Résolution sur la situation internationale (2021)

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Cette résolution vise à rassembler tous les éléments majeurs de la situation mondiale : l'accélération de la décomposition, l'aiguisement des rivalités impérialistes, une crise économique sans précédent, et les perspectives de la lutte de classe.

Préambule

Cette résolution s'inscrit dans la continuité du rapport sur la décomposition présenté au 22e congrès du CCI, de la résolution sur la situation internationale présentée au 23e congrès, et du rapport sur la pandémie et la décomposition présenté au 24e congrès. Elle est basée sur l’idée que non seulement la décadence du capitalisme passe par différents stades ou phases, mais que nous avons depuis la fin des années 1980 atteint sa phase ultime, la phase de décomposition ; en outre, la décomposition elle-même a une histoire, et un objectif central de ces textes est de "tester" le cadre théorique de la décomposition par rapport à l'évolution de la situation mondiale. Ces textes ont montré que la plupart des développements importants des trois dernières décennies ont en effet confirmé la validité de ce cadre, comme en témoignent l'exacerbation du chacun-pour-soi au niveau international, le "rebond" des phénomènes de décomposition vers les centres du capitalisme mondial à travers le développement du terrorisme et la crise des réfugiés, la montée du populisme et la perte de contrôle politique de la classe dirigeante, la putréfaction progressive de l'idéologie à travers la propagation de la recherche du bouc émissaire, du fondamentalisme religieux et des théories du complot. Et tout comme la phase de décomposition est l'expression concentrée de toutes les contradictions du Capital, surtout à son époque de déclin, la pandémie actuelle de Covid-19 est la distillation de toutes les manifestations-clés de la décomposition, et un facteur actif de son accélération.

La phase finale du déclin capitaliste et l’accélération du chaos 

1. La pandémie de Covid-19, la première d'une telle ampleur depuis l'épidémie de grippe espagnole de 1918, est le moment le plus important dans l'évolution de la décomposition capitaliste depuis l'ouverture irrémédiable de cette période en 1989. L'incapacité de la classe dirigeante à empêcher les 7 à 12 millions de morts et plus qui en résultent confirme que le système capitaliste mondial, laissé à lui-même, entraîne l'humanité vers l'abîme de la barbarie et vers sa destruction, et que seule la révolution prolétarienne mondiale peut stopper cette dérive et conduire l'humanité vers un autre avenir. 

2. Le CCI est pratiquement seul à défendre la théorie de la décomposition. D'autres groupes de la Gauche communiste la rejettent complètement, soit, comme dans le cas des Bordiguistes, parce qu'ils n'acceptent pas que le capitalisme puisse être un système en déclin (ou au mieux sont incohérents et ambigus sur ce point) ; soit, comme pour la Tendance Communiste Internationaliste, parce que parler d'une phase "finale" du capitalisme sonne beaucoup trop apocalyptique, soit parce que définir la décomposition comme une descente vers le chaos est une déviation du matérialisme qui, selon eux, cherche à trouver les racines de chaque phénomène dans l'économie et surtout dans la tendance à la baisse du taux de profit. Tous ces courants semblent ignorer que notre analyse est dans la continuité de la plate-forme de l'Internationale communiste de 1919, qui non seulement insistait sur le fait que la guerre impérialiste mondiale de 1914-18 annonçait l'entrée du capitalisme dans "l'époque de l'effondrement du Capital, de sa désintégration interne, l'époque de la révolution communiste du prolétariat", mais encore soulignait également que "l'ancien "ordre" capitaliste a cessé de fonctionner ; son existence ultérieure est hors de question. Le résultat final du mode de production capitaliste est le chaos. Ce chaos ne peut être surmonté que par la classe productive et la plus nombreuse - la classe ouvrière. Le prolétariat doit établir un ordre réel - l'ordre communiste". Ainsi, le drame auquel l'humanité est confrontée se pose effectivement en termes d'ordre contre chaos. Et la menace d'un effondrement chaotique était liée à "l'anarchie du mode de production capitaliste", en d'autres termes, à un élément fondamental du système lui-même - un système qui, suivant le marxisme, et à un niveau qualitativement plus élevé que dans tout mode de production antérieur, implique que les produits du travail humain deviennent une puissance étrangère qui se dresse au-dessus et contre leurs créateurs. La décadence du système, du fait de ses contradictions insolubles, marque une nouvelle spirale dans cette perte de contrôle. Et comme l'explique la Plate-forme de l'IC, la nécessité d'essayer de surmonter l'anarchie capitaliste au sein de chaque État-nation - par le monopole et surtout par l'intervention de l'État - ne fait que la pousser vers de nouveaux sommets à l'échelle mondiale, culminant dans la guerre mondiale impérialiste. Ainsi, alors que le capitalisme peut à certains niveaux et pendant certaines phases retenir sa tendance innée au chaos (par exemple, à travers la mobilisation pour la guerre dans les années 1930 ou la période de boom économique qui a suivi la guerre), la tendance la plus profonde est celle de la "désintégration interne" qui, pour l'IC, caractérise la nouvelle époque.

3. Alors que le Manifeste de l'IC parlait du début d'une nouvelle "époque", il y avait des tendances au sein de l'Internationale à considérer la situation catastrophique du monde d'après-guerre comme une crise finale dans un sens immédiat plutôt que comme une ère entière de catastrophes qui pourrait durer plusieurs décennies. Et c'est une erreur dans laquelle les révolutionnaires sont tombés à de nombreuses reprises (du fait d'une analyse erronée mais aussi parce qu'on ne peut prévoir avec certitude le moment précis où va intervenir un changement au niveau historique) : en 1848, lorsque le Manifeste communiste proclamait déjà que l'enveloppe du capital était devenue trop étroite pour contenir les forces productives qu'il avait mises en mouvement ; en 1919-20 avec la théorie de l’effondrement brutal du capitalisme, développée notamment par la Gauche communiste allemande ; en 1938 avec la notion de Trotsky selon laquelle les forces productives avaient cessé de croître. Le CCI lui-même a également sous-estimé la capacité du capitalisme à s'étendre et à se développer à sa propre manière, même dans un contexte général de déclin progressif, notamment avec la Chine stalinienne après l'effondrement du bloc russe. Cependant ces erreurs sont les produits d'une interprétation immédiatiste de la crise capitaliste, et non un défaut inhérent à la théorie de la décadence elle-même, qui voit le capitalisme dans cette période comme une entrave croissante aux forces productives plutôt que comme une barrière absolue.  Le capitalisme est en déclin depuis plus d'un siècle, et reconnaître que nous atteignons les limites du système est tout à fait cohérent avec la compréhension du fait que la crise économique, malgré des hauts et des bas, est essentiellement devenue permanente ; que les moyens de destruction ont non seulement atteint un niveau tel qu'ils pourraient détruire toute vie sur la planète, mais qu'ils sont entre les mains d'un "ordre" mondial de plus en plus instable ; que le capitalisme a provoqué un désastre écologique planétaire sans précédent dans l'histoire humaine. En somme, la reconnaissance du fait que nous sommes effectivement au stade ultime de la décadence capitaliste est basée sur une évaluation lucide  de la réalité. Encore une fois, cela doit être considéré sur une échelle de temps historique et non au jour le jour. Cela signifie que cette phase finale est irréversible et qu'il ne peut y avoir d'autre alternative historique que le Communisme ou la destruction de l'humanité. C'est l’alternative face à laquelle est placée notre époque.

4. La pandémie de Covid-19, contrairement aux vues propagées par la classe dirigeante, n'est pas un événement purement "naturel" mais résulte d'une combinaison de facteurs naturels, sociaux et politiques, tous liés au fonctionnement du système capitaliste en décomposition. L'élément "économique" est en effet crucial ici, et encore une fois à plus d'un niveau. C'est la crise économique, la chasse désespérée au profit, qui a poussé le capital à envahir chaque partie de la surface du globe, à s'emparer de ce qu'Adam Smith appelait le "don gratuit" de la nature, à détruire les derniers sanctuaires de la vie sauvage et à augmenter considérablement le risque de zoonoses. À son tour, le krach financier de 2008 a entraîné une réduction brutale des investissements dans la recherche de nouvelles maladies, dans les équipements et les traitements médicaux, ce qui a augmenté de manière exponentielle l'impact mortel du Coronavirus. Et l'intensification de la concurrence, du "chacun pour soi" entre les entreprises et les nations au niveau mondial a beaucoup retardé la fourniture de matériel de sécurité et de vaccins. Et contrairement aux espoirs utopiques de certaines parties de la classe dirigeante, la pandémie ne donnera pas lieu à un ordre mondial plus harmonieux une fois qu'elle aura été mise en échec. Non seulement parce que cette pandémie n'est probablement qu'un signe avant-coureur de pandémies plus graves à venir, étant donné que les conditions fondamentales qui l'ont générée ne peuvent être éliminées par la bourgeoisie, mais aussi parce que la pandémie a considérablement aggravé une récession économique mondiale qui était déjà imminente avant que la pandémie ne frappe. Le résultat sera le contraire de l'harmonie, car les économies nationales chercheront à s'égorger mutuellement dans la lutte pour des marchés et des ressources qui s'amenuisent. Cette concurrence exacerbée s'exprimera certainement au niveau militaire. Et le "retour à la normale" de la concurrence capitaliste fera peser de nouveaux fardeaux sur le dos des exploités de la planète, qui supporteront l'essentiel des efforts du capitalisme pour récupérer une partie des dettes gigantesques qu'il a contractées en tentant de gérer la crise.

5. Aucun État ne peut prétendre être un modèle de gestion de la pandémie. Si certains États d'Asie ont, dans un premier temps,  réussi à y faire face plus efficacement, (même si des pays comme la Chine se sont livrés à la falsification des chiffres et de la réalité de l’épidémie) c'est en raison de leur expérience de la confrontation aux pandémies sur le plan social et culturel, puisque ce continent a historiquement constitué le terreau de l'émergence de nouvelles maladies, et surtout parce que ces États ont conservé les moyens, les institutions et les procédures de coordination mis en place lors de l'épidémie de SRAS en 2003. La propagation du virus au niveau planétaire, la génération internationale de nouveaux variants, posent d'emblée le problème au niveau où l'impuissance de la bourgeoisie est la plus clairement exposée, notamment son incapacité à adopter une approche unifiée et coordonnée (comme le montre l'échec récent de la proposition de signer un traité de lutte contre les pandémies) et à faire en sorte que l'ensemble de l'humanité soit protégé par des vaccins. 

6. La pandémie, produit de la décomposition du système, se révèle ainsi être une force redoutable dans la poursuite de l'accélération de cette décomposition. De plus, son impact sur la nation la plus puissante de la Terre, les États-Unis, confirme ce qui avait déjà été noté dans le rapport du 22e Congrès : la tendance des effets de la décomposition à revenir avec plus de force au cœur même du système capitaliste mondial. En fait, les États-Unis sont maintenant au "centre" du processus mondial de décomposition. La gestion catastrophique de la crise du Covid par l'administration populiste de Trump a certainement joué un rôle important dans le fait que les États-Unis connaissent les taux de mortalité les plus élevés au monde du fait de cette maladie. Dans le même temps, l'étendue des divisions au sein de la classe dirigeante américaine a été mise à nu par les élections contestées de novembre 2020, et surtout par la prise d'assaut du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021, poussés par Trump et son entourage. Ce dernier événement démontre que les divisions internes qui secouent les États-Unis traversent l'ensemble de la société. Bien que Trump ait été évincé du gouvernement, le trumpisme reste une force puissante, lourdement armée, qui s'exprime aussi bien dans la rue que dans les urnes. Et avec l'ensemble de l'aile gauche du Capital se ralliant derrière la bannière de l'antifascisme, il y a un réel danger que la classe ouvrière aux États-Unis soit prise dans des conflits violents entre des factions rivales de la bourgeoisie.

7. Les événements aux États-Unis mettent également en évidence l'avancée de la décomposition des structures idéologiques du capitalisme, où là encore ce pays "montre la voie". L'accession au pouvoir de l'administration populiste de Trump, la puissante influence du fondamentalisme religieux, la méfiance croissante à l'égard de la science, trouvent leurs racines dans des facteurs particuliers de l'histoire du capitalisme américain, mais le développement de la décomposition et en particulier le déclenchement de la pandémie a imprégné le courant dominant de la vie politique de toutes sortes d'idées irrationnelles, reflétant précisément l'absence totale de perspective d'avenir offerte par la société existante. En particulier, les États-Unis sont devenus le point nodal du rayonnement de la "théorie du complot" dans l'ensemble du monde capitaliste avancé, notamment via internet et les médias sociaux, qui ont fourni les moyens technologiques permettant de saper davantage les fondements de toute idée de vérité objective à un degré dont le stalinisme et le nazisme n'auraient pu que rêver. Même si elle apparaît sous différentes formes, la théorie du complot présente certains traits communs : la vision incarnée d'élites secrètes qui dirigent la société depuis les coulisses, un rejet de la méthode scientifique et une profonde méfiance à l'égard de tout discours officiel. Contrairement à l'idéologie dominante de la bourgeoisie, qui présente la démocratie et le pouvoir d'État existant comme les véritables représentants de la société, la théorie du complot a pour centre de gravité la haine des élites établies, haine qu'elle dirige contre le capital financier et la façade démocratique classique du capitalisme d'État totalitariste. C'est ce qui a conduit les représentants du mouvement ouvrier du passé à qualifier cette approche de "socialisme des imbéciles" (August Bebel, en référence à l'antisémitisme) - une erreur encore compréhensible avant la Première Guerre mondiale, mais qui serait dangereuse aujourd'hui. Le populisme de la théorie du complot n'est pas une tentative tordue d'approche du socialisme ou de tout ce qui ressemble à une conscience de classe prolétarienne. L'une de ses principales sources est la bourgeoisie elle-même : cette partie de la bourgeoisie qui n'apprécie pas d'être exclue précisément des cercles élitistes de sa propre classe, soutenue par d'autres parties de la bourgeoisie qui ont perdu ou sont en train de perdre leur position centrale antérieure. Les masses que ce type de populisme attire derrière lui, loin d'être animées par une quelconque volonté de défier la classe dominante, espèrent, en s'identifiant à la lutte pour le pouvoir de ceux qu'elles soutiennent, partager d'une certaine manière ce pouvoir, ou du moins être favorisées par lui aux dépens des autres.

8. Si la progression de la décomposition capitaliste, parallèlement à l’aiguisement chaotique des rivalités impérialistes, prend principalement la forme d'une fragmentation politique et d'une perte de contrôle de la classe dirigeante, cela ne signifie pas que la bourgeoisie ne puisse plus recourir au totalitarisme d'État dans ses efforts pour maintenir la cohésion de la société. Au contraire, plus la société tend à se désagréger, plus la bourgeoisie a besoin de s'appuyer sur le pouvoir centralisateur de l'État, qui est le principal instrument de la plus machiavélique des classes dirigeantes. La réaction des fractions de la classe dirigeante les plus responsables des intérêts généraux du capital national et de son État face à la montée du populisme en est un exemple. L'élection de Biden, soutenue par une énorme mobilisation des médias, de certaines parties de l'appareil politique et même de l'armée et des services de sécurité, exprime cette réelle contre-tendance au danger de désintégration sociale et politique très clairement incarné par le Trumpisme. À court terme, de tels "succès" peuvent fonctionner comme un frein au chaos social croissant. Face à la crise du Covid-19, les lock-downs sans précédent, dernier recours pour freiner la propagation effrénée de la maladie, le recours massif à l'endettement de l'État pour préserver un minimum de niveau de vie dans les pays avancés, la mobilisation des ressources scientifiques pour trouver un vaccin, démontrent le besoin de la bourgeoisie de préserver l'image de l'État protecteur de la population, son refus de perdre sa crédibilité et son autorité face à la pandémie. Mais à plus long terme, ce recours au totalitarisme d'État tend à exacerber davantage les contradictions du système.  La semi-paralysie de l'économie et l'accumulation de la dette ne peuvent avoir d'autre résultat que d'accélérer la crise économique mondiale, tandis qu'au niveau social, l'augmentation massive des pouvoirs de la police et de la surveillance de l'État introduite pour appliquer les lois de confinement - augmentation inévitablement utilisée pour justifier toutes les formes de protestation et de dissidence - aggrave visiblement la méfiance envers l'establishment politique, qui s'exprime principalement sur le terrain anti-prolétarien des "droits du citoyen".

9. La nature évidente de la décomposition politique et idéologique de la première puissance mondiale ne signifie pas que les autres centres du capitalisme mondial soient capables de constituer des forteresses alternatives de stabilité. Encore une fois, ceci est le plus clair dans le cas de la Grande-Bretagne, qui a été frappée simultanément par les taux de mortalité les plus élevés de Covid en Europe et par les premiers symptômes de la mutilation du Brexit, et qui fait face à une réelle possibilité d'éclatement en ses "nations" constituantes. Les répugnantes dissensions actuelles entre la Grande-Bretagne et l'UE au sujet de la viabilité et de la distribution des vaccins offrent une preuve supplémentaire que la principale tendance de la politique bourgeoise mondiale d'aujourd'hui va dans le sens d'une fragmentation croissante, et non d'une unité face à un "ennemi commun". L'Europe elle-même n'a pas été épargnée par ces tendances centrifuges, non seulement autour de la gestion de la pandémie, mais aussi autour de la question des "droits de l'homme" et de la démocratie dans des pays comme la Pologne et la Hongrie. Il est remarquable que même des pays centraux comme l'Allemagne, auparavant considérée comme un "havre" de relative stabilité politique et qui a pu s'appuyer sur sa force économique, soit cette fois-ci touchée par un chaos politique croissant. L'accélération de la décomposition dans le centre historique du capitalisme se caractérise à la fois par une perte de contrôle et par des difficultés croissantes à générer une homogénéité politique.

Après la perte de sa seconde plus importante économie, même si l'UE ne court pas le risque immédiat d'une scission majeure, de telles menaces continuent de planer sur le rêve d'une Europe unie. Et tandis que la propagande d'État chinoise met en évidence la désunion et l'incohérence croissantes des "démocraties", se présentant comme un rempart de la stabilité mondiale, le recours croissant de Pékin à la répression interne, comme contre le "mouvement démocratique" à Hong Kong et les musulmans ouïgours, est en fait la preuve que la Chine est une bombe à retardement. La croissance extraordinaire de la Chine est elle-même un produit de la décomposition. L'ouverture économique au cours de la période de Deng dans les années 80 a mobilisé d’énormes investissements, notamment en provenance des États-Unis, de l'Europe et du Japon. Le massacre de Tiananmen en 1989 a montré clairement que cette ouverture économique a été mise en œuvre par un appareil politique inflexible qui n'a pu éviter le sort du stalinisme dans le bloc russe que par une combinaison de terreur d'État, une exploitation impitoyable de la force de travail qui soumet des centaines de millions de travailleurs à un état permanent de travailleur migrant et de croissance économique frénétique dont les fondations semblent maintenant de plus en plus fragiles. Le contrôle totalitaire sur l’ensemble du corps social, le durcissement répressif auxquels se livre la fraction stalinienne de Xi Jinping ne représentent pas une expression de force mais au contraire une manifestation de faiblesse de l’État, dont la cohésion est mise en péril par l’existence de forces centrifuges au sein de la société et d’importantes luttes de cliques au sein de la classe dominante.

La marche du capitalisme vers la destruction de l'humanité

10. Contrairement à une situation dans laquelle la bourgeoisie est capable de mobiliser la société pour la guerre, comme dans les années 1930, le rythme exact et les formes de la dynamique du capitalisme en décomposition vers la destruction de l'humanité sont plus difficiles à prévoir car ils sont le produit d'une convergence de différents facteurs, dont certains peuvent être partiellement cachés. Le résultat final, comme le soulignent les Thèses sur la décomposition, est le même : "Laissé à lui-même, (le capitalisme) conduira l'humanité au même sort que la guerre mondiale. Que nous soyons anéantis par une pluie de bombes thermonucléaires ou par la pollution, la radioactivité des centrales nucléaires, la famine, les épidémies et les massacres d'innombrables petites guerres (où les armes nucléaires peuvent aussi être utilisées), c'est finalement la même chose. La seule différence entre ces deux formes d'anéantissement réside dans le fait que l'une est rapide, tandis que l'autre serait plus lente, et provoquerait par conséquent encore plus de souffrances". Or, aujourd'hui, les contours de cette dynamique d’anéantissement se précisent. Les conséquences de la destruction de la nature par le capitalisme deviennent de plus en plus impossibles à nier, tout comme l'incapacité de la bourgeoisie mondiale, avec toutes ses conférences mondiales et ses promesses d'aller vers une "économie verte", à arrêter un processus qui est inextricablement lié au besoin du capitalisme de pénétrer le moindre recoin de la planète dans sa poursuite compétitive du processus d'accumulation. La pandémie de Covid est probablement l'expression la plus significative à ce jour de ce profond déséquilibre entre l'homme et la nature, mais d'autres signaux d'alarme se multiplient également, de la fonte des glaces polaires aux incendies dévastateurs en Australie et en Californie, en passant par la pollution des océans par les détritus de la production capitaliste.

11. Dans le même temps, les "massacres d'innombrables petites guerres" prolifèrent également, alors que le capitalisme, dans sa phase finale, plonge dans un chacun-pour-soi impérialiste de plus en plus irrationnel. L'agonie de dix ans de la Syrie, un pays aujourd'hui complètement ruiné par un conflit impliquant au moins cinq camps rivaux, est peut-être l'expression la plus éloquente de ce terrifiant "panier de crabes", mais nous voyons des manifestations similaires en Libye, dans la Corne de l'Afrique et au Yémen, des guerres qui ont été accompagnées et aggravées par l'émergence de puissances régionales telles que l'Iran, la Turquie et l'Arabie saoudite, dont aucune ne voudra accepter la discipline des principales puissances mondiales : ces puissances de deuxième ou troisième niveau peuvent forger des alliances contingentes avec les États les plus puissants pour se retrouver dans des camps opposés dans d'autres situations (comme dans le cas de la Turquie et de la Russie dans la guerre en Libye). Les affrontements militaires récurrents en Israël/Palestine témoignent également de la nature insoluble de nombre de ces conflits. Dans ce cas, le massacre de civils a été exacerbé par le développement d'une atmosphère de pogrom au sein même d'Israël, ce qui montre l'impact de la décomposition au niveau militaire et social.  Dans le même temps, nous assistons à un durcissement des conflits entre les puissances mondiales. L'exacerbation des rivalités entre les États-Unis et la Chine était déjà évidente sous Trump, mais l'administration Biden va continuer dans la même direction, même si c'est sous des prétextes idéologiques différents, comme les violations des droits de l'homme par la Chine ; en même temps, la nouvelle administration a annoncé qu'elle ne "se laisserait plus rouler" par la Russie, qui a maintenant perdu son point d'appui à la Maison Blanche. Et même si Biden a promis de réinsérer les États-Unis dans un certain nombre d'institutions et d'accords internationaux (sur le changement climatique, le programme nucléaire iranien, l'OTAN...), cela ne signifie pas que les États-Unis renonceront à leur capacité d'agir seuls pour défendre leurs intérêts. La frappe militaire contre les milices pro-iraniennes en Syrie par l'administration Biden quelques semaines seulement après l'élection était une déclaration claire à cet effet. La poursuite du chacun pour soi va rendre toujours plus difficile, voire impossible, aux États-Unis d’imposer leur leadership, illustration du tous contre tous dans l’accélération de la décomposition.

12. Dans ce tableau chaotique, il ne fait aucun doute que la confrontation croissante entre les États-Unis et la Chine tend à occuper le devant de la scène. La nouvelle administration a ainsi démontré son attachement à l'"inclination vers l'est" (désormais soutenue par le gouvernement conservateur en Grande-Bretagne) qui était déjà un axe central de la politique étrangère d'Obama. Cela s'est concrétisé par le développement du "Quad", une alliance explicitement antichinoise entre les États-Unis, le Japon, l'Inde et l'Australie. Toutefois, cela ne signifie pas que nous nous dirigeons vers la formation de blocs stables et une guerre mondiale généralisée. La marche vers la guerre mondiale est encore obstruée par la puissante tendance au chacun pour soi et au chaos au niveau impérialiste, tandis que dans les pays capitalistes centraux, le capitalisme ne dispose pas encore des éléments politiques et idéologiques – dont en particulier une défaite politique du prolétariat – qui pourraient unifier la société et aplanir le chemin vers la guerre mondiale. Le fait que nous vivions encore dans un monde essentiellement multipolaire est mis en évidence en particulier par les relations entre la Russie et la Chine. Si la Russie s'est montrée très disposée à s'allier à la Chine sur des questions spécifiques, généralement en opposition aux États-Unis, elle n'en est pas moins consciente du danger de se subordonner à son voisin oriental, et est l'un des principaux opposants à la "Nouvelle route de la soie" de la Chine vers l'hégémonie impérialiste.

13. Cela ne signifie pas que nous vivons dans une ère de plus grande sécurité qu'à l'époque de la Guerre froide, hantée par la menace d'un Armageddon nucléaire. Au contraire, si la phase de décomposition est marquée par une perte de contrôle croissante de la part de la bourgeoisie, cela s'applique également aux vastes moyens de destruction - nucléaires, conventionnels, biologiques et chimiques - qui ont été accumulés par la classe dirigeante, et qui sont maintenant plus largement distribués à travers un nombre bien plus important d'États-nations que dans la période précédente. Bien que nous n'assistions pas à une marche contrôlée vers la guerre menée par des blocs militaires disciplinés, nous ne pouvons pas exclure le danger de flambées militaires unilatérales ou même d'accidents épouvantables qui marqueraient une nouvelle accélération du glissement vers la barbarie.

Une crise économique sans précédent

14. Pour la première fois dans l'histoire du capitalisme en dehors d'une situation de guerre mondiale, l'économie s’est trouvée directement et profondément affectée par un phénomène – la pandémie de Covid 19 – qui n’est pas lié directement aux contradictions de l’économie capitaliste. L’ampleur et l’importance de l’impact de la pandémie, produit de l'agonie d'un système en pleine décomposition et devenu complètement obsolète, illustrent le fait sans précédent que le phénomène de la décomposition capitaliste affecte aussi désormais, massivement et à l’échelle mondiale l’ensemble de l’économie capitaliste.

Cette irruption des effets de la décomposition dans la sphère économique affecte directement l'évolution de la nouvelle phase de crise ouverte, inaugurant une situation totalement inédite dans l'histoire du capitalisme. Les effets de la décomposition, en altérant profondément les mécanismes du capitalisme d'État mis en place jusqu'à présent pour "accompagner" et limiter l'impact de la crise, introduisent dans la situation un facteur d'instabilité et de fragilité, d'incertitude croissante.

Le chaos qui s'empare de l'économie capitaliste confirme les vues de Rosa Luxemburg selon lesquelles le capitalisme ne connaîtra pas un effondrement purement économique. "Plus s’accroit la violence avec laquelle avec laquelle à l’intérieur et à l’extérieur le capital anéantit les couches non capitalistes et avilit les conditions d’existence de toutes les classes laborieuses, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation dans le monde se transforme en une série de catastrophes et de convulsions, qui, se joignant aux crises économiques périodiques finiront par rendre impossible la continuation de l'accumulation et par dresser la classe ouvrière internationale contre la domination du capital avant même que celui-ci n’ait  atteint économiquement les dernières limites objectives de son développement." (Accumulation du capital, chapitre 32)

15. Frappant un système capitaliste qui, depuis le début de l'année 2018, entrait déjà dans un net ralentissement, la pandémie a rapidement concrétisé la prédiction du 23e congrès du CCI selon laquelle nous nous dirigions vers une nouvelle plongée dans la crise.

La violente accélération de la crise économique - et l’effroi de la bourgeoisie - se mesurent à la hauteur de la muraille de la dette élevée en toute hâte pour préserver son appareil de production de la faillite et maintenir un minimum de cohésion sociale.

L'une des manifestations les plus importantes de la gravité de la crise actuelle, contrairement aux situations passées de crise économique ouverte et à la crise de 2008, réside dans le fait que les pays centraux (Allemagne, Chine et États-Unis) ont été frappés simultanément et sont parmi les plus touchés par la récession, la Chine par une forte baisse du taux de croissance en 2020. Les États les plus faibles voient leur économie étranglée par l'inflation, la chute de la valeur de leur monnaie et la paupérisation.

Après quatre décennies de recours au crédit et à l’endettement afin de contrecarrer la tendance croissante à la surproduction, ponctuées de récessions de plus en plus profondes et de reprises de plus en plus limitées, la crise de 2007-09 avait déjà marqué une étape dans l’enfoncement du système capitaliste dans sa crise irréversible. Si l’intervention massive des États a pu sauver le système bancaire de la faillite complète en poussant la dette à des niveaux encore plus vertigineux, les causes de la crise de 2007-2011 n’ont pas été dépassées. Les contradictions de la crise sont passées à un stade supérieur avec le poids écrasant de la dette sur les États eux-mêmes. Les tentatives de relance des économies n’ont pas débouché sur une véritable reprise : fait sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, en dehors des États-Unis, de la Chine et, dans une moindre mesure, de l'Allemagne, les niveaux de production de tous les grands pays du monde ont stagné ou même baissé entre 2013 et 2018. L'extrême fragilité de cette "reprise", en empilant toutes les conditions d'une nouvelle détérioration significative de l'économie mondiale, présageait déjà de la situation actuelle.

Malgré l'ampleur historique des plans de relance et en raison du redémarrage chaotique de l’économie, il n'est pas encore possible de prévoir comment - et dans quelle mesure - la bourgeoisie parviendra à stabiliser la situation, caractérisée par toutes sortes d'incertitudes, au premier rang desquelles l’évolution de la pandémie elle-même.

Contrairement à ce que la bourgeoisie a pu faire en 2008 en réunissant le G7 et le G20, composés des principaux États, et en se mettant d'accord sur une réponse coordonnée à la crise du crédit, aujourd'hui chaque capital national réagit en ordre dispersé, sans autre préoccupation que la relance de sa propre machine économique et de sa survie sur le marché mondial, sans concertation entre les principales composantes du système capitaliste. Le chacun pour soi prédomine de façon décisive.

L’apparente exception du plan européen de relance, incluant la mutualisation des dettes entre les pays de l’UE, s’explique par la conscience des deux principaux États de celle-ci de la nécessité d’un minimum de coopération entre eux comme condition pour éviter une déstabilisation majeure de l’UE pour faire face à leurs principaux rivaux chinois et américain, sous peine de risquer un déclassement accéléré de leur position dans l’arène mondiale.

La contradiction entre la nécessité de contenir la pandémie et d'éviter la paralysie de la production a conduit à la "guerre des masques" et à la "guerre des vaccins". Cette guerre des vaccins, leur fabrication et leur distribution, forme un miroir du désordre croissant dans lequel s'enfonce l'économie mondiale.

Après l'effondrement du bloc de l'Est, la bourgeoisie a tout mis en œuvre pour maintenir une certaine collaboration entre les États, notamment en s'appuyant sur les organes de régulation internationale hérités de la période des blocs impérialistes. Ce cadre de la "globalisation" a permis de limiter l'impact de la phase de décomposition au niveau de l'économie, en poussant à l'extrême la possibilité d'"associer" les nations à différents niveaux de l'économie - financier, productif, etc.

Avec l'aggravation de la crise et des rivalités impérialistes, les institutions et mécanismes multilatéraux étaient déjà mis à l'épreuve par le fait que les principales puissances développaient de plus en plus leurs propres politiques, notamment la Chine, en construisant son vaste réseau parallèle des Nouvelles routes de la soie, et les États-Unis qui tendaient à tourner le dos à ces institutions en raison de l’inaptitude grandissante de ces outils à préserver leur position dominante. Le populisme s'imposait déjà comme un facteur aggravant la détérioration de la situation économique en introduisant un élément d'incertitude face aux affres de la crise. Son accession au pouvoir dans différents pays a accéléré la détérioration des moyens imposés par le capitalisme depuis 1945 pour éviter toute dérive vers un repli sur le cadre national favorisant la contagion incontrôlée de la crise économique.

Le déchaînement du chacun pour soi découle de la contradiction du capitalisme entre l'échelle de plus en plus globale de la production et la structure nationale du capital, contradiction exacerbée par la crise. En provoquant un chaos croissant au sein de l'économie mondiale (avec la tendance à la fragmentation des chaînes de production et la fragmentation du marché mondial en zones régionales, au renforcement du protectionnisme et à la multiplication des mesures unilatérales), ce mouvement totalement irrationnel de chaque nation à sauver son économie au détriment de toutes les autres est contre-productif pour chaque capital national et un désastre au niveau mondial, un facteur décisif de détérioration de l'ensemble de l'économie mondiale.

Cette ruée des factions bourgeoises les plus "responsables" vers une gestion de plus en plus irrationnelle et chaotique du système, et surtout l'avancée sans précédent de la tendance au chacun pour soi, révèlent une perte croissante de contrôle de son propre système par la classe dominante.

16. Seule nation à avoir un taux de croissance positif en 2020 (2%), la Chine n'est pas sortie triomphante ou renforcée de la crise pandémique, même si elle a momentanément gagné du terrain au détriment de ses rivaux. Bien au contraire. La dégradation continue de la croissance de son économie, la plus endettée au monde, et qui comporte également un faible taux d'utilisation des capacités de production et une proportion d'"entreprises zombies" de plus de 30%, témoigne de l'incapacité de la Chine à jouer désormais le rôle qui a été le sien en 2008-11 dans le redressement de l'économie mondiale.

La Chine est confrontée à la réduction des marchés à travers le monde, à la volonté de nombreux États de se libérer de leur dépendance à l'égard de la production chinoise, et au risque d'insolvabilité d’un certain nombre pays impliqués dans le projet de la Route de la soie parmi les plus durement touchés par les conséquences économiques de la pandémie. Le gouvernement chinois poursuit donc une orientation vers le développement économique interne du plan "Made in China 2025", et du modèle de "circulation duale", qui vise à compenser la perte de la demande extérieure par la stimulation de la demande intérieure. Ce changement de politique ne représente cependant pas un "repli sur soi", l'impérialisme chinois ne voulant ni ne pouvant tourner le dos au monde. Au contraire, l'objectif de ce changement est de gagner une autarcie nationale au niveau des technologies clés afin d'être d'autant plus capable de gagner du terrain au-delà de ses propres frontières. Elle représente une nouvelle étape dans le développement de son économie de guerre.  Tout cela provoque de puissants conflits au sein de la classe dirigeante, entre les partisans de la direction de l'économie par le Parti communiste chinois et ceux liés à l'économie de marché et au secteur privé, entre les "planificateurs" du pouvoir central et les autorités locales qui veulent orienter elles-mêmes les investissements. Tant aux États-Unis (par rapport aux géants technologiques "GAFA" de la Silicon Valley) que - plus résolument encore - en Chine (par rapport à Ant International, Alibaba, etc.), on observe une forte tendance de l'appareil d'État central à réduire la taille des entreprises devenues trop grandes (et trop puissantes) pour être contrôlées.

17. Les conséquences de la destruction effrénée de l'environnement par un capitalisme en décomposition, les phénomènes résultant du dérèglement climatique et de la destruction de la biodiversité, conduisent en premier lieu à une paupérisation accrue des parties les plus démunies de la population mondiale (Afrique subsaharienne et Asie du Sud) ou de celles en proie à des conflits militaires. Mais ils affectent de plus en plus toutes les économies, les pays développés en tête.

Nous assistons actuellement à la multiplication de phénomènes météorologiques extrêmes, de pluies et d'inondations extrêmement violentes, de vastes incendies entraînant des pertes financières énormes dans les villes et les campagnes par la destruction d'infrastructures vitales (villes, routes, installations fluviales). Ces phénomènes perturbent le fonctionnement de l'appareil de production industriel et affaiblissent également la capacité productive de l'agriculture. La crise climatique mondiale et la désorganisation croissante du marché mondial des produits agricoles qui en résulte menacent la sécurité alimentaire de nombreux États.

Le capitalisme en décomposition ne possède pas les moyens de lutter réellement contre le réchauffement climatique et la dévastation écologique. Ceux-ci ont déjà un impact de plus en plus négatif sur la reproduction du capital et ne peuvent que constituer un obstacle au retour de la croissance économique.

Motivée par la nécessité de remplacer les industries lourdes obsolètes et les combustibles fossiles, l’"économie verte" ne représente pas une issue pour le capital, que ce soit sur le plan écologique ou économique. Ses filières de production ne sont pas plus vertes ou moins polluantes. Le système capitaliste n'a pas la capacité de s'engager dans une "révolution verte". Les agissements de la classe dominante dans ce domaine aiguisent inévitablement une compétition économique destructrice et les rivalités impérialistes. L'émergence de nouveaux secteurs potentiellement rentables, comme la production de véhicules électriques, pourrait au mieux bénéficier à certaines parties des économies les plus fortes, mais compte tenu des limites des marchés solvables, et des problèmes croissants rencontrés par l’utilisation toujours plus massive de la création de monnaie et de l’endettement, ils ne pourront pas servir de locomotive à l'ensemble de l'économie.

L'"économie verte" constitue surtout un véhicule privilégié pour de puissantes mystifications idéologiques sur la possibilité de réformer le capitalisme et une arme de choix contre la classe ouvrière, justifiant les fermetures d'usines et les licenciements.

18.  En  raison des tensions impérialistes croissantes, tous les États augmentent leur effort militaire, tant en volume que sur la durée. La sphère militaire s'étend de plus en plus à de nouvelles  "zones de conflictualité", comme la cyber sécurité et la militarisation croissante de l'espace. Toutes les puissances nucléaires relancent discrètement leurs programmes atomiques. Tous les États modernisent et adaptent leurs forces armées.

Cette course folle aux armements, à laquelle chaque État est irrémédiablement condamné par les exigences de la concurrence inter-impérialiste, est d'autant plus irrationnelle que le poids croissant de l'économie de guerre et de la production d'armes absorbe une part considérable de la richesse nationale : cette masse gigantesque de dépenses militaires à l'échelle mondiale, même si elle constitue une source de profit pour les marchands d'armes, représente au plan du capital global, une stérilisation et une destruction du capital. Les investissements réalisés dans la production et la vente d'armes et d'équipements militaires ne constituent aucunement un point de départ ou la source de l'accumulation de nouveaux profits : une fois produites ou acquises, les armes ne peuvent plus servir qu’à semer la mort et la destruction ou à attendre d’être remplacées quand elles sont obsolètes. Complètement improductives, ces dépenses ont un "impact économique (...) désastreux pour le capital. Face à des déficits budgétaires déjà incontrôlables, l'augmentation massive des dépenses militaires, que la croissance des antagonismes inter-impérialistes rend nécessaire, est un fardeau économique qui ne fait qu'accélérer la descente du capitalisme dans l'abîme." ("Rapport sur la situation internationale", Revue internationale n° 35).

19. Après des décennies de dettes gigantesques, les injections massives de liquidités des derniers plans de soutien à l’économie surpassent de très loin le volume des interventions précédentes. Les milliards de dollars débloqués par les plans américains, européens et chinois ont porté la dette mondiale au niveau record de 365% du PIB mondial.

La dette, qui n'a cessé d'être utilisée par le capitalisme tout au long de sa période de décadence comme palliatif à la crise de surproduction, consiste à reporter les échéances dans le futur, au prix de convulsions toujours plus graves. Elle a atteint aujourd'hui des niveaux sans précédent. Depuis la Grande Dépression, la bourgeoisie a montré sa détermination à maintenir en vie son système de plus en plus menacé par la surproduction et l’étroitesse croissante des marchés par la sophistication de l’intervention de l’État en exerçant un contrôle général sur l’économie. Mais elle ne dispose d’aucun moyen pour s'attaquer aux causes réelles de la crise. Même s'il n'existe pas de limite fixe et prédéterminée à la fuite en avant dans l'endettement, un point à partir duquel cela deviendrait impossible, cette politique ne peut pas se poursuivre infiniment sans que l’accroissement de la dette ait de graves répercussions sur la stabilité du système, comme le montre le caractère de plus en plus fréquent et l’ampleur des crises de la dernière décennie mais également parce qu’une telle politique s’avère être, au moins depuis quatre décennies, de moins en moins efficace pour relancer l’économie mondiale. 

Non seulement le poids de la dette condamne le système capitaliste à des convulsions toujours plus dévastatrices (faillites d'entreprises et même d'États, crises financières et monétaires, etc.) mais aussi, en restreignant de plus en plus la capacité des États à tricher avec les lois du capitalisme, il ne peut qu'entraver leur capacité à relancer leurs économies nationales respectives.

La crise qui se déroule déjà depuis des décennies va devenir la plus grave de toute la période de décadence, et sa portée historique dépassera même la première crise de cette époque, celle qui a commencé en 1929. Après plus de 100 ans de décadence capitaliste, avec une économie ravagée par le secteur militaire, affaiblie par l'impact de la destruction de l'environnement, profondément altérée dans ses mécanismes de reproduction par la dette et la manipulation étatique, en proie à la pandémie, souffrant de plus en plus de tous les autres effets de la décomposition, il est illusoire de penser que dans ces conditions qu'il y aura une reprise quelque peu durable de l'économie mondiale.

20. En même temps, les révolutionnaires ne doivent pas être tentés de tomber dans une vision "catastrophiste" d'une économie mondiale au bord de l'effondrement final. La bourgeoisie continuera à se battre jusqu'à la mort pour la survie de son système, que ce soit par des moyens directement économiques (comme l'exploitation de ressources inexploitées et de nouveaux marchés potentiels, illustrés par le projet chinois de la Nouvelle route de la soie) ou politiques, surtout par la manipulation du crédit et les tricheries avec la loi de la valeur. Cela signifie qu'il peut toujours y avoir des phases de stabilisation entre des convulsions économiques ayant des conséquences de plus en plus profondes.

21. Le retour d'une sorte de "néo-keynésianisme" initié par les énormes engagements de dépenses de l'administration Biden et des initiatives pour l'augmentation de l'impôt sur les sociétés - bien que motivé aussi par la nécessité de maintenir la cohésion de la société bourgeoise tout comme par le besoin tout aussi pressant de faire face à l'aggravation des tensions impérialistes - montre la volonté de la classe dirigeante d'expérimenter différentes formes de gestion économique, notamment parce que les déficiences des politiques néo-libérales lancées dans les années Thatcher-Reagan ont été sévèrement mises en évidence par la crise pandémique. Toutefois, de tels changements de politique ne peuvent empêcher l'économie mondiale d'osciller entre le double danger de l'inflation et de la déflation, de nouvelles crises du crédit et des crises monétaires ouvrant toutes sur des récessions brutales.

22. La classe ouvrière paie un lourd tribut à la crise. D'abord parce qu'elle est la plus directement exposée à la pandémie et qu'elle est la principale victime de la propagation de l'infection, ensuite parce que le plongeon de l'économie déclenche les attaques les plus graves depuis la Grande Dépression, sur tous les plans de ses conditions de vie et de travail, même si tous ne seront pas affectés de la même manière.

La destruction d'emplois quatre fois plus importante en 2020 qu'en 2009, n'a pas encore révélé toute l'ampleur de l'augmentation considérable du chômage de masse qui s'annonce. Bien que les subventions publiques accordées dans certains pays aux chômeurs partiels visent à atténuer le choc social (aux États-Unis, par exemple, au cours de la première année de la pandémie, le revenu moyen des salariés, selon les statistiques officielles, a augmenté - pour la première fois, en période de récession, dans l'histoire du capitalisme), des millions d'emplois vont disparaître très prochainement...

L'augmentation exponentielle du travail précaire et la baisse générale des salaires entraîneront une augmentation gigantesque de la paupérisation, qui frappe déjà de nombreux travailleurs. Le nombre de victimes de la famine dans le monde a été multiplié par deux et la faim réapparaît dans les pays occidentaux. Pour ceux qui conservent un emploi, la charge de travail et le rythme d'exploitation vont s'aggraver.

La classe ouvrière ne peut rien attendre des efforts de la bourgeoisie pour "normaliser" la situation économique, si ce n'est des licenciements et des réductions de salaires, l’augmentation du stress et de l'angoisse, des augmentations drastiques, des mesures d'austérité à tous les niveaux, dans l'éducation comme dans les pensions de santé et les prestations sociales. En bref, nous assisterons à une dégradation des conditions de vie et de travail à un niveau qu'aucune des générations de l'après-Seconde Guerre mondiale n'a connu jusqu'à présent.

23) Puisque le mode de production capitaliste est entré dans sa décadence, la pression pour lutter contre ce déclin avec des mesures capitalistes d'État est croissante. Cependant, la tendance à renforcer les organes et les formes capitalistes étatiques est tout sauf un renforcement du capitalisme ; au contraire, ils expriment les contradictions croissantes sur le terrain économique et politique. Avec l'accélération de la décomposition dans le sillage de la pandémie, nous assistons également à une forte augmentation des mesures capitalistes d'État ; celles-ci ne sont pas l’expression d’un plus grand contrôle de l’État sur la société mais constituent plutôt l'expression des difficultés croissantes à organiser la société dans son ensemble et à empêcher sa tendance croissante à la fragmentation.

Les perspectives pour la lutte de classe

24. Le CCI a reconnu au début des années 90 que l'effondrement du bloc de l'Est et l'ouverture définitive de la phase de décomposition créeraient des difficultés croissantes pour le prolétariat : le manque de perspective politique, qui avait déjà été un élément central des difficultés du mouvement de la classe ouvrière dans les années 1980, serait sérieusement aggravé par les campagnes assourdissantes sur la mort du communisme ; lié à cela, le sentiment d'identité de classe du prolétariat serait sévèrement affaibli dans la nouvelle période, à la fois par les effets d'atomisation et de division de la décomposition sociale, et par les efforts conscients de la classe dominante pour exacerber ces effets à travers des campagnes idéologiques (la "fin de la classe ouvrière") et les changements "matériels" apportés par la politique de globalisation (éclatement des centres traditionnels de la lutte de classe, délocalisation des industries vers des régions du monde où la classe ouvrière n'a pas le même degré d'expérience historique, etc.).

25. Le CCI a eu tendance à sous-estimer la profondeur et la durée de ce recul de la lutte de classe, voyant souvent des signes que le reflux était sur le point d'être surmonté et que nous verrions à une échéance relativement brève de nouvelles vagues internationales de lutte comme dans la période après 1968. En 2003, sur la base de nouvelles luttes en France, en Autriche et ailleurs, le CCI a prédit un renouveau des luttes par une nouvelle génération de prolétaires qui avait été moins influencée par les campagnes anticommunistes et serait confrontée à un avenir de plus en plus incertain. Dans une large mesure, ces prédictions ont été confirmées par les événements de 2006-2007, notamment la lutte contre le CPE en France, et de 2010-2011, en particulier le mouvement des Indignés en Espagne. Ces mouvements ont montré des avancées importantes au niveau de la solidarité entre les générations, de l'auto-organisation par le biais d'assemblées, de la culture du débat, des préoccupations réelles quant à l'avenir qui attend la classe ouvrière et l'humanité dans son ensemble. En ce sens, ils ont montré le potentiel d'une unification des dimensions économiques et politiques de la lutte de classe. Cependant, il nous a fallu beaucoup de temps pour comprendre les immenses difficultés auxquelles était confrontée cette nouvelle génération, "élevée" dans les conditions de la décomposition, difficultés qui empêcheraient le prolétariat d'inverser le recul post-89 au cours de cette période.

26. Un élément clé de ces difficultés était l'érosion continue de l'identité de classe. Cela avait déjà été visible dans les luttes de 2010-11, en particulier dans le mouvement en Espagne : malgré les avancées importantes réalisées au niveau de la conscience et de l'organisation, la majorité des Indignés se voyait comme des "citoyens" plutôt que comme des membres d'une classe, ce qui la rendait vulnérable aux illusions démocratiques colportées par des groupes comme Democratia real Ya ! (le futur Podemos), et plus tard au poison du nationalisme catalan et espagnol. Au cours des années suivantes, le reflux qui s'est produit à la suite de ces mouvements a été approfondi par la montée rapide du populisme, qui a créé de nouvelles divisions au sein de la classe ouvrière internationale - des divisions exploitant les différences nationales et ethniques, alimentées par les attitudes pogromistes de la droite populiste, mais aussi des divisions politiques entre populisme et anti-populisme.  Partout dans le monde, la colère et le mécontentement grandissaient, fondés sur de graves privations matérielles et de réelles angoisses quant à l'avenir ; mais en l'absence d'une réponse prolétarienne, une grande partie de ce mécontentement a été canalisée dans des révoltes interclassistes telles que les Gilets Jaunes en France, dans des campagnes parcellaires sur un terrain bourgeois telles que les marches pour le climat, dans des mouvements pour la démocratie contre la dictature (Hong Kong, Biélorussie, Myanmar, etc.) ou dans l'enchevêtrement inextricable des politiques identitaires raciale et sexuelle qui servent à dissimuler davantage la question cruciale de l'identité de classe prolétarienne comme seule base pour une réponse authentique à la crise du mode de production capitaliste.  La prolifération de ces mouvements - qu'ils apparaissent comme des révoltes interclassistes ou des mobilisations ouvertement bourgeoises - a accru les difficultés déjà considérables non seulement pour la classe ouvrière dans son ensemble mais pour la Gauche communiste elle-même, pour les organisations qui ont la responsabilité de définir et de défendre le terrain de classe. Un exemple clair de cela a été l'incapacité des bordiguistes et de la TCI à reconnaître que la colère provoquée par le meurtre de George Floyd par la police en mai 2020 avait été immédiatement détournée vers des canaux bourgeois. Mais le CCI a également rencontré d'importants problèmes face à cet éventail de mouvements souvent déconcertants et, dans le cadre de son examen critique des 20 dernières années, il devra sérieusement examiner la nature et l'étendue des erreurs qu'il a commises au cours de la période allant du printemps arabe de 2011 à ces révoltes et mobilisations plus récentes, en passant par les manifestations dites aux bougies en Corée du Sud.

27. La pandémie en particulier a créé des difficultés considérables pour la classe ouvrière :

  • Alors que la crise Covid-19 perdure depuis près de deux ans avec son lourd impact sanitaire, social, politique et économique sur la plupart des Etats du monde, cela n'a en rien modéré leurs appétits impérialistes. La montée des tensions a été particulièrement marquée ces derniers mois par une nette exacerbation de l'opposition entre les Etats-Unis et la Chine, soulignée tout récemment par l'accord dit "Aukus" entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Australie, et visant explicitement la Chine.- Comme toujours, la bourgeoisie n'hésite pas à utiliser les effets de la décomposition contre la classe ouvrière. Si les confinements ont été principalement motivés par le fait que la bourgeoisie n'avait pas d'autre recours pour empêcher la propagation de la maladie, elle profitera certainement de la situation pour renforcer l'atomisation et l’exploitation de la classe ouvrière, notamment par le biais du nouveau modèle de "télétravail ". Cette nouvelle étape dans l'atomisation de la population active est source d'une souffrance psychologique croissante, notamment chez les jeunes (accroissant même les cas de suicides).
  • De même, la classe dirigeante a profité des conditions de la pandémie pour renforcer ses systèmes de surveillance de masse et pour introduire de nouvelles lois répressives limitant les protestations et les manifestations, ainsi qu'une violence policière de plus en plus manifeste contre toute expression de mécontentement social.
  • L'augmentation massive du chômage résultant du confinement ne sera pas, dans cette situation et à court terme, un facteur d'unification des luttes ouvrières mais aura plutôt tendance à renforcer encore l'atomisation.
  • Bien que le confinement ait provoqué un grand mécontentement social, lorsque celui-ci s'est exprimé ouvertement, comme en Espagne en février et en Allemagne en avril 2021, il a pris la forme de manifestations "pour la liberté individuelle" qui sont une impasse totale pour la classe ouvrière.
  • Plus généralement, la période de pandémie a vu une nouvelle recrudescence de la "politique identitaire", dans laquelle l'insatisfaction de l’existence dans le système actuel est fragmentée en un maelström d'identités qui s'affrontent, basées sur la race, le genre, la culture, etc. et qui constituent une menace majeure pour le rétablissement de la seule identité capable d'unifier et de libérer l'ensemble de l'humanité derrière elle : l'identité de classe prolétarienne. De plus, derrière ce chaos d'identités concurrentes pénétrant l'ensemble de la population, se cache la concurrence entre différentes factions bourgeoises de droite et de gauche, portant avec elle le danger d'entraîner la classe ouvrière dans de nouvelles formes de "lutte culturelle" réactionnaire et même de guerre civile violente.

28. Malgré les énormes problèmes auxquels le prolétariat est confronté, nous rejetons l'idée que la classe a déjà été vaincue à l'échelle mondiale, ou qu'elle est sur le point de subir une défaite comparable à celle de la période de contre-révolution, un genre de défaite dont le prolétariat ne serait peut-être plus capable de se remettre. Le prolétariat, en tant que classe exploitée, ne peut éviter de passer par l'école des défaites, mais la question centrale est de savoir si le prolétariat a déjà été tellement submergé par l'avancée implacable de la décomposition que son potentiel révolutionnaire a été effectivement sapé. Mesurer une telle défaite dans la phase de décomposition est une tâche bien plus complexe que dans la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale, lorsque le prolétariat s'était levé ouvertement contre le capitalisme et avait été écrasé par une série de défaites frontales, ou que dans la période qui a suivi 1968, lorsque le principal obstacle à la marche de la bourgeoisie vers une nouvelle guerre mondiale fut le renouveau de la lutte de classe par une nouvelle génération invaincue de prolétaires. Comme nous l'avons déjà rappelé, la phase de décomposition contient en effet le danger que le prolétariat échoue tout simplement à répondre et soit étouffé sur une longue période - une "mort par mille coups" plutôt qu'un affrontement de classe frontal. Néanmoins, nous affirmons qu'il y a encore suffisamment d'éléments qui montrent que, malgré les l’avancée incontestable de la décomposition, malgré le fait que le temps ne joue plus en faveur de la classe ouvrière, le potentiel d'une profonde renaissance prolétarienne - menant à une réunification entre les dimensions économiques et politiques de la lutte de classe - n'a pas disparu, comme en témoignent :

  • la persistance d'importants mouvements prolétariens qui sont apparus dans la phase de décomposition (2006-7, 2010-11, etc.) ;
  • Le fait que, juste avant la pandémie, nous avons vu une réapparition fragile de la lutte de classe (aux États-Unis en 2018, et surtout en France en 2019). Et même si cette dynamique a ensuite été largement bloquée par la pandémie et les confinements, nous avons vu, dans un certain nombre de pays, des mouvements de classe significatifs même pendant la pandémie, notamment autour des questions de sécurité, notamment sanitaire, au travail ;
  • Les signes, petits mais significatifs, d'une maturation souterraine de la conscience, se manifestant par une ébauche de réflexion globale sur la faillite du capitalisme et la nécessité d’une autre société dans certains mouvements (notamment les Indignés en 2011), mais aussi par l'émergence de jeunes éléments en recherche de positions de classe et se tournant vers l'héritage de la Gauche communiste ;
  • Plus important encore, la situation à laquelle la classe ouvrière est confrontée n'est pas la même que celle qui a suivi l'effondrement du bloc de l'Est et l'ouverture de la phase de décomposition en 1989. À cette époque, il était possible de présenter ces événements comme la preuve de la mort du communisme et de la victoire du capitalisme et le début d'un avenir radieux pour l'humanité. Trente ans de décomposition ont sérieusement ébranlé cette fraude idéologique d'un avenir meilleur, et la pandémie en particulier a mis à jour l'irresponsabilité et la négligence de tous les gouvernements capitalistes et la réalité d'une société déchirée par de profondes divisions économiques où nous ne sommes en aucun cas "tous dans le même bateau". Au contraire, la pandémie et le confinement ont eu tendance à révéler la condition de la classe ouvrière à la fois comme principale victime de la crise sanitaire mais aussi comme source de tout le travail et de toute la production matérielle et en particulier les biens de première nécessité. Cela peut être l'une des bases d'une future récupération de l'identité de classe. Et, avec la compréhension croissante que le capitalisme est un mode de production totalement obsolète, cela a déjà été un facteur dans l'apparition des minorités politisées dont la motivation a été avant tout de comprendre la situation dramatique à laquelle l'humanité est confrontée.
  • Enfin, à un niveau historique plus large, le capital mobilise de plus en plus de travailleurs dans le monde, le processus de prolétarisation et donc d'exploitation du travail vivant est ininterrompu. La classe ouvrière d'aujourd'hui est plus nombreuse et plus interconnectée que jamais, mais avec le progrès de la décomposition, l'atomisation sociale et l'isolement s'intensifient. Cela s'exprime également dans les difficultés de la classe ouvrière à faire l'expérience de sa propre identité de classe. Ce n'est que par ses luttes sur son propre terrain de classe que la classe ouvrière est capable de créer son pouvoir "associatif" qui exprime une anticipation du travail associé dans le communisme. Les travailleurs sont réunis par le capital dans le processus de production, le travail associé est réalisé sous la contrainte, mais le caractère révolutionnaire du prolétariat signifie le renversement dialectique de ces conditions dans une lutte collective. L'exploitation du travail commun est renversée dans la lutte contre l'exploitation et pour la libération du caractère social du travail, pour une société qui sait utiliser consciemment tout le potentiel du travail associé.

Ainsi, la lutte défensive de la classe ouvrière contient les germes des relations sociales qualitativement plus élevées qui sont le but final de la lutte de classe - ce que Marx appelait les "producteurs librement associés". Par l'association, par la réunion de toutes ses composantes, de toutes ses capacités et de toutes ses expériences, le prolétariat peut devenir puissant, il peut devenir le combattant toujours plus conscient et uni pour une humanité libérée et son signe avant-coureur.

29. Malgré la tendance du processus de décomposition à agir sur la crise économique, cette dernière reste l'"alliée du prolétariat" dans cette phase. Comme le disent les Thèses sur la décomposition :

 "l'aggravation inexorable de la crise du capitalisme, constitue le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société. En effet, autant le prolétariat ne peut trouver un terrain de rassemblement de classe dans des luttes partielles contre les effets de la décomposition, autant sa lutte contre les effets directs de la crise elle-même constitue la base du développement de sa force et de son unité de classe. Il en est ainsi notamment parce que:

- si les effets de la décomposition (par exemple la pollution, la drogue, l'insécurité, etc.) affectent de façon relativement indistincte toutes les couches de la société et constituent un terrain propice aux campagnes et mystifications a-classistes (écologie, mouvements antinucléaires, mobilisations antiracistes, etc.), les attaques économiques (baisse du salaire réel, licenciements, augmentation des cadences, etc.) résultant directement de la crise affectent de façon spécifique le prolétariat (c'est-à-dire la classe produisant la plus-value et s'affrontant au capital sur ce terrain);

- la crise économique, contrairement à la décomposition sociale qui concerne essentiellement les superstructures, est un phénomène qui affecte directement l'infrastructure de la société sur laquelle reposent ces superstructures; en ce sens, elle met à nu les causes ultimes de l'ensemble de la barbarie qui s'abat sur la société, permettant ainsi au prolétariat de prendre conscience de la nécessité de changer radicalement de système, et non de tenter d'en améliorer certains aspects." (Thèse 17)

30. Par conséquent, nous devons rejeter toute tendance à minimiser l'importance des luttes économiques "défensives" de la classe, ce qui est une expression typique de la conception moderniste qui ne voit la classe que comme une catégorie exploitée et non également comme une force historique, révolutionnaire. Il est bien sûr vrai que la lutte économique seule ne peut pas faire barrage à la décomposition : comme le disent les Thèses sur la décomposition, "Pour mettre fin à la menace que constitue la décomposition, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne suffisent plus: seule la révolution communiste peut venir à bout d'une telle menace." Mais c'est une erreur profonde de perdre de vue l'interaction constante et dialectique entre les aspects économiques et politiques de la lutte, comme Rosa Luxemburg l'a souligné dans son travail sur la grève de masse de 1905 ; et encore, dans le feu de la révolution allemande de 1918-19, lorsque la dimension "politique" était au grand jour, elle a insisté sur le fait que le prolétariat devait encore développer ses luttes économiques comme seule base pour s'organiser et s'unifier en tant que classe. Ce sera la combinaison du renouveau des luttes défensives sur un terrain de classe, se heurtant aux limites objectives de la société bourgeoise en décomposition, et fertilisée par l'intervention de la minorité révolutionnaire, qui permettra à la classe ouvrière de récupérer sa perspective révolutionnaire, d'avancer vers la politisation pleinement prolétarienne qui lui permettra de sortir l'humanité du cauchemar du capitalisme en décomposition.

31. Dans une première période, la redécouverte de l'identité et de la combativité de classe constituera une forme de résistance contre les effets corrosifs de la décomposition capitaliste - un rempart contre la fragmentation de la classe ouvrière et la division entre ses différentes parties. Sans le développement de la lutte de classe, des phénomènes tels que la destruction de l'environnement et la prolifération du chaos militaire tendent à renforcer le sentiment d'impuissance et le recours à de fausses solutions telles que l'écologisme et le pacifisme. Mais à un stade plus développé de la lutte, dans le contexte d'une situation révolutionnaire, la réalité de ces menaces pour la survie de l'espèce peut devenir un facteur de compréhension du fait que le capitalisme a effectivement atteint la phase terminale de son déclin et que la révolution est la seule issue possible. En particulier, les pulsions guerrières du capitalisme - surtout lorsqu'elles impliquent directement ou indirectement les grandes puissances - peuvent être un facteur important dans la politisation de la lutte de classe, car elles impliquent à la fois une augmentation très concrète de l'exploitation et du danger physique, mais aussi une confirmation supplémentaire que la société est confrontée au choix capital entre socialisme et barbarie. De facteurs de démobilisation et de désespoir, ces menaces peuvent renforcer la détermination du prolétariat à en finir avec ce système moribond.

  • "De même, dans toute la période qui vient, le prolétariat ne peut espérer utiliser à son bénéfice l'affaiblissement que provoque la décomposition au sein même de la bourgeoisie. Durant cette période, son objectif sera de résister aux effets nocifs de la décomposition en son propre sein en ne comptant que sur ses propres forces, sur sa capacité à se battre de façon collective et solidaire en défense de ses intérêts en tant que classe exploitée (même si la propagande des révolutionnaires doit en permanence souligner les dangers de la décomposition). C'est seulement dans la période prérévolutionnaire, quand le prolétariat sera à l'offensive, lorsqu'il engagera directement et ouvertement le combat pour sa propre perspective historique, qu'il pourra utiliser certains effets de la décomposition, notamment la décomposition de l'idéologie bourgeoise et celle des forces du pouvoir capitaliste, comme des points d'appui et qu'il sera capable de les retourner contre le capital." (Thèses sur la décomposition).

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Travaux du 24e congrès du CCI