Pourquoi le prolétariat est la classe révolutionnaire : Notes critiques sur l'article "Leçons de la lutte des ouvriers anglais" (Révolution Internationale no 9)

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Introduction

En complément de l'article sur l'histoire de la "tendance Bérard" paru dans la Revue Internationale n°169, nous republions une réponse développée par l'organisation, publiée pour la première fois dans Révolution Internationale n°9 (première série), mai-juin 1974. Ses principaux arguments contre la tendance embryonnaire à la "communisation" - leur rejet des luttes économiques de la classe ouvrière, de la dimension politique de la révolution prolétarienne, etc. - restent tout à fait valables.

les confusions sur le problème

"La classe ouvrière est la classe révolutionnaire de notre époque." Un siècle et demi après son énoncé par Marx, cette idée continue de provoquer des réactions analogues à celles que la découverte de Copernic au XV siècle (c’est la terre qui tourne autour du soleil et non l’inverse) devait produire parmi les contemporains du savant polonais.

En effet, dans la vision bourgeoise du monde, la classe ouvrière apparaît comme une simple catégorie économique, formée d’individus ignorants, manquant totalement d’ambitions générales, soucieux surtout d’assurer leur médiocre bien-être individuel (ou familial) et pour cela, divisés par la concurrence en une vaste somme d’atomes épars. Dans sa version "moderniste" et totalitaire, cette vision peut aller jusqu’à reconnaître dans le prolétariat une certaine capacité à s’unifier, du moins partiellement, pour exiger de ses maîtres quelques améliorations de sa condition d’esclave.

Mais que cette masse d'ignares soit capable de mettre en question l'esclavage lui-même, qu’elle soit une classe ayant une mission historique et pas la plus modeste : débarrasser définitivement l'humanité de sa dépendance totale à l'égard de l’économie, voilà une idée qui dépasse autant qu'elle irrite l'idéologue bourgeois.

Pour celui-ci, les idées révolutionnaires prolétariennes ne peuvent être que des rêveries utopiques d’intellectuels, de transfuges de la classe dominante, empêchés pour des raisons de divers ordres, de s’intégrer normalement dans la société, comme tout le monde. Quant aux surgissements révolutionnaires de la classe, phénomène rare mais indéniable, ils ne sont jamais pour la bourgeoisie et ses "penseurs" que le résultat de l’influence néfaste, extérieure au "monde du travail", de quelques agitateurs plus ou moins fanatiques, souvent "payés par l'étranger".

"La réalité est opaque", surtout pour les classes qui, ayant à justifier des privilèges injustifiables, ne peuvent l’analyser objectivement sans se dénoncer elles-mêmes. Mais dans une société déclassée, "l'idéologie dominante est celle de la classe dominante", et la cécité de la bourgeoisie ne peut pas ne pas atteindre, d’une façon ou d’une autre, l'ensemble de la société.

Le mouvement révolutionnaire lui-même dont la pensée se définit en opposition à l’idéologie de la classe dominante, n’échappe pas toujours à cette pression permanente et omniprésente.

Le projet révolutionnaire repose sur l’idée que les exploités du capital sont les seuls capables d'entreprendre et de mener à bout ce projet. Mais les vérifications éclatantes de ce postulat -les surgissements révolutionnaires du prolétariat- si bien ils ont marqué d'une empreinte profonde le déroulement de l'histoire du capitalisme, n'en sont pas moins demeurés des évènements exceptionnels. Les quelques moments de lutte ouvertement révolutionnaire du prolétariat sont noyés dans des décennies d'apathie et de calme social plus ou moins relatif. Or, en temps de tranquillité sociale, la nature révolutionnaire de la classe apparaît de façon aussi peu évidente, aussi peu vérifiable de façon immédiate que la théorie de Copernic.

C'est pourquoi, paradoxalement, le postulat de base de la pensée révolutionnaire a connu souvent et continue dans beaucoup de cas à connaître des difficultés plus ou moins grandes pour être saisi dans toute sa complexité par les révolutionnaires eux-mêmes. C'est en effet bien souvent à partir de l'incompréhension de ce qui fait la nature révolutionnaire de la classe ouvrière, et du processus à travers lequel cette nature est amenée à s'exprimer, que se sont maintenues au sein du mouvement révolutionnaire, les principales insuffisances et que s'est développée la plupart des déviations.

Ainsi, les premiers socialistes de Babeuf à Fourier en passant par St Simon et Owen ne parviennent pas à comprendre quelle est la force révolutionnaire capable de réaliser les projets communistes dont ils ont pourtant donné les premières formulations.

Dans la pensée des socialistes "pré-marxiste", l'avènement de la nouvelle société apparaît comme le résultat du développement de l'idée de JUSTICE ou d'EGALITE. Ils conçoivent encore le mouvement de l'histoire comme le produit des triomphes et des défaites des IDEES. Aussi, pour la réalisation de leurs projets révolutionnaires, on les voit faire appel soit à l'ENSEMBLE DE LA SOCIETE, sans distinctions de classes, soit à la CLASSE DOMINANTE, car elle leur apparaît être la seule à en détenir les moyens matériels nécessaires, soit à l'ENSEMBLE DES MISEREUX DE LA SOCIETE, sans égard à leur position spécifique au sein des rapports sociaux de production.

Il faut attendre Marx et les mouvements de 1848 (premiers surgissements du prolétariat en tant que classe autonome sur la scène de l'histoire) pour qu'il devienne clair que la seule force révolutionnaire capable d'entreprendre le projet socialiste ne peut être constituée que par une CLASSE, c'est à dire une partie de la société définie PAR SA POSITION SPECIFIQUE AU SEIN DES RAPPORTS DE PRODUCTION ; et que cette classe ne peut être autre que la CLASSE OUVRIERE.

A la conception d'une humanité agissant sous la conduite de ses idéaux éternels et inexplicables, Marx oppose celle des sociétés divisées en classes économiques, et évoluant sous la pression des luttes économiques qui les opposent :

  • "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes.
    De toutes les classes subsistant aujourd'hui en face de la bourgeoisie, le prolétariat seul forme une classe réellement révolutionnaire. Les autres dépérissent et s'éteignent devant la grande industrie, dont le prolétariat est le produit le plus propre".

Le prolétariat est une classe exploitée mais toutes les classes exploitées ne sont pas le prolétariat, ni des classes révolutionnaires.

Mais comment cette classe divisée en individus concurrents, soumise et impuissante devant le capital, peut-elle devenir une classe unifiée, organisée, consciente, et armée de la volonté de faire voler en éclats l'ancienne société ?

Marx répond :

  • "Le prolétariat passe par différentes phases de développement. Sa lutte contre la bourgeoisie commence avec son existence même". (Le Manifeste).
  • La grande industrie agglomère dans un endroit une foule de gens inconnus les uns aux autres. La concurrence les divisé d’intérêts. Mais le maintien du salaire, cet intérêt commun qu’ils ont contre leur maître les réunit dans une même pensée de résistance -coalition. Ainsi, la coalition a toujours un double but, celui de faire cesser entre eux la concurrence pour pouvoir faire une concurrence générale au capitaliste. Si le premier but de la résistance n’a été que le maintien des salaires, à mesure que les capitalistes’ à leur tour se réunissent dans une pensée de répression, les coalitions d’abord isolées, se forment en groupes, et en face du capital toujours réuni, le maintien de l’association devient plus important pour eux que celui du salaire. (...) Les conditions économiques avaient d’abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ain- si, cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, dont nous n’avons signalé que quelques phases, cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu’el- le défend deviennent des intérêts de classe. (...) L’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie est une lutte de classe à classe, lutte qui portée à sa plus haute expression, est une révolution totale". (Misère de la Philosophie).

Plusieurs points sont à dégager de cette vision :

1°) Contrairement aux élucubrations "innovatrices" de toutes sortes de philosophes et autres commentateurs de l’histoire, la "révolution totale" n’est pas le produit de "nouveaux" conflits historiques ("conflits de générations", "conflits de civilisation", etc.) La révolution socialiste n’est en fait que "la plus haute expression" du vieil antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie, qui divise depuis ses débuts la société capitaliste.

2°) Contrairement à ce que certains "marxistes" -nouveau style ont prétendu, il n’y a pas d’une part une classe exploitée, salariée, divisée et soumise au capital : la CLASSE OUVRIERE, et d’autre part, une classe révolutionnaire, consciente, unifiée, etc. : le PROLETARIAT. Prolétariat et classe ouvrière sont deux termes synonymes qui désignent une MEME CLASSE, un MEME ETRE SOCIAL.

3°) Le processus à travers lequel la classe, ouvrière s’élève à la hauteur de sa tâche historique n’est pas un processus distinct, EXTERIEUR à sa lutte économique quotidienne contre le capital. C’est au contraire dans ce conflit et à travers lui que la classe salariée forge les armes de son combat révolutionnaire.

On interprète souvent la fameuse phrase de Marx : "le prolétariat est révolutionnaire ou il n’est rien", dans le sens tant que le prolétariat ne lutte pas de façon révolutionnaire, il n’est rien. C’est en fait l’inverse qui se dégage de la conception marxiste. Parlant des "socialistes féodaux" dans le Manifeste Communiste, Marx écrivait :

  • "Ce qu’ils reprochent aux bourgeois, ce n’est pas tellement le simple fait d’avoir créé un prolétariat, mais de l’avoir créé révolutionnaire."

Le prolétariat est révolutionnaire DES sa naissance. Son être est incompréhensible en dehors de son être révolutionnaire. Toute conception qui décrit la classe ouvrière sans comprendre son essence révolutionnaire, toute vision qui s’arrête uniquement à l’apparence d’une classe divisée, soumise, intégrée au capital sans déceler ce qu’il y a en elle de REVOLUTIONNAIRE à chaque instant de son existence, est une conception qui ne décrit rien.

Aussi creuse est la vision inverse qui conçoit un prolétariat révolutionnaire distinct de la classe exploitée, séparé de la classe économique qui s'affronte en permanence au capital.

La difficulté du problème réside justement dans la compréhension de cette double nature du prolétariat : la spécificité historique du prolétariat est d'être la première classe de l'histoire à être simultanément CLASSE REVOLUTIONNAIRE et CLASSE EXPLOITEE. Dans ses luttes, c'est tantôt un aspect de la classe qui prime, tantôt l'autre. Mais jamais aucun de ces aspects ne DISPARAIT totalement au profit de l'autre.

L'incompréhension de cette double nature permanente des luttes de la classe ouvrière est à la source de deux erreurs symétriques, mais qui sont aussi contraires l'une que l'autre à la pensée révolutionnaire.

La première de ces déviations est celle qui consiste à ne comprendre les luttes prolétariennes que comme des luttes purement "économiques", purement salariales. Niant leur caractère de lutte contre le système, cette conception ne voit dans le combat du prolétariat que des luttes pour s'aménager une place dans le système. C'est cette déviation qui donne naissance à des courants comme l'ouvriérisme, certaines formes d'anarchisme, et surtout au réformisme. La formule de Bernstein, le grand théoricien du réformisme, résume assez bien le contenu de cette déformation : "Le mouvement est tout, le but n'est rien."

De son vivant, Marx dénonçait déjà ces déformations. Ainsi écrivait-il à propos des syndicats de son époque :

  • "Les syndicats agissent utilement comme centres de résistance aux empiètements du capital. Ils échouent en partie quand ils font un usage peu judicieux de leur puissance. Ils échouent entièrement, quand ils se livrent à une simple guérilla contre les effets du système actuel, au lieu d'essayer dans le même temps de le changer, au lieu de se faire un levier de toutes leurs forces organisées, pour l'émancipation finale de la classe ouvrière, c'est-à-dire pour abolir enfin le salariat." (Salaire, prix et profit)

La deuxième forme de déviation, symétrique de la première, part de la même incompréhension. Ne comprenant toujours pas ce qu'il y a de révolutionnaire dans les luttes immédiates de la classe ouvrière pour la défense de ses conditions de vie, cette vision les considère comme des luttes totalement intégrées au système, relevant de la propre logique de celui-ci, le marchandage et par conséquent, n'ayant aucune possibilité d'engendrer par elles-mêmes,(encore moins de porter en elles), les germes de luttes révolutionnaires contre le système.

La forme la plus grossière de cette pensée est celle définie par Proudhon. Celui-ci considère tout simplement que les grèves de tous genres sont néfastes pour les travailleurs, car elles les enferment dans leur situation de salariés, d'esclaves du capital. Il préconise en opposition, la formation de coopératives dans lesquelles les travailleurs lutteront d'emblée sur un autre terrain, le terrain révolutionnaire, en s'attachant dès le début à la réalisation des nouveaux rapports de production. Dans Misère de la Philosophie, Marx montre le caractère parfaitement réactionnaire de cette vision qui n'aboutit qu'à préconiser la même chose que les plus crapuleux des économistes du capital :

  • "Les économistes veulent que les ouvriers restent dans la société tel- le qu'elle est formée et telle qu' ils l'ont consignée et scellée dans leurs manuels. Les socialistes (à la Proudhon) veulent qu'ils laissent là la société ancienne, pour pouvoir mieux entrer dans la société nouvelle qu'ils leur ont préparée avec tant de prévoyance."

Marx dénonce dans les mêmes pages le "dédain transcendantal" qu'affichent ces mêmes "socialistes", "quand il s'agit de rendre un compte exact des grèves, des coalitions et des autres formes dans lesquelles les prolétaires effectuent devant nos yeux leur organisation comme classe."

Cette déviation qui pourrait être résumée par la formule inverse à celle qui synthétise la première : "Le but est tout, le mouvement n'est rien", a connu un regain certain -quoique sous des formes généralement moins grossières que celles de Proudhon- avec le mouvement étudiant, en particulier en Mai 68. L'expérience de la grève générale de Mai 68 qui vit 10 millions de travailleurs rester enfermés dans leurs usines, sans jamais parvenir à briser véritablement le carcan syndical, qui vit les syndicats développer avec succès la méfiance la plus totale envers toute idée de donner aux luttes un contenu EXPLICITEMENT révolutionnaire, développa dans le milieu étudiant révolté ce "dédain transcendantal" dont Marx parlait.

Ce dédain précipita les contestataires "déçus par le prolétariat" dans deux types d'aberrations contre-révolutionnaires. L'une consista à préconiser la construction de communautés où l'on pourrait commencer à bâtir un nouveau genre de rapports humains et matériels. Les utopistes pré-marxistes furent remis à la mode, et on se plongea dans les théories d'enfance du prolétariat, convaincu qu'on dépassait enfin les vieilleries de Marx. L'autre branche des déçus découvrit les pires morceaux du Lénine de "Que Faire ?" et conclut que si tout ce mouvement avait été si décevant, c'était uniquement parce qu'il n'y avait pas eu un parti léniniste bien solide, "capable d'encadrer les masses". Ils se jetèrent donc dans la "construction du parti révolutionnaire", prêts à tout faire, syndicalisme, parlementarisme, frontisme, nationalisme, etc., pour gagner la confiance de ces masses de moutons "trade-unionistes" qui, laissées à elles-mêmes, ne pouvaient que suivre docilement les bureaucraties staliniennes et réformistes.

Ainsi, lorsqu'après 50 ans de contre-révolution triomphante, la classe ouvrière surgit à nouveau sur la scène de l'histoire, pour annoncer une nouvelle vague révolutionnaire mondiale, les idées qui concernent sa nature révolutionnaire et le processus de la formation de sa volonté révolutionnaire, connaissent le plus grand mal à se dégager du poids de l'image d'un prolétariat apathique pendant cinq décennies et dont certains, tel Marcuse, avaient fini par se demander s'il existait encore.

Faire la critique des visions réformistes sans tomber dans les aberrations utopistes ; critiquer les utopies contestataires sans tomber dans un néo-syndicalisme ; affirmer la nécessité des luttes immédiates de la classe et de leur développement sans tomber dans la vision social-démocrate ; défendre l'idée que les luttes revendicatives du prolétariat ne peuvent plus aboutir, l'époque actuelle à des conquêtes réelles sans pour cela les négliger ou sous-estimer leur importance primordiale, BREF MONTRER QUE LE BUT ET LE MOUVEMENT SONT, POUR LE PROLETARIAT, INDISSOLUBLEMENT LIES TOUT AU LONG DE SA LUTTE HISTORIQUE, telle est la tâche à laquelle se trouvent confrontés aujourd'hui les révolutionnaires.

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L'article : "Leçons de la lutte des ouvriers anglais", paru dans le n°8 de Révolution Internationale s'est attaqué, dans sa dernière partie, à cette tâche. Malheureusement, le but n'est pas atteint : dès le départ, le problème est mal posé, et, en conséquence, les réponses ne peuvent aboutir qu'à des aberrations, ou, au mieux, à des tautologies.

En effet, la question du processus révolutionnaire est abordée ainsi : COMMENT la classe passe-t-elle des luttes revendicatives aux luttes révolutionnaires, et suppose d'avance qu'il y a, entre ces deux types de lutte, une NEGATION des premières au profit des secondes.

  • "Il n'y a pas d’"acquis révolutionnaires" dans la société capitalisme. Il n'y a pas de petits embryons de révolution dans chaque lutte, qui grandiraient, fusionneraient jusqu'au moment où la classe serait assez puissante pour faire la révolution. De même que la classe révolutionnaire est la NEGATION EN MOUVEMENT de la CLASSE-POUR-LE-CAPITAL, de même la lutte révolutionnaire est la négation de la lutte revendicative. Les luttes revendicatives ne deviennent pas révolutionnaires ; c'est la classe qui, EN DEPASSANT ET EN NIANT SA LUTTE IMMEDIATE, devient révolutionnaire". (R.I. n°8, page 8 ; majuscules : souligné par nous.)

Étant donné qu'il n'y a jamais eu de lutte révolutionnaire du prolétariat qui n'ait été en même temps lutte REVENDICATIVE, l'auteur de l'article se trouve d'emblée contraint d'abandonner toute référence à l'expérience historique du prolétariat : "Il n'y a pas d'acquis révolutionnaires dans la société capitaliste".

Du fait de ces postulats, toute référence à la pratique concrète de la classe devient impossible. Voyons comment est alors expliqué le processus révolutionnaire :

  • "Les travailleurs tentent de lutter en tant que classe-pour-le-capital (par catégories, usines, branches, de façon concurrente à l'image de la concurrence capitaliste, pour négocier le prix de la force de travail). Mais leur rapport au capital (leur division, leur soumission, leur acceptation de n'être que du travail salarié) entre en contradiction avec leur propre mouvement et devient intenable. C'est alors que la classe doit commencer à se poser comme négation de son rapport avec le capital, donc non plus comme une catégorie économique, mais comme CLASSE- POUR-SOI. Elle brise alors les divisions qui sont propres à son état antérieur et se présente non plus comme somme de travailleurs salariés mais comme un mouvement d'affirmation autonome, c'est-à-dire de négation de ce qu'elle était auparavant. Ce n'est pas le travail salarié qui s'affronte alors au capital, mais le travail salarié en train de devenir autre chose, de se dissoudre. L'affirmation du prolétariat n'est que ce mouvement de négation." (R.I. n°8, page 7).

Le lecteur se trouve dès lors plongé dans un fatras philosophique, d'autant plus abstrait et confus qu'il se refuse toute référence concrète à la pratique. "Négation en mouvement", "mouvement de négation", "se poser comme négation", "mouvement d'affirmation autonome", "classe-pour-le-capital", "classe-pour-soi", "le travail salarié en train de devenir autre chose", tels sont les termes qui servent à décrire le PROCESSUS REVOLUTIONNAIRE ! Devant tout ce langage aussi obscur que prétentieux, comment ne pas rappeler ces mots de Rosa Luxemburg :

  • "Quiconque" pense clairement et maîtrise lui-même à fond ce dont il parle, s'exprime clairement et de manière compréhensible. Quiconque s'exprime de façon obscure et prétentieuse, alors qu'il ne s'agit ni de pures idées philosophiques, ni des élucubrations de la mystique religieuse, montre seulement qu'il ne voit pas clair lui-même ou qu'il a de bonnes raisons pour éviter la clarté". (Introduction à l'économie politique, 10/18, page 29)

Mais puisque c'est ce langage qui nous est offert, nous tenterons, avec toute la patience nécessaire, d'en déceler le contenu.

Commençons donc par le point qui apparaît le plus fondamental et le plus clair dans les termes, les luttes revendicatives et les luttes révolutionnaires.

luttes revendicatives et luttes révolutionnaires

Revendiquer, c'est demander, exiger son dû. Une lutte est revendicative dans la mesure où son but est donc de demander, d'exiger de quelqu'un quelque chose. Elle implique par conséquent la reconnaissance du pouvoir de celui qui est en mesure de répondre à ses demandes, ses exigences.

Une lutte révolutionnaire par contre, s'attache à bouleverser, à détruire un état de choses, un pouvoir. Dans ce cas, loin de reconnaître un pouvoir à quiconque, on met en question ce pouvoir lui-même.

Il y a, par conséquent, quelque chose de profondément différent entre ces deux types de lutte, un changement qualitatif dans le contenu d'une lutte qui cesse d'être revendicative pour devenir révolutionnaire. Rien ne semble alors plus naturel, au niveau de la logique simpliste des syllogismes, que d'affirmer : les luttes révolutionnaires sont donc une négation des luttes revendicatives. On ne peut tout de même pas mettre en question en même temps le pouvoir de quelqu'un et en même temps, accepter de revendiquer quelque chose de lui, puisque cette dernière attitude implique, par définition, la reconnaissance de ce pouvoir.

Le seul problème, c'est que l'histoire du mouvement ouvrier refuse obstinément de se plier à une telle logique simpliste. L'histoire des luttes révolutionnaires du prolétariat est celle de ses luttes revendicatives. Bien des luttes revendicatives n'ont été révolutionnaires que potentiellement, mais il n'y a pas une lutte révolutionnaire qui n'ait été SIMULTANEMENT une lutte revendicative.

LES LUTTES REVENDICATIVES SONT TOUJOURS POTENTIELLEMENT DES LUTTES REVOLUTIONNAIRES.

Nous l’avons montré, pour le marxisme, il n'y a pas de lutte prolétarienne qui Soit purement économique, purement revendicative. Même dans la plus petite grève prolétarienne, il y a POTENTIELLEMENT une lutte politique, révolutionnaire. Qu'une grève se heurte à une résistance trop forte du patronat local, qu'elle soit contrainte d'affronter l'appareil de répression de l'État, sous une forme ou sous une autre, et elle se transforme en une contestation du pouvoir. Elle prend un caractère de lutte révolutionnaire. Si les éclats révolutionnaires du prolétariat ont si souvent surpris l'ensemble de la société, les révolutionnaires y compris, c'est justement parce que leur origine réside, la plupart du temps, dans des grèves, des luttes économiques qu'on avait crues parfaitement conformistes et intégrées à la légalité.

Cette potentialité révolutionnaire des luttes revendicatives de la classe existe déjà dans la phase ascendante du capitalisme. Alors même que le capital connaît sa grande phase de richesse et d'expansion, a- lors même qu'il peut se permettre d'accorder des réformes et des améliorations réelles à la classe ouvrière, sans que pour cela son économie soit ébranlée, les "débordements" révolutionnaires des luttes revendicatives marquent régulièrement les rues des villes industrielles du sang des ouvriers et des soldats du capital.

Lorsque le capital entre dans sa phase de décadence, scellant dans l'inflation et les cadences infernales la fin du réformisme, cette potentialité ne peut que se trouver renforcée. (D'où la création par le capital d'un appareil permanent d'encadrement de la classe ouvrière au service, de l'État : les syndicats ; et la multiplication d'une nouvelle forme de débordements révolutionnaires : les grèves sauvages).

Plus le capitalisme s'enfonce dans sa décadence, et plus la phrase de Lénine devient actuelle :"Derrière toute grève se dresse l'hydre de la révolution".

LES LUTTES REVOLUTIONNAIRES SONT DES LUTTES REVENDICATIVES.

  • Si la plupart des luttes du prolétariat n'a pas pu dépasser le cadre purement revendicatif, si elles n'ont été révolutionnaires que potentiellement, on ne trouvera, par contre, dans le mouvement ouvrier, pas une seule lutte révolutionnaire prolétarienne qui n'ait été simultanément revendicative. Et comment pourrait-il en être autrement, puisqu'il s'agit de la lutte révolutionnaire d'une classe, donc d'un ensemble d'hommes ECONOMIQUEMENT DETERMINES, UNIS PAR LEUR SITUATION MATERIELLE COMMUNE ?

Il suffit de constater que les principaux mouvements révolutionnaires prolétariens ont été provoqués par la misère et le désespoir engendrés par des défaites militaires pour comprendre à quel point les luttes révolutionnaires, loin d'être conditionnées par la NEGATION des luttes revendicatives, sont au contraire LA FORME LA PLUS AIGUE, "LA PLUS HAUTE EXPRESSION" des luttes revendicatives.

La comparaison du mouvement révolutionnaire de 1917 en Russie avec celui du prolétariat allemand en 1918-19, est éloquente à cet égard. Dans les deux cas, le prolétariat se lance dans des luttes révolutionnaires poussé par la misère économique et sociale que provoquent les défaites militaires. Dans les deux cas, le mouvement s'unifie et se renforce à travers la lutte pour une REVENDICATION : la paix. Certes, une telle revendication, du fait de son caractère général possède toutes les qualités pour porter immédiatement la lutte sur un terrain révolutionnaire. Mais en elle-même, elle est tout aussi REVENDICATIVE qu'une lutte pour des augmentations de salaires. Comme toute lutte revendicative, elle implique la reconnaissance du pouvoir de qui on exige une réponse. La bourgeoisie russe ne l'accorde pas : le prolétariat russe sera contraint, pour l'obtenir, de pousser son combat jusqu'à la destruction de l'État. Mais en Allemagne, le capital signe la paix sous la menace d'une effervescence révolutionnaire qui gagne tout le pays, et le mouvement révolutionnaire s'en ressent immédiatement.

En privant le mouvement de sa principale REVENDICATION, la bourgeoisie le prive de sa plus grande force UNIFICATRICE. Deux mois plus tard, elle peut le provoquer froidement dans un combat mortel, sûre de sa victoire. C'est le massacre de la Commune de Berlin en Janvier 1919. La classe ne parvient plus à retrouver son unité. Toute une partie du prolétariat n’a plus qu’un souci en rentrant du front : jouir de la paix. Les corps francs de Noske pourront massacrer les travailleurs combatifs, ville par ville, sans se heurter à une véritable résistance unitaire.

Ceux qui parlent pompeusement des luttes révolutionnaires du prolétariat, sans comprendre ce qu’il y a de fondamentalement et inévitablement revendicatif en elles ne savent pas de quoi ils parlent.

Prenons encore un exemple concret : les luttes des ouvriers polonais, en décembre 1970, dans les chantiers de la Baltique. La lutte est déclenchée par les mesures de hausse des prix décidées par le gouvernement de Gomulka. Elle part donc d’une base "on ne peut plus" revendicative, et concerne bel et bien la classe ouvrière comme travail salarié ; il s’agit de réagir contre une baisse de la valeur que paie le capital polonais pour la force de travail des ouvriers. Au cours de la lutte, les ouvriers sont amenés à affronter directement dans un combat sanglant les milices du gouvernement, ils mettent le feu au local du parti gouvernemental, ils s’organisent en conseils au sein de l’usine et tentent par tous les moyens de généraliser le mouvement. Simultanément, on s'apprête à négocier avec les insurgés, et Gierek viendra le faire personnellement. S’agit-il d’une lutte révolutionnaire (on affronte l’État en tentant de généraliser le mouvement) ou d’une lutte revendicative (on négocie avec le capital le prix de la marchandise, force de travail) ? Les ouvriers polonais ont-ils "nié" leur lutte revendicative pour s’attaquer à l’État, ou bien se sont-ils attaqués à l'État parce que leur lutte revendicative les y amenait naturellement ?

La réponse est la même que pour toutes les luttes révolutionnaires du prolétariat : c'est une lutte qui est SIMULTANEMENT revendicative et révolutionnaire. L’action revendicative, de résistance vis-à-vis de l’exploitation du capital est le soutien et le moteur de l’action révolutionnaire que la classe entreprend. Ce qui distingue Gdansk d’une grève locale, sans affrontement violent avec l’État, ce n’est pas qu’ elle ait cessé d’être revendicative, ni d’être l’œuvre des travailleurs salariés du capital, ni qu’elle ait commencé à transformer effectivement les rapports de production capitalistes en de nouveaux rapports. Le "travail salarié" n’est pas "en train de se dissoudre" dans la négociation avec Gierek. Ce qui fait la spécificité de la lutte de Gdansk, c’est qu’elle a été amenée à avoir recours à des moyens de lutte POLITIQUES beaucoup plus importants que ceux qu’utilise une grève isolée qui n’affronte l’État que sous la forme d’un ou deux flics chargés d’empêcher la formation de piquets de grève, ou encore sous la forme d’un syndicat qui boycotte la lutte.

Plus une lutte revendicative est contrainte d’utiliser des moyens politiques de lutte et plus elle prend un caractère de lutte révolutionnaire. Mais elle ne perd pas pour autant son caractère de lutte revendicative.

On peut encore poser la question suivante : au lendemain de la prise du pouvoir par le prolétariat, lorsque le pouvoir politique du capital est détruit, peut-on encore parler de luttes revendicatives ? Les luttes que le prolétariat doit mener au cours de la période de sa dictature ne sont-elles pas des luttes purement révolutionnaires ?

L’histoire de la révolution russe (seul exemple de prise de pouvoir par le prolétariat dont nous disposons) montre qu’après octobre 1917, il y a encore des grèves ouvrières, même au cours de l’année 1917» Elle montre aussi que l’action révolutionnaire du prolétariat russe après la prise du pouvoir est loin de perdre toutes ses motivations économiques et revendicatives. Nous montrerons dans la partie consacrée à la "dissolution du travail salarié" qu’il ne s’agit nullement, dans le cas russe, d’un phénomène exceptionnel lié à la particularité de l’exemple historique.

Tant que le prolétariat existe comme classe, sa lutte révolutionnaire garde inévitablement un caractère de lutte économique revendicative.

On peut discuter sur la rapidité et les mécanismes avec lesquels ce caractère sera appelé à disparaître au fur et à mesure que s’étendra sur la planète la dictature du prolétariat. Mais ignorer ou nier l’importance et la permanence du caractère revendicatif des luttes révolutionnaires prolétariennes qui aboutissent à la prise du pouvoir, comme le fait Hembé dans son article, c’est s'interdire d'avance toute compréhension du processus révolutionnaire.

classe en soi - classe pour soi

Le corollaire de l’idée selon laquelle le développement des luttes révolutionnaires présuppose la négation des luttes revendicatives, est que la classe ouvrière doit, pour se hisser à sa tâche révolutionnaire, "commencer par se poser comme négation de son rapport avec le capital, donc non plus comme catégorie économique, mais comme CLASSE-POUR-SOI".

L'idée que la classe ouvrière doit "se poser comme négation de son rapport avec le capital" pour pouvoir entreprendre la lutte révolutionnaire, peut être interprétée de deux façons selon le niveau auquel on raisonne. Dans un cas, elle correspond à une tautologie, dans l'autre à une aberration.

En effet, si nous raisonnons au niveau de la volonté, du désir conscient des ouvriers en lutte, on aboutit à la lapalissade suivante : pour que les travailleurs pensent en révolutionnaires, c'est-à-dire pour qu'ils désirent consciemment la destruction du pouvoir du capital et donc du rapport d'exploitation qui les lie au capital, il faut qu'ils désirent consciemment la négation de leur rapport avec le capital.

Ce n'est évidemment pas faux, mais cela ne nous éclaircit guère quant au processus concret à travers lequel se forge cette volonté et cette conscience révolutionnaires !

Si nous raisonnons au niveau de la réalité concrète des luttes ouvrières, nous débouchons alors sur l'aberration suivante : pour que la classe ouvrière puisse lutter contre le capital, il faut d’abord qu’elle se nie comme classe ouvrière ; ou bien, en d’autres termes, pour que la classe existe face au capital, afin de le combattre de façon révolutionnaire, il faut qu’elle commence par disparaître.

Ceci peut apparaître comme une interprétation "forcée” du texte et quelque peu "tirée par les cheveux", mais c’est pourtant bel et bien ce qui en ressort le plus nettement. On nous explique en effet bien clairement que lorsque la classe s’affronte au capital, elle "ne se pose pas comme catégorie économique", elle ne se présente plus comme une "somme de travailleurs salariés". Or, qu'est-ce qu'une classe, si ce n'est une "catégorie économique" déterminée ; et qu'est-ce-que la classe ouvrière si ce n'est "une somme de travailleurs salariés" ? Est-ce-que le fait de désirer consciemment la fin du travail salarié fait apparaître d'emblée la classe ouvrière en tant que somme de travailleurs salariés ? L’abolition du salariat se résumerait-elle à une affaire d'"auto-suggestion" des travailleurs ?

Si dans sa lutte contre l'État capitaliste, la classe ouvrière ne se présente pas comme une somme de travailleurs salariés, exploités par le capital, comment peut-elle donc bien "se présenter" ? Hembé répond : "elle se pose comme CLASSE-POUR- SOI", "elle se présente comme un mouvement d’affirmation autonome, c'est-à-dire de négation de ce qu'elle était auparavant". Qu'est-ce donc que ce "mouvement d'affirmation autonome", autonome par rapport à quoi ? Par rapport au capital ? Mais le capital peut-il exister en dehors et indépendamment du salariat, de l'exploitation ? Si le capital existe, le salariat demeure, et la classe exploitée est une classe salariée. De même que le capital en tant que rapport social ne peut être défini en dehors de la classe ouvrière, de même la classe ouvrière ne peut s'affirmer si ce n'est en OPPOSITION, en LUTTE CONTRE le capital. Parler d'"affirmation autonome de la classe", c'est se contredire dans les termes. Une classe est une PARITE DE LA SOCIETE. Son affirmation ne peut donc se faire que par rapport À UNE AUTRE PARTIE DE LA SOCIETE. Et comme nous le verrons, dans le meilleur des cas, cette AUTRE PARTIE ne DISPARAIT PAS, mais se confond avec le RESTE DE LA SOCIETE.

Mais peut-être pourrions-nous déceler quelque chose de plus sérieux et de plus réel dans l'autre affirmation qui nous est proposée : la classe ouvrière "se pose comme classe-pour-soi" ?

Mais ici encore on joue avec les mots, car, pour les marxistes et contrairement à ce que l'on prétend dans l'article, le concept de "CLASSE-POUR-SOI" ne correspond en rien à une "négation" de la "classe-en-soi", de la classe en tant que "catégorie économique", de la "classe vis-à-vis du capital" .

Rappelons donc d'abord le sens que donne Marx aux termes de "classe vis-à-vis du capital" et de "classe-pour-soi". Telle qu'il la définit, la classe ouvrière est au départ "une foule de gens inconnus les uns aux autres", une masse de personnes "divisées d'intérêts par la concurrence". La seule chose que toute cette masse de travailleurs indifférents les uns aux autres a de commun, c'est le fait qu'ils sont tous sous la domination directe du capital à travers le salariat. Les individus qui constituent cette classe n'ont pas, en tant que tels, encore conscience d'appartenir à cette même classe, ayant des intérêts propres : la classe n'existe pas encore pour elle-même, mais elle existe cependant en-soi, vis-à-vis du capital. En effet, pour le capital qui crée des quartiers ouvriers, des services sociaux pour ouvriers ou des appareils de répression "ad hoc", cette classe existe déjà bel et bien :

  • "La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi, cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même".

La classe qui commence à exister "pour-soi", pour elle-même, n'est rien d'autre que cette même classe prenant conscience de son existence, des intérêts communs qui la caractérisent face au reste de la société et d'abord face au capital. Cette conscience n'est pas le fruit d'une inspiration divine, ni de la toute-puissance d'un parti politique éclairé, mais des LUTTES qu'elle est contrainte de mener contre le capital pour ses conditions matérielles de subsistance :

  • "Dans la lutte,(...), cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu'elle défend deviennent des intérêts de classe".

La classe qui existe "pour-soi", loin d'être une classe qui "se nie" en tant que classe existant "vis-à-vis du capital" ou en tant que "catégorie économique", est bien au contraire une classe économique en train de prendre conscience de son existence comme telle. Elle ne nie pas sa nature de classe économique face au capital, elle l'assume.

Le fait que la lutte révolutionnaire de cette classe, devenue consciente de ses intérêts historiques face au capital aboutisse inévitablement à la destruction du capital lui-même, à la dissolution de toutes les classes, et par là-même à sa propre dissolution, N'IMPLIQUE EN RIEN qu'elle doive se nier pour pouvoir s'affronter au capital, au contraire. Sa dissolution comme classe n'est pas le point de départ de sa lutte, mais son aboutissement, le résultat final.

Comme nous le verrons plus loin, concrètement, si le prolétariat est amené à disparaître comme classe, ce n'est pas parce qu'il se "nie" face aux autres classes, mais au contraire parce qu'IL S'AFFIRME de telle façon qu'il est contraint de GENERALISER SA CONDITION ECONOMIQUE A TOUTE LA SOCIETE.

00O00

Qu'on ne vienne pas nous dire que notre référence à Marx pour définir la "classe-pour-soi" est inappropriée aux problèmes du mouvement ouvrier de notre époque (de par l'impossibilité du réformisme, l'impossibilité pour le prolétariat de se donner des organisations de lutte économique PERMANENTES)

Il est vrai que le mouvement ouvrier que Marx a sous les yeux a encore la possibilité de mener à bien des luttes réformistes, de former des organisations économiques permanentes au sein de la société capitaliste. Il est vrai qu'au cours de cette période historique, la classe ouvrière a la possibilité d’exister pour elle-même à travers ses syndicats, ses partis politiques, sans pour cela être contrainte d’affronter immédiatement l’État capitaliste dans un combat révolutionnaire : le capital est suffisamment riche, et les marchés suffisamment nombreux pour son expansion, pour que le système puisse permettre cet aménagement des conditions de vie de la classe ouvrière.

Il est tout aussi vrai que ces conditions disparaissent en période de déclin du capitalisme. Les ouvriers ne peuvent plus prendre conscience de leur existence comme classe qu’AU COURS DES LUTTES ELLES-MEMES. (Surgissement de la classe pour elle-même). Le prolétariat ne peut plus se donner d’organisations économiques ou de partis politiques de façon PERMANENTE au sein de la société : toute organisation ouvrière unitaire qui tente de le faire est contrainte soit de se transformer en soviet révolutionnaire -ce qui n'est possible qu’en période révolutionnaire-, soit de se laisser happer par l’État capitaliste et intégrer par lui.

Dans la période de décadence capitaliste, les syndicats sont devenus des organes de l’État au sein de la classe ouvrière. Leur tâche n’est pas -comme le prétendent tous les gouvernements du monde- d’organiser la classe en tant que catégorie économique, mais d’EMPECHER QUE DE TELLES ORGANISATIONS NE SURGISSENT. L’idée que les syndicats organisent la classe ouvrière à notre époque n’a un sens que du point de vue du capital. Ils organisent les travailleurs tout comme les kapos organisaient les prisonniers au sein des camps de concentration allemands. Du point de vue de l’individu ouvrier, ils peuvent, au mieux, constituer un intermédiaire au service du patron, tout comme la "psychologue” ou l’assistante sociale de l’usine. Du point de vue des travailleurs en tant que classe, ils ne sont que le premier détachement de l’armée du capital qu’ils doivent affronter à chaque occasion de lutte. C’est pourquoi depuis plus d’un-demi-siècle, la classe tend, dans toute lutte, aussi "économique et revendicative" qu’elle paraisse, à se donner une forme d’organisation sporadique, momentanée, viable uniquement pour la durée des combats : les comités de grève en dehors des syndicats.

Ce qui découle de tous ces changements, ce n'est ni l'invalidité de la définition de Marx de ce qu’est la "classe-pour-soi" et de comment elle se forge, ni non plus "l’impossibilité des luttes économiques."

Ce qui change, c’est que la classe ouvrière ne peut plus exister comme classe- POUR-SOI de façon permanente au sein du capitalisme : c’est qu’elle ne peut plus s’affirmer comme classe que de façon ponctuelle, au cours de ses luttes ouvertes. Le chemin que doit prendre la classe pour parvenir à la conscience d’elle-même demeure cependant le même qu’au XIXè siècle : c’est celui de SES LUTTES.

Le fait que ces luttes soient contraintes, dans la nouvelle situation du capital, de se transformer beaucoup plus vite en luttes révolutionnaires, parce que le capital ne peut plus accorder de véritables réformes économiques, ne leur ôte pas pour autant leur fondement de luttes économiques. Tant qu’existeront classe ouvrière et capital, les luttes économiques du prolétariat existeront aussi. Ce qui a changé à ce niveau, c’est que ces luttes économiques sont moins que jamais de pures luttes économiques, que leur nature révolutionnaire est obligée de surgir beaucoup plus rapidement qu’au siècle dernier et qu’elles sont par conséquent devenues beaucoup plus difficiles. C’est ce qui explique aussi bien leur tendance à prendre de plus en plus l’aspect d’explosions violentes et soudaines, que les longues périodes d’apathie et d’hésitation qui les suivent et les préparent.

Aujourd’hui, comme au temps de Marx, la classe révolutionnaire, la classe qui existe pour elle-même, n’est pas une classe distincte de la classe-en-soi, de la classe économique. Aujourd'hui comme hier, la classe historiquement révolutionnaire n’est autre que la classe salariée qui subit et affronte le capital sous nos yeux tous les jours.

la dissolution du travail salarié

Toujours dans le but d’expliquer comment la classe ouvrière sera amenée à affronter le capital, le camarade Hembé écrit :

  • "Ce n’est pas le travail salarié qui s’affronte alors au capital, mais LE TRAVAIL SALARIE EN TRAIN DE DEVE- NIR AUTRE CHOSE, DE SE DISSOUDRE. L'affirmation du prolétariat n'est que ce mouvement de négation".

Comment le travail salarié peut-il "se dissoudre" avant que le capital n'ait été détruit ? Comment le capital peut-il être détruit avant que le prolétariat n'ait pris le pouvoir politique, et donc le contrôle de tout l'appareil économique, au niveau mondial, ou du moins d'un certain nombre de pays développés ? En mettant de cette façon la charrue avant les bœufs, on aboutit soit à l'idée de la possibilité du socialisme en un seul pays (ou du moins du début du socialisme), soit à l'idée qu'il peut y avoir des transformations économiques COMMUNISTES effectives AU SEIN DE LA SOCIETE CAPITALISTE, avant même que l'État bourgeois n'ait été détruit. C'est-à-dire deux aberrations réactionnaires !

Les révolutions bourgeoises (Cromwell en Angleterre, 1789 en France) consistaient essentiellement en des bouleversements POLITIQUES. L'infrastructure économique de la nouvelle société préexistait à la prise du pouvoir politique par la bourgeoisie. La révolution prolétarienne, du fait qu'elle est l'œuvre d'une classe exploitée, connaît un processus inverse. La classe révolutionnaire prend le pouvoir politique, non pour consacrer la situation économique déjà existante, mais au contraire pour la détruire. La nouvelle infrastructure économique et sociale ne peut commencer à être bâtie qu' après la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie, une fois le pouvoir politique acquis par le prolétariat. C'est là une spécificité du prolétariat comme classe révolutionnaire.

Abolir le salariat, c'est abolir la vente et l'achat de la force de travail. Pour que ce soit possible, il faut que simultanément rien dans la société ne soit vendu ni acheté, car abolir le salariat, c'est ELIMINER LA MARCHANDISE EN GENERAL. Concrètement, cela veut dire que la production de toute la société doit être mise en commun et que chacun doit pouvoir y puiser selon ses besoins.

L'abolition du salariat, le COMMUNISME, a été rendu possible et nécessaire par le développement extraordinaire que les forces productives ont atteint sous le capitalisme. Mais, étant donné que la production capitaliste se fait à l'échelle mondiale, qu'on trouve aujourd'hui, dans chaque marchandise des biens venant des quatre coins du monde, l'abolition du salariat ne pourra devenir effective que lorsque l'échange marchand aura été éliminé sur toute la surface de la planète. Tant qu'il y aura des parties du monde auxquelles il faudra acheter et vendre les produits du travail, l'abolition du salariat ne pourra être réalisée nulle part intégralement.

Dans les premiers pays où le prolétariat sera parvenu à détruire l'appareil d'Etat capitaliste et à instaurer sa dictature en s'emparant du contrôle de tout l'appareil industriel de production, le premier but sera donc de créer un SECTEUR COLLECTIVISE le plus large possible. Ce secteur comprendra logiquement, en premier lieu, tous les centres industriels de production , domaine du prolétariat révolutionnaire. Au sein de ce secteur, la collectivisation se traduira par la généralisation de la gratuité de tous les biens. A la collectivisation objective de la production matérielle que le capitalisme a déjà réalisée dans les faits, on fera correspondre la collectivisation de la distribution -gratuité.

Le but principal de l'action du prolétariat sera d'élargir au maximum et le plus vite possible son secteur, aux dépens du secteur qui reste non collectivisé : certains paysans, et les pays qui sont encore sous la domination totale du capital. De sa capacité à réaliser cette tâche dépend le succès ou l'échec de son œuvre révolutionnaire. Et une fois le processus engagé, la moindre stagnation signifiera le retour à l'exploitation capitaliste en passant par un massacre contre-révolutionnaire.

Le processus de dissolution du travail salarié se confondra donc avec celui de l'élargissement de ce secteur : intégration de toute la population à la production collectivisée.

Le commencement du processus de "dissolution du travail salarié" sera donc marqué par la création de ce premier secteur collectivisé. Tant que celui-ci n'existe pas parler de dissolution du travail salarié, c'est se payer de mots ! Tant qu'il n'a pas été créé, le capital et le salariat dominent la société dans toute leur hideur.

Or la création du noyau de ce secteur même dans la meilleure des hypothèses, (la révolution commençant aux USA par exemple), ne peut être rendue possible que par la prise du pouvoir politique du prolétariat AU MOINS dans un grand pays industriel, sinon dans plusieurs. Autrement, il n'aura aucune réalité matérielle. Un secteur collectivisé contraint d'acheter et de vendre l'essentiel de ce qu'il consomme et de ce qu'il produit n'a aucune chance de collectiviser quoi que ce soit. Le marché noir et autres phénomènes du même genre se chargeraient immédiatement de le réduire à un vain mot inscrit sur les déclarations enflammées des premiers soviets. Et quant au salariat, il n'y serait pas plus dissout que la loi de l'échange.

Quand on a essayé de saisir concrètement au moins dans ses grandes lignes, ce que sera le processus de "dissolution du travail salarié", on ne peut pas ne pas prendre pour une jonglerie de mots des idées telles que : avant d'affronter l'État capitaliste, la classe ouvrière devra commencer à se "dissoudre comme travail salarié" !

la dictature du prolétariat

La plupart des tendances à définir deux classes distinctes au sein du processus révolutionnaire, l'une qui vivrait sous le capitalisme ("la classe-en-soi", la "catégorie économique", "la classe pour le capital" ou tout simplement "la classe ouvrière") et une autre, "NEGATION" de la première, qui serait chargée de faire la révolution ("la classe-pour-soi", "la classe universel- i la classe révolutionnaire" ou le "prolétariat") partent d'une même incompréhension théorique.

Lorsqu'on a compris :

  • que la tâche principale du prolétariat, au cours de sa dictature révolutionnaire, consiste dans l'abolition du salariat ;
  • que des mesures effectives en vue de cette abolition peuvent et doivent être prises dès le début de la dictature du prolétariat, (idée qui surgit en opposition à la conception qui régnait au sein du mouvement ouvrier social-démocrate du début du siècle, et selon laquelle il devrait y avoir une longue période de transition caractérisée par l'égalité des salaires)

on se trouve alors confronté au problème suivant : si l'exploitation commence à être détruite dès le début de la dictature révolutionnaire, que devient a- lors la classe ouvrière ? Comment peut-elle se distinguer du reste de la société, puisqu'elle est en train de perdre sa spécificité principale, c'est-à-dire le fait d'être classe exploitée par le salariat, puisqu'elle tend à se dissoudre au sein d'une masse de producteurs égaux ? Au sein de la société capitaliste, la motivation fondamentale de l'action du prolétariat était sa lutte contre l'exploitation ; mais que reste-t-il de cette motivation lorsque le prolétariat commence à cesser d'être exploité ? Dans quelle mesure le terme de "dictature du prolétariat" continue-t-il de se justifier ?

La tentation est grande de résoudre le problème en affirmant tout simplement qu'il y a en fait, soit deux classes distinctes, l'une exploitée, l'autre révolutionnaire ; soit une classe au sein du capitalisme, et, au cours du processus révolutionnaire une "classe universelle", c'est- à-dire pas de classe en quelque sorte ; soit encore qu'il y a bien une seule classe mais qui est tellement différente dans un cas et dans l'autre qu'elle n'est pour ainsi dire plus la même.

La tentation est d'autant plus grande que l'on parvient à s'auto-convaincre que, ce faisant, on "innove", de façon décisive, sur le "vieux mouvement ouvrier" et que tous ceux qui ne raisonnent pas ainsi sont inévitablement condamnés à évoluer vers des conceptions social-démocrates.

En plaçant au centre de l'analyse du processus révolutionnaire le problème de la "NEGATION de la classe-pour-le-capital par la classe-pour-soi", l'article de Hembé s’inscrit dans une vision analogue.

Mais en quoi dire que la classe qui agit de façon révolutionnaire est très différente de celle qui vit sous la domination du capital, nous permet de résoudre les problèmes que pose le processus révolutionnaire après la prise du pouvoir ?

Personne ne doute que, du point de vue de sa volonté consciente ainsi que du point de vue de sa composition organique, le prolétariat subit des transformations importantes au cours de son combat révolutionnaire. Il est EVIDENT que le prolétariat en train de chercher à élargir par tous les moyens sa dictature sur le reste de la société, qui tente d’étendre le secteur collectivisé qu’ il a créé, possède une volonté consciente qui n’est pas identique à celle du prolétariat lorsqu’il se bat dans une grève parcellaire en période de pleine expansion du capitalisme. Il est aussi vrai qu’un prolétariat qui parvient à élargir chaque jour le secteur qu'il a collectivisé est un prolétariat qui transforme chaque jour de nouveaux travailleurs en "prolétaires” et donc, s’agrandit régulièrement. Il n’est pas moins vrai enfin que le prolétariat en train de travailler dans un secteur collectivisé agit différemment du prolétariat au sein de la société capitaliste.

Tout cela est juste, et peut être résumé par une constatation : la vie du prolétariat n’est pas la même lorsqu’il subit passivement la dictature du capital et lorsqu’il exerce sa dictature pour s’affranchir définitivement.

On aurait pu s’en douter...

Mais, une fois cette constatation faite, le problème reste le même, la question en suspens : Q(J ' EST-CE-QUI POUSSE LE PROLETARIAT, AU COURS DE CETTE PERIODE, A CONTINUER SON COMBAT REVOLUTIONNAIRE ? ET POURQUOI LE PROLETARIAT SEUL CONTINUE D’ETRE LA CLASSE REVOLUTIONNAIRE ?

En fait, pour véritablement tenter de répondre à ces problèmes, il fallait commencer par répondre à deux autres questions :

  1. Pourquoi la classe ouvrière est- elle la seule classe révolutionnaire face au capital ?
  2.  Comment la classe ouvrière continue-t-elle d’être exploitée après la prise du pouvoir ?

POURQUOI LE PROLETARIAT EST REVOLUTIONNAIRE ?

Le prolétariat trouve les déterminations de sa nature révolutionnaire dès sa naissance,

  1. : dans les rapports matériels qui le lient aux moyens de production, objets et moyens de travail.
  2. : dans les rapports sociaux qui le lient au capital , considéré non pas en tant que moyens matériels de production, mais en tant que rapport social.

Il nous faudra donc distinguer d’ une part le système de production capitaliste en tant que façon matérielle de produire, d'associer le travail vivant au travail mort ; d'autre part, le système capitaliste en tant qu'ensemble de rapports sociaux liant entre eux les différentes classes économiques de la société.

Considérons la classe ouvrière dans le capitalisme DU POINT DE VUE DE LA FAÇON MATERIELLE DE PRODUIRE. Sa spécificité par rapport aux autres classes de la société réside dans le fait qu'elle constitue la force vivante du travail associé. Contrairement au petit paysan, à l'artisan, au petit commerçant, aux membres des professions libérales, etc., l'ouvrier industriel travaille, produit de FAÇON COLLECTIVE. Il ne réalise qu'une part de plus en plus infime du produit global au sein d’une division du travail toujours croissante. Son rapport avec les moyens de production est un rapport avec des moyens de plus en plus gigantesques. Il est un rapport objectivement collectif.

C’est face aux crises économiques de la société que les classes révèlent leur véritable nature historique. Or, de par sa situation de producteur collectif, le prolétariat ne peut pas envisager, face à une crise économique, de solution individuelle fondée sur la propriété privée. Le paysan ou l’artisan, travailleurs "indépendants”, qu'ils soient ou non propriétaires de leurs moyens de production, ne peuvent devant une crise qu'éprouver la plus parfaite méfiance vis-à-vis de toute collectivisation des moyens de production. Ils tendent inévitablement à réagir en préconisant le partage des terres ou la protection de la propriété privée.

Pour l'ouvrier industriel, même illettré, le partage de l'usine en parcelles individuelles est, par contre, un pur non-sens. Situé au cœur même de la production de l'essentiel des richesses de la société, travaillant de façon ASSOCIEE, n'ayant de rapports avec les moyens de production que de façon COLLECTIVE, le prolétariat industriel est la seule classe de la société à pouvoir comprendre, désirer, et réaliser la collectivisation effective et mondiale de la production.

C’est là la première détermination fondamentale qui en fait la seule classe révolutionnaire de notre époque.

Si on considère maintenant le prolétariat au sein du capitalisme envisagé comme ENSEMBLE DE RAPPORTS SOCIAUX, il constitue la seule classe réellement antagonique au capital et à la bourgeoisie. La plus-value, source unique de l’accumulation du capital, travail volé à la classe ouvrière par le capitaliste, est au cœur même des rapports qui lient les deux classes fondamentales de la société. Marx disait que ses deux seules découvertes originales étaient la théorie de la plus-value et le fait que le prolétariat était la classe révolutionnaire de la société capitaliste. Ces deux idées constituent en fait les deux clefs de voûte de la compréhension de la vie sociale sous le capitalisme : l’essence de la vie sociale capitaliste se résume dans la lutte pour la plus-value entre ceux qui la créent et ceux qui la consomment et l’utilisent. Le moteur de l’action du prolétariat est ce combat contre l’extraction de la plus-value, contre le salariat. Tant que le capital domine la société, il y a salariat. Tant que le capital existe, toute l’action du prolétariat est déterminée par l’antagonisme fondamental qui le lie à celui-ci.

Antagoniste direct du capital, poussé en permanence-à l’action contre le capital du fait de son exploitation, la position sociale du prolétariat constitue donc l’autre détermination fondamentale de sa nature révolutionnaire.

Toutes les classes exploitées de l’histoire ont lutté contre leur exploitation. Au sein même du capitalisme, il existe d’autres classes exploitées, qui, à un moment ou à un autre, d’une façon ou d’une autre, sont amenées à s’affronter au capital. Mais du fait que le système capitaliste ne peut être dépassé que par un système fondé sur une collectivisation supérieure du processus de production, la classe ouvrière, travailleur collectif, est la seule qui soit historiquement révolutionnaire.

Classe exploitée et force vivante du travail collectif, ces deux déterminations existent en permanence au sein du prolétariat. De la naissance jusqu’à la dissolution définitive de la classe, ces deux déterminations rendent compte du contenu révolutionnaire des luttes prolétariennes. Le combat contre l’exploitation est le moteur de toutes ses actions ; le caractère de travailleur collectif en détermine les formes. Tenter de comprendre n’importe quelle lutte prolétarienne sans recourir à ces deux déterminations, c’est se condamner à inventer des forces sans formes, ou des formes dans force.

Ainsi, de même qu’on ne peut comprendre la forme la plus simple de lutte contre l’exploitation, la grève, sans se référer au caractère de travailleur collectif de la classe, de même, on ne peut saisir la forme qui pousse le prolétariat à collectiviser la production de toute la planète sans comprendre qu’elle est une lutte contre l’exploitation.

Car, tant que le prolétariat existera, c’est-à-dire tant que les classes subsisteront, le prolétariat sera une classe exploitée.

COMMENT LA CLASSE OUVRIERE EST-ELLE CLASSE EXPLOITEE AU COURS DE SA DICTATURE REVOLUTIONNAIRE ?

On est souvent étonné en apprenant qu’il y a eu des grèves ouvrières dans la Russie soviétique des premières années (dès 1917). C’était pourtant une période d’euphorie révolutionnaire, une période au cours  de laquelle les soviets ouvriers étaient encore pleins de vie révolutionnaire, les travailleurs collectivisaient tout ce qu' ils pouvaient, le pouvoir ouvrier se dressait sur les ruines encore fumantes de l’ancienne société.

Certains expliqueront ces grèves par l'opposition entre le mouvement révolutionnaire des travailleurs et la nature "anti-ouvrière" du parti bolchevik. D'autres parleront plutôt de l'influence néfaste de partis bourgeois comme les mencheviks qui poussaient les travailleurs à faire des grèves pour affaiblir la situation du parti bolchevik prolétarien.

La réalité est qu'il ne suffisait pas que le prolétariat russe ait pris le pouvoir politique en Octobre 1917 pour qu’il cessât d'être exploité par le capital mondial.

Le prolétariat peut s'emparer du pouvoir dans un pays, il peut collectiviser tout l'appareil productif et éliminer tout échange au sein du secteur collectivisé en rendant gratuits tous les biens et services, sa survie économique n'en sera pas moins dépendante du reste des pays, ainsi que des secteurs non collectivisés dans son propre pays, (voir les paysans en Russie, contre le prolétariat). Au sein de ce pays, le prolétariat pourra s'aménager de meilleures conditions de travail (réduction du temps de travail, transformation de la vie dans les usines, etc.), mais il ne pourra le faire qu'à l'intérieur des limites que lui imposent inévitablement les nécessités de l'échange avec le reste du monde. Que les pays capitalistes décident de bloquer toutes les exportations vers le pays en insurrection, ou tout simplement, d'augmenter leur prix de vente, et les travailleurs qui, pourtant, détiennent le monopole de tout l'armement au sein de leur territoire, qui, pourtant, sont en plein exercice de leur dictature révolutionnaire, se verront contraints pour survivre de s'imposer les pires rationnements ou d'augmenter leur temps de travail. Seule l'extension géographique de la révolution permet d'atténuer cette dépendance.

L'exploitation capitaliste est mondiale, et tant que le capital n'est pas détruit à l'échelle de la planète, tant que l'échange marchand subsiste quelque part dans le monde, le prolétariat ne pourra cesser d'être une classe exploitée dans aucune zone.

La fin de l'exploitation capitaliste n'adviendra qu'avec l'intégration de tous les travailleurs du monde dans le prolétariat révolutionnaire, c'est-à-dire avec la dissolution du prolétariat dans l'humanité.

La force qui pousse le prolétariat à continuer son combat révolutionnaire au lendemain de la prise du pouvoir n'est donc pas différente de celle qui l'a amené à la prise du pouvoir : la lutte contre son exploitation.

ooOoo

Au lieu de patauger prétentieusement dans le monde simpliste des abstractions, les philosophes de la "négation" feraient bien de s'élever au niveau concret des processus REELS. Ils comprendraient alors facilement la vacuité de leurs raisonnements.

l’intervention des révolutionnaires

Lorsqu'on a comme idée que "les luttes révolutionnaires" sont la "négation" des luttes revendicatives, lorsqu'on ne peut envisager la "classe révolutionnaire" que comme une "négation" de la "classe salariée", que peut-on dire aux travailleurs qui s'engagent actuellement dans des luttes salariales ? Hembé répond :

  • "Les communistes sont présents dans la mesure du possible, dans les luttes, aussi petites soient-elles, et ils y déploient autant d’énergie et d'imagination que les autres travailleurs combattifs, ne serait-ce que parce qu'ils subissent la même exploitation et ressentent la même révolte contre la vie actuelle. Mais ce qui les distingue, c'est qu'ils proclament ouvertement, à contre-courant lorsque les autres prolétaires refusent encore de le reconnaître, que l'approfondissement de la crise et les revers actuels sont la condition de la révolution, en ce qu’ils permettent l’expérience pratique de l’impossibilité, à notre époque, pour le prolétariat de se défendre comme simple travail salarié, à l’intérieur de la société capitalisme". (R.I. n°8, page 9)

Parlant de l’intervention des communistes dans les luttes, Marx écrit dans le Manifeste : les communistes "ont sur le reste de la masse prolétarienne l’avantage de comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier".

Convaincu que tout le problème de la marche du mouvement ouvrier se résume à la compréhension de la nécessité de la "négation" des luttes revendicatives, Hembé ne peut rien comprendre à ce qu’on peut bien faire dans l’une de ces luttes. Ainsi, nous propose-t-il d’y participer, d’y déployer "autant" d’énergie et d’imagination que les plus combatifs des travailleurs, tout en criant : "Tout ça ne sert à rien !" ou, tout au plus : "J’espère que ceci vous servira de leçon et que vous comprendrez enfin qu’on ne peut pas se défendre comme simple travail salarié !". "Il n’y a pas d’issue dans le système !’’.

C’est vrai que les luttes revendicatives ne peuvent pas aboutir à de véritables conquêtes matérielles au sein du capitalisme décadent. C’est vrai, de même, que c’est une des principales idées que les révolutionnaires doivent dire au sein des luttes. Mais, participer de toute son "énergie" dans une lutte pour répéter en permanence (avec de l’"imagination" suppose-t-on) qu’elle ne sert à rien, qu’à nous convaincre de son inutilité, c’est se condamner à passer pour un imbécile, et à juste titre ! Si nous n’avons rien d’autre à dire, autant rester chez soi !

Hembé veut critiquer l’attitude des trotskystes et leur tactique du "programme de transition" -mettre en avant, dans les luttes, des revendications : elles sont irréalisables dans le capitalisme, les révolutionnaires le savent, mais les ouvriers sont supposés l’ignorer totalement ; une fois que la classe les fait siennes, on est sûr d’arriver à un affrontement révolutionnaire puisqu’elles ne peuvent être réalisées pour la plupart, qu’après la prise du pouvoir par les travailleurs ; c’est le mécanisme simple de la carotte qu’on tient en face de l’âne pour le faire avancer.

Mais la critique concrète aboutit à une attitude aussi absurde que celle des trotskystes.

Hembé nous dit à plusieurs reprises dans l’article que "les luttes immédiates sont nécessaires". Pourquoi ? Parce qu’il faut que la classe "fasse et refasse l’expérience pratique de l’impossibilité du réformisme". Et de nous rappeler à sa façon la fameuse idée de Marx : "Les hommes ne bouleversent leurs rapports sociaux que lorsqu’ils ont épuisé toutes les possibilités de les rafistoler". (page 3, R.I. n°8)

Si telle était la seule utilité des luttes immédiates, les Révolutionnaires n’auraient pas plus à y participer qu’aux guerres impérialistes.

Mais ces combats parcellaires ont une autre fonction pour le prolétariat. C’est à travers eux que les ouvriers prennent conscience de leur appartenance à une classe, c’est à travers eux que se forge l’unité de la classe.

Une classe qui ne résiste pas à l’exploitation de façon permanente ne sera jamais capable de se lancer dans un combat révolutionnaire.

Le désir conscient ne se développe qu’avec la possibilité de sa réalisation. Si l’humanité ne se pose que les problèmes qu’elle peut résoudre, les travailleurs ne commencent à se poser le problème du projet révolutionnaire qu’au fur et à mesure que les forces nécessaires à sa réalisation commencent à apparaître clairement devant ses yeux. Or, la classe ouvrière ne possède que deux armes pour sa tâche révolutionnaire : sa conscience et son unité. Deux armes qu’elle ne découvre qu’ au cours de ses luttes.

Les idées révolutionnaires ont une résonnance complètement différente lorsqu’ elles sont énoncées dans un isoloir électoral ou lorsqu’elles sont discutées par un groupe de grévistes. Entre ces deux situations, il y a le gouffre qui sépare l’individu ouvrier, isolé, impuissant, du travailleur qui découvre dans une grève la force qui bout dans les entrailles de sa classe.

Les communistes qui se donnent les moyens de "comprendre les conditions, la marche et les résultats généraux du mouvement ouvrier", savent que ces luttes peuvent à tout moment se transformer en véritables combats révolutionnaires.

Ils ne disent pas abandonnez vos luttes car elles ne servent à rien. Mais ils proclament au contraire : renforcez vos luttes, étendez-les, prenez les moyens les plus radicaux et les plus politiques, car là ou vous ne voyez que des luttes économiques se forgent en fait les armes de votre seule victoire matérielle désormais possible : LA REVOLUTION SOCIALISTE,

R. Victor


  • "Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d’un nouveau principe : Voici la vérité, mets-toi à genoux... Nous ne lui disons pas : Abandonne tes luttes car ce sont des sottises ; nous ne faisons que lui montrer la vraie raison de son combat. La conscience est quelque chose qu’il doit faire sienne, qu’il le veuille ou non ! ’’
    MARX

 

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Critique des soi-disant "communisateurs", annexe à la partie 2