les tenants du "danger majeur chinois" (services secrets et armée), la polarisation sur cette dernière option est incontestablement l’axe central de la politique étrangère de Biden. Il s’agit là de la part des États-Unis d’un choix stratégique pour concentrer leurs forces sur la compétition militaire et technologique avec la Chine, en vue de maintenir et même d’accentuer leur suprématie, de défendre leur position de "Parrain" du clan dominant face aux clans concurrents (la Chine et accessoirement la Russie) qui menacent le plus directement son hégémonie. Déjà en tant que gendarme mondial, les États-Unis exacerbaient la violence guerrière, le chaos et le chacun pour soi ; leur politique actuelle n’est en rien moins destructive, bien au contraire.
1.2. Polarisation des tensions en mer de Chine
La polarisation américaine envers la Chine et un redéploiement des forces en conséquence, initiés par l’administration Trump, ont été pleinement repris par l’administration Biden. Celle-ci a non seulement maintenu les mesures agressives économiques contre la Chine, mises en œuvre par Trump, mais elle a surtout accentué la pression par une politique agressive :
- sur le plan politique : défense des droits des Ouïghours et de Hong Kong, rapprochement diplomatique et commercial avec Taïwan, accusations de piratage informatique envers la Chine ;
- au niveau militaire en mer de Chine, par des actions assez explicites et spectaculaires ces derniers mois : multiplication d’exercices militaires impliquant la flotte américaine et celles d’alliés en mer de Chine du Sud, rapports alarmistes sur les menaces imminentes d’intervention chinoise à Taïwan, présence à Taïwan de forces spéciales américaines pour encadrer les unités d’élite taïwanaises, conclusion d’un nouvel accord de défense, l’AUKUS, entre les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne, qui instaure une coordination militaire orientée explicitement contre la Chine, engagement par Biden d’un soutien à Taïwan en cas d’agression chinoise.
Taïwan a toujours joué un rôle important dans la stratégie des États-Unis envers la Chine. Si pendant la "guerre froide", elle constituait une pièce importante du dispositif d’endiguement du bloc communiste, elle a représenté dans les années 1990 et au début des années 2000 la vitrine de la société capitaliste globalisée dans laquelle la Chine était intégrée. Mais avec la montée en puissance de cette dernière, le point de vue a changé et Taïwan joue à nouveau un rôle géostratégique pour barrer l’accès au Pacifique ouest à la marine chinoise. Par ailleurs, sur un plan stratégique, "les fonderies de l’île produisent en effet la majeure partie des semi-conducteurs de dernière génération, composants indispensables à l’économie numérique mondiale (smartphones, objets connectés, intelligence artificielle, etc.)" (Le Monde diplomatique, octobre 2021)
La Chine pour sa part a réagi furieusement à ces pressions politiques et militaires, particulièrement celles qui concernent Taïwan : organisation de manœuvres navales et aériennes massives et menaçantes autour de l’île, publication d’études alarmistes, qui indiquent un risque de guerre "qui n’a jamais été aussi élevé" avec Taïwan, ou de plans d’attaque surprise contre Taïwan, qui conduirait à une défaite totale des forces armées de l’île.
Mises en garde, menaces et intimidations se sont donc succédé ces derniers mois en mer de Chine. Elles soulignent la pression croissante exercée par les États-Unis sur la Chine. Dans ce contexte, les États-Unis ont tout fait pour entraîner derrière eux d’autres pays asiatiques, inquiets des velléités expansionnistes de Pékin, en tentant par exemple de créer une sorte d’OTAN asiatique, le QUAD, réunissant les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde et d’y associer la Corée du Sud. D’autre part et dans le même sens, Biden a voulu raviver l’OTAN dans le but d’entraîner les pays européens dans sa politique de pression contre la Chine. Paradoxalement, la constitution de l’AUKUS indique les limites du ralliement des autres nations derrière les États-Unis. L’AUKUS signifie d’abord une gifle à la France et annihile les belles paroles de Biden sur le "partenariat" au sein de l’OTAN. Par ailleurs, cet accord confirme aussi la frilosité de pays comme l’Inde, avec ses propres ambitions impérialistes, et surtout de la Corée du Sud et du Japon, coincés entre la crainte du renforcement militaire de la Chine et leurs liens industriels et commerciaux considérables avec la Chine.
2. Signification et impact du retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan
Après l’enfoncement de l’Irak et de la Syrie dans le chaos et la barbarie sanglante, les événements de septembre 2021 en Afghanistan confirment pleinement les tendances marquantes de la période : le déclin du leadership US et la montée du chaos et du chacun pour soi.
2.1. La débâcle US en Afghanistan
L’effondrement total du régime et de l’armée afghane, l’avancée éclair des Talibans, malgré une intervention militaire américaine de 20 années dans le pays et des centaines de milliards de dollars engloutis dans le "nation building", ainsi que l’évacuation en panique de ressortissants américains et de collaborateurs confirment de manière saisissante que les États-Unis ne sont plus en mesure de remplir le rôle de "gendarme du monde". Plus spécifiquement, le retrait dramatique et chaotique des troupes américaines d'Afghanistan a mené à une déroute intérieure et extérieure pour l’administration Biden.
(a) sur un plan extérieur, la débâcle a sapé aux yeux de ses "alliés" la fiabilité des États-Unis
Dans la mesure où même le secrétaire de l’OTAN, J. Stoltenberg a dû reconnaître que les États-Unis ne garantissent plus de défendre les alliés européens contre leurs ennemis, toute l’opération de charme de Biden envers l’OTAN et les alliés a été annihilée. L’absence totale de concertation au sein de l’OTAN et le "cavalier seul" absolu des États-Unis a provoqué des réactions indignées à Londres, Berlin et Paris. Quant aux collaborateurs des américains en Afghanistan (comme les kurdes en Syrie, trahis par Trump), ils craignent à juste titre, pour leur vie : voilà une première puissance mondiale incapable de garantir la vie de ses collaborateurs et le soutien à ses alliés. Elle ne mérite donc pas la "confiance" (comme l’a souligné sarcastiquement Xi Jinping !).
(b) sur le plan intérieur, elle a érodé la crédibilité de l’administration Biden
La résolution sur la situation internationale du 24e congrès du CCI souligne que "L'élection de Biden, soutenue par une énorme mobilisation des médias, de certaines parties de l'appareil politique et même de l'armée et des services de sécurité, exprime cette réelle contre-tendance au danger de désintégration sociale et politique très clairement incarné par le Trumpisme. À court terme, de tels "succès" peuvent fonctionner comme un frein au chaos social croissant" (point 8). Cependant, la débâcle afghane a mis en évidence non seulement le manque de fiabilité des États-Unis envers les alliés mais elle accentue aussi les tensions au sein de la bourgeoisie américaine et ouvre un boulevard à toutes les forces adverses (Républicaines et populistes) qui condamnent cette retraite hâtive et humiliante par une administration qui "déshonore les États-Unis sur le plan international". Et cela au moment où la politique de relance industrielle et de grands travaux, prônée par l’administration Biden et supposée contenir les ravages causés par populisme, se heurte à une opposition féroce des Républicains au Capitole et de Trump et que, face à une politique vaccinale anti-Covid qui stagne, elle a été obligée de prendre des mesures contraignantes envers la population.
2.2. Imprédictibilité de la situation pour les autres impérialismes
L’absence de centralisation du pouvoir Taliban, la myriade de courants et de groupes aux aspirations les plus diverses qui composent le mouvement et les accords conclus avec les chefs de guerre locaux pour investir rapidement l’ensemble du pays font que le chaos et l’imprédictibilité caractérisent la situation, comme les attentats récents visant la minorité Hazara le démontrent. Cela ne peut qu’intensifier la volonté d’intervention des différents impérialismes mais aussi l’imprévisibilité de la situation, donc aussi le chaos ambiant.
- L’Iran est liée aux minorités Hazara le long de ses frontières et entend bien maintenir son influence dans cette région. Le Pakistan est inquiet que cette victoire des Talibans (qu’il finance via ses services secrets) ne mène à un mouvement d’indépendance des populations pachtounes au sein même de ses propres frontières. L’Inde, qui finançait largement le régime qui s’est écroulé, est dès à présent confrontée à une intensification des guérillas musulmanes dans le Cachemire indien. La Russie a renforcé ses troupes dans les ex-républiques soviétiques d’Asie pour contrer toute velléité d’apporter un soutien aux mouvements djihadistes locaux.
- Et la Chine en particulier, tire-t-elle un quelconque avantage du retrait américain ? Le contraire est vrai. Le chaos en Afghanistan même rend toute politique cohérente et à long terme dans le pays aléatoire. Par ailleurs, la présence des Talibans aux frontières de la Chine constitue un danger potentiel sérieux pour les infiltrations islamistes en Chine (les Ouïghours), surtout que les "frères" pakistanais des Talibans (les TTP, cousins des ISK) sont engagés dans une campagne d’attentats contre les chantiers de la "nouvelle route de la soie", ayant déjà entraîné la mort d’une dizaine de "coopérants" chinois.
La Chine tente de contrer le danger en Afghanistan en s'implantant dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Turkménistan, Tadjikistan et Ouzbékistan). Mais ces républiques font traditionnellement partie de la zone d’influence russe, ce qui augmente le danger de confrontation avec cet "allié stratégique", auquel de toute façon ses intérêts à long terme (la "nouvelle route de la soie" l’opposent fondamentalement (cf. point 4.2. qui traite de l’alliance sino-soviétique).
3. La position de la Chine sur l’échiquier impérialiste
La Chine a connu ces dernières décennies une ascension fulgurante sur le plan économique et impérialiste, qui en a fait le challenger le plus important pour les États-Unis. Cependant, comme l’illustrent déjà les événements de septembre 2021 en Afghanistan, elle n’a pu profiter, ni de la poursuite du déclin US, ni de la crise de la Covid-19 et de ses conséquences pour renforcer ses positions sur le plan des rapports impérialistes, bien au contraire. Nous examinons les difficultés auxquelles la bourgeoisie chinoise est confrontée sur le plan de la prise en charge de la Covid, de la gestion de l’économie, des rapports impérialistes et des tensions en son sein.
3.1. Difficultés dans la gestion de la crise de la Covid
La Chine mise sur l’immunité collective avant d’ouvrir le pays, mais la politique de lock-down stricte, qu’elle applique en attendant dans des villes et des régions entières, chaque fois que des infections sont identifiés, pèse lourdement sur les activités économiques et commerciales : ainsi, la fermeture du port de Yantian, le troisième port de conteneurs du Monde en mai a conduit au blocage de milliers de conteneurs et des centaines de navires pendant des mois, désorganisant totalement le trafic maritime mondial.
Cette recherche de l’immunité collective pousse par ailleurs certaines provinces et villes chinoises à imposer des sanctions financières aux retardataires. Face aux nombreuses critiques sur les réseaux sociaux chinois, le gouvernement central a bloqué ce genre de mesures, qui tendaient à "mettre en péril la cohésion nationale".
Enfin, le plus grave vient sans doute des données convergentes sur l’efficacité limitée des vaccins chinois, communiquées par divers pays qui les utilisent : "Au total, la campagne de vaccination chilienne –importante avec 62% de la population vaccinée actuellement– ne semble avoir aucun impact notable sur la proportion de décès" (H. Testard, "Covid-19 : la vaccination décolle en Asie mais les doutes augmentent sur les vaccins chinois", Asialyst, 21.07.21). Les responsables chinois envisagent même aujourd’hui des accords pour importer Pfizer ou Moderna afin de pallier l’inefficacité de leurs propres vaccins.
Au-delà de la responsabilité indéniable de la Chine dans l’éclatement de la pandémie, la gestion peu efficiente de la crise de la Covid par Beijing pèse sur la politique générale du capitalisme d’État chinois.
3.2. Accumulation de problèmes pour l’économie chinoise :
La forte croissance que la Chine connaît depuis quarante ans -même si ces chiffres reculaient déjà la dernière décennie- semble arriver à son terme. Les experts s’attendent à une croissance du PIB chinois inférieure à 6% en 2021, contre 7% en moyenne sur la dernière décennie et plus de 10% lors de la décennie précédente. Divers autres facteurs accentuent les difficultés actuelles de l’économie chinoise :
a) Le danger d’éclatement de la bulle immobilière chinoise : Evergrande, le numéro deux de l’immobilier en Chine, se retrouve aujourd’hui écrasé par quelque 300 milliards d’euros de dettes, soit à elles seules 2% du PIB du pays, auxquelles il ne peut plus faire face. D’autres promoteurs sont contaminés, tels Fantasia Holdings ou Sinic Holdings quasiment en défaut de paiement face à leurs créanciers. De manière générale, le secteur de l’immobilier, qui représente 25% de l’économie chinoise, a généré une dette publique et privée colossale qui se chiffre en milliers de milliards de dollars. La faillite d’Evergrande n'est en réalité que la première séquence d’un effondrement global à venir de ce secteur. Aujourd’hui les logements vides sont tellement nombreux qu’ils pourraient héberger 90 millions de personnes. Certes, l’effondrement immédiat du secteur sera évité dans la mesure où les autorités chinoises n’ont d’autre choix que de limiter les dégâts du naufrage au risque sinon d’un impact très sévère sur le secteur financier : "(…) il n’y aura pas d’effet boule de neige comme en 2008 [aux États-Unis], parce que le gouvernement chinois peut arrêter la machine, estime Andy Xie, économiste indépendant, ancien de Morgan Stanley en Chine, cité par Le Monde. Je pense qu’avec Anbang [groupe d’assurance, NDLR] et HNA [Hainan Airlines], on a de bons exemples de ce qui peut se produire : il y aura un comité rassemblant autour d’une table l’entreprise, les créditeurs et les autorités, qui va décider quels actifs vendre, lesquels restructurer et, à la fin, combien d’argent il reste et qui peut perdre des fonds". (P.-A. Donnet, Chute d’Evergrande en Chine : la fin de l’argent facile, Asialyst, 25.09.21).
Cependant, si l’immobilier chinois fonde son modèle économique sur un endettement pharamineux, de nombreux autres secteurs sont dans le rouge : fin 2020, la dette globale des entreprises chinoises représentait 160% du PIB du pays, contre 80% environ pour celle des sociétés américaines et les investissements "toxiques" des gouvernements locaux représenteraient aujourd’hui, selon des analystes de Goldman Sachs, à eux seuls 53.000 milliards de yuans, soit une somme qui représente 52% du PIB chinois. Ainsi, l’éclatement de la bulle immobilière risque de non seulement de contaminer d’autres secteurs de l’économie mais aussi d’engendrer une instabilité sociale (près de 3 millions d’emplois directs et indirects liés à Evergrande), la grande crainte du PCC.
b) Les coupures d’énergie : elles sont la conséquence d’un approvisionnement en charbon insuffisant causé entre autre par les inondations records dans la province du Shaanxi qui, à elle seule, produit 30% du combustible dans tout le pays, et aussi du durcissement de la réglementation anti-pollution décidée par Xi. La pénurie pèse déjà sur l’activité industrielle dans plusieurs régions : les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium et du ciment souffrent déjà de la limitation de l’offre d’électricité. Cette limitation a réduit d’environ 7% les capacités de production d’aluminium et de 29% celles de ciment (chiffres de Morgan Stanley) et le papier et le verre pourraient être les prochains secteurs touchés. Ces coupures freinent désormais la croissance économique de l’ensemble du pays. Mais la situation est encore plus grave qu’il n’y paraît à première vue. "En effet, cette pénurie d’électricité se répercute désormais sur le marché résidentiel dans certaines régions du Nord-Est. La province du Liaoning a ainsi étendu les coupures de courant du secteur industriel à des réseaux résidentiels" (P.-A. Donnet, Chine : comment la grave pénurie d’électricité menace l’économie, Asialyst, 30.09.21).
c) Les ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement. Celles-ci sont liées à la crise énergétique mais aussi aux lock-down découlant des infections Covid (cf. point précédent). Elles affectent la production dans les industries de diverses régions et accentuent le risque de rupture des chaînes d’approvisionnement nationales et mondiales déjà tendues, d’autant plus que certains fabricants sont confrontés à une pénurie aigüe de semi-conducteurs.
3.3. Essoufflement du projet de la "nouvelle route de la soie"
La "nouvelle route de la soie" devient de plus en plus difficile à réaliser, ce qui est dû aux problèmes financiers liés à la crise de la Covid et aux difficultés de l’économie chinoise, mais aussi aux réticences des partenaires :
- d’une part, le niveau d’endettement de pays "partenaires" a été accru par la crise de la Covid, et ceux-ci se retrouvent dans l’incapacité de payer les intérêts des prêts chinois. Des pays comme le Sri-Lanka, le Bangladesh, le Kirghizstan, le Pakistan, le Monténégro, et divers pays africains, ont demandé à la Chine de restructurer, de retarder ou d'annuler le paiement de leurs dettes qui sont dues cette année.
- d’autre part, il y a une méfiance croissante de la part de nombreux pays envers les agissements de la Chine (Union Européenne, Cambodge, Philippines, Indonésie), conjuguée à la pression antichinoise exercée par les États-Unis (comme en Amérique latine), et il y a aussi les conséquences du chaos produit par la décomposition, déstabilisant certains pays clés de la "nouvelle route", comme par exemple l’Éthiopie.
Bref, il ne faut pas s’étonner qu’en 2020, il y a eu un effondrement de la valeur financière des investissements injectés dans le projet "Nouvelle route de la soie" (-64%), alors que la Chine a prêté plus de 461 milliards de dollars depuis 2013.
3.4. Accentuation des antagonismes au sein de la bourgeoisie chinoise
Sous Deng Xiao Ping le capitalisme d’État de type stalinien chinois, sous le couvert d’une politique de "créer des riches pour partager leur richesse", a établi des zones "libres" (Hong Kong, Macao, etc.) afin de développer un capitalisme de type "libre marché" permettant l’entrée de capitaux internationaux et favorisant aussi un secteur capitaliste privé qui, avec l’effondrement du bloc de l’Est et la "globalisation" de l’économie dans les années 90, s’y est développé de manière exponentielle, même si le secteur public sous le contrôle direct de l’État représente toujours 30% de l’économie. Comment la structure rigide et répressive de l’État stalinien et du parti unique a-t-elle prise en charge cette "ouverture" au capitalisme privé ? Dès les années 1990, le parti s’est transformé en intégrant massivement des entrepreneurs et des chefs d’entreprises privées. "Au début des années 2000, le président d’alors, M. Jiang Zemin avait levé l’interdiction de recruter des entrepreneurs du secteur privé, vus jusque-là comme des ennemis de classe, (…). Les hommes et les femmes d’affaires ainsi sélectionnés deviennent membre de l’élite politique, ce qui leur garantit que leurs entreprises soient, au moins partiellement, protégées de cadres aux tendances prédatrices" (Que reste-t-il du communisme en Chine ? Le monde diplomatique n°68, juillet 2021). Aujourd’hui, les professionnels et managers diplômés du supérieur constituent 50% des adhérents du PCC.
Les oppositions entre les différentes fractions s’exprimeront donc non seulement au sein des structures étatiques mais au sein même du PCC. Depuis plusieurs années (cf. déjà le Rapport sur les tensions impérialistes du 20e congrès du CCI, 2013), les tensions croissent entre différentes fractions au sein de la bourgeoisie chinoise, en particulier entre celles plus liées aux secteurs capitalistes privés, dépendant des échanges et des investissements internationaux, et celles liées aux structures et au contrôle financier étatiques au niveau régional ou national, celles qui prônent une ouverture au commerce mondial et celles qui avancent une politique plus nationaliste. En particulier, le "tournant à gauche", engagé par la faction derrière le président Xi, et qui signifie moins de pragmatisme économique et plus d’idéologie nationaliste, a intensifié les tensions et l’instabilité politique ces dernières années : en témoignent "les tensions persistantes entre le premier ministre Li Keqiang et le président Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la "nouvelle position" de la Chine sur la scène internationale". (Chine : à Beidaihe, "l'université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau", A. Payette, Asialyst, 06.09.20), la "politique guerrière" menée par la diplomatie chinoise envers Taïwan mais en même temps la déclaration spectaculaire de Xi que la Chine veut atteindre la neutralité carbone pour son économie en 2060, les critiques explicites envers Xi qui surgissent régulièrement (dernièrement l’essai "alerte virale" publié par un professeur réputé de droit constitutionnel à l'Université Qinghua à Pékin et prédisant la fin de Xi), les tensions entre Xi et les généraux dirigeant l’armée populaire, les interventions de l’appareil d’État envers des entrepreneurs trop "flamboyants" et critiques envers le contrôle étatique (Jack Ma et Ant Financial, Alibaba). Certaines faillites (HNA, Evergrande) pourraient d’ailleurs être rapportées aux luttes entre cliques au sein du parti, dans le cadre par exemple de la campagne cynique pour "protéger les citoyens des excès de la "classe capitaliste"".
Bref, loin de tirer profit de la situation actuelle, la bourgeoisie chinoise, comme les autres bourgeoisies, est confrontée au poids de la crise, au chaos de la décomposition et aux tensions internes, qu’elle tente par tous les moyens de contenir au sein de ses structures capitalistes d’État désuètes.
4. L’extension du chaos, de l’instabilité et de la barbarie guerrière
Les données analysées dans les points précédents montrent certes que les tensions entre les États-Unis et la Chine tendent à occuper une place prédominante dans la situation impérialiste, sans toutefois qu’elles induisent une tendance à la formation de blocs impérialistes. En effet, au-delà de certaines alliances limitées comme l’AUKUS, la puissance principale de la planète, les États-Unis, aujourd’hui non seulement n’arrive pas à mobiliser les autres puissances derrière sa ligne politique (contre l’Irak ou l’Iran précédemment, contre la Chine aujourd’hui), mais est en outre incapable de défendre ses propres alliés et de se donner la posture d’un "chef de bloc". Ce déclin du leadership US mène à une accentuation du chaos qui impacte même de plus en plus la politique de l’ensemble des impérialismes dominants, y compris la Chine qui n’arrive pas non plus à imposer de manière durable son leadership à d’autres pays.
4.1. Chaos et guerre
Le fait que les talibans aient "battu" les Américains enhardira tous ces petits requins qui n'hésiteront pas à avancer leurs pièces en l'absence de quelqu'un pour "imposer des règles". Nous entrons dans une accélération de l'empire sans loi et le plus grand chaos de l'histoire. Le chacun pour soi devient le facteur central des relations impérialistes et la barbarie guerrière menace des zones entières de la planète.
(a) Asie Centrale, Moyen-Orient et Afrique :
Outre la barbarie de la guerre civile en Irak, Syrie, Lybie ou Yémen et la plongée de l’Afghanistan dans l’horreur, les tensions sont fortes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, stimulées par la Turquie qui provoque la Russie, la guerre civile a éclaté en Éthiopie (soutenue par l’Érythrée) contre la "province rebelle" du Tigray (soutenue par le Soudan et l’Égypte) ; enfin, les tensions croissent entre l’Algérie et le Maroc. La "Somalisation" d’États, et la zone d’instabilité et de "non-droit" (cf. déjà Rapport du 20e congrès du CCI, 2013) n’ont cessé de s’étendre : le chaos règne à présent de Kaboul à Addis-Abeba, de Sanaa à Erevan, De Damas à Tripoli, de Bagdad à Bamako.
(b) Amérique Centrale et du Sud :
Le Covid frappe durement le sous-continent (1/3 des décès mondiaux en 2020 pour 1/8 de la population mondiale) et le plonge dans sa pire récession depuis 120 ans : contraction du PIB de 7,7% et accroissement de la pauvreté de près de 10% en 2020 (LMD, oct. 2021). Le chaos croît, comme à Haïti, plongée dans une situation désespérée, sous le règne sanglant de gangs, et dans une misère horrible, et la situation est également catastrophique en Amérique Centrale : des centaines de milliers de gens désespérés fuient la misère et le chaos et menacent de submerger la frontière sud des États-Unis. La région subit de plus en plus de convulsions liées à la décomposition : révoltes sociales en Colombie et au Chili, confusion populiste au Brésil. Le Mexique essaie de jouer ses propres cartes (proposition d'une nouvelle OAS, etc.) mais est trop dépendant des États-Unis pour affirmer ses propres aspirations. Les États-Unis n'ont pas été en mesure de renverser Maduro au Venezuela, auquel les Chinois et les Russes et même l'Iran continuent à apporter un soutien "humanitaire", ainsi que à Cuba. La Chine s’est infiltrée surtout depuis 2008 dans l’économie de la région et est devenue un créancier important de nombreux États latino-américains mais la contre-offensive américaine exerce actuellement une forte pression sur certains États (Panama, Équateur, Chili) pour prendre leurs distances envers "l’activité économique prédatrice" de Beijing.
(c) Europe :
Les tensions entre l’OTAN et la Russie se sont intensifiées ces derniers mois : après l’incident du vol Ryanair détourné et intercepté par le Belarus pour arrêter un dissident, réfugié en Lituanie, il y a eu en juin les manœuvres de l’OTAN en Mer Noire au large de l’Ukraine, où un accrochage s’est produit entre une frégate anglaise et des navires russes, et, en septembre, des manœuvres conjointes entre armées russe et biélorusse aux frontières de la Pologne et des Pays Baltes face à des exercices de l’OTAN en territoire ukrainien, une véritable provocation aux yeux de Poutine.
4.2. Instabilité croissante
Le chaos croissant augmente aussi les tensions au sein des bourgeoisies et renforce l’imprédictibilité de leur positionnement impérialiste : c’est le cas de pays comme le Brésil, où la situation sanitaire catastrophique et la gestion irresponsable du gouvernement Bolsonaro mène à une crise politique de plus en plus intense, et d’autres pays d’Amérique latine (instabilité politique en Équateur, au Pérou, en Colombie ou en Argentine). Au Proche et au Moyen-Orient, les tensions entre les clans et tribus qui dirigent l’Arabie Saoudite peuvent déstabiliser le pays, tandis que Israël est marqué par une opposition d’une large part des fractions politiques de la droite à la gauche contre Netanyahu et contre les partis religieux, mais aussi par des pogroms à l'intérieur du pays contre les arabes "israéliens". Enfin, il y a la Turquie qui cherche une solution pour ses difficultés politiques et économiques dans une fuite en avant suicidaire dans des aventures impérialistes (de la Lybie à l’Azerbaïdjan).
En Europe, la débâcle en Afghanistan et "l’affaire des sous-marins" ainsi que l’après-Brexit accentuent la déstabilisation d’organisations émanant de période des blocs, comme l’OTAN ou l’UE. Au sein de l’OTAN, des pays européens doutent de plus en plus de la fiabilité des États-Unis. Ainsi, l’Allemagne n’a pas cédé face aux pressions américaines en ce qui concerne le pipeline avec la Russie en Mer Baltique et la France ne digère pas l’affront infligé par les États-Unis dans le deal des sous-marins avec l’Australie, alors que d’autres pays européens continuent à voir dans les États-Unis leur principal protecteur. La question des rapports avec la GB pour implémenter les accords du Brexit (Irlande du Nord et quota de pêche) divisent les pays de l’UE et les tensions sont fortes entre la France et l’Angleterre. Au sein de l’UE même, les flux de réfugiés continuent à opposer les États, pendant que des pays comme la Hongrie et la Pologne remettent de plus en plus ouvertement en question les "pouvoirs supranationaux" définis par les traités européens, et que l’hydre du populisme menace la France lors des élections au printemps 2022.
Chaos et accentuation du chacun pour soi tendent également à entraver la continuité de l’action des impérialismes majeurs : les États-Unis se voient obligés de maintenir la pression par des bombardements aériens réguliers sur des milices chiites qui harcellent leurs forces subsistantes en Irak ; les Russes doivent "jouer aux pompiers" dans la confrontation armée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, instillée par le chacun pour soi impérialiste de la Turquie ; l’extension du chaos dans la Corne de l’Afrique à travers la guerre civile en Éthiopie, avec l’implication du Soudan et de l’Égypte qui soutiennent la région du Tigray et l’Érythrée le gouvernement central éthiopien, bouleverse en particulier les plans chinois qui faisaient de l’Éthiopie, vantée comme un pôle de stabilité et le "nouvel atelier du monde", un point d’appui pour leur "Belt and Road project" en Afrique du Nord-Est et avaient dans ce but installé une base militaire à Djibouti. L'impact continu des mesures et des incertitudes liées à la pandémie est également un facteur déstabilisateur dans la politique impérialiste des divers États : stagnation de la vaccination aux États-Unis après un départ en fanfare, nouveaux confinements massifs de régions entières et manque d'efficacité patent des vaccins en Chine, explosion des contaminations et de la surmortalité (660.000), méfiance de la population envers les vaccins en Russie (taux de vaccination d’un peu plus de 30%)
Cette instabilité caractérise aussi les alliances comme en particulier celle entre la Chine et la Russie. Si ces pays développent une "coopération stratégique" (caractérisation du communiqué sino-russe du 28.06.21) contre les États-Unis et par rapport au Moyen-Orient, l’Iran ou la Corée du Nord organisent même des exercices communs de leurs armées et marines, leurs ambitions politiques sont radicalement différentes : l’impérialisme russe vise avant tout la déstabilisation de régions et ne peut viser guère plus que des "frozen conflicts" (Syrie, Lybie, Ukraine, Géorgie, …), alors que la Chine déploie une politique économique et impérialiste à long terme, la "nouvelle route de la soie". Par ailleurs, la Russie est parfaitement consciente que les parcours de la "Silk Road" par la terre et par la zone arctique s’opposent directement à ses intérêts dans la mesure où ils menacent directement les zones d’influence russes en Asie centrale et en Sibérie et que, sur le plan de l’appareil industriel, elle ne fait pas le poids face à la 2ième économie mondiale, elle qui a un PNB correspondant à celui de l’Italie.
4.3. Développement de l’économie de guerre
"L'économie de guerre (…) n'est pas une politique économique qui peut résoudre les contradictions du capitalisme ou créer les fondements d'une nouvelle étape du développement capitaliste. (…). La seule fonction de l'économie de guerre est... la GUERRE ! Sa raison d'être est la destruction effective et systématique des moyens de production et des forces productives et la production des moyens de destruction - la véritable logique de la barbarie capitaliste" (De la crise à l’économie de guerre, Revue Internationale n°11, 1977). Le fait que la perspective ne soit pas à la constitution de larges alliances stables, de "blocs" impérialistes s’engageant dans une confrontation mondiale et donc qu’une guerre mondiale ne se pose pas actuellement n’enlève rien à une accentuation aujourd’hui de l’économie de guerre. Soumettre l'économie aux nécessités militaires pèse lourdement sur l'économie, mais cette irrationalité n'est pas un choix : elle est le produit de l'impasse du capital que la décomposition sociale accélère.
La course aux armements engloutit des sommes phénoménales, dans le cas des États-Unis, qui ont encore un avantage important sur ce plan, mais aussi de la Chine qui a accru significativement ses dépenses militaires durant les deux dernières décennies. "L’augmentation de 2,6% des dépenses militaires mondiales survient l’année où le produit intérieur brut (PIB) mondial a reculé de 4,4% (projection du Fonds monétaire international, octobre 2020), principalement en raison des impacts économiques de la pandémie de la Covid-19. En conséquence, les dépenses militaires en pourcentage du PIB –dit fardeau militaire- ont atteint une moyenne mondiale de 2,4% en 2020, contre 2,2% en 2019. Il s’agit de la plus forte augmentation annuelle de ces dépenses depuis la crise économique et financière mondiale de 2009" (communiqué de presse du Sipri, avril 2021). Cette course concerne non seulement les armes conventionnelles et nucléaires, mais aussi la militarisation encore plus nette des programmes spatiaux et l’extension de la course à des zones autrefois épargnées, telles les régions arctiques.
Vu l’expansion terrifiante du chacun pour soi impérialiste, la course aux armements ne se limite pas aux impérialismes majeurs mais touche tous les États, en particulier sur le continent asiatique qui connaît une hausse significative des dépenses militaires : ainsi, l'inversion du poids respectif de l'Asie et de l'Europe entre 2000 et 2018 est spectaculaire : en 2000, l'Europe et l'Asie représentent respectivement 27% et 18% des dépenses de défense mondiales. En 2018, ces rapports sont inversés, l'Asie en représente 28% et l'Europe 20% (données du Sipri).
Cette militarisation s’exprime aujourd’hui aussi par un développement impressionnant des activités cybernétiques des États (attaques de hackers, souvent liés directement ou indirectement à des États, telle l’attaque cybernétique d’Israël contre les sites nucléaires iraniens), ainsi que de l’intelligence artificielle et de la robotique militaire (robots, drones), qui jouent un rôle de plus en plus important dans les activités de renseignement ou dans les opérations militaires.
Cependant, "la véritable clé de la constitution de l'économie de guerre (…) [est] la soumission physique et/ou idéologique du prolétariat à l'État, [le] degré de contrôle que l'État a sur la classe ouvrière" (Id., Revue Internationale n°11, 1977). Or, cet aspect est loin d’être acquis. Cela explique pourquoi l’accélération de la course aux armements va de pair aujourd’hui avec une forte réticence parmi les puissances impérialistes majeures (les États-Unis, la Chine, la Russie, la Grande-Bretagne ou la France) à l’engagement massif de soldats sur le terrain ("boots on the ground") par peur de l’impact d’un retour massif de "body bags" sur la population et, en particulier la classe ouvrière. Relevons ainsi l’utilisation de sociétés militaires privées (organisation Wagner par les Russes, Blackwater/Academi par les États-Unis, …) ou l’engagement de milices locales pour mener des actions : utilisation de milices sunnites syriennes par la Turquie en Lybie et en Azerbaïdjan, de milices kurdes par les États-Unis en Syrie et Irak, du Hezbollah ou de milices chiites irakiennes par l’Iran en Syrie, de milices soudanaises par l’Arabie Saoudite au Yémen, une force régionale (Tchad, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Fasso) "coachée" par la France et l’UE dans la région du Liptako, …
5. Impact sur le prolétariat et sa lutte
- La perspective est donc à une multiplication de conflits barbares et sanglants :
"10. Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel.
13. Cela ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu'à l'époque de la Guerre froide, hantée par la menace d'un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s'applique également aux vastes moyens de destruction -nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques- qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d'États-nations que dans la période précédente." (Résolution sur la situation internationale)
Dans la mesure où nous savons que la bourgeoisie est capable de retourner les pires effets de la décomposition contre le prolétariat, nous devons être conscients que ce contexte de barbarie meurtrière ne facilitera nullement la lutte ouvrière :
- L’accélération de la décomposition entraînera des guerres sans fin partout dans le monde, une multiplication de massacres et de la misère, des millions de réfugiés errant partout sans but, un chaos social indescriptible et une destruction de l’environnement, et tout cela accentuera le sentiment de peur et de démoralisation dans les rangs du prolétariat.
- Les différents conflits armés seront utilisés pour déclencher d’intenses campagnes de défense de la démocratie, les droits humains, les droits des femmes, comme c’est le cas avec l’Afghanistan, l‘Éthiopie, la Syrie ou l’Irak.
En conséquence, notre intervention doit dénoncer la progression de la barbarie et le caractère insidieux de la situation, elle doit mettre constamment le prolétariat en garde contre la sous-estimation des dangers que la situation de multiplicité chaotique des conflits engendre dans le contexte du chacun pour soi comme dynamique dominante :
- "Laissée à sa propre logique, à ses conséquences ultimes, elle [la décomposition] conduit l'humanité au même résultat que la guerre mondiale. Être anéanti brutalement par une pluie de bombes thermonucléaires dans une guerre généralisée ou bien par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres de multiples conflits guerriers (où l’arme atomique pourrait aussi être utilisée), tout cela revient, à terme, au même. La seule différence entre ces deux formes d'anéantissement, c'est que la première est plus rapide alors que la seconde est plus lente et provoquerait d'autant plus de souffrances" (Thèses sur la décomposition, pt11).
23.10.2021