Grèves au Royaume-Uni: Le retour de la combativité du prolétariat mondial

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« “Enough is enough”, “trop c’est trop”. Voilà le cri qui s’est propagé d’écho en écho, de grève en grève, ces dernières semaines au Royaume-Uni ». Cet extrait de notre tract diffusé fin août 2022 ne s’est pas démenti. Depuis lors, et malgré la pandémie, la guerre en Ukraine et le battage nationaliste après la mort de la reine, la classe ouvrière a poursuivi ses luttes durant l’hiver, refusant les licenciements, la précarité, la dégradation des conditions de travail et l’énorme accroissement du coût de la vie.

Un besoin d’unité dans les luttes

Cette longue vague de luttes, dans un pays où le prolétariat semblait fortement résigné depuis les années Thatcher, presque apathique, exprime une véritable rupture, un changement d’état d’esprit au sein de la classe ouvrière, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi au niveau international. Ces luttes montrent que face à l’approfondissement considérable de la crise, les exploités ne sont pas prêts à se laisser faire.

Après la chute des salaires de 20 % depuis 2010, 47 000 postes non pourvus et l’effondrement du système de soins britannique, les soignants n’avaient pas connu pareille mobilisation depuis plus d’un siècle. C’est dire l’immensité de la colère ! Mais, au-delà du secteur médical, avec une inflation à plus de 11 % et l’annonce d’un budget de rigueur par le gouvernement de Rishi Sunak, les grèves se sont succédé dans presque tous les secteurs ! Le secteur des transports (trains, bus, métro, aéroports) et celui de la santé, les postiers du Royal Mail, les fonctionnaires du département de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales, les employés d’Amazon, ceux des écoles en Écosse, les ouvriers du pétrole de la Mer du Nord et bien d’autres employés du privé et du public ont fait grève et sont, parfois, descendus par milliers dans les rues. Les mobilisations sont telles que le gouvernement cherche même à imposer un « service minimum » dans les « secteurs critiques » comme ceux du rail ou de la santé.

Après six mois de grèves soigneusement dispersées par les syndicats, la lassitude pourrait finalement gagner les rangs ouvriers. Aucun nouveau secteur important de la classe n’est, en effet, entré en lutte depuis que les infirmières et les ambulanciers ont débuté leur grève à la mi-décembre. Les cheminots et les postiers commencent à être épuisés et de plus en plus démoralisés par l’interminable série de grèves d’un ou deux jours. Mais il est encore trop tôt, à l’heure où nous écrivons ces lignes, pour déterminer avec certitude l’évolution des luttes. Les enseignants pourraient, en effet, entrer à leur tour en grève. Surtout, les manifestations contre la réforme des retraites en France pourraient donner un nouveau souffle aux revendications des ouvriers au Royaume-Uni.

Quoi qu’il en soit, parce qu’elles ont massivement ouvert la voie, cet été, et fait preuve d’une immense détermination, ces grèves sont l’expression la plus significative de la combativité retrouvée du prolétariat à l’échelle internationale. Face à l’ampleur sans précédent des attaques, la colère et la combativité n’ont, en effet, cessé de croître ces derniers mois, partout dans le monde, particulièrement en Europe :

– en Espagne, où les médecins et les pédiatres de la région de Madrid se sont mis en grève fin novembre, tout comme le secteur aérien et celui du ferroviaire en décembre.

– En Allemagne, où la flambée des prix fait craindre au patronat d’avoir à affronter les conséquences d’une crise énergétique sans précédent. Le vaste secteur de la métallurgie et de l’électro-industrie a ainsi connu plusieurs semaines de grèves au mois de novembre.

– En Italie, mi-octobre, grève du contrôle aérien s’ajoutant à celle des pilotes de la compagnie EasyJet. Le gouvernement a même interdit toute grève les jours de fête.

– Grève nationale en Belgique le 9  novembre et le 16 décembre.

– En Grèce, à Athènes, une manifestation a rassemblé des dizaines de milliers de salariés du privé scandant : « La cherté de la vie est insupportable ! ».

– En France, c’est une multiplicité de luttes et de grèves qui se sont succédé tout le long de l’automne dans les transports en commun et qui vont continuer les unes après les autres à la SNCF, à Air France… Grèves également dans les cantines scolaires. Tout en sachant que la réforme des retraites, que le gouvernement veut faire passer au plus vite, reste une potentielle bombe à retardement.

– Au Portugal, les ouvriers réclament un salaire minimum à 800 euros contre 705 actuellement. Le 18 novembre, c’est la fonction publique qui était en grève. Au mois de décembre, le secteur des transports s’est également mobilisé.

– Aux États-Unis, les élus de la Chambre des représentants sont intervenus pour débloquer un conflit social et éviter une grève du fret ferroviaire. Mais en ce début d’année 2023, 7 000  soignants dénonçant le manque d’effectifs sont entrés en grève dans deux grands hôpitaux privés de New York.

Partout, les ouvriers relèvent la tête et refusent de payer le prix de la crise, avec une volonté grandissante de lutter ensemble ; cela, même si le poids du corporatisme reste encore dominant et s’avère un frein puissant. Au Royaume-Uni, sur plusieurs piquets de grève, le sentiment d’être impliqué dans quelque chose de plus large que son entreprise, son administration, son secteur était cependant palpable, avec une atmosphère d’ouverture et des travailleurs se questionnant parfois sur la « tactique » des syndicats consistant à lancer des appels dispersés à la grève entre les différents secteurs. Les syndicats ont même été contraints de « durcir » leur discours pour coller aux aspirations des ouvriers, avec des appels hypocrites à « l’unité des luttes ». Ce besoin encore embryonnaire d’unité et de solidarité est un pas, certes minime, mais bien réel pour retrouver le chemin de l’identité de classe, c’est-à-dire la conscience que les travailleurs salariés de tous les secteurs, de toutes les nations, au chômage ou au travail, avec ou sans diplôme, en activité ou à la retraite, forment une seule et même classe, la classe ouvrière, seule à même de faire reculer la bourgeoisie et ses attaques.

Tandis que la bourgeoisie cogne, ses syndicats sabotent les luttes

La bourgeoisie ne craint rien de plus que la réponse unitaire et massive de la classe ouvrière. C’est la raison pour laquelle elle fait son possible pour enfermer les travailleurs dans leur corporation en exploitant leurs préjugés et la faiblesse de la conscience de classe, pour diviser les ouvriers entre catégories, boîtes, secteur public et secteur privé, entre jeunes et vieux, en pointant du doigt les « privilégiés », les « profiteurs »…

Pour effectuer ce sale travail de sape, elle s’appuie sur les syndicats, ces organes de la classe dominante chargés par l’État capitaliste de garder les luttes sous contrôle et de les saboter. De fait, malgré une énorme combativité, les luttes sont restées, pendant six mois, largement séparées les unes des autres. Chacun derrière son piquet et sa journée de mobilisation. Les syndicats ont évité d’appeler à des manifestations de grande envergure (à l’exception d’une en juin) pour empêcher les travailleurs de se rassembler. Le Communication Workers Union (CWU), syndicat des postes et télécommunications, est même allé jusqu’à appeler séparément à la grève les différentes parties du Royal Mail (les conducteurs de fourgons un jour, les postiers le lendemain, etc.) en prétendant faire ainsi pression sur la direction. En France, en 2018, la CGT avait également isolé les cheminots dans une « grève perlée » épuisante et joue sur la dispersion aujourd’hui.

Les syndicats britanniques n’ont d’ailleurs pas hésité à contrefaire les aspirations à l’unité dans des parodies de solidarité ouvrière. L’University and College Union a, par exemple, invité les dirigeants d’un certain nombre d’autres syndicats impliqués dans les grèves à prendre la parole lors d’un rassemblement. C’est le bon vieux coup de la « convergence des luttes », où les travailleurs sont bien saucissonnés, secteur par secteur, entreprise par entreprise, derrière les banderoles syndicales unies, sans discussion ni réflexion. On est loin de la solidarité active, de l’extension des luttes, des délégations massives et des assemblées souveraines dont a tant besoin le prolétariat pour étendre ses luttes.

Dans les années 1980, avec les mêmes recettes corporatistes, le gouvernement de Thatcher et les syndicats avaient porté un immense coup sur la tête à des ouvriers, pourtant très combatifs et massivement mobilisés. Pendant plus d’un an, les mineurs étaient restés enfermés dans les puits pour empêcher la sortie du charbon prétendument « stratégique », se retrouvant totalement isolés des autres secteurs du prolétariat. Cette défaite a marqué un tournant, celui du reflux de la combativité ouvrière au Royaume-Uni pendant plusieurs décennies. Elle annonçait même le reflux général de la combativité ouvrière au plan international.

Aujourd’hui, malgré son immense détermination, le prolétariat est confronté au même danger, celui de l’enfermement corporatiste que les syndicats n’ont cessé de faire peser, pendant six mois, sur chacune des grèves. Quels que soient les prétextes, les « tactiques » corporatistes des syndicats sont un piège destiné à détourner les ouvriers de leur seule force : la recherche de leur unité à travers l’extension massive et active des luttes ! La bourgeoisie fera toujours son possible pour empêcher une telle extension et la concrétisation d’une solidarité réelle, afin d’éviter que soient semés les germes pour que la classe ouvrière se reconnaisse comme telle, comme une force collective, internationale, capable de défendre ses propres intérêts de classe.

Stopio et EG, 14 janvier 2023

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Lutte de classe